Condition de l`homme moderne, Hannah ARENDT

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Condition de l`homme moderne, Hannah ARENDT
corrigé bac 2014
Examen : Bac ES
Epreuve : Philosophie
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RAPPEL DU SUJET
SUJET 3 : EXPLICATION DE TEXTE
Expliquez le texte suivant :
La différence décisive entre les outils et les machines trouve peut-être sa meilleure illustration dans la discussion
apparemment sans fin sur le point de savoir si l'homme doit «s'adapter» à la machine ou la machine s'adapter à la
«nature» de l'homme. (...) Pareille discussion ne peut être que stérile : si la condition humaine consiste en ce que
l'homme est un être conditionné pour qui toute chose, donnée ou fabriquée, devient immédiatement condition de notre
existence ultérieure, l'homme s'est «adapté» à un milieu de machines dès le moment où il les a inventées. Elles sont
certainement devenues une condition de notre existence aussi inaliénable que les outils aux époques précédentes.
L'intérêt de la discussion à notre point de vue tient donc plutôt au fait que cette question d'adaptation puisse même se
poser. On ne s'était jamais demandé si l'homme était adapté ou avait besoin de s'adapter aux outils dont il se servait :
autant vouloir l'adapter à ses mains. Le cas des machines est tout différent. Tandis que les outils d'artisanat à toutes les
phases du processus de l'œuvre restent les serviteurs de la main, les machines exigent que le travailleur les serve et
qu'il adapte le rythme naturel de son corps à leur mouvement mécanique. Cela ne veut pas dire que les hommes en tant
que tels s'adaptent ou s'asservissent à leurs machines ; mais cela signifie bien que, pendant toute la durée du travail à
la machine, le processus mécanique remplace le rythme du corps humain. L'outil le plus raffiné reste au service de la
main qu'il ne peut ni guider ni remplacer. La machine la plus primitive guide le travail corporel et éventuellement le
remplace tout à fait.
Hannah ARENDT, Condition de l'homme moderne, (1958)
La connaissance de la doctrine de l'auteur n'est pas requise. Il faut et il suffit que l'explication rende compte, par la
compréhension précise du texte, du problème dont il est question.
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LE CORRIGÉ
I. Présentation du texte
Ce texte se rapporte principalement au thème le travail et la technique, dans une perspective sociale (la société et
les échanges) mais aussi anthropologique (la culture). Sa difficulté réside dans son apparente simplicité. Il s'agit, par
une lecture attentive du texte, de saisir le déplacement de perspective qu'effectue l'auteur par rapport à la question
classique de savoir si les machines asservissent ou libèrent l'homme, et de comprendre ainsi l'originalité de sa thèse.
II. L'idée principale du texte
Le développement des machines libère-t-il les hommes des travaux les plus pénibles (voire du travail en général, les
machines travaillant pour eux) ou les asservit-il à un travail encore plus aliénant ?
Le développement du machinisme constitue-t-il un progrès pour la condition humaine ? Ne devrait-on pas adapter la
machine à l'homme plutôt que d'adapter les hommes aux machines ?
Ces questions, apparues en même temps que la révolution industrielle, sont, selon Arendt, posées de manière trop
vague et générale. Elle préfère s'interroger de manière plus concrète, sur le changement d'activité que constitue le
passage de l'outil à la machine, de l'artisanat à l'industrie.
Sa thèse est que ce passage constitue un changement radical du mode d'activité : pas seulement parce que ce n'est
plus le mouvement du corps qui détermine le mouvement de l'outil mais parce que ce sont les mouvements de la
machine qui règlent ceux du corps.
Mais aussi et surtout parce que ce n'est plus l'effort lucide de l'artisan ni le produit qu'il désire qui détermine la
fabrication, mais le mouvement du processus de travail lui-même qui domine et impose son rythme aux ouvriers qui
l'exécutent et ne se représentent même plus le but de leur activité.
Le machinisme fait disparaître peu à peu la notion d'oeuvre, où la claire représentation du produit final détermine
les moyens pour le fabriquer sous la maîtrise humaine, pour la réduire au travail, processus sans début ni fin,
où la distinction entre l'homme et ses instruments, entre les moyens et les fins, se brouille.
Pour reprendre les concepts de l'auteur, l'homo faber, qui construit un monde, est remplacé par l'animal laborans, qui
ne fait que nourrir le processus vital de la production consommation.
L'enjeu n'est pas de revenir à l'ère artisanale, mais d'être lucide sur les conséquences sociales, politiques et
anthropologiques de ce changement, qui est aussi un changement du mode de penser.
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III. Les notions et concepts clés du texte
A . La première distinction conceptuelle à préciser était la différence entre un outil et une machine . L’outil est un
instrument fabriqué par l’homme (ou un objet naturel) destiné à une action précise, et qui a besoin de l’énergie
musculaire pour être manié (d’où la référence à la main, « outil de tous les outils », selon l’expression d’Aristote).
La machine est un objet artificiel doté d’une énergie autonome (par exemple la machine à vapeur, dont l’invention
marque le début de la révolution industrielle). Qui dit énergie autonome dit rythme imposé par la machine et non plus
par l’homme (c’est important pour comprendre la thèse du texte).
B. Il fallait être aussi attentif à la fin du texte à la distinction entre « l’oeuvre », référée à l’artisanat, et « le travail
», référé à l’industrie.
De même, les termes « servir » et « guider » étaient importants pour comprendre la différence entre l’activité de
l’artisan, où la fin et les moyens, la chose à fabriquer et les instruments sont clairement distincts, et « le processus » du
travail ouvrier, où ces distinctions se brouillent.
C. Les mots entre guillemets au début du texte indiquent que, selon Arendt, la question du machinisme est mal posée,
d’où « la discussion apparemment sans fin ».
IV. La structure du texte
A. De la ligne 1 à 11, Arendt propose de reformuler le problème du machinisme. Il ne s’agit pas de se demander si la
machine doit s’adapter à l’homme ou l’homme à la machine. Car de toutes façons, les conditions matérielles d’existence
(naturelles ou techniques) déterminent les modes de vie, de comportement et de pensée. Il s’agit plutôt de comprendre
pourquoi une telle question s’est posée avec l’apparition des machines alors qu’elle n’était jamais apparue tout le long
de l’ histoire du développement de l’outillage humain.
B. De la ligne 11 à la fin, Arendt propose en quelque sorte le diagnostic d’une telle question. C’est le signe, non pas
d’un asservissement général des hommes aux machines, mais d’un changement profond de l’esprit et du mode de
l’activité fabricatrice humaine. Les hommes dans leur travail s’inscrivent dans un processus, ils ne construisent plus
consciemment un monde d’objets.
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V. Pistes de questionnement
A. Il ne s’agissait pas de pleurer sur l’aspect résiduel de l’artisanat, mais de s’interroger sur la valeur du travail. N’est-il
pas permis, contrairement à l’analyse d’Arendt, de le considérer comme ce par quoi l’homme produit son humanité ?
Les analyses de Hegel (l’homme par son travail transforme la nature à son image et s’y reconnaît) puis de Marx (Le
travail n’est pas aliénant dans son essence mais dans le fait qu’il soit organisé au profit d’une classe dominante)
pouvaient vous permettre d’approfondir le problème.
B. Dans une même perspective, on pouvait se demander pourquoi le progrès de la technique, qui devrait permettre une
domination raisonnable de la nature et améliorer le bien-être humain, a-t-il des effets aussi dévastateurs sur la nature et
les hommes.
Problème sociopolitique de l’appropriation des moyens de production par une classe dominante où la technique devient
l’instrument d’une exploitation de l’homme par l’homme ? Problème moral du manque de réflexion sur la valeur des fins
par rapport à l’efficacité des moyens ? Ou problème spirituel de la nécessité d’un « supplément d’âme » (Bergson)?
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