Le faux, l`usage de faux et le faux en écriture publique
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Le faux, l`usage de faux et le faux en écriture publique
Document rédigé en Mars 2015 par Charlène WANPOUILLE, auditrice de Justice à l'Ecole Nationale de la Magistrature, avec la précieuse aide de Tasneem Khedarun, Hansley Ludhor, Tanzeen Auleear, Meenacshi Ramgothee et Natasha Bissessur., chercheurs à l' Institute for Judicial and Legal Studies of Mauritius. Le faux, l'usage de faux et le faux en écriture publique : Comparaison de l’état du droit et de la jurisprudence en France et à Maurice « C'est un problème important et délicat à l'heure actuelle que celui de savoir sous quelles conditions, à partir de quel stade, l'altération de la vérité expose son auteur à la répression. Il s'agit de départager, vis-à-vis d'elle, la morale et le droit pénal"(H. Donnedieu de Vabres, La notion de documents dans le faux en écriture, revue de sciences criminelles 1940). Sous sa forme primitive, le faux consiste dans un mensonge, c'est-à-dire dans l'affirmation d'un fait que l'on sait être contraire à la vérité, accompagné ou non de manœuvres destinées à corroborer cette affirmation. Le droit français et le droit mauricien n'incriminent pas tous les faux au sens moral du terme : le mensonge n'est pas en lui-même punissable. Il le devient à partir du moment où il est de nature à causer un préjudice et qu'il permet d'établir la preuve d'un droit ou d'un fait ayant des conséquences juridiques. Les dispositions françaises relatives au faux sont intégrées dans le titre nommé "atteintes à la confiance publique". De la même manière, en droit mauricien, ces dispositions sont présentes dans le chapitre intitulé « crimes and misdemeanours against the public peace ». On comprend ainsi dans les deux cas, la protection que le législateur a entendu conférer au système juridique de la preuve en réprimant les atteintes à la confiance dans le système juridique de la preuve. Les infractions relatives aux faux sont diverses et nombreuses ; on y retrouve notamment la fausse attestation et faux certificat, la déclaration mensongère aux fins d'obtention d'une allocation, d'un paiement ou d'un avantage indu, l'obtention indue d'un document administratif, la fourniture frauduleuse d'un document administratif ou encore le faux commis dans un document administratif. Mais, l'analyse sera ici circonscrite aux infractions les plus fréquemment jugées par les tribunaux à savoir le faux commis sur les actes privés, on parle alors de faux ordinaire et le faux commis sur les actes publics, il s'agit du faux en écriture publique ou acte authentique. Il s'agit de faire un état des lieux du droit positif français en matière de faux et de le comparer aux pratiques existantes en droit mauricien. En d'autres termes, les législations et jurisprudences françaises et mauriciennes sont-elles comparables ? Ont-elles évolué dans le même sens ou peut-on observer des divergences entre ces deux pays ? Il apparaît que les législations et les jurisprudences de ces deux pays sont très proches, les différences étant peu nombreuses et peu significatives pour la plupart. Dès lors, dans un premier temps, nous étudierons comment sont définis et jugés les éléments constitutifs des infractions de faux (I), puis comment sont déterminées et appréciées les modalités de la répression de ces infractions (II) afin d'analyser dans les deux cas l’état du droit français et du droit mauricien et ainsi mettre en évidence les éventuelles divergences de point de vue entre les deux droits. 1 I. Éléments constitutifs des infractions de faux A. - Le faux ordinaire 1) Élément matériel de l'infraction générale de faux En droit français, le faux est prévu par l'article 441-1 du code pénal qui prévoit que « Constitue un faux toute altération frauduleuse de la vérité, de nature à causer un préjudice et accomplie par quelque moyen que ce soit, dans un écrit ou tout autre support d'expression de la pensée qui a pour objet ou qui peut avoir pour effet d'établir la preuve d'un droit ou d'un fait ayant des conséquences juridiques. » En droit mauricien, l'article 108 du code pénal précise que se rend coupable de faux ordinaire toutes autres personnes que les fonctionnaires ou officiers publics « qui auront commis un faux en écriture authentique et publique, ou en écriture de commerce ou de banque soit a) par contrefaçon ou altération d’écritures, dates ou signatures, ou l'emploi d'un nom supposée ; soit b) par fabrication de conventions, dispositions ou décharges ou par leur insertion après coup dans ces actes, soit c) par addition aux clauses, déclarations ou faits que ces actes avaient pour objet de recevoir et de constater, ou par altération des dites clauses, faits ou déclarations sera punie. » On voit ainsi des différences importantes apparaître entre ces deux droits. D'une part, le code mauricien procède par énumération des différents procédés pouvant constituer un faux, comme c’était le cas dans l'ancien code pénal français. Cette énumération exhaustive, en raison du principe de légalité des délits et des peines, peut limiter les comportements susceptibles de constituer un faux. D'autre part, le code mauricien ne fait référence qu'au seul support écrit, tout comme les textes de l'ancien code pénal français qui ne visaient eux aussi que la falsification d'actes, d'écritures, lettres de change, chèques, documents. Seul le faux en écriture, dit également faux documentaire ou scriptural, est ainsi appréhendé par le code pénal mauricien. C'est ici une grande différence avec le code pénal français puisque désormais l'article 441-1 du code pénal actuel procède à une véritable extension de la définition du support du faux, et par conséquent du domaine d'application de l'incrimination, en visant non seulement le faux commis dans un écrit mais aussi le faux commis sur tout autre support de la pensée. Dans les deux législations, l'élément matériel de l'infraction générale de faux se manifeste par l'altération de la vérité dans un support valant titre. La nature du support et sa valeur probatoire sont donc les deux caractéristiques qui permettent de définir ce que peut être le support du faux. *** Quel peut être ce support ? Tout d'abord, comme nous l'avons vu, tant le droit français que le droit mauricien, font référence à l'écrit au titre du support d'un faux. – Le faux commis dans un écrit : Positivement, l'exigence d'un écrit renvoie classiquement à la nécessité d'une écriture faite de signes visibles à laquelle est elle-même associée la nécessité d'un support matériel doté d'une permanence. S'agissant de l’écriture faite de signes visibles : Négativement, l'exigence d'un écrit exclut de retenir la qualification de faux en présence de la seule fourniture de renseignements oraux erronés, 2 l'écriture étant alors définie par opposition à l'oralité 1. L'écriture désigne ainsi le rassemblement visible de lettres, signes, symboles qui permettent d'exprimer une pensée par un langage. Il faut cependant que les signes ou lettres soient perceptibles par la vue. Pareille exigence se concilie avec toute forme d'écriture. L'altération peut ainsi indifféremment affecter un écrit manuscrit réalisé par le tracé manuel de signes 2, sténographié, dactylographié3, gravé ou même phonétique4 et ce quelle que soit la langue exprimée5. Un dessin décrivant des faits qui se sont déroulés exprime une pensée mais il n'est pas une écriture, il ne pourrait pas entrer dans le champ d'application de l'article 441-1 du code pénal. ZOOM sur les caractéristiques de l’écriture : En droit français : La définition de l'écriture pose du fait de sa largesse, certaines difficultés d'application. Il est en effet notamment délicat de déterminer si l'élément caractéristique de l'écriture est qu'elle soit tracée et donc visible ou qu'elle relève du langage, qu'elle est une signification. La jurisprudence française semble parfois exiger que le signe relève du langage puisqu'elle a notamment refusé de voir un faux en écriture dans le fait d'altérer les marques de la taille et de la contre-taille6 : la décision ayant précisé que l'on ne pouvait assimiler les coupures faites sur des morceaux de bois, à une écriture quelconque. Mais, elle s’avère être une jurisprudence isolée car pour le reste, les juges ont accepté de prendre en considération au titre du faux de simples signes conventionnels ne relevant pas du langage tels que des signes crées par un commerçant 7 et des signes d'oblitération d'un titre de transport 8, à savoir la plastification d'un ticket de transport destinée à empêcher d'apparaître, de faire disparaître sur les billets litigieux des signes ou caractères normalement indélébiles destinés à faire preuve entre les parties au contrat de transport. S'agissant du matériau dotée d'une permanence : Le matériau employé doit permettre de conférer au support considéré la qualité d'un support matériel durable. On peut songer en premier lieu au support papier mais, également, celui fait de marbre, de bois, de métal, de tissus ou encore de matières plastiques à la condition que le support permette la conservation de l'écriture. En effet, dans l'hypothèse d'un support éphémère, il ne serait pas possible d'envisager une quelconque falsification. Ainsi, en raison de son instabilité, le sable ne saurait être considéré comme un support durable. Cependant, la nouvelle référence à "tout autre support" invite désormais à s'affranchir des exigences imposées par la théorie classique du faux. – tout autre support de la pensée En droit français : L'article 441-1 du code pénal a étendu l'incrimination de faux à « tout autre support d'expression de la pensée » que l'écrit. Pour l'avenir, la référence à "tout support" dote l'incrimination du faux d'une capacité d'intégration des innovations issues des nouvelles technologies de la communication. Désormais, la falsification de documents informatisés tombe sous l'article 441-1 du Code pénal. 1Cass. crim., 21 févr. 1985 2Cass. crim., 1er oct. 1990 3Cass. crim., 12 nov. 1998 4Cass. crim. 23 juill. 1992 5Cass. crim., 23 nov. 1815 6CA Paris, 3 mars 1854 7Cass. crim., 28 mai 1846 8Cass. crim., 19 déc. 1974 3 C'est notamment le cas des cartes à bande magnétique 9, des disquettes10, des clefs USB, des CDRom, des DVD, films, microfilms, diapositives ou encore des disques durs d'un ordinateur. Une cour d'appel avait retenu la qualification de faux en présence de la falsification d'une carte magnétique ; en l’espèce, il s'agissait d'une duplication, sur une carte vierge, des données informatiques contenues sur la bande magnétique d'une autre carte. La chambre criminelle de la Cour de cassation a estimé que la Cour d'appel avait justifié sa décision. La Haute juridiction a approuvé les juges du fond d'avoir estimé qu'il s'agissait bien "d'une écriture qui figure sur la piste magnétique de la carte, même si cette écriture, de forme moderne, nécessite un appareil adéquat pour pouvoir être lue"11. En droit mauricien, les textes ne font pas référence à un support autre que celui de l’écrit. En l’état actuel du droit, il est donc impossible pour les juges d’appréhender les faux commis sur des supports dématérialisés. On peut se demander si les juges ne seront pas amenés à interpréter largement les dispositions actuelles afin de sanctionner les faux commis grâce aux nouvelles technologies ou si ils respecteront la lettre du code pénal, et le principe de légalité des délits et des peines, et refuseront d’étendre la qualification de faux aux faux commis sur « tout autre support d'expression de la pensée ». ***Quelle valeur doit avoir ce support ? En droit français : L'article 441-1 du code pénal exige en effet que l'écrit ou les autres supports de la pensée aient pour objet ou puissent avoir pour effet « d'établir la preuve d'un droit ou d'un fait ayant des conséquences juridiques ». Il doit donc obligatoirement constituer un titre12. Le juge pénal retient en premier lieu les documents qui ont pour objet de faire la preuve d'un droit ou d'un fait. Correspondent tout d'abord à cette définition les écrits valant titre qui font la preuve d'un droit ou d'une qualité. Mais répondent ensuite également à la définition précitée les documents qui sont établis pour faire la preuve d'un fait juridique. En second lieu, le juge retient aussi les actes ayant pour effet d’établir une preuve. Les textes de l'ancien code pénal qui incriminaient le faux réservaient la répression aux altérations de clauses, de déclarations ou de faits que ces actes avaient pour objet de recevoir ou de constater. La législation limitait l'objet du faux aux documents destinés à servir de preuve au moment où ils ont été établis. La jurisprudence13 puis le nouveau code pénal ont admis la possibilité et la nécessité d'étendre la qualification de faux à l'altération de la vérité contenue dans un document de hasard c'est-à-dire aux documents non destinés à la base à servir de preuve mais qui peuvent avoir cet effet par la suite. Dans les deux cas, il faut donc un écrit ayant valeur de preuve . De ce fait, au support destiné à la preuve ou apte à la preuve est traditionnellement opposé le document doté d'une simple "valeur représentative", autrement dit un écrit qui ne prouve rien. En droit mauricien : Les textes du code pénal mauricien sont proches de ceux de l'ancien code pénal français et ne précisent pas si le document doit avoir pour objet ou pour effet d’établir une preuve. Ils font référence aux altérations de « clauses, de déclarations ou de faits que ces actes avaient pour objet de recevoir ou de constater ». Les juges ne semblent pas faire de différence entre les actes ayant pour objet ou pour effet d’établir une preuve. Ils s'attachent en priorité à vérifier que l’écrit faussé a bien une valeur juridique. Les juges de la Cour Suprême exigent clairement que le document faussé soit un titre juridique valant ou faisant preuve. C'est ainsi que la Cour a jugé que le fait qu'un document ne soit pas signé l’empêchait d’acquérir une valeur juridique et ne pouvait donc pas être un faux. 14De même, elle 9CA Paris, 6 mai 1997 10CA Paris, 24 mai 1996 11Cass. crim., 21 févr. 1995 12Cass. crim., 11 nov. 1956 13Cass. crim., 12 nov. 1813 14Cour suprême, Procureur Général v Bench of Magistratates of Rivière du Rempart 1939, Appadoo v R 1972 4 refuse de retenir la qualification de faux pour un document ne comportant que l'empreinte digitale de la personne estimant que cela est insuffisant pour constituer un titre juridique valant preuve15. ZOOM sur les déclarations unilatérales qui sont sujettes à vérification : En droit français : D'un point de vue général, ne répondent pas à l'exigence d'un écrit ayant une valeur probatoire, les déclarations unilatérales qui sont sujettes à vérification. Ainsi, les déclarations établies par un prévenu en sa propre faveur ne représentent que ses seules affirmations sujettes à vérification et ne sauraient être qualifiées de faux, tout comme des conclusions déposées en justice16, des devis17, des notes d'honoraires18. Ce principe a même été appliqué à propos d'une reconnaissance d'enfant naturel. La Chambre criminelle de la Cour de cassation a en effet posé dans un motif de principe que « la reconnaissance mensongère d'un enfant naturel dans un acte de l'état civil ne constitue pas en soi un faux punissable, cette reconnaissance pouvant toujours être contestée, en vertu de l'article 339 du code civil par son auteur lui-même »19. En droit mauricien : La Cour suprême semble elle aussi considérer que les déclarations unilatérales sujettes à vérification ne peuvent être constitutives de faux. C'est ainsi qu'elle a refusé de reconnaître un faux dans le document personnel rempli en cas de demande de passeport estimant que ce document n'avait pas valeur de titre 20. On peut penser que cette absence de valeur juridique est due au fait qu'un tel document est nécessairement vérifié par l’administration et ne suffit pas à lui seul pour constituer une preuve. ZOOM sur les fausses factures : En droit français, il faut prendre soin de ne pas confondre l'acte établi unilatéralement par l'agent et soumis à discussion et à vérification auquel la qualification de faux ne peut être appliquée et l'acte susceptible de constituer la pièce justificative d'une comptabilité auquel la qualification de faux est parfaitement applicable21. Lorsque la facture ne constitue qu'une simple allégation, elle n'est dotée d'aucune force probante. Sa falsification ne peut revêtir la qualification de faux22. Toutefois, ces factures peuvent acquérir une valeur probatoire lorsqu'elles sont passées en comptabilité. La facture fait alors figure d'une pièce justificative d'un mouvement comptable et sa falsification peut être constitutive d'un faux.23 ZOOM sur les copies : En droit français : La possibilité de réaliser un faux dans la copie d'un document dépend tout d'abord de la valeur du document copié. Si la copie intéresse un document dépourvu d'une valeur probatoire, l'altération de la vérité affectant la copie ne peut revêtir la qualification de faux. Si la copie intéresse un document doté d'une valeur probatoire, alors son altération est un faux si la copie compte parmi les modes de preuve admissibles. A priori, les copies ne valent pas titre et le code civil ne leur reconnaît qu'une valeur probante limitée. C'est pourquoi le juge pénal en a déduit qu'elles ne pouvaient être l'objet d'un faux. Mais, avec l'extension du faux aux documents de hasard, le faux portant sur une copie a été admis dès lors que la copie peut établir la preuve d'un droit ou 15Cour suprême, Sham v State 1992 16Cass. crim., 22 nov. 1977 17Cass. crim., 15 sept. 1999 18Cass. crim., 13 févr. 2002 19Cass. crim., 8 mars 1988 20Cour suprême, Teeluck v R 1970 21Cass. crim., 3 juill. 1991 22Cass. crim., 12 déc. 1977 23Cass. crim., 17 nov. 2004 5 d'un fait ayant des conséquences juridiques.24 En d'autres termes, la seule exigence des juge de la Cour de Cassation reste d’être en présence d'un document valant titre, ce que peut être une copie dans certains cas. En droit mauricien : les juges de la Cour suprême semblent adopter le même positionnement que les juges français. En effet, la Cour a, à plusieurs reprises, également retenu l'infraction de faux en présence d’altération de copies, étant précisé qu'il s'agissait de copies d'actes originaux ayant valeur de titre. Dans un premier jugement25, la cour suprême retient le faux en présence d'une copie d'acte de naissance. Dans le second26, il était question de copies des feuillets de transactions commerciales. Les juges précisent clairement que de telles copies pouvaient être utilisées comme preuve et à ce titre, pouvaient causer un préjudice. La Cour fait ainsi elle aussi expressément référence à l'exigence d’être en présence d'une copie d'un document ayant valeur de titre pour retenir l'infraction de faux. ZOOM sur les actes nuls : La nullité du titre altéré est-elle de nature à faire obstacle à la qualification de faux ? Le juge pénal a eu à résoudre la question de savoir si un faux pouvait être commis sur un écrit nul. En droit français : Le juge pénal français a adopté une attitude pragmatique et s'est fondé sur l'existence d'une apparence d'acte valable. Ainsi, il distingue selon que l'acte contrefait est simplement nul ou véritablement informe. En premier lieu, lorsque l'acte contrefait est nul, la qualification de faux a été régulièrement appliquée sous l'empire de l'ancien code pénal.27 Il n'est cependant pas certain que ces solutions puissent être reconduites sous l'empire du nouveau code pénal qui exige expressément un écrit ou tout autre support d'expression de la pensée qui a pour objet ou qui peut avoir pour effet d'établir la preuve d'un droit ou d'un fait ayant des conséquences juridiques. Or, un acte nul, par définition, ne peut produire le moindre effet juridique et ne peut donc être un titre juridique. Mais il est également vrai qu'il est permis de considérer que, tant que la nullité n'est pas constatée, le document peut causer un préjudice, au moins éventuel, et cela suffit pour qu'il y ait délit. Dans ce cas, le faux pourra toujours être retenu. En second lieu, lorsque l'acte falsifié n'est pas seulement nul mais véritablement informe, c'est-àdire lorsqu'il lui manque l'une de ses conditions essentielles et que pour cette raison, il ne présente pas même l'apparence d'un acte régulier, le juge pénal a refusé de retenir la qualification de faux.28 En droit mauricien : Les juges de la Cour Suprême ont eu aussi accepté de retenir la qualification de faux en présence d'un acte nul.29 En l’espèce, il était question de chèque émis par une personne qui en réalité ne disposait pas de compte en banque. Les chèques émis étaient ainsi par nature nuls. Cela n'a pas empêché les juges de retenir l'infraction de faux rappelant que la nullité d'un acte ne pouvait permettre au coupable d’échapper à sa responsabilité. La Cour n’hésite pas à se référer au préjudice potentiel qu'un tel acte peut causer. ZOOM sur le faux matériel : Est-il punissable indépendamment de sa valeur probatoire ? En droit français : La jurisprudence a traditionnellement fait preuve d'une plus grande sévérité à l'égard du faux matériel, c'est-à-dire à l'égard de la falsification du support lui-même. Sous l'empire de l'ancien Code pénal, la chambre criminelle de la Cour de cassation a affirmé que lorsque le document est constitué par un faux matériel, il importe peu de rechercher s'il a pu, ou non, 24Cass. crim., 25 janv. 1961 25Cour suprême, Agathe v R ; Mooneesamy v R 1961 26Cour suprême, Ah Tong v R 1962 27Cass. crim., 15 févr. 1850 28Cass. crim., 30 avr. 1896 29Cour suprême, Jhurry v The Queen, 1959 6 constituer une source de droit, l'article 147 n'exigeant rien de plus que le faux.30 Les termes de l'article 441-1 du Code pénal consacrant avec clarté l'exigence d'un support valant titre indépendamment, on pouvait légitimement considérer qu'une solution jurisprudentielle inverse à la précédente devait, à l'avenir, être retenue. Il n'en est rien puisque la chambre criminelle de la Cour de cassation vient de réaffirmer, en présence d'une fausse attestation à destination de l'administration fiscale, que "s'agissant d'un faux matériel qui a occasionné un préjudice, peu importe qu'il ait eu ou non pour objet ou pour effet d'établir la preuve d'un droit ou d'un fait ayant des conséquences juridiques. »31 *** Quelle est la nature l'altération de la vérité ? À la différence de l'ancien Code pénal qui faisait état d'altération d'écritures, de supposition de personnes, de fabrication ou d'addition, le Code pénal français ne procède plus à l'énumération des moyens de l'altération. Cette altération peut se présenter sous la forme d'un faux matériel lorsque le procédé de l'altération de la vérité affecte le support lui-même, le contenant, ou d'un faux intellectuel quand le procédé de l'altération de la vérité affecte l' énoncé du support, le contenu. Le code pénal mauricien lui continue d’énumérer les moyens de l'altération ce qui n’empêche pourtant pas les juges de retenir le faux intellectuel. – le faux matériel Il y a faux matériel lorsque c'est le support qui est falsifié. Les solutions jurisprudentielles permettent de distinguer deux types de faux matériels : le faux matériel par altération d'un document authentique et le faux matériel par la réalisation pleine et entière d'un faux, c'est à dire par la création d'un titre nouveau. L'altération du document peut être faite par lavage à l'aide d'une substance chimique, par l'effet d'un raturage, par l'effet d'un grattage, par un acte de saisie informatique, par un collage,par un agrafage, par le rajout de lignes de texte, par l'effacement et le remplacement d'une mention... Le défaut d'authenticité existe également lorsque l'auteur du faux tente de donner l'apparence de l'authenticité à un document. Ce deuxième type du faux matériel peut être réalisé par plusieurs procédés : il peut ainsi naître de la fabrication du document lui-même, de l'imitation d'une signature, de l'apposition d'une fausse signature, etc. En droit mauricien : S'agissant de l'imitation de signature ou de l'apposition d'une fausse signature, la Cour Suprême a précisé sa position. Elle estime ainsi que le fait de signer un document en lieu et place d'une autre personne, en se faisant passer pour elle, est bien constitutif d'un faux 32. Dans cette décision, la personne dont la signature a été imitée n’était pas informée de l'imitation de sa signature. En revanche, La Cour estime que si la personne qui normalement doit signer le document, a donné son accord pour qu'une autre personne signe à sa place en se faisant passer pour elle, il est impossible de retenir la qualification de faux. 33Les juges font ainsi une différence selon que la personne avait ou non donné son accord pour l'imitation de sa signature, estimant alors qu'en cas d'assentiment préalable, le faux ne peut exister. En droit français : Les juges de la Cour de Cassation ont eux aussi estimé que l'imitation d'une signature apposée sur un contrat avec l'accord du signataire empêche de retenir l'infraction de faux. 30Cass. crim., 9 juin 1964 31Cass. crim., 3 déc. 2008 32 Cour suprême, Jaffar, In re 1888 33 Cour suprême, Cuthbert v R 1924 7 Les juges précisent que dans ce cas, l'imitateur de signature est de bonne foi dès lors qu'il a agi sans intention de nuire.34 La Cour de Cassation refuse de retenir le faux, dans ce cas, compte tenu de l'absence d’élément moral. ZOOM sur le faux matériel exprimant une vérité : Le faux matériel est-il également constitué lorsque le support souffrant d'un défaut d'authenticité exprime malgré tout une vérité ? Dans cette hypothèse, le contenu de l'acte est exact, mais l'acte présente un défaut d'authenticité puisqu'il est rédigé pour les besoins de la cause. En droit français : La jurisprudence est assez fluctuante. Ainsi, certaines décisions refusent de voir un faux dans ce procédé. Par exemple, il a été admis que le fait de fabriquer des lettres missives pour les substituer à d'autres ne pouvait servir de base à une accusation de faux si les lettres substituées émanaient du même auteur, qu'elles portaient sa signature, et que le contenu était identiques aux lettres originales.35 La jurisprudence a aussi décidé que la femme qui guide la main de son époux, « physiquement incapable d'écrire, pour rédiger un testament, ne se rend pas coupable de faux dès lors que la volonté du testateur, aux facultés mentales intactes, n'a à aucun moment fait défaut à l’œuvre commune et dans la mesure où la preuve de cette participation du testateur peut résulter de la comparaison des écritures respectives des époux »36. En revanche, lorsque la main guidée était passive et l'auteur dépourvu de lucidité, le document ainsi rédigé constituait bien un faux.37 De même, le faux en écriture a été retenu à propos de la fabrication d'une preuve écrite d'une convention qui n'avait été que verbale 38 ou d'une reconnaissance de dette39 ou d'une attestation40. La Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé contre l'arrêt par lequel les juges du fond ont estimé que "le fait de fabriquer une pièce destinée, fût-elle conforme à l'original, à se substituer à un contrat écrit dont [les prévenus] ne retrouvaient pas la trace, en vue de sa production en justice, à titre de preuve, constitue le délit de faux"41. On peut se demander si la rédaction de l'article 441-1 du code pénal permet le maintien de ces solutions étant donné que ce texte vise expressément l'altération frauduleuse de la vérité et peut être interprété comme exigeant un défaut de véridicité. Ceci étant, l'altération de la vérité peut aussi concerner l'acte lui-même, son existence. Ainsi le délit de faux sanctionne alors la supposition de l'écrit. – le faux intellectuel L'on est en présence d'un faux intellectuel "lorsque, l'écriture n'étant pas matériellement falsifiée, l'altération de la vérité porte sur le contenu, la substance, les circonstances de l'acte"(É. Garçon). Le faux intellectuel se caractérise donc par un défaut de véridicité : le mensonge atteint ici le contenu de l'écrit et non le support. Cela consiste à porter des déclarations mensongères sur l'écrit, déclarations mensongères portées par le déclarant lui-même ou par un tiers. En droit français : Le faux intellectuel peut être constitué par supposition de personnes en mentionnant mensongèrement dans un acte la présence d'une personne. Par exemple, il a été jugé comme constitutif d'un faux le fait de faire faussement état de la remise de l'acte à une personne 42 ou de faire faussement état de la présence d'actionnaires dans les feuilles de présence liées aux 34Cass. crim., 6 nov. 1989 35CA Paris, 13 déc. 1887 36Cass. crim., 18 mars 1830 37 Cass. crim. 30 nov. 1971 38Cass. crim., 29 juill. 1948, Cass. crim., 23 févr. 1965 39Cass. crim., 28 avr. 1970 40Cass. crim., 6 mars 1978 41Cass. crim., 3 juin 2004 42Cass. crim., 21 mai 1963 8 assemblées générales d'une société anonyme 43 ou encore de certifier faussement la présence d'héritiers lors de l'établissement d'une déclaration d'option 44. Le faux intellectuel peut aussi se réaliser par dénaturation des actes comme le fait d'obtenir les signatures de plusieurs personnes en leur faisant croire que l'écrit litigieux était une pétition relative à un cyclone alors qu'il s'agissait d'une plainte contre personnes dénommées pour détournement de fonds publics45 ou encore le fait de la part du prévenu de faire signer, par surprise, sa fille, à la place et à l'insu de son épouse, un acte de cession de terrains dépendant de la communauté légale46. Le faux intellectuel peut se réaliser par la constatation comme vrais de faits faux. Ainsi ont été reconnus comme étant des faux le contrat de travail faisant état de la réalisation d'une prestation de travail en réalité inexistante47 ou le constat d'un accident indiquant faussement le nom du conducteur responsable dudit accident48. En droit mauricien : Le faux intellectuel existe autant pour un document privé que public. La Cour Suprême semble retenir une définition extensive du faux intellectuel puisqu'elle a jugé que constitue un faux intellectuel le fait d'utiliser des documents, n'ayant subi aucune altération, dans un but autre que celui auquel ils étaient normalement destinés. 49 L'altération réside alors dans l'utilisation frauduleuse qui en a été faite. ZOOM sur le faux par omission : En droit français : À la différence du faux matériel, le faux intellectuel peut se réaliser par commission mais également par omission. Le délit de faux peut être constitué par le fait, pour une personne de faire apparaître, par l'omission intentionnelle de certaines écritures, une situation comptable fausse50 ou l'omission volontaire d'une somme déposée sur un compte ouvert dans une banque suisse dans l'inventaire établi par un curateur et remis au juge des tutelles51. En droit mauricien : Il semble qu'ici les juges mauriciens adoptent une position différente de leurs homologues français. En effet, la Cour suprême a jugé que l'omission de mentions dans un acte notarial ne pouvait pas être considéré comme un faux.52 ZOOM sur la simulation : La question se pose de savoir si les hypothèses de simulation, que reconnaît le droit civil peuvent constituer un faux. Il y a simulation chaque fois que les parties à un acte s'entendent pour dissimuler leur accord par de fausses dispositions qui peuvent porter sur l'identité des parties, sur le montant ou sur les conditions de la transaction réalisée. Si faux il devait y avoir, il ne pourrait s'agir que d'un faux intellectuel. De prime abord, il apparaît difficile de considérer cela comme un faux compte tenu du fait que la simulation ne constitue point par ellemême une cause de nullité en droit civil. En droit français : Le juge pénal adopte alors une attitude pragmatique envers les actes simulés, considérant qu'ils constituent un faux s'ils ont été réalisés en vue de tromper les tiers. La cour de Cassation applique une distinction entre ces actes selon qu'ils sont, ou non, préjudiciables pour les tiers précisant « si les énonciations mensongères auxquelles les parties croient pouvoir consentir 43Cass. crim., 16 mars 1970 44Cass. crim., 7 avr. 2009 45Cass. crim., 20 juin 1996 46Cass. crim., 8 avr. 1999 47Cass. crim., 11 févr. 2009 48Cass. crim., 23 mars 2010 49Cour Suprême, Procureur Général v Ramadoo 1956 50Cass. crim., 25 janv. 1982 51Cass. crim., 5 févr. 2008 52Cour suprême, Moosudee v R 1974 9 dans une convention peuvent ne constituer qu'une simple simulation non punissable, il en est autrement lorsque les fausses énonciations ont été concertées avec l'intention coupable de tromper les tiers et de leur porter éventuellement un préjudice".53 En droit mauricien : La Cour suprême adopte une position identique jugeant notamment que si l'intention de la simulation était de tromper des personnes alors la qualification de faux doit être retenue54. Ainsi, dans les deux cas, les juges recherchent le but de la simulation. Si cette dernière avait pour unique but de tromper les tiers, de les induire en erreur et de frauder leurs droits, alors la simulation est bien constitutive d'un faux. En revanche, si la simulation poursuit un but autre que celui de tromper, elle reste valable et ne saurait être vue comme un faux. *** L'altération doit elle être préjudiciable ? En droit français : L'exigence d'une altération de la vérité de nature à causer un préjudice est aujourd'hui expressément posée par l'article 441-1 du code pénal mais était déjà vérifiée par la jurisprudence rendue sous l'empire de l'ancien code pénal. La Chambre criminelle de la Cour de cassation a en effet affirmé dans un arrêt en date du 15 juin 1962 qu'il n'y a faux punissable qu'autant que « la pièce contrefaite ou altérée est susceptible d'occasionner à autrui un préjudice actuel ou éventuel ». Le code pénal actuel n'exige pas la réalisation effective d'un préjudice pour la constitution du faux. Ainsi, le préjudice lié à l'altération de la vérité peut être actuel55 ou simplement éventuel. 56 Le juge pénal rappelle que le préjudice peut indifféremment être de nature matérielle ou de nature morale. Ainsi, le préjudice matériel peut résulter de ce que le faux a contribué à la mise en liquidation de la victime,57 a abouti à l'accroissement du montant d'une dette 58 ou encore était susceptible d'entraîner l'application d'une clause de garantie du passif 59 ou de provoquer la perte des droits à congés.60 Le préjudice moral peut lui résulter par exemple de ce que le faux a gravement fait souffrir la crédibilité commerciale du propriétaire 61 ou a porté atteinte à l'honorabilité professionnelle de la victime.62 Le préjudice peut être également individuel ou collectif, la chambre criminelle de la Cour de cassation faisant alors notamment état de "l'atteinte portée aux intérêts de la société"63. En droit mauricien : La position des juges mauriciens est identique ; la Cour suprême a précisé qu'un préjudice potentiel était suffisant,64 rappelant ainsi qu'il n’était pas nécessaire que le dommage ait réellement eu lieu, se soit effectivement réalisé. De même, les juges acceptent les préjudices personnels ou sociaux, matériels ou moraux.65 Le préjudice moral est défini par les juges comme une atteinte à la confiance légitime que le public peut avoir dans les documents en question66. ZOOM sur l'exigence du caractère substantiel de l'altération : 53Cass. crim., 12 déc. 1977 54 Cour suprême, Bansoodeb v R, 1962 55Cass. crim., 28 nov. 1968 56Cass. crim., 9 juin 1964, Cass. crim., 18 mai 2005 57Cass. crim., 11 janv. 1996 58Cass. crim., 23 mai 2007 59Cass. crim., 19 sept. 1995 60Cass. crim., 7 sept. 2005 61Cass. crim., 27 mars 2007 62Cass. crim., 24 févr. 2010 63Cass. crim., 22 oct. 2003 64Cour suprême, Thalwansing v R 1895, Panchoo v R 1922 65Cour suprême, Appadoo v R 66Cour suprême, Pertaub v R 1981 10 En droit français : Il est apparu que l'altération de la vérité ne pouvait être de nature à causer un préjudice que si elle portait sur une mention que l'acte a pour objet de recevoir ou, plus précisément, sur une disposition que la loi ou les parties ont regardé comme étant fondamentale. Il est dés lors exigé que le procédé de falsification porte sur des dispositions substantielles de l'acte. La nécessité d'opérer une distinsction entre les mentions substantielles et les mentions accessoires a été consacrée par une jurisprudence fort ancienne.67 C'est ainsi qu'a été qualifiée de mention substantielle la date indiquée sur le rapport d'un commissaire aux comptes dès lors que cette date permet d'établir que ledit rapport a été mis à leur disposition dans les conditions prévues par la loi. 68 En revanche, s'est vue dénier la qualification de mention substantielle la fausse indication, dans un acte de transaction, relative à la situation matrimoniale et au domicile d'une des parties.69 La jurisprudence postérieure à l'entrée en vigueur du nouveau Code pénal prouve la continuité de la solution consacrée par la chambre criminelle de la Cour de cassation en refusant de considérer comme substantielle l'altération de la date de la conclusion d'un contrat de travail.70 2) Élément moral de l'infraction générale de faux En droit français : Sous l'empire de l'ancien Code pénal, la Cour de cassation a estimé que l'arrêt, qui déclare que l'agent a sciemment réalisé le faux en écriture, a suffisamment constaté l'élément intentionnel de ladite infraction.71 Elle ajoute que l'intention frauduleuse résulte de la connaissance qu'avait l'agent d'altérer la vérité dans un écrit. 72 Aujourd'hui, l'article 441-1 du code pénal vise expressément l'altération frauduleuse de la vérité. En d'autres termes, il exige littéralement la preuve que l'agent a agi sciemment et volontairement. Il faut donc que soit rapportée la preuve de l'intention frauduleuse de l'agent, 73 intention coupable qui résulte, « de sa conscience de l'altération de la vérité dans un document susceptible d'établir la preuve d'un droit ou d'un fait ayant des conséquences juridiques »74. Si les mobiles poursuivis par l'auteur du faux sont en principe indifférents, 75on peut toutefois relever certaines décisions qui font référence à l'intention de nuire. Il semblerait qu'à l'exigence d'un dol général, la cour ait parfois ajouté la nécessité de prouver une intention de nuire en estimant que l'agent devait « avoir eu connaissance du préjudice que l'altération de la vérité était susceptible de causer à autrui76 » ou ou devait avoir agi "dans le dessein de nuire."77 En droit mauricien : Les juges mauriciens ont une position proche de celles des juges français. En effet, ils exigent au titre de l’élément moral une intention frauduleuse. Ils précisent même que cette intention frauduleuse réside dans la conscience qu'a le prévenu de modifier la réalité mais aussi sa conscience qu'une telle modification pouvait causer un préjudice. 78 Certaines décisions font elles aussi expressément référence à l'intention de nuire au titre de l’élément moral.79 B. L'usage de faux 1) élément matériel 67Cass. crim., 27 sept. 1877 68Cass. crim., 12 janv. 1981 69Cass. crim., 9 avr. 1962 70Cass. crim., 24 mars 2004 71Cass. crim., 25 févr. 1958 72Cass. crim., 30 nov. 1971 73Cass. crim., 27 juin 1996 74Cass. crim., 3 mai 1995 75Cass. crim., 3 mai 1995 76Cass. crim., 24 févr. 1972 77Cass. crim., 21 févr. 1978 78Cour suprême Robinson and Loivette v R 1955, Genave v R 1980 79Cour suprême, Panchoo v R 1922, 11 ZOOM sur l'articulation entre le faux et l'usage de faux : En droit français : L'article 441-1 alinéa 2 du code pénal incrimine spécifiquement l'usage de faux faisant du faux et l'usage de faux deux infractions distinctes. Les actes de faux et d'usage n'ont pas à être réalisés par la même personne. De ce fait, l'agent qui fait usage du document falsifié est punissable quand bien même il ne serait pas l'auteur du faux et quand bien même l'auteur du faux demeure inconnu. De plus, il est possible de poursuivre un agent pour usage de faux alors que les poursuites pour faux sont éteintes pour cause de prescription. Mais, il est tout à fait envisageable que celui qui a fabriqué le faux soit aussi celui qui en fait usage. Cette même personne peut-elle voir sa responsabilité engagée cumulativement pour les deux infractions ou le faux et l'usage de faux sont deux qualifications incompatibles ne pouvant être retenues à l'encontre de la même personne ? Il ne fait pas de doutes qu'il est tout à fait possible de prononcer la double déclaration de culpabilité de la personne en cas de faux et d'usage de faux. En droit mauricien : Il s'agit aussi de deux infractions distinctes puisque le code pénal incrimine spécialement l'usage de faux à l'article 109. De plus, la Cour suprême a aussi rappelé à plusieurs reprises qu'il s'agissait d'une infraction différente du faux. 80Elle estime notamment que les conditions pour retenir l'infraction de faux sont différentes de celles pour retenir l'usage de faux et qu'un seul et même acte ne peut pas être qualifié à la fois de faux et d'usage de faux. Pour retenir la responsabilité du prévenu au titre de ces deux infractions, il est indispensable de mettre en évidence deux comportements différents.81 La Cour assure ici une indépendance claire être les deux infractions. Les juges de la Cour suprême ont notamment décidé que le fait que l'auteur d'un faux ait été relaxé n’empêchait pas de condamner l'auteur de l'usage de faux, marquant ainsi clairement l’indépendance entre ces deux infractions82. ZOOM sur la définition de l'usage de faux : En droit français : L'usage de faux n'est pas défini par le nouveau Code pénal tout comme il ne l’était pas dans l'ancien code pénal. L'usage de faux consiste à se servir du faux conformément à sa nature et à sa destination normale. Selon la chambre criminelle, l'usage de faux se produit chaque fois "qu'intervient un nouveau fait d'utilisation de la pièce fausse en vue du but auquel elle est destinée.83" L'absence de définition de l'acte d'usage dans l'ancien code pénal avait conduit la jurisprudence à considérer qu'« il suffit, pour constituer l'usage de faux, que le détenteur de cette pièce l'ait utilisée par un acte quelconque en vue du résultat final qu'elle était destinée à produire ».84 Il doit nécessairement être caractérisé par un fait positif d'utilisation imputable au prévenu. Il ne peut résulter de la seule abstention, même volontaire, consistant à laisser produire en justice par un tiers les documents falsifiés85. De même, le simple fait de viser un document argué de faux dans un mémoire en défense produit devant la Cour de cassation, ne saurait constituer un usage de faux.86 En revanche, dés lors qu'il existe un acte positif, il semble que le terme usage soit entendu très largement au sens d'utilisation, de reproduction, de production en justice, de présentation, de production auprès de l'administration, de transmission, de l'envoi par télécopie ou par courrier.87 En droit mauricien : L'usage de faux n'est pas non plus défini par les textes comme l'a rappelé la Cour suprême précisant ainsi qu'il revenait aux juges de décider ce qui relevait ou non d'un usage. 80Cour suprême, Abdool Waheb Mohamed v/s The King 1940, MR 38 81Cour suprême, Maudarbux v The Queen 1973 82Cour suprême, DPP v Clair and anor 1966 83Cass. crim., 12 nov. 1979 84Cass. crim. 15 juin 1939 85Cass. crim., 4 nov. 2010 86Cass. crim., 18 déc. 2007 87Cass. crim., 27 mai 1991, Cass. crim., 27 juin 1988, Cass. crim., 25 janv. 1961, Cass. crim., 30 mai 1994, Cass. crim., 8 avr. 2010, Cass. crim., 5 oct. 1995, Cass. crim., 31 janv. 2007, Cass. crim., 6 févr. 2001 12 La Cour précise toutefois, en faisant référence à la doctrine, que l'usage est « une application de l'acte à l'emploi auquel il est destiné. Les procédés d'usage varient d’après la nature des actes comme d’après le but que se propose le faussaire ».88 La Cour suprême semble adopter une position extensive de l'usage puisqu'elle a notamment précisé que le procédé de l'usage importait peu.89 Pour autant, la Cour suprême exige bel et bien un acte d'usage, acte nécessairement positif. Elle a en effet refusé de reconnaître comme un usage de faux le fait pour un justiciable de fournir à son avoué un faux document, faux document que l'avoué a transmis ensuite aux instances policières et judiciaires. La Cour a estimé que le justiciable n'avait pas lui même fait usage du document, seul l’avoué l'avait utilisé en le transmettant aux autorités. Selon la Cour, en l'absence d'usage, la responsabilité du justiciable ne peut donc pas être retenue. De plus, elle refuse de condamner l’avoué faute d'intention délictuelle, ce dernier n'ayant pas connaissance du caractère frauduleux de l'acte.90 En adoptant une telle position, la Cour suprême retient une définition de l'usage similaire à celle de la Cour de Cassation. Elle refuse de reconnaître l'usage de faux ici eu égard eu fait qu'il s'agisse d'une abstention et non d'un acte positif. 2) sur l’élément moral En droit français : L'usage de faux suppose que l'agent ait conscience de faire usage d'un support falsifié, qu'il ait agi en connaissance de cause ou ait eu connaissance de la fausseté du titre utilisé 91. Par exemple, est constitué le délit d'usage de faux par la production en justice de ces documents faux, peu important que cette production ait été spontanée ou effectuée en exécution d'une décision de justice 92. En droit mauricien : Il est aussi exigé une telle intention. Pour retenir l'usage de faux, il faut prouver que la personne savait qu'il s'agissait d'un faux. Les juges font aussi référence à l'intention de causer un préjudice93. C. Le faux en écriture publique ou authentique L'article 106 du code pénal mauricien dispose que « tout fonctionnaire ou officier public qui, dans l'exercice de ses fonctions, aura commis un faux soit par fausses signatures, soit par altération des actes, écritures, dates ou signatures, soit par suppositions de personnes, soit par des écritures faites ou intercalées sur des registres ou d'autres actes publics, depuis leur confection ou clôture » se rend coupable d'un faux en écriture publique ou authentique. L'article 107 du code pénal mauricien dispose que « tout fonctionnaire ou officier public qui, en rédigeant des actes de son ministère en aura frauduleusement dénature la substance ou les circonstances, soit en écrivant des conventions autres que celles qui auraient été tracées ou dictées par les parties soit en constatant comme vrais des faits faux ou comme avoués des faits qui ne l’étaient pas » se rend coupable d'un faux en écriture publique ou authentique. L'article 441-4 du code pénal français précise que « le faux commis dans une écriture publique ou authentique ou dans un enregistrement ordonné par l'autorité publique est puni de dix ans d'emprisonnement et de 150 000 euros d'amende. L'usage du faux mentionné à l'alinéa qui précède est puni des mêmes peines. » Cet article remplace les dispositions des articles 147 et 148 de l'ancien code pénal et inscrit le faux en écriture publique parmi les faux dans un document administratif. 88Cour suprême, Abdool Waheb Mohamed v/s The King 1940, MR 38 89Cour suprême, R v Brue 1880 90Cour suprême, Abdool Waheb Mohamed v/s The King 1940, MR 38 91Cass. crim., 25 janv. 1961, Cass. crim., 11 déc. 1974 92Cass. crim., 3 mai 2012 93Cour suprême, Li-Ah-Chong v R 1933 13 Du fait de sa nature particulière, l'écrit public ou authentique présente la valeur probatoire exigée par l'article 441-1, et sa falsification porte nécessairement atteinte à la foi publique ce qui établit automatiquement l'existence du préjudice éventuel. 94Le juge n'a plus qu'à établir l'existence d'une falsification intentionnelle. En droit français : Concernant les supports, cette infraction est plus étroite que le faux classique puisqu'elle n'englobe pas tout support d'expression de la pensée. Elle ne vise que l'écriture ou l'enregistrement. Pourtant, le droit français est ici encore plus large que le droit mauricien puisqu'il précise que le faux en écriture publique peut être commis sur des enregistrements, enregistrements qui pourront être tant sonores que visuels ou audiovisuels. Les écritures publiques sont celles rédigées par un représentant de l'autorité publique qui agit dans l'exercice de ses fonctions. Sont considérés comme des écritures publiques les écrits des autorités politiques, législatives ou gouvernementales, tels que les lois, décrets, etc. 95 Sont également des écritures publiques, les décisions de justice 96, les sentences arbitrales exécutoires97, les actes de procédure tels qu'assignation, appel, pourvoi98 ainsi que les procès-verbaux de douane, des officiers ou des agents de police judiciaire Les écritures authentiques sont celles rédigées par des officiers publics ou ministériels habilités par la loi pour recevoir certains actes ou faire certaines constatations. Constituent de tels actes, les actes dressés des notaires, des greffiers ou huissiers. S'agissant des notaires, il a été décidé que constituent des écritures authentiques les documents comptables visés par les notaires ainsi que leurs registres 99. Cependant, la Cour de cassation a précisé que les actes sous-seing privés déposés au rang des minutes d'un notaire n'avaient le caractère d'acte authentique que si le dépôt était accompli par tous les signataires100. En droit mauricien : La même définition a été retenue par le code pénal mauricien et par la Cour suprême, les juges précisant que les écritures seront dites publiques uniquement dans le cas où le fonctionnaire a agi dans le cadre de ses fonctions. Ainsi, lorsqu'un fonctionnaire falsifie des documents publics dont il a la charge, il sera jugé pour avoir commis un faux en écriture publique selon les dispositions des articles 106 et 107 du code pénal101. Cela semble être aussi le cas pour les écritures authentiques ; il est nécessaire que ces actes aient été faits par l'officier public dans le cadre de ses fonctions. Constituent par exemple des écritures authentiques les actes de mariage, les actes de notaires et même les écritures passées sur le livre d'un compte épargne de banque.102 La Cour suprême a affirmé que le régime des actes authentiques et des actes publiques étaient identiques.103 ZOOM sur l’incompétence de l'auteur : En droit français : Le faux en écriture authentique ou publique est constitué dès lors que l'écriture revêt l'apparence d'une écriture authentique ou publique ; l'incompétence de l'auteur de l'acte est sans influence sur la qualification.104 En droit mauricien : Les juges de la Cour suprême adoptent une analyse différente à ce sujet. Ainsi, le fait que l'acte authentique ait été fait par un fonctionnaire qui n'avait pas les pouvoirs de faire un tel acte empêche de considérer le faux comme authentique, le faux sera jugé comme 94Cass. crim. 24 mai 2000 95Cass. crim. 17 nov. 1855 96Cass. crim. 23 sept. 1880 97Cass. crim. 18 mai 1960 98Cass. crim. 5 nov. 1903 99Cass. crim. 1er juin 1976 100Cass. crim. 8 janv. 1980 101Cour suprême, Ramchurrn v REG 183 102Cour suprême, R v Beephia 1879, R v Laval 1881, R v de Boucherville 1890 103Cour suprême, Jugessur v R 1959 104Cass. crim., 30 juin 2004 14 ordinaire105. On ne peut alors parler de faux en écriture publique que si l'officier avait le pouvoir de faire l'acte ; dans le cas contraire, il s'agira d'un faux ordinaire.106 II. - Modalités de la répression des infractions générales de faux et d'usage de faux A. - Personnes punissables Lorsque plusieurs personnes ont concouru à la réalisation du faux et à son usage se pose la question de la participation de chacune d'entre elles aux infractions réalisées et de l'imputation de ces infractions à ces personnes au titre d'auteurs, de coauteurs ou de complices. Lorsqu'une personne est auteur du faux utilisé par un autre individu, ces deux personnes sont toutes deux auteurs respectivement d'un faux et d'un usage de faux et non pas complices l'une de l'autre. ZOOM sur l'auteur intellectuel : En droit français : S'agissant du faux, des difficultés d'imputations sont soulevées lorsqu'un individu fait réaliser la falsification par un tiers. Si le tiers rédacteur de la déclaration est de bonne foi, il échappe à toute répression sur le terrain du faux et le déclarant doit être considéré comme l'auteur du faux. En revanche, si le tiers n'ignore pas la fausseté des déclarations, il devient auteur du faux puisqu'il est celui qui réalise matériellement l'altération frauduleuse de la vérité. Le rôle du déclarant est alors celui du complice107 qui agit par instruction ou provocation. Pourtant, d'autres jurisprudences de la chambre criminelle de la Cour de cassation assimile l'auteur intellectuel à l'auteur matériel de l'infraction de faux, 108 celui qui fait fabriquer un écrit faux coopère au crime de faux à titre d'auteur, de même que celui qui a personnellement fabriqué l'écrit. 109 Il semble que le délit de faux peut être imputé aussi bien à celui qui altère la vérité qu'à celui qui la fait altérer. En droit mauricien : La Cour suprême considère que celui qui fait faire un faux est coupable d'un faux, elle retient sa responsabilité au titre d'un auteur et non d'un complice. 110La solution retenue est identique à celle de la Cour de Cassation. B. - Poursuites 1) la prescription En droit français : Les infractions de faux111 et d'usage de faux112 ont été considérées comme des infractions instantanées, le point de départ du délai de prescription de l'action publique est donc fixé au jour de réalisation de l'infraction instantanée, c'est-à-dire au jour de réalisation du faux 113 ou au jour d'utilisation de la pièce fausse pour l'usage de faux. De façon constante, la chambre criminelle refuse d'admettre le report du point de départ du délai de prescription de l'action publique au jour de découverte de la falsification par la victime114. 2) Action civile La personne qui peut invoquer un préjudice certain personnel et direct découlant de la commission du faux ou de l'usage de faux peut se constituer partie civile ou joindre son action civile à l'action 105Cour suprême, Procureur Général v Olivier 1950 106Cour suprême, Hassam v R 1959, Fawzee v R 1961, Ibrahim v R 1965 107Cass. crim., 17 janv. 2007 108Cass. crim., 28 janv. 1869 109Cass. crim., 21 mai 1963, Cass. crim., 8 avr. 2010 110Cour suprême, Punchoo v R 1923, Ramessur v R 1939, Procureur Général v Ramdoo 1956 111Cass. crim., 3 mai 1993 112Cass. crim., 8 juill. 1971 113Cass. crim., 31 mars 1992 114Cass. crim., 31 mars 1992 15 publique déclenchée par le ministère public. ZOOM sur le préjudice en cas de faux en écriture publique : En droit français : Dans un premier temps, la Cour de cassation a estimé que le faux en écriture publique ne pouvait porter atteinte qu'à la foi publique et à l'ordre social refusant de recevoir les actions civiles en l’espèce115. Puis, la chambre criminelle a modifié sa position en considérant que de telles infractions étaient susceptibles de causer aussi un préjudice personnel et direct aux parties civiles.116 3) Concours de qualifications En droit français : Les qualifications de faux peuvent entrer en concours avec d'autres infractions applicables pour les mêmes faits notamment lorsque le faux est le moyen utilisé pour commettre une autre infraction, comme l'escroquerie par exemple. Un même fait est alors susceptible de recevoir deux qualifications pénales différentes : après avoir considéré qu'il s'agissait d'un concours idéal d'infractions obligeant à retenir la qualification pénale la plus haute, 117 désormais, la chambre criminelle de la Cour de cassation approuve les juges du fond qui retiennent le cumul des qualifications au motif que le faux et l'escroquerie sanctionnent la violation d'intérêts distincts et comportent des éléments constitutifs différents.118 115Cass. crim., 23 mai 1977 116 Cass. crim., 12 sept. 2000 117Cass. crim., 7 nov. 1974 118Cass. crim., 10 févr. 2010 16