corriges des cb 2 enm / enm ae

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corriges des cb 2 enm / enm ae
CORRIGES DES CB 2
ENM / ENM AE
Droit civil
Le tiers et le contrat
Cas pratique : Monsieur BLAIN
Culture générale
Le modèle européen est-il en crise ?
Pénal
Les fonctions de la peine
Cas pratique : Marco le filou
QRC
1) L'intercommunalité (7 points)
2) Le droit d'amendement (6 points)
3) Le recours en excès de pouvoir (7 points)
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Droit civil
DISSERTATION
Le tiers et le contrat
Corrigé élaboré par Jacob Berrebi
Envisager la relation entre le tiers et le contrat implique de revenir sur l’une des principales frontières dressées par
les rédacteurs du Code civil, aux termes duquel, si le contrat est une norme, la loi contractuelle est relative. Le juge
détermine alors la mesure des bouleversements patrimoniaux que provoque la convention dans l’ordre juridique, de
même qu’il est institué gardien des effets du contrat sur la situation du tiers.
En vertu de l’article 1101 du Code civil, le contrat est « la convention par laquelle une ou plusieurs personnes
s’obligent envers une ou plusieurs autres, à donner, à faire ou ne pas faire quelque chose ». Le contrat est un acte
juridique, émanant de la volonté des parties, les obligeant à ce qu’elles ont voulu. Les personnes qui ont exprimé
leur volonté créatrice et qui dès lors sont obligés patrimonialement par la convention sont désignés parties ou
contractants. Se dessine alors une summa divisio, une distinction naturelle entre les parties et les tiers au contrat. En
apparence, la distinction est simple : les parties sont celles qui ont conclu le contrat en leur nom, tandis que les tiers
sont toutes les personnes à l’exclusion des contractants. Il s’agit donc de qualifications alternatives : la première,
celle de partie, nécessite une constatation positive, c'est-à-dire l’identification des personnes engagées par le
contrat ; la seconde s’opère par défaut de la première, puisque si l’on n’est pas partie, l’on est tiers. La distinction
notionnelle entre parties et tiers au contrat est essentielle en ce qu’elle participe à la structure même du droit des
obligations et à l’opposition entre les régimes des actes et des faits juridiques. Saisir donc la distinction relève de
l’entreprise de qualification judiciaire laquelle précède naturellement la mise en œuvre d’un régime idoine par le
juge. Tel est le sens de la relativité des conventions exprimées aux articles 1119 et 1165 du Code civil. Ces textes qui
demeurent dans leur rédaction originelle de 1804, constituent des compléments parfaits du sacro-saint principe de
la force obligatoire des conventions de l’article 1134 du Code civil, lequel dispose que le contrat est la loi
contractuelle pour les parties. A contrario, le contrat n’oblige pas les tiers.
Cependant, la simplicité de la distinction commandée par les principes fondamentaux du droit des obligations cède
devant l’important contentieux en la matière et le constat de l’impact du contrat et de ses effets sur la situation
patrimoniale de certains tiers. D’abord, certains textes effacent la distance que les principes installent ; il en est ainsi
de la stipulation pour autrui de l’article 1121 du Code civil, qui figure au premier rang des exceptions textuelles à
l’effet relatif des conventions de l’article 1165. Encore, parce que la notion de tiers n’est pas uniforme et qu’elle
connaît des degrés, allant de l’intéressé par le contrat au tiers absolu à celui-ci. Enfin, parce la complexification de la
vie des affaires et corrélativement des contrats conduit à ne plus envisager le contrat de manière isolée mais au sein
d’opérations elles-mêmes complexes.
Aussi convient-il de relever que le tiers se situe en principe en dehors du champ contractuel (I) tout en mesurant
cette affirmation dès lors que l'on constate que le rayonnement contractuel est susceptible d’affecter la situation du
tiers (II).
I – LE TIERS EN DEHORS DU CHAMP CONTRACTUEL
L’article 1165 du Code civil, que le Doyen Carbonnier désignait comme le fidèle lieutenant de l’article 1134 du Code
civil et de la force obligatoire des conventions, en dispose clairement : la relativité des conventions implique que le
tiers est protégé des effets du contrat (A) comme exclu de son bénéfice (B).
A – Le tiers protégé des effets du contrat
Le droit civil des obligations et des contrats repose tout entier sur le sacro-saint- principe de l’autonomie de la
volonté. Cette volonté engage ; a contrario, celui qui est tiers n’est pas obligé par le contrat (1), mais peut dans
certaines hypothèses s’opposer aux engagements convenus (2).
1) Le tiers n’est pas obligé par le contrat
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S’il est acquis que le contrat est une norme, il ne saurait obliger de manière générale. Derrière l’évidence de cette
affirmation, se dessine un schéma conventionnel complexe rappelant que le contrat intègre l’ordre juridique en
provoquant des bouleversements patrimoniaux. En vertu du principe de la relativité des conventions, le juge est
institué, par le Code civil, garant du caractère limité de ces bouleversements.
Ainsi, la sphère contractuelle est par principe clairement délimitée puisque le principe de la relativité des
conventions interdit son extension à d’autres personnes que les contractants. C’est le sens d’une disposition
méconnue du Code civil, qui intervient comme un prélude aux dispositions essentielles : l’article 1119 du Code civil
prévoit que « On ne peut, en général, s’engager ni stipuler en son propre nom que pour soi-même ». L’article 1165 du
Code civil est la première disposition spécifiquement consacrée aux effets des obligations à l’égard des tiers.
Précisément, selon le doyen Weill, l’article 1165 détermine le domaine d’efficacité des contrats (Weill, La relativité
des conventions en droit privé français, Strasbourg, 1939). La combinaison entre ces dispositions conduit à un
constat essentiel : l’effet obligatoire des conventions ne joue qu’entre les parties. La doctrine libérale du XIXème
siècle affirmait le caractère absolu de ce principe, considérant que les tiers ne peuvent subir aucun effet né du
contrat. Les conséquences de la distinction sont tout aussi évidentes puisque, né de la rencontre des volontés, le
contrat constitue un acte juridique, c'est-à-dire destiné à produire des effets de droit entre les parties. L’acte engage
alors dans les termes des articles 1134 et suivants du Code civil et donc soumet les parties à la loi contractuelle et à
son obligatoriété.
C’est à ce titre que le contrat est opposable aux tiers. Dire que le contrat n’oblige pas les tiers signifie que les
contractants ne peuvent prévoir dans les contrats une obligation à la charge des tiers. Pour autant, cela ne signifie
pas qu’il est sans influence sur la situation juridique d’autrui. Relativité et opposabilité trouvent à se mêler s’agissant
des questions relatives à la circulation des obligations. Des mécanismes comme la délégation de créance (articles
1275 et suivants) ou la subrogation (articles 1250 et suivants) constituent des mécanismes visant au paiement et à
l’extinction d’obligations à la charge ou en faveur de tiers (par exemple, un subrogé peut être appelé à exécuter les
obligations du subrogé au bénéfice d’un tiers).
2) Le tiers peut s’opposer aux effets du contrat
Le projet de réforme du droit des contrats propose la consécration d’un nouvel article 1201 au sein du Code civil aux
termes duquel « Les tiers doivent respecter la situation juridique créée par le contrat. Ils peuvent s’en prévaloir
notamment pour apporter la preuve d’un fait ». Le contrat n’est pour le tiers qu’un fait juridique, c'est-à-dire a priori
sans effet voulu d’ordre personnel ou d’ordre patrimonial. Par conséquent, le contrat lui serait, en théorie,
indifférent. Cependant, le contrat valablement conclu intègre l’ordre juridique et les tiers peuvent indirectement
être concernés par l’influence exercée par le contrat sur leur environnement juridique. Reste que le tiers peut à ce
titre s’opposer aux effets du contrat parce qu’il lui nuit. Cette logique du droit des contrats connaît des
répercussions dans toutes les matières du droit, y compris en matière de procédure civile. C’est ainsi qu’un
important arrêt de l’Assemblée plénière de la Haute juridiction énonce que « constitue un droit fondamental, en
vue d’un procès équitable, le droit d’être pleinement informé de la faculté de contester devant un juge une
transaction opposée à celui qui n’y est pas partie » (Ass. plén. 29 mai 2009).
D’autres mécanismes classiques sont topiques. On désigne de vraies exceptions à la relativité des conventions, les
différentes actions détenues par un créancier visant à la préservation de sa créance et plus généralement, de son
patrimoine, et visant à la critique des conventions passées par son débiteur qui pourraient y contrevenir. Elles sont
au nombre de trois : d’abord, l’action oblique de l’article 1166 du Code civil qui, intentée par un créancier, vise à la
recomposition du patrimoine de son débiteur. Le créancier va ainsi pouvoir réclamer au débiteur de son débiteur
qu’il exécute son obligation à l’égard de ce dernier. Ensuite, l’action paulienne de l’article 1167 du Code civil qui,
intentée par un créancier, vise à lui rendre inopposable l’acte juridique passé par son débiteur en fraude de ses
droits. Enfin, l’action directe qui suppose un fondement légal ou conventionnel particulier et permet à un créancier
d’agir contre le débiteur de son débiteur en raison d’un droit qui lui est propre (l’exemple le plus topique réside dans
l’action prévue par la loi du 31 décembre 1975 du sous-traitant à l’encontre du maître de l’ouvrage débiteur à
l’égard de l’entrepreneur principal, lui-même débiteur du sous-traitant). Ces actions sont qualifiées de véritables
exceptions parce qu’elles offrent à un tiers la possibilité de critiquer un contrat (ex. de l’action paulienne) ou d’en
demander l’exécution (ex. de l’action oblique et de l’action directe).
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Au pareil, l’exemple de la simulation révèle la complexité des relations entre les parties à la convention et les tiers,
et précisément la possibilité pour des tiers de se prévaloir de la convention des parties. L’article 1321 du Code civil
dispose que « Les contre-lettres ne peuvent avoir leur effet qu’entre les parties contractantes ; elles n’ont point
d’effet contre les tiers ». La simulation peut se définir comme le fait pour les parties de dissimuler leur volonté réelle,
l’acte secret appelé « contre-lettre », aux tiers en leur exposant un acte simulé, appelé « acte ostensible ».
L’exemple le plus connu est la donation déguisée. Derrière un acte de vente, les parties vont, en réalité, dissimuler
une donation. L’on déduit d’une lecture a contrario du second membre de phrase de l’article 1321 du code civil,
l’existence d’une option au bénéfice des tiers. Les tiers peuvent invoquer l’acte ostensible par application de l’article
1165 du Code civil. Reste que si la contre-lettre ne peut leur nuire, ils peuvent aussi s’opposer aux effets de l’acte
apparent à leur égard. Ainsi, les tiers peuvent opter entre l’acte ostensible ou l’acte secret selon que leur bénéfice va
à l’invocation de l’un ou de l’autre.
Le contrat ni ne nuit ni ne profite au tiers : le tiers est naturellement protégé des effets du contrat ; cependant, le
corollaire est tout aussi évident, il se trouve exclu de son bénéfice.
B – Le tiers exclu du bénéfice du contrat
Au risque de la tautologie, le tiers n’étant pas partie, il n’est pas engagé : il n’est donc nullement tenu d’exécuter une
obligation conventionnelle ; de même, le tiers ne peut bénéficier directement des effets du contrat (1), cependant
qu’indirectement il peut parfois profiter de la situation générée par le contrat (2).
1) Le tiers ne peut bénéficier directement des effets du contrat
Le tiers ne saurait être débiteur contractuel. Nul ne saurait être obligé contre sa volonté en vertu des articles 1134 et
1165 du Code civil. Le corollaire est également à souligner : le tiers ne saurait être directement institué créancier
contractuel. Ainsi, par principe, un tiers ne peut demander l’exécution d’une convention, ni plus qu’invoquer une
stipulation contractuelle (Civ. 3ème, 25 septembre 2002 : sur les liens entre effet relatif et la copropriété).
Le droit de la famille offre d’intéressantes illustrations de cette affirmation : il est ainsi constant que si les droits d’un
époux né d’un contrat passé par lui tombent dans la communauté, son conjoint n’a pas la qualité de contractant, ce
qui implique qu’il ne peut exercer lui-même les actions en garantie ou en réparation de nature contractuelle qui
s’attachent à la convention (Civ. 2ème, 13 décembre 1989). Il en va de même du droit des sociétés : lorsque la société
est dotée de la personnalité morale, les associés ne peuvent prétendre agir directement à l’égard du débiteur social
défaillant, dès lors qu’ils ne sont pas liés par la convention et qu’ils n’apparaissent à l’égard du contractant de la
société que comme de simples tiers (Civ. 3ème, 8 novembre 2000).
Reste que le contrat peut être invoqué par le tiers. En effet, le contrat est opposable aux tiers mais également par les
tiers. L’opposabilité par les tiers signifie ainsi qu’ils peuvent s’en prévaloir. Il s’agit d’une consécration de la
jurisprudence constante de la Cour de cassation en la matière (Com. 19 octobre 1954). Reste que la Haute juridiction
pose une condition : « Si un tiers peut se prévaloir du contrat en tant que situation de fait, c'est à la condition que
celle-ci soit de nature à fonder l'application d'une règle juridique lui conférant le droit qu'il invoque » (Com. 18
décembre 2012). C’est à cette condition que le tiers peut bénéficier indirectement des effets du contrat.
2) Le tiers peut bénéficier indirectement des effets du contrat
En apparence aisée, la distinction entre partie et tiers n’est pas si tranchée qu’elle n’y parait : la dichotomie entre
tiers et parties n’est pas définitivement établie. L’impact de la convention sur les droits et obligations des parties est
susceptible de se propager indirectement et d’influencer les droits et obligations de tiers plus ou moins liés aux
contractants. C’est ainsi qu’en jurisprudence, l’on distingue non deux catégories de personnes mais trois : d’un côté,
les contractants, de l’autre, les penitus extranei, c'est-à-dire les tiers totalement étrangers à la convention et à ses
effets ; entre les deux, une troisième catégorie de personnes serait constituée de tiers affectés par les effets du
contrat. Si, pour elles, le contrat ne constitue qu’un fait juridique, ce dernier interfère patrimonialement avec leurs
droits et obligations. Se trouvent visées les personnes qui sont intervenues en vue de la réalisation de l’acte, tel
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qu’un représentant d’une des parties, un mandataire (Civ. 3ème, 24 février 1988, à propos du dirigeant de société) ou
encore, ceux qui sont tiers lors de la formation du contrat mais susceptibles a posteriori de se retrouver obligés par
la convention, tels que les ayants-cause à titre particulier (par exemple, l’acquéreur d’un bien immeuble faisant
l’objet d’un droit au bail) et bien évidemment les ayants-cause à titre universel (Com. 16 mars 1954 : sur la
transmission du contrat aux héritiers du contractant défunt).
Encore, il est des hypothèses légales dans lesquelles le tiers se voit reconnaître le bénéfice des effets du contrat. On
désigne fausses exceptions à l’effet relatif des contrats, la promesse de porte-fort et la stipulation pour autrui.
Prévue à l’article 1120 du Code civil, la promesse de porte fort est une convention par laquelle un promettant
s’engage envers un bénéficiaire à obtenir l’engagement d’un tiers à l’égard du bénéficiaire. Prévue à l’article 1121 du
Code civil, la stipulation pour autrui est la convention par laquelle un promettant s’engage auprès d’un stipulant à
exécuter une obligation au profit d’un tiers. La seconde est expressément envisagée comme exception par l’article
1165 du Code civil. La promesse de porte-fort et la stipulation pour autrui nuancent le principe de l’effet relatif des
conventions en ce qu’elles impliquent un schéma contractuel qui intègre un tiers. Ce ne sont pourtant que de
fausses exceptions, car le tiers ne participe pas à l’élaboration du contrat, ne peuvent en pâtir, en profite seulement
s’il y consent. Tel est le cas de l’assurance-décès (appelée communément assurance-vie) par lequel le promettant est
un assureur s’engage auprès du stipulant, le souscripteur, à verser une somme d’argent au profit d’un tiers, le
bénéficiaire.
Le juriste doit ainsi se garder d’une lecture trop manichéenne de la distinction entre partie et contrat, d’autant que
l’intégration du contrat dans l’ordre juridique n’est pas sans conséquence sur la situation de certains tiers
notamment les tiers intéressés. Par extension, le champ contractuel en principe limité aux patrimoines des
contractants rayonne au point d’emporter des conséquences sur les tiers.
II – LE RAYONNEMENT CONTRACTUEL AFFECTANT LE TIERS
La jurisprudence récente démontre le caractère erroné du postulat libéral selon lequel seule la volonté détermine les
effets du contrat et son rayonnement : la relativité des conventions est elle-même un principe relativisé en droit
positif. Les mutations du droit de la responsabilité civile (A) comme du droit des contrats (B) corroborent cette
affirmation.
A – Le rayonnement contractuel et les mutations du droit de la responsabilité civile
Dès le XIXème siècle, la jurisprudence a posé le principe de non-cumul des responsabilités contractuelle et
délictuelle. Ainsi, en 1890, la Haute juridiction a affirmé que : « le créancier d’une obligation contractuelle ne peut se
prévaloir contre le débiteur de cette obligation, quand bien même il y aurait intérêt, des règles de la responsabilité
délictuelle » (Req. 21 janvier 1890). Se dessine alors l’idée que l’effet relatif des conventions dresse une frontière
entre la situation du contractant et la situation du tiers. Pourtant, cette dichotomie n’est pas définitive, ni plus que la
frontière n’est imperméable. L’on constate une responsabilité du tiers dans l’inexécution du contrat (1) ou encore
une possible responsabilité du contractant à l’égard du tiers (2).
1) De la responsabilité du tiers dans l’inexécution du contrat
Le tiers n’est pas indifférent au contrat. Ce qui semble désormais établi connaît des fortes répercussions en droit de
la responsabilité. Si des pénitus extranei sont en mesure d’arguer leur méconnaissance d’une relation contractuelle,
tel n’est pas le cas de certains tiers dits intéressés ou susceptibles de le devenir dans le temps.
Est topique l’hypothèse dans laquelle un contractant argue d’un contrat pour rechercher la responsabilité d’un tiers
en suite de l’inexécution de ses obligations par le débiteur. Lorsqu’un lien de droit ou de fait se crée entre le
débiteur et le tiers et que celui-ci participe directement ou indirectement à l’inexécution, sa responsabilité peut être
recherchée. En apparence, il s’agit d’une simple application de l’opposabilité des conventions, puisqu’au soutien de
ses prétentions, le créancier contractuel, demandeur, va opposer au tiers le contrat. Cependant, en raison du
principe de la relativité des conventions, la responsabilité du tiers ne pourra être engagée que s’il est démontré qu’il
avait connaissance de l’obligation contractuelle inexécutée ou mal exécutée. Autrement dit, la responsabilité du
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tiers pourra être établie sur le fondement de l’article 1382 du Code civil, si une faute est caractérisée au travers de
deux éléments cumulatifs : la connaissance du tiers de l’obligation contractuelle et son rôle établi dans l’inexécution
de celle-ci.
C’est ainsi qu’une jurisprudence constante de la Cour de cassation pose les règles relatives à la responsabilité du
tiers pour complicité de l’inexécution contractuelle. Dans un arrêt fondamental sur ce point, les hauts conseillers ont
décidé que « toute personne qui, avec connaissance, aide autrui à enfreindre les obligations contractuelles pesant sur
lui, commet une faute délictuelle à l’égard de la victime de l’infraction » (Com. 11 octobre 1971). Cette formule
générale englobe des solutions prétoriennes déjà établies à la fin du XIXème siècle et au début du XXème, ce dont
témoigne l’important contentieux de la violation des engagements de non-concurrence (Civ. 27 mai 1908).
Précisément, un employeur qui embauche en connaissance de cause un salarié tenu par une obligation de nonconcurrence engage sa responsabilité délictuelle à l’égard de l’employeur précédent. L’on relève ainsi que si le
contrat ne saurait obliger un tiers, celui-ci peut être tenu de ne pas en empêcher l’exécution.
2) De la responsabilité du contractant du fait du tiers
Il est acquis que les tiers peuvent invoquer à leur profit la situation juridique ainsi créée, toutes les fois où ils sont en
mesure de faire la preuve d’un intérêt personnel. Parmi les conséquences majeures de cette faculté, le tiers
rechercher la responsabilité d’un contrat qui en exécutant le contrat ou, au contraire, en n’exécutant pas un contrat,
lui a causé un dommage. En pareille hypothèses, ce n’est pas la loi contractuelle qu’il invoque à son profit : il oppose
le contrat et les effets du contrat comme faits juridiques à l’origine d’un bouleversement indu de son patrimoine.
Dans les chaînes translatives de propriété, le fondement de la responsabilité entre deux acteurs de la chaîne non
directement liés est établi en considération de la chose. Cet intuitus rei commande que la responsabilité soit par
principe de nature contractuelle alors même que le demandeur à l’action et le défendeur ne sont pas parties à un
même contrat de vente. L’on considère alors que les actions en garantie par essence contractuelles sont transmises
en même temps que la chose elle-même tout au long de la chaîne des conventions. Pourtant, une telle action en
responsabilité contractuelle dans les chaînes de contrats translatives de propriété est aujourd’hui concurrencée
sinon dépassée par l’action en responsabilité du fait des produits défectueux. L’action prévue aux articles 1386-1 et
suivants du Code civil prévoit que lorsque les conditions en sont réunies, l’action joue pleinement et transcende le
clivage traditionnel entre la responsabilité contractuelle et la responsabilité délictuelle, de sorte que la relativité des
conventions devient inutile quant à la détermination du fondement de la responsabilité en cause. La qualité
d’acquéreur et la qualité d’acteur de la chaîne de commercialisation d’un produit se substitue à celle de partie et de
tiers.
Dans les chaînes de contrats non translatives de propriété, le fondement de la responsabilité du contractant vis-à-vis
du tiers est de nature délictuelle, ce qui est établi, depuis le célèbre arrêt de l’Assemblée plénière du 12 juillet 1991,
rendu dans l’affaire Besse. Dans cette décision, la formation plénière de la Cour de cassation décide, au visa de
l’article 1165 du Code civil, que « le sous-traitant n’étant pas contractuellement lié au maître d’œuvre, l’action de ce
dernier ne peut être que délictuelle ». Par suite, les différentes formations se sont interrogées sur la nature et l’objet
de la faute délictuelle devant être prise en compte. Ces débats controversés ont conduit à une nouvelle réunion de
l’Assemblée plénière de la Cour régulatrice qui a rendu, le 6 octobre 2006, l’important arrêt Bootshop, porté par un
principe aux termes duquel « le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un
manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage ». Si la portée de cette décision a été
nuancée par la suite au travers de l’étude des deux autres conditions de la responsabilité délictuelle, elle témoigne
du rapprochement évident entre les deux ordres de responsabilité. Précisément, la solution confine à une
appréhension identique des fautes contractuelle et délictuelle dans le cadre des chaînes de contrat non translatives
de propriété, et procède d’un mouvement de dérelativisation de la responsabilité contractuelle.
C’est ainsi que le développement des chaînes de contrats a mené à un affaiblissement du principe en matière de
responsabilité. La problématique davantage particulière des groupes de contrat a également conduit dans la
jurisprudence récente à une nouvelle remise en cause de la distinction entre parties et tiers et donc à autre mise en
évidence du rayonnement contractuel à l’égard de ces derniers.
B – Le tiers et le droit des ensembles contractuels
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La complexité nouvelle des contrats d’affaires a pour conséquence de lier au sein d’une même opération, au sein
d’un même ensemble conventionnel, une pluralité d’acteurs économiques parfois parties, parfois tiers qui se
trouvent intéressés et affectés par les différentes interactions. Le juge s’appuie sur les mécanismes d’indivisibilité et
d’interdépendance (1) pour régler les relations patrimoniales des parties et tiers à l’opération (2).
1) De l’indivisibilité et de l’interdépendance contractuelles
La question des ensembles de contrats est davantage particulière que celle des chaînes de contrats. Elle constitue un
nouveau chantier pour la Haute juridiction confrontée à la mise en œuvre de l’article 1165 du Code civil dans le
cadre d’opérations conventionnelles complexes. L’hypothèse est celle d’une opération tripartite, dans laquelle une
personne contracte, d’une part, une convention portant sur une prestation de services et/ou de mise à disposition
de matériels et, d’autre part, une convention de financement en vue de la location visée par le premier contrat. A
l’égard du contractant principal, deux conventions sont donc conclues et intimement liées d’un point de vue
économique. Juridiquement, est identifiée une indivisibilité ou interdépendance contractuelle. La définition du
critère d’indivisibilité a longtemps posé problème en jurisprudence. La doctrine oppose généralement deux types
d'indivisibilité : l'une, subjective, qui serait toute entière assise sur la commune intention des parties, et l'autre,
objective, qui découlerait de la profonde unité économique d'un ensemble où chaque convention n'aurait aucun
sens sans les autres. Cette opposition a entraîné d’importants débats prétoriens, conduisant à une nécessaire
conciliation entre les différentes formations de la cour.
Par deux arrêts rendus le 17 mai 2013, la Cour de cassation, en chambre mixte, apporte une réponse au problème
essentiel et récurrent de l’interdépendance contractuelle, à l’origine d’un contentieux quantitativement fourni et
d’appréciations jurisprudentielles disparates. Dans les deux affaires soumises, il revenait à la Cour de cassation
réunie en chambre mixte de déterminer si, dans le cadre des opérations en cause, les contrats devaient être qualifiés
d’interdépendants et, le cas échéant, si la volonté des parties était susceptible d’influer sur cette qualification ?
Autrement posée, la question est celle de la portée d’une clause de divisibilité dans un ensemble de contrats
économiquement liés. Réunie en chambre mixte, la Cour de cassation rejette le pourvoi formé à l'encontre de l'arrêt
de la cour d'appel de Paris et casse l'arrêt de la cour d'appel de Lyon. Dans les deux cas, l’attendu de principe est
identique : « Attendu que les contrats concomitants ou successifs qui s’inscrivent dans une opération incluant une
location financière, sont interdépendants et que sont réputées non écrites les clauses des contrats inconciliables avec
cette interdépendance ». Ainsi, la chambre mixte refuse de donner effet à une clause de divisibilité contractuelle
insérée dans les conventions en cause. Le fondement de cette interdépendance contractuelle est l’article 1218 du
Code civil (Com. 14 janvier 2014). C’est ce même texte qui pose le principe d’indivisibilité obligationnelle qui sert de
fondement à deux décisions récentes de la Haute juridiction pour dire l’indivisibilité entre un contrat de vente et un
contrat de prêt (Civ. 1ère, 10 septembre 2015, 2 arrêts). La Cour de cassation déduit de cette indivisibilité au sein de
l’ensemble contractuel les conséquences patrimoniales pour les contractants comme pour les tiers.
2) Des conséquences sur les situations patrimoniales du contractant et du tiers
Le droit nouveau et prétorien des ensembles contractuels participe à nuancer sinon nier la frontière entre
contractant et tiers : dans ces opérations complexes, les contrats, qu’ils soient dit interdépendants ou indivisibles,
lient irrémédiablement les situations patrimoniales des différents acteurs.
En matière de location financière, l’établissement de crédit qui finance l’opération est tiers au contrat de location.
Pourtant, l’anéantissement du contrat de location va conduire à la caducité du contrat de financement (Com. 4
novembre 2014). Dans l’ensemble contractuel constitué d’un contrat de vente et d’installation et d’une convention
de prêt, l’établissement de crédit se trouve là encore tiers à la première convention. Pourtant, la résolution du
contrat de vente entraîne la résolution du contrat d’emprunt (Civ. 1ère, 10 septembre 2015, 2 arrêts). Autrement dit,
le tiers voit ses prétentions contractuelles nées du contrat accessoire de financement s’effondrer du fait de la
disparition du contrat principal. L’anéantissement de la relation contractuelle initiale impacte donc
irrémédiablement la situation patrimoniale de celui qui n’est définitivement plus un tiers protégé par la relativité des
conventions.
Se révèle alors de manière implicite l’une des justifications de ce modèle judiciaire. Si le tiers est affecté par le
rayonnement contractuel, si le juge décide de ne plus exclure le tiers du champ contractuel, si le juge accepte de voir
peser sur le patrimoine du tiers, les conséquences des affres d’une relation contractuelle, c’est qu’il est animé de la
volonté de justice contractuelle, de protéger le faible à la convention, à l’opération : celui qui est partie à tous les
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contrats composant l’ensemble. La préservation des intérêts économiques de la partie faible commande l’inflexion
de la frontière dressée par le Code civil.
En conclusion, la conception classique de la relativité des conventions semble aujourd’hui remise en cause par un
modèle judiciaire global qui ne permet plus de considérer le tiers comme en dehors du champ contractuel en toutes
hypothèses. Le tiers ne peut définitivement ignorer la réalité du contrat et le contractant ne peut ignorer les
conséquences de sa volonté sur la situation du tiers. Cette interaction nouvelle entre le contrat et le tiers explique
l’affaiblissement du principe prétorien de non-cumul des responsabilités délictuelle et contractuelle, lequel a
vocation pourtant à être consacré dans la prochaine réforme de la responsabilité civile.
Droit civil
CAS PRATIQUE
Cas Monsieur Blain
Corrigé élaboré par Franck Touret
Monsieur Blain est confronté à deux séries de difficultés, d’une part dans le cadre de sa vie professionnelle (I) et,
d’autre part, dans sa vie personnelle (II).
I/ LES DIFFICULTÉS PROFESSIONNELLES DE MONSIEUR BLAIN
Dans le cadre de son activité professionnelle, Monsieur Blain a souscrit divers contrats : un contrat de location de
vidéos (A) et un contrat de prêt (B).
A/ Le contrat de location de vidéos
Monsieur Blain a conclu un contrat de location de vidéos d’une durée d’un an, renouvelable, pour un loyer mensuel
de 1 000 euros.
Le fondement de la nullité
Ayant ouvert son commerce dans un petit village des Pyrénées, il est possible de s’interroger sur la validité d’un tel
contrat sur le fondement de la cause et de l’erreur sur la rentabilité économique.
Sur le fondement de la cause
Visée par les articles 1108 et 1131 et suivants du Code civil, la cause peut être définie comme la raison d’être de
l’engagement des contractants.
À côté de la cause objective, qui est le but immédiat et direct qui conduit le débiteur à s’engager, la cause subjective,
principalement visée par l’article 1133 du Code civil, peut se définir comme le motif déterminant ayant poussé le
débiteur à s’engager. Il s’agit ici d’une recherche des mobiles des parties.
Dans cette espèce, la cause cause objective ne pose pas de difficultés.
Les juges ont élargi les critères d’appréciation de la cause afin de considérer l’économie globale de la convention
voulue par les parties, c’est-à-dire leurs objectifs respectifs. A ainsi été annulé pour défaut de cause, un contrat de
location de cassettes vidéo en vue de l’exploitation d’un commerce dans une commune de 1 314 habitants, dès lors
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que son exécution « selon l’économie voulue par les parties était impossible » et l’activité vouée à l’échec compte
tenu de la petite taille de la commune (Civ. 1re, 3 juill. 1996, no 94-14.800).
En l’espèce, le commerce étant installé dans un petit village des Pyrénées, l’on peut supposer que le nombre
d’habitants est très retreint pour louer des vidéos. Monsieur Blain pourrait donc invoquer l’absence de cause pour
obtenir la nullité du contrat de location des vidéos.
Toutefois, la Cour de cassation a raidi les conditions d’entrée de ce but dans le champ contractuel. Aussi un élément
factuel pourrait rendre incertaine la solution. En effet, Monsieur Blain travaillait préalablement dans une société
créant des logiciels de gestion des stocks d’un vidéo club.
Or, dans une espèce relative à un contrat de location de vidéocassettes, la Chambre commerciale a considéré que le
demandeur n’apportait « que des éléments insuffisants à établir l’impossibilité qu’il allègue » de réaliser les objectifs
qu’il avait lui-même fixés, dans un contexte qui lui était parfaitement connu (Com., 27 mars 2007, n 06-10.452).
Aussi, Monsieur Blain ne pouvait ignorer, en tant que professionnel, qu’il n’aurait un public suffisant pour louer ses
vidéos.
En conséquence, le prononcé de la nullité est incertain sur le fondement de la cause.
L’erreur sur la rentabilité économique
Définie comme l’erreur (art. 1110 C. civ.) portant sur l’aptitude de la chose ou de la prestation à procurer les
avantages économiques que l’on en attend, l’erreur sur la rentabilité est en principe tenue pour indifférente (Civ. 3e,
31 mars 2005, n° 03-20.096).
Ici, la croyance erronée de Monsieur Blain sur la rentabilité économique ne devrait donc pas être prise en
considération.
Ce principe est néanmoins écarté, en jurisprudence, lorsque la rentabilité apparaît comme inhérente à l’utilité même
de l’opération. En effet, la Cour de cassation a admis, à propos d’un contrat de franchise, la nullité « pour erreur
substantielle sur la rentabilité de l’activité entreprise » (Com. 4 oct. 2011, no 10-20.956 ; confirmé par Com., 12 juin
2012, n° 11-19.047).
En l’espèce, il est seulement précisé qu’il s’agit d’un contrat de location de vidéos.
Toutefois, le juge n’est pas lié par la qualification des parties et pourrait requalifier l’opération en contrat de
franchise (art. 1142 C. civ.), qui est un contrat assez courant en matière de vidéoclub, afin de prononcer la nullité
pour erreur sur la rentabilité économique.
En conséquence, Monsieur Blain pourrait solliciter la requalification du contrat de prêt de location de vidéos en
contrat de franchise et ainsi invoquer l’erreur sur la rentabilité économique.
Reste à déterminer le tribunal compétent, aussi bien sur le fondement de la cause que sur le fondement de l’erreur.
La compétence
Pour la compétence matérielle, le tribunal de grande instance est la juridiction de droit commun. En effet, « Le TGI
connaît de toutes les affaires civiles et commerciales pour lesquelles compétence n’est pas attribuée, en raison de la
nature de l’affaire ou du montant de la demande à une autre juridiction » (art. L. 211-3 COJ).
Toutefois, en vertu de l’article L. 721-3 du Code de commerce, les juridictions commerciales sont compétentes pour
connaître des contestations entre commerçants, et des contestations relatives aux actes de commerce « entre
toutes personnes ».
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En l’espèce, Monsieur Blain est commerçant et il en est également ainsi de la société VidéoLoc. En conséquence, le
tribunal de commerce est compétent.
Pour la compétence territoriale, l’article 42 du Code de procédure civile dispose que « la juridiction territorialement
compétente est, sauf disposition contraire, celle du lieu où demeure le défendeur ».
Le défendeur est ici, la société Vidéoloc.
S’agissant d’une personne morale, il faut se référer au lieu où celle-ci est établie. Il peut alors s’agir du lieu où le
siège social de la société est fixé, mais aussi – en vertu de la jurisprudence dite des « gares principales » – du lieu où
la défenderesse a une succursale (Cass. 19 juin 1876).
De plus, l’article 46 du Code de procédure civile énonce un certain nombre de matières dans lesquelles le
demandeur peut, outre la juridiction du lieu où demeure le défendeur, saisir à son choix, une ou plusieurs autres
juridictions. Ainsi, en matière contractuelle, le choix de la juridiction est triple : le lieu où le défendeur demeure ; le
lieu de livraison effective de la chose et le lieu d’exécution de la prestation de service.
Ainsi, Monsieur Blain pourrait assigner la société VidéoLoc devant le tribunal de commerce du lieu du défendeur ou
au lieu d’exécution de la prestation de service.
B/ Le contrat de prêt de la banque
Le sort du contrat de prêt octroyé peut être envisagé sous deux angles, d’une part dans le cadre d’un ensemble
contractuel (1) et, d’autre part de manière isolée (2).
1/ Le contrat de prêt figurant au sein d’un ensemble
La remise en cause d’un contrat, notamment du fait de son annulation, peut-elle produire des effets sur l’existence
d’un autre contrat ?
Dans le cas particulier, où l’ensemble contractuel comprend une location financière, la chambre mixte de la Cour de
cassation a affirmé, dans deux arrêts du 17 mai 2013 (CM, 17 mai 2013, no 11-22.768), sur le fondement de l’article
1134 du Code civil, que les différents contrats de cet ensemble étaient nécessairement interdépendants et que toute
clause contraire devait être réputée non écrite. La jurisprudence postérieure a repris cette solution en usant
également du fondement de l’article 1218 du Code civil (Com. 14 janvier 2014, no 12-20.582).
Néanmoins, en l’espèce il ne s’agit pas d’une location financière.
Dans les autres hypothèses, la théorie de la cause est fréquemment utilisée par la jurisprudence pour expliquer
qu’au sein d’un ensemble contractuel un contrat perdre sa cause par suite de l’annulation, la résolution ou la
résiliation d’une autre convention avec laquelle il était indivisiblement lié, et se voir ainsi frappé de caducité (Civ. 1re,
28 oct. 2010, no 09-68.014).
Dans l’hypothèse de la nullité du contrat de prêt de location de vidéos, l’on peut dès lors s’interroger sur le sort du
contrat de prêt octroyé par la Caisse régionale d’épargne.
Récemment, la Cour de cassation a affirmé qu’en dehors même des dispositions du Code de la consommation, la
résolution du contrat de vente emporte l’anéantissement du contrat de prêt du fait de l’indivisibilité de ces deux
contrats (Civ. 1re, 10 sept. 2015, n° 14-13.658 ; Civ. 1re, 10 sept. 2015, n° 14-17.772).
Il est précisé que le contrat de prêt professionnel accordé par la Caisse régionale d’épargne à Monsieur Blain avait
pour objet de financer l’acquisition du droit au bail et divers travaux d’installation.
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L’indivisibilité ou l’interdépendance constituant le fondement suffisant de la caducité des éléments non viciés de
l’ensemble, dans l’hypothèse d’une annulation du contrat de location vidéo, le commerce n’a donc plus aucune
utilité.
Dans le cadre procédural, si Monsieur Blain se fonde sur l’indivisibilité des conventions, il s’agira d’une pluralité de
demandes initiales dirigées par un seul demandeur contre un défendeur unique. Dans cette hypothèse, la
compétence dépendra du point de savoir si les demandes sont fondées sur un même fait ou si elles sont connexes.
Le principe est que chacune doit être considérée isolément, dans sa nature et son montant, pour déterminer la
compétence et le taux de ressort (art. 35, al. 1er CPC). Par exception, si ces différentes prétentions, réunies dans une
même instance, « sont fondées sur les mêmes faits ou sont connexes », il faut alors additionner la valeur de chaque
demande pour déterminer le taux de compétence et le taux de ressort (art. 35, al. 2 CPC).
Néanmoins, ce débat est ici évacué, puisque la demande de nullité du contrat de location de vidéo et de caducité du
contrat prêt serait présentée devant le tribunal de commerce.
En cas de rejet de la demande de nullité du contrat de location vidéo, il serait possible d’envisager dans ce cas la
responsabilité de l’établissement de crédit.
2/ La responsabilité du prêteur
En matière de prêt d’argent, de nombreuses décisions ont retenu la responsabilité de banquiers à l’égard de leurs
clients du fait de l’octroi d’un prêt, en se fondant sur l’article 1147 du Code civil.
En principe, l’irresponsabilité est la règle et la responsabilité, l’exception.
Toutefois, pèse sur la banque un double devoir de mise en garde des emprunteurs profanes et de vérification de
leurs capacités financières (Civ. 1re, 12 juill. 2005, 4 arrêts).
Ainsi, pèse sur le banquier une obligation d’attirer l’attention de l’emprunteur sur l’importance de l’endettement
résultant du prêt (Civ. 1re, 27 juin 1995).
En l’espèce, il est précisé que Monsieur Blain était endetté depuis plusieurs années, notamment en raison de son
train de vie élevé.
Toutefois, le préjudice né du manquement par un établissement de crédit à son obligation de mise en garde
s’analyse en la perte d’une chance de ne pas contracter (Com. 20 oct. 2009, no 08-20.274).
Ainsi, si Monsieur Blain intente une action en responsabilité à l’encontre de la Caisse régionale d’épargne, il ne
pourra obtenir que réparation de la perte de chance de ne pas contracter.
Aux termes de l’article L721-3 1o du Code de commerce, les tribunaux de commerce connaissent des contestations
relatives aux engagements entre commerçants, entre établissements de crédit, entre sociétés de financement ou
entre eux.
En l’espèce, Monsieur Blain agit en sa qualité de commerçant à l’encontre d’un établissement de crédit. Le tribunal
de commerce est donc compétent.
Par principe, selon les termes de l’article 42 du Code de procédure civile, « La juridiction territorialement compétente
est, sauf disposition contraire, celle du lieu où demeure le défendeur ».
Pour une personne morale, il s’agit du lieu où elle est établie (art. 43 CPC), le siège social pour les sociétés. Le lieu est
fixé dans les statuts. Une vieille jurisprudence a assoupli la règle cette compétence lorsque la personne morale a des
succursales réparties sur le territoire. Par faveur pour les demandeurs, la Cour de cassation a accepté qu’on puisse
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assigner ces sociétés (de chemins de fer, d’assurances, de crédit, etc.), au tribunal du lieu de l’une de leurs
succursales (Cass. 19 juin 1876).
De surcroît, selon l’article 46 du Code de procédure civile, la loi ouvre une option au demandeur entre deux ou
plusieurs tribunaux, parmi lesquels il peut y avoir celui du lieu où demeure le défendeur. Le demandeur a la faculté
de porter le litige, selon la nature du contrat, soit devant la juridiction du lieu de la livraison effective de la chose,
soit devant celle du lieu de l’exécution de la prestation de services.
Ainsi, Monsieur Blain pourra assigner la succursale locale, qui lui a accordé le crédit devant le tribunal de commerce
du lieu d’établissement de la Caisse d’Épargne régionale, ou le lieu d’exécution de la prestation.
II/ LES DIFFICULTÉS PERSONNELLES DE MONSIEUR BLAIN
Monsieur Blain vivait en union libre avec Madame Lambert. Toutefois, il a eu une relation avec une autre femme.
Madame Lambert ayant eu connaissance de cette relation décide de rompre. Elle réclame à Monsieur Lambert une
commode ainsi que deux chandeliers alors que le concubin réclame une tablette.
Monsieur Blain et Madame Lambert vivaient en union libre, ce qui exclut donc toute qualification matrimoniale et
par extension l’application des régimes matrimoniaux. Dès lors, Monsieur Blain et Madame Lambert vivant en
concubinage, il convient de se référer au droit commun des biens, aussi bien pour la commode et les chandeliers (A),
que pour la tablette tactile B).
A/ Sur la commode et les chandeliers
Un concubin, sur le fondement de l’article 2276 du Code civil, peut-il conserver des biens meubles apportés par sa
concubine ?
Le concubin peut s’opposer à la demande de restitution de sa compagne en soulevant l’article 2276 alinéa 1er du
Code civil. Cet article, qui dispose qu’ « en fait de meubles, la possession vaut titre » intervient dans le cadre d’un
procès en revendication mobilière.
Affirmer que la possession vaut titre peut signifier soit que la possession fait présumer l’existence d’un titre
translatif, soit qu’elle est par elle-même, en matière mobilière, un mode légal d’acquisition. Ainsi, la règle, sous une
formulation unique, recouvre une dualité de sens.
Elle peut d’abord jouer sur le seul terrain probatoire pour, dans un procès pétitoire, conférer à celui qui possède le
meuble l’avantage de ne pas avoir à prouver l’existence d’un titre translatif à son profit, ce titre étant présumé.
Elle peut aussi intervenir comme mode d’acquisition originaire de la propriété : celui qui a acquis un meuble d’un
non-propriétaire, pour peu qu’au moment de sa mise en possession, il ait été de bonne foi, pourra opposer l’article
2276 du Code civil au propriétaire légitime du bien qui le revendique. La règle nemo plus juris ad alium transferre
potest, qui prive son acquisition de toute efficacité quant au transfert de la propriété du meuble, est paralysée par la
maxime en fait de meubles, la possession vaut titre, si bien que faute d’être devenu propriétaire en vertu de son
acquisition, le possesseur de bonne foi le devient par la force de la loi.
En conséquence, le concubin est présumé être le propriétaire de la commode et des deux chandeliers.
Toutefois, la concubine pourra rapporter la preuve contraire qu’elle est la propriétaire desdits meubles. Elle pourra
invoquer un contrat de détention provisoire ou un contrat de prêt, ou critiquer la possession.
Or en l’espèce, il est justement précisé que la concubine, étant antiquaire, a apporté les biens en cause en attendant
de les vendre, ce qui pourrait s’apparenter à un contrat de dépôt.
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La concubine devra intenter une action en revendication, qui est une action pétitoire. L’action est celle qu’exerce le
propriétaire, en cette qualité, contre le tiers qui détient indûment son bien et refuse de le restituer en contestant
son droit. Elle tend à la reconnaissance du droit de propriété et à la restitution du bien.
S’agissant d’une action mobilière, la répartition du contentieux se réalise en fonction du montant de la demande.
Le tribunal de grande instance bénéficie de la plénitude de juridiction. Il a donc vocation à connaître de tout le
contentieux privé (art. L. 211-3 COJ) relatif à une action personnelle ou mobilière lorsque le montant de l’intérêt en
jeu est supérieur à un certain montant, actuellement fixé à 10 000 euros.
Le tribunal d’instance est compétent pour connaître des actions personnelles ou mobilières dans une double limite
de montant. La limite supérieure est fixée à 10 000 euros (art. L. 221-4 COJ), et la limite inférieure résulte des règles
de compétence de la juridiction de proximité, laquelle connaît des actions personnelles ou mobilières jusqu’à la
valeur de 4000 euros (art. L. 231-3 COJ).
À défaut de précision du montant de la commode et des chandeliers, il semble difficile de préciser le tribunal
matériellement compétent.
En revanche, aux termes de l’article 42 du Code de procédure civile, « La juridiction territorialement compétente est,
sauf disposition contraire, celle du lieu où demeure le défendeur. ».
L’action intentée par la concubine en revendication mobilière devra être portée devant le tribunal compétent de
celui du lieu de domicile de Monsieur Blain.
B/ Pour la tablette
Monsieur Blain, qui a prêté une tablette à son ancienne concubine, souhaite la récupérer.
Si les possesseurs successifs d’un meuble le sont souvent en faveur d’un contrat antérieur conclu portant
précisément sur le meuble objet du litige.
En l’espèce, le bien, objet du litige, a été transmis en raison d’un contrat de prêt.
Lorsque le demandeur réclame à un défendeur qu’il tient pour son ayant-cause la restitution du meuble motif pris
soit de la nature du contrat, contrat qui l’oblige précisément à une telle restitution (prêt, dépôt, séquestre, etc.), soit
de ses vices (nullité), soit de son inexécution (résolution), seul l’article 1315 du Code civil a vocation à s’appliquer
(Cass. req., 10 avr. 1922).
Aux termes de l’article 1315 du Code civil, « celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver ». C’est
donc à celui qui exige l’exécution d’une obligation personnelle de restitution d’établir qu’une telle obligation existe
bien à la charge du défendeur.
Ainsi, Monsieur Blain devra rapporter la preuve de l’existence d’une obligation de restitution de Madame Lambert et
de donc du contrat de prêt.
Toutefois, si l’action personnelle en restitution est vouée à l’échec, le demandeur peut décider de se placer sur le
terrain réel et exercer une action en revendication. Ainsi, lorsque l’action en restitution est éteinte par prescription,
l’action en revendication, à la supposer imprescriptible, permettra au propriétaire de recouvrer son meuble (Civ. 1re,
20 déc. 1994, n° 93-11.624).
Monsieur Blain devrait établir à son profit une possession antérieure meilleure, c’est-à-dire exempte de vices,
assortie le cas échéant d’un titre, pour l’emporter et obtenir la restitution du bien.
Ici, il est précisé que Monsieur Blain a reçu ladite tablette par un don de sa maîtresse.
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En conclusion, soit Monsieur Blain parvient à démontrer l’existence du contrat de prêt et par extension l’obligation
de restitution, il devra alors se fonder sur l’article 1315 du Code civil ; soit il devra démontrer, dans le cadre d’une
action en revendication, qu’il est le propriétaire au titre d’un don et/ou que sa possession est meilleure.
Culture générale
DISSERTATION
Le modèle européen
Pour l’homme du XVIIIème siècle, le modèle européen était un synonyme de la civilisation occidentale,
pensée comme la forme la plus aboutie des progrès de l’humanité.
Trois siècles plus tard, le modèle européen renvoie plus précisément à une construction engagée sur les
ruines de la Seconde guerre mondiale dans le cadre du Conseil de l’Europe puis de la Communauté européenne. Par
son processus d’intégration et les valeurs qui l’inspirent, l’Europe serait revenue un exemple susceptible d’être
imitée ou du moins d’inspirer le reste du monde.
Pourtant, dans l’actualité très récente, lorsque des dissensions sont apparues au grand jour face à la crise
dite des migrants la question s’est posée avec une acuité inédite de l’existence d’une crise de ce modèle européen,
modèle d’institutions et de valeurs communes. Les problèmes que connaît l’Europe de 2016 témoignent-ils de cette
incapacité de l’Union à incarner un modèle politique et économique ? Plus profondément, qu’en est-il de l’idée selon
laquelle l’Europe constituerait une référence en termes de démocratie transnationale et de droits de l’homme ? Le
modèle européen est-il en crise ?
En fait, l’Union européenne demeure un modèle attractif même s’il risque paradoxalement de devenir lui-même
facteur de crise (I). Face aux risques de dilution du modèle européen dans le cadre de la mondialisation, c’est sans
doute en revenant à ses valeurs que le modèle européen pourra continuer de s’affirmer (II).
I.
Un modèle reconnu dont la crise est paradoxale
A. L’Union européenne demeure un modèle unique et attractif
Plus d’un demi-siècle après le début de sa création, la construction européenne s’est imposée comme un
modèle unique et attractif, au plan politique comme au plan économique.
Entamée à l’issue de la seconde guerre mondiale, la construction européenne porte un projet politique
unique qui a permis de réunir, autour d’un but de paix, des nations historiquement en conflit les unes contre
les autres. À la base de la fondation de l’Europe contemporaine, ce projet s’est avéré un succès près de
soixante-cinq ans plus tard. L’Europe par son exemple ouvre ainsi la perspective d’un modèle moderne de la
paix perpétuelle telle que décrite par Emmanuel Kant. Cette idée originelle d’un espace de paix, portée par
Jean Monnet et Robert Schuman, s’est enrichie au fur et mesure des années afin de constituer un espace
unique et inégalé de coopération internationale et régionale regroupant 28 pays qui décident ensemble de
leur avenir au sein d’institutions supra-étatiques communes.
Ce projet politique reçoit, dès 1950 avec l’instauration de la Communauté du charbon et de l’acier, puis avec
le Traité de Rome de 1957, une dimension économique. Il s’agit ainsi, comme l’a évoqué Emmanuel
Wallerstein dans Le Système du monde du XVe siècle à nos jours, d’un espace économiquement autonome,
délimité dans sa taille par le temps de déplacement de ses occupants, des objets et des communications. Ce
concept de « système-monde » est une extension de celui d’« économie-monde » développé par l’historien
français Fernand Braudel à la même époque. Il caractérise ainsi l’Europe qui, si elle se donne
progressivement des institutions politiques communes, place l’économie et les échanges au cœur même de
son projet. Ainsi, l’Europe communautaire a incarné pendant longtemps le seul modèle économique intégré
duquel se sont inspirées d’autres zones d’intégration économiques telles que l’Alena et le Mercosur. De plus,
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l’Europe présente un modèle très spécifique d’économie sociale qui se caractérise à la fois par une très forte
intégration dans l’économie internationale en tant qu’elle est la première force commerciale du monde et
qu’elle peut s’appuyer sur une monnaie forte, l’euro, tout en maintenant un rôle important de l’Etat
providence. A ce titre, l’Europe représente un modèle distinct du capitalisme anglo-saxon qui apporte la
preuve qu’il est possible d’être ancré dans la compétition mondiale en menant des politiques économiques
sociales et en adoptant un modèle de développement durable sur le plan écologique.
À la confluence de ses deux facettes, économique et politique, le projet européen se présente aussi comme
un modèle de défense de la démocratie et des droits fondamentaux. Dans le prolongement de la Convention
européenne des droits de l’homme aujourd’hui étendue à l’ensemble du continent, l’existence d’une
démocratie politique est un prérequis indispensable pour tout pays de l’Union européenne. Plus que
symbolique, cette dimension du modèle européen s’est avérée particulièrement efficace pour consolider les
régimes démocratiques à travers l’Europe. Les perspectives d’adhésion à cet espace unique ont ainsi pu
soutenir les processus démocratiques en Europe du Sud à la suite de la chute des dictatures. De la même
façon, par l’intégration des anciennes démocraties populaires au sein de l’espace européen dans les années
2000, l’Union européenne a permis d’accompagner la transition démocratique des pays de l’Est de l’Europe.
Cette attractivité du modèle européen et son efficacité dans la défense des droits fondamentaux sont
encore prégnants et permettent de susciter des débats dans des pays tels que l’Ukraine et la Turquie qui
réfléchissent à la possibilité d’une intégration européenne à moyen-terme.
Enfin, sur le plan diplomatique, l’Union européenne promeut une vision polycentrée des relations
internationales qui refuse l’idée d’un affrontement Nord-Sud tout en rejetant l’hypothèse de Samuel
Huntington de choc des civilisations. Son action en matière de normes sociales et environnementales la
distingue aussi des Etats-Unis offrant un possible modèle alternatif.
Pourtant si le modèle européen semble particulièrement adapté au mode contemporain, sa crise est
devenue un thème récurrent.
B. La crise d’un modèle forgé pour protéger des crises
De la crise de la « chaise vide » de la France dans les années 1960 jusqu’à celle qui a abouti à la création du
fameux « chèque britannique » au début des années 1980, l’Europe s’est construite de crises en crises. Celle
qui l’affecte aujourd’hui est toutefois source d’une inquiétude particulière.
La conscience aiguë de la crise actuelle du modèle s’est accélérée sous l’effet des difficultés de la zone euro
liée notamment à la question grecque, de la crise migratoire et de la perspective d’une sortie du RoyaumeUni de l’Union européenne. Cette crise affecte les composantes essentielles du modèle européen. D’une
part, elle touche l’Europe en tant que modèle « d’intégration toujours plus étroite » (selon la formule du
Traité de Lisbonne) et de solidarité entre les Etats, qu’il s’agisse à la fois de la solidarité financière ou de celle
témoignée par la difficulté rencontrée dans répartition de quelques dizaines de milliers de demandeurs
d’asile alors qu’ils sont sans doute près d’un million à entrer en Europe. D’autre part, cette dernière crise
semble remettre en cause l’identification de l’Europe à certaines valeurs humanistes et à la protection des
droits fondamentaux. Enfin, la période récente semble remettre en exergue la difficulté du modèle
européen à faire émerger une puissance globale capable de parler d’une seule voix et d’agir notamment au
Proche-Orient qui représente pourtant son voisinage immédiat.
La nouveauté réside sans doute dans le fait que la gravité de la crise vécue au niveau européen est un
facteur de crise au sein même des Etats-membres. Au début du XXIème siècle, l’intégration européenne est
telle qu’il n’est plus possible d’établir une frontière étanche entre problèmes européens et problèmes
nationaux. Aussi la crise du modèle européen nourrit-elle de façon privilégiée le succès des mouvements
populistes qui y voient l’incarnation de l’impuissance des institutions face aux défis du monde et de la perte
de souveraineté des nations.
Cet situation apparaît pourtant comme paradoxale dans la mesure où la principale version d’être de la
construction européenne était précisément de protéger le Vieux continent des crises : qu’il s’agisse des
guerres au sein de l’Europe, comme de la guerre froide (en assurant l’unité de l’Europe de l’ouest) ou encore
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de crise économique, financière et monétaire, ce qui était l’un des buts affichés de la création de l’euro par
le traité de Maastricht. Or, les difficultés du modèle européen semblent aujourd’hui être devenues un
élément supplémentaire, venant, non pas résoudre, mais aussi alourdir les difficultés qui traversent déjà des
démocraties nationales.
Surtout, à la différence des crises rencontrées lors des décennies précédentes, elle survient à un moment où
la mondialisation augmente les risques de dissolution du modèle européen.
II.
Face au risque d’une dilution dans la mondialisation, le modèle européen mérite d’être actualisé en
revenant à ses fondements
A. Le modèle européen face à la mondialisation
Si selon les termes de Jacques Delors, l’Union européenne demeure un « objet politique non identifié », sans
équivalent, la mondialisation pourrait lui fait perdre nombre de ses spécificités qui font son identité.
Tout d’abord, l’Europe n’a plus le privilège d’être la seule véritable zone de libre circulation des
marchandises, des services et des capitaux. Un demi-siècle d’internationalisation des économies et de
négociations commerciales ont abouti à ce que de tels mouvements soient aujourd’hui possibles entre la
plupart des pays du monde. Qui plus est, dans le cadre de l’OMC ont aussi été créés des mécanismes de
règlement des différends entre les Etats et donc de régulation des échanges. L’Europe fait donc moins
exception et l’on peut concevoir qu’une panne dans l’intégration européenne ne finisse par diluer le marché
intérieur dans un vaste marché mondial effaçant quasiment la différence entre l’intérieur et l’extérieur de
l’Union et alimentant ainsi les forces centrifuges. Une telle perspective n’est sans doute pas étrangère au
projet de départ du Royaume-Uni. Par exemple, le fait de quitter l’Union ne devrait pas empêcher la City de
Londres de demeurer la principale place financière pour les opérations en euro.
De même, l’appartenance à l’Europe apparaît moins qu’auparavant, comme la garantie d’appartenance à
une enclave de richesse. Comme le rappelle le rapport publié par l’OCDE en 2010 et intitulé Le Grand
Basculement de la richesse, le FMI se réforme et redistribue des droits de vote à la Chine, à la Corée du Sud,
au Mexique et à la Turquie, au détriment des Européens. Le G8 s’efface derrière le G20, où l’influence des
pays développés se dilue au profit des pays émergents. Ceux-ci s’organisent à travers l’Organisation de
coopération de Shanghai qui réunit la Chine, la Russie et l’Inde pour gérer l’Asie centrale dont on perçoit le
caractère stratégique en raison de leurs réserves naturelles. La Chine s’intéresse déjà de près au continent le
plus riche en ressources pour former une sorte de « Chinafrique » dont elle déloge les anciennes puissances
coloniales. Les émergents multiplient les réunions pour peser sur la gestion des affaires du monde.
La montée de ces nouvelles concurrences peut nourrir des doutes à l’encontre d’un modèle européen jugé
trop faible, renforçant les discours de reprise par les nations de leurs destinées au motif qu’elles seraient
plus à même de se protéger leurs propres intérêts. Ce thème de l’Etat protecteur contre « l’Europe passoir »,
notamment cher aux mouvements populistes accrédite même l’idée selon laquelle le modèle européen
serait lui-même source de faiblesse face aux défis de la mondialisation.
Au plan politique comme au plan économique, le modèle européen risquerait alors de se fondre dans la
mondialisation et ne plus affirmer une différence identitaire suffisamment forte pour que les Etats membres
définissent à travers elle leurs relations de communauté internationale.
Si l’Europe est en panne alors que la mondialisation continue de progresser, elle pourrait ainsi être dépassée
et perdre de son intérêt, y compris aux yeux de ses propres membres.
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B. La référence aux valeurs européennes, source du renouvellement du modèle européen
Face aux défis auxquels il est confronté, tant dans le monde qu’au plan interne, le modèle européen
gagnerait sans doute à revenir encore davantage aux valeurs qui le fondent.
Au premier rang de ceux-ci figure l’attachement à la démocratie et à la paix. Au regard de la démocratie, le
modèle européen de construction d’une « démocratie de démocraties » pourrait bénéficier du resserrement
de liens entre les peuples et les institutions de l’Union. Après l’élection de Parlement européen au suffrage
universel en 1977 et le renforcement continue des pouvoirs du Parlement européen, les débats portent
aujourd’hui sur la mise en place de circonscriptions transnationales pour ces élections, sur la poursuite de
l’association des parlements nationaux à la législation européenne ou sur l’instauration d’un exécutif
européen, véritable incarnation du pouvoir au niveau de l’Union pour les citoyens. Des progrès sensibles ont
déjà été accomplis par ces points, le souci principal étant peut-être le décalage entre le rythme de la révision
successive des traités d’une part et les attentes de l’opinion publique d’autre part. Le rôle éminent joué par
le conseil européen face aux crises actuelles a démontré que le système institutionnel européen était
capable de se mobiliser en cas de forte nécessité.
Quant au service de la paix, si l’Europe l’incarne en son sein, peut-être pourrait-elle, au nom de cet idéal,
assumer davantage une position de puissance diplomatique et militaire dans son environnement proche. Là
aussi, le rôle joué, au cours de la dernière période lors de l’imposition de sanctions à la Russie au moment de
la crise ukrainienne voire lors des négociations avec la Turquie sur la crise migratoire, constituent des
nouveautés, les Etats membres sachant aller au-delà de leurs divergences traditionnelles.
En second lieu, force est de constater que les valeurs qui constituent le modèle européen ne sont pas
fortement perçues avec la même intensité dans l’ensemble de l’Union. Ainsi en est-il de la volonté de
poursuivre l’intégration «sans cesse plus étroite ». Le fait que dans le cadre du Brexit, le Royaume-Uni
demande de pouvoir faire exception à cette mention du traité de Lisbonne n’est-il pas plus généralement
symptomatique de l’existence de plusieurs conceptions de l’Europe ? Tous les Etats membres
n’appartiennent pas à la zone euro ni à l’espace Schengen et l’élargissement aux pays d’Europe centrale et
orientale a sans doute été un facteur d’augmentation des différences comme des divergences d’approches
au sein de l’Union. Dans le prolongement des coopérations renforcées instituées par le traité d’Amsterdam
ne faudrait-il pas permettre aux pays qui le souhaitent d’aller vers des formes d’intégration plus poussées ?
C’est dans ce cadre que s’inscrit le souhait traditionnellement formulé par les autorités françaises de voir
instauré un « gouvernement » au sein de la zone d’euro, consistant une nouvelle forme d’intégration sui
generis, comme l’Europe a su en inventer depuis la CECA en 1950.
S’il est en revanche un sujet pour lequel il n’est sans doute pas conforme au modèle européen d’admettre
plusieurs vitesses, c’est celui des libertés fondamentales ou des droits du citoyen européen Qu’il s’agisse des
positions pris par certains Etats membres face à l’arrivée massive de demandeurs d’asile ou des risques de
remise en cause de la liberté de circulation, il importe de garder à l’esprit que l’attachement aux droits de
l’homme et libertés fondamentales est une composante essentielle du modèle européen, garantie à la fois
de son identité et de son rayonnement aux yeux du monde.
Conclusion :
L’Europe contemporaine demeure un modèle susceptible d’inspirer de nombreux peuples, tant par sa
construction institutionnelle sans équivalente et son organisation économique que par sa fidélité aux valeurs
fondatrices de la modernité démocratique. Affecté de façon cumulée par différentes crises, l’Europe semble
toutefois devenue elle-même un facteur de crise, source de critiques et d’inquiétudes pour des pans entiers de
l’opinion européenne. Peut-on aller jusqu’à confirmer la thèse d’une crise du modèle européen ? Assurément, car
même si cette crise est peut-être très conjoncturelle, elle met en exergue les difficultés de l’Europe à continuer de se
construire et de s’affirmer comme une source de progrès et de protection pour les Européens. Le risque existe de
voir le modèle européen se diluer dans le mouvement général d’internationalisation des échanges. Face à ce risque,
17
l’enjeu pour le modèle européen est sans doute de puiser plus profondément encore dans les valeurs qui le
constituent de façon à poursuivre sa construction.
L’émergence d’une démocratie européenne comme l’affirmation de l’Europe en tant qu'acteur géopolitique,
exige peut-être une accélération sans précédent du processus des évolutions déjà engagées par les traités
européens. Si elle relève ce défi, l’Europe continuera à être un modèle qui pourrait, comme l’annonce Jeremy Rifkin
dans le Rêve européen, éclipser un jour l’American Way of Life. Mais n’est-ce pas une des caractéristiques de la
mondialisation que d’obliger à une accélération des mutations ?
Droit pénal
DISSERTATION
Les fonctions de la peine
Dans Surveiller et punir (1975), Michel Foucault rappelle combien le XIXème siècle était fier de ses prisons,
dont les enceintes massives au cœur des villes symbolisaient une vaste entreprise d’orthopédie sociale. De nos jours,
la condition carcérale est parfois dénoncée comme honteuse, ce qui souligne une évolution des mentalités, surtout
au regard des fonctions de la peine.
Longtemps la théorie chrétienne de la peine, fondée sur une analogie entre l’infraction et le péché, a inspiré
et légitimé des châtiments expiatoires. Dans l’ancien droit, la souffrance infligée au condamné avait une valeur
rétributive lui assurant de racheter son péché. L’école utilitariste, qui inspira le droit pénal pendant la Révolution
française puis lors de la rédaction du Code de 1810, notamment avec l’école néo-classique incarnée par Ortolan et
Rossi, a contribué à rationaliser la fonction de la peine : l’intimidation est un objectif prioritaire, auquel contribue du
reste la précision des incriminations et des sanctions par la loi. Ainsi, le principe de légalité des délits et des peines
peut-il être compris comme une pédagogie destinée à dissuader les individus de transgresser le contrat social. Ces
deux théories, chrétienne et utilitariste, reposent sur le postulat d’une liberté de l’individu quant au respect ou à la
transgression de la norme pénale. La découverte des déterminismes au cours du XIX ème siècle – déterminisme
social (Marx) ou sexuel (Freud) – fut à l’origine de la réaction positiviste : la peine ne saurait avoir pour seules
fonctions de châtier et d’intimider, elle doit contribuer à traiter le délinquant. Adaptée à son profil criminologique,
elle doit tenir compte du fait que ses actions sont en partie déterminées par sa constitution personnelle et le milieu
social au sein duquel il vit. L’Ecole de défense sociale reprend ce postulat fondé sur une part de déterminisme et
prône, après la seconde guerre mondiale, à la suite de Marc Ancel (La défense sociale nouvelle, 1954), la fonction de
resocialisation de la peine. Le droit pénal contemporain est l’héritier de ces différentes théories relatives aux
fonctions de la peine, et il repose sur une doctrine éclectique qui compose, entre liberté et déterminisme, avec les
diverses fonctions de la peine et les acquis des diverses théories du droit pénal.
Cependant, le législateur contemporain, au terme de cette évolution, cherche à concilier les contraires,
quitte à multiplier les sanctions pénales hybrides et à brouiller la lisibilité de la politique pénale poursuivie. On admet
en effet aujourd’hui que les déterminismes n’interdisent pas de reconnaître à l’individu une part irréductible de libre
arbitre lors du passage à l’acte. C’est pourquoi le Conseil constitutionnel a affirmé, dans sa décision du 20 janvier
1994 relative à la loi instituant une peine incompressible, que la peine avait à la fois une fonction de rétribution et de
resocialisation. Comme en écho à cette décision, la loi du 12 décembre 2005 relative au traitement de la récidive des
infractions pénales, a réécrit l’article 132-24 du Code pénal, ajoutant un second alinéa qui dispose que « la nature, le
quantum et le régime des peines prononcées sont fixés de manière à concilier la protection effective de la société, la
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sanction du condamné et les intérêts de la victime avec la nécessité de favoriser l’insertion ou la réinsertion du
condamné et de prévenir la commission de nouvelles infractions ».
Aussi bien la peine a-t-elle une fonction mixte, laquelle concilie des fonctions traditionnelles rémanentes (I.)
et la promotion contemporaine de resocialisation de la peine (II.).
I – La rémanence des fonctions traditionnelles de la peine
La mixité et la dualité recherchée aujourd’hui par le législateur en ce qui concerne les peines ne sauraient en
faire disparaître les caractéristiques traditionnelles. D’une part, les fonctions d’intimidation et de relégation (A),
chères aux utilitaristes, se retrouvent aujourd’hui dans de nombreuses peines ; d’autre part, la fonction d’expiation
(B), propre à la conception chrétienne du droit pénal, ne peut être regardée comme dépassée, si l’on considère le
recours massif à l’emprisonnement et la condition carcérale contemporaine.
A/
Les fonctions d’intimidation et de relégation
Les fonctions d’intimidation et de relégation de la peine se retrouvent tant à l’égard des personnes physiques
(1) qu’à l’égard des personnes morales (2).
1/ A l’égard des personnes physiques
A l’égard des personnes physiques, l’abolition de la peine de mort en 1981 a conduit le législateur à
développer des alternatives censées intimider et reléguer pendant une longue période les délinquants. Tel est le cas
de la période de sûreté : lorsque la juridiction de jugement prononce une peine privative de liberté assortie d’une
période de sûreté, elle prive le condamné, pendant toute cette période, d’obtenir ultérieurement, lors de la phase
d’application de la peine, des mesures de faveur telles que la suspension et le fractionnement de la peine, la semiliberté, le placement à l’extérieur ou bien encore la libération conditionnelle (article 132-23 du Code pénal). L’objectif
est de privilégier la protection de l’ordre public en assurant une relégation des individus particulièrement dangereux
et présentant de forts risques de récidive.
C’est aussi pour écarter le délinquant du foyer criminogène qu’ont été créées les nombreuses interdictions
professionnelles ; tel est le cas des interdictions fulminées par la loi du 17 juin 1998 à l’encontre des délinquants
sexuels. Parmi les peines complémentaires visant une fonction d’intimidation et de relégation, on peut aussi citer
l’interdiction du territoire français, définitive ou pour dix ans maximum, pour un étranger coupable de crimes ou de
délits, sauf exceptions (article 131-30 du Code pénal). Enfin, c’est cette même fonction d’intimidation et de
relégation que visent les peines importantes encourues en cas d’aide au séjour irrégulier d’un étranger en France.
2/ A l’égard des personne morales
A l’égard des personnes morales, qui sont des êtres fictifs, l’emprisonnement n’aurait aucun sens. Le
législateur a donc cherché à promouvoir des sanctions pénales adaptées qui permettent d’assurer à la fois
l’intimidation et la relégation. D’abord, la dissolution de la personne morale, qui s’apparente à une peine de mort, est
encourue, mais il s’agit d’une peine plus théorique que réelle, sauf pour les personnes morales sectaires. Ensuite, le
maximum de l’amende abstraitement prévue par la loi pour une personne physique est quintuplé pour les personnes
morales et décuplé en cas de récidive (article 131-38 du Code pénal). Enfin, l’intimidation et la relégation sont
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assurées par un large éventail de peines complémentaires telles que l’interdiction de faire appel public à l’épargne
(qui peut s’apparenter à une asphyxie financière) ou bien l’interdiction de concourir pour les marchés publics.
B/
La fonction d’expiation
Depuis la recrudescence de la délinquance dans les années 80, une tendance plus dure s’est manifestée,
dans la doctrine, au sein du néo-classicisme contemporain. Cette branche renoue avec l’ancienne idée d’expiation. La
réinsertion, du moins pour les délinquants d’habitude, doit céder le pas devant le châtiment : la prison a pour
fonction de neutraliser les individus dangereux pour le corps social. Cette orientation criminologique sous-tend le
recours massif à l’emprisonnement, mais il oblige aussi à s’interroger sur le contenu de cette expiation : l’état des
lieux de la condition carcérale en France (1) tend à montrer que cette expiation va bien au-delà de la privation de
liberté ; de là la nécessaire évolution vers une prison de droit (2) afin que la fonction d’expiation liée à
l’emprisonnement soit compatible avec les engagements internationaux de la France, et particulièrement avec les
exigences de la Convention européenne des droits de l’homme.
1/ Etat des lieux de la condition carcérale : l’expiation au-delà de la privation de liberté
"Prisons : une humiliation pour la République". C’est en ces termes que le rapport de la commission
d’enquête du Sénat, remis le 28 juin 2000, décrivait les prisons françaises : "à la prison républicaine héritée des
idéaux positivistes et des philanthropes de la fin du XIXè siècle, s’est substitué un système confus, où apparaissent la
prison-asile, la prison-hospice et la prison-hôpital", peut-on lire. Ce rapport sénatorial de 2000 pointait les nombreux
maux qui affectent les prisons françaises : surpopulation, inactivité, suicides, décisions arbitraires, droits
fondamentaux bafoués...La Cour européenne des droits de l’homme a eu l’occasion de condamner plusieurs pays du
Conseil de l’Europe, dont la France, en raison du traitement réservé aux prisonniers, sur le fondement de l’article 3
de la convention qui prohibe les traitements inhumains et dégradants (CEDH, 5è sect., 25 avril 2013 Canali contre
France) .
Du reste, la Cour de Strasbourg a poursuivi sa réflexion sur les fonctions de la peine dans un important arrêt
Dickson contre Royaume-Uni du 18 avril 2006 : selon la Cour, un prisonnier, fût-il condamné à perpétuité, doit
pouvoir bénéficier de la procréation médicalement assistée et devenir père, la prison ne venant limiter que le droit
d’aller et venir et non les autres droits fondamentaux, tels que le droit à une vie familiale normale. De puis, la
jurisprudence européenne n’a eu de cesse de reconnaître des droits aux détenus (CEDH, 20 janvier 2011, EL
SHENNAWY contre France : condamnation de la France pour sa pratique jugée trop récurrente des fouilles
intégrales).
L’objectif est d’assurer que l’expiation se borne à une privation de liberté et ne se transforme pas en une litanie de
traitements inhumains et dégradants. En attendant, il est déjà possible de relever quelques jalons de l’évolution vers
une prison de droit initiés par la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 et approfondis par la jurisprudence
administrative et communautaire.
2/ L’évolution vers une prison de droit : l’expiation limitée à une privation de liberté ?
La loi du 12 avril 2000 sur les rapports entre administration et administrés a conduit à regarder le détenu
comme un usager du service public pénitentiaire, ayant droit à l’assistance d’un avocat en cas de sanction
disciplinaire. Mais le point de départ véritable de l’évolution vers une prison de droit peut être situé très précisément
en 1996. En effet, il a fallu attendre un décret du 2 avril 1996 pour que soit instituée une échelle des sanctions
disciplinaires en prison. Ce décret répondait à l’évolution de la jurisprudence du Conseil d’Etat qui, à partir de l’arrêt
20
Marie (Assemblée plénière 17 février 1995), a considéré que ces mesures n’étaient plus des mesures d’ordre intérieur
échappant au contrôle juridictionnel. Surtout, par trois décisions de l’Assemblée du contentieux du 17 décembre
2007, le Conseil d’État a systématisé l’étude des MOI en prison (CE, Payet, Boussouar et Planchenault contre Garde
des Sceaux, 14 décembre 2007). La richesse de la jurisprudence qui en a suivi a largement confirmé cette immixtion
du juge administratif dans la prison et son doit de regard sur les conditions de détention (soumission aux rotations de
sécurité, retrait d’un détenu à l’emploi dont il bénéficiait durant sa détention, placement à l’isolement, organisation
des visites des détenus). Ainsi, le seuil réglementant le « droit de regard » du juge est fortement abaissé, la simple
sanction d’avertissement formulé au détenu échappant également au champ des MOI (CE, 21 mai 2014 Garde des
Sceaux contre Mme A.).
La privation de liberté doit en outre s’accorder avec le respect des droits de la personne condamnée, notamment en
matière médicale. Ainsi, la loi du 4 mars 2002 a consacré une suspension médicale de peine déliée de toute condition
quant à la nature criminelle ou correctionnelle de la peine et le reliquat restant à subir, pour autant que
l’engagement du pronostic vital du condamné soit constaté par expertise médicale. La loi du 15 août 2014 a écarté
cette condition, y incluant toute maladie physique ou mentale pouvant motiver une telle faveur du JAP. La
jurisprudence a suivi cette protection du détenu lourdement malade, n’hésitant pas à condamner la France en ce
sens : CEDH, 19 février 2015, HELHAL contre France, s’agissant de la condamnation de la France pour ne pas avoir
apporté les soins nécessaires à un détenu lourdement handicapé).
II – La promotion contemporaine d’une fonction de resocialisation de la peine
La promotion contemporaine d’une fonction de resocialisation est fondée sur le principe de personnalisation
(A) et sur une diversification des moyens de la personnalisation (B).
A/
Le principe préservé de personnalisation
Le principe de personnalisation, nommé aussi, par fidélité à Saleilles, principe d’individualisation, consacré
dans le Code pénal en 1994 (2), s’inspire des théories de l’école positiviste et de la défense sociale (1).
1/ L’inspiration positiviste et de défense sociale
Le positivisme pénal est illustré principalement par trois criminologues italiens : Lombroso (1836-1909),
auteur en 1876 de l’Homme criminel ; Ferri (1856-1928), professeur de droit et avocat à Rome, auteur d'un ouvrage
intitulé La sociologie criminelle (1892) et Garofalo (1852-1934), magistrat, qui écrivit une Criminologie publiée en
1885. Les positivistes italiens critiquent la conception abstraite du criminel et le postulat du libre arbitre avancés par
l’école néoclassique. Le positivisme pénal apporte une compréhension nouvelle du phénomène criminel qui intègre
le déterminisme lors du passage à l’acte et l'élaboration de divers moyens de lutte, notamment les mesures de
sûreté.
L’École de la défense sociale nouvelle a, pour sa part, pour manifeste le célèbre ouvrage de Marc Ancel
(1902-1990), La défense sociale nouvelle, publié en 1954. La caractéristique fondamentale de cette doctrine est sa
personnalisation très poussée. Moins que la défense de la société, c’est la défense de l’individu qui est envisagée en
vue de sa resocialisation. La défense sociale nouvelle ne rejette pas l’idée de responsabilité morale. Il est nécessaire
d’étudier la personnalité de chaque délinquant afin de pouvoir le traiter et à ce sujet peuvent être utilisées les peines
comme les mesures de sûreté, d’ailleurs fondues dans un système unique de sanctions. Le libre arbitre est ainsi le but
du traitement et non son point de départ : ce n’est que lorsqu’il sera guéri que le condamné jouira de sa pleine
liberté et de son entière responsabilité. La défense sociale nouvelle s’intéresse donc au premier chef à l’homme
21
concret et elle rejette toute considération de vengeance, d’expiation, voire de rétribution. Pour mieux connaître cet
homme il faut pratiquer l’observation du délinquant avec des examens médicaux, sociaux, psychiatriques destinés à
constituer un dossier de personnalité seul capable de permettre la mise en œuvre d’un véritable traitement de
resocialisation.
Cette exigence conduit à la division du procès pénal en deux phases. La première est le classique procès
répressif, relatif à la matérialité des faits et qui prend fin avec une décision sur la culpabilité. La seconde est axée sur
l’examen de la personnalité : c’est le procès de défense sociale, les magistrats étant entourés de médecins,
psychologues et psychiatres pour la décision sur la sanction. Cette seconde phase connaîtrait des règles de
déroulement originales : publicité restreinte, possibilité d’exclure le délinquant du débat, collaboration étroite entre
ministère public et défense. Quant à la sentence, elle doit être constamment modifiable pour tenir compte de la
personnalité du sujet. Les positivistes, et les tenants de la défense sociale –qui apparaît à bien des égards comme un
positivisme à visage humain- ont influencé des textes importants tels que l’ordonnance du 2 février 1945 qui pose le
primat des mesures éducatives afin d’adapter la sanction pénale aux besoins éducatifs du délinquant mineur. C’est
cependant en 1994 que leurs théories ont été consacrées de la façon la plus large.
2/ La consécration du principe d’individualisation dans le Code pénal
Le principe de d’individualisation de la peine figure à l’article 132-24 du Code pénal. Il convient en effet
d’adapter la sanction pénale au profil criminologique du délinquant qu’il s’agisse d’une personne physique ou, depuis
1994, d’une personne morale. Cet objectif ne peut être atteint que si l’on donne au magistrat les moyens de
connaître ce profil criminologique. Différents sont désormais à sa disposition pour cerner ce profil. D’abord, le
délinquant peut être fiché au casier judiciaire, qu’il s’agisse d’une personne physique ou d’une personne morale
(article 769-1 du Code de procédure pénale). Créé officiellement à la fin du XIXème siècle, le casier judiciaire s’appuie
sur diverses techniques d’identification (anthropométrie, dactyloscopie) permettant de connaître les antécédents
d’un individu ; à l’origine local, il a été nationalisé et automatisé en 1980. Ensuite, un dossier de personnalité doit ou
peut être constitué, selon qu’il s’agit d’un procès criminel ou correctionnel. Enfin, la France s’est dotée d’un fichier
des empreintes génétiques.
Parallèlement, les lois du 12 décembre 2005 et du 21 février 2008 ont crée un dispositif de surveillance
judiciaire des personnes dangereuses au travers des « mesures de sûreté » destinées pour les premières, d’après
l’article 723-33, à contrôler les personnes dangereuses après leur libération au moyen « de mesures d’assistance et
de contrôle destinées à faciliter et à vérifier sa réinsertion ». Cela montrait la volonté du législateur de concilier des
fonctions diverses de la peine au sein d’un même dispositif, orientation rapidement brouillée par la seconde ayant
consacré des mesures de sûreté de neutralisation, bien moins humanistes.
B/
Les modalités de la personnalisation
La consécration d’une fonction de resocialisation de la peine allait de pair avec une volonté de diversifier les
réponses pénales au phénomène criminel et d’éviter, lorsque cela était possible, l’emprisonnement, la prison étant
jugée criminogène. De là le développement d’alternatives à l’emprisonnement et à l’amende au stade de l’exécution
(1) mais aussi et surtout au stade du prononcé de la peine (2). Au regard de la nature comme du quantum de la
peine, le juge dispose ainsi d’importants pouvoirs : qu’il suffise de rappeler ici que la loi n’indique pas de seuil
minimal, si bien qu’il est en mesure de descendre aussi bas qu’il le désire, sauf en matière criminelle.
1/ La diversification des modes d’exécution de la peine
22
Les modes d’exécution de la peine se sont considérablement diversifiés depuis la fin du XIXème siècle (loi
Béranger du 26 mars 1891 introduisant le sursis en droit positif) afin de faire échapper notamment le délinquant aux
effets délétères de la prison. A côté du sursis simple et du sursis avec mise à l’épreuve existe désormais une
surveillance électronique dite classique, par opposition avec la surveillance électronique mobile introduite par la loi
du 12 décembre 2005. Le législateur a, en effet, introduit en 1997 un nouvel aménagement de la peine visant à faire
échapper le délinquant à la prison : il s’agit de la surveillance électronique. La complexité du dispositif mérite d’être
soulignée et des confusions doivent être évitées : cette surveillance électronique doit être distinguée du placement
sous surveillance électronique mobile, introduit par la loi du 12 décembre 2005, qui constitue une sanction pénale à
part entière mais doit, d’après le législateur, être qualifiée de mesure de sûreté, afin de permettre son application
rétroactive.
Concernant les diverses déclinaisons du sursis, le sursis simple est subordonné par les articles 132-30 et
suivants du Code pénal à des conditions tenant au passé du délinquant –qui ne doit pas être trop lourd- et à la peine
prononcée, toutes les sanctions ne pouvant être assorties du sursis. Le système actuel du sursis est lui aussi d’une
remarquable complexité, mais il est toujours conçu comme une faveur pour le délinquant ; son octroi n’est pas une
obligation pour le juge, qui n’a donc pas à justifier son refus. Ensuite, le sursis avec mise à l’épreuve se veut
également resocialisant car il se pare de vertus de traitement : il pourrait dès lors paraître plus libéral, mais il n’en est
rien en réalité car l’épreuve et les obligations qu’elle engendre (mesures de contrôle, obligations de faire ou de ne
pas faire visant à s’assurer du reclassement de l’individu) sont plus contraignantes et restrictives des libertés
individuelles que le sursis simple. Parmi les modalités du sursis avec mise à l’épreuve, il convient de signaler
l’obligation d’accomplir un travail d’intérêt général, introduite en 1983, prévue aux articles 132-54 et suivants du
Code pénal, qui permet en outre la conversion de courtes peines d’emprisonnement en sursis-TIG, témoignant de
son orientation favorable.
2/ La diversification des peines
Lors du prononcé de la sanction pénale, le juge dispose d’un arsenal de sanctions qui s’est, en théorie du
moins, considérablement diversifié. En effet, l’emprisonnement et l’amende ont perdu en 1994 leur statut de peines
de référence et ne sont plus que des peines parmi d’autres. A cette fin, les articles 131-3 et suivants contiennent une
liste de peines principales alternatives, issues notamment des lois de 1975 et de 1983, telles que le jour-amende, le
travail d’intérêt général ou bien encore les peines privatives ou restrictives de droit.
Le législateur a voulu également développer l’individualisation de la peine et l’objectif de réinsertion en
élargissant l’éventail des peines complémentaires. Parmi les plus originales, il convient de signaler le suivi sociojudiciaire, peine complémentaire souvent accompagnée d’une obligation de soins, qui se veut resocialisante, et
présente ainsi certains des caractères de la mesure de sûreté ; elle ne peut toutefois manquer d’apparaître, aux yeux
du délinquant, comme aussi contraignante qu’une peine. Surtout, la loi du 28 février 2008 a consacré deux mesures
de sûreté particulièrement contraignantes puisque privatives de liberté, présentant l’intérêt majeur de prendre le
relai de la peine. S’agissant de la surveillance de sûreté et surtout de la rétention de sûreté, elles permettent à l’issue
de la peine exécutée et hors la commission d’une nouvelle infraction, de maintenir la personne dont la dangerosité
est considérée persistante en rétention.
A l’inverse, la loi du 15 août 2014 a consacré une peine nouvelle tendant à favoriser la resocialisation et la
réinsertion du condamné et appelée à terme à « concurrencer » la peine d’emprisonnement pour les délits de
moindre gravité s’agissant de la contrainte pénale. L’article 131-4-1 du Code pénal dispose notamment à ce titre «
23
Lorsque la personnalité et la situation matérielle, familiale et sociale de l'auteur d'un délit puni d'une peine
d'emprisonnement d'une durée inférieure ou égale à cinq ans et les faits de l'espèce justifient un accompagnement
socio-éducatif individualisé et soutenu, la juridiction peut prononcer la peine de contrainte pénale. La contrainte
pénale emporte pour le condamné l'obligation de se soumettre, sous le contrôle du juge de l'application des peines,
pendant une durée comprise entre six mois et cinq ans et qui est fixée par la juridiction, à des mesures de contrôle et
d'assistance ainsi qu'à des obligations et interdictions particulières destinées à prévenir la récidive en favorisant son
insertion ou sa réinsertion au sein de la société. » Ainsi, la contrainte pénale permet un suivi et un accompagnement
accrus du condamné pendant une durée pouvant aller jusqu’à cinq ans, lesquels traduisent assurément cette
recherche et cette affirmation contemporaine de la fonction de resocialisation de la peine. Ainsi, la peine devient une
mesure hybride, qui se doit de concilier les fonctions traditionnelles qui lui sont assignées par les écoles utilitaristes
et chrétiennes et les fonctions contemporaines de resocialisation et de réinsertion du condamné dans la société, à la
marge desquelles on trouve les mesures de sûreté.
Conclusion : Il apparaît, au terme de cette étude, qu’une interrogation sur les fonctions de la peine revient à
penser l’évolution des doctrines du droit pénal et à dresser un état des lieux contemporain. Or, ce qui frappe à
l’heure actuelle, c’est la diversité voire contradiction des fonctions assignées à la peine, diversité qui reflète une
doctrine éclectique : le délinquant doit être resocialisé, mais il doit aussi être intimidé, relégué le cas échéant, et il
doit expier sa faute. Le tableau d’ensemble donne assez nettement une impression de confusion, d’autant que la
politique pénale paraît pour le moins erratique : une même peine peut se voir assigner un objectif à la fois
resocialisant et rétributif, c’est le cas du suivi socio-judiciaire, ou bien une mesure de sûreté visera à la fois la
surveillance et la resocialisation (c’est le cas du dispositif de surveillance des personnes dangereuses). On comprend
mieux pourquoi le législateur a choisi de ne pas consacrer en 1994 la distinction positiviste entre peine et mesure de
sûreté : la frontière entre les deux paraît peu étanche, et la seconde qualification est surtout instrumentalisée afin de
permettre aux nouvelles sanctions pénales de rétroagir.
Pour des exemples d’auteurs néo-classicisme (tendance dure) voir notamment : Jean-Claude Soyer (Justice en
perdition, 1982), Michèle-Laure Rassat (Pour une politique anticriminelle de bon sens, 1983) et l’ancien Garde des
Sceaux Alain Peyrefitte (Les chevaux du lac Ladoga, 1981)
Droit pénal
CAS PRATIQUE
« Marco le filou »
I – Le déroulement de l’enquête de police
Marco, après avoir pris part à un vol avec deux amis, fut convoqué par l’OPJ François le 25 février suite à la plainte
déposée par JP le 1er février. L’OPJ François le plaça en garde à vue après l’audition, où ses droits lui furent notifiés,
et le procureur fut informé du placement après que des manifestants se soient emparés du commissariat.
24
A - Le cadre de l’enquête
Selon l’article 67 du Code de procédure pénale, les policiers peuvent recourir à la contrainte lorsque les faits
poursuivis constituent un crime ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement. Cette condition ne soulève en
l’espèce aucune difficulté, les faits étant de nature criminelle. Précisément, ils peuvent être qualifiés de vol commis
en bande organisée avec arme (art. 311-9, alinéa 3, C. pén.).
Il importe ensuite que les faits répondent à la définition de la flagrance au sens de l’article 53 du Code de procédure
pénale. Selon ce texte, est qualifié de crime ou de délit flagrant, le crime ou le délit « qui se commet actuellement,
ou qui vient de se commettre ». Il y a aussi crime ou délit flagrant lorsque, « dans un temps très voisin de l’action, la
personne soupçonnée est poursuivie par la clameur publique, ou est trouvée en possession d’objets, ou présente
des traces ou indices, laissant penser qu’elle a participé au crime ou au délit ». Il convient donc, pour relever
l’existence d’une infraction flagrante, d’établir deux conditions cumulatives, tenant l’une à un critère temporel,
l’autre à un critère d’apparence.
Tout d’abord, le critère matériel résulte, selon la formule consacrée par la jurisprudence, « d’indices apparents d’un
comportement révélant l’existence d’infractions en train de se commettre ou qui vient d’être commise » (Cass. crim.,
22 févr. 1996, Bull. crim. n° 87). Tel est le cas, par exemple, de l’avis donné par la victime d’une infraction qui vient
d’être commise qui peut, même avant l’enregistrement d’une plainte régulière, caractériser ces indices (Cass. crim.,
22 avr. 1992 : Bull. crim. n° 169 ; 11 mai 1999 : Bull. crim. n° 91). Il en va a fortiori de même lorsque, comme en
l’espèce, la victime porte plainte auprès des policiers (Cass. crim., 1er oct. 2003 : Bull. crim. n°176). Cette première
condition est donc satisfaite en l’espèce puisque JP dénonce les faits à François. Ensuite, la flagrance suppose une
seconde condition, d’ordre temporel : l’infraction doit être en train de se commettre ou avoir été commise il y a peu.
En l’espèce, les faits ont été commis la nuit du 31 janvier, et les faits ont été dénoncés par JP le 1er février, il faut
donc en déduire que l’infraction dénoncée est actuelle, moins de 24 heures s’étant écoulé entre la plainte de la
victime et la commission des faits.
B - La durée de l’enquête de flagrance
Il résulte de l’article 53, alinéa 2, du code de procédure pénale, que l’enquête de flagrance ne peut se poursuivre
plus de huit jours, étant précisé que le délai de huit jours doit commencer à courir non pas à partir de la date de la
commission de l’infraction, mais à compter de la constatation du crime ou du délit flagrant. Toutefois, le procureur
de la République peut décider la prolongation de l’enquête pour une durée maximale de huit jours, « lorsque des
investigations nécessaires à la manifestation de la vérité pour un crime ou un délit puni d’une peine supérieure ou
égale à cinq ans d’emprisonnement ne peuvent être différées ». A l’expiration de ce délai, l’enquête doit se
poursuivre en la forme préliminaire (Cass. crim., 18 déc. 2013, n° 13-85375). En l’espèce, l’enquête de flagrance a
débuté le 1er février 2015, quand bien même le procureur de la République aurait autorisé la prolongation de
l’enquête de flagrance pour un délai supplémentaire de huit jours, l’enquête de flagrance s’est terminée le 16 février
2015. Par conséquent, l’enquête se poursuivant le 25 février se déroule nécessairement sous le cadre préliminaire.
C - L’audition libre et le placement en garde à vue de Marco
Il n’y a de garde à vue au sens de l’article 63 du Code de procédure pénale que si la personne est retenue à la
disposition de l’officier de police judiciaire pour les nécessités de l’enquête, ce qui suppose la mise en œuvre d’un
pouvoir de contrainte de la part de la police judiciaire (Cass. crim., 6 mai 2003 : Bull. crim. n° 93). A l’inverse, une
personne qui répond spontanément à une convocation ou qui accepte de suivre les policiers, peut être entendue sur
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les faits qui lui sont imputés sans qu’il soit fait application des dispositions prévues par les articles 63 et suivants du
Code de procédure pénale (Cass. crim., 12 oct. 2005 : Dr. pén. 2006, comm. 17 ; 26 oct. 2005 : Dr. pén. 2006, comm.
62), puis être placée en garde à vue à l’issue de cette audition si les policiers l’estiment opportun au regard des
nécessités de l’enquête. En effet, depuis la loi du 27 mai 2014, les personnes à l’encontre desquelles il n’existe
aucune raison plausible de soupçonner qu’elles ont commis ou tenté de commettre une infraction sont entendues
par les enquêteurs sans faire l’objet d’une mesure de contrainte (art. 62, al. 1er, CPP). Toutefois, si les nécessités de
l’enquête le justifient, ces personnes peuvent être retenues sous contrainte le temps strictement nécessaire à leur
audition, sans que cette durée puisse excéder quatre heures (art. 62, al. 2, CPP). Enfin, si au cours de l’audition d’une
personne retenue en application du deuxième alinéa de l’article 62, il apparaît qu’il existe des raisons plausibles de
soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre un crime ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement, elle
peut être maintenue sous contrainte à la disposition des enquêteurs que sous le régime de la garde à vue. Son
placement en garde à vue lui est alors notifié dans les conditions prévues à l’article 63-1 (art. 62, dern. al., CPP). Or,
il est précisé que Marco s’est rendu au commissariat et que ce n’est qu’après une audition d’ 1 heure et 30 minutes
que l’OPJ François a décidé de le placer en garde à vue. La procédure semble donc régulière.
En vertu de l’article 62-2 du Code de procédure pénale, la « garde à vue est une mesure de contrainte décidée par
un officier de police judiciaire, sous le contrôle de l’autorité judiciaire, par laquelle une personne à l’encontre de
laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre un
crime ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement est maintenue à la disposition des enquêteurs ». Le
placement en garde à vue est soumis à trois conditions cumulatives :
- d’une part, la mesure de garde à vue doit être décidée par un officier de police judiciaire, ce qui est le cas de
l’officier François ainsi qu’il est précisé dans l’énoncé ;
- d’autre part, il doit exister des raisons plausibles de soupçonner que Marco a commis ou tenté de commettre une
infraction punie d’une peine d’emprisonnement. En l’espèce, au cours de son audition libre, Marco a révélé être un
habitué de la « Villa Perdue » et être passionné d’armes.
- enfin, la garde à vue doit constituer « l’unique moyen » de parvenir à l’un au moins des objectifs suivants : 1°
permettre l’exécution des investigations impliquant la présence ou la participation de la personne ; 2° garantir la
présentation de la personne devant le procureur de la République afin que ce magistrat puisse apprécier la suite à
donner à l’enquête ; 3° empêcher que la personne ne modifie les preuves ou indices matériels ; 4° Empêcher que la
personne ne fasse pression sur les témoins ou les victimes ainsi que sur leur famille ou leurs proches ; 5° Empêcher
que la personne ne se concerte avec d'autres personnes susceptibles d'être ses coauteurs ou complices ; 6° Garantir
la mise en œuvre des mesures destinées à faire cesser le crime ou le délit. En l’espèce, la garde à vue est justifiée,
notamment, par les investigations impliquant la participation de Marco, mais également pour empêcher que Marco
ne se concerte éventuellement avec d’autres personnes susceptibles d’être coauteurs ou complices (Rudy et
Marvin).
La décision de placer Marco en garde à vue à l’issue de l’audition libre est ainsi parfaitement régulière.
Si la mesure est régulière dans son principe, il convient à présent d’en étudier le déroulement.
Il importe que le procureur de la République soit informé « dès le début de la garde à vue » (CPP, art. 63, al. 2), la
Cour de cassation considérant là encore que « tout retard dans la mise en œuvre de cette obligation, non justifié par
des circonstances insurmontables, fait nécessairement grief aux intérêts de la personne concernée » (Cass. crim., 29
févr. 2000, Bull. crim. n° 93). Or, au cas présent, l’information au procureur de la République n’est intervenue qu’à
19h, soit 2 heure et 30 minutes après le placement en garde à vue. Qu’en est-il du temps écoulé ? Un élément attire
à ce propos notre attention, à savoir qu’au moment où François a placé Marco en garde à vue, le commissariat a été
envahi par des manifestants. Or, dans un arrêt du 10 avril 1996, la Cour de cassation a jugé que le fait qu’un
commissariat soit assiégé par des manifestants, empêchant la présentation de la personne retenue à un officier de
police judiciaire, constitue une circonstance insurmontable de nature à justifier une notification tardive des droits
(Cass. crim., 10 avr. 1996, n° 94-81.728). Cette décision peut fort logiquement être transposée au retard dans
l’information du procureur de la République. Il s’ensuit que l’irruption des manifestants dans les locaux de la police
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peut être vue comme un obstacle insurmontable à la bonne exécution de cette obligation spécifique. Il ressort
toutefois de l’énoncé que ce n’est que vingt minutes après l’expulsion des manifestants que l’OPJ François a informé
le procureur du placement en garde à vue. On peut dès lors légitimement s’interroger sur la légitimité de ce retard.
Dans les faits, la réponse dépend du moment où se situe la fin de la circonstance insurmontable. Soit elle coïncide
avec l’expulsion des manifestants, en sorte que l’information du parquet serait tardive et sanctionnée de nullité. Soit
les vingt minutes s’expliquent, compte tenu de la perturbation occasionnée, par le temps nécessaire pour un retour
normal au fonctionnement des services, ce qui justifierait alors le retard total. Il appartiendra à la chambre de
l’instruction, en cas de saisine, d’en apprécier la réalité.
Ensuite, il convient de vérifier que Marco a reçu notification de ses droits, et ce « immédiatement » ainsi que la loi
en fait l’obligation (CPP, art. 63-1), étant précisé que, selon une jurisprudence constante, « tout retard dans la mise
en œuvre de cette obligation, non justifié par une circonstance insurmontable, porte nécessairement atteinte aux
intérêts de la personne concernée » (Cass. crim., 31 mai 2007, Bull. crim. n° 146). Les observations faites pour
l’information au procureur de la République peuvent être réitérées pour la notification des droits (V. supra).
II – Le déroulement de l’instruction
A l’issue de la garde à vue de Marco, un juge d’instruction est saisi qui le met en examen et le place en détention
provisoire. Au cours de l’information, le juge d’instruction découvre qu’il participe activement à la vente de produits
stupéfiants et reçoit de ce fait un réquisitoire supplétif. Des policiers sur ordre du juge d’instruction procèdent alors
à des perquisitions à son domicile ainsi qu’au domicile de Fanfan.
A - L’ouverture de l’information judiciaire
Le juge d’instruction ne peut informer qu’en vertu d’un réquisitoire du procureur de la République (art. 80 I, al. 1er,
CPP), réquisitoire qui peut être pris contre personne dénommée ou non dénommée (al. 2). En l’espèce, le juge
d’instruction est saisi du chef de vol commis en bande organisée avec arme (art. 311-9, alinéa 3, C. pén.), ce qui
suppose que le procureur ait pris un réquisitoire introductif contre Marco du chef de vol commis en bande organisée
avec arme.
B - La mise en examen et le placement en détention provisoire de Marco
Le juge d’instruction ne peut mettre en examen que les personnes à l’encontre desquelles il existe des indices graves
ou concordants rendant vraisemblable qu’elle ait pu participer, comme auteur ou complice, à la commission de
l’infraction (art. 80-1, CPP). Selon la circulaire d’application de la loi du 15 juin 2000 (Circ. CRIM. 00-16, 20 décembre
2000), le juge doit posséder plusieurs indices légers (s’ils sont concordants) ou, au moins, un indice grave pour
procéder à la mise en examen. Ces conditions de la mise en examen doivent être appliquées à peine de nullité. En
l’espèce, la mise en examen de Marco est tout à fait justifiée car le juge d’instruction dispose d’indices graves qui
rendent vraisemblables la participation de Marco au vol commis en bande organisée avec arme, en effet l’énoncé
indique qu’une perquisition a permis de retrouver le fusil de chasse et une partie de l’argent (9.000 €). Cependant, il
est encore précisé à l’article 80-1 du code de procédure pénale (al. 2) que le juge d’instruction ne peut procéder à la
mise en examen qu’après avoir préalablement entendu les observations de la personne ou l’avoir mise en mesure de
les faire, en étant assisté par son avocat. Lorsque le juge d’instruction envisage de mettre en examen une personne
qui n’a pas été entendue comme témoin assisté, le juge doit d’abord procéder à un interrogatoire de première
comparution dans les conditions prévues par l’article 116 du code de procédure pénale. En l’espèce, en l’absence de
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précision, pour que la mise en examen soit régulière, ce n’est qu’à la condition que le juge d’instruction ait entendu
au préalable Marco et son avocat, et que les conditions de l’article 116 du Code de procédure pénale aient été
respectées.
Le juge d’instruction décide de placer Marco en détention provisoire. On rappellera tout d’abord que l’article 137 du
code de procédure pénale pose le principe suivant « toute personne mise en examen [est] présumée innocente [elle]
demeure libre ». On rappellera également que le même article prévoit tout de même un tempérament au principe
posé. En effet, il dispose ensuite que « toutefois, en raison des nécessités de l’instruction ou à titre de mesure de
sûreté, [la personne mise en examen] peut être astreinte à une ou plusieurs obligations du contrôle judiciaire ou, si
celles-ci se révèlent insuffisantes, être assignée à résidence avec surveillance électronique ». On comprend que la loi
opère une hiérarchie des mesures de contraintes imposées à la personne mise en examen. C’est la liberté qui prime
et le contrôle judiciaire n’est prononcé que si la liberté n’est pas possible ; l’assignation à résidence intervenant
éventuellement en cas d’insuffisance cette fois du contrôle judiciaire. Il n’est donc pas encore question de
placement en détention provisoire à ce stade de la lecture de l’article 137. En effet, la détention provisoire n’est
présentée que comme étant une mesure elle aussi exceptionnelle, n’intervenant qu’en tant qu’ultime recours, qu’en
cas d’insuffisance des mesures de contraintes citées. L’article 137, alinéa 3, dispose ainsi qu’« à titre exceptionnel, si
les obligations du contrôle judiciaire ou de l’assignation à résidence avec surveillance électronique ne permettent
pas d’atteindre ces objectifs, [la personne mise en examen] peut être placée en détention provisoire ». Pour être
plus clair encore, l’article 144 du code de procédure pénale dispose que « la détention provisoire ne peut être
ordonnée ou prolongée que s’il est démontré, au regard des éléments précis et circonstanciés résultant de la
procédure, qu’elle constitue l’unique moyen de parvenir à l’un ou plusieurs des objectifs [cités par le code] et que
ceux-ci ne sauraient être atteints en cas de placement sous contrôle judiciaire ou d’assignation à résidence avec
surveillance électronique ».
Non seulement le juge doit justifier la mesure de placement en détention provisoire au regard d’objectifs
strictement déterminés par la loi, mais en outre, il doit montrer que la mesure en question est la seule permettant
d’atteindre ces objectifs à l’exclusion des autres mesures de contraintes. Les objectifs auxquels la loi fait références
sont : 1° Conserver les preuves ou les indices matériels qui sont nécessaires à la manifestation de la vérité ; 2°
Empêcher une pression sur les témoins ou les victimes ainsi que sur leur famille ; 3° Empêcher une concertation
frauduleuse entre la personne mise en examen et ses coauteurs ou complices ; 4° Protéger la personne mise en
examen ; 5° Garantir le maintien de la personne mise en examen à la disposition de la justice ; 6° Mettre fin à
l’infraction ou prévenir son renouvellement ; 7° Mettre fin au trouble exceptionnel et persistant à l’ordre public
provoqué par la gravité de l’infraction, les circonstances de sa commission ou l’importance du préjudice qu’elle a
causé.
Cependant, le placement en détention provisoire n’est possible que si la personne est mise en examen. En l’espèce,
l’énoncé précise que le juge d’instruction met en examen Marco puis décide de le placer en détention provisoire.
Cette décision est régulière à la condition que le placement en détention provisoire ait été ordonné par le juge des
libertés et de la détention (art. 137-1, al. 1er, CPP), précision qui ne nous est pas donné par l’énoncé, et que les
conditions posées aux articles 137 et 144 du Code de procédure pénale aient été respectées. La procédure sera donc
régulière à la condition que ces formalités aient été respectées.
C - Les perquisitions effectuées dans le cadre de l’instruction
En vertu de l’article 151, alinéa 1er, du code de procédure pénale le juge d’instruction peut rédiger une commission
rogatoire autorisant tout officier de police judiciaire à effectuer tous les actes qu’il juge utiles à la découverte de
l’auteur ou à la manifestation de la vérité pour les faits visés dans le réquisitoire introductif. Cette commission
rogatoire a vocation à transférer l’ensemble des pouvoirs d’enquête du juge d’instruction à l’officier de police
judiciaire (art. 152, CPP). Les pouvoirs attribués en vertu de l’article 152 du code de procédure pénale pour
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l’exécution d’une commission rogatoire sont limités aux seuls faits dont le juge d’instruction est saisi. Il est en effet
constant que le juge d’instruction ne peut instruire que sur les faits dont il est régulièrement saisi, soit,
conformément aux dispositions de l’article 80 du Code de procédure pénale, aux faits visés dans le réquisitoire
introductif du procureur de la République, auxquels s’ajoutent les faits qui « bien que non expressément visés dans
le titre de la poursuite, ne constituent que des circonstances du fait principal se rattachant à lui et propres à le
caractériser » (Cass. crim., 10 mars 1977, Bull. crim. n° 92). Or, en l’espèce, le procureur de la République a ouvert
une information judiciaire sous la seule qualification de vol commis en bande organisée avec arme. Les éventuels
participations à la vente de divers produits stupéfiants de Marco n’entrent pas à l’évidence dans la saisine du juge
d’instruction et constituent des faits nouveaux que celui-ci doit transmettre au procureur de la République (CPP, art.
80, al. 3) et pour lesquels il est tout au plus autorisé à prendre des mesures conservatoires ou des mesures
permettant d’en fixer les preuves (Cass. crim., 6 févr. 1996, Bull. crim. n° 62), à l’exclusion d’actes qui présentent un
caractère coercitif, lesquels exigent la mise en mouvement préalable de l’action publique (Cass. crim., 30 mai 1996,
Bull. crim. n° 226. – Cass. crim., 30 juin 1999, Bull. crim. n° 176). Mais en l’espèce, force est de constater que le juge
d’instruction a reçu un réquisitoire supplétif du procureur de la République l’autorisant de ce fait à instruire sur les
faits liés à la vente de stupéfiants.
Il convient d’apprécier la conformité des perquisitions, de Fanfan personne dénoncée par Marco au juge
d’instruction, au regard des conditions de mise en œuvre. A ce propos, on rappellera qu’une perquisition est définie
par la jurisprudence comme « la recherche, à l’intérieur d’un lieu normalement clos, notamment au domicile d’un
particulier, d’indices permettant d’établir l’existence d’une infraction ou d’en déterminer l’auteur » (Cass. crim., 29
mars 1994, Bull. crim. n° 118). Aussi, dès lors que les policiers se sont introduits au domicile de Fanfan pour y
effectuer des recherches, on peut affirmer qu’ils ont procédé à une perquisition. Reste à savoir si les conditions
prévues par les articles 56 et suivants du Code de procédure pénale ont été respectées.
En premier lieu, on ne saurait discuter le fait qu’en raison de la qualité de suspect de Fanfan et des révélations faites
par Marco et de la nature de l’infraction commise, la perquisition était une mesure nécessaire et proportionnée. On
passera de même rapidement sur la question de l’assentiment de l’intéressé, dès lors que celui-ci n’a pas à être
recueilli quand les policiers agissent comme en l’espèce dans le cadre d’une enquête d’instruction.
L’énoncé soulève en revanche quelques difficultés.
La première tient à la présence de Fanfan, personne intéressée au moment de la perquisition. Or, l’article 57 du code
de procédure pénale prescrit à cet égard que la perquisition doit être faite en présence de cette personne ou, en cas
d’impossibilité, en présence d’un représentant choisi par elle, ou à défaut, en présence de deux témoins choisi par
l’officier de police judiciaire et requis à cet effet et ne relevant pas de son autorité administrative. En l’espèce, rien
n’est indiqué sur ce point. C’est donc sous réserve de cette condition, prévue par la loi à peine de nullité (CPP, art.
59, al. 2), qu’il est possible de conclure à la régularité de la perquisition chez Fanfan, étant précisé que
l’inobservation des dispositions en cause n’est susceptible d’entraîner la nullité de la procédure que si l’irrégularité
fait grief au demandeur (Cass. crim., 15 juin 2000, Bull. crim. n° 229), cependant du fait de l’interpellation de Fanfan
à l’issue de la perquisition, on peut donc affirmer qu’elle était présente au moment de la perquisition.
La seconde procède de l’article 59 du Code de procédure pénale, qui impose, à peine de nullité, que la perquisition
débute entre 6 heures et 21 heures. Or, l’opération a eu lieu après 21H puisque le juge d’instruction demande à des
policiers d’effectuer la perquisition à 21H. Par exception l’article 706-91 du Code de procédure pénale prévoit qu’en
matière de criminalité organisée, que le juge d’instruction peut autoriser l’officier de police judiciaire agissant sur
commission rogatoire à procéder, en dehors des heures légales, aux fins de perquisitions et saisies de pièces à
conviction, en dehors des locaux d’habitation. Cependant, en cas d’urgence, le juge d’instruction peut également
procéder à ces opérations dans les locaux d’habitation lorsqu’il existe un risque immédiat de disparition des preuves
ou des indices matériels, ou lorsqu’il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’une ou plusieurs
personnes se trouvant dans les locaux où la perquisition doit avoir lieu sont en train de commettre des crimes ou
délits entrant dans le champ d’application de l’article 706-73. Dès lors, si le régime dérogatoire est bien applicable
aux faits, ce qui ne saurait soulever de difficulté puisque les crimes et délits de trafic de stupéfiants prévus aux
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articles 222-34 à 222-40 du code pénal sont prévus à l’article 706-73 3° du code de procédure pénale, la perquisition
de nuit n’est pas irrégulière.
D - Le placement et le déroulement de la garde à vue de Fanfan
A l’issue de la perquisition, les officiers de police judiciaire agissant sur commission rogatoire procèdent à
l’interpellation de Fanfan, ce qui suppose qu’il ait été placé en garde à vue. En vertu de l’article 154 du code de
procédure pénale, les dispositions des articles 62-2 à 64-1 relatives de la garde à vue sont applicables lors de
l’exécution des commissions rogatoires.
En vertu de l’article 62-2 du Code de procédure pénale, la « garde à vue est une mesure de contrainte décidée par
un officier de police judiciaire, sous le contrôle de l’autorité judiciaire, par laquelle une personne à l’encontre de
laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre un
crime ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement est maintenue à la disposition des enquêteurs ». Le
placement en garde à vue est soumis à trois conditions cumulatives :
- d’une part, la mesure de garde à vue doit être décidée par un officier de police judiciaire, ce qui est le cas des
officiers de police judiciaire agissant sur commission rogatoire ;
- d’autre part, il doit exister des raisons plausibles de soupçonner que les personnes ont commis ou tenté de
commettre une infraction punie d’une peine d’emprisonnement. En l’espèce, l’énoncé précise que Marco et Fanfan
(la personne interpellée) participent activement à la vente de produits stupéfiants (faits pouvant être qualifiés de
cession illicite de stupéfiants punis de 10 ans d’emprisonnement et 7.500.000 € d’amende, art. 222-37, C. pén) ;
- enfin, la garde à vue doit constituer « l’unique moyen » de parvenir à l’un au moins des objectifs suivants : 1°
permettre l’exécution des investigations impliquant la présence ou la participation de la personne ; 2° garantir la
présentation de la personne devant le procureur de la République afin que ce magistrat puisse apprécier la suite à
donner à l’enquête ; 3° empêcher que la personne ne modifie les preuves ou indices matériels ; 4° Empêcher que la
personne ne fasse pression sur les témoins ou les victimes ainsi que sur leur famille ou leurs proches ; 5° Empêcher
que la personne ne se concerte avec d'autres personnes susceptibles d'être ses coauteurs ou complices ; 6° Garantir
la mise en œuvre des mesures destinées à faire cesser le crime ou le délit. En l’espèce, la garde à vue est justifiée,
notamment, par les investigations impliquant la participation de Fanfan.
La décision de placer Fanfan en garde à vue est ainsi parfaitement régulière.
Si la mesure est régulière dans son principe, il convient à présent d’en étudier le déroulement.
En premier lieu, il convient de vérifier que Fanfan a reçu notification de ses droits, et ce « immédiatement » ainsi
que la loi en fait l’obligation (CPP, art. 63-1), étant précisé que, selon une jurisprudence constante, « tout retard
dans la mise en œuvre de cette obligation, non justifié par une circonstance insurmontable, porte nécessairement
atteinte aux intérêts de la personne concernée » (Cass. crim., 31 mai 2007, Bull. crim. n° 146). Or, en l’espèce, force
est de constater qu’il a demandé à s’entretenir avec son avocat, ce qui suppose que ses droits lui ont été notifiés.
Il importe par ailleurs que le juge d’instruction soit informé « dès le début de la garde à vue » (CPP, art. 63, al. 2), la
Cour de cassation considérant là encore que « tout retard dans la mise en œuvre de cette obligation, non justifié par
des circonstances insurmontables, fait nécessairement grief aux intérêts de la personne concernée » (Cass. crim., 29
févr. 2000, Bull. crim. n° 93). Or, au cas présent, en l’absence de précision on supposera que le juge d’instruction a
bien été informé.
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Droit public
QRC
Corrigé élaboré par J.P. Gélin et M. Thaury
L’intercommunalité (7 points)
(Corrigé avec proposition de plan apparent I/II)
Plus que la superposition des niveaux d’administration, c’est indéniablement l’ « émiettement communal » qui
caractérise l’organisation territoriale de la France. Forte de plus de 36 000 communes, celle-ci dispose d’un maillage
territorial particulièrement dense. Mais avec une immense majorité de communes de moins de 5 000 habitants, la
France se heurte également à la difficulté d’opérer une décentralisation effective alors que de nombreuses
municipalités n’ont pas les moyens humains ou financiers pour exercer les compétences qui leurs sont conférées par
la loi. C’est pour faire face à cette difficulté, mais aussi pour tenir compte de l’échec de la politique de fusion de
communes initiée par la loi « Marcellin » du 16 juillet 1971, que la France a fait le choix de l’intercommunalité. Si elle
apparaît comme une réponse adéquate aux difficultés découlant de l’émiettement communal, l’intercommunalité
est toutefois confrontée, aujourd’hui, à de nouveaux enjeux.
I. Le développement des différentes formes d’intercommunalité en réponse à la problématique de
l’émiettement communal
L’intercommunalité désigne les différentes formes de coopération existant entre les communes. Dans l’immense
majorité des cas, cette coopération sera dite institutionnelle en ce sens que plusieurs communes vont se regrouper
au sein d’établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) dotés de la personnalité morale de droit
public. A ce stade, il convient de distinguer l’intercommunalité de gestion et l’intercommunalité de projet.
La première, qui correspond davantage au modèle historique de l’intercommunalité, s’opère par la gestion
commune de certains services publics ou la réalisation d’équipements locaux, de manière à mieux répartir les coûts
et à profiter d’économies d’échelle. Elle débouche sur la création de syndicats intercommunaux à vocation unique
(SIVU) ou de syndicats intercommunaux à vocation multiple (SIVOM) dont le financement est assuré sans fiscalité
propre. En outre, il s’agit d’un syndicalisme « à la carte » car, dans le cas d’un SIVOM, chaque collectivité membre
peut décider de n’adhérer que pour une partie des compétences exercées.
La seconde, plus intégrée, connaît un régime de fiscalité propre, ce qui permet aux communautés de disposer de
recettes fiscales directes. Ces communautés exerceront de plein droit certaines compétences en lieu et place des
communes, compétences qui pourront éventuellement être enrichies si tel est le souhait des collectivités membres.
La procédure de création de ces établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) combine pouvoir
d’organisation de l’Etat et respect de la volonté des communes. Ainsi, la création des EPCI résulte toujours d’une
décision de l’État qu’il s’agisse d’une loi (par exemple, celle du 31 décembre 1966 créant quatre communautés
urbaines ou encore celle du 27 janvier 2014 créant trois Métropoles) ou d’un arrêté préfectoral fixant le périmètre
de l’EPCI et ses statuts. Dans ce deuxième cas, dans les trois mois qui suivent l’arrêté préfectoral, un accord des
communes doit être obtenu à la majorité qualifiée des deux tiers des conseils municipaux, représentant plus de la
moitié de la population, ou de la moitié des conseils municipaux, représentant les deux tiers de la population.
Si la coopération intercommunale est apparue de façon assez ancienne avec la loi du 22 mars 1890 créant le SIVU,
elle a connu un renforcement et une modernisation avec les lois du 6 février 1992 et du 12 juillet 1999. Le législateur
a clairement souhaité favoriser l’intercommunalité intégrée. Il a ainsi créée à cet effet les communautés urbaines (loi
31
du 31 décembre 1966), les communautés de communes (loi du 6 février 1992) et les communautés d’agglomération
(loi du 12 juillet 1999).
II. Achèvement, rationalisation et démocratisation : les nouveaux enjeux de l’intercommunalité
L’intercommunalité a donné lieu à de récentes réformes qui ont eu pour objet l’achèvement, la
rationalisation et la démocratisation.
En premier lieu, la loi du 16 décembre 2010 a conféré des pouvoirs accrus au préfet pour achever la carte
intercommunale. Ensuite, afin d’aller encore plus loin dans la voie de l’intégration, la loi du 16 décembre 2010 a créé
deux nouvelles structures : les pôles métropolitains et les métropoles. Le pôle métropolitain est « un établissement
public constitué par accord entre des établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre »
(art. L5731-1 CGCT). Il se superpose donc à d’autres EPCI. Son objectif est de promouvoir « un modèle de
développement durable du pôle métropolitain et d’améliorer la compétitivité et l’attractivité de son territoire, ainsi
que l’aménagement du territoire infra-départemental et infrarégional ». Il est compétent « en vue d’actions d’intérêt
métropolitain en matière de développement économique, de promotion de l’innovation, de la recherche, de
l’enseignement supérieur et de la culture, d’aménagement de l’espace (…) et de développement des infrastructures
et des services de transports ». Créé sur le mode du volontariat des EPCI, les assemblées délibérantes de chaque
EPCI se prononçant par délibérations concordantes sur l’intérêt métropolitain des compétences transférées au pôle
métropolitain, le pôle métropolitain, qui peut déborder le cadre départemental, compte 300 000 habitants dont 150
000 issus d’un même EPCI à fiscalité propre.
Egalement créé par la loi du 16 décembre 2010, la métropole a été profondément réformée par la loi du 27
janvier 2014. Cette dernière distingue les métropoles dites « de droit commun » et les métropoles à statut
particulier. La création des premières devient automatique dès lors que les conditions légales sont réunies. Ainsi, à
compter du 1er janvier 2015, les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre (EPCI) qui
forment, à la date de la création de la métropole, un ensemble de plus de 400 000 habitants dans une aire urbaine
de plus de 650 000 habitants sont transformés par décret en métropole. En outre, la création de métropoles à la
demande des intéressés est possible. Cette demande doit résulter d'un accord exprimé par deux tiers au moins des
conseils municipaux des communes intéressées représentant plus de la moitié de la population totale de celles-ci ou
par la moitié au moins des conseils municipaux des communes représentant les deux tiers de la population. Elle
concerne notamment les EPCI à fiscalité propre qui forment, à la date de la création de la métropole, un ensemble
de plus de 400 000 habitants et dans le périmètre desquels se trouvent le chef-lieu de région et les EPCI, centres
d'une zone d'emplois de plus de 400 000 habitants. La création de la métropole est également prononcée par
décret.
S’agissant des métropoles à statut particulier, il s’agit de la métropole du « Grand Paris » qui sera créée le 1er janvier
2016 et se substituera aux 19 intercommunalités existantes ; de la métropole de Lyon qui sera créée à compter du
1er janvier 2015 en lieu et place de la communauté urbaine de Lyon et de la portion du département du Rhône
située dans son périmètre urbain et, enfin, de la métropole d' « Aix-Marseille-Provence » qui regroupera à compter
du 1er janvier 2016 l'ensemble des communes membres de la communauté urbaine Marseille Provence métropole,
de la communauté d'agglomération du Pays d'Aix-en-Provence, de la communauté d'agglomération Salon Étang de
Berre Durance, de la communauté d'agglomération du Pays d'Aubagne et de l'Etoile, du syndicat d'agglomération
nouvelle Ouest Provence et de la communauté d'agglomération du Pays de Martigues.
Enfin, la démocratisation des assemblées communautaires a été décidée par la loi du 16 décembre 2010. La
loi électorale du 17 mai 2013 met en œuvre ce principe. En mars 2014, les citoyens ont donc élus, pour la première
fois, leurs conseillers municipaux et leurs conseillers communautaires grâce à un système de « fléchage ». Afin
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d’étendre ces dispositions au plus grand nombre de communes et d’établissements publics de coopération
intercommunale, les conseillers municipaux sont élus au scrutin de liste au-delà de 1 000 habitants au lieu de 3 500
auparavant.
Le droit d’amendement sous la Cinquième république (6 points)
Le droit d’amendement est le droit de soumettre au vote des assemblées parlementaires des modifications
aux textes dont elles sont saisies, qu’il s’agisse de projets de loi, ou de propositions de loi. Les amendements
peuvent avoir pour objet de supprimer, modifier, compléter voire enrichir un texte. Le droit d’amendement apparaît
comme le prolongement du droit d’initiative législative. Reconnu par l’article 44 de la Constitution, il appartient tant
au Gouvernement qu’aux parlementaires. Le droit d’amendement est soumis à un double encadrement, textuel et
jurisprudentiel, même si son exercice tend à être facilité par les modifications apportées à la Constitution en 1958 en
2008.
En premier lieu, afin d’assurer une certaine maîtrise de la procédure législative au gouvernement, plusieurs
restrictions au droit d’amendement des parlementaires ont été prévues. Ainsi, les amendements peuvent être
déclarés irrecevables, soit à défaut d’une soumission préalable à la commission chargée d’examiner le texte ; soit
parce qu’ils auraient pour effet de réduire une recette ou d’accroître une dépense ; soit, enfin, parce qu’ils
empiéteraient sur le domaine du pouvoir réglementaire consacré par l’article 37 de la Constitution. En outre, l’article
44 alinéa 3 permet au Gouvernement de recourir à ce qu’il est convenu d’appeler le « vote bloqué ». Il s’agit de la
possibilité pour le Gouvernent de demander à l’assemblée saisie de statuer par un seul vote sur tout ou partie du
texte en ne retenant que les amendements proposés ou acceptés par le Gouvernement. Utile pour faire face à
l’obstruction parlementaire et pour placer le Parlement devant ses responsabilités, cette technique n’en demeure
pas moins brutale et parfois abusive, notamment lorsqu’elle est utilisée à l’égard des textes proposés par
l’opposition pour en faciliter le rejet.
En second lieu, le droit d’amendement est encadré par la jurisprudence du Conseil constitutionnel au nom
de l’exigence de sincérité des débats parlementaires. Ce dernier censure en effet les « cavaliers législatifs », à savoir
les dispositions introduites dans un texte sans avoir de réel lien avec celui-ci, tout comme les dispositions qui
méconnaissent la règle « de l’entonnoir » en vertu de laquelle des articles nouveaux ne peuvent être introduits après
la première lecture dans chaque chambre.
En troisième lieu, la volonté de revaloriser le Parlement s’est manifestée à l’occasion de la révision
constitutionnelle du 23 juillet 2008 par diverses innovations concernant le droit d’amendement. Tout d’abord
l’article 45 alinéa 1 prévoit que « sans préjudice de l'application des articles 40 et 41, tout amendement est
recevable en première lecture dès lors qu'il présente un lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis ». Ces
dispositions visent à assouplir la jurisprudence du Conseil à l’égard des cavaliers législatifs même si en pratique il
s’avère difficile de distinguer une disposition dépourvue de rapport avec l’objet du texte et une disposition
présentant un lien même indirect avec le texte… Ensuite, les prérogatives des commissions ont été renforcées. En
effet, le principe est désormais que, s’agissant des projets de loi, la discussion en séance publique s’ouvre sur la base
du texte de la commission et non plus du gouvernement, étant précisé que le droit d’amendement s’exerce en
commission.
En définitive, l’exercice du droit d’amendement sous la Cinquième république demeure un droit effectif et
vient contredire l’idée d’un Parlement qui ne serait que la « chambre d’enregistrement » de la volonté de l’exécutif.
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Le recours pour excès (6 points)
(Corrigé avec proposition de plan apparent I/II)
Gaston Jèze décrivait en 1929 le recours pour excès de pouvoir comme « l’arme la plus efficace, la plus
économique, la plus pratique qui existe au monde pour défendre les libertés ».
Le recours pour excès de pouvoir (REP), érigé au rang de principe général du droit avec l’arrêt du Conseil
d’Etat, Dame Lamotte, du 17 février 1950, et constitutionnalisé avec la décision du Conseil constitutionnel du 23
janvier 1987, est l’une des voies de recours offertes à l’administré dans le cadre d’une procédure administrative
contentieuse. En 1881, Edouard Laferrière proposait, dans son Traité de la juridiction administrative, une
classification révélant l’existence de quatre types de contentieux : le contentieux de pleine juridiction, le contentieux
de l’annulation, le contentieux de l’interprétation et de l’appréciation de la légalité et le contentieux de la
répression. Toutefois, le champ du contentieux administratif se résume souvent autour de la dualité « recours de
plein contentieux - recours pour excès de pouvoir » dès lors que ceux-ci sont les plus fréquents. A l’inverse du
recours de plein contentieux, le REP est un procès objectif fait à un acte, dans un délai de deux mois à compter de sa
publication ou de sa notification, ayant pour objet la seule annulation de l’acte administratif illégal qui vaudra alors
erga omnes (autorité absolue de la chose jugée). L’annulation peut être décidée pour cause d’illégalités affectant
l’acte, d’ordre externe (incompétence de l’auteur de l’acte et vice de forme et de procédure), ou interne
(détournement de pouvoir et violation de la loi). La mission historique du REP, à savoir celle de soumettre
l’administration au principe de légalité, a participé de manière décisive à la consécration de l’Etat de droit et à la
défense des libertés. Le REP, revêtant au départ un caractère subsidiaire par rapport au plein contentieux, a, au fur
et à mesure, gagné en importance pour se trouver au premier rang du contentieux administratif. Paradoxalement, si
le REP témoigne d’un moment de crise - en raison de la formation même d’un recours -, il illustre aussi la défense
des administrés contre l’éventuel arbitraire de l’administration. Toutefois, c’est cette même consécration de l’Etat
de droit, que le REP a rendue possible, qui a révélé les limites de ce recours. En effet, le REP a été dénoncé par la
doctrine en raison de ses conséquences néfastes pour la protection de garanties individuelles - pourtant raison
d’être du recours. Un certain nombre de transformations semblaient alors s’imposer afin que le REP continue de
remplir sa mission de défense des libertés. Jean-Marie Woehrling souligne à cet égard qu’« une justice moderne
conforme à la conception actuelle de l’Etat de droit nécessite des voies d’action plus évoluées ». Les transformations
que traverse le REP vont-elles dans le sens d’un renforcement de son rôle d’« arme » de défense des libertés ?
Le REP est à la fois marqué par un élargissement de ses cas d’ouverture, de même que par une extension des
missions du juge de l’excès de pouvoir.
I - L’élargissement des cas d’ouverture du REP.
L’ouverture du recours est le fruit de la jurisprudence, elle consiste à assouplir les conditions traditionnelles
de recevabilité et la notion d’acte susceptible de recours.
Les conditions initiales de recevabilité font apparaître la nécessité de respecter les délais de recours ainsi
que l’existence d’un intérêt à agir personnel et direct (CE 29 mars 1901, Casanova, CE, 2002, Diraison, irrecevabilité
du recours dirigé contre une décision favorable de l’administration qui répond à une demande de l’administré). Les
assouplissements jurisprudentiels consacrent une conception extensive de la notion d’intérêt à agir qui peut ne plus
être personnel mais collectif (CE 28 décembre 1906, Association des patrons coiffeurs de Limoges). S’agissant des
délais de recours, l'indication erronée, dans la notification d'un jugement, d'un délai supérieur à celui de droit
commun, fait courir le délai de recours ainsi mentionné et non celui normalement applicable (CE 10 janv. 2001,
Territoire de la Polynésie française, CE 27 mars 2006, Kaci).
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Enfin, s’agissant de la notion même d’acte pouvant faire l’objet d’un recours, la jurisprudence est marquée
par des évolutions très significatives. Le régime des circulaires a été traversé par des évolutions importantes. En
1954, le Conseil d’Etat déduit de la pratique ministérielle l’existence de circulaires règlementaires susceptibles de
faire l’objet d’un REP (CE, 1954, Notre Dame du Kriesker). Cette jurisprudence ne prenant pas en compte le cas des
circulaires interprétatives faisant une interprétation erronée de la loi, la jurisprudence Duvignères de 2002 établit
une nouvelle distinction entre circulaire indicative insusceptible de recours et circulaire impérative susceptible de
recours. On notera que ce critère de recevabilité a été repris pour le cas particulier des directives.
Quant aux mesures d’ordre intérieur, le Conseil d’Etat a opéré une véritable révolution. Traditionnellement
insusceptibles de recours parce qu’elles sont nécessaires au maintien d’une certaine discipline, et surtout pour éviter
une contestation tous azimuts, elles sont désormais susceptibles d’être contestées lorsqu’elles revêtent une certaine
gravité. Il en va ainsi de la décision d’exclure une élève d’un collège (CE, 2 novembre 1992, Kherouaa) mais aussi de
la mise en cellule de punition d’un détenu pour huit jours ; ou de la punition d’arrêt de 10 jours infligée à un militaire
(CE, 17 février 1995, Marie et Hardouin).
Par deux décisions du 14 décembre 2007, Planchenault et Garde des sceaux, ministre de la justice c/ M.
Boussouar, l'assemblée du contentieux a décidé, dans une volonté de clarifier et de stabiliser la jurisprudence,
d'élargir encore le spectre des actes susceptibles de recours. Ce sont deux décisions de principes : l'une concerne le
transfert d'un détenu d'une maison centrale à une maison d'arrêt, l'autre un déclassement d'emploi ou retrait
d'emploi, mais les deux visent également des hypothèses étrangères au cas d'espèce. Les décisions de 2007
confirment que, pour déterminer si une mesure pénitentiaire constitue un acte administratif susceptible de recours
pour excès de pouvoir, il y a lieu d'apprécier sa nature et l'importance de ses effets sur la situation des détenus. Le
critère de la nature de la mesure recouvre trois séries d'éléments : en premier lieu, son objet ; en deuxième lieu, son
caractère ; et, le cas échéant, en troisième lieu, son statut juridique. Le critère des effets de la mesure renvoie aux
conséquences qu'elle est susceptible d'entraîner. Celles-ci doivent être appréciées, compte tenu de leur gravité, tant
sur le plan juridique que sur le plan strictement matériel - ce qui renvoie aux conditions concrètes de détention.
II/ L’accroissement des pouvoirs du juge de l’excès de pouvoir.
Plusieurs possibilités ouvertes par la jurisprudence au juge de l’excès de pouvoir, notamment la substitution
de base légale (CE, 8 avril, 1987, Procopio), la réformation interprétative (CE, 25 mars 2002, Caisse d’assurance
Accidents agricoles), ou la substitution de motifs (CE, 6 février 2004, Hallal). Parmi ces possibilités nouvelles, ce sont
les nouveaux pouvoirs de juge de l’excès de pouvoir, en termes d’injonction (loi du 8 février 1995) et de modulation
dans le temps des effets de l’annulation, qui semblent être les transformations les plus remarquables. L’annulation
rétroactive des actes est considérée par le Conseil d'Etat comme une exception au principe de non-rétroactivité. Le
problème est que l’acte ayant des produits des effets durant toute l’instance, le retour au statu quo ante est parfois
impossible et relève de la pure fiction. Pour éviter ces inconvénients le juge module la légalité en permettant la
régularisation de certains actes (vice de forme ou de procédure) ou procédant lui-même à sa sauvegarde par la
substitution de motifs par exemple.
Plus récemment, le juge a admis de moduler les effets d’une illégalité. Soucieux des effets de la rétroactivité
de l’annulation le juge a tout d’abord procédé à la modulation temporelle des effets de l’annulation ; cela signifie
qu’il peut reporter les effets d’une annulation en permettant à l’administration de prendre les mesures nécessaire le
cas de figure se rencontre lorsque l’administration est tenu d’agir mais n’a pas encore agit car toute action suppose
un délai. Dans ce cas le juge signale le risque et accorde un délai raisonnable pour agir (CE, 2002, Villemain), il ne
s’agit pas à proprement d’une annulation aux effets différés même si elle s’en rapproche. L’annulation
conditionnelle ou annulation différé concerne le cas d’annulation de refus d’abroger un acte réglementaire dans ce
cas le juge accorde, après avoir annulé le refus d’abroger, une alternative entre la modification de l’acte
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réglementaire pour parvenir à sa légalité ou l’abrogation du règlement illégal. Parachevant cette évolution l’arrêt
AC ! et autres de 2004, permet un aménagement temporel de l’annulation :
-certaines dispositions peuvent conformément au droit commun être annulées
- d’autres peuvent être annulées sans effets rétroactifs
-enfin le juge peut différer l’annulation en reportant ses effets dans le temps ce qui laisse aux autorités le
temps d’assurer la transition voir la continuité
A mesure que les prérogatives du juge de l’excès de pouvoir augmentent, le REP semble tendre vers un
rapprochement avec le recours de plein contentieux. Pour certains, la dualité REP/plein contentieux serait devenue
inutile, et la classification évoluerait vers une distinction entre contentieux des actes individuels et contentieux des
actes règlementaires.
Aujourd’hui, même s’il se transforme, le REP n’est pas pour autant caduque : il continue d’occuper le 1er rang
du contentieux et garde son autonomie. La distinction REP/plein contentieux demeure, en effet, essentielle. Les
pouvoirs du juge de l’excès de pouvoir restent plus limités. En outre, s’agissant du REP, un simple intérêt à agir suffit
pour l’engager, et la décision juridique revêt autorité absolue de la chose jugée. Tandis que dans le cadre du plein
contentieux, le requérant doit justifier d’un droit lésé, et la décision du juge ne revêt que l’autorité relative de la
chose jugée. Enfin, si certaines matières tombent dans le giron du plein contentieux (sanctions administratives : CE,
16 février 2009, ATOM) ; d’autres tombent dans celui du REP (contentieux contractuel: actes détachables et recours
des tiers contre les clauses règlementaires) : l’un ne « s’empare » pas de l’autre.
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