La question des partis politiques non démocratiques à la lumière

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La question des partis politiques non démocratiques à la lumière
La question des partis politiques
non démocratiques à la lumière
des droits de l’Homme
notamment en Europe centrale et orientale
KAREL VASAK
Ancien directeur des droits de l’Homme à l’UNESCO
Que la démocratie ne peut pas exister sans les démocrates est un lieu commun que l’on oublie trop souvent et
qui nous amènera à nous interroger prochainement, à Sofia, sur la « culture démocratique ». La démocratie ne peut
pas davantage survivre si ce régime politique ne s’appuie pas sur des partis politiques démocratiques. Mais dans
quelle mesure la démocratie peut-elle accepter, au nom de la liberté politique qui en est le fondement, des partis
politiques non démocratiques ? La question s’est posé et se pose encore dans tous les pays francophones dans les
pays de l’Europe centrale et orientale (PECO) ; elle a été traitée sous l’angle de la « liquidation » des régimes dictatoriaux qui y ont régné pendant une cinquantaine d’année.
I.– LES NORMES NATIONALES ET INTERNATIONALES APPLICABLES
AUX PARTIS POLITIQUES NON DÉMOCRATIQUES ET LEUR MISE EN ŒUVRE
Tous les pays francophones possèdent une législation qui leur permet d’agir, dans des conditions plus ou moins
bien définies, soit avant même leur constitution au moyen de l’autorisation préalable, soit a posteriori, par la voie
de la dissolution administrative ou juridictionnelle, lorsque des partis politiques prônent une idéologie non démocratique ou entreprennent des activités contraires au régime démocratique et à 1’État de Droit. C’est ainsi que la
Tunisie a complété le 27 octobre 1997, l’article 8 de sa constitution de 1959 par des dispositions très explicites sur
les partis politiques et sur leur caractère obligatoirement démocratique, libellées comme suit :
– « Les partis politiques contribuent à l’encadrement des citoyens en vue d’organiser leur participation à la vie politique. Ils doivent
être organisés sur des bases démocratiques. Les partis politiques doivent respecter la souveraineté du peuple, les valeurs de la
République, les droits de l’Homme et les principes relatifs au statut personnel ;
– Les partis politiques s’engagent à bannir toute forme de violence, de fanatisme, de racisme et toute forme de discrimination ;
– Un parti politique ne peut s’appuyer fondamentalement dans ses principes, objectifs, activité et programmes, sur une religion, une
langue, une race, un sexe ou une région ;
– Il est interdit à tout parti d’avoir des liens de dépendance vis-à-vis d’intérêts étrangers ;
– La loi fixe les règles de constitution et d’organisation des partis ».
Au plan international la sanction du caractère non démocratique des partis politiques est déduite de l’article
30 de la déclaration Universelle des droits de l’Homme qui prévoit ce qui suit : « Aucune disposition de la présente Déclaration ne peut être interprétée comme impliquant pour un État, un groupement ou un individu de droit
quelconque de se livrer à une activité ou d’accomplir un acte visant à la destruction des droits et libertés qui y sont
énoncés ».
Cette disposition(1) a été reprise et développée par l’article 5 § 1 du pacte des Nations Unies relatif aux droits
civils et politiques, par l’article 17 de la Convention européenne des droits de l’Homme, ainsi que, partiellement,
par l’article 29 de la Convention américaine des droits de l’Homme, mais non par la Charte Africaine des droits
de l’Homme et des Peuples.
Il est intéressant de relever que c’est par référence à l’article 17 de la Convention européenne des droits de
l’Homme qu’en 1957 avait été rejetée par la Commission européenne des droits de l’Homme la requête du Parti
Communiste allemand qui venait d’être dissous par la Cour constitutionnelle fédérale allemande comme portant
1. Le principe « pas de liberté aux liberticides » remonte en réalité à la Révolution française.
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Symposium international de Bamako
atteinte « à l’ordre constitutionnel et démocratique » de la RFA. La Commission européenne des droits de l’Homme
a motivé sa décision par le fait que « le Parti communiste a pour but d’établir dans la société l’ordre social communiste par la voie de la révolution prolétarienne et de la dictature du prolétariat ». Or, « le recours à la dictature
pour l’instauration d’un régime est incompatible avec la Convention en ce qu’il comporte destruction de nombre
des droits ou libertés consacrés par la Convention. »
5. En tout état de cause, il importe que lorsque les pays francophones prennent des mesures aussi graves que
la dissolution ou le refus d’autorisation de fonctionner des partis politiques qualifiés de non démocratiques, il soit
toujours reconnu à ces partis le droit d’en appeler devant les tribunaux nationaux et de préférence devant la Cour
constitutionnelle, et même devant les instances internationales judiciaires ou quasi judiciaires, ce qui n’est malheureusement pas toujours le cas à l’heure actuelle.
II.– LES PECO ET LES PARTIS POLITIQUES NON DÉMOCRATIQUES
Les « nouvelles démocraties » de l’Europe centrale et orientale ont rencontré le problèmes des partis non démocratiques dès la fin du régime communiste. Il était, certes, reconnu d’emblée que les partis politiques ne pouvaient
être que démocratiques, ce qui a très rapidement entraîné la formation des partis communistes, jusque là seuls détenteurs du pouvoir politique. Au plan constitutionnel, les premières mesures ont eu pour objet, d’une part, l’élimination de la disposition constitutionnelle qui légalisait la dictature du prolétariat et le rôle dirigeant du Parti communiste,
inspirée de l’article 126 de la constitution stalinienne de 1936 (devenue l’article 6 dans la Constitution de l’URSS
de 1977) et, d’autre part, l’insertion dans les nouvelles constitutions de dispositions soulignant le caractère démocratique de l’État. C’est ainsi que la nouvelle Constitution de la République tchèque, après avoir prévu dès son article
1er que la République tchèque est un « État démocratique de droit », énonce, son article 5, ce qui suit :
« Le régime politique est fondé sur la constitution libre et volontaire et sur la compétition franche des partis politiques qui respectent
les principes fondamentaux de la démocratie et qui refuse la violence comme moyen de promouvoir leurs intérêts ».
Ces mesures ont eu pour conséquence la transformation des partis communistes dont la plupart (à l’exception,
notamment, du parti communiste tchèque), sont devenus des « partis socialistes » ou des partis de la gauche démocratique, et sont allés jusqu’à abandonner leur nom traditionnel.
La liquidation du régime communiste a été considéré partout comme une condition nécessaire de l’instauration de la démocratie. Un seul pays – la République tchèque – a, par la loi du 9 juillet 1993, reconnu que le régime
communiste était illégal pour le motif qu’il a « systématiquement et durablement violé les droits de l’Homme »,
le parti communiste étant qualifié « d’organisation criminelle, digne d’être rejeté tout comme d’autres organisations fondées sur son idéologie qui, par leurs activités, visaient à la violation des droits de l’Homme et du système
démocratique » (article 2 § 2). Cependant, une seule conséquence pratique a été tirée de cette qualification : dans
le cours du délai de prescription des délits et des crimes n’est pas prise en considération, la période entre le 25
février 1948 (date du coup d’État communiste) et le 29 décembre 1989 (élection d’un président démocratique).
Ne convenait-il pas surtout, de sanctionner pénalement tous ceux qui, dans les PECO, ont commis des crimes,
souvent monstrueux, contre la démocratie et contre les opposants politiques. Si le principe d’une telle sanction a
été reconnue par tous, en pratique sa mise en œuvre a été extrêmement limité ». Dans chacun des PECO, c’est probablement sur les doigts d’une seule main, que pourraient être comptées les cas de personnes qui ont purgé une
peine de prison pour les actes contraire au droits de l’Homme commis pendant le régime communiste. L’explication
de cette défense insuffisante de la démocratie est double d’une part, la volonté de tirer un gros trait sur le passé ;
d’autre part, la difficulté de réunir des preuves de tels actes, par ailleurs légaux pendant le régime communiste(2).
Ne fallait-il pas, à tout le moins écarter de la vie politique, désormais démocratique, les personnes les plus compromises avec l’ancien régime, et, en particulier les collaborateurs avec la police politique(3). La République tchèque,
2. Cette position explique sans doute pourquoi les exilés politiques des PECO hésitent souvent à revenir dans leur pays, ou, par ailleurs, ils
ne sont guère accueillis avec enthousiasme… et c’est un euphémisme !
3. En Allemagne de l’Est communiste, pratiquement un adulte sur dix était agent de la Stasi, en République tchèque le rapport semble être
de 1 sur 50, et il est plus ou moins important dans les autres PECO.
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imitée progressivement par la plupart des gouvernements post-communistes des PECO, aux termes de la loi du 4
octobre 1991 (prorogée à deux reprises et encore en vigueur) a écarté de la vie politique et des plus importants
emplois publics, pour un temps déterminé, les collaborateurs de la police politique ainsi que les dirigeants et autres
responsables du parti communiste. Quelque 10 000 personnes ont été ainsi frappées d’une sorte d’indignité démocratique. Cette loi a été fortement critiquée en Occident au nom de la présomption d’innocence et du principe de
non-rétroactivité de la loi pénale, et elle a été considérée par l’organisation Internationale du Travail comme contraire
à la Convention n° 111 concernant la discrimination (emploi et profession) de 1958 puisque les mesures prises
étaient justifiées par la manifestation de certaines opinions politiques en l’occurrence communistes.
D’aucuns pourront estimer – et l’auteur du présent document partage cet avis – que si la démocratie ne peut
pas être établie sans les démocrates, elle est en droit de se défendre contre ceux qui n’en respectent pas les principes fondamentaux, et d’abord, les libertés individuelles et politiques. On pourra penser avec raison, que cet oubli
généralisé est à l’origine du grand retour, pratiquement dans tous les PECO, des tenants de l’ancien régime communiste, sinon au pouvoir politique, du moins et sûrement au pouvoir économique(4). Le bon peuple dira que « plus
cela change, plus c’est la même chose ». Un autre proverbe, d’origine espagnole celui-là, qu’un président de la
République française a mis en honneur, nous conseille qu’il « faut laisser le temps au temps ». Le poète y ajoutera
qu’il ne faut jamais insulter l’avenir cela est aussi vrai pour l’avenir de la démocratie, qu’il s’agisse des PECO ou
d’autres pays francophones, en Afrique ou ailleurs.
4. Une démonstration éclatante en est apporté par deux auteurs français d’origine polonaise, Georges Mink et Jean Charles Szurek dans
« La grande conversion », Seuil, 1999.

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