Cass. com., 4 nov. 2014, n°13-21.993, inédit Obs.
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Cass. com., 4 nov. 2014, n°13-21.993, inédit Obs.
Cass. com., 4 nov. 2014, n°13-21.993, inédit Assurance vie – Nantissement – Obligation d’information et de conseil de la banque – Absence de pertes subies par l’assuré – Rejet de l’action en responsabilité (oui). Obs. : Pas de préjudice, pas de responsabilité ! Doit être rejetée l’action en responsabilité pour manquement du banquier à son obligation de mise en garde quant aux risques de fluctuation financière des unités de compte sur lesquelles ont été investies les primes versées sur un contrat d'assurance vie en l’absence de perte subie par l’adhérent au contrat collectif d’assurance vie. L’arrêt rendu le 4 novembre 2014 par la Chambre commerciale et financière de la Cour de cassation reprend à son compte une règle bien établie : pas de préjudice, pas de responsabilité. En l’espèce, le client d’une banque avait adhéré à un contrat collectif d’assurance vie souscrit par la banque auprès de sa filiale. Il avait effectué un premier versement, financé par son épargne, puis un second, douze jours plus tard, financé par un crédit souscrit auprès de la même banque, remboursable in fine au terme de huit ans et garanti par le nantissement du contrat d’assurance vie, selon un montage somme toute assez habituel en gestion de patrimoine (aux dires de la Cour de cassation, il s’agit d’un « montage classique » : Cass. com., 16 juin 2009, n° 08-11.618 : Bull. civ. IV, n° 78). Les primes versées avaient été investies sur des unités de compte. Le montage s’était révélé judicieux puisque, lorsqu’il avait exercé le rachat huit ans plus tard, l’investisseur avait bénéficié d’une plus-value et avait pu rembourser le crédit in fine. Du reste, un rachat partiel avait suffi. L’adhérent assignait alors la banque en nullité du contrat de prêt et subsidiairement en responsabilité pour défaut de conseil et d’information. Sans que cela soit précisé dans l’arrêt, on comprend que le contrat d’assurance vie n’avait pas produit le rendement espéré et que le montant s’était révélé déceptif. Ayant été débouté quant à son action en nullité, il persévérait sur le terrain de la responsabilité. Son pourvoi est rejeté. Pour la Haute Juridiction, la Cour d’appel a pu rejeter l’action en responsabilité fondée sur un manquement de l’assureur à son devoir de mise en garde. En effet, les juges du fond ont retenu que l’adhérent au contrat avait racheté la quasi-totalité de son contrat d’assurance vie en 2009, avec une plus-value, et remboursé la totalité de son prêt. Il en résultait qu’il n’avait subi aucune perte et n’était dès lors pas fondé à reprocher à la banque de ne pas l’avoir mis en garde contre les risques inhérents à l’évolution du cours des titres souscrits. La solution est parfaitement orthodoxe. Sans préjudice, il ne saurait y avoir de responsabilité. Ce n’est que lorsqu’est en cause la violation d’un droit subjectif que la preuve d’un préjudice n’a pas à être rapportée. Ainsi, « la seule constatation de l’atteinte à la vie privée ouvre droit à réparation » sur le terrain de l’article 9 du Code civil (Cass. 1ère civ., 5 nov. 1996, n° 94- 14.798 : Bull. civ. I, n° 378 ; D. 1997. Somm. 289, obs. P. Jourdain ; JCP G 1997. II. 22805, note J. Ravanas ; JCP G 1997. I. 4025, obs. G. Viney ; RTD civ. 1997. 632, obs. J. Hauser). Une même solution devrait être retenue en cas de violation de la présomption d’innocence, protégée par l’article 9-1 du même code (Ph. Le Tourneau (dir.), Droit de la responsabilité et des contrats, Dalloz, 2012, n° 1206). L’atteinte au respect du corps humain pourrait être pareillement sanctionnée (rappr. Y. Lambert-Faivre et S. Porchy-Simon, Droit du dommage corporel. Systèmes d’indemnisation, Dalloz, 7ème éd., 2011, nos et s. – De manière plus générale, sur la question, T. Azzi, « Les relations entre la responsabilité civile délictuelle et les droits subjectifs », RTD civ. 2007. 227). Alors surgit inéluctablement la question de savoir si le droit à l’information, au conseil, à la mise en garde (peu importe comme on le nomme ici) est un droit subjectif dont la violation doit entraîner per se réparation. Sans doute l’adhérent au contrat d’assurance vie financé par un crédit in fine le croyait-il. Il avait probablement à l’esprit la jurisprudence initiée par un arrêt selon lequel « Le nonrespect par le médecin du devoir d'information sur les risques encourus préalablement aux investigations, traitements ou actions de prévention proposés, cause à celui auquel l'information était légalement due un préjudice que le juge ne peut laisser sans réparation » (Cass. 1ère civ., 3 juin 2010, n° 09-13.591 : Bull. civ. I, no 128; R., p. 396 ; D. 2010. 1522, note P. Sargos et 2092, obs. C. Creton ; D. 2011. 35, obs. O. Gout ; JCP G 2010, no 788, note S. Porchy-Simon et n° 1015, obs. Ph. Stoffel-Munck ; RCA 2010, n° 222, obs. S. HocquetBerg ; RTD civ. 2010. 571, obs. P. Jourdain). Toutefois, si la violation de l’obligation d’information en matière médicale ne saurait rester sans réparation, même en l’absence de préjudice corporel, c’est, nous semble-t-il, parce que ce manquement porte atteinte indirectement mais nécessairement aux droits du sujet sur son corps. En d’autres termes, ce n’est pas tant un droit à l’information médicale que la jurisprudence de la Cour de cassation préserve mais bien davantage le droit de chaque sujet de prendre de manière éclairée toute décision relative à sa santé et à son corps, droit qui apparaît de la sorte comme une composante des droits de la personnalité, qui sont des droits subjectifs particuliers (sur cette question, F. Zénati-Castaing et Th. Revet, Manuel de droit des personnes, PUF, 2006 et, des mêmes auteurs, Droit des biens, PUF, 3ème éd., 2008). Rien de tel lorsque sont en cause des stratégies purement patrimoniales. La distinction de l’être et de l’avoir a ainsi encore, parfois, droit de cité. On ajoutera pour terminer que faute de préjudice, il n’a pas été utile aux juges de se prononcer sur les autres conditions de la responsabilité. En particulier, s’agissant du devoir de mise en garde, il y avait sans doute matière à apporter une nouvelle pierre à l’édifice jurisprudentiel, d’autant que les circonstances de l’affaire n’étaient pas très claires (à la lecture de l’arrêt, la banque était certainement souscriptrice du contrat groupe, mais son client en faisait un courtier). Or l’étendue du devoir de mise en garde des banques fait l’objet de discussions qui semblent ne jamais devoir prendre fin. Faute d’être considérée comme une opération spéculative, l’assurance vie en est, semble-t-il, exclue, même lorsque les primes ont été investies en unités de compte particulièrement exposées à la volatilité des marchés financiers (sur ce point, v. la note de J. Djoudi, in Rev. dr. banc. et financ., 2015, comm. 14. – Comp. S. Piédelièvre, note sous Cass. 1ère civ., 16 mai 2013, n° 12-19-207 : Gaz. Pal. 24 oct. 2013, n° 297, p. 14). Mais c’est là une autre question. Tout au plus peut-on rappeler qu’aux termes de l’art. A. 1325 du Code des assurances, « pour les contrats mentionnés au deuxième alinéa de l'article L. 131-1, il est indiqué que l'entreprise d'assurance ne s'engage que sur le nombre d'unités de compte, mais pas sur leur valeur ; il est également précisé que la valeur de ces unités de compte, qui reflète la valeur d'actifs sous-jacents, n'est pas garantie mais est sujette à des fluctuations à la hausse ou à la baisse dépendant en particulier de l'évolution des marchés financiers », le juge n’hésitant pas à vérifier que l’information a bien été donnée (Cass. com., 16 juin 2009, préc.). Matthieu Robineau L’arrêt : Sur le moyen unique : Attendu, selon l’arrêt attaqué (Paris, 30 mai 2013), qu’à la suite de l’étude d’un projet d’investissement établie par la Société générale (la banque), M. X..., qui possédait un compte courant dans ses livres, a, le 19 avril 2001, adhéré au contrat collectif d’assurance vie Séquoia souscrit par la banque auprès de sa filiale Sogecap, en effectuant un premier versement provenant de son patrimoine personnel, puis un second provenant d’un prêt, remboursable in fine au terme de huit ans, souscrit le 2 mai 2001 auprès de la banque et garanti par le nantissement du contrat d’assurance-vie ; que ces sommes ont été investies en unités de compte ; que M. X... a assigné la banque en nullité du contrat de prêt et, subsidiairement, en paiement de dommages-intérêts pour défaut de conseil et d’information ; Attendu que M. X... fait grief à l’arrêt d’avoir rejeté cette dernière demande alors, selon le moyen : 1°/ que le prestataire de service, donc le courtier, qui s’entremet dans une opération spéculative doit, avant que son contractant s’engage, le mettre en garde contre les risques de pertes inhérents à l’évolution du cours des titres formant l’objet de l’opération projetée ; qu’en énonçant que la souscription, par M. X..., d’un contrat d’assurance-vie auprès de la Sogecap ne constitue pas une opération spéculative, et que, dès lors, la Société générale, qui s’est entremise, comme courtier, dans cette souscription, n’a pas manqué à ses obligations, quand elle relève, d’une part, que l’étude que la Société générale a remise à M. X... avant qu’il s’engageât, fait état d’une « hypothèse de capitalisation de 8 % » par an et d’un doublement de l’investissement en huit années, et, d’autre part, que la convention conclue avec la Sogecap stipule que la valeur des « unités de compte » contractuelles est « sujette à des fluctuations à la hausse et à la baisse en fonction de l’évolution des marchés », la cour d’appel a violé l’article 1147 du code civil ; 2°/ que c’est au courtier qu’il revient de prouver qu’il s’est acquitté de son obligation de mise en garde ; qu’en énonçant que la Société générale n’a pas manqué à ses obligations de courtier quand elle constate que cette banque a remis à M. X... une étude faisant état d’une « hypothèse de capitalisation de 8 % » par an et d’un doublement de son investissement en huit années, et quand elle ne justifie pas que la même banque aurait formellement mis M. X... en garde contre les risques de pertes inhérents à l’évolution du cours des titres formant l’objet de l’opération qu’elle lui proposait, la cour d’appel, qui ne démontre pas que M. X... avait la qualité de spéculateur chevronné lorsqu’il s’est engagé, a violé l’article 1147 du code civil ; Mais attendu qu’ayant retenu que M. X... avait racheté la quasi-totalité de son contrat d’assurance-vie en 2009, avec une plus-value, et remboursé la totalité de son prêt, ce dont il résultait qu’il n’avait subi aucune perte et n’était dès lors pas fondé à reprocher à la banque de ne pas l’avoir mis en garde contre les risques inhérents à l’évolution du cours des titres souscrits, la cour d’appel a pu, par ces seuls motifs, rejeter l’action en responsabilité fondée sur un tel manquement ; que le moyen ne peut être accueilli ; PAR CES MOTIFS : REJETTE le pourvoi ;