corriges des cb 2 enm / enm ae
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CORRIGES DES CB 2 ENM / ENM AE Droit civil Le tiers et le contrat Cas pratique : Monsieur BLAIN Culture générale Le modèle européen est-il en crise ? Pénal Les fonctions de la peine Cas pratique : Marco le filou QRC 1) L'intercommunalité (7 points) 2) Le droit d'amendement (6 points) 3) Le recours en excès de pouvoir (7 points) 1 Droit civil DISSERTATION Le tiers et le contrat Corrigé élaboré par Jacob Berrebi Envisager la relation entre le tiers et le contrat implique de revenir sur l’une des principales frontières dressées par les rédacteurs du Code civil, aux termes duquel, si le contrat est une norme, la loi contractuelle est relative. Le juge détermine alors la mesure des bouleversements patrimoniaux que provoque la convention dans l’ordre juridique, de même qu’il est institué gardien des effets du contrat sur la situation du tiers. En vertu de l’article 1101 du Code civil, le contrat est « la convention par laquelle une ou plusieurs personnes s’obligent envers une ou plusieurs autres, à donner, à faire ou ne pas faire quelque chose ». Le contrat est un acte juridique, émanant de la volonté des parties, les obligeant à ce qu’elles ont voulu. Les personnes qui ont exprimé leur volonté créatrice et qui dès lors sont obligés patrimonialement par la convention sont désignés parties ou contractants. Se dessine alors une summa divisio, une distinction naturelle entre les parties et les tiers au contrat. En apparence, la distinction est simple : les parties sont celles qui ont conclu le contrat en leur nom, tandis que les tiers sont toutes les personnes à l’exclusion des contractants. Il s’agit donc de qualifications alternatives : la première, celle de partie, nécessite une constatation positive, c'est-à-dire l’identification des personnes engagées par le contrat ; la seconde s’opère par défaut de la première, puisque si l’on n’est pas partie, l’on est tiers. La distinction notionnelle entre parties et tiers au contrat est essentielle en ce qu’elle participe à la structure même du droit des obligations et à l’opposition entre les régimes des actes et des faits juridiques. Saisir donc la distinction relève de l’entreprise de qualification judiciaire laquelle précède naturellement la mise en œuvre d’un régime idoine par le juge. Tel est le sens de la relativité des conventions exprimées aux articles 1119 et 1165 du Code civil. Ces textes qui demeurent dans leur rédaction originelle de 1804, constituent des compléments parfaits du sacro-saint principe de la force obligatoire des conventions de l’article 1134 du Code civil, lequel dispose que le contrat est la loi contractuelle pour les parties. A contrario, le contrat n’oblige pas les tiers. Cependant, la simplicité de la distinction commandée par les principes fondamentaux du droit des obligations cède devant l’important contentieux en la matière et le constat de l’impact du contrat et de ses effets sur la situation patrimoniale de certains tiers. D’abord, certains textes effacent la distance que les principes installent ; il en est ainsi de la stipulation pour autrui de l’article 1121 du Code civil, qui figure au premier rang des exceptions textuelles à l’effet relatif des conventions de l’article 1165. Encore, parce que la notion de tiers n’est pas uniforme et qu’elle connaît des degrés, allant de l’intéressé par le contrat au tiers absolu à celui-ci. Enfin, parce la complexification de la vie des affaires et corrélativement des contrats conduit à ne plus envisager le contrat de manière isolée mais au sein d’opérations elles-mêmes complexes. Aussi convient-il de relever que le tiers se situe en principe en dehors du champ contractuel (I) tout en mesurant cette affirmation dès lors que l'on constate que le rayonnement contractuel est susceptible d’affecter la situation du tiers (II). I – LE TIERS EN DEHORS DU CHAMP CONTRACTUEL L’article 1165 du Code civil, que le Doyen Carbonnier désignait comme le fidèle lieutenant de l’article 1134 du Code civil et de la force obligatoire des conventions, en dispose clairement : la relativité des conventions implique que le tiers est protégé des effets du contrat (A) comme exclu de son bénéfice (B). A – Le tiers protégé des effets du contrat Le droit civil des obligations et des contrats repose tout entier sur le sacro-saint- principe de l’autonomie de la volonté. Cette volonté engage ; a contrario, celui qui est tiers n’est pas obligé par le contrat (1), mais peut dans certaines hypothèses s’opposer aux engagements convenus (2). 1) Le tiers n’est pas obligé par le contrat 2 S’il est acquis que le contrat est une norme, il ne saurait obliger de manière générale. Derrière l’évidence de cette affirmation, se dessine un schéma conventionnel complexe rappelant que le contrat intègre l’ordre juridique en provoquant des bouleversements patrimoniaux. En vertu du principe de la relativité des conventions, le juge est institué, par le Code civil, garant du caractère limité de ces bouleversements. Ainsi, la sphère contractuelle est par principe clairement délimitée puisque le principe de la relativité des conventions interdit son extension à d’autres personnes que les contractants. C’est le sens d’une disposition méconnue du Code civil, qui intervient comme un prélude aux dispositions essentielles : l’article 1119 du Code civil prévoit que « On ne peut, en général, s’engager ni stipuler en son propre nom que pour soi-même ». L’article 1165 du Code civil est la première disposition spécifiquement consacrée aux effets des obligations à l’égard des tiers. Précisément, selon le doyen Weill, l’article 1165 détermine le domaine d’efficacité des contrats (Weill, La relativité des conventions en droit privé français, Strasbourg, 1939). La combinaison entre ces dispositions conduit à un constat essentiel : l’effet obligatoire des conventions ne joue qu’entre les parties. La doctrine libérale du XIXème siècle affirmait le caractère absolu de ce principe, considérant que les tiers ne peuvent subir aucun effet né du contrat. Les conséquences de la distinction sont tout aussi évidentes puisque, né de la rencontre des volontés, le contrat constitue un acte juridique, c'est-à-dire destiné à produire des effets de droit entre les parties. L’acte engage alors dans les termes des articles 1134 et suivants du Code civil et donc soumet les parties à la loi contractuelle et à son obligatoriété. C’est à ce titre que le contrat est opposable aux tiers. Dire que le contrat n’oblige pas les tiers signifie que les contractants ne peuvent prévoir dans les contrats une obligation à la charge des tiers. Pour autant, cela ne signifie pas qu’il est sans influence sur la situation juridique d’autrui. Relativité et opposabilité trouvent à se mêler s’agissant des questions relatives à la circulation des obligations. Des mécanismes comme la délégation de créance (articles 1275 et suivants) ou la subrogation (articles 1250 et suivants) constituent des mécanismes visant au paiement et à l’extinction d’obligations à la charge ou en faveur de tiers (par exemple, un subrogé peut être appelé à exécuter les obligations du subrogé au bénéfice d’un tiers). 2) Le tiers peut s’opposer aux effets du contrat Le projet de réforme du droit des contrats propose la consécration d’un nouvel article 1201 au sein du Code civil aux termes duquel « Les tiers doivent respecter la situation juridique créée par le contrat. Ils peuvent s’en prévaloir notamment pour apporter la preuve d’un fait ». Le contrat n’est pour le tiers qu’un fait juridique, c'est-à-dire a priori sans effet voulu d’ordre personnel ou d’ordre patrimonial. Par conséquent, le contrat lui serait, en théorie, indifférent. Cependant, le contrat valablement conclu intègre l’ordre juridique et les tiers peuvent indirectement être concernés par l’influence exercée par le contrat sur leur environnement juridique. Reste que le tiers peut à ce titre s’opposer aux effets du contrat parce qu’il lui nuit. Cette logique du droit des contrats connaît des répercussions dans toutes les matières du droit, y compris en matière de procédure civile. C’est ainsi qu’un important arrêt de l’Assemblée plénière de la Haute juridiction énonce que « constitue un droit fondamental, en vue d’un procès équitable, le droit d’être pleinement informé de la faculté de contester devant un juge une transaction opposée à celui qui n’y est pas partie » (Ass. plén. 29 mai 2009). D’autres mécanismes classiques sont topiques. On désigne de vraies exceptions à la relativité des conventions, les différentes actions détenues par un créancier visant à la préservation de sa créance et plus généralement, de son patrimoine, et visant à la critique des conventions passées par son débiteur qui pourraient y contrevenir. Elles sont au nombre de trois : d’abord, l’action oblique de l’article 1166 du Code civil qui, intentée par un créancier, vise à la recomposition du patrimoine de son débiteur. Le créancier va ainsi pouvoir réclamer au débiteur de son débiteur qu’il exécute son obligation à l’égard de ce dernier. Ensuite, l’action paulienne de l’article 1167 du Code civil qui, intentée par un créancier, vise à lui rendre inopposable l’acte juridique passé par son débiteur en fraude de ses droits. Enfin, l’action directe qui suppose un fondement légal ou conventionnel particulier et permet à un créancier d’agir contre le débiteur de son débiteur en raison d’un droit qui lui est propre (l’exemple le plus topique réside dans l’action prévue par la loi du 31 décembre 1975 du sous-traitant à l’encontre du maître de l’ouvrage débiteur à l’égard de l’entrepreneur principal, lui-même débiteur du sous-traitant). Ces actions sont qualifiées de véritables exceptions parce qu’elles offrent à un tiers la possibilité de critiquer un contrat (ex. de l’action paulienne) ou d’en demander l’exécution (ex. de l’action oblique et de l’action directe). 3 Au pareil, l’exemple de la simulation révèle la complexité des relations entre les parties à la convention et les tiers, et précisément la possibilité pour des tiers de se prévaloir de la convention des parties. L’article 1321 du Code civil dispose que « Les contre-lettres ne peuvent avoir leur effet qu’entre les parties contractantes ; elles n’ont point d’effet contre les tiers ». La simulation peut se définir comme le fait pour les parties de dissimuler leur volonté réelle, l’acte secret appelé « contre-lettre », aux tiers en leur exposant un acte simulé, appelé « acte ostensible ». L’exemple le plus connu est la donation déguisée. Derrière un acte de vente, les parties vont, en réalité, dissimuler une donation. L’on déduit d’une lecture a contrario du second membre de phrase de l’article 1321 du code civil, l’existence d’une option au bénéfice des tiers. Les tiers peuvent invoquer l’acte ostensible par application de l’article 1165 du Code civil. Reste que si la contre-lettre ne peut leur nuire, ils peuvent aussi s’opposer aux effets de l’acte apparent à leur égard. Ainsi, les tiers peuvent opter entre l’acte ostensible ou l’acte secret selon que leur bénéfice va à l’invocation de l’un ou de l’autre. Le contrat ni ne nuit ni ne profite au tiers : le tiers est naturellement protégé des effets du contrat ; cependant, le corollaire est tout aussi évident, il se trouve exclu de son bénéfice. B – Le tiers exclu du bénéfice du contrat Au risque de la tautologie, le tiers n’étant pas partie, il n’est pas engagé : il n’est donc nullement tenu d’exécuter une obligation conventionnelle ; de même, le tiers ne peut bénéficier directement des effets du contrat (1), cependant qu’indirectement il peut parfois profiter de la situation générée par le contrat (2). 1) Le tiers ne peut bénéficier directement des effets du contrat Le tiers ne saurait être débiteur contractuel. Nul ne saurait être obligé contre sa volonté en vertu des articles 1134 et 1165 du Code civil. Le corollaire est également à souligner : le tiers ne saurait être directement institué créancier contractuel. Ainsi, par principe, un tiers ne peut demander l’exécution d’une convention, ni plus qu’invoquer une stipulation contractuelle (Civ. 3ème, 25 septembre 2002 : sur les liens entre effet relatif et la copropriété). Le droit de la famille offre d’intéressantes illustrations de cette affirmation : il est ainsi constant que si les droits d’un époux né d’un contrat passé par lui tombent dans la communauté, son conjoint n’a pas la qualité de contractant, ce qui implique qu’il ne peut exercer lui-même les actions en garantie ou en réparation de nature contractuelle qui s’attachent à la convention (Civ. 2ème, 13 décembre 1989). Il en va de même du droit des sociétés : lorsque la société est dotée de la personnalité morale, les associés ne peuvent prétendre agir directement à l’égard du débiteur social défaillant, dès lors qu’ils ne sont pas liés par la convention et qu’ils n’apparaissent à l’égard du contractant de la société que comme de simples tiers (Civ. 3ème, 8 novembre 2000). Reste que le contrat peut être invoqué par le tiers. En effet, le contrat est opposable aux tiers mais également par les tiers. L’opposabilité par les tiers signifie ainsi qu’ils peuvent s’en prévaloir. Il s’agit d’une consécration de la jurisprudence constante de la Cour de cassation en la matière (Com. 19 octobre 1954). Reste que la Haute juridiction pose une condition : « Si un tiers peut se prévaloir du contrat en tant que situation de fait, c'est à la condition que celle-ci soit de nature à fonder l'application d'une règle juridique lui conférant le droit qu'il invoque » (Com. 18 décembre 2012). C’est à cette condition que le tiers peut bénéficier indirectement des effets du contrat. 2) Le tiers peut bénéficier indirectement des effets du contrat En apparence aisée, la distinction entre partie et tiers n’est pas si tranchée qu’elle n’y parait : la dichotomie entre tiers et parties n’est pas définitivement établie. L’impact de la convention sur les droits et obligations des parties est susceptible de se propager indirectement et d’influencer les droits et obligations de tiers plus ou moins liés aux contractants. C’est ainsi qu’en jurisprudence, l’on distingue non deux catégories de personnes mais trois : d’un côté, les contractants, de l’autre, les penitus extranei, c'est-à-dire les tiers totalement étrangers à la convention et à ses effets ; entre les deux, une troisième catégorie de personnes serait constituée de tiers affectés par les effets du contrat. Si, pour elles, le contrat ne constitue qu’un fait juridique, ce dernier interfère patrimonialement avec leurs droits et obligations. Se trouvent visées les personnes qui sont intervenues en vue de la réalisation de l’acte, tel 4 qu’un représentant d’une des parties, un mandataire (Civ. 3ème, 24 février 1988, à propos du dirigeant de société) ou encore, ceux qui sont tiers lors de la formation du contrat mais susceptibles a posteriori de se retrouver obligés par la convention, tels que les ayants-cause à titre particulier (par exemple, l’acquéreur d’un bien immeuble faisant l’objet d’un droit au bail) et bien évidemment les ayants-cause à titre universel (Com. 16 mars 1954 : sur la transmission du contrat aux héritiers du contractant défunt). Encore, il est des hypothèses légales dans lesquelles le tiers se voit reconnaître le bénéfice des effets du contrat. On désigne fausses exceptions à l’effet relatif des contrats, la promesse de porte-fort et la stipulation pour autrui. Prévue à l’article 1120 du Code civil, la promesse de porte fort est une convention par laquelle un promettant s’engage envers un bénéficiaire à obtenir l’engagement d’un tiers à l’égard du bénéficiaire. Prévue à l’article 1121 du Code civil, la stipulation pour autrui est la convention par laquelle un promettant s’engage auprès d’un stipulant à exécuter une obligation au profit d’un tiers. La seconde est expressément envisagée comme exception par l’article 1165 du Code civil. La promesse de porte-fort et la stipulation pour autrui nuancent le principe de l’effet relatif des conventions en ce qu’elles impliquent un schéma contractuel qui intègre un tiers. Ce ne sont pourtant que de fausses exceptions, car le tiers ne participe pas à l’élaboration du contrat, ne peuvent en pâtir, en profite seulement s’il y consent. Tel est le cas de l’assurance-décès (appelée communément assurance-vie) par lequel le promettant est un assureur s’engage auprès du stipulant, le souscripteur, à verser une somme d’argent au profit d’un tiers, le bénéficiaire. Le juriste doit ainsi se garder d’une lecture trop manichéenne de la distinction entre partie et contrat, d’autant que l’intégration du contrat dans l’ordre juridique n’est pas sans conséquence sur la situation de certains tiers notamment les tiers intéressés. Par extension, le champ contractuel en principe limité aux patrimoines des contractants rayonne au point d’emporter des conséquences sur les tiers. II – LE RAYONNEMENT CONTRACTUEL AFFECTANT LE TIERS La jurisprudence récente démontre le caractère erroné du postulat libéral selon lequel seule la volonté détermine les effets du contrat et son rayonnement : la relativité des conventions est elle-même un principe relativisé en droit positif. Les mutations du droit de la responsabilité civile (A) comme du droit des contrats (B) corroborent cette affirmation. A – Le rayonnement contractuel et les mutations du droit de la responsabilité civile Dès le XIXème siècle, la jurisprudence a posé le principe de non-cumul des responsabilités contractuelle et délictuelle. Ainsi, en 1890, la Haute juridiction a affirmé que : « le créancier d’une obligation contractuelle ne peut se prévaloir contre le débiteur de cette obligation, quand bien même il y aurait intérêt, des règles de la responsabilité délictuelle » (Req. 21 janvier 1890). Se dessine alors l’idée que l’effet relatif des conventions dresse une frontière entre la situation du contractant et la situation du tiers. Pourtant, cette dichotomie n’est pas définitive, ni plus que la frontière n’est imperméable. L’on constate une responsabilité du tiers dans l’inexécution du contrat (1) ou encore une possible responsabilité du contractant à l’égard du tiers (2). 1) De la responsabilité du tiers dans l’inexécution du contrat Le tiers n’est pas indifférent au contrat. Ce qui semble désormais établi connaît des fortes répercussions en droit de la responsabilité. Si des pénitus extranei sont en mesure d’arguer leur méconnaissance d’une relation contractuelle, tel n’est pas le cas de certains tiers dits intéressés ou susceptibles de le devenir dans le temps. Est topique l’hypothèse dans laquelle un contractant argue d’un contrat pour rechercher la responsabilité d’un tiers en suite de l’inexécution de ses obligations par le débiteur. Lorsqu’un lien de droit ou de fait se crée entre le débiteur et le tiers et que celui-ci participe directement ou indirectement à l’inexécution, sa responsabilité peut être recherchée. En apparence, il s’agit d’une simple application de l’opposabilité des conventions, puisqu’au soutien de ses prétentions, le créancier contractuel, demandeur, va opposer au tiers le contrat. Cependant, en raison du principe de la relativité des conventions, la responsabilité du tiers ne pourra être engagée que s’il est démontré qu’il avait connaissance de l’obligation contractuelle inexécutée ou mal exécutée. Autrement dit, la responsabilité du 5 tiers pourra être établie sur le fondement de l’article 1382 du Code civil, si une faute est caractérisée au travers de deux éléments cumulatifs : la connaissance du tiers de l’obligation contractuelle et son rôle établi dans l’inexécution de celle-ci. C’est ainsi qu’une jurisprudence constante de la Cour de cassation pose les règles relatives à la responsabilité du tiers pour complicité de l’inexécution contractuelle. Dans un arrêt fondamental sur ce point, les hauts conseillers ont décidé que « toute personne qui, avec connaissance, aide autrui à enfreindre les obligations contractuelles pesant sur lui, commet une faute délictuelle à l’égard de la victime de l’infraction » (Com. 11 octobre 1971). Cette formule générale englobe des solutions prétoriennes déjà établies à la fin du XIXème siècle et au début du XXème, ce dont témoigne l’important contentieux de la violation des engagements de non-concurrence (Civ. 27 mai 1908). Précisément, un employeur qui embauche en connaissance de cause un salarié tenu par une obligation de nonconcurrence engage sa responsabilité délictuelle à l’égard de l’employeur précédent. L’on relève ainsi que si le contrat ne saurait obliger un tiers, celui-ci peut être tenu de ne pas en empêcher l’exécution. 2) De la responsabilité du contractant du fait du tiers Il est acquis que les tiers peuvent invoquer à leur profit la situation juridique ainsi créée, toutes les fois où ils sont en mesure de faire la preuve d’un intérêt personnel. Parmi les conséquences majeures de cette faculté, le tiers rechercher la responsabilité d’un contrat qui en exécutant le contrat ou, au contraire, en n’exécutant pas un contrat, lui a causé un dommage. En pareille hypothèses, ce n’est pas la loi contractuelle qu’il invoque à son profit : il oppose le contrat et les effets du contrat comme faits juridiques à l’origine d’un bouleversement indu de son patrimoine. Dans les chaînes translatives de propriété, le fondement de la responsabilité entre deux acteurs de la chaîne non directement liés est établi en considération de la chose. Cet intuitus rei commande que la responsabilité soit par principe de nature contractuelle alors même que le demandeur à l’action et le défendeur ne sont pas parties à un même contrat de vente. L’on considère alors que les actions en garantie par essence contractuelles sont transmises en même temps que la chose elle-même tout au long de la chaîne des conventions. Pourtant, une telle action en responsabilité contractuelle dans les chaînes de contrats translatives de propriété est aujourd’hui concurrencée sinon dépassée par l’action en responsabilité du fait des produits défectueux. L’action prévue aux articles 1386-1 et suivants du Code civil prévoit que lorsque les conditions en sont réunies, l’action joue pleinement et transcende le clivage traditionnel entre la responsabilité contractuelle et la responsabilité délictuelle, de sorte que la relativité des conventions devient inutile quant à la détermination du fondement de la responsabilité en cause. La qualité d’acquéreur et la qualité d’acteur de la chaîne de commercialisation d’un produit se substitue à celle de partie et de tiers. Dans les chaînes de contrats non translatives de propriété, le fondement de la responsabilité du contractant vis-à-vis du tiers est de nature délictuelle, ce qui est établi, depuis le célèbre arrêt de l’Assemblée plénière du 12 juillet 1991, rendu dans l’affaire Besse. Dans cette décision, la formation plénière de la Cour de cassation décide, au visa de l’article 1165 du Code civil, que « le sous-traitant n’étant pas contractuellement lié au maître d’œuvre, l’action de ce dernier ne peut être que délictuelle ». Par suite, les différentes formations se sont interrogées sur la nature et l’objet de la faute délictuelle devant être prise en compte. Ces débats controversés ont conduit à une nouvelle réunion de l’Assemblée plénière de la Cour régulatrice qui a rendu, le 6 octobre 2006, l’important arrêt Bootshop, porté par un principe aux termes duquel « le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage ». Si la portée de cette décision a été nuancée par la suite au travers de l’étude des deux autres conditions de la responsabilité délictuelle, elle témoigne du rapprochement évident entre les deux ordres de responsabilité. Précisément, la solution confine à une appréhension identique des fautes contractuelle et délictuelle dans le cadre des chaînes de contrat non translatives de propriété, et procède d’un mouvement de dérelativisation de la responsabilité contractuelle. C’est ainsi que le développement des chaînes de contrats a mené à un affaiblissement du principe en matière de responsabilité. La problématique davantage particulière des groupes de contrat a également conduit dans la jurisprudence récente à une nouvelle remise en cause de la distinction entre parties et tiers et donc à autre mise en évidence du rayonnement contractuel à l’égard de ces derniers. B – Le tiers et le droit des ensembles contractuels 6 La complexité nouvelle des contrats d’affaires a pour conséquence de lier au sein d’une même opération, au sein d’un même ensemble conventionnel, une pluralité d’acteurs économiques parfois parties, parfois tiers qui se trouvent intéressés et affectés par les différentes interactions. Le juge s’appuie sur les mécanismes d’indivisibilité et d’interdépendance (1) pour régler les relations patrimoniales des parties et tiers à l’opération (2). 1) De l’indivisibilité et de l’interdépendance contractuelles La question des ensembles de contrats est davantage particulière que celle des chaînes de contrats. Elle constitue un nouveau chantier pour la Haute juridiction confrontée à la mise en œuvre de l’article 1165 du Code civil dans le cadre d’opérations conventionnelles complexes. L’hypothèse est celle d’une opération tripartite, dans laquelle une personne contracte, d’une part, une convention portant sur une prestation de services et/ou de mise à disposition de matériels et, d’autre part, une convention de financement en vue de la location visée par le premier contrat. A l’égard du contractant principal, deux conventions sont donc conclues et intimement liées d’un point de vue économique. Juridiquement, est identifiée une indivisibilité ou interdépendance contractuelle. La définition du critère d’indivisibilité a longtemps posé problème en jurisprudence. La doctrine oppose généralement deux types d'indivisibilité : l'une, subjective, qui serait toute entière assise sur la commune intention des parties, et l'autre, objective, qui découlerait de la profonde unité économique d'un ensemble où chaque convention n'aurait aucun sens sans les autres. Cette opposition a entraîné d’importants débats prétoriens, conduisant à une nécessaire conciliation entre les différentes formations de la cour. Par deux arrêts rendus le 17 mai 2013, la Cour de cassation, en chambre mixte, apporte une réponse au problème essentiel et récurrent de l’interdépendance contractuelle, à l’origine d’un contentieux quantitativement fourni et d’appréciations jurisprudentielles disparates. Dans les deux affaires soumises, il revenait à la Cour de cassation réunie en chambre mixte de déterminer si, dans le cadre des opérations en cause, les contrats devaient être qualifiés d’interdépendants et, le cas échéant, si la volonté des parties était susceptible d’influer sur cette qualification ? Autrement posée, la question est celle de la portée d’une clause de divisibilité dans un ensemble de contrats économiquement liés. Réunie en chambre mixte, la Cour de cassation rejette le pourvoi formé à l'encontre de l'arrêt de la cour d'appel de Paris et casse l'arrêt de la cour d'appel de Lyon. Dans les deux cas, l’attendu de principe est identique : « Attendu que les contrats concomitants ou successifs qui s’inscrivent dans une opération incluant une location financière, sont interdépendants et que sont réputées non écrites les clauses des contrats inconciliables avec cette interdépendance ». Ainsi, la chambre mixte refuse de donner effet à une clause de divisibilité contractuelle insérée dans les conventions en cause. Le fondement de cette interdépendance contractuelle est l’article 1218 du Code civil (Com. 14 janvier 2014). C’est ce même texte qui pose le principe d’indivisibilité obligationnelle qui sert de fondement à deux décisions récentes de la Haute juridiction pour dire l’indivisibilité entre un contrat de vente et un contrat de prêt (Civ. 1ère, 10 septembre 2015, 2 arrêts). La Cour de cassation déduit de cette indivisibilité au sein de l’ensemble contractuel les conséquences patrimoniales pour les contractants comme pour les tiers. 2) Des conséquences sur les situations patrimoniales du contractant et du tiers Le droit nouveau et prétorien des ensembles contractuels participe à nuancer sinon nier la frontière entre contractant et tiers : dans ces opérations complexes, les contrats, qu’ils soient dit interdépendants ou indivisibles, lient irrémédiablement les situations patrimoniales des différents acteurs. En matière de location financière, l’établissement de crédit qui finance l’opération est tiers au contrat de location. Pourtant, l’anéantissement du contrat de location va conduire à la caducité du contrat de financement (Com. 4 novembre 2014). Dans l’ensemble contractuel constitué d’un contrat de vente et d’installation et d’une convention de prêt, l’établissement de crédit se trouve là encore tiers à la première convention. Pourtant, la résolution du contrat de vente entraîne la résolution du contrat d’emprunt (Civ. 1ère, 10 septembre 2015, 2 arrêts). Autrement dit, le tiers voit ses prétentions contractuelles nées du contrat accessoire de financement s’effondrer du fait de la disparition du contrat principal. L’anéantissement de la relation contractuelle initiale impacte donc irrémédiablement la situation patrimoniale de celui qui n’est définitivement plus un tiers protégé par la relativité des conventions. Se révèle alors de manière implicite l’une des justifications de ce modèle judiciaire. Si le tiers est affecté par le rayonnement contractuel, si le juge décide de ne plus exclure le tiers du champ contractuel, si le juge accepte de voir peser sur le patrimoine du tiers, les conséquences des affres d’une relation contractuelle, c’est qu’il est animé de la volonté de justice contractuelle, de protéger le faible à la convention, à l’opération : celui qui est partie à tous les 7 contrats composant l’ensemble. La préservation des intérêts économiques de la partie faible commande l’inflexion de la frontière dressée par le Code civil. En conclusion, la conception classique de la relativité des conventions semble aujourd’hui remise en cause par un modèle judiciaire global qui ne permet plus de considérer le tiers comme en dehors du champ contractuel en toutes hypothèses. Le tiers ne peut définitivement ignorer la réalité du contrat et le contractant ne peut ignorer les conséquences de sa volonté sur la situation du tiers. Cette interaction nouvelle entre le contrat et le tiers explique l’affaiblissement du principe prétorien de non-cumul des responsabilités délictuelle et contractuelle, lequel a vocation pourtant à être consacré dans la prochaine réforme de la responsabilité civile. Droit civil CAS PRATIQUE Cas Monsieur Blain Corrigé élaboré par Franck Touret Monsieur Blain est confronté à deux séries de difficultés, d’une part dans le cadre de sa vie professionnelle (I) et, d’autre part, dans sa vie personnelle (II). I/ LES DIFFICULTÉS PROFESSIONNELLES DE MONSIEUR BLAIN Dans le cadre de son activité professionnelle, Monsieur Blain a souscrit divers contrats : un contrat de location de vidéos (A) et un contrat de prêt (B). A/ Le contrat de location de vidéos Monsieur Blain a conclu un contrat de location de vidéos d’une durée d’un an, renouvelable, pour un loyer mensuel de 1 000 euros. Le fondement de la nullité Ayant ouvert son commerce dans un petit village des Pyrénées, il est possible de s’interroger sur la validité d’un tel contrat sur le fondement de la cause et de l’erreur sur la rentabilité économique. Sur le fondement de la cause Visée par les articles 1108 et 1131 et suivants du Code civil, la cause peut être définie comme la raison d’être de l’engagement des contractants. À côté de la cause objective, qui est le but immédiat et direct qui conduit le débiteur à s’engager, la cause subjective, principalement visée par l’article 1133 du Code civil, peut se définir comme le motif déterminant ayant poussé le débiteur à s’engager. Il s’agit ici d’une recherche des mobiles des parties. Dans cette espèce, la cause cause objective ne pose pas de difficultés. Les juges ont élargi les critères d’appréciation de la cause afin de considérer l’économie globale de la convention voulue par les parties, c’est-à-dire leurs objectifs respectifs. A ainsi été annulé pour défaut de cause, un contrat de location de cassettes vidéo en vue de l’exploitation d’un commerce dans une commune de 1 314 habitants, dès lors 8 que son exécution « selon l’économie voulue par les parties était impossible » et l’activité vouée à l’échec compte tenu de la petite taille de la commune (Civ. 1re, 3 juill. 1996, no 94-14.800). En l’espèce, le commerce étant installé dans un petit village des Pyrénées, l’on peut supposer que le nombre d’habitants est très retreint pour louer des vidéos. Monsieur Blain pourrait donc invoquer l’absence de cause pour obtenir la nullité du contrat de location des vidéos. Toutefois, la Cour de cassation a raidi les conditions d’entrée de ce but dans le champ contractuel. Aussi un élément factuel pourrait rendre incertaine la solution. En effet, Monsieur Blain travaillait préalablement dans une société créant des logiciels de gestion des stocks d’un vidéo club. Or, dans une espèce relative à un contrat de location de vidéocassettes, la Chambre commerciale a considéré que le demandeur n’apportait « que des éléments insuffisants à établir l’impossibilité qu’il allègue » de réaliser les objectifs qu’il avait lui-même fixés, dans un contexte qui lui était parfaitement connu (Com., 27 mars 2007, n 06-10.452). Aussi, Monsieur Blain ne pouvait ignorer, en tant que professionnel, qu’il n’aurait un public suffisant pour louer ses vidéos. En conséquence, le prononcé de la nullité est incertain sur le fondement de la cause. L’erreur sur la rentabilité économique Définie comme l’erreur (art. 1110 C. civ.) portant sur l’aptitude de la chose ou de la prestation à procurer les avantages économiques que l’on en attend, l’erreur sur la rentabilité est en principe tenue pour indifférente (Civ. 3e, 31 mars 2005, n° 03-20.096). Ici, la croyance erronée de Monsieur Blain sur la rentabilité économique ne devrait donc pas être prise en considération. Ce principe est néanmoins écarté, en jurisprudence, lorsque la rentabilité apparaît comme inhérente à l’utilité même de l’opération. En effet, la Cour de cassation a admis, à propos d’un contrat de franchise, la nullité « pour erreur substantielle sur la rentabilité de l’activité entreprise » (Com. 4 oct. 2011, no 10-20.956 ; confirmé par Com., 12 juin 2012, n° 11-19.047). En l’espèce, il est seulement précisé qu’il s’agit d’un contrat de location de vidéos. Toutefois, le juge n’est pas lié par la qualification des parties et pourrait requalifier l’opération en contrat de franchise (art. 1142 C. civ.), qui est un contrat assez courant en matière de vidéoclub, afin de prononcer la nullité pour erreur sur la rentabilité économique. En conséquence, Monsieur Blain pourrait solliciter la requalification du contrat de prêt de location de vidéos en contrat de franchise et ainsi invoquer l’erreur sur la rentabilité économique. Reste à déterminer le tribunal compétent, aussi bien sur le fondement de la cause que sur le fondement de l’erreur. La compétence Pour la compétence matérielle, le tribunal de grande instance est la juridiction de droit commun. En effet, « Le TGI connaît de toutes les affaires civiles et commerciales pour lesquelles compétence n’est pas attribuée, en raison de la nature de l’affaire ou du montant de la demande à une autre juridiction » (art. L. 211-3 COJ). Toutefois, en vertu de l’article L. 721-3 du Code de commerce, les juridictions commerciales sont compétentes pour connaître des contestations entre commerçants, et des contestations relatives aux actes de commerce « entre toutes personnes ». 9 En l’espèce, Monsieur Blain est commerçant et il en est également ainsi de la société VidéoLoc. En conséquence, le tribunal de commerce est compétent. Pour la compétence territoriale, l’article 42 du Code de procédure civile dispose que « la juridiction territorialement compétente est, sauf disposition contraire, celle du lieu où demeure le défendeur ». Le défendeur est ici, la société Vidéoloc. S’agissant d’une personne morale, il faut se référer au lieu où celle-ci est établie. Il peut alors s’agir du lieu où le siège social de la société est fixé, mais aussi – en vertu de la jurisprudence dite des « gares principales » – du lieu où la défenderesse a une succursale (Cass. 19 juin 1876). De plus, l’article 46 du Code de procédure civile énonce un certain nombre de matières dans lesquelles le demandeur peut, outre la juridiction du lieu où demeure le défendeur, saisir à son choix, une ou plusieurs autres juridictions. Ainsi, en matière contractuelle, le choix de la juridiction est triple : le lieu où le défendeur demeure ; le lieu de livraison effective de la chose et le lieu d’exécution de la prestation de service. Ainsi, Monsieur Blain pourrait assigner la société VidéoLoc devant le tribunal de commerce du lieu du défendeur ou au lieu d’exécution de la prestation de service. B/ Le contrat de prêt de la banque Le sort du contrat de prêt octroyé peut être envisagé sous deux angles, d’une part dans le cadre d’un ensemble contractuel (1) et, d’autre part de manière isolée (2). 1/ Le contrat de prêt figurant au sein d’un ensemble La remise en cause d’un contrat, notamment du fait de son annulation, peut-elle produire des effets sur l’existence d’un autre contrat ? Dans le cas particulier, où l’ensemble contractuel comprend une location financière, la chambre mixte de la Cour de cassation a affirmé, dans deux arrêts du 17 mai 2013 (CM, 17 mai 2013, no 11-22.768), sur le fondement de l’article 1134 du Code civil, que les différents contrats de cet ensemble étaient nécessairement interdépendants et que toute clause contraire devait être réputée non écrite. La jurisprudence postérieure a repris cette solution en usant également du fondement de l’article 1218 du Code civil (Com. 14 janvier 2014, no 12-20.582). Néanmoins, en l’espèce il ne s’agit pas d’une location financière. Dans les autres hypothèses, la théorie de la cause est fréquemment utilisée par la jurisprudence pour expliquer qu’au sein d’un ensemble contractuel un contrat perdre sa cause par suite de l’annulation, la résolution ou la résiliation d’une autre convention avec laquelle il était indivisiblement lié, et se voir ainsi frappé de caducité (Civ. 1re, 28 oct. 2010, no 09-68.014). Dans l’hypothèse de la nullité du contrat de prêt de location de vidéos, l’on peut dès lors s’interroger sur le sort du contrat de prêt octroyé par la Caisse régionale d’épargne. Récemment, la Cour de cassation a affirmé qu’en dehors même des dispositions du Code de la consommation, la résolution du contrat de vente emporte l’anéantissement du contrat de prêt du fait de l’indivisibilité de ces deux contrats (Civ. 1re, 10 sept. 2015, n° 14-13.658 ; Civ. 1re, 10 sept. 2015, n° 14-17.772). Il est précisé que le contrat de prêt professionnel accordé par la Caisse régionale d’épargne à Monsieur Blain avait pour objet de financer l’acquisition du droit au bail et divers travaux d’installation. 10 L’indivisibilité ou l’interdépendance constituant le fondement suffisant de la caducité des éléments non viciés de l’ensemble, dans l’hypothèse d’une annulation du contrat de location vidéo, le commerce n’a donc plus aucune utilité. Dans le cadre procédural, si Monsieur Blain se fonde sur l’indivisibilité des conventions, il s’agira d’une pluralité de demandes initiales dirigées par un seul demandeur contre un défendeur unique. Dans cette hypothèse, la compétence dépendra du point de savoir si les demandes sont fondées sur un même fait ou si elles sont connexes. Le principe est que chacune doit être considérée isolément, dans sa nature et son montant, pour déterminer la compétence et le taux de ressort (art. 35, al. 1er CPC). Par exception, si ces différentes prétentions, réunies dans une même instance, « sont fondées sur les mêmes faits ou sont connexes », il faut alors additionner la valeur de chaque demande pour déterminer le taux de compétence et le taux de ressort (art. 35, al. 2 CPC). Néanmoins, ce débat est ici évacué, puisque la demande de nullité du contrat de location de vidéo et de caducité du contrat prêt serait présentée devant le tribunal de commerce. En cas de rejet de la demande de nullité du contrat de location vidéo, il serait possible d’envisager dans ce cas la responsabilité de l’établissement de crédit. 2/ La responsabilité du prêteur En matière de prêt d’argent, de nombreuses décisions ont retenu la responsabilité de banquiers à l’égard de leurs clients du fait de l’octroi d’un prêt, en se fondant sur l’article 1147 du Code civil. En principe, l’irresponsabilité est la règle et la responsabilité, l’exception. Toutefois, pèse sur la banque un double devoir de mise en garde des emprunteurs profanes et de vérification de leurs capacités financières (Civ. 1re, 12 juill. 2005, 4 arrêts). Ainsi, pèse sur le banquier une obligation d’attirer l’attention de l’emprunteur sur l’importance de l’endettement résultant du prêt (Civ. 1re, 27 juin 1995). En l’espèce, il est précisé que Monsieur Blain était endetté depuis plusieurs années, notamment en raison de son train de vie élevé. Toutefois, le préjudice né du manquement par un établissement de crédit à son obligation de mise en garde s’analyse en la perte d’une chance de ne pas contracter (Com. 20 oct. 2009, no 08-20.274). Ainsi, si Monsieur Blain intente une action en responsabilité à l’encontre de la Caisse régionale d’épargne, il ne pourra obtenir que réparation de la perte de chance de ne pas contracter. Aux termes de l’article L721-3 1o du Code de commerce, les tribunaux de commerce connaissent des contestations relatives aux engagements entre commerçants, entre établissements de crédit, entre sociétés de financement ou entre eux. En l’espèce, Monsieur Blain agit en sa qualité de commerçant à l’encontre d’un établissement de crédit. Le tribunal de commerce est donc compétent. Par principe, selon les termes de l’article 42 du Code de procédure civile, « La juridiction territorialement compétente est, sauf disposition contraire, celle du lieu où demeure le défendeur ». Pour une personne morale, il s’agit du lieu où elle est établie (art. 43 CPC), le siège social pour les sociétés. Le lieu est fixé dans les statuts. Une vieille jurisprudence a assoupli la règle cette compétence lorsque la personne morale a des succursales réparties sur le territoire. Par faveur pour les demandeurs, la Cour de cassation a accepté qu’on puisse 11 assigner ces sociétés (de chemins de fer, d’assurances, de crédit, etc.), au tribunal du lieu de l’une de leurs succursales (Cass. 19 juin 1876). De surcroît, selon l’article 46 du Code de procédure civile, la loi ouvre une option au demandeur entre deux ou plusieurs tribunaux, parmi lesquels il peut y avoir celui du lieu où demeure le défendeur. Le demandeur a la faculté de porter le litige, selon la nature du contrat, soit devant la juridiction du lieu de la livraison effective de la chose, soit devant celle du lieu de l’exécution de la prestation de services. Ainsi, Monsieur Blain pourra assigner la succursale locale, qui lui a accordé le crédit devant le tribunal de commerce du lieu d’établissement de la Caisse d’Épargne régionale, ou le lieu d’exécution de la prestation. II/ LES DIFFICULTÉS PERSONNELLES DE MONSIEUR BLAIN Monsieur Blain vivait en union libre avec Madame Lambert. Toutefois, il a eu une relation avec une autre femme. Madame Lambert ayant eu connaissance de cette relation décide de rompre. Elle réclame à Monsieur Lambert une commode ainsi que deux chandeliers alors que le concubin réclame une tablette. Monsieur Blain et Madame Lambert vivaient en union libre, ce qui exclut donc toute qualification matrimoniale et par extension l’application des régimes matrimoniaux. Dès lors, Monsieur Blain et Madame Lambert vivant en concubinage, il convient de se référer au droit commun des biens, aussi bien pour la commode et les chandeliers (A), que pour la tablette tactile B). A/ Sur la commode et les chandeliers Un concubin, sur le fondement de l’article 2276 du Code civil, peut-il conserver des biens meubles apportés par sa concubine ? Le concubin peut s’opposer à la demande de restitution de sa compagne en soulevant l’article 2276 alinéa 1er du Code civil. Cet article, qui dispose qu’ « en fait de meubles, la possession vaut titre » intervient dans le cadre d’un procès en revendication mobilière. Affirmer que la possession vaut titre peut signifier soit que la possession fait présumer l’existence d’un titre translatif, soit qu’elle est par elle-même, en matière mobilière, un mode légal d’acquisition. Ainsi, la règle, sous une formulation unique, recouvre une dualité de sens. Elle peut d’abord jouer sur le seul terrain probatoire pour, dans un procès pétitoire, conférer à celui qui possède le meuble l’avantage de ne pas avoir à prouver l’existence d’un titre translatif à son profit, ce titre étant présumé. Elle peut aussi intervenir comme mode d’acquisition originaire de la propriété : celui qui a acquis un meuble d’un non-propriétaire, pour peu qu’au moment de sa mise en possession, il ait été de bonne foi, pourra opposer l’article 2276 du Code civil au propriétaire légitime du bien qui le revendique. La règle nemo plus juris ad alium transferre potest, qui prive son acquisition de toute efficacité quant au transfert de la propriété du meuble, est paralysée par la maxime en fait de meubles, la possession vaut titre, si bien que faute d’être devenu propriétaire en vertu de son acquisition, le possesseur de bonne foi le devient par la force de la loi. En conséquence, le concubin est présumé être le propriétaire de la commode et des deux chandeliers. Toutefois, la concubine pourra rapporter la preuve contraire qu’elle est la propriétaire desdits meubles. Elle pourra invoquer un contrat de détention provisoire ou un contrat de prêt, ou critiquer la possession. Or en l’espèce, il est justement précisé que la concubine, étant antiquaire, a apporté les biens en cause en attendant de les vendre, ce qui pourrait s’apparenter à un contrat de dépôt. 12 La concubine devra intenter une action en revendication, qui est une action pétitoire. L’action est celle qu’exerce le propriétaire, en cette qualité, contre le tiers qui détient indûment son bien et refuse de le restituer en contestant son droit. Elle tend à la reconnaissance du droit de propriété et à la restitution du bien. S’agissant d’une action mobilière, la répartition du contentieux se réalise en fonction du montant de la demande. Le tribunal de grande instance bénéficie de la plénitude de juridiction. Il a donc vocation à connaître de tout le contentieux privé (art. L. 211-3 COJ) relatif à une action personnelle ou mobilière lorsque le montant de l’intérêt en jeu est supérieur à un certain montant, actuellement fixé à 10 000 euros. Le tribunal d’instance est compétent pour connaître des actions personnelles ou mobilières dans une double limite de montant. La limite supérieure est fixée à 10 000 euros (art. L. 221-4 COJ), et la limite inférieure résulte des règles de compétence de la juridiction de proximité, laquelle connaît des actions personnelles ou mobilières jusqu’à la valeur de 4000 euros (art. L. 231-3 COJ). À défaut de précision du montant de la commode et des chandeliers, il semble difficile de préciser le tribunal matériellement compétent. En revanche, aux termes de l’article 42 du Code de procédure civile, « La juridiction territorialement compétente est, sauf disposition contraire, celle du lieu où demeure le défendeur. ». L’action intentée par la concubine en revendication mobilière devra être portée devant le tribunal compétent de celui du lieu de domicile de Monsieur Blain. B/ Pour la tablette Monsieur Blain, qui a prêté une tablette à son ancienne concubine, souhaite la récupérer. Si les possesseurs successifs d’un meuble le sont souvent en faveur d’un contrat antérieur conclu portant précisément sur le meuble objet du litige. En l’espèce, le bien, objet du litige, a été transmis en raison d’un contrat de prêt. Lorsque le demandeur réclame à un défendeur qu’il tient pour son ayant-cause la restitution du meuble motif pris soit de la nature du contrat, contrat qui l’oblige précisément à une telle restitution (prêt, dépôt, séquestre, etc.), soit de ses vices (nullité), soit de son inexécution (résolution), seul l’article 1315 du Code civil a vocation à s’appliquer (Cass. req., 10 avr. 1922). Aux termes de l’article 1315 du Code civil, « celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver ». C’est donc à celui qui exige l’exécution d’une obligation personnelle de restitution d’établir qu’une telle obligation existe bien à la charge du défendeur. Ainsi, Monsieur Blain devra rapporter la preuve de l’existence d’une obligation de restitution de Madame Lambert et de donc du contrat de prêt. Toutefois, si l’action personnelle en restitution est vouée à l’échec, le demandeur peut décider de se placer sur le terrain réel et exercer une action en revendication. Ainsi, lorsque l’action en restitution est éteinte par prescription, l’action en revendication, à la supposer imprescriptible, permettra au propriétaire de recouvrer son meuble (Civ. 1re, 20 déc. 1994, n° 93-11.624). Monsieur Blain devrait établir à son profit une possession antérieure meilleure, c’est-à-dire exempte de vices, assortie le cas échéant d’un titre, pour l’emporter et obtenir la restitution du bien. Ici, il est précisé que Monsieur Blain a reçu ladite tablette par un don de sa maîtresse. 13 En conclusion, soit Monsieur Blain parvient à démontrer l’existence du contrat de prêt et par extension l’obligation de restitution, il devra alors se fonder sur l’article 1315 du Code civil ; soit il devra démontrer, dans le cadre d’une action en revendication, qu’il est le propriétaire au titre d’un don et/ou que sa possession est meilleure. Culture générale DISSERTATION Le modèle européen Pour l’homme du XVIIIème siècle, le modèle européen était un synonyme de la civilisation occidentale, pensée comme la forme la plus aboutie des progrès de l’humanité. Trois siècles plus tard, le modèle européen renvoie plus précisément à une construction engagée sur les ruines de la Seconde guerre mondiale dans le cadre du Conseil de l’Europe puis de la Communauté européenne. Par son processus d’intégration et les valeurs qui l’inspirent, l’Europe serait revenue un exemple susceptible d’être imitée ou du moins d’inspirer le reste du monde. Pourtant, dans l’actualité très récente, lorsque des dissensions sont apparues au grand jour face à la crise dite des migrants la question s’est posée avec une acuité inédite de l’existence d’une crise de ce modèle européen, modèle d’institutions et de valeurs communes. Les problèmes que connaît l’Europe de 2016 témoignent-ils de cette incapacité de l’Union à incarner un modèle politique et économique ? Plus profondément, qu’en est-il de l’idée selon laquelle l’Europe constituerait une référence en termes de démocratie transnationale et de droits de l’homme ? Le modèle européen est-il en crise ? En fait, l’Union européenne demeure un modèle attractif même s’il risque paradoxalement de devenir lui-même facteur de crise (I). Face aux risques de dilution du modèle européen dans le cadre de la mondialisation, c’est sans doute en revenant à ses valeurs que le modèle européen pourra continuer de s’affirmer (II). I. Un modèle reconnu dont la crise est paradoxale A. L’Union européenne demeure un modèle unique et attractif Plus d’un demi-siècle après le début de sa création, la construction européenne s’est imposée comme un modèle unique et attractif, au plan politique comme au plan économique. Entamée à l’issue de la seconde guerre mondiale, la construction européenne porte un projet politique unique qui a permis de réunir, autour d’un but de paix, des nations historiquement en conflit les unes contre les autres. À la base de la fondation de l’Europe contemporaine, ce projet s’est avéré un succès près de soixante-cinq ans plus tard. L’Europe par son exemple ouvre ainsi la perspective d’un modèle moderne de la paix perpétuelle telle que décrite par Emmanuel Kant. Cette idée originelle d’un espace de paix, portée par Jean Monnet et Robert Schuman, s’est enrichie au fur et mesure des années afin de constituer un espace unique et inégalé de coopération internationale et régionale regroupant 28 pays qui décident ensemble de leur avenir au sein d’institutions supra-étatiques communes. Ce projet politique reçoit, dès 1950 avec l’instauration de la Communauté du charbon et de l’acier, puis avec le Traité de Rome de 1957, une dimension économique. Il s’agit ainsi, comme l’a évoqué Emmanuel Wallerstein dans Le Système du monde du XVe siècle à nos jours, d’un espace économiquement autonome, délimité dans sa taille par le temps de déplacement de ses occupants, des objets et des communications. Ce concept de « système-monde » est une extension de celui d’« économie-monde » développé par l’historien français Fernand Braudel à la même époque. Il caractérise ainsi l’Europe qui, si elle se donne progressivement des institutions politiques communes, place l’économie et les échanges au cœur même de son projet. Ainsi, l’Europe communautaire a incarné pendant longtemps le seul modèle économique intégré duquel se sont inspirées d’autres zones d’intégration économiques telles que l’Alena et le Mercosur. De plus, 14 l’Europe présente un modèle très spécifique d’économie sociale qui se caractérise à la fois par une très forte intégration dans l’économie internationale en tant qu’elle est la première force commerciale du monde et qu’elle peut s’appuyer sur une monnaie forte, l’euro, tout en maintenant un rôle important de l’Etat providence. A ce titre, l’Europe représente un modèle distinct du capitalisme anglo-saxon qui apporte la preuve qu’il est possible d’être ancré dans la compétition mondiale en menant des politiques économiques sociales et en adoptant un modèle de développement durable sur le plan écologique. À la confluence de ses deux facettes, économique et politique, le projet européen se présente aussi comme un modèle de défense de la démocratie et des droits fondamentaux. Dans le prolongement de la Convention européenne des droits de l’homme aujourd’hui étendue à l’ensemble du continent, l’existence d’une démocratie politique est un prérequis indispensable pour tout pays de l’Union européenne. Plus que symbolique, cette dimension du modèle européen s’est avérée particulièrement efficace pour consolider les régimes démocratiques à travers l’Europe. Les perspectives d’adhésion à cet espace unique ont ainsi pu soutenir les processus démocratiques en Europe du Sud à la suite de la chute des dictatures. De la même façon, par l’intégration des anciennes démocraties populaires au sein de l’espace européen dans les années 2000, l’Union européenne a permis d’accompagner la transition démocratique des pays de l’Est de l’Europe. Cette attractivité du modèle européen et son efficacité dans la défense des droits fondamentaux sont encore prégnants et permettent de susciter des débats dans des pays tels que l’Ukraine et la Turquie qui réfléchissent à la possibilité d’une intégration européenne à moyen-terme. Enfin, sur le plan diplomatique, l’Union européenne promeut une vision polycentrée des relations internationales qui refuse l’idée d’un affrontement Nord-Sud tout en rejetant l’hypothèse de Samuel Huntington de choc des civilisations. Son action en matière de normes sociales et environnementales la distingue aussi des Etats-Unis offrant un possible modèle alternatif. Pourtant si le modèle européen semble particulièrement adapté au mode contemporain, sa crise est devenue un thème récurrent. B. La crise d’un modèle forgé pour protéger des crises De la crise de la « chaise vide » de la France dans les années 1960 jusqu’à celle qui a abouti à la création du fameux « chèque britannique » au début des années 1980, l’Europe s’est construite de crises en crises. Celle qui l’affecte aujourd’hui est toutefois source d’une inquiétude particulière. La conscience aiguë de la crise actuelle du modèle s’est accélérée sous l’effet des difficultés de la zone euro liée notamment à la question grecque, de la crise migratoire et de la perspective d’une sortie du RoyaumeUni de l’Union européenne. Cette crise affecte les composantes essentielles du modèle européen. D’une part, elle touche l’Europe en tant que modèle « d’intégration toujours plus étroite » (selon la formule du Traité de Lisbonne) et de solidarité entre les Etats, qu’il s’agisse à la fois de la solidarité financière ou de celle témoignée par la difficulté rencontrée dans répartition de quelques dizaines de milliers de demandeurs d’asile alors qu’ils sont sans doute près d’un million à entrer en Europe. D’autre part, cette dernière crise semble remettre en cause l’identification de l’Europe à certaines valeurs humanistes et à la protection des droits fondamentaux. Enfin, la période récente semble remettre en exergue la difficulté du modèle européen à faire émerger une puissance globale capable de parler d’une seule voix et d’agir notamment au Proche-Orient qui représente pourtant son voisinage immédiat. La nouveauté réside sans doute dans le fait que la gravité de la crise vécue au niveau européen est un facteur de crise au sein même des Etats-membres. Au début du XXIème siècle, l’intégration européenne est telle qu’il n’est plus possible d’établir une frontière étanche entre problèmes européens et problèmes nationaux. Aussi la crise du modèle européen nourrit-elle de façon privilégiée le succès des mouvements populistes qui y voient l’incarnation de l’impuissance des institutions face aux défis du monde et de la perte de souveraineté des nations. Cet situation apparaît pourtant comme paradoxale dans la mesure où la principale version d’être de la construction européenne était précisément de protéger le Vieux continent des crises : qu’il s’agisse des guerres au sein de l’Europe, comme de la guerre froide (en assurant l’unité de l’Europe de l’ouest) ou encore 15 de crise économique, financière et monétaire, ce qui était l’un des buts affichés de la création de l’euro par le traité de Maastricht. Or, les difficultés du modèle européen semblent aujourd’hui être devenues un élément supplémentaire, venant, non pas résoudre, mais aussi alourdir les difficultés qui traversent déjà des démocraties nationales. Surtout, à la différence des crises rencontrées lors des décennies précédentes, elle survient à un moment où la mondialisation augmente les risques de dissolution du modèle européen. II. Face au risque d’une dilution dans la mondialisation, le modèle européen mérite d’être actualisé en revenant à ses fondements A. Le modèle européen face à la mondialisation Si selon les termes de Jacques Delors, l’Union européenne demeure un « objet politique non identifié », sans équivalent, la mondialisation pourrait lui fait perdre nombre de ses spécificités qui font son identité. Tout d’abord, l’Europe n’a plus le privilège d’être la seule véritable zone de libre circulation des marchandises, des services et des capitaux. Un demi-siècle d’internationalisation des économies et de négociations commerciales ont abouti à ce que de tels mouvements soient aujourd’hui possibles entre la plupart des pays du monde. Qui plus est, dans le cadre de l’OMC ont aussi été créés des mécanismes de règlement des différends entre les Etats et donc de régulation des échanges. L’Europe fait donc moins exception et l’on peut concevoir qu’une panne dans l’intégration européenne ne finisse par diluer le marché intérieur dans un vaste marché mondial effaçant quasiment la différence entre l’intérieur et l’extérieur de l’Union et alimentant ainsi les forces centrifuges. Une telle perspective n’est sans doute pas étrangère au projet de départ du Royaume-Uni. Par exemple, le fait de quitter l’Union ne devrait pas empêcher la City de Londres de demeurer la principale place financière pour les opérations en euro. De même, l’appartenance à l’Europe apparaît moins qu’auparavant, comme la garantie d’appartenance à une enclave de richesse. Comme le rappelle le rapport publié par l’OCDE en 2010 et intitulé Le Grand Basculement de la richesse, le FMI se réforme et redistribue des droits de vote à la Chine, à la Corée du Sud, au Mexique et à la Turquie, au détriment des Européens. Le G8 s’efface derrière le G20, où l’influence des pays développés se dilue au profit des pays émergents. Ceux-ci s’organisent à travers l’Organisation de coopération de Shanghai qui réunit la Chine, la Russie et l’Inde pour gérer l’Asie centrale dont on perçoit le caractère stratégique en raison de leurs réserves naturelles. La Chine s’intéresse déjà de près au continent le plus riche en ressources pour former une sorte de « Chinafrique » dont elle déloge les anciennes puissances coloniales. Les émergents multiplient les réunions pour peser sur la gestion des affaires du monde. La montée de ces nouvelles concurrences peut nourrir des doutes à l’encontre d’un modèle européen jugé trop faible, renforçant les discours de reprise par les nations de leurs destinées au motif qu’elles seraient plus à même de se protéger leurs propres intérêts. Ce thème de l’Etat protecteur contre « l’Europe passoir », notamment cher aux mouvements populistes accrédite même l’idée selon laquelle le modèle européen serait lui-même source de faiblesse face aux défis de la mondialisation. Au plan politique comme au plan économique, le modèle européen risquerait alors de se fondre dans la mondialisation et ne plus affirmer une différence identitaire suffisamment forte pour que les Etats membres définissent à travers elle leurs relations de communauté internationale. Si l’Europe est en panne alors que la mondialisation continue de progresser, elle pourrait ainsi être dépassée et perdre de son intérêt, y compris aux yeux de ses propres membres. 16 B. La référence aux valeurs européennes, source du renouvellement du modèle européen Face aux défis auxquels il est confronté, tant dans le monde qu’au plan interne, le modèle européen gagnerait sans doute à revenir encore davantage aux valeurs qui le fondent. Au premier rang de ceux-ci figure l’attachement à la démocratie et à la paix. Au regard de la démocratie, le modèle européen de construction d’une « démocratie de démocraties » pourrait bénéficier du resserrement de liens entre les peuples et les institutions de l’Union. Après l’élection de Parlement européen au suffrage universel en 1977 et le renforcement continue des pouvoirs du Parlement européen, les débats portent aujourd’hui sur la mise en place de circonscriptions transnationales pour ces élections, sur la poursuite de l’association des parlements nationaux à la législation européenne ou sur l’instauration d’un exécutif européen, véritable incarnation du pouvoir au niveau de l’Union pour les citoyens. Des progrès sensibles ont déjà été accomplis par ces points, le souci principal étant peut-être le décalage entre le rythme de la révision successive des traités d’une part et les attentes de l’opinion publique d’autre part. Le rôle éminent joué par le conseil européen face aux crises actuelles a démontré que le système institutionnel européen était capable de se mobiliser en cas de forte nécessité. Quant au service de la paix, si l’Europe l’incarne en son sein, peut-être pourrait-elle, au nom de cet idéal, assumer davantage une position de puissance diplomatique et militaire dans son environnement proche. Là aussi, le rôle joué, au cours de la dernière période lors de l’imposition de sanctions à la Russie au moment de la crise ukrainienne voire lors des négociations avec la Turquie sur la crise migratoire, constituent des nouveautés, les Etats membres sachant aller au-delà de leurs divergences traditionnelles. En second lieu, force est de constater que les valeurs qui constituent le modèle européen ne sont pas fortement perçues avec la même intensité dans l’ensemble de l’Union. Ainsi en est-il de la volonté de poursuivre l’intégration «sans cesse plus étroite ». Le fait que dans le cadre du Brexit, le Royaume-Uni demande de pouvoir faire exception à cette mention du traité de Lisbonne n’est-il pas plus généralement symptomatique de l’existence de plusieurs conceptions de l’Europe ? Tous les Etats membres n’appartiennent pas à la zone euro ni à l’espace Schengen et l’élargissement aux pays d’Europe centrale et orientale a sans doute été un facteur d’augmentation des différences comme des divergences d’approches au sein de l’Union. Dans le prolongement des coopérations renforcées instituées par le traité d’Amsterdam ne faudrait-il pas permettre aux pays qui le souhaitent d’aller vers des formes d’intégration plus poussées ? C’est dans ce cadre que s’inscrit le souhait traditionnellement formulé par les autorités françaises de voir instauré un « gouvernement » au sein de la zone d’euro, consistant une nouvelle forme d’intégration sui generis, comme l’Europe a su en inventer depuis la CECA en 1950. S’il est en revanche un sujet pour lequel il n’est sans doute pas conforme au modèle européen d’admettre plusieurs vitesses, c’est celui des libertés fondamentales ou des droits du citoyen européen Qu’il s’agisse des positions pris par certains Etats membres face à l’arrivée massive de demandeurs d’asile ou des risques de remise en cause de la liberté de circulation, il importe de garder à l’esprit que l’attachement aux droits de l’homme et libertés fondamentales est une composante essentielle du modèle européen, garantie à la fois de son identité et de son rayonnement aux yeux du monde. Conclusion : L’Europe contemporaine demeure un modèle susceptible d’inspirer de nombreux peuples, tant par sa construction institutionnelle sans équivalente et son organisation économique que par sa fidélité aux valeurs fondatrices de la modernité démocratique. Affecté de façon cumulée par différentes crises, l’Europe semble toutefois devenue elle-même un facteur de crise, source de critiques et d’inquiétudes pour des pans entiers de l’opinion européenne. Peut-on aller jusqu’à confirmer la thèse d’une crise du modèle européen ? Assurément, car même si cette crise est peut-être très conjoncturelle, elle met en exergue les difficultés de l’Europe à continuer de se construire et de s’affirmer comme une source de progrès et de protection pour les Européens. Le risque existe de voir le modèle européen se diluer dans le mouvement général d’internationalisation des échanges. Face à ce risque, 17 l’enjeu pour le modèle européen est sans doute de puiser plus profondément encore dans les valeurs qui le constituent de façon à poursuivre sa construction. L’émergence d’une démocratie européenne comme l’affirmation de l’Europe en tant qu'acteur géopolitique, exige peut-être une accélération sans précédent du processus des évolutions déjà engagées par les traités européens. Si elle relève ce défi, l’Europe continuera à être un modèle qui pourrait, comme l’annonce Jeremy Rifkin dans le Rêve européen, éclipser un jour l’American Way of Life. Mais n’est-ce pas une des caractéristiques de la mondialisation que d’obliger à une accélération des mutations ? Droit pénal DISSERTATION Les fonctions de la peine Dans Surveiller et punir (1975), Michel Foucault rappelle combien le XIXème siècle était fier de ses prisons, dont les enceintes massives au cœur des villes symbolisaient une vaste entreprise d’orthopédie sociale. De nos jours, la condition carcérale est parfois dénoncée comme honteuse, ce qui souligne une évolution des mentalités, surtout au regard des fonctions de la peine. Longtemps la théorie chrétienne de la peine, fondée sur une analogie entre l’infraction et le péché, a inspiré et légitimé des châtiments expiatoires. Dans l’ancien droit, la souffrance infligée au condamné avait une valeur rétributive lui assurant de racheter son péché. L’école utilitariste, qui inspira le droit pénal pendant la Révolution française puis lors de la rédaction du Code de 1810, notamment avec l’école néo-classique incarnée par Ortolan et Rossi, a contribué à rationaliser la fonction de la peine : l’intimidation est un objectif prioritaire, auquel contribue du reste la précision des incriminations et des sanctions par la loi. Ainsi, le principe de légalité des délits et des peines peut-il être compris comme une pédagogie destinée à dissuader les individus de transgresser le contrat social. Ces deux théories, chrétienne et utilitariste, reposent sur le postulat d’une liberté de l’individu quant au respect ou à la transgression de la norme pénale. La découverte des déterminismes au cours du XIX ème siècle – déterminisme social (Marx) ou sexuel (Freud) – fut à l’origine de la réaction positiviste : la peine ne saurait avoir pour seules fonctions de châtier et d’intimider, elle doit contribuer à traiter le délinquant. Adaptée à son profil criminologique, elle doit tenir compte du fait que ses actions sont en partie déterminées par sa constitution personnelle et le milieu social au sein duquel il vit. L’Ecole de défense sociale reprend ce postulat fondé sur une part de déterminisme et prône, après la seconde guerre mondiale, à la suite de Marc Ancel (La défense sociale nouvelle, 1954), la fonction de resocialisation de la peine. Le droit pénal contemporain est l’héritier de ces différentes théories relatives aux fonctions de la peine, et il repose sur une doctrine éclectique qui compose, entre liberté et déterminisme, avec les diverses fonctions de la peine et les acquis des diverses théories du droit pénal. Cependant, le législateur contemporain, au terme de cette évolution, cherche à concilier les contraires, quitte à multiplier les sanctions pénales hybrides et à brouiller la lisibilité de la politique pénale poursuivie. On admet en effet aujourd’hui que les déterminismes n’interdisent pas de reconnaître à l’individu une part irréductible de libre arbitre lors du passage à l’acte. C’est pourquoi le Conseil constitutionnel a affirmé, dans sa décision du 20 janvier 1994 relative à la loi instituant une peine incompressible, que la peine avait à la fois une fonction de rétribution et de resocialisation. Comme en écho à cette décision, la loi du 12 décembre 2005 relative au traitement de la récidive des infractions pénales, a réécrit l’article 132-24 du Code pénal, ajoutant un second alinéa qui dispose que « la nature, le quantum et le régime des peines prononcées sont fixés de manière à concilier la protection effective de la société, la 18 sanction du condamné et les intérêts de la victime avec la nécessité de favoriser l’insertion ou la réinsertion du condamné et de prévenir la commission de nouvelles infractions ». Aussi bien la peine a-t-elle une fonction mixte, laquelle concilie des fonctions traditionnelles rémanentes (I.) et la promotion contemporaine de resocialisation de la peine (II.). I – La rémanence des fonctions traditionnelles de la peine La mixité et la dualité recherchée aujourd’hui par le législateur en ce qui concerne les peines ne sauraient en faire disparaître les caractéristiques traditionnelles. D’une part, les fonctions d’intimidation et de relégation (A), chères aux utilitaristes, se retrouvent aujourd’hui dans de nombreuses peines ; d’autre part, la fonction d’expiation (B), propre à la conception chrétienne du droit pénal, ne peut être regardée comme dépassée, si l’on considère le recours massif à l’emprisonnement et la condition carcérale contemporaine. A/ Les fonctions d’intimidation et de relégation Les fonctions d’intimidation et de relégation de la peine se retrouvent tant à l’égard des personnes physiques (1) qu’à l’égard des personnes morales (2). 1/ A l’égard des personnes physiques A l’égard des personnes physiques, l’abolition de la peine de mort en 1981 a conduit le législateur à développer des alternatives censées intimider et reléguer pendant une longue période les délinquants. Tel est le cas de la période de sûreté : lorsque la juridiction de jugement prononce une peine privative de liberté assortie d’une période de sûreté, elle prive le condamné, pendant toute cette période, d’obtenir ultérieurement, lors de la phase d’application de la peine, des mesures de faveur telles que la suspension et le fractionnement de la peine, la semiliberté, le placement à l’extérieur ou bien encore la libération conditionnelle (article 132-23 du Code pénal). L’objectif est de privilégier la protection de l’ordre public en assurant une relégation des individus particulièrement dangereux et présentant de forts risques de récidive. C’est aussi pour écarter le délinquant du foyer criminogène qu’ont été créées les nombreuses interdictions professionnelles ; tel est le cas des interdictions fulminées par la loi du 17 juin 1998 à l’encontre des délinquants sexuels. Parmi les peines complémentaires visant une fonction d’intimidation et de relégation, on peut aussi citer l’interdiction du territoire français, définitive ou pour dix ans maximum, pour un étranger coupable de crimes ou de délits, sauf exceptions (article 131-30 du Code pénal). Enfin, c’est cette même fonction d’intimidation et de relégation que visent les peines importantes encourues en cas d’aide au séjour irrégulier d’un étranger en France. 2/ A l’égard des personne morales A l’égard des personnes morales, qui sont des êtres fictifs, l’emprisonnement n’aurait aucun sens. Le législateur a donc cherché à promouvoir des sanctions pénales adaptées qui permettent d’assurer à la fois l’intimidation et la relégation. D’abord, la dissolution de la personne morale, qui s’apparente à une peine de mort, est encourue, mais il s’agit d’une peine plus théorique que réelle, sauf pour les personnes morales sectaires. Ensuite, le maximum de l’amende abstraitement prévue par la loi pour une personne physique est quintuplé pour les personnes morales et décuplé en cas de récidive (article 131-38 du Code pénal). Enfin, l’intimidation et la relégation sont 19 assurées par un large éventail de peines complémentaires telles que l’interdiction de faire appel public à l’épargne (qui peut s’apparenter à une asphyxie financière) ou bien l’interdiction de concourir pour les marchés publics. B/ La fonction d’expiation Depuis la recrudescence de la délinquance dans les années 80, une tendance plus dure s’est manifestée, dans la doctrine, au sein du néo-classicisme contemporain. Cette branche renoue avec l’ancienne idée d’expiation. La réinsertion, du moins pour les délinquants d’habitude, doit céder le pas devant le châtiment : la prison a pour fonction de neutraliser les individus dangereux pour le corps social. Cette orientation criminologique sous-tend le recours massif à l’emprisonnement, mais il oblige aussi à s’interroger sur le contenu de cette expiation : l’état des lieux de la condition carcérale en France (1) tend à montrer que cette expiation va bien au-delà de la privation de liberté ; de là la nécessaire évolution vers une prison de droit (2) afin que la fonction d’expiation liée à l’emprisonnement soit compatible avec les engagements internationaux de la France, et particulièrement avec les exigences de la Convention européenne des droits de l’homme. 1/ Etat des lieux de la condition carcérale : l’expiation au-delà de la privation de liberté "Prisons : une humiliation pour la République". C’est en ces termes que le rapport de la commission d’enquête du Sénat, remis le 28 juin 2000, décrivait les prisons françaises : "à la prison républicaine héritée des idéaux positivistes et des philanthropes de la fin du XIXè siècle, s’est substitué un système confus, où apparaissent la prison-asile, la prison-hospice et la prison-hôpital", peut-on lire. Ce rapport sénatorial de 2000 pointait les nombreux maux qui affectent les prisons françaises : surpopulation, inactivité, suicides, décisions arbitraires, droits fondamentaux bafoués...La Cour européenne des droits de l’homme a eu l’occasion de condamner plusieurs pays du Conseil de l’Europe, dont la France, en raison du traitement réservé aux prisonniers, sur le fondement de l’article 3 de la convention qui prohibe les traitements inhumains et dégradants (CEDH, 5è sect., 25 avril 2013 Canali contre France) . Du reste, la Cour de Strasbourg a poursuivi sa réflexion sur les fonctions de la peine dans un important arrêt Dickson contre Royaume-Uni du 18 avril 2006 : selon la Cour, un prisonnier, fût-il condamné à perpétuité, doit pouvoir bénéficier de la procréation médicalement assistée et devenir père, la prison ne venant limiter que le droit d’aller et venir et non les autres droits fondamentaux, tels que le droit à une vie familiale normale. De puis, la jurisprudence européenne n’a eu de cesse de reconnaître des droits aux détenus (CEDH, 20 janvier 2011, EL SHENNAWY contre France : condamnation de la France pour sa pratique jugée trop récurrente des fouilles intégrales). L’objectif est d’assurer que l’expiation se borne à une privation de liberté et ne se transforme pas en une litanie de traitements inhumains et dégradants. En attendant, il est déjà possible de relever quelques jalons de l’évolution vers une prison de droit initiés par la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 et approfondis par la jurisprudence administrative et communautaire. 2/ L’évolution vers une prison de droit : l’expiation limitée à une privation de liberté ? La loi du 12 avril 2000 sur les rapports entre administration et administrés a conduit à regarder le détenu comme un usager du service public pénitentiaire, ayant droit à l’assistance d’un avocat en cas de sanction disciplinaire. Mais le point de départ véritable de l’évolution vers une prison de droit peut être situé très précisément en 1996. En effet, il a fallu attendre un décret du 2 avril 1996 pour que soit instituée une échelle des sanctions disciplinaires en prison. Ce décret répondait à l’évolution de la jurisprudence du Conseil d’Etat qui, à partir de l’arrêt 20 Marie (Assemblée plénière 17 février 1995), a considéré que ces mesures n’étaient plus des mesures d’ordre intérieur échappant au contrôle juridictionnel. Surtout, par trois décisions de l’Assemblée du contentieux du 17 décembre 2007, le Conseil d’État a systématisé l’étude des MOI en prison (CE, Payet, Boussouar et Planchenault contre Garde des Sceaux, 14 décembre 2007). La richesse de la jurisprudence qui en a suivi a largement confirmé cette immixtion du juge administratif dans la prison et son doit de regard sur les conditions de détention (soumission aux rotations de sécurité, retrait d’un détenu à l’emploi dont il bénéficiait durant sa détention, placement à l’isolement, organisation des visites des détenus). Ainsi, le seuil réglementant le « droit de regard » du juge est fortement abaissé, la simple sanction d’avertissement formulé au détenu échappant également au champ des MOI (CE, 21 mai 2014 Garde des Sceaux contre Mme A.). La privation de liberté doit en outre s’accorder avec le respect des droits de la personne condamnée, notamment en matière médicale. Ainsi, la loi du 4 mars 2002 a consacré une suspension médicale de peine déliée de toute condition quant à la nature criminelle ou correctionnelle de la peine et le reliquat restant à subir, pour autant que l’engagement du pronostic vital du condamné soit constaté par expertise médicale. La loi du 15 août 2014 a écarté cette condition, y incluant toute maladie physique ou mentale pouvant motiver une telle faveur du JAP. La jurisprudence a suivi cette protection du détenu lourdement malade, n’hésitant pas à condamner la France en ce sens : CEDH, 19 février 2015, HELHAL contre France, s’agissant de la condamnation de la France pour ne pas avoir apporté les soins nécessaires à un détenu lourdement handicapé). II – La promotion contemporaine d’une fonction de resocialisation de la peine La promotion contemporaine d’une fonction de resocialisation est fondée sur le principe de personnalisation (A) et sur une diversification des moyens de la personnalisation (B). A/ Le principe préservé de personnalisation Le principe de personnalisation, nommé aussi, par fidélité à Saleilles, principe d’individualisation, consacré dans le Code pénal en 1994 (2), s’inspire des théories de l’école positiviste et de la défense sociale (1). 1/ L’inspiration positiviste et de défense sociale Le positivisme pénal est illustré principalement par trois criminologues italiens : Lombroso (1836-1909), auteur en 1876 de l’Homme criminel ; Ferri (1856-1928), professeur de droit et avocat à Rome, auteur d'un ouvrage intitulé La sociologie criminelle (1892) et Garofalo (1852-1934), magistrat, qui écrivit une Criminologie publiée en 1885. Les positivistes italiens critiquent la conception abstraite du criminel et le postulat du libre arbitre avancés par l’école néoclassique. Le positivisme pénal apporte une compréhension nouvelle du phénomène criminel qui intègre le déterminisme lors du passage à l’acte et l'élaboration de divers moyens de lutte, notamment les mesures de sûreté. L’École de la défense sociale nouvelle a, pour sa part, pour manifeste le célèbre ouvrage de Marc Ancel (1902-1990), La défense sociale nouvelle, publié en 1954. La caractéristique fondamentale de cette doctrine est sa personnalisation très poussée. Moins que la défense de la société, c’est la défense de l’individu qui est envisagée en vue de sa resocialisation. La défense sociale nouvelle ne rejette pas l’idée de responsabilité morale. Il est nécessaire d’étudier la personnalité de chaque délinquant afin de pouvoir le traiter et à ce sujet peuvent être utilisées les peines comme les mesures de sûreté, d’ailleurs fondues dans un système unique de sanctions. Le libre arbitre est ainsi le but du traitement et non son point de départ : ce n’est que lorsqu’il sera guéri que le condamné jouira de sa pleine liberté et de son entière responsabilité. La défense sociale nouvelle s’intéresse donc au premier chef à l’homme 21 concret et elle rejette toute considération de vengeance, d’expiation, voire de rétribution. Pour mieux connaître cet homme il faut pratiquer l’observation du délinquant avec des examens médicaux, sociaux, psychiatriques destinés à constituer un dossier de personnalité seul capable de permettre la mise en œuvre d’un véritable traitement de resocialisation. Cette exigence conduit à la division du procès pénal en deux phases. La première est le classique procès répressif, relatif à la matérialité des faits et qui prend fin avec une décision sur la culpabilité. La seconde est axée sur l’examen de la personnalité : c’est le procès de défense sociale, les magistrats étant entourés de médecins, psychologues et psychiatres pour la décision sur la sanction. Cette seconde phase connaîtrait des règles de déroulement originales : publicité restreinte, possibilité d’exclure le délinquant du débat, collaboration étroite entre ministère public et défense. Quant à la sentence, elle doit être constamment modifiable pour tenir compte de la personnalité du sujet. Les positivistes, et les tenants de la défense sociale –qui apparaît à bien des égards comme un positivisme à visage humain- ont influencé des textes importants tels que l’ordonnance du 2 février 1945 qui pose le primat des mesures éducatives afin d’adapter la sanction pénale aux besoins éducatifs du délinquant mineur. C’est cependant en 1994 que leurs théories ont été consacrées de la façon la plus large. 2/ La consécration du principe d’individualisation dans le Code pénal Le principe de d’individualisation de la peine figure à l’article 132-24 du Code pénal. Il convient en effet d’adapter la sanction pénale au profil criminologique du délinquant qu’il s’agisse d’une personne physique ou, depuis 1994, d’une personne morale. Cet objectif ne peut être atteint que si l’on donne au magistrat les moyens de connaître ce profil criminologique. Différents sont désormais à sa disposition pour cerner ce profil. D’abord, le délinquant peut être fiché au casier judiciaire, qu’il s’agisse d’une personne physique ou d’une personne morale (article 769-1 du Code de procédure pénale). Créé officiellement à la fin du XIXème siècle, le casier judiciaire s’appuie sur diverses techniques d’identification (anthropométrie, dactyloscopie) permettant de connaître les antécédents d’un individu ; à l’origine local, il a été nationalisé et automatisé en 1980. Ensuite, un dossier de personnalité doit ou peut être constitué, selon qu’il s’agit d’un procès criminel ou correctionnel. Enfin, la France s’est dotée d’un fichier des empreintes génétiques. Parallèlement, les lois du 12 décembre 2005 et du 21 février 2008 ont crée un dispositif de surveillance judiciaire des personnes dangereuses au travers des « mesures de sûreté » destinées pour les premières, d’après l’article 723-33, à contrôler les personnes dangereuses après leur libération au moyen « de mesures d’assistance et de contrôle destinées à faciliter et à vérifier sa réinsertion ». Cela montrait la volonté du législateur de concilier des fonctions diverses de la peine au sein d’un même dispositif, orientation rapidement brouillée par la seconde ayant consacré des mesures de sûreté de neutralisation, bien moins humanistes. B/ Les modalités de la personnalisation La consécration d’une fonction de resocialisation de la peine allait de pair avec une volonté de diversifier les réponses pénales au phénomène criminel et d’éviter, lorsque cela était possible, l’emprisonnement, la prison étant jugée criminogène. De là le développement d’alternatives à l’emprisonnement et à l’amende au stade de l’exécution (1) mais aussi et surtout au stade du prononcé de la peine (2). Au regard de la nature comme du quantum de la peine, le juge dispose ainsi d’importants pouvoirs : qu’il suffise de rappeler ici que la loi n’indique pas de seuil minimal, si bien qu’il est en mesure de descendre aussi bas qu’il le désire, sauf en matière criminelle. 1/ La diversification des modes d’exécution de la peine 22 Les modes d’exécution de la peine se sont considérablement diversifiés depuis la fin du XIXème siècle (loi Béranger du 26 mars 1891 introduisant le sursis en droit positif) afin de faire échapper notamment le délinquant aux effets délétères de la prison. A côté du sursis simple et du sursis avec mise à l’épreuve existe désormais une surveillance électronique dite classique, par opposition avec la surveillance électronique mobile introduite par la loi du 12 décembre 2005. Le législateur a, en effet, introduit en 1997 un nouvel aménagement de la peine visant à faire échapper le délinquant à la prison : il s’agit de la surveillance électronique. La complexité du dispositif mérite d’être soulignée et des confusions doivent être évitées : cette surveillance électronique doit être distinguée du placement sous surveillance électronique mobile, introduit par la loi du 12 décembre 2005, qui constitue une sanction pénale à part entière mais doit, d’après le législateur, être qualifiée de mesure de sûreté, afin de permettre son application rétroactive. Concernant les diverses déclinaisons du sursis, le sursis simple est subordonné par les articles 132-30 et suivants du Code pénal à des conditions tenant au passé du délinquant –qui ne doit pas être trop lourd- et à la peine prononcée, toutes les sanctions ne pouvant être assorties du sursis. Le système actuel du sursis est lui aussi d’une remarquable complexité, mais il est toujours conçu comme une faveur pour le délinquant ; son octroi n’est pas une obligation pour le juge, qui n’a donc pas à justifier son refus. Ensuite, le sursis avec mise à l’épreuve se veut également resocialisant car il se pare de vertus de traitement : il pourrait dès lors paraître plus libéral, mais il n’en est rien en réalité car l’épreuve et les obligations qu’elle engendre (mesures de contrôle, obligations de faire ou de ne pas faire visant à s’assurer du reclassement de l’individu) sont plus contraignantes et restrictives des libertés individuelles que le sursis simple. Parmi les modalités du sursis avec mise à l’épreuve, il convient de signaler l’obligation d’accomplir un travail d’intérêt général, introduite en 1983, prévue aux articles 132-54 et suivants du Code pénal, qui permet en outre la conversion de courtes peines d’emprisonnement en sursis-TIG, témoignant de son orientation favorable. 2/ La diversification des peines Lors du prononcé de la sanction pénale, le juge dispose d’un arsenal de sanctions qui s’est, en théorie du moins, considérablement diversifié. En effet, l’emprisonnement et l’amende ont perdu en 1994 leur statut de peines de référence et ne sont plus que des peines parmi d’autres. A cette fin, les articles 131-3 et suivants contiennent une liste de peines principales alternatives, issues notamment des lois de 1975 et de 1983, telles que le jour-amende, le travail d’intérêt général ou bien encore les peines privatives ou restrictives de droit. Le législateur a voulu également développer l’individualisation de la peine et l’objectif de réinsertion en élargissant l’éventail des peines complémentaires. Parmi les plus originales, il convient de signaler le suivi sociojudiciaire, peine complémentaire souvent accompagnée d’une obligation de soins, qui se veut resocialisante, et présente ainsi certains des caractères de la mesure de sûreté ; elle ne peut toutefois manquer d’apparaître, aux yeux du délinquant, comme aussi contraignante qu’une peine. Surtout, la loi du 28 février 2008 a consacré deux mesures de sûreté particulièrement contraignantes puisque privatives de liberté, présentant l’intérêt majeur de prendre le relai de la peine. S’agissant de la surveillance de sûreté et surtout de la rétention de sûreté, elles permettent à l’issue de la peine exécutée et hors la commission d’une nouvelle infraction, de maintenir la personne dont la dangerosité est considérée persistante en rétention. A l’inverse, la loi du 15 août 2014 a consacré une peine nouvelle tendant à favoriser la resocialisation et la réinsertion du condamné et appelée à terme à « concurrencer » la peine d’emprisonnement pour les délits de moindre gravité s’agissant de la contrainte pénale. L’article 131-4-1 du Code pénal dispose notamment à ce titre « 23 Lorsque la personnalité et la situation matérielle, familiale et sociale de l'auteur d'un délit puni d'une peine d'emprisonnement d'une durée inférieure ou égale à cinq ans et les faits de l'espèce justifient un accompagnement socio-éducatif individualisé et soutenu, la juridiction peut prononcer la peine de contrainte pénale. La contrainte pénale emporte pour le condamné l'obligation de se soumettre, sous le contrôle du juge de l'application des peines, pendant une durée comprise entre six mois et cinq ans et qui est fixée par la juridiction, à des mesures de contrôle et d'assistance ainsi qu'à des obligations et interdictions particulières destinées à prévenir la récidive en favorisant son insertion ou sa réinsertion au sein de la société. » Ainsi, la contrainte pénale permet un suivi et un accompagnement accrus du condamné pendant une durée pouvant aller jusqu’à cinq ans, lesquels traduisent assurément cette recherche et cette affirmation contemporaine de la fonction de resocialisation de la peine. Ainsi, la peine devient une mesure hybride, qui se doit de concilier les fonctions traditionnelles qui lui sont assignées par les écoles utilitaristes et chrétiennes et les fonctions contemporaines de resocialisation et de réinsertion du condamné dans la société, à la marge desquelles on trouve les mesures de sûreté. Conclusion : Il apparaît, au terme de cette étude, qu’une interrogation sur les fonctions de la peine revient à penser l’évolution des doctrines du droit pénal et à dresser un état des lieux contemporain. Or, ce qui frappe à l’heure actuelle, c’est la diversité voire contradiction des fonctions assignées à la peine, diversité qui reflète une doctrine éclectique : le délinquant doit être resocialisé, mais il doit aussi être intimidé, relégué le cas échéant, et il doit expier sa faute. Le tableau d’ensemble donne assez nettement une impression de confusion, d’autant que la politique pénale paraît pour le moins erratique : une même peine peut se voir assigner un objectif à la fois resocialisant et rétributif, c’est le cas du suivi socio-judiciaire, ou bien une mesure de sûreté visera à la fois la surveillance et la resocialisation (c’est le cas du dispositif de surveillance des personnes dangereuses). On comprend mieux pourquoi le législateur a choisi de ne pas consacrer en 1994 la distinction positiviste entre peine et mesure de sûreté : la frontière entre les deux paraît peu étanche, et la seconde qualification est surtout instrumentalisée afin de permettre aux nouvelles sanctions pénales de rétroagir. Pour des exemples d’auteurs néo-classicisme (tendance dure) voir notamment : Jean-Claude Soyer (Justice en perdition, 1982), Michèle-Laure Rassat (Pour une politique anticriminelle de bon sens, 1983) et l’ancien Garde des Sceaux Alain Peyrefitte (Les chevaux du lac Ladoga, 1981) Droit pénal CAS PRATIQUE « Marco le filou » I – Le déroulement de l’enquête de police Marco, après avoir pris part à un vol avec deux amis, fut convoqué par l’OPJ François le 25 février suite à la plainte déposée par JP le 1er février. L’OPJ François le plaça en garde à vue après l’audition, où ses droits lui furent notifiés, et le procureur fut informé du placement après que des manifestants se soient emparés du commissariat. 24 A - Le cadre de l’enquête Selon l’article 67 du Code de procédure pénale, les policiers peuvent recourir à la contrainte lorsque les faits poursuivis constituent un crime ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement. Cette condition ne soulève en l’espèce aucune difficulté, les faits étant de nature criminelle. Précisément, ils peuvent être qualifiés de vol commis en bande organisée avec arme (art. 311-9, alinéa 3, C. pén.). Il importe ensuite que les faits répondent à la définition de la flagrance au sens de l’article 53 du Code de procédure pénale. Selon ce texte, est qualifié de crime ou de délit flagrant, le crime ou le délit « qui se commet actuellement, ou qui vient de se commettre ». Il y a aussi crime ou délit flagrant lorsque, « dans un temps très voisin de l’action, la personne soupçonnée est poursuivie par la clameur publique, ou est trouvée en possession d’objets, ou présente des traces ou indices, laissant penser qu’elle a participé au crime ou au délit ». Il convient donc, pour relever l’existence d’une infraction flagrante, d’établir deux conditions cumulatives, tenant l’une à un critère temporel, l’autre à un critère d’apparence. Tout d’abord, le critère matériel résulte, selon la formule consacrée par la jurisprudence, « d’indices apparents d’un comportement révélant l’existence d’infractions en train de se commettre ou qui vient d’être commise » (Cass. crim., 22 févr. 1996, Bull. crim. n° 87). Tel est le cas, par exemple, de l’avis donné par la victime d’une infraction qui vient d’être commise qui peut, même avant l’enregistrement d’une plainte régulière, caractériser ces indices (Cass. crim., 22 avr. 1992 : Bull. crim. n° 169 ; 11 mai 1999 : Bull. crim. n° 91). Il en va a fortiori de même lorsque, comme en l’espèce, la victime porte plainte auprès des policiers (Cass. crim., 1er oct. 2003 : Bull. crim. n°176). Cette première condition est donc satisfaite en l’espèce puisque JP dénonce les faits à François. Ensuite, la flagrance suppose une seconde condition, d’ordre temporel : l’infraction doit être en train de se commettre ou avoir été commise il y a peu. En l’espèce, les faits ont été commis la nuit du 31 janvier, et les faits ont été dénoncés par JP le 1er février, il faut donc en déduire que l’infraction dénoncée est actuelle, moins de 24 heures s’étant écoulé entre la plainte de la victime et la commission des faits. B - La durée de l’enquête de flagrance Il résulte de l’article 53, alinéa 2, du code de procédure pénale, que l’enquête de flagrance ne peut se poursuivre plus de huit jours, étant précisé que le délai de huit jours doit commencer à courir non pas à partir de la date de la commission de l’infraction, mais à compter de la constatation du crime ou du délit flagrant. Toutefois, le procureur de la République peut décider la prolongation de l’enquête pour une durée maximale de huit jours, « lorsque des investigations nécessaires à la manifestation de la vérité pour un crime ou un délit puni d’une peine supérieure ou égale à cinq ans d’emprisonnement ne peuvent être différées ». A l’expiration de ce délai, l’enquête doit se poursuivre en la forme préliminaire (Cass. crim., 18 déc. 2013, n° 13-85375). En l’espèce, l’enquête de flagrance a débuté le 1er février 2015, quand bien même le procureur de la République aurait autorisé la prolongation de l’enquête de flagrance pour un délai supplémentaire de huit jours, l’enquête de flagrance s’est terminée le 16 février 2015. Par conséquent, l’enquête se poursuivant le 25 février se déroule nécessairement sous le cadre préliminaire. C - L’audition libre et le placement en garde à vue de Marco Il n’y a de garde à vue au sens de l’article 63 du Code de procédure pénale que si la personne est retenue à la disposition de l’officier de police judiciaire pour les nécessités de l’enquête, ce qui suppose la mise en œuvre d’un pouvoir de contrainte de la part de la police judiciaire (Cass. crim., 6 mai 2003 : Bull. crim. n° 93). A l’inverse, une personne qui répond spontanément à une convocation ou qui accepte de suivre les policiers, peut être entendue sur 25 les faits qui lui sont imputés sans qu’il soit fait application des dispositions prévues par les articles 63 et suivants du Code de procédure pénale (Cass. crim., 12 oct. 2005 : Dr. pén. 2006, comm. 17 ; 26 oct. 2005 : Dr. pén. 2006, comm. 62), puis être placée en garde à vue à l’issue de cette audition si les policiers l’estiment opportun au regard des nécessités de l’enquête. En effet, depuis la loi du 27 mai 2014, les personnes à l’encontre desquelles il n’existe aucune raison plausible de soupçonner qu’elles ont commis ou tenté de commettre une infraction sont entendues par les enquêteurs sans faire l’objet d’une mesure de contrainte (art. 62, al. 1er, CPP). Toutefois, si les nécessités de l’enquête le justifient, ces personnes peuvent être retenues sous contrainte le temps strictement nécessaire à leur audition, sans que cette durée puisse excéder quatre heures (art. 62, al. 2, CPP). Enfin, si au cours de l’audition d’une personne retenue en application du deuxième alinéa de l’article 62, il apparaît qu’il existe des raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre un crime ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement, elle peut être maintenue sous contrainte à la disposition des enquêteurs que sous le régime de la garde à vue. Son placement en garde à vue lui est alors notifié dans les conditions prévues à l’article 63-1 (art. 62, dern. al., CPP). Or, il est précisé que Marco s’est rendu au commissariat et que ce n’est qu’après une audition d’ 1 heure et 30 minutes que l’OPJ François a décidé de le placer en garde à vue. La procédure semble donc régulière. En vertu de l’article 62-2 du Code de procédure pénale, la « garde à vue est une mesure de contrainte décidée par un officier de police judiciaire, sous le contrôle de l’autorité judiciaire, par laquelle une personne à l’encontre de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre un crime ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement est maintenue à la disposition des enquêteurs ». Le placement en garde à vue est soumis à trois conditions cumulatives : - d’une part, la mesure de garde à vue doit être décidée par un officier de police judiciaire, ce qui est le cas de l’officier François ainsi qu’il est précisé dans l’énoncé ; - d’autre part, il doit exister des raisons plausibles de soupçonner que Marco a commis ou tenté de commettre une infraction punie d’une peine d’emprisonnement. En l’espèce, au cours de son audition libre, Marco a révélé être un habitué de la « Villa Perdue » et être passionné d’armes. - enfin, la garde à vue doit constituer « l’unique moyen » de parvenir à l’un au moins des objectifs suivants : 1° permettre l’exécution des investigations impliquant la présence ou la participation de la personne ; 2° garantir la présentation de la personne devant le procureur de la République afin que ce magistrat puisse apprécier la suite à donner à l’enquête ; 3° empêcher que la personne ne modifie les preuves ou indices matériels ; 4° Empêcher que la personne ne fasse pression sur les témoins ou les victimes ainsi que sur leur famille ou leurs proches ; 5° Empêcher que la personne ne se concerte avec d'autres personnes susceptibles d'être ses coauteurs ou complices ; 6° Garantir la mise en œuvre des mesures destinées à faire cesser le crime ou le délit. En l’espèce, la garde à vue est justifiée, notamment, par les investigations impliquant la participation de Marco, mais également pour empêcher que Marco ne se concerte éventuellement avec d’autres personnes susceptibles d’être coauteurs ou complices (Rudy et Marvin). La décision de placer Marco en garde à vue à l’issue de l’audition libre est ainsi parfaitement régulière. Si la mesure est régulière dans son principe, il convient à présent d’en étudier le déroulement. Il importe que le procureur de la République soit informé « dès le début de la garde à vue » (CPP, art. 63, al. 2), la Cour de cassation considérant là encore que « tout retard dans la mise en œuvre de cette obligation, non justifié par des circonstances insurmontables, fait nécessairement grief aux intérêts de la personne concernée » (Cass. crim., 29 févr. 2000, Bull. crim. n° 93). Or, au cas présent, l’information au procureur de la République n’est intervenue qu’à 19h, soit 2 heure et 30 minutes après le placement en garde à vue. Qu’en est-il du temps écoulé ? Un élément attire à ce propos notre attention, à savoir qu’au moment où François a placé Marco en garde à vue, le commissariat a été envahi par des manifestants. Or, dans un arrêt du 10 avril 1996, la Cour de cassation a jugé que le fait qu’un commissariat soit assiégé par des manifestants, empêchant la présentation de la personne retenue à un officier de police judiciaire, constitue une circonstance insurmontable de nature à justifier une notification tardive des droits (Cass. crim., 10 avr. 1996, n° 94-81.728). Cette décision peut fort logiquement être transposée au retard dans l’information du procureur de la République. Il s’ensuit que l’irruption des manifestants dans les locaux de la police 26 peut être vue comme un obstacle insurmontable à la bonne exécution de cette obligation spécifique. Il ressort toutefois de l’énoncé que ce n’est que vingt minutes après l’expulsion des manifestants que l’OPJ François a informé le procureur du placement en garde à vue. On peut dès lors légitimement s’interroger sur la légitimité de ce retard. Dans les faits, la réponse dépend du moment où se situe la fin de la circonstance insurmontable. Soit elle coïncide avec l’expulsion des manifestants, en sorte que l’information du parquet serait tardive et sanctionnée de nullité. Soit les vingt minutes s’expliquent, compte tenu de la perturbation occasionnée, par le temps nécessaire pour un retour normal au fonctionnement des services, ce qui justifierait alors le retard total. Il appartiendra à la chambre de l’instruction, en cas de saisine, d’en apprécier la réalité. Ensuite, il convient de vérifier que Marco a reçu notification de ses droits, et ce « immédiatement » ainsi que la loi en fait l’obligation (CPP, art. 63-1), étant précisé que, selon une jurisprudence constante, « tout retard dans la mise en œuvre de cette obligation, non justifié par une circonstance insurmontable, porte nécessairement atteinte aux intérêts de la personne concernée » (Cass. crim., 31 mai 2007, Bull. crim. n° 146). Les observations faites pour l’information au procureur de la République peuvent être réitérées pour la notification des droits (V. supra). II – Le déroulement de l’instruction A l’issue de la garde à vue de Marco, un juge d’instruction est saisi qui le met en examen et le place en détention provisoire. Au cours de l’information, le juge d’instruction découvre qu’il participe activement à la vente de produits stupéfiants et reçoit de ce fait un réquisitoire supplétif. Des policiers sur ordre du juge d’instruction procèdent alors à des perquisitions à son domicile ainsi qu’au domicile de Fanfan. A - L’ouverture de l’information judiciaire Le juge d’instruction ne peut informer qu’en vertu d’un réquisitoire du procureur de la République (art. 80 I, al. 1er, CPP), réquisitoire qui peut être pris contre personne dénommée ou non dénommée (al. 2). En l’espèce, le juge d’instruction est saisi du chef de vol commis en bande organisée avec arme (art. 311-9, alinéa 3, C. pén.), ce qui suppose que le procureur ait pris un réquisitoire introductif contre Marco du chef de vol commis en bande organisée avec arme. B - La mise en examen et le placement en détention provisoire de Marco Le juge d’instruction ne peut mettre en examen que les personnes à l’encontre desquelles il existe des indices graves ou concordants rendant vraisemblable qu’elle ait pu participer, comme auteur ou complice, à la commission de l’infraction (art. 80-1, CPP). Selon la circulaire d’application de la loi du 15 juin 2000 (Circ. CRIM. 00-16, 20 décembre 2000), le juge doit posséder plusieurs indices légers (s’ils sont concordants) ou, au moins, un indice grave pour procéder à la mise en examen. Ces conditions de la mise en examen doivent être appliquées à peine de nullité. En l’espèce, la mise en examen de Marco est tout à fait justifiée car le juge d’instruction dispose d’indices graves qui rendent vraisemblables la participation de Marco au vol commis en bande organisée avec arme, en effet l’énoncé indique qu’une perquisition a permis de retrouver le fusil de chasse et une partie de l’argent (9.000 €). Cependant, il est encore précisé à l’article 80-1 du code de procédure pénale (al. 2) que le juge d’instruction ne peut procéder à la mise en examen qu’après avoir préalablement entendu les observations de la personne ou l’avoir mise en mesure de les faire, en étant assisté par son avocat. Lorsque le juge d’instruction envisage de mettre en examen une personne qui n’a pas été entendue comme témoin assisté, le juge doit d’abord procéder à un interrogatoire de première comparution dans les conditions prévues par l’article 116 du code de procédure pénale. En l’espèce, en l’absence de 27 précision, pour que la mise en examen soit régulière, ce n’est qu’à la condition que le juge d’instruction ait entendu au préalable Marco et son avocat, et que les conditions de l’article 116 du Code de procédure pénale aient été respectées. Le juge d’instruction décide de placer Marco en détention provisoire. On rappellera tout d’abord que l’article 137 du code de procédure pénale pose le principe suivant « toute personne mise en examen [est] présumée innocente [elle] demeure libre ». On rappellera également que le même article prévoit tout de même un tempérament au principe posé. En effet, il dispose ensuite que « toutefois, en raison des nécessités de l’instruction ou à titre de mesure de sûreté, [la personne mise en examen] peut être astreinte à une ou plusieurs obligations du contrôle judiciaire ou, si celles-ci se révèlent insuffisantes, être assignée à résidence avec surveillance électronique ». On comprend que la loi opère une hiérarchie des mesures de contraintes imposées à la personne mise en examen. C’est la liberté qui prime et le contrôle judiciaire n’est prononcé que si la liberté n’est pas possible ; l’assignation à résidence intervenant éventuellement en cas d’insuffisance cette fois du contrôle judiciaire. Il n’est donc pas encore question de placement en détention provisoire à ce stade de la lecture de l’article 137. En effet, la détention provisoire n’est présentée que comme étant une mesure elle aussi exceptionnelle, n’intervenant qu’en tant qu’ultime recours, qu’en cas d’insuffisance des mesures de contraintes citées. L’article 137, alinéa 3, dispose ainsi qu’« à titre exceptionnel, si les obligations du contrôle judiciaire ou de l’assignation à résidence avec surveillance électronique ne permettent pas d’atteindre ces objectifs, [la personne mise en examen] peut être placée en détention provisoire ». Pour être plus clair encore, l’article 144 du code de procédure pénale dispose que « la détention provisoire ne peut être ordonnée ou prolongée que s’il est démontré, au regard des éléments précis et circonstanciés résultant de la procédure, qu’elle constitue l’unique moyen de parvenir à l’un ou plusieurs des objectifs [cités par le code] et que ceux-ci ne sauraient être atteints en cas de placement sous contrôle judiciaire ou d’assignation à résidence avec surveillance électronique ». Non seulement le juge doit justifier la mesure de placement en détention provisoire au regard d’objectifs strictement déterminés par la loi, mais en outre, il doit montrer que la mesure en question est la seule permettant d’atteindre ces objectifs à l’exclusion des autres mesures de contraintes. Les objectifs auxquels la loi fait références sont : 1° Conserver les preuves ou les indices matériels qui sont nécessaires à la manifestation de la vérité ; 2° Empêcher une pression sur les témoins ou les victimes ainsi que sur leur famille ; 3° Empêcher une concertation frauduleuse entre la personne mise en examen et ses coauteurs ou complices ; 4° Protéger la personne mise en examen ; 5° Garantir le maintien de la personne mise en examen à la disposition de la justice ; 6° Mettre fin à l’infraction ou prévenir son renouvellement ; 7° Mettre fin au trouble exceptionnel et persistant à l’ordre public provoqué par la gravité de l’infraction, les circonstances de sa commission ou l’importance du préjudice qu’elle a causé. Cependant, le placement en détention provisoire n’est possible que si la personne est mise en examen. En l’espèce, l’énoncé précise que le juge d’instruction met en examen Marco puis décide de le placer en détention provisoire. Cette décision est régulière à la condition que le placement en détention provisoire ait été ordonné par le juge des libertés et de la détention (art. 137-1, al. 1er, CPP), précision qui ne nous est pas donné par l’énoncé, et que les conditions posées aux articles 137 et 144 du Code de procédure pénale aient été respectées. La procédure sera donc régulière à la condition que ces formalités aient été respectées. C - Les perquisitions effectuées dans le cadre de l’instruction En vertu de l’article 151, alinéa 1er, du code de procédure pénale le juge d’instruction peut rédiger une commission rogatoire autorisant tout officier de police judiciaire à effectuer tous les actes qu’il juge utiles à la découverte de l’auteur ou à la manifestation de la vérité pour les faits visés dans le réquisitoire introductif. Cette commission rogatoire a vocation à transférer l’ensemble des pouvoirs d’enquête du juge d’instruction à l’officier de police judiciaire (art. 152, CPP). Les pouvoirs attribués en vertu de l’article 152 du code de procédure pénale pour 28 l’exécution d’une commission rogatoire sont limités aux seuls faits dont le juge d’instruction est saisi. Il est en effet constant que le juge d’instruction ne peut instruire que sur les faits dont il est régulièrement saisi, soit, conformément aux dispositions de l’article 80 du Code de procédure pénale, aux faits visés dans le réquisitoire introductif du procureur de la République, auxquels s’ajoutent les faits qui « bien que non expressément visés dans le titre de la poursuite, ne constituent que des circonstances du fait principal se rattachant à lui et propres à le caractériser » (Cass. crim., 10 mars 1977, Bull. crim. n° 92). Or, en l’espèce, le procureur de la République a ouvert une information judiciaire sous la seule qualification de vol commis en bande organisée avec arme. Les éventuels participations à la vente de divers produits stupéfiants de Marco n’entrent pas à l’évidence dans la saisine du juge d’instruction et constituent des faits nouveaux que celui-ci doit transmettre au procureur de la République (CPP, art. 80, al. 3) et pour lesquels il est tout au plus autorisé à prendre des mesures conservatoires ou des mesures permettant d’en fixer les preuves (Cass. crim., 6 févr. 1996, Bull. crim. n° 62), à l’exclusion d’actes qui présentent un caractère coercitif, lesquels exigent la mise en mouvement préalable de l’action publique (Cass. crim., 30 mai 1996, Bull. crim. n° 226. – Cass. crim., 30 juin 1999, Bull. crim. n° 176). Mais en l’espèce, force est de constater que le juge d’instruction a reçu un réquisitoire supplétif du procureur de la République l’autorisant de ce fait à instruire sur les faits liés à la vente de stupéfiants. Il convient d’apprécier la conformité des perquisitions, de Fanfan personne dénoncée par Marco au juge d’instruction, au regard des conditions de mise en œuvre. A ce propos, on rappellera qu’une perquisition est définie par la jurisprudence comme « la recherche, à l’intérieur d’un lieu normalement clos, notamment au domicile d’un particulier, d’indices permettant d’établir l’existence d’une infraction ou d’en déterminer l’auteur » (Cass. crim., 29 mars 1994, Bull. crim. n° 118). Aussi, dès lors que les policiers se sont introduits au domicile de Fanfan pour y effectuer des recherches, on peut affirmer qu’ils ont procédé à une perquisition. Reste à savoir si les conditions prévues par les articles 56 et suivants du Code de procédure pénale ont été respectées. En premier lieu, on ne saurait discuter le fait qu’en raison de la qualité de suspect de Fanfan et des révélations faites par Marco et de la nature de l’infraction commise, la perquisition était une mesure nécessaire et proportionnée. On passera de même rapidement sur la question de l’assentiment de l’intéressé, dès lors que celui-ci n’a pas à être recueilli quand les policiers agissent comme en l’espèce dans le cadre d’une enquête d’instruction. L’énoncé soulève en revanche quelques difficultés. La première tient à la présence de Fanfan, personne intéressée au moment de la perquisition. Or, l’article 57 du code de procédure pénale prescrit à cet égard que la perquisition doit être faite en présence de cette personne ou, en cas d’impossibilité, en présence d’un représentant choisi par elle, ou à défaut, en présence de deux témoins choisi par l’officier de police judiciaire et requis à cet effet et ne relevant pas de son autorité administrative. En l’espèce, rien n’est indiqué sur ce point. C’est donc sous réserve de cette condition, prévue par la loi à peine de nullité (CPP, art. 59, al. 2), qu’il est possible de conclure à la régularité de la perquisition chez Fanfan, étant précisé que l’inobservation des dispositions en cause n’est susceptible d’entraîner la nullité de la procédure que si l’irrégularité fait grief au demandeur (Cass. crim., 15 juin 2000, Bull. crim. n° 229), cependant du fait de l’interpellation de Fanfan à l’issue de la perquisition, on peut donc affirmer qu’elle était présente au moment de la perquisition. La seconde procède de l’article 59 du Code de procédure pénale, qui impose, à peine de nullité, que la perquisition débute entre 6 heures et 21 heures. Or, l’opération a eu lieu après 21H puisque le juge d’instruction demande à des policiers d’effectuer la perquisition à 21H. Par exception l’article 706-91 du Code de procédure pénale prévoit qu’en matière de criminalité organisée, que le juge d’instruction peut autoriser l’officier de police judiciaire agissant sur commission rogatoire à procéder, en dehors des heures légales, aux fins de perquisitions et saisies de pièces à conviction, en dehors des locaux d’habitation. Cependant, en cas d’urgence, le juge d’instruction peut également procéder à ces opérations dans les locaux d’habitation lorsqu’il existe un risque immédiat de disparition des preuves ou des indices matériels, ou lorsqu’il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’une ou plusieurs personnes se trouvant dans les locaux où la perquisition doit avoir lieu sont en train de commettre des crimes ou délits entrant dans le champ d’application de l’article 706-73. Dès lors, si le régime dérogatoire est bien applicable aux faits, ce qui ne saurait soulever de difficulté puisque les crimes et délits de trafic de stupéfiants prévus aux 29 articles 222-34 à 222-40 du code pénal sont prévus à l’article 706-73 3° du code de procédure pénale, la perquisition de nuit n’est pas irrégulière. D - Le placement et le déroulement de la garde à vue de Fanfan A l’issue de la perquisition, les officiers de police judiciaire agissant sur commission rogatoire procèdent à l’interpellation de Fanfan, ce qui suppose qu’il ait été placé en garde à vue. En vertu de l’article 154 du code de procédure pénale, les dispositions des articles 62-2 à 64-1 relatives de la garde à vue sont applicables lors de l’exécution des commissions rogatoires. En vertu de l’article 62-2 du Code de procédure pénale, la « garde à vue est une mesure de contrainte décidée par un officier de police judiciaire, sous le contrôle de l’autorité judiciaire, par laquelle une personne à l’encontre de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre un crime ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement est maintenue à la disposition des enquêteurs ». Le placement en garde à vue est soumis à trois conditions cumulatives : - d’une part, la mesure de garde à vue doit être décidée par un officier de police judiciaire, ce qui est le cas des officiers de police judiciaire agissant sur commission rogatoire ; - d’autre part, il doit exister des raisons plausibles de soupçonner que les personnes ont commis ou tenté de commettre une infraction punie d’une peine d’emprisonnement. En l’espèce, l’énoncé précise que Marco et Fanfan (la personne interpellée) participent activement à la vente de produits stupéfiants (faits pouvant être qualifiés de cession illicite de stupéfiants punis de 10 ans d’emprisonnement et 7.500.000 € d’amende, art. 222-37, C. pén) ; - enfin, la garde à vue doit constituer « l’unique moyen » de parvenir à l’un au moins des objectifs suivants : 1° permettre l’exécution des investigations impliquant la présence ou la participation de la personne ; 2° garantir la présentation de la personne devant le procureur de la République afin que ce magistrat puisse apprécier la suite à donner à l’enquête ; 3° empêcher que la personne ne modifie les preuves ou indices matériels ; 4° Empêcher que la personne ne fasse pression sur les témoins ou les victimes ainsi que sur leur famille ou leurs proches ; 5° Empêcher que la personne ne se concerte avec d'autres personnes susceptibles d'être ses coauteurs ou complices ; 6° Garantir la mise en œuvre des mesures destinées à faire cesser le crime ou le délit. En l’espèce, la garde à vue est justifiée, notamment, par les investigations impliquant la participation de Fanfan. La décision de placer Fanfan en garde à vue est ainsi parfaitement régulière. Si la mesure est régulière dans son principe, il convient à présent d’en étudier le déroulement. En premier lieu, il convient de vérifier que Fanfan a reçu notification de ses droits, et ce « immédiatement » ainsi que la loi en fait l’obligation (CPP, art. 63-1), étant précisé que, selon une jurisprudence constante, « tout retard dans la mise en œuvre de cette obligation, non justifié par une circonstance insurmontable, porte nécessairement atteinte aux intérêts de la personne concernée » (Cass. crim., 31 mai 2007, Bull. crim. n° 146). Or, en l’espèce, force est de constater qu’il a demandé à s’entretenir avec son avocat, ce qui suppose que ses droits lui ont été notifiés. Il importe par ailleurs que le juge d’instruction soit informé « dès le début de la garde à vue » (CPP, art. 63, al. 2), la Cour de cassation considérant là encore que « tout retard dans la mise en œuvre de cette obligation, non justifié par des circonstances insurmontables, fait nécessairement grief aux intérêts de la personne concernée » (Cass. crim., 29 févr. 2000, Bull. crim. n° 93). Or, au cas présent, en l’absence de précision on supposera que le juge d’instruction a bien été informé. 30 Droit public QRC Corrigé élaboré par J.P. Gélin et M. Thaury L’intercommunalité (7 points) (Corrigé avec proposition de plan apparent I/II) Plus que la superposition des niveaux d’administration, c’est indéniablement l’ « émiettement communal » qui caractérise l’organisation territoriale de la France. Forte de plus de 36 000 communes, celle-ci dispose d’un maillage territorial particulièrement dense. Mais avec une immense majorité de communes de moins de 5 000 habitants, la France se heurte également à la difficulté d’opérer une décentralisation effective alors que de nombreuses municipalités n’ont pas les moyens humains ou financiers pour exercer les compétences qui leurs sont conférées par la loi. C’est pour faire face à cette difficulté, mais aussi pour tenir compte de l’échec de la politique de fusion de communes initiée par la loi « Marcellin » du 16 juillet 1971, que la France a fait le choix de l’intercommunalité. Si elle apparaît comme une réponse adéquate aux difficultés découlant de l’émiettement communal, l’intercommunalité est toutefois confrontée, aujourd’hui, à de nouveaux enjeux. I. Le développement des différentes formes d’intercommunalité en réponse à la problématique de l’émiettement communal L’intercommunalité désigne les différentes formes de coopération existant entre les communes. Dans l’immense majorité des cas, cette coopération sera dite institutionnelle en ce sens que plusieurs communes vont se regrouper au sein d’établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) dotés de la personnalité morale de droit public. A ce stade, il convient de distinguer l’intercommunalité de gestion et l’intercommunalité de projet. La première, qui correspond davantage au modèle historique de l’intercommunalité, s’opère par la gestion commune de certains services publics ou la réalisation d’équipements locaux, de manière à mieux répartir les coûts et à profiter d’économies d’échelle. Elle débouche sur la création de syndicats intercommunaux à vocation unique (SIVU) ou de syndicats intercommunaux à vocation multiple (SIVOM) dont le financement est assuré sans fiscalité propre. En outre, il s’agit d’un syndicalisme « à la carte » car, dans le cas d’un SIVOM, chaque collectivité membre peut décider de n’adhérer que pour une partie des compétences exercées. La seconde, plus intégrée, connaît un régime de fiscalité propre, ce qui permet aux communautés de disposer de recettes fiscales directes. Ces communautés exerceront de plein droit certaines compétences en lieu et place des communes, compétences qui pourront éventuellement être enrichies si tel est le souhait des collectivités membres. La procédure de création de ces établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) combine pouvoir d’organisation de l’Etat et respect de la volonté des communes. Ainsi, la création des EPCI résulte toujours d’une décision de l’État qu’il s’agisse d’une loi (par exemple, celle du 31 décembre 1966 créant quatre communautés urbaines ou encore celle du 27 janvier 2014 créant trois Métropoles) ou d’un arrêté préfectoral fixant le périmètre de l’EPCI et ses statuts. Dans ce deuxième cas, dans les trois mois qui suivent l’arrêté préfectoral, un accord des communes doit être obtenu à la majorité qualifiée des deux tiers des conseils municipaux, représentant plus de la moitié de la population, ou de la moitié des conseils municipaux, représentant les deux tiers de la population. Si la coopération intercommunale est apparue de façon assez ancienne avec la loi du 22 mars 1890 créant le SIVU, elle a connu un renforcement et une modernisation avec les lois du 6 février 1992 et du 12 juillet 1999. Le législateur a clairement souhaité favoriser l’intercommunalité intégrée. Il a ainsi créée à cet effet les communautés urbaines (loi 31 du 31 décembre 1966), les communautés de communes (loi du 6 février 1992) et les communautés d’agglomération (loi du 12 juillet 1999). II. Achèvement, rationalisation et démocratisation : les nouveaux enjeux de l’intercommunalité L’intercommunalité a donné lieu à de récentes réformes qui ont eu pour objet l’achèvement, la rationalisation et la démocratisation. En premier lieu, la loi du 16 décembre 2010 a conféré des pouvoirs accrus au préfet pour achever la carte intercommunale. Ensuite, afin d’aller encore plus loin dans la voie de l’intégration, la loi du 16 décembre 2010 a créé deux nouvelles structures : les pôles métropolitains et les métropoles. Le pôle métropolitain est « un établissement public constitué par accord entre des établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre » (art. L5731-1 CGCT). Il se superpose donc à d’autres EPCI. Son objectif est de promouvoir « un modèle de développement durable du pôle métropolitain et d’améliorer la compétitivité et l’attractivité de son territoire, ainsi que l’aménagement du territoire infra-départemental et infrarégional ». Il est compétent « en vue d’actions d’intérêt métropolitain en matière de développement économique, de promotion de l’innovation, de la recherche, de l’enseignement supérieur et de la culture, d’aménagement de l’espace (…) et de développement des infrastructures et des services de transports ». Créé sur le mode du volontariat des EPCI, les assemblées délibérantes de chaque EPCI se prononçant par délibérations concordantes sur l’intérêt métropolitain des compétences transférées au pôle métropolitain, le pôle métropolitain, qui peut déborder le cadre départemental, compte 300 000 habitants dont 150 000 issus d’un même EPCI à fiscalité propre. Egalement créé par la loi du 16 décembre 2010, la métropole a été profondément réformée par la loi du 27 janvier 2014. Cette dernière distingue les métropoles dites « de droit commun » et les métropoles à statut particulier. La création des premières devient automatique dès lors que les conditions légales sont réunies. Ainsi, à compter du 1er janvier 2015, les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre (EPCI) qui forment, à la date de la création de la métropole, un ensemble de plus de 400 000 habitants dans une aire urbaine de plus de 650 000 habitants sont transformés par décret en métropole. En outre, la création de métropoles à la demande des intéressés est possible. Cette demande doit résulter d'un accord exprimé par deux tiers au moins des conseils municipaux des communes intéressées représentant plus de la moitié de la population totale de celles-ci ou par la moitié au moins des conseils municipaux des communes représentant les deux tiers de la population. Elle concerne notamment les EPCI à fiscalité propre qui forment, à la date de la création de la métropole, un ensemble de plus de 400 000 habitants et dans le périmètre desquels se trouvent le chef-lieu de région et les EPCI, centres d'une zone d'emplois de plus de 400 000 habitants. La création de la métropole est également prononcée par décret. S’agissant des métropoles à statut particulier, il s’agit de la métropole du « Grand Paris » qui sera créée le 1er janvier 2016 et se substituera aux 19 intercommunalités existantes ; de la métropole de Lyon qui sera créée à compter du 1er janvier 2015 en lieu et place de la communauté urbaine de Lyon et de la portion du département du Rhône située dans son périmètre urbain et, enfin, de la métropole d' « Aix-Marseille-Provence » qui regroupera à compter du 1er janvier 2016 l'ensemble des communes membres de la communauté urbaine Marseille Provence métropole, de la communauté d'agglomération du Pays d'Aix-en-Provence, de la communauté d'agglomération Salon Étang de Berre Durance, de la communauté d'agglomération du Pays d'Aubagne et de l'Etoile, du syndicat d'agglomération nouvelle Ouest Provence et de la communauté d'agglomération du Pays de Martigues. Enfin, la démocratisation des assemblées communautaires a été décidée par la loi du 16 décembre 2010. La loi électorale du 17 mai 2013 met en œuvre ce principe. En mars 2014, les citoyens ont donc élus, pour la première fois, leurs conseillers municipaux et leurs conseillers communautaires grâce à un système de « fléchage ». Afin 32 d’étendre ces dispositions au plus grand nombre de communes et d’établissements publics de coopération intercommunale, les conseillers municipaux sont élus au scrutin de liste au-delà de 1 000 habitants au lieu de 3 500 auparavant. Le droit d’amendement sous la Cinquième république (6 points) Le droit d’amendement est le droit de soumettre au vote des assemblées parlementaires des modifications aux textes dont elles sont saisies, qu’il s’agisse de projets de loi, ou de propositions de loi. Les amendements peuvent avoir pour objet de supprimer, modifier, compléter voire enrichir un texte. Le droit d’amendement apparaît comme le prolongement du droit d’initiative législative. Reconnu par l’article 44 de la Constitution, il appartient tant au Gouvernement qu’aux parlementaires. Le droit d’amendement est soumis à un double encadrement, textuel et jurisprudentiel, même si son exercice tend à être facilité par les modifications apportées à la Constitution en 1958 en 2008. En premier lieu, afin d’assurer une certaine maîtrise de la procédure législative au gouvernement, plusieurs restrictions au droit d’amendement des parlementaires ont été prévues. Ainsi, les amendements peuvent être déclarés irrecevables, soit à défaut d’une soumission préalable à la commission chargée d’examiner le texte ; soit parce qu’ils auraient pour effet de réduire une recette ou d’accroître une dépense ; soit, enfin, parce qu’ils empiéteraient sur le domaine du pouvoir réglementaire consacré par l’article 37 de la Constitution. En outre, l’article 44 alinéa 3 permet au Gouvernement de recourir à ce qu’il est convenu d’appeler le « vote bloqué ». Il s’agit de la possibilité pour le Gouvernent de demander à l’assemblée saisie de statuer par un seul vote sur tout ou partie du texte en ne retenant que les amendements proposés ou acceptés par le Gouvernement. Utile pour faire face à l’obstruction parlementaire et pour placer le Parlement devant ses responsabilités, cette technique n’en demeure pas moins brutale et parfois abusive, notamment lorsqu’elle est utilisée à l’égard des textes proposés par l’opposition pour en faciliter le rejet. En second lieu, le droit d’amendement est encadré par la jurisprudence du Conseil constitutionnel au nom de l’exigence de sincérité des débats parlementaires. Ce dernier censure en effet les « cavaliers législatifs », à savoir les dispositions introduites dans un texte sans avoir de réel lien avec celui-ci, tout comme les dispositions qui méconnaissent la règle « de l’entonnoir » en vertu de laquelle des articles nouveaux ne peuvent être introduits après la première lecture dans chaque chambre. En troisième lieu, la volonté de revaloriser le Parlement s’est manifestée à l’occasion de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 par diverses innovations concernant le droit d’amendement. Tout d’abord l’article 45 alinéa 1 prévoit que « sans préjudice de l'application des articles 40 et 41, tout amendement est recevable en première lecture dès lors qu'il présente un lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis ». Ces dispositions visent à assouplir la jurisprudence du Conseil à l’égard des cavaliers législatifs même si en pratique il s’avère difficile de distinguer une disposition dépourvue de rapport avec l’objet du texte et une disposition présentant un lien même indirect avec le texte… Ensuite, les prérogatives des commissions ont été renforcées. En effet, le principe est désormais que, s’agissant des projets de loi, la discussion en séance publique s’ouvre sur la base du texte de la commission et non plus du gouvernement, étant précisé que le droit d’amendement s’exerce en commission. En définitive, l’exercice du droit d’amendement sous la Cinquième république demeure un droit effectif et vient contredire l’idée d’un Parlement qui ne serait que la « chambre d’enregistrement » de la volonté de l’exécutif. 33 Le recours pour excès (6 points) (Corrigé avec proposition de plan apparent I/II) Gaston Jèze décrivait en 1929 le recours pour excès de pouvoir comme « l’arme la plus efficace, la plus économique, la plus pratique qui existe au monde pour défendre les libertés ». Le recours pour excès de pouvoir (REP), érigé au rang de principe général du droit avec l’arrêt du Conseil d’Etat, Dame Lamotte, du 17 février 1950, et constitutionnalisé avec la décision du Conseil constitutionnel du 23 janvier 1987, est l’une des voies de recours offertes à l’administré dans le cadre d’une procédure administrative contentieuse. En 1881, Edouard Laferrière proposait, dans son Traité de la juridiction administrative, une classification révélant l’existence de quatre types de contentieux : le contentieux de pleine juridiction, le contentieux de l’annulation, le contentieux de l’interprétation et de l’appréciation de la légalité et le contentieux de la répression. Toutefois, le champ du contentieux administratif se résume souvent autour de la dualité « recours de plein contentieux - recours pour excès de pouvoir » dès lors que ceux-ci sont les plus fréquents. A l’inverse du recours de plein contentieux, le REP est un procès objectif fait à un acte, dans un délai de deux mois à compter de sa publication ou de sa notification, ayant pour objet la seule annulation de l’acte administratif illégal qui vaudra alors erga omnes (autorité absolue de la chose jugée). L’annulation peut être décidée pour cause d’illégalités affectant l’acte, d’ordre externe (incompétence de l’auteur de l’acte et vice de forme et de procédure), ou interne (détournement de pouvoir et violation de la loi). La mission historique du REP, à savoir celle de soumettre l’administration au principe de légalité, a participé de manière décisive à la consécration de l’Etat de droit et à la défense des libertés. Le REP, revêtant au départ un caractère subsidiaire par rapport au plein contentieux, a, au fur et à mesure, gagné en importance pour se trouver au premier rang du contentieux administratif. Paradoxalement, si le REP témoigne d’un moment de crise - en raison de la formation même d’un recours -, il illustre aussi la défense des administrés contre l’éventuel arbitraire de l’administration. Toutefois, c’est cette même consécration de l’Etat de droit, que le REP a rendue possible, qui a révélé les limites de ce recours. En effet, le REP a été dénoncé par la doctrine en raison de ses conséquences néfastes pour la protection de garanties individuelles - pourtant raison d’être du recours. Un certain nombre de transformations semblaient alors s’imposer afin que le REP continue de remplir sa mission de défense des libertés. Jean-Marie Woehrling souligne à cet égard qu’« une justice moderne conforme à la conception actuelle de l’Etat de droit nécessite des voies d’action plus évoluées ». Les transformations que traverse le REP vont-elles dans le sens d’un renforcement de son rôle d’« arme » de défense des libertés ? Le REP est à la fois marqué par un élargissement de ses cas d’ouverture, de même que par une extension des missions du juge de l’excès de pouvoir. I - L’élargissement des cas d’ouverture du REP. L’ouverture du recours est le fruit de la jurisprudence, elle consiste à assouplir les conditions traditionnelles de recevabilité et la notion d’acte susceptible de recours. Les conditions initiales de recevabilité font apparaître la nécessité de respecter les délais de recours ainsi que l’existence d’un intérêt à agir personnel et direct (CE 29 mars 1901, Casanova, CE, 2002, Diraison, irrecevabilité du recours dirigé contre une décision favorable de l’administration qui répond à une demande de l’administré). Les assouplissements jurisprudentiels consacrent une conception extensive de la notion d’intérêt à agir qui peut ne plus être personnel mais collectif (CE 28 décembre 1906, Association des patrons coiffeurs de Limoges). S’agissant des délais de recours, l'indication erronée, dans la notification d'un jugement, d'un délai supérieur à celui de droit commun, fait courir le délai de recours ainsi mentionné et non celui normalement applicable (CE 10 janv. 2001, Territoire de la Polynésie française, CE 27 mars 2006, Kaci). 34 Enfin, s’agissant de la notion même d’acte pouvant faire l’objet d’un recours, la jurisprudence est marquée par des évolutions très significatives. Le régime des circulaires a été traversé par des évolutions importantes. En 1954, le Conseil d’Etat déduit de la pratique ministérielle l’existence de circulaires règlementaires susceptibles de faire l’objet d’un REP (CE, 1954, Notre Dame du Kriesker). Cette jurisprudence ne prenant pas en compte le cas des circulaires interprétatives faisant une interprétation erronée de la loi, la jurisprudence Duvignères de 2002 établit une nouvelle distinction entre circulaire indicative insusceptible de recours et circulaire impérative susceptible de recours. On notera que ce critère de recevabilité a été repris pour le cas particulier des directives. Quant aux mesures d’ordre intérieur, le Conseil d’Etat a opéré une véritable révolution. Traditionnellement insusceptibles de recours parce qu’elles sont nécessaires au maintien d’une certaine discipline, et surtout pour éviter une contestation tous azimuts, elles sont désormais susceptibles d’être contestées lorsqu’elles revêtent une certaine gravité. Il en va ainsi de la décision d’exclure une élève d’un collège (CE, 2 novembre 1992, Kherouaa) mais aussi de la mise en cellule de punition d’un détenu pour huit jours ; ou de la punition d’arrêt de 10 jours infligée à un militaire (CE, 17 février 1995, Marie et Hardouin). Par deux décisions du 14 décembre 2007, Planchenault et Garde des sceaux, ministre de la justice c/ M. Boussouar, l'assemblée du contentieux a décidé, dans une volonté de clarifier et de stabiliser la jurisprudence, d'élargir encore le spectre des actes susceptibles de recours. Ce sont deux décisions de principes : l'une concerne le transfert d'un détenu d'une maison centrale à une maison d'arrêt, l'autre un déclassement d'emploi ou retrait d'emploi, mais les deux visent également des hypothèses étrangères au cas d'espèce. Les décisions de 2007 confirment que, pour déterminer si une mesure pénitentiaire constitue un acte administratif susceptible de recours pour excès de pouvoir, il y a lieu d'apprécier sa nature et l'importance de ses effets sur la situation des détenus. Le critère de la nature de la mesure recouvre trois séries d'éléments : en premier lieu, son objet ; en deuxième lieu, son caractère ; et, le cas échéant, en troisième lieu, son statut juridique. Le critère des effets de la mesure renvoie aux conséquences qu'elle est susceptible d'entraîner. Celles-ci doivent être appréciées, compte tenu de leur gravité, tant sur le plan juridique que sur le plan strictement matériel - ce qui renvoie aux conditions concrètes de détention. II/ L’accroissement des pouvoirs du juge de l’excès de pouvoir. Plusieurs possibilités ouvertes par la jurisprudence au juge de l’excès de pouvoir, notamment la substitution de base légale (CE, 8 avril, 1987, Procopio), la réformation interprétative (CE, 25 mars 2002, Caisse d’assurance Accidents agricoles), ou la substitution de motifs (CE, 6 février 2004, Hallal). Parmi ces possibilités nouvelles, ce sont les nouveaux pouvoirs de juge de l’excès de pouvoir, en termes d’injonction (loi du 8 février 1995) et de modulation dans le temps des effets de l’annulation, qui semblent être les transformations les plus remarquables. L’annulation rétroactive des actes est considérée par le Conseil d'Etat comme une exception au principe de non-rétroactivité. Le problème est que l’acte ayant des produits des effets durant toute l’instance, le retour au statu quo ante est parfois impossible et relève de la pure fiction. Pour éviter ces inconvénients le juge module la légalité en permettant la régularisation de certains actes (vice de forme ou de procédure) ou procédant lui-même à sa sauvegarde par la substitution de motifs par exemple. Plus récemment, le juge a admis de moduler les effets d’une illégalité. Soucieux des effets de la rétroactivité de l’annulation le juge a tout d’abord procédé à la modulation temporelle des effets de l’annulation ; cela signifie qu’il peut reporter les effets d’une annulation en permettant à l’administration de prendre les mesures nécessaire le cas de figure se rencontre lorsque l’administration est tenu d’agir mais n’a pas encore agit car toute action suppose un délai. Dans ce cas le juge signale le risque et accorde un délai raisonnable pour agir (CE, 2002, Villemain), il ne s’agit pas à proprement d’une annulation aux effets différés même si elle s’en rapproche. L’annulation conditionnelle ou annulation différé concerne le cas d’annulation de refus d’abroger un acte réglementaire dans ce cas le juge accorde, après avoir annulé le refus d’abroger, une alternative entre la modification de l’acte 35 réglementaire pour parvenir à sa légalité ou l’abrogation du règlement illégal. Parachevant cette évolution l’arrêt AC ! et autres de 2004, permet un aménagement temporel de l’annulation : -certaines dispositions peuvent conformément au droit commun être annulées - d’autres peuvent être annulées sans effets rétroactifs -enfin le juge peut différer l’annulation en reportant ses effets dans le temps ce qui laisse aux autorités le temps d’assurer la transition voir la continuité A mesure que les prérogatives du juge de l’excès de pouvoir augmentent, le REP semble tendre vers un rapprochement avec le recours de plein contentieux. Pour certains, la dualité REP/plein contentieux serait devenue inutile, et la classification évoluerait vers une distinction entre contentieux des actes individuels et contentieux des actes règlementaires. Aujourd’hui, même s’il se transforme, le REP n’est pas pour autant caduque : il continue d’occuper le 1er rang du contentieux et garde son autonomie. La distinction REP/plein contentieux demeure, en effet, essentielle. Les pouvoirs du juge de l’excès de pouvoir restent plus limités. En outre, s’agissant du REP, un simple intérêt à agir suffit pour l’engager, et la décision juridique revêt autorité absolue de la chose jugée. Tandis que dans le cadre du plein contentieux, le requérant doit justifier d’un droit lésé, et la décision du juge ne revêt que l’autorité relative de la chose jugée. Enfin, si certaines matières tombent dans le giron du plein contentieux (sanctions administratives : CE, 16 février 2009, ATOM) ; d’autres tombent dans celui du REP (contentieux contractuel: actes détachables et recours des tiers contre les clauses règlementaires) : l’un ne « s’empare » pas de l’autre. 36