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Actualité juridique
RockTenn écarte Bowater Maritime : précisions sur la fin du service
actif dans le cadre d’une fermeture
Mai 2015
Droit de l’emploi et du travail
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Le 16 février dernier, l’arbitre Denis Provençal rendait une décision importante en matière de régimes de pension au
Québec en concluant que le service actif des salariés affectés par une fermeture d’usine se termine le jour de la
fermeture définitive de l’usine. Cette décision écarte les décisions précédemment rendues par des tribunaux du
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Nouveau-Brunswick , dont la Cour d’appel de cette province, qui avait plutôt conclu que le service actif des salariés
visés par une fermeture d’usine se poursuivait jusqu’à la fin de leur droit de rappel.
Les faits
Le 29 février 2012, RockTenn annonçait la fermeture définitive de son usine de Matane. En avril 2012, le syndicat et
l’employeur signaient une entente de fermeture permanente. Conformément à cette entente, tous les employés furent
payés durant quelques semaines à titre de préavis. Toujours conformément à cette entente, les « calculs de retraite »
furent faits pour tous. Les stocks et les matières premières qui étaient sur le site furent vendus et les équipements de
l’usine furent partiellement démontés, certaines pièces furent envoyées dans d’autres usines et les chaudières des
machines à papier furent percées afin de s’assurer qu’il ne soit plus possible de produire du carton à cet endroit.
Les griefs
Trois salariés de l’usine, dont deux étaient demeurés au travail après le 29 février pour assurer une fermeture
ordonnée, déposèrent en avril 2014 autant de griefs réclamant le bénéfice d’une retraite anticipée, conformément au
régime en place. Ils soutenaient que justifiant déjà de 20 ans de service lors de la fermeture de l’usine, ils avaient tous
atteint l’âge de 55 ans durant la période visée par leur droit de rappel prévue à la convention collective applicable. Ces
salariés prétendaient être demeurés en service actif malgré la fermeture de l’usine, ce service se poursuivant selon
eux jusqu’à l’expiration de leur droit de rappel, en l’occurrence 36 mois après leur dernier jour de travail.
Les positions
Le syndicat soutenait qu’en vertu de la convention collective applicable, les salariés ne perdaient leur ancienneté que
lorsqu’ils n’avaient pas été réembauchés après avoir été mis en disponibilité (c.-à-d. mis à pied) pendant plus de
36 mois consécutifs. Toujours selon la position syndicale, compte tenu de ces droits de rappel prévoyant qu’un salarié
a le droit « d’être réembauché à mesure que les occasions se présentent », la mise en disponibilité à la suite d’une
mise à pied ne pouvait devenir une « cessation d’emploi » et ainsi mettre fin au service actif qu’après l’expiration du
délai de 36 mois. Les salariés ayant atteint l’âge de 55 ans durant la période de 36 mois suivant la fermeture de l’usine
devaient donc être considérés comme ayant été en service actif lors de leur anniversaire et, en conséquence,
admissibles à une retraite anticipée. Cette position avait déjà été retenue par l’arbitre Bruce dans un dossier mettant
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en cause un régime de pension analogue à celui de RockTenn , décision qui avait par la suite été confirmée par la
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Cour supérieure du Nouveau-Brunswick ainsi que par la Cour d’appel de cette province, donnant ainsi à cet
argument une valeur de précédent certain.
De son côté, l’employeur soutenait qu’au Québec, le service actif d’un salarié devait se terminer dès que l’absence de
toute possibilité d’un retour au travail était claire. En l’espèce, comme la fin du travail des salariés était définitive, elle
ne pouvait en aucune façon être considérée comme une « mise en disponibilité » ou une forme quelconque de mise à
pied donnant ouverture à un droit de rappel, leur service actif ayant pris fin en 2012.
La décision
L’arbitre constata d’abord que la fermeture de février 2012 était définitive, ne laissant aucun espoir aux salariés d’être
rappelés au travail. Il restait donc à déterminer si le fait pour ces salariés d’avoir atteint l’âge de 55 ans durant leur
période de rappel leur permettait de bénéficier des indemnités de retraite convoitées.
Revoyant les textes applicables de la convention collective, du régime de retraite et de la Loi sur les régimes
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complémentaires de retraite (ci-après la « Loi RCR »), l’arbitre indique qu’il ne peut ignorer le droit québécois
applicable et prend en conséquence assise sur les articles 36 et 54 de la Loi RCR et sur l’interprétation qui en fut
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donnée par les tribunaux québécois pour conclure que « […] c’est à la possibilité réelle d’un retour au travail et non
simplement à l’existence d’un droit de rappel qu’il faut s’attarder afin de déterminer si les trois salariés ont raison de
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prétendre qu’ils continuaient leur service actif chez RockTenn. » L’arbitre souligne par ailleurs « […] qu’il faut s’arrêter
à considérer l’ensemble de la situation pour déterminer s’il s’agit d’une fermeture définitive et si les droits de rappel
prévus à la convention collective, à la Loi RCR ainsi qu’à un régime de retraite sont devenus théoriques et qu’ils ne
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pourront être exercés. »
À un argument supplémentaire du syndicat selon lequel la vente de l’usine aurait pu donner lieu à l’application de
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l’article 45 du Code du travail , ce qui aurait obligé l’acquéreur à respecter les dispositions de la convention collective
relative au rappel au travail, l’arbitre, notant qu’il n’a aucune preuve d’une reprise possible d’activité, précise « […] que
le T.A.Q, dans l’affaire Boucher, a décidé que la Régie ne pouvait se fonder sur des faits postérieurs pour déterminer
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une nouvelle possibilité de retour au travail. »
Concluant donc que les trois salariés n’avaient aucune possibilité réelle et raisonnable de rappel après leur dernier jour
de travail à l’usine de Matane, l’arbitre rejette les trois griefs.
En conclusion
Cette décision a le mérite de rejeter clairement les principes retenus par les tribunaux néo-brunswickois qui avaient
laissé planer d’inquiétants doutes pour les employeurs et les administrateurs de régimes de pension au Québec depuis
2008. Elle rappelle aussi l’importance des faits entourant une fermeture d’entreprise, soulignant la nécessité pour
l’employeur d’agir d’une façon cohérente avec une décision de fermeture, notamment en réglant tous les détails avec
ses syndicats, en payant les sommes dues aux salariés touchés et en s’assurant qu’il n’existe plus aucune possibilité
réelle d’un éventuel rappel au travail pour ceux-ci. Sinon, il sera toujours possible pour des salariés de se prétendre en
service actif durant la période de rappel prévue à leur convention.
La décision fait présentement l’objet d’une requête en révision judiciaire. Nous vous tiendrons au courant des
développements.
François Côté
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Notes
1.
Unifor Section Locale 414 c Emballages RockTenn, 2015 Can LII 6880 (QC SAT).
2.
Bowater Maritimes Inc. c Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, sections locales 117, 146, 164 et 263, et
l’Association nationale des débardeurs, section locale 1433, [2011] NBJ No 69 (QL).
3.
Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, sections locales 117, 146, 164 et 263, et l’Association nationale des
débardeurs, section locale 1433 c Bowater Maritimes Inc., Brian D. Bruce, c.r., artibre, 15 décembre 2008.
4.
Bowater Maritimes Inc. c Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, sections locales 117, 146, 164 et 263, et
l’Association nationale des débardeurs, section locale 1433 [2010] NBJ No 121.
5.
Supra note 2.
6.
RLRQ c R -15.1.
7.
Bowater Pâtes et papier Canada c Régie des rentes du Québec et Claude Boucher, SAE-M-051464-9908, 28 août 2000, Tribunal
administratif du Québec AZ-50079293; Boucher c. Tribunal administratif du Québec [2002] RJQ 2785.
8.
Supra note 1 au para 56.
9.
Ibid au para 57.
10. RLRQ c C-27.
11. Supra note 1 au para 61.
Pour plus de renseignements sur le sujet abordé dans ce bulletin, veuillez communiquer avec l’un des avocats mentionnés ci-dessous :
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Montréal
+1 514.847.4464
[email protected]
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