Application de la loi pénale dans l`espace et

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Application de la loi pénale dans l`espace et
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Application de la loi pénale dans l’espace et connexité
le 21 juin 2016
PÉNAL | Instruction
Le lien de connexité existant entre plusieurs infractions ne peut rendre la loi pénale française
applicable aux infractions commises à l’étranger par une personne de nationalité étrangère sur une
victime étrangère.
Crim. 31 mai 2016, FS-P+B, n° 15-85.920
Une jeune fille de quinze ans de nationalité belge accuse son père, également de nationalité belge,
de viols aggravés commis en Italie et à Monaco entre juillet 2012 et décembre 2013 et d’agression
sexuelle aggravée commise courant janvier 2014 en France. Le procureur de la République ouvre
une information judiciaire des chefs susvisés. Le père est mis en examen du chef de viols aggravés
commis en France, à Monaco et en Italie. Il dépose une requête en annulation d’actes de la
procédure qui est rejetée par la chambre de l’instruction. Il forme alors un pourvoi en cassation
dont l’examen immédiat est prescrit par le président de la chambre criminelle.
Au soutien de son pourvoi, il reproche d’abord à la chambre de l’instruction d’avoir rejeté sa
demande de cancellation d’une question posée par l’officier de police judiciaire lors d’une
confrontation organisée avec la plaignante. En effet, alors que l’officier de police judiciaire était
chargé de poursuivre les faits commis en France, il a posé à la jeune fille, lors de la confrontation, la
question suivante : « ton père t’a-t-il vraiment violé il y a neuf mois à Beausoleil [en France] et à
trois autres reprises ? ». Pour le requérant, cette question, en faisant référence aux faits
prétendument commis à l’étranger a conduit les enquêteurs à sortir du cadre de leur saisine. La
chambre de l’instruction, après avoir relevé que l’enquêteur n’avait jamais cité précisément les
lieux où se seraient déroulés les faits dénoncés et que le mis en cause n’avait jamais été interrogé
lors de sa garde à vue sur les faits commis à l’étranger, en a conclu que les enquêteurs n’avaient
pas dépassé le cadre de leur saisine. La Cour de cassation entérine cette solution qu’elle enrichit
d’une précision factuelle en ajoutant « qu’il résulte du procès-verbal de confrontation qu’avant que
la question litigieuse soit posée, trois autres faits de viols avaient été évoqués spontanément par la
plaignante au cours de cet acte ».
Ensuite, le requérant reproche à la chambre de l’instruction d’avoir rejeté le moyen tiré de la nullité
du réquisitoire introductif, du procès-verbal de première comparution et des actes subséquents. En
effet, au visa des articles 113-7 du code pénal et 689 du code de procédure pénale, il considère que
le procureur de la République ne pouvait requérir l’ouverture d’une information pour des faits
commis à l’étranger par un étranger sur une victime étrangère. Selon lui, le juge d’instruction était
donc incompétent pour instruire sur les faits commis à l’étranger, précisément en Italie et à
Monaco. Pour motiver le rejet de la demande en nullité, la chambre de l’instruction insiste sur
plusieurs éléments factuels. Elle rappelle que la totalité des faits dénoncés est susceptible d’avoir
été commise par le requérant, qui est le père de la plaignante. Elle ajoute que ces faits sont
intervenus au sein de la cellule familiale dans un périmètre très voisin, entre 2012 et 2014. Elle en
déduit qu’en application des articles 43, 52 et 203 du code de procédure pénale, un lien de
connexité unit entre elles toutes les atteintes commises « par le même individu sur la même
victime, dans un laps de temps limité, dans un périmètre géographique lui aussi limité, même s’il
concerne trois États différents et, de surcroît, dans le cadre de relations intra-familiales ». Pour la
chambre de l’instruction, la connexité proroge la compétence territoriale des juridictions françaises.
Il faut admettre que ce raisonnement se fond dans la pratique jurisprudentielle qui, parfois, adopte
une conception extensive de la territorialité de la loi pénale pour permettre aux juridictions
françaises de connaître de faits commis à l’étranger (V. Rép. pén., v° Compétence, par F. Agostini,
nos 101 s. ; RSC 1989. 323, obs. A. Vitu ; V. aussi Crim. 18 avr. 1857, Bull. crim. 1857, n° 160). La
jurisprudence, plutôt que d’exiger un lien d’indivisibilité entre les infractions, se contente en effet
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parfois d’un lien de connexité pour justifier la compétence des juridictions françaises (Crim. 20 févr.
1990, n° 89-86.610, Bull. crim. n° 84 ; D. 1991. 395 , note A. Fournier ; 3 mai 1995, n° 95-80.725,
Bull. crim. n° 161 ; RSC 1995. 836, obs. J.-P. Dintilhac ; Mélanges Poncet, 1997, p. 143, comm. R.
Koering-Joulin). Ainsi, sans doute pour préserver la bonne administration de la justice, la chambre
de l’instruction tente de se réfugier dans cette niche jurisprudentielle. La voie semble en effet
ouverte, surtout que les hypothèses de connexité visées par l’article 203 du code de procédure
pénale ne sont pas limitatives, ce qui a déjà permis à la jurisprudence de considérer que la bonne
administration de la justice autorise de les étendre à des cas dans lesquels il existe, entre les faits,
des rapports étroits analogues à ceux que la loi a spécialement prévus (Crim. 6 déc. 1907, DP
1910.1.53 ; 7 août 1971, D. 1971. Somm. 190 ; 13 févr. 1974, Bull. crim. n° 64 ; 12 nov. 1981, Bull.
crim. n° 302 ; 18 août 1987, D. 1988. Somm. 194 ; 22 mai 2002, n° 01-86.156, RTD com. 2003. 85,
obs. A. Françon ).
Il appartenait donc à la Cour de cassation de déterminer si, en ayant recours à la connexité, la
chambre de l’instruction pouvait rendre la loi pénale française applicable à des infractions
commises à l’étranger par une personne de nationalité étrangère et sur une victime étrangère.
La haute juridiction censure le raisonnement de la chambre de l’instruction. Elle rappelle qu’en
application de l’article 113-2 du code pénal, « la loi pénale française est applicable à une infraction
commise par une personne de nationalité étrangère à l’encontre d’une victime de nationalité
étrangère lorsque cette infraction ou l’un de ses faits constitutifs est commis sur le territoire de la
République ». Elle poursuit en précisant que la solution est identique si l’infraction est commise à
l’étranger, à condition toutefois qu’il existe « un lien d’indivisibilité entre cette infraction et une
autre commise sur le territoire de la République » (Crim. 23 avr. 1981, RSC 1982. 609, obs. Vitu).
Elle prend enfin le soin de rappeler que les faits sont indivisibles « lorsqu’ils sont rattachés entre
eux par un lien tel que l’existence des uns ne se comprendrait pas sans l’existence des autres ».
Elle en conclut que « le lien de connexité existant entre plusieurs infractions ne peut avoir pour
effet de rendre la loi pénale française applicable à celles commises à l’étranger par une personne
de nationalité étrangère sur une victime étrangère ». Ainsi, ce qui vaut pour l’indivisibilité ne vaut
pas pour la connexité. L’intérêt, pour la bonne administration de la justice, d’instruire et de juger
ensemble toutes les infractions ne peut donc justifier de sacrifier les principes posés par l’article
113-2 du code pénal.
par Dorothée Goetz
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