Les partis politiques en Afrique

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Les partis politiques en Afrique
Les partis politiques en Afrique
El HADJ IBRAHIMA BAH
Ancien ministre
Député à l’Assemblée nationale de la République de Guinée
Le concept de parti politique en tant « qu’association de personnes constituées en vue d’une action politique »
est bien connu des Africains depuis la période coloniale. En effet, après la Deuxième Guerre Mondiale, la constitution de l’Union française avait introduit le régime des élections étendu aux Territoires français. C’est dans ce
contexte que des élections multipartites ont été organisées dans les colonies françaises. Et elles ont eu pour aboutissement la mise en place d’Assemblées territoriales et l’élection de députés issus des colonies et qui siégeaient à
l’Assemblée nationale française. L’accession des colonies à l’indépendance, la plupart du temps, a inauguré l’ère
du consensus et donc des partis uniques, ou partis-État. Cette expérience originale, à son tour, a été interrompue
par les pouvoirs d’exception militaires, la période sans partis, la période des coups d’État, sous la férule des généraux ou des capitaines, selon les latitudes où l’on se trouvait.
La période actuelle connaît de nouveau le retour de la démocratie pluraliste. Elle date des années 91, date de
la chute du mur de Berlin, de la disparition de la Guerre froide. Il faut rappeler également que le « discours de La
Baule » a eu une influence positive sur l’accélération du processus démocratique dans le Monde francophone.
Dans la plupart des pays d’Afrique francophone, la création des partis politiques date des années 80 et 90. Un
certain nombre d’entre eux se sont illustrés lors des Conférences nationales. Ce sont en particulier le Bénin, qui a
fait la Conférence nationale la mieux réussie, Madagascar, le Congo, la RD du Congo, le Togo, le Burkina Faso,
etc.
Les pays les plus nombreux n’ont pas emprunté la voie de la Conférence nationale pour instaurer le multipartisme. Le cas de la Guinée est intéressant à plusieurs égards. En effet, dès 1988, un Organe de Gestion de la Transition
dénommé CTRN (Conseil Transitoire du Redressement National) avait été constitué pour élaborer un projet de loi
fondamentale de la République de Guinée, dont le préambule dispose : « le Peuple de Guinée proclame :
– l’égalité et la solidarité de tous les nationaux sans distinction de race, d’ethnie, de sexe, d’origine, de religion et d’opinion ;
– son adhésion aux idéaux et principes, droits et devoirs établis dans la Charte de l’Organisation des Nations
Unies, la Déclaration Universelle des droits de l’Homme, la Charte de l’Organisation de l’Unité Africaine
et la Charte des droits de l’Homme et des Peuples ».
En rapport avec les partis politiques, les articles 2 et 3 sont suffisamment éloquents sur la signification du
concept du suffrage universel et du parti politique.
En effet, dans l’article 2 de la Loi Fondamentale guinéenne, il est dit : « La souveraineté nationale appartient au
Peuple qui l’exerce par ses représentants élus ou par voie de référendum.
Aucune fraction du Peuple, aucun individu ne peut s’en attribuer l’exercice. Le suffrage est universel, direct,
égal et secret ».
Dans l’article 3, il est précisé :
« Les partis politiques concourent à l’éducation politique des citoyens et à l’expression du suffrage. Ils présentent seuls les candidats aux élections nationales. Ils doivent être implantés sur l’ensemble du territoire national. Ils ne doivent pas s’identifier à une race, une ethnie, une religion ou un territoire. Ils doivent également respecter
les principes de la souveraineté nationale et de la démocratie, l’intégrité du territoire et l’ordre public ».
Ce qui est inscrit dans la constitution guinéenne, sous une forme ou sous une autre, existe dans les autres constitutions des États africains.
À ce stade, on dit les principes et l’on énonce les grandes vérités. Mais si ce pluralisme politique est théoriquement admis par tout le monde, c’est le cas en Guinée, où la Loi fondamentale a été plébiscitée à 98,5 %, le 22
décembre 1990, sur le terrain, le manque d’expérience démocratique, l’absence de culture démocratique favorisent plutôt la création de partis à forte connotation ethnique et/ou régionale, d’autant plus que les leaders politiques
sont souvent tentés d’accéder au pouvoir par cette voie qui est la plus courte, mais aussi la plus périlleuse.
Pendant cette phase d’euphorie et d’engouement, les partis politiques poussent comme des champignons. Le
temps se chargera de faire la sélection nécessaire. Très vite, une décantation s’opère. Les partis, pour fonctionner,
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ont besoin de mobiliser d’importants moyens de toute nature : matériels, humains et surtout financiers. Et ils sont
avant tout, l’affaire des leaders. Ceux d’entre eux qui n’ont pas une surface financière suffisamment large, risquent
d’être voués à la disparition après une existence très éphémère.
Au fur et à mesure que le temps passe, nombre de partis sans ressources s’essoufflent et meurent. Sur quelque
quarante six partis officiellement agréés en 1992, une dizaine siégeront en 1995 à l’Assemblée nationale guinéenne.
Le parti du pouvoir est largement majoritaire, loin devant le Regroupement de l’Opposition, baptisé Codem
(Coordination de l’Opposition démocratique) avec 1/3 des députés. Le parti majoritaire qui est le Parti de l’Unité
et du Progrès (PUP) s’allie finalement à quelques députés centristes regroupés au sein du PCN (Parti du Consensus
et de l’Unité Nationale) pour constituer ensemble le Groupe Parlementaire de la Majorité du Groupe PUP/PCN.
C’est au niveau du parlement guinéen, mieux que nulle part ailleurs, que la démocratie a fait ses preuves, avant
de se consolider véritablement. L’Assemblée nationale guinéenne est ainsi devenue un vaste espace démocratique,
où a cours la concertation entre les principaux acteurs de l’échiquier politique national, un cadre idéal d’échanges
enrichissants, un haut lieu de débats contradictoires, mais organisés où l’argument de la force a été remplacé pour la
force de l’argument. Quelquefois, dans un combat sans concession, majorité et opposition s’affrontent et s’opposent
durement sur les principes, les concepts et les stratégies politiques. Mais à l’issue de la bataille, elles se rendent compte
que leur force n’est plus dans la violence aveugle, mais plutôt dans une argumentation plus forte, plus structurée, plus
persuasive, le vote étant l’étape ultime de leur démarche. Lentement, mais sûrement, les députés ont fini par prendre
conscience de ce qu’ils peuvent et doivent représenter dans la société guinéenne, de leur poids dans la résolution pacifique des problèmes et des contradictions majeures au sein de leur Peuple. Désormais, ils savent qu’au-delà de leurs
convictions personnelles, de leurs alliances et de leurs sensibilités propres, ils sont des responsables au service des
intérêts supérieurs de l’État, de la Nation toute entière, des populations guinéennes, pour qu’elles vivent dans la paix
sociale, dans la construction responsable de leur bien-être commun, dans la démocratie véritable, mais toujours inachevée et donc à parfaire indéfiniment. Le résultat est dû essentiellement aux députés de l’opposition mais aussi et surtout au président de l’Assemblée nationale expérimenté et imbu de démocratie.
À ce stade, il faut exprimer ce profond regret que les débats parlementaires n’aient pas connu une large diffusion dans les médias publics, la privatisation de l’audiovisuel se faisant toujours attendre en Guinée.
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Les constitutions africaines des années 90 ont inscrit sur leurs registres tous les pouvoirs qui sont aujourd’hui
partout installés. Mais de leur installation à leur fonctionnement correct, il y a encore un long chemin à parcourir.
En effet, nos constitutions pour la plupart ont prévu un régime présidentiel fort et qui tend à marginaliser les autres
pouvoirs républicains : le législatif et le judiciaire. Les élections dans ces pays sont organisées par les départements
ministériels en charge de l’Administration du territoire, qui manipulent le plus souvent les élections, ce qui provoque des contestations, violences et conflits et conduit dans les pires cas aux conflits armés. D’où le recours souhaité aux Commissions électorales souveraines et indépendantes.
Le rythme de l’évolution du processus démocratique varie d’un pays africain à l’autre (le tout dépendant du
développement interne de celui-ci durant les 40 dernières années des indépendances avec les choix politiques, idéologiques très épars, les multiplicités ethniques, les taux très élevés d’analphabétisme, le tout couronné par une pauvreté extrême, etc.). En effet, on ne devrait avoir aucun complexe à rappeler que nos Nations sont en voie de
formation. Elles le sont par des États nouveaux dirigés par des hommes d’État tout à fait nouveaux peu ou prou
préparés à assumer les charges gouvernementales suprêmes. D’où toute l’appréciation que nous faisons de la nécessité et de l’opportunité d’instaurer ces débats autour du thème de « la Vie politique », tout en donnant le temps au
temps.
Il faut tout juste souligner, pour conclure, que quelquefois le Peuple souverain a plus besoin pour exister, de
liberté et de justice sociale que de démocratie (cas de la Sierra Léone, de la Somalie, des deux Congo, du Rwanda,
du Burundi, etc.).
Il faut concilier droits de l’Homme et droits des Peuples.

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