réforme : la retraite des mères et pères de famille

Transcription

réforme : la retraite des mères et pères de famille
Retraite / institutions
RÉFORME : LA RETRAITE
DES MÈRES ET PÈRES DE FAMILLE
Le Projet de loi de financement de la
sécurité sociale (PLFSS) pour 2010 a
été adopté en conseil des ministres le
14 octobre. Selon Liaisons sociales
du 16 octobre, « la mesure phare
du PLFSS est sans conteste la
réforme de la majoration de durée
d’assurance vieillesse des mères ».
Voyons quel était le problème, de
quelle manière il a été provisoirement
résolu, et les raisons pour lesquelles
la nouvelle législation restera, comme
l’était l’ancienne, en porte-à-faux
par rapport à la réalité économique
et à l’équité.
Des dispositions
incompatibles avec le droit
européen
La majoration de durée d’assurance
(MDA) en vigueur dans le régime des
fonctionnaires avait déjà été modifiée par
la loi retraites de 2003 pour cause d’incompatibilité avec les règles européennes
d’égalité entre hommes et femmes. Après
avoir posé deux questions préjudicielles à
la Cour de justice des communautés
européennes, le Conseil d’Etat avait en
effet donné droit, par un arrêt du 29
novembre 2001, au sieur Griesmar qui
réclamait le bénéfice de l’année d’assurance que le code des pensions civiles et
militaires accordait aux femmes, et à elles
seules, pour chaque enfant élevé. La pension des fonctionnaires étant, selon la
Cour de justice, un élément de rémunération, une différence de traitement entre
hommes et femmes était contraire aux
dispositions du Traité de Rome interdisant
des différences de rémunération liées au
genre.
Les retraites du régime général ont beau
n’être pas considérées comme des rémunérations, mais comme des prestations de
sécurité sociale, il aurait été prudent
d’examiner dès 2002 si le droit européen
ne risquait pas de poser également un
problème pour la MDA de deux années
réservée aux femmes dans ce régime. Il a
fallu néanmoins attendre l’arrêt de la
Cour de cassation du 19 février 2009
pour que, placés devant une jurisprudence qui ouvrait désormais à tous les salariés
du privé l’accès aux MDA de huit trimestres par enfant jusqu’alors réservées
aux salariées, les pouvoirs publics français
cherchent une parade.
Cette attente est d’autant moins normale
que la Cour de cassation avait déjà, par un
arrêt du 21 décembre 2006, étendu le
bénéfice de la majoration de durée d’assurance prévue au régime général à un père
ayant prouvé qu’il avait élevé seul un
enfant. Elle se basait sur l’article 14 de la
Convention européenne des droits de
l’homme qui dispose que « la jouissance
des droits et libertés (…) doit être assurée,
sans distinction aucune, fondée notamment
sur le sexe (…) ».
Dans sa décision du 19 février 2009, la Cour
a simplement été un peu plus loin dans l’application de cet article, puisque cette fois le
requérant n’avait pas élevé seul ses enfants.
Et, pour se faire entendre des autorités qui
avaient fait la sourde oreille après son arrêt
de décembre 2006, elle a ainsi explicité sa
motivation : « une différence de traitement
entre hommes et femmes ayant élevé des
enfants dans les mêmes circonstances ne peut
être admise qu'en présence d'une justification
objective et raisonnable ; en l'absence d'une
telle justification, l'article L. 351-4 du code de
la sécurité sociale qui réserve aux femmes le
bénéfice d'une majoration de carrière pour
avoir élevé un ou plusieurs enfants, est incompatible avec ces stipulations ».
La solution adoptée
Une majoration de quatre trimestres
serait attribuée au titre de la grossesse et
de l’accouchement, et quatre autres aux
parents au titre de l’éducation de l’enfant,
avec une différence selon que la naissance aurait eu lieu avant ou après le 1er janvier 2010 :
• avant : pour bénéficier de trimestres, le
père devrait apporter la preuve qu’il a
élevé seul l’enfant pendant au moins une
année ;
• après : les 4 trimestres “éducation”
pourraient être partagés d’un commun
accord entre les parents ; en cas de désaccord ils seraient attribués à celui qui
apporterait la preuve qu’il a contribué à
titre principal à l’éducation de l’enfant, ou
1. Donner plus à ceux qui sont déjà plus riches.
2. Jean de La Fontaine, Les animaux malades de
la peste.
à défaut partagés par moitié ; et si personne ne se manifeste avant que l’enfant ait 4
ans 1/2, les 4 trimestres iraient à la mère.
La législation était
d’une logique et d’une
équité douteuses ;
la nouvelle le restera
Ces dispositions permettront probablement d’éviter de nouveaux arrêts de la
Cour de cassation motivés par une
incompatibilité de la loi française avec les
conventions et traités européens ; elles
n’en resteront pas moins critiquables du
point de vue de l’équité comme de la
logique économique.
L’équité restera blessée de deux façons :
• les divers régimes continueront à tenir
compte de façons très différentes de la
mise au monde et de l’éducation des
enfants ( par exemple : 4 trimestres pour
la naissance dans le régime général ; 2 trimestres dans celui des fonctionnaires ; et
100 points – l’équivalent d’un trimestre dans celui des professions libérales) ;
• un trimestre apportant beaucoup plus
de droits à pension pour un haut fonctionnaire que pour un salarié du privé
payé au SMIC à mi-temps, l’effet
Matthieu (1) subsistera : « selon que vous
serez puissant ou misérable » (2), le même
service rendu (avoir élevé un enfant) sera
récompensé dans des proportions allant à
peu près de 8 à 1.
La logique économique, quant à elle, restera bafouée : les droits familiaux à pension conserveront leur caractère juridiquement « non contributif », alors que la mise
au monde et l’éducation des enfants, et
non les cotisations vieillesse, préparent les
retraites futures. Depuis qu’Alfred Sauvy a
cherché à attirer l’attention sur cette évidence, il y a un demi-siècle, aucune tentative n’a été faite pour rendre le droit positif cohérent avec le fonctionnement des
retraites par répartition. Peut-être serait-il
temps qu’une convention ou un traité
européen dispose que les lois daltoniennes
– celles qui posent comme principe juridique que le rouge est vert et vice-versa –
sont nulles et non avenues ?
■ Jacques BICHOT
Économiste, professeur émérite
à l’Université Lyon 3
R.F.C. 426 Novembre 2009
27

Documents pareils