Hannah Arendt Heureux celui qui n`a pas de patrie. Poèmes de

Transcription

Hannah Arendt Heureux celui qui n`a pas de patrie. Poèmes de
15-Bibliotheque_Mise en page 1 22/12/15 11:36 Page153
Librairie
Hannah Arendt
Heureux celui
qui n’a pas de patrie.
Poèmes de pensée
aussi, et peut-être plus fondamentalement, résister au déracinement :
Traduction de François Mathieu,
postface de Karin Biro.
Paris, Payot, 2015, 240 p., 20 €
Ce qu’un lecteur d’Arendt ignore
peut-être, c’est l’existence d’une
œuvre poétique indépendante, trop
souvent considérée comme anecdotique, qui donne à voir une Hannah
Arendt tourmentée et révoltée, passionnée et mélancolique, inconsolable et enjouée. À la lecture des
poèmes, il est difficile de ne pas faire
entrer en résonance les deux versants de l’œuvre d’Arendt ; ce serait,
cependant, manquer toute l’originalité de ce projet créatif et l’étrange
beauté des correspondances baudelairiennes qui y sont déployées. Par
l’évocation de thèmes divers, par une
variation des formes lyriques, la voix
poétique d’Arendt chemine du « je
subjectif » au « tu », du « nous » jusqu’au « monde ». L’intérêt de cette
nouvelle publication ne réside pas
tant dans la qualité de ces vers
demeurés cachés jusqu’à présent.
Elle rappelle surtout au lecteur, familier ou non de la pensée d’Arendt,
toute l’importance d’avoir des yeux et
des oreilles pour le monde afin de s’y
orienter, de s’en soucier. « Notre œil,
notre monde » ou le secret de l’amor
mundi tant célébré par Arendt.
Un mot mis en poème
Est séjour, non pas asile.
Ni texte journalistique, ni
ouvrage philosophique, Heureux celui
qui n’a pas de patrie réunit en un
recueil, en version bilingue, les
poèmes écrits par Arendt tout au long
de sa vie. « La poésie, confiait Arendt
à Günter Gaus en 1964, a toujours
joué un grand rôle dans ma vie. »
Tout lecteur attentif d’Arendt sait en
effet combien l’œuvre de celle-ci
emprunte au langage poétique le pouvoir heuristique des métaphores, leur
capacité tout à la fois innovante et
révélatrice à produire un sens nouveau, à redécrire la réalité. Parce
qu’ils opposent au nihilisme et à la
perte en monde modernes la puissance créatrice du langage, seuls les
poètes, selon Arendt, sont en mesure
d’éclairer les périodes les plus noires
de l’histoire, de rendre toute leur
lumière aux « sombres temps ». Penser poétiquement, cela signifie ainsi,
comme le remarque fort justement
Karin Biro, « se laisser porter jusqu’aux limites du langage », rendre
aux « mots dont nous vivons » leur
pouvoir de dévoilement. Cela signifie
Marianne Fougère
153

Documents pareils