Provocation à la haine raciale : point de départ de

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Provocation à la haine raciale : point de départ de
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Provocation à la haine raciale : point de départ de la
prescription et recevabilité de la LICRA
le 30 octobre 2012
PÉNAL | Presse et communication
Dans une affaire de provocation à la discrimination et à la haine raciale, la chambre criminelle
rappelle que toute réimpression, constitutive d’une nouvelle publication, fait courir un nouveau
délai de prescription et valide, par ailleurs, la constitution de partie civile de la LICRA.
Crim. 2 oct. 2012, F-P+B, n° 12-80.419
Le 1er juin 2010, le journal Le National Radical publie un article intitulé « Les Juifs qui dominent la
France ». Le 10 août suivant, la LICRA (Ligue nationale contre le racisme et l’antisémitisme) fait
citer le directeur de publication du journal devant le tribunal correctionnel pour provocation à la
discrimination, à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes à
raison de leur origine, de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation,
une race ou une religion déterminée. Le prévenu est débouté de sa demande d’annulation de la
citation et déclaré coupable de l’infraction reprochée. Sa condamnation est confirmée en appel puis
l’affaire est portée, à sa demande, devant la Cour de cassation. Dans son pourvoi, le prévenu fait
valoir différents moyens, dont les principaux consistent à contester, de nouveau, l’action de la
LICRA à travers la validité de sa citation mais également sa qualité à exercer les droits reconnus à
la partie civile.
Dans un premier temps, le prévenu excipe de la nullité de la citation devant le tribunal
correctionnel en se fondant sur deux éléments : l’absence de délibération de la commission
juridique de la LICRA autorisant cette association à engager l’action et la prescription de l’infraction
poursuivie au jour de la citation. Sur le premier point, la chambre criminelle indique simplement
être en mesure de s’assurer que la citation a bien été délivrée à la requête du représentant légal de
la personne morale, dès lors que, suivant la cour d’appel, la partie civile a justifié de la tenue d’une
réunion de la commission juridique au cours de laquelle il a été décidé d’engager une poursuite et
de donner pouvoir, notamment, au président de la LICRA d’ester en justice au nom de cette
association. Sur le second point, le prévenu fait valoir, pour dire l’action publique prescrite, que
l’article en cause n’est que la reprise intégrale d’extraits d’un livre édité en janvier 2009. La cour
d’appel a logiquement rejeté l’argument, en énonçant que toute réimpression, constituant un
nouvel acte de publication, avait pour effet de faire courir un nouveau délai de prescription ; elle a
retenu que la publication de l’article dans le journal Le National Radical du 1er juin 2010 avait fait
courir un nouveau délai de prescription de trois mois, valablement interrompu par la citation du 10
août. La chambre criminelle valide de nouveau ce raisonnement, en relevant cependant l’erreur
faite par la cour d’appel dans le délai de prescription de l’action publique de l’infraction poursuivie,
qui est d’un an (L. 29 juill. 1881, art. 65-3, issu de la L. n° 2004-204, 9 mars 2004) et non de trois
mois (art. 65). Une erreur cependant « dépourvue de conséquence, dès lors que la prescription de
l’action publique n’était pas acquise, en la circonstance, à la date de la délivrance de la citation
introductive d’instance ». La chambre criminelle rappelle « qu’en effet, en matière de presse, le fait
de publication étant l’élément par lequel les infractions sont consommées, toute reproduction dans
un écrit rendu public d’un texte déjà publié est elle-même constitutive d’infraction, et que le point
de départ de la prescription, lorsqu’il s’agit d’une publication nouvelle, est fixé au jour de cette
publication ». On rappellera que la jurisprudence, en matière de presse, s’en tient à la qualification
d’infraction instantanée (V. Rép. pén., vo Presse [procédure], par P. Guerder, nos 899 s.) et déduit
donc que la prescription a pour point de départ le début de la publicité, le jour de l’exposition au
public ou de la mise à disposition du public, par la distribution ou la mise en vente dans un lieu
quelconque (Crim. 11 juill. 1889, Bull. crim. no 252 ; DP 1890. 1. 237, rapp. Sallempin ; 20 mars
1890, Bull. crim. no 74 ; 26 avr. 1890, Bull. crim. no 93 ; pour l’application aux journaux périodiques,
V. Rép. pén. préc., no 909 s.). Si la notion d’infraction continue n’est pas applicable, celle de
réitération l’est. Ainsi, en cas de nouvelle édition ou de réimpression, la prescription remonte non
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pas au jour de la première publication mais au jour de chacune des publications nouvelles (Crim. 16
déc. 1910, Bull. crim. no 640 ; 2 mars 1954, Bull. crim. no 94 ; 27 avr. 1982, Bull. crim. no 102 ; 24
oct. 1989, Bull. crim. no 380 ; 8 janv. 1991, Bull. crim. no 13).
Dans un second temps, le prévenu conteste, sur le fond, la constitution de partie civile de la LICRA
et invoque la méconnaissance par les juges du fond des dispositions des articles 48-1 de la loi du
29 juillet 1881 et 1382 du code civil. Sur ce point, la chambre criminelle relève que la cour d’appel
a correctement caractérisé l’infraction poursuivie et exactement appliqué, en conséquence, l’article
48-1 précité, puisque l’« association, régulièrement déclarée depuis plus de cinq ans à la date des
faits et se proposant, par ses statuts, de combattre le racisme et d’assister les victimes de
discrimination, peut exercer les droits reconnus à la partie civile ». La Cour de cassation ajoute que
« les juges du fond ont souverainement apprécié, dans les limites des conclusions de la partie
civile, le montant de l’indemnité propre à réparer le dommage résultant de l’infraction retenue ».
Depuis 1972, certaines associations déclarées depuis au moins cinq ans sont autorisées à
poursuivre spécialement les infractions de presse portant atteinte aux intérêts qu’elles défendent.
Ainsi, l’article 48-1 permet aux associations de lutte contre le racisme d’exercer les droits reconnus
à la partie civile en ce qui concerne les délits de provocation à la discrimination raciale (art. 24, al.
6), de diffamation raciale (art. 32, al. 2) et d’injure raciale (art. 33, al. 3 ; sur l’action de ces
associations, V. Rép. pén. préc., nos 152 s.). Depuis 1990, ce texte confère les mêmes droits aux
associations ayant pour objet d’assister les victimes de discrimination fondée sur leur origine
nationale, ethnique, raciale ou religieuse. Pour être recevable, l’association doit seulement compter
parmi ses objets la lutte contre le racisme, cette dernière notion étant entendue largement (V.
Crim. 16 avr. 1991, Bull. crim. no 182 ; 2 mars 1993, Bull. crim. no 94).
par Sabrina Lavric
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