ai toujours plaisir à arriver dans ma petite gare tchékovienne de

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ai toujours plaisir à arriver dans ma petite gare tchékovienne de
Le chocolat
de Mozart
J’
Le frisson esthétique › N°4 › Printemps 2007
D. R.
ai toujours plaisir à arriver dans ma petite gare tchékovienne de Verneuil-surAvre que Remy de Gourmont ne fait que citer dans son voyage normand. Toute
blanche, elle est comme le point final de cette Beauce qui depuis Paris déploie
ses grands espaces. Après Verneuil seulement, commence la douceur vallonnée du
Perche. Ma maison, elle, est encore en Beauce normande et je ne me lasse jamais des
vastes horizons qu’elle me dispense.
Mais aujourd’hui, je ne profite pas totalement de la beauté du paysage. Je suis
encore habitée par la superbe exposition de Sargent et Sorolla. Tous deux peintres
de la lumière, ils ont fréquenté les impressionnistes et succombé à l’art si particulier
du portrait. Deux mondes qui se côtoient, se rencontrent et se répondent, comme
nous l’a confié Gilles Chazal, le directeur du musée : voici deux femmes sur la plage,
de Sorolla… et Mrs Fiske Warren et sa fille Rachel dans leur salon Napoléon III, de
Sargent ; puis c’est l’immense toile de Sorolla, baignée de lumière et de tranquillité,
où des femmes restaurent la voile déchirée d’un bateau… et les trois demoiselles
Vickers dans une vague complicité, de Sargent. Les dernières toiles font référence
aux Demoiselles couchées dans l’herbe, de Courbet, mais leurs factures presque opposées, laissent Sargent dans un XIXe siècle finissant, alors que Sorolla est déjà à l’aube
de l’abstraction.
Éblouie, je rejoins ensuite Agnès de Gorter, la directrice littéraire des éditions
Citadelles et Mazenod, qui m’apporte La somme sur Mantégna auquel une exposition sera consacrée au Louvre, en 2008. Le peintre, qui a longtemps vécu à la cour
des Gonzague à Mantoue, a connu la gloire au moment où le Titien disparaissait.
En couverture de l’ouvrage, un détail de L’adoration des Mages, qui se trouve dans
la basilique de San Zeno, à Vérone. La Vierge, l’enfant Jésus et les trois rois mages
y sont orientaux et rappellent qu’au XVe siècle, les Croisades étaient bien terminées
et Venise commerçait avantageusement avec cette Méditerranée de l’Est où est né
le christianisme. Le livre, mis en pages avec l’amour d’Agnès de Gorter, bénéficie
de l’érudition tout à fait accessible de l’historienne de l’Art, Alberta De Nicolo Salmazo.
Difficile de quitter tant de beauté. Mais à la gourmandise picturale s’ajoute celle, plus prosaïque à laquelle nous convie le maître d’hôtel. Pour ne pas succomber
à la carte des desserts, nous avons demandé un « café mignardises ». Quel piège !
Imaginez : sur un petit plateau de porcelaine, une tasse de café arabica des hauts
plateaux d’Éthiopie. Son arôme transporte la beauté des grands espaces et son goût
rappelle ces extraits de qahwa à la cardamome que l’on déguste sous les tentes bédouines dans le désert jordanien. Dans de petites soucoupes, deux macarons de chez
Hermé, et deux truffes, l’une au chocolat noir, l’autre au chocolat blanc. Car Pierre
D. R.
Journaliste et écrivain,
Geneviève Moll
est la biographe
de François Mitterrand,
Yvonne de Gaulle,
Françoise Sagan.
Le Louvre consacrera
une exposition à Mantegna
en 2008.
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Gour m a n d i s e s
Joaquin Sorolla
La robe rose, 1916 - La bata rosa
Huile sur toile, 208 x 126,5 cm
Museo Sorolla, Madrid.
John Singer Sargent
Arthur George Maule Ramsay, Lord Dalhousie, 1900
Huile sur toile, 146 x 99 cm
The earl of Dalhousie.
Hermé, qui connaît des gourmands de toute sorte, ne fait pas d’ostracisme avec
les chocolats. L’un des macarons est à la pistache, et c’est le souk aux épices de Damas qui fond tout entier dans votre bouche ! Le second, à la framboise, s’exhale en
une corbeille de fruits rouges. Une petite gorgée de café et la truffe noire au citron
vert et au miel. Autre gorgée de café… Conversations ? Non. Dégustation : voici la
deuxième truffe au chocolat au lait et fruits de la passion…
Après cela, nous allons marcher un peu pour regarder la Seine courir vers la mer,
et suivre le vol d’une mouette qui en chahute une autre…
C’est ensuite la présentation à la presse par les éditions Pizzi, de leur dernier
livre : Hôtels Galants au Marignan Champs-Élysées. Ici, c’est Venise. Des lustres et
des appliques murales d’un Murano d’une très grande classe, un camaïeu nègre et
blanc cassé… Le Marignan Champs-Élysées est répertorié parmi les quarante-cinq
Hôtels Galants… pour rendez-vous coquins, week-end amoureux ou nuits magiques. Des textes courts, rédigés par Jonathan Siksou, et des images sobres, colorées,
vivantes, vous donnent l’envie de vous poser immédiatement et de rêver. Paris y est
à l’honneur, mais aussi toute la France et quelques destinations magiques.
Le champagne Veuve Cliquot coule à flots. Acteurs, écrivains, people, se régalent
des zakouskis mondialistes, comme les aime le chef du restaurant de l’hôtel, Le
Spoun : carpaccio de coquilles Saint-Jacques au citron vert, accras frits, accompagnés d’une sauce à la diable, brochettes de langoustines, mangues, ananas…
Le drame est que l’on ne peut s’empêcher de goûter lorsque les plateaux vous sont
D. R.
Exposition
Peintres de la Lumière
Sargent et Sorolla
Du 15 février au 13 Mai 2007
Petit Palais
Musée des Beaux-Arts
75008 Paris
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Le frisson esthétique › N°4 › Printemps 2007
Le frisson esthétique › N°4 › Printemps 2007
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D. R.
proposés… La gourmandise est un vilain défaut ? Certes… mais qu’est-ce que c’est
bon…
Après toutes ces agapes, j’ai attrapé mon train au vol ! J’avais emporté le dernier
roman d’André Bucher : Déneiger le ciel. Il me restait encore quelques dizaines de
pages pour me battre avec son héros, David, contre les éléments. Jusqu’à la fin, j’ai
eu froid, j’ai eu faim, j’ai eu soif avec lui. Parce que ce têtu de paysan de l’autre côté
de la montagne de Lure, près de Sisteron, volait au secours d’un ami perdu sous une
épouvantable tempête de neige. Et David d’affronter ce paysage noir et blanc qui se
dérobe, ces oiseaux qui tombent devant lui, congelés dans leur sommeil… J’ai eu du
mal à détacher mon esprit de ce personnage errant dans la tempête à la recherche
d’une jeune fille disparue depuis longtemps, de sa femme morte, de son amie égarée
dans la neige infernale. J’ai eu du mal à refermer le livre, magnifique, comme tous
ceux de ce grand bonhomme silencieux au regard bleu de glacier. Bucher travaille ses
terres arides le jour, et écrit, la nuit, des histoires qui nous donnent une conscience
chaque fois plus aiguë de la fragilité, mais aussi, de la force de la condition humaine.
Les livres, je les déguste comme des gourmandises. D’aucuns, comme Déneiger le ciel,
vous obligent à vous arrêter sur vous-même. D’autres, tel Le dictionnaire amoureux
des trains, de Jean des Cars, vous emmènent en voyage. Et nous sommes allés, Jean des
Cars et moi, vérifier ses dires au Musée du Train, à Mulhouse. Si vous n’avez jamais vu
une Pacific 231, allez-y. Vous découvrirez un animal magnifique, tout de fer et d’acier,
sur ses rails, prêt à bondir. On l’a appelée 231 parce que, si vous la regardez de côté,
vous voyez deux petites roues, trois grandes roues et une petite. En face, nous sommes
montés dans la cabine de pilotage d’une autre machine, une cabine pleine d’instruments qui ressemblent à de grandes orgues d’église briquées, rutilantes et sensuelles.
Jean des Cars était comme un enfant devant tous ces manomètres.
Dans une autre partie du musée, voici le train que Napoléon III prenait lorsqu’il se
rendait à Biarritz avec l’impératrice Eugénie. Là encore, des voitures de bois précieux
et brillantes de cuivre. En face, le wagon présidentiel que le général De Gaulle a tant
fréquenté lorsqu’il allait à la rencontre des Français, dans des provinces compassées.
Un petit bureau d’acajou garde encore un encrier de cristal et un sous-main de cuir
rouge. La voiture elle-même est un pullman confortable, décoré par Lalique. Lalique, que l’on retrouve dans les quelques voitures de l’Orient Express en partance
vers Istanbul. Un sleeping a déjà son lit prêt. Et dans les voitures de tête, les salles
à manger portent ces petites lampes orange qui, sur les tables dressées, donnaient
bonne mine à Agatha Christie se rendant en Irak, ou Mata Hari gagnant Vienne.
À l’approche de la capitale autrichienne, les maîtres d’hôtel servaient, dans des
tasses de fine porcelaine, des chocolats chauds à la manière de ceux que dégustait le
divin Mozart.
Bonne nouvelle : je vais devoir retourner à Paris pour y rencontrer Jean-Paul
Hévin qui, lui, sait la recette du chocolat de Mozart.
Et me voici, un jeudi matin, devant sa vitrine du 23, Avenue de La Motte Picquet.
Un lustre de chocolat noir copie un grand luminaire de Baccarat et surmonte, joyaux
dans leurs boîtes, des bonbons au chocolat noir et au lait. Lui aussi, comme Pierre
Hermé, ne fait aucun ostracisme. « L’un est une friandise, l’autre une délicatesse »,
me dit-il en arrivant en scooter de son laboratoire de Colombes.
— L’un, je le mange lorsque j’ai besoin d’un coup de fouet, l’autre lorsque je veux
un peu de tendresse. Et vous, que voulez-vous ?
Voilà un homme qui sait parler aux femmes ! Je choisis un parallélépipède au lait.
Il fond dans ma bouche et laisse éclater la pleine saveur d’un marron glacé !
Louis Monier, l’ami photographe qui m’accompagne n’a pas fini de déguster sa
ganache aux fruits de la passion, que Jean-Paul Hévin nous conduit dans son atelier.
Son chef pâtissier s’affaire autour d’un grand faitout tandis que deux de ses apprentis
étalent de la ganache bien épaisse sur des pyramides à la pistache.
Je connais cette délicatesse… Les amandes pilées et la pistache adoucissent la
rudesse de la carapace noire…
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© Compagnie des Wagons-Lits.
Gour m a n d i s e s
Ambiance feutrée, envoûtante et romanesque dans la tradition des grands trains de luxe.
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Le frisson esthétique › N°4 › Printemps 2007
© Louis Monier
Jean-Paul Hévin et son chef-pâtissier.
Quand vous pensez que ce garçon voulait faire de l’informatique ! Heureusement,
il s’y est pris trop tard pour enregistrer son dossier dans une bonne école. Pour
qu’il ne passe pas tout l’été sans rien faire, ses parents lui avaient trouvé un stage
chez un pâtissier. C’est là qu’il a découvert le chocolat. Et qu’il s’est mis à inventer.
Aujourd’hui, il est capable de vous parler de tous les crus latino-américains ou Africains. Il organise des dégustations verticales, depuis la mousse jusqu’à la fève torréfiée en passant par la ganache, la tablette à 75% et le cacao en pâte. Mais il vous met
aussi sous la dent une fève de l’Équateur, puis une du Mexique, une autre du Brésil,
une quatrième de Saint Domingue, avant de s’attaquer à Madagascar, à Sao Tomé
ou à l’Afrique continentale. Il parle avec une telle passion de cet univers du chocolat
qu’on en oublierait presque que nous sommes là pour le chocolat de Mozart.
Au Japon, on l’adore. Il y est même presque plus connu qu’en France. Et il a insufflé à ses partenaires l’esprit Hévin : la rigueur, l’inventivité, la passion. Il ne fut pas
l’élève de Robuchon pour rien… Et il n’a pas cinquante ans !
Je relouche vers les bonbons au chocolat. J’en prends un, avec une feuillantine de
noisette mêlée à une ganache très amère. Ce mélange est un arc-en-ciel…
Et le chocolat de Mozart ? Très simple : une tablette de chocolat noir à 75% à
faire fondre dans un demi-litre de lait entier. Si l’on n’a que du lait demi écrémé,
ajouter un décilitre de crème fraîche. Parfumer avec un bâton de vanille, quelques
morceaux d’écorce de cannelle ou d’orange amère. Sucrez à votre convenance. Dégustez bien chaud.
Ouvrez les yeux : l’Orient Express arrive à Vienne !
Jean-Paul Hévin nous leste, Louis Monier et moi, de ballotins de bonbons au chocolat qui feront le bonheur de nos soirées. Et nous charge, en riant, de ce message à
partager : « Le chocolat, c’est excellent pour les artères et pour le cœur. N’ayez pas
peur de cette gourmandise-là. En plus, elle vous donne la joie ! Le frisson esthétique › N°4 › Printemps 2007
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