Recevabilité de l`action des familles de soldats

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Recevabilité de l`action des familles de soldats
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Recevabilité de l’action des familles de soldats français
tués en Afghanistan
le 22 mai 2012
PÉNAL | Droit pénal international | Instruction
La chambre criminelle juge recevable la plainte avec constitution de partie civile déposée auprès du
juge d’instruction près le tribunal aux armées de Paris par des parents de soldats français tués lors
d’une opération militaire menée en 2008 en Afghanistan.
Crim. 10 mai 2012, F-P+B, n° 12-81.197
En 2008, plusieurs soldats français appartenant à la Force d’intervention, d’assistance et de
sécurité, mandatée par le Conseil de sécurité des Nations Unies, trouvèrent la mort au cours d’une
offensive ennemie alors qu’ils effectuaient une mission de reconnaissance. Leurs parents
déposèrent une plainte avec constitution de partie civile auprès du juge d’instruction près le
tribunal aux armées de Paris contre personne non dénommée, des chefs de mise en danger
d’autrui et non-empêchement d’un crime. Le magistrat instructeur décida, sur réquisitions
contraires du ministère public, qu’il y avait lieu à informer du chef d’homicides involontaires.
Statuant sur l’appel formé par le procureur de la République près le tribunal aux armées, la
chambre de l’instruction confirma, par un arrêt du 30 janvier 2012, l’ordonnance déférée. Le
procureur général près la cour d’appel de Paris forma un pourvoi en cassation contre cet arrêt.
Dans sa décision, la chambre criminelle se prononce en deux temps. Elle rejette d’abord les deux
premiers moyens de cassation contestant la mise en mouvement de l’action publique par les
ayants droit des victimes, fondés notamment sur la méconnaissance de l’article 113-8 du code
pénal (relatif aux conditions d’exercice des poursuites, en France, pour des délits perpétrés à
l’étranger par un Français ou sur un Français, et qui exige une requête du ministère public,
précédée d’une plainte de la victime ou de ses ayants droit ou d’une dénonciation officielle de
l’autorité du pays où les faits ont été commis ; sur le verrou procédural de l’art. 113-8, V. Rép. pén.,
v° Compétence internationale, par Brach-Thiel, nos 183 s.) et la mauvaise application de l’article 6
de la Convention européenne des droits de l’homme (Conv. EDH. – droit à un procès équitable).
Sur ce point, la haute Cour relève que la chambre de l’instruction a justifié sa décision en invoquant
deux arguments : 1- le fait que l’application de l’article 113-8 du code pénal reviendrait à vider de
sa substance le second alinéa de l’article 698-2 du code de procédure pénale prévoyant que
l’action publique peut être mise en mouvement par la partie lésée ; 2- le fait que le refus du
ministère public d’engager les poursuites priverait les plaignants du droit de faire décider d’une
contestation sur leurs droits à caractère civil (au sens de l’art. 6, § 1er, Conv. EDH). Elle estime que
l’arrêt attaqué n’encourt pas les griefs invoqués, « dès lors que, d’une part, en vertu des
dispositions des articles L. 121-1 et L. 121-7 du code de justice militaire, le tribunal aux armées de
Paris, devenu juridiction spécialisée de Paris depuis l’entrée en vigueur de la loi n° 2011-1862 du 13
décembre 2011, a compétence, sans aucune restriction, pour connaître des infractions commises
hors de la République par des militaires des forces armées françaises ou à leur encontre (sur cette
nouvelle compétence du tribunal aux armées de Paris, V. Rép. pén., v° Justice militaire, par Rayne) ;
que, d’autre part, aucune fin de non-recevoir ne peut être opposée à la mise en mouvement de
l’action publique par la partie lésée autre que celles prévues par les articles 85 et suivants du code
de procédure pénale (pour les conditions de la plainte avec constitution de partie civile, V. Rép.
pén. Dalloz, vo Partie civile, par Bonfils, nos 91 s.), seuls textes auxquels renvoient les dispositions
de l’article 698-2 du code précité, et qu’il a été satisfait aux exigences prévues par l’article 698-1
dudit code ».
Les articles 697 et suivants du code de procédure pénale organisent la poursuite, l’instruction et le
jugement des crimes et délits en matière militaire en temps de paix. L’article 689-2, en particulier,
prévoit, dans un alinéa 1er, que « l’action civile en réparation du dommage causé par l’une des
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infractions mentionnées au premier alinéa de l’article 697-1 appartient à ceux qui ont
personnellement souffert du dommage directement causé par l’infraction » ; dans un alinéa 2, entré
en vigueur le 1er janvier 2002, le texte précise que « l’action publique peut être mise en
mouvement par la partie lésée dans les conditions fixées par les articles 85 et suivants ». À cet
égard, il avait déjà été jugé que la plainte avec constitution de partie civile d’un gendarme contre
des militaires pour dénonciations calomnieuses devait, en vertu des dispositions de l’article 6, § 1er,
de la Convention européenne des droits de l’homme, être déclarée recevable lorsque le parquet
refuse d’engager des poursuites, en raison de son caractère déterminant pour pouvoir agir en
réparation des dommages causés par cette infraction (Crim. 19 juin 2001, Bull. crim. no 147, Dr.
pénal 2001. Chron. 48, obs. Marsat). L’article 698-1, pour sa part, prévoit que « l’action publique est
mise en mouvement par le procureur de la République territorialement compétent, qui apprécie la
suite à donner aux faits portés à sa connaissance, notamment par la dénonciation du ministre
chargé de la défense ou de l’autorité militaire habilitée par lui » ; à défaut, le procureur doit
demander préalablement à tout acte de poursuite, sauf en cas de crime ou de délit flagrant, l’avis
du ministre ou de l’autorité militaire habilitée. Cet avis est demandé par tout moyen et il est donné,
sauf urgence, dans le délai d’un mois. La dénonciation ou l’avis figure au dossier à peine de nullité.
La chambre criminelle déduit donc de la compétence générale du tribunal aux armées de Paris pour
les infractions commises à l’étranger (CJM, art. L. 121-1 à L. 121-7) et de la lettre de l’article 698-2
du code de procédure pénale, qui renvoie aux seuls articles 85 et suivants du même code, la
soustraction des faits en cause, ressortissant à une matière spécifique, au champ d’application de
l’article 113-8 du code pénal. On rappellera qu’en principe, les victimes ne disposent pas, dans le
cas précis des délits commis à l’étranger, de la faculté de porter plainte avec constitution de partie
civile (V. P. Bonfils, art. préc., n° 95 ; Crim. 7 avr. 1967, Bull. crim. n° 107 ; 11 juin 2003, Bull. crim.
n° 119 ; D. 2004. Somm. 308, obs. de Lamy ; Rev. pénit. 2004. 392, obs. P. Bonfils), le juge
d’instruction pouvant valablement rendre une ordonnance de refus d’informer (Crim. 13 juin 1974,
Bull. crim. n° 219).
La haute cour repousse également le deuxième moyen de cassation, pris de la violation de l’article
86 du code de procédure pénale. Ce texte, relatif à la constitution de partie civile déposée devant le
juge d’instruction, prévoit notamment que « le procureur de la République ne peut saisir le juge
d’instruction de réquisitions de non informer que si, pour des causes affectant l’action publique
elle-même, les faits ne peuvent légalement comporter une poursuite ou si, à supposer ces faits
démontrés, ils ne peuvent admettre aucune qualification pénale ». Sur ce point, la chambre
criminelle note que les réquisitions du parquet se fondaient sur l’impossibilité de qualifier
pénalement les circonstances de la mort de soldats tués au combat au cours d’une offensive
ennemie, et l’absence de relation de causalité entre l’organisation de la mission et ces décès. Elle
relève que la chambre de l’instruction, pour sa part, a considéré l’hypothèse d’un acte involontaire
(maladresse, imprudence, inattention, négligence ou un manquement à une obligation de sécurité
ou de prudence imposée par la loi ou le règlement) ayant causé directement ou indirectement la
mort, en estimant qu’il n’existait, aux termes de l’article L. 4111-1 du code de la défense, aucune
exonération de principe pour les actes involontaires réalisés par des militaires pendant des
opérations en temps de paix. Les faits pouvant recevoir une qualification pénale, elle confirme que
le juge d’instruction avait l’obligation d’instruire, contrairement aux réquisitions du parquet.
par S. Lavric
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