Indemnisation du joueur frappé d`interdiction de jeu qui a accédé au

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Indemnisation du joueur frappé d`interdiction de jeu qui a accédé au
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Indemnisation du joueur frappé d’interdiction de jeu
qui a accédé au casino
le 18 juillet 2011
CIVIL | Contrat et obligations | Responsabilité
Un joueur frappé d’interdiction de jeux qui ne demande pas le règlement de sommes gagnées n’est
pas privé d’un intérêt légitime à agir. Il peut assigner en dommages-intérêts un casino sur le
fondement de la responsabilité délictuelle lorsqu’est caractérisée une abstention fautive de la
société, génératrice d’un préjudice réparable. Civ. 2e, 30 juin 2011, FS-P+B, n° 10-30.838
Si cette décision d’une importance pratique intéressera les établissements de jeux sur lesquels
pèsent des obligations en matière d’accès aux salles, elle intéressa sans doute aussi les joueurs
compulsifs. La réglementation en la matière est claire. L’article 14 du décret n° 59-1489 du 22
décembre 1959 dispose que l’accès aux salles de jeux est interdit « aux personnes dont le ministre
de l’intérieur a requis l’exclusion ». De plus, le décret n° 2006-1595 du 13 décembre 2006,
modifiant l’article 14 du décret n° 59-1489 du 22 décembre 1959, oblige les établissements de jeux
à mettre en place un dispositif de contrôle d’identité systématique à l’entrée des salles de jeux (V.
aussi, art. 21 et 25 de l’arrêté du 14 mai 2007 relatif à la réglementation des jeux dans les casinos).
Si une personne interdite de jeux accède à la salle et parvient à gagner au mépris de l’interdiction,
elle ne peut assigner un établissement de jeux en paiement de la somme gagnée, en raison de la
nullité du contrat la liant à l’établissement. Elle ne peut pas plus obtenir des dommages-intérêts en
compensation du gain d’argent qu’elle n’a pu obtenir. Cependant, la personne interdite de jeux qui
ne demande pas le règlement de sommes gagnées peut-elle assigner en dommages-intérêts un
établissement de jeux sur le fondement de la responsabilité délictuelle lorsque ce dernier n’a pas
pris les dispositions nécessaires pour rendre la mesure d’exclusion efficace ?
C’est à notre connaissance la première fois que la Cour de cassation se prononce aussi clairement
sur cette question dans un arrêt de rejet du 30 juin 2011 publié au Bulletin. Ainsi, cette décision
complète la liste des décisions relatives aux jeux d’argent (V. Civ. 2e, 22 févr. 2007, n° 06-10.131,
Bull. civ. II, n° 47 ; Dalloz actualité, 7 mars 2007, obs. I. Gallmeister ; D. 2007. 2709, note C.
Golhen ; ibid. AJ 798, obs. E. Pahlawan-Sentilhes ; RTD civ. 2007. 572, obs. P. Jourdain ; RCA
2007. Comm. 146, obs. S. Hocquet-Berg ; JCP G 2007. I. 185, n° 1, obs. P. Stoffel-Munck ; JCP G
2007. II. 10099, note M. Brusorio-Aillaud).
En l’espèce, une personne a été interdite de jeux à sa demande par l’autorité administrative. Ayant
continué à fréquenter les salles de casino, elle a accumulé des pertes. Ce faisant, elle a assigné la
société en dommages-intérêts sur le fondement de la responsabilité délictuelle. La cour d’appel
(Rennes, 12 mai 2010) a fait droit à sa demande en considérant, d’une part, que la personne
interdite de jeux ne demande pas le règlement des sommes gagnées au jeu et que, d’autre part, la
société s’est abstenue de prendre les dispositions nécessaires pour rendre la mesure d’exclusion
efficace. La Cour de cassation approuve le raisonnement de la cour d’appel.
Par cette décision sévère pour les établissements de jeux, la Cour milite en faveur de la lutte contre
l’addiction aux jeux et entend protéger ainsi les personnes interdites de jeux qui n’ont pas la
volonté suffisante pour s’interdire l’accès aux salles. Si l’arrêt ne conteste pas le principe selon
lequel une victime ne peut obtenir la réparation de la perte de ses rémunérations que si celles-ci
sont licites (V. déjà, Civ. 2e, 22 févr. 2007, préc. ; V. aussi, en ce sens, Civ. 2e, 24 janv. 2002, D.
2002. 2559, note D. Mazeaud ; RTD civ. 2002. 306, obs. Jourdain ; JCP 2002. II. 10118 note Boillot
; ibid. 2003. I. 152 n° 22, obs. Viney ; Defrénois 2002. 786, obs. Libchaber ; Dr. et patr. avr. 2002.
92, obs. Chabas ; RCA 2002. Chron. 11, par Hocquet-Berg), il admet toutefois qu’une personne
interdite de jeux puisse assigner en dommages-intérêts un casino sur le fondement de la
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responsabilité délictuelle. Partant, déjà dans une affaire qui avait donnée lieu à cassation (Civ. 2e,
22 févr. 2007, préc.), le juge de proximité avait considéré que le casino avait l’obligation de
contrôler l’identité des joueurs et qu’en s’abstenant de le faire, il aurait engagé sa responsabilité
(V. Golhen, préc.). Mais, la Cour de cassation s’était fondée sur l’absence de légitimité de l’intérêt
lésé pour refuser toute réparation à la victime. Aussi, dans l’arrêt sous examen, la Cour énonce que
la personne interdite de jeux n’est pas privée d’un intérêt légitime à agir et qu’est caractérisée une
abstention fautive de la société génératrice d’un préjudice réparable. En effet, le casino a commis
une faute en laissant pénétrer dans son enceinte une personne frappée d’interdiction de jeux
puisqu’il n’a pris aucune disposition pour assurer l’efficacité de la mesure d’exclusion des salles. À
vrai dire, cette décision s’inscrit dans un courant jurisprudentiel qui admet la réparation du
préjudice causé à la suite d’une situation illicite dans laquelle s’est placée la victime (V. par ex., Civ.
2e, 19 févr. 1992, RTD com. 1992. 861, obs. B. Bouloc ; JCP 1993. II. 22170, note G. Casile-Hugues
; RCA 1992. Comm., n° 165, obs. H. Groutel).
Désormais lorsqu’un joueur de casino, qui a demandé volontairement son interdiction des salles de
jeux, perd ou gagne, ce ne sera certainement plus le casino qui sera toujours gagnant (V. Golhen,
préc.).
par J. Marrocchella
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