Le délit d`abandon de famille en cas de paiement

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Le délit d`abandon de famille en cas de paiement
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Le délit d’abandon de famille en cas de paiement de la
prestation compensatoire par versements périodiques
le 27 septembre 2016
PÉNAL | Atteinte aux biens
En cas de paiement de la prestation compensatoire sous forme de versements périodiques pendant
une période déterminée, le délit d’abandon de famille ne peut pas être constitué pour les défauts
de paiement postérieurs à cette période.
Crim. 7 sept. 2016, F-P+B, n° 14-82.076
Le 25 juin 2001, un individu est condamné à verser à son ex-épouse une prestation compensatoire
payable par mensualités pendant huit ans. L’article 275 du code civil prévoit en effet que, « lorsque
le débiteur n’est pas en mesure de verser le capital dans les conditions prévues par l’article 274, le
juge fixe les modalités de paiement du capital, dans la limite de huit années, sous forme de
versements périodiques […] ». Cette décision lui est signifiée à personne le 4 octobre 2001 et, en
l’absence de pourvoi en cassation, est devenue définitive. Son ex-épouse engage des poursuites
pénales contre lui du chef d’abandon de famille en lui reprochant de ne pas avoir versé le reliquat
de la prestation compensatoire entre le mois de juin 2011 et le 30 septembre 2011. La cour d’appel
le condamne à six mois d’emprisonnement avec sursis et mise à l’épreuve et prononce sur les
intérêts civils. Les juges du fond motivent leur choix en insistant sur la mauvaise foi du prévenu. Ils
relèvent en effet que ce dernier n’a versé aucune somme d’argent à son ex-épouse alors qu’il
exerce le métier de médecin généraliste et qu’il perçoit une somme déclarée de 2 700 € par mois.
En outre, les faits sont commis en état de réitération puisqu’il avait déjà été condamné en 2009 à
trois mois d’emprisonnement avec sursis et mise à l’épreuve pendant dix-huit mois pour des faits
d’abandon de famille commis de décembre 2002 à janvier 2008. Les juges du fond en concluent
que le prévenu se complaît dans une situation de blocage qu’ils illustrent en citant les déclarations
du prévenu faites devant le tribunal correctionnel en 2010. Celui-ci avait en effet affirmé « je vais
essayer de payer » mais n’avait effectué aucun effort de règlement. Pour ces raisons, les juges du
fond entrent en voie de condamnation en visant l’article 227-3 du code pénal qui précise que le
non-paiement au profit de son conjoint « des subsides ou des prestations de toute nature dues en
raison de l’une des obligations familiales du titre IX du code civil, en demeurant plus de deux mois
sans s’acquitter intégralement de cette obligation, est puni de deux ans d’emprisonnement et de
15 000 € d’amende ».
Le prévenu forme un pourvoi en cassation. D’abord, il rappelle le sens de la non-rétroactivité de la
loi pénale plus sévère et de l’application immédiate de la loi pénale plus douce. Il est vrai qu’à la
suite de la loi du 12 mai 2009, l’article 227-3 du code pénal ne concernait que les obligations
découlant de l’exercice de l’autorité parentale. Cette loi avait ainsi partiellement dépénalisé
l’abandon de famille et, en application des dispositions de l’article 112-1, alinéa 3, elle s’appliquait
aux infractions commises avant son entrée en vigueur lorsque celles-ci n’étaient pas encore
définitivement jugées (Crim. 16 févr. 2011, n° 10-83.606, Bull. crim. n° 31 ; D. 2011. 880, obs. M.
Bombled ; ibid. 2823, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, S. Mirabail et T. Potaszkin ; AJ fam.
2011. 213, obs. V. Avena-Robardet ; AJ pénal 2011. 192, obs. S. Pradelle ; RSC 2011. 399, obs. Y.
Mayaud ; RTD civ. 2011. 523, obs. J. Hauser ). Par la suite, le législateur a corrigé, dans la loi du
17 mai 2011, ce qui était vraisemblablement une maladresse législative et a réintégré dans le
champ de l’infraction les prestations compensatoires dues entre ex-époux. La jurisprudence en a
tiré toutes les conséquences en estimant que le caractère plus sévère du nouveau texte faisait
obstacle à son application rétroactive (Crim. 23 mai 2012, n° 11-83.901, Bull. crim. n° 134 ; Dalloz
actualité, 3 juill. 2012, obs. L. Priou-Alibert ; D. 2012. 2368 , note M. Benillouche ; AJ pénal 2012.
543, obs. J. Lasserre Capdeville ). En outre, le requérant souligne avoir versé à son ex-épouse,
entre septembre 2001 et janvier 2014, la somme de 32 039,82 € et produit des justificatifs. Ce
faisant, il conteste la mauvaise foi retenue par la cour d’appel et souligne des contradictions dans
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la motivation des juges du fond.
Dans son arrêt de cassation sans renvoi, la Cour de cassation considère que la constitution du délit
est, in casu, impossible. Toutefois, elle ne se réfère à aucun des arguments du requérant. Ainsi, au
double visa des articles 227-3 du code pénal et 275 du code civil, elle énonce que, « dans le cas où
la juridiction des affaires familiales ordonne le paiement de la prestation compensatoire sous forme
de versements périodiques pendant une période déterminée, le délit d’abandon de famille ne peut
être constitué pour les défauts de paiement postérieurs à cette période ». En l’espèce, en raison de
l’expiration de la période fixée pour le versement par mensualités de la prestation compensatoire,
la cour d’appel ne pouvait retenir la culpabilité du prévenu à la date des faits retenus dans la
prévention.
La Cour de cassation avait déjà précisé qu’en cas de renouvellement du refus de paiement et
malgré une première condamnation pénale pour abandon de famille, le délit peut se renouveler et
justifier de nouvelles poursuites (Crim. 9 févr. 1965, Bull. crim. n° 475, D. 1965. 475). Le caractère
instantané de l’infraction permet en effet son renouvellement à chaque refus de paiement intégral
pendant plus de deux mois (Crim. 2 déc. 1998, n° 97-83.671, Bull. crim. n° 326 ; D. 2000. 36 , obs.
Y. Mayaud ). C’est d’ailleurs cette jurisprudence qui permet à la cour d’appel de considérer que les
faits sont commis en état de réitération. La possibilité de renouvellement de l’infraction est logique
puisque l’élément matériel de l’infraction, à savoir le refus de paiement pendant plus de deux mois,
est précisément prévu par le texte qui réprime le fait de demeurer « plus de deux mois sans
s’acquitter intégralement de cette obligation ». Toutefois, pour la Cour de cassation, le
renouvellement de l’infraction est enserré, en cas de paiement de la prestation compensatoire par
versements périodiques, dans une condition de délai. Pour pouvoir se renouveler, l’infraction doit
être commise avant l’expiration de la période fixée pour le versement par mensualités. Si la
solution s’explique du point de vue de la logique juridique, elle affaiblit, en pratique, la protection
pénale du créancier. Nous savions déjà que celui-ci ne bénéficie pas de la protection pénale de
l’abandon de famille en cas non-paiement pendant deux mois non consécutifs, ce qui revient à ne
pas pouvoir entrer en voie de condamnation pour les débiteurs qui paient un mois sur deux (J.
Pradel et M. Danti-Juan, Droit pénal spécial, 5e éd., Cujas, 2010, n° 571 ; E. Dreyer, Droit pénal
spécial, 2e éd., Ellipses, coll. « Cours magistral », 2012, n° 676 ; V. Malabat, Droit pénal spécial, 5e
éd., Dalloz, coll. « HyperCours », 2011, n° 703). Il faut maintenant ajouter que le créancier n’est pas
davantage protégé par l’abandon de famille en cas d’expiration de la période fixée pour le
versement par mensualités de la prestation compensatoire.
par Dorothée Goetz
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