Indivisibilité des contrats de prêt et de vente

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Indivisibilité des contrats de prêt et de vente
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Indivisibilité des contrats de prêt et de vente
le 25 septembre 2015
AFFAIRES | Banque - Crédit
CIVIL | Contrat et obligations
En dehors même des dispositions du code de la consommation, la résolution du contrat de vente
(contrat principal) emporte l’anéantissement du contrat de prêt (contrat accessoire) du fait de
l’indivisibilité de ces deux contrats.
Civ. 1re, 10 sept. 2015, FS-P+B+I, n° 14-13.658
Civ. 1re, 10 sept. 2015, FS-P+B+I, n° 14-17.772
Lorsque le prêt est affecté à l’achat d’un bien en particulier, la résolution du contrat de vente
peut-elle rejaillir sur le contrat de prêt, quand bien même aucune condition résolutoire ne serait
expressément prévue ?
Pour répondre à cette question, la théorie de la cause est généralement avancée. La cause de
l’obligation de l’emprunteur réside normalement dans la contrepartie immédiatement attendue du
prêteur, à savoir la mise à disposition des sommes (cause objective). En principe, donc, l’affectation
des fonds (cause subjective) ne constitue pas la cause de l’engagement de l’emprunteur. Si bien
que la résolution du contrat de vente n’impacte pas le contrat de prêt. Mais il est des exceptions.
D’abord, le code de la consommation lie expressément le sort du contrat de prêt à celui du contrat
de vente dans ses articles L. 311-32 pour le crédit à la consommation (ex-art. L. 311-21) et L.
312-12 pour le crédit immobilier. Ensuite, en dehors de ce cadre légal, la jurisprudence admet que
les parties aient pu vouloir lier les deux actes de vente et de prêt, de sorte que les deux contrats
répondaient à une cause unique (V. Civ. 1re, 1er juill. 1997, n° 95-15.642, D. 1998. 32 , note L.
Aynès ; ibid. 110, obs. D. Mazeaud : l’anéantissement du contrat de vente rend caduc le contrat
de prêt passé le même jour par-devant notaire, les parties ayant entendu subordonner l’existence
du prêt à la réalisation de la vente en vue de laquelle il avait été conclu). Une indivisibilité des
contrats de prêt et de vente est pareillement reconnue lorsque prêteur et vendeur ont agi de
concert (V. Com. 18 mai 1993, n° 91-17.793, CCC 1993. Comm. 182). Tout dépend alors des
conditions dans lesquelles le contrat de prêt a été conclu et exécuté (V. Civ. 1re, 10 mai 2005, n°
03-11.301, Dalloz jurisprudence).
Dans les deux arrêts du 10 septembre 2015, le contrat de crédit était affecté à l’achat d’un toit
photovoltaïque, pour le premier, et d’une éolienne, pour le second. Dans les deux cas, le prêt
consenti était d’un montant supérieur à 21 500 €, soit d’un montant supérieur au plafond qui
déterminait alors l’application des dispositions protectrices du code de la consommation (anc. art.
D. 311-1 ; Le plafond est aujourd’hui de 75 000 € selon l’art. L. 311-3). Dans les deux espèces
également, les juges d’appel avaient prononcé la résolution du contrat de crédit après avoir
prononcé celle du contrat de vente. Ce qu’approuve la Cour de cassation, à l’issue d’un contrôle de
qualification.
Compte tenu des montants en cause pour les deux crédits affectés, les dispositions du code de la
consommation consacrant l’interdépendance des contrats de vente et de prêt ne pouvaient trouver
à s’appliquer. Aucune disposition contractuelle ne permettait du reste de faire entrer
volontairement ces opérations dans le champ du code de la consommation (sur cette possibilité, V.
Civ. 1re, 30 mars 1994, n° 92-12.485, RTD com. 1994. 767, obs. B. Bouloc ). Dans la première
espèce, au contraire, une clause excluait sans détour les dispositions du code de la consommation
compte tenu du montant du crédit consenti.
Dans le premier arrêt, comme bien souvent, un partenariat avait été conclu entre vendeur et
prêteur. D’une part, l’offre de crédit était affectée au contrat principal et avait été renseignée par le
vendeur. D’autre part, le prêteur avait remis les fonds empruntés entre les mains du vendeur.
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Schéma qui n’est pas sans nous rappeler « l’opération commerciale unique » de l’art. L. 311-1, 9°,
du code de la consommation. Pour la Cour de cassation, procédant à une substitution de motifs,
une indivisibilité conventionnelle entre les contrats de vente et de prêt au sens de l’article 1218 du
code civil était bel et bien caractérisée, qui justifiait la résolution du contrat de prêt consécutive à
celle du contrat de vente. Et parce que l’établissement financier avait commis une faute en ne
s’assurant pas de la bonne exécution du contrat principal avant de délivrer les fonds, elle approuve
la cour d’appel d’avoir rejeté sa demande en restitution du capital emprunté (rappr. pour des
contrats soumis à C. consom., art. L. 311-1 s. ; not. Civ. 1re, 8 juill. 1994, n° 92-19.586, CCC 1994,
n° 213, note Raymond).
Dans le second arrêt, il semble, cette fois, que vendeur et prêteur n’avaient pas agi de concert. Ce
qui n’empêche par la Cour de cassation de juger là également, au nom de l’indivisibilité
contractuelle, que la résolution du contrat principal emportait l’anéantissement du contrat
accessoire. D’une part, le contrat de crédit était l’accessoire du contrat de vente auquel il était
subordonné, d’autre part, l’emprunteur avait attesté de l’exécution du contrat principal afin
d’obtenir la libération des fonds par le prêteur, lequel les avait mis à la disposition du vendeur.
Cela n’échappera à personne, la Cour de cassation, dans ses deux décisions du 10 septembre 2015,
ne se réfère nullement à la notion de « cause », souvent jugée trop complexe et sujette à
controverses et incertitudes. D’ailleurs, il est question de résolution du contrat de prêt et non de
caducité. La Cour se fonde sur l’indivisibilité des contrats, consacrée dans le code civil uniquement
en matière d’obligations (C. civ., art. 1217 s.).
Faut-il y voir une anticipation de la réforme annoncée ? Dans le projet d’ordonnance portant
réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, la cause en tant
que condition de validité de l’engagement disparaît. Sans pour autant, semble-t-il, que ses
rédacteurs aient renoncé à une démarche causaliste (en ce sens, V. G. Wicker, La suppression par
le projet d’ordonnance : la chose sans le mot ?, D. 2015. 1557 ). En effet, l’alinéa 2 de l’article
1186 du projet d’ordonnance énonce : « Il en va encore ainsi [caducité du contrat] lorsque des
contrats ont été conçus en vue d’une opération d’ensemble et que la disparition de l’un d’eux rend
impossible ou sans intérêt l’exécution d’un autre. La caducité de ce dernier n’intervient toutefois
que si le contractant contre lequel elle est invoquée connaissait l’existence de l’opération
d’ensemble lorsqu’il a donné son consentement ». Mais « caducité » n’est pas « résolution »…
On laissera à la doctrine le soin d’approfondir cette question. Pour l’heure, il est évident qu’une
certaine harmonisation se dessine dans la jurisprudence de la première chambre civile s’agissant
du sort des contrats de prêts affectés : que la solution trouve son fondement dans l’article L. 311-32
du code de la consommation ou dans l’indivisibilité contractuelle, la résolution du contrat de vente
entraîne celle du contrat de prêt qui en est l’accessoire. Quant au prêteur, il doit, quand bien même
l’article L. 311-31 du code de la consommation ne serait pas applicable, s’assurer avant de délivrer
les fonds que le contrat principal a bien été exécuté. À défaut, il commet une faute l’empêchant de
réclamer à l’emprunteur l’exécution de son obligation de remboursement du prêt à laquelle il
n’était pas tenu avant la livraison du bien. Bien entendu, le banquier négligent pourrait toujours
réclamer la répétition de la somme prêtée au vendeur pourvu qu’il soit en mesure de le faire.
Seulement, en l’occurrence, les deux sociétés étaient en liquidation judiciaire…
Site de la Cour de cassation
par Valérie Avena-Robardet
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