Cour de cassation de Belgique Arrêt

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Cour de cassation de Belgique Arrêt
14 MARS 2008
C.06.0657.F/1
Cour de cassation de Belgique
Arrêt
N° C.06.0657.F
C.E.I. – DE MEYER, société anonyme dont le siège social est établi à
Bruxelles, avenue Antoon van Oss, 1,
demanderesse en cassation,
représentée par Maître Johan Verbist, avocat à la Cour de cassation, dont le
cabinet est établi à Bruxelles, rue Brederode, 13, où il est fait élection de
domicile,
contre
REGION DE BRUXELLES-CAPITALE, représentée par son gouvernement
en la personne de son ministre-président, dont le cabinet est établi à Bruxelles,
rue Ducale, 9,
défenderesse en cassation,
14 MARS 2008
C.06.0657.F/2
représentée par Maître Michel Mahieu, avocat à la Cour de cassation, dont le
cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 523, où il est fait élection de
domicile.
I.
La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l’arrêt rendu le 20 avril 2006
par la cour d’appel de Bruxelles.
Le conseiller Didier Batselé a fait rapport.
L’avocat général André Henkes a conclu.
II.
Le moyen de cassation
Le demandeur présente un moyen libellé dans les termes suivants :
Dispositions légales violées
- article 1154 du Code civil ;
- article 15, § 4, de l'arrêté ministériel du 10 août 1977 établissant le
cahier général des charges des marchés publics de travaux, de fournitures et
de services, tel qu'il était en vigueur avant sa modification par l'article 1er de
l'arrêté ministériel du 8 octobre 1985 et avant son abrogation par l'article 2,
4°, de l'arrêté royal du 29 janvier 1997.
Décisions et motifs critiqués
L'arrêt décide que la capitalisation des intérêts ne se justifie pas et
déclare ainsi non fondée la demande tendant à la capitalisation des intérêts
dus aux dates des 15 février 1991, 15 mai 1992, 15 décembre 1993, 29
septembre 1995, 31 janvier 1997, 26 février 1998, 26 février 1999, 26 février
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C.06.0657.F/3
2000, 30 mars 2001, 31 mars 2002, 31 mars 2003 et 31 mars 2004, aux motifs
suivants :
« F. Quant aux intérêts et à leur capitalisation
[La demanderesse] réclame également, outre des intérêts calculés au
taux prévu par l'article 15, § 4, du cahier général des charges, leur
capitalisation, conformément aux dispositions de l'article 1154 du Code civil,
capitalisation en vue de laquelle elle a déposé plusieurs conclusions.
Vainement, [la défenderesse] s'oppose à l'allocation d'intérêts au motif
que :
‘... si le règlement définitif de ce chantier n'a pu avoir lieu de manière
amiable c'est en raison du caractère exorbitant de la demande de [la
demanderesse] qui estimait, en citation introductive d'instance, son dommage
à quelque 88.000.000 francs.
Aujourd'hui l'hypothèse d'indemnisation la plus avantageuse pour [la
demanderesse] développée par l'expert est d'environ 24.000.000 francs. L'écart
est énorme et justifie que [la défenderesse] ait refusé d'indemniser sur des
bases aussi démesurées.
[La demanderesse] doit supporter les excès dont elle est seule
responsable.
[La défenderesse] n'a pas à supporter les charges d'intérêts liées à un
tel comportement.’
Cette argumentation pourrait, à la limite, être prise en considération si,
non seulement la [défenderesse] avait formulé une proposition raisonnable
d'indemnisation mais avait offert de la payer. Tel n'étant pas le cas, il n'y a
aucune raison pour ne pas accorder à [la demanderesse] des intérêts calculés
bien évidemment sur le montant des indemnités qui lui sont dues en principal.
Par ailleurs, [la défenderesse] s'oppose également à la capitalisation
des intérêts au motif que l'article 1154 du Code civil serait exclusivement
applicable aux dettes de sommes et non aux dettes de valeurs.
Cet argument est, en l'espèce, dénué d'intérêt.
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C.06.0657.F/4
En effet, si on ne peut exclure, a priori, l'application éventuelle de
l'anatocisme des intérêts de nature compensatoire résultant d'une dette de
valeur, le juge dispose toutefois du pouvoir d'apprécier si la capitalisation des
intérêts est admissible dans le cas d'espèce qui lui est soumis.
Le critère de cette appréciation est le caractère intégral de la
réparation du dommage qu'il doit accorder.
Ce principe doit être appliqué pour tous les intérêts compensatoires
qu'ils soient d'origine délictuelle, quasi délictuelle ou contractuelle.
En l'espèce, la cour [d’appel] constate que les dommages subis par [la
demanderesse] sont adéquatement réparés par les indemnités en principal et
les intérêts qu'elle lui accorde et que par conséquent la capitalisation de ceuxci ne se justifie pas. »
Griefs
Les intérêts échus des capitaux peuvent produire des intérêts, ou par
une sommation judiciaire, ou par une convention spéciale, pourvu que, soit
dans la sommation, soit dans la convention, il s'agisse d'intérêts dus au moins
pour une année entière (article 1154 du Code civil).
Ainsi, l'article 1154 du Code civil soumet la capitalisation des intérêts
à trois conditions cumulatives :
- la capitalisation doit être stipulée par une convention spéciale ou
demandée par une sommation judiciaire ;
- la convention ou la sommation ne peut avoir d'effet que s'il s'agit
d'intérêts déjà échus ;
- les intérêts doivent être dus au moins pour une année entière.
L'article 1154 du Code civil est applicable à toutes sortes d'intérêts,
qu'il s'agisse des intérêts moratoires, compensatoires ou judiciaires.
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C.06.0657.F/5
Dès lors, les intérêts dus suite à l'exécution tardive d'une obligation de
paiement d'une somme d'argent peuvent être capitalisés, pour autant que les
conditions d'application de l'article 1154 du Code civil soient réunies.
Le juge qui, saisi d'une demande de capitalisation des intérêts, constate
que les conditions d'application de l'article 1154 du Code civil sont réunies, ne
dispose d'aucun pouvoir d'appréciation et est tenu d'accorder la capitalisation
demandée.
L'article 15, § 4, de l'arrêté ministériel du 10 août 1977 établissant le
cahier général des charges des marchés publics de travaux, de fournitures et
de services dispose que si le délai pour le paiement est dépassé, l'adjudicataire
a droit au paiement d'un intérêt.
Les intérêts dus par les autorités sur la base de l'article 15, § 4, du
cahier général des charges doivent être qualifiés comme étant des intérêts dus
suite à l'exécution tardive d'une obligation de paiement d'une somme d'argent.
Partant, ces intérêts peuvent être capitalisés, pour autant que les
conditions d'application de l'article 1154 du Code civil soient réunies, sans que
le juge, saisi d'une demande de capitalisation, ne dispose d'un pouvoir
d'appréciation sur ce point.
En décidant que, si on ne peut exclure, a priori, l'application éventuelle
de l'anatocisme des intérêts de nature compensatoire résultant d'une dette de
valeur, le juge dispose toutefois du pouvoir d'apprécier si la capitalisation des
intérêts est admissible dans le cas d'espèce qui lui est soumis, et, en décidant
qu'en l'espèce, les dommages subis par la demanderesse sont adéquatement
réparés par les indemnités en principal et les intérêts accordés, et que, partant,
la capitalisation des intérêts ne se justifie pas, la cour d'appel ajoute à tort une
(quatrième) condition d'application à l'article 1154 du Code civil et ne justifie
pas légalement sa décision (violation de l'article 1154 du Code civil, et, pour
autant que de besoin, de l'article 15, § 4, du cahier général des charges).
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III.
C.06.0657.F/6
La décision de la Cour
L’article 1154 du Code civil, qui soumet à certaines conditions la
capitalisation des intérêts échus des capitaux, ne s’applique pas aux intérêts
compensatoires sur les dettes de valeur.
Constitue une dette de valeur, l’obligation de réparer le dommage lié à
l’interruption du marché public par le maître de l’ouvrage dès lors que le
montant de l’indemnisation est entièrement laissé à l’appréciation du juge.
L’inexécution d’une telle obligation, qui ne concerne pas le paiement
d’une certaine somme, peut donner lieu à l’octroi d’intérêts compensatoires en
réparation du dommage dû au retard de paiement des dommages et intérêts.
L’arrêt qui, par une appréciation en fait des éléments de la cause,
considère que les dommages subis par la demanderesse sont entièrement
réparés par les indemnités en principal et les intérêts compensatoires qu’il lui
accorde, décide légalement de rejeter sa demande de capitalisation des intérêts.
Le moyen ne peut être accueilli.
Par ces motifs,
La Cour
Rejette le pourvoi ;
Condamne la demanderesse aux dépens.
Les dépens taxés à la somme de cinq cent huit euros soixante-huit centimes
envers la partie demanderesse et à la somme de deux cent nonante-six euros
cinquante-trois centimes envers la partie défenderesse.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où
siégeaient le président de section Claude Parmentier, les conseillers Didier
Batselé, Albert Fettweis, Daniel Plas et Martine Regout, et prononcé en
audience publique du quatorze mars deux mille huit par le président de section
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C.06.0657.F/7
Claude Parmentier, en présence de l’avocat général André Henkes, avec
l’assistance du greffier Marie-Jeanne Massart.