RTD civ. 2005. 819, obs. B. Vareille

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RTD civ. 2005. 819, obs. B. Vareille
RTD Civ. 2005 p. 819
Régimes de communauté : qualification des indemnités allouées en raison d'une invalidité ou
d'une incapacité permanente partielle
(Civ. 1re, 14 déc. 2004, Bull. civ. I, n° 309, p. 259, AJ famille, févr. 2005.68, obs. P. Hilt , D.
2005.545, note R. Cabrillac , JCP 2005.619, n° 8, obs. Ph. Simler, Dr. fam. 2005, n° 36, note
B. Beignier ; Civ. 1re, 5 avr. 2005, à paraître au Bulletin, AJ Famille 2005.279, obs. P. Hilt ,
Defrénois, 2005.1517, obs. G. Champenois, JCP 2005.1565, n° 7 obs. Ph. Simler)
Bernard Vareille, Professeur à l'Université de Limoges ; Doyen honoraire, Président de
l'Université honoraire ; Membre du Centre de recherches sur l'entreprise, les organisations et
le patrimoine (CREOP Limoges)
Deux arrêts récents de la première chambre civile, qu'il est loisible de réunir ici, précisent de
façon bien utile, sinon très surprenante, le sort des indemnités allouées au titre de la
réparation du préjudice corporel ou moral comme du préjudice professionnel : il s'agit des
arrêts du 14 décembre 2004 et du 5 avril 2005 (préc.).
Dans la première affaire, le mari commun en biens avait souscrit en cours de mariage une
assurance invalidité pour garantir le paiement des échéances d'un prêt immobilier. A la
survenance de l'accident, les échéances de l'emprunt sont réglées directement par l'assureur
à l'établissement de crédit. A l'occasion de leur divorce, les époux tombent en désaccord sur
la qualification de ces indemnités. La cour d'appel tient ces indemnités pour propres, car
versées à raison de l'atteinte corporelle subie par le mari. Elle croit donc pouvoir leur prêter
un caractère exclusivement personnel. La première chambre civile casse en relevant que le
bénéficiaire du contrat d'assurance est non pas l'assuré mais le prêteur, et que « l'indemnité
versée sous forme de prise en charge des échéances de remboursement des emprunts a pour
cause non la réparation d'un dommage corporel, mais la perte de revenus consécutive à
l'invalidité du souscripteur ».
Dans la seconde espèce, le mari commun en biens a été victime d'un accident du travail. C'est
le tribunal qui lui attribue une somme globale récapitulant en réalité trois indemnités bien
distinctes : une à raison de son incapacité permanente partielle, une autre pour compenser le
préjudice professionnel, enfin une dernière destinée à réparer son préjudice personnel. Le
chèque, d'un montant de plus de 2 250 000 F, est déposé par l'épouse de la victime sur le
compte joint. Après quoi, l'épouse opère un retrait de quelque 2 000 000 F, aussitôt encaissés
par ses soins sur son compte personnel. Rétabli, le mari ne l'entend pas de cette oreille,
n'ayant point l'humeur à être deux fois victime... Il fait pratiquer une saisie conservatoire sur
le compte de son épouse, et obtient qu'une ordonnance décide du transfert immédiat de la
somme sur un séquestre. La cour d'appel fait alors lever le séquestre au profit du seul mari,
au motif que l'indemnité allouée forme un bien propre, dès lors qu'elle répare « globalement
et indissociablement » l'atteinte portée à l'intégrité physique de l'intéressé et les
conséquences financières et économiques de celle-ci. La Cour de cassation casse l'arrêt
d'appel pour violation des articles 1401 et 1404 du code civil : « à l'inverse de l'indemnité
allouée à M. X. en réparation de son incapacité permanente partielle, celle allouée en
réparation de son préjudice professionnel, caractérisé par une incapacité à reprendre toute
activité économique, était destinée à compenser une perte de revenus et entrait dans la
communauté comme les salaires dont elle constituait un substitut ».
Ces deux décisions concordantes méritent l'approbation. Elles résument clairement le régime
des indemnités réparatrices d'une incapacité temporaire ou permanente au regard de la
nomenclature des biens propres par nature soustraits à la présomption de communauté. Une
distinction s'impose.
* S'agit-il tout d'abord de l'indemnité compensatrice d'un préjudice personnel, corporel ou
moral ? Elle ressortit à la catégorie des propres par nature au sens de l'article 1404 1er alinéa,
à raison de son attache étroite et exclusive à la personne. Qui a souffert dans sa chair est seul
créancier de l'indemnité correspondante. C'est pourquoi dans l'arrêt du 5 avril 2005 la Cour de
cassation admet qu'il convient de ménager un sort distinct à la fraction de l'indemnité allouée
au mari à raison de son incapacité permanente partielle. Elle rejoint là sa jurisprudence
constante : dans une précédente affaire, une indemnité d'assurance mixte invalidité-décès
destinée à compenser un dommage corporel avait été versée pour moitié à chacun des deux
époux communs en biens ; la première chambre civile avait déjà reconnu le caractère propre
par nature des sommes litigieuses (Civ. 1re, 6 juin 1990, Bull. civ. I, n° 133, JCP N
1991.II.61, 1re esp. note Ph. Simler, Defrénois, 1991. 36, note X. Savatier ; V. déjà dans le
même sens : Civ. 1re, 12 mai 1981, Bull. civ. I, n° 156).
* S'agit-il au contraire d'une indemnité compensatrice de la perte de revenus consécutive à
l'incapacité du bénéficiaire ? Il importe peu qu'elle soit servie aux mains d'un tiers par un
assureur, comme dans la première espèce, où c'est l'organisme prêteur qui a été directement
destinataire des remboursements, ou bien plutôt versée directement par l'auteur du dommage
sur le compte de la victime contrainte à un repos forcé, comme dans la seconde affaire : dans
tous les cas, la qualification et la même. C'est là par essence un substitut de salaires, qui
abonde à la communauté, et, par conséquent, à la masse partageable (V. déjà Civ. 1re, 23
oct. 1990, Bull. civ. I, n° 218, JCP N 1991.61, 3e esp. note Ph. Simler).
Est-ce à dire pour autant que la femme du bénéficiaire a le pouvoir de procéder à un retrait
afin d'opérer subrepticement un transfert de ces sommes sur son compte personnel ? M.
Champenois propose à cette question délicate une réponse séduisante (note préc. sous l'arrêt
du 8 févr. 2005) : substituts de salaires, les indemnités litigieuses ne méritent-elles pas d'en
épouser le régime dans tous ses aspects ? L'article 223 du code civil organise une gestion
exclusive des gains et salaires à caractère professionnel, même dans les régimes
communautaires ; c'est d'ailleurs la raison pour laquelle ces sommes ne répondent jamais des
dettes ordinaires du conjoint de celui qui les perçoit (art. 1414 c. civ.). Aussi est-il permis de
soutenir que l'indemnité compensatrice de la perte de revenus, tout en figurant en propriété
dans la masse commune, est réservée au pouvoir exclusif de celui qui en a été le
bénéficiaire... Balancement classique, qui rythme le droit des régimes matrimoniaux comme
les maracas la musique latino-américaine !
Mots clés :
COMMUNAUTE ENTRE EPOUX * Bien propre * Indemnité * Indemnité d'assurance * Assurance
crédit * Remboursement * Accident du travail * Préjudice professionnel * Réparation
RTD Civ. © Editions Dalloz 2009