la crise des Partis politiques - CONVAINCRE

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la crise des Partis politiques - CONVAINCRE
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La crise des partis politiques
Les partis politiques existent dans toutes sortes de régimes politiques. Dans une démocratie ils
en sont un des éléments centraux. Ils concourent à l’expression politique des citoyens en vue
de la conquête et de l’exercice du pouvoir. Dès le premier tiers du XIX°, en Europe et
Amérique du Nord, des groupes parlementaires se forment et interviennent dans les élections
en créant des comités locaux. Dans la seconde moitié du XIX° Siècle, des forces extraparlementaires promeuvent de nouveaux types de partis. Les syndicats ont été ainsi à l’origine
des partis socialistes et travaillistes.
Les partis issus de la vie parlementaire étaient des partis de notables. Les partis socialistes créés sous
l’impulsion des syndicats ont été les premiers partis de masse, structurés en sections et en fédérations.
Ce type de parti a connu son apogée dans les deux décennies qui suivirent le second conflit mondial.
Puis, notamment en France, un mouvement inverse s'est produit. Aujourd’hui, les partis dits
de masses, y compris ceux de gauche qui ont une véritable vitalité militante sont presque
redevenus des partis de notables gouvernés par une oligarchie.
1 - Comment en est-on arrivé là ?
Deux grands types de facteurs expliquent la situation présente : l’évolution de la société
française et le fonctionnement des institutions politiques.
11 – La société française actuelle n’est plus celle qui a permis la création des
partis actuels.
La troisième révolution industrielle accélère les changements sociaux mais n’a pas encore
abouti à une nouvelle structuration sociale. Nous sommes au milieu du gué. Faire référence
à des classes populaires ou moyennes n’a plus grande signification. Si la classe ouvrière a
éclaté, les cadres ne participent pas comme tels à la bourgeoisie et ne forment pas, pas plus
que les employés, un groupe cohérent. Même s’il existe des groupes sociaux exploités et
discriminés, il n’est plus question de raisonner en terme de classes sociales ou de rapport de
classe. Les grands partis politiques républicains de droite ou de gauche n’ont pas pris en
compte ces évolutions.
L’élévation du niveau de l’instruction et de l’information n’arrange pas les choses. Jamais la
population des pays développés et notamment la population française n’a été aussi bien
formée. L’illettrisme et l’échec scolaire ne doivent pas le faire oublier. Les capacités
d’autonomie et de choix de la majorité de la population sont grandes. Elles expliquent en
partie la crise des Eglises et des organisations politiques ou sociales.
Dans la formation de l’opinion, les médias jouent un rôle plus important que les
organisations sociales et politiques. Même si on ne peut attendre d’activités de spectacle
autre chose que du spectacle, les débats télévisés donnent plus d’informations que les
campagnes électorales d’antan. Mieux, grâce à Internet, des citoyens interviennent
directement dans les campagnes électorales, contrent les structures partisanes officielles et
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obligent les médias à rééquilibrer leurs interventions. La campagne pour le Traité
Constitutionnel Européen, l’a clairement démontré.
12 – Les dérives des institutions politiques font déraper les partis
La complexité des problèmes donne une place souvent déterminante aux experts. Les
experts ne sont plus cantonnés dans la préparation de la décision. Ils deviennent des arbitres
auxquels on remet, de fait, la décision. Peu à peu le débat démocratique paraît ne plus être
capable d’éclairer les choix politiques.
En France cette dérive est accentuée par la place de la haute administration. Il existe
toujours en son sein une tradition qui veut que le haut fonctionnaire se considère comme un
défenseur de l’intérêt général aussi légitime que le politique et qu’il a pour lui la permanence.
De son côté, la place centrale prise par l’élection présidentielle dans l’organisation
accentue la fermeture des partis sur eux-mêmes et leur déconnexion de la société française.
Comme l’a très bien montré Pierre Héritier dans son ouvrage « Gouverner sans le Peuple »,
tous les grands partis français sont devenus des machines destinées à placer leur candidat à
l’Elysée. Le candidat s’entoure d’une écurie d’experts et surtout d’un réseau d’élus à la
recherche d’un parrainage et assurant le maillage du territoire. Le système des grands partis
dominants est calqué sur le modèle féodal de la fidélité et de la protection.
2 – Comment redonner une assise sociale aux partis politiques ?
La meilleure manière serait évidemment que les citoyens adhèrent massivement à des partis
dont la démocratie interne serait garantie.
21 - Les limites à un retour à des partis véritablement de masse.
Il existera toujours des jeunes et des moins jeunes s’engageant dans les partis politiques mais
ils seront une petite minorité. En France, comme ailleurs, les générations nouvelles n'ont pas
moins d'engagements mais différents. Nous sommes en présence d'une population désireuse
d'autonomie et de pluri-activité. Dans la vie au travail comme dans la vie sociale et
l’engagement on assiste au développement des comportements de "zappeurs". On passe
rapidement d'un sujet à un autre, il faut que cela bouge, il faut avoir des opportunités de
mobilité et d'associations à des projets variés.
22 - Une modification du fonctionnement interne des partis politiques pour permettre un
élargissement de leur base sociale.
Avec le cumul des mandats et la durée des mandats, les politiques deviennent peu à peu des
professionnels faisant carrière. Eviter cette dérive par le non-cumul des mandats et la
limitation de leur durée, pose du même coup le problème du statut de l’élu. Comment assurer
l’avenir de l’élu lorsqu’il perd son mandat ou ne peut plus le renouveler ?
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23 – Etablir de nouveau lien entre les partis politiques et la société civile.
Limiter la durée et le cumul des mandats ne sont que des palliatifs dont la mise en pratique est
actuellement difficile. Le développement de nouveaux liens entre la société civile et les partis
politiques serait un véritable antidote à la dépolitisatio.
231 - On est passé en France le l’exclusion de la société civile à l’institutionnalisation de sa
participation.
En France la participation de la société à la vie politique a longtemps été entravée. En 1789,
nous avons instauré pour des raisons de circonstances une démocratie ignorant les corps
intermédiaires. Dans la conception originelle française de la démocratie, il y a l’Etat et des
citoyens. Même les syndicats et les organisations professionnelles ont eu du mal à affirmer
leur position de prise en charge d’une partie du domaine public.
En dépit de la réticence historique vis-à-vis des corps intermédiaires, le pouvoir politique a
fini par donner à la société civile un rôle de suppléance dans l’espace public. Aujourd’hui
une partie des composantes de la société civile s’exprime dans divers conseils et comités
consultatifs (conseil économique et social, conseil de développement, comité de quartier…).
Mais au travers de la multiplication des organismes de consultation, les politiques informent
plus qu’ils ne consultent et on est souvent loin d’une véritable démocratie participative.
Au-delà de la participation aux institutions consultatives, la société civile a aussi un rôle de
plus en plus important de pression et de lobby. Aux Etats-Unis, un nouveau fonctionnement
démocratique s'est mis en place. La plupart des jeunes et des moins jeunes américains
considèrent que la politique est une affaire de professionnels, ceux qui s’y engagent le font
pour y faire carrière. De leur côté, les entreprises, les syndicats mais aussi une multitude
d’associations s'organisent pour créer des liens en tous genres avec la société politique, font
pression sur elle et encadrent son action.
232 - Il reste à inventer les modalités qui permettront aux partis politiques d’entrer
véritablement en dialogue avec la société civile sans pour autant vouloir l’inféoder.
Les tentatives pour créer des liens institutionnels entre les partis politiques et la société
civile ne datent pas d’aujourd’hui. Le Parti Travailliste britannique en est l’exemple le plus
fameux. Créer au siècle dernier à l’instigation des Trade Unions le parti travailliste a été
longtemps leur émanation politique. Le Parti Communiste Français a lui tenté, au temps du
centralisme démocratique, une liaison en sens inverse. Des responsables CGT participaient
bien à la direction du parti et de nombreux militants de la CGT étaient aussi membres du Parti
mais au total c’était bien le PC qui grâce aux règles du centralisme démocratique jouait un
rôle déterminant dans la CGT.
Ces dernières années, en France, les partis politiques et les instances politiques ont offert à
des membres de la société civile des postes politiques qui n’étaient pas toujours de simples
strapontins. Ce genre de liaison a été, tant à droite qu’à gauche, à l’origine de bien de
désillusions. De toute façon, faire d’un membre de la société civile un homme politique, n’est
pas établir des relations nouvelles avec la société civile mais le converti en homme politique.
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Au début des années 1960, dans un ouvrage « L’Etat et le Citoyen », pour concevoir
autrement les partis politiques, le Club Jean Moulin avait avancé le concept de « parti
relais ». Il n’a rien perdu de son actualité :
« Les cellules d'opinion, les centres décisions sont de plus en plus nombreux et dispersés. Il
faut que le parti s'adapte à cet état de choses. Compter sur un bouleversement soudain serait
utopique, mais une évolution s'impose. Isolé, le parti est désarmé. S'il rassemble, s'il concilie,
s'il tisse autour de lui tout un réseau de relations, il devient un instrument de synthèse
irremplaçable…. La notion de parti-relais est différente de la notion de parti armée. Dans un
cas, les ordres viennent d'en haut, la stratégie est tranchante mais les prises de position du
parti n'engagent personne. Dans l'autre, le rôle des états-majors, en dehors de la période
électorale, est surtout de définir des orientations générales, d'aider aux liaisons et aux
conciliations. Le premier type est lié à une structure simple de la société; le second à une
structure diversifiée……Un « parti relais » demanderait à ses membres de jouer un rôle dans
des organisations non partisanes (syndicats, mouvements de jeunesse, associations de loisirs
collectifs, groupements éducatifs, etc.), non pas pour les noyauter mais pour établir des
communications et pour éviter l'étroite spécialisation qui finit par faire des militants
(politiques) une sorte de race à part. ….. »
Inventer de nouvelles modalités dans les rapports entre le politique et la société civile
n’est pas chose aisée, ni pour le politique, ni pour les acteurs de la société civile. Quelles
que soient les nouvelles modalités dans les rapports entre la société civile et le politique,
il faut aussi que la société civile change ses modes de fonctionnement et ne tombe pas
dans les écueils qu’elle reproche à la société politique. Ces réflexions pour le renouveau
des partis politiques en montrent l'urgence et la possibilité, elles ont pour but d’ouvrir
un débat et la recherche de nouvelles pratiques.
Jean-Marie ALBERTINI
Directeur de recherche émérite au CNRS
Président du Forum Citoyen Rhône-Alpes

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