23 octobre 2015

Transcription

23 octobre 2015
23 OCTOBRE 2015
C.15.0149.F/1
Cour de cassation de Belgique
Arrêt
Nº C.15.0149.F
D. L.,
demanderesse en cassation,
représentée par Maître Simone Nudelholc, avocat à la Cour de cassation, dont
le cabinet est établi à Bruxelles, boulevard de l’Empereur, 3, où il est fait
élection de domicile,
contre
P & V ASSURANCES, société coopérative à responsabilité limitée, venant
aux droits et obligations de la société anonyme Actel, dont le siège social est
établi à Saint-Josse-ten-Noode, rue Royale, 151-153,
défenderesse en cassation.
I.
La procédure devant la Cour
23 OCTOBRE 2015
C.15.0149.F/2
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l’arrêt rendu le 24 septembre
2014 par la cour d’appel de Liège, statuant comme juridiction de renvoi ensuite
de l’arrêt de la Cour du 9 octobre 2009.
Le conseiller Marie-Claire Ernotte a fait rapport.
L’avocat général Thierry Werquin a conclu.
II.
Le moyen de cassation
La demanderesse présente un moyen libellé dans les termes suivants :
Dispositions légales violées
-
article 149 de la Constitution ;
-
articles 1235, 1315, 1376 et 1377 du Code civil ;
-
article 870 du Code judiciaire.
Décisions et motifs critiqués
L'arrêt attaqué « dit que (la défenderesse) démontre qu'(elle) a payé
indûment à (la demanderesse) ou pour son compte des indemnités suite au vol
prétendu du 12 juin 2001 ».
Il fonde sa décision sur les motifs suivants :
« La (défenderesse) entend démontrer, par l'évocation d'une série de
contradictions ou de contre-vérités affectant les déclarations de son assurée
quant au vol de son véhicule, qu'elle établit un doute sérieux quant à la
véracité de la déclaration de vol qui lui a été faite par son assurée de sorte que
la déclaration de vol est dépourvue de toute sincérité et qu'en conséquence
c'est à tort que (la défenderesse) est intervenue pour indemniser son assurée ;
23 OCTOBRE 2015
C.15.0149.F/3
(...) ‘Il est actuellement de jurisprudence constante qu'il est légitime,
compte tenu de la difficulté de la preuve, d'assouplir la charge de la preuve du
vol qui incombe à l'assuré, lequel peut être considéré comme suffisamment
établi par le dépôt d'une plainte dès le moment où les déclarations de l'assuré
paraissent être sincères et vraisemblables et en l'absence de tout indice
susceptible de légitimer quelque suspicion vis-à-vis de l'assuré ;
Il ne peut toutefois être posé en principe que le seul fait de la
déclaration de sinistre conforté par le dépôt d'une plainte emporterait la
présomption de la vraisemblance du vol et entraînerait un renversement du
fardeau de la preuve, mettant désormais celui-ci à charge de l'assureur ;
Le caractère vraisemblable ou non du vol allégué doit s'apprécier in
concreto en tenant compte de l'ensemble des circonstances de fait de la cause’
(sommaire précédant Mons, 16 décembre 2002, 2001/RG/73) ;
La jurisprudence est unanime en ce sens pour établir la charge de la
preuve et son contenu en matière d'assurance contre le vol (...) ;
L'ensemble (des éléments invoqués par la défenderesse) établit le doute
quant à la véracité du vol allégué (par la demanderesse). (La demanderesse)
doit donc rembourser (à la défenderesse) les décaissements effectués à son
profit ».
Griefs
Première branche
I. En vertu des articles 1315 du Code civil et 870 du Code judiciaire,
celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver.
23 OCTOBRE 2015
C.15.0149.F/4
Selon l'article 1235 du Code civil, « tout paiement suppose une dette :
ce qui a été payé sans être dû est sujet à répétition ». Selon l'article 1376 du
même code, « celui qui reçoit par erreur ou sciemment ce qui ne lui est pas dû
s'oblige à le restituer à celui de qui il l'a indûment reçu ».
Sur la base de ces dispositions, l'assureur qui estime avoir effectué à
tort le paiement d'une indemnité d'assurance, en ce sens qu'il est intervenu en
l'absence de sinistre, est fondé à agir en répétition de l'indu à l'encontre de
l'assuré s'il apporte la preuve que le paiement effectué était dépourvu de cause.
L'assureur doit démontrer de manière certaine l'absence de l'événement
qui entraînait l'obligation de payer la prestation d'assurance.
Dans le cadre de l'assurance contre le vol, l'assureur ne peut prétendre
bénéficier, à cet égard, de l'allégement de la charge de la preuve offert à
l'assuré lorsque ce dernier déclare le sinistre et doit démontrer la réalité du
vol allégué.
Au contraire de l'assuré, qui doit uniquement apporter la preuve du
caractère vraisemblable du vol dont il affirme avoir été victime, l'assureur qui
a indemnisé son assuré et, partant, reconnu la vraisemblance du vol doit, s'il
agit ultérieurement en répétition, démontrer avec certitude que le vol n'a pas
eu lieu.
II. L'arrêt attaqué, après avoir rappelé les enseignements de la
jurisprudence majoritaire quant à l'allégement de la charge de la preuve dans
le chef de l'assuré qui déclare un vol, analyse les différents éléments factuels
invoqués par la défenderesse pour démontrer le caractère indu du paiement
effectué. Il conclut que ces éléments « établissent le doute quant à la véracité
du vol allégué par (la demanderesse) » et que « (la demanderesse) doit donc
rembourser à (la défenderesse) les décaissements effectués à son profit ».
Ce faisant, l'arrêt attaqué accueille illégalement l'action en répétition
en raison de l'existence d'un simple « doute quant à la véracité du vol » et, en
conséquence, dispense illégalement la défenderesse de prouver le caractère
indu du paiement dont elle réclame la répétition. L'arrêt méconnaît ainsi les
règles relatives à la charge de la preuve (violation des articles 1315 du Code
23 OCTOBRE 2015
C.15.0149.F/5
civil et 870 du Code judiciaire) et les règles relatives à la répétition de l'indu
(violation des articles 1235, 1376 et 1377 du Code civil).
Seconde branche
Après avoir considéré que « l'ensemble (des éléments invoqués par la
défenderesse) établit le doute quant à la véracité du vol allégué (par la
demanderesse) », l'arrêt attaqué décide que « (la défenderesse) démontre
qu'(elle) a payé indûment à (la demanderesse) ou pour son compte des
indemnités suite au vol prétendu du 12 juin 2001 ».
Il est contradictoire de décider, d'une part, qu'il existe un doute quant à
la véracité d'un fait et, d'autre part, que ce fait est démontré.
L'arrêt se fonde sur les motifs contradictoires précités. Sa motivation
est dès lors entachée d'une contradiction qui équivaut à l'absence de motifs
(violation de l'article 149 de la Constitution).
À tout le moins, la décision que la défenderesse démontre qu'elle a payé
indûment des indemnités à la demanderesse est sans rapport avec le motif que
l'ensemble des éléments invoqués par la défenderesse « établit le doute quant à
la véracité du vol allégué ». La décision critiquée est dès lors dépourvue de
motifs susceptibles d'en constituer le fondement (violation de l'article 149 de la
Constitution).
III.
La décision de la Cour
Quant à la première branche :
Suivant l’article 1235, alinéa 1er, du Code civil, tout paiement suppose
une dette : ce qui a été payé sans être dû est sujet à répétition.
23 OCTOBRE 2015
C.15.0149.F/6
Aux termes de l’article 1315, alinéa 1er, du Code civil, celui qui réclame
l’exécution d’une obligation doit la prouver.
Il en résulte qu’il appartient au demandeur en restitution de l’indu
d’établir que le paiement qu’il a effectué est dépourvu de cause.
Après avoir énoncé que « [la défenderesse] poursuit le recouvrement de
sommes qu’elle estime avoir payées indûment à son assurée [la
demanderesse] », l’arrêt considère qu’« il est légitime, compte tenu de la
difficulté de la preuve, d’assouplir la charge de la preuve du vol qui incombe à
l’assuré » et que « le caractère vraisemblable ou non du vol allégué doit
s’apprécier in concreto en tenant compte de l’ensemble des circonstances de
fait de la cause ». Il déduit des circonstances qu’il relève que « l’ensemble de
ces éléments établissent le doute quant à la véracité du vol allégué par [la
demanderesse] » et que celle-ci « doit donc rembourser à son assureur les
décaissements effectués à son profit ».
En dispensant la défenderesse d’établir l’inexistence du vol, rendant
sans cause le paiement fait à la demanderesse, l’arrêt viole les dispositions
légales précitées.
Le moyen, en cette branche, est fondé.
Par ces motifs,
La Cour
Casse l’arrêt attaqué ;
23 OCTOBRE 2015
C.15.0149.F/7
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l’arrêt
cassé ;
Réserve les dépens pour qu’il soit statué sur ceux-ci par le juge du
fond ;
Renvoie la cause devant la cour d’appel de Bruxelles.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où
siégeaient le président de section Christian Storck, les conseillers Didier
Batselé, Martine Regout, Michel Lemal et Marie-Claire Ernotte, et prononcé en
audience publique du vingt-trois octobre deux mille quinze par le président de
section Christian Storck, en présence de l’avocat général Thierry Werquin,
avec l’assistance du greffier Patricia De Wadripont.
P. De Wadripont
M.-Cl. Ernotte
M. Lemal
M. Regout
D. Batselé
Chr. Storck