AOL / Galmart

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AOL / Galmart
BELGIAN CENTRE FOR ARBITRATION AND MEDIATION
Décision
Ref. Cepani : DOM 44030
EN CAUSE DE :
La société de droit américain America Online Inc., établie à Dulles (Virginia 20166-9323),
22000 AOL Way,
Assistée et représentée par Maître Thierry Van Innis et Serge Debrye, avocats à 1150
Bruxelles, 268 A, avenue de Tervueren,
Plaignante,
ci-après aussi « la demanderesse »,
CONTRE :
Madame Bénédicte Galmart, agissant sous le nom Creaweb, établie aujourd’hui 55, clos
des Roses à (6440) Froidchapelle, Belgique,
Titulaire des noms de domaine « aol.be » et « compuserve.be »,
Défenderesse.
Vu la désignation notifiée par courrier du Cepani du 30 avril 2003 et le dossier complet,
et en particulier la plainte de la demanderesse, signée par ses conseils le 24 mars 2003,
ainsi que la réponse de la défenderesse, signée par elle le 17 avril 2003 ;
1. Les faits et l’objet du litige
La demanderesse expose avoir été créée en 1985 et avoir connu depuis lors une
expansion rapide de ses activités de services internet destinés « au consommateur
moyen ». Elle a acquis en 1998 l’entreprise CompuServe. Elle dit disposer aujourd’hui de
plus de 35 millions de « membres » dans le monde entier et plusieurs centaines de
millions de courriels seraient échangés chaque jour grâce à son intervention.
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La défenderesse ne conteste pas ces affirmations qui paraissent, en l’état, vérifiées, et qui
correspondent au surplus à ce que l’on peut savoir même au travers de médias non
spécialisés.
La demanderesse expose être titulaire des marques Benelux suivantes :
-
la marque verbale AOL n° 575606, déposée le 3 mars 1995 pour diverses classes
de services, et notamment en classes 35, 38 et 42 pour des services en rapport
avec les communications par voie électronique et avec l’informatique ;
-
la marque figurative AOL n° 588611 déposée le 20 novembre 1995 notamment
pour des services en classes 38 et 42 ;
-
la marque verbale COMPUSERVE n° 649395 déposée le 15 avril 1999
notamment pour des services en classes 35, 38 et 42.
Ces données ont été vérifiées sur le site officiel du Bureau Benelux des marques.
La défenderesse a fait enregistrer à son profit le 17 décembre 2000 les noms de
domaines : « aol.be » et « compuserve.be ».
La demanderesse dit ne s’être d’abord rendu compte que de l’enregistrement du nom de
domaine aol.be. Par lettre du 23 septembre 2002, son agent en marques a interpellé la
défenderesse pour qu’il soit mis fin à cet enregistrement.
Dans son courriel du 30 septembre, la défenderesse a indiqué qu’elle acceptait une
entrevue pour « un éventuel accord à l’amiable quant à la cession » du nom de domaine,
observant que la démarche de la demanderesse est « assez tardive » ; elle fait valoir qu’il
conviendrait de tenir compte « du temps, de l’argent investi ainsi que des différents coûts
engendrés par une migration vers un autre nom de domaine », souhaitant que soit adaptée
en conséquence « votre proposition de reprise ».
Le 2 octobre, l’agent en marques de la demanderesse indique un dernier délai de trois
mois pour le changement du nom de domaine. Dans sa brève réponse du 3 octobre, la
défenderesse insiste sur les frais financiers qu’elle dit avoir exposés. Elle indique qu’à
défaut d’une indemnité, « aucun accord à l’amiable ne sera possible ».
Le 9 octobre, l’agent en marques indique que la demanderesse pourrait tout au plus
envisager un montant de 250,00 bien qu’elle soit opposée par principe à tout
« dédommagement » réclamé par ceux qui se rendent coupables d’atteintes à ses
marques mondialement connues.
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Le courriel précité du 30 septembre de la défenderesse indique que les lettres AOL
correspondent à « Amitié on line », ce qui se vérifie effectivement à l’examen du site
« www.aol.be » dont la « homepage » est composée d’un fond kaki sur lequel figure une
image représentant deux visages superposés en transparence et autour de laquelle on
peut lire « amitié on line ».
La page suivante comporte un logo « caramail.be » (qui ne constitue pas un lien), autour
duquel se trouvent divers liens pour des pages particulières dont toutes ne sont pas
actives.
On observe que la défenderesse est également titulaire du nom de domaine
« caramail.be », enregistré le 17 décembre 2000. Quand on appelle le site
« www.caramail.be », la même homepage que décrite précédemment apparaît.
Enfin, en ce qui concerne le nom de domaine « compuserve », la demanderesse dit ne
s’être rendu compte de son enregistrement par la défenderesse qu’au moment de la
rédaction de la plainte du 24 mars 2003. Une recherche du site www.compuserve.be ne
donne pas de résultat.
2. La demande
La demanderesse sollicite, en application de l’article 10 des conditions d’enregistrement
des noms de domaine sous le domaine « .be » le transfert des noms de domaine
« aol.be » et « compuserve.be » à son profit.
3. Réponse de la défenderesse
La réponse du 17 avril 2003 s’inscrit dans la ligne de ce qui a été écrit précédemment
par la défenderesse.
Celle-ci expose avoir « acheté en toute légalité, des noms de domaine mis en vente par un
organisme officiel (DNS.be) », la facilité d’acquérir ces noms de domaine donnant lieu à
penser qu’ils n’étaient pas protégés.
La défenderesse se dit étonnée du long délai de réaction de la demanderesse. Elle fait
également valoir que son « portefeuille de noms de domaine » ne présente pas la
« rentabilité prétendue ». Elle se dit disposée à céder les noms litigieux et réclame à cette
fin 250,00 € pour le nom « compuserve.be » tandis que pour le nom « aol.be », elle
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évalue ses frais d’hébergement, de mailing vers les clients et de « migration » en général à
1680,00 €.
4. Examen des conditions requises pour qu’il puisse être fait droit à la
demande
Ces conditions sont fixées à l’article 10, b), 1 des conditions d’enregistrement des noms
de domaine sous le domaine « .be », conditions auxquelles la défenderesse a
nécessairement souscrit lors de sa demande de licence des noms de domaine « aol.be »
et « compuserve.be ».
La première condition est celle de l’identité ou d’une ressemblance au point de prêter à
confusion entre une marque (ou un autre signe) sur laquelle le plaignant a des droits, et
le nom de domaine litigieux. Pour l’appréciation de cette condition, il est logique de ne
pas tenir compte du suffixe national ou générique (Country code Top Level Domain ou
generic Top Level Domain).
Il y a lieu de constater l’identité entre les deux marques précitées (l'une verbale) « AOL»
et le nom de domaine « aol.be », d’une part, et entre la marque verbale
« COMPUSERVE » et le nom de domaine « compuserve.be », d’autre part.
La deuxième condition tient au fait que le preneur de licence (le titulaire du nom de
domaine, la défenderesse en l’espèce) n’a aucun droit sur le nom de domaine ni aucun
intérêt légitime qui s’y attache.
Sur le plan de la preuve, et à peine d’exiger du plaignant la preuve impossible d’un fait
négatif, il ne peut être demandé davantage de sa part que son affirmation, non dénuée de
vraisemblance compte tenu des circonstances, d’une telle absence de droit ou d’intérêt
légitime.
En l’espèce, la demanderesse a exposé de manière motivée pourquoi, à son estime,
aucune des hypothèses visées par l’article 10, b), 3 des conditions n’est réalisée. Elle fait
notamment valoir que le site attaché au nom de domaine « aol.be » n’est qu’une copie
conforme du site « caramail.be », relié dans son intégralité au nom de domaine
« AOL.be ». Concernant le domaine « compuserve.be », aucun site web n’y est relié.
Au regard de cette deuxième condition, la défenderesse fait valoir seulement qu’elle a
« acheté en toute légalité, des noms de domaine mis en vente » par l’organisme
d’enregistrement. Outre l’erreur ainsi commise sur la nature de l’opération par laquelle
une licence est demandée pour un nom de domaine (c’est évidemment le demandeur de
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la licence qui choisit le nom, et non l’organisme d’enregistrement qui le lui propose, et
encore moins le lui vend), ce moyen de défense n’avance rien de concret quant à un
droit ou à un intérêt légitime sur les signes « aol » et « compuserve » dans le chef de la
défenderesse.
Non seulement la défenderesse n’établit aucun fait ni aucun droit antérieur aux
enregistrements litigieux mais elle n’en expose pas davantage pour la période qui suit
(avant d’avoir eu connaissance du litige) et dont il résulterait qu’elle ait entamé une
activité autonome ayant recours aux signes litigieux ou qu'elle ait acquis des droits en ce
sens.
On observe en outre à cet égard qu’aucun site n’est actif sous l’adresse
« www.compuserve.be » et que le site « www.aol.be » est accessible au moyen d’une
autre adresse.
La deuxième condition est donc remplie.
La circonstance que le titulaire (la défenderesse) soit disposé à vendre le nom de
domaine ne démontre pas nécessairement qu’il n’ait aucun intérêt légitime à le
conserver; le titulaire peut avoir eu un droit ou un intérêt légitime à l’enregistrement du
nom de domaine et être cependant par la suite disposé à le céder pour diverses autres
raisons qu’un intérêt illégitime envers le plaignant.
La troisième condition requiert de vérifier que le nom de domaine a été enregistré ou
utilisé de mauvaise foi. Celle-ci s’entend en cette matière comme elle l’est généralement
en droit civil, c’est-à-dire comme la connaissance de ce qu’un tiers bénéficie d’une
situation de fait ou de droit antérieurement à l’acte que l’on pose (enregistrement ou
usage) et en contradiction avec celui-ci.
La preuve est ici à charge du plaignant.
Selon le droit belge (loi logiquement applicable à ce litige), la mauvaise foi est un fait
juridique susceptible de preuve par toutes voie de droit, présomptions comprises. La
mauvaise foi étant cependant un élément moral impossible à prouver directement
comme tel, la preuve en a toujours été aussi admise traditionnellement par les
circonstances qui indiquent avec un degré raisonnable de certitude sa présence (« savait
ou devait savoir »).
Parmi ces circonstances, beaucoup de décisions ont déjà retenu la notoriété de la
marque du plaignant. Cette notoriété permet en effet d’emporter la conviction que le
défendeur n’ignorait pas soit le droit de marque lui-même, ce qui est sans doute assez
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rare, soit, à tout le moins, l’usage de la marque par le plaignant, ce qui suffit aussi bien à
constituer la mauvaise foi.
En vertu des règles applicables aux noms de domaine sous le suffixe « .be », la mauvaise
foi ne doit être établie que soit lors de l’enregistrement du nom de domaine soit lors de
l’utilisation de celui-ci.
La logique du texte et le caractère plus délicat de l’appréciation de la mauvaise foi dans
l’usage d’un nom de domaine lorsque, par hypothèse, le titulaire n’était pas de mauvaise
foi lors de l’enregistrement, conduisent à examiner en premier lieu s’il n’y a pas eu
mauvaise foi lors de l’enregistrement.
La demanderesse fait valoir à cet égard que la défenderesse devait la connaître ainsi que
les biens et services qu’elle commercialise sous les marques « AOL » et
« COMPUSERVE », et ce d’autant plus la défenderesse expose exercer des activités dans
le domaine des services sur Internet.
Il ressort effectivement des données mêmes des deux enregistrements litigieux que la
défenderesse, titulaire, indique la même adresse, les mêmes numéros de téléphone et de
fax et la même adresse électronique que l’agent. En outre, sa défense indique son
implication personnelle dans une activité en rapport avec DNS.be et en matière de sites
web. On peut donc raisonnablement en déduire qu’elle a une connaissance du monde
Internet plus étendue que la moyenne des utilisateurs.
Tant au vu des données exposées par la demanderesse qu’en raison de la notoriété des
signes « AOL » et « COMPUSERVE » même pour quiconque est en contact avec ce
nouveau moyen de communication, la défenderesse pouvait dès lors d’autant moins
ignorer, lors de ses demandes d’enregistrement, l’usage antérieur des deux marques
« AOL » et « COMPUSERVE » par un tiers, en l’occurrence la demanderesse. La
circonstance que la défenderesse a effectué le même jour l’enregistrement des noms de
domaine « aol.be » et « compuserve.be » (comme d’ailleurs aussi de « caramail.be »),
renforce la conviction que la défenderesse connaissait l’usage antérieur de ces marques.
La mauvaise foi est donc établie.
Il n’est pas nécessaire de vérifier si la défenderesse avait en vue d’empêcher la
demanderesse de reprendre le signe sous forme de nom de domaine, ce que la première
branche de l’alternative posée par la troisième condition ne requiert pas. La simple
connaissance que l’on avait ou que l’on ne pouvait pas ne pas avoir de la situation de fait
ou de droit antérieurement acquise par le demandeur, suffit. Il en est différemment bien
entendu dans l’appréciation de la mauvaise foi lors de l’usage du nom de domaine
litigieux, question ici superflue.
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La circonstance que le plaignant n’ait pas réagi à bref délai après l’enregistrement
litigieux, est ici sans incidence. Du 17 décembre 2000 au 24 mars 2003, il ne s’est écoulé
aucune durée supérieure à ce qui pourrait éventuellement être appliqué comme délai de
prescription ou de tolérance selon la législation Benelux en matière de marques.
La plainte est donc fondée et peut donner lieu à une mesure de réparation.
5. La réparation demandée
La demanderesse sollicite dès lors à bon droit le transfert à son profit des noms de
domaine « aol.be » et « compuserve.be ».
PAR CES MOTIFS,
En application des « conditions d’enregistrement » de noms de domaine sous le domaine
« .be » opéré par DNS.be et du règlement du Cepani pour la résolution des litiges en
cette matière,
Le transfert à la Plaignante, demanderesse, des noms de domaine « aol » et
« compuserve » sous le domaine « .be » est ordonné.
Ainsi fait à Bruxelles le 21 mai 2002,
Le Tiers-Décideur,
Fernand de Visscher

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