Consécration du devoir de conseil du vendeur

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Consécration du devoir de conseil du vendeur
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Consécration du devoir de conseil du vendeur
professionnel
le 5 novembre 2010
AFFAIRES | Consommation | Contrat - Responsabilité
CIVIL | Contrat et obligations
Il incombe au vendeur professionnel de prouver qu’il s’est acquitté de l’obligation de conseil lui
imposant de se renseigner sur les besoins de l’acheteur afin d’être en mesure de l’informer quant à
l’adéquation de la chose proposée à l’utilisation qui en est prévue.
Civ. 1re, 28 oct. 2010, F-P+B+I, n°09-16.913
Cet arrêt est d’importance. Il consacre tout d’abord l’existence d’un devoir général du conseil à la
charge du vendeur professionnel. À ce jour, la loi n’impose qu’une obligation d’information à la
charge des professionnels. Il s’agit d’abord d’une obligation générale d’information du vendeur de
biens ou du prestataire de services au bénéfice du consommateur ; dans certains contrats
particuliers, elle n’existe que si elle est prévue par un texte particulier, par exemple en matière de
vente de fonds de commerce (art. L. 141-1 c. com.) ou de contrat médical (art. L. 1111-2 CSP). La
jurisprudence a, certes, d’ores et déjà forgé, de manière prétorienne, une obligation de conseil,
mais elle a toujours pris soin d’en cantonner l’application : elle le limite généralement à l’hypothèse
de la vente de « produits complexes », tels certains matériels informatiques (Civ. 1re, 11 juill. 2006,
D. 2006. AJ 2788, obs. Delpech ; V. égal. Civ. 1re, 25 juin 1996, D. 1996. IR 188 ). Il s’agit ici de la
vente de carrelage destiné à être posé autour d’une piscine, lequel carrelage s’étant désintégré car
ne supportant pas l’eau - traitée - de la piscine. Il est reproché au vendeur de ne pas avoir conseillé
l’acheteur un carrelage adapté à son environnement. En réalité, on le sait, la frontière entre devoir
d’information et de conseil est souvent ténue…
Ce devoir de conseil ne pèse donc que sur le vendeur professionnel, alors même, que, s’agissant du
devoir d’information, la jurisprudence semble admettre qu’elle puisse s’imposer à un
non-professionnel (V. par ex., Civ. 3e, 30 juin 1992, Bull. civ. III, n° 238 ; Defrénois 1993. 378, obs.
Vermelle, à propos de la non-constructibilité d’un terrain). C’est ici une manifestation
supplémentaire de la césure qui existe, en terme d’obligations, mais aussi de droits (V. par ex. à
propos du droit à l’information du créancier professionnel en matière de cautionnement, Civ. 1re, 9
juill. 2009, Bull. civ. I, n° 173 ; D. 2009. Chron. C. cass. 2067, obs. Creton ; ibid. Jur. 2198, note
Piedelièvre ; ibid. AJ 2032, obs. Delpech ; RTD com. 2009. 796, obs. Legeais ; RTD civ. 2009. 758,
obs. Crocq ), entre professionnels et non-professionnels, laquelle tend à supplanter celle,
traditionnelle, entre commerçants et non-commerçants. Cela étant, ce devoir de conseil du vendeur
professionnel n’a pas le même caractère absolu que celui qui existe à la charge du notaire, puisque,
en ce qui concerne ce dernier, le devoir de conseil ne disparaît pas en présence d’un client «
professionnel avisé » (Civ. 1re, 2 juill. 1991, Bull civ. I, n° 228 ; D. 1991. IR 219 ). Dans le cas du
contrat de vente, il est admis que ce devoir de conseil n’existe que si le « client est dépourvu de
toute compétence » (Civ. 1re, 11 juill. 2006, préc.). Cette solution ne semble pas remise en cause.
Par ailleurs, le présent arrêt cantonne un tel devoir à la vente. Faut-il considérer qu’il s’applique
également aux prestations de service, le droit économique - spécialement le droit de la
consommation et le droit de la concurrence - assimilant généralement l’un à l’autre ? La réponse
est nécessairement nuancée : en matière de contrat bancaire et financier, en particulier, la
jurisprudence a consacré une obligation originale à la charge du professionnel, dite de mise en
garde, qu’elle prend soin de ne pas assimiler au devoir de conseil (en ce que ce dernier serait
contraire au devoir de non-immixtion du banquier dans les affaires de son client ; V. Ch. mixte, 29
juin 2007, D. 2007. Jur. 2081, note Piedelièvre et AJ 1950, obs. Avena-Robardet ; ibid. 2008. Pan.
878, obs. D. R. Martin ; RTD civ. 2007. 779, obs. Jourdain ; RTD com. 2007. 579, obs. Legeais ;
JCP 2007. II. 10146, note Gourio).
L’arrêt commenté, décidément très riche, fournit également de précieuses indications sur le
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contenu de ce devoir de conseil et sur les obligations qu’il fait peser, très concrètement, sur le
vendeur professionnel : il doit d’abord « se renseigner sur les besoins de l’acheteur », puis sur la foi
de ces éléments, il doit « l’informer quant à l’adéquation de la chose proposée à l’utilisation qui en
est prévue ». Évidemment, le terme de « besoin » doit probablement être compris dans une
acception extensive. Pour reprendre les théories de Maslow, il ne s’agit pas seulement de prendre
en compte les besoins « primaires » ou « physiologiques », mais également, notamment pour les
produits qui révèlent une certaine « appartenance sociale » (ce que sont souvent les produits de
haute technologie), les besoins dits « d’accomplissement ». S’agissant du second volet du devoir de
conseil, lié au mode d’utilisation de la chose dont l’achat est projeté, la Cour de cassation ne
précise pas si cette utilisation doit s’apprécier de manière objective (par rapport à l’utilisation «
normale », de bon père de famille, de la chose) ou subjective (par rapport à un usage particulier de
celle-ci).
Enfin, et tel était en réalité son objet principal, l’arrêt commenté aborde la question de la charge de
la preuve. En droit commun, c’est celui qui allègue l’existence d’une faute - ici un manquement au
devoir du conseil - qui doit la prouver. Toutefois, la jurisprudence contemporaine considère, à
propos des professionnels du droit, que c’est au professionnel tenu à une obligation de conseil de
prouver qu’il l’avait correctement remplie (V. par ex. à propos de l’avocat, Civ. 1re, 29 avr. 1997,
Bull. civ. I, n° 132 ; D. 1997. IR 130 ). Comme on l’a écrit, cette jurisprudence ne procède pas à une
inversion de la charge de la preuve mais elle ne fait que « prendre en compte la difficulté de
prouver un fait négatif et les dispositions de l’article 1315, alinéa 2, du code civil aux termes duquel
celui qui se prétend libéré doit justifier le fait qui a produit l’extinction de son obligation » (P.
Cassuto-Teytaud, La responsabilité des professions juridiques devant la première chambre civile,
Rapp. C. cass. 2002). C’est cette solution qui est aujourd’hui étendue - sans surprise - au vendeur
professionnel. Elle mérite également d’être regardée à la lumière de la loi de simplification du droit
du 12 mai 2009, laquelle, consacrant la jurisprudence (Civ. 1re, 15 mai 2002, Bull. civ. I, n° 132 ; D.
2002. IR 1811 ), fait expressément peser la charge de la preuve de l’obligation d’information du
vendeur professionnel prévue par l’article L. 111 du code de la consommation sur ce dernier (L. n°
2009-526 du 12 mai 2009, JO 13 mai, art. 21 ; art. L. 111-1, al. 2, c. consom. nouv.).
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par X. Delpech
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