universite de franche-comte, besançon ecole doctorale « langages

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universite de franche-comte, besançon ecole doctorale « langages
UNIVERSITE DE FRANCHE-COMTE, BESAN‚ON
ECOLE DOCTORALE Ç LANGAGES, ESPACES, TEMPS, SOCIETES È
Thse en vue de lÕobtention du titre de docteur en
ETUDES IBERIQUES ET IBERO-AMERICAINES
LA RƒCEPTION DE LÕÎUVRE DE JOAQUêN SOROLLA
DE 1881 Ë 2009
PrŽsentŽe et soutenue publiquement par
Jordane FAUVEY
Le 13 octobre 2012
Sous la direction de M. le Professeur ŽmŽrite GŽrard BREY
Membres du jury :
M. Jean-Louis AUGƒ, Docteur, Conservateur en Chef des musŽes Goya et Jaurs de Castres
M. Bernard BESSIéRE, Professeur ˆ lÕuniversitŽ dÕAix-en-Provence
Mme Mar’a de los Santos GARCêA FELGUERA, Ma”tre de ConfŽrences ˆ lÕUniversitŽ Pompeu
Fabra de Barcelone, rapporteur
M. Eliseo TRENC, Professeur ŽmŽrite de lÕuniversitŽ de Champagne-Ardennes, Reims, rapporteur
1
2
Ç Les fluctuations dÕune vie et dÕune rŽputation dÕartiste sont liŽes ˆ
de mystŽrieux phŽnomnes de comportement et de sociŽtŽ, et si
certaines volte-face du gožt surprennent, ou dŽconcertent, voire
scandalisent, il faut en saisir le contexte qui relve autant des
conditions de la vie de lÕart et des artistes que de lՎconomie et de la
sociologie. È
Introduction de Pierre Cabanne, ÒLes petits ma”tres retrouvŽsÓ. Pierre
Cabanne et GŽrald Shurr, Dictionnaire des Petits Ma”tres de la
peinture, 1820-1920, Paris, LÕAmateur, 2008, page 15.
3
TABLE DES MATIéRES
PREMIéRE PARTIE
RemerciementsÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ..
5
AbrŽviations et siglesÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ
8
IntroductionÉÉÉÉÉÉÉÉ.ÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ.ÉÉÉÉÉÉ.
9
I. 1881 - 1901. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance.
31
I.1. De lÕExposition Nationale aux Salons europŽens
33
I.2. LÕaffaire de la MŽdaille dÕHonneur
49
I.3. Les premiers soutiens : la gauche libŽrale et rŽpublicaine
71
II. 1902 - 1923. Le marchŽ de lÕart : un parcours de la contestationÉÉÉ.
86
II.1. De lÕexposition Petit ˆ Visi—n de Espa–a
89
II.2. La reconnaissance des conservateurs
105
II.3. La lŽgende noire de Sorolla
121
III. 1924 - 1939. La crŽation du MusŽe SorollaÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ
138
III.1. Le sorollisme
139
III.2. Quel musŽe pour Sorolla ?
160
III.3. Un hŽritage artistique en jeu
177
IV. 1939 - 1974 : Sorolla et le rŽgime franquisteÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ
194
IV.1. Sorolla lÕAragonais : le passŽ du peintre en question
195
IV.2. SorollaÕs Spain is different
212
IV.3. Le regard de la gŽnŽration post-sorolliste
226
V. 1975 - 2009 Sorolla et lÕEspagne dŽmocratiqueÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ
242
V.1. Une Ïuvre trop ÒmarquŽeÓ dans une Espagne en mutation ?
243
V.2. Les rŽformes du MusŽe Sorolla et leurs consŽquences
254
V.3. ÒSorollaman’aÓ
271
4
ConclusionÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ
288
DEUXIéME PARTIE
A. FiguresÉÉÉÉÉ.ÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ.ÉÉÉ
303
B. AnnexesÉ..ÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ..ÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ
353
C. BibliographieÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ.
364
D. Index des noms de personnesÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ
393
5
PREMIéRE PARTIE
REMERCIEMENTS
Je tiens ˆ remercier chaleureusement tous mes collaborateurs ainsi que tous les
organismes qui mÕont aidŽ ˆ rŽaliser ce travail. Je remercie en premier lieu celui
qui fut mon professeur puis mon directeur de recherche, M. GŽrard Brey. Merci
au Conseil RŽgional de Franche-ComtŽ et ˆ lÕUniversitŽ de Franche-ComtŽ qui
mÕont tŽmoignŽ leur confiance et leur soutien en attribuant ˆ mon projet une
allocation de recherche ˆ compter de lÕannŽe 2006, ceci pour une durŽe de trois
ans. Je remercie mon laboratoire, le Centre de Recherches Interdisciplinaires
(CRIT) et sa responsable Mme. Laurence Dahan-Gaida. Par ailleurs, durant cette
pŽriode, lÕUniversitŽ de Franche-ComtŽ mÕa confiŽ une charge de cours ˆ lÕUFR
des Sciences du Langage, de l'Homme et de la SociŽtŽ. Je veux remercier
Žgalement la SociŽtŽ des Hispanistes Franais qui a accueilli favorablement le
projet de cette thse et mÕa remis, en 2008, une bourse dՎtude qui mÕa permis de
poursuivre mes recherches ˆ Madrid durant le mois de juillet 2008. Il y a quelques
annŽes, jÕai eu la chance de rencontrer lÕarrire-petite-fille du peintre, Mme.
Blanca Pons-Sorolla, qui mÕa gŽnŽreusement aidŽ dans tous mes travaux
scientifiques et cette page me donne lÕoccasion de lÕen remercier particulirement
aujourdÕhui. Toute ma gratitude va bien sžr ˆ M. Florencio de Santa-Ana qui fut
le directeur du MusŽe Sorolla de 1982 ˆ 2008, ainsi quՈ sa jeune et enthousiaste
Žquipe composŽe de : M. David Ruiz L—pez, Mme. Araceli Mu–oz, Mme. Mar’a
del Carmen, Mme. M—nica Rodr’guez et Mme. Alicia Vallina. Depuis 2004, ces
personnes mÕont ŽpaulŽ dans mes recherches sur les portraits royaux de Sorolla.
Le fruit de ce travail est reccueilli aujourdÕhui dans un ouvrage publiŽ en 2009 :
Joaqu’n Sorolla, pintor del Rey Alfonso XIII. Mes pensŽes vont Žgalement ˆ Mme.
Mar’a de los Santos Garc’a Felguera qui fut, dÕabord, mon professeur ˆ
lÕUniversitŽ Complutense de Madrid et qui a continuŽ ensuite ˆ mÕaider et ˆ me
conseiller dans mes travaux scientifiques. Un grand merci au rŽalisateur M. JosŽ
Antonio Escriv‡ qui a gŽnŽreusement mis ˆ ma disposition son film Cartas de
Sorolla avant sa sortie commerciale et au dessinateur M. Rafael Munoa qui, me
6
recevant ˆ Saint-SŽbastien, mÕa apportŽ un Žclairage prŽcieux sur ses crŽations. Je
tiens ˆ mentionner aussi Mme. Stella Manaut pour tous les renseignements quÕelle
mÕa apportŽs concernant son pre JosŽ Manaut Viglietti et son grand-pre JosŽ
Manaut NoguŽs. Enfin, pour leur aide ˆ divers Žgards, il me faut remercier M.
Mitchell A. Codding et M. Marcus Burke de lÕHispanic Society of America de
New York, M. Henri Ferreira L—pez de la Bibliothque dՎtude et de conservation
de Besanon, Mme. Emilia Alcela du Centre de Documentation Touristique
Espagnol de Madrid, Mme. BelŽn Villanueva du MusŽe Vicente Blasco Ib‡–ez de
Valence, Mme. Consuelo C’scar Casab‡n de lÕInstitut Valenciˆ dÕArt Modern de
Valence, M. Baltasar Mu–oz Tom‡s du MusŽe Postal de Madrid, M. Cecilio
Alonso Alonso de lÕUniversitŽ Nationale dՃducation ˆ Distance ainsi que les
conservateurs des Archives GŽnŽrales de lÕAdministration de Alcal‡ de Henares,
M. Javier Delicado de lÕAcadŽmie de San Carlos de Valence et Mme. Mercedes
Gonz‡lez de Amezœa de lÕAcadŽmie Royale de San Fernando de Madrid.
Comment ne pas remercier Žgalement mes amis libraires madrilnes et
valenciens : Librer’a Berceo (Madrid), Librer’a El C‡rabo (Valence), Librer’a de
la Escalinata (Madrid) et Librer’a Ruzafa (Valence). Sans eux, je nÕaurais jamais
eu entre les mains de prŽcieux catalogues dÕexposition aujourdÕhui ŽpuisŽs.
Toutes mes pensŽes vont enfin ˆ Mme. Claire Nicolle Robin KerŽk (1938-2012)
qui, en 2004, a acceptŽ de diriger mon mŽmoire de Master sur Sorolla et le
portrait royal. Un tel sujet nÕallait pas de soi, tout dÕabord car cette facette de son
Ïuvre Žtait compltement inexplorŽe. Le Valencien est passŽ ˆ la postŽritŽ
comme le peintre de la MŽditerranŽe et approfondir cette piste scientifique Žtait
un vrai pari, qui sÕavŽra ensuite payant. Mais je tiens ˆ souligner ici, comme un
clin dÕÏil, que le peintre espagnol nÕavait pas bonne presse parmi les hispanistes
franais qui le considŽraient comme un peintre de droite, vendu ˆ la bourgeoisie et
rŽcupŽrŽ par les fascistes aprs la guerre civile. Quand je lui proposai le nom de
Sorolla, elle me rŽtorqua : Ç ÀSorolla? ÁUna cuenta bancaria y el aplauso de los
del cuarenta! È cÕest-ˆ-dire : Ç Sorolla ? Un compte en banque et les
applaudissements de la gŽnŽration de quarante ! È Elle me suggŽra alors les noms
de peintres plus ÒfrŽquentablesÓ, Catalans pour la plupart : Mariano Fortuny y
Marsal, Ram—n Casas, Eduardo Zamacois y Zabala, Joaqu’n Mir Trinxet, Eliseo
Meifren, etc. JÕinsistai, et nous avons commencŽ ˆ faire venir dÕEspagne et des
ƒtats-Unis toute la bibliographie disponible. En franais, il nÕy avait rien si ce
7
nÕest la traduction de lÕouvrage de Rafael DomŽnech, Sorolla, sa vie et son Ïuvre
(1910). Je me souviens aujourdÕhui avec beaucoup de tendresse de lÕhostilitŽ de
Claire qui me donnait une idŽe du chemin restant ˆ parcourir pour forger une
vision plus juste de ce peintre et, avant tout, le faire conna”tre en France.
Ç ÀSorolla? ÁUna cuenta bancaria y el aplauso de los del cuarenta! È posait la
question de la rŽception critique du peintre et ce fut pour moi le point de dŽpart de
ce travail auquel jÕai choisi de donner pour titre : Sorolla et lÕEspagne puis La
rŽception de Joaqu’n Sorolla de 1881 ˆ 2009. CÕest donc ˆ toi Claire, pour ta
confiance et ton implication dans tous mes travaux de recherche que je dŽdie ce
travail : la premire thse franaise consacrŽe ˆ Joaqu’n Sorolla.
8
ABRƒVIATIONS ET SIGLES
AGA
Archivo General de la Administraci—n, Alcal‡ de Henares.
AGP
Archivo General del Palacio Real, Madrid.
APMS
Archives de Presse du MusŽe Sorolla, Madrid.
BECB
Bibliothque dՃtude et de Conservation, Besanon
BNE
Biblioteca Nacional de Espa–a, Madrid.
BNF
Bibliothque Nationale de France, Paris.
BNP
Biblioteca Nacional de Portugal, Lisbonne.
Cat.
Catalogue.
CEDA
ConfŽdŽration Espagnole des Droites Autonomes, Madrid.
CDTE
Centro de Documentaci—n Tur’stica de Espa–a, Madrid.
HSA
The Hispanic Society of America, New York.
Inc.
Inconnu.
Inv.
Inventaire.
MS
MusŽe Sorolla, Madrid.
Nb.
Nombre.
N¡.
NumŽro.
N¡ Cat.
NumŽro de catalogue.
PRR
Parti RŽpublicain Radical, Madrid.
PURA
Parti de lÕUnion RŽpublicaine Autonomiste, Valence.
RABASF
Real Academia de Bellas Artes de San Fernando, Madrid.
Trad.
Traduction.
UCM
Universidad Complutense, Madrid.
UFC
UniversitŽ de Franche-ComtŽ, Besanon.
Introduction
9
INTRODUCTION
En 2007, lÕEspagne accueille pour la premire fois Visi—n de Espa–a, une
Ïuvre au sujet de laquelle le quotidien El Pa’s rappelait que Ç el pintor [Joaqu’n
Sorolla] muri— sin poder ver su obra m‡s extensa y para algunos expertos su obra
cumbre, ni en Espa–a ni en Nueva York. È1 En 1911, le peintre Joaqu’n Sorolla
(1863-1923) recevait dÕune fondation privŽe amŽricaine, lÕHispanic Society of
America de New York, la commande dÕun dŽcor pour la bibliothque de cette
institution sur le thme des provinces espagnoles. Durant neuf ans, de 1911 ˆ
1919, il travailla ˆ la rŽalisation de cette frise monumentale de 58,3m de longueur
par 3 ˆ 3,5m de hauteur, quÕil termina quatre ans seulement avant sa mort, en
1923. Quatorze panneaux mobiles la composent : La fiesta del pan (Castilla), Los
nazarenos (Sevilla), La jota (Arag—n), El consejo del Roncal (Navarra), Los bolos
(Guipœzcoa), El encierro (Andaluc’a), El baile (Sevilla), Los toreros (Sevilla), La
romer’a (Galicia), La pesca (Catalu–a), Las grupas (Valencia), El mercado
(Extremadura), El palmeral (Elche) et La pesca del atœn (Ayamonte). Ces
panneaux ne furent jamais prŽsentŽs en Espagne, conformŽment aux dispositions
consignŽes dans le contrat de cette commande qui stipulait que le dŽcor complet
devait rester confidentiel jusquÕau jour de sa prŽsentation officielle, aux EtatsUnis.2 En 1921, le MusŽe du Prado tenta en vain dÕobtenir lÕautorisation de le
prŽsenter dans ses salles avant quÕil ne quitt‰t dŽfinitivement le territoire puis, en
1922, il fut acheminŽ outre-Atlantique. Quatre ans plus tard, lÕinstallation
permanente fut inaugurŽe ˆ lÕHispanic Society.3 Voilˆ pourquoi, en Espagne,
Visi—n de Espa–a demeurera longtemps ignorŽ du public. Les premires planches
1.
2.
3.
Ferr‡n Bono, ÒSorolla vuelve a casaÓ, El Pa’s, Madrid, 27/05/2006. Ç Le peintre [Joaqu’n
Sorolla] est mort sans pouvoir contempler son Ïuvre la plus vaste et, selon quelques
experts, son chef dÕÏuvre, ni en Espagne ni ˆ New York. È
Ë New York, HSA : Castilla. La fiesta del pan, 351x1393, 1913. Navarra. El Concejo del
Roncal, 349x230, 1914. Guipœzcoa. Los bolos, 350x231Õ5, 1914. Arag—n. La jota,
351x301, 1914. Andaluc’a. El encierro, 351x752, 1914. Sevilla. Semana Santa,
nazarenos, 1914. Sevilla. El baile (la cruz de mayo), 351x302,5, 1914. Sevilla. Los
toreros, 350x231, 1915. Catalu–a. El pescado, 351x485, 1915. Galicia. La romer’a,
351x300, 1915. Valencia. Las grupas, 351x301, 1916. Extremadura. El mercado,
351x302, 1917. Elche. El palmeral, 350x321, 1918-1919. Ayamonte. La pesca del atœn,
348x485, 1919.
Blanca Pons-Sorolla, Joaqu’n Sorolla. Vida y obra, Madrid, Fahah, 2001, page 532.
Introduction
10
imprimŽes en couleur nÕy seront diffusŽes quÕen 1965, dans un ouvrage intitulŽ La
visi—n de Espa–a de Sorolla.4 Il sera rŽŽditŽ une seule fois, en 1973.
De 2007 ˆ 2009, lÕexposition Visiones de Espa–a fait le tour de lÕEspagne
depuis lÕEst du pays, ˆ Valence, au Sud, ˆ SŽville et ˆ Malaga, en passant par le
Nord, ˆ Bilbao et ˆ Barcelone, pour finir au centre, ˆ Madrid. Ë la fin de cette
ÒtournŽeÓ, Visiones de Espa–a aura ŽtŽ lÕexposition temporaire la plus visitŽe de
lÕhistoire de lÕEspagne puisquÕelle enregistra, au total, plus de deux millions
dÕentrŽes.5 Ë Madrid, le MusŽe du Prado profita de lÕopportunitŽ qui se prŽsentait
pour dŽvoiler, ˆ c™tŽ des quatorze panneaux, quatre-vingt-huit tableaux majeurs
provenant de collections publiques et privŽes. Cette exposition ŽvŽnement venait
ponctuer un cycle de prŽsentation qui, depuis le milieu des annŽes 1990, a ramenŽ
lÕÏuvre de Sorolla au premier plan de la vie culturelle espagnole. En effet, gr‰ce ˆ
la rŽforme du statut juridique du MusŽe Sorolla (1993), qui autorise la libre
circulation de ses collections, lÕEspagne a redŽcouvert lÕÏuvre de ce peintre par le
biais dÕexpositions itinŽrantes qui ont parcouru tout le pays. Entre 1994 et 1996,
lÕexposition Sorolla. Fondos del Museo Sorolla a ŽtŽ prŽsentŽe dans quinze villes
moyennes telles que La Corogne, Pampelune ou Alicante. Sur le mme principe,
lÕexposition Sorolla peque–o formato a ŽtŽ inaugurŽe dans quinze villes entre
1995 et 1997. Sorolla paisajista a parcouru lÕEspagne entre 2000 et 2002 et, plus
rŽcemment, Sorolla y Castilla a connu huit Žditions de 2003 ˆ 2005. Ces
expositions ont montrŽ au public les principales facettes de cette Ïuvre, en
rŽunissant des tableaux appartenant ˆ toutes les pŽriodes de la vie du peintre.
Toutefois, Visi—n de Espa–a, la dernire pice du puzzle, Òle chef-dÕÏuvreÓ si
lÕon veut traduire lÕexpression Ç obra cumbre È utilisŽe par le quotidien El Pa’s,
nÕavait jamais figurŽ dans aucune exposition temporaire. Pour cette raison, sa
prŽsentation en Espagne a parachevŽ un cycle de rŽception critique, fournissant
lÕoccasion de formuler un premier bilan de lÕensemble dŽvoilŽ ces dernires
annŽes. Dans ce contexte, lՎtude scientifique de ce cycle pouvait voir le jour. Ce
nÕest donc pas le fruit du hasard si, parmi les articles publiŽs dans le catalogue de
4.
5.
Felipe M. Gar’n Ortiz de Tarranco, La visi—n de Espa–a de Sorolla, Valence, Diputaci—n
Provincial, 1973 (1965).
Eduardo Manzana, ÒLa exposici—n de Sorolla supera los dos millones de visitantesÓ,
http://www.abc.es/, 20/01/2010.
Introduction
11
lÕexposition du MusŽe du Prado, lÕun dÕentre eux, ÒLa fortuna cr’tica de Joaqu’n
SorollaÓ, explore justement cette question.6
Ë lÕoccasion de lÕexposition itinŽrante Visiones de Espa–a, Tom‡s Llorens,
un ancien directeur du MusŽe Thyssen Bornemisza, a tentŽ de rŽpondre aux
questions suivantes: Ç ÀC—mo explicar el Òcaso SorollaÓ? ÀC—mo entender la
discordancia entre la inmensa popularidad de la que goza y la imagen mezquina
que de Žl nos han venido dando muchos cr’ticos e historiadores del arte moderno?
È7 LÕauteur constatait le dŽcalage entre lÕaffection du public, qui visite en nombre
les expositions rŽtrospectives, et la dŽsaffection tenace dÕune partie de la critique.
En 1989 dŽjˆ, dans un article intitulŽ ÒSorolla y la cr’ticaÓ, Carmen Gracia relevait
des discordances et des conflits au sein de la critique.8 Pour elle, lÕÏuvre de
Sorolla ne serait mme jamais parvenue ˆ conquŽrir une place stable dans le
champ de la connaissance artistique. Tant™t jugŽe naturaliste, impressionniste,
nŽo-impressionniste voire luministe, cette Ïuvre serait mme, pour certains,
inclassable. En outre, elle serait, Žcrit-elle, ˆ lÕorigine dÕune Žcole, le
ÒsorollismeÓ ! Hors des frontires de lÕEspagne, elle est encore gŽnŽralement mal
connue et le plus souvent quasiment ignorŽe, en particulier dans les autres pays de
lÕUnion EuropŽenne.
Ce constat, ou lÕexistence dÕun Òcas SorollaÓ selon lÕexpression employŽe
par Llorens, pose la question du lien entre la perception actuelle de lÕÏuvre du
peintre espagnol et lÕhistoire de sa rŽception critique, en Espagne et ˆ lՎtranger.
CÕest pourquoi on se demandera dÕabord comment les contemporains de Sorolla
percevaient sa peinture et comment, aprs la mort du peintre, son Ïuvre continua
ˆ tre interprŽtŽe. Nous chercherons ˆ identifier les raisons qui motivrent ou
justifirent ces interprŽtations et construisirent ce Òvoyage au long coursÓ dont
nous parle le sociologue de lÕart Jean-Pierre Esquenazi, pour lequel Ç [lÕÏuvre]
est embarquŽe dans un voyage au long cours o elle est ŽvaluŽe, interprŽtŽe,
6.
7.
8.
Felipe Gar’n et Facundo Tom‡s, ÒLa fortuna cr’tica de Joaqu’n SorollaÓ in Joaqu’n
Sorolla, Madrid, Museo Nacional del Prado, 2009, pages 471-484.
Tom‡s Llorens, ÒVerdad y naturaleza. Dejado de lado por la historia del arte, Sorolla fue
v’ctima del olvidoÓ, El Pa’s, Madrid, 3/11/2007. Ç Comment expliquer le Òcas SorollaÓ ?
Comment interprŽter la disonance entre lÕimmense popularitŽ dont il jouit et lÕimage
mesquine que de nombreux critiques et historiens de lÕart moderne nous ont donnŽ de lui
au fil du temps. È
Carmen Gracia, ÒSorolla y la Cr’ticaÓ in Joaqu’n Sorolla, Londres, Philip Wilson, 1989,
pages 75-89.
Introduction
12
dissŽquŽe, apprŽciŽe ˆ de nombreuses reprises. È9 On questionnera la prŽgnance
des interprŽtations anciennes sur la perception rŽcente de lÕÏuvre de Sorolla, ˆ
lÕheure o une historienne comme Mar’a Luisa MenŽndez Robles, une exconservatrice du MusŽe Sorolla, en appelle ˆ une lecture neuve en proposant des
points de vue jamais adoptŽs, ainsi quÕelle lÕavait fait en 2000 dans un article.10
Autour dÕune problŽmatique qui croisait les vies du peintre Sorolla, du sculpteur
Mariano Benlliure et du collectionneur Benigno de la Vega-Incl‡n, lÕhistorienne
faisait converger la triple perspective de lÕart, de lՎconomie et de la vie politique
du pays. On sÕintŽressera aux derniers travaux scientifiques afin de comprendre
dans quelle mesure ils induisent une remise en question des lectures hŽritŽes.
Dans lÕouvrage prŽcitŽ, Esquenazi dŽcrit les conditions qui prŽsident ˆ la
naissance dÕune Ïuvre :
La premire vie des Ïuvres, qui les voit passer du statut de simple projet ˆ un
Žtat dÕachvement au moins matŽriel, se dŽroule ˆ lÕabri des regards autres que
professionnels. Elles nÕaccdent ˆ la lumire quÕavec leur prŽsentation publique :
dÕune certaine faon, elles ne deviennent effectivement Ç Ïuvres È que lors de ce
second temps du processus social qui constitue leur existence. Le roman qui reste
ˆ lՎtat de manuscrit, le tableau qui ne sort jamais de lÕatelier sont-ils vraiment
un Ç roman È ou un Ç tableau È ? 11
On comprend que lÕÏuvre nÕest pas un objet mais un processus et que sa
vie commence seulement le jour o les regards se portent sur elle. Elle est une
variante dont la valeur et le sens se modifient au contact des Žpoques et des
espaces sociaux. LՎtude dÕune Ïuvre rŽclame, par consŽquent, une analyse
diachronique, qui commence le jour de sa prŽsentation publique.
Un autre sociologue de lÕart, Michael Baxandall, propose un modle simple
et pertinent de ce Ç voyage au long cours È, en quatre Žtapes, que nous avons
schŽmatisŽ de la manire suivante12 :
9.
10.
11.
12.
Jean Pierre Esquenazi, Sociologie des Ïuvres. De la production a lÕinterprŽtation, Paris,
Armand Colin, 2007, page 51.
Mar’a Luisa MenŽndez Robles, ÒSorolla, Benlliure y el segundo marquŽs de la VegaIncl‡n: Interacciones amistosas y art’sticasÓ in Mariano Benlliure y Joaqu’n Sorolla:
Centenario de un homenaje, Generalitat valenciana, Valence, 2000, pages 56-74.
J.P. Esquenazi, SociologieÉ page 70.
Michael Baxandall, Formes de lÕintention, N”mes, J. Chambon, 1991, page 34.
Introduction
13
ESPACE PRIVƒ
ESPACE PUBLIC
SALON DÕEXPOSITION
! ! !
Objet confidentiel
Objet-candidat
Îuvre
TEMPS
1. Production
2. PrŽsentation
3. DŽclaration
4. ƒvaluation
AccrochŽ dans lÕatelier du peintre, le tableau nÕa pas gagnŽ le statut dÕÏuvre
quÕil acquerra, Žventuellement, aprs sa prŽsentation publique. Pour faire de lui
une ÒÏuvreÓ, la communautŽ dÕinterprŽtation le dŽclare tel. Cette Žtape consiste ˆ
attribuer une ÒdirectiveÓ qui peut tre lÕidŽe que la communautŽ se fait du projet
initial du peintre. Dans tous les cas, la dŽclaration a pour fonction dÕadouber
lÕobjet-candidat en le situant quelque part dans le panthŽon de la connaissance.
Ainsi, on dira dÕun tableau quÕil est caravagiste, rŽaliste, impressionniste,
expressionniste, cubiste etc. CÕest lÕacte de naissance de lÕÏuvre et le point de
dŽpart dÕun jugement de valeur que Baxandall choisit dÕappeler lՎvaluation.
LÕÏuvre dÕun artiste, comme Ç ensemble de ses diffŽrentes Ïuvres,
considŽrŽ dans sa suite, son unitŽ et son influence È, nÕexiste pas physiquement.13
Elle nÕest pas la somme des Òchef-dÕÏuvresÓ et encore moins lÕensemble de la
production, autrement dit lÕÏuvre au genre masculin, ÒlÕÏuvre peintÓ ou ÒÏuvre
entierÓ, dans lÕacception technique des catalogues raisonnŽs. Chez Sorolla,
lÕÏuvre entier reprŽsenterait environ quatre mille peintures et onze mille dessins,
13.
Alain Rey (dir.), Dictionnaire culturel en langue franaise, Paris, Le Robert, 2005, tome
III, page 1088.
Introduction
14
selon les estimations les plus rŽcentes.14 LÕÏuvre dont il est le plus souvent
question dans les articles de presse consultŽs est une reprŽsentation mentale qui
rŽsulte dÕun travail de synthse. Ë cet Žgard, quelques titres sont riches
dÕenseignements, en particulier celui dÕun article dÕEmilio Fornet conu comme
une Žquation: Ò!Sol + !Sorolla = ValenciaÓ ; ou bien, ÒSorolla, o el
impresionismo espa–olÓ ; ou bien, ÒJoaquim Sorolla. Exhuberante intŽrprete da
luz e not‡vel renovador da pintura espanholaÓ ; ou encore ÒSorolla no fue un
impresionista sino un realista luminosoÓ, etc.15 Le corpus des objets-candidats
servant de base matŽrielle ˆ ces articles, sorte de pinacothque imaginaire propre ˆ
chaque auteur, nÕest bien sžr jamais le mme. Il est toutefois fortement liŽ au
contenu des expositions temporaires qui constituent des occasions de dŽcouverte
de tableaux inŽdits et / ou de redŽcouverte de tableaux connus. Par consŽquent, les
contours de lÕÏuvre de Sorolla ont ŽtŽ constamment redŽfinis par les
communautŽs interprŽtatives successives et donc par le contenu des expositions
temporaires. Enfin, ˆ partir du point dÕancrage que constitue la dŽclaration,
lÕÏuvre va tre en condition dՐtre ŽvaluŽe et rŽŽvaluŽe.
LÕanalyse diachronique de la rŽception de lÕÏuvre de Sorolla est un objet
dՎtude rŽcent, apparu il y a vingt ans environ. De toute Žvidence, il rŽclame ˆ la
fois une approche pluridisciplinaire mais aussi la prise en compte dÕune pŽriode
aussi longue que possible. Or, jusque-lˆ, il nÕa ŽtŽ traitŽ que dans des articles
courts prŽsentŽs comme de simples pistes de recherche. Cette question nous
renvoie tout dÕabord ˆ lÕarticle dŽjˆ mentionnŽ de lÕhistorienne de lÕart
valencienne, Carmen Gracia. Dans ÒSorolla y la cr’ticaÓ (1989), elle formula des
observations qui auraient parfaitement pu se fondre dans des modles empruntŽs ˆ
la sociologie de lÕart, bien quÕelle nÕen utilis‰t pas la terminologie. Ce texte
14.
15.
Blanca Pons-Sorolla, Joaqu’n Sorolla. Vida y obra, Madrid, Fahah, 2001, page 30. Ces
chiffres ont constamment ŽtŽ rŽŽvaluŽes depuis la premire grande tentative dÕinventaire,
en 1970, par Bernardino de Pantorba. Son catalogue, divulguŽ en 1953 puis rŽvisŽ en
1970, enregistrait dans sa dernire version deux mille cent soixante-quinze pices, toutes
techniques confondues.
Emilio Fornet, Ò!Sol + !Sorolla = ValenciaÓ, La Correspondencia de Valencia, Valence,
26/06/1927.
Cecilio Barber‡n, ÒSorolla, o el impresionismo espa–olÓ, Patria, Grenade, 7/06/1944.
Joaquim Lopes, ÒJoaquim Sorolla - Exhuberante intŽrprete da luz e not‡vel renovador da
pintura espanholaÓ, OÕprimeiro de Janeiro, Rio de Janeiro, 15/12/1948.
ÒSorolla no fue un impresionista sino un realista luminosoÓ, El Correo de Andaluc’a,
SŽville, 18/11/1973. En franais, Ò!Soleil + !Sorolla = ValenceÓ, ÒSorolla ou
lÕImpressionnisme espagnolÓ, ÒJoaqu’n Sorolla Ð ExubŽrant interprte de la lumire et
remarquable rŽnovateur de la peinture espagnoleÓ et ÒSorolla ne fut pas un
impressionniste mais un rŽaliste lumineuxÓ.
Introduction
15
pionnier, le seul portant prŽcisŽment sur la rŽception critique de lÕÏuvre de
Sorolla, fut publiŽ pour la premire fois dans le catalogue de lÕexposition Joaqu’n
Sorolla organisŽe ˆ lÕInstitut Valenciˆ dÕArt Modern (IVAM).16 LÕouvrage a fait
lÕobjet de deux rŽŽditions, la premire en 1990 et la seconde en 1996. Pour
montrer ˆ quel point la rŽception de Sorolla fut contrastŽe, la spŽcialiste partait du
constat que deux critiques amŽricains contemporains de Sorolla, J.G. Mottet (inc.inc.) et Franck Jewet Mather jr. (1868-1953), tous deux journalistes du quotidien
new-yorkais The Evening Post, avaient exprimŽ deux opinions radicalement
opposŽes dans des articles consacrŽs ˆ la mme exposition, que le peintre rŽalisa ˆ
New York en 1909. Alors que le premier nÕhŽsitait pas ˆ mesurer ce quÕil venait
de voir ˆ lÕaune des chefs-dÕÏuvre de VŽlasquez, pour le second, la peinture de
lÕEspagnol nՎtait quÕune simple curiositŽ sans intŽrt.17 Carmen Gracia dŽcrivait
ensuite les Žtapes de la rŽception critique de lÕÏuvre de Sorolla durant le sicle
qui sՎtend de 1887 ˆ 1989, ˆ partir de la publication dÕun article de Vicente
Blasco Ib‡–ez dans lequel lՎcrivain vantait les qualitŽs de lÕÏuvre de son
compatriote.18 LÕhistorienne distinguait deux niveaux de rŽception simultanŽs,
dÕabord local, avant les annŽes 1890, puis national et international, ˆ partir des
annŽes 1890. Pour la seconde pŽriode, elle prŽcisait quÕen Espagne la rŽception de
lÕÏuvre de Sorolla avait ŽtŽ plus ÒpolŽmiqueÓ quՈ lՎtranger. Ensuite, aprs la
mort du peintre, survenue en 1923, elle Žvoquait une pŽriode dÕoubli dont elle
situait le commencement en 1926 en sÕappuyant sur un article tirŽ de La Prensa. 19
Enfin, Carmen Gracia observait quÕaprs cette date et en dŽpit des expositions
consacrŽes ˆ lÕÏuvre de Sorolla, en 1963 et en 1973, dÕune part celle-ci nՎtait pas
sortie de lÕoubli et que, dÕautre part, les publications monographiques ressassaient
les mmes idŽes et rŽitŽraient des lieux communs.
Pour Tom‡s Llorens, Sorolla fut tout bonnement laissŽ de c™tŽ par lÕhistoire
de lÕart. Dans son article ÒVerdad y naturaleza. Dejado de lado por la historia del
arte, Sorolla fue v’ctima del olvidoÓ (2007) publiŽ dix-huit ans aprs celui de
Carmen Gracia, lÕhistorien de lÕart parle de Ç damnatio memoriae È. Selon ce
16.
17.
18.
19.
Joaqu’n Sorolla, Londres, Philip Wilson, 1989, pages 75-89.
J.G. Mottet, ÒSorolla y Bastida ExhibitionÓ, The Evening Post, New York, 1/02/1909.
Frank Jewet Mather, ÒThe Painting of SorollaÓ, The Evening Post, New York,
12/03/1910.
Vicente Blasco Ib‡–ez, ÒCr—nica art’stica. SorollaÓ, El Pueblo, Valence, 5/06/1887.
ÒLa magia del arte pict—rico espa–ol crea en New York un nuevo monumento al genio
vibrante de la razaÓ, La Prensa, Barcelone, 22/01/1926.
Introduction
16
spŽcialiste, la perception actuelle de lÕÏuvre de Sorolla dŽpendrait de deux
facteurs liŽs ˆ sa fortune critique, lÕun national et lÕautre international :
Uno est‡ enraizado en lo que han sido las corrientes dominantes de la intelectualidad
espa–ola durante la mayor parte del siglo XX, el otro, internacional, deriva de la
manera en que se nos ha contado la historia del arte moderno.20
Dans cet article, lÕauteur souligne lÕhostilitŽ des intellectuels Miguel de
Unamuno (1864-1936) et Ram—n Mar’a del Valle-Incl‡n (1866-1936) qui, selon
lui, Ç [É] en la pintura de Sorolla ve’an el paradigmo negativo de la Espa–a que
ellos exaltaban. È cÕest-ˆ-dire : Ç [É] dans la peinture de Sorolla, ils voyaient le
modle opposŽ de lÕEspagne quÕils magnifiaient. È Il met Žgalement en cause la
construction de lÕhistoire de lÕart autour dÕune ligne unique, extrmement
simplifiŽe, qui Žcarterait ce quÕelle ne parviendrait pas ˆ assimiler. Pour Llorens,
la gŽnŽration de Joaqu’n Sorolla, dont il cite lÕAmŽricain John Singer Sargent
(1856-1925), le Hollandais Isaac Israels (1865-1934), lÕAllemand Max Lieberman
(1847-1935), le SuŽdois Anders Zorn (1860-1920), lÕItalien Pelliza da Volpedo
(1868-1907), et le Russe RŽpine - Ilia Iefimovitch - (1844-1930), domina le
monde de la peinture autour de 1900, mais fut dŽfinitivement oubliŽe en 1930.
LÕauteur attribue cette lacune au manque de cohŽsion historiographique, ces
peintres ayant ŽtŽ redŽcouverts sŽparŽment et ˆ des moments distincts.
Enfin, en 2009, dans ÒLa fortuna cr’tica de Joaqu’n SorollaÓ, les auteurs
valenciens Felipe Gar’n et Facundo Tom‡s sÕintŽressrent aux jugements Žmis par
les Žcrivains espagnols contemporains du peintre. Ils distingurent Ç la gŽnŽration
de 1898 È des Ç Žcrivains favorables ˆ Sorolla. È21 Le premier groupe comprend
quatre Žcrivains, Miguel de Unamuno, P’o Baroja (1872-1956), Ramiro de
Maeztu et Ram—n del Valle-Incl‡n. Ces intellectuels auraient ŽtŽ hostiles ˆ la
peinture de Sorolla et auraient partagŽ, au contraire, lÕesthŽtique sombre et grave
de JosŽ GutiŽrrez Solana (1886-1945) et Ignacio Zuloaga (1870-1945). Le
deuxime groupe associe Vicente Blasco Ib‡–ez (1867-1928), Juan Ram—n
20.
21.
Tom‡s Llorens, ÒVerdad y naturaleza. Dejado de lado por la historia del arte, Sorolla fue
v’ctima del olvidoÓ, El Pa’s, Madrid, 3/11/2007. Ç LÕun se trouve ancrŽ dans ce quÕont ŽtŽ
les courants dominants de lÕintelligentsia espagnole durant la majeure partie du XXe
sicle, lÕautre, international, provient de la faon dont on nous a racontŽ lÕhistoire de lÕart
moderne. È
Ibidem, ÒLa fortuna cr’ticaÉÓ, pages 471-484.
Introduction
17
JimŽnez (1881-1958) et Ram—n PŽrez de Ayala (1881-1962), trois Žcrivains qui
ont laissŽ des tŽmoignages de leur admiration pour le Valencien. La pŽriode
postŽrieure ˆ la mort du peintre nÕest traitŽe que dans la conclusion de lÕarticle.
Les auteurs y avancent une hypothse nouvelle : sous le franquisme, une partie de
la Critique considŽrŽe comme ÒrŽactionnaireÓ aurait opposŽ la peinture de Sorolla
aux Avant-gardes. Selon eux, au moins jusquՈ la fin de la dictature, ce point de
vue aurait empchŽ les jeunes gŽnŽrations de sÕidentifier ˆ lÕÏuvre du Valencien.
Bien que vingt ans sŽparent lÕarticle le plus ancien du plus rŽcent, les quatre
auteurs se rejoignent nŽanmoins sur plusieurs points. SÕils soulignent dÕabord le
prestige et la notoriŽtŽ du peintre ˆ son Žpoque, ils Žvoquent ensuite une pŽriode
dÕoubli, une Ç traversŽe du dŽsert È. Gar’n, Tom‡s, Gracia et Llorens en situent le
commencement quelques annŽes seulement aprs la mort du peintre, entre 1926 et
1930. Pour lÕexpliquer, ils mettent en cause la persistance de jugements hostiles.
Aprs cette date, tous observent le manque de reconnaissance dont p‰tirait
lÕÏuvre de Sorolla principalement en Espagne, son pays dÕorigine. Notons, enfin,
que si tous ces spŽcialistes en arrivent ˆ des conclusions proches, ils nÕexploitent
cependant pas les mmes sources. Alors que Llorens semble sÕappuyer presque
exclusivement sur des sources de seconde main, les autres auteurs exploitent des
sources de premire main, en particulier des coupures de journaux probablement
issues, au moins en partie, des archives de presse du MusŽe Sorolla.
Ce musŽe fut inaugurŽ en 1932 dans les murs de la maison madrilne du
peintre. Il conserve une importante collection de peintures et de dessins mais aussi
des sculptures, des pices archŽologiques, des cŽramiques, des bijoux rŽgionaux et
un ensemble mobilier et textile. Il hŽberge Žgalement une bibliothque spŽcialisŽe
et possde, parmi ses archives, une prŽcieuse collection de photographies
anciennes, toute la correspondance privŽe du peintre ainsi quÕun fond de presse
trs complet. Or, jusquՈ maintenant, la collection de coupures de presse nÕa pas
encore ŽtŽ exploitŽe comme elle le mŽriterait. Durant longtemps, elle a ŽtŽ
nŽgligŽe par les biographes du peintre au moins pour deux raisons liŽes, ˆ la fois
au contenu de leur projet dՎtude et ˆ la nature des sources disponibles. DÕabord,
lÕambition de ces auteurs visait le plus souvent ˆ raconter au public la vie et le
parcours du peintre. Les tŽmoignages et les anecdotes servaient plus efficacement
ce type de projet. Ensuite, les archives de presse ont ŽtŽ fortement concurrencŽes
par les archives de correspondance du MusŽe Sorolla. Cette collection rare et
Introduction
18
prŽcieuse rŽunit plus de deux mille lettres originales.22 Ces deux facteurs ont
contribuŽ ˆ Žclipser une collection de presse qui a pourtant une immense valeur
documentaire. Ë lÕintŽrieur de trente-trois cartons, elle rŽunit plus de quatre mille
articles, soit plus de dix mille feuillets. Les ouvrages de Bernardino de Pantorba,
La vida y la obra de Joaqu’n Sorolla (1970) et de Blanca Pons-Sorolla, Joaqu’n
Sorolla. Vida y obra (2001) contiennent chacun une liste dÕarticles de presse.
Cependant, lÕinventaire de la collection du musŽe nÕa jamais ŽtŽ fait. Pour cette
raison, nous avons rŽalisŽ un travail de recherches prŽalable afin de rŽfŽrencer
prŽcisŽment tous les articles selon la manire habituelle : Auteur, ÒTitreÓ,
PŽriodique, Lieu dՎdition, jour / mois / annŽe. Dans la mesure du possible, les
auteurs utilisant un pseudonyme ont ŽtŽ identifiŽs ˆ lÕaide des dictionnaires
dÕEugenio Hartzenbush et dÕAntonio L—pez de Zuazo Algar.23 LÕinventaire de la
collection de presse du MusŽe Sorolla existe dŽsormais. Toutefois, nous avons
choisi de ne pas adjoindre ce document dÕenviron quarante pages ˆ la thse et
nous nous rŽservons la possibilitŽ de le publier ultŽrieurement en collaboration
avec le MusŽe Sorolla. Les archives de presse, dŽsormais plus lisibles, constituent
la source fondamentale de la thse. Deux autres sources principales la
compltent : les soixante-cinq catalogues des expositions monographiques et les
cinquante-sept ÒessaisÓ monographiques consacrŽs ˆ lÕÏuvre de Sorolla. La quasi
totalitŽ de cette documentation est conservŽe sur le mme site, au MusŽe Sorolla
de Madrid.
Revenons, ˆ la collection de presse qui comprend deux ensembles
distincts : les Ç Archives de Presse Ancienne È, qui couvrent la pŽriode 1887 ˆ
1998, et un fond en cours de constitution que nous avons choisi dÕappeler les
Ç Archives de Presse Actuelle È, de 1999 ˆ 2009. La plus ancienne occurrence
22.
23.
Depuis 2007, une maison dՎdition catalane publie cette correspondance au sein de la
collection Epistolarios de Sorolla : Facundo Tom‡s, Felipe Gar’n, Isabel Justo et Sof’a
Barr—n, Epistolarios de Joaqu’n Sorolla, I. Correspondencia con Pedro Gil Moreno de
Mora, Barcelone, Anthropos, 2007. Blanca Pons-Sorolla, V’ctor Lorente Sorolla et
Marina Moya, Epistolarios de Joaqu’n Sorolla, II. Correspondencia con Clotilde Garc’a
del Castillo, Barcelone, Anthropos, 2008 et Blanca Pons-Sorolla et V’ctor Lorente
Sorolla, Epistolarios de Joaqu’n Sorolla, III. Correspondencia con Clotilde Garc’a del
Castillo (1891-1911), Barcelone, Anthropos, 2009.
Maxiriarth (Eugenio Hartzenbush), Unos cuantos seud—nimos de escritores espa–oles con
sus correspondientes nombres verdaderos, Madrid, Est. Tipogr‡fico Sucesores de
Rivadeneyra, 1904 et Antonio L—pez de Zuazo Algar, Diccionario de seud—nimos
period’sticos espa–oles del siglo XX, Madrid, Fragua, 2008.
Introduction
19
remonte au 10 juillet 1887 et la plus rŽcente au 31 octobre 2009.24 Cette date a ŽtŽ
retenue comme la borne chronologique de fin de lՎtude ; toutefois, nous avons
prŽfŽrŽ comme borne de dŽpart le premier article de presse connu, bien quÕil ne se
trouve pas dans les cartons du MusŽe Sorolla.25 Il est question dans ce texte de la
premire participation du peintre ˆ lÕExposition Nationale, au printemps 1881.
Cette pŽriode est ˆ la fois longue et complexe car pas moins de sept Žtapes
historiques sÕy sont succŽdŽes : la rŽgence de la Reine Marie Christine (18851902), le rgne dÕAlphonse XIII (1902-1931) qui comprend la dictature de Miguel
Primo de Rivera (1923-1930), la Seconde RŽpublique et la Guerre Civile (19311939), la dictature de Francisco Franco (1939-1975) et une partie du rgne de
Juan Carlos I (1975-2009).
Les Ç Archives de Presse Ancienne È sont constituŽes de 3.001 articles
rŽpartis en vingt cinq cartons. Les huit premiers cartons dÕarchives contiennent
des coupures rŽcoltŽes par la famille Sorolla avant la crŽation du musŽe, en 1932.
Au moins trois raisons laissent penser que le peintre sÕimpliquait personnellement
dans lÕarchivage de ces documents. Tout dÕabord, plusieurs articles sont annotŽs
de sa main. Ensuite, la collecte sÕarrte net le 18 juin 1920, cÕest-ˆ-dire le
lendemain de lÕaccident vasculaire cŽrŽbral dont il a ŽtŽ victime la veille et qui le
plonge, semaine aprs semaine, dans un Žtat vŽgŽtatif toujours plus avancŽ.26
JusquՈ son dŽcs, le 10 aožt 1923, la collection ne fut pas augmentŽe ni par son
Žpouse ni par son fils, qui habitaient encore la maison. Enfin, il convient de
signaler que Sorolla devait parfaitement tre conscient de lÕintŽrt historique de
ces documents. En effet, il comptait parmi ses plus proches amis trois historiens
dÕart aussi Žminents que Manuel BartolomŽ Coss’o (1857-1935) JosŽ Ram—n
MŽlida (1856-1933) et Aureliano de Beruete (1845-1912), et un des plus fins
collectionneurs de son Žpoque, le marquis de la Vega Incl‡n (1858-1952). Ce
dernier lui conseilla peut-tre de protŽger son patrimoine sous la forme dÕune
fondation.27
24.
25.
26.
27.
De : Lucius, ÒNuestros artistas en RomaÓ, El Pa’s, Madrid, 10/07/1887 ˆ Felipe Gar’n,
ÒÀM‡s Sorolla?Ó, http://www.abc.es/, Madrid, 31/10/2009.
Anonyme, ÒCuadros para la exposici—n de MadridÓ, Las Provincias, Valence, 5/04/1881.
Francisco Alc‡ntara, ÒSorolla en la Escuela de Bellas ArtesÓ, El Sol, Madrid, 18/06/1920.
Mar’a Luisa MenŽndez Robles, ÒSorolla, Benlliure y el segundo marquŽs de la VegaIncl‡n: Interacciones amistosas y art’sticasÓ in Mariano Benlliure y Joaqu’n Sorolla.
Centenario de un homenaje, Valence, Generalitat Valenciana, 2000, pages 69.
Introduction
20
Selon toute vraisemblance, Sorolla Žtait trs attentif ˆ ce que la presse
publiait sur son compte, notamment lors de chacune de ses expositions
individuelles. Il lui importait de lire la presse parisienne car, dÕune part, il
concourait rŽgulirement au Salon de la SociŽtŽ des Artistes Franais et, dÕautre
part, ˆ son Žpoque la critique franaise faisait autoritŽ dans le monde de lÕart et
orientait le marchŽ. Or, il ne vivait pas ˆ Paris mais ˆ Madrid et, malgrŽ quelques
bons contacts dans la capitale franaise, son accs ˆ la presse Žtrangre Žtait
limitŽ. CÕest pourquoi il souscrivait ponctuellement des abonnements auprs
dÕagences, les ÒPress CuttingsÓ, qui lui fournissaient les coupures qui le
concernaient directement en indexant leur recherche sur son patronyme. Le plus
souvent, ces abonnements Žtaient souscrits sur des pŽriodes courtes qui
correspondaient ˆ la durŽe dÕune exposition. Parmi ces agences internationales,
qui possŽdaient des antennes dans les grandes capitales du monde, citons ÒLe
LynxÓ (1876, Paris), ÒLe Courrier de la PresseÓ (1880, Paris), ÒArgus de la
PresseÓ (1879, Paris), ÒArgusÓ (inc., Berlin), ÒC. Freyer SšhneÓ (inc., Berlin),
ÒDurrantÕs Press CuttingsÓ (inc., Londres), ÒThe General Press Cuttings
Association Ltd.Ó (inc., Londres), etc. Pour dŽchiffrer ces coupures venues du
monde entier, lÕEspagnol pouvait compter sur ses trois enfants car lui-mme
nՎtait pas polyglotte. Il lisait lÕitalien, parlait mal le franais et ne connaissait ni
lÕallemand ni lÕanglais. Aprs la crŽation du MusŽe Sorolla, Joaqu’n Sorolla y
Garc’a (1892-1948), le fils du peintre et premier directeur de lÕinstitution,
conserva et augmenta la collection en souscrivant deux nouveaux abonnements,
dÕabord auprs de lÕagence ÒArgos de la PrensaÓ (inc., Madrid), de 1932 ˆ 1933,
puis auprs de ÒEuropaÓ (inc., Madrid), ˆ partir de 1943. Aprs sa mort, en 1948,
la dernire souscription fut maintenue durant cinq ans, probablement par
Francisco Pons-Sorolla, le petit-fils du peintre, alors ˆ la tte de lÕinstitution. Entre
1953 et 1966, un dernier abonnement fut souscrit auprs de lÕÒAgencia
Internacional CamarasaÓ (inc., Madrid). Au cours des annŽes soixante, le musŽe
traversa une importante crise financire et, en 1967, il fut mme sur le point de
fermer ses portes au public. MalgrŽ lÕabsence dÕabonnement, la collecte des
articles de presse ne fut pas interrompue mme si le nombre dÕentrŽes dŽcrut
jusquՈ la fin des annŽes 1990. La rŽforme du statut du musŽe, qui se traduisit,
entre autres, par la crŽation dÕune Žquipe de recherche financŽe par un systme de
bourses, assura la pŽrennitŽ de la collection qui, sous la direction de Florencio de
Introduction
21
Santa-Ana, sÕenrichit ˆ partir de 1999 des Ç Archives de Presse Actuelle È. Ce
fond diffre du prŽcŽdent dans la mesure o il est constituŽ principalement
dÕarticles ŽditŽs en ligne. Ë ce jour, ces articles sont imprimŽs avant dՐtre
classŽs. Cependant, dans les prochaines annŽes, la numŽrisation des fonds anciens
pourrait permettre la crŽation dÕune base de donnŽes unique et plus facile dÕaccs,
regroupant les deux collections. Elle permettrait de visualiser directement les
articles en ligne sur un site dotŽ dÕun moteur de recherches. Les Ç Archives de
Presse Actuelle È comprennent 1.067 articles rŽpartis en huit cartons. Le dernier
article du vingt-troisime carton est celui de Felipe Gar’n ÒM‡s SorollaÓ, publiŽ le
31 octobre 2009.28 Les archives de presse du MusŽe Sorolla comprenaient, ˆ cette
date, un total de 4.068 articles rŽpartis chronologiquement de la manire
suivante :
28.
Felipe Gar’n, ÒM‡s SorollaÓ, http://www.abc.es/, 31/10/2009.
Introduction
22
Graphique n¡1. RŽpartition des archives de presse du MusŽe Sorolla.29
1963
2007 - 20
2009
194
1944
44
1932
1900
1923
29.
AnnŽe (Nb. dÕarticles) : 1887 (1) 1892 (1) 1893 (2) 1894 (1) 1895 (69) 1896 (13) 1897
(32) 1898 (1) 1899 (23) 1900 (99) 1901 (73) 1902 (3) 1903 (27) 1904 (26) 1905 (56)
1906 (32) 1907 (23) 1908 (29) 1909 (32) 1910 (3) 1911 (30) 1912 (30) 1913 (2) 1914 (8)
1915 (7) 1916 (19) 1917 (7) 1918 (6) 1919 (18) 1920 (3) 1923 (85) 1924 (17) 1925 (2)
1926 (7) 1927 (9) 1928 (3) 1929 (3) 1930 (5) 1931 (3) 1932 (147) 1933 (24) 1934 (7)
1935 (11) 1936 (2) 1939 (1) 1941 (1) 1942 (4) 1943 (15) 1944 (178) 1945 (82) 1946 (59)
1947 (10) 1948 (43) 1949 (15) 1950 (69) 1951 (37) 1952 (19) 1953 (63) 1954 (8) 1955
(74) 1956 (47) 1957 (91) 1958 (25) 1959 (35) 1960 (88) 1961 (6) 1962 (41) 1963 (512)
1964 (72) 1965 (91) 1966 (10) 1967 (29) 1969 (7) 1972 (9) 1973 (36) 1974 (8) 1975 (3)
1978 (2) 1979 (5) 1980 (32) 1981 (4) 1984 (36) 1985 (4) 1986 (9) 1987 (18) 1988 (12)
1989 (18) 1990 (2) 1991 (18) 1992 (5) 1993 (2) 1994 (7) 1995 (12) 1997 (6) 1998 (21)
Introduction
23
Ces statistiques ont ŽtŽ obtenues ˆ partir de ce corpus de presse spŽcialisŽe
trs complet, mais non exhaustif. Par consŽquent, ce graphique doit tre lu en
tenant compte des spŽcificitŽs de la constitution de ce corps dÕarchives que nous
avons prŽcisŽes et ses donnŽes doivent nŽcessairement tre comparŽes. Les
chiffres, tels quÕils apparaissent dans le graphique, font ressortir trois Òtemps
fortsÓ mŽdiatiques. Deux pŽriodes de basse intensitŽ les sŽparent. Un segment
permet de constater quÕelles sՎtendent sur une durŽe Žgale, de trente ans environ,
ce qui est apparemment le dŽlai indispensable avant toute redŽcouverte de
lÕartiste.
La courbe situe prŽcisŽment la naissance mŽdiatique de Sorolla en 1895. Ë
partir de lˆ, une premire zone de forte activitŽ critique culmine en 1900. Le
peintre est trs exposŽ sur le plan mŽdiatique ˆ compter du printemps de cette
annŽe car il remporte alors le prix le plus important de sa carrire. Cette pŽriode
est suivie dÕune phase de basse activitŽ qui commence vers 1913 alors que,
paradoxalement, non seulement Sorolla Žtait toujours en vie mais il se trouvait
mme en pleine possession de ses moyens artistiques. Or, ˆ partir de cette date, il
sÕisola en se consacrant pleinement ˆ sa commande Visi—n de Espa–a. Dans la
pŽriode de basse intensitŽ qui suit, 1923 et 1932 sont les deux seules annŽes qui se
dŽtachent. Elles correspondent respectivement ˆ la mort du peintre et ˆ la crŽation
du MusŽe Sorolla. Sous le franquisme, une nouvelle phase de haute intensitŽ
critique commence en 1944, lÕannŽe de la premire exposition rŽtrospective. Le
nombre dÕarticles se maintient ensuite ˆ un niveau ŽlevŽ avec un pic en 1963, qui
nÕa jamais ŽtŽ dŽpassŽ. Le centenaire de la naissance du peintre ftŽ cette annŽe-lˆ
fut jalonnŽ dՎvŽnements commŽmoratifs dont le plus importants fut la grande
rŽtrospective organisŽe au MusŽe du Prado. Cette pŽriode sÕacheva vers la fin des
annŽes soixante. La transition dŽmocratique ne provoqua pas de regain dÕintŽrt
mŽdiatique, bien au contraire. Sorolla Žtait-il, ˆ ce moment-lˆ, associŽ ˆ la
politique culturelle de la dictature ? Voilˆ une des questions auxquelles cette
Žtude tentera de rŽpondre. Ensuite, le nombre dÕarticles se maintient ˆ un niveau
assez bas, avec moins de cinquante articles par an, jusquՈ la fin du XXe sicle.
Mais ˆ partir des annŽes 2000, il repart ˆ la hausse et atteint une frŽquence
supŽrieure ˆ cent articles par an durant toute la durŽe de lÕexposition itinŽrante
1999 (16) 2000 (49) 2001 (87) 2002 (52) 2003 (49) 2004 (63) 2005 (26) 2006 (87) 2007
(135) 2008 (199) 2009 (304). Total : 4.068.
Introduction
24
Visiones de Espa–a, entre 2007 et 2009. La, ou les cause(s) de cette reprise
devront tre prŽcisŽes.
Dans le cadre de cette Žtude, ce nÕest pas la totalitŽ des 4.068 articles de
presse qui sera utilisŽe. Aprs une sŽlection prŽalable, dont nous allons prŽciser
les critres, 1.452 articles ont ŽtŽ retenus, soit 35,6 % du total. Ë lÕintŽrieur de ce
fond international, nous nÕavons fait valoir aucun critre linguistique ni
gŽographique. La sŽlection rŽunit des textes issus de douze pays Žtrangers : ƒtatsUnis (33), France (26), Angleterre (22), Argentine (22), Allemagne (6), Portugal
(5), Italie (5), Chili (3), Cuba (1), Uruguay (1), Hongrie (1) et Chine (1). Nous
avons privilŽgiŽ les articles publiŽs plusieurs fois dans plusieurs pŽriodiques. Par
exemple, ÒEl Sorolla, œnico museo madrile–o de un solo artistaÓ de Juan Cantelly
est publiŽ le 16 janvier 1955 dans le journal valencien Espa–a30. La mme annŽe,
il est republiŽ pas moins dÕune dizaine de fois, notamment dans des pŽriodiques
locaux tels que Arriba Espa–a (Pampelune), Clima (Valence), La Voz de Espa–a
(Saint SŽbastien). Il en va de mme pour les articles dont des extraits sont citŽs
entre guillemets et parfois mme commentŽs ou complŽtŽs dans dÕautres articles.
Ensuite, nous avons privilŽgiŽ les textes signŽs, car beaucoup dÕentrŽes, en
particulier les notes informatives, sont anonymes et leur contenu est superificiel
voire sans intŽrt. Ces entrefilets sont particulirement abondants ˆ la veille des
expositions dont ils annoncent les lieux, dates, horaires de visite, etc. Enfin,
durant la phase de rŽdaction de cette Žtude, quelques articles de presse, qui ne
faisaient pas partie de la collection du MusŽe Sorolla, ont ŽtŽ utilisŽs afin
dՎclairer tel ou tel point de lÕanalyse. Les rŽfŽrences de ces articles apparaissent
sŽparŽment dans la bibliographie. Ils proviennent, pour la plupart, des bases
dÕarchives consultables en ligne de la Bibliothque Nationale espagnole et du
groupe de presse madrilne ABC - Blanco y Negro.31
Le second corpus de sources comprend les soixante-cinq catalogues publiŽs
entre 1906 et 2009, pŽriode pendant laquelle la peinture de Sorolla est prŽsentŽe
lors dÕexpositions collectives et dÕexpositions monographiques.32 Ce sont les
catalogues de ces dernires que nous avons choisi de consulter en prioritŽ. Tous
30.
31.
32.
Juan Cantelly, ÒEl Sorolla, œnico museo madrile–o de un solo artistaÓ, Espa–a, Tanger,
16/01/1955.
Consultables ˆ partir des url http://www.bne.es/es/Catalogos/HemerotecaDigital/ et
http://www.hemeroteca.abc.es/.
Voir lÕannexe n¡1. Expositions monographiques.
Introduction
25
ces ouvrages sont aujourdÕhui facilement localisables gr‰ce au nouveau catalogue
unique des bibliothques des musŽes nationaux espagnols, BIMUS, qui est
librement accessible depuis lÕurl http//:bimus.mcu.es. Pour restituer fidlement la
rŽpartition des expositions dans le temps, nous avons accordŽ une place plus
grande aux ŽvŽnements itinŽrants en comptabilisant le nombre de leurs
dŽplacements. Par exemple, la premire pŽriode comprend les cinq expositions
particulires : 1906, Paris. 1907, Berlin - DŸsseldorf - Cologne. 1908, Londres.
1909, New York - Buffalo - Boston et 1911, Chicago - Saint Louis. Puisque trois
sont itinŽrantes, au total ce sont dix villes qui ont accueilli une de ces expositions.
Graphique n¡2. RŽpartition des expositions monographiques.33
Expositions
DŽplacements
LÕaspect de ce graphique rappelle le prŽcŽdent car on y retrouve les trois
Òtemps fortsÓ. La ÒgrappeÓ des expositions individuelles, ˆ laquelle nous venons
33.
AnnŽes (expositions ; dŽplacements):
1906 (1;0) 1907 (1;2) 1908 (1;0) 1909 (1;2) 1911 (1;1) 1935 (0;0) 1942 (1;0) 1944 (1;0)
1948 (1;0) 1952 (1;0) 1953 (1;0) 1958 (1;0) 1963 (3;0) 1965 (2;0) 1967 (1;0) 1968 (1;0)
1971 (1;0) 1972 (1;0) 1973 (1;0) 1974 (1;6) 1979 (1;0) 1982 (1;0) 1983 (1;2) 1985 (2;0)
1986 (2;0) 1989 (2;3) 1991 (1;0) 1992 (3;0) 1993 (1;0) 1994 (2;5) 1995 (3;7) 1996 (2;5)
1997 (5;11) 1998 (4;4) 1999 (0;3) 2000 (1;4) 2001 (0;7) 2002 (0;6) 2003 (1;3) 2004 (1;3)
2005 (0;7) 2006 (3;1) 2007 (3;2) 2008 (1;4) 2009 (1;2). Total : 61 ; 90.
Introduction
26
de faire rŽfŽrence, se dŽtache entre 1906 et 1911. Ensuite, un espace vide court
jusquÕen 1944, une pŽriode qui comprend, rappelons-le, la guerre civile et les
annŽes noires durant lesquelles le pays Žtait accablŽ par les difficultŽs
Žconomiques. Leur frŽquence se maintient ensuite ˆ un niveau bas, cÕest-ˆ-dire
zŽro ou une exposition par an, jusque dans les annŽes soixante. Une reprise
ponctuelle dŽmarre ˆ la fin du franquisme et sÕachve avant la transition
dŽmocratique. Aprs la rŽforme du MusŽe Sorolla de 1993, leur nombre augmente
significativement, notamment gr‰ce au principe de lÕexposition itinŽrante et il se
maintient presque invariablement ˆ un niveau trs ŽlevŽ, entre cinq et dix
ŽvŽnements annuels. En 2009, les manifestations liŽes au peintre valencien
occupent une telle place dans lÕactualitŽ du pays que le magazine de mode Vogue
nÕhŽsite pas ˆ parler de ÒSorollaman’aÓ !34
Les sources comprennent enfin les cinquante-sept essais monographiques
consacrŽs ˆ lÕÏuvre de Sorolla. De toute Žvidence, toutes ces publications nÕont
pas tous la mme valeur. Les quatre ouvrages de rŽfŽrence restent ˆ ce jour les
Žtudes de Rafael DomŽnech (1910), Aureliano de Beruete (1921), Bernardino de
Pantorba (1953 et 1970) et Blanca Pons-Sorolla (2001).35 Le catalogue raisonnŽ
du mme auteur, ˆ para”tre prochainement, deviendra sans doute lÕouvrage de
rŽfŽrence dans les annŽes ˆ venir. Ce corpus nÕinclut pas les supplŽments de
presse, ni les textes parus dans une publication pŽriodique, ni ceux figurant dans
un catalogue dÕexposition, puisque les uns et les autres ont dŽjˆ ŽtŽ pris en
compte. Les textes publiŽs et vendus sŽparŽment sont tous compris entre 1910 et
2009 et rŽpartis ainsi quÕil appara”t dans le graphique suivant :
34.
35.
M. C., ÒSorollaman’aÓ, http://www.vogue.es/, Madrid, 06/2009.
Rafael DomŽnech, Sorolla. Su vida y su arte, Madrid, Leoncio Miguel, 1910 et Sorolla,
sa vie et son Ïuvre, Madrid, Vilanova y Geltrœ-Oliva, 1910. Aureliano de Beruete,
Joaqu’n Sorolla, Madrid, Biblioteca Estrella, 1921. Bernardino de Pantorba, La vida y la
obra de Joaqu’n Sorolla. Estudio biogr‡fico y cr’tico, Madrid, Mayfe, 1953 et La vida y
la obra de Joaquin Sorolla. Estudio biogr‡fico y cr’tico, Madrid, Gr‡ficas Monteverde,
1970. Blanca Pons-Sorolla, Joaqu’n Sorolla. Vida y obra, Madrid, Fahah, 2001.
Introduction
27
Graphique n¡3. RŽpartition des essais monographiques.36
Essai monographique
RŽŽdition et/ou traduction
De toute Žvidence, il serait hasardeux dÕanalyser dans le dŽtail la
rŽpartition de si peu dÕentrŽes distribuŽes sur une pŽriode aussi longue.
NŽanmoins, trois observations peuvent tre formulŽes. Tout dÕabord, la
publication dÕun essai monographique accompagne gŽnŽralement une exposition
temporaire, comme le montrent les principaux pics, 1909-1910, 1932, 1944, 1967,
1973-1974 et 1979-1980. Ensuite, le nombre de ces publications augmente
progressivement ˆ partir du cycle des expositions itinŽrantes qui dŽbute en 1994.
Enfin, pour rŽpondre ˆ la demande du public, pas moins de huit essais
monographiques ont ŽtŽ ŽditŽs ou rŽŽditŽs ˆ lÕoccasion de lÕexposition Visiones de
Espa–a, entre 2007 et 2009.
En rŽsumŽ, les graphiques n¡1 ˆ n¡3 mettent en Žvidence trois phases de
haute intensitŽ critique, bien sŽparŽes les unes des autres :
36.
1909 (1) 1910 (2 dont 1 traduction en franais) 1913 (1) 1921 (1) 1924 (1) 1927 (1) 1932
(3) 1933 (1) 1944 (2) 1948 (1) 1950 (1) 1953 (1) 1957 (1) 1958 (1) 1963 (1) 1964 (1)
1965 (1) 1967 (2) 1970 (1) 1973 (2 dont 1 rŽŽdition) 1974 (2) 1975 (1) 1979 (2) 1980 (2
dont 1 rŽŽdition) 1981 (1) 1983 (1) 1989 (1) 1992 (1 rŽŽdition.) 1993 (1) 1994 (1) 1995
(1) 1996 (2) 1998 (1) 2000 (2) 2001 (1) 2002 (1) 2004 (1) 2005 (2 dont une traduction en
anglais) 2006 (3) 2008 (1 rŽŽdition) 2009 (4 dont 1 rŽŽdition). Total : 57.
Introduction
28
1901
Temps I.
1963
Temps II.
JJuan
Jua
n Carlos I
Franquisme
II RŽpublique et Guerre Civile
Alphonse XIII
RŽgence
Graphique n¡4. Synthse.
2009
Temps III.
Le Temps I. 1895-1912, est ˆ cheval sur la fin de la RŽgence et les
premires annŽes du rgne personnel dÕAlphonse XIII. Il correspond ˆ lÕapogŽe
de la carrire internationale du peintre. Le second, 1944-1963, se situe au milieu
de lՏre franquiste et sÕaccompagne dÕun nouvel essor de lÕhistoriographie
sorolliste alors que, on lÕa vu, Carmen Gracia et Tom‡s Llorens intgrent cette
pŽriode dans ce quÕils qualifient de ÒpŽriode dÕoubliÓ. La transition dŽmocratique
marque un temps dÕarrt durant lequel Sorolla dispara”t ˆ nouveau des colonnes
de la presse jusquÕau Temps III. 1993-2009. Il sÕagit de lՎpoque rŽcente, des
mandats de Felipe Gonz‡lez (1942) ˆ ceux de JosŽ Luis Rodr’guez Zapatero
(1960). Dans un mouvement de basculement qui dŽbuta dans les annŽes quatrevingt-dix, lÕÏuvre de Sorolla opŽra un retour progressif dans les salles
dÕexposition temporaire des musŽes espagnols puis Žtrangers. Le cycle des
grandes expositions rŽtrospectives commena au milieu des annŽes quatre-vingt
dix avec la rŽforme du statut juridique du MusŽe Sorolla et connut son apogŽe
avec la grande exposition itinŽrante Visiones de Espa–a organisŽe du 7 novembre
2007 au 6 septembre 2009. Les pics vertigineux des graphiques n¡1 et n¡2
prouvent, sÕil le fallait, que les modes sont ŽphŽmres. Par consŽquent, aprs
Introduction
29
cette exposition, Sorolla devra sans doute cŽder la place quÕil occupe aujourdÕhui
ˆ dÕautres artistes pour mieux tre redŽcouvert plus tard.
Dans les deux premiers chapitres, on sÕintŽressera ˆ lÕapogŽe de sa carrire.
On reviendra sur les courants dans lesquels il engagea sa peinture. On verra quels
furent les tableaux dŽvoilŽs au cours de ces pŽriodes et quels furent ceux qui ont
nourri la ou les interprŽtations fondatrices. On commentera les premiers
jugements critiques lesquels, selon Carmen
Gracia, dŽclenchrent une
ÒpolŽmiqueÓ. Pour faire toute la lumire sur cet aspect, on tentera dÕidentifier la
communautŽ interprŽtative, ses intŽrts et les enjeux qui lÕont animŽe. Dans les
deux chapitres suivants, on verra que la mort du ma”tre fut suivie dÕune pŽriode de
basse intensitŽ critique seulement ponctuŽe dՎvŽnements commŽmoratifs plus ou
moins remarquŽs. La fin du franquisme semble avoir ŽtŽ le moment dÕun nouvel
engouement critique si lÕon tient compte des graphiques n¡1. et n¡2., alors que des
chercheurs lÕont intŽgrŽe dans une longue pŽriode dÕoubli ! Cette contradiction
mŽritera un Žclairage. Enfin, dans le dernier chapitre, on tentera de comprendre
comment et pourquoi lÕÏuvre de Sorolla revint ˆ la mode dans les annŽes 1990 et
occupe dŽsormais une place si importante sur la scne culturelle espagnole,
comme vient de le dŽmontrer lÕexposition Visiones de Espa–a.
Une deuxime partie complte cette Žtude dans lequel figure une
bibliographie aussi exhaustive que possible. Par ailleurs, une sŽlection de vingtcinq documents iconographiques est reproduite et commentŽe. Elle contient
principalement des photographies et des dessins tirŽs des archives de presse du
MusŽe Sorolla. Ë lÕexception dÕune Žbauche dÕaffiche rŽalisŽe pour le journal
rŽpublicain El Pueblo en 1899, on ne fera pas appara”tre les nombreuses peintures
du Valencien citŽes dans le corps de texte, prŽfŽrant renvoyer le lecteur au
catalogue numŽrique du MusŽe Sorolla librement accessible en ligne ˆ lÕadresse
suivante : http://ceres.mcu.es/.37 Un seul tableau fait partie des figures, Sorolla
como pretexto du duo dÕartistes pop Equipo Cr—nica. De mme, nous nÕavons
reproduit aucun article ni aucun document dÕarchive afin de ne pas nourrir cette
deuxime partie au-delˆ du raisonnable. En revanche, nous avons voulu offrir au
lecteur trois outils inŽdits cÕest-ˆ-dire un tableau aussi complet que possible des
37.
CERES est une base de donnŽes musŽographique en rŽseau dŽveloppŽe par le Ministre
de la Culture pour optimiser la gestion des biens culturels conservŽs dans les musŽes
nationaux.
Introduction
30
expositions monographiques consacrŽes ˆ Sorolla, une liste des derniers rŽsultats
de vente de ses tableaux ainsi quÕune table de traduction en franais des Ïuvres
citŽes dans ce travail.38 Les titres traduits varient ŽnormŽment selon les trois
sources de rŽfŽrences consultŽes cÕest-ˆ-dire les catalogues des expositions
Georges Petit (1906), Sargent / Sorolla (2006) ainsi que Sorolla, sa vie et son
Ïuvre, la version franaise du livre de Rafael DomŽnech. Le catalogue de
lÕexposition Petit, qui nÕest en fait quÕune liste, pose de nombreux problmes de
comprŽhension car il est difficile de savoir prŽcisŽment ˆ quels tableaux
correspondent tels ou tels titres. Ë ce jour, il nÕa pas permis dՎtablir
formellement le contenu de lՎchantillon prŽsentŽ ˆ Paris. Sauf indication
contraire, les traductions que nous proposons sont de lÕauteur. Enfin, ce travail
sÕaccompagne dÕun dvd contenant une copie du tŽlŽfilm de JosŽ Antonio Escriv‡
(1952) Cartas de Sorolla (2006).
38.
Annexe n¡3. Table de traduction des Ïuvres citŽes.
I
LES SALONS DE PEINTURE :
UN PARCOURS DE LA RECONNAISSANCE
1881 - 1901
Joaqu’n Sorolla nÕa que seize ans lorsque, pour la premire fois, il expose
publiquement un tableau. Avec El patio del Instituto, une aquarelle aujourdÕhui
perdue, il participe au concours de peinture de lÕExposition RŽgionale de Valence
en 1879. LÕannŽe suivante, dans la mme ville, il prŽsente trois scnes
orientalistes ˆ lÕExposition de la SociŽtŽ RŽcrŽative El Iris. Naturellement, les
deux apparitions de ce Valencien, jeune et inconnu, sont ˆ peine remarquŽes par
les journalistes. Ensuite, on ne sait presque rien de ces deux premires
participations ˆ lÕExposition Nationale, dans les annŽes 1880. Enfin, jusquՈ la
deuxime moitiŽ des annŽes 1890, il est encore impossible de parler de notoriŽtŽ
Žtant donnŽe la faible couverture mŽdiatique de chacune de ces apparitions. Les
choses changeront en 1895 avec son premier grand succs au Salon franais et
lÕentrŽe de son tableau La vuelta de la pesca au MusŽe du Luxembourg de Paris.
Ce sera alors le dŽbut de ce nous avons choisi dÕappeler le Temps I. 1895-1912,
qui correspond ˆ lÕapogŽe de sa carrire de ÒsalonnierÓ et dont le sommet se situe
en 1901. En effet, cette annŽe-lˆ, son dernier envoi ˆ lÕExposition Nationale lui
permettra de dŽcrocher la MŽdaille dÕHonneur, le point dÕorgue de son parcours
acadŽmique.
Ces bornes chronologiques sont comprises ˆ lÕintŽrieur de la Restauration.
Le parcours acadŽmique de Joaqu’n Sorolla commence vers le milieu du rgne
dÕAlphonse XII, qui sՎtend de 1875 ˆ 1885, et sÕachve ˆ la fin de la rŽgence de
Marie-Christine, en 1902. Sous le rgne dÕAlphonse XII, la peinture dÕhistoire vit
son dernier ‰ge dÕor. Les chefs dÕÏuvres du genre, Juana la Loca (1877) et la
Rendici—n de Granada (1882) de Francisco Pradilla (1848-1921), Los amantes de
Teruel (1884) dÕAntonio Mu–oz Degrain (1840-1924), La conversi—n del Duque
de Gand’a (1884) de JosŽ Moreno Carbonero (1860-1942), ou encore
I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901
32
Fusilamiento de Torrijos y sus compa–eros en las playas de M‡laga (1888)
dÕAntonio Gisbert (1834-1902) sont tous compris dans les limites du rgne
dÕAlphonse XII.1 Sous la RŽgence le genre pŽriclite, mme si la commande dՃtat
parvient ˆ lui donner un dernier souffle. Il Žvolue en sÕadaptant ˆ la politique
dÕexaltation et de cŽlŽbration de la monarchie portŽe par les dirigeants. Sous
lÕimpulsion de commandes publiques, la peinture dÕhistoire devient ÒhistoricocommŽmorativeÓ. JusquՈ la fin du sicle, elle immortalise des Žpisodes de la vie
politique des premires annŽes de la Restauration. En 1892, Joaqu’n SigŸenza
(1825-1902) reprŽsente la cŽrŽmonie dÕinvestiture dÕAlphonse XII comme Grand
Ma”tre des ordres militaires de Santiago, Alc‡ntara, Calatrava et Montesa. Joaqu’n
Sorolla avait reu, deux ans plus t™t, une commande du SŽnat, La jura de la
Constituci—n [de 1876] por la regente D–a. Mar’a Cristina.2 ConfiŽe initialement
ˆ JosŽ Casado del Alisal (1832-1886), la commande est ensuite transmise ˆ
Francisco Jover Casanova (1830-1890), mais les deux peintres meurent avant
lÕachvement du tableau et Sorolla le termine en 1897.
IndŽniablement, le dŽclin, puis la disparition dŽfinitive dÕun genre ŽrigŽ
durant presque un demi-sicle au rang dÕexercice supŽrieur sanctionnŽ par le jury
de lÕExposition Nationale, ouvre des perspectives nouvelles ˆ la jeune gŽnŽration.
Parmi elle, quelques peintres parviennent mme ˆ introduire au concours national
des genres venus de lÕextŽrieur, en particulier de France. Inversement, cÕest dans
ce contexte que Joaqu’n Sorolla, un jeune peintre ouvert aux influences
Žtrangres, va contribuer ˆ changer lÕimage de lՃcole espagnole hors des
frontires de son pays. On verra, dans ce chapitre, comment cette ambition rejaillit
sur la rŽception de sa peinture et, pour ce faire, on reviendra tout dÕabord sur sa
formation, ˆ Valence et ˆ Rome. On rappellera ensuite quel est son parcours au
cÏur des institutions des Beaux-Arts, en Espagne et ˆ lՎtranger. On sÕintŽressera
aux courants dans lesquels il engage sa peinture et aux tableaux quÕil prŽsente
durant cette pŽriode. On verra pourquoi le jury de lÕExposition Nationale refusera
par deux fois de lui dŽcerner la MŽdaille dÕHonneur, en 1897 et en 1899, et
1.
2.
Do–a Juana la loca. 300x500, Madrid, MusŽe National du Prado, 1878.
La rendici—n de Granada, 300x550, Madrid, Palais du SŽnat, 1882.
Los amantes de Teruel, 330x516, Madrid, MusŽe National du Prado, 1884.
La conversi—n del Duque de Gand’a, 315x500, Madrid, MusŽe National du Prado, 1884.
Fusilamiento de Torrijos y sus compa–eros en las playas de M‡laga, 390x600, Madrid,
MusŽe National du Prado, 1888.
La jura de la Constituci—n por la regente D–a. Mar’a Cristina, 350x550, Madrid, Palais
du SŽnat, 1897.
I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901
33
quelles seront les consŽquences de ce double Žchec. On tentera de comprendre
pourquoi, dans ce contexte, la presse libŽrale et rŽpublicaine valorisera sa peinture
et son parcours. On verra, enfin, quelles lignes dÕinterprŽtation vont Žmerger dans
la presse.
I.1. DE LÕEXPOSITION NATIONALE AUX SALONS ƒTRANGERS
Fils de Joaqu’n Sorolla Gasc—n (1832-1865) et de Mar’a Concepci—n
Bastida (1838-1865), un couple de nŽgociants en tissus, Joaqu’n Sorolla y Bastida
est nŽ ˆ Valence le 27 fŽvrier 1863. La famille possde une petite boutique dont le
nom Žtait ÒSis ditsÓ cÕest-ˆ-dire ÒSix doigtsÓ, situŽe dans la rue de las Mantas,
ancienne Òcalle NuevaÓ. Elle vit ˆ lՎtage dÕun immeuble qui aujourdÕhui nÕexiste
plus. Sorolla sÕy rend une seule fois et emporte avec lui un carreau du sol et se
pla”t ˆ dire en le montrant : Ç Sobre este ladrillo yo vine al mundo. È3 LÕobjet se
trouve aujourdÕhui au MusŽe Sorolla o il est conservŽ comme une relique. Le
peintre ne garde aucun souvenir de ses parents car, en 1865, lՎpidŽmie de cholŽra
qui frappe la ville les emporte ˆ quelques jours dÕintervalle. Joaqu’n et sa sÏur
Concha sont alors recueillis par un oncle, JosŽ Piqueres GuillŽn (1832-1900),
modeste forgeron Žtabli ˆ Valence. Comme dÕautres peintres espagnols de son
temps, Sorolla est issu du milieu artisan dans lequel on pratiquait le dessin avant
de travailler les matires premires. Par exemple, Ignacio Zuloaga est fils dÕun
orfvre et le pre des frres JimŽnez Aranda est ŽbŽniste. Le jeune Valencien fait
donc ses armes dans lÕatelier familial. Pour cette raison, cÕest cet oncle qui dŽcle
chez son neveu des dispositions pour le dessin et lÕinscrit ˆ lՃcole des Artisans
de la ville en 1876. Il y reoit les enseignements du sculpteur Cayetano Capuz
(inc.-inc.) qui dispense des cours du soir.
Deux ans plus tard, le garon entre ˆ lՃcole des Beaux-Arts qui dŽpend de
lÕAcadŽmie Royale de San Carlos de Valence. Il y rencontre Cecilio Pl‡ et
Antonio Garc’a del Castillo, le fils du photographe Antonio Garc’a y Peris qui
possde un atelier au centre ville. Dans sa jeunesse, ce notable de la ville avait
3.
Lola Soriano, ÒLa cuna de Sorolla, en el olvidoÓ, http://www.lasprovincias.es/, Valence,
22/10/2009. Ç Sur ce carreau, je suis venu au monde. È
I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901
34
ŽtudiŽ la peinture ˆ lÕAcadŽmie de San Carlos aux c™tŽs de Bernardo Ferr‡ndiz
(1835-1885), Francisco Domingo MarquŽs (1842-1920) et Antonio Mu–oz
Degrain (1840-1924) avant dÕentreprendre des Žtudes de chimie et dÕintroduire ˆ
Valence les techniques photographiques les plus rŽcentes.4 En 1878, il recherche
un jeune peintre assez minutieux pour dŽcorer et rehausser ses portraits et Sorolla
est recommandŽ par ses deux amis. Au contact de la photographie, il dŽveloppe
ses qualitŽs visuelles et son sens de la composition. Les premiers biographes du
peintre Žvoqueront cet apprentissage comme une anecdote ; pourtant, il sÕagit
certainement dÕune des Žtapes les plus dŽcisives de sa formation car lÕinfluence de
la photographie sur sa peinture est dÕautant plus prŽgnante chez un peintre ‰gŽ de
quinze ans seulement.
En juin 1884, ˆ la fin de son cursus, il dŽcroche ˆ vingt-et-un ans un prix
assorti dÕune bourse dՎtude. Cette rŽcompense acadŽmique lui permet de
poursuivre sa formation artistique ˆ lÕAcadŽmie Espagnole de Rome ˆ compter de
lÕannŽe suivante et pour trois annŽes civiles : 1885, 1886 et 1887. LÕAcadŽmie de
San Carlos organise un ÒPrix de RomeÓ local, dont les allocations sont financŽes
par les autoritŽs dŽpartementales.5 Ce qui existe ˆ Valence depuis 1863 dŽcoule
dÕune tradition franaise nŽe deux sicles plus t™t sous Louis XIV, en 1663, et qui
essaima dans toute lÕEurope. Le Prix de Rome Žtait destinŽ ˆ offrir aux artistes les
plus mŽritants les moyens dÕapprofondir leur connaissance de lÕart dans la ville
Žternelle, au contact direct des chefs-dÕÏuvre de lÕAntiquitŽ et de la Renaissance.
Les pensions Žtaient financŽes par le roi de France. Au XVIIIe sicle, le modle
fut copiŽ en Espagne sous le rgne de Charles III. En 1746, des Òpensionnaires du
roiÓ, formŽs ˆ lÕAcadŽmie Royale des Beaux-Arts de San Fernando, sŽjournaient
en Italie aux frais de lՃtat. Celui-ci disposera seulement ˆ partir de 1873 dÕune
Žcole, lÕAcadŽmie Espagnole de Rome sur la colline du Janicule, suivant
lÕexemple de la Villa MŽdicis qui hŽbergait depuis 1803 lÕAcadŽmie de France.
Mais ˆ la fin du XIXe sicle, la capitale italienne ne rŽpond plus aux aspirations
des jeunes artistes car tous les courants artistiques Žmergent, se dŽveloppent et se
4.
5.
Vicente Vidal Corella, ÒLa casa del fot—grafo Antonio Garc’a. Donde Sorolla fue
retocador de retratosÓ, Las Provincias, Valence, 20/08/1961.
Arturo Zabala, ÒJoaqu’n Sorolla, pensionado en RomaÓ in Un siglo de arte valenciano,
exposiciones conmemorativas de las pensiones de Bellas Artes de la Diputaci—n
provincial. IV. Sorolla, Valence, Diputaci—n Provincial de Valencia, 1965, pages 1-19.
I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901
35
diffusent ˆ Paris et ˆ Vienne, nouvelles capitales artistiques et sŽjours des
peintres.
Ë peine est-il arrivŽ ˆ Rome que Sorolla se rend dŽjˆ ˆ Paris ˆ lÕoccasion
dÕun voyage effectuŽ avec un compagnon franco-espagnol rencontrŽ dans la ville
Žternelle, Pedro Gil Moreno de Mora (1856-1930). Il visite pour la premire fois
le ÒSalonÓ ou ÒSalon de la SociŽtŽ des Artistes FranaisÓ. Sur place, il dŽcouvre
deux ma”tres de la peinture de Òplein airÓ en visitant une exposition posthume
consacrŽe ˆ lÕÏuvre du Franais Jules Bastien-Lepage (1848-1884) ˆ lÕH™tel de
Chimay, et une exposition de tableaux de lÕAllemand Adolf Menzel (1815-1905)
installŽe aux Tuileries. De sa dŽcouverte de Paris, Sorolla dira plus tard : Ç All’ se
pintaban cosas vistas. È6, une petite phrase qui fait implicitement allusion ˆ la
peinture historique enseignŽe ˆ Rome et dans toutes les Žcoles des Beaux-Arts
dÕEspagne. Pour le paysagiste et historien de lÕart Aureliano de Beruete, un des
premiers biographes du Valencien, Ç [É] abri— Sorolla sus ojos por vez primera
al movimiento iniciado entonces en la pintura moderna. È7
De lՃcole des Artisans de Valence ˆ lÕAcadŽmie Espagnole de Rome, le
garon franchit toutes les Žtapes dÕune formation acadŽmique orientŽe vers
lÕExposition Nationale, participant pour la premire fois ˆ ce concours en 1881,
ainsi quÕon le verra plus avant. Il constitue son premier envoi vers un Salon
Žtranger en 1891, ˆ lÕexposition internationale de Berlin et, jusquÕen 1901, il
envoie rŽgulirement ses tableaux vers dÕautres Salons de peinture en Europe.
Durant la pŽriode 1881-1901, il prŽsente au total un peu plus dÕune centaine de
tableaux, en Espagne et ˆ lՎtranger. En moyenne, cela reprŽsente ˆ peine plus de
cinq tableaux par an. Si lÕon ramne ce chiffre aux quatre cent quatre-vingt dix
sept tableaux dŽvoilŽs ˆ lÕoccasion de sa premire exposition individuelle, en
1906, il est presque cent fois infŽrieur ! Pour comprendre cet Žcart, il faut rappeler
que les concours de peinture sont pŽriodiques, gŽnŽralement annuels ou biennaux,
et que le nombre des toiles admises par envoi est strictement rŽglementŽ. On saisit
alors mieux cette observation de Blanca Pons-Sorolla qui Žvoque, dans une
monographie rŽcente, la lenteur avec laquelle les tableaux de son a•eul sont
6.
7.
El Duende de la Colegiata (Abelardo Fern‡ndez Arias y L—pez) ÒSorollaÓ, Por Esos
Mundos, Madrid, [1913]. Ç Lˆ-bas, on peignait des choses vues. È
Aureliano de Beruete, ÒJoaqu’n SorollaÓ, Hispania, Madrid, 15/06/1901. Ç Sorolla posa
pour la premire fois ses yeux sur le mouvement enclenchŽ alors dans la peinture
moderne. È
I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901
36
prŽsentŽs au public durant cette pŽriode : Ç Hasta este momento [1906] nunca se
hab’an visto m‡s de seis obras juntas en una misma exposici—n internacional, y
entre las nacionales, s—lo en la de Madrid de 1901, se hab’an podido ver reunidas
diecisŽis. È8
Parmi les tableaux prŽsentŽs avant 1902, tous ne bŽnŽficient pas de la mme
audience. Alors que certains passent compltement inaperus, dÕautres, ˆ
lÕinverse, sont distinguŽs par un ou plusieurs prix et deviennent, en quelque sorte,
des tableaux cŽlbres. CÕest le cas de onze rŽalisations : El dos de mayo, 1884.
Boulevard de Par’s, 1890. Rogaciones en Burgos en el siglo XVI, 1892. ÁOtra
Margarita!, 1892. El beso de la reliquia, 1893. La vuelta de la pesca, 1894. ÁAœn
dicen que el pescado es caro!, 1894. Pescadores valencianos, 1895. La bendici—n
de la barca, 1895. Cosiendo la vela, 1896 et Triste herencia, 1899.9 Presque tous
bŽnŽficient, ˆ leur Žpoque, dÕun excellent accueil dans les journaux et sont
reproduits dans la presse illustrŽe. Dans lÕouvrage de Rafael DomŽnech, Sorolla.
Su vida y su arte (1910), qui est la premire monographie ŽditŽe et vendue
8.
9.
Blanca Pons-Sorolla, Joaqu’n Sorolla. Vida y obra, Madrid, Fahah, 2001, page 217.
Ç Jusque-lˆ [1906], jamais plus de six Ïuvres nÕavaient ŽtŽ rŽunies dans une seule
exposition internationale et, parmi les expositions nationales, on avait put en voir seize
lors de celle 1901, ˆ Madrid. È
El dos de mayo, 400x580, 1884, MŽdaille de Deuxime Classe, Exposition Nationale des
Beaux-Arts (Madrid, 1884).
Boulevard de Par’s, 80x160, 1890, MŽdaille de Deuxime Classe, Exposition Nationale
des Beaux-Arts (Madrid, 1890).
Rogaciones en Burgos en el siglo XVI, 1892, MŽdaille dÕOr de Deuxime Classe,
Exposition Internationale (Munich, 1892).
ÁOtra Margarita!, 129x198, 1892, MŽdaille de Premire Classe, Exposition Nationale des
Beaux-Arts (Madrid, 1892) / Premier Prix, Exposition Internationale (Chicago, 1893).
El beso de la reliquia, 103x125, 1893, MŽdaille de Troisime Classe, Salon de la SociŽtŽ
des Artistes Franais (Paris, 1893) / MŽdaille de Deuxime Classe, Exposition
Internationale (Vienne, 1894) / Premier Prix, Exposition dÕArt (Bilbao, 1894). AchetŽ par
le MusŽe des Beaux-Arts de Bilbao.
La vuelta de la pesca, 265x325, 1894, Premire MŽdaille dÕOr de Deuxime Classe,
Salon de la SociŽtŽ des Artistes Franais (Paris, 1895). AchetŽ par lՃtat franais.
ÁAœn dicen que el pescado es caro!, 151x204, 1894, MŽdaille de Premire Classe,
Exposition Nationale des Beaux-Arts (Madrid, 1895). AchetŽ par lՃtat espagnol.
Pescadores valencianos, 65x87, 1895, MŽdaille dÕOr, Exposition Internationale (Berlin,
1896). AchetŽ par la Galerie Nationale de Berlin.
La bendici—n de la barca, 50x71, 1895, MŽdaille dÕOr, Salon de la SociŽtŽ des Artistes
Franais (Paris, 1896) / Prix de Venise, Exposition Biennale Internationale (Venise,
1897).
Cosiendo la vela, 220x302, 1896, MŽdaille dÕOr, Exposition Internationale (Munich,
1897) / Grande MŽdaille de lՃtat Autrichien (Vienne, 1898). AchetŽ par le MusŽe dÕArt
Moderne de Venise.
Triste herencia, 210x285, 1899, Grand Prix de Peinture, Exposition Universelle (Paris,
1900) et MŽdaille dÕHonneur, Exposition Nationale des Beaux-Arts (Madrid, 1901).
I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901
37
sŽparŽment, aucun ne manque.10 Ce groupe des onze sert de base aux premires
interprŽtations, tout simplement parce que les observateurs le connaissent trs
bien. Il y a dans ce lot une peinture dÕhistoire, un paysage urbain ҈ la franaiseÓ,
trois peintures sociales, et le reste est compris dans le vaste courant naturaliste
hŽritier de la peinture de Bastien-Lepage, ainsi quÕon le verra par la suite. Si la
gamme des genres reprŽsentŽs est aussi contenue cÕest parce que les critres
dÕadmission des Salons officiels sont trs stricts et que, pour le candidat,
contrevenir au gožt du moment revient ˆ ruiner toute chance de rŽussir. CÕest
donc ˆ travers un prisme trs rŽduit que la personnalitŽ artistique de Sorolla est
dissŽquŽe et prŽsentŽe au lecteur de la presse, en cette fin de XIXme sicle et au
moins jusquÕen 1902.
Force est de constater que seuls les initiŽs connaissent aujourdÕhui ces onze
tableaux qui se trouvent actuellement tant™t remisŽs, tant™t exposŽs dans les salles
les plus confidentielles des musŽes qui les hŽbergent car, aujourdÕhui, ils
nÕintŽressent plus. On verra plus loin que, dŽsormais, le grand public conna”t ce
peintre essentiellement ˆ travers son Ïuvre tardive, cÕest-ˆ-dire au moins
postŽrieure ˆ 1901. Pour cette raison, le grand public serait certainement dŽroutŽ
devant ces tableaux ˆ concours dont la facture obŽissait aux modes du moment.
Cette rgle nÕest pas propre ˆ Sorolla mais sÕapplique ˆ tous les peintres de cette
Žpoque tant lՎvolution des codes picturaux est fulgurante entre 1890 et 1910. Il
faut se souvenir, comme un exemple assez parlant, que dans lÕÏuvre de Pablo
Ruiz Picasso (1881-1973), une dŽcennie seulement sŽpare Ciencia y Caridad
(1897) et Les demoiselles dÕAvignon (1907) cÕest-ˆ-dire le rŽalisme social et le
cubisme.11
De 1881 ˆ 1901, Sorolla participe invariablement ˆ chacune des neuf
Žditions de lÕExposition Nationale espagnole en 1881, 1884, 1887, 1890, 1892,
1895, 1897, 1899 et 1901. CÕest la raison pour laquelle son parcours est trs bien
documentŽ dans la presse madrilne dans tous les titres phares du moment : La
Ilustraci—n Espa–ola y Americana (1869), El Imparcial (1867), El Pa’s (1887),
Heraldo de Madrid (1890), Blanco y Negro (1891), etc. La crŽation du concours
gŽnŽral des Beaux-Arts, en 1856, a engendrŽ toute une gŽnŽration de critiques
10.
11.
Rafael DomŽnech, Sorolla. Su vida y su arte, Madrid, Leoncio Miguel, 1910.
Pablo Picasso, Ciencia y Caridad, 197x249Õ5, Barcelone, MusŽe Picasso, 1897 et Les
demoiselles dÕAvignon, 243Õ9x233Õ7, New York, Museum of Modern Art, 1907.
I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901
38
dÕart dont on peut citer Isidoro Fern‡ndez Fl—rez (1840-1902), qui Žcrit sous le
pseudonyme ÒFernanflorÓ, Francisco Alc‡ntara (1854-1930) ou encore Mariano
de Cav’a (1855-1920). Tous ont couvert les dŽbuts du jeune homme venu de
Valence.
Le garon nÕa pas encore dix-huit ans et ne possde que la seule expŽrience
des expositions rŽgionales organisŽes ˆ Valence quand il se rend pour la premire
fois ˆ Madrid pour prŽsenter trois marines, Veleros en el mar, Escena de puerto et
Barcos en el puerto con fondo de edificios, qui passent inaperues.12 Lors de
lՎdition de 1884, il prŽsente un grand format historique intitulŽ, comme le chefdÕÏuvre de Goya, El dos de mayo. Defensa del Parque de Artiller’a de Madrid el
d’a del 2 de mayo de 1808.13 Avec cet envoi, il obtient ˆ vingt-et-un ans une
brillante et prometteuse MŽdaille de Seconde Classe. SÕil nÕy a pas de coupures
antŽrieures ˆ 1887 dans la collection de presse du MusŽe Sorolla, cela ne veut pas
dire pour autant que lՎvŽnement passe inaperu puisque deux revues illustrŽes La
Ilustraci—n Espa–ola y Americana, ˆ Madrid, et La Ilustraci—n IbŽrica, ˆ
Barcelone, couvrent le succs du jeune homme.14 Trois ans plus tard, il prŽpare
depuis Rome un sujet biblique, El entierro de Cristo. Mais cette toile aux
dimensions monumentales ne lui vaut quÕune Mention Honorifique, synonyme
dՎchec. Fernanflor en fait une critique acerbe dans laquelle il moque la
composition du tableau en considŽrant que, au lieu de reprŽsenter lÕenterrement
du Christ, le jeune homme a peint lÕheure durant laquelle il avait ŽtŽ enterrŽ : Ç El
se–or Sorolla, pues, ha hecho lo que muchos otros autores de esta Exposici—n;
creyendo hacer un cuadro, ha hecho un pa’s, cosa m‡s f‡cil, aunque sea dif’cil
siempre. Ha pintado no el entierro de Cristo, sino la hora que le enterraron. È15
HumiliŽ et dŽcouragŽ, il dŽtruit son tableau avant de repartir pour lÕItalie. Le
12.
13.
14.
15.
Barcos en puerto con fondo de edificios, 25x40, Valence, Museo de Bellas Artes, 1880.
Escena de puerto, 45x78, Madrid, MS,1880.
Veleros en el mar, non localisŽ.
El dos de mayo ou Defensa del Parque de Artiller’a de Madrid el d’a del 2 de mayo de
1808, 400x580, Madrid, Museo Nacional del Prado, 1884 et El entierro de Cristo,
430x685, Madrid, fragments conservŽs au MusŽe Sorolla, 1887.
Fernanflor, ÒExposici—n de Bellas Artes. Cuadros hist—ricosÓ, La Ilustraci—n Espa–ola y
Americana, Madrid, 22/06/1884 et Manuel Pl‡ y Valor, ÒExposici—n Nacional de Bellas
Artes de 1884Ó, La Ilustraci—n IbŽrica, Barcelone, 5/07/1884.
Fernanflor, ÒExposici—n Nacional de Bellas ArtesÓ, La Ilustraci—n Espa–ola y Americana,
Madrid, 8/07/1887. Ç Monsieur Sorolla, disais-je, a commis la mme erreur que beaucoup
dÕautres peintres de cette exposition ; en pensant faire un tableau, il a fait un pays, ce qui
est plus facile, bien que cela soit toujours difficile. Il nÕa pas peint lÕenterrement du
Christ, mais lÕheure durant laquelle on lÕa enterrŽ. È
I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901
39
rŽcent film Cartas de Sorolla reconstitue ce moment marquant de la vie et de la
carrire du peintre.16 Il est alors ‰gŽ de vingt-quatre ans. De cette grande toile,
quatre fragments sont conservŽs au MusŽe Sorolla.17 Une Žbauche de lÕensemble
fait aussi partie de la collection.18 De mme, lÕinstitution madrilne conserve une
photographie ancienne du tableau ainsi que des photographies de lÕatelier de
Pedro Gil Moreno de Mora, ˆ Rome, dans lequel le tableau Žtait entreposŽ avant
dՐtre envoyŽ en Espagne.
LՃtat espagnol, reprŽsentŽ par ses institutions des Beaux-Arts, rŽserve ses
premiers prix ˆ la peinture dÕhistoire, le Ògenre par excellenceÓ.19 Des
acadŽmiciens Žlus composent le jury du concours depuis sa crŽation, ainsi que le
prŽvoit lÕarticle III du rglement publiŽ le 13 mai 1854 dans la Gaceta de
Madrid.20 La fortune artistique dÕun peintre espagnol Žtait donc nŽcessairement
liŽe ˆ ce genre, au moins jusque dans les annŽes 1889-1890. Ë cette Žpoque, les
frres Luis (1845-1928) et JosŽ (1837-1903) JimŽnez Aranda importent de France
une peinture de la ÒdŽnonciation socialeÓ. Sous des titres sentencieux, elle met en
scne des histoires sombres, inspirŽes ou directement tirŽes des faits divers des
journaux tels que des Žmeutes, des grves, des scnes de mendicitŽ, etc. En
Espagne, ce courant sÕinscrit dans une pŽriode dÕexpansion et dÕorganisation du
mouvement ouvrier ˆ partir de la fondation de la FŽdŽration Espagnole de lÕAIT
en 1870, du Parti Socialiste en 1879 et de lÕUnion GŽnŽrale des Travailleurs en
1888. De mme, la publication, en 1891, de lÕencyclique de LŽon XIII Rerum
novarum Ð des choses nouvelles Ð engage lՃglise dans une rŽflexion sociale. En
Espagne, le genre pictural donne lieu ˆ une mode ŽphŽmre qui, bien quÕelle
prenne fin au tournant du nouveau sicle, opre la transition entre une peinture de
sujets historiques et une peinture de Òsujets contemporainsÓ.
Aprs son Žchec de 1887, Sorolla a regagnŽ Rome puis, fuyant une
ŽpidŽmie, il se rŽfugie ˆ Assise, chez le peintre valencien JosŽ Benlliure (18551937). Il obtient lÕannŽe suivante la prorogation de sa pension romaine dÕune
annŽe supplŽmentaire et Žpouse, au mois de septembre 1888, Clotilde Garc’a del
16.
17.
18.
19.
20.
Cartas de Sorolla, 15:25 ˆ 18:10.
Florencio de Santa-Ana, Cat‡logo de pintura del Museo Sorolla, Madrid, Ministre de la
Culture, 2009, pages 54-55.
Estudio para ÒEl entierro de CristoÓ, 63Õ5x100, Madrid, MS, 1886-1887.
Jesœs GutiŽrrez Bur—n, Exposiciones Nacionales de Bellas Artes, Madrid, Historia 16,
1992, page 22.
Reglamento para la Exposici—n Nacional de Bellas Artes, Madrid, Imprenta del Colegio
Nacional de Sordomudos y de ciegos, 1860.
I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901
40
Castillo, la fille du photographe Antonio Garc’a y Peris. Cette famille fait partie
de la bourgeoisie commerante de la ville. Sorolla, dont les origines sont
modestes, conna”t alors une certaine ascension sociale. Le jeune couple vit
quelque temps ˆ Assise, avant de regagner dŽfinitivement lÕEspagne. En quittant
lÕItalie, en juin 1889, Sorolla et son Žpouse prennent le chemin de Paris ce qui
permet ˆ notre peintre de visiter les pavillons nationaux de lÕExposition
Universelle. Il dŽcouvre sur place les tableaux de ses compatriotes parmi lesquels
figure La visita al hospital de Luis JimŽnez Aranda.21 Avec cette toile, le peintre
sŽvillan, alors quasiment inconnu, remporte le Grand Prix de peinture au nez et ˆ
la barbe dÕun ma”tre, Francisco Pradilla, qui prŽsente pourtant La rendici—n de
Granada.22 Bien que dÕexcellente facture, ce tableau historique appartient ˆ un
genre dŽpassŽ en France.
Ë Madrid, le signal envoyŽ de Paris a des consŽquences immŽdiates sur
lÕExposition Nationale de 1890. JosŽ JimŽnez Aranda, le frre du prŽcŽdent,
dŽcroche une Premire MŽdaille avec Una desgracia, un tableau qui met en scne
le sort tragique dÕun maon tombŽ dÕun Žchafaudage.23 Aranda choisit un sujet qui
fait Žcho ˆ la tradition nationale. En effet, le MusŽe du Prado expose dans ses
salles El alba–il herido, un carton de Goya qui pourrait tre la premire Ïuvre
espagnole du genre.24 Sorolla, quant ˆ lui, obtient une MŽdaille de Seconde Classe
avec Boulevard de Par’s, une scne de vie quotidienne dans la veine du paysage
urbain cultivŽ par les Impressionnistes franais, notamment Gustave Caillebotte
(1848-1894) et Edgard Degas (1834-1917). Le concours madrilne nÕest pas
coutumier de ce genre de sujet qui doit appara”tre, aux yeux du jury, comme un
tŽmoignage de son admiration pour le voisin franais. Sorolla justifiera plus
tard ce choix en expliquant que lÕeffervescence dÕun boulevard parisien
constituait, selon lui, un sujet rŽsolument naturaliste : Ç EstudiŽ en Par’s; y aquel
tono abigarrado logrado con la policrom’a del boulevard me hizo concebir tal
cuadro, ya francamente naturalista y al cual procurŽ llevar la vida que ve’a. È25
21.
22.
23.
24.
25.
La visita al hospital, 291x441, Madrid, MusŽe National du Prado, 1889.
Francisco Pradilla, La rendici—n de Granada, 300x550, Madrid, Palais du SŽnat, 1882.
Una desgracia, 108x156, Cadix, Collection particulire, 1890.
Francisco de Goya, El alba–il herido, 268x110, Madrid, MusŽe National du Prado, 17861787.
Petronio, ÒLos grandes artistas espa–oles : Joaqu’n SorollaÓ, Onuba, Huelva, 30/09/1915.
Ç JÕai travaillŽ ˆ Paris ; et cette palette chamarrŽe, fruit de la policromie du boulevard, me
fit concevoir un tel tableau, dŽjˆ rŽsolumment naturaliste et dans lequel jÕessayai de
rendre compte de la vie que jÕobservais. È
I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901
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Malheureusement, Boulevard de Par’s est aujourdÕhui perdu. Il prouve que le
Valencien anticipe alors deux Žvolutions majeures : dÕune part, que les canons
Žtablis allaient changer et, dÕautre part, que le concours national Žtait sur le point
de sÕouvrir ˆ lÕinfluence du Salon de la SociŽtŽ des Artistes Franais. Sorolla
entend rŽussir depuis Madrid, et cÕest dans cette ville quÕil vient dÕinstaller sa
famille, au dŽbut de lÕannŽe. Plus tard, la presse valencienne lui demandera de
justifier ce choix et il expliquera que Madrid Žtait la seule ville ˆ partir de laquelle
il pouvait prŽtendre ˆ un destin national. Plusieurs raisons ont provoquŽ la dŽroute
dÕEl entierro de Cristo, ainsi quÕon le verra, et lÕune dÕentre elles tenait ˆ
lՎloignement gŽographique du pensionnaire de lÕAcadŽmie Espagnole de Rome.
Dans son choix dՎtablir sa famille ˆ Madrid, cette mauvaise expŽrience compte
certainement.
Le genre social nouvellement introduit conna”t son apogŽe lors de lՎdition
de 1892 mme si, quatrime centenaire de la DŽcouverte de lÕAmŽrique oblige,
JosŽ Garnelo (1866-1944) obtient une MŽdaille de Premire Classe avec Primer
homenaje a Col—n qui est le tableau le plus remarquŽ de cette Ždition26. Le
souvenir de la rŽussite dÕAranda a conduit Sorolla ˆ adhŽrer au courant social et il
saisit ainsi lÕopportunitŽ de se dŽtourner dŽfinitivement des sujets historiques. Il
prŽsente donc son premier tableau ˆ thseÓ, ÁOtra Margarita!, lÕimage dÕune mre
infanticide conduite sur le lieu de son exŽcution. Avec cette toile ad hoc, il
dŽcroche ˆ vingt-neuf ans une MŽdaille de Premire Classe quÕil reoit sans
effusion de joie comme si lՎchec dÕEl entierro de Cristo Žtait encore bien prŽsent
dans son esprit. CÕest ce que laisse entendre cette lettre quÕil adresse ˆ son Žpouse
le 1er dŽcembre : Ç Como ya sabr‡s se ha confirmado en la votaci—n en pleno la
primera medalla a mi cuadro ÒMargaritaÓ, de feliz memoria; es la œnica que se
aprob— por unanimidad; se dan muchos premios, pero eso no vale nada desde el
momento que los premios no hacen buenos pintores (sino lo contrario). Yo como
ya hab’a consumido la cantidad de deseo de tenerla, lo he recibido sin
impresi—n. È27 LÕExposition Nationale de 1892 passe ˆ la postŽritŽ comme
26.
27.
JosŽ Garnelo, Primer homenaje a Col—n, 300x600, Madrid, MusŽe Naval, 1892.
Blanca Pons-Sorolla et V’ctor Lorente Sorolla, Epistolarios de Joaqu’n Sorolla, III.
Correspondencia con Clotilde Garc’a del Castillo (1891-1911), Barcelone, Anthropos,
2009, page 54. Ç Comme tu le sais peut-tre dŽjˆ, la premire mŽdaille votŽe en sŽance
plŽnire en faveur de mon tableau ÒMargaritaÓ, dÕheureuse mŽmoire, a ŽtŽ confirmŽe, ce
fut la seule ˆ avoir ŽtŽ decernŽe ˆ lÕunanimitŽ ; beaucoup de prix sont distribuŽs, mais cela
ne vaut rien Žtant donnŽ que les prix ne font pas les bons peintres (bien au contraire).
I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901
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lՎdition sociale par excellence car la mme rŽcompense revient au peintre
madrilne Vicente Cutanda (1850-1925) pour son tableau Una huelga de mineros
en Vizcaya et au Valencien Francisco Javier AmŽrigo (1842-1912) pour El
derecho de Asilo.28 LՃtat nÕachte pas ÁOtra Margarita! si bien que le Valencien
lÕenvoie ˆ lÕExposition Universelle de 1893, qui se tient ˆ Chicago, et remporte un
Premier Prix.29 Le maire de Saint Louis, Charles Nagel (1849-1940), en fait
lÕacquisition, ce qui explique que le tableau soit aujourdÕhui conservŽ outreAtlantique.
En dŽpit des rŽcompenses obtenues avec ÁOtra Margarita!, le Valencien
demeure, ˆ trente ans, peu connu du grand public espagnol et compltement
inconnu en Europe car il lui manque un premier succs parisien. Cependant, une
coupure de presse de 1894 prouve quÕil est en train de conquŽrir, dans son pays,
un dŽbut de notoriŽtŽ. En effet, le caricaturiste ˆ succs Ram—n Cilla (1859-1937)
croque ses traits pour le journal Blanco y Negro.30 Une autre caricature est publiŽe
le 25 mai 1895 dans le journal satirique Madrid C—mico. Ce comentaire
accompagne le dessin : Ç ÀQuŽ mis retratos no salen baratos? ÁEs natural! ÁPues si
los m‡s de ellos valen doble que el original! È31 cÕest-ˆ-dire Ç Mes portraits ne
sont pas abordables ? Cela va de soi ! Puisque la plupart dÕentre eux valent deux
fois lÕoriginal ! È Outre lÕallusion peu flatteuse ˆ lÕendroit des riches clients du
peintre, le propos souligne sa ÒcoteÓ ŽlevŽe sur le marchŽ madrilne. Son envoi ˆ
lÕExposition Nationale comprenait dix portraits de sociŽtŽ, cÕest-ˆ-dire ceux des
peintres Aurelio Portillo (inc.-inc.) et JosŽ Moreno Carbonero (1858-1942), de
lÕarchitecte FŽlix de la Torre Egu’a (inc.-inc.), Laura Hern‡ndez (inc.-inc.),
Manuel de la Torre (inc.-inc.), Francisco Zab‡lburu (inc.-inc.), Mar’a del Carmen
Zab‡lburu y Mazarredo (inc.-inc.), Mademoiselle Barrios (inc.-inc.), comtesse de
Santiago, et sa disciple franaise Nicolle Houcelist (inc.-inc).32
28.
29.
30.
31.
32.
Dans mon cas, comme jÕavais consumŽ toute envie de lÕobtenir, je lÕai reu sans aucune
impression. È
Vicente Cutanda, Una huelga de mineros en Vizcaya, 275x550, Madrid, Ministre du
Travail, 1892 et Francisco Javier AmŽrig—, El derecho de Asilo, 340x540, XŽrs de la
Frontera, Collge Cervantes, 1892.
Priscilla E. Muller, ÒSorolla y AmŽricaÓ in Joaqu’n Sorolla, Londres, Philip Wilson,
1989, pages 55-73.
Ram—n Cilla, ÒDoce del C’rculoÓ, Blanco y Negro, Madrid, 29/12/1894.
Ram—n Cilla, ÒInstant‡neas. Joaqu’n SorollaÓ, Madrid C—mico, Madrid, 25/05/1895.
Figure n¡1. InstantanŽs. Joaqu’n Sorolla (1895).
Blanca Pons-Sorolla, Joaqu’n Sorolla. Vida y obra, Madrid, Fahah, 2001, page 139.
I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901
43
Sžr de lÕengouement pour le genre social, Sorolla prŽsente au concours ÁY
aœn dicen que el pescado es caro!, une toile reprŽsentant un jeune garon blessŽ ˆ
la poitrine, agonisant dans la cale dÕun bateau de pche.33 Alors que les portraits
sont froidement accueillis, il rŽussit nŽanmoins ˆ sÕimposer avec ÁY aœn dicen que
el pescado es caro!34 LՃtat espagnol en fait, cette fois, lÕacquisition pour la
collection du MusŽe dÕArt Moderne de Madrid. CÕest le premier et le seul de ses
tableaux ˆ rejoindre les collections nationales par une acquisition dՃtat. Pour
lÕoccasion, La Ilustraci—n Espa–ola en publie une photogravure en grand
format.35 ÁY aœn dicen que el pescado es caro! intgre des ŽlŽments du
naturalisme du Lorrain Jules Bastien-Lepage (1848-1884), un peintre que Sorolla
avait dŽcouvert en France lors de son premier voyage. Le Franais avait rŽussi ˆ
concilier la tradition, quÕil avait apprise dans lÕatelier dÕAlexandre Cabanel (18231889), avec lÕapport des peintres de Òplein airÓ, de lՃcole de Barbizon aux
Impressionnistes. Pour cette raison, le critique espagnol Bernardino de Pantorba
lui donne ce surnom pompeux : Òel armonizadorÓ.36 Dans ses tableaux, les figures
rigoureusement dessinŽe se dŽcoupent sur un fond de nature champtre ciselŽ de
petites touches de couleurs. Ce compromis entre lÕacadŽmisme et le naturalisme
ouvre une sorte de Òtroisime voieÓ qui, au cours de la dernire dŽcennie du
sicle, conna”t un engouement extraordinaire chez les peintres franais car elle
leur offre la possibilitŽ de sÕaffranchir de la tradition sans toutefois rompre avec
elle. Ils prŽservent ainsi leurs chances de rŽussir au Salon. Parmi ces peintres, on
peut citer LŽon Lhermitte (1844-1925), Alfred-Philippe Roll (1846-1919) Pascal
Adolphe Jean Dagnan-Bouveret (1852-1929), ƒmile Friant (1863-1932), etc.,
auxquels il faut ajouter de trs nombreux peintres Žtrangers comme le SuŽdois
Hugo
Salmson
(1843-1894),
le
Tchque
V‡clav
Bro!’k
(1851-1901),
le Britannique George Clausen (1852-1944), ou encore le Hongrois Istv‡n Cs—k
(1865-1961) et beaucoup dÕautres.37 Cette peinture champtre, qui retient sur la
toile une France en train de dispara”tre, puise ses sujets dans le monde paysan, ses
33.
34.
35.
36.
37.
Otra Margarita, 129Õ5x198, Saint Louis (Missouri), Washington Gallery of Art, 1892.
ÁAœn dicen que el pescado es caro!, 151x204, Madrid, MusŽe National du Prado, 1894,
S. C., ÒSorolla y sus retratosÓ, Nuevo Mundo, Madrid, 6/06/1895.
Anonyme, ÒÁAœn dicen que el pescado es caro!Ó, La Ilustraci—n Espa–ola, Madrid,
22/09/1895.
Bernardino de Pantorba, Joaqu’n Sorolla, Madrid, Figuras de la Raza n¡20, 1927, page
32.
Emmanuelle Amiot-Saulnier, ÒLÕinfluence de Jules Bastien-Lepage : Un passage vers la
modernitŽÓ in Jules Bastien-Lepage, Paris, MusŽe dÕOrsay, 2007, pages 60-69.
I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901
44
traditions, son mode de vie, ses pratiques religieuses, etc. CÕest sur cette voie que
Sorolla engage sa peinture, de La vuelta de la pesca, en 1894, ˆ Sol de la tarde, en
1903.38
Il adapte le courant venu de la terre aux spŽcificitŽs de la mer en mettant en
scne la vie des pcheurs de Valence. La vuelta de la pesca reprŽsente le halage
dÕun bateau de pche sur la plage par deux puissants bovins. Pour ce tableau, le
peintre rŽalise de nombreuses Žtudes peintes, dont deux de lÕensemble. Il sÕattache
particulirement ˆ rendre les lumires naturelles sur la surface de lÕeau et sur la
voile gonflŽe par le vent. Ce tableau longuement mžri est dŽvoilŽ ˆ Paris au Salon
de 1895 dont il est une des Ïuvres majeures. La critique franaise remarque cet
envoi parmi dix-neuf mille cent soixante toiles accrochŽes au Palais de
lÕIndustrie ! Ce chiffre ˆ peine croyable donne ˆ lui seul une idŽe de lÕexploit
accompli par lÕEspagnol. Dans Le Figaro, le journaliste Charles Yriarte (18321898) tient le tableau pour le meilleur de lÕexposition. Une partie de son article est
traduite et para”t le deux mai dans le journal La Iberia.39 La bonne rŽception de La
vuelta de la pesca est confirmŽe par la sanction du jury qui lui dŽcerne une
MŽdaille de Seconde Classe aprs lÕavoir pressenti pour une MŽdaille de Premire
Classe ˆ laquelle il ne peut pas prŽtendre en tant quÕenvoi non franais.
LÕEspagnol vient dÕobtenir son premier grand succs ˆ lՎtranger car le Salon de
la SociŽtŽ des Artistes Franais est, ˆ cette Žpoque, le concours de rŽfŽrence.
Par ailleurs, aucun peintre espagnol nÕy a atteint un tel niveau depuis
Federico de Madrazo y Kuntz (1815-1894), qui avait obtenu la mme rŽcompense
en 1838 avec une peinture dÕhistoire. Luis Bonafoux ne se trompe donc pas en
affirmant : Ç [É] la gran ciudad habla actualmente de Espa–a por lo que dej— de
hablar en medio siglo. È40 Le journaliste, critique littŽraire et Žcrivain nŽ en
France, a fondŽ deux journaux ˆ Madrid, El Espa–ol (1882) et El Intransigente
(1892). Il sera correspondant ˆ Paris du journal Heraldo de Madrid de 1902 ˆ
1906. Dans son article, il associe Sorolla ˆ lՎcrivain JosŽ Mar’a de Heredia
(1842-1905) qui est probablement, ˆ cette Žpoque, lÕEspagnol le plus connu dans
la capitale franaise. Comment ne pas mentionner, aussi, le nom de Mariano
38.
39.
40.
Sol de la tarde, 294x435, New York, HSA, 1903.
La vuelta de la pesca, 265x325, Paris, MusŽe dÕOrsay, 1894.
Charles Yriarte, Le Figaro et ÒUn cuadro de SorollaÓ, La Iberia, Madrid, 2/05/1895.
Luis Bonafoux, ÒSorolla-HerediaÓ, Heraldo de Madrid, Madrid, 2/06/1895. Ç La grande
ville parle actuellement de lÕEspagne pour tout ce quÕelle nÕen a rien dit depuis un demi
sicle. È
I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901
45
Fortuny y Marsal (1838-1874) qui, sans jamais participer au Salon, avait ŽtŽ le
dernier peintre espagnol ˆ avoir ÒconquisÓ le marchŽ parisien, dans la France du
Second Empire. Artiste virtuose, Fortuny y vend quantitŽ de toiles. Il faut ajouter,
avant de poursuivre que, non seulement lՃtat franais fait lÕacquisition du tableau
rŽcompensŽ, mais quÕil sÕagit, de surcro”t, de la premire Ïuvre espagnole ˆ entrer
ainsi dans les collections du MusŽe du Luxembourg, le premier musŽe des artistes
vivants.41 Il a rejoint depuis les salles du MusŽe dÕOrsay o il est un des rares
tableaux espagnols accrochŽs parmi lÕexposition permanente. LÕactuel catalogue
des peintures espagnoles de ce musŽe compte trente-neuf tableaux de vingt-et-un
peintres : Hermen Anglada-Camarasa (1871-1959), Federico Beltr‡n (1885-1949),
JosŽ Benlliure Ortiz (1884-1916), Aureliano de Beruete (1845-1912), Juan
Cardona (1877-1957), Mariano Fortuny y Madrazo (1871-1949), Leandro Ram—n
Garrido (1868-1909), Sebasti‡n Gessa y Arias (1840-1915), Manuel Gonz‡lez
MŽndez (1843-1909), Francisco Iturrino (1864-1924), Antonio de La Gandara
(1861-1917), Eugenio Lucas y Villamil (1841-1920), Enrique MŽlida y Alinari
(1834-1892), Francisco Oller y Cestero (1833-1917), AndrŽs ParladŽ y Heredia
(1859-1933), Pablo Picasso (1881-1973), Santiago Rusi–ol (1861-1931), Joaqu’n
Sorolla, Pablo de Uranga (1861-1934), Daniel Vierge (1851-1904) et Ignacio
Zuloaga (1870-1945).42 Comme une consŽquence logique de sa rŽussite
parisienne, la collection de presse du MusŽe Sorolla rend compte de la percŽe du
Valencien dans lÕespace mŽdiatique puisque lÕannŽe 1895 est le point de dŽpart de
la premire phase de haute intensitŽ critique.
Dans ce quÕil convient dÕappeler sa Òpeinture ˆ concoursÓ, La vuelta de la
pesca marque un changement de cap par rapport ˆ la pŽriode ŽcoulŽe. Si, jusquelˆ, celle-ci sÕest prudemment ajustŽe aux critres du jury de lÕExposition
Nationale, ce nÕest plus le cas de cette scne de mer baignŽe de lumire. En
revanche, elle peut lui ouvrir les portes dÕun concours moins conservateur comme
lÕest le Salon parisien qui Žtait organisŽ depuis 1881 par la SociŽtŽ des Artistes
Franais. LÕassociation avait ŽtŽ fondŽe par le rŽpublicain Jules Ferry (1832-1893)
41.
42.
Archives Nationales F21/4341. La base Arcade retrace la gense et l'histoire des Ïuvres
d'art, acquises, commandŽes ou gŽrŽes par l'ƒtat franais et les collectivitŽs territoriales
entre 1800 et 1969. Elle est librement accessible ˆ lÕadresse suivante :
http://www.culture.gouv.fr/documentation/arcade/pres.htm.
Annabelle Mathias, ÒCatalogue des peintures espagnoles du MusŽe dÕOrsayÓ in
LÕEspagne entre deux sicles de Zuloaga ˆ Picasso de Zuloaga ˆ Picasso, Paris,
Fundaci—n Mapfre & MusŽe de lÕOrangerie, 2011, pages 135-149.
I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901
46
pour perpŽtuer, sur un principe dÕouverture, lÕancien Salon de lÕAcadŽmie des
Beaux-Arts. Elle Žtait composŽe dÕartistes admis au moins une fois au concours
et, depuis 1891, son prŽsident est LŽon Bonnat (1833-1922). En prenant le chemin
de lÕEurope, Sorolla affiche une ambition nouvelle, mais il risque en mme temps
de perdre pied en Espagne. Et cÕest ce qui advient puisque, sÕil sÕimpose comme
un ma”tre incontournable dans les Salons europŽens, il renoue avec lՎchec dans
son pays en 1897 et en 1899.
La vuelta de la pesca est suivie dÕune sŽrie marine dont tous les sujets sont
puisŽs dans le monde de la pche. Pescadores valencianos (1895), La bendici—n
de la barca (1895) et Cosiendo la vela (1896) lui offrent cinq mŽdailles ˆ Paris,
Berlin, Venise, Munich et Vienne. Avec ces trois tableaux, Sorolla conquiert une
stature europŽenne. Avec le dernier, Cosiendo la vela, il rŽussit ˆ Berlin, en 1897
puis ˆ Vienne, en 1898, aprs quoi un musŽe de Venise en fait lÕacquisition.43 Les
reflets de la lumire solaire sur une voile ravaudŽe par un groupe de pcheurs
constitue le sujet principal de ce tableau Žminemment technique qui puise aux
sources de lÕImpressionnisme franais et des Macchiaolis italiens. Mais le tableau
ne pla”t pas en Espagne et est mme froidement accueilli, comme on le verra par
la suite. Ë Paris, Sorolla se fait conna”tre comme un peintre de la plage et il y est
plus prŽcisŽment associŽ ˆ une scne de halage dÕun bateau de pche quÕil dŽcline
dans plusieurs versions. LՎcrivain P’o Baroja rapporte dans ses mŽmoires quÕun
peintre basque Žtabli ˆ Paris lui avait demandŽ un jour le nom de ce peintre qui ne
peignait, disait-il, que des bÏufs.44
Pour briller ˆ nouveau ˆ Madrid, Sorolla renoue une dernire fois avec une
peinture du tragique, dÕinspiration littŽraire, dans un tableau intitulŽ Triste
herencia. LÕExposition Nationale de 1899 est imprŽgnŽe par le profond sentiment
dÕabattement qui suit la fin de la Guerre de Cuba de laquelle lÕEspagne sort
perdante et humilliŽe. Le peintre se conforme ˆ contrecÏur ˆ la noirceur de cette
Žpoque, ainsi quÕil le reconna”tra plus tard :
Hemos tenido en la pintura una Žpoca que pudiŽramos designar con el nombre de
Žpica, en la que todos nos dedic‡bamos casi exclusivamente a enterrar Reyes. Vino
despuŽs una sana corriente de naturalismo: el placer de vivirÉ Pero vino amargada
43.
44.
Cosiendo la vela, 220x302, Venise, MusŽe dÕArt Moderne CaÕPesaro, 1896.
P’o Baroja, Desde la œltima vuelta del camino: memorias. IV. Galer’a de tipos de la
Žpoca, Madrid, Biblioteca Nueva, 1982, pages 253-258.
I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901
47
por una oleada literaria negra [É] Esa manera pesimista de la literatura invadi—
tambiŽn el campo de mi arte.45
Sur la plage de Valence, il a observŽ les jeunes pensionnaires de lÕH™pital
San Juan de Dios. Ces enfants infirmes, aveugles ou boiteux, sortent le soir ˆ
lÕheure de leur bain de mer quotidien. Aprs avoir exŽcutŽ quelques pochades du
groupe, il tente dÕexploiter cette scne poignante en lui ajoutant une dimension
dramatique. La composition reoit dÕabord un titre Ždifiant, Los hijos del placer,
qui devient par la suite Triste herencia. Sur la toile, les corps blancs et chŽtifs se
dŽtachent lugubrement sur un fond de mer sombre et menaant. Avec ce tableau,
qui fait la synthse entre les deux genres avec lesquels il avait triomphŽ en
Espagne et ˆ lՎtranger, il obtient consŽcutivement les deux principales
rŽcompenses de sa carrire, cÕest-ˆ-dire le Grand Prix de lÕExposition Universelle,
en 1900, puis la MŽdaille dÕHonneur dŽcernŽe par le jury de lÕExposition
Nationale espagnole, en 1901. Cette dernire rŽcompense marque la fin de son
parcours acadŽmique mme si, aprs cette date, quelques-uns de ses tableaux
continuent ˆ figurer, ˆ titre honorifique, dans de prestigieuses expositions
internationales comme le Salon franais, jusquÕen 1909.
Au cours de la pŽriode que lÕon vient de parcourir, la peinture de Sorolla
Žpouse les contours de ces ÒtendancesÓ en vogue dans les concours des BeauxArts organisŽs ˆ Madrid, Paris, Vienne, Berlin, Venise, etc. LÕEspagnol triomphe
dÕabord avec la peinture ˆ thse, dont il comprend ˆ temps lÕintŽrt quÕelle va
Žveiller dans son pays ; mais il parvient ensuite ˆ se fondre dans un courant
naturaliste plus en accord avec ses qualitŽs de coloriste, qui lui permet de rŽussir ˆ
lՎtranger. Cependant, cette peinture lumineuse et dynamique quÕil Žlabore ˆ
partir de La vuelta de la pesca ne lui offre pas le moindre prix en Espagne ! Ironie
du sort, les observateurs franais reconnaissent dans ses tableaux lÕatmosphre
chaude et envožtante de sa terre natale que lui saurait exalter mieux que personne.
Mais en Espagne, aux Expositions Nationales de 1897 et de 1899, cette peinture
45.
Francisco Mart’n Caballero, ÒHablando con D. Joaqu’n Sorolla en su estudioÓ, La
Correspondencia de Valencia, Valence, 11/09/1913. Ç Nous avons eu, en peinture, une
Žpoque que nous pourrions qualifier dՎpique, durant laquelle nous nous consacrions tous
presque exclusivement ˆ enterrer des rois. Puis vint ensuite un sain courant de
naturalisme : le plaisir de vivreÉ bient™t altŽrŽ par une vague littŽraire noire [É] Ce
courant pessimiste de la littŽrature gagna aussi mon domaine artistique. È
I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901
48
ne lui permet pas de dŽcrocher la MŽdaille dÕHonneur, le seul prix qui lui manque
alors.
I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901
49
I.2. LÕAFFAIRE DE LA MƒDAILLE DÕHONNEUR
La fortune artistique de Sorolla varie dÕune aire gŽographique ˆ lÕautre dans
la mesure o il rŽussit en Espagne et ˆ lՎtranger avec deux genres diffŽrents. On
vient de voir que, sÕil triomphe dans son pays avec une peinture dÕatelier encore
trs acadŽmique, il conquiert des prix hors de ses frontires avec une peinture de
Òplein airÓ qui sÕinspire dÕun modle forgŽ par Jules Bastien-Lepage et repris par
des peintres de toute lÕEurope. On cherchera ici ˆ comprendre cette diffŽrence et ˆ
expliquer pourquoi, ˆ Madrid, le jury de lÕExposition Nationale refuse de lui
dŽcerner la MŽdaille dÕHonneur aux Žditions de 1897 et de 1899.
Dans un discours rŽdigŽ vers la fin de sa vie, Sorolla fait Žtat des querelles
esthŽtiques qui divisaient ˆ lՎpoque les professeurs de lՃcole des Beaux-Arts de
San Carlos o il Žtait lui-mme Žlve, cÕest-ˆ-dire de 1878 ˆ 1884. Il cite dans ce
texte deux peintres valenciens adeptes du pleinairisme franais, Antonio Mu–oz
Degrain et Francisco Domingo MarquŽs (1842-1920), ainsi que trois professeurs
de lՎcole, le peintre Gonzalo Salv‡ Simbor (1845-1923), quÕil oppose ˆ deux
dŽfenseurs du Classicisme, le graveur Ricardo Franch y Mira (1839-1897) et le
sculpteur Felipe Farin—s y Tortosa (1826-1888) :
D. Ricardo Franch y D. Felipe Farin—s eran almas ponderadas que encarec’an la
importancia del dibujo; pero D. Gonzalo Salv‡, conocedor del momento art’stico,
lleno de anhelos luminosos, nos dejaba libres, anim‡ndonos siempre a copiar la
naturaleza con visi—n realista. [É] Sab’amos que Salv‡ era amigo de Mu–oz
Degrain y de Domingo, y, debido al trato frecuente de estos artistas, daba primac’a a
la expansi—n colorista de los disc’pulos de aquella escuela, en la que, en lucha
interior, venci— el color al dibujo, a pesar de los esfuerzos hechos por Franch y
Farin—s en contra de esta tendencia.46
46.
Homenaje a la Gloriosa Memoria del Excm. Don Joaqu’n Sorolla, AcadŽmico electo.
Discursos le’dos en la Sesi—n Pœblica el d’a 2 de febrero de 1924 Ð Real Academia de
San Fernando Ð Madrid, Mateu Artes Gr‡ficas, 1924, page 11. Ç Ricardo Franch et Felipe
Farin—s Žtaient deux ‰mes pondŽrŽes qui accordaient une importance supŽrieure au
dessin ; mais Gonzalo Salv‡, au fait du moment artistique, Žpris de lumire, nous laissait
libres et nous encourageait toujours ˆ copier la nature depuis un point de vue rŽaliste. [É]
Nous savions que Salv‡ Žtait un ami de Mu–oz Degrain et de Domingo, et, en raison de
ses contacts frŽquents avec ces artistes, il laissait libre cours aux Žpanchements coloristes
des disciples de cette Žcole, au sein de laquelle, dans une lutte intŽrieure, la couleur
terrassa le dessin, en dŽpit des efforts dŽployŽs par Franch et Farin—s contre cette
tendance. È
I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901
50
Sorolla affirme son penchant pour la couleur ds ses jeunes annŽes, au
risque de contrevenir aux canons Žtablis. En 1886, la majeure partie des travaux
quÕil fait parvenir ˆ Valence en Žchange de sa pension romaine est rejetŽe par
lÕAcadŽmie de San Carlos. Seuls deux des six dessins compris dans son envoi
sont jugŽs recevables et le reste est qualifiŽ de Ç [É] graciosos apuntes muy
propios para la cartera de un artista pero en manera alguna bastante serios cuando
se los considera como env’o de un pensionado. È47 La seule peinture comprise
dans son envoi, Una mujer desnuda, est un nu de facture trs libre et, surtout, non
idŽalisŽ. Ce tableau rappelle le naturalisme de deux peintres franais, le Franccomtois Gustave Courbet (1819-1877) et le Parisien ƒdouard Manet (1832-1883),
dont Sorolla a peut-tre dŽcouvert quelques tableaux ˆ Paris lÕannŽe prŽcŽdente.48
La touche, courte et nerveuse, gomme efficacement les lignes du dessin
prŽparatoire. Le volume du corps est modelŽ dans des nuances de gris, de bleus et
de verts p‰les. Le triomphe de la couleur sur le dessin est signifiŽ allŽgoriquement
par la palette dŽposŽe au pied du modle, qui occupe tout le tiers droit de la
composition. Il sÕagit, en Espagne, dÕun dŽbat ancien puisque Francisco Pacheco
(1564-1644) en fait Žtat dans son TraitŽ de la peinture lorsquÕil relate sa rencontre
avec Le Greco en 1611 ˆ Tolde.49 De ce nu, le rapport acadŽmique conservŽ aux
archives du Conseil GŽnŽral de la province de Valence prŽcise :
No puede aprobarlo la Academia porque no se revelan en esta obra las dotes que ha
tenido la satisfacci—n de alabar en las dem‡s [É] y porque se nota en Žl bien patente
la tendencia a un grosero realismo que aumenta los reparos opuestos por la decencia
a la completa desnudez de la figura humana, sobre todo en el sexo en que son m‡s
50
imperiosos el recato y el pudor.
47.
48.
49.
50.
Document datŽ du 18/04/1886, in Joaqu’n Sorolla. Exposiciones conmemorativas de las
pensiones de Bellas Artes de la Diputaci—n Provincial, Valence, Diputaci—n Provincial de
Valencia, 1965, page 13.
Una mujer desnuda, 88x168, Valence, Conseil GŽnŽral de Valence, 1885.
Francisco Pacheco, Arte de la Pintura. Su antigŸedad y su grandeza, SŽville, Sim—n
Fajardo, 1649.
Joaqu’n Sorolla. Exposiciones conmemorativasÉ page 14. Ç LÕAcadŽmie ne peut pas le
valider car les qualitŽs quÕelle a eu la satisfaction de louer dans dÕautres Ïuvres ne se
rŽvlent pas ici [É] et parce quÕon y observe trs clairement un flŽchissement vers un
grossier rŽalisme qui augmente nos objections au nom de la dŽcence de la nuditŽ
complte du corps humain, surtout ˆ lÕendroit du sexe, o la rŽserve et la pudeur sont
indispensables. È
I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901
51
LÕaversion de ces professeurs pour le ÒrŽalismeÓ de la reprŽsentation rend
compte des barrires morales qui ont cours dans la sociŽtŽ de la Restauration. En
effet, lÕimplantation dÕun rŽgime conservateur a renforcŽ la prŽdominance de
lÕEglise, notamment en matire dՎducation. LÕannŽe suivante, le jeune homme
Žchoue ˆ lÕExposition Nationale de 1887 avec El entierro de Cristo, un grand
format peint ˆ Rome. Il confiera plus tard, avec une pointe dÕironie amre, que
son tableau ne plut ˆ personne sauf au chef du parti conservateur, Antonio
C‡novas del Castillo (1828-1897), un admirateur de ce classicisme qui fut
prŽcisŽment pour lui un carcan insupportable : Ç Mi pobre Entierro de Cristo fue
un fracaso, a nadie gust—, a nadieÉ menos a C‡novas, que tuvo para mi cuadro
una frase suyaÉ È51
Selon le quotidien rŽpublicain El Pa’s, ce revers met davantage en Žvidence
son manque dÕappui au sein du jury du concours que la facture du tableau. Selon
Lucius, lÕauteur de lÕarticle, le jury est alors majoritairement ÒvilleguisteÓ, cÕest-ˆdire partisan du peintre JosŽ Villegas Cordero (1844-1921). Ce rival de Francisco
Pradilla est alors au sommet de sa renommŽe. Or, ˆ cette Žpoque, Sorolla est
pensionnaire de lÕAcadŽmie Espagnole de Rome dont le directeur est justement,
depuis 1881, Francisco Pradilla. Pour Lucius, cÕest la rivalitŽ entre les deux
ma”tres qui aurait provoquŽ lՎchec de Sorolla.52 Amer, Pradilla adresse une lettre
ouverte ˆ son disciple, en commenant par ces mots :
Hoy me explico por quŽ se sent’a V. necesitado de recomendaci—n!! Lo que no
acierto a explicarme aœn admitiendo grandisimos errores en su ÒCalvarioÓ como se
ha atrevido a desconocer sus bellezas y sus promesas un jurado que ha coronado las
mayores aberraciones!!!!
53
Cette lettre datŽe du 12 juin 1887 para”t en premire page du journal La
Regencia, quelques jours plus tard. Le Valencien est donc confrontŽ au moins ˆ
deux formes de rŽsistance, dÕune part, au conservatisme dÕune partie de
51.
52.
53.
Ceferino Palencia Tubau, ÒJoaqu’n SorollaÓ, La Tribuna, Madrid, 3/07/1912. Ç Mon
pauvre Enterrement du Christ fut un Žchec et il nÕa plu ˆ personneÉ sauf ˆ C‡novas, qui
a eu pour mon tableau une phrase bien ˆ luiÉ È
Lucius, ÒNuestros artistas en RomaÓ, El Pa’s, Madrid, 10/07/1887.
Francisco Pradilla, ÒCarta abiertaÓ, La Regencia, Madrid, 27/06/1887. Ç Je mÕexplique
aujourdÕhui pourquoi vous pensiez avoir besoin dÕun appui ! Ce que je ne parviens pas ˆ
mÕexpliquer, mme en reconnaissant de grandes erreurs dans votre ÒCalvaireÓ, cÕest
comment un jury qui a rŽcompensŽ les pires aberrations a osŽ en ignorŽ les beautŽs et les
promesses. È
I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901
52
lÕAcadŽmie de San Carlos et, dÕautre part, aux manÏuvres et aux rapports
dÕinfluence propres ˆ lÕExposition Nationale. Il faut prŽciser que le systme
politique de la Restauration est lui mme viciŽ par des pratiques clientŽlistes et
antidŽmocratiques. En 1885, ˆ la mort dÕAlphonse XII, les chefs respectifs des
partis conservateur et libŽral, Antonio C‡novas del Castillo (1828-1897) et
Pr‡xedes Mateo Sagasta (1825-1903), Žchafaudent un plan dÕalternance politique
rŽglŽe, qui repose sur le clientŽlisme et la fraude Žlectorale. Cette entente, qui
Žcarte du pouvoir les autres forces politiques Ð rŽpublicains, socialistes et carlistes
Ð prŽvaudra jusquÕen 1923. De mme, au sommet de ce concours dՃtat,
lՎlection des membres du jury, lÕadmission des tableaux comme lÕattribution des
prix nՎchappent pas aux influences et aux machinations en tout genre. Sur ce
dernier point, El Diario de Barcelona affirmait en 1890 : Ç [É] en el œltimo
certamen el reparto de premios fue cosa de compadres y comadres, algo parecido
a las meriendas de los Carabancheles, y quien m‡s empujo m‡s obtuvo. È54
Ë lՎvidence, Sorolla ne peut pas se soustraire compltement ˆ ce systme
et ˆ ces pratiques clientŽlistes sans risquer dÕanŽantir son avenir. Mais cette
contrainte nÕexplique-t-elle pas, au moins partiellement, quÕil participe si t™t ˆ des
expositions hors des frontires de son pays dÕorigine ? En effet, bien quÕil
prŽsente chaque annŽe des nouveaux tableaux ˆ Madrid, il envoie des rŽalisations
vers des Salons Žtrangers ds 1891. Ë cette Žpoque, il ne possde quasiment
aucune rŽfŽrence nationale hormis la Seconde MŽdaille enlevŽe en 1884 avec El
dos de mayo. Toutefois, malgrŽ son manque dÕexpŽrience et de rŽfŽrences, il
parvient ˆ rivaliser avec les meilleurs peintres Žtrangers ˆ Paris, Berlin, Munich,
Venise, Vienne, etc. o, ˆ leur contact, son esthŽtique se dŽsolidarise
progressivement du canon espagnol. Elle sÕenrichit et, dÕune certaine manire, se
modernise en assimilant les techniques et les courants les plus rŽcents. Sorolla
Žlabore une peinture de plein air, lumineuse et dynamique, qui lui offre de
nombreux succs ˆ lÕextŽrieur mais quÕil ne parvient pas ˆ faire triompher ˆ
Madrid.
Ë ce titre, le sort rŽservŽ ˆ son tableau Cosiendo la vela, une scne de
pcheurs mise en lumire ˆ la manire de Renoir, est Žloquent. Cette peinture
54.
Anonyme, Òtitre inconnuÓ, El Diario de Barcelona, Barcelone, 1890. Ç Lors du dernier
concours, la distribution des prix fut un jeu de copains et de coquins, une chose semblable
aux gožters de Carabanchel, car celui qui poussa le plus fort obtint plus que les autres. È
I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901
53
conquiert les premiers prix ˆ Vienne et ˆ Munich, en 1897 et 1898, avant de
rejoindre les collections du MusŽe dÕArt Moderne de la ville de Venise. Mais
lÕannŽe suivante, ˆ Madrid, elle ne dŽcroche pas la rŽcompense escomptŽe. Dans
La Ilustraci—n Espa–ola y Americana, la principale revue dÕinformation illustrŽe,
lÕhistorien et archŽologue JosŽ Ram—n MŽlida (1856-1933) tente dÕexpliquer ce
paradoxe de la faon suivante : Ç En suma es demasiado valiente y demasiado
tŽcnico ese gŽnero de pintura para la masa comœn del pœblico espa–ol. En el Sal—n
de Par’s del pasado a–o gust— mucho, y se comprende, porque cuadros de esta
tendencia son all’ muy corrientes. È55 Un tel jugement tŽmoigne du dŽcalage de
lÕEspagne sur sa voisine. Alors, si Sorolla porte haut les couleurs de lÕEspagne en
dehors de ses frontires entre 1890 et 1900, cÕest au prix dÕune forme de
transgression du modle acadŽmique espagnol. Tandis que sa peinture perce dans
les capitales Žtrangres, elle implique ˆ Madrid une rupture trop brutale avec la
pŽriode ŽcoulŽe. Cela explique, au moins en partie, quÕaux Expositions Nationales
de 1897 et de 1899, les jurys successifs lui refusent obstinŽment la MŽdaille
dÕHonneur. On doit rappeler ici lÕinfluence de la famille Madrazo sur lÕensemble
du systme des Beaux-Arts. Les Madrazo sont une dynastie dÕartistes
acadŽmiques dont les membres les plus Žminents occupent des positions clŽs tout
au long du XIXe sicle. JosŽ de Madrazo (1781-1859), le patriarche, avait ŽtŽ
lՎlve du Franais Jacques Louis David (1748-1825). Il importa le classicisme en
Espagne et occupa des charges importantes ˆ la cour et dans les principales
institutions officielles. Un de ses fils, le peintre Federico de Madrazo y Kuntz
(1815-1894), est lÕhomme le plus influent de sa gŽnŽration. Il est constamment
rŽŽlu ˆ la tte de lÕAcadŽmie des Beaux-Arts de San Fernando de 1866 ˆ 1893, et
sige rŽgulirement au sein du jury de lÕExposition Nationale. Son frre Luis
(1825-1897) est Žgalement membre de ce jury en 1881, 1884, 1887 et 1892.56
Enfin il faut prŽciser, avant de poursuivre, que les deux dernires Žditions de
lÕExposition Nationale du XIXe sicle sont organisŽes sous les mandats de deux
chefs du gouvernement conservateurs, Antonio C‡novas del Castillo, assassinŽ en
aožt 1897, et Francisco Silvela (1843-1905). On se demandera alors, dans la suite
55.
56.
JosŽ Ram—n MŽlida, ÒLa Exposici—n Nacional de Bellas ArtesÓ, La Illustraci—n Espa–ola
y Americana, Madrid, 22/05/1899. Ç Au bout du compte, ce genre de peinture est trop
audacieuse et technique pour la majeure partie du public espagnol. Au Salon de Paris de
lÕannŽe passŽe il plut beaucoup, et cela se comprend, car des tableaux de cette tendance y
sont trs frŽquents. È
El mundo de los Madrazo, Madrid, Comunidad de Madrid, 2007, pages 332-333.
I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901
54
de ce chapitre, si des critres non artistiques et liŽs au contexte politique, nÕont
pas contribuŽ ˆ provoquer ce double Žchec de Sorolla.
Ds la premire Ždition de lÕExposition Nationale, qui remonte ˆ 1856,
lÕarticle VI du rglement prŽvoit la possibilitŽ de distinguer une Ïuvre
exceptionnelle par une MŽdaille dÕHonneur, un prix supŽrieur ˆ tous les autres
cÕest-ˆ-dire aux mŽdailles de premire, deuxime et troisime classe ainsi quÕaux
mentions. En dehors de cette hiŽrarchie de prix, des dŽcorations civiles peuvent
Žgalement tre remises. La MŽdaille dÕHonneur serait dŽcernŽe par un collge
extraordinaire formŽ par les jurys des trois sections rŽunies, cÕest-ˆ-dire celles de
Peinture, Sculpture et Architecture.57 Depuis la crŽation du concours en 1854, la
plus haute distinction espagnole a ŽtŽ remise ˆ trois artistes : un peintre, un
architecte et un sculpteur. Francisco Pradilla lÕavait obtenue ˆ lÕissue de
lÕExposition Nationale de 1878, pour son tableau historique Do–a Juana la Loca.
LÕarchitecte Juan de Madrazo y Kuntz (1829-1880) lÕavait reue ˆ titre posthume
en 1881 pour lÕensemble de son Ïuvre. Enfin, elle a ŽtŽ attribuŽe au sculpteur
Mariano Benlliure (1862-1947) en 1895, pour sa statue de lՎcrivain basque
Antonio Trueba (1819-1889) inaugurŽe la mme annŽe ˆ Bilbao. Dans la premire
grande Žtude consacrŽe ˆ lÕExposition Nationale espagnole, Bernardino de
Pantorba rappelle que lÕattribution dÕune rŽcompense aussi convoitŽe ne se fit pas
toujours sans heurts.58 En 1881, lÕinfluence de Federico de Madrazo, le directeur
de lÕAcadŽmie de San Fernando, changea le sens du scrutin en faveur de son plus
jeune frre Juan, qui venait de mourir. LՎchec du peintre JosŽ Casado del Alisal
(1832-1886) souleva une polŽmique qui eut des rŽpercussions jusquÕau parlement.
Car le dŽputŽ rŽpublicain Emilio Castelar (1832-1899) demanda ˆ lՃtat dÕacheter
La leyenda del rey Monje, le tableau prŽsentŽ par Casado del Alisal et obtint
finalement gain de cause.59 On verra que dans le cas de Sorolla, la conqute de la
MŽdaille dÕHonneur est ˆ la fois lente et compliquŽe. JalonnŽe de
rebondissements et de polŽmiques, elle prendra la tournure dÕune affaire dՃtat et
sera mme ˆ lÕorigine dÕune importante rŽforme du concours.
57.
58.
59.
Reglamento para las Exposiciones de Bellas Artes, Madrid, Imprenta del Colegio
Nacional de Sordomudos y de ciegos, 1897.
Bernardino de Pantorba, Historia y cr’tica de las Exposiciones de Bellas Artes celebradas
en Espa–a, Madrid, Jesœs Ram—n Garc’a Rama, 1980, pages 34-35.
La leyenda del rey Monje, 356x474, Madrid, MusŽe National du Prado, 1880.
I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901
55
Ë partir de 1897, Sorolla ne peut donc plus prŽtendre quՈ la MŽdaille
dÕHonneur car il a dŽjˆ remportŽ deux MŽdailles de Premire Classe. Deux ans
auparavant, le sculpteur Mariano Benlliure a obtenu la MŽdaille dÕHonneur de
sorte que, exaltŽ par ce triomphe dÕun Valencien, lՎcrivain Vicente Blasco Ib‡–ez
rŽclame la rŽcompense pour son autre compatriote.
Pero a Sorolla aœn le faltan aqu’ en Espa–a grados que ganar. Tiene todas las
medallas; es teniente general del arte, pero le falta el œltimo entorchado, el de
capit‡n general, el que se da por mŽritos excepcionales: la medalla de honor, que
hasta ahora s—lo la han alcanzado Pradilla y Mariano Benlliure, y a la que con
justicia aspira Sorolla.
60
Blasco oublie sans doute volontairement de citer Juan de Madrazo dont le
prix avait ŽtŽ demandŽ et obtenu par les dirigeants conservateurs. Ë la fin du mois
de mars 1897, le jury prŽsidŽ par Rafael Conde y Luque (1835- 1922), sŽnateur
conservateur de Cordoue, procde pour la premire fois ˆ un vote pour attribuer la
MŽdaille dÕHonneur ˆ Sorolla. Il prŽsente onze tableaux qui rŽvlent plusieurs
facettes de son Ïuvre : le rŽalisme social, Trata de blancas ; le paysage, El cabo
de San Antonio ; le naturalisme lepagien, Orde–ando la cabra et La parra, ainsi
que des portraits individuels et de groupe : Mis chicos, La Pepiya, Mar’a
Guerrero, Amalia Romea, Luis Simarro Lacabra, Se–ora de Simarro et Una
investigaci—n peint dans le laboratoire madrilne du docteur Simarro.61 EntourŽ de
ses confrres, le scientifique manipule des Žchantillons sous une lumire
artificielle qui enveloppe la scne dans une atmosphre orangŽe. Ce tableau
rappelle le portrait du scientifique franais Louis Pasteur (1822-1895) par le
peintre finlandais Albert Edelfelt (1854-1905).62 Pasteur est reprŽsentŽ en plein
travail, dans son laboratoire de la rue dÕUlm o il met au point le vaccin anti-
60.
61.
62.
Vicente Blasco Ib‡–ez, ÒCr—nica art’stica. SorollaÓ, El Pueblo, Valence, 5/06/1897.
Ç Mais ici, en Espagne, il reste encore ˆ Sorolla quelques grades ˆ conquŽrir. Il a toutes
les mŽdailles; il est gŽnŽral en chef de lÕart, mais il lui manque le dernier galon, celui de
marŽchal, celui qui rŽcompense des mŽrites exceptionnels: la mŽdaille dÕhonneur, que
seuls Pradilla et Mariano Benlliure ont obtenu jusquՈ maintenant, et ˆ laquelle Sorolla
aspire en toute justice. È
Trata de blancas, 166Õ5x165, Madrid, MS, 1894. El cabo de San Antonio. Orde–ando la
cabra. La parra. Mis chicos, 140x228, Madrid, MS, 1897. La Pepiya. Mar’a Guerrero,
131x120Õ5, Madrid, MusŽe National du Prado, 1897-1906. Amalia Romea, 107Õ5x150Õ5,
Collection particulire, 1897.
Albert Edelfelt, Louis Pasteur, 154x126, Paris, MusŽe dÕOrsay, 1885.
I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901
56
rabique. Au Salon de 1886, le jeune peintre sՎtait vu remettre la LŽgion
dÕHonneur pour ce tableau.
Lors de lÕExposition Nationale de 1897, le jury comprend quatre sections,
Peinture, Scultpure, Architecture et, pour la premire fois, Arts dŽcoratifs. Le
Valencien nÕest pas le seul candidat ˆ la rŽcompense. La concurrence du sculpteur
catalan Agust’n Querol (1860-1909) rŽduit de facto les chances de ces deux
candidats de mme ‰ge et de valeur Žgale. Le sculpteur formŽ ˆ Barcelone a
effectuŽ un parcours similaire ˆ celui de Sorolla. Ensemble, ils ont ŽtŽ
pensionnaires de lÕAcadŽmie Espagnole de Rome avant de regagner Madrid la
mme annŽe, en 1890. Sept ans plus tard, leurs palmars sont comparables. Car
mme si Sorolla a connu une rŽussite internationale supŽrieure ˆ celle de Querol,
ce dernier a reu davantage de commandes publiques, ˆ Madrid. Il rŽalisa, par
exemple, le groupe monumental La gloria y los pegasos qui surplombe la faade
de lÕancien Ministre de lՃconomie qui abrite aujourdÕhui le Ministre de
lÕAgriculture. Paradoxalement, cÕest sans doute la qualitŽ mme des deux
candidats qui conduit six des seize jurŽs, dont Francisco Pradilla et Mariano
Benlliure, ˆ ne pas attribuer la MŽdaille dÕHonneur. Toute la section de Peinture,
ˆ lÕexception de Modesto Urgell (1839-1919), vote pour Sorolla. Il rŽcolte donc
six suffrages mais nÕen obtient aucun des sections de Sculpture et dÕArchitecture.
Querol rŽunit quatre voix seulement, de sorte que la rŽcompense nÕest pas
attribuŽe cette annŽe-lˆ. Le rapport du jury conservŽ aujourdÕhui dans les
Archives GŽnŽrales de lÕAdministration ˆ Alcal‡ de Henares fait appara”tre la
mention Ç desierta È.63
Le 19 mai 1899, un autre jury extraordinaire prŽsidŽ par Eduardo de
Hinojosa lui refuse derechef cette rŽcompense, malgrŽ une stricte ŽgalitŽ des voix
pour et contre ! Parmi les dix-huit jurŽs, Sorolla rŽcolte neuf suffrages. Ceux
dÕAgust’n Querol (1860-1909) et de Miguel Blay (1866-1936) pour la section de
Sculpture, celui de Lorenzo çlvarez Capra (1848-1901) pour la section
dÕArchitecture, ainsi que ceux de toute la section de Peinture ˆ lÕexception de
Manuel Dom’nguez (1840-1906) et de Salvador Mart’nez Cubells (1842-1914).64
63.
64.
AGA EC. 31/6836.
Membres du jury par section : Eduardo de Hinojosa (prŽsident), Juan Facundo Ria–o
(vice-prŽsident), Fernando Arb—s (secrŽtaire). Peinture : Salvador Mart’nez Cubells,
Alejandro Ferrant, Manuel Villegas, Manuel Dom’nguez S‡nchez, Eduardo Pelayo,
Manuel Ram’rez et Marceliano Santa Mar’a. Scultpure : Cipriano Folgueras, Miguel
I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901
57
Il faut noter que le fils de ce dernier, Enrique, deviendra un des plus fervents
admirateurs du Valencien et que, ironie du sort, notre peintre sera Žlu en 1914
membre de lÕAcadŽmie des Beaux-Arts de San Fernando sur le sige vacant du
pre dont il fera lՎloge dans un discours.65 Les autres peintres, Alejandro Ferrant
(1843-1917), Eduardo Fern‡ndez Pelayo (1850-1901), Manuel Ram’rez Ib‡nez
(1856-1925), Marceliano Santa Mar’a (1866-1952) et Manuel Villegas Brieva
(1871-1923) votent en faveur du Valencien.66 Le vote dŽfavorable du prŽsident du
jury, Eduardo de Hinojosa y Naveros (1852-1919), provoque lՎgalitŽ des
suffrages. Ce membre du parti conservateur occupe alors la Direction GŽnŽrale de
lÕInstruction Publique au sein du gouvernement Silvela. Un rŽsultat nul est
synonyme de nouvel Žchec pour Sorolla car, dans ce cas de figure, lÕarticle
XXXVII du rglement stipule : Ç Para premiar una obra ser‡ preciso el voto
favorable de la mitad m‡s uno de los individuos del jurado È.67 Ë nouveau,
Sorolla repart sans la MŽdaille dÕHonneur, qui nÕest pas attribuŽe. Mais cette fois,
les jurŽs lui dŽcernent ˆ lÕunanimitŽ la Grande Croix de Chevalier de lÕOrdre
dÕIsabelle la Catholique, une distinction censŽe compenser lÕeffet produit par ce
deuxime Žchec. Le peintre est abattu, ainsi que lÕatteste une lettre envoyŽe ˆ son
ami Pedro Gil : Ç [É] yo he sufrido mucho moral y f’sicamente; moral por la
mala fe de mis colegas neg‡ndome nuevamente la medalla de honor, y lo segundo
pues todos pasamos la gripe [É] È68
Dans la presse dÕopposition, la nouvelle du rŽsultat provoque un
mouvement dÕindignation et de protestation, dont lÕarticle de Vicente Sanch’s y
65.
66.
67.
68.
Blay, Agust’n Querol, çngel AvilŽs et Eduardo Barr—n. Architecture : Lorenzo çlvarez
Capra, Eduardo de Adaro, JosŽ Arija et Luis S‡inz. Francisco Alc‡ntara (journaliste) et
Enrique AmarŽ (galeriste). Une photographie de ce jury a ŽtŽ publiŽ le 13 mai 1899 en
page 5 du journal madrilne ABC.
Homenaje a la Gloriosa Memoria del Excm. Don Joaqu’n Sorolla, AcadŽmico electo.
Discursos le’dos en la Sesi—n Pœblica el d’a 2 de febrero de 1924. Real Academia de San
Fernando, Madrid, Mateu Artes Gr‡ficas, 1924.
Jesœs GutiŽrrez Bur—n, ÒSorolla y las Exposiciones Nacionales de Bellas ArtesÓ in
Conocer el Museo Sorolla. 10 aportaciones a su estudio, Madrid, Ministerio de Cultura,
1986, pages 13-19.
Reglamento para las Exposiciones de Bellas Artes, Madrid, Imprenta del Colegio
Nacional de Sordomudos y de ciegos, 1897. Ç Pour rŽcompenser une Ïuvre, les suffrages
favorables de la moitiŽ du jury plus une voix, seront nŽcessaires. È
Facundo Tom‡s, Felipe Gar’n, Isabel Justo et Sof’a Barr—n, Epistolarios de Joaqu’n
Sorolla, I. Correspondencia con Pedro Gil Moreno de Mora, Barcelone, Anthropos,
2007, page 369. Ç JÕai beaucoup souffert sur les plans moral et physique ; moral ˆ cause
de la mauvaise foi de mes collgues qui mÕont ˆ nouveau refusŽ la mŽdaille dÕhonneur, et
ensuite parce que nous avons tous la grippe. È
I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901
58
GuillŽn (1849-1907), alias Miss-Teriosa, ÒEl fallo del JuradoÓ offre un bon
exemple :
No puede prevalecer un acuerdo como el que, con detalles que me resisto a
reproducir, sirve de pretexto para realizar una incalificable injusticia. Por el decoro
del arte nacional, es preciso que se anule la votaci—n, que revoten algunos
ÒvacilantesÓ jurados que votaron en contra, que recobre su imperio el que ha venido
a ser el menos comœn de todos los sentidos, y que no demos ocasi—n a los
extranjeros para que nos califiquen tambiŽn de Òriffe–osÓ en materia de arte.
69
Dans un article intitulŽ ÒArte ministerialÓ, La Naci—n avait anticipŽ ce
rŽsultat en pressentant lÕinfluence des conservateurs sur le jury de lÕexposition.70
LՎcrivain JosŽ Mart’nez Ruiz (1874-1967) que le public conna”tra ensuite sous le
nom dÕAzor’n, publie cet article sous son premier pseudonyme, C‡ndido. Selon
lui, des facteurs Žtrangers ˆ lÕart auraient provoquŽ le nouvel Žchec de Sorolla.
Dans un article publiŽ au lendemain de lÕannonce du rŽsultat, ÒNota del d’a. Se
consum—Ó, on peut lire dans le mme journal : Ç Todo se ha confirmado. Sorolla,
se ha quedado sin la medalla de honor ; MenŽndez Pidal, la ha conseguido de
primera. È71 Selon lՎcrivain, si le peintre Luis MenŽndez Pidal (1861-1932)
obtint une MŽdaille de Premire Classe ce fut gr‰ce ˆ lÕinfluence de ses oncles,
Luis Pidal y Mon (1842-1913), alors ministre de lՃconomie, et Alejandro Pidal y
Mon (1846-1913), le prŽsident de la Chambre des DŽputŽs. Il faut prŽciser ici que,
selon lÕarticle XV du rglement de lՎdition de 1899, le ministre de lՃconomie
nomme ˆ la fois le prŽsident et le vice-prŽsident du concours.72
Les accusations contenues dans cet article ne sont pas assez ŽtayŽes pour
tre fiables, mais elles sont suffisamment crŽdibles pour poser la question du lien
entre le double Žchec de Sorolla et lÕinfluence du parti conservateur, notamment
69.
70.
71.
72.
Miss-Teriosa (Vicente Sanch’s y GuillŽn), ÒExposici—n de bellas artes : El fallo del
juradoÓ, El D’a, Madrid, 20/05/1899. Ç Un accord tel que celui qui, avec des dŽtails que je
me refuse de reproduire, sert de prŽtexte pour comettre une inqualifiable injustice ne peut
pas lÕemporter. Au nom du respect de lÕart national, il faut que le vote soit annulŽ et que
revotent quelques jurŽs ÒhŽsitantsÓ qui se sont opposŽs et que, de tous les sens, celui qui
est aujourdÕhui le plus baffouŽ recouvre toute sa superbe, et que nous ne donnions pas aux
Žtrangers une occasion dՐtre aussi taxŽ de ÒrifainsÓ en matire dÕart. È
C‡ndido, ÒArte ministerialÓ, La Naci—n, Madrid, 1899.
C‡ndido, ÒNota del d’a. Se consum—Ó, La Naci—n, Madrid, 1899. Ç Tout sÕest passŽ
comme prŽvu. Sorolla nÕa pas remportŽ la mŽdaille dÕhonneur ; MenŽndez Pidal en a
obtenu une de premire classe. È
Reglamento para las Exposiciones de Bellas Artes, Madrid, Imprenta del Colegio
Nacional de Sordomudos y de ciegos, 1899.
I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901
59
sur la dernire Ždition du concours. On peut sÕinterroger sur lÕexistence de critres
extra artistiques susceptibles dÕopposer les conservateurs ˆ Sorolla. Est-il, ˆ cette
Žpoque, peru comme un artiste de gauche ? Pour rŽpondre ˆ cette question, on
peut tout dÕabord retenir les origines valenciennes du peintre, Valence Žtant alors
le bastion du rŽpublicanisme espagnol. De son pre adoptif, JosŽ Piqueres
GuillŽn, un journal valencien affirme ˆ lÕoccasion de sa mort, en 1900 : Ç Aparte
de sus mŽritos como hombre laborioso y de gran coraz—n, era un firme
republicano que figur— con tanta modestia como esfuerzo en las milicias del 69 y
el 73, defendiendo los ideales democr‡ticos. È73 Personne nÕa rŽussi ˆ dŽmontrer
que Sorolla Žtait lui-mme rŽpublicain ; malgrŽ cela, il Žtait de fait considŽrŽ
comme tel si lÕon en juge par un article paru aux ƒtats-Unis en 1902. Un peintre
amŽricain formŽ en Europe, Cadwaller Lincoln Washburn (1866-1965), tient le
Valencien pour un opposant ˆ la monarchie qui mŽprise les rites religieux et
rŽprouve lÕinfluence de lՃglise dans les affaires civiles. Pour cet auteur, de telles
positions sont le rŽsultat de sa culture valencienne.74 Ces hypothses peuvent tre
pertinentes, toutefois, beaucoup dÕautres influences que celles de sa ville natale
interfrent dans sa formation intellectuelle. En rŽalitŽ, il y rŽsida peu de temps
puisquÕil partit ˆ vingt-deux ans sՎtablir ˆ Rome o il se lia dÕune amitiŽ
indŽfectible avec Pedro Gil Moreno de Mora, un jeune franco-espagnol issu de la
bourgeoisie monarchiste de Paris. Ë son retour en Espagne, cinq ans plus tard, il
dŽcide dÕinstaller sa famille ˆ Madrid. Dans la capitale, il c™toie la bourgeoisie
libŽrale, en particulier les intellectuels krausistes de lÕInstitution Libre
dÕEnseignement et se lie dÕamitiŽ avec plusieurs de ses membres : Aureliano de
Beruete, Manuel BartolomŽ Coss’o (1857-1935), Luis Simarro Lacabra (18511921) et Francisco Giner de los R’os (1839-1915), son fondateur. De mme, ses
trois enfants y font leur scolaritŽ. LÕInstitution Libre dÕEnseignement voit le jour
un an aprs le dŽbut de la Restauration. Francisco Giner de los R’os avait alors ŽtŽ
destituŽ de la chaire de philosophie quÕil occupait ˆ lÕUniversitŽ Centrale de
Madrid car le nouveau rŽgime considŽrait que ses enseignements Žtaient
incompatibles avec le dogme de la religion dՃtat. En rŽaction ˆ cette mesure
73.
74.
ÒSorolla en Valencia, El Pueblo, Valence, 14/06/1900. Ç En dehors des mŽrites de
lÕhomme au grand cÏur et du travailleur, cՎtait un farouche rŽpublicain qui intŽgra avec
autant de modestie que dÕengagement les milices de 69 et de 73 pour dŽfendre les idŽaux
dŽmocratiques. È
Cadwaller Lincoln Washburn, ÒSorolla, a Great Spanish Painter of To-DayÓ, The
Outlook, New York, 3/05/1902.
I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901
60
arbitraire, Giner fonde une structure nouvelle proposant un modle dՎducation
la•que tournŽ vers les dernires dŽcouvertes scientifiques et pŽdagogiques. Elle
sÕoppose aux valeurs traditionnelles, catholiques et bourgeoises.75
Contrairement ˆ Azor’n, le peintre et critique valencien Augusto Com‡s y
Blanco (1862-1953), nՎtablit pas de relation entre les Žchecs de Sorolla et des
manÏuvres politiciennes. Selon lui, la polŽmique met en Žvidence la faillite du
systme des Beaux-Arts. Dans un article publiŽ par Diario de Barcelona, il
dŽnonce le dŽcalage entre les critres du concours national et les aspirations dÕune
nouvelle gŽnŽration de peintres. Il compare le phŽnomne aux rŽsistances
opposŽes aux Impressionnistes dans la France des annŽes 1870.
ÁEs triste, muy triste, que lo que en Europa ya no se discute hace muchos a–os, ahora
empiece a discutirse en Espa–a! ÁParece mentira que las obras de Sorolla, Casas,
Mu–oz Lucena, Godoy, Rusi–ol, Bilbao, Mir y Ab‡rzuza encuentren en 1899 las
mismas resistencias que vencer que hace treinta a–os vencieron los llamados
treinta–istas franceses! 76
Mais comment ne pas voir aussi dans ce passage une mise en cause du
pouvoir. Car il y est aussi question du rapport entre Madrid, centre des pouvoirs,
et les provinces. En effet, Com‡s fait implicitement allusion ˆ trois villes plus
innovantes sur le plan des arts et qui, ˆ cette Žpoque, le sont aussi sur le plan des
techniques et de lÕindustrie. Il sÕagit de Barcelone ŽvoquŽe, par les noms de quatre
Catalans, Ram—n Casas (1866-1932), Tom‡s Mu–oz Lucena (1860-1943),
Santiago Rusi–ol (1861-1931) et Joaqu’n Mir Trinxet (1873-1940), Valence, par
Joaqu’n Sorolla, et enfin, SŽville qui se profile derrire les noms de Felipe
Ab‡rzuza (1871-1948) et de Gonzalo Bilbao (1860-1938). En filigrane, ce sont
donc aussi la reprŽsentation et la reconnaissance des pŽriphŽries sous la
Restauration qui sont mises en cause ˆ travers des questions dÕordre artistique.
75.
76.
Antonio JimŽnez-Landi, La Instituci—n Libre de Ense–anza y su ambiente. Per’odo
escolar 1881-1907, Madrid, Ministerio de Educaci—n y Cultura, 1996, page 522.
Augusto Comas y Blanco, ÒLa Exposici—n Nacional de bellas artes en 1899Ó, Diario de
Barcelona, Barcelone, 22/05/1899. Ç Il est triste, trs triste que ce qui en Europe ne fait
plus polŽmique depuis de nombreuses annŽes, commence maintenant ˆ poser problme en
Espagne ! Cela semble ˆ peine croyable que les Ïuvres de Sorolla, Casas, Mu–oz Lucena,
Godoy, Rusi–ol, Bilbao, Mir et Ab‡rzuza rencontrent en 1899 les mmes rŽsistances que
la gŽnŽration des Franais de 1830 a dž combattre il y a trente ans. È
I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901
61
Le mouvement de protestation retombe vers la fin de lÕannŽe 1899. Mais en 1900,
il rejaillit avec plus dÕintensitŽ lorsque, le 6 juin, Sorolla reoit un Grand Prix de
Peinture de lÕExposition Universelle qui se tient ˆ Paris. Pour reprŽsenter
lÕEspagne, le ComitŽ dÕOrganisation du Pavillon Espagnol avait prŽsŽlectionnŽ
les grands noms du moment cÕest-ˆ-dire JosŽ Moreno Carbonero (1860-1942),
JosŽ Pinazo (1879-1933), Santiago Rusi–ol, Ram—n Casas, Eliseo MeifrŽn (19581940), etc. Chacun dÕeux peut envoyer deux ou trois tableaux ˆ Paris, ˆ deux
exceptions prs : Sorolla et Raimundo de Madrazo sont autorisŽs ˆ en prŽsenter
six ! Cette faveur laisse entendre que le comitŽ espagnol entend mettre en avant
ces deux peintres.77 Le ComitŽ comprend trois membres : lÕaristocrate comte de
Villagonzalo (1851-1921), le grand collectionneur vivant ˆ Paris, Ram—n Errazu
(inc.-inc.) et le peintre dÕhistoire Antonio Gisbert. Mariano Miguel Maldonado y
D‡valos, VIIe comte de Villagonzalo, est un grand dÕEspagne, sŽnateur en 18871888, ambassadeur dÕEspagne en Russie de 1893 ˆ 1897, ami proche dÕAlphonse
XII, donc un diplomate monarchiste conservateur. Quant ˆ Ram—n Errazu,
richissime industriel, trs bien introduit dans la haute sociŽtŽ parisienne, il est un
collectionneur de Mariano Fortuny et de Raimundo de Madrazo, ce qui explique
peut-tre la prŽsence de ce dernier comme artiste privilŽgiŽ ˆ c™tŽ de Sorolla ;
quant ˆ Antonio Gisbert, en dehors de rŽticences esthŽtiques, le localisme pourrait
constituer un argument en faveur de Sorolla. Il est en effet originaire dÕAlcoy,
ville du Levant, de la province dÕAlicante. Mais les choix de ce jury dÕadmission
vont avoir une autre consŽquence trs importante, qui sera ˆ lÕorigine de la
ÒlŽgende noireÓ de Sorolla et de la rivalitŽ et de lÕantipathie de celui-ci avec
Ignacio Zuloaga, mme si, au fond, le premier nÕy est pour rien.
Dans ces conditions, la victoire du Valencien est donc prŽvisible. Parmi les
peintres rŽcompensŽs ˆ ses c™tŽs figurent les plus grands noms du moment :
lÕAutrichien Gustave Klimt (1863-1918), lÕAmŽricain John Singer Sargent, le
Russe Valentin A. Serov (1865-1911), le Franais Dagnan Bouveret (1852-1929),
lÕAnglais Lawrence Alma Tadema (1836-1912), le Danois Peter Severin Kr¿yer
(1851-1909), le SuŽdois Anders Zorn (1860-1920), etc. En ce qui concerne le
succs obtenu par le peintre espagnol, il faut prŽciser, tout dÕabord, quÕil remporte
facilement la mŽdaille en rŽunissant trente-sept des cinquante-deux voix, soit
77.
Mariano Benlliure y Joaqu’n Sorolla. Centenario de un homenaje, Valence, Generalitat
Valenciana, 2000, page 26-27.
I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901
62
environ 70% des suffrages. Ensuite, lÕenvoi rŽcompensŽ est quasiment identique ˆ
celui quÕil vient de prŽsenter ˆ Madrid, avec le rŽsultat que lÕon conna”t. En effet,
quatre des six toiles accrochŽes ˆ Paris, Cosiendo la vela, Comiendo en la barca,
El algarrobo et La caleta lÕavaient ŽtŽ ˆ Madrid lÕannŽe prŽcŽdente.78 En
Espagne, cÕest lÕun des motifs qui va ˆ nouveau Žchauffer les esprits.
Ds que la nouvelle de ce succs parvient en Espagne, Vicente Blasco
Ib‡–ez ravive la controverse dans un article pamphlŽtaire intitulŽ ÒRegateosÓ. Ce
titre fait rŽfŽrence ˆ la fois au ÒmarchandageÓ auquel sÕest livrŽ, ˆ ses yeux,
lÕancien directeur de lÕInstruction Publique, Eduardo de Hinojosa, et rŽpond en
mme temps au quotidien valencien Las Provincias. En effet, le journal
conservateur dirigŽ par Teodoro Llorente (1836-1911) vient de publier un pitre
article dans lequel il est question de deux prix, lÕun pour Sorolla et le deuxime
pour Bastida ! Ë Valence, Llorente Žtait une figure incontournable et
unanimement respectŽe pour son engagement en faveur de la diffusion et de la
valorisation de la culture rŽgionale. Pote, Žcrivain, journaliste et homme
politique, il est Žlu plusieurs fois dŽputŽ et sŽnateur sur les bancs conservateurs.79
Dans ÒRegateosÓ, lՎcrivain proteste tout dÕabord contre le conservatisme de
la sociŽtŽ de son Žpoque :
Como no le nombren arzobispo de Toledo o reina madre, que son las dignidades m‡s
c—modas y honor’ficas que existen, no sabemos a quŽ otra cosa pueda aspirar Sorolla
despuŽs de su triunfo de Par’s.
Pero tal vez crean algunos que m‡s que ese premio conseguido sin recomendaciones
en la capital del mundo, vale el premio de honor de la Exposici—n de Madrid, regalo
de influencias pol’ticas y hasta de caciquismos electorales, y que negaron a Sorolla
porque no pinta retratos de se–oras de ministros, y porque necesitando todo su
tiempo para estudiar, no visita palacios.
78.
79.
80.
80
Cosiendo la vela, 220x302, Venise, MusŽe dÕArt Moderne CaÕPesaro, 1896. Comiendo en
la barca, 180x250, Madrid, AcadŽmie Royale de San Fernando, 1898. El algarrobo,
46Õ3x96Õ3, Collection particulire, 1898 et La caleta, 47Õ5x97, Collection particulire,
1898.
Miguel Artola (dir.), Enciclopedia de Historia de Espa–a, IV. Diccionario biogr‡fico,
Madrid, Alianza, 2001 (1991), page 509.
Vicente Blasco Ib‡–ez, ÒRegateosÓ, El Pueblo, Valence, [07/06/1900]. Ç Si on ne le
nomme pas archevque de Tolde ou reine mre, qui sont les dignitŽs les plus
confortables et honnorifiques qui existent, nous ne savons pas ˆ quoi peut aspirer Sorolla
aprs son triomphe de Paris. Mais peut-tre que dÕaucun pense quÕau-delˆ de ce prix
obtenu sans recommandation dans la capitale du monde se situe la mŽdaille dÕhonneur de
lÕexposition de Madrid, cadeau dÕinfluences politiques et mme de nŽpotismes Žlectoraux
I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901
63
Il oppose ensuite avec vŽhŽmence deux rŽcompenses, la MŽdaille
dÕHonneur, quÕil vilipende, et le Grand Prix, quÕil magnifie. Toutefois, les
arguments dŽfendus en faveur du prix international sont excessifs. Blasco ne dit
rien, par exemple, de la composition du jury. En effet, trente des cinquante-deux
jurŽs sont franais. Par consŽquent, si plusieurs nationalitŽs cohabitent bel et bien
dans cette assemblŽe, une majoritŽ se dŽtache dŽjˆ sur le papier.81 De plus, Sorolla
a obtenu dÕexcellentes rŽfŽrences en France, en particulier au Salon. Ensuite,
lՎcrivain omet de signaler la prŽsence dÕAureliano de Beruete au sein du jury
rŽuni ˆ Paris. Non seulement le peintre madrilne est un intime du Valencien
mais, par ailleurs, il est le seul reprŽsentant de lÕEspagne dans ce jury. Pour ces
deux raisons, il est difficile dÕimaginer que son influence ne joue pas en faveur de
Sorolla. Beruete sÕen dŽfendra ds son retour en Espagne dans un article publiŽ
dans le journal Hispania.82 Cela Žtant, Blasco a sans doute raison au moins sur le
point le plus essentiel : le Grand Prix de lÕExposition Universelle est logiquement
supŽrieur ˆ toute rŽcompense nationale. Ce constat suffit ˆ soulever une nouvelle
polŽmique ˆ laquelle le gouvernement conservateur de Francisco Silvela (18431905) tente ensuite, semble-t-il, dÕapporter une rŽponse avant la fin de son
mandat. Le ministre de lÕInstruction Publique et des Beaux-Arts, vient de voir le
jour par un dŽcret royal du 18 avril 1900 soit moins de deux mois avant cet
ŽvŽnement. Le premier ministre de lÕInstruction Publique et des Beaux-Arts,
Antonio Garc’a Alix (1842-1911), prŽpare une rŽforme du concours national qui
est un des premiers chantiers de cette institution.83 Cependant, aucune mesure
effective nÕest adoptŽe par son cabinet.
Le deuxime Žchec pse sur la rŽception du peintre, en particulier du c™tŽ de
ses partisans. Tout porte ˆ croire quÕils jugent alors que le peintre paye le prix de
son cosmopolitisme et de sa modernitŽ. Aussi, pour inverser les choses,
interprtent-ils dŽsormais son Ïuvre sous lÕangle de la tradition. En 1899, le pays
fte le troisime centenaire de la naissance de Diego VŽlasquez (1599-1660). Ë
lÕapproche de cet ŽvŽnement, toutes sortes de rapprochements entre Sorolla et le
81.
82.
83.
quÕon refusa ˆ Sorolla parce quÕil ne peint pas de portraits dՎpouses de ministres et parce
que, ayant besoin de tout son temps pour travailler, il ne frŽquente pas les palais. È
Exposition Universelle Internationale de 1900. Rapports du jury international. Groupes
II Ïuvres dÕart, Paris, Imprimerie Nationale, 1904.
Aureliano de Beruete, ÒJoaqu’n SorollaÓ, Hispania, Madrid, 15/06/1901.
Anonyme, ÒTriunfo de SorollaÓ, [?], Valence, 7/05/1901.
I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901
64
ma”tre de SŽville voient le jour, comme pour signifier quÕil existe une filiation
artistique et spirituelle entre les deux artistes. Dans la presse Žtrangre, il est
dÕusage de raisonner par Žcoles nationales et Sorolla est communŽment peru
comme un hŽritier de la ÒmanireÓ des ma”tres du Sicle dÕOr. Cette idŽe parvient
donc en Espagne dÕabord par le biais de traductions dÕarticles Žtrangers. En 1896,
Ernesto L—pez dŽcouvre un article de la Berliner Zeitung Illustrierte quÕil publie
dans El Correo de Valencia. On peut lire dans le texte en espagnol :
Pasa con la pintura de Sorolla lo que con esos generosos vinos de la lejana Espa–a :
al que los bebe le parecen cosa nueva, cuando hace sin embargo m‡s de un siglo que
se hallan encerrados en las profundidades de un tonel. As’ tambiŽn parece cosa
completamente nueva la extraordinaria paleta de Sorolla y es porque en ella
resucitan los rasgos m‡gicos del Pincel de Vel‡zquez. [É] Por l’nea y en sucesi—n
directa la paleta del gran Vel‡zquez ha venido a heredarla este joven maestro
espa–ol [É]
84
La comparaison est ensuite reprise et dŽveloppŽe par des journalistes
espagnols. Elle Žvoque les racines nationales mais aussi la modernitŽ et la
dimension europŽenne de Sorolla car, ˆ cette Žpoque, VŽlasquez symbolise tout
cela ˆ la fois. La redŽcouverte du ma”tre remonte ˆ 1865, depuis le voyage en
Espagne dՃdouard Manet. Par la suite, des peintres de toute lÕEurope prennent le
chemin de Madrid dans le seul but de copier ses tableaux. VŽlasquez fait
lÕunanimitŽ, tant chez les conservateurs que chez les modernes. En 1900, dans les
colonnes de El Imparcial, Mariano de Cav’a (1855-1920) associe les noms de
Vel‡zquez, Goya et Sorolla au panthŽon des peintres de la nation : Ç No siempre
en la patria de Vel‡zquez y Goya ha de decirse solemnemente Don Diego, Don
Francisco, Don Joaqu’nÉÈ85 Dans le quotidien La Voz de Galicia, Carlos de
Pe–aranda (1848-1908) affirme lÕannŽe suivante : Ç [É] en verdad, que, despuŽs
84.
85.
Ernesto L—pez, ÒSorollaÓ, Correo de Valencia, Valence, 15/08/1896. Ç Il en va de la
peinture de Sorolla comme de ces gŽnŽreux vins de la lointaine Espagne : quiconque les
boit croirait ˆ une chose nouvelle alors quÕils se trouvent, au contraire, enfermŽs dans les
profondeurs dÕun tonneau depuis plus dÕun sicle. De mme, la palette de Sorolla para”t
compltement nouvelle et cela parce que les traits magiques du Pinceau de VŽlasquez
ressucitent en elle. [É] Ce jeune ma”tre espagnol a hŽritŽ en succession directe de la
palette du grand VŽlasquez. È
Mariano de Cav’a, ÒChimetÓ, El Imparcial, Madrid, 16/06/1900. Ç Ce nÕest pas tous les
jours que dan la patrie de VŽlasquez et de Goya, on peut dire solennellement Don Diego,
Don Francisco, Don Joaqu’nÉ È
I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901
65
de Vel‡zquez, œnicamente al egregio pintor valenciano puede aplic‡rsele la frase
cŽlebre de Mengs sobre el cuadro Las hilanderas: parece que la mano no ha
tomado parte en las obras de Sorolla, sino que ha pintado s—lo la voluntad. È 86
Pe–aranda Žrige le peintre au rang de nouveau VŽlasquez, en lui reconnaissant des
qualitŽs supŽrieures propres ˆ lÕauteur de Las hilanderas. Tous ces articles, plus
ou moins ŽtayŽs et fondŽs, finissent mme par exaspŽrer un journaliste de la revue
El Artista qui se plaint dÕun tel martelage :
ÁOh, Sorolla!... ÁVel‡zquez!... ÁVel‡zquez puro!... Su paleta velazquina recuerda la
escuela cl‡sicaÉ Estas y otras vulgaridades se oyen en boca de personas que, por su
cultura y sus conocimientos deber’an hablar de otra manera, en materia de arte,
cuando se ocupan del insigne pintor valenciano y este mal nace de que s—lo creemos
comparable el Ç genio vivo È con el Ç genio muerto È.
87
Enfin, Blasco Ib‡–ez signe lui-mme un jour un article intitulŽ ÒNieto de
Vel‡zquez, hijo de GoyaÓ, dont il sera question plus avant.88 Cette lecture
vŽlasquŽzienne, nŽe dans le contexte de lÕaffaire, pourrait trs bien tre ˆ lÕorigine
de la percŽe dans lÕÏuvre de Sorolla de ces portraits ÒvŽlasquŽziensÓ dans
lesquels cohabitent des citations de chefs-dÕÏuvre du ma”tre. Le premier du genre
est un portrait de lÕactrice Mar’a Guerrero (1867-1928) en mŽnine, qui remonte
justement ˆ 1897.89 La composition sera lŽgrement remaniŽe en 1906, ce qui
explique que deux dates figurent sur la notice du MusŽe du Prado. Contrairement
ˆ la logique selon laquelle les observateurs reoivent un tableau quÕils interprtent
ensuite, la rŽalisation de ce portrait pourrait avoir ŽtŽ motivŽe, en amont, par la
critique. Notre hypothse est la suivante : Sorolla se serait engagŽ dans une voie
tracŽe par ses amis journalistes et, cela, pour faire appara”tre de faon indiscutable
86.
87.
88.
89.
Carlos de Pe–aranda, ÒEl triunfo de SorollaÓ, La Voz de Galicia, La Corogne, 7/05/1901.
Ç [É] il est vrai que, aprs VŽlasquez, il nÕy a quՈ lÕillustre peintre valencien que lÕon
puisse appliquer la cŽlbre phrase de Mengs concernant le tableau Les fileuses : Il semble
que, dans les Ïuvres, la main nÕait jouŽ aucun r™le et que seule la volontŽ ait peint. È
Anton Raphael Mengs (1728-1779).
Mart’n Ricardo, ÒLa medalla de honorÓ, El Artista, Madrid, 15/05/1901. Ç Oh, Sorolla !
VŽlasquez !... VŽlasquez tout crachŽ !... Sa palette vŽlasquŽzienne rappelle lՎcole
classiqueÉ Celle-lˆ et dÕautres vulgaritŽs sortent de la bouche de personnes qui, par leur
culture et leurs connaissances devraient parler autrement, en matire dÕart, quand ils
sÕoccupent de lÕillustre peintre valencien et ce mal provient de ce que nous pensons le
ÒgŽnie vivantÓ seulement comparable au ÒgŽnie disparuÓ. È
Vicente Blasco Ib‡–ez, ÒNieto de Vel‡zquez, hijo de GoyaÓ, La Naci—n, Buenos Aires,
3/03/1907.
Retrato de Mar’a Guerrero, 131x120Õ5, Madrid, MusŽe National du Prado, 1897-1906.
I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901
66
lÕempreinte de la tradition dans sa peinture. Ainsi, il espre augmenter ses chances
de dŽcrocher la MŽdaille dÕHonneur. Cela expliquerait pourquoi, ˆ lÕExposition
Nationale de 1901, il prŽsente un portrait collectif, Mi familia, plagiant la
composition du tableau Les MŽnines ou La famille de Philippe IV.90 On peut voir,
au premier plan, son Žpouse Clotilde et les trois enfants. InstallŽ ˆ un pupitre, le
petit Joaqu’n dessine le portrait de sa sÏur Elena. Dans le fond de la pice, un
miroir reflte la silhouette du peintre tenant une palette et un pinceau. Les
couleurs dominantes sont le gris et le rouge, une association qui rappelle un autre
chef-dÕÏuvre du MusŽe du Prado, Mercurio y Argos.91 Depuis le tricentenaire de
1899, les deux tableaux se trouvent c™te ˆ c™te dans la salle basilicale du musŽe,
dans une disposition identique a celle que nous connaissons aujourdÕhui.92 Le
portrait de Mar’a Guerrero et Mi familia forcent la comparaison avec le ma”tre
mais cela ne veut pas dire, pour autant, que cette comparaison soit pertinente. En
effet, ces tableaux doivent tre compris dans le contexte de la conqute de la
MŽdaille dÕHonneur et ils nÕont, disons-le, quÕune parentŽ lointaine et assez
improbable avec lÕÏuvre de VŽlasquez. Aprs lÕaffaire, le Valencien manipulera ˆ
dÕautres reprises la citation. Le portrait de lÕhistorien Rafael Altamira, inspirŽ de
celui du Pape Innocent X de la Galerie Doria Pamphili de Rome, en est une autre
illustration.93
Quelques semaines seulement avant lÕinauguration de lÕExposition
Nationale de 1901, un nouveau gouvernement est formŽ, le 6 mars, par le chef du
parti libŽral, Pr‡xedes Mateo Sagasta. Ds son entrŽe en fonction, le nouveau
ministre de lÕInstruction Publique et des Beaux-Arts, çlvaro de Figueroa y Torres,
comte de Romanones (1863-1950), modifie lÕarticle du rglement concernant
lÕattribution de tous les prix en faisant entrer en application une proposition dictŽe
par son prŽdŽcesseur. Cette attribution serait dŽcidŽe, dorŽnavant, par une
centaine dÕartistes rŽcompensŽs lors des Žditions prŽcŽdentes et non plus par le
90.
91.
92.
93.
Mi familia, 185x159, Valence, MunicipalitŽ de Valence, 1901 et Diego VŽlasquez, Las
Meninas o La familia de Felipe IV, Madrid, MusŽe National du Prado, 1656.
Diego VŽlasquez, Mercurio y Arg—s, 128x250, Madrid, MusŽe National du Prado, 1659.
Javier Portœs, ÒVel‡zquez fin de sigloÓ in Di‡logos : Sorolla & Vel‡zquez, Madrid,
Ministerio de Cultura, 2009, pages 11-13.
Retrato de Rafael Altamira, 115x91Õ5, New York, HSA, 1913 et Diego VŽlasquez,
Retrato del Papa Inocencio X, Rome, Collection Doria-Pamphili, 141x159, 1549-1551.
I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901
67
collge de pairs Žlus.94 JosŽ Ram—n MŽlida nÕhŽsite pas ˆ parler de Òsuffrage
universelÓ, une dŽsignation excessive mais chargŽe dÕintentions puisquÕelle fait
Žcho ˆ la restauration du suffrage universel (masculin), en 1890. Il sÕagit dÕune
des principales mesures prises par la majoritŽ libŽrale durant le Òparlamento
largoÓ.95 La nouvelle mouture du rglement de lÕExposition Nationale restera en
vigueur durant un peu plus de trente ans, jusquՈ lՎdition de 1934. Signe des
temps, lÕancien systme dÕattribution des prix sera rŽtabli par lÕadministration
franquiste en 1941, lÕannŽe de la premire Ždition organisŽe sous la dictature.
Mais dorŽnavant, lÕultra conservatisme du jury fera perdre toute crŽdibilitŽ au
concours qui dispara”tra dŽfinitivement en 1968.
Le 4 mai 1901, depuis les colonnes du journal Heraldo de Madrid, Jacinto
Octavio Pic—n (1852-1923) appelle les artistes votants ˆ choisir le Valencien.96 Le
6, le nouveau secrŽtaire du ministre de lÕInstruction Publique, le libŽral Federico
Requejo Avedillo (1854-1915), prŽside donc ce jury Žlargi composŽ de cent
trente-six artistes.97 Requejo avait ŽtŽ dŽputŽ de Zamora de 1886 jusquՈ 1901. Il
sera ensuite ministre de lÕAgriculture en 1905, puis ministre des Finances en
1906. Le peintre valencien, unique candidat ˆ la MŽdaille dÕHonneur, obtient cent
douze voix, soit plus de 80% des suffrages. Dans la presse du lendemain,
Alejandro Saint-Aubin saisit lÕoccasion qui se prŽsente pour revenir sur lՎchec de
1899 : Ç [É] No seremos crueles, Sr. Hinojosa; no haremos alarde de rencorosos
y vengativos. ÁOh ilustre ex director de I.[nstrucci—n] P.[œblica]! vuelve a la
memoria la famosa votaci—n para la medalla de honor, y aparece de nuevo el
presidente del Jurado uniendo a la minor’a un voto que no le concede el
reglamento y reclamando la calidad para decidir en el empate [É] È98 Ailleurs, on
peut lire cependant : Ç Pocas veces ha sido tan discutido por artistas y aficionados
este importante punto de la adjudicaci—n de la medalla de honor de nuestra
94.
95.
96.
97.
98.
On peut lire ˆ ce sujet : JosŽ FrancŽs, ÒLa medalla de honorÓ, El Alc‡zar, Madrid,
22/06/1950 et JosŽ Montero Alonso, ÒÇDo–a Juana la LocaÈ fue el cuadro que obtuvo la
primera Medalla de HonorÓ, El Diario Vasco, Saint SŽbastien, 13/06/1957.
JosŽ Ram—n MŽlida, ÒHonor a SorollaÓ, El Correo, Madrid, 05/1901.
Jacinto Octavio Pic—n, ÒSorollaÓ, Heraldo de Madrid, Madrid, 4/05/1901.
Alejandro Saint-Aubin, ÒExposici—n de bellas artes. Cuesti—n previaÓ, Heraldo de
Madrid, Madrid, 7/05/1901.
Alejandro Saint-Aubin, ÒArte y artistasÓ, El Heraldo, Madrid, 7/05/1901. Ç Nous ne
serons pas cruels ; nous ne ferons pas Žtalage ni de rancunes ni de vengeances. Oh,
illustre ex directeur de lÕI.[nstruction] P.[ublique] ! Le fameux vote pour la mŽdaille
dÕhonneur nous revient en mŽmoire, et nous revoyons ˆ nouveau le prŽsident du jury
joignant ˆ la minoritŽ une voix que ne lui autorisait pas le rglement en invoquant sa
qualitŽ pour dŽcider dÕun rŽsultat nul. È
I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901
68
Exposici—n de Bellas Artes. È99 Dans le quotidien conservateur La ƒpoca, le
photographe Antonio C‡novas y Vallejo (1874-1933) Ð de son pseudonyme
Dalton Kaulak Ð un neveu dÕAntonio C‡novas del Castillo, dŽplore dÕautres effets
de la rŽforme comme, par exemple, la soudaine et douteuse inflation de la quantitŽ
de prix distribuŽs. SÕil reconna”t les qualitŽs de Sorolla, il affirme nŽanmoins :
Ç Conste asimismo que hay varios artistas de primera fila que la merecen
igualmente, y que tienen historia art’stica (algunos) m‡s brillante, por ser m‡s
larga, que la de Sorolla. È100 LÕauteur fait visiblement allusion ˆ des artistes de la
gŽnŽration prŽcŽdente. Peut-tre pense-t-il aux peintres JosŽ Villegas, ou ˆ
Alejandro Ferrant (1843-1917), ou encore ˆ Francisco Domingo MarquŽs.
Avant de conclure, il convient de se demander si, en dÕautres circonstances,
Sorolla aurait obtenu cette rŽcompense. On peut raisonnablement penser que oui,
tout simplement parce quÕune stricte ŽgalitŽ des suffrages sՎtait produite lors de
lՎdition antŽrieure. Dans ce cas, sÕil y eut ensuite un Òcoup de pouceÓ ministŽriel
du libŽral Romanones, celui-ci Žtait sans doute superflu et certainement
dommageable. En effet, acquise dans des conditions trop favorables, la
rŽcompense arrive, de surcro”t, bien trop tard. Un article publiŽ dans la revue
Blanco y Negro, rapporte quÕaux amis venus ˆ son atelier pour lui annoncer la
nouvelle, Sorolla se serait contentŽ de rŽpondre laconiquement, Ç ÁMe traŽis el
diploma de viejo! È101 Il existe dÕautres anecdotes faisant Žtat de lÕamertume et de
la retenue du peintre le jour de sa victoire. Manuel Gonz‡lez Mart’ rend compte
dÕun Žchange entre Sorolla et le peintre valencien Antonio Fillol Granell (18701930) : Ç Cuando alcanz— la medalla de honor un grupo de artistas valencianos,
que en su inquietud le hab’a sido adverso siempre, fue a felicitarle, y el cabeza del
grupo le endilg— un peque–o discurso lleno de superlativos. Sorolla, con toda
seriedad, escuch— los elogios y contest— : Si cuando acab‡is de decir lo dec’s de
veras, os lo agradezco infinito. È102 Certes, le peintre accueille sa victoire sans
99.
100.
101.
102.
Anonyme, [?], [?], Madrid, 7/05/1901. Ç Rarement cette importante question de la remise
de la mŽdaille dÕhonneur de notre Exposition des Beaux-Arts nÕa autant ŽtŽ discutŽe par
les artistes et les observateurs. È
Antonio C‡novas y Vallejo, ÒExposici—n Nacional de Bellas Artes. Las recompensasÓ, La
ƒpoca, Madrid, 13/05/1901. Ç Reconnaissez, de mme, quÕil y a plusieurs artistes de
premier rang qui la mŽritent autant, et qui possdent une histoire artistique (pour
quelques-uns) plus brillante, parce que plus ancienne, que celle de Sorolla. È
Anonyme, ÒNuestros Artistas. Joaqu’n SorollaÓ, Blanco y Negro, Madrid, 7 ou 8/05/1901.
Ç Vous mÕapportez le dipl™me ˆ mon ‰ge ! È
Pelejero, ÒUsted que conoci— a Sorolla, d’ganos Àc—mo era?Ó, Levante, Valence,
17/09/1959 et Francisco Almela Y Vives, ÒLo que el gran pintor pensaba donar a su
I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901
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effusion de joie ; mais cela ne veut pas dire pour autant quÕil la mŽprise. Sorolla a
ŽtŽ formŽ ˆ lՎcole des rŽcompenses et des honneurs et il ne les dŽdaigne pas, bien
au contraire. Ë la fin du XIXme sicle, ce sont des clŽs indispensables qui ouvrent
les portes des postes officiels, des commandes dՃtat et de beaucoup dÕautres
choses qui assurent la vie matŽrielle de lÕartiste.
Sorolla ne retire pas tout le bŽnŽfice de sa MŽdaille dÕHonneur. Pis, les
polŽmiques qui ont ŽmaillŽ ses dernires participations au concours et, plus
encore, lÕhostilitŽ soulevŽe par la rŽforme de Romanones chez les conservateurs,
vont ensuite lui porter prŽjudice. Elles sont mme ˆ lÕorigine dÕun contentieux
entre le peintre et lՃtat. Car le tableau rŽcompensŽ, Triste herencia, nÕest jamais
achetŽ ˆ son auteur, contrairement ˆ lÕunique prŽcŽdent en la matire, Do–a Juana
la Loca, acquis ˆ Pradilla pour la somme de quarante mille pesetas plus de vingt
ans auparavant.103 Le gouvernement libŽral propose lÕacquisition de Triste
herencia au Parlement, conformŽment ˆ lÕusage Žtabli, mais les conservateurs
refusent de signer la dŽclaration dÕachat. Les deux partis dynastiques ne
parviennent pas ˆ sÕentendre, malgrŽ les efforts du comte de Romanones, et le
dŽlai expire en dŽcembre 1902 sans quÕaucune solution nÕait ŽtŽ trouvŽe.
Finalement, Sorolla vend avantageusement son tableau ˆ un collectionneur
espagnol Žtabli aux Etats-Unis. Il changera ensuite plusieurs fois de mains avant
dՐtre rapatriŽ, dans les annŽes 1980, par la Caisse dՃpargne de Valence.
Dans son article ÒHonor a SorollaÓ, JosŽ Ram—n MŽlida rapporte une
anecdote qui pourrait servir dՎpilogue ˆ lÕaffaire. LÕauteur y Žvoque les
rŽpercussions nŽgatives du Grand Prix de lÕExposition Universelle sur la
rŽception de Sorolla, dans son pays. Il cite les prŽdictions dÕun peintre anonyme,
Ç un illustre peintre qui conna”t bien notre pays È :
103.
ciudad nativaÓ, Levante, Valence, 24/02/1963. Ç Quand il remporta la mŽdaille
dÕhonneur, un groupe dÕartistes valenciens qui, par manque expŽrience, lui avait toujours
ŽtŽ hostile, vint le fŽliciter, et le chef du groupe se fendit dÕun petit discours rempli de
superlatifs. Sorolla, avec le plus grand sŽrieux, Žcouta les Žloges et rŽpondit : Si quand
vous aurez fini de parler vous consentez ˆ dire vrai, je vous en serai infiniment
reconnaissant. È
Rufo V‡zquez, ÒAlgunos curiosos datos sobre la Medalla de HonorÓ, D’game, Madrid,
15/07/1952. Federico Galindo, Federico, ÒÀD—nde est‡n? Los distintos paraderos de
algunos cuadros famosos del Museo de Arte ModernoÓ, D’game, 16/06/1959 et
Bernardino de Pantorba, ÒHistoria y peripecia del cuadro de Sorolla Triste HerenciaÓ,
ABC, Madrid, 3/06/1981.
I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901
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Pero hubo entonces en Par’s un pintor ilustre que conoce bien nuestro pa’s, y lo
demostr— con lo que vamos a referir. DespuŽs de visitar la Exposici—n, se sentaban
una tarde a comer con Sorolla y en obsequio suyo dicho artista extranjero y otro
espa–ol. El extranjero felicit— a Sorolla por su triunfo, que estim— como muy
leg’timo y a–adi—: - Pero ya ver‡ usted cu‡ntos disgustos le cuesta a Vd. en su pa’s
ese premio. Desgraciadamente fue profeta. [É] En otro pa’s, a Sorolla se le ensalza,
se le aplaude, se le admira; aqu’ la caracter’stica es despreciarle, discutirle cuando ya
nadie le discute, y si es posible, procurar que se vaya.
104
Il sÕagit, selon toute vraisemblance, du Franais LŽon Bonnat avec lequel
Sorolla et Beruete d”nrent le 18 juilllet 1900.105 Le Franais connaissait trs bien
lÕEspagne et parlait espagnol couramment car sa famille sՎtait installŽ
temporairement ˆ Madrid en 1847, et il y avait suivi les enseignements
de Federico de Madrazo ˆ lÕAcadŽmie des Beaux-Arts de San Fernando.
Aprs 1901, mme si Sorolla continue ˆ rŽsider en Espagne, cette affaire
lՎloigne de son pays dÕorigine. Il nÕy organise, par exemple, aucune de ses cinq
expositions individuelles. On verra dans le chapitre suivant, quՈ partir de 1902,
sa carrire sÕoriente vers trois pays europŽens, la France, lÕAllemagne et
lÕAngleterre, puis, ˆ partir de 1909, quÕelle se poursuit aux ƒtats-Unis.
104.
105.
JosŽ Ram—n MŽlida, ÒHonor a SorollaÓ, El Correo, Madrid, 05/1901. Ç Mais il y avait
alors ˆ Paris un illustre peintre qui conna”t bien notre pays et il en donna une preuve ainsi
que le montre ce qui suit. Un aprs-midi, aprs avoir visitŽ lÕExposition, cet artiste
Žtranger et un autre, espagnol, prenaient place autour dÕune table pour dŽjeuner avec
Sorolla. LՎtranger fŽlicita Sorolla pour son succŽs, quÕil estima trs lŽgitime avant
dÕajouter : Mais vous verrez combien de dŽsagrŽments vous cožtera ce prix dans votre
pays. Malheureusement sa prophŽtie se rŽalisa. [É] Ë lՎtranger, on lÕencense, on
lÕapplaudit et on lÕadmire tandis quÕici lÕusage est de le mŽpriser, de remettre en cause son
talent quand il ne viendrait plus ˆ lÕidŽe de personne de le faire et, si possible, faire en
sorte quÕil sÕen aille. È
Lettre de J. Sorolla ˆ son Žpouse Clotilde Garc’a del Castillo, datŽe du 18/07/1900 : Ç [É]
ya mareado me fui con Beruete a ver el viejo Par’s, una cosa que no hace mal, despuŽs
estuvimos a comer con la familia Beruete y Bonnat en un restor‡n a la orilla del r’o È in
Blanca Pons-Sorolla et V’ctor Lorente Sorolla, Epistolarios de Joaqu’n Sorolla, III.
Correspondencia con Clotilde Garc’a del Castillo (1891-1911), Barcelone, Anthropos,
2009, pages 112-113. Ç [É] ƒpuisŽ, je suis allŽ visiter le vieux Paris avec Beruete, une
chose quÕil ma”trise assez bien, ensuite nous dŽjeun‰mes avec la famille Beruete et LŽon
Bonnat dans un restaurant au bord du fleuve.
I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901
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I.3. LES PREMIERS SOUTIENS : LA GAUCHE LIBƒRALE ET RƒPUBLICAINE
Cette affaire de la MŽdaille dÕHonneur est le premier Òmoment clŽÓ de la
rŽception de lÕÏuvre de Sorolla en Espagne si lÕon en juge, par exemple, par la
densitŽ des articles entre 1897 et 1901.106 Avec presque cent articles, lÕannŽe 1900
constitue mme un ÒpicÓ qui ne sera dŽpassŽ quÕen 1932, lÕannŽe de
lÕinauguration du MusŽe Sorolla. Durant le temps de lÕaffaire, les contours dÕune
communautŽ dÕinterprŽtation se dessinent dans la presse. Sa premire
caractŽristique est son positionnement idŽologique, clairement situŽ du c™tŽ de la
gauche dynastique libŽrale et du rŽpublicanisme. On peut sÕinterroger dÕores et
dŽjˆ sur le manque dÕarticles issus des organes de presse conservateurs et carlistes
dans les cartons du MusŽe Sorolla. Y aurait-il une lacune propre ˆ cette collection
ou faut-il penser que les journaux les plus rŽactionnaires sÕintŽressent moins ˆ
Sorolla durant cette pŽriode ? Quand bien mme les deux hypothses fussent
valides, elles ne justifieraient peut-tre pas compltement ce dŽsŽquilibre si lÕon
tient compte, par exemple, de lÕimplication du peintre dans la collecte des
premires coupures. En admettant cela, lÕinŽgale distribution des articles entre
gauche et droite, pourrait trs bien reflŽter ses propres idŽes politiques.
La seconde caractŽristique de la communautŽ dÕinterprŽtation qui se dŽtache
dans ce corpus est la prŽsence, parmi elle, dÕauteurs non spŽcialistes. Cette
particularitŽ la diffŽrencie de la critique dÕart Žtrangre reprŽsentŽe dans les
mmes archives. Par exemple, la critique parisienne est un cercle de fins
connaisseurs dont font partie des hommes de lettres, parfois potes, comme
JosŽphin PŽladan (1858-1918), Gustave Kahn (1859-1936), Camille Mauclair
(1872-1945), Alphonse Germain (1861-inc.), Gustave Larroumet (1852-1903),
Georges Lecomte (1867-1958) etc. Parmi eux figure un historien aussi Žminent
que LŽonce BŽnŽdite (1856-1925), le conservateur du MusŽe du Luxembourg. Il
publie des chroniques dÕart bien documentŽes et signera, en 1910, un ouvrage de
rŽfŽrence.107 Ë lÕimage du discours dominant qui consiste alors ˆ relier
verticalement les peintres aux grands modles de lÕhistoire de lÕart, son livre sur la
peinture ˆ la fin du XIXme sicle est divisŽ en ƒcoles nationales. Toutefois, ˆ
106.
107.
Voir : Graphique n¡1. RŽpartition des archives de presse du MusŽe Sorolla.
LŽonce BŽnŽdite, La peinture au XIXe sicle, Paris, Flammarion, 1910.
I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901
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lÕintŽrieur du chapitre consacrŽ ˆ lՃcole espagnole, la notice concernant Sorolla
tranche avec le reste puisque le Valencien est rattachŽ ˆ trois peintres europŽens
nŽs au XIXme sicle : Jules Bastien-Lepage, Albert Besnard (1849-1934) et
Andres Zorn. Pour le critique franais, Sorolla est le plus europŽen des peintres
espagnols car sa peinture rejoint les courants dominants.
En Espagne, si des experts confirmŽs, tels que Rodrigo Soriano, Francisco
Alc‡ntara et JosŽ Ram—n MŽlida commentent les tableaux du Valencien, dÕautres
tels que Vicente Sanch’s GuillŽn, JosŽ Cintora PŽrez (1861-inc.) ou Vicente
Blasco Ib‡–ez ne sont ni connaisseurs ni mme proches du monde des BeauxArts. Le dernier lit rŽgulirement la presse Žtrangre et reconna”t la valeur des
critiques Žtrangers, comme le dŽmontrent les trois articles quÕil consacre ˆ Sorolla
durant cette pŽriode. Pour cette raison, lՎcrivain nÕentend pas se substituer ˆ la
critique dÕart, ainsi quÕil lÕaffirme sans dŽtour en 1897 : Ç Considero inœtil hablar
aqu’, una por una, de las obras que Sorolla tiene en la Exposici—n. ÀPara quŽ? La
cr’tica se ha ocupado de ellas, tribut‡ndolas elogios just’simos, y las ilustraciones
extranjeras las han reproducido en hermosos grabados. È108 JosŽ Cintora PŽrez
commence mme une chronique intitulŽe ÒEl cuadro de SorollaÓ de la manire
suivante : Ç ÀUn art’culo de cr’tica? No. Soy profano en la materia. Pueden
ustedes leer sin cuidado estas l’neas. È109
Tant dans sa nature que dans ses intentions, lÕaffaire de la MŽdaille
dÕHonneur fŽdre une communautŽ dÕinterprŽtation diffŽrente de ce qui existe
dŽjˆ ˆ lÕextŽrieur et plusieurs facteurs expliquent cette singularitŽ. Le premier est
liŽ au niveau de notoriŽtŽ du peintre car, ˆ cette Žpoque, Sorolla est dŽjˆ un
personnage public connu bien au-delˆ des milieux artistiques. Le second tient ˆ
lՎcho, ˆ Madrid, de la presse Žtrangre. En effet, la traduction totale ou partielle
dÕarticles importŽs rŽduit lÕespace critique des spŽcialistes locaux. Cet usage est
alors courant et il continuera ˆ jouer un r™le important lors de chacune des
expositions du peintre ˆ lՎtranger. DÕune manire gŽnŽrale, les Žcrivains
Žtrangers sont alors tellement ˆ la mode que Miguel de Unamuno affirme en 1895
108.
109.
Vicente Blasco Ib‡–ez, ÒSorollaÓ, El Pueblo, Valence, 5/06/1897. Ç Il me semble inutile
de comenter ici, une ˆ une, les Ïuvres de Sorolla ˆ lÕExposition. Pourquoi le faire ? La
critique sÕest occupŽe dÕelles, en leur rŽservant des Žloges tout ˆ fait justifiŽs, et les revues
illustrŽes Žtrangres les ont reproduites dans de belles gravures. È
JosŽ Cintora, ÒEl cuadro de SorollaÓ, [?], [Madrid], 04 ou 05/1901. Ç Un article de
critique ? Non. Je suis profane en la matire. Vous pouvez parcourir ces lignes sans
crainte. È
I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901
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quÕon lit en Espagne plus dÕauteurs Žtrangers que dÕauteurs espagnols.110 Enfin, il
faut souligner lÕinfluence du contexte historique de lÕEspagne. Car lÕaffaire se
superpose aux ŽvŽnements tragiques de la guerre dÕindŽpendance de Cuba et des
Philippines (1895-1898) et ˆ une importante crise Žconomique. La double dŽfaite
de lÕArmŽe et de la Marine espagnoles provoque le dŽmantlement des restes de
lÕempire dÕoutre-mer. Dans un tel contexte, la perception du parcours et de la
peinture de Sorolla ne reste pas ˆ lՎcart des tensions qui traversent la sociŽtŽ et
son double Žchec au concours national se transforme en une question bržlante,
dont la dimension dŽpasse de loin les frontires de lÕart. CÕest probablement la
principale raison pour laquelle il mobilise bien au-delˆ des seuls cercles
artistiques.
Durant lÕaffaire, Heraldo de Madrid, El D’a et El Pueblo publient,
ensemble, au moins trente-deux articles sur le peintre valencien si lÕon sÕen tient ˆ
la collection de presse du MusŽe Sorolla. Inversement, durant la mme pŽriode, la
production de Sorolla tŽmoigne de plusieurs Žchanges avec leurs rŽdactions. Pour
le quotidien rŽpublicain de Vicente Blasco Ib‡–ez El Pueblo, il peint en 1899 une
affiche promotionnelle reprŽsentant une Valencienne coiffŽe dÕun bonnet
phrygien distribuant des exemplaires du journal.111 La mme annŽe, il rŽalise un
portrait dÕAlejandro Saint-Aubin, secrŽtaire du quotidien libŽral Heraldo de
Madrid.112 Enfin, une scne dÕintŽrieur de 1900-1901, Clotilde leyendo un diario,
pourrait tre une rŽfŽrence directe ˆ lÕappui quÕil reoit de ce journal.113 Aprs
lÕaffaire, Sorolla portraiturera cinq auteurs qui lÕont soutenu dans la presse : Luis
L—pez Ballesteros (1869-1933), JosŽ Ram—n MŽlida, Jacinto Felipe Octavio
Pic—n, Vicente Blasco Ib‡–ez, et Francisco Acebal.114
El D’a est fondŽ par le marquis de Riscal, en 1880, mais il est rachetŽ six
ans plus tard par Segismundo Moret (1838-1913), le fondateur du parti
110.
111.
112.
113.
114.
Miguel de Unamuno, En torno al casticismo, Madrid, Biblioteca Nueva, 1996 (1895),
page 51.
Boceto para un cartel anunciador, 95Õ5x172Õ3, Valence, MusŽe des Beaux-Arts San P’o
V, 1899. Figure n¡2. ƒbauche dÕune affiche promotionnelle pour le journal El Pueblo
(1899).
Las manos de Alejandro Saint-Aubin, con un perrito, 41x71, Collection particulire,
1899.
Clotilde leyendo un diario, 60Õ5x100Õ5, Madrid, MS, 1900-1901.
Luis L—pez Ballesteros, 61x45, çlava, MusŽe des Beaux-Arts de çlava, 1903. JosŽ
Ram—n MŽlida, 95x59, New York, HSA, 1904. Jacinto Felipe Octavio Pic—n, 65x88,
Madrid, Museo Nacional del Prado, 1904. Vicente Blasco Ib‡–ez, 127x90, New York,
HSA, 1906. El escritor Francisco Acebal, 58x80, Collection particulire, 1908.
I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901
74
monarchiste libŽral. Il faut souligner, au passage, la parentŽ de cet homme
politique avec un ami du peintre, Aureliano de Beruete, qui nÕest autre que son
neveu. LՎtude quÕil consacre ˆ lÕÏuvre de Sorolla para”t dans la presse en juin
1901 et sera republiŽe sŽparŽment en 1910.115 El D’a consacre trois articles ˆ
Sorolla entre 1899 et 1901, tous signŽs du pseudonyme Miss-Teriosa sous lequel
Žcrit un personnage mal connu, Vicente Sanch’s GuillŽn.116 Il finit ses jours ˆ
Biarritz dans une villa quÕil fait construire en 1904 et que lÕon peut encore
admirer aujourdÕhui mais ses biens nÕy ont pas ŽtŽ conservŽs. Comme la plupart
des intellectuels de cette Žpoque, ce militaire nŽ ˆ Valence toucha ˆ diffŽrents
domaines. Il fut colonel de lÕarmŽe espagnole missionnŽe ˆ Cuba, journaliste,
Žcrivain et homme politique, Žlu deux fois dŽputŽ conservateur de Cuba, en 1891
et en 1893. Ë la fin de son deuxime mandat il se rallie au parti libŽral de Sagasta.
Pour le colonel Sanch’s, le second Žchec de Sorolla symbolise lÕhermŽtisme de
lÕEspagne de la Restauration aux tentatives de rŽnovation. Depuis les colonnes
dÕEl D’a, il demande en 1899 la rŽvision du rglement de lÕExposition Nationale
et dŽnonce lÕinfluence des dirigeants politiques sur le concours.
Le monarchiste libŽral JosŽ Canalejas (1854-1912) fait lÕacquisition de
Heraldo de Madrid en 1893, trois ans aprs sa naissance.117 Le journal couvre
efficacement les ŽvŽnements majeurs de la carrire du peintre ˆ partir de 1895.
Les archives de presse du MusŽe Sorolla contiennent treize articles du quotidien
publiŽs entre le 1er janvier 1900 et le 31 dŽcembre 1901. Bien sžr lÕensemble nÕest
pas exhaustif et les archives consultables en ligne de la Bibliothque Nationale
dÕEspagne signalent soixante-huit occurrences du patronyme ÒSorollaÓ sur la
mme pŽriode.118 Au printemps 1900, le journal publie les dŽpches de deux
peintres, Luis JimŽnez Aranda (1845-1928) et Ulpiano Checa (1860-1916), qui
rendent compte, depuis Paris, de la participation des artistes espagnols ˆ
lÕExposition Universelle. Aprs lÕannonce du succs de Sorolla, le journal
continue ˆ valoriser son parcours en organisant sa rŽception ˆ Madrid. JosŽ
115.
116.
117.
118.
Aureliano de Beruete, ÒJoaqu’n SorollaÓ, Hispania, Madrid, 15/06/1901 et Joaqu’n
Sorolla, Madrid, Biblioteca Estrella, 1921.
Miss-Teriosa, ÒExposici—n de bellas artesÓ, El D’a, Madrid, 18/05/1899 ; ÒExposici—n de
bellas artes : El fallo del juradoÓ, El D’a, Madrid, 20/05/1899 et ÒSorollaÓ, [El
D’a], [Madrid], 7/05/1901.
Mar’a Cruz Seoane et Mar’a Dolores Saiz, Cuatro siglos de periodismo en Espa–a,
Madrid, Alianza, 2007, page 133.
http://www.bne.es/es/Catalogos/HemerotecaDigital/
I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901
75
GutiŽrrez Abascal (1852-1907), le directeur du journal, prŽside un banquet en
lÕhonneur du Grand Prix de lÕExposition Universelle, le lundi 11 juin 1900. CÕest
le premier dÕune sŽrie des trois banquets organisŽs en lÕhonneur du peintre.
Le premier rŽunit environ cent trente personnes dont une large majoritŽ
dÕartistes tels que JosŽ et Mariano Benlliure, Ricardo de Madrazo, Jaime Morera y
Galicia (1954-1927), Marcelino MenŽndez Pelayo, JosŽ Soriano y Fort (18731937), etc. Parmi le reste de lÕassistance, figurent des journalistes de la gauche
libŽrale comme Ricardo Blasco (inc.-inc.) de La Correspondencia de Espa–a et
Augusto Com‡s y Blanco de Diario de Barcelona, et des hommes politiques : le
dŽputŽ libŽral Luis L—pez Ballesteros (1869-1933), Am—s Salvador Rodrig‡–ez
(1845-1922), JosŽ Francos Rodr’guez (1862-1931) du Parti DŽmocrate ou encore
Amalio Gimeno (1852-1936), un partisan du libŽralisme de JosŽ Canalejas. Il faut
ajouter ˆ cette liste un dŽputŽ rŽpublicain, Miguel Morayta Sagrario (1834-1917)
ainsi que le fils homonyme de Cristino Martos (1830-1893).119
Le second banquet est organisŽ ˆ Valence le 1er aožt 1900, en hommage ˆ
Sorolla et ˆ Mariano Benlliure, les deux artistes mŽdaillŽs ˆ Paris.120 Le banquet
cl™ture les festivitŽs commencŽes le 28 juillet. Le peintre et le sculpteur sont tout
dÕabord ŽlevŽs au rang de citoyens dÕhonneur de la ville par le maire JosŽ
Montesinos Checa (inc.-inc.). La ÒPlaza de la PelotaÓ est rebaptisŽe ÒPlaza de
Mariano BenlliureÓ et la ÒCalle de las BarcasÓ devient ÒCalle del pintor
SorollaÓ.121 Quelques jours plus tard, le Club Maritime du Caba–al convie les
deux artistes ˆ un banquet auquel participent les Žcrivains Joaqu’n Dicenta (18621917), Manuel Passo (1864-1901) et les figures politiques de la ville, de gauche
comme de droite : Vicente Blasco Ib‡–ez ainsi que les dŽputŽs conservateurs
Teodoro Llorente et Francisco Peris Mencheta (1844-1916). Le journaliste et
homme politique est un intime du roi Alphonse XIII, dont il couvre les
dŽplacements pour La Correspondencia de Espa–a. LՎtŽ 1900 passera ˆ la
postŽritŽ comme une des pages les plus marquantes de lÕhistoire de la citŽ
119.
120.
121.
Alejandro Saint-Aubin, ÒArte y artistasÓ, Heraldo de Madrid, Madrid, 11/06/1900 ;
Anonyme, ÒEn honor de SorollaÓ, La Uni—n Democr‡tica, Alicante, 14/06/1900 et CŽsar
G—nzalez Ruano, ÒLos dos Cristinos Martos y su tiempoÓ, La Vanguardia, Barcelone,
16/03/1944.
Anonyme, ÒBenlliure y SorollaÓ, La Correspondencia de Valencia, Valence, 2/08/1900.
Anonyme, ÒSorolla y BenlliureÓ, [El Pueblo], [Valence], 29/07/1900
I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901
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levantine qui continue, aujourdÕhui, dÕen fter lÕanniversaire.122 Cent ans plus
tard, le MusŽe San P’o V accueillera une exposition intitulŽe Mariano Benlliure y
Joaqu’n Sorolla. Centenario de un homenaje.123
En toute logique, Heraldo de Madrid consacre une importante couverture ˆ
lÕExposition Nationale de 1901 car la rŽforme du concours laisse prŽsager une
large victoire de Sorolla qui est le seul prŽtendant ˆ la MŽdaille dÕHonneur. Aprs
lÕannonce du rŽsultat, le 6 mai, un cortge improvisŽ, composŽ de journalistes et
dÕadmirateurs du peintre, prend le chemin de son atelier pour lui faire part de la
nouvelle et recueillir ses premires impressions. Parmi eux se trouve JosŽ
Canalejas, le fondateur du journal, qui va devenir ministre de lÕAgriculture, de
lÕIndustrie et du Commerce au sein du cabinet formŽ par Sagasta, en mars 1902.
Le 7 mai, Heraldo de Madrid est le premier journal ˆ annoncer lÕattribution de la
MŽdaille dÕHonneur ˆ Sorolla car Alejandro Saint-Aubin, son secrŽtaire, fait
partie du jury Žtendu ˆ une centaine dÕartistes.124 Deux jours plus tard, le 9, le
journal organise le troisime banquet, ˆ Madrid.125 Cette fois, le ministre de
lÕInstruction Publique et des Beaux-Arts, le comte de Romanones, prŽside luimme lÕassemblŽe aux c™tŽs de JosŽ Canalejas. Trois Žcrivains de la gauche
rŽpublicaine, Benito PŽrez Gald—s (1843-1920) Joaqu’n Dicenta et Jacinto
Octavio Pic—n, participent ˆ ce rassemblement des amis du peintre. En 1903,
Pic—n sera Žlu dŽputŽ sous les couleurs de lÕUnion RŽpublicaine aux c™tŽs de
trente-cinq autres, dont Joaqu’n Costa (1846-1911) et Nicol‡s Salmer—n (18381908).
Les divers hommages offerts ˆ Sorolla, tant ˆ Madrid quՈ Valence,
rassemblent une majoritŽ de personnalitŽs de gauche, de sorte que, si les
convictions personnelles du peintre rejoignent, ˆ cette Žpoque, celles de ses amis,
sa couleur politique doit se situer quelque part entre le rŽpublicanisme de Blasco
Ib‡–ez et le monarchisme dŽmocratique de Canalejas mme si aucun document
nՎtaye cette supposition. Le peintre ne sÕest jamais exprimŽ publiquement sur sa
filiation politique, certainement pour ne pas sÕaliŽner une partie de sa riche
122.
123.
124.
125.
Vicente Vidal Corrella, ÒSorolla y Benlliure en la Feria de 1900Ó, Las Provincias,
Valence, 30/07/1961.
Mariano Benlliure y Joaqu’n Sorolla. Centenario de un homenaje, Valence, Generalitat
Valenciana, 2000.
Alejandro Saint-Aubin, ÒArte y artistasÓ, Heraldo de Madrid, Madrid, 7/05/1901.
Alejandro Saint-Aubin, ÒEn los Viveros. Banquetes de hoyÓ, El Heraldo, Madrid,
10/05/1901.
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77
clientle. Cela ne veut pas dire quÕil nÕa pas dÕopinion politique, bien au contraire.
LՎcrivain P’o Baroja fera un court portrait du peintre dans lequel il dŽcrira un
homme trs intelligent et qui, sur le plan politique, avait les idŽes trs claires.126
Mais Sorolla nÕadhre ˆ aucun parti et sait, semble-t-il, se maintenir ˆ lՎcart des
cercles si lÕon en croit plusieurs sources concordantes dont fait partie ce
tŽmoignage du cŽramiste valencien Manuel Gonz‡lez Mart’ (1877-1972) :
En Valencia carec’a de tertulia [É] En Madrid, las tertulias, no muy nutridas, las
ten’a los domingos, por la ma–ana de 12 a 2; periodistas literatos compa–eros;
porque durante los d’as de la semana, el criado ten’a la consigna: El se–or est‡
trabajando y no recibe.127
Contrairement ˆ dÕautres artistes de sa gŽnŽration tels que Santiago Rusi–ol,
JosŽ GutiŽrrez Solana, Cecilio Pl‡ (1860-1934), Ricardo Baroja (1871-1953) et
beaucoup dÕautres, Sorolla nÕest pas un intellectuel. Il ne sÕexprime quasiment
jamais sur des sujets dÕordre public et ne signe que trois textes diffusŽs dans la
presse : un article consacrŽ au peintre suŽdois Anders Zorn, un hommage
posthume au peintre JosŽ Benlliure Ortiz (1884-1916) Ð communŽment dŽsignŽ
sous ses diminutifs Peppino ou Pepito Ð, le fils de son ami JosŽ Benlliure Gil, et
une lettre ouverte adressŽe au quotidien La Correspondencia de Valencia,
concernant lՎdification dÕun Palais des Arts ˆ Valence.128 Mais ces textes sont-ils
bien de lui ? Rien nÕest moins sžr. DÕautres Žcrits ne peuvent plus lui tre
attribuŽs aujourdÕhui. LՎcrivain Azor’n (1873-1967) affirme avoir composŽ ˆ sa
place une prŽface pour lÕexposition dÕun peintre amŽricain et cÕest un homme
politique, Amalio Gimeno (1852-1936), qui pourrait tre le vŽritable auteur de son
126.
127.
128.
P’o Baroja, Desde la œltima vuelta del camino: memorias. IV. Galer’a de tipos de la
Žpoca, Madrid, Biblioteca Nueva, 1952.
Pelejero, ÒUsted que conoci— a Sorolla, d’ganos Àc—mo era?Ó, Levante, Valence,
17/09/1959. Voir aussi Vicente Blasco Ib‡–ez, ÒCr—nica art’stica. SorollaÓ, El Pueblo,
Valence, 5/06/1897 et, enfin, LŽon Roch, ÒJoaqu’n SorollaÓ, La Ilustraci—n Art’stica,
Barcelone, 2/07/1900. Ç Ë Valence, il manquait de relation. Ë Madrid, il frŽquentait des
cercles, pas trs frŽquentŽs, les dimanches matin de midi ˆ deux heures ; journalistes,
hommes de lettres, camarades ; car durant la semaine, le gardien avait la consigne
suivante : Monsieur est en train de travailler et ne reoit pas. È
Joaqu’n Sorolla y Bastida, ÒApunte sobre ZornÓ, La Lectura, Madrid, 1903. ÒPepito
BenlliureÓ, Rosas y Espinas, Valence, 10/1916 et ÒCarta abiertaÓ, La Correspondencia de
Valencia, Valence, 20/12/1916.
I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901
78
discours dÕinvestiture ˆ lÕAcadŽmie Royale de San Fernando.129 Tous les titres
ÒlittŽrairesÓ de ses tableaux ˆ thse sont soufflŽs par des tiers. Vicente Blasco
Ib‡–ez dŽcouvre probablement ÁAœn dicen que el pescado es caro! et cÕest au
docteur Luis Simarro que lÕon doit les titres Triste herencia et Trata de
blancas.130 Sorolla ne publie aucun livre, ne prononce aucun discours et refuse
mme de prendre la parole devant un auditoire. Ë lÕoccasion dÕun banquet, JosŽ
Canalejas lui Žvite soigneusement cette peine par une pirouette restŽe cŽlbre :
Ç no necesita hablar el que tan admirablemente pinta. È131 Il ne possde ni la
formation acadŽmique ni la culture suffisante pour occuper lÕespace public de
cette faon.132 CÕest en tant quÕartiste de rang international quÕil sÕattire la
sympathie dÕune partie des Žlites intellectuelles du pays car il incarne ˆ la fois la
nouvelle gŽnŽration, la rŽnovation artistique, mais aussi la rŽussite au plus niveau.
Tous ces aspects de son parcours sont favorablement accueillis par les partisans
dÕun certain ÒrŽformismeÓ politique car ils font Žcho ˆ leurs propres engagements.
Cette identification orientera leur manire de lire ses tableaux. On sÕintŽressera
donc ici ˆ la vision des rŽpublicains qui, naturellement, identifirent leurs luttes ˆ
sa peinture de la dŽnonciation sociale. Le principal tableau de cet ensemble, Triste
herencia, donnera lieu ˆ de nombreuses lectures, ainsi quÕon va le voir
maintenant.
On a citŽ prŽcŽdemment un article du Valencien Vicente Blasco Ib‡–ez, une
des figures les plus emblŽmatiques de ce groupe, en particulier parce quÕil
dirigeait El Pueblo. Journaliste, romancier et homme politique farouchement
129.
130.
131.
132.
Azor’n (JosŽ Mart’nez Ruiz), Obras selectas, Madrid, Biblioteca Nueva, 1943, page 156
et Florencio de Santa-Ana, ÒSorolla en el contexto de la pintura valenciana de su tiempoÓ
in Conocer el Museo Sorolla, Diez aportaciones a su estudio, 1986, pages 5-12.
Hip—lito T’o, ÒSorolla era en la intimidad un hombre cari–osoÓ, Las Provincias, Valence,
17/04/1960.
Anonyme, ÒEn los Viveros. Banquetes de hoyÓ, Heraldo de Madrid, Madrid, 10/05/1901.
Ç Celui qui peint si admirablement nÕa pas besoin de parler. È
On peut consulter ˆ ce sujet un entretien accordŽ par Sorolla ˆ la revue Por esos Mundos,
dans lequel on peut lire :
- ÀEstudi— usted alguna carrera?...
La de pintor, Áno le digo!... en vez de aprender a leer y escribir, yo pintaba monos, y
de tal manera me dediquŽ yo a la pintura, que abandonaba cualquiera otra
instrucci—n. ÁCon decir a usted que hoy es y me cuesta trabajo ser correcto
ortogr‡ficamente! Y es que nosotros quisiŽramos hablar con los colores. [É] in El
Duende de la Colegiata, ÒSorollaÓ, Por esos Mundos, Madrid, [1913].
Ç - Avez-vous fait des Žtudes ?... - Celles de peintre, quelle histoire !... au lieu
dÕapprendre ˆ lire et ˆ Žcrire, moi je peignais des singes et je me suis tellement consacrŽ ˆ
la peinture que jÕai nՎgligŽ tout autre enseignement. Sachez quÕil mÕest aujourdÕhui
difficile de ne pas commettre de fautes dÕortographe ! Parce que nous, nous voulions
parler avec les couleurs. È
I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901
79
anticlŽrical et antimonarchiste, Žlu six fois dŽputŽ sur les bancs rŽpublicains entre
1898 et 1908, il est plusieurs fois emprisonnŽ puis amnistiŽ. La relation entre
Blasco et Sorolla est aujourdÕhui plus cŽlbre que connue, car les sources
manquent, un point sur lequel on reviendra dans le chapitre consacrŽ au
franquisme. La bibliographie, en revanche, ne manque pas. La tentation dÕassocier
le peintre et lՎcrivain a souvent conduit les critiques ˆ des conclusions h‰tives ˆ
tel point quÕils ont fini par forger une lŽgende selon laquelle les deux Valenciens
auraient ŽtŽ unis par toutes sortes dÕaffinitŽs : personnelles, artistiques et mme
politiques.133 Les mmes sources reviennent cÕest-ˆ-dire les articles de presse de
Blasco Ib‡–ez et la prŽface dÕune rŽŽdition de Flor de mayo publiŽe en 1923,
lÕannŽe de la mort du peintre. On peut y lire par exemple : Ç Trabajamos juntos, Žl
en sus lienzos, yo en mi novela, teniendo enfrente al mismo modelo. As’ se
reanud— nuestra amistad, y fuimos hermanos, hasta que hace poco nos separ— la
muerte. Era Joaqu’n Sorolla. È134
Blasco et Sorolla se sont rencontrŽs tardivement, contrairement ˆ une idŽe
reue, dont lÕorigine se trouve, selon toute vraisemblance, dans cette prŽface.
LՎcrivain y consigne en effet le bref tŽmoignage suivant : Ç Este pintor y yo nos
hab’amos conocido de ni–os, perdiŽndonos luego de vista. Ven’a de Italia y
acababa de obtener sus primeros triunfos. È135 Selon lÕhypothse la plus crŽdible,
les deux hommes auraient ŽtŽ prŽsentŽs par un ami commun en 1894, lÕannŽe de
la fondation dÕEl Pueblo.136 Le peintre a alors trente et un ans, et lՎcrivain vingtsept. Il faut souligner que Sorolla vit ˆ Madrid depuis dŽjˆ quatre ans et quÕen
dehors de courts sŽjours, il nÕa pas rŽsidŽ ˆ Valence depuis son dŽpart pour Rome
133.
134.
135.
136.
Amalio Gimeno, ÒLlorente, Blasco Ib‡–ez, Sorolla y BenlliureÓ, El Liberal, Madrid,
07/1924. J. Bort-Vela, ÒSorolla y Blasco Ib‡–ez, glorias se–eras de ValenciaÓ, El Pueblo,
Valence, 3/01/1934. Le—n Roca, ÒC—mo conoci— Blasco Ib‡–ez a SorollaÓ, Levante,
Valence, 16/10/1959. Emilio Gasco Contell, ÒLas playas de Sorolla y de Blasco Ib‡–ezÓ,
ABC, Madrid, 29/09/1965. Francisco Cars’, ÒBlasco y Sorolla inventaron la MalvarrosaÓ,
Arte y Libertad, Valence, 3/05/2007 ainsi que cet article ˆ prŽtention scientifique : AndrŽs
Ubeda de los Cobos, ÒSorolla y el escritor Blasco Ib‡–ezÓ in Conocer el Museo Sorolla.
Diez aportaciones a su estudio, Madrid, Ministerio de Cultura, 1986, pages 47-54.
Vicente Blasco Ib‡–ez, Flor de mayo, Valence, Prometeo, 1923, page 10. Ç Nous
travaillions ensemble, lui ˆ ses toiles, moi ˆ mon roman, face au mme modle. CÕest
ainsi que nous avons renouŽ amitiŽ, et nous avons ŽtŽ des frres, jusquՈ ce quÕil y a peu
la mort nous sŽpare. CՎtait Joaqu’n Sorolla. È
V. Blasco Ib‡–ez, Flor deÉ page 10. Ç Ce peintre et moi, nous nous Žtions connu plus
jeunes, avant de nous perdre ensuite de vue. Il arrivait dÕItalie et venait dÕobtenir ses
premiers triomphes. È
Extraits du journal intime de Archer M. Huntington in Sorolla y la Hispanic Society. Una
visi—n de la Espa–a de entresiglos, Madrid, Museo Thyssen Bornemisza, 1999, page 377.
I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901
80
en 1885. Comment, dans ce cas, traduire Òni–oÓ ? Blasco veut-il parler des jeunes
hommes quÕils Žtaient tous deux en 1894, ou fait-il allusion ˆ une rencontre
antŽrieure, durant leur enfance ou leur adolescence ? Son propos est suffisamment
flou pour laisser entendre les deux choses. Sorolla nÕa jamais prŽtendu lÕavoir
rencontrŽ durant son enfance, dÕailleurs Blasco Ib‡–ez appartenait ˆ une classe
sociale trs supŽrieure ˆ la sienne.
En tant quÕartiste, Sorolla a dÕabord recherchŽ la protection de la
bourgeoisie de la ville. Ses premiers ÒprotecteursÓ et mŽcnes sont le marquis de
Villagracia, Luis Santoja Crespo (inc.-inc.), et le photographe Antonio Garc’a y
Peris.137 Ces hommes ont plus dÕargent, de relations, de pouvoir et dÕexpŽrience
que lui. Ce nÕest pas le cas de Vicente Blasco Ib‡–ez et tout porte ˆ croire que
Sorolla ne cherche pas ˆ se rapprocher du jeune journaliste. Lui-mme est dŽjˆ
connu ˆ Madrid et ce nÕest pas encore le cas du romancier nŽophyte. Il vient de
dominer lÕExposition Nationale en Òpeintre ˆ thseÓ, au printemps 1894, et il
prŽpare un tableau pour le Salon parisien, La vuelta de la pesca, alors que Blasco
Ib‡–ez vient tout juste de publier son premier roman, Arroz y tartana. InspirŽ des
conflits de classe ˆ Valence, le livre para”t sous la forme de roman-feuilleton en
1894, dans El Pueblo. Pour lÕhistorien de lÕart Juli‡n Gallego (1919-2006), le
personnage de lÕenfant abandonnŽ sur le marchŽ par son pre, un immigrŽ
aragonais, pourrait avoir ŽtŽ calquŽ sur lÕhistoire du pre de lÕartiste, Joaqu’n
Sorolla Gasc—n.138 Quand il rencontre Sorolla, Blasco ne travaille pas encore ˆ son
second ouvrage, Flor de mayo (1895). Ë cette Žpoque, le jeune Žcrivain observe
son compatriote ˆ travers le prisme de ses propres ambitions. Il considre que son
a”nŽ est ˆ la peinture ce quÕil entend devenir lui-mme ˆ la littŽrature, cÕest-ˆ-dire
un artiste engagŽ, libre et insoumis, des idŽes que lÕon retrouvera ensuite chez
dÕautres rŽpublicains tels que Rodrigo Soriano, JosŽ Cintora PŽrez, FŽlix Azzati
(1874-1929) ou Roberto Castrovido y Sanz (1864-1941). Ce dernier semble
convaincu que Sorolla est un artiste rebelle qui sÕest rendu coupable dÕune
trahison impardonnable en enlevant la plus haute rŽcompense de lÕExposition
Universelle. Dans un article intitulŽ ÒLa lucha por la medallaÓ, il Žvoque ˆ la fois
son indŽpendance et son insubordination vis-ˆ-vis de ses pairs :
137.
138.
Blanca Pons-Sorolla, Joaqu’n Sorolla. Vida y obra, Madrid, Fahah, 2001, page 56.
Juli‡n Gallego, ÒBocetos de una vida de pintorÓ in Paisajes de Granada de Joaqu’n
Sorolla, Grenade, Fundaci—n Caja de Granada, 1997, page 15.
I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901
81
Antes de abrirse la Exposici—n ya sab’a de memoria lo que se iba a decir y a escribir
contra el premiado en Par’s. ÁOh! Àc—mo le iban a perdonar ese desacato los
acadŽmicos, los lamidos, los fracasados? Devoraron entonces la hiel y vinagre de su
envidia, se les meti— dentro el pus de su impotencia; pero ah’ est‡n ahora fieros,
terribles, los gozquecillos convertidos en tigres, evitando que a Sorolla se le dŽ lo
que merece: la medalla de honor.
139
On retrouve dans ce passage lÕopposition entre la France et lÕEspagne. En
effet, Castrovido sÕattache ˆ dŽmontrer lÕinfŽrioritŽ de lÕExposition Nationale
espagnole par rapport ˆ son Žquivalent franais et il faut rappeler ici que pour les
rŽpublicains espagnols la IIIe RŽpublique est le modle politique ˆ suivre. En
filigrane, la comparaison sՎtend donc aux rŽgimes en vigueur dans les deux
pays : la monarchie alphonsine et la IIIe RŽpublique franaise. Blasco affirme
dÕailleurs sans hŽsitation : Ç El aplauso extranjero es el que m‡s vale y m‡s
ruidosamente suena. È140, en faisant allusion ˆ deux RŽpubliques, la France et
lÕArgentine car, ˆ partir de 1897, Sorolla Žcoule ses tableaux avec succs ˆ
Buenos Aires par lÕintermŽdiaire de JosŽ Artal (1862-1918), un marchand
espagnol Žtabli dans cette ville.141
Plus dÕun aspect du parcours, et de faon plus globale, du passŽ du peintre,
font Žcho ˆ des luttes menŽes par ces hommes, en particulier celle pour lՎgalitŽ
des chances. Les origines sociales de Sorolla sont modestes et il gravit un ˆ un les
Žchelons dÕun parcours qui ne fait pas de distinction de classe. Dans sa peinture, la
population laborieuse Ð travailleurs de la mer et des champs Ð occupe une place
prŽpondŽrante puisquÕelle lui inspire les sujets de la plupart de ses tableaux ҈
concoursÓ. Il rŽalise, par exemple, une sŽrie reprŽsentant les activitŽs des pcheurs
ou encore lՎlaboration des raisins secs ˆ J‡vea, un village de la c™te valencienne.
139.
140.
141.
Roberto Castrovido, ÒLa lucha por la medallaÓ, Heraldo de Madrid, Madrid, 05/1901.
Ç Avant lÕouverture de lÕExposition, je savais dŽjˆ par cÏur ce qui allait tre dit et Žcrit au
sujet du Grand Prix de Paris. Ah ! Comment ces acadŽmiciens, ces vendus, ces ratŽs
allaient-ils lui pardonner cet affront ? Ils dŽvorrent alors le fiel et le vinaigre de leur
jalousie, ils avalrent le pus de leur impuissance ; mais les voilˆ maintenant changŽs en
btes fŽroces, terribles ; de petits roquets, ils sont devenus tigres, et font en sorte que
Sorolla nÕobtienne pas ce quÕil mŽrite : la mŽdaille dÕhonneur. È
Vicente Blasco Ib‡–ez, ÒSorollaÓ, El Pueblo, Valence, 5/06/1897. Ç Les applaudissements
Žtrangers sont ceux qui ont le plus de valeur et font le plus de bruit. È
On peut voir ˆ ce sujet Los Salones Artal. Pintura espa–ola en los inicios del siglo XX,
Madrid, Ministerio de Cultura, 1995 et Ram—n Garc’a Rama, ÒHistoria de una emigraci—n
art’sticaÓ in Otros emigrantes. Pintura espa–ola del Museo Nacional de Bellas Artes de
Buenos Aires, Salamanque, Caja Salamanca y Soria, 1995, pages 17-45.
I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901
82
De mme, sa peinture ҈ thseÓ prend le parti de montrer cržment les conditions
de vie des couches infŽrieures de la sociŽtŽ, notamment celles des pcheurs dans
ÁY aœn dicen que el pescado es caro! Dans les colonnes de la presse rŽpublicaine,
la vie de Sorolla finit par ressembler ˆ une saga car certains de ses aspects ont ŽtŽ
non seulement mis en avant au profit dÕautres, mais aussi le plus souvent
amplifiŽs et dŽformŽs. Orphelin de pre et de mre, recueilli par des gens
modestes, le garon deviendrait un des plus grands peintres du monde et peindrait
indiffŽremment les petits et les puissants, peut-on lire dans The New York Times
qui Žcrit au sujet de lÕEspagnol lÕannŽe de son exposition newyorkaise : Ç Painter
of splendors and squalors, of fishermen, peasants, and Kings È, Ç Peintre des
splendeurs et des misres, des pcheurs, des paysans et des rois. È.142 Aux ƒtatsUnis, lÕincroyable ÒsuccessÕstoryÓ de lÕorphelin devenu riche et cŽlbre
passionnera tellement quÕelle contribuera au succs de ses deux expositions
itinŽrantes.
En Espagne comme ˆ lՎtranger, lÕenfance de Sorolla est gŽnŽralement
placŽe sous le signe de lÕadversitŽ et souvent rapportŽe avec des accents
misŽrabilistes et / ou Žpiques comme le montre une biographie illustrŽe publiŽe
dans la revue Blanco y Negro, en 1919 : Ç Sus padres adoptivos quisieron dotarle
de medios para que siguiese los estudios de la pintura ; lucharon con la pobreza, y
Žsta hubiera vencido si la fortuna no vuelve al lado de Sorolla, despuŽs de haberle
castigado con tanta crueldad la desgracia. È143 Cette image toute faite, forgŽe
autour de 1900, traversera les Žpoques et les frontires et conna”tra mme un
nouvel ‰ge dÕor sous la Seconde RŽpublique, ainsi quÕon le verra plus avant. On y
retrouve, comme une constante, la valeur du travail qui est perue comme la seule
rŽcompense juste. De ses origines sociales et de sa formation initiale dans lÕatelier
de lÕoncle, Sorolla tirerait sa lŽgendaire assiduitŽ ˆ la t‰che. Un journaliste de La
Ilustraci—n Nacional dŽcrit le peintre comme un besogneux, vivant loin du
monde, reclus dans son atelier. Selon lui, il tirerait sa ÒnoblesseÓ de cet ascŽtisme
et, en plagiant Voltaire, il estime que Sorolla, comme le plŽbŽien mŽritant, ÒporteÓ
142.
143.
Elizabeth Newport Hepburn, ÒSorollaÓ, The New York Times, New York, 6/03/1909. La
mme idŽe est reprise par Silvio Lago [ÒSorolla y los ni–osÓ, La Esfera, Madrid,
1/01/1927],
Rafael DomŽnech, ÒJoaqu’n SorollaÓ, Blanco y Negro, Madrid, 27/04/1919. Ç Ses parents
adoptifs ont voulu lui donner les moyens de suivre la formation de peintre, ils luttrent
contre la pauvretŽ et elle aurait triomphŽ si la bonne fortune nՎtait pas revenue aux c™tŽs
de Sorolla, aprs que le malheur sÕest abattu avec tant de cruautŽ. È
I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901
83
son nom, alors que le noble, qui ne possde aucun talent, le Òtra”neÓ.144
En 1899, Rodrigo Soriano consacre un article ˆ Triste herencia, un tableau
connu ˆ cette Žpoque sous son premier titre, Los hijos del placer. 145 En tant que
critique dÕart, Soriano collabore avec des journaux de tous bords, du conservateur
La ƒpoca, ˆ ses dŽbuts, jusquÕau journal rŽpublicain El Pueblo. Selon Blasco
Ib‡–ez, le tableau nÕaurait jamais vu le jour si le peintre nÕavait pas reu le soutien
de ses amis rŽpublicains.146 LՎcrivain raconte quÕaprs avoir peint les premires
Žbauches, Sorolla Žtait sur le point dÕabandonner sa toile car il la trouvait
beaucoup trop sombre et contraire ˆ son tempŽrament. Mais au cours dÕun repas
chez le conseiller municipal Francisco Garrido (inc.-inc.), Rodrigo Soriano,
Roberto Castrovido et lui-mme, rŽussissent ˆ le convaincre de persŽvŽrer en
vantant la portŽe sociale de son projet. Dans un article publiŽ dans le quotidien
rŽpublicain, Rodrigo Soriano sÕattache tout dÕabord ˆ relever une parentŽ entre la
peinture sociale de Sorolla et le naturalisme de quatre Žcrivains, Benito PŽrez
Gald—s, Jacinto Octavio Pic—n, Emilia Pardo Baz‡n (1851-1921) et Armando
Palacio ValdŽs (1853-1938). Selon lui, la conscience sociale du peintre affleure
dans la vŽritŽ de son dessin. Il fait rŽfŽrence ˆ la non idŽalisation des corps
mutilŽs, dŽformŽs par les malformations congŽnitales ou dŽcharnŽs par la
malnutrition et la maladie. JosŽ Cintora PŽrez pousse encore plus loin
lÕinterprŽtation de ce tableau. Selon lui, le corps souffrant de lÕenfant infirme
reflte lՎtat du corps social dans son ensemble :
Pero el poeta, el artista, el pensador, ve en el espect‡culo que ofrecen esas infelices
criaturas, esos seres raqu’ticos, anŽmicos, escrofulosos, deformes, que muestran
desnuda toda la realidad de una espantosa miseria fisiol—gica, algo m‡s hondo y m‡s
trascendental. Ve all’ en esos cuerpecillos entecos, de miembros desproporcionados,
de configuraci—n repulsiva y antiestŽtica, la imagen viviente, exacta, desconsoladora,
horripilante de las desigualdades, los vicios, las deformidades del gran cuerpo
social.147
144.
145.
146.
147.
ÒEscena de la costaÓ, La Ilustraci—n Nacional, Madrid, 18/04/1898.
Rodrigo Soriano, ÒLos hijos del placerÓ, El Pueblo, Valence, 4/11/1899.
Vicente Blasco Ib‡–ez, ÒEl gran SorollaÓ, El Pueblo, 1900.
JosŽ Cintora, ÒEl cuadro de SorollaÓ, [Heraldo de Madrid], [Madrid], 05/1901. Ç Mais le
pote, lÕartiste, le penseur, voit dans le spectacle quÕoffrent ces malheureux petits, ces
tres rachitiques, anŽmiques, scrofuleux, difformes, qui mettent ˆ nue toute la rŽalitŽ
dÕune Žpouvantable misre physiologique, quelque chose de plus profond et de plus
transcendantal. Il voit dans ces petits corps chŽtifs, aux membres disproportionnŽs, dans
I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901
84
Bien que trs postŽrieure, il faut ajouter aux prŽcŽdentes une autre
interprŽtation de ce tableau, tirŽe dÕun article de FŽlix Azzati. Ce Valencien
dÕorigine italienne participa ˆ la fondation dÕEl Pueblo. De 1908 ˆ 1923, il sera
dŽputŽ rŽpublicain pour la circonscription de Valence. Il publiera un article au
lendemain de la mort du peintre, dans lequel on peut lire : Ç Su cuadro ÁAœn dicen
que el pescado es caro! tiene el sabor tr‡gico del proletariado del mar. [É] Al
lado de esta maravillosa acci—n imprecatoria del arte ha de figurar forzosamente
su otro cuadro Triste herencia que no es sino la traducci—n de una sensibilidad en
la que palpitan todas las protestas y todas las rebeld’as. È148 Pour Azzati, les deux
tableaux tŽmoignent de lÕengagement du peintre en faveur dÕune sociŽtŽ plus
Žquitable et plus juste, une position conforme ˆ ses propres convictions
idŽologiques. Lors du banquet valencien dÕaožt 1900, dont il a ŽtŽ question
prŽcŽdemment, lՎcrivain partisan du rŽpublicanisme Joaqu’n Dicenta rŽdige un
court pome dans lequel il imagine rŽunir entre ses mains les talents conjuguŽs du
sculpteur et du peintre afin de mieux les mettre ˆ la disposition dÕune plus grande
justice sociale. Il entend faonner ainsi ce quÕil considre comme son chefdÕÏuvre, cÕest-ˆ-dire Ç un monde sans infamies È :
ÁLas manos de Benlliure y de Sorolla!
ÁQuiŽn estas manos manejar pudiera
Para servir a la justicia humana
Y poner en acci—n a las ideas!...
Si yo las poseyese, si esos mœsculos
Que al arte rediviven y encadenan,
Pudiera ser clar’n de mis deseos
Y ejecutar lo que mi anhelo intenta,
Yo har’a algo sublime,
Una obra justa colosal, eterna.
ÀCu‡l? Modelar un mundo sin infamias
Y pintar una patria sin fronteras.149
148.
149.
cette complexion repoussante et anti-esthŽtique, lÕimage vivante, exacte, alarmante,
exaspŽrante des inŽgalitŽs, des vices, des difformitŽs du grand corps social. È
FŽlix Azzati, ÒEntierro de Joaqu’n SorollaÓ, El Pueblo, Valence, 14/08/1923.
CitŽ par Julio Just Jimeno, ÒEl se–or de la chisteraÓ, El Pueblo, Valencia, 14/08/1923.
Ç Les mains de Benlliure et de Sorolla ! / Qui de ces mains pourrait faire usage / Afin de
servir la justice des hommes / Et mettre les idŽes en action !... / Si je le pouvais moimme, si ces muscles / qui pour lÕart ressuscitent et en brisent les cha”nes / Je pourrais
I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901
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Les intentions artistiques qui traversent la peinture de Sorolla rejoignent les
idŽes de justice et dՎgalitŽ sociale que Vicente Blasco Ib‡–ez et Rodrigo Soriano
dŽfendent depuis les bancs de lÕopposition. Par ailleurs, la prŽsence de sujets
rŽgionaux dans plusieurs tableaux prŽsentŽs ˆ lՎtranger, alimente lÕidŽe de son
adhŽsion intellectuelle et de sa volontŽ de promouvoir un certain ÒvalencianismeÓ,
qui leur Žtait si cher. Hors des frontires du pays, la rŽussite artistique de ÁAœn
dicen que el pescado es caro !, La vuelta de la pesca, Pescadores valencianos, La
bendici—n de la barca, ou encore de Triste herencia, etc. ne dŽmontre-t-elle pas,
ds lors, la valeur politique des idŽes portŽes par les rŽpublicains de Valence ?
Inversement, lՎchec de ces mmes toiles, en Espagne, ne signifie-t-elle pas
lÕinertie de ce pays et lÕhostilitŽ de ses dirigeants ˆ leurs propositions dans le
domaine social ?
exprimer mes dŽsirs / Et exŽcuter le fruit de ma volontŽ / Je ferais quelque chose de
sublime, / Une Ïuvre juste, colossale, Žternelle. / Laquelle ? Modeler un monde sans
infamies / Et peindre une patrie sans frontire. È
II. Le marchŽ de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923
86
II
LE MARCHƒ DE LÕART :
U N P ARC O URS DE LA CON T EST A T IO N
1902 - 1923
Joaqu’n Sorolla nÕa pas encore quarante ans, mais il a dŽjˆ remportŽ les
deux plus belles rŽcompenses auxquelles il pouvait prŽtendre cÕest-ˆ-dire le Grand
Prix de lÕExposition Universelle et la MŽdaille dÕHonneur de lÕExposition
Nationale. Son parcours acadŽmique est dŽsormais clos. Dans la deuxime moitiŽ
de lÕannŽe 1901, il ne cherche ˆ obtenir aucune charge officielle, ce qui constitue,
dans lÕEspagne de la Restauration, un fait assez rare pour tre relevŽ. En effet,
pour assurer leur avenir matŽriel, les artistes recherchent la sŽcuritŽ dÕun poste
dÕenseignement ou dÕadministration dans telle ou telle institution des Beaux-Arts,
par exemple ˆ lÕAcadŽmie Espagnole de Rome, ˆ lÕAcadŽmie Royale des BeauxArts de San Fernando ou ˆ la Direction GŽnŽrale des Beaux-Arts. En octobre
1901, la mort de Luis çlvarez Catal‡ (1841-1901), directeur du MusŽe du Prado,
rend possible sa nomination ˆ cette charge. Ë Madrid, lÕidŽe est Òdans lÕairÓ,
comme le montrent les inquiŽtudes de Sorolla ˆ ce sujet. Dans une lettre adressŽe
ˆ son ami Pedro Gil Moreno de Mora (1860-1930), il Žcrit : Ç Hasta la fecha nada
se sabe de la direcci—n del Museo, yo preferir’a que no me obligasen a ello pues es
cargo de responsabilidad y no podr’a trabajar libremente. È1 Le comte de
Romanones confie le poste ˆ un autre peintre, lÕAndalou JosŽ Villegas qui dirige
depuis quatre ans lÕAcadŽmie Espagnole de Rome et Mariano Benlliure est
nommŽ ˆ la place vacante.2
En choisissant de se consacrer pleinement ˆ son art, Sorolla tente un pari
risquŽ car il assurera son avenir matŽriel tant que sa peinture correspondra aux
1.
2.
Facundo Tom‡s, Felipe Gar’n, Isabel Justo et Sof’a Barr—n, Epistolarios de Joaqu’n
Sorolla. I. Correspondencia con Pedro Gil Moreno de Mora, Barcelone, Anthropos,
2007, page 158. Ç Ë ce jour, personne ne sait rien de la direction du MusŽe, moi je
prŽfrerais quÕon ne mÕoblige pas ˆ lÕaccepter car cÕest une fonction ˆ responsabilitŽ et je
ne pourrais pas travailler librement. È
çngel Castro Mart’n, ÒJosŽ Villegas: vida y obraÓ in JosŽ Villegas (1844-1921), Cordoue,
Cajasur, 2001, page 79.
II. Le marchŽ de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923
87
besoins dÕun marchŽ, ou au moins dÕun ou de plusieurs riches clients. Pour
Žcouler ses tableaux, il peut compter sur le constant accroissement du marchŽ de
lÕart sur le continent amŽricain puisque cÕest hors dÕEurope que les perspectives
de gain sont dŽsormais les plus intŽressantes. Sorolla le sait et envoie dŽjˆ des
toiles au Chili, en Argentine et ˆ Cuba. Plus tard, sa peinture se vendra aussi aux
ƒtats-Unis.
La fin de sa carrire acadŽmique co•ncide exactement avec lÕavnement
dÕAlphonse XIII, un roi ‰gŽ de seize ans en 1902. Sous son rgne, le Classicisme
dispara”t compltement et la peinture de Òplein airÓ entre dans les acadŽmies des
Beaux-Arts. Dans ce contexte nouveau, les difficultŽs que Sorolla a rencontrŽes,
quelques annŽes auparavant, semblent dŽfinitivement dŽpassŽes. Ë la fin de
lÕannŽe 1902, le journal ABC invite ses lecteurs ˆ Žlire leurs personnalitŽs prŽfŽrŽes
dans le monde de la politique, de la musique, de la littŽrature, etc. sous la forme
dÕun ÒConcours de No‘lÓ. Prs de deux cent vingt mille bulletins de jeu sont
envoyŽs ˆ la rŽdaction du journal et les rŽsultats sont publiŽs le 20 dŽcembre. Le
torero Antonio Fuentes, qui totalise 23.423 voix, est dŽsignŽ comme la
personnalitŽ prŽfŽrŽe des lecteurs, devant le sculpteur Mariano Benlliure, 19.063
voix, et le peintre Sorolla 14.201 voix. Le trio devance le chef libŽral Pr‡xedes
Mateo Sagasta, 13.501 voix, et le musicien Tom‡s Bret—n (1850-1923), 10.438
voix, auteur de zarzuelas aussi populaires que La Verbena de la Paloma (1894) et
Bot’n de guerra (1896).3 La nouvelle popularitŽ de Sorolla va de pair avec la
reconnaissance de la majoritŽ des artistes. En effet, ds 1904, il est suffisamment
lŽgitime auprs de ses confrres pour prŽsider le jury de peinture de lÕExposition
Nationale. Trois ans plus tard et tout juste vingt ans aprs lՎchec de El entierro
de Cristo, Vicente Blasco Ib‡–ez constate ce renversement non sans scepticisme.
Espa–a, aunque no lo parezca a primera vista, ha cambiado totalmente de
pensamiento en menos de veinte a–os. Este pintor, joven y audaz, que llegaba de
Roma con una obra irrespetuosa para los c‡nones del arte y los seculares
convencionalismos de la pintura religiosa, fue acogida con una ÒbroncaÓ
3.
Anonyme, ÒNuestro Concurso de NavidadÓ, Blanco y Negro, Madrid, 20/12/1902 et
anonyme, ÒUn plebiscito popular hace cincuenta a–osÓ, D’game, Madrid, 9/06/1953.
II. Le marchŽ de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923
88
monstruosa, inmensa, s—lo comparable a la que recibe en la plaza de toros un
picador que comete el sacrilegio de manejar la garrocha fuera del reglamento.
4
En 1906, Il Giornale dÕItalia considre que Sorolla a guidŽ toute une
gŽnŽration vers la rŽnovation de lՃcole espagnole en constatant que, ˆ la fin du
XIXme sicle, le pays avait accumulŽ tant de retard sur ses voisins europŽens que
le rattrapper semblait alors infaisable :
Noi assistiamo, da qualche anno, a una mirabile rifioritura dellÕarte spagnuola.
Quando gli ultimi discepoli del Fortuny sembravano immobilizzati in una formula
che escludeva ogni nuova ricerca, e i pi grandi pittori della Spagna si perdevano in
un virtuosismo in cui la grande abilitˆ di una facile tecnica poteva dare lÕillusione di
un vigore che era solo apparente, tutta una nuova generazione ha meravigliato
lÕEuropa con un rinnovamento che non sembrava possibile.5
Au sommet de sa gloire, Sorolla est reconnu et admirŽ en Italie, en France,
en Autriche, en Allemagne, aux ƒtats-Unis, etc. et ÒenfinÓ Ð devrait-on dire Ð dans
son pays dÕorigine, un dŽnouement que ses soutiens ont recherchŽ tout au long de
lÕaffaire de la MŽdaille dÕHonneur. Mais on verra que cette rŽcompense est aussi
le point de dŽpart dÕun parcours de la contestation que lÕon tentera dÕexposer dans
ce chapitre.
4.
5.
Vicente Blasco Ib‡–ez, ÒNieto de Vel‡zquez, hijo de GoyaÓ, La Naci—n, Buenos Aires,
3/03/1907. Ç Mme si cela ne saute pas aux yeux ˆ premire vue, lÕEspagne a
compltement changŽ de mentalitŽ en moins de vingt ans. Ce peintre, jeune et audacieux,
qui arrivait de Rome avec une Ïuvre irrespectueuse envers les canons de lÕart et les
conventionnalismes sŽculaires de la peinture religieuse, fut accueilli sous un monstrueux
concert de huŽes, seulement comparable ˆ celui que reoit dans lÕarne le picador qui
commet le sacrilge de manier la pique dÕune faon contraire au rglement. È
Diego Angeli, ÒIl pensionato artistico spagnuoloÓ, Il Giornale dÕItalia, Rome,
18/02/1906. Ç Nous assistons, depuis quelques annŽes, ˆ une miraculeuse renaissance de
lÕart espagnol. Quand les derniers disciples de Fortuny semblaient figŽs dans une formule
qui excluait toute nouvelle recherche, et que les plus grands peintres dÕEspagne se
perdaient dans une virtuositŽ dont lÕhabiletŽ certaine dÕune technique ma”trisŽe pouvait
donner lÕillusion dÕune vigeur qui nՎtait en fait quÕapparente, toute une nouvelle
gŽnŽration dÕartistes a ŽmerveillŽ lÕEurope avec un renouvellement qui ne semblait pas
possible. È
II. Le marchŽ de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923
89
II.1. DE LÕEXPOSITION PETIT A VISION DE ESPA„A
Ë compter de 1902, deux leviers vont transformer ˆ la fois lÕactivitŽ et la
peinture de Sorolla : dÕabord le principe commercial de la galerie dÕart, jusquÕen
1908,
puis
la
prŽdominance,
parmi
sa
clientle,
de
deux
puissants
commanditaires : la Maison Royale dÕEspagne et lÕHispanic Society of America
de New York. De mme, la perception de son parcours, en Espagne, nÕaurait plus
rien ˆ voir avec ce quÕelle avait ŽtŽ antŽrieurement car Sorolla ne montera aucune
exposition dans son pays natal. La critique espagnole assistera dŽsormais de loin ˆ
la poursuite de sa carrire, laissant ˆ la presse Žtrangre et, le cas ŽchŽant, ˆ des
correspondants ˆ lՎtranger, le soin de rŽagir ˆ chaud. CÕest par tŽlŽgramme que
les dŽpches arrivent aux rŽdactions des journaux espagnols. Le journal ABC fait
appara”tre au-dessus de ses articles les mentions Òpor telŽgrafoÓ ou Òpor cableÓ.
Enfin, on essaiera de comprendre pourquoi ˆ partir de 1912, alors quÕil est ‰gŽ de
quarante-neuf ans et quÕil se trouve encore en pleine possession de ses moyens, le
Valencien dispara”t brusquement des colonnes de la presse. En effet, entre 1913 et
1922, la collection de coupures de presse ancienne du MusŽe Sorolla contient
seulement soixante-dix articles, soit sept articles par an6 ! Ce recul par rapport ˆ la
pŽriode antŽrieure appelle nŽcessairement ˆ un rŽexamen de lÕidŽe, communŽment
admise ˆ ce jour, selon laquelle le peintre aurait sombrŽ dans lÕoubli seulement
aprs sa mort, quelque part entre 1926 et 1930.
1902 est pour Sorolla une annŽe de transition au cours de laquelle son
activitŽ ralentit. En mars, il voyage pour la premire fois en Andalousie avant de
prendre la route de Paris puis de Londres car il souhaite contempler in situ la
Venœs del espejo de VŽlasquez, dans les salles de la National Gallery.7 Il a en tte
de peindre, sans contrainte, un nu conforme ˆ la tradition du genre. Depuis son
sŽjour ˆ Rome, il nÕa jamais rŽalisŽ une telle Ïuvre tout simplement car elle ne
correspondait pas au gožt des Salons officiels. Durant lՎtŽ 1903, il peint un chef
dÕÏuvre majeur, Sol de la tarde, un tableau qui aurait pu conclure son parcours
acadŽmique. Il reprend le motif de La vuelta de la pesca en lÕenveloppant dans
6.
7.
Voir plus haut le graphique n¡1. RŽpartition des archives de presse du MusŽe Sorolla.
Diego VŽlasquez, La Venœs del espejo, 122Õ5x177, Londres, National Gallery, 16511660.
II. Le marchŽ de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923
90
une lumire du couchant. LՎcrivain Juan Ram—n JimŽnez se laissa envožtŽ par
cette atmosphre qui lui semblait irrŽelle : Ç La noche llega. El cuadro est‡ ah’
lleno de sol, lleno de rumor y de espuma. Parece un sue–o. È8 Mais Sol de la tarde
laisse aussit™t la place ˆ une peinture de plage qui prend pour sujet principal les
enfants au bain. Le Valencien adopte alors un regard trs photographique, ˆ base
de diagonales, et sÕattache ˆ rŽsoudre sur la toile des problmes techniques liŽs ˆ
la reprŽsentation dÕeffets lumineux et aquatiques.
Dans lÕaprs-guerre de Cuba, ces tableaux ne refltent pas le pessimisme
dominant et restituent, au contraire, la confiance du peintre en une Espagne
renaissante. Comme on le verra plus en dŽtail dans ce chapitre, sa peinture rejoint
les idŽes dŽfendues par les membres de lÕInstitution Libre dÕEnseignement.
Sorolla part du principe que ses tableaux doivent valoriser ce que son pays a de
plus prŽcieux et de plus digne dÕadmiration cÕest-ˆ-dire le Territoire Ð les
paysages Ð, lÕHistoire Ð les monuments et les coutumes Ð, et le Peuple ˆ travers
ces enfants sains et heureux en qui il voit lÕavenir de son pays.9 Selon lui, les
problmes structurels, Žconomiques et sociaux, relvent de lÕaction politique quÕil
juge seule apte ˆ mettre en Ïuvre les solutions les plus adaptŽes ˆ leur nature et il
croit le jeune Alphonse XIII capable de rompre avec le passŽ et dÕinaugurer une
re nouvelle, tournŽe vers le progrs. Le peintre est conscient de lÕimportance des
images et il estime que ses toiles doivent accompagner lÕaction politique et ne pas
sÕy opposer.
Toujours en 1903, Sorolla est nommŽ acadŽmicien par lÕAcadŽmie Royale
des Beaux-Arts de Lisbonne. Ë cette occasion, il rencontre le peintre portugais
Carlos Reis (1863-1940) auquel il soumet lÕidŽe de fonder une sociŽtŽ artistique
ibŽrique.10 En organisant alternativement des expositions communes, ˆ Madrid et
ˆ Lisbonne, les artistes des deux pays toucheraient une clientle plus large.
Sorolla et Reis cherchent ˆ vendre des tableaux aux amateurs des deux pays sans
aucun intermŽdiaire. Ce systme pouvait garantir aux artistes une rŽmunŽration
plus juste et une grande libertŽ de crŽation. En effet, ces deux habituŽs des
8.
9.
10.
Juan Ram—n JimŽnez, ÒSol de la tardeÓ, Alma Espa–ola, Madrid, 13/03/1904. Ç La nuit
arrive. Le tableau est rempli de lumire, de bruit et dՎcume. On dirait un rve. È
Mar’a Luis MenŽndez Robles, ÒSorolla y su idea de Espa–aÓ in Sorolla y su idea de
Espa–a, Madrid, Ministerio de Cultura, 2009, pages 9-23.
Caiel, ÒUm grande pintor da actualidade. Uma idea de SorollaÓ, Diario de Noticias,
Lisbonne, 13/06/1903.
II. Le marchŽ de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923
91
concours et des commandes publiques connaissent les contraintes inhŽrentes ˆ
lÕactivitŽ dÕun artiste de cette Žpoque.
Durant vingt ans, lÕEspagnol avait prŽparŽ plusieurs concours par an et avait
acceptŽ les commandes qui sՎtaient prŽsentŽes, y compris celles qui ne
correspondaient pas ˆ son tempŽrament artistique. Il avait une famille ˆ sa charge
et toutes les offres bien rŽmunŽrŽes Žtaient les bienvenues. En 1890, il avait reu
une importante commande du SŽnat pour un grand format historicocommŽmoratif reprŽsentant lÕinstant o la rŽgente Marie-Christine prte serment ˆ
la Constitution.11 Cette t‰che avait ŽtŽ pour notre peintre tout un pensum car la
scne devait tre entirement montŽe en atelier ˆ partir dՎbauches. En dŽcembre
1892, il avait Žcrit ˆ son Žpouse : Ç Yo pinto el cuadro del Senado y va volando; si
supieras lo a disgusto que lo hago y lo que es el cuadro me compadecer’asÉ È12
cÕest-ˆ-dire Ç De mon c™tŽ, je peins le tableau du SŽnat et le travail avance vite ;
si tu savais de quoi il sÕagit et comme je le fais ˆ contre-cÏur, tu aurais pitiŽ de
moi. È Dans la correspondance privŽe du couple rŽcemment publiŽe, ce sujet Žtait
pour Clotilde un motif dÕinquiŽtude car elle connaissait lÕantipathie de son mari
pour le genre. Mais le tableau Žtait bien payŽ et lՎpouse, qui tenait les comptes du
foyer, se montra particulirement attentive au prompt achvement de cette
commande. Sa rŽalisation complte fut cependant interminable, puisque la toile
fut livrŽe seulement en 1897. Aprs cela, Sorolla ne cacha pas sa lassitude dՐtre
trop souvent soumis ˆ des rgles imposŽes tant™t par un commanditaire, tant™t par
un jury de concours, et il rvait dÕinverser lÕordre des choses. Bien entendu,
lÕidŽal dÕun peintre est de reprŽsenter le motif quÕil a choisi selon sa propre idŽe
de lÕart. Mais ce qui est possible pour le peintre amateur ne lÕest pas pour le
professionnel. Sorolla ne possŽdait pas de fortune personnelle ; par consŽquent,
cela supposait que sa production fžt acceptŽe par le marchŽ de lÕart, sans quoi elle
resterait dans son atelier et constituerait une pure perte, au sens commercial du
terme.
Pour donner forme ˆ son aspiration, il commence ds 1903 ˆ prŽparer sa
premire exposition individuelle, dont il choisit de confier lÕinstallation ˆ un
marchand parisien. La location des murs dÕune galerie dÕart permet dՎcouler une
11.
12.
La jura de la Constituci—n por la regente D–a. Mar’a Cristina, 350x550, Madrid, Palais
du SŽnat, 1897.
Blanca Pons-Sorolla et Victor Lorente Sorolla, ÒEpistolarios de Sorolla III., Barcelone,
Anthropos, 2009, page 60.
II. Le marchŽ de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923
92
partie des tableaux accrochŽs dans lÕatelier mais aussi de se faire conna”tre et
dÕobtenir des commandes. Or, ce genre dÕentreprise comporte sa part de risques.
Une exposition monographique nÕest pas toujours rentable et Sorolla nÕa, ˆ cette
Žpoque, aucune expŽrience en la matire. En France, il peut compter sur la bonne
rŽception de sa peinture car il a obtenu au Salon plus quÕune simple
reconnaissance, de La vuelta de la pesca ˆ Triste herencia. ExposŽ hors
compŽtition au Salon de 1905, Sol de la tarde avait ŽtŽ trs remarquŽ. Ç Si lÕartiste
nՎtait Žtranger, il ežt dŽcrochŽ la mŽdaille dÕhonneur È avait alors dŽclarŽ un
journaliste.13 De plus, Paris est alors le meilleur endroit pour monter une
exposition dÕenvergure internationale. Deux galeristes, Georges Petit (1856-1920)
et Paul Durand Ruel (1831-1922), sÕy disputent le commerce des meilleurs
signatures. Le premier possde, rue de Sze, les locaux les plus vastes et les plus
modernes de la capitale. CÕest probablement cela qui dŽcide lÕEspagnol ˆ choisir
cette adresse. Pour profiter au maximum des grands espaces et donc rentabiliser
au mieux son investissement, il envoie environ cinq cent peintures. Or, une telle
quantitŽ est trs excessive comme le souligne le critique ƒtienne Charles qui
Žvoque, dans La LibertŽ, un ensemble Ç un peu mlŽ. È14 Mais en dŽpit de ce
dŽfaut, lÕexposition nÕest pas un Žchec. En effet, le prestige que lÕEspagnol a
acquis dans la capitale franaise, quelques annŽes plus t™t, paye. Il compense les
lacunes de ce premier essai et lÕexposition est trs rentable. La bourgeoisie
parisienne et les collectionneurs amŽricains investissent car ils voient dans cet
artiste capŽ une valeur sžre. Par ailleurs, des peintres franais Žtablis ˆ Paris
achtent des tableaux pour leur propre compte. CÕest le cas de LŽon Bonnat qui
fait lÕacquisition de deux grands formats peints ˆ J‡vea et Claude Monet achte,
semble-t-il, une pochade que nous nÕavons pas rŽussi ˆ localiser ˆ Giverny et qui
serait peut-tre perdue.15 Mais ce succs ne se renouvelera pas, ni en Allemagne
ni Angleterre, les pays qui doivent accueillir ses expositions suivantes.
LÕexposition allemande est, ˆ tout point de vue, un dŽsastre. En Espagne,
elle nÕa pas le moindre Žcho car aucun correspondant ne se trouve sur place et
parce que la presse allemande nÕest pas traduite. Nous nÕavons retrouvŽ aucune
photographie de cette exposition parmi la presse Žtrangre conservŽe au MusŽe
13.
14.
15.
LŽon PlŽe, ÒSorolla y BastidaÓ, Les Annales Politiques et LittŽraires, Paris, 30/04/1905.
ƒtienne Charles, ÒExposition Sorolla y BastidaÓ, La LibertŽ, Paris, 12/06/1906.
Alfonso S‡nchez, ÒY para jardines, SorollaÓ, Informaciones, Madrid, 7/10/1958.
II. Le marchŽ de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923
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Sorolla. Au dŽbut de lÕannŽe 1907, le peintre confie deux cent quatre-vingts
tableaux ˆ un marchand allemand qui organise une exposition itinŽrante ˆ Berlin,
DŸsseldorf et Dresde. Ë nouveau, lÕEspagnol mise sur un pays qui avait
favorablement accueilli sa peinture ˆ lՎpoque o il participait aux Expositions
Internationales car il avait ŽtŽ rŽcompensŽ deux fois ˆ Munich en 1892 et en 1897,
et une fois ˆ Berlin, en 1896. Le dŽtail de son envoi nÕest pas connu car il nÕexiste
pas de catalogue de cette exposition. En tout Žtat de cause, la presse allemande
conservŽe dans les archives du MusŽe Sorolla atteste la mauvaise rŽception des
toiles Outre-Rhin. Le rŽsultat commercial de lÕentreprise est dŽsastreux puisquÕun
seul tableau est vendu ! Plusieurs raisons pourraient justifier cet Žchec. Tout
dÕabord, Sorolla nÕest pas suffisamment ancrŽ dans le paysage artistique allemand
en dŽpit des trois prix quÕil y avait dŽcrochŽs. Ensuite, non seulement il manque
cruellement dÕappuis sur place mais un de ses rivaux allemands, Max Liebermann
(1847-1935), voit dÕun mauvais Ïil lÕintrusion de lÕEspagnol dans son pays et
oriente la critique.16 LՎchec tient enfin ˆ son absence sur les diffŽrents lieux de
son exposition. En effet, le peintre ne se rend pas en Allemagne car il vient
dÕobtenir une importante commande du Roi Alphonse XIII. Cet ŽvŽnement
concomitant nous oblige ˆ bifurquer vers lui avant dÕen venir ˆ lÕexposition
londonienne.
Au dŽbut de lՎtŽ 1907, Sorolla sÕinstalle ˆ SŽgovie pour peindre les
portraits de lÕInfante Isabelle de Bourbon, du Prince des Asturies, de la reine et du
roi qui sŽjournent au Palais de La Granja de San Ildefonso. Les quatre toiles
doivent ensuite rejoindre lÕAngleterre, o elles seraient offertes ˆ la famille royale
pour commŽmorer le premier anniversaire de lÕunion entre le roi Alphonse XIII et
la princesse britannique Victoria Eugenia de Battenberg.17 Jusque-lˆ, Sorolla nÕa
jamais travaillŽ pour la Maison Royale. Il a peint un portrait de la rŽgente MarieChristine en 1887 pour la Direction GŽnŽrale de la Poste et une scne de serment
ˆ la Constitution commandŽe par le SŽnat et livrŽe en 1897. Enfin, il a achevŽ en
1906 un double portrait de la rŽgente et du jeune Alphonse XIII pour le compte du
ministre des Affaires ƒtrangres18. Pour ces trois tableaux, les membres de la
16.
17.
18.
Anonyme, ÒEine MonsterausstellungÓ, Berliner Tageblatt, Berlin, 1/02/1907.
Jordane Fauvey, Joaqu’n Sorolla, pintor del Rey Alfonso XIII, Besanon, Presses
Universitaires de Frenche-ComtŽ, 2009, page 63.
Retrato de la reina Mar’a Cristina, 141x90Õ30, Madrid, Direction GŽnŽrale de la Poste,
1887. La jura de la Constituci—n por la regente D–a. Mar’a Cristina, 350x550, Madrid,
II. Le marchŽ de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923
94
famille royale nÕont posŽ que pour le photographe. Pour le dernier, le peintre a
travaillŽ ˆ partir des clichŽs de Christian Franzen, le photographe de la cour. Les
archives de lÕatelier photographique Franzen conservent un portrait inŽdit du
jeune Alphonse XIII avec, au second plan, notre peintre accroupi derrire un
fauteuil, supervisant la sŽance.19 Mais en 1907, Alphonse XIII pose et cÕest ˆ cette
occasion que les deux hommes se rencontrent et se lient dÕamitiŽ. Sorolla a
cherchŽ ˆ obtenir une commande royale et il y est parvenu gr‰ce au marquis de
Viana qui est alors un des hommes les plus proches du souverain20. Au moins
jusquՈ la fin de son parcours de ÒsalonnierÓ, le Valencien est peru comme un
rŽpublicain, en particulier parce que lÕon conna”t bien sa peinture sociale et que
les rŽpublicains de Valence sÕidentifient ˆ elle. Mais de toute Žvidence, Sorolla
nÕest pas anti-monarchiste Ð lÕa-t-il ŽtŽ jadis ? Ð et ˆ partir de sa rencontre avec
Alphonse XIII, il donnera de plus en plus de gages de son attachement ˆ la
personne du roi et dÕun certain patriotisme.
Dans les jardins du palais, Sorolla campe ses modles sous la lumire
naturelle filtrŽe par la frondaison des arbres. Le roi, tout juste ‰gŽ de vingt-et-un
ans, accepte volontiers lÕidŽe dÕun portrait de facture ÒimpressionnisteÓ, frais et
dynamique, propre ˆ moderniser lÕimage de la monarchie. Sorolla nÕest pas un
spŽcialiste du portrait royal comme lÕest, par exemple, le Hongrois Philip de
L‡zl— (1869-1937) qui a peint les souverains de son temps dans toute lÕEurope, en
Angleterre, en Italie, en Espagne, ˆ Monte-Carlo, etc. Or, le Valencien est un
peintre de la lumire et du mouvement et cÕest justement pour cette raison quÕil
peut sÕaffranchir des codes du genre et renouveler lÕimage du roi. Pour la
premire fois, un portrait de cour est peint en plein air, entirement sur le motif.
LՎvŽnement est bien couvert par le journal monarchiste ABC qui possde une
rubrique mondaine quotidienne intitulŽe ÒDe PalacioÓ.21 Sur place, le photographe
Campœa, JosŽ Mar’a Demaria L—pez (1870-1936), rŽalise un reportage
photographique qui sera ensuite largement diffusŽ par la presse illustrŽe espagnole
et Žtrangre. En France, la revue LÕIllustration publie plusieurs clichŽs et dŽcrit
19.
20.
21.
Palais du SŽnat, 1897 et La Regencia, dim. inc., Madrid, Ministre des Affaires
ƒtrangres, 1906.
Archives Christian Franzen, Madrid. F4650.
Ibidem, J. Fauvey, ÒJoaqu’nÉÓ, page 56-57.
Les archives du journal ABC sont librement accessibles depuis la bibliothque numŽrique
en ligne http//www.hemeroteca.abc.es/. Elles couvrent une pŽriode allant de 1891 ˆ nos
jours.
II. Le marchŽ de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923
95
ainsi les sŽances de pose du roi, en plein air : Ç Quant au Roi Alphonse, il a
consacrŽ quelques-unes des heures de loisir que lui laissait cette villŽgiature ˆ
poser dans un coin ombreux des jardins: il a confiŽ, en effet, au peintre Sorolla y
Bastida, le soin de faire de lui un portrait en grand uniforme, sabre au poing, tte
nue. È22 On peut y voir le jeune Alphonse XIII posant en uniforme de hussard
mais aucune photographie ne montre Victoria Eugenia de Battenberg posant en
extŽrieur. En effet, la jeune reine sÕest montrŽe trs rŽtive au projet ÒpleinairisteÓ,
obligeant son exŽcutant ˆ retoucher continuellement sa toile. Ces rŽticences,
auxquelles personne ne semble alors prter attention, prŽdisent la mauvaise
rŽception des tableaux ˆ la cour britannique. Car lorsquÕils seront prŽsentŽs au
ch‰teau de Windsor, en septembre, les deux portraits seront rejetŽs. LÕeffigie de la
nouvelle reine dÕEspagne, dŽnuŽe des symboles du pouvoir, donnera lieu ˆ de
violentes critiques, tant et si bien que, depuis Madrid, Alphonse XIII ordonnera en
urgence le retrait des tableaux. Sorolla essuiera la premire dÕune sŽrie de
dŽconvenues, bient™t suivie par la dŽconfiture de sa troisime exposition
personnelle.
LÕexposition londonienne organisŽe au printemps 1908 aux Galeries
Graffton est donc un nouvel Žchec. En mai, The Daily Telegraph sÕinquite de
lÕexcs dŽployŽ dans les annonces diffusŽes par les organisateurs. PrŽsentŽ
comme le meilleur peintre du monde, Ç The Greatest Painter of the World È
lÕEspagnol est, selon le journal argentin La Prensa, annoncŽ ˆ la manire dÕun
numŽro de cirque Žquestre.23 Mais il ne fait aucun doute que dÕautres raisons liŽes
ˆ la prŽparation de lÕexposition ont davantage nui ˆ sa rŽussite. Sorolla nÕavait
probablement pas tirŽ tous les enseignements de son prŽcŽdent Žchec et il commit
plusieurs impairs. Par exemple, il conna”t mal la demande londonienne. En effet,
le gožt de la classe dominante est tournŽ vers une peinture dÕatelier beaucoup plus
acadŽmique que la sienne. De plus, la sŽlection prŽsentŽe manque de cohŽrence et
donc de lisibilitŽ. LÕEspagnol appara”t sous le double jour dÕun peintre
conventionnel par ses portraits officiels des n¡84 ˆ n¡89 du catalogue, et dÕun
peintre hŽtŽrodoxe par ses pochades peintes sur le motif et qui figurent dans le
22.
23.
Anonyme, ÒLes souverains d'Espagne au ch‰teau de La GranjaÓ, L'Illustration, Paris,
27/07/1907.
Leer, ÒSorolla ExhibitionÓ, The Daily Telegraph, Londres, 5/05/1908 et Ramiro de
Maeztu, ÒSorolla en LondresÓ, La Prensa, Buenos Aires, 24/06/1908.
II. Le marchŽ de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923
96
catalogue sous le titre gŽnŽrique Coulour-Notes.24 Sa peinture nՎtant pas connue
outre-Manche, elle gagnait ˆ tre prŽsentŽe sous un angle choisi ˆ lÕavance et ce
ne fut pas le cas. Ë nouveau, Il concde dÕimportantes pertes financires car
aucune de ses deux dernires expositions nÕa ŽtŽ rentable. En plus de cela, il doit
affronter dÕautres difficultŽs. En effet, la correspondance entre Sorolla et son ami
Pedro Gil Moreno de Mora rend compte dÕun litige financier qui lÕoppose aux
marchands anglais. En septembre, il nÕa toujours pas rŽussi ˆ rŽcupŽrer ses
tableaux et il Žcrit ˆ cet ami : Ç ÁÁÁTemo entrar en un pleito!!! È25, Ç Je crains
dÕengager un procs !!! È Au bout du compte, le procs sera ŽvitŽ mais le peintre
ne travaillera plus jamais avec les galeries et il est mme probable que sa
troisime exposition aurait ŽtŽ la dernire sans lÕimplication, dans sa carrire, de
JosŽ de Saavedra y Salamanca (1870-1927), marquis de Viana.
Le Grand-Veneur dÕAlphonse XIII est aussi son homme de confiance. Par
son intermŽdiaire, Sorolla a obtenu sa premire commande de la Maison Royale et
a ŽtŽ reu par le roi en personne et les membres de sa famille dans la rŽsidence
dՎtŽ de La Granja de San Ildefonso. Ë Londres, Viana sÕimplique de manire
dŽcisive dans la carrire du peintre en mettant lui-mme au point sa prochaine
exposition personnelle. Elle aura lieu huit mois plus tard, ˆ lÕHispanic Society of
America, une fondation privŽe inaugurŽe ˆ New York en 1904. Afin dՎclairer ce
qui suit, il est temps de prŽsenter succinctement cette institution, dont il a dŽjˆ ŽtŽ
question en introduction, ainsi que son fondateur, Archer Milton Huntington
(1870-1955). Cet AmŽricain nŽ ˆ New York est lÕunique hŽritier dÕun empire
industriel et financier comprenant, notamment, les chemins de fer Central Pacific
et la compagnie maritime Newport News Shipbuilding and Drydock, en
Virginie.26 Il fait partie de ces industriels qui ont Žtabli des fortunes colossales
aprs la Guerre de SŽcession. ƒrudit, collectionneur et mŽcne, Huntington
24.
25.
26.
Exhibition of Paintings by Sr. Joaqu’n Sorolla y Bastida, Londres, Grafton Galleries,
1908.
Facundo Tom‡s, Felipe Gar’n, Isabel Justo et Sof’a Barr—n, Epistolarios de Joaqu’n
Sorolla, I. Correspondencia con Pedro Gil Moreno de Mora, Barcelone, Anthropos,
2007, page 262.
Beatrice Gilman Proske, Archer Milton Huntington, New York, HSA, 1965, page 17.
Ç Ne manquez pas lÕoccasion qui sÕoffre ˆ vous dÕenvoyer vos Ïuvres ˆ New York en
comptant sur lÕestime que vous porte Mister Archer Huntington : ce monsieur me dit que
vous ne vous occuperez de rien, que lui se chargera de tout, frais en tous genres,
assurancesÉ et vous, vous nÕaurez quՈ donner lÕautorisation dÕexposer vos tableaux. È
II. Le marchŽ de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923
97
finana de nombreux projets culturels, scientifiques et pŽdagogiques dont le plus
important fut la crŽation dÕune fondation musŽale dŽdiŽe au monde hispanique.
En 1908, le riche AmŽricain ne rencontre pas Sorolla ainsi que cela a ŽtŽ
dŽmontrŽ rŽcemment gr‰ce ˆ la publication du journal intime de Huntington.27 En
revanche, il entre en contact avec le marquis de Viana, ainsi que le prouve une
lettre dans laquelle ce dernier prŽsente au peintre le projet dÕune exposition ˆ New
York dont il a prŽalablement convenu des dŽtails matŽriels avec le mŽcne
amŽricain28 :
[É] no desperdicie la ocasi—n que se le presenta a Vd. de llevar sus obras a New-York
con el apreciamiento de que le hace Mr. Archer Huntington : este se–or me dice que
de nada tendr‡ Vd. que ocuparse, que Žl lo har‡ todo, gastos de cualquier gŽnero,
29
segurosÉ y Vd. œnicamente dar el permiso de exponer sus cuadros.
Dans une lettre antŽrieure, datŽe du 4 juin, le marquis avait mis en garde son
protŽgŽ contre le danger que reprŽsentaient, ˆ ses yeux, certains de ses
collaborateurs, Ç [É] estos Srs. m‡s comerciantes que artistas quieren lucrarse
con el pincel de Vd. È cÕest-ˆ-dire Ç [É] ces messieurs plus commerants
quÕartistes veulent sÕenrichir sur votre signature. È, comme sÕil avait souhaitŽ luimme prendre en main les rnes de son destin.30 Les expositions allemande et
britannique sՎtaient soldŽes par des pertes financires ; par consŽquent, le peintre
avait tout intŽrt ˆ accepter une offre qui, compte tenu dÕun tel passif, Žtait
inespŽrŽe. DÕun autre c™tŽ, plusieurs raisons justifient lÕimplication de la Maison
Royale dans la carrire de Sorolla. Quelle quÕen fžt lÕissue, cette exposition ˆ
New York posait le principe dÕune collaboration engageant les deux pays, ce qui
ne sՎtait encore jamais prŽsentŽ depuis le TraitŽ de Paris. En effet, dix ans aprs
la fin de la Guerre de Cuba, les relations entre lÕEspagne et les ƒtats-Unis
nÕavaient toujours pas repris. Pour retisser un lien neuf, la culture et le patrimoine,
au sens le plus large, constituaient un terrain favorable car la grande bourgeoisie
27.
28.
29.
30.
Sorolla y la Hispanic Society. Una visi—n de la Espa–a de entresiglos, Madrid, Museo
Thyssen Bornemisza, 1998, pages 371-423.
J. Fauvey, Joaqu’nÉ page 78.
MusŽe Sorolla, CS 7113, 27/10/1908.
MusŽe Sorolla. CS 7112, 4/06/1908.
II. Le marchŽ de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923
98
du nord-est amŽricain comptait parmi elle quelques hispanophiles riches et
influents.31
Avant de quitter Madrid, le peintre est reu par Alphonse XIII au Palais
Royal de Madrid le 29 dŽcembre 1908.32 Il prend ensuite la direction de Paris et
embarque ˆ bord du transatlantique ÒLorraineÓ, au Havre. Il arrive aux ƒtats-Unis
le 24 janvier 1909. Ç Yo lleguŽ a New York en el estado de ‡nimo que es de
suponer despuŽs de lo de Santiago de Cuba È, confiera-t-il plus tard ˆ un
journaliste pour dire ses rŽticences et son malaise.33 Il supervise lui-mme
lÕaccrochage des tableaux et lÕexposition, qui bŽnŽficie du patronnage du roi
Alphonse XIII et de la reine Victoria Eugenia, ouvre ses portes au public le 4
fŽvrier. Ds les premiers jours, la bourgeoisie new-yorkaise se presse dans les
salles de lÕHispanic Society qui accueille 10.334 visiteurs la premire semaine,
17.974 la deuxime, 42.716 la troisime et 76.229 la quatrime.34 Au total,
presque cent soixante mille personnes visitent cette exposition, tout un record
pour un seul artiste. Le phŽnomne attire lÕattention des media, crŽant ainsi un
cercle vertueux car la mŽdiatisation devient elle-mme la cause dÕune plus grande
affluence. LÕexposition itinŽrante inaugurŽe ˆ New York en fŽvrier, se dŽplace ˆ
Buffalo puis ˆ Boston. Elle se traduit ˆ chaque fois par dÕexcellentes ventes et
donne lieu ˆ des commandes. Au total, cent quatre-vingt quinze tableaux changent
de mains en trois mois pour une somme de prs dÕun million de francs.35 Sorolla
est reu chez de riches industriels et est mme appelŽ ˆ Washington par le
prŽsident William Howard Taft (1857-1930) qui lui commande son portrait et
celui de son Žpouse. Dans le contexte de lÕaprs-guerre de Cuba, la prŽsence de
lÕEspagnol ˆ la Maison Blanche constitue tout un symbole.
Le MusŽe Sorolla ne possde quÕune infime partie des articles de presse
publiŽs sur place et illustrŽs avec des images de la foule des ŽlŽgantes se pressant
sur la terrasse et dans lÕescalier monumental du musŽe. En Espagne, Mundo
Gr‡fico publie une photographie montrant la file des voitures alignŽes dans la cent
cinquante cinquime rue et une autre du peintre posant devant la porte de
31.
32.
33.
34.
35.
Mon livre : Joaqu’n Sorolla, pintor del Rey Alfonso XIII.
Anonyme, ÒDe palacioÓ, ABC, Madrid, 30/12/1908.
Francisco Mart’n Caballero, ÒHablando con D. Joaqu’n en su estudioÓ, La
Correspondencia de Valencia, Valence, 11/09/1913. Ç Je suis arrivŽ ˆ New York dans
lՎtat dÕesprit quÕil faut imaginer aprs les ŽvŽnements de Santiago de Cuba. È
Eight essays on Joaquin Sorolla y Bastida, New York, HSA, 1909, page 457.
Blanca Pons-Sorolla, Joaqu’n Sorolla. Vida y obra, Madrid, Fahah, 2001, page 323.
II. Le marchŽ de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923
99
lՎdifice.36 Ces images invraisemblables, synonymes dÕargent et de gloire, feront
sensation chez les jeunes peintres qui rveront ˆ leur tour dՎgaler le ma”tre. Ë
dŽfaut dÕavoir pu visiter cette exposition historique, les Espagnols dŽcouvriront en
1910 la premire monographie du peintre ŽditŽe dans deux luxeuses Žditions,
lÕune en espagnol et lÕautre en franais. Cet ouvrage trs documentŽ fait appara”tre
cent seize illustrations.37 Du vivant de lÕartiste, trois essais monographiques seront
proposŽs ˆ la vente : celui que lÕon vient de citer, puis Sorolla de Rodolfo Gil, en
1913, et Joaqu’n Sorolla dÕAureliano de Beruete qui Žtait dŽjˆ sorti dans la presse
en 1901 mais ne sera vendu sŽparŽment quÕen 1921 dans une Ždition raffinŽe.38
LÕexcellent rŽsultat de lÕexposition amŽricaine incite lÕEspagnol ˆ
retraverser lÕAtlantique, deux ans plus tard, pour prŽsenter dÕautres tableaux et
honorer plusieurs commandes. La dernire exposition individuelle du peintre est
donc organisŽe de fŽvrier ˆ avril 1911, ˆ Chicago et ˆ Saint Louis. Cet ŽvŽnement,
qui nÕest en fait que le prolongement du prŽcŽdent, bŽnŽficie des mmes
conditions et remporte logiquement le mme succs. Mais cÕest un autre projet
qui, la mme annŽe, va ˆ la fois mettre un terme au ÒcycleÓ des expositions
individuelles et prŽparer la fin de la carrire du peintre. Mais avant de tourner la
page des expositions particulires, il est temps dÕen tirer quelques enseignements.
Tout dÕabord, ce circuit international ne fait pas Žtape en Espagne. Ë Paris,
Sorolla Žcoule ses tableaux auprs dÕune clientle cosmopolite, principalement
amŽricaine. Il ne vend quasiment rien en Allemagne et trs peu en Angleterre. En
revanche, plus dÕune centaine de tableaux changent de mains au cours de ses deux
expositions aux ƒtats-Unis et des commandes privŽes sont honorŽes sur place. Il
rentre en Espagne riche et aurŽolŽ de gloire. De mme, la relation entre le peintre
et le roi en sort renforcŽe. Sorolla est admis au sein de la cour et, bien quÕil ne
possde pas la charge de peintre de chambre Ð qui avait ŽtŽ supprimŽe sous le
rgne dÕAlphonse XII Ð il est non seulement le portraitiste du souverain mais
Žgalement un de ses amis les plus proches.
Alors mme que sÕachve sa dernire exposition, lÕEspagnol vient de
recevoir de lÕHispanic Society une commande considŽrable comprenant une sŽrie
36.
37.
38.
Sebasti‡n Cruset, ÒLa exposici—n Sorolla en Nueva YorkÓ, Mundo Gr‡fico, Madrid, 1909.
Rafael DomŽnech, Sorolla. Su vida y su arte, Madrid, Leoncio Miguel et Sorolla, sa vie et
son Ïuvre, Madrid, Vilanova y Geltrœ-Oliva, 1910.
Rodolfo Gil, Sorolla, Madrid, S‡enz de Jubera, 1913 et Aureliano de Beruete, Joaqu’n
Sorolla, Madrid, Biblioteca Estrella, 1921.
II. Le marchŽ de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923
100
de grands formats destinŽs ˆ recouvrir les murs de la bibliothque de lÕinstitution.
Cette frise, ˆ la fois dŽcorative et pŽdagogique, offrirait au visiteur une Òvision de
lÕEspagneÓ ˆ travers des reprŽsentations de quelques provinces choisies. Compte
tenu des dimensions de ce dŽcor de trois ˆ trois mtres cinquante de hauteur sur
une longueur totale dÕenviron soixante-dix mtres, ce projet, confiŽ ˆ un seul
exŽcutant, rŽclame plusieurs annŽes de travail. Cette commande allait le mettre ˆ
lÕabri ˆ la fois de la transformation de la demande et des consŽquences
Žconomiques de la Premire Guerre Mondiale sur le marchŽ de lÕart europŽen
mais elle rŽduirait en mme temps son espace de crŽation. En effet, ce dŽcor peint
rŽclame un travail prŽparatoire colossal car les plus grands panneaux ne peuvent
pas tre peints directements sur le motif. Entre 1912 et 1919, lÕactivitŽ du peintre
gravite donc essentiellement autour de Visi—n de Espa–a. Cette pŽriode est ˆ la
fois trs longue, huit ans, mais aussi trs pauvre dÕun point de vue critique car
Sorolla sort de lÕespace public pratiquement durant tout ce temps. Sa commande
lÕempche de monter une autre exposition individuelle parce que cela supposait
quÕil rŽalis‰t suffisamment de tableaux pour cela. Cela ne fut jamais possible tant
sa charge de travail Žtait grande. Par ailleurs, il nÕoccupait aucun poste et nՎtait
donc exposŽ dÕaucune manire sur le plan mŽdiatique.
Durant huit ans, il sŽjourne rŽgulirement hors de Madrid, dans chacune des
provinces quÕil compte transposer sur la toile. La presse rend compte de ses
dŽplacements constants jusque dans des contrŽes trs reculŽes, inaccessibles ni en
train ni en automobile. Le rŽcent film dÕAntonio Escriv‡ nÕa dÕailleurs pas
manquŽ, sous la forme dÕun clin dÕÏil plein dÕhumour, dÕinsŽrer une courte scne
dans laquelle la voiture conduite par son disciple Francisco Pons Arnau se trouve
embourbŽe en pleine campagne.39 Le peintre sÕextirpe du vŽhicule en grimpant sur
le dos du garon. En 1914, dans une revue de XŽrs de la Frontera, un dessinateur
le reprŽsente en costume de voyage, une valise dans la main droite et un pardessus
repliŽ sur le bras gauche.40 Durant les deux annŽes 1912 et 1913, il travaille au
plus grand panneau du dŽcor, La fiesta del pan. En rŽalitŽ, cette fte nÕa jamais
existŽ et ce thme inspirŽ par la rŽcolte du blŽ nÕest quÕun prŽtexte ˆ une
composition unique associant les deux Castilles. LÕensemble reflte une certaine
39.
40.
Cartas de Sorolla, 65:45 ˆ 66:00.
Anonyme, ÒFiguras popularesÓ, Revista Pol’tica y Administrativa, XŽrs de la Frontera,
11/11/1914. Voir la figure n¡4. Figures populaires (1914).
II. Le marchŽ de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923
101
vision de lÕhistoire et du devenir du pays comme le montre cet extrait de lÕessai de
Miguel de Unamuno, En torno al casticismo :
En Espa–a llev— a cabo la unificaci—n Castilla, que ocupa el centro de la Pen’nsula,
la regi—n en que se cruzaban las comunicaciones de sus distintos pueblos, centro de
m‡s valor que ahora entonces, que en la crisis de la pubertad nacional las funciones
de nutrici—n predominaban sobre la relaci—n (si bien, y no olvide esto el lector, la
funci—n nutritiva es una verdadera func’on de relaci—n). Entonces, cuando todav’a no
hab’a llevado la vida a las costas el descubrimiento de AmŽrica, ni llegaban del Far
West americano trigos al puerto de Barcelona, Castilla era un emporio del comercio
espa–ol de granos y verdadero centro natural de Espa–a.41
Pour prŽparer cette Ïuvre, il parcourt les provinces de Tolde, SŽgovie,
Avila, Salamanque, Guadalajara, Ciudad Real et Madrid.42 Les dimensions du
ch‰ssis, trois mtres cinquante sur prs de quatorze mtres, sont imposantes,
raison pour laquelle il doit travailler en atelier ˆ partir de centaines de dessins et
dՎbauches peintes sur le motif. La fiesta del pan est achevŽe ˆ la fin de lÕannŽe
1913. Puis ˆ partir de mars 1914, il commence une sŽrie de panneaux
suffisamment petits pour tre installŽs directement en plein air. Ë SŽville, il
assiste en spectateur aux processions de la Semaine Sainte et exŽcute, sur place, le
deuxime panneau : Los Nazarenos. Durant lՎtŽ, il prend la direction des
PyrŽnŽes pour rŽaliser les panneaux dŽdiŽs ˆ la Navarre et ˆ lÕAragon : El consejo
del Roncal et La jota. Le premier reprŽsente un rite annuel pratiquŽ depuis le
Moyen-åge dans la vallŽe de Roncal. Pour renouveler le droit de faire pa”tre leurs
troupeaux du c™tŽ espagnol de la frontire, les bergers franais offraient, selon la
coutume, trois agneaux ˆ chacun des sept maires des villages de cette vallŽe. Le
second immortalise la danse populaire pratiquŽe en Aragon. Ë Saint-SŽbastien, il
peint une scne de jeu, Los bolos, symbolisant le Pays Basque. Il repart ensuite ˆ
41.
42.
Miguel de Unamuno, En torno al casticismo, Madrid, Biblioteca Nueva, 1996 (1895),
page 79. Ç La Castille, qui occupe le centre de la PŽninsule, a menŽ ˆ son terme
lÕunification de lÕEspagne. Vers cette rŽgion convergent les voies de communication des
autres provinces, carrefour plus crucial hier quÕaujourdÕhui, car au moment de la crise de
pubertŽ nationale les fonctions alimentaires lÕemportaient sur les autres relations (disonsle, et que le lecteur ne perde pas cela de vue, la fonction alimentaire implique une vraie
relation). Jadis, alors que la dŽcouverte de lÕAmŽrique nÕavait pas encore apportŽ la vie
sur nos c™tes, que le blŽ amŽricain du Far West nÕarivait pas encore au port de Barcelone,
la Castille Žtait un centre commercial espagnol des cŽrŽales, et le vŽritable centre naturel
du pays. È
Marcus Burke et Priscilla Muller, Sorolla. The Hispanic Society, New York, HSA, 2004,
pages 208-214.
II. Le marchŽ de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923
102
SŽville avant la fin de lÕannŽe pour les besoins du sixime panneau, El encierro,
sur le thme de lՎlevage des taureaux en Andalousie. Au dŽbut de 1915, il
retourne dans cette rŽgion quÕil affectionne tant pour intŽgrer dans deux panneaux
distincts la danse flamenca et la tauromachie : El baile et Los toreros. Durant
lՎtŽ, il prend la route de la Galice pour rŽaliser le neuvime morceau du dŽcor, La
romer’a. En dŽpit de son titre, il sÕagit dÕune foire aux bestiaux comme il y en
avait dans cette Galice dՎlevage. La composition souligne lÕimportance des
produits laitiers dans la gastronomie locale. Il bifurque ensuite vers Barcelone, en
septembre, pour rejoindre le motif dÕune scne de pche symbolisant la
Catalogne : El pescado. Trs affaibli par tous les efforts consentis jusque-lˆ, le
peintre est obligŽ dÕarrter momentanŽment son activitŽ puis de la rŽduire
considŽrablement. Aprs cela, il ne produit plus quÕun seul panneau par an. 1916
est lÕannŽe de Las grupas, celui de Valence. Une nouvelle fois, la composition est
fabriquŽe par Sorolla ˆ partir de diffŽrentes sources dÕinspiration religieuses et
pa•ennes. Comme les panneaux castillans et galiciens, il sÕagit dÕune allŽgorie de
la rŽgion. En octobre 1917, il se rend en EstrŽmadure accompagnŽ de son disciple
Santiago Mart’nez pour peindre un panneau figurant le marchŽ aux cochons de
Plasencia : El mercado. En novembre 1918, il sÕintŽresse ˆ la rŽcolte des dattes ˆ
Elche Ð El Palmeral Ð dans la province dÕAlicante. Enfin, en mai 1919, il achve
le quatorzime et dernier panneau, La pesca del atœn, ˆ Ayamonte dans la
province de Huelva.43
Le peintre arpente davantage de territoires que ceux qui viennent dՐtre citŽs
car sa qute de motifs nÕaboutit pas systŽmatiquement. Ses recherches obŽissent
aux indications du commanditaire amŽricain ; or, nous ne les connaissons pas
prŽcisŽment. Ni le contrat de la commande ni la correspondance entre les deux
hommes ni mme le journal intime de lÕhispanophile ne permettent dՎtablir avec
prŽcision lÕimplication de chacun dans le choix des thmes.44 Visi—n de Espa–a
semble avoir ŽtŽ pilotŽe par Huntington de manire ˆ dŽmontrer que le mode de
vie et la culture des ƒtats-Unis sont nŽs en Espagne. Par exemple, le panneau El
encierro rappelle que le cow-boy de lÕOuest amŽricain Ð comme le gaucho
argentin Рdescendent de lՎleveur de taureaux bravos andalous. Les carrioles, les
43.
44.
Florencio de Santa-Ana, ÒLa estancia ayamontina de Joaqu’n SorollaÓ, Bolet’n de
Ayamonte, Ayamonte, 09/1999.
Cette documentation a ŽtŽ publiŽe in Sorolla y la Hispanic Society. Una visi—n de la
Espa–a de entresiglos, Madrid, Museo Thyssen Bornemisza, 1998, pages 371-423.
II. Le marchŽ de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923
103
attelages et le costume castillan de La fiesta del pan, tout cela nՎvoque-t-il pas le
terroir amŽricain ? De mme, lÕarne de Los toreros ne rappelle-t-elle pas celle
des rodŽos ? Son Žthymologie est justement espagnole puisque le mot provient du
verbe ÒrodearÓ, cÕest-ˆ-dire encercler. Autour de 1880, il Žtait dŽjˆ pratiquŽ au
Texas comme un spectacle public. On pourrait ainsi multiplier les exemples pour
Žtablir dÕautres parrallles entre cette Espagne peinte et les campagnes nordamŽricaines au dŽbut du XXme sicle.
Durant toutes ces annŽes, les allŽes et venues du peintre lՎloignent de la
sphre publique mme si, ponctuellement, des entretiens sont publiŽs dans les
quotidiens des provinces quÕil parcourt ˆ la recherche dÕun motif digne dÕintŽrt,
par exemple ˆ Alicante, SŽville, Saint-SŽbastien, Murcie, Palma de Majorque,
Huelva, Carthagne, etc. Ces entrevues, caractŽristiques de cette pŽriode,
tŽmoignent du besoin dÕinformer le lecteur sur ce peintre dont il nÕa que de
lointains Žchos depuis 1906 puisquÕaucune de ses expositions nÕa eu lieu en
Espagne, et dont il ne sait plus rien aprs 1911, date ˆ partir de laquelle il
nÕexpose plus. CÕest donc bien avant sa mort et au moment o il sÕimmerge
compltement dans sa dernire commande que Sorolla commence ˆ sombrer dans
lÕoubli. La courbe de rŽpartition des archives de presse du MusŽe Sorolla le
prouve en sÕaffaissant progressivement jusquՈ lÕannŽe de son dŽcs. En 1917, le
critique Francisco Alc‡ntara dŽclare aprs avoir aperu, par hasard, une toile du
Valencien : Ç hace tiempo que yo no ve’a pintura de Sorolla. È45 cÕest-ˆ-dire Ç Il y
a longtemps que je nÕavais pas vu de peinture de Sorolla. È En Europe, les
courants se renouvellent et une autre gŽnŽration occupe lÕespace artistique et
mŽdiatique. Des mouvements dÕavant-garde tels que le Fauvisme, nŽ ˆ Paris, le
Futurisme italien, ou encore les Expressionnismes allemands font leur apparition.
En Espagne, la critique sÕintŽresse davantage ˆ Ignacio Zuloaga, Julio Romero de
Torres et JosŽ GutiŽrrez Solana. Si bien quÕavant mme que Visi—n de Espa–a ne
soit terminŽe, lÕEspagnol appartient dŽjˆ au passŽ.
Enfin, il achve cette commande au mois de juin 1919 et, en octobre, il
prend possession de la place de professeur de couleur et de composition de lՃcole
des Beaux-Arts de San Fernando occupŽe, avant lui, par le peintre madrilne
45.
Francisco Alc‡ntara, ÒApertura de la Exposici—n de Bellas ArtesÓ, El Imparcial, Madrid,
29/05/1917.
II. Le marchŽ de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923
104
Alejo Vera (1834-1923).46 Ë cinquante-six ans seulement Sorolla est dŽjˆ trs
diminuŽ physiquement. Le 17 juin 1920, alors quÕil est en train de peindre un
portrait de lՎpouse de Ram—n PŽrez de Ayala dans le jardin de sa propriŽtŽ, un
accident vasculaire cŽrŽbral le foudroie. SÕil survit ˆ cette attaque, il conserve
nŽanmoins une hŽmiplŽgie dont il ne se remettra jamais et qui dŽgŽnŽrera peu ˆ
peu durant trois ans. Il dŽcde le 10 aožt 1923.
46.
Anonyme, ÒSorolla, profesor oficialÓ, Heraldo de Madrid, Madrid, 23/03/1919.
II. Le marchŽ de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923
105
II.2. LA RECONNAISSANCE DES CONSERVATEURS
Ë lÕintŽrieur de lÕensemble dŽvoilŽ chez le galeriste parisien Georges Petit,
quelques toiles refltent, de manire plus ou moins marquŽe, les affinitŽs
intellectuelles de Sorolla avec les membres de lÕInstitution Libre dÕEnseignement.
Sur les paysages des montagnes du Guadarrama notamment, la presse madrilne
ne manque pas de signaler lÕinfluence des idŽes libŽrales pr™nŽes et mises en
pratique par Francisco Giner de los R’os et son entourage. Mais comme
lÕexposition nÕa pas lieu ˆ Madrid mais ˆ Paris, elle est aussi perue comme une
projection de lÕEspagne vers lÕextŽrieur. Il faut rappeler que le pays traverse alors
un moment clŽ de son histoire puisque, le 31 mai 1906, le roi Alphonse XIII a
ŽpousŽ la princesse anglaise Victoria Eugenia de Battenberg. Cette union laisse
prŽsager un renouveau politique. Aussi, en dŽvoilant les portraits des savants et
des artistes espagnols les plus Žminents de son Žpoque, lÕexposition inaugurŽe le
12 juin met en valeur une Espagne ÒmoderneÓ, dit Ricardo Blasco.47 De lˆ, il nÕy
a quÕun pas Ð aussit™t franchi Ð vers une autre perception du peintre espagnol. Car
la presse libŽrale, et mme la presse conservatrive, qui nÕavait jamais jugŽ
favorablement sa peinture, dŽcle derrire ces toiles une intention ÒpatriotiqueÓ.
Cette vision des choses reprŽsente indŽniablement un facteur supplŽmentaire qui
incite la Maison Royale ˆ sÕattacher les services de Sorolla, ds son retour en
Espagne. Les archives de presse du MusŽe Sorolla comprises entre les annŽes
1902 et 1907 traduisent un glissement idŽologique de la rŽception critique, de la
gauche vers la droite. En effet, tandis que les journalistes dÕEl Pueblo
disparaissent de la communautŽ dÕinterprŽtation, ceux du quotidien conservateur
La ƒpoca la rejoignent. Une nouvelle Žtape dans lÕhistoire de la rŽception de son
Ïuvre est sur le point de commencer.
Pour le journaliste et dramaturge Ricardo Blasco, la premire exposition
personnelle de Sorolla va rŽpandre une nouvelle image de lÕEspagne dans le
monde ˆ travers une sŽrie de portraits et de paysages :
47.
Ricardo Blasco, ÒLa Exposici—n Sorolla en Par’sÓ, La Voz de Guipœzcoa, Saint-SŽbastien,
06/1906.
II. Le marchŽ de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923
106
Sorolla, adem‡s de traerse en sus cuadros el sol de Espa–a, con toda la fuerza de color
y calor con que vibra en las costas, las playas y las huertas valencianas, ha tra’do en
hermosos retratos de Echegaray, Gald—s, Cajal, Blasco Ib‡–ez, Canalejas y otros
ilustres compatriotas mucho de nuestras glorias de la Ciencia, las Letras, la
Elocuencia unidas a la suya propia pintura.48
En avril, Alejandro Saint-Aubin avait visitŽ lÕatelier du peintre juste avant
que les tableaux ne fussent emballŽs. Dans un article, il affirme que les portraits
qui allaient tre envoyŽs ˆ Paris mettraient en lumire une gŽnŽration de
penseurs.49 Il fait rŽfŽrence aux portraits de quelques amis du peintre dont on se
rappelle, pour JosŽ Canalejas, Vicente Blasco Ib‡–ez et Benito PŽrez Gald—s, le
soutien quÕils lui avaient apportŽ quelques annŽes auparavant lorsquÕil Žtait
encore ÒsalonnierÓ. Il faut ajouter ˆ cette liste ceux du dramaturge JosŽ Echegaray
(1832-1916), des peintres Aureliano de Beruete et Antonio Gomar (1853-1911),
du sculpteur Mariano Benlliure, de lÕhistorien Manuel BartolomŽ Coss’o (18571935), de la soprano Lucrecia Arana (1871-1927), de la comŽdienne Mar’a
Guerrero et enfin, du scientifique Santiago Ram—n y Cajal (1852-1934).50 Tous
Žtaient dignes dՐtre comparŽs, sur le plan international, aux esprits les plus
brillants de leur Žpoque. Il faut rappeler, par exemple, que Mariano Benlliure a
obtenu un Grand Prix de Sculpture lors de lÕExposition Universelle de 1900,
Echegaray a reu le Prix Nobel de LittŽrature en 1904 et Ram—n y Cajal vient de
dŽcrocher le Prix Nobel de MŽdecine pour ses travaux sur le systme nerveux
(1906).
48.
49.
50.
Ricardo Blasco, ÒLa Exposici—n Sorolla en Par’sÓ, La Voz de Guipœzcoa, San SŽbastien,
06/1906. Ç Sorolla, outre quÕil apporte dans ses tableaux le soleil de lÕEspagne, avec toute
lÕintensitŽ de couleur et de chaleur avec laquelle il vibre sur les c™tes, les plages, les
jardins de Valence, a fait venir dans de beaux portraits de Echegaray, Gald—s, Cajal,
Blasco Ib‡–ez, Canalejas et dÕautres illustres compatriotes, beaucoup de nos gloires des
Sciences, des Lettres, de lՃloquence unies ˆ sa propre peinture. È
Alejandro Saint-Aubin, ÒVisitando estudios : Joaqu’n SorollaÓ, Heraldo de Madrid,
Madrid, 04/1906.
JosŽ Canalejas, 131Õ5x97, Madrid, Chambre des dŽputŽs, 1906. Vicente Blasco Ib‡–ez,
127x90, New York, HSA, 1906. Benito PŽrez Gald—s, 75x100, Las Palmas de Gran
Canaria, Casa-Museo PŽrez Gald—s, 1894. JosŽ Echegaray, 100x133, Madrid, Collection
de la Banque dÕEspagne, 1905. Aureliano de Beruete, 115Õ5x110Õ5, Madrid, MusŽe
National du Prado, 1902. Familia Benlliure Arana, 128x91, Collection particulire, 1906.
Santiago Ram—n y Cajal, 91x127Õ5, Saragosse, MusŽe Municipal, 1906. BartolomŽ
Coss’o, non localisŽ. Retrato de Mar’a Guerrero, 131x120Õ5, Madrid, MusŽe National du
Prado, 1897-1906.
II. Le marchŽ de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923
107
Francisco Giner de los R’os considre que les paysages de Sorolla ont autant
dÕintŽrt que les ÒpersonnesÓ.51 LÕexposition de la Galerie Petit comprend des
paysages peints dans quatre rŽgions diffŽrentes : Valence, les Asturies, la Galice
et la Castille. Pour les membres de lÕInstitution Libre dÕEnseignement, le territoire
et ses habitants constituent le socle de lÕidentitŽ nationale. Ils ont fondŽ une
sociŽtŽ en 1886 afin dՎtudier le massif du Guadarrama Ð au nord-ouest de Madrid
Ð dÕun point de vue gŽologique, hydrographique, botanique, etc.52 Suivant
lÕexemple dÕAureliano de Beruete et de Jaime Moreira y Galicia, ˆ partir de
lÕhiver 1905-1906 Sorolla part en excursion dans ce massif afin de peindre sur le
motif une sŽrie de paysages des montagnes enneigŽes.53 Ë leur manire, les trois
peintres contribuent ˆ la connaissance et ˆ la valorisation de ce territoire. Sorolla
collectionne jusquՈ six toiles de son ami Beruete : une vue du massif du
Guadarrama, deux paysages de Madrid peints au bord du fleuve Manzanares,
deux paysages de Tolde et un paysage de la Sierra Nevada.54 Un autre membre
de lÕInstitution, le docteur Luis Simarro Lacabra, possŽdait une des rŽalisations
majeures de Sorolla, Mar’a con la sierra al fondo : un portrait de sa fille
convalescente qui, suivant les conseils du mŽdecin, prend lÕair revigorant de la
montagne.55
Autour de 1906, la peinture du Valencien est indissociable du courant
idŽologique ÒrŽgŽnŽrationnisteÓ mme si, ˆ lՎvidence, dÕautres influences la
traversaient. Dans lÕEnciclopedia de Historia de Espa–a, dirigŽe par Miguel
Artola, le ÒrŽgŽnŽrationnismeÓ est prŽsentŽe de la faon suivante :
Surge como concepto y como pr‡ctica pol’tica, social y cultural a finales del siglo
XIX, en una Espa–a sumergida en una crisis multifactorial, de la que la pŽrdida de la
hegemon’a por parte del bloque olig‡rquico de poder es el factor fundamental, en
51.
52.
53.
54.
55.
Propos reccueillis par : Leonard Williams, ÒEl pintor Sorolla juzgado en el extranjeroÓ, El
Pa’s, Madrid, 22/05/04.
Nicol‡s Ortega Cantero, Paisaje y excursiones : Francisco Giner, la Instituci—n Libre de
Ense–anza y la Sierra del Guadarrama, Madrid, Ra’ces, 2001.
Laura Arias Serrano, La Universidad Complutense y sus fondos de pintura
contempor‡nea: los Sorollas del legado SimarroÓ in La Universidad Complutense y las
Artes, Madrid, UCM, 1995.
Aureliano de Beruete, El Guadarrama desde la Moncloa, 48x79Õ5, Madrid, MS, 1893. La
Alhambra. Granada, 14Õ8x27Õ5, Madrid, MS, 1895. Orillas del Manzanares, 16Õ6x33Õ3,
Madrid, MS, 1900. Lavaderos en el Manzanares, 57Õ5x81, Madrid, MS, 1904. El Tajo.
Toledo, 53x48, Madrid, MS, 1908. Toledo desde el castillo de San Servando, 43x53Õ5,
Madrid, MS, 1910.
Mar’a con la sierra al fondo, 63x92, Madrid, UniversitŽ Complutense, 1907.
II. Le marchŽ de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923
108
tanto que el desastre colonial de 1898 (pŽrdida de los territorios ultramarinos) ser‡ el
catalizador o el detonante para que estalle tal crisis.56
Ce courant poursuit, comme un idŽal, lՎdification dÕune Espagne
modernisŽe, capable de rivaliser sur les plans industriel, scientifique,
pŽdagogique, littŽraire, artistique, etc. avec les grandes puissances de lÕEurope du
XXe sicle, cÕest-ˆ-dire lÕAngleterre, la France, lÕAllemagne, lÕAutriche-Hongrie,
la Russie et lÕItalie. En cherchant ˆ former une gŽnŽration neuve, plus instruite et
plus responsable que celle qui avait conduit le pays au TraitŽ de Paris, lÕInstitution
Libre dÕEnseignement est le fer de lance de ce courant.
Dans un article intitulŽ, ÒCajal y SorollaÓ, Vicente Ballester Soto (inc.-inc.)
affirme que seuls les sciences et les arts ont ŽchappŽ ˆ la dŽcadence de lÕEspagne
et continuent ˆ briller au niveau europŽen :
Nada somos, nada representamos en la pol’tica europea; no figuramos lo m‡s
m’nimo en el concierto de las grandes naciones libres de la Tierra; estamos
fracasados como hombres de esp’ritu emprendedor, y nada de lo que constituy—
nuestra corona de laurel en otros tiempos sirve y aprovecha: s—lo la ciencia y el arte
con sus cultivadores entusiastas nos realzan y honran, devolviendo a la madre patria
su prestigio, m‡s brillante, m‡s potente y m‡s firme ahora que antes.
57
Dans lՏre qui sÕannonce, les dŽcouvertes scientifiques et les progrs
artistiques constitueraient des conqutes inaliŽnables, pensait-on, alors mme que
la guerre venait de mettre en Žvidence la vulnŽrabilitŽ dÕun empire territorial
ŽclatŽ et distant de lÕEspagne de plusieurs milliers de kilomtres. LÕespoir dÕun
pays renaissant sur des bases nouvelles sÕinscrit dans le prolongement dÕune idŽe
56.
57.
Miguel Artola, Enciclopedia de Historia de Espa–a, V. Diccionario tem‡tico, Madrid,
Alianza, 2001 (1991), page 1027. Ç Le rŽgŽnŽrationnisme voit le jour comme une notion
et comme une pratique politique, sociale et culturelle ˆ la fin du XIXme sicle, dans une
Espagne immergŽe dans une crise multifactorielle, dont la cause fondamentale est la perte
dÕhŽgŽmonie dÕune partie du bloc oligarchique, et pour laquelle le dŽsastre colonial de
1898 (perte des territoires dÕOutre-mer) constitue le catalyseur et lՎlŽment dŽclencheur. È
Vicente Ballester Soto, ÒCajal y SorollaÓ, El Pa’s, Madrid, 2/11/1906. Ç Nous ne sommes
rien, nous ne reprŽsentons rien dans la politique europŽenne ; nous ne jouons pas le
moindre r™le dans le concert des grandes nations libres de la Terre ; Nous avons ŽchouŽ
en tant que peuple ˆ lÕesprit conquŽrant, et rien de ce qui constitua notre couronne de
lauriers ˆ une autre Žpoque nous est utile ni profitable : seuls la science et lÕart, incarnŽs
par ses enthousiastes reprŽsentants, nous mettent en valeur et nous font honneur, en
rendant ˆ la mre patrie son prestige, plus brillant, plus puissant et plus solide aujourdÕhui
quÕhier. È
II. Le marchŽ de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923
109
largement rŽpandue ˆ lՎpoque, selon laquelle, seuls les Beaux-Arts auraient
ŽchappŽ au dŽclin.58 Ë ce titre, la peinture et la sculpture lÕemportent
probablement sur tous les autres arts car le pays compte au moins deux sculpteurs
dÕenvergure europŽenne : Mariano Benlliure et Miguel Blay (1866-1936) qui
dŽcrochent ensemble le Grand Prix de lÕExposition Universelle de 1900.59 Et on
pourrait ajouter encore ˆ ces deux arts la photographie car lÕEspagnol dÕorigine
danoise Christian Franzen (1864-1923) brille lors du mme ŽvŽnement et
remporte une rŽcompense Žquivalente. Sorolla fait sa connaissance en 1903 et le
photographe de la Cour, dont lÕatelier se trouve ˆ deux pas du Palais Royal, lÕaide
ˆ prŽparer une commande publique intitulŽe La Regencia.60 Il peint son portrait la
mme annŽe.61
En 1901, Jacinto Octavio Pic—n compare son pays ˆ un navire en perdition
qui, dans son naufrage, nÕaurait rŽussi ˆ sauver que les arts : Ç Nos han derrotado
por las armas un pueblo de mercaderes ricos ; estamos pobres y a todas horas
repetimos que nos devoran la corrupci—n y la ignorancia, del naufragio de nuestra
gloria solo hemos salvado el arte. È62 Dans la prŽface du livre de Ram—n S‡nchez
D’az (1869-1960), Juan Coraz—n (1906), Joaqu’n Costa (1846-1911) ne ÒsauveÓ
que la peinture : Ç No he encontrado una sola zona, fuera quiz‡ del arte pict—rico,
que no acuse en nosotros una marcada inferioridad respecto de los dem‡s pueblos
europeos, cuando no una franca y radical incapacidad. È63 Le ÒsalutÓ peut donc
venir de la peinture et, pour un observateur comme Manuel Gonz‡lez Mart’,
lÕexposition Petit en est la dŽmonstration.
Le Valencien signe un article intitulŽ ÒSorolla dignificadorÓ sous le
pseudonyme de Folch’. Il y prŽtend que Sorolla a redonnŽ un peu de dignitŽ ˆ son
pays en dŽtruisant lÕimage erronŽe que lÕon sÕen fait encore ˆ lՎtranger.64 En
58.
59.
60.
61.
62.
63.
64.
Miguel de Unamuno, En torno al casticismo, Madrid, Biblioteca Nueva, 1996 (1895),
page 55-65.
Anonyme, ÒLas medallas de honor en la exposici—n de Par’sÓ, ABC, Madrid, 8/07/1900.
La Regencia, dim. inc., Madrid, Ministre des Affaires ƒtrangres, 1906.
El fot—grafo Christian Franzen, 100x66, Madrid, Collection privŽe, 1903.
Jacinto Octavio Pic—n, ÒSorollaÓ, Heraldo de Madrid, Madrid, 4/05/1901. Ç Un peuple de
commerants enrichis nous a dŽfaits par les armes ; nous voilˆ pauvres et ˆ toute heure
nous rŽpŽtons que la corruption et lÕignorance nous dŽvorent, du naufrage de notre gloire
nous nÕavons sauvŽ que lÕart. È
Joaqu’n Costa (prŽface) in Ram—n S‡nchez D’az, Juan Coraz—n, Madrid, Fernando FŽ,
1906. Ç Je nÕai pas trouvŽ un seul domaine, en dehors peut-tre de lÕart pictural, qui ne
dŽmontre pas chez nous une nette infŽrioritŽ par rapport aux autres peuples europŽens,
quand il ne sÕagit pas dÕune franche et radicale incapacitŽ. È
Folch’, ÒSorolla dignificadorÓ, El Mercantil Valenciano, Valence, 3/12/1906.
II. Le marchŽ de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923
110
1900, lÕannŽe o Sorolla remporte le Grand Prix de peinture, le pavillon espagnol
de lÕExposition Universelle de Paris vŽhicule, selon Alejandro Saint-Aubin, une
image pathŽtique du pays.
Pena da pensar que detr‡s de aquellos muros, que evocan las grandezas Žpicas de la
Espa–a de Carlos V, encuentren los visitantes el bullicio de un cafŽ jitanesco, donde
entre los excesos del m‡s desganado cante flamenco, se oiga la voz del mulato
Mory, recordando, no sŽ si para llorarlas o escarnecerlas, pero s’ seguramente para
profanarlas, las p‡ginas tristes de nuestra guerra de Cuba.65
En 1906, la perception de lÕEspagne ˆ lՎtranger, particulirement en
France, est encore fortement influencŽe par les lieux communs rŽpandus par la
littŽrature romantique et / ou par les rŽgionalistes de droite, voire carlistes. La
redŽcouverte de ce pays, au milieu du XIXme sicle, avait ŽtŽ guidŽe par lÕidŽe
quÕil nÕavait pas ŽtŽ contaminŽ par les nouveautŽs du monde moderne, notamment
par les effets nŽfastes de lÕindustrialisation. Lˆ rŽsidait toute sa beautŽ et tout son
charme. Au cours de son voyage, ThŽophile Gautier sÕintŽressa, par exemple, au
peuple gitan, aux courses de taureaux, ˆ la mantille et ˆ lՎventail comme ˆ des
vestiges du passŽ qui auraient traversŽ les ‰ges sans subir dÕinfluences extŽrieures,
du moins le croyait-il.66 En France, ces idŽes toute faites ont nourri une Žlite
cultivŽe qui, ˆ son tour, recherchait dans la peinture espagnole des reprŽsentations
fidles ˆ cet imaginaire.
En 1904, lÕhistorien dÕart britannique Leonard Williams (inc.-inc.) dŽplore
lÕinfluence de la demande franaise sur la production artistique espagnole.67 Selon
lui, les tableaux en provenance dÕEspagne ne reprŽsentent pas ce pays tel que
leurs auteurs le voient mais tel que leurs riches clients lÕimaginent. Cette analyse
est partagŽe par Alejandro Saint-Aubin, selon lequel les hŽritiers de la peinture
noire de Francisco de Goya (1746-1828), en particulier Ignacio Zuloaga, JosŽ
GutiŽrrez Solana et Julio Romero de Torres, perpŽtuent une image fantasmŽe de
65.
66.
67.
Alejandro Saint-Aubin, ÒArte y artistasÓ, Heraldo de Madrid, Madrid, 05/1900. Ç On a du
mal ˆ imaginer que derrire ces murs, qui rappellent les grandeurs Žpiques de lÕEspagne
de Charles Quint, les visiteurs dŽcouvrent lÕagitation dÕun cafŽ gitan, o parmi les excs
du chant flamenco le plus pathŽtique, rŽsonne la voix du mul‰tre Mory, rappelant, je ne
sais pas si pour les pleurer ou les tourner en ridicule, mais certainement pour les profaner,
les pages tristes de notre guerre de Cuba. È
ƒdition consultŽe : ThŽophile Gautier, Voyage en Espagne, Paris, Hachette, 1981 (1843).
Leonard Williams, ÒEl pintor Sorolla juzgado en el extranjeroÓ, El Pa’s, Madrid,
22/05/04.
II. Le marchŽ de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923
111
lÕEspagne pour vendre leurs tableaux. Dans le passage qui suit, on reconna”t
facilement ces trois peintres que cet auteur situe aux antipodes de Sorolla et de sa
peinture lumineuse.
No seguir‡n formando con los lienzos de Sorolla la equivocada y trist’simo idea que
de nosotros tienen en el Extranjero, contemplando la figura de toreros momificados
y repugnantes, de naranjeros negros, descendientes de la raza karabal’, de amazonas
con sombrero cala–Žs, de mendigos y mujeres astrosas con pegotes de negro de
humo por cejasÉ Sorolla demostrar‡ con retratos maravillosos que no es hoy
Espa–a un pa’s de pandereta, y que entre nosotros existen pensadores, hombres de
Ciencia, literatos, artistas, damas distinguidas, caballeros decentemente vestidos y
otra cosa, en fin, que idiotas, rufianes, maletillas de la torer’a, due–as y brujas.68
Ce genre de distinction entre deux courants picturaux majeurs de lÕEspagne
du dŽbut du XXe sicle ouvre la voie ˆ une lecture rŽactionnaire de la peinture de
Sorolla et il trs parlant, ˆ cet Žgard, de rencontrer dans Heraldo de Madrid une
traduction dÕun article du Hongrois Max Nordau (1849-1923), le thŽoricien de
ÒlÕart dŽgŽnŽrŽÓ. Selon lui : Ç La Espa–a que Sorolla ha querido mostrar al
Extranjero es la del pensamiento moderno, del trabajo fecundo, del progreso
radical; en una palabra, la Espa–a europea, y no la antigua Espa–a morisca, es
decir, africana. È69 Plus tard, sous la dictature nazie, les thŽories de cet auteur
justifieront la censure des avant-gardes au profit dÕun Òart racial purÓ inspirŽ des
modles classiques, grecs et romains.
Mme si lÕheure nÕest pas encore ˆ une vision aussi radicale et orientŽe de la
peinture de Sorolla, la rŽception de lÕexposition Petit est indŽniablement
imprŽgnŽe dÕune forme de conservatisme bien perceptible dans les colonnes de
Heraldo de Madrid. DÕailleurs, lÕadhŽsion du journal La ƒpoca, qui ne sՎtait
68.
69.
Alejandro Saint-Aubin, ÒVisitando estudios : Joaqu’n SorollaÓ, Heraldo de Madrid,
Madrid, 04/1906. Ç LÕaffligeante et mensongre idŽe que lÕon sÕest faite de nous ˆ
lՎtranger, en contemplant des toreros momifiŽs et rŽpugnants, des vendeurs dÕoranges
basanŽs descendants de la race karabali, des amazones aux chapeaux ˆ bords relevŽs, des
mendiants et de femmes malpropres, etc. tout cela prendra fin avec les toiles de Sorolla. Il
dŽmontrera avec des portraits merveilleux que ce pays nÕest pas aujourdÕhui une Espagne
dÕopŽrette et que, parmi nous, il y a des penseurs, des hommes de Science, des Žcrivains,
des artistes, des dames distinguŽes, des hommes bien mis et dÕautres choses encore, au
fond, que des idiots, des ruffians, des apprentis toreros, des maquerelles et des sorcires. È
Max Nordau, ÒSorolla y Max NordauÓ, Heraldo de Madrid, Madrid, 13/06/1906.
Ç LÕEspagne que Sorolla a voulu montrer ˆ lՎtranger est celle de la pensŽe moderne, du
travail fŽcond, du progrs radical ; en un mot, lÕEspagne europŽenne, et non pas
lÕancienne Espagne morisque, cÕest-ˆ-dire africaine. È
II. Le marchŽ de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923
112
encore jamais montrŽ partisan du Valencien, atteste une nouvelle perception du
peintre. Le quotidien madrilne, fondŽ en 1849, fut dirigŽ de 1887 ˆ 1933 par
Alfredo Escobar Ram’rez (1858-1953), marquis de Valdeiglesias, qui en a fait le
premier organe conservateur du pays. En 1906, le quotidien publie une traduction
dÕune bonne critique publiŽe en France dans le journal boulangiste
LÕIntransigeant, en ajoutant en note : Ç Hay un interŽs patri—tico, sin duda, en
propagar estos elogios de Sorolla, hechos por Rochefort, y a Žl respondemos
copiando lo que antecede, y celebrando, como es natural, ese triunfo en Par’s de
nuestro arte contempor‡neo. È70 La ƒpoca publie ensuite deux autres articles
avant la fin de lÕannŽe 1906 et beaucoup dÕautres suivront. Ë lÕoccasion de la
mort du peintre, un article hommage intitulŽ ÒUna gran pŽrdida nacionalÓ
soulignera lÕamitiŽ du roi pour son portraitiste.71 Le quotidien valencien Las
Provincias rejoint la mme ligne critique et lÕon peut sÕinterroger sur les raisons
dÕune telle rŽŽvaluation de Sorolla dans la presse de droite.
Force est de constater, tout dÕabord, que si le peintre avait ŽtŽ jadis associŽ ˆ
Valence et aux rŽpublicains, cette vision des choses est dŽsormais caduque.
DÕabord, en 1906 Sorolla envoie ˆ Paris le tableau La Regencia, une commande
du Ministre des Affaires ƒtrangres et un portrait dÕAlphonse XIII adolescent.
LÕannŽe suivante, il entre au service du roi ce qui Žcarte, au passage, toutes les
suspicions de son adhŽsion au blasquisme. Durant lՎtŽ 1909, il se montre
clairement partisan de la campagne de Melilla qui vise ˆ Žtendre les possessions
coloniales de lÕEspagne au Maroc : Ç Yo tengo una confianza absoluta en nuestro
EjŽrcito : ÁQuŽ hermoso porvenir para Espa–a! El ensanchamiento de sus
dominios; romper el cintur—n que nos oprime dentro del viejo solar. È72 Mais la
mobilisation de quarante mille rŽservistes allait dŽclencher, ˆ Barcelone, un
mouvement de protestation des ouvriers, du 26 au 30 juillet. Ce soulvement
70.
71.
72.
Anonyme, ÒSorolla en Par’sÓ, La ƒpoca, Madrid, 28/06/1906. Ç Il y a un intŽrt
patriotique, sans doute, ˆ propager ces Žloges de Sorolla faits par Rochefort, et nous nous
y associons en copiant le texte prŽcitŽ et en cŽlŽbrant, comme il est naturel, ce triomphe
de notre art contemporain ˆ Paris. È
Mencheta, ÒUna gran pŽrdida nacional : La muerte de SorollaÓ, La ƒpoca, Madrid,
13/08/1923.
Anonyme, ÒSans titreÓ, Las Provincias, 1909. Article republiŽ par le journal le
12/08/1923. Ç JÕai une confiance absolue en notre armŽe : quel bel avenir pour
lÕEspagne ! LՎlargissement de ses possessions ; briser la ceinture qui nous opresse ˆ
lÕintŽrieur de notre vieux sol national. È
II. Le marchŽ de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923
113
contre une campagne militaire impopulaire est connu comme la ÒSemaine
TragiqueÓ car le gouvernement le rŽprime dans le sang.
Du travail prŽparatoire ˆ Visi—n de Espa–a, un croquis datŽ de 1911 prouve
que le peintre envisage de consacrer un panneau aux possessions africaines. Il
voyage ˆ TŽtouan quelques annŽes plus tard peut-tre ˆ la demande dÕAlphonse
XIII, mme si aucun document ne nous a, pour lÕinstant, permis de lՎtablir.
Beaucoup dÕinterrogations entourent ce voyage et le panneau africain, que nous
ne connaissons quՈ travers quelques croquis de lÕensemble conservŽs ˆ
lÕHispanic Society de New York, ne verra finalement pas le jour.73 En 1913, un
journaliste connu pour ses idŽes socialistes, Francisco Mart’n Caballero (inc.inc.), lÕinterroge sur ses convictions politiques et, non seulement il nÕobtient
aucune rŽponse, mais il dŽclenche en plus la colre du peintre qui refuse de
sÕexprimer sur ce sujet.74 Enfin, dans un article publiŽ ˆ Valence en 1916, Sorolla
affirme dŽtester le rŽgionalisme chaque fois quÕil serait, pour lÕEspagne, un
facteur de division.75
Sur le plan artistique, le peintre abandonne le genre social ds lors quÕil ne
participe plus aux Salons officiels. Ë partir de 1902, il adapte sa production ˆ la
demande du marchŽ. Le succs commercial de sa peinture dÕenfants sur la plage
est la principale raison pour laquelle il cultive autant ce thme au point dÕarrter,
autour de 1904, les codes dÕun genre bien ˆ lui, immŽdiatement identifiable. Cette
peinture lumineuse et chamarrŽe est prisŽe par les riches clients Žtrangers, dÕabord
parce quÕelle est Žminemment dŽcorative mais aussi parce que ces images atemporelles dÕenfants jouant au bord de lÕeau vŽhiculent une vision idŽale et
complaisante de lÕEspagne, conforme au gožt bourgeois. Cette peinture qui ne dit
rien de la misre sociale, des mouvements ouvriers et des conflits de classe Ð qui
sÕexacerbent ˆ partir de 1899 Ð reoit, selon toute logique, les faveurs des Žlites
sociales, du pouvoir et de la presse monarchiste. Pour lÕartiste, il sÕagit aussi Ð
rappelons-le Ð dÕune peinture plus intuitive et mme expŽrimentale puisque cÕest ˆ
travers elle quÕil se familiarise avec les domaines de la reprŽsentation qui
lÕintŽressent. Dans ces rŽalisations, il peint sans contrainte et se livre ˆ toutes
sortes dÕessais, en particulier en petit format et sur des supports pauvres. Par
73.
74.
75.
Croquis de la instalaci—n, 21Õ5x43Õ2, New York, HSA, 1911.
Francisco Mart’n Caballero, ÒHablando con D. Joaqu’n en su estudioÓ, La
Correspondencia de Valencia, Valence, 11/09/1913.
Joaqu’n Sorolla, ÒCarta abiertaÓ, La Correspondencia de Valencia, Valence, 20/12/1916.
II. Le marchŽ de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923
114
exemple, ˆ J‡vea, il profite de la hauteur des rochers pour tenter dÕapprŽhender
des phŽnomnes aquatiques tels que la transparence, le reflet et la rŽfraction. Pour
toutes ces raisons, la scne de plage pourrait tre la partie la plus personnelle de
son Ïuvre. AujourdÕhui, nous connaissons cette facette plus que toutes les autres,
en particulier parce que le franquisme la mettra en avant dans les annŽes soixante,
dans le cadre de sa propagande. Une grande partie de ces tableaux se trouve
dissŽminŽe dans des collections privŽes ou conservŽe dans des musŽes aux ƒtatsUnis. CÕest le cas de El bote blanco, Idilio en el mar, Ni–os en la playa, La herida
al pie et beaucoup dÕautres.76 Toutefois, lÕatelier de lÕartiste, qui est depuis 1932
le MusŽe Sorolla, conserve une grande quantitŽ de ces scnes de plages, et un des
trois ateliers leur est mme entirement dŽdiŽ depuis lÕouverture du musŽe. Pour
cette raison, de la dictature jusquՈ nos jours, les gouvernements successifs ont
utilisŽ El balandrito, Paseo a orillas del mar ou encore Ni–os en la playa, dans
des campagnes promotionnelles liŽes au tourisme c™tier.
En 1909, Sorolla voyage pour la premire fois aux ƒtats-Unis. Le succs de
son exposition itinŽrante, moins de dix ans aprs la fin de la Guerre de Cuba,
marque une nouvelle Žtape dans la diplomatie transatlantique et lui donne une
dimension quÕil nÕavait pas jusque-lˆ. En effet, ˆ partir de cette date, sa carrire
est perue en Espagne, tant™t dans un esprit rŽconciliateur, tant™t dans un esprit
revanchard, comme une chose collective et digne de fiertŽ. En tŽmoigne cet article
publiŽ dans le quotidien conservateur La Correspondencia de Espa–a :
El suyo no es un Žxito privado : es el triunfo del arte espa–ol. Al sancionarlo los
yankis con los mayores pronunciamientos favorables, forzosamente ha de
inundarnos de ’ntima satisfacci—n, ya que viene a indemnizarnos, espiritualmente,
siquiera en parte peque–’sima, de pasadas ca’das en lo material. Por eso, felicitar al
ilustre Sorolla vale tanto como felicitarnos a nosotros mismos.
76.
77.
77
El bote blanco, 105x150, Collection particulire, 1905. Idilio en el mar, 151x199Õ3, New
York, HSA, 1908. Ni–os en la playa, 81Õ2x105Õ7, New York, HSA, 1908. La herida al
pie, 43x39, Los Angeles, The J. Paul Getty Museum, 1909.
Anonyme, ÒSorolla en AmŽricaÓ, La Correspondencia de Espa–a, Madrid, 12/02/1909.
Ç Son succs nÕest pas personnel : cÕest le triomphe de lÕart espagnol. Aprs avoir ŽtŽ
favorablement sanctionnŽ par les yankees, il nous submerge forcŽment dÕune intime
satisfaction, puisquÕil vient nous indemniser, spirituellement, et mme si cÕest dans une
proportion insignifiante, de pertes matŽrielles passŽes. Pour cette raison, fŽliciter lÕillustre
Sorolla revient ˆ nous fŽliciter nous-mmes.
II. Le marchŽ de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923
115
Il est question dans ce texte dÕun dŽdommagement immatŽriel censŽ
compenser, au moins en partie, les pertes matŽrielles et territoriales subies par
lÕEspagne ˆ cause du conflit. Mais dans le reste de la presse espagnole, il est aussi
question dÕun dŽdommagement matŽriel qui englobe ˆ la fois les gains du peintre
et des retombŽes touristiques attendues. Un journaliste interprte cela comme une
consŽquence positive de cette exposition : Ç Los risue–os y pintorescos paisajes
de Valencia, que tan bellos asuntos inspiraron a la imaginaci—n del gran artista,
han revelado al pœblico americano la existencia de una tierra ideal para pasar los
rigores del verano. È78
LՎtape suivante revient ˆ considŽrer le triomphe du peintre espagnol
comme une forme de reconqute sur lÕadversaire dÕhier, un pays qui lÕavait
contraint ˆ renoncer ˆ ses dernires possessions dÕoutre-mer. Dans le journal
monarchiste El Liberal, lÕhistorien dÕart Rafael DomŽnech affirme :
Este nuevo triunfo del gran pintor espa–ol debe enorgullecernos a todos, es una
victoria que el arte alcanza para nuestra patria en un pa’s del que guardamos
recuerdos muy tristes y muy recientes. All’, en donde hace once a–os acabamos de
perder nuestro gran imperio colonial, Sorolla conquista hoy un gran timbre de gloria
para nuestra patria.
79
Ë partir de 1911, lÕidŽe encore trs imprŽcise de Visi—n de Espa–a est saluŽe
dans la presse comme la poursuite de cette reconqute. Un journaliste de Galicia
Nueva Žvoque ce dŽcor dans des termes belliqueux et vengeurs en assimilant les
AmŽricains ˆ des pirates avant dÕenvisager, plus loin, les bienfaits Žconomiques
dÕune telle commande. Pour lui, Visi—n de Espa–a assurerait la promotion de
lÕEspagne aux ƒtats-Unis et entra”nerait nŽcessairement les retombŽes financires
dÕun tourisme culturel :
78.
79.
Anonyme, ÒEl gran triunfo de SorollaÓ, [?], [?], 1909. Ç Les joyeux et pittoresques
paysages de Valence, qui inspirrent de si beaux sujets ˆ lÕimagination du grand artiste,
ont rŽvŽlŽ au public amŽricain lÕexistence dÕune terre idŽale o se prŽmunir des chaleurs
de lՎtŽ. È
Rafael DomŽnech, ÒSorolla en los Estados UnidosÓ, El Liberal, Valence, [02/1909]. Ç Ce
nouveau triomphe du grand peintre espagnol doit tous nous rendre fiers, cÕest une victoire
que lÕart obtient pour notre patrie dans un pays dont nous conservons des souvenirs trs
tristes et trs rŽcents. Lˆ-bas, o il y a onze ans nous avons perdu notre grand empire
colonial, Sorolla conquiert un grand titre de gloire pour notre patrie. È
II. Le marchŽ de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923
116
[É] A m’ me encantar’a que el maestro les metiera una certera estocada en plena
bolsa a los felones que nos han atracado y robado all‡ por el mar Caribe. M‡s,
Sorolla nos va a vengar con creces. Ese friso de las ÒRegiones espa–olasÓ en el
centro de la monstruosa metr—poli de los ÒrascacielosÓ es el grito soberano y triunfal
de ÁViva Espa–a! Dado por un genio gigante en el coraz—n mismo de la naci—n
poderosa que tan injustamente nos humill—. [É]
Cuando los yankis cultos, curiosos y adinerados, entren a estudiar y curiosear por las
salas de dicho museo, se dir‡n asombrados, ante las prodigiosas pinturas: Aqu’ est‡
Espa–a, la gloriosa Espa–a, la luminosa, la alegre, la varia [É] ÁOh que Espa–a m‡s
hermosa! ÁM‡s risue–a, m‡s interesante! Vamos a ver. Y se caer‡n por estas tierras,
con los bolsillos repletos de d—lares.
80
En dŽpit du mystre qui entoure le projet, la presse Žvoque Visi—n de
Espa–a comme sÕil Žtait le prolongement de lÕExposition Petit. Il vise aussi,
pense-t-on, ˆ renouveler lÕimage de lÕEspagne ˆ lÕextŽrieur. Le contrat de la
commande prŽcise dÕailleurs que les motifs du dŽcor reprŽsenteront la Òvie
actuelleÓ de lÕEspagne et du Portugal.81 Mais la formulation mŽrite dՐtre placŽe
entre guillements car le commanditaire amŽricain entend installer une frise
ÒpŽdagogiqueÓ donnant ˆ voir le folklore de chaque rŽgion. Ë lÕorigine,
Huntington avait Žmis lÕidŽe dÕun dŽcor historique, mais Sorolla lÕavait
froidement accueillie. En effet, il avait abandonnŽ depuis longtemps la peinture
dÕhistoire ˆ laquelle il sՎtait jadis astreint ˆ contre-cÏur. De mme, il ne sentait
pas ˆ lÕaise avec la peinture dÕatelier et prŽfŽrait peindre sur le motif ; ce sont
autant dÕinformations que Huntington a consignŽes dans son journal intime :
We returned to the question of the decoration, and finally decided upon a series of
landscapes of the provinces, emphasizing costume, and he was very delighted,
80.
81.
Daniel Porto, ÒSorolla en Villagarc’aÓ, Galicia Nueva, Villagarc’a, 18/07/1915. Ç En ce
qui me concerne, jÕaimerais que le ma”tre port‰t une estocade bien placŽe dans la bourse
de ces fŽlons qui nous ont attaquŽ et volŽ lˆ-bas, du c™tŽ de la mer des Car•bes. Et plus
encore, Sorolla va faire bien plus que nous venger. Cette frise des ÒRŽgions espagnolesÓ
installŽe en plein cÏur de la monstrueuse mŽtropole aux Ògratte-cielsÓ est le cri souverain
et triomphal de : Vive lÕEspagne ! PoussŽ par un immense gŽnie dans le cÏur mme de la
nation puissante qui nous humilla si injustement. [É] Quand les yankees cultivŽs, curieux
et riches, viendront Žtudier ou examiner les salles de tel ou tel musŽe, ils sÕapercevront de
leur Žtonnement face aux prodigieuses peintures : LÕEspagne est ici, la glorieuse Espagne,
la lumineuse, la joyeuse, la diverse [É] Oh ! Quelle belle Espagne ! Tellement joyeuse,
tellement intŽressante ! Allons voir cela. Et ils se dŽverseront sur notre territoire les
poches remplies de dollars. È
Bernardino de Pantorba, La vida y la obra de Joaquin Sorolla. Estudio biogr‡fico y
cr’tico, Madrid, Gr‡ficas Monteverde, 1970, page 83-84.
II. Le marchŽ de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923
117
because the idea of historical work had given him a bit of a chill as it meant research
and material with which he was unfamiliar.82
Si bien quÕaucun des sujets retenus ne rend compte des changements socioŽconomiques qui transforment lÕEspagne de la fin du XIXe sicle et du dŽbut du
XXe sicle tels que les dŽveloppements de lÕindustrie, du rŽseau ferroviaire, des
tŽlŽcommunications, etc. LÕintŽrt de Huntington se porte, au contraire, vers le
monde rural et vers tout ce qui, dÕune manire gŽnŽrale, semble menacŽ par le
progrs technique comme la rŽcolte des dattes ˆ Elche, le marchŽ aux cochons de
Plasencia ou bien la pche au thon ˆ Ayamonte. En 1911, le monde rural regroupe
la majeure partie de la population, mais les rites folkloriques sont en voie de
disparition. De ce point de vue, Visi—n de Espa–a ne va pas compltement ˆ
lÕencontre du rŽgŽnŽrationnisme castillan qui traverse lÕÏuvre du Valencien
autour de 1906 puisque les traditions, les ftes, les costumes rŽgionaux, la terre,
etc. sont perus comme des noyaux de lÕidentitŽ nationale. Cependant, cette vision
de lÕEspagne ne rend pas compte de la rŽalitŽ du moment et le peintre est
visiblement conscient et gnŽ de cette dŽrive puisque dans un entretien accordŽ en
1915 il se dŽfend spontanŽment dÕavoir versŽ dans lÕespagnolade :
Yo he querido fijar conforme a la verdad, claramente, sin simbolismos ni literaturas,
la psicolog’a de cada regi—n; quiero dar, siempre dentro de mi escuela verista, una
representaci—n de Espa–a; pero no buscando ninguna filosof’a, sino lo pintoresco de
cada regi—n. Lo que s’ quiero que conste desde ahora, aunque creo que trat‡ndose de
m’ sea necesario decirlo, es que estoy muy lejos de la espa–olada.83
82.
83.
Journal intime de Archer M. Huntington, extrait datŽ de 1910 in Sorolla y la Hispanic
Society. Una visi—n de la Espa–a de entresiglos, page 388. Ç Nous sommes revenus au
sujet du dŽcor et, en fin de compte, nous nous sommes dŽcidŽs pour une sŽrie de paysages
des provinces dans lesquels les costumes rŽgionaux seraient mis en valeur ; Sorolla est
ravi parce que lÕidŽe dÕune Ïuvre de type historique lui donnait des sueurs froides. En
effet, cela lÕobligeait ˆ mener des recherches sur des choses qui ne lui sont pas
familires. È
Alejandro PŽrez Lugin, ÒLa capa de Sorolla y la montera de HuntingtonÓ, Heraldo de
Madrid, Madrid, 23/08/1915. Ç JÕai voulu peindre conformŽment ˆ la vŽritŽ, clairement,
sans symbolismes ni littŽratures, la psychologie de chaque rŽgion ; je veux offrir, toujours
ˆ lÕintŽrieur de mon Žcole rŽaliste, une reprŽsentation de lÕEspagne ; mais en ne cherchant
aucune philosophie, mais plut™t le pittoresque de chaque rŽgion. Ce que, en revanche, je
veux faire savoir ds maintenant, bien que je pense que sÕagissant de moi il soit inutile de
le signaler, cÕest que je suis trs loin de lÕespagnolade. È
II. Le marchŽ de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923
118
Pour contrebalancer ce dŽfaut et promouvoir aussi lÕEspagne modernisŽe et
savante, Huntington fait lÕacquisition dÕune galerie de trente-sept portraits peints
par Sorolla cÕest-ˆ-dire ceux dÕAlphonse XIII, Rafael Altamira (1866-1951),
Gumersindo de Azc‡rate (1840-1917), Azor’n, P’o Baroja, Victoria Eugenia de
Battenberg, Jacinto Benavente (1866-1954), Manuel Benedito, JosŽ Benlliure,
Mariano Benlliure, Aureliano de Beruete, Vicente Blasco Ib‡–ez, Miguel Blay,
Tom‡s Bret—n, Manuel BartolomŽ Coss’o, Antonio Mu–oz Degrain, JosŽ
Echegaray, Antonio Garc’a y Peris, JosŽ Gestoso (1852-1917), Juan Ram—n
JimŽnez, Ricardo de Le—n y Rom‡n (1877-1943), Raimundo de Madrazo, JosŽ
Ram—n MŽlida, JosŽ Ortega y Gasset (1883-1955), Antonio Machado, Gregorio
Mara–—n, Emilia Pardo Baz‡n (1852-1921), Marcelino MenŽndez Pelayo (18561912), Ram—n PŽrez de Ayala (1880-1962), Benito PŽrez Gald—s, Manuel PŽrez
de Guzm‡n (1852-1929), Ram—n MenŽndez Pidal (1869-1968), Alejandro Pidal y
Mon, Francisco Rodr’guez Mar’n (1855-1943), Francisco Sandoval (inc.-inc.),
Leonardo Torres Quevedo (1852-1933) et Benigno de la Vega Incl‡n. Ces
portraits furent tant™t achetŽs ˆ leurs propriŽtaires, tant™t commandŽs pour figurer
dans cette galerie.
Il reste enfin ˆ prŽciser quÕen Espagne Visi—n de Espa–a nÕaura pas
dÕinfluence sur la rŽception de son Ïuvre avant de nombreuses annŽes. En effet,
les journalistes citŽs dans ce chapitre se contentent dՎvoquer un projet
confidentiel dont ils ne connaissent que les grandes lignes cÕest-ˆ-dire ce que le
peintre a dŽvoilŽ oralement au cours des entretiens accordŽs et il se montre peu
loquace quand il sÕagit de donner des dŽtails sur le sujet. Le presse ne manque pas
de sÕen plaindre sans parvenir ˆ bien comprendre les raisons de tant de mystre :
Ç Hasta ahora nadie ha visto los cuadros de Sorolla, ni nadie ha tenido noticias
concretas de ellos. Se dice que Mr. Huntington exigi— a Sorolla reserva absoluta
hasta que la obra estuviera terminada, y el artista guarda religiosamente el
secreto. È84 Mme au journal Heraldo de Madrid, il ne fait aucune rŽvŽlation
aprs avoir prŽalablement mis en garde le reporter : Ç Despacio, despacio, amigo
84.
Anonyme, ÒUna gran obra espa–olaÓ, [?], [SŽville], 26/08/1915. Ç JusquՈ maintenant
personne nÕa vu les tableaux de Sorolla, ni mme ne dŽtient la moindre information
concrte les concernant. On dit que M. Huntington exigea de Sorolla une rŽserve absolue
jusquՈ ce que lÕÏuvre fžt achevŽe, et lÕartiste garde religieusement le secret. È
II. Le marchŽ de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923
119
m’o, que usted est‡ por preguntar mucho y yo por no decir nada. È85 Et il refuse
catŽgoriquement de montrer la moindre toile ˆ aucun journaliste. Bien des annŽes
plus tard, Manuel Gonz‡lez Mart’ expliquera que le peintre avait alors maille ˆ
partir avec la critique car il considŽrait quÕelle encensait exagŽrŽment les Ïuvres
dÕIgnacio Zuloaga et de JosŽ GutiŽrrez Solana.86
Le secret qui entoure Visi—n de Espa–a nÕaura donc pas lÕoccasion dՐtre
dissipŽ puisque les quatorze panneaux ne seront pas prŽsentŽs en Espagne avant
dՐtre expŽdiŽs vers les ƒtats-Unis. Le MusŽe du Prado tentera dÕobtenir
lÕautorisation dÕaccrocher le dŽcor complet dans ses salles avant son expŽdition
mais la demande sera rejetŽe. Le roi en personne aurait tentŽ dÕobtenir la
dŽrogation nŽcessaire mais le contrat Žtait trs clair : lÕHispanic Society se
rŽservait lÕexclusivitŽ de sa prŽsentation publique. Les premires photographies
en noir et blanc ne seront reproduites dans la presse espagnole quÕen 1926,
lÕannŽe de lÕinauguration de lÕinstallation dŽfinitive.87 Enfin, comme il a ŽtŽ
signalŽ dans lÕintroduction, lÕensemble ne sera exposŽ pour la premire fois en
Espagne quÕen 2007 !
De lÕexposition Petit jusquՈ Visi—n de Espa–a, la rŽception de Sorolla se
teinte dÕune coloration nationale et politique. Ë compter de 1907, le peintre se lie
dÕune amitiŽ indŽfectible avec le roi Alphonse XIII quÕil prŽtendra considŽrer
comme son propre fils, si lÕon en croit un entretien publiŽ en 1913 dans La
Correspondencia de Valencia.88 De toute Žvidence, cette relation influence
lՎvolution de sa peinture vers des sujets toujours plus a-temporels, souvent
anodins, qui ne dŽvoilent au monde quÕune image de lÕEspagne lumineuse et lisse.
De mme, elle oriente sa carrire puisque sa prŽsence aux ƒtats-Unis a pour toile
de fond la reprise de la relation transatlantique dŽsirŽe par le souverain. Mais
tandis que le peintre gagne le respect et les faveurs de la presse conservatrice, qui
voit en lui une sorte dÕambassadeur culturel de la monarchie, il provoque
lÕindignation dÕune partie des intellectuels du pays dont les jugements sŽvres
85.
86.
87.
88.
A. PŽrez Lugin, ÒLa capa deÉÓ, Heraldo de Madrid, Madrid, 23/08/1915. Ç Doucement,
doucement mon ami, vous avez envie de me poser beaucoup de questions et moi je ne
peux rien dire. È
Pelejero, ÒUsted que conoci— a Sorolla, d’ganos Àc—mo era?Ó, Levante, Valence,
17/09/1959.
Mauricio L—pez Roberts, ÒLas Regiones de Espa–a, cuadros de J. SorollaÓ, ABC, Madrid,
14/03/1926.
Francisco Mart’n Caballero, ÒHablando con D. Joaqu’n en su estudioÓ, La
Correspondencia de Valencia, Valence, 11/09/1913.
II. Le marchŽ de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923
120
finissent par forger une ÒlŽgende noireÓ dont des traces subsistent encore dans la
perception actuelle de son Ïuvre.
II. Le marchŽ de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923
121
II.3. LA LƒGENDE NOIRE DE SOROLLA
En tant que correspondant ˆ Londres du quotidien argentin La Prensa,
lՎcrivain espagnol Ramiro de Maeztu (1875-1936) couvre la troisime exposition
particulire de Sorolla. En parlant de lui-mme ˆ la troisime personne, celui-ci
observe dans lÕintroduction dÕun article consacrŽ ˆ cet ŽvŽnement : Ç El
corresponsal empez— a escribir cr’tica de arte en Madrid, hace cinco o seis a–os,
en el preciso momento en que Sorolla tocaba las cimas del triunfo y por eso
mismo comenzaban a apuntarse tendencias hostiles a su manera de pintar. È89 Il
situe donc le sommet de la carrire du peintre autour de 1902, une date qui
co•ncide avec la fin de sa carrire acadŽmique mais aussi, selon lui, avec
lÕapparition dÕun courant dÕhostilitŽ. LՎcrivain ajoute ensuite : Ç [É] ha luchado
como un valiente para arrinconar a sus predecesores, para destacarse entre sus
contempor‡neos. Ahora, por conquistar el mundo, aunque al trasponer las
fronteras se le subleven dentro de la casa los que antes no se atrev’an a pesta–ear
sin su permiso. È90 Ce propos opaque mŽrite dՐtre clarifiŽ. Par exemple, qui sont
les ÒprŽdŽcesseursÓ, qui sont les ÒcontemporainsÓ et qui sÕest ÒsoulevŽÓ et contre
quoi ?
On peut supposer, tout dÕabord, que lesdits ÒprŽdŽcesseursÓ sont ces
peintres dÕhistoire qui, comme Federico de Madrazo, Manuel Dom’nguez ou
Salvador Mart’nez Cubells, sՎtaient montrŽs hostiles ˆ la peinture de Sorolla en
lui barrant la route des honneurs. Dans la suite de son article, Maeztu considre
que tant que le Valencien avait participŽ ˆ lÕExposition Nationale, il avait limitŽ
les chances dÕau moins trois peintres de sa gŽnŽration, les ÒcontemporainsÓ :
Ignacio Zuloaga, Julio Romero de Torres et Dar’o de Regoyos. Certes, ces artistes
nÕadhŽrent pas au courant naturaliste, mais ils ne partagent pas non plus les
mmes affinitŽs artistiques. En effet, les deux premiers cultivent un symbolisme
sombre trs ŽloignŽ du divisionnisme de Regoyos. Mais ils appartiennent tous au
89.
90.
Ramiro de Maeztu, ÒSorolla en LondresÓ, La Prensa, Buenos Aires, 24/06/1908. Ç Le
correspondant commena ˆ rŽdiger des critiques dÕart ˆ Madrid, il y a cinq ou six ans, au
moment prŽcis o Sorolla touchait le sommet de la gloire et, pour cette raison, des
courants hostiles ˆ sa mainre de peindre commenaient ˆ voir le jour. È
Ibidem, Ç Il a luttŽ comme un brave pour Žcarter ses prŽdŽcesseurs, pour tirer son Žpingle
du jeu parmi ses contemporains. Et maintenant pour conquŽrir le monde, mme si, au
moment o il traversa les frontires, ceux-lˆ mme qui nÕosait pas sourciller sans son
autorisation se sont soulevŽ chez lui. È
II. Le marchŽ de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923
122
Modernismo, terme qui englobe tout le mouvement de modernisation de la culture
espagnole Žclectique car on peut y retrouver aussi bien le Symbolisme que le
Post-Impressionnisme de Dar’o de Regoyos, le DŽcadentisme que son contraire,
le Vitalisme, le WagnŽrisme et lՃcole franco-belge en musique ou encore lÕArt
Nouveau en architectur et dans les arts dŽcoratifs. Mais malgrŽ leurs diffŽrences,
Zuloaga, Romero de Torres et Regoyos frŽquentent, en 1906, le cercle de la
bohme madrilne du Nuevo CafŽ de Levante autour de lՎcrivain Ram—n del
Valle-Incl‡n. Le sculpteur Mateo Inurria (1867-1924), les peintres Eduardo
Zamacois (1873-1971), Anselmo Miguel-Nieto (1881-1964), Beltr‡n Masses
(1885-1949), Rafael Penagos (1889-1954) et JosŽ GutiŽrrez Solana ainsi que les
frres Ricardo Ð peintre Ð et P’o Baroja Ð Žcrivain Ð ont frŽquentŽ ce cercle qui fut
le creuset dÕune autre conception de lÕart, qui se voulait plus sensible, ŽlevŽe et
spirituelle.91 La forme picturale pr™nŽe par le groupe sÕinscrit dans le sillage du
prŽraphaŽlisme anglais, du symbolisme du Franais Gustave Moreau (18261898), du Suisse Arnold Bšcklin (1827-1901), ou encore du Belge Fernand
Khnopff (1858-1921). En 1935, le critique Manuel Abril prŽfŽrera le terme
dÕidŽalisme.92 En toute logique, le naturalisme lumineux de Sorolla est jugŽ avec
sŽvŽritŽ par le cercle madrilne. Mais malgrŽ cela, seul Valle-Incl‡n affirme
publiquement son aversion pour sa peinture dans les colonnes dÕun journal. Cela
pourrait expliquer que son portrait ne figure pas dans la galerie iconographique de
lÕHispanic Society, alors que celui de P’o Baroja sÕy trouve. On tentera ici de
mettre ˆ jour les causes dÕun rejet qui fut ˆ lՎvidence dÕordre esthŽtique. Mais un
paradoxe invite ˆ mener plus avant la rŽflexion. En effet, le Valencien essuie les
attaques les plus dures entre 1906 et 1908 alors quÕil expose loin de Madrid et
nÕest donc pas en concurrence avec les peintres du Nuevo CafŽ de Levante ! Ce
point mŽritera un Žclairage.
Ignacio Zuloaga nourrissait une inimitiŽ tenace envers le Valencien. En
1900, le jury dÕadmission des tableaux espagnols destinŽs ˆ lÕExposition
Universelle de Paris avait refusŽ son tableau V’spera de la corrida qui lui avait
valu une Premire MŽdaille ˆ lÕExposition des Beaux-Arts de Barcelone en 1898.
Zuloaga et beaucoup dÕartistes furent indignŽs par cette dŽcision, en particulier
91.
92.
Francisco Pompey, Recuerdos de un pintor que escribe. Semblanzas de grandes figuras,
Madrid, Artes Gr‡ficas Iberoamericanas, 1972, pages 20-25.
Manuel Abril, De la Naturaleza al Esp’ritu. Ensayo cr’tico de la pintura contempor‡nea
desde Sorolla hasta Picasso, Madrid, Espasa-Calpe, 1935, pages 29-60.
II. Le marchŽ de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923
123
ses amis catalans ÒmodernistesÓ : Ram—n Casas et Santiago Rusi–ol. Ce dernier,
qui avait prŽsentŽ six tableaux, renona ˆ participer ˆ lÕexposition devant la
dŽcision du jury dÕen Žliminer quatre. Par consŽquent, la rŽaction de Zuloaga et
des artistes catalans devant le succs de Sorolla ˆ lÕExposition Universelle de
Paris ne pouvait tre que nŽgative et certainement teintŽe dÕamertume puisquÕils
nÕavaient pas pu y participer. MalgrŽ tout, il y eut une sorte de compensation pour
Zuloaga puisquÕil participera, toujours avec V’spera de la corrida, ˆ la VIIe
Exposition de la Libre EsthŽtique ˆ Bruxelles, et que le gouvernement belge
dŽcidera dÕacquŽrir cette Ïuvre si polŽmique. Comme lՎcrit Miguel Zugaza dans
lÕintroduction du catalogue Sorolla-Zuloaga : Ç Inevitablemente, a partir de ese
Žxito de 1900 se sucede el enfrentamiento abierto entre los defensores de uno y
otro artista. È93 Dans une lettre ˆ son oncle Daniel, Ignacio Zuloaga dŽcrit ainsi
lÕexposition du Valencien chez Georges Petit, environ dix jours avant sa
fermeture :
Bueno, pues imparcialmente he de decirte que la exposici—n de Sorolla ha sido un
desastre para la gente artista y para los que ven; aquellas quinientas telas le dejan a
uno fr’o como la nieve, al salir de dicha exposici—n.
La opini—n general es que Sorolla es muy trabajador y nada m‡s. Que su cerebro est‡
completamente vac’o de arte pero s’ lleno de maldad; que los retratos son horribles;
que en cuanto quiere componer algo, es decir, crear, no sabe ni por donde empieza;
que para Žl, el Arte es el aproximarse lo m‡s posible al natural y copiarlo como un
carb—n, lo cual es casualmente abnegaci—n completa.
94
Dans ce document privŽ, le peintre basque rŽduit la peinture de son
compatriote ˆ une copie systŽmatique et minutieuse du motif, ce qui constitue
pour lui une forme de renoncement artistique. LÕidŽe a fait son chemin au sein de
93.
94.
Sorolla y Zuloaga. Dos visiones para un cambio de siglo, Bilbao, BBK, 1997, page 17.
Ç InŽvitablement, ˆ partir de ce succs de 1900 commence la lutte ouverte entre les
dŽfenseurs de lÕun ou de lÕautre. È
Mariano G—mez de Caso Estrada, Correspondencia de I. Zuloaga con su t’o Daniel,
Segovie, Diputaci—n Provincial de Segovia, 2002, lettre n¡90 datŽe du 28/06/1906, page
123. Ç Bon, eh bien, en toute impartialitŽ je dois te dire que lÕexposition de Sorolla a ŽtŽ
un dŽsastre du point de vue de la communautŽ artistique et pour tous ceux qui lÕont vue ;
au sortir de cette exposition ces cinq cent toiles vous laissent de glace. LÕopinion gŽnŽrale
est que Sorolla est trs travailleur et rien de plus. Que son cerveau est compltement vide
dÕart mais au contraire plein de mŽchancetŽs ; que les portraits sont horribles ; quՈ
chaque fois quÕil veut composer quelque chose, cÕest-ˆ-dire crŽer, il ne sait mme pas par
o commencer ; que pour lui, lÕArt revient ˆ se rapprocher le plus possible de la nature et
ˆ la copier comme au charbon, ce qui est, sans quÕil sÕen rende compte, un total sacrifice
de soi. È
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la presse franaise ainsi que le montre, par exemple, un article publiŽ par le
Mercure de France. Charles Morice (1860-1919), qui est un ami de Dar’o de
Regoyos, accuse Sorolla de manquer de personnalitŽ.95 Dans le quotidien parisien
Gil Blas, Louis Vauxcelles (1870-1945) affirme que lÕEspagnol est incapable de
sublimer la nature : Ç Ne demandons point ˆ Sorolla de penser. On lÕa dŽfini Òune
main et un ÏilÓ. Le cerveau nÕa gure de part dans cette prodigieuse
production. È96 Le peintre Zuloaga compare par dŽrision lÕart du Valencien ˆ un
procŽdŽ mŽcanique rudimentaire, la copie au carbone. Mais lÕidŽe dÕune
intervention ÒmŽcaniqueÓ cachŽe dans sa peinture est plus sŽrieusement envisagŽe
par le peintre macchiaioli Giovanni Boldini (1842-1931), si lÕon en juge par un
tŽmoignage rapportŽ par le critique dÕart amŽricain Royal Cortissoz (1869-1948).
En visitant lÕexposition Petit, Boldini est frappŽ par la ressemblance entre la
sŽlection de peintures quÕil dŽcouvre et la photographie et il lui semble possible
que lÕEspagnol lÕutilise dans son processus de crŽation :
I have always remembered with amusement what happened when I went with
Boldini to the Sorolla exhibition at the Georges Petit Gallery in Paris. As we
progressed form picture to picture Boldini seemed suddenly to get into the grip of
some hidden excitement and for a time hesitated about telling me just was the matter
! At last he could stand it no longer. ÒThis man must work with a cameraÓ, he said;
Òthey look like so many snapshots.Ó I donÕt believe Sorolla ever in his life used a
camera, but the episode I have cited points with some justice to the nature of those
impressions trough which he was first made know here.97
La photographie avait effectivement fait partie de la formation artistique de
Sorolla puisque, paralllement ˆ ses Žtudes ˆ lÕAcadŽmie de San Carlos, il avait
travaillŽ dans un atelier photographique. Il utilisa ensuite des clichŽs afin
dՎtudier la composition de lÕimage comme lÕa montrŽ une exposition rŽcente,
95.
96.
97.
Charles Morice, Òtitre inconnuÓ, Mercure de France, Paris, 06/1906.
Louis Vauxcelles, ÒSorollaÓ, Gil Blas, Paris, 12/06/1906.
Cortissoz, Royal, ÒThe Field of ArtÓ, ScribnerÕs, New York, 05/1926. Ç Je me suis
toujours rappelŽ avec amusement de ce qui arriva le jour o je me rendis avec Boldini ˆ
lÕExposition Sorolla de la Galerie Georges Petit de Paris. Alors que nous avancions de
tableau en tableau il me semblait que Boldini fžt soudainement pris dÕune sorte
dÕexcitation secrte et hŽsita un instant ˆ me dire simplement quel Žtait le problme !
Mais finalement, il ne put se taire plus longtemps. ÒCet homme doit travailler avec un
appareil photographiqueÓ, dit-il, Òcela ressemble tellement ˆ des prises de vues
instantannŽesÓ. Je doute que Sorolla ait un jour utilisŽ un appareil photographique, mais
lՎpisode que jÕai ŽvoquŽ tŽmoignait assez justement de la nature des impressions dont il
me fit part alors. È
II. Le marchŽ de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923
125
Sorolla y la otra imagen (2006). En 1903, il se lie dÕamitiŽ avec le photographe de
la cour Christian Franzen qui lÕaide, par exemple, ˆ arrter la composition du
portrait dÕAlphonse XIII en uniforme des hussards. Mais lÕinfluence de la
photographie sur son Ïuvre nÕa pas toujours ŽtŽ perue comme une preuve de son
intelligence artistique et de la modernitŽ de sa peinture comme le montre le
tŽmoignage rapportŽ par Cortissoz.
La deuxime exposition personnelle de Sorolla, en Allemagne, passe
compltement inaperue en Espagne, ce qui nÕest pas le cas de lÕexposition
londonienne, qui est bien couverte par la presse espagnole car plusieurs portraits
inŽdits de la famille royale sont prŽsentŽs au public avant de rejoindre les palais
dans lesquels ils seront ensuite tenus loin des regards. Dans deux chroniques
satiriques parues dans El Mundo, Ram—n del Valle Incl‡n sÕen prend violemment
ˆ cette peinture quÕil ne conna”t quՈ travers des repoductions de presse.
LՎcrivain estime, tout dÕabord, que les tableaux de Sorolla ne transmettent
aucune Žmotion. On se souvient que lÕexposition Petit avait laissŽ le peintre
Zuloaga Òde glaceÓ, avait dŽclarŽ celui-ci. Il rŽprouve ensuite la palette
impressionniste, trop chamarrŽe ˆ son gožt, et raille enfin la facture, quÕil juge
maladroite.
Solamente un perfecto y vergonzoso conocimiento de la emoci—n y una absoluta
ignorancia estŽtica ha podido dar vida a esa pintura b‡rbara, donde la luz y la
sombra se pelean con un desentono teatral y de mal gusto. Por una quimŽrica e
inveros’mil semejanza, esa pintura de ocre y de violeta me ha dado siempre la
emoci—n antip‡tica y plebeya de dos borrachos de pele—n disputando a la puerta de
una taberna. Solamente en una Žpoca de mal gusto han podido los cr’ticos alzar sus
incensarios ante esos prodigios tŽcnicos, donde toda emoci—n desaparece, y apenas
nos queda quŽ admirar en el pintor sino una habilidad manual muy inferior a la que
el elefante tiene en la trompa y de la cual suele hacer alarde en los circos.
98.
98
Ram—n Mar’a del Valle Incl‡n, ÒNotas de la exposici—n de bellas artes de 1908. Un
pintorÓ, El Mundo, Madrid, 3/05/1908. Ç Seules une parfaite et honteuse connaissance de
lՎmotion et une absolue ignorance esthŽtique ont pu donner vie ˆ cette peinture barbare,
o la lumire et lÕombre se disputent dans un dŽcha”nement thŽ‰tral et de mauvais gožt.
Par une chimŽrique et invraisemblable similitude, cette peinture dÕocres et de violets mÕa
toujours rappelŽ cette Žmotion antipathique et plŽbŽienne produite par deux ivrognes
bagarreurs en train dÕen dŽcoudre devant la porte dÕune taverne. Il nÕy a que dans une
Žpoque de mauvais gožt que les critiques ont pu agiter leurs encensoirs devant ces
prodiges techniques qui font dispara”tre toute Žmotion et laissent ˆ peine de quoi admirer
chez le peintre une habiletŽ manuelle trs infŽrieure ˆ celle dÕun ŽlŽphant avec sa trompe
et dont il a lÕhabitude de faire la dŽmonstration dans les cirques. È
II. Le marchŽ de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923
126
Dans un autre papier, lՎcrivain tourne en ridicule le portrait dÕAlphonse
XIII en uniforme des hussards de Pavie, qui est le tableau le plus important de la
sŽlection londonienne :
Surgi— ante m’, evocado por el recuerdo, el retrato de nuestro se–or Rey, con el
bizarro atav’o de hœsares colorado. La obra maestra del genio levantino [É] ÁOh,
dolor de mi alma, c—mo la vi con los ojos del esp’ritu! ÁQuŽ aridez, quŽ ausencia de
emoci—n la que me dio al evocarla! Yo recordaba la palidez claustral de nuestro
CŽsar y, trŽmulo de admiraci—n, advert’a como al ser pintado hab’a sufrido una
transformaci—n parecida a la que sufren los cangrejos al ser cocidos. Esta
observaci—n me llen— de cavilaciones. ÀSer’a esa la grande y moderna evoluci—n de
la pintura ?
99
Valle-Incl‡n admire Julio Romero de Torres plus que tout autre peintre
mais, dans ce passage cÕest, semble-t-il, Ram—n Casas quÕil oppose implicitement
au Valencien car le Catalan avait peint deux portraits du roi plus conformes ˆ sa
sensibilitŽ. Quelques annŽes plus t™t, Casas sՎtait inscrit dans la continuitŽ du
portrait de Cour et avait enveloppŽ la figure du jeune roi dans une sombre
mŽlancolie de circonstance car le pays venait de vivre le ÒDŽsastre de 1898Ó. Ë
lÕinverse, Sorolla avait optŽ pour un portrait lumineux et dynamique qui
tŽmoignait dÕune rupture avec le passŽ. SÕil y avait eu une rivalitŽ entre Casas et
Sorolla, celle-ci ne pouvait plus exister en 1908. Il convient donc de se demander
si une raison non esthŽtique explique que Valle-Incl‡n prend alors aussi durement
parti contre Sorolla Žtant donnŽ que son activitŽ principale se situe alors hors des
frontires du pays et quÕil ne fait, pour cette raison, plus dÕombre ˆ aucun peintre
espagnol.
Le critique dÕart Ricardo GutiŽrrez Abascal (1888-1963), qui Žcrit sous le
pseudonyme Juan de la Encina, apportera plus tard un Žclairage intŽressant sur les
99.
Ram—n Mar’a del Valle Incl‡n, ÒNotas de la exposici—n de bellas artes de 1908. Del
retratoÓ, El Mundo, Madrid, 12/06/1908. Ç En cherchant dans ma mŽmoire, le portrait de
notre monsieur Roi arborant lՎtrange accoutrement bigarrŽ des hussards mÕapparut tout ˆ
coup. Le chef dÕÏuvre du gŽnie levantin [É] Oh ! Pauvre de moi, combien je le regardai
avec les yeux de lÕesprit ! Quelle sŽcheresse, quelle absence dՎmotion mÕenvahit alors !
Je me souvenais de la p‰leur claustrale de notre CŽsar et, tremblant dÕadmiration,
jÕobservais comment une fois peint il avait subi une transformation semblable ˆ celle
dÕune Žcrevisse lors de la cuisson. Cette observation mÕemplit de doutes. Ce sera donc
cela la grande et moderne Žvolution de la peinture. È
II. Le marchŽ de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923
127
accusations de Valle-Incl‡n. Dans un article publiŽ quelques jours aprs la mort
de Sorolla, dans lequel il utilisera le mot ÒsorollismeÓ comme une dŽsignation
visiblement dŽjˆ admise ˆ cette Žpoque, le journaliste dŽclare : Ç Hemos
combatido en distintas ocasiones y circunstancialmente su manera de pintar y,
sobre todo, lo que pudiera denominarse su teor’a estŽtica informulada. È100 Le
nŽologisme ÒsorollismeÓ renvoie ˆ la peinture trs formatŽe des disciples de
Sorolla qui fera lÕobjet dÕun autre chapitre. Sans dŽvelopper ce qui le sera par la
suite, on peut nŽanmoins entamer cette question en signalant que si les partisans
de Zuloaga et de Romero de Torres rejettent en bloc le ÒsorollismeÓ cÕest parce
quՈ partir de 1904, ses jeunes adeptes accŽdent aux premiers prix de lÕExposition
Nationale gr‰ce ˆ lÕinfluence de leur ma”tre, alors mme que Dar’o de Regoyos,
par exemple, Žchoue encore. Quant ˆ JosŽ GutiŽrrez Solana et Daniel V‡squez
D’az (1882-1969), qui participent pour la premire fois au concours, ils passent
compltement inaperus. LՎdition de 1906 confirme mme la suprŽmatie des
ÒsorollistesÓ. Manuel Benedito (1875-1963), le principal disciple du Valencien,
domine encore les dŽbats et le vent ne commence ˆ tourner quՈ partir de lՎdition
de 1908 au terme de laquelle Julio Romero de Torres et Santiago Rusi–ol
dŽcrochent enfin des rŽcompenses de premier rang.101 Il y a donc ˆ cette Žpoque
non seulement une concurrence ˆ couteaux tirŽs entre les ÒsorollistesÓ et tous les
reprŽsentants de courants picturaux diffŽrents, mais aussi une inŽgalitŽ des
chances fondŽe sur lÕinfluence de Sorolla sur les membres des jurys de
lÕExposition Nationale.
Aprs que la MŽdaille dÕHonneur lÕait adoubŽ comme premier peintre du
pays, Sorolla mobilise en effet toute son influence au sein des mmes institutions
qui lui avaient jadis ŽtŽ contraires ! En favorisant tel ou tel artiste formŽ dans son
atelier, il limite les chances des autres. Il use Žgalement de toute son aura pour que
la MŽdaille dÕHonneur revienne ˆ ses ÒvieuxÓ ma”tres valenciens, au mŽpris des
tendances du moment. Il lÕobtient pour Mu–oz Degra’n, en 1910, pour Ignacio
Pinazo, en 1912, et tente en vain dÕorienter le jury vers Francisco Domingo, en
100.
101.
Juan de la Encina, ÒSorollaÓ, La Voz, Madrid, 17/08/1923. Ç Nous avons combattu en
diverses occasions et selon les circonstances sa manire de peindre et, surtout, ce qui
pourrait sÕappeler son informulable thŽorie esthŽtique. È
Bernardino de Pantorba, Historia y cr’tica de las Exposiciones de Bellas Artes celebradas
en Espa–a, Madrid, Jesœs Ram—n Garc’a Rama, 1980, pages 183-208.
II. Le marchŽ de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923
128
1915, provoquant au passage la colre du peintre et critique dÕart JosŽ FrancŽs.102
Dans les coulisses de lÕExposition Nationale, Sorolla tire toutes les ficelles car son
avis compte plus quÕaucun autre. CÕest probablement cela qui conduit un auteur
anonyme ˆ le juger si durement, dans un article paru dans El B—lido. Le Valencien
est prŽsentŽ comme un homme arrogant et mŽprisant qui nÕaurait dՎgal que le
soleil, dont il inonde ses tableaux : Ç Sorolla no ayuda a los pintores j—venes de
talento. Es un hombre endiosado que se cree m‡s que Vel‡zquez. Yo pinto el sol Ð
dice. È103 ce qui signifie Ç Sorolla nÕaide pas les jeunes peintres de talent. CÕest un
homme bouffi dÕorgeuil qui se croit supŽrieur ˆ VŽlasquez. Moi je peins le soleil Ð
dit-il. È Le peintre Hermenegildo Anglada Camarasa (1871-1959) rappelera, ˆ la
fin de sa vie, que Sorolla et Benlliure lui barrrent obstinŽment la route car, selon
lui, ils se mŽfiaient de la jeunesse artistique et voulaient les prix et les
rŽcompenses pour eux seuls.104 LÕimmiscion du Valencien dans la vie artistique
madrilne est au moins une raison non esthŽtique pour laquelle quelques-uns
tirent sur lui ˆ boulets rouges ds les premires annŽes du sicle commenant.
Avant de poursuivre, il convient dÕajouter deux observations. DÕabord, si
Valle-Incl‡n combat ponctuellement les choix esthŽtiques de Sorolla, en aucun
cas ce peintre ne peut tre opposŽ de faon systŽmatique ˆ tous les intellectuels
espagnols, ni ˆ une gŽnŽration dÕintellectuels, ni mme aux intellectuels du nord
de lÕEspagne. Azor’n, Juan Ram—n JimŽnez (1881-1958) Ram—n PŽrez de Ayala
(1881-1962), ou encore Miguel de Unamuno, lÕadmirent et le respectent comme le
montrent plusieurs tŽmoignages.105 Dans un article sur lÕart publiŽ en 1912,
Miguel de Unamuno fait une analyse critique ŽtayŽe de lÕesthŽtique de Sorolla en
partant des reprŽsentations quÕil avait faites du Pays Basque.106 Il exprime, par
exemple, son malaise face ˆ sa reprŽsentation de la femme basque car elle lui
semble exagŽrŽment lascive. Mais cela Žtant dit, il est impossible dÕassocier sans
nuances Unamuno aux attaques de Valle-Incl‡n. Des sources concordantes
prouvent que les deux hommes sÕapprŽcient mutuellement et ont toujours
102.
103.
104.
105.
106.
JosŽ FrancŽs, ÒLas medallasÓ, El A–o Art’stico, Madrid, 1915.
Anonyme, ÒSorolla, los requetŽs, los intelectualesÓ, El B—lido, [Madrid], 11/07/1915.
Anonyme, ÒNo arrempujenÉ no arrempujenÓ, Destino, Barcelone, 15/06/1955.
Juan Ram—n JimŽnez, ÒSol de la tardeÓ, Alma Espa–ola, Madrid, 13/03/1904. Ram—n
PŽrez de Ayala, ÒSorollaÓ, La Prensa, Buenos Aires, 7/10/1923. Azor’n, Obras selectas,
Madrid, Biblioteca Nueva, 1953, page 870.
Miguel de Unamuno, ÒDe Arte Pict—ricaÓ, La Naci—n, Buenos Aires, 21/07/1912 et
8/08/1912.
II. Le marchŽ de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923
129
maintenu une bonne relation. Ë la demande de Archer Milton Huntington,
Unamuno pose pour le peintre en 1920. Sans aucun doute, la qualitŽ du lien entre
Sorolla et ses contemporains facilite la rŽalisation de la galerie iconographique de
lÕHispanic Society. Le commanditaire le comprend trs bien et sÕappuie sur le
rŽseau social du peintre.
On peut rappeler ici que lÕhispanophile nÕa pas toujours ŽtŽ bien peru en
Espagne car, en 1898, ˆ la fin de la Guerre de Cuba, il y menait des fouilles
archŽologiques sur le site dÕIt‡lica, prs de SŽville, et achetait des biens prŽcieux
pour sa fondation new-yorkaise. Aprs lÕexplosion du navire amŽricain Maine
dans le port de la Havane, le 15 fŽvrier, et lÕintervention militaire amŽricaine ˆ
Cuba, Huntington doit abandonner le site archŽologique. En 1902, lorsquÕil fait
lÕacquisition de la bibliothque du marquis de JŽrez de los Caballeros, qui contient
une premire Ždition du Don Quichotte de la Manche de Miguel de Cervantes, il
dŽclenche la colre dÕAlphonse XIII.107 Aprs cela, il achtera des livres
espagnols anciens seulement en dehors du pays. LÕimage de Huntington auprs
des dirigeants et des intellectuels changera peu ˆ peu car il rŽalisera des
investissements colossaux en Espagne et assurera la promotion du pays aux ƒtatsUnis.
Au chapitre de ÒSorolla et les intellectuelsÓ, il convient dՎvoquer le cas de
P’o Baroja qui diffre de celui de Valle-Incl‡n dans la mesure o il ne colporte
pas ses divergences ni avec lÕart ni avec la personne du peintre et ne les exprimera
finalement que dans des mŽmoires publiŽes tardivement.108 Il ne voit dans lÕart du
Valencien quÕune formule commerciale indigne de son talent car il le considre,
du reste, comme un des meilleurs peintres de son Žpoque. Personne ne voit en
Sorolla un mauvais peintre, au contraire, cÕest une idŽe que lÕhistorien Joaqu’n de
la Puente (1925-2001) exprimera trs bien dans un article publiŽ dans les annŽes
soixante-dix : Ç De Sorolla nunca dijeron sus detractores que fuera pobre pintor.
Al contrario, deploraban el exceso de sus facultades manuales y visuales. Segœn
ellos, en Žl s—lo hab’a manos y ojos. È109 Ë la demande du fondateur de lÕHispanic
107.
108.
109.
Beatrice Gilman Proske, Archer Milton Huntington, New York, The Hispanic Society of
America, 1965, page 9.
P’o Baroja, Memorias, Madrid, Caro Raggio, 1997 (1955).
Joaqu’n de la Puente, ÒSorolla el GrandeÓ in Dibujos de Sorolla. Colecci—n Pons Sorolla,
Valence, Direcci—n General de Bellas Artes, 1974, page 12. Ç Ë propos de Sorolla, ses
dŽtracteurs nÕont jamais dit quÕil Žtait un pitre peintre. Au contraire, ils dŽploraient chez
lui lÕexcs de facultŽs manuelles et visuelles. Selon eux, il nՎtait que mains et yeux. È
II. Le marchŽ de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923
130
Society, il fait un portrait de lՎcrivain en 1914, mais leur rencontre est glaciale
car les deux hommes connaissent leurs divergences.110 Enfin, le mŽpris de
quelques sociŽtaires du CafŽ de Levante relve dÕune opposition dÕordre artistique
quÕil ne faut pas confondre avec lÕopposition dÕordre idŽologique, cette fois, qui
allait sŽparer Sorolla de ses premiers soutiens, les rŽpublicains de Valence. Les
deux choses ne sont cependant pas Žtrangres lÕune ˆ lÕautre et ce nÕest pas le fruit
du hasard si elles se manifestent concommitament, ainsi quÕon va le voir
maintenant.
Pour faire toute la lumire sur cette question, la collection de presse du
MusŽe Sorolla offre ˆ nouveau de prŽcieuses indications car, ˆ partir de 1902, les
rŽpublicains de Valence ne figurent plus parmi la collection de presse ˆ
lÕexception de Vicente Blasco Ib‡–ez qui publie un seul article en 1907. Les
autres noms rŽappara”tront seulement en 1923 pour rendre hommage au peintre
disparu. Il faut noter enfin que, sous la Seconde RŽpublique, la collection
comprend quatre articles de Roberto Castrovido car, durant cette pŽriode, le
souvenir de Sorolla sera ravivŽ par le Parti de lÕUnion RŽpublicaine Autonomiste
(PURA), comme on le verra plus avant.
LՎvolution de lÕactivitŽ, de la position sociale ou encore de lÕentourage du
peintre sont autant de facteurs responsables de la dŽsaffection des soutiens de la
premire heure. Autour de 1906, la famille Sorolla conna”t alors une progression
sociale rapide et est admise parmi la bourgeoisie royaliste de la capitale. LÕimage
brossŽe ˆ lՎpoque de lÕaffaire de la MŽdaille dÕHonneur sՎmiette et la
commande royale de la Granja de San Ildefonso apporte finalement la preuve, si
cela Žtait nŽcessaire, que Sorolla nÕest pas un homme de gauche. Ë Valence, cette
Òdeuxime moitiŽÓ de la carrire du peintre est mal vŽcue mme si les
tŽmoignages publiŽs dans la presse de lՎpoque manquent. Il faudra attendre de
nombreuses annŽes pour que les langues se dŽlient un peu. Depuis lÕEspagne
franquiste, la presse phalangiste portera un regard accusateur sur cette pŽriode :
Sorolla no recibi— de Valencia durante su vida el reconocimiento que la ciudad deb’a
a uno de sus hijos m‡s preclaros. El Sorolla consagrado en Par’s, en Londres y en
110.
Sorolla y la Hispanic Society. Una visi—n de la Espa–a de entresiglos, Madrid, Museo
Thyssen Bornemisza, 1998, pages 347-349.
II. Le marchŽ de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923
131
Nueva York no pudo vencer en Valencia el cacicato art’stico de unas median’as
cimentadas sobre los intereses creados del menos ambicioso provincianismo.111
Avant 1923, si un Valencien a lÕintention de sÕen prendre publiquement ˆ
Sorolla, dans une lettre ouverte par exemple, personne ne le fait. Cela peut
sÕexpliquer ˆ la fois par une logique de cohŽrence avec des positions prises dans
le passŽ mais aussi par une forme de solidaritŽ rŽgionale. De son vivant, le peintre
est toujours admirŽ et respectŽ des Valenciens car il est le meilleur ambassadeur
de la ville et de toute la rŽgion du Levant. Les Valenciens peuvent difficilement
jetŽ lÕopprobre sur celui qui a fait conna”tre dans le monde entier les plages de la
Malvarrosa et de Caba–al, le Cap Saint Antoine de J‡vea, le port du Grao, etc. La
fiertŽ et lÕadmiration lÕemportent sur tout le reste. Ë cette rgle, il y a toutefois
une exception car, en dŽpit de ce qui vient dՐtre dit, Vicente Blasco Ib‡–ez
exprime habilement son indignation dans deux textes : un roman intitulŽ La maja
desnuda (1906) et un article, ÒNieto de Vel‡zquez, hijo de GoyaÓ, publiŽ lÕannŽe
suivante.
Au printemps 1906 est publiŽ le deuxime livre dÕune trilogie comprenant
Entre naranjos (1900) et La voluntad de vivir (1907). Dans La maja desnuda, le
romancier expose sa propre vision de lÕÇ Artiste È comme lÕavait fait, avant lui,
ƒmile Zola (1840-1902) dans LÕÎuvre, en 1886. Dans le quatorzime tome des
Rougon-Macquart - Histoire naturelle et sociale dÕune famille sous le Second
Empire, Zola sÕintŽresse au destin dÕun peintre ÒrefusŽÓ, dont les toiles sont
exposŽes en marge du Salon officiel. Le hŽros de ce roman, Claude Lantier, est un
peintre libre, impŽtueux et rŽvoltŽ, tel que Zola percevait lui-mme le jeune Paul
CŽzanne (1839-1906). Vingt ans plus tard, dans La maja desnuda, lՎcrivain
espagnol donne naissance ˆ un double littŽraire de Sorolla nommŽ Mariano
Renovales. Il pourrait tre dŽrivŽ de ÒrenovarÓ et Òrenovaci—nÓ et faire donc
implicitement allusion ˆ lՎpoque o le Valencien tentait de renouveler les codes
picturaux dans son pays. Dans le premier chapitre du roman, le lecteur dŽcouvre
un peintre de quarante-trois ans Ð lՉge de Sorolla en 1906 Ð au fa”te de sa gloire
et de sa prospŽritŽ Žconomique. Une visite dans un MusŽe du Prado dŽsert lui
111.
Anonyme, ÒLa vuelta de SorollaÓ, Jornada, Valence, 20/05/1944. Ç De Valence, Sorolla
nÕa pas reu durant sa vie la reconnaissance que la ville devait ˆ un de ses fils les plus
illustres. Le Sorolla consacrŽ ˆ Paris, ˆ Londres et ˆ New York nÕa pas rŽussi ˆ vaincre ˆ
Valence lÕintelligentzia artistique repue de mŽdiocritŽs basŽes sur des intŽrts nŽs du
provincialisme le moins ambitieux. È
II. Le marchŽ de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923
132
donne lÕoccasion de se remŽmorer les principales Žtapes de sa carrire au fil dÕune
longue analepse qui occupe les trois premiers chapitres du livre. Si lÕon passe la
partie concernant sa formation, qui correspond scrupuleusement ˆ celle du
Valencien, le premier Renovales rappelle le jeune Sorolla que Blasco avait
dŽfendu au temps des Salons officiels. Le personnage lutte sans rel‰che pour
imposer sa peinture de Òplein airÓ et parvient ˆ dŽcrocher les plus hautes
rŽcompenses, etc. Mais la consŽcration et la gloire le transforment. Conscient de
la valeur de sa signature, il gagne gr‰ce ˆ elle des sommes considŽrables, mne
grand train et c™toie la haute sociŽtŽ madrilne : Ç El maestro, amargado por las
estrecheces de su per’odo de lucha, sinti— de pronto una ansia de dinero, una
codicia dominadora que nunca le hab’an conocido sus amigos. È112 Renovales, qui
nÕest pourtant que le fils dÕun modeste artisan de Valence, tourne alors le dos ˆ sa
classe sociale dÕorigine. Dans une des scnes les plus marquantes, le peintre
contemple le petit peuple de Madrid depuis un balcon, avec la satisfaction
arrogante de celui qui a rŽussi : Ç La pobre muchedumbre agolpada fuera le hizo
recordar con cierto orgullo al hijo del herrero. ÁDios! ÁY c—mo hab’a
subido!É È113
Le hŽros madrilne sÕoppose donc radicalement ˆ Lantier dans la mesure o
il incarne un nouveau modle dÕartiste que lÕon qualifie dŽjˆ en Espagne, avant la
sortie du roman, de Òpeintre installŽÓ.114 Francisco Acebal dŽcrit en 1904
lՎvolution de la condition Žconomique et sociale des peintres ˆ succs :
Suele ser el artista esp’ritu inquieto, rebelde a toda costumbre que tenga cara de
rutina y no se da, sin embargo, cabal cuenta de que ya la vida bohemia entra en la
clasificaci—n de las grandes rutinas. Hoy los m‡s sonados artistas de Europa son una
nueva especie de pl‡cidos burgueses, sometidos al severo rŽgimen de un trabajo
met—dico, perseverante y regular. Con esta sumisi—n aderezan la vida, una vida
familiar, rica en goces verdaderos, y sobre esa vida, sobre esos hogares en donde la
existencia ofrece las blandas comodidades del caudal bien adquirido, flota, con sus
112.
113.
114.
Vicente Blasco Ib‡–ez, La maja desnuda, Madrid, C‡tedra, 1998, page 246. Ç Le ma”tre,
aigri par les privations de sa pŽriode de lutte, sentit tout ˆ coup un dŽsir ardent de
richesse, une aviditŽ impŽrieuse que ses amis ne lui connaissaient pas. È
Ibidem, La majaÉ page 355.
Sur les occurrences entre la vie de Joaqu’n Sorolla et celle de Mariano Renovales, on peut
consulter lՎdition critique de Facundo Tom‡s citŽe dans la note prŽcŽdente.
II. Le marchŽ de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923
133
destellos ‡ureos, la codiciada gloria. [É] Los tiempos del arte mendicante y
pobret—n pasaron ya.
115
Artistes bohme dans les annŽes 1870-1880, certains peintres de Òplein airÓ
accumulent des fortunes considŽrables moins de vingt ans aprs, ˆ une Žpoque o
la reconnaissance publique de leur Ïuvre et lÕenvolŽe de la demande privŽe
transforment le marchŽ de lÕart. Entre 1890 et 1900, les revenus de Sorolla
triplent, passant de 21.775 ptas. ˆ 79.135 ptas. par an.116 Au cours des cinq annŽes
suivantes, ils sont de nouveau multipliŽs par deux, atteignant la somme colossale
de 149.971 ptas. en 1905. Le portrait dit Òde sociŽtŽÓ ou ÒmondainÓ, qui dŽcore
habituellement les intŽrieurs bourgeois, reprŽsente la plupart des commandes
particulires et constitue le premier facteur de cette progression. La presse de
lՎpoque reflte cette Žvolution puisque, par exemple, la revue mondaine et
cosmopolite Gran Mundo y Sport consacre ˆ Sorolla une chronique dans sa sŽrie
des Òpeintres pour damesÓ dÕavril 1906.117 Ce genre dÕarticles revient ensuite
assez frŽquemment pour que Sorolla lui-mme sÕindigne de se voir traitŽ ainsi :
Ç ÁYo pintor de retratosÉ y de retratos de se–oras! ÁNo salgo de mi asombro! È
Žcrit-il ˆ son Žpouse en 1913.118 Car le genre entre en contradiction avec la libertŽ
ˆ laquelle il est attachŽ et quÕil revendique, par exemple, en refusant des charges
officielles. Vicente Blasco Ib‡–ez assimile cette activitŽ ˆ une forme de
prostitution intellectuelle. Dans le roman, le genre est synonyme dÕargent facile et
de subordination au client : Ç Pod’a estar satisfecho de los retratos de aquellas
gentes: ellos, unos se–ores despreciables, malas personas, ladrones casi todos.
115.
116.
117.
118.
Francisco Acebal, ÒSorollaÓ, La Vanguardia, Barcelone, 1904. Ç LÕartiste a gŽnŽralement
lÕhumeur vagabonde, rebelle ˆ toute habitude qui ressemble ˆ une routine, et il ne se rend
pas bien compte du fait que la vie de bohme fait aussi partie des grandes routines.
AujourdÕhui, les artistes europŽens les plus prestigieux constituent une nouvelle espce de
bourgeois paisibles, soumis ˆ la sŽvre astreinte dÕun travail mŽthodique, constant et
rŽgulier. Cette constance est tout le sel de leur vie, une vie de famille, riche en plaisirs
authentiques, et sur cette vie, sur ces foyers o lÕexistance offre le confort moelleux dÕune
fortune bien acquise, flotte, comme une lumire dorŽe, la gloire tant convoitŽe. [É]
LՎpoque dÕun art mendiant et indigent est rŽvolue. È
Bernardino de Pantorba, La vida y la obra de Joaquin Sorolla. Estudio biogr‡fico y
cr’tico, Madrid, Gr‡ficas Monteverde 1970, page 121.
Manuel Carretero, ÒPintores de mujeresÓ, Gran Mundo y Sport, Madrid, 04/1906.
Pantorba, La vidaÉ page 101. Ç Moi, un portraitisteÉ et portraitiste pour dames ! Je nÕen
reviens pas ! È
II. Le marchŽ de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923
134
[É] Aquella casa, con toda sus fachada de laureles y sus letras de oro, era un
burdel. È119
On se souvient que, par le passŽ, lՎcrivain avait relevŽ une parentŽ entre les
tableaux de Sorolla et ses romans et, par extension, entre les mŽtiers de peintre et
dՎcrivain. Mais dans La maja desnuda, il est frappant de les voir opposŽs
dorŽnavant, ce qui pourrait tout ˆ fait reflŽter lՎvolution de sa relation avec son
compatriote :
Pero ahora para ser un pintor cŽlebre hab’a que ganar mucho dinero, y Žste s—lo se
consegu’a con los retratos, abriendo tienda, pintando al primero que se presenta, sin
derecho al escoger. ÁMaldita pintura! En el escritor era mŽrito la pobreza; representaba
virtud e integridad. Pero el pintor hab’a de ser rico: su talento se juzgaba por las
ganancias.
120
La bibliothque personnelle de Sorolla compte peu de livres, mais parmi
eux figure un exemplaire de La maja desnuda dŽdicacŽ par son auteur. Selon
toute vraisemblance, Blasco lui-mme le lui adresse par courrier avec une lettre,
or, aucun document de cette nature nÕest conservŽ dans les archives du MusŽe
Sorolla. Quelques mois aprs la sortie du roman, Blasco publie un autre texte dans
le quotidien argentin La Naci—n.121 MalgrŽ son titre, ÒNieto de Vel‡zquez, hijo de
GoyaÓ, il ne sÕagit nullement dÕun hommage ˆ Sorolla ainsi quÕil est
invariablement interprŽtŽ jusquՈ maintenant. Dans cette Žtude, nous nous
inscrivons en faux contre cette vision des choses. Selon nous, dans la continuitŽ
de La maja desnuda, ce texte ne saurait tre un hommage.
Contre toute logique, lՎcrivain y livre une vision de son compatriote
apparemment identique ˆ celle quÕil brosse dix ans plus t™t. Il dŽfend lÕidŽe que
son ami nÕa pas changŽ depuis lՎpoque o ils se sont rencontrŽs. Plusieurs
intentions pourraient se recouper ˆ lÕintŽrieur de cet article : visiblement, Blasco
119.
120.
121.
V. Blasco Ib‡–ez, La majaÉ page 253. Ç Il pouvait tre satisfait des portraits de ces
gens : eux, ces messieurs mŽprisables, ces mauvaises personnes, presque tous voleurs [É]
Cette maison, en dŽpit des lauriers de sa faade et de ses lettres dÕor, Žtait un bordel. È
Ibidem, La majaÉ page 270. Ç Mais alors pour devenir un peintre cŽlbre il fallait gagner
beaucoup dÕargent, ouvrir boutique, peindre le premier qui se prŽsente, sans possibilitŽ de
choisir. Maudite peinture ! Pour lՎcrivain, la pauvretŽ Žtait une valeur, elle reprŽsentait
vertu et intŽgritŽ. Mais le peintre devait tre riche : on mesurait son talent ˆ lÕaune de ses
revenus. È
Vicente Blasco Ib‡–ez, ÒNieto de Vel‡zquez, hijo de GoyaÓ, La Naci—n, Buenos Aires,
3/03/1907.
II. Le marchŽ de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923
135
veut convaincre le lecteur que Sorolla nÕa rien ˆ voir avec le Renovales du roman.
Mais un lecteur avisŽ peut aisŽment lire le contraire des affirmations et capter
lÕironie de lՎcrivain. On peut lire par exemple : Ç Por encima de los honores de la
gloria y del dinero, Sorolla ama su arte. È, Ç Au-delˆ des honneurs de la gloire et
de lÕargent, Sorolla aime son art.È Ou encore Ç Los honores le dejan fr’o, y en
plena gloria de triunfador ilustre, rico y cŽlebre, muestra cierta sencillez y
descuido bohemios, como en sus primeros tiempos de lucha art’stica. È cÕest-ˆdire Ç Les honneurs le laissent de marbre et, en pleine gloire de vainqueur illustre,
riche et cŽlbre, il fait preuve dÕune certaine simplicitŽ et dÕune nonchalance toute
bohŽmiennes, comme aux premiers temps de ses combats artistiques. È Dans ce
texte, Blasco Žvoque la couleur politique de son compatriote, nÕhŽsitant pas ˆ le
qualifier de rŽpublicain enthousiaste alors mme que celui-ci est sur le point de
sÕatteler ˆ la commande royale qui vient de lui tre confiŽe : Ç Reyes y gobiernos
haciendo caer sobre su pecho bandas y condecoraciones, de las cuales, como
silencioso pero entusiasta republicano, s—lo usa de la Legi—n de Honor, de la
Repœblica Francesa. È122 Ce propos jetŽ publiquement depuis les colonnes dÕun
journal ˆ grand tirage nÕa rien ˆ voir avec un hommage. Blasco nÕen revient pas
de voir son ami se transformer en portraitiste pour dames de la haute sociŽtŽ et
bient™t en peintre courtisan et tout cela lui appara”t comme une mascarade
insupportable. Sorolla serait-il devenu le nouveau Federico de Madrazo ? CÕest la
question quÕil semble poser alors. LՎcrivain conna”t la portŽe des mots et leurs
consŽquences possibles alors que le peintre est sur le point de travailler ˆ la cour.
LÕarticle oblige Sorolla ˆ prŽciser sa relation avec Blasco auprs du roi, quand
celui-ci lÕinterroge en privŽ.123 Alphonse XIII a besoin de lui car il est lÕartiste le
plus ˆ mme de rŽnover lÕimage de la monarchie et cÕest probablement pour cette
raison que cela ne condamne pas ses chances et ne remet pas en cause la
commande. En revanche, la relation entre le peintre et lՎcrivain sÕenvenime
momentanŽment. CÕest ˆ cette Žpoque que Sorolla cde le portrait de lՎcrivain ˆ
122.
123.
Ibidem Ç Des rois et des gouvernements couvrant sa poitrine dՎcharpes et de dŽcorations,
parmi lesquelles, en tant que silencieux mais enthousiaste rŽpublicain, il nÕarbore que la
LŽgion dÕHonneur de la RŽpublique Franaise. È Sorolla est nommŽ Chevalier de la
LŽgion dÕHonneur en 1900 puis il reu la Grande Croix de la LŽgion dÕHonneur en 1906
pour lÕensemble de son Ïuvre.
JosŽ Manaut NoguŽs, ÒJoaqu’n Sorolla. Intimidades y recuerdosÓ, El Mercantil
Valenciano, Valence, 10/08/1930.
II. Le marchŽ de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923
136
lÕHispanic Society, provoquant la fureur de ce dernier.124 Ç Vine i te fare un
altre È, Ç Viens et je tÕen ferai un autre È aurait-il reu pour toute rŽponse, mais
lÕinvitation reste lettre morte puisquÕaucun autre portrait ne voit le jour.125 Au
bout du compte, mme si leur relation est ponctuŽe de hauts et de bas, dՎloges et
de reproches mutuels, il nÕy a, apparemment, jamais de rupture franche et
dŽfinitive. Malheureusement les sources manquent dÕun c™tŽ comme de lÕautre,
cÕest-ˆ-dire dans les archives du MusŽe Sorolla de Madrid et de la Maison-MusŽe
Blasco Ib‡–ez de Valence. Mais au hasard dÕun document rencontrŽ par chance,
les deux hommes rŽapparaissent c™te ˆ c™te comme dans cette lettre de lՎcrivain
adressŽe au peintre Fernando Vizca’, datŽe du 26 juillet 1913 : Ç Estuve en
septiembre en Par’s. Dios Mediante, te avisarŽ mi llegada. [É] Dichoso arte que
siempre da disgustos. Mil abrazos de Sorolla. Posdata: Hace un calor infernal.
ÁTreinta y nueve grados a la sombra. È126
Au lendemain de la mort du peintre, les rŽpublicains de Valence
commŽmorent chaleureusement le souvenir de leur compatriote, mais lÕhomme
auquel la presse rŽpublicaine fait alors allusion est le premier Sorolla, celui de la
peinture sociale et des luttes acadŽmiques, comme si le temps sՎtait arrtŽ en
1901. Le reste est tout simplement ŽcartŽ. El Pueblo publie un numŽro spŽcial le
14 aožt 1923 dans lequel on peut lire : Ç Su lucha en franco combate contra la
miseria, nos presenta su temperamento, que sigue con tenacidad asombrosa hasta
su muerte. È cÕest-ˆ-dire Ç Sa lutte acharnŽe contre la misre nous en dit assez
long sur son caractre, quÕil conserva avec une Žtonnante obstination jusquՈ sa
mort. È et Vicente Blasco Ib‡–ez rŽdige un hommage sous la forme dÕun prologue
ˆ son roman Flor de mayo, dans une rŽŽdition illustrŽe de tableaux du peintre. Il
se limite ˆ Žvoquer la jeunesse de son compatriote en citant La vuelta de la pesca,
un tableau peint en 1894. En tant que farouches adversaires de la monarchie, les
rŽpublicains de Valence ne considŽrent pas Sorolla comme une personnalitŽ de
dimension nationale et ils prŽfŽrent toujours le rŽduire ˆ une dimension locale ou
lՎlever ˆ une dimension internationale gŽnŽralement dŽsignŽe, non sans emphase,
124.
125.
126.
Vicente Blasco Ib‡–ez, 127x186, New York, HSA, 1906.
V. Blasco Ib‡–ez, La majaÉ Page 60. Note n¡62.
Vicente Borges, ÒSorolla y Vizca’, en el C’rculo. Una valiosa e interesante exposici—n de
pintura figurativa, de gran clase y buena escuelaÓ, La Tarde, Santa Cruz de Tenerife,
2/07/1962. Ç JՎtais ˆ Paris en septembre. Si Dieu le veut, je te prŽviendrai ds mon
retour. [É] SatanŽ art qui cause toujours des dŽceptions. Mille bonjours de Sorolla. Postscriptum : Il fait une chaleur infernale. Trente neuf degrŽs ˆ lÕombre. È
II. Le marchŽ de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923
137
comme ÒuniverselleÓ. Ce rapport si particulier des rŽpublicains ˆ cet Òenfant du
paysÓ et citoyen dÕhonneur de la ville reste toujours entourŽ dÕune part de
mystre. Toutefois, lÕenterrement du peintre, le 13 aožt 1923, est riche de
circonstances en tout genre qui, ˆ leur manire, aident ˆ la comprŽhension de ce
lien.
Au matin, le corps de lÕartiste est transfŽrŽ en train de Madrid ˆ Valence.
Depuis la gare, le cortge est censŽ prendre la direction du cimetire, mais des
incidents Žclatent avant le dŽpart du corbillard. Pour le comprendre, il faut
rappeler que Manuel SigŸenza Alonso (1870-1964), le directeur du Cercle des
Beaux-Arts de Valence, avait demandŽ et obtenu les honneurs militaires pour le
peintre.127 Les autoritŽs ecclŽsiastiques et militaires accueillent donc le cortge
ds sa descente du train. Mais la rŽdaction du quotidien El Pueblo, reprŽsentŽe sur
place par son directeur FŽlix Azzati et ses collaborateurs Arturo Perucho (inc.inc.), JosŽ Fern‡ndez Serrano (1889-1963), Rigoberto Soler, Julio Just Jimeno
(1894-1976), et quelques autres, peroit la prŽsence de lÕarmŽe comme une
intrusion du pouvoir central. Contre lÕavis des autoritŽs et de la famille, la
rŽdaction du journal sÕoppose physiquement au protocole prŽvu et une rixe Žclate
devant la gare. Il est question, entre autres, que le cercueil reste sur le corbillard.
Mais FŽlix Azzati en dŽcide autrement ; il se juche sur la voiture, soulve le
cerceuil par une de ses poignŽes en bronze et harangue la foule au cri de
Ç ÁSorolla es nuestro, es de Valencia! ÁValencia quiere llevarlo al jard’n de los
muertos sobre su coraz—n! È128 et les rŽpublicains sÕemparent du cercueil manu
militari pour le porter eux-mmes ˆ travers les rues. Le ton monte ˆ nouveau et,
pour Žviter que la dispute ne dŽgŽnre en pugilat, le cercueil est tant™t portŽ ˆ
lՎpaule, tant™t posŽ sur le corbillard.
Le journal illustrŽ madrilne Mundo Gr‡fico publiera le lendemain quelques
photographies de la foule compacte sՎcartant au passage de lÕattelage. Sur lÕune
dÕentre elles, un cavalier ouvre la voie, sabre au poing, sommant la foule de
reculer.129 Pour la rŽdaction dÕEl Pueblo, Sorolla symbolise encore ces classes
populaires de Valence qui englobe ˆ la fois les artisans et les pcheurs quÕil avait
couchŽs sur quelques-unes de ses toiles cŽlbres. DÕailleurs, le journal ne manque
127.
128.
129.
Enrique Malboysson, ÒSorolla y los honores oficialesÓ, El Pueblo, Valence, 14/08/1923.
Ibidem Ç Sorolla est des n™tres, il est de Valence ! Valence veut le porter jusquÕau jardin
des morts sur son cÏur ! È
Figure n¡6. Valence accueille la dŽpouille de Joaqu’n Sorolla (1923).
II. Le marchŽ de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923
138
pas dÕopposer la ferveur populaire ˆ la pompe des solennitŽs. Il rapporte, par
exemple, quՈ lÕangle de la rue de las Comedias, trois femmes ŽplorŽes se jetrent
sur le cerceuil pour y dŽposer leurs larmes avant dՐtre rudoyŽes sans
mŽnagement, prŽcise le journal, par un militaire ˆ pied.
Les incidents du 13 aožt sont en quelque sorte le prŽlude ˆ la querelle qui
allait sÕinstaller sous la Dictature et se prolonger tout au long de la Seconde
RŽpublique. En effet, Madrid et Valence opposeraient deux visions diffŽrentes de
Sorolla, lÕune nationaliste et conservatrice, lÕautre rŽgionaliste et rŽpublicaine.
III. La crŽation du MusŽe Sorolla : 1924-1939
139
III
LA CRƒATION DU MUSƒE SOROLLA
1924 - 1939
La mort de Sorolla, le 10 aožt 1923, est aussit™t ŽclipsŽe par la crise
politique qui dŽbouchera, un mois plus tard, sur une dictature avalisŽe par
Alphonse XIII. DŽpassŽ, sur le plan extŽrieur, par les revers subis par lÕarmŽe
espagnole au Maroc et, ˆ lÕintŽrieur, par les crises successives et les mouvements
de protestation, le souverain concŽdera des pouvoirs extraordinaires au gŽnŽral
Miguel Primo de Rivera le 15 septembre. Deux jours auparavant, lÕofficier sÕest
soulevŽ et a adressŽ au roi un manifeste dans lequel il demande le dŽpart des
hommes dՃtat quÕil qualifie de Òprofessionnels de la politiqueÓ. La Constitution
de 1876 est suspendue, les partis politiques dŽclarŽs illŽgaux, le parlement et les
conseils municipaux destituŽs et lՎtat de guerre proclamŽ. Un Directoire militaire
remplace le gouvernement jusquÕen 1925. Dans ce contexte, le souvenir du
peintre sÕestompe au point de sÕeffacer presque compltement. La rŽpartition des
archives de presse met en Žvidence cet affaissement de lÕactivitŽ critique qui est
seulement interrompu par la couverture rŽservŽe ˆ lÕinauguration du MusŽe
Sorolla, en 1932. Avec cent quarante-sept articles conservŽs entre le 1er janvier et
le 23 novembre, cette annŽe reprŽsente un sommet critique ˆ lÕintŽrieur de la
collection du MusŽe Sorolla. On tentera de comprendre dans ce chapitre dans
quelle mesure la fondation dÕun musŽe monographique mettra fin ˆ lÕoubli dans
lequel le peintre avait sombrŽ, rappelons-le, dŽjˆ avant sa mort. On sÕintŽressera ˆ
ses nombreux disciples, les ÒsorollistesÓ et ˆ leur influence sur la rŽception de son
Ïuvre. On verra o, par qui, et comment le souvenir et la commŽmoration du
peintre seront pris en charge. Enfin, on cherchera ˆ expliquer pourquoi son
hŽritage se trouvera au centre dÕun rapport de forces entre les rŽpublicains et les
conservateurs, quelques annŽes seulement avant le dŽbut de la Guerre Civile.
III. La crŽation du MusŽe Sorolla : 1924-1939
140
III.1. LE SOROLLISME
LÕinfluence de Sorolla sur les peintres espagnols est une question vaste ˆ
lÕintŽrieur de laquelle quelques distinctions doivent tre faites. Naturellement, sa
peinture influe dÕabord sur des peintres de sa gŽnŽration tels que JosŽ Benlliure,
JosŽ Moreno Carbonero, Gonzalo Bilbao (1860-1938), Cecilio Pl‡ (1860-1934),
etc. Il faut souligner, par ailleurs, que des peintres plus ‰gŽs que lui, tels
quÕAureliano de Beruete, Raimundo de Madrazo et Jaime Moreira y Galicia,
transforment leur touche ˆ son contact. Or, dans ce chapitre, on ne sÕintŽressera ni
aux uns ni aux autres, mais ˆ tous ces peintres plus jeunes que lui et qui, de faon
plus ou moins directe, sont en quelque sorte les ÒcontinuateursÓ de sa manire.
Ë la fin des annŽes cinquante, un journaliste de la revue littŽraire et
culturelle madrilne ênsula jettera ce regard rŽtrospectif sur lÕimpact du ma”tre sur
les jeunes peintres :
Los pintores y el pœblico de nuestros d’as no pueden imaginarse la fama de que
Sorolla goz— en su Žpoca. En los estudios alababan casi un‡nimemente su obra.
Llegaban a ellos noticias de los triunfos que Sorolla obten’a fuera de Espa–a y de los
precios a que se pagaban sus cuadros. Los m‡s de los pintores j—venes eran
sorollistas.1
Par ses succs, sa notoriŽtŽ, ses voyages, la nature de ses commandes et le
prestige de ses commanditaires, mais aussi par sa fortune personnelle, son
patrimoine, ses relations, son aura, le ma”tre de Valence a nourri les rves et les
espoirs de plusieurs gŽnŽrations de peintres. Tout cela nÕaurait pas existŽ sans la
presse nationale qui joue indŽniablement son r™le dÕintermŽdiaire entre les media
Žtrangers et le public espagnol. Ë la manire dÕun jeune dÕaujourdÕhui rvant de
suivre lÕexemple de tel footballeur ou de tel chanteur vu ˆ la tŽlŽvision et sur
internet, les articles de presse font na”tre des vocations chez de nombreux jeunes.
1.
Juan MenŽndez Arranz, ÒUna visita al pintor SorollaÓ, ênsula, Madrid, 15/04/1957. Ç Les
peintres et le public dÕaujourdÕhui ne peuvent pas sÕimaginer la notoriŽtŽ dont Sorolla a
joui ˆ son Žpoque. Dans les ateliers, on faisait presque unanimement lՎloge de son
Ïuvre. On recevait les nouvelles des succs quÕil obtenait hors dÕEspagne et des prix
auxquels se vendaient ses tableaux. La majeure partie des jeunes peintres Žtaient
sorollistes. È
III. La crŽation du MusŽe Sorolla : 1924-1939
141
Comme Claude Monet et Auguste Rodin en France, Sorolla et Benlliure ont ŽtŽ
un jour, dans leur pays, les premires ÒstarsÓ espagnoles des Beaux-Arts.
Parmi les ÒcontinuateursÓ de la peinture de Sorolla, il faut distinguer deux
groupes : dÕune part, les jeunes formŽs dans son atelier entre 1892 et 1905, et
dÕautre part, tous ceux qui nÕen franchissent jamais les portes et sont initiŽs ˆ sa
peinture par un autre ma”tre. De 1910 ˆ 1920, la manire du Valencien se diffuse
largement ˆ lÕintŽrieur des acadŽmies et sur tout le territoire, car Sorolla a des
admirateurs au sein des principales Žcoles dÕart du pays.2 Certains sont tout
simplement dÕanciens disciples dŽjˆ reconvertis dans des fonctions professorales.
Un des plus fervents promoteurs de la technique de Sorolla est lÕhistorien dÕart
Rafael DomŽnech, qui enseigne ˆ lՃcole des Beaux-Arts de San Carlos de
Valence. Il publie une monographie du peintre en 1910, aussit™t traduite en
franais.3 Parmi les sorollistes devenus professeurs, citons Teodoro Andreu, qui
enseigne ˆ lՃcole des Beaux-Arts de Cadix ds 1904, Eduardo Chicharro, qui
devient professeur ˆ lÕAcadŽmie Espagnole de Rome en 1912, JosŽ Mongrell, ˆ
lՃcole des Beaux-Arts San Jorge de Barcelone en 1913. Enfin, en 1916,
lÕimplication de Sorolla dans la vie artistique de sa ville dÕorigine provoque un
dernier regain dÕintŽrt pour sa peinture chez de jeunes Valenciens nŽs autour de
1895. Il convient donc de sŽparer deux gŽnŽrations de disciples : celle des peintres
nŽs dans les annŽes 1870 ˆ 1880, qui frŽquentent son atelier madrilne, et celle de
ces plus jeunes peintres nŽs dans les annŽes 1890 ˆ 1900, formŽs dans les Žcoles
dÕart et / ou qui frŽquentent les ateliers des premiers. Dans le deuxime cas de
figure, la premire gŽnŽration participe ˆ la formation de la relve. Il faut noter,
enfin, que Sorolla dispense lui-mme un cours ˆ lՃcole des Beaux-Arts de San
Fernando de Madrid durant la seule annŽe acadŽmique 1919-1920, mais son
impact est trs limitŽ car peu dՎlves y sont admis.
Parmi les disciples de la deuxime gŽnŽration, tous ne rŽussissent pas ˆ se
dŽmarquer assez nettement du modle enseignŽ. Certains pratiquent mme un art
tellement formel quÕil tire vers la caricature dans la mesure o il repose sur des
ŽlŽments puisŽs, a et lˆ, dans les tableaux du ma”tre. Pour nommer cela, le
2.
3.
L. Folch, ÒEl pintor Joaqu’n SorollaÓ, Diario de Barcelona, Barcelone, 08/1923.
Rafael DomŽnech, Sorolla. Su vida y su arte, Madrid, Leoncio Miguel et Sorolla, sa vie et
son Ïuvre, Madrid, Vilanova y Geltrœ-Oliva, 1910.
III. La crŽation du MusŽe Sorolla : 1924-1939
142
nŽologisme ÒsorollismeÓ appara”t en 1923 sous la plume de Ricardo GutiŽrrez
Abascal comme une dŽsignation pŽjorative :
El sorollismo es una variante levantina del impresionismo. [É] Pero no debe
confundirse al sorollismo con Sorolla. El hijo no tiene, ni mucho menos, la calidad del
padre. En todo caso, acentœa, no ya lo que en el padre parece entrar en la categor’a de
lo permanente, sino lo perecedero, lo circunstancial, lo inmediatamente caedizo. Es su
caricatura por el defecto.4
ÒLa caricature par le dŽfautÓ est une dŽfinition cinglante qui doit tre
comprise dans les limites du pictural. Car en copiant avec application tel ou tel
coup de pinceau, effet de constraste, nuance, reflet, etc. isolŽ de lÕensemble,
certains jeunes disciples finissent par oublier leur propre rŽalisation au point de
commettre dÕimportantes erreurs de composition et de proportion. La somme de
ces morceaux de peinture pris, a et lˆ, ne donne pas une autre peinture, mais bel
et bien la caricature du modle.
Au lendemain de la mort du ma”tre, un flot dÕarticles critiques suit la
publication des notices nŽcrologiques. A cette Žpoque, les spŽcialistes Ricardo
GutiŽrrez Abascal, Manuel Gonz‡lez Mart’, JosŽ FrancŽs (1883-1964) et dÕautres,
tentent de porter un regard ÒdŽpassionnŽÓ sur les attaques dont le Valencien a ŽtŽ
la cible durant les vingt dernires annŽes de sa vie. La disparition du ma”tre est
suivie dÕune rŽconciliation possible dans la mesure o le ÒsorollismeÓ expie tous
les pŽchŽs. En effet, pour ces journalistes, le Valencien a ŽtŽ victime de tous les
peintres qui galvaudent sa peinture en lÕimitant jusque dans ses traits les plus
singuliers. Dans La Naci—n, un journaliste tient le ÒsorollismeÓ pour une vulgaritŽ
qui a fini par nuire ˆ lÕimage de la peinture de Sorolla.
Lo que pasa es que la manera sorollesca se ha hecho vulgar, a fuerza de contrahecha
por gentes que han pensado que basta pincelar duro con colores bravos para parecerse
4.
Juan de la Encina, ÒSorollaÓ, La Voz, Madrid, 17/08/1923. Ç Le sorollisme est une
variante levantine de lÕImpressionnisme. [É] Mais le sorollisme ne doit pas tre
confondu avec Sorolla. Le fils ne possde, ni de prs ni de loin, la qualitŽ du pre. En tous
cas, il accentue, non pas ce qui chez le pre entre dŽsormais dans la catŽgorie du pŽrenne,
mais au contraire, le pŽrissable, lÕanecdotique, lՎphŽmre. CÕest sa caricature par le
dŽfaut. È
III. La crŽation du MusŽe Sorolla : 1924-1939
143
al maestro. Y lo peor no es que se haya hecho vulgar sino que, por culpa de esos
plagiarios sin talento, haya sido calumniada y se haya desacreditado.5
Le critique JosŽ FrancŽs considre que les peintres Francisco Pradilla et
JosŽ Villegas ont survŽcu ˆ un genre puisque la peinture dÕhistoire sÕest Žteinte
avant eux. Mais il souligne, comme un fait douteux et inquiŽtant, que la peinture
de Sorolla a survŽcu ˆ son crŽateur au point de devenir un genre ˆ part entire. Il
ajoute, enfin, que le ÒsorollismeÓ est tellement tributaire de son modle quÕil est
condamnŽ ˆ dispara”tre ˆ brve ŽchŽance. Toutes ces opinions trs sŽvres ne
tardent pas ˆ jeter lÕopprobre sur tous ceux qui, avec plus ou moins de rŽussite,
continuent ˆ peindre comme le ma”tre disparu et le courant se dŽlite compltement
ˆ partir de 1923. Ë cette Žpoque, tout ce qui para”t, de prs ou de loin, empruntŽ ˆ
Sorolla est jugŽ avec la plus grande sŽvŽritŽ.6
Avant dÕaller plus avant, il faut prŽciser que le terme ÒsorollismeÓ Žvolue au
fil du temps au point de recouvrer tout et son contraire. Dans les annŽes quarante,
un journaliste en propose deux dŽfinitions qui continuent aujourdÕhui ˆ se
parasiter mutuellement :
Y entiŽndase por sorollismo el culto fervoroso, la admiraci—n incondicional y el
justo apasionamiento hacia lo que Sorolla fue y represent— en el ‡mbito de la pintura
nuestra. El otro sorollismo, el del amaneramiento de los seguidores del gran
maestro, ya es m‡s discutible y hasta m‡s recusable.7
Le ÒsorollismeÓ est tant™t synonyme dÕadmiration, dÕimitation ou mme
dÕusurpation, et il est toujours peru comme un phŽnomne exogne, indŽpendant
de la volontŽ du ma”tre. Or, il est temps de rappeler quÕil ne se dŽveloppe pas aux
dŽpens de Sorolla et que, aux antipodes dÕune idŽe visiblement admise dŽjˆ en
5.
6.
7.
Anonyme, ÒJoaqu’n Sorolla y BastidaÓ, La Naci—n, Buenos Aires, 12/08/1923. Ç Ce qui
se passe cÕest que la manire sorollesque est devenue vulgaire, ˆ force dÕavoir ŽtŽ
contrefaite par des gens qui ont pensŽ quÕil suffisait de peindre obstinŽment avec des
couleurs chatoyantes pour ressembler au ma”tre. Et le pire nÕest pas quÕelle fžt devenue
vulgaire mais que, ˆ cause de ces plagiaires sans talent, elle ait ŽtŽ calomniŽe et
discrŽditŽe. È
JosŽ FrancŽs, ÒEvocaci—n de Joaqu’n SorollaÓ, La Esfera, Madrid, 9/02/1924.
J.O., ÒSorolla en Nueva YorkÓ, Jornada, Valence, 3/10/1946. Ç Et comprenez bien par
sorollisme le culte fervent, lÕadmiration inconditionnelle et lÕengouement justifiŽ pour ce
que Sorolla fut et reprŽsenta dans le domaine de notre peinture. LÕautre sorollisme, celui
des continuateurs maniŽristes du grand ma”tre, est dŽjˆ plus discutable et mme plus
contestable. È
III. La crŽation du MusŽe Sorolla : 1924-1939
144
1923, ou passŽe sous silence, il veille lui-mme ˆ crŽer les conditions les plus
favorables ˆ sa survie et ˆ son expansion.
InŽvitablement, le premier foyer de ÒsorollismeÓ est lÕatelier du peintre.
Rappelons quÕavant longtemps, il est impossible dՎtudier la peinture de Sorolla
sans entrer dans son atelier puisque les musŽes du pays ne possdent pas assez de
tableaux. ArrivŽ ˆ Madrid en 1890, Sorolla sÕinstalle trois ans plus tard dans
lÕancien atelier du peintre JosŽ JimŽnez Aranda, quand celui-ci dŽcide de regagner
SŽville, sa ville dÕorigine. Ë cette Žpoque, le Valencien a dŽjˆ quelques Žlves
auxquels sÕajoute le petit groupe de disciples de son confrre8. Le journaliste JosŽ
Valenzuela (inc.-inc.), qui Žcrit sous le pseudonyme Riverita, est frappŽ par la
jeunesse de ce ma”tre ˆ peine plus ‰gŽ que ses Žlves : Ç Hoy se agrupan a su
alrededor una porci—n de j—venes entusiastas que buscan sus ense–anzas y
solicitan sus consejos. Sorolla ha comenzado por donde la generalidad termina. È9
Un cahier de comptes tenu par lՎpouse du peintre prouve dÕailleurs, au moins
jusquՈ lÕannŽe 1905, que Sorolla peroit le produit des enseignements quÕil
dispense.10 Cet atelier attire rapidement des disciples venus de lՎtranger,
principalement des ƒtats-Unis, comme William Starkweather (1879-1969) et
Dudley Croft Watson (inc.-inc.) qui entreprennent de voyager en Espagne dans le
seul but de se former aux c™tŽs du peintre.11 Ë cette Žpoque, les jeunes
AmŽricains sՎtablissent temporairement en Europe et entrent ˆ lÕAcadŽmie
Julian, fondŽe par Rodolphe Julian (1839-1907), ou intŽgrent les ateliers de
peintres ˆ succs comme Jean LŽon GŽr™me ou William Bouguereau (18251905), etc. Ë Paris, ils forment une colonie et, de lˆ, parcourent les capitales
europŽenes.12 Mais la plupart des Žlves de Sorolla sont originaires de
Valence, tels que JosŽ Navarro Llorens (1867-1923), Teodoro Andreu (18701935), Joaqu’n Mart’nez Lumbreras (inc.-inc.), JosŽ Mongrell (1870-1923), Felipe
8.
9.
10.
11.
12.
Bernardino de Pantorba, La vida y la obra de Joaquin Sorolla. Estudio biogr‡fico y
cr’tico, Madrid, Gr‡ficas Monteverde, page 115.
Riverita, ÒJoaqu’n SorollaÓ, La Uni—n Vascongada, Saint-SŽbastien, 27/11/1893.
Ç AujourdÕhui il est entourŽ dÕun groupe de jeunes enthousiastes recherchant ses
enseignements et sollicitant ses conseils. Sorolla a comencŽ lˆ o la plupart finit. È
Le cahier de compte de la famille Sorolla tenu par Clotilde Garc’a del Castillo est
conservŽ au MusŽe Sorolla. Sa consultation est, pour lÕinstant, restreinte et contr™lŽe.
Priscilla E. Muller, ÒSorolla y AmŽricaÓ in Joaqu’n Sorolla, Londres, Philip Wilson, 1989
page 60.
Kathleen Adler, ÒWeÕll always have Paris : Paris comme Žcole et comme cadreÓ in
AmŽricains ˆ Paris 1860-1900, Londres, 5 Continents & The National Gallery, 2006,
pages 11-55.
III. La crŽation du MusŽe Sorolla : 1924-1939
145
Abarzuza (1871-1848), Julio Vila Prades (1873-1930), Eduardo Chicharro (18731949), çlvaro Alcal‡ Galiano (1873-1936), Enrique Mart’nez Cubells (18741947), Isidoro Millas (1875-1938), Samuel Ma–‡ (1875-1955), Manuel Benedito
Vives (1875-1963), Ricardo Verde Rubio (1876-1954), JosŽ Bermejo (1879-inc.),
Fernando Vizca’ (1879-1936), Salvador Tuset (1883-1951), Peppino Benlliure
(1884-1916), Francisco Merenciano (1885-1934), Francisco Pons Arnau (18861953) et beaucoup dÕautres. Cette gŽnŽration de peintres espagnols est aussi celle,
rappelons-le, de Pablo Picasso et Carlos Casagemas, nŽs tous deux en 1881. Ë
lՎpoque o ils frŽquentent le cabaret barcelonais Els Quatre Gats, lÕAndalou et le
Catalan sont plus influencŽs par Ram—n Casas que par Sorolla.
Entre 1904 et 1920, le naturalisme lumineux hŽritŽ du ma”tre assure la
rŽussite acadŽmique et, dans certains cas, le succs commercial de cette premire
gŽnŽration de ÒsorollistesÓ. Mais il convient de se demander si ces peintres
auraient percŽ ˆ lÕExposition Nationale et / ou sur le marchŽ de lÕart en dÕautres
circonstances. Il est difficile de le savoir, mme si on peut au moins penser quÕils
nÕauraient pas rŽussi si t™t et montŽ si vite Žtant donnŽ que la plupart dÕentre eux
sont encore jeunes et inexpŽrimentŽs ˆ lÕheure de leurs premiers succs.
LÕinfluence de leur ma”tre est telle quÕelle a pu en aider certains ˆ gravir aussi
aisŽment que prŽmaturŽment les Žchelons de lÕExposition Nationale, de la
MŽdaille de Troisime Classe jusquՈ la MŽdaille dÕHonneur, pour lÕun dÕentre
eux.
Huit Žditions du concours sont organisŽes durant cette pŽriode, en 1904,
1906, 1908, 1910, 1912, 1915, 1917 et 1920. Voici synthŽtiquement les
rŽcompenses obtenues par les ÒsorollistesÓ13 :
13.
Tableau ŽlaborŽ ˆ partir de lÕouvrage de Bernardino de Pantorba, Historia y cr’tica de las
Exposiciones de Bellas Artes celebradas en Espa–a, Madrid, Jesœs Ram—n Garc’a Rama,
1980 (1948), pages 183-249.
III. La crŽation du MusŽe Sorolla : 1924-1939
ANNEE
1904
146
NATURE DE LA MEDAILLE
1re CLASSE
2me CLASSE
3me CLASSE
M. Benedito
J. Bermejo
T. Andreu
E. Chicharro
J. Vila Prades
J. Mongrell
E. Mart’nez C
F. Ab‡rzuza
S. Ma–‡
1906
M. Benedito
1908
E. Chicharro
DECORATION
J. Bermejo
1910
P. Benlliure
J. Bermejo
T. Murillo
S. Tuset
J. Navarro
1912
E. Mart’nez C
J. Navarro
T. Murillo
J. Bermejo
A. Alcal‡-G
1915
J. Navarro
P. Benlliure
1917
1920
A. Alcal‡-G
S. Mart’nez M
En 1904, Sorolla prŽside le jury de la section de peinture, ce qui explique
que, parmi les quatre laurŽats dÕune MŽdaille de Premire Classe, seul le Catalan
Ram—n Casas nÕest pas un de ses disciples. CÕest un peintre confirmŽ, ‰gŽ de
quarante-et-un ans Ð trois ans de moins que Sorolla Ð, mais qui se trouve ici au
mme niveau que ses jeunes Žlves. Manuel Benedito, Eduardo Chicharro et
Enrique Mart’nez Cubells remportent pour la premire fois ce prix. Benedito
parvient ˆ atteindre le mme niveau de rŽussite en 1906, Chicharro en 1908, et
Mart’nez Cubells sÕimpose en 1912 avec un tableau mŽdiocre mais dont le titre,
La vuelta de la pesca, fait clairement Žcho ˆ un chef-dÕÏuvre bien connu de
Sorolla. Comme leur ma”tre en son temps, tous trois sont donc des prŽtendants ˆ
III. La crŽation du MusŽe Sorolla : 1924-1939
147
la MŽdaille dÕHonneur que seul Chicharro dŽcroche en 1922, avec Las
tentaciones de Buda.14
Pour plusieurs raisons, la deuxime gŽnŽration de ÒsorollistesÓ ne conna”t
pas une rŽussite comparable ˆ la prŽcŽdente. Premirement parce quÕelle accde
aux concours dՃtat ˆ une Žpoque o Sorolla nÕest plus aussi influent car sa
commande amŽricaine lÕaccapare. Ensuite, la qualitŽ des productions de ces
jeunes est globalement infŽrieure ˆ celles de leurs a”nŽs. En effet, les ÒsorollistesÓ
de la deuxime gŽnŽration essayent de se rapprocher au maximum dÕun modle
dont ils nÕont quÕune idŽe vague puisque, aussi Žtonnant que cela puisse para”tre,
ils ne connaissent les tableaux de Sorolla quՈ travers des reproductions ! Ë
lÕinverse de la premire gŽnŽration, ils nÕont pas c™toyŽ la peinture du ma”tre et ne
la connaissent, pour ainsi dire, pas. Tous, sans exception, peignent des scnes de
plage en abondance car Sorolla en avait figŽ les codes au point de donner
naissance ˆ un genre. Cependant, il nÕa laissŽ aucune de ces scnes de plage dans
sa ville natale, ˆ lÕexception dÕune toile intitulŽe Playa de Valencia qui figurait
dans la collection du marquis de Montortal mais ˆ laquelle aucun dÕentre eux
nÕeut jamais accs.15 La deuxime gŽnŽration de sorollistes a, avant tout, un
intŽrt sociologique, comme vestige dŽgradŽ en commercialisation de lÕart de
Sorolla. Est-elle un courant ? un genre ? un sous-genre ? ou un simple effet de
mode ? Elle pourrait nՐtre quÕune Òniche de peintureÓ Ð la plage lՎtŽ Ð
commercialement comparable ˆ dÕautres modalitŽs picturales telles que les
courses de chevaux, les animaux, les sports mŽcaniques, etc.
Les ÒsorollistesÓ de la deuxime gŽnŽration frŽquentent, selon les cas, les
ateliers des ÒsorollistesÓ de la premire gŽnŽration car, occupŽ ˆ honorer sa
commande, le ma”tre est devenu quasiment inaccessible. Rigoberto Soler (18961968) est le disciple dÕun ÒsorollisteÓ de la premire gŽnŽration, JosŽ Mongrell.
Le jeune homme affirme vŽnŽrer Sorolla comme sÕil sÕagissait dÕun dieu vivant
bien que, jusquÕen 1917, il ne lÕa pas rencontrŽ une seule fois ! Il raconte que
lorsquÕil se prŽsente au domicile du ma”tre sans avoir ŽtŽ recommandŽ, le gardien
lui en refuse lÕentrŽe. Il rŽdige alors le billet suivant : Ç Perm’tame maestro, le
14.
15.
Enrique Mart’nez Cubells, La vuelta de la pesca, 84x105, Malaga, MusŽe de Malaga,
1911.
Eduardo Chicharro, Las tentaciones de Buda, 366x290, Madrid, RABSF, 1922-1943.
Fernando Dicenta de Vera, ÒClausura del centenario de Sorolla. La realidad y el sue–o
realizableÓ, Las Provincias, Valence, 28/02/1964.
III. La crŽation du MusŽe Sorolla : 1924-1939
148
haga saber que soy disc’pulo de JosŽ Mongrell, hijo espiritual de usted; por lo
tanto soy de usted su nieto y con el mayor dolor de mi vida me he visto que no me
recibe mi abuelo. È16 Aprs quoi il est finalement reu et dŽcouvre alors le
contenu des ateliers. De mme, Juan MenŽndez Arranz de la Torre (1884-inc.), un
peintre amateur recommandŽ par Cecilio Pl‡, est chaleureusement accueilli par le
ma”tre qui apprŽcie, semble-t-il, le contact avec la jeunesse. 17 Sorolla se mŽfie de
la critique et se refuse ˆ expliquer sa peinture : Ç Yo s—lo pinto cuadros, son los
dem‡s los que me los explican a su manera È cÕest-ˆ-dire Ç Moi je ne fais que
peindre les tableaux, ce sont les autres qui me les expliquent ˆ leur faon. È disaitil. Cependant, il apprŽcie par dessus tout de partager ses idŽes et son expŽrience
mais aussi dŽbattre de questions purement techniques avec les gens de son mŽtier,
dont il aime tre entourŽ.18
La gŽnŽration de ces deux garons, qui se veut lÕhŽritire de Sorolla,
sÕattache ˆ le dŽmontrer sur la toile, au risque de verser dans le pastiche. Parmi
ces peintres, presque tous nŽs ˆ Valence, il faut citer encore Santiago Mart’nez
(1890-1979), Tom‡s Murillo Ramos (1890-1934), le plus ÒsorollisteÓ des
ÒsorollistesÓ si lÕon en croit JosŽ Manaut Viglietti (1898-1971). Cet artiste, luimme disciple du ma”tre, est le fils dÕun proche ami de Sorolla, le journaliste
valencien JosŽ Manaut NoguŽs (inc.-inc.). DÕailleurs, il consacrera une
monographie ˆ son ma”tre, en 1964, dans laquelle un chapitre traite du
ÒsorollismeÓ.19 Chez les derniers reprŽsentants de ce courant il y avait aussi
Ernesto Valls (1891-1941), Alfredo Clar—s (1893-1965), Francisco Gras (1897inc.), Casimiro Garc’a Raga (1898-1985), ainsi que beaucoup dÕautres artistes
dont les noms ne sont pas toujours passŽs ˆ la postŽritŽ.
Sorolla tient ˆ ce que ces peintres accdent ˆ une reconnaissance officielle
qui, selon lui, constitue la condition sine qua non ˆ toute percŽe sur le marchŽ
national. Par ailleurs, il considre que la peinture qui lÕa rendu cŽlbre et a fait sa
fortune peut, entre les mains de ces jeunes Valenciens enthousiastes, faire
16.
17.
18.
19.
Rigoberto Soler, ÒRecuerdos del maestroÓ, El Pueblo, Valence, 14/08/1923. Ç Permettezmoi, ma”tre, de porter ˆ votre connaissance que je suis le disciple de JosŽ Mongrell, votre
fils spirituel ; par consŽquent je suis votre petit-fils et avec la plus grande douleur de ma
vie, je me suis vu refusŽ lÕentrŽe du domicile de mon grand-pre. È
Juan MenŽndez Arranz, ÒUna visita al pintor SorollaÓ, ênsula, Madrid, 15/04/1957.
Hip—lito T’o, ÒSorolla era en la intimidad un hombre cari–osoÓ, Las Provincias, Valence,
17/04/1960.
JosŽ Manaut Viglietti, Cr—nica del pintor Joaqu’n Sorolla, Madrid, Editora Nacional,
1964.
III. La crŽation du MusŽe Sorolla : 1924-1939
149
prospŽrer une rŽgion et peut-tre mme tout un pays. Il avait peut-tre hŽritŽ cette
conviction de lÕun de ses ma”tres, Ignacio Pinazo (1849-1916), qui prchait avant
lui un discours similaire : Ç El regionalismo, desde el punto de vista del arte,
aportar’a grandes ventajas; las modalidades ser’an ricas y varias. Espa–a, por su
situaci—n geogr‡fica, lo pide y lo necesita. È20 Sorolla voyage suffisamment pour
comprendre que lÕart et lÕindustrie ont une valeur ajoutŽe trs supŽrieure aux
productions agricoles sur lesquelles reposent lՎconomie de sa rŽgion natale. En
suivant la voie du progrs, Valence rivaliserait bient™t avec une ville comme
Barcelone, dans laquelle il sŽjourne longuement en 1915 pour peindre le dixime
panneau du dŽcor, Catalu–a. El pescado. Dans une lettre ˆ son ami JosŽ Manaut
NoguŽs, il affirme : Ç [É] ser’a la pintura riqueza valenciana m‡s poderosa que el
arroz y la naranja, y si esto ocurre, como ocurrir‡, debemos bendecir el haber
nacido. È21 Pour saisir le sens de ces lignes il faut garder ˆ lÕesprit lÕidŽe que
Sorolla est vŽritablement prŽoccupŽ par le progrs Žconomique et social de son
pays et, en tant quÕartiste de premier plan, il pense y contribuer.
Sa peinture se vend si cher quÕelle constitue trs t™t une cible de choix pour
les voleurs et les faussaires. Le vol et la contrefaon sont dÕexcellents baromtres
de la cote dÕun artiste puisque, en toute logique, ils ne touchent que les peintres
les plus cotŽs. Dans le cas du peintre espagnol, cÕest le succs retentissant de son
exposition new-yorkaise, en 1909, qui dŽclenche la prolifŽration de faux. Des
toiles frelatŽes circulent sur le marchŽ amŽricain, et plus tardivement et en plus
grande quantitŽ, sur le marchŽ espagnol. En 1911, lors de son passage ˆ Chicago,
Sorolla est directement confrontŽ ˆ une rŽplique de son tableau El ba–o. J‡vea,
conservŽ au Metroplitan Museum de New York.22 EffarŽ, il constate lui-mme la
contrefaon et le journal Chicago Illustrated rend compte de toute lÕaffaire en
rapportant le dŽmenti ci-aprs : Ç Jamais, jamais de ma vie, did I paint such a
picture, he said. It was a botch, a daub. Some one in America is making a business
of forging my works. I have heard that some dealer in New York has had others
20.
21.
22.
Pinazo citŽ par JosŽ Guillot Carratala, ÒPor fin se abri— al pœblico el museo del insigne
SorollaÓ, El Adelantado, Salamanca, 16/03/1933. Ç Le rŽgionalisme, du point de vue de
lÕart, apporterait de grands bŽnŽfices ; les modalitŽs seraient riches et variŽes. LÕEspagne,
par sa situation gŽographique, le rŽclame et en a besoin. È
J.M. Viglietti, Cr—nicaÉ page 97. Ç La peinture deviendrait une richesse valencienne
plus forte que le riz et lÕorange et, si cela arrive, comme ce sera le cas, il faut remercier le
ciel quÕil en soit ainsi. È
El ba–o. J‡vea, 90Õ2x128Õ3, New York, The Metropolitan Museum of Art, 1905.
III. La crŽation du MusŽe Sorolla : 1924-1939
150
for sale. È23 Le ÒsorollismeÓ accentue le problme car les jeunes peintres sont,
tant™t sciemment, tant™t ˆ leur insu, des propagateurs de faux. Les marchands
sont, dans certains cas, des faiseurs de toiles de ma”tre ainsi que lÕont dŽmontrŽ
plusieurs affaires. Dans les annŽes quatre-vingt, un faux vendu pour vŽritable sera
la cause dÕun procs retentissant ˆ Madrid car la transaction sՎlvera ˆ dix
millions de pesetas.24 Or, lÕauteur du tableau serait, selon toute vraisemblance,
JosŽ Navarro, un ÒsorollisteÓ de la premire vague. Chez Sorolla, la signature
nÕest pas indicateur fiable car elle varie ŽnormŽment dÕune Žpoque ˆ une autre
sous les formes : J. Sorolla, J. Sorolla B. ou J. Sorolla y Bastida.25 Le peintre
nÕaccorde pas la moindre importance ˆ ce dŽtail tellement prisŽ du client. Ë une
riche cliente qui lui rŽclamme une signature bien visible ˆ c™tŽ de son portrait, il
aurait rŽpondu : Ç Todo lo grande que sea para que ni usted ni yo hagamos el
ridiculo. È26 Avant les expositions individuelles, toute la famille sÕemploie ˆ
signer toutes les toiles dÕun coup ; cÕest pourquoi cinq graphies diffŽrentes, celles
des Žpoux et des trois enfants, doivent tre distinguŽes. Mar’a Jesœs Burgue–o a
rŽcemment ŽtudiŽ cette question dans un article Ždifiant intitulŽ ÒSorolla bajo la
lupa. An‡lisis del pintor m‡s falsificadoÓ.27
En 1916, Sorolla fait Žtape ˆ Valence pour peindre le onzime panneau de
son dŽcor, Las grupas. Valencia. Il travaille ˆ sa rŽalisation de janvier ˆ mars, et
dŽcide ensuite de marquer une longue pause jusquÕen janvier 1917.28 Durant ce
sŽjour dans ville natale, il reprend ˆ son compte lÕidŽe dÕy Ždifier un Palais des
Beaux-Arts et de lÕIndustrie capable dÕaccompagner lÕessor Žconomique de la
rŽgion en accueillant des expositions de grande envergure. Le projet nÕest pas
nouveau puisquÕil a dŽjˆ ŽtŽ soulevŽ avant lÕExposition RŽgionale de 1909. Cette
exposition industrielle et commerciale avait ŽtŽ imaginŽe comme une vitrine pour
23.
24.
25.
26.
27.
28.
Anonyme, ÒSorolla Finds Forged PictureÓ, Chicago Ill., Chicago, 22/03/1911. Ç Jamais,
jamais de ma vie je nÕai peint un tel tableau, dit-il. CՎtait un travail de sagouin, une
crožte. QuelquÕun en AmŽrique est en train de faire des affaires en contrefaisant mes
Ïuvres. JÕai entendu dire quÕun vendeur de New York en a eu dÕautres ˆ vendre. È
Romano (JosŽ Mar’a JimŽnez Aguirre), ÒPleito sobre la compraventa de un SorollaÓ,
ABC, Madrid, 12/12/1981.
Bernardino de Pantorba, La vida y la obra de Joaquin Sorolla. Estudio biogr‡fico y
cr’tico, Madrid, Gr‡ficas Monteverde, 1970, page 132.
R. Mart’ Orbera, ÒUn recuerdo de Sorolla. Cr—nica ’ntimaÓ, La Voz Valenciana, Valence,
9/08/1924. Ç Aussi grande que possible de sorte que ni vous ni moi nÕayons lÕair
ridicule. È
Mar’a Jesœs Burgue–o, ÒSorolla bajo la lupa. An‡lisis del pintor m‡s falsificadoÓ,
Subastas Siglo XXI, Madrid, 03/2001.
JosŽ Luis D’ez, ÒLa Ç visi—n de Espa–a È de Sorolla. Gestaci—n pl‡stica de un proyectoÓ
in Sorolla y la Hispanic Society, 1999, page 222.
III. La crŽation du MusŽe Sorolla : 1924-1939
151
les entreprises de la rŽgion. En dŽcembre 1908, Mariano Benlliure, Manuel
Benedito et Sorolla avaient demandŽ dŽjˆ la construction dÕun Ždifice permanent
qui devait se trouver, selon eux, hors de lÕenceinte de lÕexposition quÕils jugeaient
trop ŽloignŽe du centre ville. La municipalitŽ avait favorablement accueilli cette
proposition mais elle avait demandŽ aux artistes de rŽunir des subventions ˆ
hauteur de six cent mille pesetas et ce fut probablement faute des fonds
nŽcessaires que le projet ne vit pas le jour.29 Huit ans plus tard, le projet est donc
relancŽ par Sorolla. Entre ses mains, il prend une tournure inattendue car, avec
lÕaide des frres Benlliure, Manuel Benedito, Antonio Mu–oz Degrain, Rafael
DomŽnech, et quelques autres, il rŽussit Ð momentanŽment Ð ˆ fŽdŽrer autour de
cette idŽe ambitieuse les artistes et les intellectuels valenciens les plus en vue.
La presse locale rend compte des principales Žtapes du projet ressuscitŽ qui
commence ˆ prendre forme aussit™t avec, comme premier pas, la crŽation dÕun
comitŽ exŽcutif prŽsidŽ par JosŽ Benlliure puis par Gonzalo Salv‡. Ce collectif est
censŽ rŽcolter les fonds nŽcessaires ˆ la construction de lՎdifice. Afin de
prŽsenter le projet au public, le comitŽ organise un spectacle au ThŽ‰tre Principal
de Valence auquel assistent les Žlites et les autoritŽs de la ville.30 En hommage ˆ
la peinture valencienne, des Òtableaux vivantsÓ reconstituent, sur les planches,
Muerte del Rey don Jaime de Ignacio Pinazo (1849-1916), Santa Clara de
Francisco Domingo (1842-1920), San Francisco dÕAntonio Cortina (1841-1890),
Los dos amigos de Joaqu’n Agrasot (1837-1919), ou encore La vuelta de la pesca
de Sorolla. Ë la fin du spectacle, une vue du futur Palais des Beaux-Arts, dessinŽe
par lÕarchitecte catalan Federico Aymam’ (inc.-inc.), est dŽvoilŽe sur la scne sous
les applaudissements et les ÒÁViva Valencia !Ó Le quotidien Heraldo de Madrid
dŽcrit un Ždifice de style nŽoclassique de cent mtres de long par vingt ˆ trente
mtres de large entourŽ dÕune colonnade et surmontŽ dÕune coupole dans sa partie
centrale.31 Il en estime la construction ˆ cinq cent mille pesetas, une somme
importante mais nŽanmoins justifiŽe pour un tel projet car, ˆ titre de comparaison,
lÕExposition rŽgionale de 1909, pour laquelle une dizaine de b‰timents avait ŽtŽ
construits, avait cožtŽ six millions de pesetas.32
29.
30.
31.
32.
Anonyme, ÒValenciaÓ, ABC, Madrid, 29/12/1908.
Anonyme, ÒEl festival de anoche por el palacio de Bellas-ArtesÓ, [?], Valence, 1916.
JosŽ Fillol Sanz, ÒIdeal de artistasÓ, [?], Madrid, 1916.
Francisco Soler Fando, ÒLa Exposici—n Regional valenciana de 1909Ó, ABC, Madrid,
17/05/1959.
III. La crŽation du MusŽe Sorolla : 1924-1939
152
Toujours en 1916, et ˆ lÕinitiative de Sorolla, le comitŽ exŽcutif convoque
un concours dÕart ÒjeuneÓ censŽ ˆ la fois contribuer au financement du projet mais
surtout valoriser les nouveaux talents, en particulier les talents fŽminins car le
peintre avait lui-mme deux filles artistes, Mar’a, qui Žtait peintre et Elena,
sculptrice.33 La premire Ždition de ce concours est inaugurŽe le 22 juillet dans le
clo”tre de lÕuniversitŽ. Le gouvernement de Romanones contribue ˆ son
financement.34 Sorolla envoit un tableau, Componiendo la vela, mais nÕassiste pas
ˆ lÕinauguration.35 En revanche, il exprime sa vision de lÕavenir dans un discours
lu par son disciple JosŽ Manaut Viglietti. Selon lui, Valence est en train de vivre
une ÒRenaissanceÓ, un terme qui fait Žcho ˆ la ÒRenaixena catalanaÓ de la moitiŽ
du XIXme sicle. Cependant, il constate que les classes dominantes ne protŽgent
plus les artistes et que, sans ce mŽcŽnat, ce nouvel Žlan risque de retomber.
Sorolla avait sans doute en tte Barcelone, comme le modle ˆ suivre. Il affirme,
enfin, bŽnŽficier de lÕappui personnel du roi Alphonse XIII, dont il est alors trs
proche. Un ÒsorollisteÓ de la premire gŽnŽration, Salvador Tuset, remporte le
concours de peinture avec Concierto de mujeres.36
Au cours dÕun banquet offert au ma”tre par un groupe de jeunes artistes
valenciens, Sorolla les incite ˆ sÕunir en corporation pour mieux dŽfendre leurs
intŽrts.37 CÕest ainsi que JosŽ Manaut Viglietti, Enrique Cu–at (1883-1959), JosŽ
Colomer (inc.-inc.), Rigoberto Soler et dÕautres ÒsorollistesÓ de la deuxime
gŽnŽration fondent lÕAssociation de la Jeunesse Artistique Valencienne, prŽsidŽe
par Alfredo Marco L—pez (1884-inc.).38 LÕassociation se dote dÕune revue,
Renovaci—n, pour laquelle Sorolla offre une allŽgorie au fusain reprŽsentant une
mre tenant son enfant dans les bras!39 Illustre-t-il ainsi la fonction Žducative quÕil
entend remplir auprs des plus jeunes ? Dans une autre revue valencienne, un
pote anonyme estime que la jeunesse pche par indolence et quÕelle a besoin
dÕun pre spirituel capable de lՎduquer pour en tirer le meilleur parti. Un portrait
de Sorolla par le jeune Francisco Gras illustre ces vers :
33.
34.
35.
36.
37.
38.
39.
Fidelio, ÒExposici—n de arte jovenÓ, El Mercantil Valenciano, Valence, 23/07/1916.
ÒPalacio de Bellas-ArtesÓ, [?], Valence, 1916.
Emilio Fornet, ÒLa estela de Joaqu’n Sorolla en los salones de Mariano BenlliureÓ, La
Correspondencia de Valencia, Valence, 06/1927.
Salvador Tuset, Concierto de mujeres,
J. Manaut Viglietti, Cr—nicaÉ page 95.
Ibidem, page 95.
Figure n¡5. Renouveau (1916).
III. La crŽation du MusŽe Sorolla : 1924-1939
153
ÁOjal‡ pronto
nuestros artistas vean que hacen el tonto
malgastando su tiempo, d’a tras d’a,
si no en siestas, en vana palabrer’a!
Si tu impulso les saca
De andar despacio
Y, al fin, de Bellas Artes
Se alza el Palacio.
ÁBenditos tambiŽn ellos que, a tu influencia,
inmarcesibles glorias dan a Valencia!
40
Aprs avoir terminŽ Visi—n de Espa–a, le peintre prend ses fonctions de
professeur ˆ lՃcole des Beaux-Arts de San Fernando, ˆ lÕautomne 1920. Selon le
journaliste Adolfo de Azc‡rraga, il aurait alors dŽclarŽ : Ç Sentir’a que de mi paso
por la c‡tedra surgiera el sorollismo como escuela, pues esto supondr’a una
decadencia. È41 Or, avec ou sans ce cadre acadŽmique, le ÒsorollismeÓ est bel et
bien une Žcole. Dans le film rŽcent de JosŽ Antonio Escriv‡, Cartas de Sorolla,
une scne montre justement le ma”tre entourŽ de ses derniers Žlves. Le peintre,
interprŽtŽ par JosŽ Sancho (1944), prononce ces mots qui sont attribuŽs au
peintre par ses descendants : Ç El sorollismo es una peste pict—rica. Deje a Sorolla
que imite a Sorolla. Mire el mundo con sus propios ojos, no con los de este tonto
pintor valenciano del que todo el mundo habla œltimamente. È42 Ë cette Žpoque, le
ma”tre est visiblement conscient de la dŽrive de la peinture de ses disciples, ˆ
force dÕimitation excessive.
LÕAssociation de la Jeunesse Artistique Valencienne cesse dÕexister en 1923
car la disparition de Sorolla provoque sa dissolution, si lÕon en croit JosŽ Manaut
Viglietti : Ç Esta Asociaci—n perdur— con mayor o menor vitalidad durante
algunos a–os hasta desaparecer quiz‡ por la falta de est’mulo a consecuencia de la
40.
41.
42.
Anonyme, ÒEl Palacio de Bellas ArtesÓ, El Pueblo, Valence, 7/06/1916. Ç Pourvu que
bient™t / nos artistes se rendent compte quÕils font les idiots / en g‰chant leur temps, jour
aprs jour / dans des verbiages inutiles, quand ils ne font pas la sieste / Si sous ta houlette
ils renoncent / ˆ tra”ner la savate / Et, enfin, des Beaux-Arts / Le Palais sort de terre /
BŽnis soient ceux qui, sous ton influence / offrent des gloires immarcescibles ˆ Valence.
Adolfo de Azc‡rraga, ÒSorollismo y Antisorollismo. Con posdata sobre un monumento
inexcusableÓ, Las Provincias, Valence, 16/05/1975. Ç Je serais navrŽ quÕaprs mon
passage par la chaire le sorollisme voie le jour en tant quՎcole, car cela supposerait une
dŽcadence. È
Cartas de Sorolla, de 92:53 ˆ 93:05. Ç Le sorollisme est un fleau pictural. Laissez Sorolla
imiter Sorolla. Regardez le monde avec vos propres yeux, et non pas ˆ travers ceux de ce
peintre valencien imbŽcile dont tout le monde parle en ce moment. È
III. La crŽation du MusŽe Sorolla : 1924-1939
154
enfermedad y la muerte del maestro. È43 Un journaliste de Diario de Barcelona
affirme que personne ne regretterait les ÒsorollistesÓ : Ç Muere con Žl toda esa
escuela que, salvo contad’simas excepciones, no supo tener por desgracia, m‡s
que imitadores serviles y amanerados de la obra de su fundador a quien honraban
bien poco, creyŽndole un manerista poseedor de recetas y dominador de
trucos. È44 Presque tout ce que Sorolla avait ŽchaffaudŽ autour des jeunes artistes
sÕeffondre comme un ch‰teau de cartes. Le projet de Palais des Beaux-Arts et de
lÕIndustrie ne verra finalement jamais le jour et seules les expositions se
perpŽtueront jusquÕau soulvement du 17 juillet qui empchera lÕinauguration de
lՎdition de 1936.45
De nombreux facteurs expliquent que Sorolla nÕait pas rŽussi ˆ Ždifier le
Palais des Beaux-Arts et de lÕIndustrie dont il rvait. Tout dÕabord, il sÕattelle
tardivement ˆ ce projet car, mme sÕil nÕavait que cinquante trois ans, sa santŽ
commence dŽjˆ ˆ dŽcliner. De plus, il ne vit pas ˆ Valence et ne jouit pas, ˆ cette
Žpoque, de lÕautoritŽ et du rŽseau relationnel indispensable pour conduire jusquՈ
son terme un projet de cette envergure. SÕil y a, au dŽpart, une large adhŽsion sur
le principe, les choses se compliquent par la suite. Incapable de concilier les
attentes des uns et des autres, Sorolla Žchoue en perdant le soutien des hommes
les plus influents en la matire. Il doit renoncer dŽfinitivement ˆ toute chance dÕy
parvenir aprs sՐtre brouillŽ avec les frres Benlliure. Quant au ÒsorollismeÓ, il
pŽriclite pour dÕautres raisons. DÕabord, il fait figure dÕarcha•sme dans une
Europe traversŽe par le Cubisme (1906), le Futurisme (1909), le mouvement Dada
(1916) et bient™t le SurrŽalisme (1924). Ensuite, il nÕest pas lÕatout Žconomique
que Sorolla avait imaginŽ parce que les tableaux des sorollistes se vendent mal et
ne sÕexportent pas. Paradoxalement, dans les deux pays o lÕEspagnol avait connu
ses plus grands succs, cÕest-ˆ-dire en France et aux ƒtats-Unis, ses disciples ne
rŽussissent pas ˆ percer. Sur ces deux questions, des pistes seront ouvertes dans
les paragraphes qui suivent.
43.
44.
45.
JosŽ Manaut Viglietti, Cr—nicaÉ page 96. Ç Cette association sÕest maintenue avec plus
ou moins de vitalitŽ durant quelques annŽes jusquՈ dispara”tre peut-tre ˆ cause du
manque de motivation qui fut une consŽquence de la maladie et de la mort du ma”tre. È
L. Folch, ÒEl pintor Joaqu’n SorollaÓ, Diario de Barcelona, Barcelone, 08/1923. Ç Avec
lui dispara”t toute cette Žcole qui, en dehors de rares exceptions, nÕa malheureusement pas
su offrir autre chose que des imitateurs serviles et maniŽriste de lÕÏuvre de son fondateur
quÕils honoraient bien peu en le tenant pour un maniŽriste dŽtenteur de recettes et
disposant de trucs. È
J. Manaut Viglietti, Cr—nicaÉ page 98.
III. La crŽation du MusŽe Sorolla : 1924-1939
155
Dans les villes du Nord-est amŽricain, Sorolla avait assez dÕadmirateurs
autour de 1900 pour que sa peinture pŽnŽtr‰t dans les acadŽmies des Beaux-Arts,
en particulier dans la plus prestigieuse dÕentre elles, celle de Philadelphie, o
enseignaient ses amis William Merritt Chase (1849-1916) et Cecilia Beaux (18551942).46 La connaissance de sa technique Žtait facilitŽe par la prŽsence, dans les
collections amŽricaines, de quelques-uns de ses meilleurs tableaux. En 1909,
lÕhistorien de lÕart Rafael DomŽnech lÕavait dÕailleurs mis en Žvidence pour alerter
lÕopinion espagnole sur la mauvaise reprŽsentation du Valencien dans les
collections nationales :
Hace poco vino a Madrid un joven Ç yankee È; me lo recomend— un amigo para que
le ense–ara los Museos. Llegamos al de Arte moderno y me pregunt— cu‡ntos
cuadros hab’a all’ de SorollaÉ Por toda contestaci—n le llevŽ ante el lienzo ÁAœn
dicen que el pescado es caro! Examin—le bien el americano y despuŽs de largo rato
de silencio me dijo: Ç No es de lo mejor suyo. ÀD—nde est‡n los otros? È Ç No hay
m‡s. È, le contestŽ, Ç ÁAh! Nosotros tenemos Otra Margarita, su primer gran
triunfo; tenemos Triste herencia, su premio de honor, en Madrid; tenemos Ni–os
jugando en la playa, de los m‡s t’picos de su œltima manera, y ahora hemos
comprado muchos, los mejores que ha pintado.47
Aprs le succs de son tableau Otra Margarita, ˆ lÕExposition
Internationale de Chicago de 1893, sa peinture avait ŽtŽ enseignŽe comme un
modle ˆ suivre ˆ Philadelphie. Dans cette ville, il y eut donc un court Žpisode
ÒsorollisteÓ non espagnol. Manuel Benedito ne lÕoublia pas et rappela dans une
interview lÕinfluence internationale du Valencien : Ç Joaqu’n Sorolla y Bastida ha
tenido muchos seguidores en la pintura contempor‡nea. No s—lo entre nosotros
sino tambiŽn fuera del ‡mbito nacional, d—nde su pintura luminista de crom‡tico
46.
47.
Anonyme, ÒMr. Sorolla Here to Schow PaintingsÓ, New York Herald, New York,
25/01/1909.
Rafael DomŽnech, ÒEl arte de Sorolla y su triunfo en la AmŽrica del NorteÓ, El Liberal,
Madrid, 1909. Ç Il y a peu, un jeune ÒyankeeÓ vint ˆ Madrid ; un ami me le recommanda
afin que je lui montrasse les MusŽes. Nous arrivons ˆ celui dÕArt moderne et il me
demanda combien de tableaux de Sorolla sÕy trouvaientÉ Pour toute rŽponse je
lÕemmenai devant le tableau ÁAœn dicen que el pescado es caro! LÕAmŽricain lÕexamina
bien et aprs un long moment de silence il me dit : ÒCela ne fait pas partie de ce quÕil a
fait de mieux. O sont les autres ?Ó ÒIl nÕy a rien dÕautreÓ lui rŽpondis-je, ÒAh ! Nous
autres avons Otra Margarita, son premier grand succs nous avons Triste herencia, sa
mŽdaille dÕhonneur, ˆ Madrid, nous avons Ni–os jugando en la playa, un des plus
emblŽmatique de son Ïuvre tardive, et maintenant nous en avons achetŽ beaucoup
dÕautres, les meilleurs quÕil ait peint. È
III. La crŽation du MusŽe Sorolla : 1924-1939
156
zarpazo, provoc— la posible escuela. El ÒSorollismoÓ fue, a la vez, incitaci—n y
peligro. È48 La dernire observation de Benedito mŽrite un Žclairage. En effet, aux
ƒtats-Unis, cette peinture venue dÕEurope fut trs t™t perue comme un nouvel
acadŽmisme insupportable, comme le montre trs bien un cartoon humoristique de
Gus Mager (1878-1956) publiŽ par The Evening Journal, en avril 1909.49 Knocko,
le personnage principal, est un singe critique dÕart qui pourrait tre la caricature
du professeur de lՃcole des Beaux-Arts de Philadelphie, William Merrit Chase. Il
renvoie implacablement tous les tableaux que lui prŽsentent les jeunes peintres en
les jugeant toujours trop infŽrieurs ˆ ceux de Sorolla. Quand un novice exhibe
firement ce quÕil considre comme sa meilleure rŽalisation : Ç My masterpiece !
Tell me, ainÕt it great ? È Knocko rŽtorque avec dŽdain : Ç Tush ! Sorolla would
laugh at you ! È Mais ˆ la fin du gag, Knocko nՎchappe pas ˆ une bastonnade en
rgle.50
En France, non seulement il nÕy eut rien de comparable, mais les
ÒsorollistesÓ venus dÕEspagne pour tenter leur chance ne renourent pas avec la
rŽussite de leur ma”tre, pour des raisons probablement diverses. LÕune dÕelles
devait dŽpendre de lÕempreinte que celui-ci y avait laissŽe. En effet, pour les
peintres franais, la rŽussite ˆ Paris de cet Žtranger avait ŽtŽ particulirement mal
ressentie. LÕexposition Petit avait piquŽ au vif de nombreux artistes actifs dans la
capitale qui nÕaccŽdrent jamais ˆ une vitrine aussi prestigieuse ni ˆ de pareils
gains financiers. Paradoxalement, ce fut donc le glorieux passŽ du ma”tre qui,
dÕune certaine manire, barra la route de Paris ˆ ses disciples. Au Salon de 1912,
lÕenvoi de Mar’a Sorolla fut refusŽ, ˆ la surprise de son pre qui tenta aussit™t
dÕen dŽcouvrir les causes. Son ami Pedro Gil Moreno de Mora lui expliqua par
retour de courrier que quelques membres du jury avaient contre lui une rancÏur
persistante. Il nuanait ensuite son propos en invoquant les tensions politiques
entre la France et lÕEspagne provoquŽes par leurs prŽtentions respectives sur le
48.
49.
50.
Rafael Florez, ÒEl disc’pulo predilecto de Sorolla, habla de su maestro con motivo de la
exposici—n del Cas—n del RetiroÓ, D’game, Madrid, 26/03/1963. Ç Joaqu’n Sorolla a eu
beaucoup de continuateurs dans la peinture contemporaine. Non seulement parmi nous
mais aussi hors de la sphre nationale, o sa peinture luministe aux couleurs mordantes
ouvrit la voie ˆ une Žcole possible. Le ÒSorollismeÓ fut, tout ˆ la fois, incitation et
danger. È
Ciro Inafer, ÒKnocko the Monk as an Art CriticÓ, Evening Journal, New York, 3/04/1909.
Voir la figure n¡3. Le singe Knocko, critique dÕart (1909).
Ç Mon chef-dÕÏuvre ! Dites-moi un peu, nÕest-il pas excellent ? È Ç Bah ! Sorolla rirait de
toi ! È
III. La crŽation du MusŽe Sorolla : 1924-1939
157
Maroc. Car jusquÕau TraitŽ de Fez du 27 novembre 1912, les zones dÕinfluence
des deux pays nՎtaient pas encore Žtablies :
Te mandŽ la lista del jurado. No me gust— su composici—n pues hay muchos de ellos
que salen de lÕatelier Julian y all’ forman Ç une coterie È que no te quiere. Es m‡s,
ahora est‡n en Francia muy montados contra los espa–oles por los eventos de
Marruecos, ven que no pueden hacer lo que quieren con nosotros y est‡n furiosos.51
Pour en finir avec les causes de lՎchec du ÒsorollismeÓ, il faut rappeler
quÕaucun des disciples de Sorolla nÕatteignit, en Espagne, une rŽussite comparable
ˆ la sienne. Et quant ˆ la rŽussite de quelques-uns, elle se limita ˆ lÕExposition
Nationale et dŽpendait Žtroitement de son aura et de son influence. Les
ÒsorollistesÓ les plus tardifs prirent dÕautres voies au contact des mouvements
dÕavant-garde durant le bref Žpisode dÕouverture des annŽes trente, cÕest-ˆ-dire de
la proclammation de la Seconde RŽpublique jusquՈ lÕimplantation du rŽgime
franquiste. Durant cette pŽriode, un ouvrage franais intitulŽ La jeune peinture
espagnole fit conna”tre un petit groupe de jeunes peintres rassemblŽs autour de
Genaro Lahuerta (1905-1985) et de Pedro de Valencia (inc.-inc.), au fait des
courants ˆ la mode en France.52 Avant la Guerre Civile, le Cubisme et le
SurrŽalisme furent introduits ˆ Madrid par des peintres comme Benjam’n Palencia
(1894-1980), Francisco Bores (1898-1972) et Pancho Coss’o (1898-1970) qui
avaient rŽsidŽ et exposŽ ˆ Paris et avaient connu Pablo Picasso (1881-1973), Joan
Mir— (1893-1983) et le sculpteur Pablo Gargallo (1881-1934). En 1932, le
dessinateur Manuel Tovar (1875-1935) avait imaginŽ dans une vignette
humoristique la rencontre improbable entre Sorolla et lÕun dÕentre eux. Comme un
fant™me, le ma”tre pŽnŽtrait dans lÕatelier dÕun peintre surrŽaliste rappelant
vaguement celui dÕAndrŽ Breton (1896-1966). Au centre dÕune toile posŽe sur un
chevalet, on pouvait voir clairement les fesses dÕun corps disproportionnŽ entourŽ
de symboles primitifs. DŽconcertŽ, le vieux ma”tre posait la question suivante :
51.
52.
Facundo Tom‡s, Felipe Gar’n, Isabel Justo et Sof’a Barr—n, Epistolarios de Joaqu’n
Sorolla. I. Correspondencia con Pedro Gil Moreno de Mora, Barcelone, Anthropos,
2007, page 309. Ç Je tÕai envoyŽ la liste du jury. Je nÕai pas aimŽ sa composition parce
que plusieurs de ses membres sortent de lÕatelier Julian et ils forment lˆ-bas Òune coterieÓ
qui ne tÕaime pas. Par ailleurs, on est maintenant en France trs remontŽ contre les
Espagnols ˆ cause des ŽvŽnements du Maroc, ils voient quÕils ne peuvent pas faire ce
quÕils veulent de nous et ils sont furieux. È
La jeune peinture espagnole, Paris, Gallimard, 1935.
III. La crŽation du MusŽe Sorolla : 1924-1939
158
Ç ÀConoci— usted a Sorolla? È et le jeune surrŽaliste de rŽpondre : Ç S’, creo que
he o’do hablar de ŽlÉ Àno era un se–or millonario que ten’a la man’a de
pintar ? È53 cÕest-ˆ-dire : Ç Avez-vous connu Sorolla ? È Ç En effet, je crois avoir
entendu parler de luiÉ NՎtait-ce pas un monsieur millionaire qui avait la manie
de peindre ? È La rŽponse iconoclaste tranchait avec la dŽvotion des ÒsorollistesÓ
et rejoignait des critiques dŽjˆ exprimŽes il y a bien longtemps par Zuloaga,
Regoyos et des peintres qui avaient choisi une autre voie esthŽtique. En taxant le
peintre de bourgeois millionnaire dŽconnectŽ de la vie rŽelle, le dessinateur
restituait la vision de ces jeunes qui ne sÕidentifiaient plus ˆ la peinture radieuse
du Valencien. En se remŽmorant ce dŽbut des annŽes trente, un artiste interrogŽ
dans les annŽes soixante par Levante expliquait que la superficialitŽ et lÕidŽalisme
du monde vu par Sorolla Žtaient incompatibles avec les prŽoccupations du jeune
quÕil Žtait :
-
Es algo importante, Àsabes? Son los personajes. Los de Sorolla eran gente
feliz y sin problemas. A Sorolla no se le muri— nadie.
-
ÀNi el pescador que puso precio al pescado ?
-
Ni Žse, que no pas— de pura anŽcdota. No es que yo prefiera la gente
atormentada, pero el hombre tiene problemas y hay que captarlos [É] Hay
que meterse dentro del hombre y Sorolla se qued— en el umbral.54
Dans la presse de gauche comme de droite, les hommes qui avaient connu le
ma”tre se scandalisrent de ce quÕils interprŽtrent comme du mŽpris. Roberto
Castrovido nÕy voyait quÕune manire maladroite de revendiquer une certaine
ÒmodernitŽÓ : Ç Escribir mal de Sorolla y de Benlliure es para los necios un timbre
de modernidad. È55
AujourdÕhui le ÒsorollismeÓ reste ˆ la fois mal aimŽ et mal connu car une
Žtude de ce courant reste ˆ faire. Aucune exposition temporaire nÕa couvert le
53.
54.
55.
Tovar, ÀConoci— usted a Sorolla?, La Voz, Madrid, 13/06/1932. Figure n¡9. Avez-vous
connu Sorolla (1932).
Pons-Santiago, ÒCuatro opiniones sobre SorollaÓ, Levante, Valence, 23/02/1963. Ç - CÕest
quelque chose dÕimportant, tu sais ?, Je parle des personnages. Ceux de Sorolla Žtaient
des gens sans problmes. Sorolla nÕa fait mourir personne. / - Et quÕen est-il du pcheur
qui fit monter le prix du poisson ? / - Pas mme celui-lˆ, qui ne fut rien de plus quÕune
simple anecdote. Ce nÕest pas que je prŽfre les gens tourmentŽs, mais lÕhomme a ses
problmes et il faut les capter [É] Il faut rentrer ˆ lÕintŽrieur de lÕhomme et Sorolla est
restŽ sur le perron. È
Roberto Castrovido, ÒSorolla y BenlliureÓ, El Pueblo, Valence, 23/11/1932. Ç ƒcrire mal
de Sorolla et de Benlliure est, pour les niais, une preuve de modernitŽ. È
III. La crŽation du MusŽe Sorolla : 1924-1939
159
sujet dans son ensemble et il nÕexiste pas de catalogue raisonnŽ de lÕimmense
Ïuvre ÒsorollisteÓ. Les galeries dÕart et les maison de ventes aux enchres
espagnoles connaissent bien ces peintres car leurs tableaux se trouvent en nombre
dans leurs rŽserves. Or, jamais elles ne les prŽsentent sous la dŽsignation
infamante du ÒsorollismeÓ et prŽfrent les vendre sous lՎtiquette imprŽcise du
ÒluminismeÓ ou, plus simplement, comme des disciples de Sorolla. Le luminisme
est un terme gŽnŽrique qui englobe tous les courants de la lumire nŽs en Europe
dans le dernier tiers du XIXme sicle, des macchiaolis italiens aux
impressionnistes et jusquÕaux naturalistes scandinaves et ˆ des peintres Žcossais,
les Glasgow boys. JosŽ Mongrell est un des peintres les plus chers de ce marchŽ
des ÒdisciplesÓ et quelques-uns de ses tableaux majeurs sont dissŽminŽs dans de
prestigieuses galeries dÕart ˆ Barcelone, Valence et Madrid. En 2006, son tableau
Vuelta de la pesca a changŽ de mains pour cent soixante-dix mille euros lors
dÕune vente aux enchres londonienne.56 Ë lՎtranger, la grande majoritŽ de ces
peintres ne sont pas connus de sorte que leurs tableaux se vendent mal. Mais cela
pourrait changer, ainsi que lÕa laissŽ prŽsager lÕexposition monographique
itinŽrante de Salvador Tuset ˆ Valence, Alicante et New York, en 2007.57
Pour conclure, il faut signaler, comme les prŽmices dÕune possible
rŽŽvaluation du courant, que le MusŽe Sorolla a entrepris rŽcemment lÕarchivage
de documents textuels et iconographiques se rapportant ˆ ce sujet. Deux cartons
dÕarchives sont dŽjˆ disponibles ˆ la consultation. Ces sources pourraient, un jour,
constituer le point de dŽpart dÕun recensement exhaustif de ces artistes et de leurs
tableaux, et peut-tre dÕune premire Žtude sur le sujet. Par ailleurs, le ma”tre
possŽdait quelques tableaux de ses premiers disciples. De toute Žvidence, Sorolla
Žtait un collectionneur comme beaucoup dÕartistes lÕon ŽtŽ avant lui. On pense ˆ
Francesco Squarcione (1397-1468), ma”tre de Mantegna, qui collectionnait les
Antiques. Le Valencien rŽunit une importante collection de sculptures parmi
lesquelles figurent un Antique romain provenant des fouilles de C‡stulo, un bas
relief du IIIme sicle reprŽsentant un Mercure romain, une Vierge ˆ lÕenfant
polychrome du XVme sicle et dÕautres sculptures anciennes. De ses
contemporains, il collectionnait Auguste Rodin, Paul Troubetzkoy (1866-1938),
56.
57.
Jacques-Armand Akoun, Akoun 2011, Paris, La cote des peintres, 2011, page 1128.
Anonyme, ÒNueva York descubre la obra de Salvador Tuset, disc’pulo de SorollaÓ,
heraldo.es, 25/05/2007.
III. La crŽation du MusŽe Sorolla : 1924-1939
160
JosŽ Capuz et exposait dans la maison madrilne des nus fŽminins de sa fille
Elena. Sorolla admirait la sculpture classique, en particulier les frises du
ParthŽnon et la Victoire de Samothrace, dont il possŽdait une reproduction en
pl‰tre dans son atelier. Il rvait, semble-t-il, de sculpter lui-mme, ce quÕil ne fera
jamais. En 1913, Il avait indiquŽ ˆ Huntington son intention de rŽaliser un buste
dÕAlphonse XIII pour lÕoffrir ˆ lÕHispanic Society mais ce projet ne verra pas le
jour. Par ailleurs, il collectionnait la cŽramique, les bijoux anciens et accumula
une soixantaine de tableaux en plus des siens. On retrouve les noms de peintres
quÕil admirait, comme Joaqu’n Agrasot, JosŽ Benlliure y Gil, Aureliano de
Beruete, Francisco Domingo MarquŽs, Mariano Fortuny, Ignacio Pinazo, Mart’n
Rico Ortega (1833-1908), Casimiro Sainz (1853-1898), John Singer Sargent, Frits
Thaulow (1848-1906), Benigno Vega-Incl‡n, Anders Zorn et quelques autres. Il
ne possŽdait pas de tableaux anciens ˆ lÕexception dÕun panneau anonyme,
probablement peint au XVme sicle, reprŽsentant une vierge ˆ lÕenfant ainsi quÕun
San BartolomŽ qui pourrait tre lÕÏuvre dÕun disciple de JosŽ de Ribera.
De ses disciples, Sorolla possŽdait huit toiles : un paysage de Teodoro
Andreu, Barca en la playa et Figuras holandesas de Manuel Benedito, Paisaje de
As’s de Pepino Benlliure, Pescadores en la barca de Carlos Lezcano (1871-1929),
Estudio para el mercado. Extremadura de Santiago Mart’nez, Escena de mercado
de JosŽ Mongrell et Cabeza masculina de Cadwallader Lincoln Washburn (18661965).
Tous
figurent
aujourdÕhui
dans
les
collections
du
MusŽe
Sorolla.58 Certaines de ces peintures sont tellement semblables aux siennes
quÕelles pourraient tre confondues, ce qui laisse penser que le ma”tre aimait sans
doute reconna”tre sa ÒpatteÓ chez ceux quÕil formait. Il est frappant, par ailleurs,
de rencontrer une Žtude pour Visi—n de Espa–a attribuŽe ˆ son Žlve andalou
Santiago Mart’nez qui lÕaccompagna lors de son voyage en EstrŽmadure. Cela
pourrait vouloir dire que le ma”tre associa son Žlve au panneau quÕil Žtait en train
de prŽparer. Le jeune peintre Žtait donc, vraisemblablement, celui qui aurait
terminŽ la commande si Sorolla Žtait mort avant son achvement. Tous les
peintres que lÕon vient de citer ont eu une relation trs Žtroite avec lui. Pepino
Benlliure, Manuel Benedito et Teodoro Andreu Žtaient considŽrŽs comme des fils
58.
Cat‡logo de pintura del Museo Sorolla, Madrid, Ministre de lՃducation, de la Culture
et des Sports, 2002, tome II. pages 387-413.
III. La crŽation du MusŽe Sorolla : 1924-1939
161
et Žtaient reus par la famille qui leur offrait le g”te et le couvert durant leurs
sŽjours ˆ Madrid.59
59.
Francisco Mart’n Caballero, ÒHablando con D. Joaqu’n Sorolla en su estudioÓ, La
Correspondencia de Valencia, Valence, 11/09/1913.
III. La crŽation du MusŽe Sorolla : 1924-1939
162
III.2. QUEL MUSƒE POUR SOROLLA ?
Le MusŽe Sorolla, premier musŽe monographique de Madrid, est inaugurŽ
dans lÕancienne demeure familiale le 11 juin 1932. Les Sorolla possdaient une
rŽsidence dՎtŽ, la Villa Coliti ˆ Cercedilla, un village de montagne situŽ entre
Madrid et SŽgovie. Par ailleurs, durant ses sŽjours ˆ Valence, le peintre louait une
maison face ˆ la plage de la Malvarrosa, la Casa Blanca. Mais cÕest logiquement
la maison-atelier de Madrid, rŽsidence principale de la famille, qui accueille le
MusŽe Sorolla. Cet ŽvŽnement couronne les dŽmarches commencŽes par la veuve
et les enfants du peintre qui sont en quelque sorte les Ògardiens du templeÓ.
Depuis cette Žpoque, tout ce qui touche ˆ lÕÏuvre de Sorolla est imbibŽ de lÕesprit
de sa famille et de ses descendants. Il faut prŽciser, avant dÕaller plus loin, que
lÕidŽe de la fondation dÕun musŽe Žtait ancienne. Sorolla avait souhaitŽ que les
tableaux accrochŽs dans son atelier ne fussent pas dispersŽs, mais il nÕavait jamais
dit explicitement son dŽsir de constituer un musŽe dans les murs de sa propriŽtŽ. Il
avait probablement une idŽe trs claire du devenir de ses biens mais il ne pouvait
pas prendre le risque de provoquer lÕindignation des Valenciens qui, bien entendu,
pouvaient sÕattendre ˆ accueillir au moins une partie de sa collection privŽe.
Pourtant, la mue de la demeure madrilne en MusŽe Sorolla devait tre une sorte
de Òsecret de PolichinelleÓ car la conception et lÕamŽnagement de cette maison ne
laissait planer aucun doute quant ˆ sa future conversion musŽale, comme on le
verra plus avant. Il convient donc, tout dÕabord, dÕapporter quelques prŽcisions
concernant cet Ždifice. Nous dŽcrirons ensuite les diffŽrentes Žtapes qui
jalonnrent la fondation de ce musŽe jusquՈ la veille de son inauguration, car cet
ŽvŽnement sera traitŽ sŽparŽment.
En novembre 1905, le peintre avait achetŽ ˆ la duchesse de Marchena un
terrain dans le nouveau quartier madrilne huppŽ, Chamber’, qui se situait ˆ
lՎpoque ˆ la limite septentrionale de la ville.60 Puis avec lÕargent gagnŽ aux
ƒtats-Unis, il acheta un deuxime terrain, attenant au premier, avant de confier la
conception dÕune maison bourgeoise ˆ lÕun des architectes les plus en vue ˆ
lՎpoque, Enrique Mar’a RepullŽs (1845-1922). LÕarchitecte de la Maison Royale
60.
La casa de Sorolla. Dibujos, Madrid, Ministerio de Cultura, 2007, page 10.
III. La crŽation du MusŽe Sorolla : 1924-1939
163
et des riches particuliers de la capitale venait dÕentamer les travaux de
rŽhabilitation de la maison de Mariano Benlliure, dans le mme quartier.61 La
commande de Sorolla fut pour RepullŽs un projet difficile ˆ conduire car le
peintre dessina lui-mme la maison Ð faades et intŽrieurs Ð et les trois jardins,
ainsi que lÕa rŽcemment mis en Žvidence lÕexposition temporaire La casa de
Sorolla. Dibujos (2007). LÕarchitecte dŽposa ˆ la mairie de Madrid un premier
projet en fŽvrier 1910, mais il dut par la suite le revoir compltement car le
peintre avait une idŽe trs prŽcise de ce quÕil voulait et resta ˆ tous moments le
seul ma”tre dÕÏuvre. Les plus anciens croquis du peintre remontent ˆ 1905. Il
dessina une maison dÕun Žtage en forme de ÒLÓ comprenant, au rez-de-chaussŽe,
trois grands ateliers en galerie afin de faciliter lÕexposition et la visite de la
collection.62 Les chambres occupaient le bel Žtage. Si lÕintŽrieur de la maison
Žvolua peu, il nÕen fut pas de mme de la faade. Ë lÕorigine, Sorolla lÕimagina
trs sobre dans le style castillan mais le dessin Žvolua vers lÕhistoricisme, toujours
ˆ la mode. Puis son dessin se simplifia ˆ nouveau et la maison gagna finalement
un Žtage indispensable au logement des domestiques. La construction commencŽe
en juillet 1910 sÕacheva en octobre 1911 et la famille emmŽnagea avant la fin de
lÕannŽe. Il est intŽressant de souligner que, ds la fin des travaux, lÕaspect musŽal
de la maison fut dŽjˆ relevŽ par les rares journalistes autorisŽs ˆ la visiter. Dans le
premier article consacrŽ ˆ ce lieu, en dŽcembre, Federico Garc’a Sanch’s ne parlait
pas dÕune maison, mais bel et bien dÕun musŽe qui ne lՎtait pas encore.63 Il y
retournera bien des annŽes plus tard et, en se remŽmorant sa premire visite, il
livrera la description suivante :
El taller. Sigue en sus proporciones de hangar y en su bric a brac, con la panoplia de
armas antiguas, las tanagras, la caja de mariposas tropicales. Unos viejos estandartes
cuelgan de una viga que cruza. Reconozco la otomana con baldaqu’n en que
descansaba o so–aba el heroico trabajador; junto a ella se yergue la Senyera del
Reino de Valencia, dando al cubierto sof‡ un aire de tienda de capit‡n. Por el suelo,
61 .
62.
63.
IbidemÉ page 10.
Enrique Mar’a RepullŽs, Plano de la planta principal de la Casa Sorolla, 78Õ6x61Õ2,
Madrid, Museo Sorolla, 1911.
Federico Garc’a Sanch’s, ÒDe cerca, Ave CŽsarÓ, La Noche de Madrid, Madrid,
29/12/1911.
III. La crŽation du MusŽe Sorolla : 1924-1939
164
tapices encantadoramente descoloridos. Y en los muros, y en los caballetes, y por
los rincones, cuadros, cuadros, cuadros.64
LÕarticle ne faisait pas encore mention des espaces extŽrieurs qui
deviendront, par la suite, un lieu dÕexposition en plein air. Sorolla imagina,
dessina et planta lui-mme un jardin dÕinspiration andalouse et y installa plusieurs
sculptures dont un antique romain provenant des fouilles archŽologiques de la citŽ
romano-ibre de C‡stulo.65 Pour la dŽcoration extŽrieure, il associa des azulejos
valenciens de Manises, et sŽvillans, de Triana. LÕintŽrieur de la maison continua ˆ
sÕenrichir dÕÏuvres permanentes en recevant une frise peinte sur les murs de la
salle ˆ manger autour du thme des rŽcoltes du verger. Il dessina Žgalement des
croquis et peignit plusieurs Žbauches pour un autre dŽcor plus ambitieux,
apparemment des allŽgories de Valence. LÕensemble devait orner les trois murs de
la montŽe dÕescalier mais il ne verra jamais le jour.66
En 1912, le peintre utilisa les grands espaces dont il disposait pour y
organiser la premire exposition posthume de lÕÏuvre dÕAureliano de Beruete. Il
fit Žditer un catalogue de cette exposition et obtint du roi quÕil la visit‰t afin de lui
donner un caractre officiel. Outre ses expŽriences en tant quÕexposant, le peintre
avait quelques connaissances musŽologiques. Comme il a ŽtŽ dit en introduction,
Sorolla Žtait un ami intime du collectionneur Benigno de la Vega Incl‡n qui fonda
la Maison-musŽe du Greco de Tolde (1911), la Maison Cervants de Valladolid
(1912) et le MusŽe Romantique de Madrid (1921), qui sont aujourdÕhui trois des
vingt-quatre MusŽes Nationaux espagnols.67 Aux c™tŽs du collectionneur, il
sÕinvestit personnellement dans la fondation du premier. Cette expŽrience lÕincita
64.
65.
66.
67.
Federico Garc’a Sanch’s, ÒSorolla en el PradoÓ, ABC, Madrid, 26/02/1944. Ç LÕatelier. Il
affiche toujours des proportions de hangar et renferme le mme bric-ˆ-brac, toute la
panoplie des armes anciennes, les figurines de Tanagra, la bo”te aux papillons tropicaux.
De vieux Žtendarts pendent accrochŽs ˆ une poutre traversante. Je reconnais le lit turc
avec son baldaquin dans lequel lÕhŽro•que travailleur se reposait ou rvait ; ˆ c™tŽ, se
dresse la Senyera du Royaume de Valence, offrant au canapŽ ainsi recouvert un air de
tente de gŽnŽral. Sur le sol, des tapis aux charmantes couleurs passŽes. Et sur les murs, et
sur les chevalets, et dans tous les coins, des tableaux, des tableaux et encore des
tableaux. È
Hip—lito T’o, ÒC—mo har’a un periodista de hoy una entrevista de SorollaÓ, Levante,
Valence, 7/06/1957.
Le MusŽe Sorolla conserve trois panneaux, tous datŽs de 1911 : Boceto para la
decoraci—n de la escalera de la casa Sorolla, 99x186, Proyecto de decoraci—n de la
escalera de la casa Sorolla, 39Õ7x103 et Proyecto de decoraci—n de la escalera de la
casa Sorolla, 62x115.
Mar’a Luisa MenŽndez Robles, El marquŽs de la Vega Incl‡n y los or’genes del turismo
en Espa–a, Madrid, Ministerio de Industria, Turismo y Comercio, 2006, page 13.
III. La crŽation du MusŽe Sorolla : 1924-1939
165
peut-tre ˆ prendre lui-mme des dispositions concernant la conservation et la
protection de son propre patrimoine. En 1913, cÕest-ˆ-dire lÕannŽe suivante,
Sorolla indiqua clairement au journaliste Francisco Mart’n Caballero son intention
de confier ses tableaux, ses livres, ses documents personnels, ses objets dÕart,
ainsi que sa correspondance privŽe, ˆ un musŽe existant Ð peut-tre pensait-il au
MusŽe des Beaux-Arts de Valence Ð ou crŽŽ ˆ cet usage.68 Selon Manuel
Gonz‡lez Mart’, il avait lÕintention de faire construire une villa ˆ Valence et, au
cours dÕune conversation privŽe, il estima pouvoir sÕatteler ˆ cette t‰che vers
soixante-cinq ans Ð un ‰ge quÕil nÕatteindra jamais Ð : Ç Dejad que cumpla 65
a–os y realice mi sue–o dorado: construir un gran edificio para vivir en Žl,
instalando all’ mis obras y mis recuerdos de triunfos y viajes por el mundo y morir
aqu’, en Valencia. Para ese edificio he comprado ya la portada del palacio de las
Plater’as de Madrid. È69 En janvier 1914, La Ilustraci—n Espa–ola consacra au
peintre valencien un numŽro spŽcial dans sa sŽrie ÒNuestros grandes artistas
contempor‡neosÓ.70 Les lecteurs de la revue dŽcouvrirent alors douze
photographies de la maison. Les trois ateliers tendus de brocart et baignŽs par la
lumire naturelle depuis une large verrire zŽnithale ressemblaient aux salons des
galeries dÕart. De plus, tous les tableaux Žtaient dŽjˆ encadrŽs et accrochŽs,
comme si le lieu Žtait dŽjˆ ouvert ˆ la visite. Plus tard, autour de 1915, le critique
JosŽ FrancŽs fut reu par Sorolla et, alors quÕils parcouraient ensemble les
ateliers, il sembla Žvident aux yeux du critique que la maison Žtait destinŽe ˆ
devenir un musŽe :
68.
69.
70.
Francisco Mart’n Caballero, ÒHablando con D. Joaqu’n Sorolla en su estudioÓ, La
Correspondencia de Valencia, Valence, 11/09/1913.
Pelejero, ÒUsted que conoci— a Sorolla, d’ganos Àc—mo era ?Ó, Levante, Valence,
17/09/1959. Ç Attendez que jÕatteigne 65 ans et que je rŽalise mon plus grand rve :
construire un grand Ždifice pour y vivre, en y instalant mes Ïuvres et les souvenirs de
mes voyages et de mes succs de par le monde et mourir lˆ, ˆ Valence. Pour cette
construction, jÕai dŽjˆ achetŽ le portail du Palais des Orfvres de Madrid. È
Rafael DomŽnech, ÒJoaqu’n SorollaÓ, La Ilustraci—n Espa–ola y Americana, Madrid,
30/01/1914.
III. La crŽation du MusŽe Sorolla : 1924-1939
166
-
Esta casa ser‡ un museo Ð le dije.
-
ÁOjal‡! Ð contest— con aquella su voz clara cantarina de aes abiertas Ð. Me gustar’a
que lo pareciese ahora, y que el d’a de ma–ana lo fuese sin parecerlo.71
Le journal intime de Archer M. Huntington porte la trace dÕune visite de la
maison effectuŽe en compagnie du ma”tre, en janvier 1918 : Ç We went over each
picture slowly and explored the house in detail. He is very proud of the house &
calls it is His[panic] Soc[iety]. He has a dream of its future as a S[orolla] museum
& I think something of the kind may be brought about one of these days, but I
hope in the distant future. È72 LÕhispanophile redoutait visiblement deux choses.
DÕune part, que lÕartiste ne dŽpens‰t trop dՎnergie dans un autre projet que le
sien parce quÕil nÕavait pas encore terminŽ Visi—n de Espa–a et que son Žtat de
santŽ lui inspirait les plus vives inquiŽtudes. DÕautre part, il pouvait craindre que
ce musŽe nÕentr‰t en concurrence directe avec sa propre collection dŽjˆ ouverte au
public et qui, ˆ lՎpoque, nÕavait pas dՎquivalent dans le monde.
Pour toutes les raisons ŽvoquŽes, le MusŽe Sorolla sera davantage une
conversion quÕune crŽation de A ˆ Z et, mme si le peintre ne fit pas de testament
et ne prit aucune disposition juridique de son vivant allant de ce sens, sa veuve
prŽcisera dans son testament les conditions et les dŽtails dÕune importante
donation ˆ lՃtat. Ses trois enfants et les cinq exŽcuteurs testamentaires se
chargeront ensuite de conduire le projet jusquՈ sa complte rŽalisation, ainsi
quÕon va le voir maintenant.
En aožt 1923, au lendemain de la mort du peintre, la dŽcision de
transformer la maison en musŽe Žtait dŽjˆ arrtŽe, comme le montre une lettre du
roi publiŽe rŽcemment par lÕhistorienne Mar’a Luisa MenŽndez Robles,
spŽcialiste du marquis de la Vega Incl‡n et ex-directrice du MusŽe Romantique de
Madrid. Apparemment, le marquis aurait ŽtŽ consultŽ par Clotilde Garc’a del
71.
72.
JosŽ FrancŽs, ÒLa elocuente nostalgia de la Casa SorollaÓ, Cr—nica, Madrid, 3/07/1932.
Ç - Cette maison sera un musŽe, lui dis-je. / - Pourvu quÕil en soit ainsi, rŽpondit-il de sa
voix stentor. JÕaimerais que cela en ait lÕair aujourdÕhui et que, demain, ce le fžt sans en
avoir lÕair. È
Extraits du journal intime de Archer M. Huntington in Sorolla y la Hispanic Society,
Madrid, Museo Thyssen Bornemisza, 1998, page 416. Ç Nous avons lentement examinŽ
chacun des tableaux et explorŽ la maison. Il en est trs fier et lÕappelle son Hispanic
Society. Il rve quÕelle devienne un musŽe Sorolla et je crois quÕun jour il pourrait en tre
ainsi mais jÕespre que cela arrivera dans un avenir lointain. È
III. La crŽation du MusŽe Sorolla : 1924-1939
167
Castillo et, ˆ son tour, il informa Alphonse XIII du projet. Voici la rŽponse du
souverain datŽe du 14 aožt et qui figure dans les archives du MusŽe Romantique :
Recibo tu telegrama en el que inspir‡ndote en tu gran admiraci—n que como sabes
comparto siempre por Sorolla y por su obra inmortal propones la formaci—n de un
Museo de sus cuadros. Puedes comprender con cuanta simpat’a acojo yo esta idea
que como todo lo que tienda a honrar y perpetuar la gloriosa memoria del artista que
todos lloramos.73
En aožt 1924, ˆ lÕoccasion du premier anniversaire de la mort de Sorolla, le
reporter de El Mercantil Valenciano, JosŽ Ballester y Gozalvo (1893-1970),
manifestait son Žtonnement aprs avoir vu de ses propres yeux le trŽsor artistique
conservŽ dans les murs de la maison familiale :
Pero al entrar en este almacŽn, ante la realidad de los hechos, siente uno
insignificante el concepto que de ella hab’amos formado. Sorolla ha vendido mucho;
quiz‡s sea el pintor espa–ol que m‡s obras tiene esparcidas por el mundo. Pues bien;
adem‡s de eso, su estudio de Madrid tiene almacenadas m‡s de mil doscientas obras
de todos tama–os. Parece como si Sorolla hubiera guardado sin querer desprenderse
de ella, la producci—n de toda su vida.74
Aprs cette visite, effectuŽe en compagnie du peintre Manuel Benedito,
Ballester y Gozalvo affirmait que plus de mille deux cent toiles sÕy trouvaient
alors. ƒvidemment, la collection sera ensuite divisŽe en quatre parts
correspondants ˆ lÕhŽritage de la veuve et des trois enfants. Sans tenir compte de
ce partage, le journaliste demandait ˆ lՃtat dÕacheter la villa avec tous ses biens
73 .
74.
Mar’a Luisa MenŽndez Robles, ÒSorolla, Benlliure y el segundo marquŽs de la VegaIncl‡n: Interacciones amistosas y art’sticasÓ in Mariano Benlliure y Joaqu’n Sorolla.
Centenario de un homenaje, Valence, Generalitat Valenciana, 2000, pages 69. Ç Je reois
ton tŽlŽgramme dans lequel, fidle ˆ ton immense admiration pour Sorolla et pour son
Ïuvre immortelle Ð que je partage Ð tu proposes de constituer un musŽe ˆ partir de ses
tableaux. Tu dois bien comprendre avec quelle symapthie jÕaccueille cette idŽe, comme
tout ce qui tend ˆ honorer et faire vivre le glorieux souvenir de lÕartiste que nous pleurons
tous. È
JosŽ Ballester y Gozalvo, ÒEl templo abandonadoÓ, El Mercantil Valenciano, Valence,
9/08/1924. Ç Mais en entrant dans cette rŽserve, face ˆ la rŽalitŽ des choses, dÕaucun
comprend combien lÕidŽe quÕil sÕen Žtait faite mŽrite dՐtre rŽŽvaluŽe. Sorolla a vendu
beaucoup ; il est peut-tre le peintre ayant le plus dÕÏuvres ŽparpillŽes de par le monde.
Eh bien, en plus de cela, les rŽserves de son atelier de Madrid renferment plus de mille
deux cent Ïuvres de tous les formats. CÕest comme si Sorolla avait gardŽ, sans jamais
avoir voulu sÕen dŽfaire, la production de toute une vie. È
III. La crŽation du MusŽe Sorolla : 1924-1939
168
mobiliers afin de fonder un musŽe qui serait ensuite ouvert au public. Le mme
jour, La Voz Valenciana publia un numŽro spŽcial contenant une dizaine dÕarticles
consacrŽs au peintre disparu, pour le premier anniversaire de sa mort.75 Ë cette
occasion, Mariano Benlliure, Antonio Mu–oz Degrain, Cecilio Pl‡ et dÕautres
artistes qui avaient bien connu Sorolla collaborrent avec la rŽdaction du journal.
Le peintre Vicente Navarro regrettait que Madrid nÕait pas un MusŽe Sorolla sur
le modle du MusŽe Rodin de Paris, installŽ depuis 1919 dans lÕh™tel particulier
du sculpteur. Toutefois, dans la ville natale du peintre, cette idŽe suscita quelques
rŽticences car tous les observateurs valenciens ne consentirent pas ˆ laisser ˆ
Madrid le bŽnŽfice dÕune telle institution. Naturellement, sans un projet local le
souvenir de Sorolla finirait par Žchapper ˆ la ville. Ë partir de ce constat, deux
idŽes allaient voir le jour concomitamment ˆ Valence : la crŽation dÕun musŽeŽcole et lՎdification dÕun monument public commŽmoratif.
Dans La Voz de Valencia, un journaliste soulignait que le premier
anniversaire de la mort du peintre avait fait lÕobjet dÕune commŽmoration ˆ
SŽville, o un buste du peintre avait ŽtŽ installŽ dans le Jardin des DŽlices.76 La
chose Žtait dÕautant plus regrettable pour lÕobservateur que le buste Žtait lÕÏuvre
dÕun sculpteur valencien, JosŽ Capuz (1884-1964). Dans la presse valencienne,
lÕimage dÕune ÒdetteÓ morale non acquittŽe se propagea pour dire lÕingratitude de
la ville envers celui quÕelle avait fait son citoyen dÕhonneur. LÕimage traversera
tant et si bien les Žpoques, quÕil en reste encore aujourdÕhui des rŽminiscences,
ainsi quÕon le verra plus avant.
Ë Valence, rien de semblable nÕavait ŽtŽ fait car un conflit opposait la
municipalitŽ aux nombreux partisans de lՎdification dÕun monument sur la plage
de La Malvarrosa. Ë dessein, Mariano Benlliure avait offert ˆ la ville un buste du
peintre en marbre blanc. Selon lui, le bord de mer devait accueillir sa sculpture car
son compatriote y avait peint ses meilleurs tableaux. Mais un an plus tard, le
projet nÕavait toujours pas avancŽ, si bien quՈ lÕoccasion du premier anniversaire
de la mort du peintre, Benlliure menaa de retirer la sculpture dans une lettre
ouverte adressŽe au maire de la ville, Luis Oliag Miranda (1861-1933).77 Il y
75.
76.
77.
Vicente Navarro, ÒLa casa de SorollaÓ, La Voz Valenciana, Valence, 9/08/1924.
Jaime Mariscal de Gante, ÒUn recuerdo a SorollaÓ, Voz de Valencia, Valence,
11/08/1924. Figure n¡7. Hommage des artistes sŽvillans ˆ D. Joaqu’n Sorolla (1924).
Mariano Benlliure, ÒUna carta de Mariano BenlliureÓ et Luis Oliag Miranda, ÒEl alcalde
contesta a Mariano BenlliureÓ, El Mercantil Valenciano, Valence, 23/11/1924.
III. La crŽation du MusŽe Sorolla : 1924-1939
169
exposait dÕabord sa vision de ce monument, composŽ dÕun buste posŽ sur un socle
simple et solide, le tout faisant face ˆ la mer. Puis il prŽcisait, comme une mise en
garde, que le marbre, qui Žtait alors prŽsentŽ dans une exposition vŽnitienne,
intŽressait le MusŽe dÕArt Moderne de Madrid qui, affirmait-il, dŽsirait lÕinstaller
dans les jardins qui longent lÕavenue de la Castellana. Dans la rŽponse quÕil
adressa au journal, le maire accŽda ˆ toutes les requtes du sculpteur en
promettant de commencer les dŽmarches en concertation avec les deux
institutions des Beaux-Arts de la ville : lÕAcadŽmie de San Carlos et le Cercle des
Beaux-Arts. Un concours fut donc convoquŽ et des avant-projets furent prŽsentŽs,
mais les choses en restrent-lˆ. Si bien que trois ans plus tard, le journaliste
Francisco Almela y Vives (1903-1967) ironisait encore sur cet Žpisode sans
lendemain : Ç [É] los anteproyectos estuvieron expuestos muchos d’as, hasta que
cambiaron el color blanco de la escayola por el color gris y tostado del polvo. Y
en este resultado inane influy— no poco el hecho de que ningœn anteproyecto
satisficiera plenamente. È78 LÕauteur expliquait que les maquettes nÕavaient pas
apportŽ entire satisfaction aux Ždiles, mais il ajoutait plus loin que la
municipalitŽ rejetait lÕidŽe dÕinstaller le monument dans une zone non urbanisŽe
et exposŽe aux temptes hivernales, un argument dont on comprendra toute la
pertinence plus loin dans ce chapitre. La municipalitŽ se vit ensuite offrir une
deuxime sculpture reprŽsentant la main droite de Sorolla tenant un pinceau,
Ïuvre du sculpteur Ricardo Causar‡s Casa–a (1875-1953). Il en avait rŽalisŽ le
moule directement sur la main de lÕartiste en 1901, lÕannŽe o il dŽcrocha la
MŽdaille dÕHonneur. En aožt 1930, lÕassociation des Valenciens de Barcelone
avait financŽ un coulage de ce moule en argent, bien quÕil aurait ŽtŽ initialement
question, nous dit-on, dÕun coulage en or.79 La ville avait donc au moins deux
Ïuvres commŽmoratives ˆ sa disposition, mais toujours pas le moindre
monument !
Cette situation ubuesque et le dŽlai anormal pour ce type de projet mit en
Žvidence la passivitŽ des autoritŽs locales, sous la dictature de Primo de Rivera
78.
79.
Francisco Almela y Vives, ÒMonumentos en honor de Joaqu’n SorollaÓ, La Voz, Madrid,
27/09/1927. Ç Les avant-projets furent exposŽs plusieurs jours, jusquՈ ce que la couleur
immaculŽe du pl‰tre vire au gris de lin de la poussire. Et le fait quÕaucun des projets ne
donn‰t entire satisfaction explique en grande partie ce bilan infructueux. È
Anonyme, ÒLa mano de Joaqu’n SorollaÓ, La Voz, Madrid, 11/08/1930 et Enrique
Gonz‡lez Fiol, ÒLa mano de plata de Sorolla, mano votivaÓ, La Esfera, Madrid,
21/08/1930.
III. La crŽation du MusŽe Sorolla : 1924-1939
170
car, pour contr™ler le territoire, il avait dŽmis de leurs fonctions les maires en les
remplaant par des officiers. Le plus probable est que ceux-ci ne firent aucun cas
du dossier car il Žtait portŽ par les rŽpublicains ; cÕest en tout cas ce que semble
montrer la suite de lÕaffaire. En effet, Mariano Benlliure et tous les artistes et
intellectuels qui avaient apportŽ leur soutien au premier projet persŽvŽrrent
jusquՈ le faire aboutir tel quÕils imaginaient et le nÏud gordien fut enfin tranchŽ
aprs la proclammation de la Seconde RŽpublique, en avril 1931. Le premier
maire de lՏre rŽpublicaine, Vicente Alfaro Moreno (1902-1974) du Parti de
lÕUnion RŽpublicaine Autonomiste (PURA) porta le projet jusquՈ son terme en
un temps trs court. Ds le mois de juin 1932, ˆ lÕoccasion de lÕinauguration du
MusŽe Sorolla de Madrid, le prŽsident de la commission municipale des
monuments de Valence, Enrique Dur‡n y Tortajada (1883-1947), annona que les
travaux avaient commencŽ.80
Paralllement aux dŽbats concernant la nature et lÕemplacement du
monument, lÕidŽe dÕun MusŽe Sorolla de Valence avait fait son chemin durant le
mme laps de temps. Alors quÕen 1927 le projet mŽmoriel semblait dans
lÕimpasse, Eduardo de Santiago y Carri—n avana lÕidŽe de la crŽation dÕun
ÒmusŽe-ŽcoleÓ consacrŽ ˆ lÕÏuvre de Sorolla.81 La proposition souleva tellement
dÕenthousiasme dans la presse locale quÕelle fut bient™t ŽtoffŽe par toutes sortes
de suggestions. Pour Emilio Fornet de Asensi (1898-1985), celui-ci devait
occuper la Òmaison blancheÓ, la modeste demeure dans laquelle le peintre avait
sŽjournŽ chaque fois quÕil avait travaillŽ sur la plage de la Malvarrosa.82 Le
ÒmusŽe-ŽcoleÓ ne laissa pas indiffŽrente la presse conservatrice comme le montre
un article publiŽ dans Las Provincias. Luis de Galinsoga (1891-1967) voyait dans
ce projet une sorte de rempart qui prŽserverait les artistes valenciens de
lÕinfluence des Avant-gardes.83 Mais cette proposition rŽtrograde, qui visait ˆ
raviver le passŽ sorolliste de la ville, dŽclencha la colre dÕEmilio Fornet de
Asensi, qui qualifiait son confrre dÕÒanti-avant-gardisteÓ. Dans lÕesprit de ce
journaliste, la vocation du ÒmusŽe-ŽcoleÓ nՎtait pas de sÕopposer aux nouvelles
80.
81.
82.
83.
Anonyme, ÒInauguraci—n del Museo SorollaÓ, Diario de Valencia, Valence, 12/06/1932.
Eduardo de Santiago y Carri—n, Ò?Ó, El Imparcial, 09 ou 10/1927. Article citŽ in Emilio
Fornet de Asensi, Ò!Sol + !Sorolla = ValenciaÓ, La Correspondencia de Valencia,
Valence, 26/06/1927.
Emilio Fornet de Asensi, ÒLevante - ValenciaÓ, La Correspondencia de Valencia,
Valence, 1927.
Luis de Galinsoga, [?], Las Provincias, Madrid, 1927.
III. La crŽation du MusŽe Sorolla : 1924-1939
171
tendances mais au contraire de les accompagner en les mettant en contact avec
lÕÏuvre du ma”tre.84 Pour signifier les dangers dÕune admiration excessive des
gloires du passŽ, il paraphrasait dans sa rŽponse le titre dÕun ouvrage de Joaqu’n
Costa devenu proverbial, Crisis pol’tica de Espa–a. Doble llave al sepulcro del
Cid85 :
Pero es que Luis de Galinsoga viene a decirnos que sea Sorolla y su recuerdo en
Valencia como un talud que preserve a los artistas valencianos de la oleada de
modernidades. Y eso, no. [É] ÁO es que tendremos que soltar la irreverencia
tremenda de que se den dos vueltas a la llave del sepulcro de Sorolla, como se dice
del de El Cid ! 86
Le 13 octobre 1927, Santiago y Carri—n rŽpondit aux deux journalistes dans
lÕespoir de concilier leurs points de vue divergents87. Mais quelques jours plus
tard, par journaux interposŽs, Galinsoga rŽpondait violemment ˆ Fornet, rŽduisant
davantage la faisabilitŽ de cette institution nouvelle qui nÕen Žtait pourtant quÕau
stade dÕidŽe.88 Sans entrer davantage dans les dŽtails de ce dŽbat sur lequel les
sources ne manquent pas, il faut souligner quՈ lÕimage du monument, qui avait
mis aux prises les deux bords politiques de la ville, le musŽe-Žcole divisa
pareillement, illustrant une fois encore deux visions du peintre opposŽes. Elles
coexisteront jusquՈ la guerre civile, aprs quoi le camps victorieux imposera sa
propre perception et les choses en resteront lˆ au moins jusquՈ la transition
dŽmocratique.
LÕenthousiasme soulevŽ par lÕidŽe dÕun musŽe-Žcole retomba et finit par
dispara”tre compltement le 5 mars 1929, le jour o la nouvelle de la fondation du
MusŽe Sorolla se rŽpandit. DÕun coup, elle ensevelit les espoirs des Valenciens
car la collection familiale semblait vouŽe ˆ rester entre les murs de la villa
84.
85.
86.
87.
88.
Emilio, Fornet ÒLevante. ValenciaÓ, La Correspondencia de Valencia, Valence, 1927.
Joaqu’n Costa, Crisis pol’tica de Espa–a. Doble llave al sepulcro del Cid, Madrid,
Biblioteca Costa, 1914.
E. Fornet de Asensi, ÒLevanteÉÓ Ç Mais il appara”t que Luis de Galinsoga vient nous
dire que Sorolla et son souvenir ˆ Valence devraient constituer une digue prŽservant les
artistes valenciens de la vague des avant-gardes. Et de cela, il nÕen est pas question [É]
Ou alors devrons-nous avoir lÕinsolence de donner deux tours de clŽ au tombeau de
Sorolla, comme on dit de celui du Cid ! È
Eduardo de Santiago y Carri—n, ÒEl Museo-Escuela y la casa de SorollaÓ, El
Imparcial, Madrid, 26/10/1927.
Luis Galinsoga de la Serna, ÒAcerca del homenaje a SorollaÓ, Las Provincias, Valence,
11/1927.
III. La crŽation du MusŽe Sorolla : 1924-1939
172
madrilne. Or, personne nÕignorait que, sans une importante donation des hŽritiers
du peintre, il Žtait impossible de constituer ailleurs une collection ambitieuse.
LÕinformation provenait dÕEl Clamor, un journal oral dŽclamŽ sur les planches du
ThŽ‰tre de la ComŽdie de Madrid par un cabotin nŽ ˆ Valence, Federico Garc’a
Sanch’s (1886-1964).89 En se rŽservant la primeur de la nouvelle, le comŽdien
assura la promotion de son spectacle puisque, de Madrid ˆ Valence, la presse
quotidienne du lendemain reprit la nouvelle, tout en questionnant son authenticitŽ
et la lŽgitimitŽ de son propagateur. Le 6 mars, El Mercantil Valenciano et La
Correspondencia de Valencia titraient ensemble : Ç El Museo Sorolla Àestar‡ en
Madrid? È DŽpitŽ, Emilio Fornet accusait lÕorganisation gŽnŽrale du pays et celle
de la vie artistique espagnole en particulier car, selon lui, elles avaient contraint le
peintre ˆ sÕexpatrier, sans quoi il serait restŽ ˆ Valence et sÕy serait fixŽ
dŽfinitivement. Sorolla lÕavait dit lui-mme dans un entretien car il considŽrait
effectivement que pour conduire une carrire artistique de haut niveau, rŽsider en
province nՎtait pas la bonne option : Ç Los artistas vivimos aqu’ por ser el centro
de todo el movimiento, no porque esto nos agrade, y vivimos a fuerza de carecer
Madrid de personalidad. Yo vivir’a en Valencia, y all’ hubiera construido esta
casa, si Valencia fuera camino para ir a alguna parte. È90
Il faut noter que lÕidŽe dÕun musŽe valencien rena”tra Žpisodiquement. Par
exemple, quand une collection particulire fut exposŽe ˆ Valence, en 1944, deux
journalistes locaux demandrent ˆ la propriŽtaire de cŽder sa collection ˆ la ville ;
en vain.91 La question fut ˆ nouveau dŽbattue en 1963, lÕannŽe du centenaire de la
naissance du peintre. Sorolla Žtait nŽ ˆ Valence, rue de Las Barcas, ses restes
reposaient dans le cimetire municipal, mais son Ïuvre Žtait ailleurs et les
touristes cultivŽs prŽfŽraient se rendre ˆ Madrid plut™t que dans sa rŽgion natale.
En janvier 1966, une motion visant ˆ la crŽation dÕun MusŽe Sorolla de Valence
fut approuvŽe sous le mandat du maire Adolfo Rinc—n de Arellano (1910-2006),
mais elle ne donna aucun rŽsultat. Quand le MusŽe Sorolla traversa une
importante crise financire, en 1967, il fut mme question de dŽmonter lՎdifice
89.
90.
91.
J.L.L., ÒLa casa de Sorolla, convertida en MuseoÓ, ABC, Madrid, 1932.
Francisco Mart’n Caballero, ÒHablando con D. Joaqu’n Sorolla en su estudioÓ, La
Correspondencia de Valencia, Valence, 11/09/1913. Ç Nous les artistes, nous vivons ici
car cÕest le centre de tout le mouvement et non pas pas parce que cela nous pla”t, nous
vivons ˆ Madrid bien que cette ville manque de personnalitŽ. Moi je vivrais ˆ Valence, et
cÕest lˆ-bas que jÕaurais construit cette maison si Valence avait ŽtŽ le chemin menant
quelque-part. È
Jesœs Vasallo, ÒLa fundaci—n de la beca Mar’a SorollaÓ, Jornada, Valence, 31/05/1944.
III. La crŽation du MusŽe Sorolla : 1924-1939
173
pierre par pierre pour mieux le reconstruire ensuite ˆ Valence !92 En 2001, la
question dÕun dŽp™t permanent ˆ Valence dÕÏuvres extraites des rŽserves du
MusŽe Sorolla fut dŽbattue ˆ lÕoccasion de lÕexposition temporaire El Museo
Sorolla visita Valencia installŽe dans les salles du MusŽe du XIXme sicle.93
Enfin, aujourdÕhui, lÕidŽe dÕun musŽe valencien continue ˆ mobiliser la classe
politique locale et fut rŽcemment, ainsi quÕon le verra, un des enjeux des Žlections
rŽgionales de 2007.94
La veuve Sorolla avait indiquŽ son intention de fonder le musŽe ˆ Madrid
dans un testament Žtabli le 10 juillet 1925. Ce document confidentiel prŽcisait les
dŽtails et les conditions dÕune donation ˆ lՃtat espagnol comprenant la demeure
familiale, une partie du mobilier, sa propre collection de peinture, etc. Clotilde
Garc’a del Castilla dŽcŽda le 5 janvier 1929 et le contenu du testament fut donc
partiellement rŽvŽlŽ en mars par Garc’a Sanch’s, comme on vient de le voir. La
rŽalisation du musŽe revint donc aux trois hŽritiers et aux cinq exŽcuteurs
testamentaires, Mariano Benlliure, Manuel Benedito, JosŽ Capuz, Pedro Gil
Moreno de Mora et son fils JosŽ Pedro.95 Les trois enfants du peintres firent
lÕinventaire de tous les biens mobiliers conservŽs dans la maison car cette t‰che
indispensable permettait dՎtablir les parts correspondant ˆ chaque hŽritier.
Ensuite, lÕensemble de la procŽdure se fit en collaboration avec les institutions de
la Dictature qui vivait alors ses dernires heures. Sous la menace dÕun
renversement du pouvoir par lÕarmŽe, Primo de Rivera prŽsenta sa dŽmission le
28 janvier 1930, avant de trouver refuge en France. Le gŽnŽral D‡maso Berenguer
(1878-1953), nommŽ ˆ sa place, ne parviendra pas ˆ remettre ˆ flot le rŽgime et ce
fut dans une situation proche du chaos politique que lÕadministration dÕAlphonse
XIII traita le dossier du musŽe comme une affaire urgente. Le 23 fŽvrier 1931,
Mariano Benlliure prŽsenta lÕinventaire de la donation de la veuve au ministre de
lÕInstruction Publique et des Beaux-Arts.96 Il comprenait neuf cent dix huiles,
trois mille quatre cent quatre-vingt sept dessins, vingt et une gouaches et dix
92.
93.
94.
95.
96.
R. Trivi–o, ÒLa Casa-Museo de Sorolla ser‡ en Madrid o no ser‡Ó, Generalitat, Valence,
16/07/1980.
R.V.M., ÒPons-Sorolla dice que el legado peligrar’a si el dep—sito en Valencia fuera
permanenteÓ, El Mercantil Valenciano, Valence, 1/12/2001.
Anonyme, ÒCamps anuncia la pr—xima creaci—n del Centro Sorolla en un convento de
ValenciaÓ, lavanguardia.es, 13/04/2007.
CŽsar Gonz‡lez Ruano, ÒLa verdad sobre la fundaci—n del museoÓ, La Libertad, Madrid,
5/03/1929.
La casa de Sorolla. Dibujos, Madrid, Ministerio de Cultura, 2007, page 27.
III. La crŽation du MusŽe Sorolla : 1924-1939
174
aquarelles.97 Le 24 mars, le fils du peintre fit joindre ˆ la donation de sa mre
cinquante-six tableaux dont il avait hŽritŽ parmi lesquels figuraient plusieurs
grand formats tels que La siesta, El ba–o del caballo, Tipos de Salamanca,
DespuŽs del ba–o, etc.98 Sa part comprenait en tout deux cent trente et une huiles,
mille quarante-deux dessins, sept gouaches et une aquarelle.99 Dans sa jeunesse,
Joaqu’n avait vŽcu une histoire dÕamour avec la chanteuse et actrice de cinŽma
Raquel Meller (1888-1962) et, aprs leur sŽparation, il ne sՎtait jamais mariŽ et
nÕavait pas eu dÕenfant.100 Il possŽdait dÕailleurs un portrait dÕelle que Sorolla
avait peint ˆ la fin de sa vie et qui se trouve aujourdÕhui au MusŽe Sorolla.101 Le
28, le ministre de lÕInstruction Publique et des Beaux-Arts, JosŽ Gasc—n Mar’n
(1875-1962), signa le dŽcret royal Ð publiŽ dans la Gaceta de Madrid du 12 avril
suivant Ð par lequel lՃtat acceptait lÕensemble de la donation. Ce fut le dernier
dŽcret de lՏre alphonsine puisque, le 14 avril 1931, le roi abandonnait le pouvoir
et sÕexilait dŽfinitivement ˆ lՎtranger.102
Au milieu de lÕagitation politique qui secouait le pays, les dŽmarches
administratives ne furent pas retardŽes par la proclamation de la Seconde
RŽpublique. Aprs le dŽpart du roi, le rŽpublicain Niceto Alcal‡-Zamora (18771949) prit la tte dÕun gouvernement provisoire. Il nomma un comitŽ de direction
le 29 mai et pronona un discours dans lequel il annona lÕinauguration prochaine
du MusŽe Sorolla. Il salua la contribution de tous les acteurs qui avaient pris part
ˆ la rŽalisation du projet et, cela mŽrite dՐtre remarquŽ, il souligna lÕimplication
personnelle du roi, dont il connaissait les liens dÕamitiŽ qui lÕunissaient ˆ lÕartiste.
Son administration mena le dossier ˆ son terme en un temps record, au moins pour
deux raisons. DÕune part, lÕessentiel du travail avait ŽtŽ rŽalisŽ en amont par le
ministre JosŽ Gasc—n y Mar’n qui sՎtait pleinement investi dans ce projet. Par
consŽquent, le nouveau rŽgime pouvait sans peine en recueillir le fruit. Ensuite,
les rŽpublicains tenaient lÕoccasion de reprendre la main en ramenant dans leur
97.
98.
99.
100.
101.
102.
Bernardino de Pantorba, Gu’a del Museo Sorolla, Madrid, Gr‡ficas Nebrija, 1975 (1951),
page 11.
M.A., ÒLa casa de SorollaÓ, Luz, Madrid, 24/09/1932.
La siesta, 200x201, Madrid, MusŽe Sorolla, 1911. El ba–o del caballo, 205x250, Madrid,
MusŽe Sorolla, 1909. Tipos de Salamanca, 191x200, Madrid, MusŽe Sorolla, 1912 et
Saliendo del ba–o, 130x150Õ5, Madrid, MusŽe Sorolla, 1914.
B. de Pantorba, Gu’aÉ page 11.
CŽsar Gonz‡lez Ruano, ÒEvocaci—n de Raquel MellerÓ, Arriba, Madrid, 17/07/1955.
Retrato de Raquel Meller, 125x100, Madrid, MusŽe Sorolla, 1918 et JosŽ Rico de
Estasen, ÒSorolla pint— a Raquel MellerÓ, Garbo, Barcelone, 25/08/1962.
La casa de Sorolla, page 34.
III. La crŽation du MusŽe Sorolla : 1924-1939
175
giron le peintre de Valence. Roberto Castrovido, qui venait de retrouver un sige
de dŽputŽ comme rŽpublicain indŽpendant, a peut-tre jouŽ un r™le important dans
la poursuite et lÕaboutissement rapide du projet.
Le 12 juin 1931, cÕest-ˆ-dire moins de deux mois aprs le dŽpart du roi, le
MusŽe Sorolla fut solennellement remis ˆ lՃtat au cours dÕune cŽrŽmonie en petit
comitŽ ˆ laquelle participrent le chef du gouvernement provisoire, le ministre de
lÕInstruction Publique et des Beaux-Arts, Marcelino Domingo (1864-1939), le
directeur gŽnŽral des Beaux-Arts, Ricardo de Orueta (1868-1939), les enfants du
peintre, les exŽcuteurs testamentaires, et dÕautres personnalitŽs du monde de
lÕart.103 Tous faisaient partie du premier comitŽ de direction du musŽe dont
Manuel Aza–a Žtait le prŽsident dÕhonneur. Il sera solennellement inaugurŽ un an
plus tard, presque jour pour jour, ainsi quÕon le verra par la suite.
Le MusŽe Sorolla fut donc un projet menŽ avec succs dans un temps court,
en dŽpit du changement de rŽgime. Il ouvrit ses portes moins de dix ans aprs la
mort du peintre et trois ans seulement aprs la mort de son Žpouse. Dans la presse,
la donation de la veuve fut souvent rŽduite ˆ la gŽnŽrositŽ du geste. Or, cette
dimension occultait dÕautres objectifs de cette initiative, qui devait aussi permettre
la rŽŽvaluation critique de Sorolla. LÕarrire-petite-fille du peintre rappelle
aujourdÕhui que la donation fut, sur le plan familial, une question particulirement
Žpineuse puisquÕelle revenait ˆ soustraire aux trois enfants un hŽritage qui leur
revenait de droit.104 Clotilde Garc’a del Castillo en dŽcida seule et cela fut
visiblement mal vŽcu au sein de cette famille. DÕailleurs, avec le recul des annŽes,
il est frappant de constater que les trois enfants adopteront des attitudes trs
diffŽrentes ˆ lՎgard de leur hŽritage respectif car Mar’a conserva ses tableaux,
Joaqu’n en cŽda lÕensemble ˆ lՃtat et Elena en vendit une partie. Pour Blanca
Pons-Sorolla, son a•eule sacrifia une partie du bien de ses enfants pour offrir ˆ son
mari le rayonnement et la gloire quÕil mŽritait. Car il faut rappeler, une fois
encore, que son Ïuvre Žtait trs mal reprŽsentŽe dans les collections nationales
pour plusieurs raisons liŽes au dŽroulement de sa carrire. Par consŽquent, la
crŽation dÕun musŽe dՃtat pouvait combler au moins cette lacune. En Žvitant la
dispersion dÕune partie de la collection familiale, le musŽe permettrait une
103.
104.
Alfonso (photographie), ÒEl museo del pintor Joaqu’n SorollaÓ, La Libertad, Madrid,
12/06/1931.
Blanca Pons-Sorolla, ÒSorolla y su familiaÓ in Ternura y Melodrama. Pintura de escenas
familiares en tiempos de Sorolla, Valence, Bancaja, 2003, pages 97-98.
III. La crŽation du MusŽe Sorolla : 1924-1939
176
meilleure connaissance de son Ïuvre, pensait-elle. La dispersion dÕune collection
privŽe Žtait perue, ˆ cette Žpoque, comme une catastrophe quÕil fallait
absolument Žviter. Quant au choix de Madrid, il allait presque de soi, tout
simplement parce que le peintre avait choisi de sÕy Žtablir et dÕy construire un
b‰timent dotŽ dՎvidentes qualitŽs musŽales. Par ailleurs, dans la capitale, cette
institution aurait une envergure nationale et peut-tre internationale tandis que, ˆ
Valence, elle aurait ŽtŽ isolŽe et limitŽe ˆ une dimension locale. Enfin, ce musŽe
Žtait susceptible de mettre fin ˆ deux phŽnomnes indissociables durant la
dŽcennie qui suivit la mort du peintre, cÕest-ˆ-dire lÕoubli dans lequel Sorolla avait
sombrŽ et lÕaversion que son nom suscitait dŽsormais chez les jeunes artistes et
que lÕon attribuait, ˆ tort ou ˆ raison, ˆ la mauvaise connaissance de son Ïuvre.
Cette opinion se diffusa dans la presse au lendemain de lÕinauguration du musŽe
car les observateurs pensaient que les choses allaient enfin changer. JosŽ Manaut
NoguŽs Žtait de ceux qui partageaient ce point de vue, rŽsumŽ dans Heraldo de
Madrid de la faon suivante :
DespuŽs, su muerte le coloca en esa dif’cil situaci—n de toda figura eminente ante la
generaci—n inmediata. Se proyecta sobre Žl esa sombra, esa disminuci—n de aprecio,
que s—lo los grandes logran superar. As’ Sorolla se encuentra hoy incomprendido por
falta de conocimiento, cosa que parece inveros’mil, tan cercana su pŽrdida.105
Si la mort dÕun peintre fait mŽcaniquement monter la valeur de son Ïuvre,
qui devient un ensemble clos et dŽnombrable, sa rŽŽvaluation critique est souvent
plus tardive et doit parfois subir au moins lÕindiffŽrence dÕune ou de plusieurs
gŽnŽrations. Un exemple assez frappant est celui des peintres dÕhistoire franais
qui ont endurŽ, ˆ titre posthume, un rejet au moins proportionnel au succs quÕils
avaient connu de leur vivant. Or, ces peintres intŽressent ˆ nouveau comme
105.
D’az Casariego (Photographie), ÒEl Museo Sorolla se ha inaugurado solemnemente esta
ma–ana con asistencia del se–or Aza–aÓ, Heraldo de Madrid, Madrid, 11/06/1932 et JosŽ
Manaut NoguŽs, ÒHoy hace nueve a–os que muri— Joaqu’n SorollaÓ, El Mercantil
Valenciano, Valence, 10/08/1932. Ç Ensuite, sa mort le place dans cette situation difficile
propre ˆ toute personnalitŽ Žminente face ˆ la gŽnŽration suivante. Cette ombre se projte
sur lui, cette diminution dÕestime, que seuls les grands parviennent ˆ surmonter. Ainsi,
Sorolla se trouve aujourdÕhui incompris par mŽconnaissance, une chose qui semble
invraisemblable tant est proche sa disparition.È
III. La crŽation du MusŽe Sorolla : 1924-1939
177
viennent de le montrer les surprenants rŽsultats obtenus par les rŽcentes
expositions monographiques dÕAlexandre Cabanel et de Jean LŽon GŽr™me.106
LÕinauguration du MusŽe Sorolla intŽressa ponctuellement les media si lÕon
en juge par la rŽpartition des archives de presse consultŽes pour les besoins de
cette Žtude. Elles contiennent presque cent cinquante articles datŽs de 1932. Avant
cette date, Sorolla avait sombrŽ dans un oubli presque total. En effet, aprs sa
mort les journaux du pays avaient couvert trs sommairement les deux
ŽvŽnements attendus, cÕest-ˆ-dire sa rŽception posthume ˆ lÕAcadŽmie Royale des
Beaux-Arts de San Fernando et la prŽsentation publique de Visi—n de Espa–a, ˆ
New York. Le 2 fŽvrier 1924, la sŽance-hommage posthume que lui consacra
lÕAcadŽmie fut ˆ peine remarquŽe. Il faut rappeler que, dix ans auparavant, le 16
mars 1914, Sorolla avait ŽtŽ Žlu acadŽmicien sur le sige vacant de Salvador
Mart’nez Cubells (1874-1947) ˆ la suite dÕune proposition collective des peintres
Antonio Mu–oz Degra’n, Alejandro Ferrant Fisherman (1843-1917) et du
sculpteur Miguel Blay. La lettre portant les trois signatures est conservŽe dans les
archives de lÕinstitution.107 En 1914, le peintre Žtait absorbŽ par Visi—n de Espa–a.
Plus tard, son Žtat de santŽ ne lui permit pas de se rendre ˆ lÕAcadŽmie pour
prononcer son discours dÕinvestiture de sorte que, en 1924, lÕinstitution madrilne
organisa une session extraordinaire au cours de laquelle le peintre Marceliano
Santa Mar’a fit une lecture publique de ce discours.108
Deux ans plus tard, le 25 janvier 1926, la prŽsentation officielle de Visi—n de
Espa–a, ˆ New York, fut un non ŽvŽnement, tant aux ƒtats-Unis quÕen Espagne.
Dans cette ville, les courants artistiques sՎtaient renouvelŽs depuis lÕArmory
Show, en 1913. Cette exposition internationale dÕart moderne fit conna”tre aux
ƒtats-Unis Pablo Picasso, Georges Braque, Raoul Dufy, etc. En 1926, les avantgardes Žtaient trs implantŽes ˆ New York, ainsi que le prouve lÕinauguration dÕun
MusŽe dÕart moderne, le MOMA, trois ans plus tard. Dans ce contexte, lÕÏuvre
monumentale de lÕEspagnol fut traitŽe avec cynisme par la critique et quelques
artistes du moment. Le muraliste mexicain JosŽ Clemente Orozco (1883-1949)
dŽclarait aprs avoir contemplŽ la frise des provinces : Ç Los murales de Sorolla:
106.
107
108.
Alexandre Cabanel 1823-1889 : la tradition du beau, Montpellier, MusŽe Fabre, 2010 et
Jean LŽon GŽr™me 1824-1904 : lÕhistoire en spectacle, Paris, MusŽe dÕOrsay, 2010.
Archives de lÕAcadŽmie Royale des Beaux Arts de San Fernando, dossier 5-146-6.
Homenaje a la Gloriosa Memoria del Excm. Don Joaqu’n Sorolla, AcadŽmico electo.
Discursos le’dos en la Sesi—n Pœblica el d’a 2 de febrero de 1924 Ð Real Academia de
San Fernando ÐMadrid, Mateu Artes Gr‡ficas, 1924.
III. La crŽation du MusŽe Sorolla : 1924-1939
178
ÁUn aburrimiento! Este hombre confund’a la pintura con el cante jondo. ÁOlŽ! Y
esto a diez metros de El Greco, Goya y Vel‡zquez. È109 Orozco avait visitŽ
lÕHispanic Society car il rŽalisait alors des dŽcors de grandes dimensions en
Californie, ˆ New York et dans le New Hampshire.110 Comme lui, les jeunes
Espagnols chercheront ˆ emprunter dÕautres voies que celles tracŽes par Sorolla et
lÕouverture du musŽe ne rŽussira pas, ni ˆ brve ni ˆ moyenne ŽchŽance, ˆ
rŽconcilier ces artistes avec le vieux ma”tre.
109.
110.
JosŽ de Orozco, El artista en Nueva York, MŽxico, Ciudad de MŽxico, 1971, page 40.
Ç Le dŽcor mural de Sorolla, un ennui ! Cet homme confondait la peinture avec le chant
populaire andalou. OlŽ ! Et cela ˆ dix mtres du Greco, de Goya et de VŽlasquez. È
Edward Lucie-Smith, Arte latinoamericano del siglo XX, Londres, Destino, 1994, page
58.
III. La crŽation du MusŽe Sorolla : 1924-1939
179
III.3. UN HƒRITAGE ARTISTIQUE EN JEU
Le 11 juin 1932, lÕinauguration du MusŽe Sorolla marque une Žtape majeure
dans lÕhistoire de la rŽception du peintre car des personnalitŽs de tous bords se
trouvent rŽunies par le seul souvenir dÕun homme quÕelles avaient toutes connu et
c™toyŽ. La liste des personnes prŽsentes tŽmoigne ˆ elle seule de lՎtonnante
dualitŽ de Sorolla qui est alors au moins aussi cher aux rŽpublicains quÕil lÕest aux
monarchistes. Toutefois, et contrairement ˆ des apparences trompeuses, le
souvenir de lÕartiste nÕest pas un objet de concorde, bien au contraire. Quatre ans
avant la Guerre Civile, cette inauguration est le thŽ‰tre dÕun double affrontement :
idŽologique, entre deux familles politiques, mais aussi gŽographique, entre
Madrilnes et Valenciens.
Parmi les quelque trois cents personnes qui assistent ˆ lÕinauguration du
MusŽe Sorolla, il faut relever dÕemblŽe lÕimportance du corps diplomatique
composŽ des ambassadeurs dÕAllemagne, dÕItalie, dÕAutriche et des ƒtats-Unis
ainsi que des membres des gouvernements de Saint Domingue, du Panama,
dÕUruguay et de TchŽcoslovaquie.111 Cette reprŽsentation Žtrangre relve
probablement moins du rayonnement du peintre dans ces pays lointains que de la
volontŽ des autoritŽs rŽpublicaines de donner du relief ˆ cet ŽvŽnement. Parmi les
personnalitŽs espagnoles figurent le Òtout MadridÓ cÕest-ˆ-dire les Žcrivains
Miguel de Unamuno et Adolfo Posada (1860-1944), lÕarchitecte du Madrid de la
Seconde RŽpublique Secundino Zuazo (1887-1971), les docteurs Gregorio
Mara–—n et Gonzalo Rodr’guez Lafora (1886-1971), le naturaliste Ignacio Bol’var
(1850-1944), le dessinateur Manuel Tovar ainsi que de nombreux artistes tels que
les peintres Anselmo Miguel Nieto (1881-1964), Timoteo PŽrez Rubio (18961977), Cecilio Pl‡, Juan Rivelles (1896-inc.), Tom‡s Murillo (1890-1934), les
sculpteurs JosŽ Capuz, Mariano Benlliure, Juan Adsuara (1893-1973) et beaucoup
dÕautres.112
Le projet musŽal avait ŽtŽ menŽ sous la Dictature et le dossier avait ŽtŽ traitŽ
par son administration mais, par les alŽas de lÕhistoire, les autoritŽs rŽpublicaines
sÕapprtent alors ˆ en reccueillir le bŽnŽfice. LÕouverture dÕun tel musŽe est une
111.
112.
Anonyme, ÒInauguraci—n del Museo SorollaÓ, La Voz, Madrid, 11/06/1932.
Alfonso, ÒInauguraci—n del Museo SorollaÓ, Luz, Madrid, 11/06/1932.
III. La crŽation du MusŽe Sorolla : 1924-1939
180
premire en Espagne. Il existe, ailleurs, des maison-ateliers reconverties aprs la
mort de leur propriŽtaire en musŽe ouvert au public. Les plus cŽlbres sont les
musŽes Gustave-Moreau et Auguste-Rodin de Paris, qui ont servi de modles aux
suivants. Dans la premire moitiŽ du XXme sicle, ce principe musŽal est ˆ la
mode car il offre une approche plus complte et surtout plus intimiste de lÕartiste
que les traditionnelles pinacothques qui prŽsentent dans leurs salles froides et
vides dÕinterminables enfilades de tableaux. En plus de lÕatelier et de ses Ïuvres,
le visiteur peut dŽcouvrir les objets de lÕartiste, ses collections, son mobilier, sa
bibliothque, la dŽcoration intŽrieure des pices dÕhabitation, le cas ŽchŽant des
manuscrits, etc. Tout cela est conservŽ dans son ÒambianceÓ de lՎpoque, ˆ tel
point que pŽnŽtrer dans un de ces lieux revient ˆ faire un bond dans le temps. En
Espagne, aucun atelier dÕartiste nÕest ainsi protŽgŽ et valorisŽ avant celui de
Sorolla. Par exemple, un peintre valencien de la gŽnŽration antŽrieure, Antonio
Mu–oz Degrain, vendit son atelier et donna ses tableaux aux musŽes de Valence
et de Malaga avant de sՎtablir dans un appartement de la rue San Lorenzo, ˆ
Madrid. Le sort rŽservŽ aux ateliers ne diffre pas de celui des lieux dÕhabitation.
Ils sont tant™t vendus ou cŽdŽs, tant™t occupŽs par les descendants. Les biens
mobiliers sont gŽnŽralement dispersŽs aprs la mort de lÕartiste. La donation de la
veuve Sorolla est donc, dÕune certaine manire, en avance sur son temps. Elle fait
Žmerger lÕidŽe que ces ateliers ne peuvent pas tre traitŽs comme de simples
propriŽtŽs privŽes car ils constituent, en quelque sorte, des morceaux du
patrimoine collectif. Dans son sillage, deux autres donations lui embo”teront le
pas, le MusŽe Rusi–ol de Sitges et le MusŽe Romero de Torres de Cordoue si bien
que la jeune RŽpublique sÕennorgueillira de recevoir, dÕun coup et sans effort, un
musŽe national et deux musŽes municipaux.113
Le jour de lÕinauguration du MusŽe Sorolla, cÕest donc le chef du
gouvernement rŽpublicain, Manuel Aza–a D’az (1880-1940), qui occupe le centre
de la table au milieu dÕune foule composŽe, en majoritŽ, de ses adversaires
politiques. Une photographie panoramique publiŽe dans lՎdition de Blanco y
Negro du lendemain montre le chef du gouvernement assistant au discours
dÕAmalio Gimeno.114 Le regard perdu quelque part en direction des grands
113.
114.
Anonyme, ÒNuevos museos de la Repœblica : Sorolla en Madrid ; Rusi–ol en Sitges ;
Romero en C—rdobaÓ, Nuevo Mundo, Madrid, 1/01/1932.
Figure n¡8. Madrid. Inauguration du MusŽe Sorolla (1932).
III. La crŽation du MusŽe Sorolla : 1924-1939
181
tableaux accrochŽs en hauteur sur les murs de lÕatelier, le leader rŽpublicain
Žcoute dÕune oreille cet exposŽ quÕil qualifiera, dans ses mŽmoires, dÕassomant.115
Autour de lui, dÕautres monarchistes Žcoutent ce mme discours, comme Benigno
de la Vega-Incl‡n, JosŽ Joaqu’n Herrero (1858-1945), El’as Tormo (1869-1957),
le marquis de Lozoya (1893-1978), Federico Garc’a Sanch’s etc.116 Ces hommes
faisaient partie du dernier entourage du peintre. La maison Sorolla avait vu passer
entre ses murs le gratin de lՎpoque, des vedettes de la scne madrilne telles que
Raquel Meller, Catalina Barcena (1896-1978) et Mar’a Guerrero, jusquՈ
lÕaristocratie et le roi en personne.117 LՎcrivain Francisco Umbral le rappelera,
sur un ton goguenard, dans un article dÕEl Pa’s datŽ de 1986 : Ç El Museo Sorolla
es como un chalet pretencioso de maestro de obras de derechas. Hoy parece
ins—lito decirlo, pero fue el CeesepŽ de su tiempo. È118 cÕest-ˆ-dire Ç Le MusŽe
Sorolla est une sorte de villa prŽtencieuse dÕun ma”tre dÕÏuvres de droite. Cela
semble incroyable de lÕaffirmer aujourdÕhui, mais il fut le CSP de son Žpoque. È
CSP ou Carlos S‡nchez PŽrez (1958) est un peintre ҈ la modeÓ dans les annŽes
quatre-vingt. La prŽsence des monarchistes ˆ cette inauguration dŽmontre que, si
les rŽpublicains en avait recueilli le fruit, le MusŽe Sorolla est bel et bien un projet
portŽ par les autoritŽs de la dictature. Il faut imaginer quÕen lieu et place de
Manuel Aza–a, le roi Alphonse XIII en personne aurait probablement prŽsidŽ cet
hommage dans une maison quÕil avait frŽquentŽe ˆ une autre Žpoque.
Parmi les figures politiques des partis de gauche, il faut aussi noter la
prŽsence du ministre de lÕInstruction Publique, Fernando de los R’os (1879-1949),
du dŽputŽ Gerardo Carreres Bayarri (1885-1936), du maire rŽpublicain de Madrid
Pedro Rico (1888-1957), de la dŽputŽe socialiste Margarita Nelken (1894-1968),
ou encore du reprŽsentant du maire de Valence, Enrique Dur‡n y Tortajada. Dans
son article ÒUna fiesta de toleranciaÓ, Gregorio Mara–—n (1887-1960), un homme
du centre, voit dans cette assemblŽe de rŽpublicains et de monarchistes un
symbole de ÒfraternitŽÓ : Ç Ayer sin embargo, muchas gentes de bander’as
encontradas vivieron juntas unos instantes de tolerancia y de fraternidad.
Hablaron los antiguos y los modernos, con intenci—n un’sona. Se habl— del pasado
115.
116.
117.
118.
Manuel Aza–a, Memorias pol’ticas y de Guerra, Madrid, Giner, 1990, tome IV, pages
400-401.
Anonyme, ÒInauguraci—n del Museo SorollaÓ, La ƒpoca, Madrid, 11/06/1932.
Jordane Fauvey, Joaqu’n Sorolla pintor del Rey Alfonso XIII, Besanon, PUFC, 2009,
pages 95-97.
Francisco Umbral, ÒSorollaÓ, El Pa’s, Madrid, 18/01/1986.
III. La crŽation du MusŽe Sorolla : 1924-1939
182
sin rencor y del presente sin ira. È119 Cependant, la cŽrŽmonie nÕest pas aussi
apaisŽe que ce passage le laisse entendre. Les textes des discours, dont des
passages seront citŽs plus avant, le dŽmontrent sans ambigŸitŽ. Par ailleurs, le
journal personnel de Manuel Aza–a donne ˆ entendre tout ˆ fait le contraire de ce
quÕaffirme le docteur Mara–—n. Ce texte est datŽ par son auteur du 9 juin 1932
bien que les faits rapportŽs datent, en rŽalitŽ, du 11 :
Se ha inaugurado la casa de Sorolla, que es un museo de cuadros de este pintor,
instalado en la casa que construy— en el paseo que no sŽ ahora c—mo se llama.
Bastante gente, mucha de ella del otro bando. Yo presid’ la ceremonia. El perdurable
don Amalio Gimeno ley— un discurso pesado. Otros se–ores leyeron otros discursos
tambiŽn pesados. Y el incre’ble Garc’a Sanch’z, alias ÒBorregueroÓ (que as’ le
llamaban cuando vino de Valencia con el pelo de la dehesa a hacer fortuna), recit—
una de esas tiradas de prosa en delirio que Žl llama charlas. [É] Ha dicho, entre otras
cosas, que la ÒGuardia Civil es la columna vertebral de la PatriaÓ. En el ABC se
derriten por Sanch’z. Le conoc’ en el Ateneo hace treinta a–os. Entonces era muy
amigo de Juan Pujol : los llamaban Rinconete y Cortadillo.120
Ce passage mŽrite dՐtre commentŽ en dŽtail. Tout dÕabord, celui qui est
alors chef du gouvernement traite le peintre avec une certaine distance comme
pour sÕen tenir ˆ lՎcart. LÕassimile-t-il, lui aussi, ˆ cet Òautre campÓ dont il est
question dans le texte, cÕest-ˆ-dire la droite monarchiste ? Cela est possible car il
faut se souvenir que, un an seulement auparavant, Alcal‡ Zamora avait mentionnŽ
les liens dÕamitiŽ qui unissaient le peintre ˆ Alphonse XIII, alors quÕon se
souvient que Vicente Blasco Ib‡–ez nÕavait jamais admis cette idŽe. Or, mme si
119.
120.
Gregorio Mara–—n, ÒCon motivo de la entrega del Museo Sorolla al Estado. Una fiesta de
toleranciaÓ, El Sol, Madrid, 14/06/1932. Ç Hier pourtant, beaucoup de gens appartenant ˆ
des factions opposŽes ont partagŽ ensemble quelques instants de tolŽrance et de fraternitŽ.
Les anciens et les modernes ont parlŽ, avec les mmes intentions. On Žvoqua le passŽ sans
rancÏur et le prŽsent sans animositŽ. È
Manuel Aza–a, Memorias pol’ticas y de Guerra, Madrid, Giner, 1990, tome IV, pages
400-401. Ç On a inaugurŽ la maison de Sorolla, qui est un musŽe de tableaux de ce
peintre, installŽ dans la maison quÕil a fait construire sur lÕavenue dont je ne sais plus le
nom ˆ cet instant. Pas mal de gens, beaucoup de lÕautre camp. Moi jÕai prŽsidŽ la
cŽrŽmonie. LÕinfatigable Amalio Gimeno a lu un discours assommant. DÕautres messieurs
ont lu dÕautres discours pas moins assommants. Et lÕincroyable Garc’a Sanch’s, alias
Ògardien de moutonsÓ (cÕest ainsi quÕon lÕappelait quand il arriva de Valence, avec ses
sabots tout crottŽs, pour chercher fortune), rŽcita une de ses tirades de prose dŽlirante
quÕil appelle conversations. [É] Il a dit, entre autres choses, que la ÒGarde Civile est la
colonne vertŽbrale de la PatrieÓ. Ë la rŽdaction dÕABC, on a dÕyeux que pour Sanch’s. Je
lÕai connu ˆ lÕAteneo il y a trente ans. Il Žtait alors trs ami de Pujol : on les appelait
Rinconete et Cortadillo. È
III. La crŽation du MusŽe Sorolla : 1924-1939
183
lÕattachement de Sorolla ˆ la monarchie espagnole est connu de tout le monde, et
bien sžr dÕAza–a, le sujet demeure encore tout un tabou ˆ Valence. Dans les
colonnes dÕEl Pueblo, un journaliste opte pour une formule suffisamment
ambigu‘ pour que chacun y trouve son compte : Ç Pensara Sorolla como pensase,
era un hombre nuestro. È121 cÕest-ˆ-dire Ç Peu importe ce que pensait Sorolla, il
Žtait lÕun des n™tres. È Dans le texte dÕAza–a, il est aussi question du changement
de nom de la rue du musŽe. En effet, le peintre avait fait lÕacquisition de deux
terrains attenants situŽs Paseo del Obelisco.122 En 1914, la rue avait reu le nom
du gŽnŽral Mart’nez Campos, dont le pronunciamiento du 29 septembre 1874
avait permis la Restauration de la monarchie. Mais en juin 1931, juste avant
lÕinauguration du musŽe, la mairie de Madrid efface le nom du gŽnŽral putschiste.
Il est remplacŽ par celui de lÕintellectuel libre penseur Francisco Giner de los R’os
car lÕInstitution Libre dÕEnseignement Žtait situŽe au numŽro 14, et le musŽe au
37. Depuis les colonnes dÕEl Liberal, Roberto Castrovido, qui est ˆ cette Žpoque
dŽputŽ de Madrid, salue la modification et demande aux Ždiles de poursuivre leur
action en changeant le nom de la Plaza vieja de Chamber’ en Plaza del pintor
Sorolla.123 Mais la proposition nÕest pas entendue et les alŽas de lÕhistoire font que
le vÏu formulŽ par le rŽpublicain sera exaucŽ sous le franquisme, le 9 mars
1944.124 Par la mme occasion, la rue Francisco Giner de los R’os retrouvera son
ancienne plaque, quÕelle continue ˆ arborer aujourdÕhui. Cette anecdote prouve,
au moins, que si les conservateurs ne disputent pas lÕhŽritage de Giner ˆ la gauche
rŽpublicaine, et que celle-ci ne dispute pas ˆ la droite monarchiste les valeurs de
lՎpopŽe de Mart’nez Campos, il nÕen va pas de mme pour Sorolla et son Ïuvre
puisquÕils servent, au grŽ de lÕalternance politique, toutes les causes.
Enfin, dans le texte dÕAza–a, il est surtout question dÕun homme, le
comŽdien, pote et romancier nŽ ˆ Valence, Federico Garc’a Sanch’s. Dans le
texte, le nom comporte une faute dÕorthographe, ÒSanch’zÓ, qui pourrait tre
intentionnelle et faire allusion ˆ un accent madrilne forcŽ. Cette pique entrerait
en cohŽsion avec le portrait caustique de Sanch’s, quÕAza–a nous prŽsente comme
un provincial venu chercher fortune ˆ Madrid. Il affirme lÕavoir connu trente ans
121.
122.
123.
124.
Arturo Mori, ÒSorollaÓ, El Pueblo, Valence, 16/06/1932.
La casa de Sorolla. Dibujos, page 10.
Roberto Castrovido, ÒEl Museo SorollaÓ, El Liberal, Madrid, 12/06/1931.
Anonyme, ÒM‡s de un mill—n de pesetas para ampliar el alumbrado elŽctrico pœblicoÓ,
Arriba, Madrid, 10/03/1944.
III. La crŽation du MusŽe Sorolla : 1924-1939
184
auparavant ˆ lÕAteneo de Madrid, une institution crŽŽe en 1835 qui fut, jusquՈ la
guerre civile, un lieu dՎchanges et de dŽbats politiques, scientifiques, littŽraires et
artistiques. Aza–a en fut le secrŽtaire de 1913 ˆ 1920, ˆ lՎpoque o Sanch’s le
frŽquentait. Au sujet de ce Valencien touche-ˆ-tout, il faut rappeler que, quelques
annŽes plus t™t, il avait pris de court la presse en annonant la crŽation du MusŽe
Sorolla et il avait ensuite publiŽ plusieurs articles sur le peintre quÕil c™toya ˆ la
fin de sa vie. En 1926, lÕannŽe de la prŽsentation de Visi—n de Espa–a, il signa un
article fortement empreint de nationalisme intitulŽ ÒEl pintor Sorolla y el
comandante FrancoÓ.125 Il y associait lՎvŽnement new-yorkais ˆ lÕexploit rŽalisŽ
par le frre a”nŽ du futur caudillo, Ram—n Franco (1896-1938) qui, le 22 janvier,
avait ŽtŽ le premier aviateur espagnol ˆ franchir lÕocŽan Atlantique, de Palos de la
Frontera ˆ Buenos Aires, ˆ bord dÕun hydravion baptisŽ ÒPlus UltraÓ, la devise de
Charles Quint. Pour le journaliste, les deux ŽvŽnements apparemment sans lien
relevaient dÕun mme Žlan de ÒpatriotismeÓ car ils glorifiaient tous deux, et ˆ leur
manire, le nom de lÕEspagne. Aza–a accuse le journal ABC de nÕavoir dÕyeux
que pour Sanch’s probablement parce que dans lՎdition du 12 juin 1932, son
discours est jugŽ admirable : Ç Federico Garc’a Sanchiz, el conde de Gimeno y las
dem‡s personalidades que ayer hicieron uso de la palabra en el acto de la
inauguraci—n oficial del Museo, ensalzaron de manera admirable las grandes
cualidades del artista insigne que dej— este esplŽndido legado a la naci—n. È126
Dans le discours quÕil prononce le jour de lÕinauguration du musŽe, Sanch’s
sÕen prend avec virulence ˆ la politique visant ˆ concder une autonomie aux
rŽgions qui le souhaiteraient. En effet, pour redŽfinir le r™le et les compŽtences de
lՃtat et des rŽgions, le gouvernement est prt ˆ accorder une certaine autonomie ˆ
la Catalogne ainsi que le prŽvoit le Pacte de Saint-SŽbastien. Avant lÕavnement
de la RŽpublique, les responsables des partis rŽpublicains sՎtaient rŽunis dans la
ville basque, le 17 aožt 1930, dans le double but de former un ComitŽ
RŽvolutionnaire et de dŽfinir les grands chantiers de la RŽpublique. Parmi les
sujets dŽbattus, figurait la question de la dŽcentralisation des pouvoirs. Le 9
125.
126.
Federico Garc’a Sanch’z, ÒEl pintor Sorolla y el comandante FrancoÓ, Informaciones,
Madrid, 11/02/1926.
Anonyme, ÒInauguraci—n oficial de la Casa Museo SorollaÓ, ABC, Madrid, 12/06/1932.
Ç Federico Garc’a Sanch’s, le comte Amalio Gimeno et autres personnalitŽs qui ont fait
hier usage de la parole au cours de la cŽrŽmonie officielle dÕinauguration du MusŽe,
lourent de faon admirable les grandes qualitŽs de lÕillustre artiste qui laissa ce splendide
hŽritage ˆ la nation. È
III. La crŽation du MusŽe Sorolla : 1924-1939
185
septembre 1932, les Corts concdent un statut particulier ˆ la Catalogne mais,
bien avant ce vote, les conservateurs dŽnoncent dŽjˆ une atteinte ˆ lÕunitŽ
nationale. CÕest ce thme que Sanch’s dŽveloppe ˆ travers des images tirŽes du
plus grand panneau du dŽcor de lÕHispanic Society, Castilla. La Fiesta del pan.
Comme lÕEspagne, la frise des provinces est une Ïuvre ˆ part entire qui nÕa de
sens que dans lÕindivisibilitŽ de ses quatorze panneaux, remarque Sanch’s. Il loue
lÕÒespagnolismeÓ de lÕensemble, une notion en vogue dans lÕEspagne des annŽes
trente
quÕil
faut
comprendre
comme
le
contraire
de
ÒsŽparatismeÓ.
LÕÒespagnolismeÓ doit sÕentendre comme un patriotisme fondŽ sur le souci de
maintenir une cohŽsion politique, territoriale, Žconomique, etc. Il poursuit en
expliquant que le pays doit son unitŽ aux Rois Catholiques, avant dÕajouter que
sans le Compromis de Caspe (1412) et le r™le jouŽ par Saint Vincent Ferrer
(1350-1419), celle-ci nÕaurait pas ŽtŽ possible. Le Compromis de Caspe avait
permis ˆ Ferdinand de Castille, avec le soutien du dominicain de Valence,
dÕaccŽder ˆ la Couronne dÕAragon et dÕunir ainsi les deux royaumes qui
formeront ensemble lÕEspagne. Par un raccourci historique, Sanch’s estime que le
pays doit donc son unitŽ ˆ un Valencien, ce qui explique quÕun autre Valencien,
Sorolla, lÕexalte ˆ son tour dans ses tableaux. Il poursuit sa dŽmonstration par une
mŽtaphore. Selon lui, le fruit valencien par excellence, lÕorange, symbolise lÕunitŽ
nationale car chacun de ses quartiers, sŽparŽs les uns des autres, sont
hermŽtiquement maintenus ensemble sous la peau, comme les rŽgions ˆ lÕintŽrieur
des frontires. Dans un discours postŽrieur il compltera cette image en signalant
que lÕorange est un mŽlange de jaune et de rouge, les couleurs du drapeau
national.127 Il identifie ensuite dÕautres symboles nationaux dans la composition
du panneau Castilla. La Fiesta del pan. Il fait lՎloge des drapeaux, des
monuments et du pain qui, selon lÕorateur, accommode et rassemble sur la table
tous les aliments produits dans la pŽninsule. Il fait enfin mention de la Garde
Civile quÕil considre comme la Òcolonne vertŽbrale de la PatrieÓ, ce quÕAza–a
tiendra sans doute pour du ÒdŽlireÓ, car la Garde Civile avait ŽtŽ lÕun des piliers
de la monarchie.
Douze ans plus tard, Sanch’s livrera lui aussi son souvenir de cette
inauguration et son rapport glacial avec Aza–a :
127.
Federico Garc’a Sanch’s, ÒSorolla en el PradoÓ, ABC, Madrid, 26/02/1944.
III. La crŽation du MusŽe Sorolla : 1924-1939
186
Nos conoc’amos de antiguo del Ateneo. Salud‡monos al entrar, pero como en mi
discurso, glosando la composici—n titulada La fiesta del pan en Castilla, que se
conserva en la Hispanic Society of America, arremetiese contra la pol’tica separatista
del Gobierno, su Jefe y yo no nos despedimos a la salida, o mejor dicho, nos
despedimos para siempre.128
Les discours prononcŽs sont publiŽs ensemble quelques jours plus tard, dans
un fascicule intitulŽ La Casa de Sorolla.129 En annexes, huit tableaux du musŽe
sont reproduits en noir et blanc dont la moitiŽ sont des Žtudes prŽparatoires au
dŽcor de lÕHispanic Society : Tipos regionales castellanos, Tipos regionales del
Valle de Ans—, Tipos regionales del Roncal, Tipos aragoneses.130 Ë cela, il faut
ajouter une imposante reproduction du panneau Castilla. La fiesta del pan sur une
page qui se dŽplie en quatre volets. Tout cela vient illustrer le discours de
Federico Garc’a Sanch’s. Les images quÕil a ŽvoquŽes et commentŽes sont
aussit™t reprises et propagŽes par la presse conservatrice. Dans un article de La
Voz de Valencia, un journaliste tente lui aussi de dŽmontrer comment Visi—n de
Espa–a incarne lÕidŽe dÕunitŽ nationale. Il oppose le patriotisme de Sorolla ˆ
lՎgo•sme des Catalans :
ÁSublime ejemplo! Ese rasgo de los familiares de Sorolla, al dejar a Espa–a la casa
solariega en la que el maestro pas— sus mejores a–os y en la que volc— sus
entusiasmos de artista y en la que reconcentr— todo el buen gusto de elegido y en la
que fue dejando a–o tras a–o huellas de genio creador son una prueba de su
espa–olismo inculcado devotamente a sus hijos [É] y que denotan su gran amor a la
patria grande, a la que representa la hermandad de todas las regiones hispanas
unidas en estrecho abrazo y sin la mezquina idea que subyuga a los infelices
catalanes de nuevo cu–o.131
128.
129.
130.
131.
Federico Garc’a Sanch’z, ÒSorolla en el PradoÓ, ABC, Madrid, 26/02/1944. Ç Nous nous
connaissions de longue date, de lÕAteneo. Nous nous sommes saluŽs ˆ lÕentrŽe, mais
comme dans mon discours, en glosant sur la composition intitulŽe La fiesta del pan en
Castilla, qui est conservŽe ˆ lÕHispanic Society of America, je mÕen suis pris ˆ la
politique sŽparatiste du Gouvernement, son Chef et moi nous nous sommes sŽparŽs sans
nous saluer ˆ la sortie, ou plut™t, nous nous sommes sŽparŽs pour toujours. È
La Casa de Sorolla, Madrid, Patronato del Museo Sorolla, 1932.
Au MusŽe Sorolla de Madrid : Tipos regionales castellanos, 203x156, 1912. Tipos
regionales del Valle de Ans—, 206x150Õ5, 1912. Tipos regionales del Roncal, 200x150,
1912 et Tipos aragoneses, 209x143, 1912.
Emilio Juan Favieres, ÒSorolla. El maravillosoÓ, La Voz Valenciana, Valence,
22/06/1932. Ç Sublime exemple ! Ce geste des membres de la famille Sorolla, qui
cŽdrent ˆ lÕEspagne la noble maison dans laquelle le peintre passa les meilleurs annŽes
III. La crŽation du MusŽe Sorolla : 1924-1939
187
Il prŽtend que les enfants de Sorolla ont accru le bien commun alors que, au
contraire, Ç les Catalans È sont justement en train de le sacrifier. Ë la fin de ce
passage, lÕauteur sÕen prend ˆ lÕÒhistoire communeÓ des Catalans, un argument du
catalanisme politique, en les taxant de ÒnaturalisŽsÓ pour signifier la superficialitŽ
de leur revendication. La filiation se trouve au cÏur de ce passage car, en
renonant ˆ une partie importante de leurs hŽritages respectifs, au profit de lՃtat,
Mar’a, Joaqu’n et Elena viennent de faire un ÒsacrificeÓ matŽriel qui revt dans ce
contexte une signification nationale. La famille est perue ici ˆ la fois comme le
creuset de valeurs telles que lÕentente, le respect, lÕabnŽgation, dans une vision
toute catholique, mais aussi comme la Ògrande familleÓ cÕest-ˆ-dire la patrie, dont
la cohŽsion repose sur les mmes valeurs. Pour bien le comprendre, il faut
rappeler que lÕÏuvre de Sorolla reflte une certaine ÒcohŽsion familialeÓ car
lÕartiste a peint en quantitŽ des scnes de foyer aussi intimistes que Madre, Mi
mujer y mis hijos, Clotilde con los hijos, D’a de Reyes et beaucoup dÕautres.132 Par
ailleurs, il peignait Žgalement des portraits individuels de ses enfants et de son
Žpouse. Ces modles furent particulirement importants dans son processus de
crŽation car, en toute libertŽ, il se Òfaisait la mainÓ et se livrait ˆ des
expŽrimentations dont il transfŽrait ensuite lÕapport vers ses commandes. Ce fut le
cas, entre autres, du portrait de jardin quÕil mit au point dÕabord avec ses proches
avant de le proposer ensuite ˆ ses clients. Le portrait du designer amŽricain Louis
Comfort Tiffany, sur un fond de fleurs qui rappelle ses vitraux art nouveau, en est
un exemple.133 Naturellement, la plupart des tableaux familiaux nÕavait pas ŽtŽ
vendue et une grande partie dÕentre-eux figure dans la donation de la veuve cÕestˆ-dire dans les collections initiales du MusŽe Sorolla. Pour cette raison ils sont
dŽcouverts tardivement et donc abondament comentŽs en 1932.
Dans ce contexte bržlant, le fils du peintre, qui est Žgalement le premier
directeur du MusŽe Sorolla, accorde un entretien ˆ JosŽ Montero Alonso (1904-
132.
133.
de sa vie et dans laquelle il versa son enthousiasme dÕartiste et dans laquelle il concentra
tout le bon gožt, et dans laquelle il laissa, annŽe aprs annŽe, des traces de son gŽnie
crŽateur, autant de preuves de son espagnolisme inculquŽ dŽvotement ˆ ses enfants [É] et
qui attestent de son grand amour pour la grande patrie, reprŽsentŽe par la fraternitŽ de
toutes les rŽgions hispaniques unies main dans la main et sans lÕidŽe misŽrable qui
aveugle les satanŽs Catalans de la nouvelle espce. È
Au MusŽe Sorolla de Madrid : Madre, 125x169, 1895. Mi mujer y mis hijos, 160x150,
1897-1898 et Clotilde con los hijos, d’a de Reyes, 36Õ5x53, 1900.
Retrato de Louis Comfort Tiffany, 150Õ5x225Õ5, New York, HSA, 1911.
III. La crŽation du MusŽe Sorolla : 1924-1939
188
2000), le directeur du journal conservateur La Hoja del Lunes.134 Au cours de sa
visite, une Žtoffe accrochŽe dans un des ateliers attire son attention. Il sÕagit de la
ÒsenyeraÓ, cÕest-ˆ-dire le drapeau burelŽ de la Couronne dÕAragon que le peintre
avait immortalisŽ dans le panneau Valencia. Las grupas. Il lÕavait ensuite
conservŽ comme un souvenir de son sŽjour de 1916. EmbarrassŽ, le fils affirme
que son pre nՎtait pas sŽparatiste, mais quÕil avait toujours eu une affection
profonde et sincre pour sa terre natale. En remontant le fil de la presse on
retrouve en 1924 ce tŽmoignage du Valencien Benedito qui confiait alors au
journal El Mercantil Valenciano: Ç El d’a que esa bandera entr— en esta casa,
organiz— don Joaqu’n, en petit comitŽ, como de coraz—n a coraz—n, una fiesta
’ntima, de exaltaci—n de valencianismo, todo emoci—n y sentimiento. È135 Ce
genre dÕanecdote sera absolument prohibŽ sous le franquisme, en particulier chez
celui qui deviendra un des portraitistes du dictateur. Quelques jours aprs la visite
de La Hoja del Lunes, un journaliste de la revue Hogar considre que
lÕarchitecture et la dŽcoration intŽrieure de la maison revtent un Òprofond
caractre nationalÓ : Ç Aqu’ habla Espa–a con su recio acento hist—rico. Esta
valiosa colecci—n de cuadros, de tipos regionales, no puede ser m‡s elocuente en
estos momentos pol’ticos. È136
En novembre, le souvenir de Sorolla est ravivŽ par le trs conservateur
Salon dÕAutomne de Madrid. Alors que quelques tableaux du ma”tre sont exposŽs
dans une des salles de lÕexposition, son organisateur, Manuel Abril (1884-1943),
essuie les attaques du critique çngel Vegue y Goldoni (inc.-inc.) qui lui reproche
de nÕexposer que des peintres de droite.137 Selon lui, la sŽlection admise reflte le
conformisme du salon et dŽcourage les tentatives de rupture artistique. Dans sa
rŽponse, Abril indique tout dÕabord que les salles consacrŽes ˆ Sorolla et au
sculpteur Benlliure ne constituent pas toute lÕexposition. Puis il revendique
lÕorientation conservatrice de lÕassociation quÕil prŽside, en signalant que cÕest lˆ
134.
135.
136.
137.
JosŽ Montero Alonso, ÒEl glorioso pintor visto a travŽs de su hijoÓ, El Eco de Santiago,
Saint Jacques de Compostelle, 21/06/1932 et Anonyme, ÒJosŽ Montero Alonso,
periodistaÓ, El Pa’s, Madrid, 28/03/2000.
JosŽ Ballester y Gozalvo, ÒEn templo abandonadoÓ, El Mercantil Valenciano, Valence,
9/08/1924. Ç Le jour o ce drapeau entra dans cette maison, don Joaqu’n organisa, en
petit comitŽ, auprs de ses fidles, une fte intime, dÕexaltation de valencianisme, qui ne
fut quՎmotion et sentiment. È
C. J., ÒEl hogar del pintor SorollaÓ, Hogar, Madrid, 30/06/1932. Ç LÕEspagne parle ici
avec son ‰pre accent historique. Cette prŽcieuse collection de tableaux, de types
rŽgionaux, ne peut tre plus Žloquente en ces temps politiques. È
çngel Vegue y Goldoni, Òtitre inconnuÓ, La Voz, Madrid, 1/11/1932.
III. La crŽation du MusŽe Sorolla : 1924-1939
189
une de ses obligations, au nom de la dŽfense de lÕart.138 Sous le franquisme, le
Salon dÕAutomne nÕexposera plus que des peintres consacrŽs.
Comme il a ŽtŽ indiquŽ, les discours prononcŽs le jour de lÕinauguration du
MusŽe Sorolla sont publiŽs le 24 juin 1932 dans un fascicule ŽditŽ par le comitŽ
de direction du musŽe. Tous les discours y figurent, exceptŽ celui du reprŽsentant
du maire de Valence, Enrique Dur‡n y Tortajada. Il avait annoncŽ ce jour-lˆ que
la ville Žtait en train dՎdifier un monument sur la plage de La Malvarrosa. Le
texte fut ŽcartŽ par le comitŽ de direction, ˆ la tte duquel se trouvait le fils du
peintre, peut-tre parce que, dans son allocution, Tortajada avait prŽcisŽ que
lÕinauguration du monument attendrait le rapatriement de la dŽpouille de Vicente
Blasco Ib‡–ez, mort quatre ans plus t™t ˆ Menton, et que les deux ŽvŽnements
donneraient lieu ˆ une manifestation conjointe. En organisant cet hommage, le
Parti de lÕUnion RŽpublicaine Autonomiste, dirigŽ alors par son plus jeune fils,
Sigfrido Blasco-Ib‡–ez (1902-1983), entend rŽhabiliter ˆ la fois lÕhomme
politique et lՎcrivain en lÕassociant aux artistes de la grande Žpoque valencienne,
Mariano Benlliure et Joaqu’n Sorolla. Cet ŽvŽnement commŽmortaif contribuerait
ˆ forger une identitŽ valencienne conforme ˆ lÕidŽal de ces rŽgionalistes de
gauche. En 1929, Sigfrido Blasco-Ib‡–ez avait rachetŽ ˆ FŽlix Azzati le journal
fondŽ par son pre, El Pueblo, qui faisait lui aussi partie du patrimoine culturel de
la ville. Le journal dispara”tra dix ans plus tard avec lÕarrivŽe au pouvoir des
franquistes.
Le 11 aožt 1933, le maire de Valence Vicente Alfaro Moreno organise une
cŽrŽmonie au cimetire municipal pour le dixime anniversaire de la mort du
peintre et, le 31 dŽcembre, le monument tant attendu est inaugurŽ sur le bord de
mer. En ce qui concerne cette construction, il faut prŽciser, tout dÕabord, que le
buste en marbre offert par Mariano Benlliure avait du tre fondu en bronze en
septembre 1932 car il serait tre exposŽ ˆ ciel ouvert.139 Le monument dessinŽ par
lÕarchitecte Francisco Mora Berenguer (1875-1961) comprend une esplanade
fermŽe ˆ lÕouest par un pŽristyle semi-circulaire composŽ de huit colonnes
doriques.140 Au centre, le bronze est placŽ sur un socle frappŽ du blason rouge et
jaune de la ville. Le buste fait face ˆ la MŽditerrannŽe, figeant ainsi pour lՎternitŽ
138.
139.
140.
Manuel Abril, ÒEl Sal—n de Oto–oÓ, Luz, Madrid, 2/11/1932.
JosŽ Manaut NoguŽs, ÒBenlliureÓ, El Mercantil Valenciano, Valence, 2/08/1932
Figure n¡10. Monument Ç Valencia a Sorolla È (1933-1957).
III. La crŽation du MusŽe Sorolla : 1924-1939
190
la tension visuelle si fugace entre le regard du peintre et son motif. Pour les
pcheurs et les gens de la ville qui ont aperu un jour le peintre seul sur la plage,
immergŽ dans sa t‰che, le monument est dÕautant plus marquant et Žmouvant. Les
Valenciens avaient longtemps attendu un tel monument et il est dÕautant mieux
accueilli par la population quÕil compense une lacune et solde la ÒdetteÓ de la ville
envers son peintre, selon la formule rebattue par la presse locale.
AujourdÕhui, rien de tout cela ne subsiste car lÕhistoire donna raison aux
fonctionnaires avisŽs qui sՎtaient opposŽs ˆ cette construction. En effet, le
cožteux mausolŽe sera balayŽ par les eaux lors de la crue du fleuve Turia de
lÕautomne 1957, qui cause aussi la perte de nombreux tableaux de Sorolla qui
dŽcoraient des rŽsidences privŽes comme celle du peintre JosŽ Benlliure, qui
possŽdait une importante collection personnelle.141 Durant six ans, le monument ˆ
la mŽmoire de Sorolla reste ˆ lՎtat de ruine. ƒparpillŽs sur la plage, les blocs de
pierre semblent dŽriver dans une mer de sable. Ce spectacle dŽsolant constitue
durant tout ce temps une sorte de curiositŽ locale, photographiŽe par les badauds.
Les autoritŽs franquistes ne mettront aucun empressement ˆ organiser
lՎvacuation des vestiges, peut-tre parce que ces pierres et leur histoire
rappelaient le rŽgime rŽpublicain, comme on va le voir. En 1960, Levante
sÕindignera du sort rŽservŽ au monument alors que la ville sÕest relevŽe de cette
Žpreuve : Ç Tres a–os han pasado de la cat‡strofe y Valencia est‡ completamente
restaurada de sus terribles heridas, pero aœn queda abierta una que cada d’a se
ulcera m‡s y m‡s: ese monumento que, de no tomar una determinaci—n, acabar‡
por desaparecer falto de respeto y consideraci—n que se merece. È142 Ë lÕapproche
du centenaire de la naissance du peintre, en 1963, il sera finalement dŽmontŽ et
partiellement rŽinstallŽ un peu plus loin du rivage dans le quartier maritime o il
se trouve aujourdÕhui.143 La nouvelle sera annoncŽe par Jornada, en aožt 1962. Le
141.
142.
143.
Anonyme, ÒEl barro destroza lienzos de Benlliure, Sorolla y Pepino BenlliureÓ, Clima,
Valence, 26/10/1957.
G—nzalez Vidal, ÒContinœa sin restaurar el monumento a SorollaÓ, Levante, Valence,
12/07/1960 et Anonyme, ÒEl monumento a SorollaÓ, Levante, Valence, 17/12/1960.
Ç Trois annŽes se sont ŽcoulŽes depuis la catastrophe et Valence est compltement remise
de ses terribles blessures, mais il en reste encore une qui chaque jour se g‰te de plus en
plus ; si personne ne prend une rŽsolution, ce monument finira par dispara”tre faute du
respect et de la considŽration quÕil mŽrite. È
Anonyme, ÒHa quedado instalado totalmente el monumento al pintor Sorolla. Ser‡
inaugurado el pr—ximo miŽrcolesÓ, Levante, Valence, 24/02/1963. Figure n¡16. Valence
commŽmore le 100e anniversaire de la naissance de Sorolla (1963).
III. La crŽation du MusŽe Sorolla : 1924-1939
191
journal saluera ce dŽnouement mais il estimera que le buste du peintre doit rester
face ˆ la mer, cožte que cožte.144
Pour comprendre la cŽrŽmonie dÕinauguration du 31 dŽcembre 1933, il faut
rappeler que les rŽpublicains viennent de perdre les Žlections lŽgislatives du 19
novembre, remportŽes par la ConfŽdŽration Espagnole des Droites Autonomes
(CEDA) le parti conservateur et catholique de JosŽ Mar’a Gil-Robles (18981980). Toutefois, si la CEDA gagne les Žlections, cÕest le Parti RŽpublicain
Radical (PPR) dÕAlejandro Lerroux (1864-1949) qui va gouverner. Lerroux
prŽside un conseil des ministres largement composŽ de membres de son parti :
Diego Mart’nez Barrio (1883-1962) ministre de la Guerre, Juan JosŽ Rocha
Garc’a (1877-1938), ministre de la Marine, Antonio Lara Z‡rate (1881-1956),
ministre des Finances, Manuel Rico Avello (1886-1936), ministre de lÕIntŽrieur,
Rafael Guerra del R’o (1885-1955), ministre de lՃconomie, JosŽ Pareja YŽbenes
(1888-1951), ministre de lÕInstruction Publique et des Beaux-Arts, JosŽ Estadella
Arn— (1880-1951), ministre du Travail et Ricardo Samper Ib‡–ez (1881-1938),
ministre de lÕIndustrie et du Commerce. Dans ce contexte lÕinauguration prend un
sens politique particulier car elle donne lieu ˆ un rassemblement rŽpublicain
auquel prennent part le ministre de lÕIndustrie Ricardo Samper, ainsi que les
membres les plus Žminents de PURA, la branche valencienne du PRR, cÕest-ˆ-dire
les dŽputŽs Sigfrido Blasco-Ib‡–ez, Pascual Mart’nez Sala (inc.-inc.), Vicente
Marco Miranda (1880-1946), çngel Puig (inc.-inc.), Joaqu’n Reig PiquŽ (18961989), etc. Ricardo Samper est nŽ ˆ Valence et y a exercŽ les fonctions de
conseiller municipal de 1911 ˆ 1920, avant dÕen devenir le maire de 1920 ˆ 1923.
CÕest sans doute pour cela que le gouvernement le dŽlgue, au lieu dÕenvoyer,
comme il ežt ŽtŽ logique, le ministre de lÕInstruction Publique JosŽ Pareja
YŽbenes.
Mme si la manifestation conjointe associant le peintre et lՎcrivain nÕa
finalement pas lieu, les discours font allusion aux deux personnages. Le directeur
de lՃcole des Beaux-Arts de San Carlos Žvoque deux ҉mes jumellesÓ : Ç sus
esp’ritus eran tan fraternos que lo que el uno pintaba era lo que el otro
144.
Vicente Mauri, ÒÀTraslado del monumento a Sorolla? De ser cierto, no debe prosperarÓ,
Jornada, Valence, 18/08/1962.
III. La crŽation du MusŽe Sorolla : 1924-1939
192
escrib’a. È145 cÕest-ˆ-dire Ç leurs esprits Žtaient si fraternels que ce que lÕun
peignait lÕautre lՎcrivait. È Le reste des discours prononcŽs fait revivre les images
que les blasquistes ont jadis associŽes ˆ Sorolla comme le montre, par exemple, ce
passage lu par le directeur de lՃcole des Arts et MŽtiers : Ç [É] siempre fue un
amigo de las clases necesitadas y, como hombre que hab’a luchado, realiz— en sus
obras un verdadero canto al trabajo. È146 ce qui signifie Ç il fut toujours lÕami des
classes dŽfavorisŽes et, en tant quÕhomme qui avait luttŽ, il rŽalisa dans ses
Ïuvres une vŽritable ode au travail. È ou cet autre passage extrait du discours du
conseiller municipal Dur‡n y Tortajada :
Fue un ciudadano de la repœblica del arte; hombre de humilde linaje, nunca tuvo la
petulancia del saber, sino que vivi— entregado a su arte, sin pagarse de relumbrones ni
de apariencias. De su ni–ez y de su juventud, en la que se curti— para la lucha, sin m‡s
protecci—n que la de don Antonio Garc’a, conserv— un vivo sentimiento contra las
injusticias sociales.147
Comme par le passŽ, ces rŽpublicains modŽrŽs brossent le portrait inchangŽ
dÕun Sorolla des dŽbuts, de son enfance ˆ sa formation acadŽmique en terminant
par son parours Žpique comme ÒsalonnierÓ. Ils ne disent rien, en revanche, du
portraitiste de la haute sociŽtŽ et de la Cour, ni du peintre qui fut, de trs loin, le
plus riche de tous et frŽquentait les stations balnŽaires de Saint-SŽbastien, Zarauz
et Biarritz, comme si tout cela nÕavait jamais existŽ. Pourtant, les tableaux
accrochŽs aux murs du MusŽe Sorolla le disent assez. Car les jardins sont bien
ceux de lÕAlhambra, du Palais de La Granja de San Ildefonso, et de lÕAlcazar de
SŽville, autant de rŽsidences royales o notre peintre avait ŽtŽ invitŽ par le roi en
personne. Dans le jardin de la propriŽtŽ, la plus belle pice est un antique ˆ la toge
dŽcouvert sur le site archŽologique de C‡stulo Ð dans la province de JaŽn Ð qui est
un cadeau du marquis de Viana comme le prouve cette lettre : Ç Ah’ van dos
figuras bastante interesantes de las ruinas de C‡stulo, que acaban de descubrirse.
En ningœn lugar estar‡n mejor que en el precioso jard’n de Vd. Rec’balas de este
145.
146.
147.
Anonyme, ÒSe inaugur— brillantemente el monumento a SorollaÓ, La Correspondencia de
Valencia, Valence, 1/01/1934.
Ibidem.
Ibidem. Ç Ce fut un citoyen de la rŽpublique de lÕart ; un homme issu dÕune famille
modeste, il nÕa jamais eu lÕoutrecuidance de celui qui sait, mais il vŽcu au contraire
absorbŽ par son art, en ne versant ni dans le clinquant ni dans les apparences. De son
enfance et de sa jeunesse, endurci par les luttes et sans autre protection que celle de don
Antonio Garc’a, il avait conservŽ une vive rŽpugnance envers les injustices sociales. È
III. La crŽation du MusŽe Sorolla : 1924-1939
193
amigo que le abraza y le quiere. È148 Et lÕon pourrait continuer ainsi la liste de ces
symboles tangibles qui laissent entrevoir le Òpeintre courtisanÓ. En dŽpit de tout
cela, dix ans aprs la mort du peintre, le credo des rŽpublicains nÕa pas ŽvoluŽ. Le
critique dÕart Antonio MŽndez Casal (1884-1940) va mme jusquՈ affirmer :
Ç Joaqu’n Sorolla fue un temperamento genuinamente rebelde. Su rebeld’a noble,
sentida, jam‡s hizo concesiones a la farsa exhibicionista. Sorolla fue como fue,
por impulso nativo, un revolucionario. È149 Une fois encore, le raccourci est
rapide. Tous les natifs de Valence ne sont pas des Ç rŽvolutionnaires È et Sorolla
nÕavait rien dÕun opposant ˆ la monarchie.
Comme une marque dÕaffirmation et de rŽsistance, tous les symboles
rŽgionaux sont de lÕinauguration du monument : le drapeau valencien, lÕhymne
rŽgional composŽ et Žcrit en 1909 par Maximiliano Thous Orts (1875-1947) et
JosŽ Serrano Sime—n (1873-1941) et, dans les discours, le valencien alterne avec
lÕespagnol150. Le refrain de lÕhymne rŽgional fait Žcho ˆ lÕesprit de rŽsistance des
rŽpublicains : Ç Per ofrenar noves gl˜ries a Espanya, tots una veu, germans,
vingau È cÕest-ˆ-dire : Ç Pour offrir ˆ lÕEspagne de nouvelles gloires, notre rŽgion
a su lutter. È Sorolla Žtait de ces ÒgloiresÓ et faisait bel et bien partie des figures
historiques revendiquŽes par le parti comme siennes et admises comme
ambassadrices de sa pensŽe. Le fils du peintre reprŽsente, sur place, le MusŽe
Sorolla. Sur une photographie de groupe prise par Vicente Barber‡ Masip (18701935) et publiŽe par le journal Las Provincias, il appara”t aux c™tŽs du sculpteur
Mariano Benlliure.151
Ë Madrid, le MusŽe Sorolla est tardivement ouvert au public, seulement en
mars 1933, pour des raisons internes liŽes ˆ lÕapprobation de son budget et ˆ
lÕadoption dÕun rglement intŽrieur. Mais aprs trois ans dÕexploitation, il doit
148.
149.
150.
151.
MS. CS 7237, Lettre du marquis de Viana ˆ Sorolla datŽe du 19/01/1916. Ç Voici deux
pices intŽressantes des ruines de Castulo qui viennent dՐtre dŽcouvertes. Il nÕy a pas de
meilleur endroit pour les accueillir que votre beau jardin. Recevez-les de cet ami qui vous
embrasse et vous estime. È
Antonio MŽndez Casal, ÒJoaqu’n Sorolla por Mariano BenlliureÓ, ABC, Madrid,
11/04/1931. Ç Joaqu’n Sorolla avait un tempŽrament rŽsolument rebelle. Sa rŽbellion
noble, mesurŽe, ne fit jamais de concession ˆ la farce exhibitionniste. Sorolla a ŽtŽ ce
quÕil a ŽtŽ, par lÕinfluence de sa terre, un rŽvolutionnaire. È
Anonyme, ÒHomenaje a la memoria de SorollaÓ, El Pueblo, Valence, 11/08/1933.
Vicente Barber‡ Masip (photographies), ÒInauguraci—n del monumento a SorollaÓ, Las
Provincias, Valence, 3/01/1934.
III. La crŽation du MusŽe Sorolla : 1924-1939
194
refermer ses portes ˆ cause de la guerre.152 Le 16 fŽvrier, une coalition de partis de
gauche, le Front Populaire, remporte les Žlections lŽgislatives. Alcal‡-Zamora
assume la prŽsidence jusquÕen mai avant dՐtre remplacŽ par Manuel Aza–a. Les
garnisons du Maroc se soulvent le 17 juillet et le mouvement sՎtend ˆ la
pŽninsule les 18 et 19 juillet. Nous ne disposons dÕaucun article de presse entre le
17 aožt 1936 et le 9 mai 1939 et ce nÕest quÕaprs cette date que quelques
journalistes madrilnes sÕintŽressent au sort des collections du musŽe.153 Or, ds
juillet 1936, le gouvernement rŽpublicain sÕest dotŽ dÕun ComitŽ de DŽfense du
TrŽsor Artistique prŽsidŽ par le peintre Timoteo PŽrez Rubio. Quelques chefsdÕÏuvre du MusŽe du Prado sont mis ˆ lÕabri hors de Madrid, mais les collections
du MusŽe Sorolla ne sont pas concernŽes par ce plan. Son directeur rassemble
simplement les toiles au rez-de-chaussŽe du b‰timent afin quÕelles soient moins
exposŽes aux tirs de mortier et aux bombardements Žventuels. Joaqu’n Sorolla y
Garc’a vit encore dans cette maison puisque sa mre a veillŽ ˆ lui laisser la
direction du musŽe et la jouissance des pices dÕhabitation. Sur ses fonds propres,
lÕhŽritier finance un cožteux plan de sauvegarde du b‰timent.154 Il charge en effet
lÕarchitecte JosŽ Mar’a Aspiroz (inc.-inc.) de mettre en place une protection
autour du site qui se rŽvle trs efficace puisque les seuls dŽg‰ts ˆ dŽplorer ˆ la fin
du conflit sont deux impacts de grenade dÕartillerie sur la faade. Enfin, durant la
prise de Madrid, les soldats de lÕarmŽe franquiste assurent la protection des lieux
jusquՈ la fin des hostilitŽs. En 1939, tous les biens sÕy trouvent inctacts.
Sous la Seconde RŽpublique, plus que jamais auparavant, le souvenir du
peintre valencien prend une coloration politique dans un contexte marquŽ par de
violentes luttes entre les partis. JusquՈ la fin de la pŽriode 1924-1939 et au grŽ de
lÕaternance au pouvoir, droite et gauche puisent dans la vie de Sorolla, et dans son
Ïuvre, les symboles de lÕune ou de lÕautre Espagne quÕils veulent voir triompher.
Le souvenir du peintre se situe donc prŽcisŽment sur cette fracture qui est sur le
point de dŽgŽnŽrer en guerre civile.
152.
153.
154.
JosŽ Guillot Carratala, ÒPor fin se abri— al pœblico el museo del insigne SorollaÓ, El
Adelantado, Salamanque, 16/03/1933.
J.F. Garc’a Lozano, ÒUn recuerdo al gran pintor valencianoÓ, El Luchador, Alicante,
17/08/1936.
JosŽ FŽlix Tapia, ÒCuadros del inmortal Sorolla, salvadosÓ, Informaciones, Madrid,
9/05/1939.
IV
SOROLLA ET LE RƒGIME FRANQUISTE
1939 - 1974
La victoire des troupes franquistes est suivie dÕune refonte totale de la
presse. Hormis quelques journaux conservateurs, tous les titres dÕavant-guerre
disparaissent. Ë Madrid, ABC parvient ˆ se maintenir dans une offre rŽduite ˆ
quelques titres dÕextrme droite : Arriba, Ya, El Alc‡zar, Informaciones, Madrid
et Pueblo. Le seul journal ŽditŽ ˆ Barcelone est La Vanguardia qui devient La
Vanguardia Espa–ola. Valence ne compte plus que Las Provincias, et deux
journaux phalangistes font leur apparition ˆ ses c™tŽs : Levante et Jornada.1 Cette
presse autorisŽe par le pouvoir est, par ailleurs, soumise ˆ une censure prŽalable
jusquՈ la promulgation de loi de la presse de Manuel Fraga (1922-2012), en
1966. Sa suppression nÕest pas, pour autant, synonyme de libertŽ dÕexpression
puisque les mmes mesures de rŽpression menacent toujours les rŽdactions qui
finissent par pratiquer lÕautocensure. Sous la dictature, non seulement Sorolla
nÕest pas menacŽ par la censure, mais ses tableaux sont rŽgulirement exposŽs et
les journalistes ne manquent pas de couvrir ces ŽvŽnements. Naturellement, dans
ce contexte, une perception nouvelle et quasiment uniforme de sa peinture, et
surtout conforme ˆ lÕidŽologie du rŽgime, va tre diffusŽe.
La premire exposition rŽtrospective de son Ïuvre est organisŽe ˆ Valence,
en 1944, dans une Espagne o se conjuguent famine et ennui, selon une
expression de lÕhistorienne AndrŽe Bachoud.2 Cette date marque le dŽbut du
Temps n¡2, 1944-1963, qui est la deuxime phase de haute intensitŽ critique. Ë
partir des annŽes cinquante, la peinture radieuse du Valencien sert la propagande
du rŽgime en accompagnant lÕouverture du pays au tourisme. Des images tirŽes de
ses tableaux ornent des affiches promotionnelles, des timbres, des billets de
banque, etc. Le dŽbut des annŽes soixante est un moment dÕexaltation de sa
1.
2.
Mar’a Cruz Seoane et Mar’a Dolores Saiz, Cuatro siglos de periodismo en Espa–a. De los
avisos a los peri—dicos digitales, Madrid, Alianza, 2007, pages 253-256.
AndrŽe Bachoud, Franco ou la rŽussite dÕun homme ordinaire, Paris, Fayard, 1997, page
289.
IV. Sorolla et le rŽgime franquiste : 1939-1974
196
peinture qui conna”t son apogŽe avec la double exposition commŽmorant le
centenaire de sa naissance, en 1963. La prŽsentation publique de cent trente-deux
tableaux dans les salles du Cas—n del Buen Retiro est ˆ lÕorigine dÕun changement
dans la reprŽsentation du peintre auprs des jeunes artistes. En effet, nombreux
sont ceux qui dŽcouvrent seulement son Ïuvre ˆ cette occasion. En visitant cette
exposition, quelques jeunes peintres portent mme un regard neuf, enfin libŽrŽs de
prŽjugŽs anciens. Enfin, en 1974, le triptyque Sorolla como pretexto du duo
dÕartistes pop Rafael Solbes (1940-1981) et Manolo ValdŽs (1942) connu sous le
nom dÕEquipo Cr—nica, est le premier hommage de lÕart contemporain au vieux
ma”tre longtemps honni. Le triptyque met en lumire la modernitŽ de sa peinture,
jusque-lˆ taxŽe dÕacadŽmique et de ringarde, et dŽmontre Ð ce qui ne va pas de soi
Ð que la nouvelle vague est capable dÕintŽgrer son hŽritage artistique sans imiter
servilement sa technique.
IV.1. SOROLLA LÕARAGONAIS : LE PASSƒ DU PEINTRE EN QUESTION
Avant dÕentrer dans cette pŽriode dÕaprs-guerre, il est temps de faire un
point quant ˆ la vision dÕensemble de lÕÏuvre de Sorolla, dans lÕEspagne de 1939.
Certes, avant la guerre, la presse a publiŽ des reproductions en telle ou telle
occasion mais quÕen est-il de la prŽsentation des toiles vŽritables ? Pour
comprendre cette pŽriode, il faut se souvenir que jusquՈ la guerre civile le MusŽe
Sorolla est la seule exposition permanente suffisamment complte pour donner
une juste idŽe de lÕÏuvre de Sorolla. Or, ˆ cause des alŽas de lÕhistoire,
lÕinstitution est restŽe ouverte dans un laps de temps trop court et nÕest donc pas
encore connue du public. On se souvient Žgalement que le peintre nÕavait jamais
exposŽ dans son pays, si bien que les Espagnols ne peroivent pas encore les
contours de son Ïuvre. Aprs la guerre, les nouveaux ma”tres du pays sont-ils sžrs
de bien la conna”tre ? De mme, que savent-ils du passŽ du peintre ? Voilˆ des
questions qui se posent alors et qui ne seront pas ŽlucidŽes sans dŽlai. JusquՈ ce
que les choses se prŽcisent, Sorolla sera dÕabord ŽcartŽ des premiers projets
culturels de la dictature ainsi quÕon va le voir dans ce chapitre.
IV. Sorolla et le rŽgime franquiste : 1939-1974
197
Hitler et Franco se sont rencontrŽs pour la premire fois ˆ Hendaye, le 23
octobre 1940. LÕannŽe suivante, lÕEspagne, qui est officiellement neutre et non
engagŽe dans la Deuxime Guerre Mondiale, collabore militairement avec le
Reich en envoyant un contingeant de soldats volontaires sur le front russe, la
ÒDivisi—n AzulÓ. Alors que des Espagnols participent au sige de LŽningrad,
lÕAllemagne nazie inaugure le 19 mars 1942 une importante exposition de
peinture espagnole contemporaine composŽe de deux cent dix-neuf tableaux. Le
projet fait partie dÕun programme dՎchanges culturels entre deux pays qui
cooprent sur le plan militaire. Cet ŽvŽnement est prŽparŽ, en Espagne, par
lÕarchitecte Francisco I–iguez (1901-1982), commissaire gŽnŽral du patrimoine
artistique et, en Allemagne, par une hispaniste nommŽe Richte et par le gŽnŽral
Wilhelm Faupel (1870-1945). Sous le Reich, il dirige lÕInstitut ibŽro-amŽricain de
Berlin, une institution scientifique crŽe en 1930 et qui, entre ses mains, sert la
propagande du rŽgime. La sŽlection espagnole prŽsentŽe dans les murs de
lÕAcadŽmie des Beaux-Arts de Berlin exclut les peintres avant-gardistes tels que
Pablo Ruiz Picasso, Juan Gris, Joan Mir—, etc., qui sont associŽs de facto au Parti
Communiste. Mais elle fait la part belle ˆ la peinture de plein air dÕAureliano de
Beruete, Eliseo MeifrŽn, Joaqu’n Mir, Antonio Mu–oz Degrain, Santiago Rusi–ol,
Dar’o de Regoyos et dÕautres peintres nŽs au XIXme sicle. Dans le quotidien
madrilne ABC, un journaliste relve lÕabsence de Sorolla, qui est dÕautant plus
criante que le choix de lՃtat sÕest portŽ sur les peintres qui ont fait Žcole !3 Il ne
sait, ou ne peut, apporter de rŽponse convaincante expliquant cette absence et
pour Žclaircir cette question, nous ne pouvons que formuler de simples
hypothses.
Vraisemblablement, aucun obstacle technique nÕempche lÕenvoi dÕun ou de
plusieurs tableaux, car mme si les statuts du MusŽe Sorolla interdisent les prts,
dÕautres institutions dՃtat possdent des tableaux qui auraient parfaitement pu
rejoindre la sŽlection berlinoise. Bernardino de Pantorba en fera un inventaire en
1953.4 Le MusŽe dÕArt Moderne de Madrid conserve neuf portraits et deux grands
formats, ÁAœn dicen que el pescado es caro! et La jura de la Consituci—n por la
Reina Regente Do–a Mar’a Cristina. Le musŽe de lÕAcadŽmie des Beaux-Arts de
3.
4.
Ernesto del Campo, ÒExposici—n de arte espa–ol contempor‡neoÓ, ABC, Madrid,
20/03/1942.
Bernardino de Pantorba, La vida y la obra de Joaqu’n Sorolla. Estudio biogr‡fico y
cr’tico, Madrid, Mayfe, 1953, pages 165-171.
IV. Sorolla et le rŽgime franquiste : 1939-1974
198
San Fernando possde deux sujets de mer, Jugando en el agua et Comiendo en la
barca. De plus, une trentaine de tableaux se trouve dissŽminŽe en province dans
les musŽes de Valence, Castell—n, Murcie, Cordoue, Cadix, Bilbao, Saragosse,
Barcelone, Malaga et Tolde. Par consŽquent, lÕabsence de Sorolla, en
Allemagne, doit dŽpendre dÕautres motifs tels que, par exemple, lÕidŽe que le
pouvoir franquiste se fait de son passŽ. Ë lՎvidence, les prŽcautions sont de mise
car les tableaux vont rejoindre le Reich et lÕEspagne ne peut pas risquer
dÕindisposer un partenaire aussi puissant. Il faut rappeler que, ˆ la fin de lÕannŽe
1941, les forces de lÕAxe sont ˆ leur apogŽe. LÕaviation japonaise vient dÕinfliger
de lourdes pertes ˆ la flotte amŽricaine du Pacifique ˆ Pearl Harbor, lÕAfrika
Korps contr™le le Maroc, lÕAlgŽrie et la Tunisie et la Wehrmacht se trouve aux
portes de Moscou. Les ministres du caudillo sont-ils certains que le peintre ne fut
pas, jadis, un rŽpublicain ou un ÒvalencianisteÓ ? Quelques indices tendent ˆ
prouver que non car, sous la Seconde RŽpublique, cÕest justement cette idŽe que le
PURA, le parti de Sigfrido Blasco-Ib‡–ez, sÕest attachŽ ˆ diffuser en rapprochant,
par exemple, le peintre de lÕauteur de Flor de mayo.
Au dŽbut de la Guerre Civile, le gouvernement lŽgitime a fait ŽditŽ, ˆ
Londres, un billet de banque de vingt-cinq pesetas ˆ lÕeffigie de Sorolla.5 Le recto
de ce billet prŽsente un portrait du peintre dans un ovale ˆ c™tŽ dÕune vue dÕun
monument emblŽmatique de Valence, la tour de Miguelete ou Micalet, la
dŽsignation locale du clocher de la CathŽdrale Sainte Marie de Valence. Le recto
prŽsente une reproduction dÕun tableau peint sur la plage de La Malvarrosa,
reprŽsentant une scne de retour de pche. Pour comprendre la portŽe de ces
images valenciennes il faut rappeler que le gouvernement de Manuel Aza–a sÕest
rŽfugiŽ ˆ Valence le 7 novembre 1936. La ville devient alors la capitale de
lÕEspagne rŽpublicaine et un bastion de rŽsistance. Mais elle paie pour cela un
lourd tribut puisquÕelle est rŽgulirement bombardŽe par lÕaviation nationaliste ˆ
partir de 1937. Le gouvernement a donc utilisŽ lÕimage du peintre sur un billet
chargŽ de sens puisquÕil rŽaffirmait la continuitŽ et la lŽgitimitŽ du gouvernement
rŽpublicain Žlu au suffrage universel.
Aprs la guerre, les franquistes peuvent avoir quelques raisons de
sÕinterroger sur le passŽ de Sorolla et ils prŽfrent peut-tre, dans un premier
5.
Figure n¡11. Billet de 25 pesetas Ç Pescadoras valencianas È (1936).
IV. Sorolla et le rŽgime franquiste : 1939-1974
199
temps, ne pas lÕincorporer ˆ leur politique culturelle. CÕest au moins une
hypothse qui nÕest pas invraisemblable. Toutefois, si Sorolla est Òmis en
quarantaineÓ en 1942, il sera vite ˆ nouveau admis par le rŽgime. En effet, ds
novembre 1943, un de ses tableaux fait partie de la sŽlection de peinture du XXme
sicle envoyŽe ˆ Lisbonne aux c™tŽs de ceux de Julio Romero de Torres, JosŽ
GutiŽrrez Solana, JosŽ Moreno Carbonero (1860-1942), etc.6 Apparemment,
Sorolla est alors compatible avec la dictature dÕAnt—nio Salazar (1889-1970).
Mais avant ce dŽbut de Òretour en gr‰ceÓ, le peintre a-t-il dž tre rŽhabilitŽ ?
Durant les annŽes qui suivent la fin de la guerre civile, un document Žtonnant
prouve que, dans lÕEspagne franquiste, le passŽ de Sorolla est bel et bien en
question.
Ë lÕoccasion de la rŽouverture du MusŽe Sorolla, en novembre 1941, le fils
accorde un entretien au journaliste Emilio Fornet (1898-1985). Ce tŽmoignage est
largement diffusŽ puisquÕil est plusieurs fois republiŽ et abondamment citŽ dans
dÕautres articles. Au cours de cette rencontre, apparemment prŽparŽe et mme
rŽdigŽe ˆ lÕavance, Joaqu’n Sorolla y Garc’a insiste particulirement sur les
origines aragonaises de son pre et fait allusion ˆ lÕanciennetŽ de sa lignŽe : Ç Era
muy espa–ol. Oriundo de Arag—n por sus padres, del casal aragonŽs ten’a la
tenacidad, la agudeza, la elegancia, aquella que el rey Alfonso V expandiera en el
N‡poles humanista [É] È7 et le journaliste prŽsente ainsi les objets, pour la
plupart valenciens, accrochŽs dans lÕatelier : Ç Colgado est‡ el bello estudio de
Sorolla de banderas, de faroles, de trofeos; expresan su ardiente opulencia latina,
romana, a travŽs de su rica sangre aragonesa [É] È8 Latine, romaine, aragonaise,
tous ces adjectifs contournent soigneusement la rŽalitŽ. Et par un Ògrand ŽcartÓ
historique, le texte Žvoque lÕancien royaume dÕAragon qui englobait, sous le
rgne dÕAlphonse le Magnanime (1396-1458), Valence, lÕAragon, la Catalogne
mais aussi la Corse, la Sardaigne, la Sicile, le Sud de lÕItalie et dÕautres
possessions. Or, dÕune part, notre peintre nÕa rien ˆ voir avec cette Žpoque
6.
7.
8.
Marino Rico, ÒEl arte espa–ol en PortugalÓ, ABC, Madrid, 12/11/1943.
Emilio Fornet, ÒLa Casa-Museo de Joaqu’n SorollaÓ, Madrid, Madrid, 18/11/1941. Ç Il
Žtait trs espagnol. Originaire dÕAragon par ses parents. Du terroir aragonais il possŽdait
la tŽnacitŽ, la finesse, lՎlŽgance, celle-lˆ mme quÕAlphonse V rŽpandit dans la Naples
humaniste. È
Ibidem Ç Dans le bel atelier de Sorolla sont accrochŽs les drapeaux, les lustres, les
trophŽes ; ils expriment sa brillante opulence latine, romaine, ˆ travers son riche sang
aragonais. È
IV. Sorolla et le rŽgime franquiste : 1939-1974
200
lointaine et, dÕautre part, chacun sait bien quÕil est Valencien et ses tableaux les
plus cŽlbres le dŽmontrent assez. Mais, dans les premires annŽes de la dictature,
mme lՎvidence relve du tabou. En rŽalitŽ, seul le pre de lÕartiste Žtait
aragonais, natif de Cantavieja, un village de la province de Teruel.9 Quant ˆ sa
mre, elle Žtait catalane, mais le fils prend soin de ne pas y faire mention. Dire
que son pre est dÕorigine aragonaise permet ˆ Joaqu’n de masquer ˆ la fois sa
propre origine valencienne et les origines catalanes de sa mre, donc dՎloigner
tout Žventuel soupon de ÒsŽparatismeÓ.
Il faut rappeler, en plus de cela, que lÕAragon est la terre de Francisco de
Goya, un des peintres les plus emblŽmatiques de lՃcole espagnole. Le
rapprochement entre les deux peintres est dÕailleurs le sujet de la confŽrence
donnŽe par le prŽsident de lÕassociation de la presse valencienne, en juin 1944.10
Ë lÕimage de Goya, Sorolla est peru comme un gŽnie isolŽ et visionnaire. Et
comme tous deux ont fait Žcole, ils apparaissent comme des jalons de lÕhistoire de
la peinture nationale. Enfin, au moins durant quelques annŽes, la confusion
concernant les origines de Sorolla est rŽelle. Ë tel point que le journal Artes y
Letras le prŽsente comme un Òillustre peintre sŽvillanÓ probablement parce quÕun
monument ˆ son effigie se trouve dans cette ville.11 En tenant compte de tous ces
ŽlŽments, on peut se demander si le directeur du MusŽe Sorolla prend dÕautres
prŽcautions durant cette pŽriode. Par exemple, les archives familiales sont-elles
ŽpurŽes ? Si tel fut le cas, cela pourrait expliquer, entre autres, les inexplicables
lacunes dans la correspondance avec Vicente Blasco Ib‡–ez qui font si
cruellement dŽfaut pour une plus juste comprŽhension de leur relation. Le MusŽe
Vicente Blasco Ib‡–ez ne possde que quatre lettres signŽes du peintre, une
quantitŽ insignifiante qui pourrait sÕexpliquer par les constants dŽplacements de
lՎcrivain et sa vie tumulteuse, faite de hauts et de bas. Le MusŽe Sorolla conserve
treize de ses lettres mais qui nՎvoquent que des sujets anodins, quasiment sans
intŽrt.12 Les collections du musŽe sont de trs bonne qualitŽ, en particulier celle
qui contient les courriers reus par le couple Sorolla, mais manifestement, ici des
lettres manquent. Une source orale nous a confiŽ que le fils aurait fait un tri parmi
9.
10.
11.
12.
Anonyme, ÒArte y artistas. Los maestros del arte: Joaqu’n SorollaÓ, El Correo Catal‡n,
Barcelona, 29/04/1943.
Anonyme, ÒSolemne clausura de la Exposici—n de obras pict—ricas de Joaqu’n SorollaÓ,
Hoja del Lunes, Valence, 12/06/1944.
Anonyme, ÒNoticiario art’sticoÓ, Artes y Letras, Madrid, 15/06/1944.
MS. X.1 / 67. Lettres de V. Blasco Ib‡–ez ˆ J. Sorolla.
IV. Sorolla et le rŽgime franquiste : 1939-1974
201
les archives de son pre. Ë deux reprises, il aurait dŽtruit par le feu les documents
les plus gnants dans le jardin de la propriŽtŽ.
LՎpoque rŽclame en effet de prendre quelques prŽcautions indispensables.
Joaqu’n Sorolla y Garc’a est alors doublement responsable de ces documents ;
dÕabord en tant que membre de la famille mais aussi en tant que directeur du
MusŽe Sorolla. Nous ne disposons pas dÕinformations concernant les positions
idŽologiques de Joaqu’n Sorolla y Garc’a et une Žtude de ce personnage mal
connu reste ˆ faire. Rien ne permet de percevoir chez cet homme un conservateur,
bien au contraire. Il fit sa scolaritŽ ˆ lÕInstitution Libre dÕEnseignement avant
dՎtudier les sciences ˆ Londres. Comme il a ŽtŽ dit, il fut lÕamant de Raquel
Meller et frŽquentait le cancan de Madrid. Il nÕexera pas de mŽtier et sÕadonnait
ˆ la photographie et ˆ la peinture en amateur. LÕensemble de ses rŽalisations, qui
est aujourdÕhui conservŽ au MusŽe Sorolla, ne porte pas de traces idŽologiques.
Elle ne contient, en effet, que des portraits et des nus fŽminins, souvent lascifs.13
Les photographies pourraient se fondre dans le courant surrŽaliste. Elles montrent
des jeunes femmes costumŽes dans des mises en scne oniriques qui rappellent
lÕunivers de Jean Cocteau (1889-1963). En 1933, Joaqu’n Sorolla y Garc’a a
participŽ ˆ lÕinauguration du monument ˆ la mŽmoire de son pre ŽdifiŽ par les
rŽpublicains de Valence comme seul reprŽsentant de la famille. Ë cette occasion,
il avait accueilli favorablement lÕidŽe de monter une exposition temporaire dans
cette ville en collaboration avec le maire de lՎpoque, Vicente Lambies Grancha
(inc.-inc.). Mais ce projet ne verra pas le jour avant la guerre. Plus tard, sa sÏur
Mar’a et son beau-frre Francisco Pons Arnau y organiseront une exposition sous
le franquisme, mais lui sÕen tiendra ˆ lՎcart en ne participant pas ˆ son
inauguration.14
Si le tŽmoignage du fils est remarquŽ, le retour en gr‰ce du Valencien
nÕaurait jamais ŽtŽ possible sans le soutien de la presse phalangiste, ds le dŽbut
des annŽes quarante. Elle joue un r™le dŽterminant en revendiquant et prŽsentant
Sorolla tant™t comme le dernier reprŽsentant de la grande ƒcole espagnole, tant™t
comme lÕinventeur dÕun ÒImpressionnisme nationalÓ. Jornada, Solidaridad
13.
14.
Son Ïuvre peint a ŽtŽ publiŽ dans un catalogue des collections du MusŽe Sorolla :
Cat‡logo de pintura del Museo Sorolla, Madrid, Ministre de lՃducation, de la Culture
et des Sports, 2002, tome II, pages 483-515.
Anonyme, ÒSolemne apertura de la gran exposici—n SorollaÓ, Levante, Valence,
16/05/1944.
IV. Sorolla et le rŽgime franquiste : 1939-1974
202
Nacional, El Alc‡zar, Arriba, etc. et dÕautres journaux liŽs au Mouvement fasciste
prennent part ˆ une campagne de ÒrŽhabilitationÓ du peintre. En mai 1944, le mot
appara”t dÕailleurs sous la plume dÕun journaliste de Jornada qui, au risque de se
contredire, ne juge pas cette rŽhabilitation nŽcessaire en la trouvant nŽanmoins
bienvenue : Ç Ahora, el tiempo ha vuelto las aguas a su cauce y nos ayuda en esta,
aunque innecesaria, oportuna rehabilitaci—n del pintor. È15
En septembre 1942, ˆ lÕoccasion dÕune exposition de peintres phalangistes
organisŽe ˆ Madrid, Carlos Boronat (inc.-inc.) vante la suprŽmatie de ÒlÕart
rŽaliste espagnolÓ qui, selon lui, dŽcoule directement de la peinture de Sorolla.
Dans son article, il analyse son esthŽtique du mouvement et de la lumire comme
le premier pas vers un ÒImpressionnisme nationalÓ qui nÕentretient, selon lui,
aucun lien de parentŽ avec lÕImpressionnisme franais. Dans son raisonnement, il
reconna”t Sorolla comme le pre dÕune Žcole de peinture dŽgagŽe dÕinfluences
Žtrangres. Pour dŽmontrer que son art nÕest pas purement rŽgional Ð faut-il
comprendre valencien ? Ð il rappelle quÕil a peint les paysages des Asturies,
dÕAndalousie et de Castille.16 Cette position intellectuelle est, dans les faits,
rŽvisionniste dans la mesure o elle occulte toute la dimension europŽenne du
mouvement
nŽ en
France.
En prŽfŽrant lÕadjectif
ÒrŽalisteÓ ˆ celui
dÕÒimpressionnisteÓ lÕauteur jette une passerelle entre les ma”tres du Sicle dÕor et
les peintres modernes. Enfin, sa vision des choses fait Žcho ˆ la situation politique
dÕun pays qui a fait le choix de lÕautarcie. En 1963, lÕhistorien Bernardino de
Pantorba rŽfutera tout lien entre lÕessor de la peinture sur le motif ˆ Valence et le
pleinairisme franais en Žvoquant une simple co•ncidence !17 LÕidŽe dÕun
ÒImpressionnisme nationalÓ, prŽsentŽ et justifiŽ dans les circonstances que lÕon
vient de voir, survivra ˆ la dictature. Alors quÕun contemporain de Sorolla comme
Aureliano de Beruete admettait comme une Žvidence lÕinfluence des peintres
franais dans son Žvolution, ce nÕest plus le cas aprs la guerre civile. Les
interprŽtations de lÕÏuvre de Sorolla nŽes sous le franquisme passeront ˆ la
postŽritŽ quasiment sans tre jamais remises en cause par les communautŽs
15.
16.
17.
J.O., ÒLa Exposici—n SorollaÓ, Jornada, Valence, 16/05/1944 . Ç Maintenant, le temps a
fait que les choses sont rentrŽes dans lÕordre ce qui facilite cette, bien que superflue,
nŽcessaire rŽhabilitation du peintre. È
Carlos Boronat, ÒDe arte. Sorolla y la pintura realistaÓ, Solidaridad Nacional, Madrid,
1/09/1942.
Bernardino de Pantorba, ÒSorolla, el hombre y la obraÓ, Blanco y Negro, Madrid,
13/04/1963.
IV. Sorolla et le rŽgime franquiste : 1939-1974
203
dÕinterprŽtations postŽrieures. Il en va ainsi de la rŽception critique, les strates
sÕadditionnent les unes aux autres et les plus rŽcentes prennent pour point de
dŽpart les prŽcŽdentes. Suivant cette logique, la vision de Sorolla a plus souvent
ŽtŽ complŽtŽe quÕelle nÕa ŽtŽ rŽvisŽe et des idŽes ont ŽtŽ admises sans tre
prŽalablement questionnŽes.
Dans le prolongement de la lecture franquiste, le peintre Francisco Pompey
(1887-1974) rŽactualise lÕidŽe selon laquelle, dans la nouvelle re qui est en train
de sÕouvrir, Sorolla doit figurer comme un modle : Ç Los artistas
contempor‡neos, de esta Žpoca de inquietudes y de confusi—n, se encontrar‡n
frente a esas obras, paisajes y retratos de Sorolla como n‡ufragos que aperciben
en la lejan’a la isla maravillosa del ensue–o y de la salvaci—n. È18 Ce discours
empreint de la religiositŽ de lՎpoque rappelle que lÕinauguration du MusŽe
Sorolla nÕa pas mis fin ˆ lÕimpopularitŽ du ma”tre auprs dÕune partie des jeunes
peintres que Pompey considre comme des ÒnaufragŽsÓ. LÕexistence mme de ces
Òanti-Ó continue ˆ nuire ˆ son image. CÕest une des raisons qui incite une des filles
du peintre, Mar’a, ˆ parrainer un jeune artiste valencien en crŽant la bourse
Žponyme. Pour ce faire, lÕhŽritire vend aux enchres un tableau de sa collection.
En couvrant lÕenchre la plus ŽlevŽe, la Caisse dՃpargne et Mont-de-piŽtŽ de
Valence fait lÕacquisition du lot pour douze mille pesetas et se charge elle-mme
de convoquer un concours de peinture avec cet argent.19 Cependant, aucune des
rŽalisations prŽsentŽes ne lui semble digne de la rŽcompense si bien quÕelle
convoque un deuxime concours et rŽcompense finalement une sculpture
classique qui obŽit ˆ des canons dŽpassŽs depuis longtemps. La bourse Mar’a
Sorolla est un double Žchec puisquÕelle ne parvient pas ˆ parrainer un peintre et
que, de surcro”t, elle finit par promouvoir lÕacadŽmisme le plus orthodoxe.
Ë lÕoccasion du quatre-vingtime anniversaire de la naissance du peintre, le
27 fŽvrier 1943, le journal madrilne Pueblo rappelle que le Valencien a honorŽ
un jour son pays en le reprŽsentant dignement ˆ lՎtranger au plus fort de la crise
de 1898 : Ç Sorolla, jal—n de historia y temple de voluntad al servicio ideal de la
belleza, gan— para Espa–a el respecto y la admiraci—n de un mundo que hab’a
18.
19.
Francisco Pompey, ÒLa Casa de SorollaÓ, [?], [?], 23/11/1942. Ç Les artistes
contemporains de cette Žpoque de troubles et de confusion, se trouveront devant ces
Ïuvres, paysages et portraits de Sorolla, comme des naufragŽs aperevant au loin lՔle
merveilleuse du rve et du salut. È
Anonyme, ÒValencia al d’aÓ, Las Provincias, Valence, 2/05/1946.
IV. Sorolla et le rŽgime franquiste : 1939-1974
204
empezado a desde–arnos o a olvidarnos. È20 Ë travers une mŽtaphore militaire
caractŽristique de cette pŽriode, il estime que le pays ne doit pas oublier ceux qui
ont versŽ pour elle Òle sang de la pensŽe et du cÏurÓ. Un pays ˆ la dŽrive secouru
par un homme, voilˆ une image qui renvoie implicitement ˆ lՎpopŽe martiale du
gŽnŽralissime. Le pays a alors besoin de mythes et de parangons. Comme le chef
suprme, le peintre disparu peut aussi tre un modle pour la jeunesse et cÕest
sous ce jour que la revue Chicos le prŽsente.21 Pour faciliter lÕidentification entre
Sorolla et les jeunes lecteurs de la revue, lÕauteur anonyme brosse le portrait de
lÕenfant quÕil a un jour ŽtŽ. Le garon est dŽcrit comme un Žcolier mŽdiocre et
rveur mais comme un dessinateur hors pair qui, ˆ force dÕapplication et de
constance, est džment rŽcompensŽ par le travail manuel. Dans une Espagne o
tout est ˆ reconstruire, le rŽgime a moins besoin dÕintellectuels que de garons
forts, sains et formŽs aux t‰ches physiques. Cette rŽcupŽration du peintre,
fortement empreinte des valeurs du rŽgime, flatte lÕorgueil national et prouve que
lÕEspagne a aussi ses ÒgloiresÓ.
La pŽriode durant laquelle la presse sÕemploie ˆ rŽtablir Sorolla dans
lÕestime et la considŽration du plus grand nombre sՎtend au moins jusquՈ la
premire exposition rŽtrospective. En contribuant ˆ la fondation dÕun musŽe, les
enfants de lÕartiste ont accompli la volontŽ de leur mre et la fille a”nŽe poursuit
leur engagement en rendant possible lÕorganisation dÕune exposition posthume de
grande envergure. Le maire de Valence, Juan Antonio G—mez TrŽnor (inc.-inc.),
apporte son soutien ˆ ce projet dont lÕinitiative revient ˆ Francisco Pons Arnau, le
gendre du peintre. Selon lui, lÕexposition est censŽe rŽparer une injustice car la
ville natale de lÕartiste nÕa jamais accueilli aucune de ses expositions
monographiques. Il invoque cet argument lorsquÕun journaliste de Las Provincias
lÕinterroge, une semaine avant lÕinauguration.22 Mais est-ce lˆ son unique
intention ? Dans le contexte que lÕon a dŽcrit, celui qui a ŽtŽ un disciple du ma”tre
avant de devenir le mari de sa fille a”nŽe entend aussi dŽmontrer que son ma”tre et
beau-pre a ŽtŽ un peintre de lÕEspagne toute entire, patriote et ÒespagnolisteÓ.
Deux ans auparavant, Pons Arnau a montŽ une exposition personnelle ˆ Valence,
20.
21.
22.
JosŽ, ÒHace ochenta a–os nac’a SorollaÓ, Pueblo, Madrid, 27/02/1943. Ç Sorolla, jalon de
lÕhistoire et modle de volontŽ au service idŽal de la beautŽ, gagna pour lÕEspagne le
respect et lÕadmiration dÕun monde qui avait commencŽ ˆ nous mŽpriser et ˆ nous
oublier. È
Anonyme, ÒÀCerrajero o pintor?Ó, Chicos, Madrid, 17/11/1943.
Rafael Mart’ Orber‡, ÒSorolla y nuestra deudaÓ, Las Provincias, Valence, 7/05/1944.
IV. Sorolla et le rŽgime franquiste : 1939-1974
205
du 1er au 11 mai 1942. Elle avait pour pice majeure un portrait Žquestre du
dictateur que le peintre offrit ˆ la ville.23 Si son adhŽsion au nouveau rŽgime allait
de soi et si le reste de la famille avait donnŽ des gages de son patriotisme en
rendant possible, on sÕen souvient, la fondation du MusŽe Sorolla, les incertitudes
entourant les positions idŽologiques de Sorolla demeurent en 1944. Or, une
sŽlection de toiles bien choisies peut commencer ˆ lever quelques doutes.
Dans la presse, lÕexposition est annoncŽe en dŽcembre 1943.24 Pour attirer
un maximum de visiteurs, elle est programmŽ pour la mi-mai, au moment de la
fte de la Vierge des DŽsemparŽs Ð deuxime dimanche de mai Ð qui,
gŽnŽralement, sÕaccompagnait dÕun programme touristique. LÕensemble qui va
tre prŽsentŽ comprend principalement des Ïuvres inŽdites provenant de la
collection privŽe du couple. Le 15 mai 1944, une centaine de toiles et deux cents
pochades et dessins sont dŽvoilŽes dans les salles du nouveau MusŽe Municipal
que lÕon inaugure par la mme occasion. Depuis Madrid, le critique Enrique
Lafuente Ferrari (1898-1985) considre dÕemblŽe que cette exposition ne doit pas
avoir lieu ˆ Valence car elle prŽsenterait nŽcessairement Sorolla sous lÕangle
local.25 Mais le lendemain de la parution de cet article, les journaux madrilnes El
Alc‡zar, El Hoja del Lunes, Arriba et ABC, dŽpchent des reporters sur place et
ceux-ci constatent justement le contraire : Ç Valencia hace bien en regalar en esta
ocasi—n el concepto de lo regional con que se present— hasta aqu’ esta genial
pintura y en mostrarla de forma m‡s profunda y justa. È26 Les quatre journalistes,
Cecilio Barber‡n (1899-1982), Manuel S‡nchez-Camargo (1911-1967), Benito
Rodr’guez Filloy (1906-1946) et Enrique Azcaoga (1912-1985) sont reus le 18
mai par les organisateurs de lÕexposition.27 LՎvŽnement a une valeur nationale Ð
ainsi en a dŽcidŽ Pons Arnau Ð et cÕest le message que les journalistes se chargent
de rŽpercuter. Dans El Alc‡zar, lÕarticle de S‡nchez Camargo commence ainsi :
Ç El homenaje que Valencia ha rendido a Sorolla tiene une significaci—n nacional
23.
24.
25.
26.
27.
Exposici—n Sorolla patrocinada por el Excmo. Ayuntamiento de Valencia, Valence,
Ayuntamiento de Valencia, 1944, page 14.
Anonyme, ÒGran exposici—n del pintor SorollaÓ, El Alc‡zar, Madrid, 10/12/1943.
Enrique Lafuente, ÒPara un Ç descubrimiento È de SorollaÓ, Arriba, Madrid, 17/05/1944.
Anonyme, ÒArte y artistas : la Exposici—n de Sorolla en ValenciaÓ, ABC, Madrid,
3/06/1944 et Manuel S‡nchez Camargo, ÒValencia y SorollaÓ, El Alc‡zar, Madrid,
22/05/1944. Ç Ë cette occasion, Valence fait bien de mettre de c™tŽ la notion de rŽgional
sous laquelle cette peinture gŽniale a ŽtŽ prŽsentŽe jusquÕici et de la montrer dÕune
manire plus profonde et juste. È
ÒCr’ticos de la prensa madrile–a visitan la exposici—n SorollaÓ, Las Provincias, Valence,
19/05/1944.
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206
que es preciso se–alar [É] È28 cÕest-ˆ-dire Ç LÕhommage que Valence a rendu ˆ
Sorolla a une valeur nationale quÕil convient de souligner [É] È
La sŽlection prŽsentŽe exclut la jeunesse valencienne du peintre et la
peinture sociale des annŽes 1894-1901, en particulier la peinture de dŽnonciation
dans laquelle les rŽpublicains ont jadis reconnu leurs valeurs. En effet, les
organisateurs ont privilŽgiŽ les rŽalisations tardives, cÕest-ˆ-dire au moins
postŽrieures ˆ 1901, en expliquant ˆ juste titre, il faut bien le reconna”tre, quÕil
sÕagit alors de son Ïuvre le moins connu du public. Leur choix sÕest donc portŽ
sur des scnes de plage et de jardin, cÕest-ˆ-dire des productions purement
plastiques, sans ÒthseÓ. Ils ont privilŽgiŽ Žgalement des paysages de diffŽrentes
rŽgions du territoire national, cÕest-ˆ-dire la Castille, lÕAndalousie, le Pays Basque
et les ”les BalŽares. LÕexposition dŽvoile trois Žbauches en grand format du dŽcor
de lÕHispanic Society : Tipos regionales de Soria, Tipos regionales de Segovia et
Tipos regionales de çvila.29 Dans le catalogue de lÕexposition comme dans la
presse, cette Ïuvre tardive est alors qualifiŽe ÒdՉge dÕorÓ, une dŽsignation qui
souligne la maturitŽ de lÕartiste mais Žtablit, de fait, une hiŽrarchie de valeur entre
son Ïuvre de jeunesse et son Ïuvre tardive.30 LÕexposition doit gŽnŽrer une autre
perception de Sorolla, moins locale, car il est encore peru ˆ Valence ˆ travers des
tableaux anciens, en particulier des scnes de pcheurs affairŽs ˆ tirer un bateau
sur la plage, ˆ ravauder une voile ou un filet, ˆ rŽparer les nasses, etc. Le dŽcor
Visi—n de Espa–a, qui a sombrŽ dans un oubli complet, est entirement dŽvoilŽ
dans le catalogue de cette exposition, qui contient en annexes les quatorze
planches imprimŽes en noir et blanc dŽpliables en trois volets.
LÕexposition vŽhicule lÕidŽe suivante : en tant que peintre de tout le
territoire national, tout Espagnol peut sÕidentifier ˆ son Ïuvre. Ë cette Žpoque
cela ne va pas de soi, car les rŽpublicains de Valence se sont toujours refusŽs ˆ
partager leur artiste et cette culture demeure. On se souvient du Ç ÁSorolla es
nuestro, es de Valencia! È de FŽlix Azzati, le cri lancŽ ˆ la foule le jour de
lÕenterrement du peintre. Il existe un lien trs fort entre la population et le peintre,
et une exposition comme celle de 1944 entend apparemment le diluer en
28.
29.
30.
Manuel S‡nchez Camargo, ÒValencia y SorollaÓ, El Alc‡zar, Madrid, 22/05/1944.
Tipos regionales de Soria, 200x244, Madrid, Collection particulire, 1912. Tipos
regionales de Segovia, 192x200, Madrid, Collection particulire, 1912. Tipos regionales
de çvila, 205x121, Madrid, Collection particulire, 1912.
Sorolla, Valence, Ayuntamiento de Valencia, 1944, page 14.
IV. Sorolla et le rŽgime franquiste : 1939-1974
207
montrant, ˆ Valence, les paysages de Castille. Jusque-lˆ, Sorolla Žtait toujours
associŽ aux plages de la Malvorrasa et du Caba–al et les familles de pcheurs se
souvenaient encore trs bien de lÕartiste installŽ face ˆ la mer, au milieu dÕeux. Il
nÕest pas commun quÕun peintre entre ˆ ce point dans le cÏur et dans la vie dÕune
population. Comme sur les pages dÕun album photo, des gens humbles et
anonymes figurent sur les tableaux du ma”tre si bien que, dans cette ville,
nombreux ont toujours ŽtŽ ceux qui, ˆ tort ou ˆ raison, ont jurŽ reconna”tre tel
grand pre ou tel cousin ŽloignŽ sur une toile du ma”tre. Il y a peu, le journal Las
Provincias a envoyŽ un reporter sur les traces des descendants des personnages
peints. Reconna”tre les femmes nÕest pas une chose aisŽe car elles prŽfŽraient ne
pas tre identifiables. Cela appara”t au premier coup dÕÏil, en dehors des enfants,
Sorolla ne peignait pas les visages de ces gens de la mer. Les ttes sont le plus
souvent tournŽes ou masquŽes par un couvre-chef quand elles ne sont pas, tout
simplement, imprŽcises. Poser pour un artiste Žtait alors mal vu car les modles
fŽminins, souvent des gitanes, Žtaient perues comme des femmes lŽgres prtes ˆ
se dŽnuder pour quatre sous. Selon un tŽmoignage, des familles de pcheurs ont
pu recevoir des cadeaux du peintre en Žchange de leurs bons services, mme si
des ŽlŽments nous autorisent ˆ en douter. Une Valencienne affirmait la chose
suivante : Ç Me consta que la abuela tuvo dos retratos pintados por Sorolla mucho
tiempo, pero en Žpoca de hambre vendi— cada uno de ellos por 200 pesetas. [É]
Luego creo que fueron a AmŽrica. È31
En juin 1945, le journal D’game rencontre un tŽmoin qui explique que
Sorolla aimait le contact des travailleurs et sÕadressait ˆ tout le monde sans
protocole ni hauteur. LÕhomme interrogŽ Žvoque les sŽances de travail du peintre
qui commenaient ˆ lÕaube, ˆ lÕheure o les pcheurs rapportent les filets relevŽs
durant la nuit.32 Les tŽmoignages recueillis dans les annŽes quarante sont autant
dÕexemples de la constante et indŽfectible popularitŽ du peintre parmi les couches
populaires. Les gens de la mer apprŽcient Sorolla dÕabord parce quÕils lÕont tous
vu de leurs propres yeux. Par ailleurs, sa peinture leur parle dÕautant plus quÕelle
31.
32.
Anonyme, ÒEn el pincel de SorollaÓ, lasprovincias.es, 11/11/2007. Lola Soriano,
ÒInmortalizados por SorollaÓ, lasprovincias.es, 17/08/2008 et Ram—n J. Campo, ÒEl
modelo de SorollaÓ, heraldo.es, 14/09/2009. Ç Je suis certaine que ma grand-mre a
longtemps possŽdŽ deux portraits peints par Sorolla, mais dans une Žpoque de famine elle
vendit chacun dÕeux pour deux cents pesetas. Ensuite, je crois quÕils partirent pour
lÕAmŽrique. È
Federico Galindo, ÒEl hombre que sujetaba el caballete de SorollaÓ, D’game, Madrid,
5/06/1945.
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est fidle ˆ cette nature quÕils connaissent si bien. Les enfants de la plage qui,
jadis, poursuivaient lÕartiste en nuŽe et sÕagglutinaient autour du chevalet au point
de piŽtiner ses tubes de couleurs, sont devenus en 1944 des adultes qui retrouvent
dans ses tableaux un monde quÕils ont connu et dont ils conservent une grande
nostalgie. Ces Òenfants de la plageÓ ont transmis oralement telle ou telle anecdote
dans leur entourage et, de fil en aiguille, une lŽgende valencienne a pris forme.
Les histoires orales nÕont jamais manquŽ dans la capitale du Levant et il serait
dommage dÕen faire lՎconomie dans cette Žtude. FascinŽs par le don de lÕartiste,
ceux qui ont observŽ le peintre ˆ la t‰che demeurrent ˆ vie subjuguŽs par sa
maestria. CÕest ce qui explique que la plupart des rŽcits qui nous sont parvenus
font lՎloge de sa rapiditŽ dÕexŽcution, de la prŽcision de son geste et de lÕacuitŽ
de son regard. Ainsi, un certain Santos Faura se souvient dÕun jour o lÕartiste
ÒcueillitÓ en une poignŽe de seconde un pcheur qui traversait son champ de
vision :
En otra ocasi—n, Ác—mo le recuerdo!, estaba pintando una marina, en la que hab’a una
barcaza sobre la playa. En esto vio venir hacia Žl un labriego. Yo le iba a llamar la
atenci—n para que se apartase del ‡ngulo visual del maestro, pero Žste me lo impidi—
diciendo : ÁEspŽrate a ver si se para! La casualidad quiso que el lugare–o se detuviese
precisamente ante la barca, y entonces Sorolla, en un instante, Òcaz—Ó al labrador
sobre el lienzo con una verdad y una vida dif’cilmente superablesÉ33
Les liens Žtroits qui unissaient le peintre ˆ la population locale sont une des
raisons de lÕimmense succs populaire de lÕexposition de 1944. DÕautre part, elle
apporte un peu de joie et de bonne humeur dans la ville et trompe, durant un mois,
la noirceur et la morositŽ de cette Espagne dÕaprs-guerre. Cinq jours seulement
aprs son ouverture au public, lÕexposition enregistre dŽjˆ sept mille visites
quotidiennes !34 Pour rŽguler lÕaffluence des personnes venues de Catalogne, le
33.
34.
Ibidem, Ç Une autre fois, Ð comme je mÕen souviens ! Ð il Žtait en train de peindre une
marine au centre de laquelle se trouvait un bateau de pche. Alors quÕil peignait, je vis un
pcheur qui sÕapprochait et je mÕapprtais ˆ attirer son attention afin quÕil sՎcarte du
champ de vision du ma”tre, mais celui-ci mÕinterrompit aussit™t en disant : Attends,
voyons voir sÕil sÕarrte. Le hasard voulu que cet homme sÕarrta prŽcisŽment devant le
bateau et alors Sorolla, en un instant, ÒcueillitÓ le pcheur et le fixa sur la toile avec une
vŽritŽ et une vie incomparables. È
Anonyme, ÒGran Žxito de la exposici—n Sorolla en ValenciaÓ, El Alc‡zar, Madrid,
20/05/1944.
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trafic ferroviaire entre Valence et Barcelone est intensifiŽ.35 TŽmoin de ce succs,
la galerie barcelonaise ParŽs rŽunira un peu plus tard une trentaine de tableaux
pour monter une exposition dans ses murs.36 Parce que lÕengouement pour cet
ŽvŽnement dŽpasse de loin toutes les attentes, une partie de la presse verse dans
lÕexaltation ˆ lÕheure o Valence cŽlbre la Vierge des DŽsemparŽs, sa sainte
patronne locale. Jornada Žvoque donc dans un registre religieux de circonstance
des Òconversions foudroyantesÓ pour la peinture de Sorolla :
Tengo noticia de varias conversiones fulminantes al aprecio e incluso al fervor hacia
Sorolla, ante los lienzos que ahora se exponen en nuestro ayuntamiento. Gentes,
forasteras algunas, que sent’an por nuestro genial pintor una repulsi—n injustificada o
un desdŽn ol’mpico sembrado de prejuicios se han visto en el caso de desdecirse bajo
la abrumadora elocuencia de las telas de don Joaqu’n.37
LÕexposition reste ouverte vingt-neuf jours, durant lesquels elle accueille
86.106 visiteurs, un chiffre colossal ˆ plus dÕun titre. Tout dÕabord, cela
reprŽsente environ un cinquime de la population de cette ville qui comptait alors
environ 450.000 habitants, selon lÕInstitut National des Statistiques, INE
(Madrid).38 Dans ces annŽes dÕautarcie, le pays vit des heures trs sombres
marquŽes par la faim, la rŽpression et le marchŽ noir. La population restera
soumise au rationnemment des produits alimentaires et de premire nŽcessitŽ
jusquÕen 1952. LՎtat de guerre se prolonge jusquՈ la fin des annŽes quarante. De
plus, il sÕagit dÕun ŽvŽnement provincial dŽdiŽ, qui plus est, ˆ un seul artiste.39
Pour une exposition ouverte durant un mois seulement, la frŽquentation
enregistrŽe est comparable ˆ des succs rŽcents. Ë titre de comparaison,
lÕexposition du MusŽe dÕOrsay Jean LŽon GŽr™me 1824-1904 : lÕhistoire en
spectacle, qui a ŽtŽ un des succs parisien de lÕannŽe 2010, nÕa pas fait mieux.
35.
36.
37.
38.
39.
Anonyme, Ò42 miembros de la Asociaci—n de Amigos de los Museos, en Valencia.
Vienen a visitar la Exposici—n SorollaÓ, Levante, Valence, 21/05/1944.
Anonyme, ÒSe inaugura una exposici—n de cuadros de SorollaÓ, La Almudaina, Palma de
Majorque, 1/02/1948.
Anonyme, ÒSorolla al alcance de todosÓ, Jornada, Valence, 22/05/1944. Ç JÕai eu vent de
plusieurs cas de conversions foudroyantes, dans le sens dÕune reconnaissance et mme
dÕun enthousiasme pour Sorolla, devant les toiles exposŽes en ce moment dans notre
mairie. Des gens, de lÕextŽrieur pour certains, qui Žprouvaient pour notre peintre gŽnial
une rŽpulsion injustifiŽe ou un dŽdain hautain semŽ de prŽjugŽs se sont retrouvŽs dans
lÕobligation de se dŽdire face ˆ lՎtonnante Žloquence des toiles de don Joaqu’n. È
http://www.ine.es/inebaseweb/71807.do?language=0.
Felipe Gar’n Ortiz de Taranco, ÒUna ojeada al arte pl‡stico en Valencia durante el a–o
1944Ó, Levante, Valence, 5/01/1945.
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LՎcho mŽdiatique de lÕexposition valencienne est retentissant, comme le montre
la distribution des archives de presse du MusŽe Sorolla, qui contiennent cent
soixante dix-huit articles pour la seule annŽe 1944, un pic qui ne sera dŽpassŽ
quÕen 1963. Ces deux dates, qui correspondent ˆ deux expositions temporaires
majeures, constituent les bornes chronologiques du Temps II. cÕest-ˆ-dire la
deuxime phase de haute intensitŽ critique. Sorolla occupe lÕespace mŽdiatique
tout au long de la pŽriode car des expositions prŽsentant ses tableaux jalonnent le
calendrier culturel.
Le succs inattendu de lÕexposition de 1944 a des rŽpercussions sur le plan
politique car il a mis en Žvidence tout lÕavantage que le pays peut tirer de lÕÏuvre
de Sorolla, en particulier sur le plan touristique. Mais il fait appara”tre en mme
temps la contradiction suivante : alors que lÕexposition a attirŽ ˆ Valence une
foule de visiteurs, le musŽe madrilne est trs loin dÕenregistrer lÕaffluence
escomptŽe. Au moins deux raisons peuvent expliquer les mauvais dŽbuts du
MusŽe Sorolla. DÕune part, il est situŽ loin du centre et donc ˆ lՎcart des
principaux musŽes et monuments de la ville. DÕautre part, il ne dispose pas de
lÕespace suffisant pour prŽsenter toute sa collection, ce pourquoi la visite est
courte et donc peu attractive. Faute dÕespace, beaucoup de peintures et tous les
dessins de lÕartiste sont entreposŽs dans les rŽserves. Pour rŽsoudre ce problme,
une sŽrie de travaux sont financŽs afin de viabiliser de nouveaux espaces et donc
Žtendre la surface dÕexposition. Trois nouvelles salles sont inaugurŽes le 27 juin
1945 par le ministre de lՃducation Nationale JosŽ Ib‡–ez Mart’n (1896-1969), le
directeur gŽnŽral des Beaux-Arts, le marquis de Lozoya, et le prŽsident de
lÕuniversitŽ de Valence, Fernando Rodr’guez Fornos (1884-1951).40 Aprs la mort
de Joaqu’n Sorolla y Garc’a, le 2 mars 1948, un petit-fils du peintre, Francisco
Pons-Sorolla (1917-2011), est chargŽ de lÕadministration du musŽe. Pour en
augmenter davantage la capacitŽ, lՃtat finance partiellement un autre projet
dÕextension, si bien quÕen octobre 1951, une nouvelle salle est amŽnagŽe prs du
patio andalou pour recevoir les meilleurs dessins de la collection.41 Le jour de sa
rŽouverture, le musŽe dispose dÕun livre trilingue en espagnol, anglais et franais
40.
41.
Anonyme, ÒInauguraci—n de nuevas salas en el Museo SorollaÓ, El Alc‡zar, Madrid,
27/06/1945.
Anonyme, ÒInauguraci—n de una nueva sala en el Museo SorollaÓ, Ya, Madrid,
18/10/1951.
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censŽ rŽpondre ˆ la demande des touristes.42 Mais en dŽpit de toutes ces
amŽliorations, et mme si Las Provincias titre en dŽcembre 1951 ÒLa casa de
Sorolla no es un museo muertoÓ, aucune solution radicale nÕa ŽtŽ trouvŽe et le
musŽe demeure un endroit isolŽ et ignorŽ du touriste de passage ˆ Madrid.43 Le
concept de la maison-musŽe a certes un certain charme mais il comporte
Žgalement sa part de contraintes et cÕest la raison pour laquelle il est si difficile de
lÕadapter aux nouveaux enjeux touristiques et commerciaux de lՎpoque.
LÕinvestissement de lՃtat visant ˆ rendre le musŽe plus fonctionnel est
donc la consŽquence ˆ la fois du succs de lÕexposition de 1944 et de la campagne
de rŽhabilitation menŽe dans la presse nationale. DÕun point de vue politique, elle
peut aussi tre liŽe ˆ lÕouverture du pays en direction de lÕextŽrieur et tout
particulirement des ƒtats-Unis car Sorolla est toujours le peintre espagnol le plus
connu et apprŽciŽ outre-Atlantique. Ses toiles sont dissŽminŽes dans les
collections publiques et privŽes du pays, en particulier sur la c™te est. La visite du
MusŽe Sorolla figure dans les brochures des tour-opŽrateurs nord-amŽricains
comme une Žtape obligatoire des circuits touristiques. La question de la relation
transtlantique se pose ˆ nouveau aprs la Deuxime Guerre Mondiale car
lÕEspagne, qui nÕa pas directement pris part au conflit mais sÕest montrŽe
clairement partisane de lÕAxe, a besoin de tisser un lien neuf avec la premire
puissance mondiale. Par le passŽ, le peintre et son commanditaire Archer Milton
Huntington avaient ÏuvrŽ ensemble ˆ la rŽconciliation de leurs pays respectifs,
aprs la Guerre de Cuba. La biographe de lÕhispanophile, Beatrice Gilman Proske
(1899-2002), a signalŽ dans un ouvrage que Huntington fut appelŽ ˆ nŽgocier un
traitŽ commercial entre les deux pays en 1918.44 Les autoritŽs franquistes ne lÕont,
semble-t-il, pas oubliŽ. Le 25 septembre 1946, Franco dŽcerne la Grande Croix
dÕAlphonse le Sage au fondateur de lÕHispanic Society, alors ‰gŽ de quatre-vingt
quatre ans.45 Si Sorolla a ŽtŽ dÕabord, pour ainsi dire, ÒplacŽ en quarantaineÓ afin
de ne pas compromettre la relation diplomatique avec lÕAllemagne nazie en 1942,
il devient un atout ˆ lÕheure o le pays sÕemploie ˆ changer son image auprs de la
42.
43.
44.
45.
Bernardino de Pantorba, Gu’a del Museo Sorolla, Madrid, Gr‡ficas Nebrija, 1951.
Anonyme, ÒLa casa de Sorolla no es un museo muertoÓ, Las Provincias, Valence,
30/12/1951.
Beatrice Gilman Proske, Archer Milton Huntington, New York, The Hispanic Society of
America, 1965, page 17.
Anonyme, ÒLa Gran Cruz de Alfonso el Sabio a Mr. Archer M. HuntingtonÓ, ABC,
Madrid, 26/09/1946.
IV. Sorolla et le rŽgime franquiste : 1939-1974
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premire puissance mondiale. La prudence ˆ lՎgard de ce peintre prŽtendument
sulfureux contraste avec la rŽcupŽration et la promotion acharnŽe par un rŽgime
portŽ ˆ son zŽnith.
IV. Sorolla et le rŽgime franquiste : 1939-1974
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IV.2. SOROLLAÕS SPAIN IS DIFFERENT
ÒLÕEspagne de Sorolla est diffŽrenteÓ : voici une variante possible du slogan
touristique ÒSpain is diferentÓ qui pourrait parfaitement convenir aux annŽes
cinquante et soixante telles que nous allons les parcourir. LÕexpression Žtait ˆ
double tranchant car en voulant signifier que cette destination de vacances avait
des atouts supplŽmentaires, elle pouvait tre comprise, ˆ lÕinverse, comme
diffŽrente du fait de son retard par rapport aux autres pays europŽens. En intŽgrant
la peinture du Valencien ˆ sa propagande touristique, le rŽgime projette sur le
monde une image radieuse certes, mais en dŽcalage avec son sicle. Non
seulement Sorolla est mort lÕannŽe de la fin de la Restauration mais sa peinture
reflŽtait, dŽjˆ ˆ son Žpoque, une Espagne dÕun autre temps. Ë lՎvidence, une
image arrtŽe du pays tel quÕil se prŽsentait aprs-guerre nÕest pas exportable et
cÕest pourquoi la peinture occupe une place privilŽgiŽe dans lÕiconographie de la
dictature. On verra sous quelle forme des images tirŽes de ses tableaux seront
instrumentalisŽes et qui en seront les destinataires.
La guerre civile avait anŽanti le secteur du tourisme qui ne commence ˆ
rena”tre de ses cendres que dans les annŽes cinquante, date ˆ partir de laquelle le
nouveau rŽgime entreprend dÕexploiter lÕÏuvre de Sorolla ˆ des fins
promotionelles pour changer lÕimage sinistre dÕun pays ravagŽ par le conflit et,
dont les deux premiers gouvernements de lՏre franquiste, ceux de 1938-1939 et
1939-1945, sont composŽs en majoritŽ de militaires.46 Le choix du peintre
valencien relve de plusieurs facteurs : tout dÕabord, son passŽ politique est
compatible avec le rŽgime car il nÕavait pas ŽtŽ franc-maon et, sÕil avait eu des
sympathies rŽpublicaines, il nÕa jamais apportŽ son soutien militant ˆ aucun parti.
Ensuite, il fait partie des ces Espagnols dont le nom a franchi les frontires du
pays. Un journal catalan publie une liste des artistes espagnols les plus connus
outre-Atlantique le 24 mai 1945. Dans cette liste, Sorolla figure en bonne place ˆ
c™tŽ des peintres Ignacio Zuloaga et Pablo Picasso, du pianiste JosŽ Iturbi
46.
Ram—n Tamames, La Repœblica. La era de Franco, Madrid, Alianza, 2001 (1988), page
307-308.
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Baguena (1895-1980) et du compositeur Manuel de Falla (1876-1946).47 Les
ƒtats-Unis avaient manifestŽ leur attachement ˆ Sorolla en 1923 et en 1932, en
envoyant un reprŽsentant diplomatique ˆ Valence le jour de son enterrement, et ˆ
Madrid pour lÕinauguration du MusŽe Sorolla. Ensuite, lÕÏuvre du Valencien est
facilement exploitable car, depuis la fondation du musŽe, elle se trouve en grande
partie dans les collections de lՃtat. Enfin, sa peinture montre des paysages de
cartes postales, des enfants heureux, sains et pleins de vie. Cette vision radieuse et
sereine de lÕEspagne se situe aux antipodes des reportages photographiques
diffusŽs ˆ lՎtranger durant et aprs la guerre civile. Les clichŽs du reporter
hongrois Robert Capa (1913-1954), publiŽs par les revues illustrŽes du monde,
avaient propagŽ les images dÕune terre inculte, dՎdifices en ruines, dÕune
population civile rurale plongŽe dans une misre extrme, de familles entires
jetŽes sur les routes, en particulier des femmes et des enfants.48 Ds la crŽation du
Ministre de lÕInformation et du Tourisme, en 1951, lÕÏuvre de Sorolla va servir ˆ
renouveler lÕimage du pays ˆ lÕextŽrieur. En mme temps, des expositions de ses
tableaux feront partie de lÕoffre culturelle ÒchoisieÓ que le rŽgime proposera ˆ ses
touristes.
Aprs la guerre, les relations diplomatiques entre lÕEspagne et les ex-alliŽs
se trouvent au plus mal car les vainqueurs se refusent ˆ reconna”tre comme
lŽgitime une dictature fasciste. En fŽvrier 1946, le gouvernement franais ferme sa
frontire pyrŽnŽenne. En mars, lÕOrganisation des Nations Unies condamne
officiellement le rŽgime franquiste et, en dŽcembre, lÕinstitution demande ˆ ses
ƒtats membres le dŽpart des ambassadeurs en poste ˆ Madrid. Ë lÕexception de
Dublin, du Saint-Sige, de Lisbonne, de Berne et de Buenos Aires, la plupart des
membres suivent cette recommandation.49 Ë partir de 1947, seize pays europŽens
commencent ˆ bŽnŽficier du plan Marshall, mais lÕEspagne est mise ˆ lՎcart du
programme dÕaide amŽricain. LÕisolement politique et la fragilitŽ Žconomique du
pays sont tels que le gouvernement de Franco est obligŽ de redŽfinir son modle
afin de changer son image ˆ lՎtranger, en particulier auprs de la premire
puissance mondiale. Pour y parvenir, il prŽcise lÕavenir de son rŽgime dans une
47.
48.
49.
Anonyme, ÒLos artistas espa–oles m‡s conocidos en NorteamŽricaÓ, Barcelona Teatral,
Barcelone, 24/05/1945.
Alicia Alted (dir.), El exilio de los ni–os, Madrid, Sinsentido, 2003.
AndrŽe Bachoud, Franco ou la rŽussite dÕun homme ordinaire, Paris, Fayard, 1997, page
297 et Ram—n Tamames, La Repœblica. La era de Franco, Madrid, Alianza, 2001 (1988),
pages 268-270.
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Òloi sur la successionÓ annoncŽe ˆ la radio en mars 1947. Ce texte prŽvoit le
retour ˆ la monarchie dans des conditions bien dŽfinies. Franco se rŽserve le droit
de gouverner jusquՈ sa mort et de dŽsigner lui-mme un successeur de sang
royal, de sexe masculin, catholique, ‰gŽ dÕau moins trente ans et dÕune fidŽlitŽ
indŽfectible aux Leyes fundamentales. En juin, le rŽgime assure la mŽdiatisation
de sa relation avec lÕextŽrieur en recevant avec tous les honneurs lՎpouse du
prŽsident argentin, Eva Per—n (1919-1952). Les deux pays ont signŽ un accord
Žconomique lÕannŽe prŽdŽdente concernant lÕapprovisionnement alimentaire de
lÕEspagne. La solidaritŽ de lÕArgentine pŽroniste est un atout pour le rŽgime de
Franco qui valorise autant que possible lÕHispanitŽ, cÕest-ˆ-dire la prŽtendue unitŽ
et fraternitŽ des pays de langue espagnole. Cette notion pose le principe dÕune
communautŽ transnationale soudŽe par une culture, une histoire et une religion
communes. Mme si la langue officielle des ƒtats-Unis est lÕanglais, le rŽgime de
Franco lÕinclut, sur le plan culturel, dans cette HispanitŽ. DÕailleurs, certainement
ˆ la demande de Huntington, Sorolla lÕavait mise en images avec Visi—n de
Espa–a puisque les motifs faisaient appara”tre une ÒfiliationÓ historique entre les
deux pays. On se souvient, par exemple, du panneau El encierro qui montre les
gardiens de troupeaux, ˆ SŽville, et renvoie implicitement au Òcow-boyÓ
amŽricain. En Espagne, les planches en noir et blanc du dŽcor ont justement ŽtŽ
publiŽes pour la premire fois en 1944, ˆ lÕintŽrieur du catalogue de lÕexposition
valencienne.
Progressivement, les contraintes imposŽes par la communautŽ internationale
sont levŽes. Le 30 mars 1948, le Congrs amŽricain adopte lÕinclusion de
lÕEspagne ˆ lÕintŽrieur du plan Marshall. Quelques mois plus tard, le tourisme
reprend car la compagnie aŽrienne Trans World Airlines (TWA) met en place une
liaison quotidienne entre lÕEspagne et les ƒtats-Unis.50 Enfin, les tensions entre
les blocs amŽrcain et soviŽtique modifient la perception de lÕEspagne auprs du
gouvernement de Harry S. Truman (1884-1972). Par sa situation gŽographique,
son territoire peut constituer une position avancŽe dans le contexte de la ÒGuerre
FroideÓ commenante. La Guerre de CorŽe Žclate le 25 juin 1950. Elle oppose le
Sud, soutenu par les ƒtats-Unis, au Nord, soutenu par la RŽpublique populaire de
Chine et lÕUnion soviŽtique. Durant les premiers mois du conflit, les
50.
Beatriz Ruiz Correyero, ÒLa propaganda tur’stica espa–ola en los a–os de aislamientoÓ in
Historia y comunicaci—n social VIII., Madrid, UCM, 2003, page 29.
IV. Sorolla et le rŽgime franquiste : 1939-1974
216
recommandations des Nations Unies visant ˆ asphixier lÕEspagne sont abrogŽes.
Le pays est admis au sein de lÕOrganisation des Nations Unies pour lÕalimentation
et lÕagriculture (FAO) en novembre 1950 et intŽgrera, plus tard, lÕOMS en 1952,
lÕUNESCO en 1953, avant de devenir membre de lÕONU en 1955. La nouvelle
relation transatlantique dŽbouche sur la signature du Pacte de Madrid, le 26
septembre 1953. Cet accord Žconomico-militaire prŽvoit lÕinstallation de bases
militaires en Espagne en Žchange dÕune aide Žconomique. Quatre bases aŽriennes
et une base sous-marine sont construites ainsi quÕun rŽseau de conduites de
transport de pŽtrole et de gaz.51
Ce nÕest quÕaprs le Pacte de Madrid que Sorolla redevient, ˆ titre
posthume, lÕambassadeur culturel quÕil avait ŽtŽ par le passŽ. En effet, quelques
semaines plus tard, le 31 dŽcembre, la Fabrique Nationale des Monnaies et des
Timbres Žmet un billet de mille pesetas ˆ lÕeffigie de Sorolla qui sera mis en
circulation en juin 1953.52 Les Espagnols, qui disposent ˆ cette Žpoque de neuf
billets de banque Ð 1, 2, 5, 10, 25, 50, 100, 500 et 1000 ptas Ð, voient appara”tre
en quelques mois quatre nouveaux visages ˆ c™tŽ des plus grosses sommes :
Joaqu’n Sorolla, 1000 ptas. Mariano Benlliure, 500 ptas. Julio Romero de Torres,
100 ptas. et Santiago Rusi–ol, 50 ptas. Sous le franquisme, le billet de mille est
rŽservŽ aux grands noms de lÕhistoire puisque le Valencien a succŽdŽ,
fiduciairement parlant, ˆ Charles Quint et sera ensuite remplacŽ par les Rois
Catholiques, qui seront eux-mmes supplantŽs par le Patron de Madrid, Saint
Isidore. Dans une chronique humoristique intitulŽe Òensayo sobre la psicolog’a
bancariaÓ, Evaristo Acevedo commente lÕarrivŽe des artistes dans les portefeuilles
des bourgeois alors que le thŽologien Jaime Balmes (1810-1848), 5 ptas. le roi
Alphonse X le Sage (1221-1284), 5 ptas. et le personnage de Miguel de Cervantes
(1547-1616), Don Quichotte de la Manche, 1 pta. frŽquentent les comptoirs des
cafŽs et les guichets de cinŽma et de mŽtro.53 Dans lÕEspagne des annŽes
cinquante, le billet de mille nÕest pas ˆ la portŽe de toutes les bourses. Cette grosse
coupure rŽpondrait, entre autres, aux besoins des touristes Žtrangers et serait donc
le billet le plus frŽquemment dŽlivrŽ par les bureaux de change. Ë cette Žpoque, le
51.
52.
53.
Ram—n Tamames, La Repœblica. La era de Franco, Madrid, Alianza, 2001 (1988), pages
264-265.
Anonyme, ÒNuevo billete de mil pesetasÓ, Informaciones, Madrid, 23/06/1953.
Evaristo Acevedo, ÒEnsayo sobre psicolog’a bancariaÓ, Informaciones, Madrid,
16/01/1957.
IV. Sorolla et le rŽgime franquiste : 1939-1974
217
dollar et la livre sterling bŽnŽficient du taux de change le plus intŽressant car le
rŽgime entend ainsi soutenir le tourisme en provenance des ƒtats-Unis et de la
Grande Bretagne.54 Ce nÕest donc pas le fruit du hasard si le billet espagnol ˆ
lÕeffigie de Sorolla copie lÕaspect du dollar amŽricain.55 Son modle pourrait avoir
ŽtŽ le billet dÕun dollar ˆ lÕeffigie du premier prŽsident des ƒtats-Unis George
Washington (1732-1799) car il en reprend la couleur, la longeur, imite lÕentrelacs
complexe et copie mme la feuille dÕacanthe stylisŽe.
LՎmission de ce billet vert va de pair avec lÕenvolŽe du tourisme nordamŽricain puisque le nombre de visiteurs issus de ce pays est pratiquememnt
multipliŽ par huit entre 1947 et 1951.56 Ce rŽsultat avait ŽtŽ un des objectifs
majeurs du Directeur GŽnŽral du Tourisme, Luis Antonio Bol’n (1894-1969). En
janvier 1950, il se rend avec son Žquipe dans plusieurs villes des ƒtats-Unis pour
rencontrer les tours-opŽrateurs et inaugurer de nouvelles agences touristiques. Au
cours de sa tournŽe, il invite une dŽlŽgation de journalistes ainsi que les plus hauts
reprŽsentants de la compagnie aŽrienne TWA ˆ visiter lÕEspagne. Le 10 fŽvrier, la
dŽlŽgation amŽricaine est reue au Palais prŽsidentiel par Franco lui-mme. Le
journal El Alc‡zar publie cet extrait de son allocution :
ÒEl pueblo espa–ol no tiene ninguna diferencia con el pueblo americano, antes al
contrario; por su historia, por la tarea que un d’a Espa–a desarroll— en AmŽrica, se
considera unido familiarmente por v’nculos de sangre y de lenguaje con los pueblos
de AmŽrica. Y lo que deseamos es que este camino que han iniciado hoy con este
viaje por los aires pueda repetirse y que siempre que quieran saber algo de Espa–a
vengan a verlo a Espa–a misma, con la seguridad de que nosotros no les ocultaremos
absolutamente nada.Ó57
Le dictateur prŽtend garantir ˆ ses h™tes une certaine ÒtransparenceÓ alors
que, au contraire, il contr™le parfaitement lÕimage de son rŽgime comme le montre
54.
55.
56.
57.
Beatriz Ruiz Correyero, ÒLa propaganda tur’stica espa–ola en los a–os de aislamientoÓ in
Historia y comunicaci—n social VIII., Madrid, UCM, 2003, page 53.
Figure n¡12. Billet de mille pesetas Ç La fiesta del naranjo È (1951).
B. Ruiz Correyero, ÒLa propagandaÉÓ, page 52.
Anonyme, Òtitre inconnuÓ, El Alc‡zar, Madrid, 11/02/1950. Ç Le peuple espagnol ne
diffre en rien du peuple amŽricain, et cÕest mme tout le contraire ; par son histoire, par
lÕÏuvre que lÕEspagne Ždifia jadis en AmŽrique, elle se considre unie fraternellement par
des liens du sang et de la langue aux peuples dÕAmŽrique. Et ce que nous dŽsirons cÕest
que ce chemin ouvert aujourdÕhui par ce vol puisse se prŽrenniser et que chaque fois que
vous voudrez savoir quelque chose sur lÕEspagne vous viendrez le voir par vous-mmes,
avec lÕassurance que nous ne vous cacherons absolument rien. È
IV. Sorolla et le rŽgime franquiste : 1939-1974
218
lÕoffre culturelle proposŽe sur place. Les touristes de 1953 peuvent dŽcouvrir
plusieurs manifestations commŽmorant le trentime anniversaire de la mort de
Sorolla. Ë Madrid, une exposition organisŽe par la galerie Tois—n prŽsente cent
pochades et dessins inŽdits.58 Pour les inconditionnels de lÕartiste, trois mille
exemplaires numŽrotŽs du premier catalogue raisonnŽ de lÕÏuvre peinte Žcrit par
Bernardino de Pantorba sont proposŽs ˆ la vente dans le courant de lÕannŽe.59 Le
livre sera rŽŽditŽ en 1970 dans une luxeuse Ždition, plus conforme ˆ la place de
choix que le rŽgime accorde ˆ cet artiste. En effet, lÕouvrage in folio reliŽ en cuir
rouge, frappŽ de lettres dÕor et sera tellement raffinŽ que son prix de vente en fera
un objet exclusif. Enfin, le 9 octobre, lՃtat met en circulation un timbre de
cinquante pesetas ˆ lÕeffigie du peintre.60 La sŽrie est connue sous le nom ÒSorolla
& LegazpiÓ car elle comprend Žgalement un timbre reprŽsentant le dŽcouvreur des
Philippines, Miguel L—pez de Legazpi (1502-1572). Les deux timbres ne circulent
pas sur les courriers ordinaires mais sont propagŽs par delˆ les frontires
puisquÕils sont destinŽs au seul affranchissement aŽrien. ApposŽ sur les plis pour
lՎtranger, le visage du peintre symbolise lÕEspagne. Dans les colonnes du journal
Informaciones, Evaristo Acevedo glose sur les ÒSorollaÓ de papier, quÕil juge tout
aussi inaccessibles que les toiles vŽritables en soulignant que la valeur du timbre
dŽpassait celle dÕune livre de jambon !61 LÕannŽe 1954 voit appara”tre les
premiers produits dŽrivŽs par lesquels la peinture de Sorolla pŽntre dans les
foyers comme Òart de masseÓ.
Sans conna”tre un sort comparable ˆ LÕAngŽlus ni aux Glaneuses de JeanFranois Millet (1814-1875), qui ornent mille et un objets du quotidien des
Franais tels que des soufflets, des porcelaines, des canevas, des tabatires ou
encore des bo”tes ˆ biscuits, les scnes de pcheurs de Sorolla figurent sur les
pages des almanachs ŽditŽs par des banques, offerts ˆ la clientle pour la nouvelle
annŽe.62 La prŽfŽrence pour Millet, dans la France du MarŽchal PŽtain, et pour
58.
59.
60.
61.
62.
Germ‡n G—mez de la Mata, ÒExposiciones de Arte. Apuntes de SorollaÓ, Cr’tica, Madrid,
31/01/1953 et M. Chamoso Lamas, ÒDesde Madrid. Exposici—n de apuntes de SorollaÓ,
La Noche, Santiago du Chili, 7/02/1953
Anonyme, ÒUn libro fundamental: La vida y la obra de Joaqu’n SorollaÓ, òltima hora,
Palma de Majorque, 15/06/1953.
Figure n¡13. Timbre de cinquante pesetas Ç Sorolla & Legazpi È (1953) et anonyme,
ÒSello aŽreoÓ, Hierro, Bilbao, 27/09/1953.
Evaristo Acevedo, ÒEl pintor de la carest’aÓ, Informaciones, Madrid, 16/10/1953.
Joaqu’n de Valencia (Joaqu’n JosŽ Thous Orts), ÒY sigue sin estatuaÉÓ, Hoja del lunes,
Valence, 5/04/1954 et anonyme, ÒEn el pincel de SorollaÓ, lasprovincias.es, 11/11/2007.
IV. Sorolla et le rŽgime franquiste : 1939-1974
219
Sorolla, dans lÕEspagne de Franco, sÕajuste aux mmes critres. Les tableaux
reproduits
sont
scrupuleusement
naturalistes
et
refltent
les
valeurs
traditionnelles pr™nŽes par ces rŽgimes autoritaires : le travail, la foi et la famille.
Dans le cas de Sorolla, il sÕagit donc principalement des premires scnes de mer,
celles des annŽes 1890, reprŽsentant la vie quotidienne des familles de pcheurs,
cÕest-ˆ-dire La vuelta de la pesca, La bendici—n de la barca, Pescadores
valencianos, Cosiendo la vela, etc.
Ë la fin des annŽes cinquante, le touriste de passage ˆ Madrid peut
difficilement manquer la peinture de Sorolla puisquÕelle se trouve presque
invariablement au centre de lÕactualitŽ culturelle de la capitale. Le rŽgime ne
laisse rien au hasard et balise mŽthodiquement le parcours de ses visiteurs. En
1956, une exposition centennale est organisŽe ˆ lÕoccasion de lÕanniversaire de
lÕExposition Nationale. Contrairement ˆ lÕambition affichŽe, lՎvŽnement
nÕintgre pas le sicle en entier car, conformŽment ˆ la ligne idŽologique des
phalangistes, la Direction GŽnŽrale des Beaux-Arts ne prŽsente que des tableaux
dÕartistes disparus. Avec vingt-neuf tableaux, Sorolla est un des artistes les mieux
reprŽsentŽs.63 Deux ans plus tard, le Cercle des Beaux-Arts de Madrid monte une
exposition thŽmatique autour de sa peinture de jardin en prŽsentant quarante-six
toiles puis, en 1960, lÕinstitution madrilne hŽberge une autre exposition
comprenant dix tableaux issus de collections privŽes.64 Le Cercle des Beaux-Arts
est une fondation culturelle privŽe crŽŽe en 1880 par un groupe dÕartistes pour
assurer la diffusion, la transmission et la promotion des arts. AujourdÕhui, elle
couvre des champs aussi variŽs que le thŽ‰tre, la musique, la danse, le cinŽma ou
encore les sciences.
Au printemps 1960, un documentaire sur Sorolla reprŽsente lÕEspagne au
festival de Cannes : le cinŽaste espagnol Manuel Dom’nguez (inc.-inc.) participe
au concours international avec un court mŽtrage documentaire intitulŽ Sorolla,
pintor de la luz.65 LՃtat ne participe pas ˆ son financement et il sÕagit donc dÕune
production entirement privŽe. Ce film est en rŽalitŽ une succession de plans
63.
64.
65.
JosŽ Rico de Estasen, ÒLa aportaci—n valenciana a la exposici—n. Un Siglo de Arte
Espa–olÓ, Levante, Valence, 11/01/1957.
Anonyme, ÒExposici—n homenaje a Sorolla en el C’rculo de Bellas ArtesÓ, Levante,
Valence, 10/04/1960.
Guillamon, ÒExcelente documental sobre SorollaÓ, Signo, Madrid, 29/08/1959, Juan
Ignacio, ÒDesde el punto de vista educativo el documental resulta interesanteÓ, Signo,
Madrid, 21/05/1960 et Anonyme, ÒLa cr’tica de Barcelona otorga el VI Ç Premio San
Jorge È de cinematograf’aÓ, Fotogramas, Barcelone, 4/05/1962.
IV. Sorolla et le rŽgime franquiste : 1939-1974
220
glissants et de fondus encha”nŽs dŽvoilant des dŽtails de tableaux du ma”tre. Un
fond musical au piano accompagne ces images et une voix off retrace le parcours
du peintre. Le critique Manuel S‡nchez-Camargo signe les textes et Salvador Ruiz
de Luna (1908-1978), la musique. Selon le journal Signo, le documentaire ne
passe pas inaperu, mais la rŽalitŽ est tout autre. Il ne se vend pas et cÕest la raison
pour laquelle il est si difficile dÕen localiser une copie aujourdÕhui. Le MusŽe
Sorolla en possde une. En Espagne, le film a un certain Žcho puisque, en mai
1962, la critique catalane lui dŽcerne le Prix San Jorge dans la catŽgorie des
courts-mŽtrages.66 Mais son impact ˆ lՎtranger est quasiment nul. Si bien que si
le film Žtait censŽ promouvoir lÕEspagne ˆ lՎtranger ˆ travers lÕÏuvre du
Valencien, le but ne fut pas atteint.
En 1961, un tableau de Sorolla est pour la premire fois apposŽ sur un
poster touristique. LÕOffice du Tourisme de Valence Ždite cette affiche
promotionnelle conue ˆ partir dÕun tableau du MusŽe Sorolla intitulŽ El
balandrito, qui montre un enfant jouant sur la plage de la Malvarrosa avec son
petit bateau.67 Elle est tirŽe ˆ dix mille exemplaires, en deux formats et en cinq
langues : franais, allemand, italien, anglais et espagnol.68 La ville espre ainsi
attirer un tourisme familial car le niveau de vie dans les pays dÕEurope du Nord a
considŽrablement augmentŽ depuis la fin de la guerre. Ë cette Žpoque, le tourisme
de masse conna”t une croissance vertigineuse. Suivant le modle de la Costa
Brava et de la Costa del Sol, Valence entend profiter de cette manne en
dŽveloppant les infrastructures de sa c™te. LÕexploitation de cette peinture
ensoleillŽe captŽe sur le motif sur les plages de la Malvarrosa et du Caba–al, est
facilitŽe par son atemporalitŽ. En effet, comme elle nÕest ÒmarquŽeÓ ni
politiquement, ni socialement, ni historiquement, elle convient trs bien dans les
annŽes soixante, et continue aujourdÕhui ˆ tre utilisŽe ˆ des fins promotionnelles
par le ministre de lÕIndustrie, du Tourisme et du Commerce : deux affiches, une
de 1990 et lÕautre de 1998, sont prŽsentŽes en annexes.69
66.
67.
68.
69.
Anonyme, ÒLa cr’tica de Barcelona otorga el VI Ç Premio San Jorge È de
cinematograf’aÓ, Fotogramas, Barcelone, 4/05/1962.
Figures n¡14. J. Sorolla, peintre de Valence. Espagne (1961) et n¡15. J. Sorolla, Spanien,
(1961).
ÒCuadro de Sorolla en un cartel tur’stico de ValenciaÓ, Las Provincias, Valence,
4/03/1961.
Figures n¡24. Espagne tout (de nouveau) sous le soleil (1990) et n¡25. Espagne. Plages,
1998.
IV. Sorolla et le rŽgime franquiste : 1939-1974
221
Il faut encore signaler une occurrence Žtonnante trouvŽe parmi les archives
de presse du MusŽe Sorolla, qui atteste lÕexploitation tous azimuts de lÕimage du
peintre. En mars 1963, la compagnie aŽrienne dՃtat Iberia commande un appareil
DC-8 ˆ la firme amŽricaine Douglas Aircraft Corporation. LÕavion est baptisŽ du
nom de Sorolla et son fuselage reoit pour dŽcoration une scne de retour de
pche inspirŽe dÕun de ses tableaux.70 Le gros-porteur dŽcolle de Los Angeles
avec, ˆ son bord, une missive amicale du directeur de lÕHispanic Society. Pour le
symbole, il entre sur le territoire national par la localitŽ galicienne dÕEl Ferrol,
ville natale de Franco, et atterrit ensuite ˆ lÕaŽroport de Valence, o il est attendu
par un reprŽsentant du maire, par les autoritŽs militaires et religieuses. Il sÕenvole
ensuite pour Madrid o il rejoint la flotte transatlantique de la compagnie. Ds
lÕembarquement, les touristes nord-amŽricains se trouvent dŽjˆ en contact avec le
nom et lÕimage de Sorolla qui a la propriŽtŽ dՎvoquer immŽdiatement lÕEspagne
radieuse quÕils sÕattendent ˆ dŽcouvrir. Tous les ŽvŽnements liŽs au peintre de
Valence, de la tenue dÕune exposition ˆ la mise en circulation dÕun timbre,
formaient ensemble une cha”ne ŽvŽnementielle dont la courbe de rŽpartition des
archives de presse du MusŽe Sorolla rend clairement compte puisquÕelle se
maintient ˆ un niveau ŽlevŽ sans quasiment flŽchir jusquÕen 1963.
Tout au long des annŽes cinquante et jusquÕau dŽbut des annŽes soixante,
une iconographie choisie, dont font partie des images tirŽes de la peinture de
Sorolla, nourrit la propagande extŽrieure dÕun rŽgime soucieux de changer son
image dans le reste du monde et dÕexploiter le potentiel Žconomique de son
littoral mŽditerrannŽen. Certes, lÕimage de Sorolla est alors projetŽe ˆ lՎtranger ;
mais on a vu Žgalement que, de manire indissociable, elle nourrit lÕoffre
touristique proposŽe sur place. Ë ce titre, un dessin de Rafael Munoa (1930)
illustre avec sagacitŽ ce double aspect des choses. On y voit au premier plan deux
croisiŽristes confortablement installŽs sur des chaises pliantes caractŽristiques des
paquebots transatlantiques et qui portent, pour cette raison, le nom de ÒtransatsÓ.
La chaleur semble Žcrasante alors que les deux touristes ne se trouvent ni sur le
pont dÕun bateau ni sur aucune plage mais dans la salle dÕun musŽe, face ˆ deux
tableaux de Sorolla. EffarŽ, le gardien-matelot sՎcrie : Ç Comprendemos, se–ores
70.
Figure n¡17. Un avion baptisŽ au nom de Sorolla (1963) et Anonyme, ÒEl nuevo reactor
trasatl‡ntico de Iberia que llevar‡ el nombre de SorollaÓ, Las Provincias, Valence,
27/03/1963.
IV. Sorolla et le rŽgime franquiste : 1939-1974
222
turistas, que Sorolla tiene mucha luz mediterr‡neaÉ Pero no es para ponerse
as’É71 È LÕhumour repose sur la confusion entre lÕimage publicitaire et la rŽalitŽ.
Car au lieu de contempler lÕEspagne telle quÕelle sÕoffre ˆ leurs yeux, les deux
touristes se p‰ment devant une image fabriquŽe par un artiste. Les deux touristes
du dessin ne contemplent-ils pas, au fond, lÕEspagne quÕils sont venus chercher ?
CÕest la question que semble poser Rafael Munoa. Le dŽbut des annŽes soixante
est ˆ la fois le prolongement et lÕapothŽose de lÕinstrumentalisation de lÕimage de
Sorolla par le rŽgime car, encore plus quÕauparavant, le centime anniversaire de
la naissance du peintre va servir de vitrine.
LՃtat ne manque pas ce rendez-vous et prŽpare rien de moins quÕune
ÒAnnŽe SorollaÓ, qui est annoncŽe dans la presse en mai 1962.72 Ë la manire
dÕune fte, cet anniversaire aurait un caractre national. En Espagne, les peintres
sont rarement cŽlŽbrŽs ainsi. En la matire, le seul prŽcŽdent comparable ˆ cette
ÒAnnŽe SorollaÓ pourrait tre le troisime centenaire de Diego VŽlasquez, en
1899. Il avait ŽtŽ commŽmorŽ en grande pompe car, dans la deuxime moitiŽ du
XIXme sicle, le ma”tre de SŽville Žtait admirŽ par les peintres du monde entier
qui venaient ˆ Madrid pour copier ses tableaux dans les salles du MusŽe du
Prado.73 VŽlasquez Žtait, ˆ cette Žpoque, un symbole de la culture espagnole
connu ˆ lՎtranger.
Un dŽcret du ministre de lՃducation Nationale datŽ du 8 janvier 1963, et
publiŽ au Bolet’n Oficial del Estado du 2 fŽvrier suivant, confirme la tenue de
cŽlŽbrations ˆ compter du 27 fŽvrier 1963, jour du centenaire de la naissance du
peintre et jusquÕau mme jour de lÕannŽe suivante.74 Cette pŽriode constitue un
sommet critique, ainsi que le prouvent les cinq cent douze articles conservŽs au
MusŽe Sorolla pour la seule annŽe 1963. Les archives contiennent une majoritŽ
dÕarticles dÕinformation, des biographies condensŽes et quelques articles
dÕopinion. Blanco y Negro nÕhŽsite pas ˆ sortir un supplŽmŽnt de vingt-six pages,
ÒSorolla, el hombre y la obraÓ, dŽrivŽ du livre de Pantorba.75 LÕorganisation de
71.
72.
73.
74.
75.
Rafael Munoa (dessin), ÒSans titreÓ, Ya, Madrid, 24/04/1963 et figure n¡19. Dessin
humoristique sans titre (1963).
Anonyme, ÒConmemoraci—nÓ, D’game, Madrid, 22/05/1962.
Gary Tinterow, ÒRapha‘l supplantŽ : le triomphe de la peinture espagnole en FranceÓ in
Manet VŽlazquez, la manire espagnole au XIXe sicle, Paris, RMN, 2002, pages 16-82.
Vicente Badia, ÒNuestra ciudad. Centenario de SorollaÓ, Las Provincias, Valence,
7/02/1963.
Bernardino de Pantorba, ÒSorolla, el hombre y la obraÓ, Blanco y Negro, Madrid,
13/04/1963.
IV. Sorolla et le rŽgime franquiste : 1939-1974
223
cette annŽe commŽmorative est confiŽe ˆ un ComitŽ dÕHonneur Žlu pour
lÕoccasion et composŽ du sous-secrŽtaire du ministre de lՃducation Nationale,
Luis Legat Lafarga (inc.-inc.), du directeur gŽnŽral des Beaux-Arts, Gratiniano
Nieto Gallo (1917-1986), des membres du comitŽ ŽxŽcutif du MusŽe Sorolla, du
directeur de lÕAcadŽmie Royale des Beaux-Arts de San Fernando, JosŽ Eugenio
de Baviera (inc.-inc.), du maire de Valence, Adolfo Rinc—n de Arellano, et du
directeur de lÕAcadŽmie des Beaux-Arts de San Carlos.76 Ce comitŽ et les souscommissions qui en dŽpendent sont chargŽs dՎtablir le programme ŽvŽnementiel
de lÕannŽe.
La veille de la journŽe inaugurale, le quotidien Levante titre avec emphase
ÒMa–ana nacer‡ SorollaÓ, car le peintre sera certainement redŽcouvert gr‰ce aux
expositions commŽratives.77 Le programme est ouvert par une messe donnŽe en
une chapelle de la cathŽdrale qui est immŽdiatement suivie dÕune cŽrŽmonie de
reccueillement autour de la tombe du peintre, au cimetire municipal. Ë midi, le
nouveau monument installŽ dans le quartier maritime est dŽvoilŽ et inaugurŽ par
le prŽsident du comitŽ chargŽ de lÕorganisation des festivitŽs, Luis Legat Lafarga,
le directeur gŽnŽral des Beaux-Arts, Gratiniano Nieto Gallo (1917-1986), son
prŽdŽcesseur le marquis de Lozoya, etc.78 Levante souligne que la prŽsence des
autoritŽs venues de Madrid donne un caractre national ˆ cet ŽvŽnement
dŽcentralisŽ.79 Comme en 1944, la dimension nationale du peintre prime. Valence
nÕest dÕailleurs que le prŽlude du programme qui doit battre son plein ˆ Madrid.
Comme un symbole, le cours des cŽlŽbrations suit la trajectoire du peintre, de la
province vers la capitale. Le cortge valencien prend ensuite la direction du
MusŽe Municipal, lˆ mme o, en 1944, la premire grande exposition posthume
sÕest tenue. Une sŽlection trs rŽduite est prŽsentŽe, probablement pour ne pas
faire dÕombre ˆ lÕexposition madrilne prŽvue pour la mi-avril. Trente tableaux
seulement sont accrochŽs, dont plusieurs sont dŽjˆ connus des Valenciens.
Paralllement, le Conseil GŽnŽral organise une autre manifestation en rŽunissant
76.
77.
78.
79.
Anonyme, ÒEl Ayuntamiento va a celebrar el centenario del nacimiento del pintor
SorollaÓ, Jornada, Valence, 19/01/1963.
Salvador Chanz‡, ÒMa–ana nacer‡ SorollaÓ, Levante, Valence, 26/02/1963.
Anonyme, ÒConmemoraci—n del centenario del nacimiento de Sorolla. Descubrimiento
del monumento al insigne artista en su nuevo emplazamientoÓ, Jornada, Valence,
27/02/1963.
Luis Vidal Corrella (photographies), ÒCar‡cter nacional del homenaje a SorollaÓ, Levante,
Valence, 28/02/1963.
IV. Sorolla et le rŽgime franquiste : 1939-1974
224
quelques travaux du jeune Sorolla ˆ lՎpoque o, en tant que pensionnaire de
lÕAcadŽmie Espagnole de Rome il avait bŽnŽficiŽ dÕune bourse dՎtude.80 Enfin,
une confŽrence donnŽe par le marquis de Lozoya ˆ lÕAcadŽmie de San Carlos sert
dՎpilogue ˆ cette journŽe.
LՎvŽnement majeur de cette annŽe commŽmorative est donc la grande
rŽtrospective organisŽe ˆ Madrid dans le Cas—n del Buen Retiro du MusŽe du
Prado et inaugurŽe par le chef de lՃtat. Avant elle, la Direction GŽnŽrale des
Beaux-Arts y a organisŽ les expositions de trois ma”tres espagnols : Diego
VŽlasquez, Francisco de Goya et Pedro Berruguete (1450-1504).81 Elle affirme
ainsi la place de choix que Sorolla occupe dŽsormais ˆ lÕintŽrieur de la politique
culturelle du rŽgime. Cent trente tableaux, vingt-quatre pochades et soixante-huit
dessins du Valencien sont prŽsentŽs au public durant un mois, ˆ compter du 22
avril 1963.82 Comme le dŽcor Visi—n de Espa–a ne peut pas quitter les murs de
lÕHispanic Society, des diapositives en couleurs des quatorze panneaux sont
projetŽes dans une salle.83 Il sÕagit alors de lÕexposition la plus complte jamais
rŽalisŽe car elle prŽsente un ensemble partant de sa premire toile connue, une
nature morte peinte vers lՉge de quinze ans, jusquÕaux jardins de sa maison
madrilne quÕil peignit ˆ la fin de sa vie.84 Tous les genres quÕil avait abordŽs
cÕest-ˆ-dire la peinture religieuse, la peinture ˆ ÒthseÓ, la scne dÕintŽrieur, le
portrait Ð y compris le portrait royal Ð le paysage, le nu, la scne de plage, de
jardin, etc. Mme sa peinture dÕhistoire, qui avait compltement sombrŽ dans
lÕoubli, est exhumŽe des collections publiques. DÕailleurs, le 21 avril, jour de
lÕinauguration, le chef de lՃtat Francisco Franco pose devant une Ïuvre de
jeunesse, El dos de mayo, un sujet de guerre, symbole dÕunitŽ nationale.85 La
reprŽsentation officielle donne une idŽe de lÕimportance de cet ŽvŽnement puisque
le chef de lՃtat est accompagnŽ du Capitaine gŽnŽral des armŽes, Agust’n Mu–oz
Grandes (1896-1970) Ð ex-commandant de la Divisi—n Azul Ð, du ministre de
lՃducation Nationale Manuel Lora Tamayo (1904-2002), et plusieurs autres
80.
81.
82.
83.
84.
85.
Sorolla. Pensionado de la Diputaci—n, Valence, Diputaci—n Provincial de Valencia, 1963.
Sorolla 1863-1923. Primer centenario del nacimiento de Sorolla, Madrid, Ministerio de
Cultura, 1963, page 2.
ÒFranco y su esposa inauguraron la Exposici—n de Obras de Sorolla en el Cas—n del
Retiro, en MadridÓ, El Adelantado de Segovia, SŽgovie, 22/04/1963
Mercedes Chivelet, ÒEsta primavera: Sorolla, en el Cas—nÓ, Pueblo, Madrid, 8/02/1963.
Bodeg—n, 45x65, Valence, MusŽe des Beaux-Arts, 1878.
Figure n¡18. Franco a inaugurŽ lÕexposition Sorolla (1963).
IV. Sorolla et le rŽgime franquiste : 1939-1974
225
ministres en fonction assistent ˆ cet ŽvŽnement.86 Parmi les invitŽs Žtrangers se
trouve Anne-Aymone Giscard dÕEstaing (1933) lՎpouse de ValŽry (1926),
ministre des Finances du prŽsident De Gaulle. La mŽdiatisation de lÕexposition est
assurŽe par la presse et la radio mais aussi par la tŽlŽvision qui est ˆ cette Žpoque
un media nouveau. Elle ne compte ˆ cette Žpoque quÕune seule cha”ne, Televisi—n
Espa–ola (TVE), qui Žmettait quotidiennement depuis 1956.87
Ë lÕoccasion de cette exposition, la Direction GŽnŽrale des Beaux-Arts fait
Žditer un catalogue dans lequel tous les tableaux sont reproduits en noir et blanc.88
Il ne contient quÕun court article biographique et des repres chronologiques
Žtablis par Bernardino de Pantorba. DÕun point de vue bibliographique,
lՎvŽnement est trs mal couvert, peut-tre parce que les autoritŽs lÕont annoncŽ
trop tard. La grande monographie du mme auteur publiŽe en 1953 est ŽpuisŽe et
elle ne sera pas rŽŽditŽe avant 1970.89
La fin de lÕannŽe Sorolla est suivie dÕune nouvelle Žmission philatŽlique ˆ
lÕoccasion de la ÒjournŽe du timbreÓ, le 23 mars 1964.90 Une sŽrie de dix timbres,
sur lesquels figurent principalement des tableaux prŽsentŽs lÕannŽe prŽcŽdente, est
tirŽe ˆ quatre millions dÕexemplaires. Durant dix ans, Sorolla a occupŽ lÕespace
mŽdiatique parfois de manire inattendue et bien ŽloignŽe de lÕart en soi. Pourtant,
et en dŽpit des formes surprenantes de la ÒdiffusionÓ, la connaissance de son
Ïuvre sÕest considŽrablement amŽliorŽe sous la dictature gr‰ce ˆ toutes les
expositions inaugurŽes entre 1944 et 1963. Durant ce laps de temps, des tableaux
ont ŽtŽ rŽunis et montrŽs ensemble. Pour le public, ces conditions ont permis une
meilleure
connaissance
de
lÕart
du
Valencien.
Si
le
franquisme
a
incontestablement son lot de consŽquences ÒpositivesÓ sur la rŽception du peintre,
cette pŽriode de Òsur-expositionÓ pose la question de son devenir, aprs la mort de
Franco et la disparition de son rŽgime autoritaire. En effet, en tant que support de
propagande de la dictature, la peinture de Sorolla est dŽsormais fortement
86.
87.
88.
89.
90.
Anonyme, ÒEl Caudillo presidi— la inauguraci—n de la Exposici—n de las obras de
SorollaÓ, Nueva Espa–a, Huesca, 23/04/1963.
Miguel Costas et Carlos Marim—n, ÒAyer en TV. SorollaÓ, Noticiero Universal,
Barcelone, 1/05/1963.
Sorolla 1863-1923. Primer centenario del nacimiento de Sorolla, Madrid, Ministerio de
Cultura, 1963.
Bernardino de Pantorba, La vida y la obra de Joaquin Sorolla. Estudio biogr‡fico y
cr’tico, Madrid, Gr‡ficas Monteverde, 1970, page 8.
Anonyme, ÒEl 24 de marzo se pondr‡ en circulaci—n la serie dedicada al D’a del SelloÓ,
Yugo, Almer’a, 15/02/1964. Figure n¡20. SŽrie de timbres Ç Pintor Joaqu’n Sorolla È.
IV. Sorolla et le rŽgime franquiste : 1939-1974
226
connotŽe et cela pourrait un jour la condamner ˆ une nouvelle mise ˆ lՎcart
comme cela avait dŽjˆ ŽtŽ le cas au dŽbut de lՏre franquiste. Jusque-lˆ, et en dŽpit
de lÕalternance au pouvoir et mme des changements de rŽgime, lÕÏuvre de
Sorolla continue de dŽmontrer son Žtonnante capacitŽ ˆ traverser et ˆ sÕadapter ˆ
toutes les Žpoques.
IV. Sorolla et le rŽgime franquiste : 1939-1974
227
IV.3. LE REGARD DE LA GƒNƒRATION POST-SOROLLISTE
Es comprensible que cualquier gesto innovador, esbozado entre
nosotros, hubiese de tener, en consecuencia, algo de desaf’o
antisorollista. Pedro Salinas, hablando de la reacci—n de los
escritores del 98 frente a don Vicente Blasco Ib‡–ez, la calific—
de Òjusta injusticiaÓ. Otro tanto podr’a decirse de la actitud ante
Sorolla de muchos pintores valencianos posteriores. Fueron
ÒinjustosÓ, pero con raz—n. Con una raz—n que, en œltima
instancia, la proporcionaban, no don Joaqu’n, sino sus
aburridos seguidores.91
Fuster, ÒSorolla, en un cartelÓ, Jornada, Valence, 11/03/1961.
LÕarrivŽe au pouvoir des franquistes avait provoquŽ un retour ˆ une
politique artistique trop rŽactionnaire pour autoriser lÕinnovation. LÕextrme
droite lÕavait saluŽe comme la restauration des valeurs classiques : Ç Por fortuna,
en estos œltimos a–os, y sin que ello pueda interpretarse como un s’ntoma de
regresi—n, se advierte un marcado af‡n revisionista a la luz de una estimaci—n
cl‡sica de los valores. È92 Pour orienter la production des Beaux-Arts, le pouvoir
peut agir au moins sur deux leviers : les Žcoles dÕart et lÕExposition Nationale. La
dernire Ždition du concours avait eu lieu en 1936 et la premire de lՏre
franquiste est organisŽe en 1941. Ë partir de cette date, la transmission et la
validation des savoirs artistiques campe sur des principes dŽpassŽs, hŽritŽs du
XIXme. Au bŽnŽfice de lÕimplantation dÕun rŽgime ultra-conservateur, les exÒsorollistesÓ qui avaient ŽtŽ vilipendŽs par la critique aprs la mort de leur ma”tre,
sont en train dՐtre reconsidŽrŽs dans les annŽes quarante. Sic transit gloria
mundi. Tout porte ˆ croire que Francisco Franco, qui est lui-mme peintre
91.
92.
Ç Il est comprŽhensible que chacune de nos actions innovantes dut avoir, comme
consŽquence, un air de dŽfi antisorolliste. En Žvoquant la rŽaction des Žcrivains de la
gŽnŽration de 98 face ˆ don Vicente Blasco Ib‡–ez, Pedro Salinas la qualifia dÕÒinjustice
justifiŽeÓ. On pourrait en dire autant de lÕattitude de beaucoup de peintres valenciens issus
des gŽnŽrations suivantes, face ˆ Sorolla. Ils furent ÒinjustesÓ, mais ˆ juste titre. Avec une
raison qui, au fond, ne venait pas de don Joaqu’n, mais de ses ennuyeux continuateurs. È
Benito Rodr’guez Filloy, ÒLa gran exposici—n Sorolla en ValenciaÓ, Arriba, Madrid,
28/05/1944. Ç Par chance, ces dernires annŽes, et sans que cela puisse tre interprŽtŽ
comme un signe de rŽgression, on remarque un retour bien marquŽ vers la tradition,
motivŽ par la revalorisation des valeurs classiques. È
IV. Sorolla et le rŽgime franquiste : 1939-1974
228
amateur, nÕest pas Žtranger ˆ cette rŽhabilitation.93 NŽ en 1892, il est
contemporain de la deuxime gŽnŽration de ÒsorollistesÓ. Manuel Benedito et
Francisco Pons Arnau sont deux de ses portraitistes. Franco apprend tardivement
les Beaux-Arts auprs dÕun peintre acadŽmique, Fernando çlvarez de Sotomayor
(1875-1960), originaire comme lui dÕEl Ferrol et qui avait ŽtŽ directeur du MusŽe
du Prado de 1922 jusquՈ lÕavnement de la RŽpublique, en 1931. Il fut alors
destituŽ de son poste mais le rŽintŽgra au bŽnŽfice de la victoire franquiste, en
1939. Dans les annŽes quarante, non seulement les disciples de Sorolla exposent ˆ
nouveau, comme Francisco Pons-Arnau et Salvador Tuset qui montent leur propre
exposition individuelle, respectivement en 1942 et en 1946, mais en outre, les
autoritŽs leur commandent des tableaux et leur confient dÕimportants postes de
direction et dÕenseignement au sein des institutions des Beaux-Arts. Manuel
Benedito enseigne ˆ lՃcole des Beaux-Arts de Madrid, en lieu et place de son
ma”tre. Il prŽside le ComitŽ de direction du MusŽe Sorolla en 1941 et intgre celui
du MusŽe du Prado en 1951. Salvador Tuset devient professeur ˆ lՃcole des
Beaux-Arts de Valence en 1943, avant dÕen devenir le directeur, trois ans plus
tard.94 Par ailleurs, il est sur le point dÕobtenir la MŽdaille dÕHonneur en 1948. 95
Ceux-lˆ mme que plus aucun journaliste ne dŽsigne sous le nom infamant de
ÒsorollistesÓ sont donc chargŽs de former une nouvelle gŽnŽration, nŽe dans les
annŽes vingt et trente. Cette ÒrelveÓ, on va le voir, nÕa pas connu Sorolla et
conna”t superficiellement son Ïuvre.
LÕarrivŽe au pouvoir des franquistes a rŽduit ˆ nŽant la diversitŽ artistique
des annŽes trente tout dÕabord parce que la plupart de ceux qui avaient ŽtŽ des
partisans de la rŽnovation avaient aussi ŽtŽ les adversaires du soulvement des 17
et 18 juillet. Certains ont mme pris les armes et combattu dans les milices
populaires et ont ŽtŽ, pour cela, tant™t tuŽs au front, tant™t victimes de la
rŽpression, cÕest-ˆ-dire persŽcutŽs, emprisonnŽs ou exŽcutŽs. Mais la plupart des
artistes anti-acadŽmiques rŽussirent ˆ sÕexiler avant, pendant, ou aprs le conflit,
comme les surrŽalistes Maruja Mallo (1902-1995), îscar Dom’nguez (19061957), Remedios Varo (1908-1963), Manuel Viola (1916-1987) et beaucoup
93.
94.
95.
Narciso Campillo Balboa, ÒFranco, gran mecenas de las ArtesÓ, Diario de C‡diz, Cadix,
1/10/1957.
Manuel Mu–oz Ib‡–ez, La pintura valenciana de la posguerra, Valence, Universitat de
Valncia, 1994, pages 35-36.
Anonyme, ÒNueva York descubre la obra de Salvador Tuset, disc’pulo de SorollaÓ,
heraldo.es, 25/05/2007.
IV. Sorolla et le rŽgime franquiste : 1939-1974
229
dÕautres. Maruja Mallo quitta lÕEspagne en 1936 pour le Portugal avant de
rejoindre lÕArgentine. îscar Dom’nguez et Javier Bueno (1915-1979) voyagrent
clandestinement ˆ Paris, et Remedios Varo gagna la France avant de partir pour le
Mexique. Javier Bueno a jouŽ en r™le notable en exŽcutant deux chef-dÕÏuvres
conservŽs au MusŽe Goya de Castres : le Combattant espagnol et Judith et
Holopherne, Ïuvres politiques empreintes de rŽminiscences mŽdiŽvales et
renaissantes. Enfin, Manuel Viola sÕexpatria ˆ Paris aprs avoir combattu dans les
milices du Parti Ouvrier dÕUnification Marxiste (POUM). Il convient ici de
souligner que les peintres acadŽmiques et, parmi eux, des disciples de Sorolla, ont
aussi ŽtŽ victimes de la guerre. Par exemple, JosŽ Manaut Viglietti fut emprisonnŽ
ˆ Madrid parce quÕil avait ŽtŽ franc-maon et ses dessins rŽalisŽs dans les prisons
de Porlier et de Carabanchel ont rŽcemment ŽtŽ exposŽs ˆ Madrid.96
Au moins jusquՈ la fin de la Deuxime Guerre Mondiale, lÕisolement et la
censure des artistes rŽsidant en Espagne est extrme. Mais au-delˆ de cette
pŽriode noire et alors que le rŽgime amorce le virage de lÕouverture et de la
ÒnormalisationÓ, quelques jeunes artistes commencent ˆ sÕaffranchir du carcan
acadŽmique. Ainsi, entre 1945 et 1950, des collectifs voient le jour en marge des
institutions officielles. En 1947, les Valenciens Manuel Gil (1925-1952) et JosŽ
Vento (1925) parviennent ˆ fŽdŽrer autour dÕeux un petit groupe composŽ de huit
Žlves de lՃcole des Beaux-Arts de San Carlos dŽsireux de se dŽmarquer du
modle enseignŽ.97 Ils forment ensemble le groupe Z qui se fait conna”tre en
novembre de la mme annŽe en organisant une exposition commune dans la
librairie Faus, ˆ Valence. Une initiative semblable voit le jour la mme annŽe ˆ
Saragosse. Autour de lÕarchitecte Santiago Lagunas (1912-1995), un petit groupe
dÕartistes se retrouve dans la librairie P—rtico afin de se tenir informŽs des
dernires tendances artistiques. Ce groupe, auquel appartient le peintre Ferm’n
Aguayo (1926-1977), expose ˆ la galerie Bucholz de Madrid avant de se sŽparer
en 1950. En Catalogne, le collectif avant-gardiste Dau al Set Ð la septime face du
dŽ Ð, dont font partie les peintres Joan Josep Tharrats (1918-2001), Antoni Tˆpies
(1923-2012), Modest Cuixart (1925-2007) et Joan Pon (1927-1984), voit le jour
en 1948. En mme temps, ˆ Santander, le collectif lՃcole dÕAltamira dont font
partie Willi Baumeister (1889-1955) et Pancho Coss’o (1898-1970), revendique
96.
97.
Patricia Ortega Dolz, ÒEl artista cautivoÓ, El Pa’s, Madrid, 22/06/2008.
M. Mu–oz Ib‡–ez, La pinturaÉ, page 107-116.
IV. Sorolla et le rŽgime franquiste : 1939-1974
230
lÕhŽritage des peintures rupestres du site prŽhistorique quÕil considre comme leur
manifeste. Ces artistes partagent au moins trois points communs : ils ont une
vingtaine dÕannŽes environ, rejettent lÕenseignement de la peinture tel quÕil est
dispensŽ dans les structures officielles et cherchent ˆ rester en contact avec lÕart
pratiquŽ hors des frontires du pays.
Ë la fin des annŽes quarante, le rŽgime sÕemploie ˆ changer son image ˆ
lՎtranger afin de rŽtablir des relations diplomatiques cordiales avec le reste du
monde. En juillet 1946, lÕambassadeur dÕEspagne au Vatican, Joaqu’n RuizGimŽnez (1913-2009), reprŽsente son pays lors du XIXme rassemblement des
jeunesses catholiques, Pax Romana, qui se tient ˆ San Lorenzo del Escorial. Ce
colloque dŽbouche sur la crŽation dÕune fondation destinŽe ˆ renforcer les
relations culturelles entre les pays ibŽro-amŽricains. LՃtat franquiste lÕintgre
ensuite ˆ son appareil en faisant de lÕInstitut de Culture Hispanique une institution
officielle ˆ part entire. En 1951, Ruiz-GimŽnez est nommŽ ministre de
lՃducation Nationale et prŽsident de cet Institut. Pour faire exister lÕhispanitŽ et
orienter la politique culturelle du pays en direction de lÕouverture et du
cosmopolitisme, lÕInstitut de Culture Hispanique sÕemploie ˆ dŽvelopper les
Žchanges avec le continent amŽricain en finanant, notamment, un programme
Žditorial scientifique et des bourses universitaires. En 1951, lÕInstitut organise la
Ire Biennale hispano-amŽricaine. LÕexposition comprend quatre sections :
architecture, sculpture, peinture et dessin / gravure. Mille trois cents Ïuvres en
provenance de quinze pays Žtrangers sont exposŽes : Argentine, Chili, Colombie,
Cuba, ƒquateur, ƒtats-Unis, Honduras, Nicaragua, Panama, Paraguay, PŽrou,
Philippines, RŽpublique dominicaine, Salvador et Venezuela. La Biennale est
inaugurŽe par le chef de lՃtat le 12 octobre, fte nationale et jour de lÕHispanitŽ.
JusquÕau 28 fŽvrier de lÕannŽe suivante, Madrid accueille des rŽalisations non
figuratives qui sont toutes englobŽes, par la critique espagnole, sous le terme
gŽnŽrique et vague dÕabstraction. Pour dissimuler au monde le repli artistique de
lÕEspagne, lÕexposition doit donner lÕillusion que le pays nÕest pas hostile aux
nouveaux courants picturaux. Pour cette raison, lÕInstitut de Culture Hispanique
expose les avant-gardes Žtrangres et, pour reprŽsenter lÕEspagne, invite les
collectifs avant-gardistes Dau al Set, P—rtico, lՃcole dÕAltamira, etc. ainsi que le
IV. Sorolla et le rŽgime franquiste : 1939-1974
231
Catalan Salvador Dal’ (1904-1989), dont lÕÏuvre est dŽjˆ reconnue en Europe et
aux ƒtats-Unis.98
Dans la presse phalangiste, les intentions du rŽgime ne sont pas toujours
comprises ni partagŽes. Par exemple, D’game sÕindigne de voir dŽferler ˆ Madrid
une telle vague de nouveautŽs ˆ cotŽ des classiques et imagine un dialogue
improbable entre des personnages peints :
Do–a Juana la Loca se ha apartado un momento del fŽretro que encierra los restos de
su real esposo para preguntar a los jud’os expulsados, a los ni–os de la playa al
jovencito don Juan de Austria y a las hijas del Cid quŽ locura es esta. [É] Don
Francisco, don Emilio, don Joaqu’n, etcŽtera, sabr‡n perdonar. Son aires nuevos los
que nos llegan. Y ya tendremos cuidado de evitar las corrientes.99
Il faut reconna”tre dans ce passage cinq tableaux biens connus conservŽs
dans les collections du MusŽe du Prado : Do–a Juana la Loca de Francisco
Pradilla, Expulsi—n de los jud’os de Espa–a dÕEmilio Sala, Chicos en la playa de
Sorolla, Don Juan de Austria dÕEduardo Rosales (1836-1873) et Las Hijas del Cid
de Di—scoro Puebla (1831-1901).100 Selon le journaliste, les peintres espagnols
doivent se tenir ˆ lՎcart de toute influence Žtrangre. Ce qui vient de lÕextŽrieur
est jugŽ pernicieux, ˆ commencer par le libŽralisme hŽritŽ de la RŽvolution
franaise. Les observateurs les plus rŽactionnaires martlent lÕidŽe que lÕart
national a ŽchappŽ ˆ la dŽcadence et les commentaires les plus absurdes fusent
pour dŽfendre les orientations esthŽtiques pr™nŽes par les institutions officielles.
Mais, au mme moment, les voix divergentes de quelques jeunes artistes sՎlvent
dans lÕespace mŽdiatique. Dans les colonnes du journal Ayer, un peintre formŽ ˆ
SŽville entre 1941 et 1946, Francisco Moreno Galv‡n (1925-1999), dŽclare sans
dŽtour que les Žcoles des Beaux-Arts ne rendent pas service ˆ lÕartiste et que lÕon
98.
99.
100.
JosŽ Guillot Carratal‡, ÒLa I Bienal Hispano-americana de ArteÓ, La Gaceta Regional,
Salamanque, 18/10/1951.
R. de G. ÒPerd—n, MaestrosÓ, D’game, Madrid, 16/10/1951. Ç Jeanne la Folle sÕest ŽcartŽe
un moment du cerceuil contenant les restes de son Žpoux royal pour demander aux juifs
expulsŽs, aux enfants de la plage, au jeune don Juan dÕAutriche ainsi quÕaux filles du Cid,
quelle est donc cette folie. [É] Don Francisco, don Emilio, don Joaqu’n et c¾tera sauront
pardonner. Ce sont des vents nouveaux qui soufflent jusquÕici. Et nous prendrons soin
dՎviter les courants. È
Ë Madrid, MusŽe National du Prado : Francisco Pradilla, Do–a Juana la Loca, 300x500,
1878. Emilio Sala, Expulsi—n de los jud’os de Espa–a, 313x281, 1889. Joaqu’n Sorolla,
Chicos en la playa, 118x185, 1910. Eduardo Rosales, Don Juan de Austria, 76Õ5x123Õ5,
1869 et Di—scoro Te—filo Puebla, Las Hijas del Cid, 232x308, 1879.
IV. Sorolla et le rŽgime franquiste : 1939-1974
232
y respire un air dŽprimant.101 Il ne cache pas son admiration pour Pablo Ruiz
Picasso (1881-1973), quÕil considre comme un chef de file en exil alors mme
que, auprs de la droite catholique, ce dernier fait figure de dŽmon. Pour un
journaliste dÕExtremadura, Picasso est investi dÕune mission funeste consistant ˆ
dŽtruire le spirituel dans lÕart. Puisque lÕEspagne a dŽclarŽ le communisme hors la
loi, le journaliste propose dÕinterdire la libertŽ artistique afin de prŽserver les
jeunes du venin de la modernitŽ.102 Le peintre qui vit en France a signŽ le
manifeste anti-Biennale des artistes espagnols et hispano-amŽricains rŽsidant ˆ
Paris. Des contre-biennales sont mme organisŽes ˆ Paris, Mexico et Caracas.103
La Biennale met en Žvidence une fracture qui est peut tre moins
idŽologique que gŽnŽrationelle. En effet, La Verdad publie un article intitulŽ ÒLa
Bienal y los pintores clasicistasÓ, dans lequel le journaliste sollicite lÕopinion dÕun
jeune peintre de la Phalange. Pour un certain Gregorio Cebri‡n, les artistes
espagnols doivent tre en contact avec lՎtranger et il juge lÕisolement comme un
acte suicidaire !
104
JusquՈ la transition dŽmocratique, deux visions du systme
des Beaux-Arts sÕopposent, lÕune ultra-conservatrice, dont le modle est toujours
la peinture naturaliste, et lÕautre ÒmodŽrŽmentÓ progressiste, convaincue que cette
Žtape doit tre dŽpassŽe. Comme par le passŽ, Sorolla sert de porte-Žtendard aux
premiers, ainsi quÕon va le voir maintenant.
LÕhistorien dÕart Bernardino de Pantorba (1896-1990) est aussi un peintre
qui appartient ˆ la gŽnŽration des derniers disciples de Sorolla. On peut souligner
quÕil est le neveu des frres JimŽnez Aranda que le Valencien avait trs bien
connus. Selon lui, seule une deuxime vague de ÒsorollismeÓ est susceptible de
prŽserver le pays de lÕinfluence venue dÕailleurs. Il idŽalise le r™le que le
Valencien a jouŽ auprs de la jeunesse et le rapporte, comme ici, avec des accents
ˆ la fois mystiques et militaires comme sÕil eut ŽtŽ jadis un ÒguideÓ : Ç Llega por
consiguiente lo que se ha llamado Òla Žpoca del sorollismoÓ. Sorolla, el
renovador, conduce a su legi—n por el camino sano y luminoso. [É] A su
alrededor se forman muchos; por librarse de quien as’ manda y sujeta, otros se
101.
102.
103.
104.
J.M.C., ÒLa joven pintura espa–ola en la BienalÓ, Ayer, JaŽn, 21/10/1951.
Francisco Mir—n, ÒModernismo pernicioso en la pinturaÓ, Extremadura, C‡ceres,
10/02/1955.
Francisco Javier çlvaro O–a, ÒLa I Bienal Hispanoamericana de 1951. Paradigma y
contradicci—n de la pol’tica art’stica franquistaÓ in www.ahist.con.org.
Antonio Oliver, ÒLa Bienal y los pintores clasicistasÓ, La Verdad, Murcie, 8/09/1951.
IV. Sorolla et le rŽgime franquiste : 1939-1974
233
aventuran por el campo opuesto. È105 Bernardino de Pantorba rŽalise un travail de
fond car il a accs aux archives familiales. Tous ses livres sont trs bien
documentŽs et cÕest la raison pour laquelle ils feront longtemps autoritŽ. Il signe
dÕailleurs lÕarticle consacrŽ au peintre ˆ lÕintŽrieur de lÕEncyclopŽdie EspasaCalpe. Vingt-quatre tableaux y sont reproduits, dont un en couleur. Quant ˆ sa
vision de Sorolla, elle est Žminemment nationaliste et traditionelle.106 Un des
critiques les plus conservateurs du moment est JosŽ Guillot Carratal‡ (inc.-inc.). Il
est ˆ la fois journaliste et historien dÕart. En tant que spŽcialiste des productions
artisanales nationales, il publie des ouvrages sur le verre, la cŽramique, la
tapisserie et lՎventail. Il signera en 1967 une courte biographie du Valencien,
sans grand intŽrt puisquÕil sÕagit dÕun pot pourri dÕempreints divers plut™t quÕune
Žtude nouvelle.107 Aprs avoir parcouru les diffŽrents sites de la Biennale, il ne
dissimule pas son malaise face aux Avant-gardes espagnoles mais il affirme
ensuite que quelques peintres acadŽmiques venus du continent amŽricain ont
lÕenvergure dÕun Sorolla.108 Sous le franquisme lՎcriture de la vie de Sorolla reste
dÕabord la chasse gardŽe de la critique conservatrice puis les choses changent
dans les annŽes soixante et soixante-dix. Mme si Pantorba est une sorte de
Òbiographe officielÓ et que Guillot Carratal‡ publie un opuscule, des critiques plus
ÒpondŽrŽsÓ tels que Enrique Lafuente Ferrari, Vicente Aguilera Cerni (19202005) et Joaqu’n de la Puente (1925-2001) adoptent une approche plus esthŽtique
de son Ïuvre en sÕattachant ˆ la mettre en lien avec les courants picturaux de son
Žpoque.109
Dans lÕEspagne de Franco, aucun artiste dŽsireux dÕinnover ne sÕidentifie ˆ
lÕÏuvre de Sorolla. LÕadolescence des jeunes Espagnols a ŽtŽ interrompue par la
guerre civile et ils nÕont ensuite connu que la dictature. Dans ces conditions, la
peinture dÕaprs-guerre est logiquement grave et empreinte de noirceur. Ç Lo de
105.
106.
107.
108.
109.
Bernardino de Pantorba, Gu’a del Museo Sorolla, Madrid, Gr‡ficas Nebrija, 1951, page
18. Ç Ce que lÕon a appelŽ ÒlՎpoque du sorollismeÓ arrive alors. Sorolla, le rŽnovateur,
conduit sa lŽgion sur le chemin sain et lumineux. [É] Autour de lui beaucoup se
rassemblent ; voulant se soustraire ˆ lÕautoritŽ de celui qui commande ainsi, dÕautres
sÕaventurent dans le camps adverse. È
Enciclopedia universal ilustrada europeo-americana, Madrid, Espasa-Calpe, 1958, pages
568-576.
JosŽ Guillot Carratal‡, El pincel deslumbrador, Plasencia, S‡nchez Rodrigo, 1967.
JosŽ Guillot Carratal‡, ÒLa I BienalÉÓ.
Joaqu’n de la Puente, Joaqu’n Sorolla, Buenos Aires, Codex, 1964. Enrique Lafuente
Ferrari, Conmemoraci—n de Sorolla: disertaci—n le’da en el acto inaugural del curso el
d’a 15 de octubre de 1963, Madrid, Ministerio de Educaci—n Nacional, 1963 et Vicente
Aguilera Cerni, Dibujos de J. Sorolla, IbŽrico europea de ediciones, 1973.
IV. Sorolla et le rŽgime franquiste : 1939-1974
234
Valencia ya ha pasado È Ð que lÕon pourrait traduire par : Ç LՃcole de Valence,
cÕest du passŽ È Ð affirme Daniel V‡zquez D’az pour signifier que la peinture
lumineuse nŽe dans cette ville nÕa plus de raison dՐtre dans les annŽes
cinquante.110 Pour sÕen dŽmarquer assez nettement, les membres du groupe Z,
Manolo Gil PŽrez (1925-1957) et ses camarades JosŽ Vento (1925-2005), Jacinta
Gil (1917), Custodio Marco (1925-2003), Manuel Benet (inc.-inc.), Ricardo
Zamorano (1930), Federico Monta–ana (1928-2006) et Carmen PŽrez Giner (inc.inc.), cultivent une esthŽtique sombre inspirŽe de lÕÏuvre du ma”tre hollandais
Rembrandt (1606-1669). Manolo Gil PŽrez est visiblement ŽcÏurŽ par la peinture
de Sorolla et il sÕen explique au cours dÕun entretien dans lequel il affirme que le
professeur Salvador Tuset lÕa jadis obligŽ ˆ copier le peintre de la lumire durant
une annŽe entire pour obtenir la validation de son cursus !111 Ë dŽfaut des
tableaux vŽritables, lՎlve avait copiŽ de simples lithographies comme le
confirment plusieurs tŽmoignages. Dans Informaciones, un peintre anonyme
Žvoque Ç la prodigada reproducci—n litogr‡fica de la obra sorollana, que tan mal le
refleja. È112 En 1953, un journaliste voit dans lÕusage de ces reproductions un
dŽfaut majeur de lÕenseignement dispensŽ ˆ Valence : Ç Desgraciadamente, los
j—venes pintores no disfrutan de las ense–anzas vivas, prendidas en sus lienzos, de
quien es ya un cl‡sico de la pintura espa–ola. [É] debemos llegar con mayor
frecuencia a los originales pict—ricos m‡s valiosos, pues de ver sus reproducciones
litogr‡ficas al uso se nos familiarizan rebajados. È113 Malheureusement ces
lithographies si prŽcieuses pour une plus juste connaissance du ÒsorollismeÓ ne
figurent pas dans les archives historiques de lÕAcadŽmie de San Carlos, si bien
que demeurent de nombreuses questions concernant le choix des Ïuvres
110.
111.
112.
113.
JosŽ Guillot Carratal‡, ÒLa exposici—n de Ç Jardines de Sorolla È ha tenido un gran Žxito
de pœblicoÓ, Las Provincias, Valence, 7/10/1958.
Adolfo de Azc‡rraga, ÒSorollismo y Antisorollismo. Con posdata sobre un monumento
inexcusableÓ, Las Provincias, Valence, 16/05/1975.
D.S., ÒSorolla, ahora y siempreÓ, Informaci—n, Alicante, 11/09/1953. Ç lÕabondante
reproduction lithographique de lÕÏuvre sorollienne, qui le reflte si mal. È
JosŽ Ombuena, ÒLos restos de Sorolla reciben sepultura definitivaÓ, Madrid, Madrid,
9/09/1953. Ç Malheureusement, les jeunes peintres ne profitent pas des enseignements
vivants, accrochŽs sur les toiles de celui qui est dŽjˆ un classique de la peinture espagnole.
[É] Nous devons aller plus frŽquemment aux originaux picturaux les plus prŽcieux, car ˆ
force de voir ses reproductions lithographiques, on se familiarise avec une Ïuvre
dŽprŽciŽe. È
IV. Sorolla et le rŽgime franquiste : 1939-1974
235
reproduites, ou encore la qualitŽ, le format, le lieu et la maison dՎdition de ces
documents.114
En 1955, des peintres anti-acadŽmiques sont rŽcompensŽs au terme de la
IIIme Biennale hispano-amŽricaine. Pour un journaliste de Hoy, lÕexposition va
plonger le public dans la confusion car la rupture avec la pŽriode ŽcoulŽe lui
semble trop brutale.115 Le journal catalan La Vanguardia sÕindigne des
prŽfŽrences du jury, comme le montre ce passage : Ç Consumatum est. Ya se han
fallado los premios de la III Bienal Hispanoamericana de Arte. Vencieron los no
figurativos. È116 LÕun de ses membres, Enrique Lafuente Ferrari (1898-1985), est
interrogŽ par le journal. Le directeur du MusŽe dÕArt Moderne dŽfend les
nouvelles tendances artistiques et rejette lÕaccusation selon laquelle la politique du
rŽgime aurait pesŽ sur la dŽcision de remettre un Grand Prix au peintre Žquatorien
Oswaldo Guayasamin (1919-1999). Or lՃtat finance le concours et ce choix
valide au moins deux objectifs de lÕInstitut de Culture Hispanique cÕest-ˆ-dire la
promotion de lÕhispanitŽ et la mise en pratique dÕune certaine ouverture dÕesprit,
au moins de faade. DÕailleurs, les peintres acadŽmiques ont dŽsertŽ le concours,
convaincus quÕils Žtaient quÕils nÕavaient aucune chance dÕy briller.
Il faut rappeler quÕil y a alors un dŽcalage trs net entre la tolŽrance pr™nŽe
par la Biennale et dÕautres expositions sans envergure internationale. LÕexemple
de la centennale de 1956 le dŽmontre assez bien.117 En effet, pour commŽmorer le
centenaire de lÕExposition Nationale, la Direction GŽnŽrale des Beaux-Arts rŽunit
dans les salles du Cas—n del Buen Retiro prs de cinq cents tableaux prŽsentŽs au
concours depuis sa crŽation. Deux cent peintres sont reprŽsentŽs et six dÕentre
eux, Eduardo Rosales, Mariano Fortuny, Ignacio Zuloaga, JosŽ Mar’a Sert (18741945), JosŽ GutiŽrrez Solana et Joaqu’n Sorolla figurent dans des salles
individuelles.118 Mais au mŽpris de toute logique, lÕexposition centennale Žcarte
les artistes vivants ! Cette cŽlŽbration censŽe fter un sicle complet est, dans les
114.
115.
116.
117.
118.
çngela Aldea Hern‡ndez, El Archivo Hist—rico de la Real Academia de Bellas Artes de
San Carlos y sus fondos documentales, Valence, Real Academia de Bellas Artes de San
Carlos, 2007.
Arturo Gazul, ÒDe la pintura realista a la abstractaÓ, Hoy, Badajoz, 28/04/1955.
Del Arco, ÒEnrique Lafuente FerrariÓ, La Vanguardia, Barcelone, 16/12/1955.
Ç Consumatum est. Les jurŽs de la IIIe Biennale HispanoamŽricaine dÕArt se sont
trompŽs. Les non figuratifs ont gagnŽ. È
Anonyme, ÒTemporada de pinturasÓ, La Vanguardia, Barcelone, 9/11/1956.
Anonyme, ÒInauguraci—n por el jefe del Estado de la exposici—n antol—gica de artistas
fallecidosÓ, ABC, Madrid, 30/11/1956.
IV. Sorolla et le rŽgime franquiste : 1939-1974
236
faits, une rŽtrospective de la deuxime moitiŽ du XIXme sicle de Federico de
Madrazo, en passant par Eduardo Rosales, Domingo MarquŽs, Mariano Fortuny et
jusquՈ Sorolla, Zuloaga, Solana, etc.
En octobre 1958, lÕexposition 46 jardines de Sorolla, installŽe dans le salon
Goya du Cercle des Beaux-Arts de Madrid, c™toie une exposition de lՃcole de
Madrid, un groupe hŽtŽroclite constituŽ de peintres en contact avec les courants
Žtrangers dont font partie Daniel V‡zquez D’az (1882-1969) et Rafael Zabaleta
(1907-1960).119 La cohabitation entre ces peintres et les jardins de Sorolla offre un
nouveau motif de polŽmiques. JosŽ Guillot Carratal‡ estime que les tableaux du
Valencien vont donner une leon dՎthique professionnelle ˆ cette jeunesse Òfolle
et ŽgarŽeÓ :
Era muy natural que ahora los jardines que pintara el maestro Sorolla, presentados
en el C’rculo, dieran ejemplo de honradez profesional a toda esa juventud loca y
descarriada que, con sus ate’smos y deformaciones pict—ricas, desea descubrirnos
una naturaleza nueva y renovada a su gusto.120
Ë lÕinverse, Manuel S‡nchez-Camargo y voit le grand Žventail de la
peinture espagnole qui sՎtend, selon lui, de Sorolla jusquՈ Picasso. Ë la fin des
annŽes cinquante, le prestige international de lÕauteur des Demoiselles dÕAvignon
et de Guernica est tel que seuls les esprits les plus orthodoxes lui sont encore
hostiles. S‡nchez-Camargo salue les succs artistiques de lÕEspagne ˆ la Biennale
de Venise en les comparant ˆ lÕhŽgŽmonie sur le football continental du club Real
de Madrid qui vient de gagner sa quatrime Coupe dÕEurope consŽcutive.121 En
1960, le Cercle des Beaux-Arts de Madrid rassemble dix tableaux de Sorolla dans
une de ses salles et, ˆ cette occasion, Guillot Carratal‡ prononce une confŽrence
119.
120.
121.
Sorolla en el C”rculo de Bellas Artes. 46 jardines de Sorolla, Madrid, C’rculo de Bellas
Artes, 1958.
JosŽ Guillot Carratal‡, ÒLa exposici—n de Ç Jardines de Sorolla È ha tenido un gran Žxito
de pœblicoÓ, Las Provincias, Valence, 7/10/1958. Ç Il est tout naturel que les jardins
peints par le ma”tre Sorolla offrent aujourdÕhui une leon de probitŽ professionnelle ˆ
toute cette jeunesse folle et ŽgarŽe qui, avec ses dŽformations et ses blasphmes
picturaux, dŽsire nous rŽvŽler une nature nouvelle et rŽnovŽe ˆ son gožt. È
Manuel S‡nchez-Camargo, ÒJardines de SorollaÓ, La Nueva Espa–a, Oviedo, 15/10/1958.
IV. Sorolla et le rŽgime franquiste : 1939-1974
237
remarquŽe dans laquelle il oppose le Valencien aux peintres ÒabstraitsÓ quÕil
qualifie ÒdÕanarchistes de lÕartÓ.122
Aprs cela, Sorolla sort momentanŽment de lÕactualitŽ artistique pour mieux
y revenir puisque le centenaire de sa naissance approche. LÕannŽe 1963 a pour
effet de replacer lÕÏuvre du Valencien au cÏur des dŽbats entre les partisans de
telle ou telle orientation esthŽtique. Un journaliste affirme dans les colonnes de la
revue Luna y Sol : Ç Otro Sorolla nos hubiera evitado la confusi—n presente. È123
en franais : Ç Un autre Sorolla nous aurait ŽvitŽ la confusion actuelle. È
Toutefois, et malgrŽ les frictions entre Òpro-Ó et Òanti-Ó, lÕexposition est, pour
Enrique Lafuente Ferrari, le point de dŽpart dÕune rŽconciliation, car il estime que
le peintre fait enfin lÕunanimitŽ.124 Un tel renversement est probablement
impossible dans un dŽlai aussi court ; toutefois, comme lÕÏuvre du Valencien se
trouve pour la premire fois dŽvoilŽe dans un Žchantillon assez vaste pour que
chacun puisse en prendre la juste mesure, quelques jeunes artistes commencent ˆ
porter un autre regard sur la peinture quÕils dŽcouvrent. Le pote JosŽ Hierro del
Real (1922-2002) constate alors que les tableaux quÕil a devant lui nÕont rien ˆ
voir ni avec la peinture des ÒsorollistesÓ ni avec les lithographies quÕil conna”t. Il
en conoit une plus grande animositŽ pour ces peintres en estimant quÕils ont
masquŽ ˆ la jeunesse la vŽritable essence de sa peinture et livre cet intŽressant
tŽmoignage au journal El Alc‡zar :
Los viejos seguidores del pintor opinaban que nada se hab’a hecho antes ni despuŽs
que pudiese ser comparable. Los j—venes, entre los que entonces me contaba,
abomin‡bamos de aquella pintura. Fue m‡s tarde, y lejos cuando empecŽ a
comprender y a gustar la obra de Sorolla. A pesar de sus enormes defectos, de una
estŽtica fuera de circulaci—n, a pesar del sorollismo de sus imitadores malos, supe
ver entonces el gran pintor.125
122.
123.
124.
125.
Anonyme, ÒGuillot Carratal‡ diserta en Valencia sobre la exposici—n de Joaqu’n SorollaÓ,
En Pie, Madrid, 1960 et anonyme, ÒExposici—n homenaje a Sorolla en el C’rculo de
Bellas ArtesÓ, Levante, Valence, 10/04/1960.
Luis Gil Fillol, ÒSorolla, hoyÓ, Luna y Sol, Madrid, 02/1963.
Anonyme, ÒSorolla fue un pintor de aire libre y gran genio creadorÓ, La Verdad, Murcie,
2/02/1964.
JosŽ Hierro del Real, ÒCr—nica de Arte. SorollaÓ, El Alc‡zar, Madrid, 10/04/1963. Ç Les
vieux disciples du peintre estimaient que rien de comparable nÕavait ŽtŽ fait ni avant, ni
aprs lui. Les jeunes, dont je faisais alors partie, avions cette peinture en horreur. Ce fut
plus tard et avec de la distance que je commenai ˆ comprendre et ˆ apprŽcier la peinture
de Sorolla. MalgrŽ ses Žnormes dŽfauts, son esthŽtique dŽpassŽe, malgrŽ le sorollisme de
ses mauvais imitateurs, je sus voir alors le grand peintre. È
IV. Sorolla et le rŽgime franquiste : 1939-1974
238
Le ÒsorollismeÓ rŽhabilitŽ par le franquisme est ˆ nouveau la cible
dÕattaques trs dures ˆ partir de 1963. Les derniers disciples formŽs dans lÕatelier
du ma”tre sont morts dans les annŽes cinquante : Tuset en 1951, Pons-Arnau en
1953, Ma–‡ en 1955, avec toutefois une exception puisque Benedito dispara”t
seulement en 1963.
Comme JosŽ Hierro del Real, le peintre Arturo Zabala (inc.-inc.) sÕattache ˆ
dissocier lÕÏuvre de Sorolla du ÒsorollismeÓ, une diffŽrence dŽsormais
indispensable ˆ ses yeux.126 Aprs avoir parcouru les salles du MusŽe du Prado, le
peintre valencien Joaqu’n Michavila (1926) affirme avoir ŽtŽ impressionnŽ en tant
que spectateur, mais quÕen tant que peintre, il ajoute ne pas pouvoir tre intŽressŽ
par la technique du Valencien.127 Pour les plus jeunes peintres, qui en 1963 ne
sont encore que des Žlves des Žcoles dÕart, cÕest-ˆ-dire pour la gŽnŽration nŽe
dans les annŽes quarante, le rapport ˆ Sorolla est plus apaisŽ. Leurs tŽmoignages
attestent une curiositŽ nouvelle alors mme que la gŽnŽration prŽcŽdente lui Žtait,
au mieux, indiffŽrente. Pour les Valenciens Manolo ValdŽs (1942) et Rafael
Solbes (1940-1981), lÕÏuvre de Sorolla avait aussi fait partie de lÕenseignement
quÕils avaient reu ˆ lՃcole des Beaux-Arts de San Carlos :
[É] durante los a–os de la Escuela de Bellas Artes, siempre cuestion‡bamos a
Sorolla, no sab’amos bien si era por la defensa que los profesores hac’an o por el
desconocimiento que ten’amos de su obra. Con el paso del tiempo, aprendimos a
reconocer sus cualidades.128
Avant la fin du franquisme, une autre approche de Sorolla voit le jour dans
une Ïuvre hommage des artistes pop Equipo Cr—nica. La formation du collectif
valencien remonte ˆ 1965. Manolo ValdŽs (1942), Rafael Solbes (1940-1981) et
Joan-Antoni Toledo (1940) participent ensemble au XVIe Salon de la Jeune
Peinture, ˆ Paris, sous le nom Equipo Cr—nica mais ils y prŽsentent leurs Ïuvres
sŽparŽment. Toledo quitte le groupe et le duo poursuit sous le mme nom. Equipo
126.
127.
128.
Pons Santiago, ÒCuatro opiniones sobre SorollaÓ, Levante, Valence, 23/02/1963.
Ibidem.
Manolo ValdŽs, ÒSorolla como pretextoÓ in Cuadernos del IVAM 02, Valence, IVAM,
2004, page 18-19. Ç [É] Durant nos annŽes ˆ lՃcole des Beaux-Arts, nous discutions
toujours lÕart de Sorolla, sans bien savoir si cՎtait ˆ cause de lÕadmiration excessive des
professeurs ou ˆ cause de notre mŽconnaissance de son Ïuvre. Au fil du temps, nous
avons appris ˆ reconna”tre ses qualitŽs. È
IV. Sorolla et le rŽgime franquiste : 1939-1974
239
Cr—nica Žlabore une Ïuvre innovante inspirŽe des artistes pop amŽricains Roy
Lichtenstein (1923-1997), Robert Rauschenberg (1925-2008), Andy Warhol
(1928-1987), et Jasper Johns (1930). Le groupe cesse dÕexister en 1981, lÕannŽe
de la mort de Rafael Solbes. LÕInstitut Valencien dÕArt Moderne publiera un
catalogue raisonnŽ de leur Ïuvre, exactement vingt ans plus tard.129
En 1971-1972, Equipo Cr—nica explore deux thmes, la violence et la mort,
comme deux symboles de la dictature. Ils choisissent pour motifs les mouvements
de foule, la rŽpression policire, lÕaccident, le duel, etc. En 1972-1973, la sŽrie
ÒPortraits, nature-mortes et paysagesÓ marque un retour vers la tradition picturale
espagnole sous la forme de citations et de dŽtournements. Ils explorent la peinture
religieuse du Sicle dÕOr, le portrait royal, lÕÏuvre de JosŽ Ribera mais aussi les
chef-dÕÏuvres de Goya et de GutiŽrrez Solana. En 1973, la sŽrie Òprofessions et
professionnelsÓ est celle de lÕautoportrait collectif puis, ˆ partir de 1974, ces
artistes de Valence rŽinventent quelques chefs-dÕÏuvre de lÕart comme lÕavaient
fait avant eux Pablo Picasso, Marcel Duchamp (1887-1968) ou encore Francis
Bacon (1909-1992). Sorolla lui-mme assimilait et citait les ma”tres, en particulier
Diego VŽlasquez. La rŽcente exposition du Grand Palais, Picasso et les ma”tres a
explorŽ cette question rŽsumŽe dans une courte citation de lÕartiste : Ç Ce sont
nous, les peintres, les vrais hŽritiers, ceux qui continuent ˆ peindre. Nous sommes
les hŽritiers de Rembrandt, VŽlasquez, CŽzanne, Matisse. Un peintre a toujours un
pre et une mre, il ne sort pas du nŽantÉ È130 ValdŽs et Solbes imaginent, par
exemple, leurs propres versions de Garrote Vil et de La carga de Ram—n Casas
quÕils intitulent Arroyo y Casas en la plaza et Ver y o’r.131
Ë lÕintŽrieur de cette sŽrie, Sorolla como pretexto est une triple dŽclinaison
du tableau El balandrito.132 Ë travers cette Ïuvre, ils revendiquent pour la
premire fois lÕhŽritage du peintre de la mer. Depuis 2004, lÕÏuvre fait partie des
collections de lÕIVAM et est exposŽe parmi lÕaccrochage permanent. De faon
consciente ou non, les artistes choisissent une image de lÕEspagne franquiste
puisque le tableau a ŽtŽ reproduit ˆ des miliers dÕexemplaires sur une affiche
129.
130.
131.
132.
Michle Dalmace (dir.), Equipo Cr—nica, Valence, IVAM, 2001, page 8.
Anne Baldassari, ÒLa peinture de la peintureÓ in Picasso et les ma”tres, Paris, RMN,
2008, pages 21-35.
Ram—n Casas, La Carga, 298x470Õ5, Barcelone, MusŽe National dÕArt de Catalogne,
1902 et Garrote vil, 127x166, Madrid, MusŽe Reina Sof’a, 1894. Equipo Cr—nica, Arroyo
y Casas en la plaza, 114x146, Valence, collection particulire et Ver y o’r, 140x110,
Valence, collection particulire.
Figure n¡23. Sorolla como pretexto (1974).
IV. Sorolla et le rŽgime franquiste : 1939-1974
240
touristique de 1961. Dans lÕensemble de leur production de cette Žpoque, le
tryptique tranche avec la noirceur dominante.133 Pour comprendre son irruption
dans leur Ïuvre, il faut en rappeler le point de dŽpart. Comme lÕa expliquŽ
Manolo ValdŽs en 2004, Sorolla como pretexto est nŽ dÕun concours de
circonstances :
Algunos s‡bados sol’amos ir a un restaurante de la Malvarrosa. Un d’a est‡bamos
Rafael Solbes y yo hablando de pintura y alguien que nos estaba escuchando dijo
que cuando era ni–o ve’a a Sorolla pintando del natural en esa playa. Recordaba
haber visto a Sorolla con un caballete que montaba all’ mismo y le hab’a visto
protegerse del sol con un sombrero y la paleta con su cuerpo, porque no le gustaba
que la arena se pegara a los colores. TambiŽn dec’a que protegerse de los ni–os era
dif’cil. [É] All’ mismo empezamos a repasar sus cuadros hasta que encontramos el
que nos parec’a que hab’a sido pintado en ese lugar. Se trataba del cuadro en el que
un ni–o juega con un barquito de vela.134
Ë lÕinverse du ÒsorollismeÓ, le duo nÕessaie pas dÕimiter la facture du
tableau mais plut™t de la dŽtourner jusquՈ en inverser les codes. Alors que la
peinture du ma”tre repose sur la nuance, ils dŽcident de rŽduire la palette ˆ
quelques couleurs pures : bleu, jaune, orange, rouge, marron et vert. La peinture
acrylique est appliquŽe de telle sorte quÕelle rappelle un coloriage dÕenfant, une
technique qui convient ˆ cette scne de jeu et peut aussi Žvoquer la facilitŽ et
lÕintuitivitŽ du ma”tre. Le tableau est ensuite complŽtŽ par une deuxime version
dans laquelle ValdŽs et Solbes transforment les touches de couleur en formes
gŽomŽtriques anguleuses, trs graphiques. Ils conservent le principe dÕune palette
contenue, sans nuance. Ce traitement met clairement en Žvidence la prŽfŽrence du
ma”tre pour la ligne oblique, qui apporte plus de dynamisme ˆ la composition, par
exemple en accŽlŽrant la perspective. Enfin, la troisime partie du triptyque Žtabli,
133.
134.
El balandrito, 100x110, Madrid, Museo Sorolla, 1909 et Equipo Cr—nica, Sorolla como
pretexto, 363x288, Valence, IVAM, 1974.
Manolo ValdŽs, ÒSorolla comoÉÓ page 18-19. Ç Certains samedi, nous avions lÕhabitude
dÕaller manger dans un restaurant de la plage de la Malvarrosa. Un jour, Rafael Solbes et
moi Žtions en train de parler de peinture, et quelquÕun qui nous Žcoutait rapporta que
quand il Žtait enfant, il voyait Sorolla peindre sur le motif sur cette plage. Il se souvenait
lÕavoir vu avec un chevalet quÕil plantait ici mme et il se rappelait lÕavoir vu se prŽmunir
du soleil avec un chapeau et protŽger la palette avec son corps car il nÕaimait pas que le
sable se mŽlange ˆ ses couleurs. Il disait aussi que se protŽger des enfants lui Žtait
difficile. [É] Dans le restaurant, nous avons commencŽ ˆ nous remmŽmorer ses tableaux
jusquՈ ce que nous trouvassions celui qui nous semblait avoir ŽtŽ peint ˆ cet endroit. Il
sÕagissait dÕun tableau dans lequel un garon joue avec ˆ petit bateau ˆ voile. È
IV. Sorolla et le rŽgime franquiste : 1939-1974
241
ˆ la manire dÕun collage, un lien entre la scne de jeu, la plage de Valence et le
dŽbut du XXme sicle. Sur un fond reprŽsentant un plan du quartier et de la plage
de La Malvarrosa, ils peignent en Òtrompe lÕÏilÓ une photographie en noir et
blanc reprŽsentant trois enfants ocupŽs ˆ jouer dans le sable, semblables ˆ ceux
que Sorolla couchaient sur la toile lorsquÕil plantait son chevalet sur cette plage.
En simplifiant au maximum tel ou tel aspect de la ÒmanireÓ du ma”tre, la
triple dŽclinaison pop du tableau El balandrito fait appara”tre la modernitŽ de sa
composition plongeante, trs photographique. DŽpouillŽe de sa touche ample, de
ses nuances subtiles et de ses effets lumineux, lÕÏuvre revue et corrigŽe montre ˆ
quel point Sorolla domine les proportions, lՎquilibre des formes et des couleurs,
le rapport de lÕobjet et du corps ˆ lÕespace, etc. Toutes ces questions plastiques
fondamentales restent des questions artistiques ÒactuellesÓ. En 1974, le Valencien
peut donc tre lu diffŽremment ˆ travers ce que son Ïuvre a de plus novateur. Ë la
manire de Sorolla lui-mme, qui avait puisŽ aux sources des ma”tres du Sicle
dÕOr, en particulier de Diego VŽlasquez, Equipo Cr—nica rŽussit ˆ mettre ˆ jour ce
que lÕÏuvre de Sorolla a de plus moderne et de plus compatible avec les annŽes
soixante-dix. Relire ce peintre sous lÕangle de lÕinnovation rappelle les premiers
articles dÕun autre Valencien, Vicente Blasco Ib‡–ez, qui voyait en lui et sur cette
mme plage de la Malvarrosa, le liquidateur de la peinture dÕhistoire et on se
souvient quÕil Žtait allŽ jusquՈ inscrire lÕidŽe mme de renouvellement dans le
nom de son personnage : Renovales. Ë travers le tryptique Sorolla como pretexto,
cÕest une autre facette qui est mise en Žvidence, cÕest-ˆ-dire celle dÕun artiste
expŽrimental, une sorte de peintre-chercheur capable de perfectionner
constamment la reprŽsentation du mme sujet pour atteindre un idŽal. Le duo
dÕartistes isole enfin la peinture de Sorolla de lÕanecdotique et de lÕhistorique, les
deux prismes ˆ travers lesquels elle a ŽtŽ regardŽe jusque-lˆ par les exŽgtes
Žcrivant sous la dictature.
Signe que la perception du peintre doit nŽcessairement changer aprs le
franquisme, ˆ lÕoccasion dÕune exposition de dessins du ma”tre, Joaqu’n de la
Puente estime que, pour reconna”tre les qualitŽs de la peinture du ma”tre de
Valence, il ne faut plus nŽcessairement tre conservateur ˆ outrance :
IV. Sorolla et le rŽgime franquiste : 1939-1974
242
Por fortuna para Sorolla, y para nosotros quiz‡ tambiŽn, los tiempos han cambiado.
La perspectiva cultural es otra. Ya no hace falta sacar las cosas de quicio o ser un
conservador a ultranza, para ver y admitir la grandeza de Sorolla.135
Equipo Cr—nica vient alors de dŽmontrer quÕil faut dŽsormais tre
Žmminement moderne pour juger de sa qualitŽ. Un an avant la fin de lՏre
franquiste, Sorolla como pretexto annonce dŽjˆ que la vision du peintre imposŽe
sous la dictature est caduque. Dans les annŽes qui viennent, Sorolla sera moderne
ou ne sera pas.
135.
Dibujos de Sorolla. Colecci—n Pons-Sorolla, Valence, Direcci—n General de Bellas
Artes, 1974, page 9. Ç Par chance pour Sorolla, et pour nous aussi peut-tre, les temps ont
changŽ. La perspective culturelle est diffŽrente. Il est dŽsormais inutile de chercher la
petite bte ou dՐtre conservateur ˆ outrance pour voir et reconna”tre la grandeur de
Sorolla. È
V. Sorolla et lÕEspagne dŽmocratique : 1975-2009
243
V
SOROLLA ET LÕESPAGNE DƒMOCRATIQUE
1975 - 2009
Nous avons choisi Sorolla como pretexto pour borne de fin de lՏre
franquiste car le triptyque pop annonce un nouveau rapport ˆ lÕÏuvre de Sorolla.
Sa redŽcouverte sous le jour dÕun peintre innovant et au fait des courants antiacadŽmiques de son Žpoque viendra beaucoup plus tard, seulement ˆ partir des
annŽes quatre-vingt dix. Entre temps, la transition dŽmocratique est une pŽriode
de basse intensitŽ critique qui, dans les faits, ne commence pas en 1975 mais dix
ans plus t™t, aprs lÕannŽe anniversaire. Ë partir de lˆ, Sorolla est de moins en
moins exposŽ et nÕintŽresse plus les media.
Ë la fin des annŽes soixante et au dŽbut des annŽes soixante-dix, les
archives de presse rendent comptent de la lŽthargie du MusŽe Sorolla, qui sera
mme sur le point de fermer ses portes. Cela semble difficile ˆ croire aujourdÕhui
Žtant donnŽ la frŽquence et lÕimpact mŽdiatique des ŽvŽnements qui ont ŽtŽ
consacrŽs au peintre de la mer durant ces quinze dernires annŽes. Car depuis la
rŽforme du statut juridique du MusŽe Sorolla, le Valencien est ˆ la mode. Sa
peinture pla”t, les expositions temporaires dŽplacent des foules et, dans les salles
des deux plus importantes maisons de ventes aux enchres, SothebyÕs et Christies,
ses tableaux changent de mains pour des prix qui se calculent en millions dÕeuros.
Entre 2007 et 2009, lÕexpositon Visiones de Espa–a conna”tra un tel engouement
populaire quÕune revue nÕhŽsitera pas ˆ parler de ÒsorollamanieÓ. LÕimage de
Sorolla gŽnŽrera tellement de bŽnŽfices que les marques lanceront des produits ˆ
son effigie et quÕune enseigne commerciale ouvrira mme un point de vente, ˆ
Madrid. Les musŽes cherchent aujourdÕhui ˆ obtenir et ˆ accrocher ses tableaux,
cožte que cožte. En Espagne, la loi interdisant quÕun peintre nŽ avant Pablo
Picasso, cÕest-ˆ-dire avant 1881, ne soit exposŽ dans un musŽe dÕart contemporain
pourrait prochainement tre rŽvisŽe afin dÕinclure Sorolla dans un chapitre de
lÕhistoire de lÕart qui correspondrait aux ÒprŽ-avant-gardesÓ. Ses tableaux
pourraient alors tre exposŽs dans les musŽes dÕart contemporain. De la rŽforme
V. Sorolla et lÕEspagne dŽmocratique : 1975-2009
244
de lÕExposition Nationale, en 1901, ˆ celle dite de sŽparation des collections,
notre peintre pourrait encore une fois se trouver au cÏur des transformations du
systme des Beaux-Arts de son pays.
V.1. UNE ÎUVRE TROP ÒMARQUƒEÓ DANS UNE ESPAGNE EN MUTATION ?
Le rŽgime franquiste a jetŽ un coup de projecteur sur la peinture du
Valencien en lÕintŽgrant ˆ sa propagande. Pour cette raison, la diffusion de son
Ïuvre sÕest faite selon des modalitŽs et sur des supports trs variŽs et parfois
mme dŽconcertants. JusquÕen 1964, plusieurs formes dÕutilisation de lÕimage de
Sorolla par lՃtat ont cohabitŽes. Ë compter de cette date, la courbe de rŽpartition
des archives de presse du MusŽe Sorolla fait appara”tre une chute vertigineuse. Le
nombre dÕarticles passe, en effet, de cinq cent douze en 1963 ˆ dix seulement pour
lÕannŽe 1966 ! Ensuite, la courbe fr™le le zŽro et nous ne disposons mme plus
dÕarchives de presse pour les annŽes 1968, 1970, 1971, 1976, 1977 et 1983. Par
ailleurs, aucune exposition monographique nÕest organisŽe entre 1974 et 1979. La
transition dŽmocratique ne provoque pas de regain dÕintŽrt mŽdiatique, et cÕest
mme tout le contraire. Pour expliquer un tel coup dÕarrt par rapport ˆ la pŽriode
ŽcoulŽe, nous devrons tenter de comprendre pourquoi le peintre sombre dans un
nouvel oubli avant mme la fin du franquisme, cÕest-ˆ-dire entre 1964 et 1972.
Puis, durant la pŽriode de transition dŽmocratique, 1975-1978, nous tenterons de
dŽterminer dans quelle mesure Sorolla est toujours associŽ ˆ la politique culturelle
de la dictature et si cela le condamne ˆ une autre mise ˆ lՎcart.
Ë partir de 1964, lÕintŽrt des journaux et du public pour le peintre de la
lumire retombe. Comment expliquer que, dix avant la mort de Franco, Sorolla
sort si brusquement de la vie culturelle du pays ? Pour le comprendre, il faut
rappeler, tout dÕabord, quÕune exposition majeure comme celle du centenaire ne
peut tre suivie que dÕune accalmie. En effet, il est impossible de remonter un
ŽvŽnement aussi ambitieux sans accrocher encore une fois des peintures qui
viennent de lՐtre comme ses tableaux ˆ concours El dos de mayo, Trata de
blancas, ou encore Comiendo en la barca, qui sont indispensables ˆ la
V. Sorolla et lÕEspagne dŽmocratique : 1975-2009
245
comprŽhension de son parcours de ÒsalonnierÓ.1 Il faut signaler que cette
exposition repose uniquement sur des collections espagnoles libres de circulation
et que celles-ci ne sont pas ÒextensiblesÓ, cÕest pourquoi la Direction GŽnŽrale des
Beaux-Arts laisse sՎcouler un peu de temps aprs lÕAnnŽe Sorolla. Mais cela ne
veut pas dire pour autant que le peintre cesse dÕintŽresser le pouvoir, ainsi que le
montrent plusieurs actions. La premire et la plus importante concerne la gestion
de la crise du MusŽe Sorolla, entre 1967 et 1973.
Mme si plusieurs vagues de travaux ont ŽtŽ rŽalisŽes depuis son ouverture,
lÕinstitution a insuffisamment rempli sa mission de diffusion et de valorisation des
collections quÕelle hŽberge. Elle nÕa, par exemple, jamais attirŽ assez de visiteurs
pour tre rentable. Ses statuts juridiques nÕont pas ŽtŽ rŽvisŽs et son
fonctionnement obŽit donc toujours ˆ des dispositions prises dans les annŽes
trente. Son budget repose encore sur des fonds privŽs complŽtŽs par une
participation de lՃtat. Celle-ci sՎlve ˆ quarante mille pesetas, alors que le
musŽe aurait besoin, selon le petit-fils du peintre Francisco Pons-Sorolla, dÕune
somme six fois supŽrieure.2 Sa santŽ financire sÕest dŽgradŽe progressivement
aprs la mort du premier directeur, Joaqu’n Sorolla y Garc’a, car il engageait des
fonds propres dans le musŽe. Son neveu Francisco Pons-Sorolla assuma aprs lui
la gestion de lÕinstitution mais, ˆ la fin des annŽes cinquante, son budget devint
dŽsormais insuffisant pour garantir un fonctionnement normal, ˆ tel point que
jusquՈ la surveillance des collections finit par en p‰tir. En 1960, un portrait du
fils, Joaqu’n en el laboratorio, fut dŽrobŽ avant dՐtre finalement retrouvŽ par la
police.3
En juin 1964, le marquis de Lozoya est nommŽ ˆ la tte du ComitŽ de
direction du musŽe pour relancer son activitŽ. Il fait conna”tre son intention
dÕaccrocher par roulement les collections entreposŽes dans les magasins et
propose dÕattirer les touristes valenciens en transformant le musŽe en une sorte
ÒdÕambassade de ValenceÓ ˆ Madrid (sic).4 LÕannŽe suivante, le journal Heraldo
de Arag—n annonce que la frŽquentation est en hausse mais quÕelle reste
1.
2.
3.
4.
El dos de mayo, 400x580, Madrid, Museo Nacional del Prado, 1884. Trata de blancas,
165x194, Madrid, MS, 1895. Comiendo en la barca, 180x250, Madrid, RABASF, 1898.
Raœl Torres, ÒSorolla. Un museo con vida a fecha fijaÓ, [?], [?], 1967.
Anonyme, ÒRobo de un cuadro de SorollaÓ, Diario de Barcelona, Barcelone, 1/06/1960.
Joaqu’n en el laboratorio,19Õ8x19Õ7, Madrid, MusŽe Sorolla, 1912.
Julio Garc’a Candau, ÒEl marquŽs de Lozoya ha sido nombrado presidente del Patronato
del Museo SorollaÓ, Las Provincias, Valence, 9/06/1964.
V. Sorolla et lÕEspagne dŽmocratique : 1975-2009
246
insuffisante pour redresser sa situation Žconomique et elle continue, de fait, ˆ se
dŽteriorer.5 Les archives du MusŽe Sorolla portent la trace de cette crise puisque
le dernier abonnement de presse, souscrit auprs de lÕagence Camarasa en 1953,
est rŽsiliŽ en 1966. Cela aussi explique que nous disposions de si peu de coupures
ˆ partir de cette date.
Au dŽbut de lÕannŽe 1967, un dŽficit de deux cent mille pesetas grve ses
finances. Sa frŽquentation est insignifiante si lÕon en croit deux journaux
diffŽrents, selon lesquels il nÕenregistre que deux ou six mille visites annuelles.6
Quel que soit le chiffre rŽel, il est dŽrisoire quand on pense que ce musŽe
accueille aujourdÕhui plus de cent mille visiteurs par an. Le 1er mars 1967,
Francisco Pons-Sorolla annonce dans la presse que, sans une intervention de
lՃtat, le musŽe fermera ses portes pour une durŽe indŽterminŽe ˆ compter du 31
mars.7 La nouvelle a un large Žcho mŽdiatique et est mme le sujet de dessins
humoristiques. LÕun dÕentre eux, signŽ du caricaturiste D‡tile, montre deux
visiteurs commentant lÕactualitŽ. Un des personnages rŽclame lÕintervention dÕun
nouvel Archer M. Huntington : Ç ÁL‡stima que no aparezca algœn americano que
descubra el tesoro art’stico que tenemos aqu’! È cÕest-ˆ-dire Ç Quel dommage
quÕun AmŽricain capable de dŽcouvrir le trŽsor artistique que nous avons ici ne
pointe pas le bout de son nez ! È Un autre dessin prte la parole ˆ un autoportrait
au chapeau conservŽ dans une salle du musŽe. Alors quÕau premier plan les
visiteurs lui tournent ostensiblement le dos, le portrait sÕen indigne en ces termes :
Ç Podr’a regalar mis cuadros y todas mis cosas a este extra–o pa’s m’o, pero Àlas
querr‡? È8, Ç Je pourrais offrir mes tableaux et tous mes biens ˆ cet Žtrange pays
qui est le mien, mais en voudra-t-il ? È Le dessinateur M‡ximo oppose ainsi la
gŽnŽrositŽ de la donation rŽalisŽe dans les annŽes trente ˆ lÕingratitude de
lÕEspagne des annŽes soixante.
LÕultimatum de Pons-Sorolla porte ses fruits puisque le ministre de
lՃducation prend ˆ sa charge les salaires des personnels de surveillance et que le
directeur gŽnŽral des Beaux-Arts, Gratiniano Nieto Gallo (inc.-1986) augmente la
5.
6.
7.
8.
Borau, ÒSorolla en augeÓ, Heraldo de Arag—n, Saragosse, 27/06/1965.
Raœl Torres, ÒSorolla. Un museo con vida a fecha fijaÓ, [?], [?], 1967 et Pedro Crespo,
ÒUn museo en trance de asfixia: el SorollaÓ, ABC, Madrid, 29/01/1967.
Mayte Mancebo, ÒLa crisis del Museo Sorolla. Tendr‡ que ser cerrado porque su dŽbito
sobrepasa ya las doscientas mil pesetasÓ, Las Provincias, Valence, 1/03/1967.
Figures n¡21 et n¡22. Dessins humoristiques sans titre (1967). M‡ximo (dessin), ÒPodr’a
regalar mis cuadrosÉÓ, Pueblo, Madrid, 11/03/1967 et D‡tile (dessin), ÒL‡stima que no
aparezca algœn americanoÉÓ, Ya, Madrid, 12/03/1967.
V. Sorolla et lÕEspagne dŽmocratique : 1975-2009
247
participation de lՃtat de cent mille pesetas. Le directeur du Cercle des BeauxArts de Madrid, Joaqu’n Calvo Sotelo (1905-1993), offre cinquante mille pesetas.
Enfin, une sociŽtŽ privŽe, Constructions Colomina G. Serrano, injecte deux cent
cinquante mille pesetas destinŽes ˆ la rŽnovation des locaux.9 Mais ce plan de
sauvetage improvisŽ nÕa rien de pŽrenne ; le budget du MusŽe Sorolla nÕest
toujours pas ŽquilibrŽ et cette situation se prolonge durant six ans. Pour le doter
des moyens dont il a besoin, lՃtat le fait passer sous la coupe de la Direction
GŽnŽrale des Beaux-Arts, le 27 avril 1973. LÕinformation est publiŽe
officiellement le 17 juillet suivant, en voici un extrait :
[É] A fin de vitalizar al m‡ximo las posibilidades de actuaci—n cient’fica y did‡ctica
del Museo Sorolla [É] se estima conveniente proceder a la integraci—n de dicho
Centro en el Patronato Nacional de Museos, lo que sin suponer menoscabo de la
participaci—n de sus actuales —rganos de gobierno, reglamentariamente consistuidos,
en el funcionamiento del citado Museo, se traducir‡ en una evidente mejora de su
actual situaci—n econ—mica-fundacional. 10
Un directeur, JosŽ Gabriel Moya (inc.-inc.), est nommŽ ˆ la place du petitfils qui en assurait jusque-lˆ la gestion si bien que, deux ans avant la mort du
dictateur, le MusŽe Sorolla dispose dÕun nouveau statut et des moyens
indispensables ˆ la conservation et ˆ la valorisation de ses collections. Cette
rŽforme nÕest pas une petite mesure mais une transformation majeure qui est le
premier acte de sa ÒnormalisationÓ. Alors quÕil Žtait gŽrŽ jusque-lˆ comme une
fondation privŽe, le MusŽe Sorolla fonctionnera dŽsormais comme un musŽe
national.
Il convient alors de se demander si la mesure nÕest pas aussi dictŽe par les
incertitudes liŽes ˆ lÕavenir politique du pays. En effet, si le MusŽe Sorolla avait
fermŽ ses portes ˆ la fin des annŽes soixante, ou au dŽbut des annŽes soixante-dix,
9.
10.
Anonyme, ÒEntrega de un donativo de 250.000 pesetas al patronato del Museo SorollaÓ,
ABC, Madrid, 8/10/1967.
Bolet’n Oficial del Estado, n¡170 du 17/07/1973, page 14597. Document consultable en
ligne ˆ lÕadresse suivante :
http://www.boe.es/aeboe/consultas/bases_datos/doc.php?id=BOE-A-1973-983. Ç Dans le
but dÕaccro”tre au maximum les possibilitŽs dÕactions scientifiques et didactiques du
MusŽe Sorolla [É] on estime quÕil convient de procŽder ˆ lÕintŽgration de ce Centre ˆ
lÕintŽrieur du Commissariat National des MusŽes ce qui, loin de reprŽsenter une atteinte ˆ
la participation de ses actuels organes de direction, lŽgalement constituŽs, se traduira par
une Žvidente amŽlioration de sa situation financire actuelle dont lÕorigine remonte ˆ sa
fondation. È
V. Sorolla et lÕEspagne dŽmocratique : 1975-2009
248
rien nÕassurait que, aprs la mort de Franco, un autre chef dՃtat lui octroy‰t les
moyens indispensables ˆ sa survie. Entre 1972 et 1973, le journal Heraldo de
Arag—n lance une campagne de promotion du musŽe ˆ travers une sŽrie de dix
articles thŽmatiques signŽ de lÕhistorien dÕart Juli‡n Gallego.11 Leur publication
hebdomadaire sՎchelonne sur une pŽriode de trois mois durant lesquels, ˆ la
manire dÕun feuilleton, Gallego prŽsente ˆ ses lecteurs un aspect de la vie ou de
lÕÏuvre du peintre dans des articles courts et accessibles ˆ tous. Mais en 1974,
ABC titre encore : ÒLa Casa Museo del pintor Sorolla, descuidada e ignoradaÓ.12
Pour le journal Arriba, tout reste encore ˆ faire car lÕinstitution a accumulŽ un
retard tellement important quÕelle aura besoin de plusieurs annŽes pour le
combler.13
Pour tŽmoigner son intŽrt pour le peintre de la lumire, la Direction
GŽnŽrale des Beaux-Arts organise en 1974 une exposition itinŽrante de dessins
tirŽs de la collection Pons-Sorolla. Elle est prŽsentŽe dans sept villes : Valence,
SŽville, Valladolid, Bilbao, Grenade, Barcelone et Madrid. Il sÕagit de la dernire
exposition du peintre sous la dictature. Mais elle passe quasiment inaperue
probablement parce quÕelle nÕexpose que des dessins. Dans son discours
inaugural, le pote Rogelio Buend’a (1891-1969) avait dÕailleurs qualifiŽ le dessin
dÕÏuvre Òmineure mais importanteÓ (sic).14 Dans le catalogue de lÕexposition,
lÕhistorien Joaqu’n de la Puente rŽdige un article biographique dans lequel il nÕest
question des dessins que dans les deux dernires pages. Par ailleurs, il dŽplore le
manque de reconnaissance dont auraient p‰ti les dessins mais il nÕexplique pas
comment ni pourquoi ils permettent une plus juste comprŽhension de lÕÏuvre de
Sorolla ce qui pose la question du sens et de la pertinence de cette exposition :
11.
12.
13.
14.
Juli‡n Gallego, ÒEl Museo Sorolla : 1. El pintorÓ, Heraldo de Arag—n, Saragosse,
2/11/1972. ÒEl Museo Sorolla : 2. La casaÓ, Heraldo de Arag—n, Saragosse, 9/11/1972.
ÒEl Museo Sorolla : 3. El jard’nÓ, Heraldo de Arag—n, Saragosse, 16/11/1972. ÒEl Museo
Sorolla : 4. De Valencia a Roma, pasando por MadridÓ, Heraldo de Arag—n, Saragosse,
7/12/1972. ÒEl Museo Sorolla : 5. Par’sÓ, Heraldo de Arag—n, Saragosse, 14/12/1972. ÒEl
Museo Sorolla : 6. Sorolla, modernistaÓ, Heraldo de Arag—n, Saragosse, 21/12/1972. ÒEl
Museo Sorolla : 7. FuturistaÓ, Heraldo de Arag—n, Saragosse, 25/12/1972. ÒEl Museo
Sorolla : 8. Mœsica y jardinesÓ, Heraldo de Arag—n, Saragosse, 5/01/1973. ÒEl Museo
Sorolla : 9. Sorolla y el noventa y ochoÓ, Heraldo de Arag—n, Saragosse, 18/01/1973. ÒEl
Museo Sorolla : 10. Sorolla y el folkloreÓ, Heraldo de Arag—n, Saragosse, 25/01/1973.
Ismael Fuente Lafuente, ÒLa Casa Museo del pintor Sorolla, descuidada e ignoradaÓ,
ABC, Madrid, 20/01/1974.
Ladislao Azcona, ÒEl Museo Sorolla, para superar su crisis actualÓ, Arriba, Madrid,
20/08/1974.
Buend’a citŽ par Luis Garc’a de Vegueta, ÒDibujos de SorollaÓ, Las Provincias, Valence,
23/10/1974.
V. Sorolla et lÕEspagne dŽmocratique : 1975-2009
249
Con cuantos conozco, puedo dar tranquilamente por sentado que suponen algo muy
importante y, por ningœn concepto, considerable como tarea ÒmenorÓ, a marginar sin
escrœpulos de ninguna clase.15
Durant toute la pŽriode franquiste, le total des expositions financŽes par des
institutions publiques et privŽes, sՎlve ˆ quinze cÕest-ˆ-dire douze en Espagne,
deux en Argentine et une en Angleterre.16 Des tableaux issus de collections
particulires ont ŽtŽ exposŽs ˆ Buenos Aires en 1942 et en 1952. Au grŽ des crises
politiques et Žconomiques traversŽes par le pays, la collection argentine a ŽtŽ
dispersŽe et il nÕy a aujourdÕhui que deux tableaux du Valencien inscrits au
catalogue du MusŽe National des Beaux-Arts de Buenos Aires.17 Enfin, en 1965,
dix tableaux de Sorolla furent prŽsentŽs ensemble par le marchand Edmund Peel
(inc.) dans la ville de Worcestershire.
Le 20 novembre 1975, la mort du dictateur marque la fin dÕune re
politique. Le successeur dŽsignŽ, Juan Carlos de Borb—n (1938), est proclammŽ
roi deux jours plus tard. Le chef du dernier gouvernement de la dictature, Carlos
Arias Navarro (1908-1989), qui a ŽtŽ maintenu ˆ son poste par le jeune roi,
dŽmissionne le 1er juillet 1976 et le souverain nomme ˆ sa place le SecrŽtaire
GŽnŽral du Mouvement, Adolfo Su‡rez (1932). Ë partir de lˆ et jusquÕen 1981,
Su‡rez prend une sŽrie de mesures indispensables ˆ la liquidation du franquisme
dont font partie la lŽgalisation des partis, lÕamnistie des prisonniers politiques, la
convocation dՎlections dŽmocratiques, la mise en chantier dÕune nouvelle
Constitution, etc. lÕUnion de Centre DŽmocratique (UCD), une coalition de partis
de centre-droit, remporte les premires Žlections dŽmocratiques le 15 juin 1977.
Le ministre de la Culture, crŽŽ le 4 juillet, absorbe la Direction GŽnŽrale des
Beaux-Arts, qui dŽpendait auparavant du ministre de lՃducation et des
Sciences.
15.
16.
17.
Joaqu’n de la Puente, ÒSorolla el GrandeÓ in Dibujos de Sorolla. Colecci—n Pons Sorolla,
Valence, Direcci—n General de Bellas Artes, 1974, page 12. Ç Parmi tous ceux que je
connais, je peux affirmer sereinement quÕils reprŽsentent quelque chose de trs important,
et en aucune faon intŽressant en tant que genre ÒmineurÓ, bons ˆ mettre de c™tŽ sans
aucun scrupule. È
Annexe n¡1. Expositions monographiques.
La vuelta de la pesca, MusŽe National des Beaux-Arts, Buenos Aires, 1898 et En la costa
de Valencia, MusŽe National des Beaux-Arts, Buenos Aires, 1898.
V. Sorolla et lÕEspagne dŽmocratique : 1975-2009
250
On a vu que le franquisme avait privilŽgiŽ la promotion de la peinture du
XIXme sicle, au dŽtriment des contemporains. Aprs quarante ans de mise ˆ
lՎcart et de mŽpris, les avant-gardes espagnoles doivent ˆ leur tour et de manire
urgente tre valorisŽes et diffusŽes en Europe. Par consŽquent, la nouvelle
politique culturelle du pays va tre orientŽe en direction de lÕart contemporain, ˆ
la fois pour rŽsorber le retard accumulŽ et pour rompre avec lÕhŽritage de la
dictature. Cette politique culturelle de rupture avec le passŽ est menŽe de 1979 ˆ
1982 par lÕhistorien Javier Tusell (1945-2005), directeur gŽnŽral des Beaux-Arts.
Comme un symbole de la nouvelle re culturelle qui est en train de sÕouvrir, il
nŽgocie avec les descendants de Picasso et le MusŽe dÕArt Moderne de New York
et obtient le retour en Espagne du tableau Guernica, qui Žvoque les victimes
civiles du bombardement de ce village basque par lÕaviation allemande, le 26 avril
1937.18 De mme, il organise les expositions rŽtrospectives Joan Mir— (1978),
Antoni Tˆpies (1980), Eduardo Chillida (1980) et Pablo Picasso (1981). Le 28
octobre 1982, le Parti Socialiste remporte les Žlections et Felipe Gonz‡lez (1942)
devient chef du premier gouvernement de gauche depuis la Seconde RŽpublique.
Ce parti se maintiendra au pouvoir durant quatre mandats, cÕest-ˆ-dire jusquÕen
1996.
En 1983, un Centre National des Expositions est crŽŽ. Cette structure prend
en charge lÕorganisation des expositions dÕart moderne et contemporain.19 Ë
Madrid, un nouveau centre dÕart contemporain, le MusŽe Reina Sof’a, est
inaugurŽ en 1986. Sous le premier mandat socialiste, tous les peintres qui avaient
occupŽ lÕespace culturel sous le franquisme cdent la place ˆ des artistes
ÒactuelsÓ. Pour autant, Sorolla paye-t-il, plus quÕun autre, le prix de sa
surexposition sous la dictature ? Il semble que ce ne soit pas le cas, ainsi que le
prouvent plusieurs indices convergeants. DÕabord, lՃtat lÕinclut dans sa politique
dÕacquisition. En septembre 1981, la Direction GŽnŽrale des Beaux-Arts fait
lÕacquisition ˆ un collectionneur privŽ de Grupa valenciana20. La transaction
sՎlve ˆ seize millions de pesetas.21 La gauche poursuit cette action et cÕest sous
18.
19.
20.
21.
Anonyme, ÒJavier Tusell, m‡s all‡ de la historiaÓ, http://www.elmundo.es/, 10/02/2005.
Isaac Ait Moreno, ÒModernizaci—n y pol’tica art’stica: el Centro Nacional de
Exposiciones entre 1983 y 1989Ó in Anales de Historia del Arte, Madrid, n¡17, 2007,
pages 223-245.
Grupa valenciana, 254x185, Barcelone, MusŽe National dÕArt de Catalogne, 1908.
Anonyme, ÒEl Ministerio de Cultura adquiere para Valencia un cuadro de SorollaÓ, El
Pa’s, Madrid, 22/09/1981.
V. Sorolla et lÕEspagne dŽmocratique : 1975-2009
251
mandat socialiste que le MusŽe Sorolla opre sa mue. Le ministre de la Culture
Javier Solana (1942) lui donne les moyens de mener des projets de fond. Mme si
rien de spectaculaire et de mŽdiatique nÕest entrepris durant cette pŽriode, des
t‰ches aussi essentielles que les inventaires des collections de peintures, de
cŽramiques et de sculptures sont alors realisŽs.22 Le musŽe bŽnŽficie dÕune Žquipe
technique permanente composŽe dÕun directeur, dÕun conservateur et de deux
assistants. En 1982, la premire exposition temporaire de lÕaprs-franquisme
financŽe par lՃtat voit le jour : El jard’n de la Casa Sorolla en la pintura de
Sorolla.23 Vingt-deux tableaux sont prŽsentŽs par le directeur Florencio de SantaAna et son Žpouse Mar’a Antonia qui vient de mener dÕimportantes recherches sur
le jardin plantŽ par Sorolla. Il sÕagit des rŽalisations les plus tardives du peintre
puisquÕelles sont toutes comprises entre 1918 et 1920. Dans les dernires annŽes
de sa vie, Sorolla sÕisola dans le jardin de sa propriŽtŽ et en rŽalisa diffŽrentes
vues associant vŽgŽtal et minŽral. LÕexposition offrait lÕintŽrt majeur de se
trouver sur le lieu mme.
La premire campagne de restauration des toiles endommagŽes remonte
Žgalement aux annŽes quatre-vingt.24 Auparavant, le petit-fils Francisco PonsSorolla intervenait lui-mme sur les tableaux quand il le jugeait nŽcessaire.25 Pour
toutes ces raisons, ce musŽe, qui se trouvait au bord de lÕagonie ˆ la fin de annŽes
soixante, est en train de prendre un nouveau dŽpart dans les annŽes quatre-vingt.
LÕaction de lՃtat est complŽtŽe par un projet valencien. En 1985, la CommunautŽ
Autonome de Valence prŽsidŽe par le socialiste Joan Lerma (1951) finance
lÕexposition de la collection Sorolla du MusŽe des Beaux-Arts de La Havane. Ces
tableaux issus de collections privŽes collectivisŽes sous le rŽgime de Fidel Castro
(1927) nÕavaient jamais quittŽ le territoire cubain.26
Sorolla nÕest donc pas ÒenterrŽÓ par les socialistes, bien au contraire. Ils
crŽent les conditions favorables ˆ une approche plus scientifique de son Ïuvre qui
permettra, par la suite, de la faire conna”tre sous un autre jour. Comme on a pu le
voir au cours de cette Žtude, le Valencien appartient au moins autant ˆ la culture
22.
23.
24.
25.
26.
Cat‡logo de pintura del Museo Sorolla, Madrid, Ministre de lՃducation, de la Culture
et des Sports, (2 tomes), 2002 (1982).
El jard’n de la Casa Sorolla en la Pintura de Sorolla, Madrid, Museo Sorolla, 1982.
Florencio de Santa-Ana, Museo Sorolla, Madrid, Electa, 2000, page 30.
R. Trivi–o, ÒLa Casa-Museo de Sorolla ser‡ en Madrid o no ser‡Ó, Generalitat, Valence,
16/07/1980.
Els Sorolla de lÕHavana, Valence, Generalitat Valenciana, 1985.
V. Sorolla et lÕEspagne dŽmocratique : 1975-2009
252
de la gauche quՈ celle de la droite en particulier parce que le MusŽe Sorolla a ŽtŽ
inaugurŽ par Manuel Aza–a et quÕil est passŽ ˆ la postŽritŽ comme un projet
rŽpublicain, en dŽpit de la rŽalitŽ puisque, rappelons-le, cÕest en trs grande partie
ˆ la monarchie et ˆ lÕimplication personnelle dÕAlphonse XIII que nous le devons.
Par ailleurs, ˆ Valence, le peintre est toujours associŽ au passŽ rŽpublicain de la
ville.
La Transition dŽmocratique ouvre un espace de libertŽ dÕexpression qui
rend possible une lecture de son Ïuvre sans complaisance et mme provocatrice.
En 1985, une exposition comparative, Sorolla Ð Solana, est organisŽe en Belgique
par la fondation brusseloise Europalia qui propose depuis 1969 une biennale
interculturelle autour dÕun pays invitŽ. Aprs la Grce et avant lÕAutriche, 1985
est lÕannŽe de lÕEspagne. LÕexposition est prŽsentŽe ˆ Lige dans la Salle Saint
Georges. Son catalogue contient un seul article, celui de lՎcrivain espagnol
Francisco Umbral (1932-2007) qui livre une vision trs sombre du Valencien et
rŽactualise les idŽes dominantes de la lŽgende noire propagŽe autour de 1906 par
ses dŽtracteurs. Ce texte montre ˆ quel point les strates de rŽception les plus
anciennes imprgnent durablement la perception dÕun artiste. Francisco Umbral
Žvoque un peintre sans attrait, bon bourgeois et fonctionnaire de la peinture. Il
reprend ˆ son compte lÕidŽe ancienne selon laquelle ses portraits ne transmettent
aucune Žmotion :
Sorolla Òne donne pas son opinionÓ sur Gald—s ni sur Echegaray, deux personnages
bien dŽfinis. Il se limite ˆ faire leur portrait, de la manire la plus mŽcanique, voire
photographique, dans le sens que nous donnons ˆ ce mot. CÕest ce quÕil a fait avec les
coutumes valenciennes et avec Valence, ce quÕil a fait avec la vie et lÕart : sÕabstenir.
Voilˆ pourquoi un si grand peintre appara”t, comme je lÕai dit dÕabord, sans Òaucun
intŽrtÓ. Sorolla ne formule aucune opinion.27
Il voit enfin en Sorolla un peintre rŽactionnaire, vendu ˆ la monarchie, qui
Ç chantait un peuple heureux pour le convaincre de son bonheur. È28 Une lecture
si acerbe ne pouvait voir le jour quÕaprs le franquisme et dans un contexte de
rupture. On se souvient que les dŽtracteurs de Sorolla ne lÕavaient jamais jugŽ
mauvais peintre, au contraire, mais quÕils lui reprochaient de reprŽsenter des
27.
28.
Sorolla-Solana, Lige, Europalia, 1985, page 17.
Ibidem, page 16.
V. Sorolla et lÕEspagne dŽmocratique : 1975-2009
253
sujets anodins, sans Žpaisseur intellectuelle. Umbral reprend ˆ son compte cette
idŽe ancienne en expliquant que le Valencien est un artiste ÒmanquŽ, par excs de
facultŽsÓ :
CÕest lÕun des meilleurs et des plus grands impressionnistes europŽens, si nous
laissons les dates de c™tŽ, et dans ces derniers tableaux dont je parle il y a plus de
CŽzanne (pour donner un point de repre) que dÕimpressionnisme. Sorolla est
lÕexemple de lÕartiste Ç manquŽ È par excs de facultŽs. Comme il pouvait tout
faire, il fit le plus facile, ce quÕil avait sous les yeux [É] 29
De manire plus surprenante, lՎcrivain pousse plus loin la charge en tentant
de dŽcouvrir les ressorts psychologiques qui se cachent derrire sa peinture de
plage et il voit en Sorolla le ÒLewis Carroll de la peintureÓ : Ç Sorolla a peint une
fillette de dos, solide, elle a de sept ˆ neuf ans et un fessier gracieux, ingŽnu.
Sorolla savait ce quÕil peignait bien sžr. È30 Ses premiers dŽtracteurs avaient aussi
donnŽ dans les attaques personnelles et basses, touchant ˆ la psychologie de
lÕhomme. Dans ses mŽmoires, P’o Baroja avait beaucoup glosŽ sur son avarice,
alors mme quÕil Žtait un peintre trs riche.31
En dehors de cet article, le peintre de la lumire ne dŽcha”ne plus les
passions et il reste ainsi en retrait de la vie culturelle espagnole jusquՈ la fin des
annŽes quatre-vingt. Mais cela commence ˆ changer en 1989 avec lÕexposition
Sorolla an 80th anniversary exhibition organisŽe par le MusŽe des Beaux-Arts de
San Diego et lÕIVAM de Valence.32 Prs de cent tableaux prtŽs par des musŽes
du monde entier sont exposŽs aux ƒtats-Unis, ˆ New-York, Saint-Louis et San
Diego avant de rejoindre Valence. LՎvŽnement commŽmore la rŽussite de
Sorolla aux ƒtats-Unis en 1909 et prouve que lÕEspagnol a laissŽ une empreinte
forte outre-Atlantique, notamment dans les villes qui ont accueilli une de ses
expositions individuelles. LÕapproche choisie par le commissaire britannique,
Edmund Peel, est novatrice car elle permet de mieux comprendre lՎlaboration
des tableaux ˆ concours car des Žtudes prŽparatoires inŽdites de La vuelta de la
pesca et de Triste herencia sont rŽunies autour des deux tableaux. Alors que le
29.
30.
31.
32.
Ibidem.
Ibidem.
P’o Baroja, Desde la œltima vuelta del camino: memorias. IV. Galer’a de tipos de la
Žpoca, Madrid, Biblioteca Nueva, 1982, pages 253-258.
Sorolla an 80th anniversary exhibition, New York, HSA, 1989.
V. Sorolla et lÕEspagne dŽmocratique : 1975-2009
254
franquisme avait construit des expositions anthologiques, cÕest une approche plus
plastique qui est choisie par le commissariat de cette exposition. En dŽpit de cette
dŽmarche et de la qualitŽ de la sŽlection, elle passe un peu inaperue quand elle
est prŽsentŽe en Espagne, probablement parce quÕelle a lieu en province.
V. Sorolla et lÕEspagne dŽmocratique : 1975-2009
255
V.2. LA RƒFORME DU STATUT JURIDIQUE DU MUSƒE SOROLLA
CÕest un musŽe o ne va personne. Il appartenait ˆ la famille
Sorolla qui le cŽda ˆ lՃtat moyennant une clause qui interdit
de sortir aucun tableau du musŽe. La famille Sorolla pensait
sans doute assurer ainsi la prŽsence continuelle des visiteurs,
mais cela a produit lÕeffet contraire : ˆ ce musŽe, retirŽ et sans
publicitŽ, personne ne va et beaucoup de Madrilnes en
ignorent mme lÕexistence.
Sorolla-Solana, Lige, Europalia, 1985, page 16.
Comme le rappelle ici lՎcrivain Francisco Umbral, le statut juridique du
MusŽe Sorolla, inchangŽ depuis 1932, interdit les prts. Par ailleurs, une
disposition prŽvoit que toute violation aux principes de la fondation est
susceptible dÕentra”ner sa dissolution immŽdiate et donc la restitution de tous les
biens aux hŽritiers.33 Dans les annŽes quatre-vingt-dix, le ComitŽ de direction du
musŽe et le minitre de la Culture conviennent de rŽformer ce statut pour des
raisons que lÕon expliquera plus avant. Cela va rendre possible la mise en
circulation de la plus importante collection de tableaux du ma”tre, cÕest-ˆ-dire
environ un tiers de son Ïuvre peint. InŽvitablement, la prŽsentation de sa peinture
la plus intime, cÕest-ˆ-dire celle qui nÕest jamais sortie de lÕatelier, va entra”ner
son lot de changements sur la rŽception de son Ïuvre. La perception de Sorolla
par les institutions des Beaux-Arts se trouve au cÏur des enjeux de cette Žpoque.
En effet, au dŽbut des annŽes quatre-vingt-dix, Sorolla est peru comme le plus
acadŽmique des peintres de Òplein airÓ. Pour cette raison, il nÕa sa place dans les
musŽes nationaux que dans les collections XIXme. JusquÕen 1996, celles du
MusŽe du Prado se trouvent dans les salles du Cas—n del Buen Retiro. Les
tableaux du Valencien y figurent car son Ïuvre sÕinscrit, semble-t-il, dans la
continuitŽ de la ÒtraditionÓ. Ë Madrid, le MusŽe du Prado conserve dix-neuf
tableaux alors que le MusŽe Reina Sof’a nÕen possde aucun, ce qui est justement
33.
R. Trivi–o, ÒLa Casa-Museo de Sorolla ser‡ en Madrid o no ser‡Ó, Generalitat, Valence,
16/07/1980.
V. Sorolla et lÕEspagne dŽmocratique : 1975-2009
256
sur le point de changer aujourdÕhui.34 Un des ma”tres de Sorolla, Ignacio Pinazo,
qui fut pourtant un peintre dÕhistoire, est dŽjˆ exposŽ ˆ lÕIVAM de Valence avec
les artistes contemporains. Cette institution possde, depuis 1986, une centaine de
peintures provenant pour moitiŽ dÕune donation des hŽritiers et son Ïuvre est
prŽsentŽe dans ce musŽe dÕart moderne et contemporain comme le point de dŽpart
des avant-gardes valenciennes.
Le MusŽe Sorolla abrite des peintures jusque-lˆ confidentielles qui auraient
parfaitement pu se fondre dans les collections dÕun musŽe dÕart contemporain. Car
quand Sorolla peignait Òpour luiÓ, selon lÕexpression de Florencio de Santa-Ana,
sa production rejoint les courants de son Žpoque, en particulier lÕexpressionnisme
allemand et le fauvisme.35 En 1986, une historienne a accs aux rŽserves du
MusŽe Sorolla et le met en Žvidence dans un article intitulŽ ÒSorolla y el
fauvismoÓ dans lequel elle rapproche Sorolla dÕHenri Matisse (1869-1954),
Albert Marquet (1875-1947), Maurice de Vlaminck (1876-1958), Raoul Dufy
(1877-1953), Kees Van Dongen (1877-1968), AndrŽ Derain (1880-1954) et
Georges Braque (1882-1963) ; mais cette Žtude est passŽe inaperue.36 Les
expositions des annŽes 1994-1999 vont enfin dŽmontrer que, en marge de Visi—n
de Espa–a, lÕEspagnol a aussi suivi ce quÕil appelait lui-mme la Òmarche de lÕart
moderneÓ. Devoir y renoncer avait ŽtŽ une de ses craintes quand il avait
commencŽ ˆ sÕimmerger dans cette commande :
Nada he pintado engolfado en el proyecto de la decoraci—n, y cuanto m‡s pienso en
ello m‡s contrario lo encuentro para mi temperamento. He perdido dos meses en los
34.
35.
36.
Au MusŽe National du Prado de Madrid : Retrato de se–ora con mantilla blanca, 48x33,
sans date. Santa italiana, 78x61, sans date. Retrato de la ni–a Mar’a Figueroa vestida de
menina, 152x122, sans date. El dos de mayo, 387x580, 1884. Retrato de Rafael Altamira
y Crevea, 55Õ5x41, 1886. El pintor Juan Espina y Capo, 69Õ5x54Õ5, 1892. El ni–o Jaime
Garc’a Banus, 85x110, 1892. ÁAœn dicen que el pescado es caro!, 151Õ5x204, 1894.
Do–a Mar’a Teresa Moret, 111x88, 1901. El pintor Aureliano de Beruete, 115Õ5x110Õ5,
1902. Aureliano de Beruete y Moret, hijo, 140x82, 1902. Jacinto Felipe Pic—n y
Pardinas, 65x88, 1904. El doctor don Francisco Rodr’guez de Sandoval, 104x104, 1906.
La actriz do–a Mar’a Guerrero como Ç La dama boba È, 131x120Õ5, 1906. Do–a
Mercedes Mendeville, condesa de San FŽlix, 198x98Õ5, 1906. El pintor Antonio Gomar y
Gomar, 59x100, 1906. Retrato de don Ram—n Pi–a y Millet, 80x62, 1907. El doctor
Joaqu’n Decref y Ruiz, 60x91, 1907. Ni–os en la playa, 118x185, 1910.
Florencio de Santa-Ana, ÒCuando Sorolla pintaba para s’ mismoÓ, Arte y Libertad,
Valence, 10/11/2007.
Paloma Plaza L—pez, ÒSorolla y el fauvismoÓ in Conocer el Museo Sorolla. Diez
aportaciones a su estudio, Madrid, Ministerio de Cultura, 1986, pages 31-38.
V. Sorolla et lÕEspagne dŽmocratique : 1975-2009
257
que he podido pintar algunas cosas que es posible fueran m‡s œtiles para la marcha
del arte moderno; mientras este encargo me comer‡ los mejores a–os de mi vidaÉ37
Cet extrait dÕune lettre ˆ son ami Pedro Gil Moreno de Mora, datŽe de
janvier 1912, a ŽtŽ dŽvoilŽ seulement en 2001. Il apporte un Žclairage nouveau ˆ
La Siesta (1911) qui est ˆ la fois le dernier grand format avant Visi—n de Espa–a
et une des toiles les plus modernes de Sorolla. Sa facture, ˆ la fois rapide et
ÒbruteÓ, pourrait trs bien se fondre dans la peinture du peintre allemand Ernst
Ludwig Kirchner (1880-1938). Ë lÕaube du XXIme sicle, un autre Sorolla est sur
le point dՎmerger et cÕest ce que lÕon verra ici. Mais pour comprendre le sens et
la portŽe de la rŽforme du statut juridique du MusŽe Sorolla, il faut tout dÕabord
revenir ˆ son origine.
Sous la dictature franquiste, les expositions consacrŽes au peintre nÕauraient
pas pu voir le jour sans la collaboration de ses deux filles, Mar’a et Elena, qui
possŽdaient, ˆ titre privŽ, deux cent soixante-deux tableaux.38 Les deux hŽritires
prtrent leurs Ïuvres tout au long de la pŽriode car le MusŽe Sorolla, qui Žtait
censŽ remplir cette mission de diffusion et de valorisation du peintre, nÕavait pas
les moyens lŽgaux de le faire. Comble dÕune situation ubuesque, il resta ˆ lՎcart
du mouvement. En prenant une disposition qui rendait impossible la dispersion
des collections, la donatrice pensait agir pour le bien de sa fondation, mais elle ne
sut pas anticiper les transformations musŽales du XXme sicle, en particulier
lÕessor de lÕexposition temporaire qui, telle quÕon la conna”t aujourdÕhui, repose
sur la mobilitŽ des collections. Cette close condamnait le musŽe ˆ une autre forme
dÕisolement, plus pernicieuse que sa situation gŽographique qui, par ailleurs, ˆ
mesure de lÕextension urbaine et du dŽveloppement du rŽseau de transports, ne
posait plus le mme problme quÕauparavant. Le MusŽe Sorolla conservait alors
un peu plus de mille cent peintures et entre quatre et cinq mille dessins qui ne
pouvaient ni sortir des murs ni mme des magasins puisque sa capacitŽ maximale
37.
38.
Lettre de Joaqu’n a Pedro Gil Moreno de Mora, 01/1912 in Blanca Pons-Sorolla, Joaqu’n
Sorolla. Vida y obra, 2001, page 385. Ç Je nÕai rien peint tellement je suis absorbŽ par le
dŽcor, et plus jÕy pense plus je le trouve contraire ˆ mon tempŽrament. JÕai perdu deux
mois durant lesquels jÕai rŽussi ˆ peindre deux ou trois choses qui, vraisemblablement,
seraient plus utiles ˆ la marche de lÕart moderne ; tandis que cette commande me mangera
les meilleures annŽes de ma vieÉ È
Bernardino de Pantorba, La vida y la obra de Joaquin Sorolla. Estudio biogr‡fico y
cr’tico, Madrid, Gr‡ficas Monteverde, 1970, pages 152-165.
V. Sorolla et lÕEspagne dŽmocratique : 1975-2009
258
dÕexposition Žtait environ de deux cent cinquante tableaux.39 Sa superficie totale
se situe autour de deux mille huit cents mtres carrŽs. Ë titre de comparaison, le
MusŽe National du Prado expose aujourdÕhui mille cent cinquante tableaux sur
quarante-cinq mille mtres carrŽs ! Compte tenu de tout cela, les collections du
MusŽe Sorolla se trouvaient confinŽes et prisonnires dÕune citadelle bien
verouillŽe et cette situation semblait irrŽmŽdiable. LÕinstitution remplissait, par
consŽquent, la fonction opposŽe ˆ celle qui lui avait ŽtŽ assignŽe en retenant des
grands formats majeurs tels que Una investigaci—n, Nadadores J‡vea,
Instant‡nea, La siesta, ou encore les portraits dÕAlphonse XIII, de Raquel Meller,
de Catalina B‡rcena, etc.40 Le musŽe contrariait la diffusion de lÕÏuvre de Sorolla
en rendant son accs plus compliquŽ et cette situation se prolongea jusque dans
les annŽes quatre-vingt-dix.
En 1990, un musŽe suŽdois dŽpose le projet dÕune exposition comparative
dÕAnders Zorn et de Joaqu’n Sorolla.41 Les deux peintres sՎtaient connus ˆ Paris
et avaient concouru ensemble au Salon de la SociŽtŽ des Artistes Franais. En
1900, ils furent tous deux laurŽats du Grand Prix de leurs pavillons respectifs et,
en 1906, alors que lÕun occupait les salons du galeriste Petit, lÕautre exposait en
mme temps chez le concurrent Durand-Ruel.42 Au fil de leurs rencontres, les
deux hommes sՎtaient liŽs dÕamitiŽ et leurs Ïuvres respectives sՎtaient
mutuellement influencŽes. CÕest en tout cas ce que pouvait dŽmontrer cette
exposition.43 Zorn avait construit sa maison en Sude, ˆ Mora et, aprs sa mort,
celle-ci fut transformŽe en musŽe. LÕidŽe dÕune exposition comparative est
soulevŽe pour la premire fois par un Espagnol europŽaniste, Jorge Semprun
(1923-2011), ministre de la Culture de son pays de 1988 ˆ 1991. Ë lÕoccasion
dÕun voyage officiel ˆ Stockholm, il propose de rŽunir dans une exposition
39.
40.
41.
42.
43.
La collection de dessins du MusŽe Sorolla est en cours dÕinventaire. Les chiffres donnŽs
ici sont tirŽs de Bernardino de Pantoba, Gu’a del Museo Sorolla, Madrid, Gr‡ficas
Nebrija, 1975 (1951), page 11.
Au MusŽe Sorolla de Madrid : Una investigaci—n, 122x151, 1897. Nadadores J‡vea,
90x126, 1905. Instant‡nea, 62x93Õ5, 1906. La siesta, 200x201, 1911. S.M. el Rey Alfonso
XIII, 150x104Õ5, 1918. Retrato de Raquel Meller, 125x100, 1918 et Retrato de Catalina
Barcena, 135x100, 1919-1920.
Florencio de Santa-Ana, Museo Sorolla, Madrid, Electa, 2000, page 31.
Sorolla-Zorn, Madrid, Ministerio de Cultura, 1992, page 82 et Pilar de NavascuŽs
Benlloch, ÒSorolla y los pintores n—rdicosÓ in Conocer el Museo Sorolla. Diez
aportaciones a su estudio, Madrid, Ministerio de Cultura, 1986, pages 23-29.
Rafael Sierra, ÒEntre dos mares. Sorolla y Zorn nos acercan a travŽs de su obra a una
Espa–a lejana y ex—ticaÓ, El Mundo, Madrid, 1/03/1992.
V. Sorolla et lÕEspagne dŽmocratique : 1975-2009
259
commune les Ïuvres de Sorolla et de Zorn.44 Son idŽe sŽduit alors
lÕamabassadeur suŽdois ˆ Madrid, Ulf Hjertensson (inc.) et le directeur du MusŽe
National de Stockolm, Olle Granath (1940) qui tentent de mettre sur pied ce
projet. En 1990, la directrice du MusŽe Zorn, Birgitta Sandstršm (inc.), adresse
une demande de prt ˆ son homologue espagnol Florencio de Santa-Ana (1938),
mais celle-ci la rejette tout simplement car le MusŽe Sorolla ne peut pas
lŽgalement la satisfaire.
Toutefois, les choses nÕen restent pas lˆ, car le gouvernement suŽdois
formule ensuite une demande officielle directement auprs du gouvernement
espagnol.45 En intervenant au plus haut sommet de lՃtat, Stockholm rŽussit ˆ
obtenir la dŽrogation nŽcessaire et cette exposition peut alors voir le jour un an
plus tard. Ce projet binational doit tre rapprochŽ des grands chantiers europŽens
de ce dŽbut des annŽes quatre-vingt-dix. LÕinstauration dÕune politique extŽrieure
europŽenne, dÕune monnaie unique ou encore la dŽfinition de la citoyennetŽ
europŽenne seront bient™t ˆ lÕordre du jour du TraitŽ de Maastricht, en 1992. Dans
une Espagne communautaire depuis le 1er janvier 1986, la dimension
transnationale de Sorolla peut alors appara”tre comme un ŽlŽment digne dՐtre
valorisŽ, mme si la Sude ne fait pas partie de la CommunautŽ ƒconomique
EuropŽenne (CEE). On peut imaginer que lՃtat espagnol est alors
particulirement soucieux de promouvoir son patrimoine artistique dans ce quÕil a
de plus europŽen car Madrid sera la capitale europŽenne de la culture en 1992, ˆ
lÕoccasion du cinq-centime anniversaire de la dŽcouverte de lÕAmŽrique. Cette
annŽe verra aussi se rŽaliser deux ŽvŽnements internationaux majeurs : les Jeux
Olympiques dՎtŽ, ˆ Barcelone, et lÕExposition Universelle de SŽville.
Le ministre de la Culture espagnol accde ˆ la requte suŽdoise mais
demande, en contre-partie, que lÕexposition soit itinŽrante, raison pour laquelle
elle est dÕabord prŽsentŽe en novembre 1991 ˆ Mora sous le titre FrŒn tvŒ hav.
Zorn och Sorolla cÕest-ˆ-dire De deux mers, Zorn et Sorolla. Les reines
dÕEspagne et de Sude lÕinaugurent ensemble le 7 novembre. Puis en mars 1992,
lÕexposition est inaugurŽe ˆ Madrid sous le titre Sorolla - Zorn. Elle contient
soixante-et-un tableaux de lÕEspagnol et cinquante-trois du SuŽdois. Parmi eux
44.
45.
Anonyme, ÒLas reinas de Espa–a y Suecia inauguran una muestra en EstocolmoÓ, El
Correo Espa–ol, [Buenos Aires], 8/11/1991.
Museo Sorolla, 2000, page 31.
V. Sorolla et lÕEspagne dŽmocratique : 1975-2009
260
figurent un portrait de Sorolla par Zorn, conservŽ ˆ Madrid, et le tableau de
Sorolla DespuŽs del bautizo. Valencia, conservŽ ˆ Mora.46 Comme lÕexposition
devance la rŽforme du statut juridique du MusŽe Sorolla, celle-ci est mise en
chantier ds lÕannŽe suivante. Le nouveau statut est rŽdigŽ par une commission
dÕexperts puis adoptŽ en Conseil des ministres le 30 juillet 1993. Il autorise enfin
la mobilitŽ des collections ce qui constitue, de fait, la condition la plus
indispensable au rayonnement ˆ la fois national et international de lÕinstitution.
Le MusŽe Sorolla entre alors dans une nouvelle re car il assure dorŽnavant
la promotion de ses collections non seulement ˆ lՎtranger mais aussi, et surtout,
en province. Par ailleurs, la redŽcouverte du peintre va tre guidŽe par des
questions dÕordre historique et esthŽtique. Le directeur Florencio de Santa-Ana
dŽfinit en prioritŽ un programme national car il estime que le peintre nÕest pas
suffisamment connu dans son propre pays. Ainsi, ds 1994, cinquante-deux
tableaux sont envoyŽs ˆ SŽville le temps de lÕexposition Sorolla en Andaluc’a.47
Soixante-dix ans aprs la mort de lÕartiste, de nombreuses facettes de son Ïuvre
demeurent compltement inŽdites. LÕune dÕentre elle, sa peinture andalouse,
tŽmoigne de son profond attachement ˆ cette rŽgion. Ë un journaliste, le peintre
avait un jour dŽclarŽ : Ç Son, entre las ciudades de Espa–a, las de mis dos grandes
amores. Si posible fuera nacer a voluntad y en dos lugares a un tiempo, yo ser’a
mitad de Valencia, mitad de Sevilla. È48 Sous le franquisme, les paysages de la
c™te ont ŽtŽ surexposŽs pour des raisons liŽes ˆ lՎconomie touristique. Mais
Sorolla nÕa pas plantŽ son chevalet uniquement sur la plage de Valence. En
Andalousie, il a peint ˆ Cordoue, Grenade, SŽville et XŽrs de la Frontera ainsi
que le dŽmontre lÕexposition. Deux paysages des montagnes enneigŽes de la
Sierra Nevada offrent un tout autre aperu de lÕartiste car ils mettent en Žvidence
les recherches plastiques qui le menrent jusquÕaux portes de lÕabstraction.49 La
touche large et rapide, la palette anti-naturaliste et la facture synthŽtique de ces
46.
47.
48.
49.
Joaqu’n Sorolla y Bastida, 62x58, Madrid, MusŽe Sorolla, 1906 et DespuŽs del bautizo,
Valencia, 80x114, Mora, MusŽe Zorn, 1899.
Sorolla en Andaluc’a, Ministerio de Cultura, SŽville, 1994.
Francisco Mart’n Caballero, ÒHablando con D. Joaqu’n Sorolla en su estudioÓ, La
Correspondencia de Valencia, Valence, 11/09/1913. Ç Ce sont, parmi les villes
dÕEspagne, celle de mes deux grands amours. SÕil fžt possible de voir le jour selon mon
bon vouloir et en deux lieux en mme temps, je serais pour moitiŽ de Valence et pour
lÕautre moitiŽ de SŽville. È
Sierra nevada en invierno, 81Õ5x105, Madrid, MS, 1910 et Sierra Nevada, Granada,
95x69, Madrid, MS, 1917.
V. Sorolla et lÕEspagne dŽmocratique : 1975-2009
261
peintures rappelle le paysage du groupe allemand Die BrŸcke. DÕautres tableaux
dŽmontrent que, en marge de la commande de lÕHispanic Society, Sorolla peignait
les mmes motifs ÒautrementÓ. En effet, entre les sŽances de pose du septime
panneau du dŽcor de lÕHispanic Society, El baile, il rŽalise des portraits de gitanes
purement expŽrimentaux. Il essaie des expositions de lumire contre-plongeantes
qui donnent aux figures un aspect spectral. De lÕobscuritŽ, la lumire jaillit en
diffŽrents points, en particulier des visages qui, de ce fait, font penser ˆ des
masques. Florencio de Santa-Ana les rapproche, ˆ juste titre, de la peinture
expressionniste.50 Ces toiles pourraient trs bien tre comparŽes aux portraits
fŽminins de Kees Van Dongen peints autour de 1910 ou encore ˆ ceux dÕAndrŽ
Derain. Les paysages de Grenade et les portraits de gitanes, qui sont restŽs si
longtemps confidentiels, mettent en lumire des axes vers lesquels Sorolla
engagea sa peinture ˆ la fin de sa vie. Pour toutes ces raisons, Sorolla en
Andaluc’a est le point de dŽpart dÕune rŽvision des jugements Žtablis. Le peintre
a-t-il ŽtŽ aussi acadŽmique et formel que certains lÕont affirmŽ durant longtemps ?
Quels changements de perception peut-on attendre des expositions ˆ venir ?
Autant de questions qui se posent en 1994.
La mme annŽe, les collections du musŽe continuent ˆ tre exhumŽes et
prŽsentŽes au public. Sorolla. Fondos del Museo Sorolla est la premire dÕune
sŽrie dÕexpositions itinŽrantes parcourant les grandes et moyennes villes du pays.
Ainsi, le MusŽe Sorolla Òse dŽplaceÓ en direction du public. Contrairement ˆ
lÕexposition prŽcŽdente, celle-ci se veut plus gŽnŽraliste. La direction du musŽe
fait sortir les grands formats quÕelle considre comme les chefs-dÕÏuvre de la
collection comme lÕautoportrait de 1904 mais aussi Madre, Una investigaci—n,
Clotilde con traje gris, Mis hijos, Saltando a la comba, Paseo a orillas del mar,
La siesta, El balandrito, La bata rosa, Clotilde con traje de noche et beaucoup
dÕautres.51 LÕexposition itinŽrante est installŽe et dŽmontŽe pas moins de quinze
fois en trois ans ! Elle fait le tour du pays dans le sens des aiguilles dÕune montre
en commenant par la Galice puis le Pays Basque, la Catalogne, lÕAragon, la
CommunautŽ de Valence et ainsi de suite.
50.
51.
Sorolla en Andaluc’a, page 138.
Au MusŽe Sorolla de Madrid : Autorretrato, 66x100Õ5, 1904. Madre, 125x69, 1895. Una
investigaci—n, 122x151, 1897. Clotilde con traje gris, 178Õ5x93, 1900. Mis hijos,
160Õ5x230Õ5, 1904. Saltando a la comba, 105x166, 1907. Paseo a orillas del mar,
205x200, 1909. El balandrito, 100x110, 1909. Clotilde con traje de noche, 150x105,
1910. La siesta, 200x201, 1911. La bata rosa, 208x126Õ5, 1916.
V. Sorolla et lÕEspagne dŽmocratique : 1975-2009
262
En 1995, une exposition itinŽrante de petits formats est inaugurŽe ˆ
Valence. Sorolla en Andaluc’a a donnŽ un aperu des recherches plastiques du
peintre en grand format mais, en toute logique, le petit format avait ŽtŽ le support
privilŽgiŽ de ses recherches picturales. Le peintre vendait aussi des petits formats
quÕil signait pour lÕoccasion, comme le prouvent les catalogues de ses expositions
individuelles, mais la plupart de ces rŽalisations, de la simple pochade au
tableautin, nÕavaient jamais quittŽ son atelier. Lors de ses dŽplacements, il
transportait avec lui tant™t un bloc, pour les dessins au fusain, tant™t des cartons
pour les gouaches, ou encore des tablettes pour les huiles. Ë lՃcole des BeauxArts, son ma”tre Gonzalo Salv‡ lui avait enseignŽ la peinture sur le motif telle que
la pratiquait, par exemple, Ignacio Pinazo. Sorolla aimait peindre ainsi, en pleine
nature et sous la lumire naturelle et fit un jour un court rŽcit de ces excursions en
compagnie de Salv‡ : Ç Recuerdo con verdadero deleite las largas caminatas, bajo
el ardiente sol levantino, en busca de un efecto de luz o de una nota de color. È52
En petit format, il essayait des compositions, cherchait la nuance juste pour tel
reflet ou telle ombre ou encore ÒcueillaitÓ une silhouette sur le vif. Sur ces
supports pauvres, il essayait de rŽsoudre les problmes quÕil rencontrait. Il
conservait ensuite prŽcieusement ce matŽriel et lÕutilisait, le cas ŽchŽant, lorsquÕil
peignait en grand format. Ë Valence, les deux expositions qui sont prŽsentŽes
consŽcutivement marquent le retour de lÕÏuvre de Sorolla dans la ville.
LՎvŽnement est ftŽ ˆ lÕoccasion des Fallas car le peintre y a un char ˆ son
effigie.53
Ë partir de 1996 et jusquÕen 2005, le MusŽe Sorolla exporte ses expositions
ˆ lՎtranger. Ce cycle commence en AmŽrique latine, dans six pays : la Colombie,
le Chili, la Bolivie, le PŽrou, le BrŽsil et le Mexique. Dans cette partie du monde,
le peintre est compltement inconnu du public. Sur le continent amŽricain, les
deux collections les plus importantes se trouvent en Argentine et ˆ Cuba. Il faut
aussi mentionner le r™le jouŽ par le plus grand collectionneur privŽ du monde, le
milliardaire mexicain Juan Antonio PŽrez Sim—n (1941) qui a constituŽ une
52.
53.
Homenaje a la Gloriosa Memoria del Excm. Don Joaqu’n Sorolla, AcadŽmico electo.
Discursos le’dos en la Sesi—n Pœblica el d’a 2 de febrero de 1924. Real Academia de San
Fernando, Madrid, Mateu Artes Gr‡ficas, 1924, page 11. Ç Je me souviens avec un vrai
dŽlice des longues marches, sous le soleil ardent du levant, ˆ la recherche dÕun effet de
lumire ou dÕune nuance de couleur. È
Anonyme, ÒFalla sobre SorollaÓ, ABC, Madrid, 17/03/1995.
V. Sorolla et lÕEspagne dŽmocratique : 1975-2009
263
importante collection de tableaux du Valencien.54 Durant lՎtŽ 2010, ils ont ŽtŽ
prŽsentŽs au MusŽe Jacquemard-AndrŽ de Paris.55
En Espagne, dans les annŽes quatre-vingt-dix, les ŽvŽnements liŽs ˆ Sorolla
couvrent quasiment tout le calendrier artistique car les expositions se suivent et
arrivent mme ˆ se superposer les unes aux autres. En mars 1996, le visiteur peut
dŽcouvrir ˆ Palma de Majorque Sorolla y el Mediterr‡neo, puis J. Sorolla y la
cornisa cant‡brica ˆ Oviedo en mai, puis Sorolla. Fondos del Museo Sorolla, ˆ
òbeda en octobre et, enfin, Sorolla. Peque–o formato en novembre, ˆ Valladolid.
Le calendrier est encore plus dense pour les deux annŽes 1997 et 1998 comme le
montre le tableau ÒExpositions monographiquesÓ prŽsentŽ en annexe n¡1. Alors
que trente ans auparavant le MusŽe Sorolla Žtait sur le point de fermer ses portes
faute dÕaffluence, il bat dŽsormais des records puisquÕil double sa frŽquentation
en cinq ans. En effet, il accueille 51.408 visiteurs en 1998, 56.914 en 1999 et
57.066 en 2000.56 Aprs une fermeture temporaire en 2001-2002, pour cause de
travaux de rŽnovation, il reoit 104.609 visiteurs en 2003.57 Florencio de SantaAna profite de cette pŽriode de fermeture temporaire pour intensifier la
divulgation des collections du musŽe en province. Pour cela, il sÕappuie presque
exclusivement sur le mŽcenat des caisses dՎpargne rŽgionales car le musŽe nÕa
pas les moyens dÕassumer seul le cožt de ses expositions. La collaboration de ces
institutions privŽes lui permet de mettre sur pied un programme ŽvŽnementiel
digne des plus grands musŽes.
Parmi les expositions temporaires proposŽes durant cette pŽriode, trois
retiennent lÕattention : Paisajes de Granada de Joaqu’n Sorolla, Sorolla a Xˆbia
et Sorolla y la Hispanic Society. Una visi—n de la Espa–a de entresiglos. 58 La
premire explore un aspect de son Ïuvre, le paysage tardif, que le public a pu
entrevoir quelques annŽes plus t™t ˆ lÕoccasion de lÕexposition andalouse. La
54.
55.
56.
57.
58.
Anonyme, ÒVoici le plus grand collectionneur privŽ du mondeÓ, Paris Match, Paris,
5/09/2010.
Du Greco a Dal’. Les grands ma”tres espagnols de la collection PŽrez Sim—n, Paris,
Snoeck Ducaju Et Zoon, 2010.
Pedro Silverio y Moreno, ÒEl Rom‡ntico deja de ser el museo que menos visitas recibe al
a–oÓ, Madrid y m‡s, Madrid, 8/03/2000 et Mar’a Diezhandino, ÒEl Thyssen, el museo
madrile–o que m‡s visitantes perdi— en el 2000Ó, Madrid y M‡s, Madrid, 5/02/2001.
Anonyme, ÒEl Museo Sorolla duplica el nœmero de visitantesÓ, Metro, Madrid,
26/02/2004 et anonyme, ÒEl Museo Sorolla cierra por obrasÓ, Metro Directo, Madrid,
15/10/2001.
Paisajes de Granada de Joaqu’n Sorolla, Grenade, Fundaci—n Caja de Granada, 1997.
Sorolla y la Hispanic Society. Una visi—n de la Espa–a de entresiglos, Madrid, Museo
Thyssen Bornemisza, 1998 et Sorolla a Xˆbia, J‡vea, Bancaixa, 1999.
V. Sorolla et lÕEspagne dŽmocratique : 1975-2009
264
seconde est sans doute la plus spectaculaire puisquÕelle met ˆ jour ses recherches
sur la reprŽsentation des phŽnomnes aquatiques. En 1905, Sorolla sՎtait installŽ
dans un village situŽ au sud de Valence, J‡vea. Depuis la hauteur des rochers, il
tenta dÕapprŽhender sur la toile un phŽnomne optique aussi fugace que la
rŽfraction. Durant un ŽtŽ, il reprŽsenta le corps immergŽ dans une sŽrie connue
comme celle des ÒnageursÓ. Elle comprend principalement des pochades mais
aussi cinq grands formats dont trois se trouvent dans les collections du MusŽe
Sorolla et sont prŽsentŽs ˆ cette occasion. LÕensemble fait appara”tre lÕinfluence
du Valencien sur deux peintres reliŽs aux mouvements dÕavant-garde, Joaquim
Mir et Hermenegildo Anglada Camarasa. Enfin, lÕexposition Sorolla y la
Hispanic Society. Una visi—n de la Espa–a de entresiglos permet de mieux cerner
le portraitiste de la dernire Žpoque puisquÕune partie de la galerie
inconographique de lÕHispanic Society est temporairement prtŽe au MusŽe
Thyssen Bornemisza. A dŽfaut de pouvoir accueillir Visi—n de Espa–a, les
Žbauches conservŽes au MusŽe Sorolla sont prŽsentŽes ensemble. Ces expositions
offrent les conditions indispensables ˆ une analyse scientifique rigoureuse de cette
Ïuvre puisque, disons-le ainsi, un tableau qui nÕest pas visible est perdu pour la
critique et pour la recherche. Les historiens dÕart Marcus Burke, Javier Bur—n,
Mitchell. A Codding, JosŽ Luis D’ez, Juli‡n Gallego, Tom‡s Llorens, Javier
Tusell, Felipe Gar’n, Francisco Javier PŽrez Rojas, Facundo Tom‡s, Florencio de
Santa-Ana, et dÕautres contribuent alors ˆ prŽciser et ˆ Žlargir la connaissance de
lÕÏuvre du Valencien. Leurs travaux bŽnŽficient de la collaboration de Blanca
Pons-Sorolla, lÕarrire-petite-fille, qui continue ˆ soutenir et / ou prend part ellemme activement aux travaux de recherches en cours.
La redŽcouverte du peintre profite au marchŽ de lÕart, puisque les prix de ses
tableaux sÕenvolent comme on le verra plus avant. En mme temps, lՎdition vit
des heures fastes puisquÕen plus des traditionnels catalogues dÕexposition, des
Žtudes isolŽes voient le jour et quÕun ambitieux projet de catalogue raisonnŽ en
quatre volumes est annoncŽ dans la presse en aožt 1999.59 Ë cette Žpoque,
lÕouvrage de rŽfŽrence est toujours celui de Bernardino de Pantorba, qui a ŽtŽ
publiŽ en 1953 puis rŽŽditŽ en 1970. Entre 1985 et 1986, Francisco Pons-Sorolla
et sa fille Blanca commencent ˆ Žtablir lÕinventaire de lÕÏuvre de leur a•eul.
59.
Natividad Pulido, ÒCultura busca un espacio anexo al Museo Sorolla para su ampliaci—nÓ,
ABC, Madrid, 12/08/1999.
V. Sorolla et lÕEspagne dŽmocratique : 1975-2009
265
Quand le projet est suffisamment avancŽ, les Žditions Fahah et lÕentreprise Airtel
Vodafone lui apportent un soutien financier. Enfin, la sortie de quatre volumes est
annoncŽe en aožt 1999. Le premier, une monographie trs documentŽe, sort en
2001 et est suivi lÕannŽe suivante dÕune Žtude des dessins dŽrivŽe de la thse de
Luz Buelga.60 Ë ce jour, le catalogue raisonnŽ de lÕÏuvre peint nÕa pas encore ŽtŽ
publiŽ. Il devrait prochainement porter ˆ la connaissance du public quatre mille
fiches ainsi que toutes les reproductions des peintures, en couleur.
En ce qui concerne la progression des prix sur le marchŽ, il faut rappeler, ˆ
titre dÕexemple, que le grand format avec lequel Sorolla dŽcrocha la MŽdaille
dÕHonneur de lÕExposition Nationale, Triste Herencia, a ŽtŽ vendu pour la somme
de vingt-deux millions de pesetas en 1981.61 Or, en 1997, Clotilde y Elena en las
rocas change de mains pour plus de cent quatre-vingts millions de pesetas, cÕestˆ-dire pour un prix huit fois supŽrieur ! Selon Consuelo Dur‡n (1952), de la
maison de ventes aux enchres madrilne Dur‡n Subastas, les acquisitions du
ministre de la Culture ont dynamisŽ le marchŽ.62 En 1999 et en 2000, lՃtat
achte consŽcutivement deux Ïuvres de jeunesse, Moro con naranjas, pour vingtsix millions de pesetas, puis El Pillo de playa pour cent seize millions de pesetas.
Les deux Ïuvres se trouvent dŽsormais dans les collections du MusŽe Sorolla.63
Curieuse co•ncidence, en 2002, une Valencienne nommŽe Encarna Mart’nez se
prŽsente aux media comme la fille dÕun prŽtendu fils cachŽ du peintre, un certain
JosŽ Mart’nez Fosatti. Ë la manire de ces histoires ˆ sensation racontŽes dans le
talk show dÕAntena 3 ÒDiario de PatriciaÓ, cette femme porte cette histoire privŽe
ˆ la connaissance du public. Que les faits rapportŽs soient avŽrŽs ou non, la
mŽdiatisation de cette affaire nous intŽresse pour lՎclairage quÕelle apporte sur la
rŽception de Sorolla. En effet, elle intervient dans un contexte dÕintense activitŽ
mŽdiatique, car ses tableaux nourrissent lÕactualitŽ culturelle du pays et Žtablissent
des records sur le marchŽ qui, ˆ leur tour, font les gros titres. Le journaliste ne
manque pas de demander : Ç ÀY por quŽ usted ha tardado tanto en contar esta
historia? Desde que muri— su padre han pasado once a–os. È et lÕinterrogŽe de
60.
61.
62.
63.
Natividad Pulido, ÒLa bisnieta de Sorolla publica la monograf’a m‡s completa del pintorÓ,
ABC, Madrid, 9/12/2001. Blanca Pons-Sorolla, Joaqu’n Sorolla. Vida y obra, Madrid,
Fahah, 2001 et Luz Buelga, Dibujos de Joaqu’n Sorolla, Madrid, Fahah, 2000.
Voir lÕannexe n¡2. RŽsultats des ventes par adjudication.
Mar’a Jesœs Burgue–o, ÒSorolla bajo la lupa. An‡lisis del pintor m‡s falsificadoÓ,
Subastas Siglo XXI, Madrid, 03/2001.
Au MusŽe Sorolla de Madrid : Moro con naranjas, 73Õ5x39Õ9, 1885-1886 et El pillo de
playa, 80Õ5x124, 1891.
V. Sorolla et lÕEspagne dŽmocratique : 1975-2009
266
rŽpondre : Ç No lo contŽ antes por el temor a la desconfianza de la gente sobre un
asunto tan delicado y mantenido en secreto tanto tiempo. È64 Dans une Espagne
gagnŽe par la tŽlŽrŽalitŽ et grande consommatrice de presse ˆ scandale, lÕaffaire
passionne. CÕest le dŽbut dÕun Žpisode de ÒpeopleisationÓ de Sorolla, un
phŽnomne de sociŽtŽ qui nՎpargne pas les personnages historiques. La double
vie dՃmile Zola, la mysoginie dÕAlbert Einstein ou bien encore la sexualitŽ
dÕOscar Wilde, ont ŽtŽ avant cela autant de thmes vendeurs.65 Cela revient ˆ
prŽsenter lÕhistoire par le petit bout de la lorgnette pour mieux la vendre au grand
public. Las Provincias sÕintŽresse aux liaisons extraconjugales du peintre dans un
article intitulŽ ÒEl lado oculto de SorollaÓ. On y raconte, par exemple, que le
peintre de la mer a vŽcu une idylle avec une jeune fille de J‡vea et que lÕaffaire
prit un mauvais tour car le fiancŽ cornard, un carabinier, se fit justice lui-mme en
tuant la nymphette dÕun coup de feu. Selon la mme source, le pre et le fils se
seraient disputŽs la belle Raquel Meller.66
En 2004, La hora del ba–o change de main pour la somme colossale de cinq
millions deux cent mille euros ! Cette transaction constitue toujours le record pour
une production de Sorolla. Elle le positionne alors parmi les peintres les plus
chers du marchŽ du XIXme sicle et comme un des meilleurs investissements,
selon lÕexperte de la maison de ventes aux enchres SothebyÕs, Helene
Montgomery (inc.-inc.).67 En 2006, Mar’a mirando los peces franchit la barre des
deux millions et demi dÕeuros et Las tres velas fr™le, en 2008, les trois millions
dÕeuros car les collectionneurs recherchent les scnes de plage cožte que cožte,
sans toujours tenir compte de leur qualitŽ. Cette partie de lÕÏuvre du ma”tre
fascinait dŽjˆ les ÒsorollistesÓ qui avaient plantŽ ˆ leur tour leurs chevalets sur le
sable de la plage de La Malvarrosa. CÕest pour cette raison quÕelle sÕest ensuite
dŽvaluŽe jusquՈ ce que le franquisme lÕintŽgre ˆ sa propagande. Elle est alors ˆ
nouveau prisŽe des collectionneurs. Signe des temps, en avril 2008, le site
64.
65.
66.
67.
Rafa Mar’, ÒSorolla pint— a mi abuela con mi padre en brazosÓ, Las Provincias, Valence,
30/04/2002. Ç Et pourquoi avoir mis autant de temps ˆ raconter cette histoire ? È Ç Je ne
lÕai pas racontŽe par peur du scepticisme des gens concernant un sujet si dŽlicat et gardŽ
secret aussi longtemps. È
Anonyme, ҃mile Zola, solitaire et solidaireÓ, Le Monde, Paris, 27/09/2002. Anonyme,
ÒVatican reconciles with Oscar WildeÓ, The Telegraph, Londres, 16/07/2009 et Denis
Bryan, ÒThe Unexpected Einstein: The Real Man behind the IconÓ, Cosmos, Chippendale,
09/2006.
Rafa Mar’a, ÒEl lado oculto de SorollaÓ, Las Provincias, Valence, 9/05/2002.
Anonyme, ÒLa hora del ba–o, de Sorolla, se vende por 5,3 millones y marca un rŽcord del
artistaÓ, El Pa’s, Madrid, 19/11/2003.
V. Sorolla et lÕEspagne dŽmocratique : 1975-2009
267
dÕenchres en ligne Ebay met pour la premire fois en vente un tableau du ma”tre,
un paysage de Valence peint en 1881.68
Durant la premire dŽcennie du XXIme sicle, les musŽes Sorolla et
Thyssen Bornemisza rŽussissent ˆ programmer le peintre de Valence dans
lÕagenda culturel europŽen. LÕenjeu est annoncŽ dans ABC, en 1999 par Blanca
Pons-Sorolla : Ç Falta una gran antol—gica en Madrid, Par’s y Londres, que
acabar’a de encumbrar a Sorolla como pintor universal. Es un reto de Europa. È69
Sorolla avait eu une dimension europŽenne de 1895 ˆ 1906 puis lÕavait ensuite
perdue autour de 1909, dÕabord en exposant aux ƒtats-Unis puis en acceptant une
commande qui lՎloigna et lÕisola. Ë Paris, les modes se renouvelrent et son nom
fut rapidement gommŽ par dÕautres. Un sicle plus tard, aucun musŽe de lÕUnion
EuropŽenne, hormis lÕEspagne bien sžr, nÕa accueilli une exposition consacrŽe ˆ
son Ïuvre. Les grands musŽes modernes comme Orsay, ˆ Paris, ou la Tate
Gallery de Londres, nÕont jamais investi dans une exposition monographique du
peintre espagnol. Il est peu frŽquent quÕun pays valorise les collections quÕil nÕa
pas et Sorolla se trouve aujourdÕhui insuffisamment reprŽsentŽ dans les musŽes
franais, anglais, allemands, belges, italiens, russes, etc. La base Joconde, qui est
le catalogue numŽrique des collections des musŽes nationaux franais, fait
appara”tre cinq rŽponses seulement : La vuelta de la pesca, La preparaci—n de la
pasa. J‡vea, et les portraits de lÕantiquaire parisien Jacques Seligmann (18581923), du critique dÕart Marcel Nicolle (1871-1934) et de lՎpouse du marchand
Henri Dequis (inc.-inc.).70 DÕautres tableaux ne sont pas rŽfŽrencŽs dans cette
base mais, malgrŽ cela, lÕensemble du fond franais reste insignifiant. Cette
situation est paradoxale quand on songe au parcours du peintre mais il faut se
souvenir quՈ Paris la clientle Žtait cosmopolite. Pour le reste de lÕEurope, on a
vu que ses expositions allemandes et anglaises furent deux dŽsastres commerciaux
puisquÕil ne vendit quasiment rien et, ˆ lÕexception du MusŽe Zorn, aucune
68.
69.
70.
Ram—n Sanch’s, ÒEbay Ç cuelga È un SorollaÓ, http://www.lasprovincias.es/, 9/04/2008.
Natividad Pulido, ÒCultura busca un espacio anexo al Museo Sorolla para su ampliaci—nÓ,
ABC, Madrid, 12/08/1999. Ç Il manque une grande rŽtrospective ˆ Madrid, Paris et
Londres, qui achverait dՎlever Sorolla au rang de peintre universel. CÕest un dŽfi de
lÕEurope. È
La vuelta de la pesca, 265x325, Paris, MusŽe dÕOrsay, 1894. La preparaci—n de la pasa.
J‡vea, 195x140, Pau, MusŽe des Beaux-Arts, 1901. Retrato de Jacques Seligmann,
150x108, Castres, MusŽe Goya, 1911. Retrato de Marcel Nicolle, 48x58, Rouen, MusŽe
des Beaux-Arts, sans date. Retrato de la se–or Dequis, 73x93, Bordeaux, MusŽe des
Beaux-Arts, 1913. La base Joconde est consutable ˆ lÕadresse suivante :
http://www.culture.gouv.fr/public/mistral/joconde_fr .
V. Sorolla et lÕEspagne dŽmocratique : 1975-2009
268
institution ne prit le parti de monter une exposition du peintre espagnol. En
revanche, deux expositions prŽparŽes et financŽes en Espagne furent exportŽes
vers le nord de lÕEurope.
En 2002, le Wallraf Richartz Museum de Cologne accueille Sorolla
paisajista, une exposition itinŽrante du MusŽe Sorolla qui circulait en Espagne
depuis prs de deux ans.71 Puis, en 2006, le Petit Palais de Paris, qui a rŽcemment
ouvert ses portes au public aprs quatre ans et demi dÕune rŽnovation complte,
installe dans ses salles lÕexposition du MusŽe Thyssen Bornemisza Sargent y
Sorolla.72 Le Petit Palais avait ŽtŽ construit pour lÕExposition Universelle de
1900, un cadre dÕautant plus appropriŽ que Sargent et Sorolla y avaient alors ŽtŽ
rŽcompensŽs ensemble par un Grand Prix. Mme si lÕexposition prŽparŽe par le
MusŽe Thyssen Bornemisza est bien accueillie en France, cette expŽrience ne se
renouvellera pas. Ë ce jour, la redŽcouverte de Sorolla en Europe reste ˆ faire. La
dispersion de son Ïuvre lÕaurait probablement facilitŽe car, de fait, cette t‰che est
aujourdÕhui entirement dŽvolue aux institutions espagnoles. Avec la crise
Žconomique et bancaire qui a frappŽ le pays en 2008, elles ne disposent plus
aujourdÕhui des moyens nŽcessaires pour assumer seules autant de projets
internationaux que par le passŽ. NŽanmoins, et comme une consŽquence positive
du travail rŽalisŽ, la Fondation de lÕHermitage de Lausanne vient de monter une
exposition largement consacrŽe au peintre de Valence : El Modernismo de Sorolla
a Picasso, 1880-1918.73 Sorolla appara”t aujourdÕhui comme le peintre le plus
important de sa gŽnŽration et cÕest pourquoi cÕest autour de lui que lÕexposition
est b‰tie. Elle prŽsente un ensemble trs variŽ parmi lequel on retrouve des
portraits mais aussi des scnes de plage et de jardin provenant principalement de
collections privŽes europŽennes. Plus rŽcemment, le 17 mars 2012, la premire
exposition rŽtrospective italienne de son Ïuvre, Sorolla. Giardini di luce Ð
ÒJardins de lumireÓ Ð a ouvert ses portes ˆ Ferrara.74
Il nous reste ˆ Žvoquer lÕexposition Visiones de Espa–a qui est le point
dÕorgue de cette pŽriode car, pour la premire fois de son histoire, le dŽcor de
71.
72.
73.
74.
Anonyme, ÒLa calidez de Sorolla se ver‡ en AlemaniaÓ, Metro Directo, Madrid,
4/09/2001. Unter Spaniens Sonne. Landschaften von Joaqu’n Sorolla (1863-1923),
Cologne, 2002.
Sargent et Sorolla. Peintres de la lumire, Paris, 2006.
El Modernismo de Sorolla a Picasso 1880-1918, Lausanne, 5 Continents & Fondation de
lÕHermitage, 2011.
Sorolla. Giardini di luce, Ferrara, Comune di Ferrara, 2012.
V. Sorolla et lÕEspagne dŽmocratique : 1975-2009
269
lÕHispanic Society allait tre entirement dŽmontŽ, restaurŽ et prŽsentŽ en
Espagne en 2007. Mais avant cela, il convient de se demander dans quelle mesure
la perception de Sorolla a changŽ depuis 1994. Certes, le peintre appara”t
aujourdÕhui dans une complexitŽ et une modernitŽ quÕon ne lui connaissait pas
mais, pour autant, peut-il tre, comme Ignacio Pinazo, resituŽ par les historiens de
lÕart aux prŽmices des mouvements dÕavant-garde ? Mme si la redŽcouverte de
son Ïuvre dŽpasse de loin toutes les attentes, elle ne balaie pas un sicle de
rŽception critique et les institutions espagnoles ne sont pas encore prtes ˆ
associer Sorolla aux Avant-gardes. On a vu que, par le passŽ, les deux choses ont
continuellement ŽtŽ opposŽes par les communautŽs dÕinterprŽtation successives
selon un schŽma figŽ : ˆ Sorolla la tradition et aux Avant-gardes, lÕinnovation.
Mais on pourrait imaginer que ces barrires soient prochainement levŽes et que,
par exemple, une exposition comparative des Ïuvres de Sorolla et dÕEquipo
Cr—nica voie le jour en Espagne. Elle pourrait sÕarticuler autour du rapport aux
ma”tres et explorer, par exemple, la question de la citation.
Mme si, pour lÕheure, un tel projet nÕest pas encore ˆ lÕordre du jour, une
sŽlection de tableaux provenant du MusŽe Sorolla fait dŽsormais partie de la
collection permanente du nouveau MusŽe Reina Sof’a qui bŽnŽficie depuis 2005
dÕune extension dessinŽe par lÕarchitecte franais Jean Nouvel (1945). Saltando a
la Comba fut la premire Ïuvre a rejoindre les salles du musŽe dÕart
contemporain.75 En dŽpit de la loi de sŽparation des collections de 1995 qui fixe ˆ
1881, lÕannŽe de naissance de Picasso, la frontire entre ÒmodernesÓ et
ÒcontemporainsÓ, le MusŽe Reina Sof’a a fait inscrire le Valencien sur la liste des
exceptions. Voici une partie du contenu du DŽcret Royal du 17 mars 1995 :
De acuerdo con el criterio general formulado por dicha Comisi—n, se ha optado por
establecer como hito determinante de la asignaci—n de obras a uno u otro museo la
fecha del nacimiento de Pablo Picasso, cuya obra, por su reconocida genialidad y su
trascendencia m‡s all‡ de lo puramente estŽtico, pueda servir para determinar el
antes y despuŽs de la evoluci—n art’stica en los dos œltimos siglos. No obstante,
dicho criterio general queda atemperado, asimismo, de conformidad con el informe
de la Comisi—n, con la posibilidad de introducir sobre el mismo aquellas
75.
Saltando a la comba, 105x166, Madrid, MS, 1907.
V. Sorolla et lÕEspagne dŽmocratique : 1975-2009
270
excepciones que aconseje la complejidad de la creaci—n art’stica del per’odo
considerado.76
Le texte prŽvoyait donc une certaine souplesse justifiŽe par ses rŽdacteurs
par la complexitŽ des formes artistiques nŽes en Espagne, entre la Restauration et
la premire Guerre Mondiale. LÕannŽe 1881 ne saurait, de fait, constituer une
frontire Žtanche entre deux gŽnŽrations et elle doit tre comprise, sur le plan
administratif et juridique, comme un repre permettant de distinguer les
collections de lՃtat, dont la gestion est confiŽe ˆ des institutions diffŽrentes
menant des politiques distinctes. En France, cÕest lÕannŽe 1850 qui sŽpare les
collections du MusŽe du Louvre de celle du MusŽe dÕOrsay. LÕidŽe de sŽparation
des collections est forcŽment discutable et elle le fut, ˆ raison, lors de lÕexposition
Visiones de Espa–a car lÕÏuvre du Valencien se situe prŽcisŽment entre tradition
et innovation et peut figurer autant comme la fin dÕune Žcole que comme les
prŽmices dÕune autre. Sorolla a peint en 1897 un des derniers tableaux dÕhistoire,
La jura de la Constituci—n [de 1876] por la regente D–a. Mar’a Cristina, mais il a
aussi fr™lŽ avec lÕabstraction en 1910, dans ses paisajes de la Sierra Nevada. Il
peut donc, tour ˆ tour, clore le XIXme sicle espagnol et introduire le XXme.
Le directeur du MusŽe Reina Sof’a de Madrid, Manuel Borja-Villel (1957),
explique que Sorolla, autant que Zuloaga, a nourri le terreau des Avant-gardes :
Est‡ comœnmente aceptado que la Espa–a negra es moderna, y por su luminosidad
mediterr‡nea a Sorolla se le ha considerado un artista de otra Žpoca [É] Pero
tambiŽn hubo una Espa–a blanca que hay que tener en cuenta, y lo cierto es que
Zuloaga y Žl tuvieron una consideraci—n internacional, sobre todo en EE UU,
similar. Y de la confrontaci—n de ambas ideas es de donde surge Picasso y la
superaci—n de los discursos caducos por la v’a de las vanguardias.77
76.
77.
DŽcret
Royal
n¡410/1995
consultable
en
ligne
ˆ
lÕadresse :
http://www.boe.es/aeboe/consultas/bases_datos/ Ç ConformŽment ˆ lÕavis gŽnŽral
exprimŽ au sein de cette Commission, nous avons dŽcidŽ de fixer comme repre pour
lÕattribution des Ïuvres ˆ tel ou tel musŽe, la date de naissance de Pablo Picasso, dont
lÕÏuvre, par son gŽnie reconnu et son importance au-delˆ du critre purement esthŽtique,
peut servir ˆ dŽterminer un avant et un aprs de lՎvolution artistique des deux derniers
sicles. Cependant, ce critre gŽnŽral reste modulable, car, en accord avec le rapport de la
Commission, il existe une possiblitŽ dÕy introduire des exceptions dues ˆ la complexitŽ de
la crŽation artistique de la pŽriode considŽrŽe. È
Iker Seisdedos, ÒJoaqu’n Sorolla tambiŽn tiene cabida en el nuevo Reina Sof’aÓ,
http://www.elpa’s.com, 9/05/2009. Ç Il est communŽment admis que lÕEspagne noire est
moderne, et quÕen raison de sa lumire mŽditerrannŽenne, on a considŽrŽ Sorolla comme
V. Sorolla et lÕEspagne dŽmocratique : 1975-2009
271
Il faut imaginer que lÕintŽrt de ce musŽe dÕart contemporain est aussi
Žconomique car Sorolla est aujourdÕhui un formidable Òproduit dÕappelÓ. Le
MusŽe du Prado vient dÕadresser dÕailleurs au ministre de la Culture une
demande visant ˆ augmenter la reprŽsentation du peintre parmi sa collection.78
78.
un artiste dÕune autre Žpoque [É] Mais il y a eu aussi une Espagne blanche quÕil faut
prendre en compte et, ce qui est certain, cÕest que Zuloaga et lui ont joui dÕune
reconnaissance internationale comparable, surtout aux ƒtats-Unis. Et cÕest de la
confrontation de ces deux tendances que Picasso voit le jour et que les discours caduques
sont alors supplantŽs par les Avant-gardes. È
Ibidem.
V. Sorolla et lÕEspagne dŽmocratique : 1975-2009
272
V.3. ÒSOROLLAMANêAÓ
Pour dŽsigner lÕengouement soulevŽ par lÕexposition itinŽrante Visiones de
Espa–a qui circule en Espagne durant un peu plus de deux ans, du 7 novembre
2007 au 18 janvier 2010, une journaliste de Vogue invente le nŽologisme
Òsorollaman’aÓ qui est ensuite suffisamment repris pour devenir une dŽsignation
admise.79 Le terme fait Žcho ˆ la Òbeatleman’aÓ qui sÕest emparŽe des jeunes
Madrilnes les 2 et 3 juillet 1965, lors des deux seuls concerts espagnols de la
tournŽe du groupe.80 Visiones de Espa–a reste ˆ ce jour lÕexposition la plus visitŽe
de lÕhistoire de lÕEspagne puisquÕun peu plus de deux millions de personnes en
ont franchi les portiques. Un Žcran digital faisait appara”tre en direct la
progression vertigineuse dÕun nombre qui arrta sa course ˆ 2.034.784 entrŽes. Ce
nombre ˆ sept chiffres dŽpasse de trs loin les rŽsultats de la rŽtrospective
VŽlasquez organisŽe par le MusŽe du Prado en 1998 qui avait enregistrŽ environ
six cent mille entrŽes et Žtait jusque-lˆ le record en la matire.81 Selon le magazine
Vogue, Sorolla conna”t, ˆ titre posthume, un succs comparable aux plus grandes
stars internationales ! En aožt 2009, le journal El Pa’s prŽtend, non sans ironie,
que lՎcho mŽdiatique de lÕexposition a ŽclipsŽ le concert de la chanteuse
amŽricaine Madonna (1958) : Ç En Madrid la estrella de este verano est‡ siendo
sin ninguna duda Joaqu’n Sorolla, mucho m‡s que Madonna, que pas— por aqu’ a
dar un concierto y a ver el Museo del Prado y al final se hablaba m‡s de la visita
al museo que de la actuaci—n. È82 La pŽriode de Òsorollaman’aÓ est ˆ la fois courte
mais trs dense car, comme jamais auparavant, lÕÏuvre du Valencien occupe le
calendrier des ŽvŽnements culturels du pays.
Visiones de Espa–a est, ˆ plusieurs Žgards, une exposition hors du commun.
DÕabord, contrairement ˆ lÕusage selon lequel les musŽes organisent les
expositions avec lÕappui financier dÕentitŽs publiques et / ou privŽes, lÕexposition
79.
80.
81.
82.
M. C., ÒSorollaman’aÓ, http://www.vogue.es/, Madrid, 06/2009.
Juan Luis Calleja, ÒComo catecumenosÓ, ABC, Madrid, 3/07/1965.
M. L., ÒBancaja idea nueva disposici—n y t’tulo para el regreso de las obras a ValenciaÓ,
http://www.lasprovincias.es/, Valence, 24/06/2009.
Clara S‡nchez, ÒSorolla, Madonna, tapasÓ, http://www.elpa’s.com, Madrid, 30/08/2009.
Ç Ë Madrid, la star de lՎtŽ est certainement en passe de devenir Joaqu’n Sorolla, loin
devant Madonna, qui a fait Žtape par ici pour donner un concert et visiter le MusŽe du
Prado et, en fin de compte, la visite du musŽe fut davantage commentŽe que sa
prestation. È
V. Sorolla et lÕEspagne dŽmocratique : 1975-2009
273
est entirement prŽparŽe et financŽe par la fondation culturelle de la caisse
dՎpargne valencienne Bancaja. Pour mettre sur pied une exposition itinŽrante,
lÕentreprise Žtablit ensuite des conventions avec cinq des plus grands musŽes du
pays : les musŽes des Beaux-Arts de SŽville et de Bilbao, les musŽes dÕArt
Contemporain de Malaga et de Barcelone ainsi que le MusŽe National du Prado
de Madrid. Sa prŽparation sՎtend sur plusieurs annŽes et cÕest pourquoi il
convient de remonter un peu en arrire pour revenir ˆ son point de dŽpart.
Au mois de juin 2005, JosŽ Luis Olivas, prŽsident de Bancaja, se rend ˆ
New York pour signer lÕaccord autorisant la prŽsentation en Espagne du dŽcor de
lÕHispanic Society. Outre une indemnisation dÕun million dÕeuros versŽe au
musŽe amŽricain, le cožt logistique de lÕopŽration est estimŽ ˆ deux millions et
demi dÕeuros. Il comprend le dŽmontage des panneaux, leur restauration
complte, les transports routier et aŽrien, leur sŽcuritŽ, etc. Par ailleurs, les
quatorze toiles sont assurŽes pour un montant de cent millions de dollars.83 En
rŽalisant un investissement aussi important, la banque poursuit plusieurs objectifs
mme si, dans un exercice de communication bien rodŽ, JosŽ Luis Olivas Žvoque
que sa raison dՐtre premire concerne lÕimage de la marque Bancaja auprs de
ses partenaires et de ses clients :
Creo que hay poca tradici—n en las instituciones culturales; existe cierto complejo
para reconocer a los patrocinios con la misma naturalidad que se aceptan.
L—gicamente, al patrocinador hay que darle la repercusi—n que merece. Entre la
inversi—n que hace y la compensaci—n de imagen debe haber correspondencia. En
otros lugares se ve como algo muy natural. La imagen se traduce en reputaci—n,
prestigio, confianza, que en el mundo financiero y empresarial tienen gran
importancia.84
83.
84.
Carlos Aimeur, ÒLas exposici—n de los sorollas de la Hispanic Society costar‡ 2,5
millonesÓ, El Mundo, Valence, 8/06/2005.
Jesœs Garc’a Calero, ÒJosŽ Luis Olivas: En Espa–a hay cierto complejo en reconocer los
patrociniosÓ, http://www.abc.es/, Madrid, 4/06/2009. Ç Je crois que lÕusage est peu
rŽpandu parmi les institutions culturelles ; il existe un certain complexe ˆ reconna”tre
lÕidŽe de patronnage aussi facilement quÕelle est acceptŽe. Logiquement, il faut donner au
parrain la rŽpercussion quÕil mŽrite. Entre lÕinvestissement quÕil rŽalise et la
compensation en matire dÕimage, il doit y avoir une Žquivalence. Dans dÕautres pays, on
peroit cela comme quelque chose de trs naturel. LÕimage se transforme en rŽputation,
en prestige, en confiance, ce qui, dans le monde de la finance et de lÕentreprise, est dÕune
grande importance. È
V. Sorolla et lÕEspagne dŽmocratique : 1975-2009
274
Outre cet argument, lÕexposition Visiones de Espa–a peut tre comparŽe ˆ
une gigantesque campagne de publicitŽ ˆ lՎchelle nationale. Sur le plan local, elle
est censŽe faire conna”tre le nouveau sige valencien de la Fondation Bancaja
puisque lÕexposition y sera inaugurŽe en grande pompe.85 Ensuite, il faut rappeler
que la caisse dՎpargne possde dŽjˆ quatorze tableaux du ma”tre et que, en
investissant dans la promotion et la diffusion de lÕÏuvre du Valencien, elle fait
augmenter en mme temps la valeur de sa propre collection.86 LÕart constitue un
placement sžr qui peut conna”tre dÕimportantes plus-values et rarement lÕinverse.
Les grandes entreprises espagnoles et les banques, bien sžr, possdent des
collections dÕart. Aussi vrai quÕil convient de diversifier un portefeuille boursier
pour limiter les risques, les entreprises rŽunissent des collections gŽnŽralistes.
Mais en la matire, une collection cohŽrente a plus de valeur que des tableaux
isolŽs. Pour ces deux raisons, Bancaja oriente ses acquisitons autour de deux
axes valenciens : lÕÏuvre du peintre Sorolla et, un sujet historique : lÕexpulsion
des morisques en 1609. En dehors de ces deux fonds, elle possde principalement
des Ïuvres de peintres rŽgionaux. Elle a rŽuni Žgalement une collection de
sculpture valencienne contemporaine qui comprend des Ïuvres de Manuel Boix
Alv‡rez (1942), Vicente Mart’nez Gonz‡lez (inc.), Pedro PŽrez Boy (inc.) et
Adolfo Siurana (1970).
Le lien entre Visi—n de Espa–a et une partie de sa propre collection nÕest
quÕun des aspects de lÕinvestissement rŽalisŽ par Bancaja. LÕentreprise mise sur la
rentabilitŽ du projet en prŽvoyant de dŽpasser les rŽsultats atteints par lÕexposition
archŽologique Guerreros del XiÕan qui a attirŽe en 2005, lors de sa prŽsentation ˆ
Valence, environ deux cent quarante mille visiteurs et restait la plus visitŽe de
lÕhistoire de la ville. Pour cela, Bancaja prŽvoit dŽjˆ ˆ court terme les retombŽes
financires des entrŽes payantes et les ventes des produits dŽrivŽs, en particulier
du catalogue, qui est dÕabord tirŽ ˆ trente-sept mille exemplaires. Les recettes
dŽpasseront largement toutes les prŽvisions et lÕinvestissement sÕavŽrera trs
85.
86.
Charo Ramos, ÒEn la capilla sixtina de Espa–aÓ, http://www.diariodesevilla.es/, SŽville,
27/05/2008.
Fundaci—n Bancaja de Valence : Cabeza de ni–a con flores, 45x29Õ3, sans date. Monja en
oraci—n, 81x61, 1883. Retrato de una dama, 39x33, 1883. Do–a Enriqueta Garc’a,
63x54, 1890. Barca, 34x45, 1895. Triste herencia, 212x288, 1899. Arrastre del bou,
Valencia, 21x33, 1903. Barcas de pesca, 21x33, 1903. Playa de Biarritz, 16x22, 1906.
Oto–o en la Granja, 81x106, 1907. Al agua, 81x106, 1908. Se–oras sentadas en un banco
del Paseo de la Concha, 16x22, 1917. Figuras sentadas en la playa de San Sebasti‡n,
14Õ5x18, 1917. Horno de El Palmeral de Elche, 20x24, 1918.
V. Sorolla et lÕEspagne dŽmocratique : 1975-2009
275
rentable. Enfin, lÕinitiative doit tre reliŽe au contexte politique car il sÕinscrit sur
fond de rŽgionalisme culturel. En effet, la CommunautŽ Autonome, le Conseil
GŽnŽral et la Ville de Valence financent depuis quelques annŽes des expositions
et des projets Žditoriaux visant ˆ promouvoir les artistes rŽgionaux avec en ligne
de mire la consolidation dÕune identitŽ culturelle rŽgionale. Pour lÕhistorien Felipe
Gar’n, Sorolla est un symbole de la ÒvalencianidadÓ, lÕidentitŽ valencienne.87
En janvier 2007, la CommunautŽ Autonome de Valence prŽsidŽe par le
conservateur Francisco Camps (1962), du Parti Populaire, fait lÕacquisition de
deux cent soixante quinze lettres inŽdites Žcrites par Sorolla et adressŽes ˆ son ami
Pedro Gil Moreno de Mora.88 Il sÕagit dÕun fond trs prŽcieux car les deux
hommes Žtaient amis de longue date et sՎcrivaient trs rŽgulirement en abordant
aussi bien des sujets dÕordre privŽ que des questions artistiques. Gil avait ŽtŽ
peintre dans sa jeunesse et cÕest ˆ lÕAcadŽmie Espagnole ˆ Rome que les deux
hommes sՎtaient connus, ainsi que cela a dŽjˆ ŽtŽ mentionnŽ. Mais il sՎtablit
ensuite ˆ Paris et devint banquier. Il conseilla notamment son ami dans la gestion
de son patrimoine, en lÕorientant vers tel ou tel placement. La premire lettre est
trs ancienne puisquÕelle est datŽe de 1886 et nous renvoie donc au sŽjour romain
des deux garons. La dernire est un courrier de 1953, de Mar’a Clotilde Sorolla ˆ
JosŽ Pedro Gil, car les enfants des deux familles restent en contact bien aprs la
mort de leurs pres respectifs89. La collection complte des courriers ŽchangŽs est
portŽe ˆ la connaissance du public ˆ travers une exposition organisŽe au MusŽe
San P’o V, qui est inaugurŽe le 25 mars, puis par la publication du premier
volume dÕun programme Žditorial ambitieux : Epistolarios de Sorolla.90 Le projet
vise ˆ mettre le contenu de ces lettres ˆ la disposition du public, en particulier des
chercheurs. Le premier tome est suivi en 2008 et en 2009 par la sortie de deux
volumes contenant les lettres ŽchangŽes entre Sorolla et son Žpouse. Plus de mille
lettres comprises entre 1891 et 1919 sont aujourdÕhui conservŽes au MusŽe
Sorolla et dŽsormais accessibles au plus grand nombre gr‰ce ˆ ces deux volumes.
87.
88.
89.
90.
Anonyme, ÒGar’n asegura que Sorolla es un s’mbolo por antonomasia de la
valencianidadÓ, http://www.panorama-actual.es/, Barcelone, 4/10/2007.
Anonyme, ÒLa Generalitat valenciana adquiere por 300.000 euros unas 300 cartas inŽditas
de SorollaÉÓ, http://www.actualidad.terra.es/, Madrid, 9/01/2007.
Facundo Tom‡s, Felipe Gar’n, Isabel Justo et Sof’a Barr—n, Epistolarios de Joaqu’n
Sorolla, I. Correspondencia con Pedro Gil Moreno de Mora, Barcelone, Anthropos,
2007, pages 53-376.
Marta Moreira, ÒEl epistolario inŽdito de Sorolla revela a un pintor apasionado y
familiarÓ, ABC, Madrid, 27/03/2008.
V. Sorolla et lÕEspagne dŽmocratique : 1975-2009
276
En raison des nombreux voyages du peintre, le couple correspondait presque
quotidiennement, si bien que cette documentation reprŽsente une mine
dÕinformations sur la vie quotidienne de lÕartiste.91 Ce fonds Žtait restŽ jusque-lˆ
confidentiel car les descendants nՎtaient pas prts ˆ rendre public des archives
familiales traitant de questions quÕils jugeaient privŽes. Le prochain volume de la
collection pourrait contenir la correspondance entre Sorolla et les artistes.92
Quelques semaines avant les Žlections rŽgionales de mai 2007, la crŽation
dÕun centre dÕexposition et / ou de recherches dŽdiŽ ˆ Sorolla est une des
promesses du candidat du Parti Populaire valencien (PPCV), Francisco Camps. Sa
vocation nÕest cependant pas dŽterminŽe avec prŽcision car, sans collection, ce
centre serait nŽcessairement amputŽ de son volet musŽal et donc cantonnŽ ˆ des
missions dՎtude et de recherche. Mme si les contours de ce projet demeurent
alors trs flous, le candidat annonce en avril que, sÕil est rŽŽlu, cette institution
verra le jour dans lÕancien couvent San Vicent de la Roqueta.93 Un journaliste
estime que la ville recevra enfin son ÒMusŽe SorollaÓ quÕelle attend depuis si
longtemps et que cela mettra un terme ˆ la ÒdiasporaÓ (sic) de la collection
valencienne qui se trouve toujours dissŽminŽe dans plusieurs institutions
publiques.94 Or, les rŽunir est une gageure qui a dŽjˆ ŽtŽ tentŽe maintes fois par le
passŽ et qui sÕest toujours soldŽe par des Žchecs.
Le 27 mai 2007, le PPCV remporte les Žlections et le prŽsident du
Gouvernement Autonome est rŽŽlu ; un Institut Joaqu’n Sorolla dՎtude et de
recherches Ð Instituci—n Joaqu’n Sorolla de Investigaci—n y Estudios Ð voit le jour
au printemps 2010 ˆ lÕintŽrieur dÕun autre Ždifice, un ancien couvent carmŽlite qui
est une annexe du MusŽe des Beaux-Arts de Valence, le Centre El Carmen. Mais
non seulement il ne dispose pas du moindre tableau mais son budget est bien en
deˆ des ambitions affichŽes lors de la campagne.95 La CommunautŽ Autonome
de Valence est alors la rŽgion la plus endettŽe dÕEspagne en raison de la gestion
des dirigeants rŽgionaux du Parti Populaire qui ont entrepris, sur une pŽriode trs
91.
92.
93.
94.
95.
Epistolarios de Joaqu’n Sorolla. Correspondencia con Clotilde Garc’a del Castillo,
Barcelone, Anthropos, 2008, 2 tomes.
Alfonso Garc’a Valencia, ÒEl epistolario privado de Sorolla revelaÉÓ, http://www
.levante-emv.com, Valence, 2/07/2009.
Anonyme, ÒCamps anuncia la pr—xima creaci—n del Centro Sorolla en un convento de
ValenciaÓ, http://www.lavanguardia.es/, Barcelone,13/04/2007.
A.B., ÒEl genio de la luz, en ArrancapinsÓ, El Mundo, Madrid, 23/08/2007.
Alfonso Garc’a Valencia, ÒEl Centro Sorolla queda reducido a un instituto de
investigaci—n de 72m2Ó, http://www .levante-emv.com, Valence, 20/10/2009.
V. Sorolla et lÕEspagne dŽmocratique : 1975-2009
277
courte, des projets faramineux. Des statistiques publiŽes par la Banque dÕEspagne
sont
consultables
sur
son
site
internet
ˆ
lÕadresse
http://www.bde.es/webbde/es/estadis/infoest/a1310.pdf . Ces chiffres montrent
que cet endettement Žtait plus de deux fois supŽrieur ˆ la moyenne des autres
rŽgions en 2007.96 Valence est alors la rŽgion la plus endettŽe devant la
Catalogne, la Galice et les BalŽares. La rŽgion la moins endettŽe en 2007 est le
Pays Basque. La dette valencienne progressa ensuite de faon vertigineuse
puisquÕelle est quasiment multipliŽe par deux entre 2007 et 2011. On verra plus
avant sous quelle forme lÕInstitut Joaqu’n Sorolla se prŽsente aujourdÕhui et
quelles sont ses compŽtences et son champ dÕaction.
LÕintŽrt du Parti Populaire de Valence pour le peintre de La Malvarrosa
mŽrite dՐtre dŽcryptŽ. En effet, il sÕinscrit ˆ la fois dans lÕhistoire rŽcente de la
droite, en particulier parce que Sorolla a ŽtŽ rŽhabilitŽ par le rŽgime franquiste,
mais aussi ˆ lÕintŽrieur dÕun certain ÒvalencianismeÓ conservateur. Il faut se
souvenir que le pote Teodoro Llorente qui, au XIXme sicle, dŽfendait la langue,
le patrimoine et la culture valenciennes, Žtait un Žlu conservateur. Le Òsentiment
rŽgionalÓ est aussi une valeur historique de la droite valencienne. DÕun autre point
de vue, lÕacquisition dÕune importante collection de correspondance comme la
crŽation de cet Institut ne doivent pas tre sŽparŽes des visŽes Žlectoralistes du
Parti Populaire car, ainsi que cela a ŽtŽ dŽveloppŽ dans un autre chapitre, le
citoyen dÕhonneur de la ville a continuŽ ˆ jouir, dans sa ville dÕorigine, dÕune
indŽfectible popularitŽ parmi toutes les couches de la population. La crŽation dÕun
MusŽe Sorolla de Valence est, nous le savons, une aspiration ancienne qui nÕa
jamais abouti, de sorte que la promesse Žlectorale de Camps est taillŽe pour
rassembler au-delˆ des clivages politiques. Les chiffres de frŽquentation des
expositions monographiques de la peinture de Sorolla organisŽes dans la ville
depuis la rŽforme du statut juridique du musŽe madrilne continuent ˆ dŽmontrer
que le peintre compte pour les Valenciens et lÕexposition Visiones de Espa–a va
bient™t le confirmer.
La restauration des quatorze panneaux, ˆ New York, prend fin en mai 2007
et ils sont acheminŽs en Espagne le 30 septembre ˆ bord dÕun boeing 747 affrŽtŽ
96.
Statistiques de lÕendettement publique. Tableau n¡13.10.
V. Sorolla et lÕEspagne dŽmocratique : 1975-2009
278
pour lÕoccasion.97 Le 7 novembre, lÕexposition Visiones de Espa–a est inaugurŽe
par le couple princier dans les salles de la Fondation Bancaja. PrŽsentŽe jusquÕau
31 mars de lÕannŽe suivante, elle attire plus de quatre cent mille visiteurs en cent
quarante-cinq jours, soit prs de tois mille visiteurs par jour !98 Pour comprendre
ce succs, il convient de rappeler que, tout comme les fonds du MusŽe Sorolla, le
dŽcor de lÕHispanic Society ne pouvait pas sortir des murs de lÕinstitution pour
des raisons juridiques, auxquelles sÕajoutaient dՎvidentes contraintes techniques
et matŽrielles. Si bien que, quand cet obstacle fut dŽpassŽ et que le prt des
collections fut vŽrifiŽ, la nouvelle dŽclencha un emballement mŽdiatique. La
communication autour de lՎvŽnement est axŽe autour de deux messages
simples, en direction du grand public : lÕexposition est inŽdite et a, de surcro”t,
peu de chance de se renouveler. Elle est, en un mot, immanquable. Ç No creo que
nunca m‡s se desmonten los murales. È cÕest-ˆ-dire Ç je ne crois pas que les
panneaux soient un jour redŽmontŽs. È dŽclare dans la presse locale Mitchell A.
Codding, le directeur de lÕHispanic Society.99 La petite phrase fait les gros titres le
jour de lÕinauguration et est entendue par le public, comme le montre ce microtrotoir rŽalisŽ dans les files dÕattente de lÕexposition : Ç Juande y Pamela, de 27 y
26 a–os respectivamente, pidieron el viernes pasado un d’a de permiso en sus
centros de trabajo, en Castell—n, para venir expresamente a Valencia a ver la
exposici—n porque : Es una oportunidad œnica. È100
Les messages diffusŽs par les organisateurs et relayŽs par les media sont
taillŽs pour dŽplacer les foules car ils mobilisent des rŽfŽrences connues de tous.
Visi—n de Espa–a est qualifiŽe, par exemple, de Òchapelle sixtine de lÕEspagneÓ et
prŽsentŽe comme le Òtestament artistiqueÓ de Sorolla.101 La dŽsignation est
singulire quand on songe dÕune part, que le peintre sÕattelle ˆ cette t‰che ˆ
quarante-huit ans seulement et, dÕautre part, quÕil continue ˆ peindre aprs lÕavoir
97.
98.
99.
100.
101.
Anonyme, ÒSorolla est‡ listo para volarÓ, http://www.levante-emv.com, Valence,
3/05/2007.
Paco Gisbert, ÒSorolla se va de gira por Espa–aÓ, http://www.elpais.com, Madrid,
31/03/2008.
JosŽ Aleixandre, ÒMichel Codding: ÒNo creo que nunca m‡s se desmonten los muralesÓ,
http://www.levante-emv.com, Valence, 7/11/2007.
Paco Gisbert, ÒSorolla se va de gira por Espa–aÓ, http://www.elpais.com, Madrid,
31/03/2008. Ç Juande et Pamela, ‰gŽs respectivement de 27 et 26 ans, ont demandŽ un
jour de congŽ ˆ leurs employeurs vendredi dernier, ˆ Castell—n, pour venir expressŽment ˆ
Valence dans le but de voir cette exposition parce que : CÕest une occasion unique. È
Charo Ramos, ÒEn la capilla sixtina de Espa–aÓ, http://www.diariodesevilla.es/, SŽville,
27/05/2008.
V. Sorolla et lÕEspagne dŽmocratique : 1975-2009
279
terminŽe. Quant ˆ la prŽtendue Òchapelle sixtineÓ espagnole, la comparaison vise
la frange catholique de la population dans une ville qui a accueilli depuis 2006, et
jusquÕen 2009, les Vme Rencontres Internationales de la Famille. LՎvŽnement
organisŽ et financŽ par le Vatican aborde et dŽbat de questions liŽes ˆ la
transmission de la foi au sein des familles. LÕhistorien Felipe Gar’n nÕhŽsite pas ˆ
affirmer dans les colonnes de Las Provincias : Ç El Sorolla de la Hispanic Society
es el mejor Sorolla. È102 Ç Le Sorolla de lÕHispanic Society est le meilleur
Sorolla. È De mme, on peut se demander ce que recouvre ce ÒmeilleurÓ lancŽ ici
comme une formule dÕappel. Quoi quÕil en soit, tous ces slogans font mouche et
lÕexposition attire bien au-delˆ du public habituel des musŽes.
Afin de rŽpondre ˆ la demande, la Fondation Bancaja met en place des
visites noctures, les Ònuits blanchesÓ, les vendredis et les samedis. Gr‰ce ˆ ce
dispositif, les salles restent ouvertes jusquՈ seize heures par jour ! En mme
temps, une visite virtuelle est proposŽe sur le site internet de la fondation mais,
ds le jour de sa mise en service, le nombre de connexions est tel que la page web
se trouve hors service. LÕengouement gŽnŽral crŽe un contexte trs favorable ˆ la
prŽsentation publique du tŽlŽfilm Cartas de Sorolla, le premier long mŽtrage
consacrŽ au peintre.103 Il avait ŽtŽ projetŽ en avant-premire ˆ Valence ds le
lendemain de lÕinauguration de lÕexposition. Sur la cha”ne rŽgionale Canal 9, il
sera diffusŽ plus tard en deux Žpisodes. Cette fiction pŽdagogique destinŽe au
grand public prŽsente les grandes lignes du parcours du peintre et soigne tout
particulirement la reconstitution des ambiances en essayant de coller au plus prs
des tableaux. Escriv‡ nÕen est pas ˆ sa premire fiction valencienne puisquÕil vient
dÕadapter pour la mme cha”ne le roman de Vicente Blasco Ib‡–ez, Arroz y
Tartana (2003). Le Gouvernement Autonome et le groupe audiovisuel RTVV Ð
Radiotelevisi— Valenciana Ð financent ces deux tŽlŽfilms. Pour cette raison, le
scŽnario de Cartas de Sorolla privilŽgie le lien entre le peintre et sa rŽgion et ne
manque pas de souligner son amitiŽ avec Blasco. Escriv‡ reconstitue notamment
leur rencontre sur la plage de La Malvarrosa, telle que lՎcrivain lÕa racontŽe dans
la prŽface dÕune Ždition de Flor de Mayo. En mai 2008, Cartas de Sorolla
remporte le prix du meilleur tŽlŽfilm de lÕannŽe dŽcernŽ par lÕAcadŽmie des
102.
103.
Rafa Mar’, ÒFelipe Gar’n: Ç El Sorolla de Hispanic Society es el mejor Sorolla ÈÓ,
http://www.lasprovincias.es, Valence,16/10/2007.
Marta Moreira, Ò2.000 invitados asisten al estreno del telefilme Ç Cartas de Sorolla ÈÓ,
http://www.abc.es/, Madrid, 8/11/2006. Figure n¡26. Cartas de Sorolla (2006).
V. Sorolla et lÕEspagne dŽmocratique : 1975-2009
280
Sciences et des Arts de la TŽlŽvision.104 Depuis lՎtŽ 2009, il est projetŽ une fois
par semaine au MusŽe Sorolla de Madrid dans le cadre du programme ÒNoches de
veranoÓ.
LÕexposition conna”t une belle rŽussite dans toutes les villes o elle est
prŽsentŽe, comme le montre le tableau ci-dessous :
RŽsultats de lÕexposition Visiones de Espa–a
Source : http://www.obrasocial.bancaja.es/ page consultŽe le 16/08/2011.
DurŽe en jours
Nb. dÕentrŽes
EntrŽes / j.
Valence, Centro Cultural Bancaja.
145
422.794
2916
SŽville, Museo de Bellas Artes.
68
132.292
1945,5
M‡laga, CAC.
66
161.220
2443
Bilbao, Museo de Bellas Artes.
98
154.009
1571
Barcelona, MNAC.
73
252.376
3457
Madrid, Museo Nacional del Prado.
111
459.267
4137,5
Valence, Centro Cultural Bancaja.
121
452.826
3742
681
2.034.784
2887,5
Total
Les quatorze panneaux sont prŽsentŽs ˆ Madrid ˆ compter du 26 mai 2009,
dans les nouvelles salles du MusŽe du Prado. Pour lÕoccasion, quatre-vingt-huit
tableaux supplŽmentaires sont rassemblŽs pour former ensemble une grande
rŽtrospective seulement comparable ˆ celles de 1963 et de 1989. Ils proviennent
du monde entier et, gr‰ce ˆ la collaboration dÕinstitutions et de collectionneurs
Žtrangers, des Ïuvres majeures sont pour la premire fois prŽsentŽes c™te ˆ c™te.
Le MusŽe dÕOrsay prte La vuelta de la pesca, le MusŽe des Beaux-Arts de Cuba
cde Verano et le MusŽe dÕArt Moderne CaÕPesaro de Venise se sŽpare
momentanŽment de Cosiendo la vela qui, une fois restaurŽ, rŽvle lՎclat et la
brillance de ses bleus azurs. Le chef-dÕÏuvre de la sŽrie des nageurs de J‡vea, El
104.
Anonyme, ÒEl Consell destaca el premio de la Academia de la Televisi—n a Cartas de
SorollaÓ, http://www.panorama-actual.es/, Barcelone, 3/07/2008.
V. Sorolla et lÕEspagne dŽmocratique : 1975-2009
281
bote blanco, figure aussi au catalogue de cette exposition de prestige.105 Il nÕavait
ŽtŽ exposŽ quÕune fois aux ƒtats-Unis, en 1989. On pourrait poursuivre ainsi
longuement car les cent deux tableaux inscrits au catalogue sont autant de pices
essentielles ˆ la comprŽhension de lÕÏuvre de Sorolla. Selon les besoins, quelques
toiles sont restaurŽes par les spŽcialistes du MusŽe du Prado Eva Perales (inc.) et
Luc’a Mart’nez (inc.), et rŽencadrŽes pour mieux rendre compte de leur Žtat
premier. Deux toiles retrouvent leurs cadres originels, nŽoclassiques de style
dorique.
Ë Madrid, lÕexposition est inaugurŽe par le Roi Juan Carlos I et la reine
Sof”a ainsi que le prince des Asturies et son Žpouse. Elle se traduit, comme
ailleurs, par un immense succs populaire et Žtablit une nouvelle fois des records
de frŽquentation, dŽpassant de loin la meilleure rŽfŽrence de lÕannŽe cÕest-ˆ-dire
une exposition dÕobjets vus dans la sŽrie Star Wars qui avait enregistrŽ deux cent
quatre-vingt mille entrŽes.106 Ë la fin de lÕannŽe 2009, la presse diffuse les
chiffres dÕune exposition dŽjˆ connue comme celle de tous les records.107 Les
rŽsultats de frŽquentation donnent une idŽe de lÕadhŽsion populaire au peintre de
Valence. Son nom devient une marque ˆ part entire, gŽnŽrant assez de bŽnŽfices
pour intŽresser lÕenseigne commerciale Corte InglŽs qui ouvre un point de vente
de produits dŽrivŽs : ÒRinc—n SorollaÓ.108 Prs de cent mille cartes postales, trente
mille aimants dŽcoratifs, sept cents foulards, mille cent DVD, cent cinquante
mille affiches et cinquante mille exemplaires du catalogue sont vendus en deux
ans. Celui-ci est rŽŽditŽ deux fois dans le courant de lÕexposition car les trente
sept mille exemplaires de la premire Ždition et les onze mille exemplaires
supplŽmentaires de la deuxime sÕarrachent en quelques semaines. Une telle
ferveur populaire nÕest pas le lot commun de tous les peintres et cela est mme
extrmement rare. On peut se demander pourquoi Sorolla pla”t autant
aujourdÕhui, au-delˆ du public ordinaire des musŽes dÕart ? Pour le journaliste
JosŽ Ignacio Cubero, lÕart contemporain est devenu trop conceptuel pour tre
105.
106.
107.
108.
La vuelta de la pesca, Paris, MusŽe dÕOrsay, 265x325, 1894. Verano, Cuba, MusŽe des
Beaux-Arts de La Havanne, Cosiendo la vela, Venise, MusŽe dÕArt Moderne CaÕPesaro,
1896. El bote blanco, Collection particulire, 1905.
Anonyme, ÒUn mill—n de personas con SorollaÓ, http://www.lasprovincias.com, Valence
04/2009 et E. PŽrez, ÒEl Sorolla de los rŽcordsÓ, http://www.lasprovincias.es/, Valence,
13/09/2009.
E, PŽrez, ÒEl Sorolla de los rŽcordsÓ, http://www.lasprovincias.es/, Valence, 13/09/2009.
Anonyme, ÒEl Žxito de la exposici—n de Sorolla dispara la compra de libros y art’culos
sobre el pintorÓ, http://www.europapress.es/, Madrid, 3/10/2009.
V. Sorolla et lÕEspagne dŽmocratique : 1975-2009
282
compris de tous et un fossŽ se serait creusŽ entre les masses et les artistes. La
valeur financire et la reconnaissance concŽdŽes ˆ certaines Ïuvres ne sont pas
comprises quand elles remettent en cause la valeur du travail. Dans une Espagne
accablŽe par le ch™mage, la prŽcaritŽ et la baisse du pouvoir dÕachat, la peinture
de Sorolla trouverait gr‰ce aux yeux du grand public car elle tŽmoignerait dÕun
savoir-faire hors du commun et digne dՐtre admirŽ. CÕest en cela quÕelle serait
aujourdÕhui considŽrŽe par le public comme un art vŽritable.109 Mais on peut
dŽgager dÕautres rŽponses possibles car un tel engouement obŽit, de toute
Žvidence, ˆ de nombreux critres. Tout dÕabord, on ne peut pas exclure la
dimension gŽographique de cette Ïuvre. Visi—n de Espa–a montre des territoires
variŽs et parle autant ˆ lÕAndalou quÕau Basque. Les lieux, les monuments et les
costumes sont non seulement facilement identifiables mais aussi trs Žvocateurs
puisquÕils renvoient ˆ des images prŽsentes dans lÕalbum de famille du spectateur.
Par ailleurs, en de temps de crise, la peinture lumineuse du Valencien pourrait trs
bien offrir un certain ÒrŽconfortÓ. En effet, cette ÒEspagne dÕavantÓ saine,
heureuse et insouciante, est particulirement sŽcurisante dans un tel contexte. Par
ailleurs, Visi—n de Espa–a montre lÕabondance des rŽcoltes, lÕauthenticitŽ des
produits de la terre et de lՎlevage et ces savoir-faire rŽgionaux qui ont presque
disparus dans une Espagne qui est aujourdÕhui le verger de lÕEurope. La
production mara”chre intensive est une industrie qui a sacrifiŽ depuis longtemps
la qualitŽ au profit de la productivitŽ. Visi—n de Espa–a cÕest lÕEspagne de papi,
celle ˆ laquelle on pense avec nostalgie et tendresse.
DÕun point de vue historiographique, dÕimportants enjeux accompagnent la
prŽsentation du dŽcor de lÕHispanic Society. Car la redŽcouverte rŽcente de
Sorolla a ŽtŽ guidŽe par lÕidŽe que son Ïuvre prŽsente des affinitŽs thŽmatiques et
plastiques avec des courant anti-acadŽmiques europŽens. Pour le dŽmontrer, les
spŽcialistes se sont appuyŽs sur sa peinture la plus confidentielle, cÕest-ˆ-dire celle
qui nÕa pas quittŽ son atelier. Or, Visi—n de Espa–a est prŽcisŽment le contraire,
puisquÕil sÕagit non seulement dÕun dŽcor monumental, dÕune commande privŽe
mais aussi dÕune Ïuvre ancrŽe dans le nŽo-romantisme du XIXme sicle
espagnol, le ÒcostumbrismoÓ. LÕimplication du peintre avait ŽtŽ limitŽe par les
dŽsirs de son riche client ; cÕest pourquoi Florencio de Santa-Ana continue ˆ
109.
JosŽ Ignacio Cubero, ÒSobre la pinturaÓ, abc.es, 4/08/2009.
V. Sorolla et lÕEspagne dŽmocratique : 1975-2009
283
considŽrer cette frise comme une rŽgression par rapport ˆ la peinture la plus
personnelle de lÕartiste.110 ƒvidemment, dans le contexte de lÕexposition Visiones
de Espa–a, cette lecture nÕest pas ÒcommercialeÓ et la communication autour de
lՎvŽnement est toute diffŽrente. Ds son inauguration, en 1926, le dŽcor Žtait en
dŽcalage avec les courants du moment. Il fut ensuite longtemps ignorŽ jusquՈ ce
que le franquisme lÕexhume et sÕemploie ˆ le rŽhabiliter et cela en dit assez long
sur la mauvaise image de la dernire Ïuvre de Sorolla. Il est dÕailleurs intŽressant
de consulter, ˆ titre de comparaison, les forums en ligne car la perception des
internautes nÕobŽit pas aux rgles journalistiques. LÕun dÕentre eux voit dans ce
dŽcor une Ïuvre encore trs acadŽmique : Ç A mi Sorolla em sembla un pintor
fora del deu temps, molt acadmic i venut a la burguesia dÕ lՏpoca. Quan a Paris
passaben fam o morien de febra genis com Modigliani, ell segu’a pintant
ÒmarinesÓ i eixa horrorosa y t—pica ÒVisi—n de Espa–aÓ. Preferisc el apunts de la
primera Žpoca i no aquestes pintures dÕencˆrrec. È111
Depuis notre dŽbut de XXIme sicle, la perception de Visi—n de Espa–a ne
peut tre que renouvelŽe compte tenu du cycle qui vient de sÕachever mais aussi
du contexte politique, Žconomique et social de lÕEspagne. Sous le franquisme, elle
symbolise lÕunitŽ nationale et lÕHispanitŽ. CÕest en ces termes quÕelle avait ŽtŽ
commentŽe en 1944, lorsque la premire rŽtrospective de lÕÏuvre de Sorolla avait
dŽvoilŽ quelques Žbauches du panneau castillan La fiesta del pan. Mais
lÕexposition Visiones de Espa–a voit le jour dans des conditions trs diffŽrentes de
celle de 1944 puisque le projet est entirement privŽ et se superpose, par ailleurs,
ˆ la politique culturelle rŽgionaliste conduite par les autoritŽs valenciennes. Dans
ce contexte, la nouvelle lecture de cette Ïuvre en quatorze parties est
diamŽtralement opposŽe ˆ lÕancienne. La forme mme de lÕÏuvre est prŽsentŽe
sous un autre angle car, si les provinces se trouvent, de fait, associŽes les unes aux
autres, les panneaux sont bien sŽparŽs et ne forment pas une frise continue mais
plut™t une mosa•que de panneaux autonomes et solidaires comme le sont les
rŽgions dÕEspagne ˆ lÕintŽrieur du systme des autonomies tel quÕil est dŽfini dans
110.
111.
JosŽ Luis Plaza, ÒSorolla fue tan personal que no tuvo disc’pulosÓ, En Libertad, [?],
31/05/2008.
Anonyme, ÒOtro hito para Joaqu’n SorollaÓ, levante-emv.com, 5/09/2009. Ç Selon moi,
Sorolla mÕappara”t comme un peintre hors du temps, trs acadŽmique et vendu ˆ la
bourgeoisie de lՎpoque. Tandis quՈ Paris des gŽnies comme Modigliani mouraient de
faim, lui continuait ˆ peindre des ÒmarinesÓ et cette affreuse et stŽrŽotypŽe ÒVisi—n de
Espa–aÓ. Je prŽfre ses pochades de la premire Žpoque ˆ ces peintures commandŽes. È
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284
lÕarticle 2 de la constitution de 1978 : Ç La Constituci—n se fundamenta en la
indisoluble unidad de la Naci—n espa–ola, patria comœn e indivisible de todos los
espa–oles, y reconoce y garantiza el derecho a la autonom’a de las nacionalidades
y regiones que la integran y la solidaridad entre todas ellas. È112 Tout est une
question de point de vue. Dans un journal en ligne de Cadix, le conservateur de
lÕHispanic Society Marcus Burke (inc.) affirme que le dŽcor a une valeur
prophŽtique puisquÕil aurait anticipŽ le ÒfŽdŽralisme moderneÓ :
En un tiempo estos magn’ficos cuadros se desapreciaron por ser tur’sticos, pero hoy
en d’a, con una Espa–a regionalizada dentro de un Europa igualmente reconocida de
valores locales, la visi—n art’stica de Sorolla nos parece no solamente moderna, sino
profŽtica. Si el federalismo moderno tuviera una ciudad vaticana, Las Regiones de
Espa–a ser’a su Capilla Sixtina. La serie nos permite, casi un siglo despuŽs de su
creaci—n, saber lo que era Espa–a y lo que ha llegado a ser.113
Ë la fin de ce passage, lÕintellectuel amŽricain parle dÕun tŽmoignage de
lÕEspagne de lՎpoque comme si Visi—n de Espa–a avait la valeur dÕun document
historique. Un journaliste considre que, en recueillant sur la toile les
physionomies et les costumes des rŽgions, le peintre a suivi une dŽmarche
anthropologique avant lÕheure.114 Hormis Castilla. La fiesta del pan, tous les
panneaux ont ŽtŽ peints directement sur le motif. Pour cette raison, ˆ la manire
dÕun relevŽ, ils peuvent revtir un caractre ethnographique. AujourdÕhui, la frise
des provinces peut difficilement tre lue sous le seul angle valencianiste, car cela
serait un non-sens. Il faut se souvenir que, par le passŽ, les rŽpublicains ne
rŽduisaient pas le peintre ˆ sa dimension nationale et prŽfŽraient lՎlever ˆ une
dimension internationale quÕils dŽsignaient, selon une formule rebattue, comme
112.
113.
114.
http://www.lamoncloa.gob.es/ Ç La Constitution repose sur le principe de lÕunitŽ
indissoluble de la Nation espagnole, patrie commune et indivisible de tous les Espagnols.
Elle reconna”t et garantit le droit ˆ lÕautonomie des nationalitŽs et des rŽgions qui la
composent ainsi que la solidaritŽ entre elles. È
Marcus Burke, ÒLa capilla sextina del regionalismo espa–olÓ, http://www.lavozdigital.es/,
Cadix, 21/12/2008. Ç Ë une autre Žpoque, ces superbes tableaux ont perdu de leur valeur
pour avoir ŽtŽ jugŽs touristiques. Mais de nos jours, dans une Espagne des rŽgions ˆ
lÕintŽrieur dÕune Europe qui, de mme, reconna”t les particularismes locaux, la vision
artistique de Sorolla nous semble non seulement moderne, mais aussi prophŽtique. Si le
fŽdŽralisme moderne avait un Saint Sige, les RŽgions dÕEspagne en seraient la Chapelle
Sixtine. La sŽrie nous permet de savoir, presque un sicle aprs sa crŽation, ce quՎtait
lÕEspagne et ce quÕelle est devenue. È
Enrique Casta–os AlŽs, ÒUna cierta idea de Espa–aÓ, http://www.sur.es/, Malaga,
5/09/2008.
V. Sorolla et lÕEspagne dŽmocratique : 1975-2009
285
universelle. CÕest justement la mme notion dÕuniversalitŽ qui se trouve au cÏur
de la rŽception de Visi—n de Espa–a entre 2007 et 2009. Le site internet
granadahoy.com titre prŽcisŽment : ÒEl Sorolla m‡s universalÓ.115 La frise est
perue comme universelle ˆ plus dÕun titre. Tout dÕabord, lÕimage est un langage
universel. Ensuite, les thmes choisis sont ˆ la portŽe du plus grand nombre car le
travail Ð agriculture, pche et Žlevage Ð le commerce, la religion, la tradition, la
fte, le spectacle et le jeu font partie de la culture de toutes les communautŽs
humaines. Le dŽcor montre des ŽvŽnements marquants de la vie des hommes. Par
exemple, dans le panneau consacrŽ ˆ la Castille le mariage est ŽvoquŽ par la jeune
fille qui arbore la robe de mariŽe de Salamanque. Par ailleurs, lÕÏuvre est
universelle parce quÕelle ne cite pas dՎvŽnements nationaux, contrairement ˆ la
peinture dÕhistoire ou, en littŽrature, aux ƒpisodes nationaux de Benito PŽrez
Gald—s, dont la rŽception sÕest limitŽe ˆ lÕEspagne. Enfin, parce quÕelle est
installŽe dans une ville aussi cosmopolite que New York et que cela lui confre
une dimension transnationale.116
Cette nouvelle lecture de Visi—n de Espa–a mŽrite dՐtre replacŽe dans le
prolongement de la transformation de la ville de Valence dans les annŽes quatrevingt-dix et deux mille et sa nouvelle dimension de p™le cosmopolite, ouvert sur
le monde. En effet, lÕinternationalisme et lÕinterculturalisme dŽcelŽs dans la
dernire commande de Sorolla sont des valeurs qui correspondent ˆ cette ville qui
se trouve alors dans une phase Žmergente et rayonne au plus haut niveau mondial
sur les plans Žconomique, infrastructurel, culturel, sportif, etc. Citons, par
exemple, lÕinauguration en 2010 dÕune nouvelle gare ferroviaire ultra moderne,
baptisŽe prŽcisŽment Joaqu’n Sorolla. En 2005, le Palais des Arts Reina Sof’a est
inaugurŽ ˆ lÕintŽrieur de la CitŽ des Arts et des Sciences. La ville accueille en
2007 et en 2010 deux Žditions de lÕAmericanÕs Cup, une course ˆ la voile de
lŽgende puisquÕil sÕagit dÕun des plus vieux trophŽes sportifs au monde. Enfin,
depuis 2008, un Grand Prix de formule 1 emprunte un circuit urbain tracŽ dans le
quartier maritime. Le gigantisme, ˆ la fois du dŽcor de lÕHispanic Society et de
lÕexposition elle-mme, colle ˆ une stratŽgie politique de la dŽmesure qui prendra
fin avec la crise Žconomique de 2008 et se soldera par un endettement exorbitant.
115.
116.
Bernardo Palomo, ÒEl Sorolla m‡s universalÓ, http://www.granadahoy.com, Grenade,
16/06/2008.
Bernardo Palomo, ÒEl Sorolla m‡s universalÓ, http://www.granadahoy.com,
Grenade,16/06/2008.
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286
LÕexposition quitte les salles du MusŽe du Prado au dŽbut du mois de
septembre 2009. MalgrŽ la durŽe de cette exposition et les moyens mobilisŽs pour
quÕun maximum de personnes puisse la visiter, toutes les demandes ne sont pas
satisfaites. Pour des raisons de sŽcuritŽ, les entrŽes sont limitŽes ˆ cent personnes
toutes les quinze minutes selon un systme dÕentrŽes groupŽes qui a fait ses
preuves au MusŽe Thyssen Bornemisza. Un systme de rŽservations sur internet
est mme mis en service pour rŽguler lÕaffluence. Mais vingt jours avant la fin de
lÕexposition, le stock de billets disponibles en ligne est ŽpuisŽ.117 Afin de rŽpondre
ˆ la demande valencienne, Visi—n de Espa–a est ˆ nouveau accrochŽ dans les
salles de la Fondation Bancaja jusquÕau dŽbut de lÕannŽe 2010.118 En complŽment,
des dessins prŽparatoires conservŽs ˆ lÕHispanic Society sont prŽsentŽs ˆ Gandia,
une ville de la province de Valence.119 Par ailleurs, la ville cŽlbre alors le
centenaire de lÕexposition de 1909 et de lÕhymne rŽgional. Ë cette occasion
Manolo ValdŽs dessine une affiche inspirŽe dÕun tableau de Sorolla, Las grupas.
Aprs cette tournŽe nationale de deux ans, les panneaux et les Žbauches
reprennent le chemin de New York.
Sur le plan touristique, lÕexposition a ŽtŽ une manne pour la capitale du
Levant et pour continuer dÕattirer les inconditonnels du peintre, la CommunautŽ
Autonome a rŽcemment dŽvoilŽ un nouvel itinŽraire touristique : le circuit
Sorolla.120 Le choix des sites et la rŽdaction des notices ont ŽtŽ confiŽs ˆ lÕInstitut
Joaqu’n Sorolla dՎtude et de recherches. Le circuit comprend vingt-neuf Žtapes,
de la maison natale du peintre ˆ la collection de peintures du MusŽe Lladr— en
passant par lÕatelier photographique dÕAntonio Garc’a, le monument ÒValencia a
SorollaÓ, la plage de la Malvarrosa, le MusŽe Vicente Blasco Ib‡–ez, le MusŽe
des Beaux-Arts, etc.121 De mme, le MusŽe des Beaux-Arts San P’o V a rŽnovŽ
117.
118.
119.
120.
121.
Anonyme, ÒAgotadas las entradas por internet para ver antolog’a de Sorolla en el PradoÓ,
http://www.abc.es/, Madrid,21/08/2009.
Anonyme, ÒVisi—n de Espa–a 2Ó, http://www.elpais.com, Madrid, 27/09/2009.
Anonyme, ÒUna muestra documenta en Valencia los siete a–os deÉÓ, http://www.adn.es/,
Madrid, 7/07/2009.
Figure n¡29. Affiche promotionnelle du circuit Sorolla (2012).
1. Maison natale de J. Sorolla. 2. ƒglise Sainte Catherine. 3. RŽsidence de la famille
Sorolla Bastida (1864-1865). 4. Foyer adoptif de Joaqu’n et Concha Sorolla Bastida
depuis 1865. 5. Ancien emplacement de lՃcole des Artisans de Valence. 6. ƒcole des
Artisans de Valence. 7. Centre El Carmen. 8. Atelier photographique et domicile de la
famille Garc’a del Castillo. 9. Ancien emplacement de la SociŽtŽ RŽcrŽative El Iris. 10.
Premier atelier de Joaqu’n Sorolla. 11. Deuxime atelier. 12. Escalones de la Lonja.
DŽcor de lÕÏuvre El grito del palleter. 13. ƒglise San Mart’n. 14. Maison natale de Saint
Vincent Ferrier. DŽcor de lÕÏuvre Exvoto. 15. Maison musŽe Benlliure. 16. Mairie de
V. Sorolla et lÕEspagne dŽmocratique : 1975-2009
287
une partie de ses locaux pour prŽsenter sa collection de quarante-deux tableaux et
onze dessins du ma”tre dans des conditions optimales. Un site internet,
comprenant une visite interactive, est consultable gratuitement.122
122.
Valence. 17. CathŽdrale de Valence. 18. Place Redonda. 19. ƒglise Saint Jean. 20. Palais
de lÕExposition. 21. Casilicio de la Virgen de los Desamparados en el Puente del mar. 22.
Cercle des Beaux-Arts de Valence. 23. MusŽe des Beaux-Arts de Valence. 24. Plage de la
Malvarrosa. Maison musŽe Vicente Blasco Ib‡–ez. 25. Ancien Asile San Juan de Dios.
26. Maison dels bous. 27. Monument ÒValencia a SorollaÓ. 28. Cimetire GŽnŽral de
Valence. 29. Collection de peinture du MusŽe Lladr—.
http://sorolla.museobellasartesvalencia.gva.es/.
Conclusion
288
CONCLUSION
AujourdÕhui, la ÒsorollomanieÓ est retombŽe mme sÕil est probable quÕelle
reprenne un second souffle en 2013, lÕannŽe du cent-cinquantime anniversaire de
la naissance du peintre. Aprs cela, ses tableaux dispara”tront probablement ˆ
nouveau du devant de la scne culturelle du pays ainsi que plusieurs indices nous
conduisent ˆ le penser. Tout dÕabord, la prŽsentation de Visi—n de Espa–a a clos
un cycle car, de lÕÏuvre peint, la frise des provinces restait la dernire pice
inŽdite dans la mesure o des expositions ont balayŽ les principaux champs de sa
production. De plus, il serait difficile dÕorganiser dŽjˆ une autre exposition
majeure si proche de la grande rŽtrospective du MusŽe du Prado. Si lÕon en croit
les oscillations de la courbe de rŽpartition des archives de pressse, le peintre
cŽdera nŽcessairement la place ˆ dÕautres artistes qui occuperont ˆ leur tour
lÕactualitŽ culturelle du pays selon une logique de cycles. Le graphique prŽsentŽ
en introduction montre que les phases de haute intensitŽ critique sont sŽparŽes de
trente ans environ. CÕest apparemment la durŽe au-delˆ de laquelle il est
nŽcessaire de raviver le souvenir du peintre disparu en 1923.
Le public espagnol conna”t aujourdÕhui lÕÏuvre de Sorolla comme jamais
auparavant. Selon lÕexpression du journaliste Antonio Lucas (1975), le peintre a
cessŽ dՐtre un Òlocataire de lÕoubliÓ : Ç Algo pas— con Sorolla. No un maleficio,
ni una torcedura del destino. Sencillamente que qued— largo tiempo sentado en ese
purgatorio donde algunos artistas esperan turno para ser restituidos. No es un
hospital de convalescientes, sino un pabell—n de sombras. Joaqu’n Sorolla fue uno
de los inquilinos del olvido. È1 Si son Ïuvre devait sombrer dans un nouvel
ÒoubliÓ, il ne serait certainement pas comparable ˆ la longue lŽthargie des annŽes
vingt ˆ quarante ou, plus rŽcemment, celle des annŽes soixante-dix et quatrevingt. Mais fatalement, un peu de temps doit sՎcouler pour quÕelle soit ˆ nouveau
redŽcouverte et Ð il faut lÕespŽrer Ð sous un jour aussi nouveau quÕinattendu.
1.
Antonio Lucas, ÒLa recuperaci—n del maestro de la luzÓ, El Mundo, Madrid, 17/05/2009.
Ç Quelque chose sÕest produit avec Sorolla. Non pas un malŽfice, ni mme un tournant du
destin. Simplement, il resta longtemps assis dans ce purgatoire o quelques artistes
attendent leur tour avant dՐtre rendus ˆ la libertŽ. Ce nÕest pas un h™pital de
convalescents mais un pavillon des ombres. Joaqu’n Sorolla a ŽtŽ un de ces locataires de
lÕoubli. È
Conclusion
289
Durant la pŽriode qui vient de sÕachever, le Valencien aurait, dit-on,
retrouvŽ sa place dans lÕhistoire de lÕart. RŽcemment, Tom‡s Llorens prŽtendait
que la perception actuelle de son Ïuvre devrait tre au moins proportionnelle ˆ
son rayonnement passŽ. On peut se demander quel est le sens dÕun tel avis, dans la
mesure o la rŽception dÕun artiste nÕest pas constante et obŽit ˆ des facteurs sur
lesquels lÕhistorien nÕa pas toujours de prise. Par ailleurs, il nÕy a pas de ÒjusticeÓ
en la matire, ni son contraire, car ce serait un non-sens. Un peintre comme le
Franais Ernest Meissonnier (1815-1891) fut considŽrŽ ˆ son Žpoque comme un
ma”tre et jouissait dÕun haut niveau de notoriŽtŽ, alors quÕil est aujourdÕhui
inconnu du grand public. Son contemporain Vincent Van Gogh (1853-1890) est
lÕexemple le plus frappant dÕun artiste marginal qui resta toujours en dehors de
lÕespace public et fut, malgrŽ tout, redŽcouvert et mme adulŽ aprs sa mort par
les peintres, puis par les spŽcialistes et enfin par le public. La journaliste
Guillermina Perales pense que Sorolla occupe la place qui lui revient : Ç Sorolla
es lo que es È, Ç Sorolla nÕest que ce quÕil est È, Žcrivait-elle dans un article paru
en dŽcembre 2007. Elle le justifiait en mettant en avant les choix esthŽtiques du
peintre : Ç Sorolla condiciona su concepci—n pict—rica a una visi—n estereotipada y
caduca, ajeno a la realidad art’stica y social de la Espa–a de aquellos a–os. È2 En
dehors de cette justification, le titre choisi par Perales suppose quÕil existe une
hiŽrarchie reposant sur un Žquilibre naturel. Or, lˆ encore cÕest un non-sens car,
comme la spŽculation oriente le marchŽ, les forces qui orientent la rŽception sont
anti-naturelles. Au fil dÕune Žtude diachronique, nous avons tentŽ de dŽmontrer
que la place dÕun artiste nÕest ni due, ni indue, mais quÕelle se trouve comme
gainŽe ˆ lÕintŽrieur de phŽnomnes politiques, Žconomiques et sociaux.
Un peintre est plus ou moins reconnu par lÕhistoriographie, le marchŽ de
lÕart et le grand public. Depuis une vingtaine dÕannŽes, Sorolla est entrŽ dans une
phase de rŽŽvaluation car son Ïuvre a ŽtŽ trs souvent prŽsentŽe au public durant
cette pŽriode. Aussi vrai quÕun auteur doit tre frŽquemment rŽŽditŽ, un peintre
doit tre rŽgulirement exposŽ et cÕest ce qui est arrivŽ dans son cas. Pour que ces
expositions puissent voir le jour, il faut bien sžr quÕun certain nombre de
conditions soient rŽunies. Ces Žpisodes ne durent pas Žternellement et cÕest
2.
Guillermina Perales, ÒSorolla es lo que esÓ, informacion.es, 5/12/2007. Ç Sorolla adapte
sa conception de la peinture ˆ une vision stŽrŽotypŽe et caduque, Žtrangre ˆ la rŽalitŽ
artistique et sociale de lÕEspagne de cette Žpoque. È
Conclusion
290
pourquoi la redŽcouverte dÕun artiste est cyclique et se calque, selon lÕusage, sur
des ŽphŽmŽrides. Par exemple, lÕEspagne a ftŽ le quatrime centenaire de Don
Quichotte en 2005, lÕAutriche a cŽlŽbrŽ le deux cent cinquantime anniversaire de
la naissance de Mozart (1756-1791) en 2006 et la France a commŽmorŽ le
cinquantime anniversaire du Prix Nobel dÕAlbert Camus, en 2007. Le roman de
Miguel de Cervantes et les Ïuvres compltes des deux crŽateurs ont ŽtŽ chaque
fois rŽŽditŽs. Bien que les commŽmorations soient ŽphŽmres, elles laissent une
empreinte qui, elle, dure quelques annŽes de plus. Les expositions temporaires
laissent des catalogues que lÕon regarde et relit. Les peintres dÕhistoire que lÕon
dŽsignait sous le terme pŽjoratifs de ÒpompiersÓ, en rŽfŽrence aux casques luisants
arborŽs par les soldats romains, sont en voie de rŽhabilitation en France, comme
on lÕa dŽjˆ notŽ dans cette Žtude, mais aussi en Espagne si lÕon pense par exemple
ˆ la grande rŽtrospective organisŽe au MusŽe du Prado en 2007.3 Cette exposition
a ŽtŽ une occasion de redŽcouvrir les chefs-dÕÏuvre du genre, La leyenda del rey
Monje et La rendici—n de BailŽn de JosŽ Casado del Alisal, Conversi—n del Duque
de Gand’a de JosŽ Moreno Carbonero, Muerte de Lucrecia dÕEduardo Rosales, et
quelques autres.4 Cela Žtant, combien dÕexpositions et de nouvelles approches
seront nŽcessaires ˆ la complte rŽhabilitation des peintres dÕhistoire ? Nul ne le
sait et le temps seul le dira.
Sorolla nÕa jamais occupŽ que la place que ses contemporains ont bien
voulu lui donner. Le ÒsalonnierÓ des annŽes 1890 bŽnŽficia de lÕappui de la
gauche libŽrale et rŽpublicaine car il apparaissait, sur le plan artistique, comme un
rŽformateur. Il nÕa jamais ŽtŽ un peintre rŽsolumment anti-acadŽmique et il tenta
seulement de concilier, dans sa peinture, la tradition et lÕinnovation, comme avait
su le faire en France Jules Bastien-Lepage. En suivant cet exemple, il rŽussit ˆ
ouvrir cette voie ÒintermŽdiaireÓ qui nÕexistait pas dans son pays et chercha ˆ
obtenir la reconnaissance officielle. Y parvient-t-il par lui-mme ? La rŽponse est
non car il bŽnŽficia ˆ la fois du soutien des rŽpublicains de Valence et de la
gauche dynastique. Aprs deux Žchecs consŽcutifs aux Expositions Nationales de
1897 et de 1899, le concours fut rŽformŽ en 1901 par le ministre libŽral
3.
4.
El siglo XIX en el Prado, Madrid, Museo Nacional de Prado, 2007 et çngeles Garc’a, ÒEl
Prado pone fin al exilio de la colecci—n del XIXÓ, elpais.com, 5/10/2009.
Au MusŽe National du Prado : Eduardo Rosales, Muerte de Lucrecia, 257x347, 1871.
JosŽ Moreno Carbonero, Conversi—n del Duque de Gand’a de, 315x500, 1884. JosŽ
Casado del Alisal, La rendici—n de BailŽn, 338x500, 1864 et La leyenda del rey Monje,
356x374, 1880.
Conclusion
291
Romanones sous le dernier mandat de Pr‡xedes Mateo Sagasta. Son jury fut alors
compltement renouvelŽ. La gŽnŽration des peintres dÕhistoire fut ŽcartŽe au
profit des jeunes artistes rŽcompensŽs lors des Žditions prŽcŽdentes. Dans ces
conditions, Sorolla dŽcrocha facilement la MŽdaille dÕHonneur car tous
reconnaissaient en lui le liquidateur du classicisme. Il Žtait ‰gŽ de trente-huit ans
seulement mais aucun peintre, en Espagne, nÕavait un palmars comparable au
sien.
Comme Bastien-Lepage, Sorolla fit Žcole et devint, en quelque sorte, le
modle de la gŽnŽration suivante. Ë partir de 1902, il affronta seul le marchŽ de
lÕart europŽen et connut deux Žchecs en Allemagne et en Angleterre qui
lÕincitrent ˆ ne plus collaborer avec les galeries et ˆ rechercher la relation directe
avec le client. En mme temps, il essuya dans son pays des critiques sŽvres car sa
peinture de la lumire et du mouvement Žtait dŽjˆ vŽcue comme un nouvel
acadŽmisme. Il avait, certes, fait Žvoluer le concours national et lÕenseignement
des Beaux-Arts, mais non seulement il ne comprit pas lÕabsolue nŽcessitŽ de
dŽpasser cette Žtape, mais il crŽa par ailleurs les conditions les plus favorables ˆ
lÕexpansion dÕune Žcole dŽrivŽe de sa manire, le ÒsorollismeÓ. Il utilisa son
influence en faveur de ses disciples et cela eut pour effet de rŽduire les chances
des peintres les plus innovants, ce qui lui valut de trs vifs reproches. Enfin, ses
commandes le conduisent ˆ camper sur des choix esthŽtiques dŽpassŽs comme le
montre Visi—n de Espa–a, sa dernire commande. Elle lÕisole prŽmaturŽment, en
1911, date ˆ partir de laquelle Sorolla dispara”t pour longtemps de lÕespace
mŽdiatique.
Aprs sa mort, le peintre de Valence laissa une empreinte ˆ la fois
contrastŽe et contradictoire. LouŽ et insultŽ par Žgal, il avait ŽtŽ ˆ la fois peru
comme anti-acadŽmique et acadŽmique, progressiste et rŽactionnaire, soutenu par
les rŽpublicains et par les conservateurs, ami de Vicente Blasco Ib‡–ez et du roi
Alphonse XIII, peintre du peuple et de lÕaristocratie, etc. LÕamitiŽ que porta
Sorolla pour des tres aussi diffŽrents que lՎcrivain, le roi ou encore le richissime
mŽcne new-yorkais, laissent entrevoir les contradictions humaines, esthŽtiques et
politiques qui ont dž agiter cette personnalitŽ sans doute aussi attachante et
tourmentŽe que le Mariano Renovales du roman. Son niveau de vie, sa place dans
la sociŽtŽ comme ses opinions politiques avaient suffisamment fluctuŽ pour ne pas
obŽir ˆ une dŽfinition unique. La dualitŽ de Sorolla est un ŽlŽment clŽ de sa
Conclusion
292
rŽception critique dans la mesure o elle lui permit de traverser toutes les
Žpoques. Pour cette raison, son hŽritage fait aujourdÕhui autant partie de la culture
et de lÕhistoire des partis de gauche que de ceux de droite.
En ce qui concerne son Ïuvre peint, ses contours demeuraient trs flous et,
en 1923, elle Žtait pour ainsi dire inconnue car seulement entre deux et trois pour
cent de celle-ci avaient ŽtŽ prŽsentŽs en Espagne, essentiellement ˆ lÕExposition
Nationale. En 1932, la crŽation dÕun MusŽe Sorolla ˆ Madrid nÕy changea rien car
lÕinstitution restera longtemps confidentielle. Sorolla commencera seulement ˆ
tre instrumentalisŽ sous le franquisme, dÕabord en 1944, puis entre 1953 et 1963
car la dictature avait besoin de sa peinture lumineuse et a-politique pour
lÕincarner. Durant cette dŽcennie, les expositions organisŽes par lՃtat
accompagnrent lÕouverture du pays au tourisme. Elles faisaient partie dÕune offre
culturelle choisie en fonction de lÕimage de lÕEspagne quÕelle vŽhiculaient. Pour
le centenaire de la naissance du peintre, lÕexposition du Cas—n del Buen Retiro
couvrit, pour la premire fois, lÕensemble de sa vie artistique. Ce cycle amŽliora
considŽrablement la connaissance du peintre et commena ˆ modifier le rapport
des artistes ˆ sa ÒmanireÓ. Mais le centenaire fut suivi dÕune pŽriode de trente ans
durant laquelle le peintre resta en retrait de la vie culturelle. Les premiers
gouvernements de lÕEspagne dŽmocratique valorisrent les Avant-gardes
auxquelles la dictature nÕavait jamais donnŽ les moyens dÕexister dans lÕespace
public. LÕheure de Sorolla viendra plus tard, dans les annŽes quatre-vingt-dix. Sur
le plan politique, lÕentrŽe de lÕEspagne dans la CommunautŽ EuropŽenne favorisa
la redŽcouverte du peintre car son parcours et sa peinture avaient justement une
dimension europŽenne ad hoc. La rŽforme du statut juridique du MusŽe Sorolla de
1993 rendit possible la libre circulation de ses collections et donc la mise en place
dÕun vaste programme dÕexpositions itinŽrantes. Ë partir de lˆ, le Valencien a ŽtŽ
prŽsentŽ au public comme un artiste moins acadŽmique et plus crŽatif. Enfin, la
politique rŽgionale de la CommunautŽ Autonome de Valence eut son lot de
consŽquences positives sur la rŽception du peintre. En 2007, la prŽsentation en
Espagne de Visi—n de Espa–a, sa dernire Ïuvre majeure inŽdite, est relue ˆ
travers le prisme des ambitions politiques et de dirigeants mŽgalomanes dÕune
rŽgion endettŽe. Valence voulait Žmerger comme un p™le de dimension
internationale ; cÕest pourquoi la frise des provinces est prŽsentŽe comme une
Ïuvre universelle et interculturelle.
Conclusion
293
Nous avons vu dans cette Žtude que, mme si la perception dÕune Ïuvre se
transforme au contact des Žpoques, elle ne se rŽŽinvente pas tous les jours.
Chaque strate de rŽception critique se superpose ˆ la prŽcŽdente et il y a donc une
certaine forme de continuitŽ entre les interprŽtations les plus anciennes de lÕÏuvre
dÕun artiste et les plus rŽcentes. Il est frappant de constater, quÕune partie de la
critique refuse toujours dÕadmettre lÕinfluence de lÕImpressionnisme sur la
peinture de Sorolla. Or, les archives de presse rŽvlent que cette posture critique
correspond ˆ une lecture franquiste qui a vu le jour dans la presse phalangiste,
aprs la guerre civile. Ë cette Žpoque, des incertitudes entouraient le passŽ du
peintre ; cÕest pourquoi ses admirateurs Žcartrent les liens entre son art et les
courants Žtrangers pour mieux cl‰mer son Òpatriotisme artistiqueÓ. La rŽception
critique peut aussi orienter la production dÕun artiste. On a vu, par exemple, que la
comparaison entre Sorolla et VŽlasquez remonte ˆ une Žpoque aussi lointaine que
celle de lÕaffaire de la MŽdaille dÕHonneur, cÕest-ˆ-dire ˆ une pŽriode comprise
entre 1897 et 1901. La technique du Valencien Žtait naturellement plus proche des
courants de son Žpoque que des ateliers du Sicle dÕOr. Toutefois, pour conquŽrir
la plus haute rŽcompense des Beaux-Arts, son art devait sÕinscrire dans la
continuitŽ de la grande ƒcole espagnole. Le rapprochement entre les deux peintres
fut donc une ligne interprŽtative choisie par ses soutiens afin dÕaugmenter ses
chances de rŽussir et de flatter les conservateurs. Comme nous lÕavons indiquŽ
dans le cours de cette Žtude, cela influena sa production puisquՈ partir de 1897
Sorolla commena ˆ intŽgrer des citations vŽlasquŽziennes dans ses tableaux ˆ
concours.
La perception de lÕÏuvre de Sorolla va bien sžr continuer ˆ changer dans les
annŽes qui viennent. LÕInstitut Joaqu’n Sorolla de Valence et le nouveau MusŽe
Sorolla de Madrid qui, pour lÕinstant, nÕen est quÕau stade de projet, continueront
ˆ faire avancer la connaissance de lÕÏuvre de Sorolla. On verra Žgalement quÕune
Žquipe de recherche de lÕInstitut des Sciences des Matires de lÕUniversitŽ de
Valence (ICMUV) a choisi, il y a peu, lÕÏuvre de Sorolla pour objet dՎtude.
LÕInstitut Joaqu’n Sorolla de Valence a ŽtŽ prŽsentŽ ˆ la presse en octobre
2009 par la conseillre rŽgionale chargŽe de la culture et des sports, Trinidad Mir—
Conclusion
294
(1960) ; et il a ŽtŽ inaugurŽ en avril 2010.5 LÕidŽe dՎtablir un musŽe dans cette
ville Žtait ancienne et nÕavait jamais abouti. La crŽation dÕune institution
entirement dŽdiŽe ˆ ce peintre fut une promesse de campagne du candidat
Francisco Camps, en 2007.6 Sans collection, un musŽe ne pouvait pas voir le jour
ˆ Valence et il nÕy avait que deux manires de la constituer : soit en rŽunissant les
tableaux dispersŽs dans les collections publiques valenciennes, soit en menant une
politique dÕacquisition sur le marchŽ.7 La dernire Žtait bien sžr trop cožteuse et
rŽclamait des dŽlais beaucoup trop longs. La premire supposait un accord qui ne
fut pas trouvŽ. Actuellement, les quatre principales collections valenciennes de
tableaux de Sorolla sont les suivantes : le MusŽe San P’o V possde quarantedeux tableaux, la fondation Bancaja, quatorze, la CommunautŽ Autonome de
Valence, six, et la MunicipalitŽ possderait une dizaine de toiles, ce qui reprŽsente
donc un total de soixante-douze unitŽs. CÕest ce chiffre que Francisco Camps
annona lors de sa campagne en promettant de regrouper tous ces tableaux sur un
seul site. En 2002, la CommunautŽ Autonome de Valence avait dŽjˆ tentŽ de
rŽunir les tableaux dispersŽs dans des bureaux et des salons dÕinstitutions
officielles et la demande fut renouvelŽe, en vain, avant les Žlections rŽgionales de
2007 par le conseiller ˆ la Culture Alejandro Font de Mora (1949).8 Ironie du sort,
en 2008, un tableau appartenant ˆ la ville de Valence, Mi familia, et un autre
faisant partie de la collection de la CommunautŽ Autonome El grito del palleter,
se trouvrent au cÏur dÕune polŽmique.9 En effet, le premier est accrochŽ dans le
bureau de la mairesse Rita Barber‡ (1848) et le second dans celui du prŽsident
Francisco Camps, deux Žlus du Parti Populaire. Quand le MusŽe du Prado
demande les deux toiles, elles sont cŽdŽes sans dŽlai pour mieux regagner ensuite
leurs emplacements initiaux. LÕopposition dŽnonce alors ce prt comme une
aberration car les tableaux inaccessibles ˆ la population valencienne vont tre
prŽsentŽs ˆ Madrid. La promesse de Camps nÕest pas tenue car il ne parvient pas ˆ
5.
6.
7.
8.
9.
X.M., ÒTras la pista de SorollaÓ, http://wwww.abc.es/, Madrid, 20/10/2009.
Anonyme, ÒCamps anuncia la pr—xima creaci—n del Centro Sorolla en un convento de
ValenciaÓ, http://wwww.lavanguardia.es/, Barcelone, 13/04/2007.
Ram—n Sanch’s, ÒSan Vicente de la Roqueta expondr‡ de forma permanente obras de
SorollaÓ, http://wwww.lasprovincias.es/, Valence, 14/04/2007.
Mikel Labastida, ÒSorollas en despachos oficiales y colecciones privadasÓ,
http://wwww.lasprovincias.es/, Valence, 14/04/2007 et J. R. S., ÒSorolla s—lo para sus
ojosÓ, http://wwww.levante-emv.com, Valence, 6/06/2009.
Paco Moreno, ÒSorolla viaja del despacho al museoÓ, http://wwww.lasprovincias.es/,
Valence, 12/2008
Conclusion
295
rŽunir les quelques soixante-dix tableaux convoitŽs et le journal Las Provincias
titre le 30 dŽcembre 2009 : ÒValencia se quedar‡ definitivamente sin un Museo
sobre Joaqu’n SorollaÓ, ÒValence demeurera dŽfinitivement sans MusŽe consacrŽ
ˆ Joaqu’n SorollaÓ. Ces mots ne sont pas sans rappeler le dŽcouragement qui avait
parcouru la presse valencienne aprs lÕannonce de la crŽation dÕun MusŽe Sorolla
ˆ Madrid. CՎtait en 1929, quatre-vingts annŽes plus t™t.
Ë dŽfaut dÕune collection propre, lÕInstitut ne peut tre quÕune sorte de lieu
dÕexposition temporaire. LÕoption la plus rŽaliste consiste ˆ accueillir par
roulement des collections dŽjˆ constituŽes. En signant une convention avec le
MusŽe Sorolla de Madrid, lÕinstitution pourrait un jour devenir une sorte de
succursale valencienne dans lÕintŽrt des deux entitŽs car le premier ne dispose
pas de lÕespace suffisant pour accrocher tous ses fonds. Si cela se confirme un
jour, lÕInstitut pourrait dŽmŽnager dans des locaux plus vastes et plus modernes,
qui ressembleront peut-tre au Centre Paul-Klee de Berne, inaugurŽ en 2005.
Depuis cette date, quatre mille peintures du Suisse Paul Klee (1879-1940) sont
exposŽes par rotation ˆ lÕintŽrieur dÕun b‰timent moderne, spacieux et lumineux
dessinŽ par lÕarchitecte italien Renzo Piano (1937). Valence pourrait un jour sÕen
inspirer, car sa structure reprend la forme dÕune vague et son systme complexe
de dŽflecteurs, destinŽ ˆ moduler la luminositŽ dans les salles, rappelle les voiles
dÕun b‰teau. Mais un tel projet est cožteux et la CommunautŽ Autonome de
Valence se trouve actuellement en rŽcession Žconomique et trs endettŽe. Pour
lÕheure, lÕInstitut Joaqu’n-Sorolla est cantonnŽ au seul volet scientifique. Il
dispose dÕune bibiothque, de bureaux et de salles de travail dans le Centre El
Carmen cÕest-ˆ-dire dans les anciens locaux de lÕAcadŽmie des Beaux-Arts de
San Carlos.10 Son Žquipe est composŽe de trois membres, les historiens de lÕart
Felipe Gar’n, Facundo Tom‡s et Isabel Justo. Pour lÕinstant, lÕinstitution poursuit
les objectifs suivants : la localisation, la restauration, lՎtude et la divulgation de
tableaux oubliŽs ou perdus. Selon la spŽcialiste Blanca Pons-Sorolla, dix pour
cent de lÕÏuvre peint Ð soit quatre cents tableaux Ð nÕest toujours pas localisŽe.11
En 2010, lÕInstitut prŽsente au public Elena en la playa, un tableau exhumŽ dÕune
collection particulire. LÕannŽe suivante, lՎquipe reconstitue un dyptique :
10.
11.
Anonyme, ÒA la caza de obras de SorollaÓ, http://www.panorama-actual.es/, Barcelone,
25/10/2009.
Alfonso Garc’a Valencia, ÒM‡s de un centenar de obras de Joaqu’n Sorolla todav’a est‡n
por localizarÓ, http://www.levante-emv.com, Valence, 12/07/2009.
Conclusion
296
Familia de Estanislao Granzow, commandŽ en 1905 par une famille aristocrate de
Valence et rŽunit autour du tableau Comiendo en la barca les Žbauches dispersŽes
dans des collections publiques et privŽes.12 Les trois projets ont donnŽ lieu ˆ des
publications sŽparŽes qui forment ensemble les premiers volumes dÕune
collection. En 2012, lÕInstitut a Žtabli lÕitinŽraire ÒRoute SorollaÓ qui est
aujourdÕhui proposŽ par lÕOffice du tourisme de la ville.
Ë Valence,
une autre Žquipe de recherche mne des travaux
complŽmentaires en constituant une base de donnŽes des pigments relevŽs sur les
toiles du ma”tre. Depuis 2007, lÕInstitut des Sciences des Matires de lÕUniversitŽ
de Valence (ICMUV) perfectionne cet outil de pointe conu pour confondre les
faux. Le projet est menŽ par une Žquipe dirigŽe par les professeurs JosŽ Ferrero et
Clodoaldo Rold‡n.13 LՎquipe exploite une technologie basŽe sur la fluorescence
des rayons X, qui ne cause pas de dommage aux couches de matire et permet de
conna”tre la composition chimique des pigments. Comme cela a dŽjˆ ŽtŽ soulignŽ
dans cette Žtude, Sorolla est un des peintres les plus contrefaits. Des copies
prŽsentŽes comme authentiques circulent sur le marchŽ, dÕautres sont conservŽes
chez des particuliers et mme dans les collections des musŽes. Un faux grossier
datŽ de 1923 se trouve dans la collection de la Casa Lis, le MusŽe dÕArt Nouveau
et dÕArt DŽco de Salamanque. Or, le peintre ne peignait plus depuis trois ans car il
nÕavait plus aucune mobilitŽ. Il sÕagit vraisemblablement dÕune toile dÕun
sorolliste transformŽe en ÒSorollaÓ ce qui, cela a ŽtŽ signalŽ antŽrieurement, est
une pratique suffisamment lucrative pour sՐtre gŽnŽralisŽe. Le systme
dŽveloppŽ par lÕICMUV a Žtabli rŽcemment quÕun tableau conservŽ au MusŽe
National des Beaux-Arts de La Havane nÕappartient pas ˆ lÕÏuvre du Valencien
car il contient du blanc de titane (PW6), un pigment qui nÕexistait pas ˆ
lՎpoque.14
12.
13.
14.
Elena en la playa, 201x121Õ5, Collection particulire, 1909. Retrato del se–or Granzow,
101x116, Valence, MusŽe des Beaux-Arts San P’o V, 1905, Se–ora de Estanislao
Granzow e hijo, 101x116, Collection particulire et Comiendo en la barca, 180x250,
Madrid, AcadŽmie Royale de San Fernando, 1898.
Anonyme, ÒUn registro de los pigmentos usados por Sorolla permitir‡ detectar
falsificacionesÓ, http://www.lasprovincias, Valence, 23/12/2007.
Anonyme, ÒLa Universidad de Valencia crea una base de datos de pigmentos de
SorollaÉÓ, http://www.panorama-actual.es/, 23/12/2007. Anonyme, ÒLos sorollas
americanos, a estudioÓ, http://www.lasprovincias.es/, Valence, 26/02/2009 et E. PŽrez,
ÒLa luz de Sorolla tiene qu’micaÓ, http://www.lasprovincias.es/, Valence, 1/04/2009.
Conclusion
297
Enfin, dans les annŽes ˆ venir, lÕextension du MusŽe Sorolla transformera
vraisemblablement la rŽception du peintre car lÕinstitution pourrait enfin
bŽnŽficier des outils qui lui font aujourdÕhui dŽfaut. En tant que maison-atelier, ce
musŽe au charme surannŽ a toujours ŽtŽ peru comme un lieu figŽ dans le temps
et isolŽ de lÕactivitŽ bruyante de la ville. Ses dirigeants successifs ont toujours
veillŽ ˆ prŽserver lÕambiance de ce qui avait ŽtŽ un jour un atelier de peinture et
un lieu dÕhabitation. Mais lÕaugmentation de sa frŽquentation dans les annŽes
quatre-vingt-dix a changŽ la donne car, ˆ plusieurs Žgards, le musŽe Žtait
incompatible avec dÕimportants flux de visiteurs. Il ne disposait dÕaucun moyen
moderne de surveillance, cÕest-ˆ-dire des portiques, des camŽras, des alarmes
individuelles, etc. En 2000, deux journalistes de Diario 16 dŽnoncent cette
situation en pointant du doigt le manque de moyens indispensables ˆ la sŽcuritŽ
des tableaux :
Y aqu’ nos encontramos con el primer descuido. Nadie nos registra las mochilas, ni
pasamos por un detector de metales, ni superamos ningœn tipo de control. La
entrada, expedida por la Subdirecci—n General de los Museos Estatales, deb’a haber
sido cortada por el encargo de seguridad, pero el Museo Sorolla apenas dispone de
vigilancia: tan s—lo dos personas para quince salas y, en nuestra visita, uno de ellos
se encontraba en una esquina de la planta principal leyendo un peri—dico.15
LÕarticle provoque la colre des descendants et, au dŽbut des annŽes 2000, le
musŽe subit une modernisation gŽnŽrale.16 Mais ce qui fait le plus dŽfaut
aujourdÕhui reste lÕespace. Le MusŽe Sorolla a besoin de salles pour ses
expositions temporaires car, jusquՈ maintenant, elles empitent sur la collection
permanente qui doit tre rangŽe. Il manque, par ailleurs, un vestiaire, des espaces
de stockage, des bureaux, une bibliothque accessible aux chercheurs, une salle de
consultation des archives, etc. Comme il a dŽjˆ ŽtŽ signalŽ, un des atouts majeurs
15.
16.
O. Lorenzo, ÒSorolla en peligroÓ, Diario 16, Madrid, 24/07/2000 et ÒLa familia Sorolla
denuncia la falta de seguridad del museoÓ, Diario 16, Madrid, 3/08/2000. Ç Et nous voici
arrivŽs ˆ la premire nŽgligence. Personne ne vŽrifie nos sacs ˆ dos, nous ne passons pas
au dŽtecteur de mŽtaux et nous ne franchissons aucune sorte de contr™le. LÕentrŽe
dŽlivrŽe par la Sous-direction des MusŽes Nationaux aurait dž tre dŽchirŽe par le chargŽ
de sŽcuritŽ, mais le MusŽe Sorolla dispose ˆ peine de surveillance : seulement deux
personnes pour quinze salles et, au cours de notre visite, lÕune dÕelles lisait un journal
dans un coin du niveau principal. È
O. Lorenzo, ÒLa familia Sorolla denuncia la falta de seguridad del museoÓ, Diario 16,
Madrid, 3/08/2000.
Conclusion
298
de cette institution est la richesse et la raretŽ de ses archives. Or, faute de place,
leur accs reste trs compliquŽ.
Pour remŽdier ˆ cette situation, le MusŽe Sorolla de demain a ŽtŽ imaginŽ il
y a dŽjˆ longtemps mais de nombreuses contraintes ont freinŽ lÕavancŽe du projet.
AujourdÕhui, le b‰timent se trouve entourŽ dÕimmeubles qui sont autant
dÕentraves ˆ la construction dÕune extension comme le montre lÕimage satellite
proposŽe en annexes17. En 1999, lՃtat avait tentŽ dÕacquŽrir des espaces annexes
dans le but de doubler la superficie du musŽe, mais lÕopŽration nÕaboutit pas.18 Ë
lÕautomne 2009, des appartements reprŽsentant une surface totale de mille neuf
cent mtres carrŽs sont achetŽs dans la rue attenante, au n¡68 de la rue Zurbano, et
les bureaux devraient prochainement y tre transfŽrŽs.19 La ministre de la Culture
çngeles G—nzalez-Sinde (1965) en fait lÕannonce devant le SŽnat le 23 octobre
2009.20 Dans sa nouvelle configuration, le MusŽe Sorolla devrait pouvoir
organiser des expositions temporaires sans sacrifier dÕespaces permanents et il
accueillera davantage de chercheurs. Mais sa mue dŽfinitive sera lente et pourrait
prendre plusieurs annŽes.
Ë nÕen pas douter, les trois centres de recherches dont il a ŽtŽ question ici
vont compter dans les annŽes qui viennent et leur impact sur la communautŽ
scientifique, en particulier sur le monde universitaire, est ˆ prŽvoir. Le MusŽe
Sorolla dŽveloppe des outils en ligne afin de simplifier lÕaccs aux collections
depuis
un
site
commun
ˆ
tous
les
musŽes
nationaux
du
pays :
http://www.ceres.mcu.es/. Les archives sont progressivement dŽmatŽrialisŽes et
consultables ˆ distance. Par ailleurs, des catalogues imprimŽs continuent ˆ tre
ŽditŽs. Celui des collections de peintures a ŽtŽ publiŽ dans une nouvelle version en
2009 et celui de la collection photographique devrait sortir trs prochainement.21
Ë lÕavenir, le peintre de Valence pourrait trs bien intŽresser au-delˆ des
seuls historiens dÕart et cÕest ce que prŽvoyait un des membres de lÕInstitut
Joaqu’n Sorolla, Felipe Gar’n.22 Des avancŽes considŽrables pourraient tre
17.
18.
19.
20.
21.
22.
Figure n¡28. Vue satellite du MusŽe Sorolla de Madrid (2009).
Carlos Bueno, ÒTodos los veranos de Joaqu’n SorollaÓ, La Gaceta del S‡bado, Madrid,
10/07/1999.
Anonyme, ÒEl Museo Sorolla ve cumplida su anhelada ampliaci—n, despuŽs de cuarenta
a–osÓ, noticias.terra.es, 23/10/2009.
Anonyme, ÒSe ampl’a la capacidad del Museo SorollaÓ, elmundo.es, 23/10/2009.
Anonyme, ÒSe ampl’a la capacidad del Museo SorollaÓ, http://www.elmundo.es/, Madrid,
23/10/2009.
X.M., ÒTras la pista de SorollaÓ, http://.abc.es/, Madrid, 20/10/2009.
Conclusion
299
rŽalisŽes dans les domaines historique et Žconomique, car ces champs ont jusquelˆ ŽtŽ nŽgligŽs. Dans le cas de Sorolla, la connaissance de lÕartiste a longtemps
primŽ sur celle du personnage historique. Or, il a jouŽ un r™le dans lÕhistoire de
son pays et cÕest ce quÕavait tentŽ de dŽmontrer lÕhistorien Javier Tusell dans un
texte pionnier.23 La piste quÕil avait tracŽe est prolongŽe en 2009 par lÕexposition
du MusŽe Sorolla, Sorolla y su idea de Espa–a, et par la publication de mon livre
dŽjˆ mentionnŽ, Joaqu’n Sorolla, pintor del Rey Alfonso XIII.24 Mais, ˆ ce jour,
dÕautres questions restent ˆ explorer en particulier celle de ses liens personnels et
politiques avec le comte de Romanones, sa position dans le conflit qui opposa
blasquistes et sorianistes ou encore le motif et le contenu de son sŽjour en Afrique
du Nord. En outre, aucune question dÕordre Žconomique nÕa ŽtŽ traitŽe. On ignore
encore tout de sa fortune personnelle et de son patrimoine, de ses placements en
France et de son implication financire dans les projets valenciens de lÕannŽe
1916, cÕest-ˆ-dire le Palais des Beaux-Arts et de lÕIndustrie et le concours dÕart
jeune. De mme, nous gagnerions ˆ conna”tre les mouvements de ses tableaux sur
le marchŽ de lÕart, ˆ partir de 1906. Il conviendrait aussi de sÕinterroger, dans de
futurs travaux, sur lÕimpact de lÕopŽration marketing mise en Ïuvre par Bancaja
sur la perception du peintre et notamment auprs du grand public.
Enfin, une meilleure connaissance de Sorolla passera nŽcessairement par la
redŽcouverte du ÒsorollismeÓ et cÕest, selon nous, le grand chantier des annŽes ˆ
venir. Le MusŽe Sorolla et LÕInstitut Joaqu’n Sorolla en ont fait une de leurs
prioritŽs scientifiques. Le ÒsorollismeÓ est un courant pictural aussi cohŽrent que
le ÒcaravagismeÓ qui sÕest dŽveloppŽ ˆ Rome dans la premire moitiŽ du XVIIme
sicle. Les deux Žcoles semblent dÕailleurs se rŽpondre puisque Le Caravage
enveloppait ses personnages dans lÕobscuritŽ et posait la lumire par Òt‰chesÓ
alors que Sorolla est au contraire un virtuose des ombres colorŽes baignŽes dans
une lumire diaphane. Ë la diffŽrence du ÒcaravagismeÓ, le ÒsorollismeÓ ne
sÕexporta pas, en dehors dÕun court Žpisode aux ƒtats-Unis. En Espagne, le
courant nÕa jamais joui dÕune bonne rŽputation. Sous le franquisme, il Žtait vŽcu
par les jeunes peintres comme un acadŽmisme rŽtrograde et il ne sÕest pas
dŽbarrassŽ de cette Žtiquette. AujourdÕhui, le mot est tabou et il est souvent utilisŽ
23.
24.
Javier Tusell, ÒJoaqu’n Sorolla en los ambientes pol’ticos y culturales de su tiempoÓ in
Sorolla y la Hispanic Society, Madrid, Museo Thyssen Bornemisza, 1998, pages 19-32.
Sorolla y su idea de Espa–a, Madrid, Ministerio de Cultura, 2009 et Jordane Fauvey,
Joaqu’n Sorolla pintor del Rey Alfonso XIII, Besanon, PUFC, 2009.
Conclusion
300
ˆ mauvais escient, par ignorance de son contenu rŽel.25 Il ne figure ni dans le
Dictionnaire de lÕAcadŽmie Royale Espagnole (DRAE), ni dans lÕencyclopŽdie
Espasa Calpe.
Enfin, cette Žtude a jetŽ un regard rŽtrospectif sur un sicle Žlargi de
rŽception critique depuis la naissance mŽdiatique de Sorolla jusquՈ sa
redŽcouverte complte. Par la nature mme du sujet que nous avons traitŽ, cette
thse nÕest pas fermŽe, bien au contraire. Elle pourrait mme recevoir un jour un
sixime chapitre qui commencerait, par exemple, aprs le 150me anniversaire, en
2013.
25.
Pedro G—nzalez-Trevijano, ÒSorollistas y soroll—logosÓ, La Gaceta, Madrid, 16/06/2009.
301
DEUXIéME PARTIE
TABLE DES MATIéRES
A. FiguresÉÉÉÉÉ.ÉÉ..ÉÉÉÉÉ..ÉÉÉÉÉÉÉÉÉ.É..ÉÉÉ. 303
1. InstantanŽs. Joaqu’n Sorolla (1895) ÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ..ÉÉ 303
2. ƒbauche dÕune affiche promotionnelle pour le journal El Pueblo (1899)ÉÉ. 305
3. Le singe Knocko, critique dÕart (1909) ..ÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ... 306
4. Figures populaires (1914) ÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ.ÉÉ. 308
5. Renouveau (1916) ÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ.ÉÉÉ..É 310
6. Valence accueille la dŽpouille de Joaqu’n Sorolla (1923) ÉÉÉÉ..ÉÉÉ.É 312
7. Hommage des artistes sŽvillans ˆ D. Joaqu’n Sorolla (1924) ÉÉÉÉÉ..É.. 313
8. Madrid. Inauguration du MusŽe Sorolla (1932) ÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ..ÉÉ 315
9. Avez-vous connu Sorolla ? (1932) ÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ.ÉÉ 317
10. Monument Ç Valencia a Sorolla È (1933-1957) ÉÉÉÉ..ÉÉÉÉÉÉÉ.. 319
11. Billet de 25 pesetas Ç Pescadoras valencianasÈ (1936) ÉÉÉÉÉÉÉ...É 321
12. Billet de mille pesetas Ç La fiesta del naranjo È (1953) ÉÉÉÉÉÉ........... 322
13. Timbre de cinquante pesetas Ç Sorolla & Legazpi È (1953) ÉÉÉÉÉÉ..
324
14. J. Sorolla, peintre de Valence. Espagne (1961) ÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ..É.. 325
15. J. Sorolla, Spanien (1961) ÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ..É
325
16. Valence commŽmore le 100e anniversaire de la naissance de Sorolla (1963)
327
17. Un avion baptisŽ au nom de Sorolla (1963) ÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ..É 329
18. Franco a inaugurŽ lÕexposition Sorolla (1963) ÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ 331
19. Dessin humoristique sans titre (1963) ÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ.. 333
20. SŽrie de timbres Ç Pintor Joaqu’n Sorolla È (1964) ÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ.. 335
21. et 22. Dessins humoristiques sans titre (1967) ÉÉÉÉÉÉÉÉ..ÉÉÉ.. 337
23. Sorolla como pretexto (1974) ÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ.. 339
24. Espagne. Tout (de nouveau) sous le soleil (1990)ÉÉÉÉÉÉÉÉ..ÉÉÉ 342
25. Espagne. Plages (1998)ÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ 344
26. Cartas de Sorolla (2006) ÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ
345
27. Centenaire de lÕexposition de 1909 et de lÕhymne rŽgional (2009)ÉÉÉÉ. 347
28. Vue satellite du MusŽe Sorolla de Madrid (2009)ÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ 349
29. Affiche promotionnelle du circuit Sorolla (2012)ÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ 351
B. AnnexesÉ..ÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ..ÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ.
353
302
1. Liste des expositions monographiquesÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ.
353
2. RŽsultats des ventes par adjudicationÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ
359
3. Table de traduction des Ïuvres citŽesÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ 361
C. BibliographieÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ...
364
D. Index des noms de personnesÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ.. 393
A. Figures
303
A. F I G U R E S
1. INSTANTçNEAS (JOAQUêN SOROLLA), 1895.
- INSTANTANƒS (JOAQUêN SOROLLA) -
Ram—n Cilla (1859-1937)
Madrid C—mico, Madrid, 25/05/1895.
On dŽcouvre dans cette caricature le visage dÕun Sorolla jeune, agŽ de trente-deux ans
seulement. 1895 est pour lui lÕannŽe de la consŽcration puisquÕil vient de dŽcrocher une
mŽdaille au Salon parisien. Cet ŽvŽnement est mŽdiatisŽ en Espagne, notamment par la presse
illustrŽe. Le dessinateur Ram—n Cilla signe quelques caricatures du peintre pour plusieurs titres,
dont celle-ci parue dans le journal satirique Madrid C—mico. La lŽgende qui accompagne le
A. Figures
304
dessin donne la parole ˆ Sorolla : Ç ÀQuŽ mis retratos no salen baratos? ÁEs natural! ÁPues si los
m‡s de ellos valen doble que el original! È1 Ë cette Žpoque, quelques riches madrilnes lui
commandent des portraits de sociŽtŽ, conformes au gožt bourgeois. LÕactivitŽ est lucrative mais,
ˆ la fin du XIXme sicle, le portrait est peru comme un genre mineur car il est limitŽ et
conditionnŽ par le gožt du commanditaire. Il faut se souvenir que le portrait modain sera la cible
dÕattaques sŽvres de Vicente Blasco Ib‡–ez. En effet, le rŽpublicain mŽprisait ces bourgeois,
quÕils fussent hommes politiques, industriels, banquiers, rentiers, etc. et il lÕexprimera sans
dŽtour dans son roman La maja desnuda : Ç Pod’a estar satisfecho de los retratos de aquellas
gentes: ellos, unos se–ores despreciables, malas personas, ladrones casi todos. È 2 Dans la
lŽgende qui accompagne la caricature de Cilla, il est donc dŽjˆ question de ces notables
madrilnes qui, nous dit-on, ne valent pas la moitiŽ de leur portrait.
1.
2.
Ç Mes portraits ne sont pas abordables ? Cela va de soi ! Puisque la plupart dÕentre eux valent
deux fois lÕoriginal ! È.
Vicente Blasco Ib‡–ez, La maja desnuda, Madrid, C‡tedra, 1998, page 253. Ç Il pouvait tre
satisfait des portraits de ces gens : eux, ces messieurs mŽprisables, ces mauvaises personnes,
presque tous voleurs. È
A. Figures
305
2. ƒBAUCHE DÕUNE AFFICHE PROMOTIONNELLE POUR LE JOURNAL EL
PUEBLO, 1899.
Joaqu’n Sorolla y Bastida (1863-1923)
Valence, MusŽe des Beaux-Arts San P’o V.
En 1899, lÕannŽe de son deuxime Žchec vers la conqute de la MŽdaille dÕHonneur, Joaqu’n
Sorolla rŽalise cette Žbauche dÕune affiche promotionnelle ˆ la demande du directeur dÕEl
Pueblo, Vicente Blasco Ib‡–ez. Le journal rŽpublicain de Valence lui apporte un soutien sans
faille durant toute la pŽriode de lÕaffaire de la MŽdaille dÕHonneur et ce projet est un
tŽmoignage de la reconnaissance du peintre. LÕaffiche est un genre quÕil ne conna”t pas Ð il nÕen
a jamais produit une seule Ð et cette toile le prouve. Cette rŽalisation est un tableau dÕexcellente
facture, raison pour laquelle il a ŽtŽ soigneusement conservŽ. Sorolla choisit dÕassocier deux
symboles valenciens : lÕoranger et le costume traditionnel. Le bonnet phrygien est lՎlŽment
principal de la composition. Il sÕagit dÕun clin dÕÏil ˆ la RŽvolution franaise qui rappelle ici
lÕorientation politique du journal. Vicente Blasco Ib‡–ez admirait cette page de lÕhistoire de
France. Ë vingt et un ans, il avait choisi pour nom maonnique : ÒDant—nÓ.
A. Figures
306
3. KNOCKO THE MONK AS AN ART CRITIC, 1909.
- LE SINGE KNOCKO, CRITIQUE DÕART -
Gus Mager (1878-1956)
Evening Journal, New York, 3/04/1909.
APMS IV.
Charles Augustus Mager (Gus) est un dessinateur amŽricain dÕorigine allemande, auteur de
bandes dessinŽes qui sont devenues culte aux ƒtats-Unis telles que Sherlocko the Monk (1910)
A. Figures
307
et Hawkshaw the Detective (1913). Le personnage du singe Knocko est antŽrieur puisquÕil
remonte ˆ 1904. Les singes de Mager inspireront les Marx Brothers qui leur emprunteront leurs
pseudonymes : Groucho, Harpo et Chico. La presse amŽricaine conservŽe au MusŽe Sorolla
atteste la bonne rŽception de lÕexposition du peintre espagnol ˆ lÕHispanic Society, en 1909.
Toutefois, parmi ces articles, le cartoon humoristique de Gus Mager appara”t comme une note
dissonante. Il laisse entendre que lÕEspagnol a ŽtŽ exagŽrŽment encensŽ par la critique
amŽricaine et que cet engouement a eu un impact sur lÕenseignement de la peinture dans les
acadŽmies amŽricaines. Dans ce gag, Knocko se sert de Sorolla comme dÕun Žtalon servant ˆ
mesurer la qualitŽ des toiles que les jeunes peintres lui soumettent. Mme si la partialitŽ du juge
est certainement grossie ˆ des fins comiques, la peinture de Sorolla fut vŽritablement enseignŽe
comme un modle ˆ suivre ˆ lÕAcadŽmie de Philadelphie entre 1894 et 1909. William Merrit
Chase fut un de ses plus fervents dŽfenseurs et cÕest pourquoi le singe-critique pourrait en tre
la caricature. La chute du cartoon repose sur la rŽvolte des novices qui, loin de sÕen laisser
conter, organisent eux-mmes leur vengance en soumettant leur communautŽ ˆ un vote (vignette
n¡5). Par une nuit de pleine lune, ils passeront ˆ tabac le critique arrogant au dŽtour dÕune rue. Il
faut noter la diffŽrence de classe entre ces jeunes peintres ˆ lÕallure nŽgligŽe et aux mŽthodes de
voyou et ce critique au style recherchŽ qui pourrait tre un bourgeois de la ville. Sorolla pouvait
difficilement tre acceptŽ des jeunes car sa peinture nÕavait pas ŽtŽ introduite par eux mais par
les classes dominantes. CÕest bien elles qui lÕavaient imposŽe, dÕen haut.
A. Figures
308
4. FIGURAS POPULARES, 1914.
- FIGURES POPULAIRES -
[Dessinateur inconnu].
Revista pol’tica y administrativa, XŽrs de la Frontera, 11/11/1914.
APMS V.
Ë lÕautomne 1914, Sorolla vient dÕachever le premier panneau de Visi—n de Espa–a, consacrŽ
aux deux Castilles. Du 8 au 16 octobre, il sŽjourne ˆ XŽres de la Frontera pour trouver le motif
de son premier panneau andalou 3. Le choix de cette ville nÕest pas anodin. En effet, elle compte
parmi les citŽs espagnoles les plus connues hors des frontires du pays pour ses vins qui Žtaient
exportŽs, entre autres, vers le nord de lÕEurope et aux ƒtats-Unis. Sur place, le peintre rŽalise
quelques Žbauches de paysages de vignes pour composer un grand format sur le thme des
vendanges, dont il abandonnera ensuite le projet. Comme ce fut souvent le cas lors de ses
dŽplacements en province, Sorolla ne refuse pas lÕinvitation dÕun notable de la ville honorŽ de
recevoir chez lui un h™te de marque. Ë XŽrs, il est donc reu chez un propriŽtaire terrien Žtabli
3.
Epistolarios de Joaqu’n Sorolla, II. Correspondencia con Clotilde Garc’a del Castillo,
Barcelone, Anthropos, 2008, page 152.
A. Figures
309
ˆ deux kilomtres de la ville au cÏur de son domaine viticole.4 Plus tard, ˆ Ayamonte, il sera
reu par lÕindustriel Feu qui mettra ˆ sa disposition les locaux indispensables ˆ la prŽparation du
panneau La pesca del atœn.5
Quelques semaines aprs le passage du peintre ˆ XŽrs, et alors quÕil se trouve encore ˆ SŽville,
un journal local publie le dessin prŽsentŽ ci-dessus. La lŽgende nÕest pas de trop pour identifier
ce voyageur au visage ŽmaciŽ, visiblement fatiguŽ : Ç El eminente artista de la paleta Sr. Sorolla
que ha sido nuestro huŽsped d’as pasados6. È dit la lŽgende. Pour plusieurs raisons, ce dessin
apparement anodin a la valeur dÕun symbole. Il montre tout dÕabord un personnage connu de
tous dont les apparitions sont si rares depuis quÕil travaille ˆ sa commande amŽricaine. En effet,
ses voyages de province en province lÕont ŽloignŽ de Madrid et des media. Pour le souligner, le
dessinateur le reprŽsente en voyageur, tel quÕil sÕest probablement prŽsentŽ en arrivant sur
place. On remarque, au passage, les traits tirŽs du visage de cet homme ŽreintŽ par les
dŽplacements constants. AssociŽ ˆ la lŽgende, lÕensemble peut laisser entendre que, sur la route
du ma”tre, la citŽ andalouse est une halte salutaire. Il faut remarquer, enfin, que ce personnage
aux faux airs de vagabond appara”t dans un costume bourgeois et fumant un imposant cigare,
des indices qui laissent entrevoir sa condition sociale.
4.
5.
6.
JosŽ Luis JimŽnez, ÒSorolla en Jerez para pintar la vendimiaÓ, La Voz, Madrid, 9/04/2006.
Florencio de Santa-Ana, ÒLa estancia ayamontina de Joaqu’n SorollaÓ, Bolet’n de Ayamonte,
Ayamonte, 09/1999.
Ç LÕillustre artiste ˆ la palette, M. Sorolla, qui a ŽtŽ notre h™te il y a quelques jours. È
A. Figures
310
5. RENOVACIîN, 1916.
- RENOUVEAU -
Renovaci—n, 16/09/1916.
APMS V.
Le premier numŽro de Renovaci—n, la revue de la Jeunesse Artistique de Valence, est ŽditŽ en
septembre 1916. Sur la premire page de la revue figure la reproduction dÕun dessin de Sorolla
au-dessus de cette lŽgende : Ç Hermoso boceto dibujado por Sorolla para esta revista de
juventud. È7 En dŽpit de cette indication et du titre du dessin, le plus probable est que Sorolla ne
le fait pas prŽcisŽment pour la revue. Il sÕagit sans doute dÕune Žbauche pour un tableau en
grand format qui pourrait appartenir ˆ sa production de plage de lՎtŽ 1916 car il existe plusieurs
dessins presque identiques ˆ celui-ci, conservŽs dans les archives du MusŽe Sorolla. LÕun dÕeux
a ŽtŽ reproduit dans le fascicule La Casa de Sorolla.8 Cette mre acclimatant son jeune enfant ˆ
lÕeau est un motif rŽpŽtŽ dans son Ïuvre. Jugando en el agua, un tableau peint en 1908, en est
7.
8.
Ç Belle Žbauche dessinŽe par Sorolla pour cette revue de la jeunesse. È
La Casa de Sorolla, Madrid, Patronato del Museo Sorolla, 1932page 43.
A. Figures
311
un bon exemple.9 En tant quÕallŽgorie de la Jeunesse Artistique de Valence, ce dessin anodin
mŽrite un Žclairage particulier. Le jeune enfant reprŽsente sans doute la gŽnŽration nouvelle,
mais que dire de cette mre ? Le Valencien avait coutume dÕemployer une mŽtaphore aquatique
pour parler de lÕapprentissage de la peinture. En 1918, dans un entretien accordŽ ˆ un journalise
dÕEl Imparcial, il affirme : Ç En general, me parece preferible la pincelada corta porque barre
menos matices. Pero esto es como nadar. El aprendiz se vale de corchos, y no nada. El que
sabe se tira de cabeza o de lado, y siempre flota 10 . È LÕimage est frappante quand on songe au
dessin prŽsentŽ ci-dessus. SÕil reprŽsente vŽritablement le premier contact dÕun enfant avec
lÕeau, Sorolla se prŽsente comme celui qui, telle une mre, transmet lÕart de la peinture.
9.
10.
Jugando en el agua, 75x105, Madrid, RABASF, 1908.
Francisco Camba, ÒSorollaÓ, El Imparcial, Madrid, 15/02/1918. Ç En gŽnŽral, la touche courte
me semble prŽfŽrable parce quÕelle gomme moins de nuances. Mais cela est comme nager. Le
novice se sert de flotteurs, et il ne nage pas. Celui qui sait, plonge tte la premire ou sur le c™tŽ,
et il flotte toujours. È
A. Figures
312
6. VALENCIA RECIBE EL CADçVER DE JOAQUêN SOROLLA, 1923.
- VALENCE ACCUEILLE LA DƒPOUILLE DE JOAQUêN SOROLLA -
ÒCampœaÓ. JosŽ M.a Demar’a L—pez (1870-1936).
Mundo Gr‡fico, Madrid, 14/08/1923.
APMS. VI.
Le reportage photographique publiŽ par Mundo Gr‡fico donne une idŽe de la foule immense
prŽsente sur le parcours du cortge funbre. EncadrŽs dans une fentre en bas de page, la veuve
et le fils du peintre sont ˆ peine visibles sur le grand format. Pour voir passer le corbillard, les
Valenciens se sont massŽs sur les trottoirs et quelques-uns se sont mme juchŽs sur le toit des
omnibus comme il appara”t sur la gauche de lÕimage. Au premier plan, les hommes ™tent leurs
chapeaux en signe de respect au dŽfunt. Enfin, il est difficile de dŽceler dans ce document la
tension qui rgne entre un petit groupe de rŽdacteurs du journal El Pueblo et les autoritŽs
prŽsentes sur place. On constate cependant la nervositŽ de la garde montŽe qui Žcarte le public,
sabre au point, intimant lÕordre de reculer.
A. Figures
313
7. HOMENAJE DE LOS ARTISTAS SEVILLANOS A LA MEMORIA DE D.
JOAQUêN SOROLLA, 1924.
- HOMMAGE DES ARTISTES SƒVILLANS Ë D. JOAQUêN SOROLLA -
Buste de JosŽ Capuz (1884-1964) et socle de Vicente Traver (1888-1966).
Photographie sans titre de ÒCampœaÓ. JosŽ M.a Demar’a L—pez (1870-1936), 26/10/1924.
Collection du MusŽe Sorolla, n¡Inv. 80.884.
Le reportage photographique de ÒCampœaÓ (Agence C‡mara) fut partiellement publiŽ in :
ÒHomenaje de los artistas sevillanos a la memoria de D. Joaqu’n SorollaÓ, Mundo Gr‡fico,
Madrid, 5/11/1924. APMS VII.
Le premier monument consacrŽ ˆ la mŽmoire de Sorolla est inaugurŽ le 26 octobre 1924, dans le
Jardin des DŽlices de SŽville. La Section des Beaux-Arts de lÕAteneo sŽvillan finance cette
installation composŽe dÕun socle en pierre surmontŽ du buste en bronze de JosŽ Capuz. Le
sculpteur avait formŽ Elena Sorolla, la fille du peintre, et avait rŽalisŽ plusieurs Ïuvres pour le
compte de la famille. Sorolla Žtait attachŽ ˆ ce jeune Valencien qui Žtait, par ailleurs, un neveu
du scultpeur Cayetano Capuz de qui il avait appris le dessin ˆ lՃcole des Artisans, quand il Žtait
enfant. LÕhommage des SŽvillans soulve une polŽmique ˆ Valence car la municipalitŽ nÕa
encore rien fait de semblable. Pour comprendre cette initiative, il faut rappeler que Sorolla fut
sŽduit par lÕAndalousie bien quÕil dŽcouvr”t tardivement cette rŽgion, en 1902. Il y voyagea
ensuite souvent et, gr‰ce ˆ son disciple Santiago Mart’nez, il se lia dÕamitiŽ avec sa
A. Figures
314
communautŽ artistique. Dans le discours quÕil prononce le jour de lÕinauguration du monument,
Mart’nez explique ainsi le geste de ses confrres : Ç Al ocurrir la muerte del gran maestro de la
pintura espa–ola don Joaqu’n Sorolla, se reuni— la Secci—n de Bellas Artes del Ateneo,
acordando rendir un homenaje al que fue en vida artista glorioso, al mismo tiempo que
enamorado entusiasta de esta Sevilla. [É] El acuerdo tomado fue el de elevar un monumento
que perpetuara la memoria de tan gran maestro, pagando de este modo la deuda de gratitud que
ten’an contra’da Sevilla y sus artistas con el insigne pintor : Sevilla, por lo mucho que la am—
durante su vida y por las obras geniales que de sus bellezas supo crear, repartiŽndolas por el
mundo como ense–anza y honra de nuestra ciudad. È11 En effet, Sorolla avait peint la citŽ
andalouse ˆ maintes reprises. Dans ce discours, Santiago Mart’nez fait plus particulirement
rŽfŽrence ˆ Visi—n de Espa–a puisque pas moins de quatre des quatorze panneaux du dŽcor ont
ŽtŽ peints ˆ SŽville et dans ses environs : El encierro, Los nazarenos, El baile et Los toreros.
11.
Anonyme, ÒLa inauguraci—n del monumento a Joaqu’n SorollaÓ, El Liberal, Murcie, 27/10/1924.
Ç Quand survint la mort du grand ma”tre de la peinture espagnole don Joaqu’n Sorolla, la Section
des Beaux-Arts de lÕAteneo se rŽunit, sÕaccordant ˆ rendre hommage ˆ celui qui fut, sa vie
durant, un artiste couvert de gloire mais aussi un amoureux enthousiaste de cette ville de SŽville.
[É] La rŽsolution prise consistait ˆ Žlever un monument ˆ la mŽmoire dÕun si grand artiste,
soldant ainsi la dette de reconnaissance que SŽville et ses artistes avaient contractŽe envers
lÕillustre peintre : SŽville, pour tout lÕamour quÕil lui porta sa vie durant et pour les Ïuvres de
gŽnie quÕil sut crŽer avec ces splendeurs, en les dispersant de par le monde comme enseignement
et honneur de notre ville. È
A. Figures
315
8. MADRID. INAUGURACIîN DEL MUSEO SOROLLA, 1932.
- MADRID. INAUGURATION DU MUSƒE SOROLLA -
Zegr’ (inc.-inc.)
Blanco y Negro, Madrid, 12/06/1932.
APMS VIII.
Le MusŽe Sorolla est inaugurŽ le 11 juin 1932 par le chef du gouvernement Manuel Aza–a ainsi
que le prŽcise la lŽgende : Ç Bajo la presidencia del jefe del gobierno, Sr. Aza–a, y con
asistencia del ministro de Instrucci—n Pœblica, director General de bellas artes, representantes
diplom‡ticos y un select’simo pœblico de cr’ticos y artistas, se verific— ayer la inauguraci—n
oficial del Museo Sorolla, en el que fue domicilio y estudio del glorioso pintor. È12 On distingue
clairement le dirigeant rŽpublicain au centre de la table, devant le tableau Mar’a en El Pardo,
encadrŽ par les deux filles du peintres, Mar’a et Elena. La cŽrŽmonie se dŽroule dans le plus
grand des trois ateliers mais, en dŽpit de la taille de cette pice, la majeure partie des personnes
12.
Ç Sous la prŽsidence du chef du gouvernement, M. Aza–a, et en prŽsence du ministre de
lÕInstruction Publique, Directeur GŽnŽral des Beaux-Arts, des reprŽsentants diplomatiques et
dÕun public de critiques et dÕartistes distinguŽs, lÕinauguration officielle du MusŽe Sorolla sÕest
tenue hier, dans la maison qui fut le domicile et lÕatelier du glorieux peintre. È
A. Figures
316
prŽsentes restent ˆ lÕextŽrieur ainsi que le laissent entrevoir les deux entrŽes, vers lesquelles se
presse la foule la plus compacte. Sur la table est installŽ le micro dÕUni—n Radio car les discours
sont retransmis ˆ Valence par liaison tŽlŽphonique.13 Debout, sur la droite de lÕimage, Amalio
Gimeno est en train de lire son discours. Au premier plan, on ne distingue que les chapeaux des
ŽlŽgantes de la haute sociŽtŽ madrilne.
13.
Anonyme, ÒInauguraci—n del Museo SorollaÓ, El Socialista, Madrid, 12/06/1932.
A. Figures
317
9. ÀCONOCIî USTED A SOROLLA?, 1932.
- AVEZ-VOUS CONNU SOROLLA ? -
Manuel Tovar (1875-1935)
La Voz, Madrid, 13/06/1932.
APMS VIII.
CÕest probablement lÕinauguration du MusŽe Sorolla, ˆ laquelle il vient dÕassister, qui inspire ˆ
Manuel Tovar ce dessin humoristique. Il y a rencontrŽ ˆ cette occasion des admirateurs du
peintre qui ne cachent pas leur aversion pour les courants avant-gardistes. LÕun dÕentre eux,
Bernardino de Pantorba, a violemment opposŽ la peinture de Sorolla au SurrŽalisme dans une
courte biographie publiŽe en 1927. Il considre le courant comme un Òart de pygmŽesÓ :
Apartemos los ojos del arte actual, con su mezquino campo de acci—n, con su
balumba de Òteor’asÓ, con sus pobres ÒismosÓ grotescos, con sus rid’culas
extravagancias, con su ÒingenuidadÓ calculada, con sus amaneramientos de f‡brica,
con su falta de belleza y de verdad, de arranque y de vuelo ; separemos la vista de
tanta figura dislocada, de tanto retrato elemental, de tanto paisaje de rutina, de tanta
fruta poliŽdrica, de tanta notita de color, de tanto engendro de principiante y tanto
aborto de la ignorancia, de la vanidad, de la impaciencia, correados por une cr’tica
A. Figures
318
hueca y presuntuosa, podrida de literatura y, en mil ocasiones, francamente cerril ;
levantŽmonos sobre este lamentable panorama de un arte de pigmeos y para abrir el
alma a la Naturaleza, en ba–o de salud, y ennoblecer los ojos viciados por la
contemplaci—n de esperpentos y mediocridades, fijŽmonos en la labor de Sorolla.14
Pour illustrer avec humour lÕincomprŽhension mutuelle entre les uns et les autres, le dessinateur
imagine cette rencontre impossible entre le fant™me de Sorolla et ÒEl moderno artistaÓ, un jeune
peintre surrŽaliste. Tovar vient de dŽcouvrir lÕatelier de la rue Mart’nez Campos, mais la source
dÕinspiration du dessin pourrait tre une photographie de lÕatelier parisien dÕAndrŽ Breton du 42
de la rue Fontaine. LÕAssociation AndrŽ Breton conserve des clichŽs de cet atelier remontant ˆ
lÕannŽe 1929. On y voit, notamment, les objets dÕart primitif de la collection de lÕintellectuel
franais. LÕune de ces photographies pouvait tre dŽjˆ connue de Tovar. LÕeffet comique du
dessin repose ˆ la fois sur le dŽcalage esthŽtique et gŽnŽrationnel qui sŽpare les deux hommes,
mais aussi sur le contre-pied ˆ lÕadmiration excessive des ex-ÒsorollistesÓ. Alors que ceux-ci
vŽnrent encore le Valencien comme un demi-dieu, son nom nՎvoque, pour les autres, que le
souvenir imprŽcis dÕun millionaire peignant ˆ ses heures perdues !
EL VISITANTE : ÀConoc’o usted a Sorolla?
EL MODERNO ARTISTA : S’; creo que he o’do hablar de ŽlÉ Àno era un se–or
millonario que ten’a la man’a de pintar ?15
Pour les ÒsorollistesÓ et autres notalgiques du peintre de Valence, cette vision relve du
sacrilge.
14.
15.
Bernardino de Pantorba, Joaqu’n Sorolla, Madrid, Figuras de la Raza n¡20, 1927, page 28-29.
Ç DŽtournons le regard de lÕart actuel, avec son champ dÕaction mesquin, avec son fatras de
ÒthŽoriesÓ, avec ses pauvres ÒismesÓ grotesques, avec ses extravagances ridicules, avec sa
Òna•vetŽÓ calculŽe, avec ses manires en sŽrie, avec son manque de beautŽ et de vŽritŽ, dՎlan et
de hauteur ; dŽtournons le regard de tant de figures disloquŽes, de tant de portraits ŽlŽmentaires,
de tant de paysages dŽjˆ vus, de tant de fruits polyŽdriques, de tant de petites touches de couleur,
de tant dÕhorreurs de dŽbutant et de tant de monstruositŽs de lÕignorance, de la vanitŽ, de
lÕimpatience, encensŽs par une critique creuse et prŽtentieuse, gavŽe de littŽrature et, la plupart
du temps, rŽsolumment grossire ; Indignons-nous de ce lamentable panorama dÕun art de
pygmŽes et pour ouvrir lՉme ˆ la Nature, dans un bain salutaire, et pour annoblir les yeux
polluŽs par la contemplation de ces extravagances et autres mŽdiocritŽs, concentrons-nous sur le
travail de Sorolla. È
LE VISITEUR : Avez-vous connu Sorolla ?
LÕARTISTE MODERNE : Oui ; je crois que jÕai entendu parlŽ de luiÉ nՎtait-ce pas un
monsieur millionaire qui avait la manie de peindre ?
A. Figures
319
10. MONUMENT Ç VALENCIA A SOROLLA È, 1933.
Architecture : Francisco Mora Berenguer (inc.-inc.)
Sculpture : Mariano Benlliure.
Photographie Atelier Boldœn, Valence. [1953] publiŽe par Bernardino de Pantorba in La vida y
la obra de Joaquin Sorolla. Estudio biogr‡fico y cr’tico, Madrid, Gr‡ficas Monteverde, 1970,
page 104.
Au terme dÕune dŽcennie dÕaffrontements et de polŽmiques, ce monument voit le jour ˆ la fin de
lÕannŽe 1933. Ainsi que lÕavait souhaitŽ Mariano Benlliure, il est ŽdifiŽ sur la plage de la
Malvarrosa de Valence. Il rappelle ainsi que, ici mme, Sorolla a peint ses tableaux les plus
cŽlbres. Or, le sculpteur avait plaidŽ pour un monument simple, ˆ lÕimage de lÕhomme dont il
honnererait la mŽmoire. Cependant, le monument dŽfinitif ne reflte pas cette vision des choses.
Le projet est confiŽ ˆ lÕarchitecte Francisco Mora Berenguer. Ë lÕinverse du monument sŽvillan,
trs sobre et installŽ dans un jardin intimiste, il dessine un impressionnant monument de style
nŽoclassique, comme si Sorolla avait ŽtŽ un personnage comparable ˆ un hŽros antique. Ë nÕen
pas douter, lÕeffort financier consenti pour Ždifier un tel monument fut au moins proportionnel ˆ
la prŽtendue ÒdetteÓ de la ville envers Sorolla, une idŽe longtemps propagŽe par une partie de la
presse locale. En finanant ce monument spectaculaire et cožteux, le maire rŽpublicain de la
A. Figures
320
ville Vicente Alfaro Moreno entend solder cette ÒdetteÓ mais aussi cl‰mer lÕattachement de sa
famille politique ˆ lÕauteur de Triste herencia et de ÁY aœn dicen que el pescado es caro!
A. Figures
321
11. BILLET DE 25 PESETAS Ç PESCADORAS VALENCIANASÈ, 1936.
11Õ2x7Õ1
ƒmis le 31/08/1936 ˆ Madrid.
Date de mise en circulation inconnue.
Madrid, MusŽe ArquŽologique National.
Inv. 2007/123/4
Il sÕagit du premier billet de banque consacrŽ au peintre espagnol. ÒPescadoras valencianasÓ est
mis en circulation au dŽbut de la guerre civile. Il a ŽtŽ commandŽ par le gouvernement
rŽpublicain ˆ la maison londonienne Thomas de La Rue. Sur le recto, la tour du Micalet de
Valence c™toie un mŽdaillon contenant le portrait de Sorolla. Le recto reproduit une scne de
retour de pche.
A. Figures
322
12. BILLET DE MILLE PESETAS Ç LA FIESTA DEL NARANJO È, 1953.
15Õ8 x 10Õ1
ƒmis le 31/12/1951, ˆ Madrid.
Mis en circulation en 1953.
Collection particulire
Le billet de mille pesetas reprend la police de caractre fleurie popularisŽe par les westerns
hollywoodiens des annŽes trente et quarante. LÕaffiche du film La diligencia (1939) de John
Ford (1894-1973) est peut-tre une rŽfŽrence documentaire utilisŽe par ses concepteurs. Par
ailleurs, ce portrait inŽdit du peintre pourrait lui aussi avoir ŽtŽ influencŽ par le genre car le
large col blanc ainsi rabattu sur la veste sombre rejoint les codes vestimentaires du Far West.
A. Figures
323
Sur le plan technique, le modle est apparemment le billet dÕun dollar avec lequel il partage la
mme encre, la mme longueur et dÕautres dŽtails de composition. Le mŽdaillon blanc laisse
appara”tre en transparence un portrait de don Quichotte coiffŽ dÕun plat ˆ barbe. Selon la
formule consacrŽe, Informaciones prŽsente le ÒSorollaÓ comme infalsifiable, un comble pour
celui qui continue ˆ faire partie des peintres les plus contrefaits ! Ë cette Žpoque, Eugenio Lucas
(1817-1870), Dar’o de Regoyos, JosŽ GutiŽrrez Solana et le Valencien forment ensemble le
quatuor des signatures les plus frŽquemment plagiŽes16 .
Cet Òautre billet vertÓ, forcŽment kitsh, accompagne lÕessor du tourisme nord-amŽricain en
Espagne. Le recto prŽsente le portrait dÕun Sorolla ‰gŽ, ˆ lՎpoque o il peint le dŽcor de
lÕHispanic Society dont un dŽtail figure au verso. Il sÕagit du panneau consacrŽ ˆ Valence qui
immortalise une scne de procession de lÕorange inventŽe de toutes pices. Le billet prŽsente
une Espagne folklorique, conforme ˆ la doctrine du rŽgime franquiste.
16.
Anonyme, ÒNuevo billete de mil pesetasÓ, Informaciones, Madrid, 23/06/1953. AndrŽs
Apell‡niz, ÒLas falsificaciones en la pintura modernaÓ, Pensamiento AlavŽs, Vitoria, 19/04/1954
et A.D.O., ÒApasionante Ç affaire È en el mundo de la pinturaÓ, Pueblo, Madrid, 15/06/1955.
A. Figures
324
13. TIMBRE DE CINQUANTE PESETAS Ç SOROLLA & LEGAZPI È, 1953.
SŽrie 1124-1125.
émise le 9/10/1953.
Tirage: 200.000 exemplaires.
Format !. Bords classiques.
Le premier timbre ˆ lÕeffigie de Sorolla est Žmis ˆ lÕoccasion du trentime anniversaire de sa
mort. Il compte aujourdÕhui parmi les plus recherchŽs des collectionneurs car son tirage est
limitŽ ˆ deux cent mille exemplaires. Selon le journal El Pa’s, il se nŽgociait neuf cent
cinquante euros en 2006 et dŽpasse aujourdÕhui le millier dÕeuros 17. Mais, dŽjˆ ˆ lՎpoque, son
cožt Žtait ŽlevŽ car son usage Žtait rŽservŽ ˆ lÕaffranchissement aŽrien. Il voyage sur les
courriers adressŽs par les touristes ˆ destination de leurs pays dÕorigine. Ce timbre tŽmoigne de
la place occupŽe par Sorolla dans lÕiconographie du rŽgime.
17.
Fernando Barciela, ÒAntiguos, caros y en buen estadoÓ, El Pa’s, Madrid, 25/06/2006.
A. Figures
325
14. J. SOROLLA, PINTOR DE VALENCIA. ESPA„A, 1961.
- J. SOROLLA, PEINTRE DE VALENCE. ESPAGNE -
JosŽ Cabrelles SigŸenza
Las Provincias, Valence, 10/03/1961.
APMS. XVII.
15. J. SOROLLA, SPANIEN, 1961
- J. SOROLLA, ESPAGNE -
Affiche promotionnelle.
Ministerio de Informaci—n y Turismo.
Conception : Rieusset S.A.
Centro de Documentaci—n Tur’stica de Espa–a. Madrid.
Inv. 61-03 R. 858
LÕaffiche prŽsentŽe dans cette coupure de presse tirŽe de Las Provincias est commandŽe ˆ
lÕatelier de graphisme catalan Rieusset par lÕOffice du Tourisme de Valence. Elle reproduit un
tableau conservŽ au MusŽe Sorolla, El balandrito18. Sous lÕimage, un bandeau fait appara”tre la
signature du peintre ˆ c™tŽ de la mention : Ç Sorolla, pintor de Valencia / Espa–a. È LÕaffiche est
assez emblŽmatique de la double revendication de Sorolla, locale et nationale. Sous le
18.
El balandrito, 100x110, Madrid, MS, 1909.
A. Figures
326
franquisme, le mot ÒEspa–aÓ doit appara”tre dans une police plus grande car la dimension
nationale du peintre prime. DÕailleurs, les versions Žtrangres diffusŽes par le Ministre de
lÕInformation et du Tourisme ne font mme plus appara”tre le mot ÒValenciaÓ, comme on peut
le constater dans lՎdition allemande. Enfin, le choix de lÕenfant au petit bateau prouve que la
campagne est orientŽe vers le tourisme familial des grandes vacances de juillet et dÕaožt. En
1960, ces deux mois reprŽsentent prs de 40% de lÕaffluence touristique annuelle.19 Les
Franais constituaient la principale communautŽ touristique de la c™te mŽditerrannŽenne de
lÕEspagne. En 1956, leurs congŽs payŽs avaient ŽtŽ portŽs de deux ˆ trois semaines annuelles,
facilitant ainsi les dŽparts de la classe moyenne.
19.
Ram—n Tamames et Antonio Rueda, Estructura econ—mica de Espa–a, Madrid, Alianza, 1997
(1985), Tableau n¡3, page 557.
A. Figures
327
16. VALENCIA CONMEMORA EL CENTENARIO DE SOROLLA, 1963.
- VALENCE COMMƒMORE LE 100me ANNIVERSAIRE DE LA NAISSANCE DE SOROLLA -
Photographie de JosŽ Cabrelles SigŸenza (inc.-inc.)
ABC, Madrid, 7/03/1963.
APMS. XIX.
LÕactuel monument valencien consacrŽ ˆ Sorolla est ŽrigŽ sur la Plaza de la Armada Espa–ola,
face au port de Valence, dans un quartier en pleine restructuration dans les annŽes soixante. Il
est inaugurŽ le 27 fŽvrier 1963 par le Directeur GŽnŽral des Beaux-Arts, Gratiniano Nieto Gallo.
La cŽrŽmonie est le premier Žpisode dÕune annŽe culturelle placŽe sous le signe du peintre nŽ un
sicle plus t™t. Ce monument trs sobre, qui remplace celui qui avait ŽtŽ dŽtruit par la crue de
1957, est conu par lÕarchitecte municipal Carlos Soler (inc.-inc.). Le bronze de Benlliure est
rŽinstallŽ sur un nouveau socle entourŽ dÕun bassin de 3,50m par 7,84m censŽ, peut-tre,
symboliser la mer MŽditerrannŽe. Quoi quÕil en soit, lÕensemble est clairement inspirŽ du
monument ˆ Cervantes de la Plaza de Espa–a de Madrid inaugurŽ en 1929. Toutefois, ses
dimensions bien plus petites nÕen font quÕune p‰le copie du prŽcŽdent. Dans la citŽ levantine,
lÕaspect insolite de cette construction sera un sujet de raillerie et alimentera une fois encore
lÕidŽe que Valence est dŽcidŽment incapable de rendre hommage ˆ son peintre. Un journaliste
de Jornada en fait une description cinglante : Ç [É] visto desde lejos parece una falla de tercera
categor’a B, y visto de cerca es una autŽntica birria, con todas las agravantes. Es imperdonable
que a un hombre como Sorolla, que con su arte rindi— culta a la belleza, se le ofrezca como
A. Figures
328
homenaje este esperpento. È 20 En fŽvrier 2008, en pleine ÒsorollamanieÓ, un conseiller
municipal socialiste, Juan Soto (1962), demande ˆ la mairie de rassembler les vestiges de
lÕancien monument Ð celui des rŽpublicains Ð afin de le rŽinstaller, comme en 1933, sur la plage
de la Malvarrosa.21 Mais loin de satisfaire la demande, la mairie aux couleurs du Parti Populaire
restaure le monument existant en 2009 car il se trouve sur le circuit urbain qui va accueillir le
premier Grand Prix de formule 1 de lÕhistoire de la ville.22 Le regard figŽ du peintre, jadis
tournŽ vers la mer, contemple donc aujourdÕhui les bolides du paddok ! Cela semble incroyable
que, comme par le passŽ, le souvenir de Sorolla continue aujourdÕhui ˆ opposer vertement la
droite et la gauche.
20.
21.
22.
Fineza (photographie), ÒÀEs esto lo que Valencia hace por Sorolla?Ó, Jornada, Valencia,
13/11/1963. Ç [É] Vu de loin, il ressemble ˆ une falla de troisime catŽgorie B, et vu de prs
cÕest une vŽritable verrue, avec toutes les circonstances aggravantes. CÕest impardonnable quՈ
un homme comme Sorolla, qui avec son art a vouŽ un culte ˆ la beautŽ, on offre en son hommage
une telle extravagance. È
Anonyme, ÒEl PSPV propone al ayuntamiento la recuperaci—n del monumento a Sorolla en la
playa de la Malva-rosaÓ, http://www.lasprovincias.es/, 7/02/2008.
Cristina Fern‡ndez, ÒSorolla relucir‡ en la F-1Ó, http://www.lasprovincias.es/, 3/08/2009.
A. Figures
329
17. EL NOMBRE DE SOROLLA A UN AVIîN, 1963.
- UN AVION BAPTISƒ AU NOM DE SOROLLA -
Cifra
ABC, Madrid, 31/03/1963.
APMS. XX.
Les autoritŽs franquistes nÕont pas oubliŽ que le peintre Sorolla et le fondateur de lÕHispanic
Society, Archer Huntington, avaient ÏuvrŽ ensemble ˆ la rŽconciliation entre les deux pays
aprs la Guerre de Cuba. ApposŽ sur le flanc dÕun appareil californien achetŽ par la compagnie
dՃtat Iberia, le nom de Sorolla symbolise lÕentente hispano-amŽricaine. Comme un clin dÕÏil ˆ
lÕhistoire, le premier vol transporte ˆ son bord une missive du nouveau directeur de lÕinstitution
new-yorkaise adressŽe au maire de Valence. Le Douglas DC-8 dŽcolle le soir du 29 mars de
lÕaŽroport de Santa Monica. Pour le symbole, il entre sur le territoire espagnol par la localitŽ
dÕEl Ferrol, la ville natale du ÒcaudilloÓ, avant dÕaterrir un peu plus tard ˆ lÕaŽroport de
Manises, au sud de Valence23. Comme on peut le voir sur cette photographie publiŽe par le
23.
Anonyme, ÒAyer lleg— al aeropuerto nacional de Manises el avi—n reactor Ç Sorolla ÈÓ, Las
Provincias, Valence, 31/03/1963.
A. Figures
330
journal ABC, lÕavion est assit™t baptisŽ sur le tarmac au cours dÕune cŽrŽmonie ˆ laquelle
participent les Ždiles et les autoritŽs militaires de la rŽgion. Il intŽgrera ensuite le reste de la flote
transatlantique avec, ˆ son bord, la documentation touristique valencienne qui sera distribuŽe
aux futurs passagers amŽricains.
A. Figures
331
18. FRANCO INAUGURî LA EXPOSICIîN SOROLLA, 1963.
- FRANCO A INAUGURƒ LÕEXPOSITION SOROLLA -
Sanz Bermejo
ABC, Madrid, 23/04/1963.
APMS. XXI.
Sur cette photographie qui fait la couverture du quotidien madrilne ABC, le gŽnŽralissime pose
devant un grand format militaire, El dos de mayo, la premire peinture dÕhistoire du jeune
Sorolla. SituŽ au centre du salon principal, ce tableau avait ŽtŽ longtemps oubliŽ de tous, dÕune
part car le genre Žtait passŽ de mode et, dÕautre part, parce que le tableau se trouvait ˆ Valence,
dans un salon du Conseil GŽnŽral. Le soulvement contre lÕoccupant franais du 2 mai 1808 est
ˆ la fois un symbole dÕunitŽ nationale mais aussi de la grande Žcole espagnole, car Goya lÕavait
magistralement reprŽsentŽ avant lui. Une lŽgende dŽsigne les quatre personnages du premier
plan, cÕest-ˆ-dire le couple Franco ainsi quÕAgust’n Mu–oz Grandes (1896-1970) et Manuel
Lora Tamayo (1904-2002), dont les Žpouses se trouvent, elles, au second plan : Ç Su Excelencia
el Jefe del Estado y su esposa, do–a Carmen Polo de Franco, con el vicepresidente del
Gobierno, capit‡n general Mu–oz Grandes, y el ministro de Educaci—n Nacional, Sr. Lora
A. Figures
332
Tamayo, en su recorrido por las salas de la Exposici—n Sorolla, inaugurada en el Cas—n del
Retiro ayer, a primera hora de la tarde. È24
24.
Ç Son Excellence le chef de lՃtat et son Žpouse, do–a Carmen Polo de Franco, en prŽsence du
vice-prŽsident du gouvernement, le capitaine gŽnŽral Mu–oz Grandes, et du ministre de
lՃducation Nationale, M. Lora Tamayo, lors de leur visite des salles de lÕExposition Sorolla,
inaugurŽe hier au Cas—n del Retiro, en dŽbut dÕaprs-midi. È
A. Figures
333
19. DESSIN HUMORISTIQUE SANS TITRE, 1963.
Rafael Munoa (1930)
Ya, Madrid, 24/04/1963.
APMS. XXI.
La publication de ce dessin humoristique suit de prs lÕinauguration de lÕexposition du Cas—n
del Buen Retiro. Rafael Munoa a, ˆ coup sžr, parcouru ses salles puisque deux tableaux
exposŽs, Sacando la barca (Cat n¡118) et Ni–a saliendo del ba–o (Cat n¡74), figurent dans la
composition du dessin25. Au premier plan, un couple de touristes est confortablement installŽ
dans des transats, comme sÕils se trouvait sur le bord de la plage ou sur le pont dÕun paquebot.
La prŽsence dÕun homme ˆ casquette qui pourrait aussi bien tre un gardien de musŽe quÕun
matelot semble confirmer cette hypothse. Mais ces touristes ne contemplent pas la mer, mais
les tableaux de Sorolla qui la reprŽsentent, et ce couvre-chef aux faux airs de bŽret est bel et
bien la casquette dÕun gardien de musŽe sՎcriant : Ç Comprendemos, se–ores turistas, que
Sorolla tiene mucha luz mediterr‡neaÉ Pero no es para ponerse as’É26 È La rŽprimande met en
Žvidence une situation dŽroutante et absurde qui nÕest pas sans rappeler le tourisme romantique
du XIXe sicle puisque, cent ans plus t™t, les voyageurs Žtrangers recherchaient en Espagne une
25.
26.
Ni–a saliendo del ba–o, 100x70, Madrid, Collection particulire, 1909 et Sacando la barca,
100x120, Madrid, Collection particulire, 1916.
Ç Nous comprenons, messieurs les touristes, que Sorolla contient beaucoup de lumire
mŽditerrannŽnneÉ Mais ce nÕest pas une raison pour sÕinstaller ainsi. È
A. Figures
334
rŽalitŽ conforme ˆ leur imaginaire. Rafael Munoa pousse lÕabsurditŽ jusquՈ placer le touriste
des annŽes soixante face aux images originales dont les reproductions ont, il faut le croire,
nourri sa culture, par le biais dÕaffiches promotionnelles, de timbres, de billets de banque etc. Le
dessin fait ainsi la synthse entre la double utilisation de lÕÏuvre de Sorolla sous le franquisme.
En effet, elle sert ˆ la fois lÕimage du pays ˆ lÕextŽrieur et lÕoffre culturelle proposŽe sur place.
A. Figures
335
20. SƒRIE DE TIMBRES Ç PINTOR JOAQUêN SOROLLA È, 1964.
SŽrie 1566-1575.
ƒmise le 23/03/1964.
Tirage: 4.000.000 dÕexemplaires.
28,8x33,2 et 33,2x28,8. Format !. Bords dorŽs.
De gauche ˆ droite :
1575. Grupa valenciana, 10 pesetas.
1569. Pescadora valenciana, 80 centimes.
1571. El encierro, 1Õ50 pesetas.
1568. Tipos manchegos, 70 centimes.
1567. Boyero castellano, 40 centimes.
1570. Autorretrato, 1 peseta.
1573. Ni–os en la playa, 3 pesetas.
1566. El botijo, 25 centimes.
1574. Sacando la barca, 5 pesetas.
1572. ÁY aœn dicen que el pescado es caro!, 2Õ50 pesetas.
Un mois aprs la fin de lÕannŽe jubilŽ, lՃtat met en circulation cette sŽrie de dix timbres, avec
son enveloppe de collection, ˆ lÕoccasion du Òjour du timbreÓ. Cette Ždition prolonge le
souvenir de lÕexposition du Cas—n del Buen Retiro car Pescadora valenciana (Cat. n¡29) El
A. Figures
336
botijo (Cat. n¡45) Grupa valenciana (Cat. n¡70) ou encore Sacando la barca (Cat. n¡118),
viennent dՐtre prŽsentŽs au public. Le dernier figure dÕailleurs dans la composition du dessin
qui vient dՐtre commentŽ. Contrairement au timbre ŽditŽ en 1953, destinŽ ˆ lÕaffranchissement
aŽrien, la nouvelle sŽrie circulerait ˆ lÕintŽrieur du pays sur les courriers ordinaires. Pour cette
raison, elle est tirŽe ˆ quatre millions dÕexemplaires. Le choix de ces dix tableaux semble avoir
ŽtŽ guidŽ par deux critres. DÕune part, ils refltent le territoire dans sa diversitŽ en montrant des
paysages de Castille, dÕAndalousie et de Valence. DÕautre part, les images sŽlectionnŽes ne
disent rien de la rŽalitŽ de lÕEspagne des annŽes soixante mais brossent, au contraire, la vision
dÕune terre pittoresque et mythique.
A. Figures
337
21 et 22. DESSINS HUMORISTIQUES SANS TITRE, 1967.
M‡ximo
Pueblo, Madrid, 11/03/1967.
APMS. XXIV.
D‡tile
Ya, Madrid, 12/03/1967.
APMS. XXIV.
M‡ximo et D‡tile sont deux dessinateurs espagnols qui collaborent dans les annŽes soixante
avec La Codorniz (1941), la principale revue comique du pays, aux c™tŽs de Munoa, Kalikatres,
Seraf’n, Mena, Mingote, etc. Ces deux dessins doivent tre replacŽs dans le contexte de la crise
du MusŽe Sorolla. Parce quÕelle ne peut plus faire face ˆ ses cožts de fonctionnement,
lÕinstitution est sur le point de fermer ses portes au public ˆ la fin du mois de mars 1967. Trois
ans seulement aprs la fin de lÕÒannŽe SorollaÓ, la nouvelle interpelle lÕopinion et les autoritŽs et
des solutions sont rapidement trouvŽes. Mais avant cela, lÕaffaire inspire quelques dessinateurs
de presse qui apportent, ˆ leur faon, un Žclairage particulier sur cet ŽvŽnement. M‡ximo et
D‡tile choisissent pour point de dŽpart un autoportrait conservŽ au MusŽe Sorolla que le public
conna”t bien puisquÕil figure sur le timbre dÕune peseta de 1964, prŽsentŽ dans la figure
prŽcŽdente. Pour M‡ximo, tout le monde tourne dŽsormais le dos au peintre et celui-ci de
sÕinterroger : Ç Podr’a regalar mis cuadros y todas mis cosas a este extra–o pa’s m’o pero, Àlas
A. Figures
338
querr‡?27 È La question fait allusion ˆ la donation de la veuve qui avait rendu possible la
crŽation dÕun musŽe. Ë la fin des annŽes soixante, le nombre dÕentrŽes enregistrŽ laisse croire ˆ
lÕingratitude des Espagnols, qui ne prennent pas la peine de le visiter et donc de lui donner les
moyens de subsister. D‡tile, quant ˆ lui, met en scne la complainte dÕun visiteur nostalgique :
Ç ÁL‡stima que no aparezca algœn americano que descubra el tesoro art’stico que tenemos
aqu’!28 È Ce visiteur anonyme nÕa visiblement pas oubliŽ le r™le jouŽ par Archer M. Huntington
en faveur de la prŽservation et de la valorisation du patrimoine espagnol. LÕAmŽricain avait
Žgalement ŽtŽ le plus grand mŽcne du Valencien. Enfin, la complainte laisse entendre que les
Žtrangers sont plus ˆ mme de protŽger le patrimoine espagnol que les Espagnols eux-mmes.
27.
28.
Ç Je pourrais offrir mes tableaux et tous mes biens ˆ cet Žtrange pays qui est le mien, mais en
voudra-t-il ? È
Ç Quel dommage quÕun AmŽricain capable de dŽcouvre le trŽsor artistique que nous possdons
ne se prŽsente pas ici ! È
A. Figures
339
23. SOROLLA COMO PRETEXTO, 1974.
- SOROLLA COMME PRƒTEXTE -
Equipo Cr—nica, 1974.
Acrylique sur toile.
Triptyque composŽ de trois panneaux de 121x96. Dimensions totales 363x288.
Valence. Collections de lÕInstitut Valenciˆ dÕArt Modern (IVAM).
Cat. raisonnŽ (2001) page 265.
En 2004, ˆ lÕoccasion de lÕachat du tryptique Sorolla como pretexto par lÕInstitut dÕArt Modern
de Valence, le musŽe publia ce tŽmoignage de Manolo ValdŽs, ˆ lÕintŽrieur de sa revue
Cuadernos del IVAM :
Algunos s‡bados sol’amos ir a un restaurante de la Malvarrosa. Un d’a est‡bamos
Rafael Solbes y yo hablando de pintura y alguien que nos estaba escuchando dijo
que cuando era ni–o ve’a a Sorolla pintando del natural en esa playa. Recordaba
haber visto a Sorolla con un caballete que montaba all’ mismo y le hab’a visto
protegerse del sol con un sombrero y la paleta con su cuerpo, porque no le gustaba
que la arena se pegara a los colores. TambiŽn dec’a que protegerse de los ni–os era
dif’cil. Cuando ese personaje se fue, nosotros continuamos la conversaci—n
comentando que, durante los a–os de la Escuela de Bellas Artes, siempre
cuestion‡bamos a Sorolla, no sab’amos bien si era por la defensa que los profesores
hac’an o por el desconocimiento que ten’amos de su obra. Con el paso del tiempo,
aprendimos a reconocer sus cualidades. All’ mismo empezamos a repasar sus
cuadros hasta que encontramos el que nos parec’a que hab’a sido pintado en ese
A. Figures
lugar. Se trataba del cuadro en el que un ni–o juega con un barquito de vela.
Pensamos que una forma de interpretarlo pod’a ser reducir el cuadro a 4 o 5
colores, usando los rotuladores para despuŽs ampliarlo, de manera que se
conservara el trazo y se pudiera reconocer la herramienta. Este apunte servir’a para
ampliar y fabricar el cuadro. El resultado nos pareci— pobre y decidimos continuar,
hacer una segunda versi—n. Esta vez traducir’amos las manchas que Sorolla hab’a
pintado con tanta soltura a manchas cuyos perfiles ser’an rectos, siempre hechos
con la regla y el tiral’neas para separarnos de su manera de pintar cambiando su
c—digo. Cuando tuvimos estos dos cuadros, vimos que pod’an complementarse y
formar un d’ptico que mostrara las dos maneras de abordarlo. Recordando la
historia que hab’amos o’do en el restaurante, decidimos que deb’amos buscar una
manera de situarlo en el lugar en que hab’a sido pintado, la Malvarrosa. As’ pues,
empezamos un tercer cuadro que hac’a referencia a un mapa de esa playa. Aquello
se hab’a convertido en un tr’ptico. Para darle mayor unidad al conjunto, utilizamos
una cinta adhesiva como un trompe lÕÏil, que hiciera de bisagra de los cuadros, y
con la misma finalidad pintamos las herramientas con las que hab’an sido hechos:
el pincel, el l‡piz y el tiral’neas. S—lo faltaba ya una foto de los ni–os para
completar la imagen. ÒSorolla como pretextoÓ es uno de esos cuadros al pod’amos
haber seguido a–adiŽndole m‡s elementos. Recuerdo que cuando se lo suger’a a
Solbes, dijo: Ç Alguna vez habr‡ que acabarlo29.È
Ç Certains samedis, nous avions lÕhabitude dÕaller manger dans un restaurant de la
Malvarrosa. Un jour, Rafael Solbes et moi Žtions en train de parler de peinture dans
ce restaurant et quelquÕun nous Žcoutait et raconta que, quand il Žtait enfant, il
voyait peindre Sorolla, en plein air, sur cette plage. Il se souvenait lÕavoir vu avec
un chevalet quÕil installait ici mme et il lÕavait vu se protŽger du soleil avec un
chapeau et protŽger sa palette avec son corps, car il nÕaimait pas que le sable se
mŽlange ˆ ses couleurs. Il disait aussi quÕil lui Žtait difficile de se prŽmunir des
enfants. Quand ce personnage sÕen alla, nous poursuiv”mes la conversation en nous
rappelant que, durant nos annŽes ˆ lՃcole des Beaux-Arts, nous discutions
toujours lÕart de Sorolla, sans bien savoir si cՎtait ˆ cause de lÕadmiration
excessive des professeurs ou ˆ cause de notre mŽconnaissance de son Ïuvre. Au fil
du temps, nous avons appris ˆ reconna”tre ses qualitŽs. Toujours dans le restaurant,
nous avons commencŽ ˆ nous remŽmorer ses tableaux jusquՈ ce que nous
trouv‰mes celui qui, selon nous, avait pu tre peint ˆ cet endroit. Il sÕagissait du
29.
Manolo ValdŽs, ÒSorolla como pretextoÓ in Cuadernos del IVAM 02, Valence, IVAM, 2004,
pages 18-19.
340
A. Figures
tableau dans lequel un enfant joue avec un petit bateau ˆ voile. Il nous sembla
quÕune manire de lÕinterprŽter pouvait tre de le rŽduire ˆ 4 ou 5 couleurs, en
utilisant des marqueurs pour ensuite lÕagrandir, de faon ˆ conserver le trait et
laisser lÕoutil utilisŽ facilement identifiable. Cette Žbauche servirait ˆ agrandir et ˆ
fabriquer le tableau. Le rŽsultat nous sembla pauvre et nous dŽcid‰mes de
poursuivre, faire une deuxime version. Cette fois, nous transformerions les t‰ches
de couleur que Sorolla avait peint avec tant dÕaisance en des applats dont les lignes
seraient droites, toujours tracŽes ˆ la rgle et au tire-ligne afin de nous Žloigner de
sa manire de peindre, en changeant ses codes. Aprs avoir obtenu ces deux
tableaux, nous nous sommes rendus compte quÕils pouvaient se complter et
former un dyptique montrant deux manires de lÕaborder. En nous remmŽmorant
lÕhistoire que nous avions entendu au restaurant, nous avons pris la dŽcision de
chercher une manire de le situer dans le lieu o il avait ŽtŽ peint, la Malvarrosa.
De sorte que nous avons commencŽ un troisime tableau qui ferait appara”tre un
plan de cette plage. Le projet sՎtait donc transformŽ en un tryptique. Afin de
donner davantage dÕunitŽ ˆ lÕensemble, nous avons fait appara”tre des morceaux de
scotch peints en trompe lÕÏil, ˆ la manire dÕune charnire entre les tableaux, et
dans le mme esprit nous avons peint les outils avec lesquels nous avions travaillŽ :
le pinceau, le crayon et le tire-lignes. Enfin, il ne manquait quÕune photo des
enfants pour complŽter lÕimage. ÒSorolla como pretextoÓ est un de ces tableaux que
nous aurions pu poursuivre en lui ajoutant davantage dՎlŽments. Je me souviens
que lorsque je le suggŽrais ˆ Solbes, il disait : Ç Un jour il faudra le terminer. È
341
A. Figures
342
24. ESPA„A. TODO (NUEVO) BAJO EL SOL, 1990.
- ESPAGNE. TOUT ( DE NOUVEAU) SOUS LE SOLEIL -
Affiche promotionnelle.
Ministerio de Transportes, Turismo y Comunicaciones.
Conception : DÕArcy Masius Benton & Bowles.
Centro de Documentaci—n Tur’stica de Espa–a. Madrid.
Inv. M 15325-1990.
Les tableaux du Valencien ont servi ˆ promouvoir les plages de la c™te mais, cette fois, ils
apparaissent dans une campagne valorisant le patrimoine artistique national. On peut voir ici
une vue du troisime atelier du MusŽe Sorolla dans lequel on reconna”t le lit turc et la copie en
pl‰tre de la Victoire de Samothrace. Sur le chevalet se trouve un portrait de son Žpouse Clotilde
dit ҈ la mantille noireÓ. Les robes blanches qui se dŽtachent sur le parquet clair et mat, le tout
enveloppŽ par la lumire diaphane qui tombe de la verrire, tout cela fait Žcho au tableau Paseo
a orillas del mar que lÕon aperoit au second plan, accrochŽ au milieu du mur. La maxime
biblique Òrien de nouveau sous le soleilÓ (EcclŽsiaste I, 9), transformŽe ainsi quÕil appara”t sur
lÕaffiche, laisse entendre que tout a changŽ en Espagne et tout est bel et bien sur le point de
changer pour le MusŽe Sorolla. Car en 1990, la rŽforme de son statut juridique est dŽjˆ Òdans
lÕairÓ puisque le gouvernement est prt ˆ intervenir dans ce sens pour permettre ˆ la Sude
dÕorganiser lÕexposition FrŒn tvŒ hav. Zorn och Sorolla. Par le passŽ, les dŽcideurs politiques
A. Figures
343
avaient plusieurs fois financŽ des campagnes de travaux pour le moderniser afin de le rendre
plus attractif, mais cela nÕavait pas eu dÕimpact sur son affluence. La clŽ du changement se
trouve ailleurs. En effet, la rŽforme du statut juridique du MusŽe Sorolla, qui autorisera enfin les
prt, sauvera lÕinstitution.
A. Figures
344
25. ESPA„A. PLAYAS, 1998.
- ESPAGNE. PLAGES -
Affiche promotionnelle rŽŽditŽe en 2000.
Ministerio de Econom’a y Hacienda
Conception : Pedro Alonso, Madrid.
Centro de Documentaci—n Tur’stica de Espa–a. Madrid.
Inv. 98-08 R. 566
CÕest un dŽtail dÕun tableau du MusŽe du Prado, Chicos en la playa, qui figure sur cette affiche
sous-titrŽe ÒEspa–a. PlayasÓ. Le nom du peintre nÕappara”t pas car, en 1998, il nÕa toujours pas
ŽtŽ redŽcouvert hors des frontires du pays. MalgrŽ les rŽcentes expositions Unter Spaniens
Sonne. Landschaften von Joaqu’n Sorolla (1863-1923) organisŽe ˆ Cologne en 2002 et Sargent
et Sorolla, peintres de la lumire, ˆ Paris en 2006, lÕEspagnol demeure aujourdÕhui
pratiquemment inconnu du grand public europŽen. Toutefois, par le biais de campagnes
publicitaires comme celle-ci, des images tirŽes de sa peinture ont largement ŽtŽ diffusŽes ˆ
lՎtranger. Aperues sur une affiche touristique, une carte postale ou bien au dŽtour dÕune page
de manuel scolaire dÕespagnol, ces scnes de plage ensoleillŽes sont vaguement connues des
citoyens de lÕUnion EuropŽnne.
A. Figures
345
26. CARTAS DE SOROLLA, 2006.
- LETTRES DE SOROLLA -
DePalacio Films pour RTVV (Radiotelevisi— Valenciana) et Generalitat Valenciana.
Mise en scne : JosŽ Antonio Escriv‡.
ScŽnario : Horacio Valc‡rcel.
DurŽe : 2 heures.
Acteurs principaux: JosŽ Sancho (Joaqu’n Sorolla) et Rosanna Pastor (Clotilde Garc’a del
Castillo).
Le tŽlŽfilm biopic de JosŽ Antonio Escriv‡ est diffusŽ pour la premire fois ˆ la tŽlŽvision le 14
novembre 2006, sur la cha”ne valencienne Canal 9. Ë la manire dÕun documentaire historique,
le film retrace la vie et la carrire du peintre, de son enfance jusquՈ sa mort. Escriv‡ dŽclare
dans la presse que son objectif principal a ŽtŽ de donner vie aux tableaux :
-
ÀEn quŽ medida la pel’cula es biogr‡fica y en cu‡l se aproxima al documental?
-
Mi idea ha sido darle vida a los cuadros y creo que lo he logrado. Me he
preocupado m‡s de eso que de contar la vida de Sorolla. Quer’a que los
cuadros tomaran vida30.
30.
Alejandro Plˆ, ÒHe puesto la c‡mara donde Sorolla pon’a el caballeteÓ,
http://www.lasprovincias.es/, 7/11/2006.
- Dans quelle mesure le film est-il biographique, dans quel mesure se rapproche-t-il dÕun
documentaire ?
A. Figures
346
Un personnage fictionnel, Ram—n Bertomeu, tire les fils de la construction narrative. Ce jeune
journaliste entreprend lՎcriture dÕun essai biographique et, pour Žtoffer son manuscrit, il
rencontre lÕartiste, puis son Žpouse ainsi que lՎcrivain Vicente Blasco Ib‡–ez. Au grŽ des
entretiens, les Žvocations du passŽ donnent lieu ˆ de longues analepses. En tant que programme
ˆ destination du grand public, Cartas de Sorolla a incontestablement rempli une mission
pŽdagogique. Cela ne veut pas dire que la vision dŽlivrŽe soit neutre. En effet, elle privilŽgie le
lien entre le peintre et sa rŽgion natale, car le tŽlŽfilm est financŽ par la cha”ne de tŽlŽvision
rŽgionale officielle et par la CommunautŽ Autonome de Valence ˆ hauteur de plus de deux
millions dÕeuros31. Sous le franquisme, un tel point de vue aurait certainement ŽtŽ ŽcartŽ car le
peintre devait appara”tre dans sa dimension nationale.
-
31.
Mon idŽe a ŽtŽ de donner vie aux tableaux et je crois que jÕai rŽussi. Je me suis davantage
intŽressŽ ˆ cela quՈ la vie de Sorolla. Je voulais que les tableaux prennent vie.
Anonyme, ÒJosŽ Sancho desvela en miniserie RTVV el lado m‡s humano de SorollaÓ,
actualidad.terra.es, 7/11/2006.
A. Figures
347
27. CENTENARIO DE LA EXPOSICIîN DE 1909 y ANIVERSARIO DEL HIMNO
REGIONAL, 2009.
- CENTENAIRE DE LÕEXPOSITION DE 1909 ET DE LÕHYMNE REGIONAL -
Manolo ValdŽs.
Affiche promotionnelle.
Collection particulire.
En mai 2009, la mairie de Valence inaugure une exposition commŽmorant le centenaire de
lÕExposition RŽgionale de 1909. Pour lÕoccasion, lÕartiste Manolo ValdŽs rŽinterprte un
tableau de Sorolla, Grupa valenciana, dans une affiche promotionnelle32. Le Valencien a peint
deux fois ce sujet, en 1908 puis en 1916, dans le panneau de Visi—n de Espa–a consacrŽ ˆ sa
rŽgion natale33. ValdŽs simplifie la composition et pose la couleur ˆ lÕintŽrieur de formes
gŽomŽtriques pour suggŽrer en trompe-lÕÏil un recouvrement par des tessons de cŽramiques en
rŽfŽrence aux fabriques de Manises. Une fois encore, ValdŽs puise un sujet dans lÕÏuvre de
32.
33.
Roc’o Carri—n, ÒValdŽs reinventa a Sorolla en el cartel del centenario de la Exposici—n
RegionalÓ, abc.es, 24/02/2009.
Grupa valenciana, 254x185, Barcelone, MusŽe National dÕArt de Catalogne, 1908 et Valencia.
Las grupas, 351x301, New York, HSA, 1916.
A. Figures
348
Sorolla, sans pour autant sacrifier sa technique. Il dŽmontre ainsi que lÕart contemporain peut
sÕapproprier son Ïuvre.
A. Figures
349
n¡28. VUE SATELLITE DU MUSƒE SOROLLA DE MADRID, 12/04/2009.
Imagerie GeoEye. 2009!
DonnŽes cartographiques Google, Tele Atlas.
http://maps.google.fr/maps?utm_campaign=fr&utm_medium=ha&utm_source=fr-ha-emea-frbk-gm&utm_term=google%20map.
Le MusŽe Sorolla est situŽ dans le quartier de Chamber’, au nord du centre historique de
Madrid, entre les rues Garc’a de Paredes, Zurbano, General Mart’nez Campos et Miguel çngel.
Dans lÕencadrŽ, on distingue clairement les trois parties de la propriŽtŽ cÕest-ˆ-dire les jardins, la
maison qui occupe la moitiŽ gauche du trapze et, au fond, les ateliers en galerie dont peut voir
les trois verrires. Au fil du dŽveloppement de la ville et de son urbanisation croissante, le
quartier sÕest transformŽ et le MusŽe Sorolla se trouve aujourdÕhui encaissŽ entre des
immeubles construits sous le franquisme. Cette position rend trs difficile tout projet
dÕextension. LÕaggrandissement de musŽes existants est une pratique en vogue sur la
A. Figures
350
Òpromenade des artsÓ de Madrid, qui comprend tous les musŽes qui longent lÕavenue Paseo del
Prado et dont le dernier en date est lÕimpressionnant Caixa Forum (2007), situŽ au numŽro 36.
LÕextension du MusŽe Reina Sof’a dessinŽe par lÕarchitecte franais Jean Nouvel (1945) a
ouvert ses portes en octobre 2005 et celle du MusŽe du Prado, imaginŽe par Rafael Moneo
(1937), a ŽtŽ inaugurŽe le 30 octobre 2007. Dans le cas du MusŽe Sorolla, le projet passe par
lÕacquisition des appartements des immeubles collatŽraux. Il a ŽtŽ lancŽ en 2009, date des
premiers achats, mais il sՎtendra nŽcessairement sur une pŽriode longue.
A. Figures
351
n¡29. AFFICHE PROMOTIONNELLE DU CIRCUIT SOROLLA, 2012.
Instituci—n Joaqu’n Sorolla de Investigaci—n y Estudios - CMCV - Generalitat Valenciana.
http://www.institucionsorolla.gva.es/es/publicaciones-e-investigacion/ruta-sorolla.html.
Le circuit Sorolla est un itinŽraire touristique permettant de dŽcouvrir vingt-neuf sites
valenciens Žvoquant la vie et lÕÏuvre du peintre. Le projet a ŽtŽ financŽ par la CommunautŽ
Autonome de Valence et sa rŽalisation a ŽtŽ confiŽ ˆ lÕInstitut Joaqu’n Sorolla dՎtude et de
recherches. Voici les Žtapes de ce parcours :
1. Maison natale de J. Sorolla.
2. ƒglise Sainte Catherine.
A. Figures
3. RŽsidence de la famille Sorolla Bastida (1864-1865).
4. Foyer adoptif de Joaqu’n et Concha Sorolla Bastida depuis 1865.
5. Ancien emplacement de lՃcole des Artisans de Valence.
6.
ƒcole des Artisans de Valence.
7. Centre El Carmen.
8. Atelier photographique et domicile de la famille Garc’a del Castillo.
9. Ancien emplacement de la SociŽtŽ RŽcrŽative El Iris.
10. Premier atelier de Joaqu’n Sorolla.
11. Deuxime atelier.
12. Escalones de la Lonja. DŽcor de lÕÏuvre El grito del palleter.
13. ƒglise San Mart’n.
14. Maison natale de Saint Vincent Ferrer. DŽcor de lÕÏuvre Exvoto.
15. Maison musŽe Benlliure.
16. Mairie de Valence.
17. CathŽdrale de Valence.
18. Place Redonda.
19. ƒglise Saint Jean.
20. Palais de lÕExposition.
21. Casilicio de la Virgen de los Desamparados en el Puente del mar.
22. Cercle des Beaux-Arts de Valence.
23. MusŽe des Beaux-Arts de Valence.
24. Plage de la Malvarrosa. Maison musŽe Vicente Blasco Ib‡–ez.
25. Ancien Asile San Juan de Dios.
26. Maison dels bous.
27. Monument ÒValencia a SorollaÓ.
28. Cimetire GŽnŽral de Valence.
29. Collection de peinture du MusŽe Lladr—.
352
B. Annexes
353
B. A N N E X E S
1. Liste des expositions monographiques
AnnŽe
Titre de lÕexposition
Lieu dÕexposition
Dates de
lÕexposition
UnitŽs
ƒdition
dÕun
catalogue
Paris, Galerie Georges Petit.
12 juin - 10 juillet
497
!
Berlin, Galeries Schulte.
DŸsseldorf, Galeries Schulte.
Cologne, Galeries Schulte.
3 fŽvrier - 1 mars
mars
avril
280
=
=
"
"
"
1906
Exposition Sorolla y Bastida
1907
Sorolla y Bastida
1908
Exhibition of Paintings by Sr.
Joaqu’n Sorolla y Bastida
Londres, Grafton Galleries.
4 mai - 4 juillet
278
!
1909
Joaqu’n Sorolla y Bastida at
The Hispanic Society of
America
New York, The HSA.
Buffalo , Fine Arts Academy.
Boston, Copley Society.
8 fŽvrier - 8 mars
19 mars - 10 avril
20 avril - 11 mai
356
201
201
!
!
"
1911
Joaqu’n Sorolla y Bastida
14 fŽvrier - 12 mars
20 mars - 20 avril
190
189
!
!
1924
Exposici—n Sorolla
2 - 7 fŽvrier
12
"
16 novembre - 5
dŽcembre
49
!
Espa–ola.
Valence, Museo Municipal.
14 mai - 11 juin
108
!
Barcelone, Sala ParŽs.
31 janvier - 15
fŽvrier
33
!
juillet - aožt
28
!
Chicago, The Art Institute.
Saint Louis, City Art Museum.
Madrid, Academia de Bellas Artes
de San Fernando.
1942
Sorolla. Su obra en el arte
espa–ol y sus obras en la
Argentina
1944
Sorolla
1948
Exposici—n de cuadros del
gran pintor Joaqu’n Sorolla
(1863-1923), con motivo del
XXV aniversario de su muerte
1952
J. Sorolla y Bastida (18631923)
Buenos Aires, Instituci—n Cultural
Buenos
Aires,
Galerie
Wildenstein.
1953
Exposici—n de Apuntes y
Dibujos de Joaqu’n Sorolla,
de la Colecci—n de sus hijas
Mar’a y Elena
Madrid, Sala Tois—n.
1 - 31 janvier
100
"
1958
Sorolla en el C’rculo de
Bellas Artes. 46 jardines de
Sorolla
Madrid, C’rculo de Bellas Artes.
3 - 15 octobre
46
!
1960
Exposici—n homenaje a
Sorolla
Madrid, C’rculo de Bellas Artes.
11 - 22 avril
10
"
1963
Sorolla. Pensionado de la
Diputaci—n
Valence, Palacio de la Generalidad.
27 fŽvrier - avril
19
!
Centenario de Sorolla
Valence, Ayuntamiento.
27 fŽvrier - avril
30
!
Primer centenario del
nacimiento de Sorolla
Madrid, Cas—n del Buen Retiro.
22 avril - mai
132
!
10 juillet - 2 aožt
10
!
1965
Joaqu’n Sorolla (1863-1923)
Worcestershire, Broadway Art
B. Annexes
354
Gallery (Royaume-Uni).
Un siglo de arte valenciano.
IV. Joaqu’n Sorolla.
Exposiciones
Conmemorativas de las
Pensiones de Bellas Artes de
la Diputaci—n Provincial
Valence, Diputaci—n Provincial.
27 octobre - 14
nov.
19
!
1967
Joaqu’n Sorolla
Alicante, Aula de Cultura Altea.
27 juillet - 8 aožt
36
"
1968
Joaqu’n Sorolla y Bastida
(1863-1923)
Madrid, Galer’a Theo.
19 novembre - 7
dŽcembre
[inc.]
!
1973
Exposici—n Sorolla
Barcelone, Sala ParŽs.
10 - 22 mars
41
!
1974
Dibujos de Sorolla de la
colecci—n Pons-Sorolla
22 octobre - [inc.]
!
[inc.]
180
=
=
=
=
=
=
Valence, Diputaci—n Provincial
[inc.]
[inc.]
Valence, Museo de Bellas Artes.
SŽville, Museo de Bellas Artes.
Valladolid, Museo de Bellas Artes.
Bilbao, Museo de Bellas Artes.
Grenade, Hospital Real.
Barcelone, Palacio de la Virreina.
Madrid, Direcci—n General de Bellas
Artes.
[inc.]
[inc.]
[inc.]
[inc.]
[inc.]
1979
J. Sorolla
1982
El jard’n de la Casa Sorolla
en la pintura de Sorolla
Madrid, Museo Sorolla.
[inc.]
24
!
1983
Sorolla
Tarrasa.
Barcelone.
Villanueva y Geltrœ.
mars - juin
[inc.]
[inc.]
!
30 janvier - 3 mars
31
!
15 octobre - 1 dŽc.
35/24
!
fŽvrier
15
!
New York, The HSA.
Saint Louis, City Art Museum.
San Diego, Museum of Art.
Valence, IVAM.
mars - mai
juin - aožt
aožt - octobre
novembre - janvier
97
=
=
=
!
1985
Els Sorolla de lÕHavana.
Col.lecci— del Museo
Nacional de Bellas Artes de
Cuba
Sorolla - Solana
Valence, Centre de la Caixa de
[inc.]
lÕEstalvis.
Lige, Salle Saint Georges.
1986
Joaqu’n Sorolla y Bastida
(1863-1923)
1989
Sorolla an 80th anniversary
exhibition
1991
FrŒn tvŒ hav. Zorn och
Sorolla
Stockholm, Nationalmuseum.
7 nov. - janv.
53/61
!
1992
Sorolla, el pintor de la luz
MŽxico, Museo de San Carlos.
dŽcembre -fŽvrier
[inc.]
!
Sorolla en Guipuzkoa
Saint SŽbastien, Sala Kutxa.
avril - septembre
55
!
4 mars - 3 mai
61/53
!
[inc.]
[inc.]
"
1/04 au 19/01
51
!
Sorolla - Zorn
1993
Sorolla
Madrid, Galer’a Jorge Juan.
Madrid, Museo Sorolla.
La Havane, Museo Nacional de
Bellas Artes.
1994
Sorolla en Andaluc’a
SŽville, Hospital de los Venerables
Sacerdotes.
B. Annexes
355
[inc.]
!
21 mars - 30 avril
dŽcembre - janvier
175
!
Madrid, Fundaci—n Cultural Mapfre.
novembre - janvier
81
!
Sorolla. Fondos del Museo
Sorolla (suite et fin)
Andorre la Vieille,
òbeda, Hospital de Santiago
janvier
octobre - novembre
[inc.]
Sorolla. Peque–o Formato
(suite)
Bogota, Museo de Arte Moderno
Valladolid, Teatro Calder—n
Palencia, Sala Caja Espa–a
fŽvrier - mars
novembre
dŽcembre
175
?
Oviedo, CAMCO
9 mai - 2 juin
70
!
mars - avril
26
!
janvier
fŽvrier
mars
avril - mai
mai - juin
juin
175
Sorolla. Fondos del Museo
Sorolla
1995
Sorolla. Peque–o Formato
Vigo, Caixavigo.
La Corogne, Kiosko Alfonso.
Santander, Fundaci—n M. Bot’n.
Vitoria, Caja Vital Kutxa.
Pamplune, Planetario.
Barcelone, La Pedrera.
mai - juin
juillet - aožt
aožt - septembre
septembre - oct.
novembre - dŽc.
dŽcembre Ð janvier
Saragosse, Centro Ibercaja.
Valence, Fundaci—n Bancaja.
Murcie, Sala San Esteban.
Logro–o, Sala Am—s Salvador.
Alicante, Llotja del Peix.
Valladolid, Museo de la Pasi—n.
Grenade, Museo de Bellas Artes.
janvier - mars
mars - avril
avril - mai
mai - juillet
juillet - aožt
septembre
novembre - janvier
Valence, Edificio del Reloj.
Castell—n de la Plana, Centro
Sant Miquel.
Joaqu’n Sorolla (1863-1923)
1996
J. Sorolla y la cornisa
cant‡brica
Sorolla y el Mediterr‡neo
Palma de Majorque, Fundaci—n
Barcel—
1997
Sorolla. Peque–o Formato
(suite et fin)
Zamora, Centro Caja Espa–a
Salamanque, Sala La Salina
Le—n, Centro Caja Espa–a
Vigo, Caixavigo
Pontevedra, Museo Provincial
Ourense, Museo Municipal
St Jacques de Compostelle,
Igrexada Universidade
La Corogne, Ayuntamiento
Lugo, [inc.]
Aranjuez, Centro Isabel Farnesio
Joaqu’n Sorolla y Bastida
Salamanque, Sala Caja de Ahorros
juillet - aožt
aožt - septembre
septembre - oct.
octobre - nov.
14 fŽvrier - 10 avril
66
!
mai - juillet.
juillet - sept.
45
!
de Salamanca y Soria
Paisajes de Granada de
Joaqu’n Sorolla
Grenade,
Fundaci—n
Rodr’guez
Acosta
Valence, Museo de la Ciudad
Sorolla (1863-1923)
Caracas, Museo de Bellas Artes
septembre - oct.
60
!
Sorolla en las colecciones
valencianas
Valence, Museo de Bellas Artes
3 mars - 20 avril
[inc.]
!
Bilbao, Museo de Bellas Artes.
19 dŽcembre - 22
36/36
!
Sorolla - Zuloaga, dos
B. Annexes
356
visiones para un cambio de
siglo
1998
Sorolla Zuloaga
Sorolla (1863-1923) (suite)
J. Sorolla a Xˆbia
1999
2000
fŽvrier
8 avril - 28 juin
=
!
Bogota, Museo Nacional34.
Santiago du Chili, CTC.
La Paz, Museo Nacional.
Lima, Museo de Bellas Artes.
fŽvrier - mars
septembre - oct.
juillet - aožt
17 septembre - 18
octobre
60
=
=
58
!
!
J‡vea, Espai dÕArt A. Lambert.
17 juillet - 30 aožt
43
!
4 novembre - 17
janvier
93
!
5 novembre - 31
janvier
131
!
fŽvrier - mai
mars - avril
93
=
Valence, Museo del siglo XIX.
New York, The Spanish Institute.
20 juin - 3 sept.
27 novembre - 21
octobre
61/59
=
!
Orense, Aula Caixanova.
Pontevedra, Sala G. Mendoza.
Lugo, Museo Provincial.
14 sept. - 29 oct.
novembre - dŽc.
dŽcembre - janv.
69
=
=
!
Saragosse, Centro Ibercaja.
Logro–o, Sala Am—s Salvador.
Torre—n de Lozoya (SŽgovie).
Las Palmas de Grande
Canarie, C.I.C.C.A.
Huelva, Fundaci—n El Monte.
Badajoz, MEIAC.
24 janv - 14 avril
27 avril - 2 juin
14 juin - 19 aožt
septembre - octobre
17 oct. - 18 nov.
novembre - janv.
69
=
=
Rio de Janeiro, Museo Nacional.
14 novermbre - 31
dŽcembre
59
!
Valence, Museo del Siglo XIX.
26 novembre - 15
mai
70
!
Madrid, Fundaci—n Mapfre Vida.
Sorolla y la Hispanic Society.
Una visi—n de la Espa–a de
entresiglos
Madrid,
Sorolla y su visi—n de Espa–a:
Dibujo
Madrid, Museo Sorolla.
Sorolla y la Hispanic Society.
Una visi—n de la Espa–a de
entresiglos (suite et fin)
Valence, Museo de Bellas Artes.
La Corogne, Fundaci—n BarriŽ de
Mariano Benlliure y Joaqu’n
Sorolla: Centenario de un
homenaje
Sorolla paisajista
2001
Sorolla paisajista (suite)
Sorolla no Brasil
El Museo Sorolla visita
Valencia
Museo
Thyssen
Bornemisza.
la Maza.
=
=
=
2002
Sorolla paisajista (suite et
fin)
GŽrone, Centro Cultural La Caixa.
Valence, Edificio del Reloj.
Castell—n, Sala San Miguel.
Alicante, Palacio Gravina.
Albacete, CCM.
Cologne, Wallraf Richartz Museum.
janvier - 2 mars
13 mars - 2 mai
mai - juin
juillet - aožt
4 - 30 septembre
19 octobre - 5
janvier
69
=
=
=
=
=
2003
Sorolla y Castilla
Talavera de la Reina, Centro
6 mai - 4 juin
25 sept. - 29 oct.
6 nov. - 8 dŽc.
45
Cultural San Prudencio.
Cuenca, Casa Zavala.
34.
!
n
=
Ë Bogota, cette exposition fut prŽsentŽe sous le titre Sorolla en Gran Formato car la capitale
colombienne venait dÕaccueillir lÕexposition Sorolla. Peque–o Formato. En 2001, ˆ Rio de
Janeiro, elle reut un autre titre : Sorolla no Brasil.
B. Annexes
357
Ciudad
Real,
Museo
L—pez
12 dŽc. - 25 janv.
Vilase–or.
=
Tolde, Museo de Santa Cruz.
2004
Sorolla ’ntimo
Sta. Cruz de Tenerife, Museo
144
M‡laga, Museo de Bellas Artes.
C‡ceres, Museo de Historia.
6 - 31 octobre
10 nov. - 8 dŽc.
15 dŽc. - 6 janv.
çvila, Palacio de los Serranos.
20 janv. - 29 fŽv.
48
Cordoue, Sala Vincorsa.
JaŽn, Museo de Bellas Artes.
Grenade, Centro Gran Capit‡n.
14 janv. - 13 fŽv.
16 fŽv. - 14 mars
30 mars - 23 avril
144
=
=
25 mai - 8 aožt
50
27 janv. - 6 mars
11 mars - 28 avril
5 - 29 mai
45
=
=
Municipal.
Sorolla y Castilla (suite)
2005
Sorolla ’ntimo (suite et fin)
Sorolla en MŽxico
=
MŽxico, Museo Nacional de San
!
=
=
!
!
Carlos.
Sorolla y Castilla (suite)
Murcie, Palacio de Almud’n.
Aranjuez, Centro Isabel
de
Farnesio.
Madrid, Casa de Vacas.
2006
Sorolla y sus contempor‡neos
Castell—n, Sala San Miguel
30 nov. - 22 janvier
15/35
!
Sorolla y la otra imagen en la
colecci—n de fotograf’a
antigua del Museo Sorolla
Valence, Centro del Carmen.
6 novembre - 7
janvier
155
!
phot.
Sorolla y sus contempor‡neos
(suite)
Murcie, Museo de Bellas Artes.
Santiago, Fundaci—n Caixa Galicia.
Sargent y Sorolla
27 janv. - 26 mars
21 avril - 6 juillet
15/35
3 octobre - 7
janvier
55/50
Paris, Petit Palais.
15 fŽvrier - 13 mai
45/48
Madrid, MusŽe Sorolla.
25 janvier - 25 mai
Madrid,
Museo
Thyssen
Bornemisza.
2007
Sargent et Sorolla, peintres de
la lumire
Sorolla y la otra imagenÉ
(suite)
Joaqu’n Sorolla en el Museo
de Bellas Artes de Cuba
Cartas de Sorolla a Pedro
Gil-Moreno de Mora
La casa Sorolla. Dibujos
Blasco Ib‡–ez y Sorolla
inventaron la Malvarrosa
2008
155
La Havane, Museo Nacional.
Valence, Museo de Bellas Artes.
19 janvier - 23 avril
26 mars - 20 mai
30
"
275
!
lettres
Madrid, MusŽe Sorolla.
Valence, Museo Blaco Ib‡–ez.
11 juin - 14 octobre
84
!
1 - 30 juin
24
"
7 novembre - 31
mars
14
!
17 janvier - 14
mars
5
!
Valence, Centro Cultural Bancaja.
Joaqu’n Sorolla en lÕescola
dÕartesans de Valncia
Valence, Escola dÕartesans.
Sorolla. Visiones de Espa–a
(suite)
SŽville, Museo de Bellas Artes.
Malaga, CAC.
Bilbao, Museo de Bellas Artes.
24 avril - 29 juin
18 juil. - 21 sept.
13 oct. - 18 janv.
14
=
=
Valladolid, Sala de la Pasi—n.
Salamanque, Casa Lis.
28 fŽv. - 12 avril
17 avril - 1 juin
45
=
Burgos, Centro Cultural Cord—n.
15 mai - 27 juillet
118
Sorolla
!
phot.
Sorolla. Visiones de Espa–a
Sorolla y Castilla (suite)
!
!
B. Annexes
358
Sorolla y sus contempor‡neos
(suite)
20 avril - 6 sept.
15/31
15 juil. - 31 aožt
19 sept. - 23 nov.
15 octobre - 15
novembre
=
=
=
20 fŽvrier - 3 mai
30 sept. - 28 janv.
14
=
6 mai - 10 juin
21 oct. - 22 nov.
15/31
Madrid, Museo Sorolla.
12 mai - 13
septembre
33
!
Madrid, Museo Nacional del Prado.
26 mai - 6
septembre
102
!
Gandia, Casa de Cultura MarquŽs de
8 juil. - 29 aožt
[inc.]
"
1 octobre - 31
janvier
14/1
!
St Jacques de Compostelle,
Fundaci—n Caixa Galicia.
Malaga, Sala Unicaja.
Cadix, Castillo de Santa Catalina.
Albacete, Museo Municipal.
2009
Sorolla. Visiones de Espa–a
(suite)
Sorolla y sus contempor‡neos
(suite)
Sorolla y su idea de Espa–a:
estudios preparatorios para
la Hispanic Society of
America
Joaqu’n Sorolla
Visi—n de Espa–a. Estudios
previos. Colecci—n de la
Hispanic Society of America
Di‡logos: Sorolla &
Vel‡zquez
Barcelone, MNAC.
Valence, Centro Cultural Bancaja.
Cordoue, Museo Etnol—gico.
Huelva, Museo Provincial.
Gonz‡lez de Quir—s.
Madrid, Museo Sorolla.
B. Annexes
359
2. RŽsultats des dernires ventes par adjudication35
AnnŽe
Date
Titre du tableau
Prix en ptas.
Prix en !
Lieu
1981
28 mai
Triste herencia
22.000.000
New York.
1984
mars
La vuelta de la pesca
12.000.000
Londres.
1987
9 avril
Ni–os jugando en la playa
5.500.000
Madrid, Dur‡n.
8 juin
Pescador valenciano
18.000.000
Madrid, Dur‡n.
1988
fŽvrier
Familia campesina de Benimamet
14.000.000
Madrid, Dur‡n.
1989
24 oct.
Familia segoviana
84.000.000
New York, SothebyÕs.
Playa de Valencia
42.000.000
Retrato de don Diego de Alvear
9.000.000
Retrato
7.600.000
1990
14 fŽv.
Londres, ChristieÕs.
1993
24 juin
Estudio para Sol de la tarde
162.000.000
Londres, ChristieÕs.
1997
10 mai
Clotilde y Elena en las rocas
181.500.000
New York, ChristieÕs.
22 mai
A la orilla del mar
43.878.800
New York, ChristieÕs.
5 mai
Sol de la tarde
145.282.300
New York, ChristieÕs.
6 mai
Playa de Biarritz
10.371.400
New York, ChristieÕs
18 juin
La odalisca
33.688.376
Londres, ChristieÕs
1999
avril
El pillo de playa
116.240.000
2000
mars
Moro con naranjas
26.000.000
Londres, SothebyÕs.
avril
Retrato de D–a. Isaura Zaldo
Arana
32.000.000
Madrid, Ansorena.
avril
Pescadora. Playa de Valencia
18.000.000
Madrid, Dur‡n
22 nov.
Ni–a en la playa del Caba–al
160.000
SŽville, AIG.
4 dŽc.
Desnudos en patio o plaza
274.000
Londres, ChristieÕs
Mondando patatas
247.644
1998
2002
2004
18 nov.
5.200.000
Londres, SothebyÕs
En la playa de Valencia
683.939
Londres, ChristieÕs
Baile valenciano en la huerta
572.000
Madrid, ChristieÕs
16 nov.
Arreglando las redes
492.650
Londres, SothebyÕs
17 nov.
La playa. Biarritz
195.738
Londres, ChristieÕs
14 juin
Playa de Biarritz
141.848
Londres, ChristieÕs
Ni–a en la playa
322.635
Ni–os en el mar
1.179.287
2005
2006
5 oct.
La hora del ba–o
SŽville, AIG.
Bacante
35.
229.181
Grille rŽalisŽe ˆ partir des archives de presse du MusŽe Sorolla, cartons n¡XXV ˆ n¡XXXII.
B. Annexes
2007
7 nov.
Mar’a mirando los peces
26 juin
Puerto de Valencia
Ni–a en la playa
22.800
186.860
Londres, ChristieÕs
ÁQue te come!
264.250
Madrid, ChristieÕs
Apunte de la playa de Valencia
144.250
Remendando las redes
336.250
3 octobre
2008
4 janvier
7 mai
2009
360
2.552.000
New York, SothebyÕs
Ni–os en el mar
1.236.080
Londres, ChristieÕs
Las tres velas
2.974.000
New York, SothebyÕs
2 juillet
La playa de Valencia
726.757
Londres, ChristieÕs
21 janv.
Dando cuerda
59.278
Londres, ChristieÕs
Barcos en la playa de Valencia
159.852
3 juin
Ni–a entrando en el ba–o
Estudio en la playa
1.900.000
141.000
Londres, SothebyÕs
B. Annexes
361
3. Table de traduction des Ïuvres citŽes36
ÁAœn dicen que el pescado es caro! o
ÁY aœn dicen que el pescado es caro!
Et lÕon dit que le poisson est cher ! [R.D.]
Barcos en el puerto con fondo de edificios
Bateaux au port sur fond de maisons
Boulevard de Par’s
Boulevard de Paris
Chicos en la playa
Enfants sur la plage
Clotilde con los hijos
Clotilde avec les enfants
Clotilde con traje de noche
Clotilde en robe du soir
Clotilde con traje gris
Clotilde en robe grise
Clotilde leyendo un diario
Clotilde lisant un journal
Clotilde y Elena en las rocas
Clotilde et Elena sur les rochers
Comiendo en la barca
D”ner ˆ bord [R.D.]
Cosiendo la vela
Cousant la voile [R.D.]
DespuŽs del ba–o
Aprs le bain
DespuŽs del bautizo, Valencia
Aprs le baptme. Valence
D’a de Reyes
ƒpiphanie
El algarrobo
Le caroubier
El balandrito
Le petit bateau
El ba–o del caballo
Le bain du cheval
El beso de la reliquia
Baisant la relique [R.D.]
El bote blanco
Le canot blanc [R.D.]
El dos de mayo. Defensa del Parque de Artiller’a
de Madrid el d’a del 2 de mayo de 1808.
Le deux mai. DŽfense du Parc dÕArtillerie ˆ Madrid
le 2 mai 1808 [R.D.]
El entierro de Cristo
LÕenterrement du Christ
El grito del palleter
Le cri du palleter
El pillo de playa
Le galopin de la plage [S.S.]
El patio del Instituto
La cour de lՎcole
Elena en la playa
Elena sur la plage
En la costa de Valencia
Sur la c™te de Valence
Escena de puerto
Scne de port
Joaqu’n en el laboratorio
Joaqu’n dans le laboratoire
Jugando en el agua
En jouant dans lÕeau
Grupa valenciana
En croupe ˆ la valencienne [R.D.]
36.
Sauf indication contraire, les traductions sont de lÕauteur. Les abrŽviations [R.D.] et [S.S.]
correspondent respectivement ˆ : Rafael DomŽnech, Sorolla, sa vie et son Ïuvre, Madrid,
Vilanova y Geltrœ-Oliva, 1910 et Sargent / Sorolla, Paris, Petit Palais musŽe des Beaux-Arts de
la ville de Paris, 2006.
B. Annexes
362
Instant‡nea
InstantannŽ
La bata rosa
La robe rose [S.S.]
La bendici—n de la barca
La bŽnŽdiction du bateau [R.D.]
La caleta
La crique
La hora del ba–o
LÕheure du bain
La jura de la Constituci—n por la regente
D–a. Mar’a Cristina
Le serment ˆ la Constitution de la rŽgente Marie
Christine
La preparaci—n de la pasa. J‡vea
La prŽparation des raisins secs. J‡vea
La Regencia
La RŽgence
La siesta
La sieste
La vuelta de la pesca
Le retour de la pche
Las tres velas
Les trois voiles
Madre
Mre
Mar’a con la sierra al fondo
Mar’a sur fond de montagne
Mar’a mirando los peces
Mar’a regardant les poissons
Mi familia
Ma famille
Mi mujer y mis hijos
Ma femme et mes enfants
Mis hijos
Mes enfants
Moro con naranjas
Vendeur dÕoranges
Nadadores. J‡vea
Nageurs. J‡vea
ÁOtra Margarita!
Une autre Marguerite [R.D.]
Paseo a orillas del mar
Promenade au bord de la mer [R.D.]
Pescadores valencianos
Pcheurs valenciens
Playa de Valencia
Plage de Valence
Renovaci—n
Renouveau
Rogaciones en Burgos en el siglo XVI
Une rogation ˆ Burgos au XVIe sicle [R.D.]
Saltando a la comba
En sautant ˆ la corde
Sol de la tarde
Soleil du soir [R.D.]
Tipos aragoneses
Types aragonais
Tipos de Salamanca
Types de Salamanque
Tipos regionales castellanos
Types rŽgionaux castillans
Tipos regionales de çvila
Types rŽgionaux dÕçvila
Tipos regionales de Segovia
Types rŽgionaux de SŽgovie
Tipos regionales de Soria
Types rŽgionaux de Soria
Tipos regionales del Roncal
Types rŽgionaux du Roncal
Tipos regionales del Valle de Ans—
Types rŽgionaux de la vallŽe de Ans—
Trata de blancas
Traite des blanches [S.S.]
Triste herencia o Los hijos del placer
Triste hŽritage ou Les enfants du plaisir
Una investigaci—n
Une expŽrience [S.S.]
B. Annexes
363
Una mujer desnuda
Nu fŽminin
Veleros en el mar
Voiliers en mer
Verano
ƒtŽ
Visi—n de Espa–a
Vision dÕEspagne
- La fiesta del pan (Castilla)
- La fte du pain (Castille)
- Los nazarenos (Sevilla)
- Les nazarŽens (SŽville)
- La jota (Arag—n)
- La jota (Aragon)
- El consejo del Roncal (Navarra)
- Le conseil du Roncal (Navarre)
- Los bolos (Guipœzcoa)
- Le jeu de boules (Guipœzcoa)
- El encierro (Andaluc’a)
- La mise au toril (Andalousie)
- El baile (Sevilla)
- La danse (SŽville)
- Los toreros (Sevilla)
- Les toreros (SŽville)
- La romer’a (Galicia)
- Le pŽlerinage (Galice)
- La pesca (Catalu–a)
- La pche (Catalogne)
- Las grupas (Valencia)
- Les cavaliers (Valence)
- El mercado (Extremadura)
- Le marchŽ (Extremadoure)
- El palmeral (Elche)
- La palmeraie (Elche)
- La pesca del atœn (Ayamonte)
- La pche au thon (Ayamonte)
C. Bibliographie
C. B I B L I O G R A P H I E
1.
Archives GŽnŽrales de lÕAdministration
2.
Archives de lÕAcadŽmie Royale des Beaux-Arts de San Fernando
3.
Archives du MusŽe ArquŽologique National
4.
Archives du Centre de Documentation Touristique Espagnol
5.
Archives de correspondance du MusŽe Vicente Blasco Ib‡–ez
6.
Archives de correspondance du MusŽe Sorolla
7.
Archives de Presse du MusŽe Sorolla
8.
Articles de presse hors APMS
9.
Catalogues des expositions monographiques
10.
Monographies
11.
Autres ouvrages consultŽs
12.
Articles issus dÕun ouvrage collectif
13.
Sites internet
364
C. Bibliographie
1.
Archives GŽnŽrales de lÕAdministration (Alcal‡ de Henares)
EC. 31/6829
Exposition Nationale des Beaux-Arts.
EC. 31/6836
Exposition Nationale des Beaux-Arts.
EC. 31/6839
Exposition Nationale des Beaux-Arts.
2.
Archives de la Royale AcadŽmie des Beaux-Arts de San Fernando (Madrid)
5-146-6
Candidature de Joaqu’n Sorolla y Bastida.
5-175-12
Acquisitions.
3.
2007/123/4
365
Archives du MusŽe ArquŽologique National (Madrid)
Billet de 25 pesetas ÒPescadoras valencianasÓ, 1936.
4.
Archives du Centre de Documentation Touristique Espagnol (Madrid)
61-03 R.858
Affiche ÒJ. Sorolla, SpanienÓ, 1961
M 15325-1990
Affiche ÒEspa–a. Todo (nuevo) bajo el solÓ, 1990.
98-08 R.56
Affiche ÒEspa–a, playasÓ, 1998.
5.
Archives de correspondance du MusŽe Vicente Blasco Ib‡–ez (Valence)
Lettres de J. Sorolla ˆ V. Blasco Ib‡–ez de 1902 ˆ 1912.
6.
Archives de correspondance du MusŽe Sorolla (Madrid)
I.1 / 142
Lettres dÕAlphonse XIII ˆ J. Sorolla.
X.1 / 67
Lettres de V. Blasco Ib‡–ez ˆ J. Sorolla.
LVI.1 / 176
Lettres du marquis de Viana ˆ J. Sorolla
7.
Archives de Presse du MusŽe Sorolla (Madrid)
En accord avec le directeur de la thse, le catalogue inŽdit Žtabli par mes soins, recensant les
rŽfŽrences compltes des 4.068 articles conservŽs au sein de la collection de presse du MusŽe
Sorolla, est tenu confidentiel dans la perspective dÕune Žventuelle publication. Les articles
mentionnŽs ci-dessous nÕen font pas partie et ils proviennent de la collection particulire de
lÕauteur.
C. Bibliographie
366
8. Articles de presse hors APMS
ACEBAL, Francisco, ÒSorollaÓ, La Vanguardia, Barcelone, 1904.
ANONYME, ÒNuevo Centro de investigaci—n y
http://www.arteylibertad.org/, Valence, 10/2009.
estudios Joaqu’n
Sorolla BastidaÓ,
! ÒCuadros para la exposici—n de MadridÓ, Las Provincias, Valence, 5/04/1881.
! ÒLes souverains d'Espagne au ch‰teau de La GranjaÓ, L'Illustration, Paris, 27/07/1907.
! ÒDetalles del fallecimiento de Joaqu’n SorollaÓ, ABC, Madrid, 12/08/1923.
! ÒValenciaÓ, ABC, Madrid, 29/12/1908.
! ÒLas medallas de honor en la exposici—n de Par’sÓ, ABC, Madrid, 8/07/1900.
! ÒExposici—n de bellas artes de 1899Ó, ABC, Madrid, 13/05/1899.
! ÒDe palacioÓ, ABC, Madrid, 30/12/1908.
! ÒJavier Tusell, m‡s all‡ de la historiaÓ, http://www.elmundo.es/, Madrid, 10/02/2005.
! ÒVoici le plus grand collectionneur privŽ du mondeÓ, Paris Match, Paris, 5/09/2010.
BAEZA, Almudena, ÒExposici—n. De Sorolla al Equipo Cr—nicaÓ, http://www.elmundo.es/,
Madrid, 15/09/2005.
BARCIELA, Fernando, ÒAntiguos, caros y en buen estadoÓ, El Pa’s, Madrid, 25/06/2006.
BENAVENTE, Jacinto, ÒLa pol’tica y los intelectuales I.Ó, ABC, Madrid, 30/09/1930.
! ÒLa pol’tica y los intelectuales II.Ó, ABC, Madrid, 1/10/1930.
BLASCO IBç„EZ, Vicente, ÒEl gran SorollaÓ, El Pueblo, Valence, 9/06/1900.
CALLEJA, Juan Luis, ÒComo catecumenosÓ, ABC, Madrid, 3/07/1965.
CALVO SERRALER, Francisco, ÒJoaqu’n Sorolla, la otra Cara del 98Ó, El Pa’s, Madrid,
25/11/1995.
CILLA, Ram—n, ÒInstant‡neas. Joaqu’n SorollaÓ, Madrid C—mico, 25/05/1895.
ENCINA, Juan de la, (Ricardo GutiŽrrez Abascal), ÒSorollaÓ, La Voz, Madrid, 17/08/1923.
F. S., ÒCultura crea un centro de investigaci—n sobre SorollaÓ, El Pa’s, Madrid, 20/10/2009.
FERNANFLOR (Isidoro Fern‡ndez Flores), ÒExposici—n de Bellas Artes. Cuadros hist—ricosÓ, La
Ilustraci—n Espa–ola y Americana, Madrid, 22/06/1884.
! ÒExposici—n Nacional de Bellas ArtesÓ, La Ilustraci—n Espa–ola y Americana, Madrid,
8/07/1887.
FRANCƒS, JosŽ, ÒLas medallasÓ, El A–o Art’stico, Madrid, 1915.
JIMƒNEZ, Juan Ram—n, ÒSol de la tardeÓ, Alma Espa–ola, Madrid, 13/03/1904.
LîPEZ ROBERTS, Mauricio, ÒCr—nica de arte. Sorolla en BiarritzÓ, Blanco y Negro, Madrid,
6/10/1906.
C. Bibliographie
367
! ÒLa Jota en el valle Ans—Ó, ABC, Madrid, 14/03/1926.
MAINER, JosŽ-Carlos, ÒJoaqu’n Sorolla, visto y le’doÓ, El Pa’s, Madrid, 9/12/2006.
MANAUT NOGUƒS, JosŽ, ÒJoaqu’n Sorolla. Intimidades y recuerdosÓ, El Mercantil Valenciano,
Valence, 1930.
MARê, Rafa, ÒEl lado oculto de SorollaÓ, Las Provincias, Valence, 9/05/2002.
MORICE, Charles, Òtitre inconnuÓ, Mercure de France, Paris, 06/1906.
PANTORBA, Bernardino de, ÒHistoria y peripecia del cuadro de Sorolla Triste herenciaÓ, ABC,
Madrid, 3/06/1981.
PƒREZ DE AYALA, Ram—n, ÒSorollaÓ, La Prensa, Buenos Aires, 7/10/1923.
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Ab‡rzuza, Felipe, 60, 144.
Abril, Manuel, 122, 186, 187.
Azor’n, 58, 60, 77, 118, 127.
Azzati, FŽlix, 80, 84, 136, 187, 205.
Acebal, Francisco, 73, 132.
Acevedo, Evaristo, 215, 217.
Adsuara, Juan, 177.
Agrasot, Joaqu’n, 150, 158.
Aguayo, Ferm’n, 228.
Aguilera Cerni, Vicente, 232.
Alc‡ntara, Francisco, 37, 72, 103.
Alcal‡ Galiano, çlvaro, 144.
Alcal‡ Zamora, Niceto, 172, 181, 192.
Alfaro Moreno, Vicente, 167, 187, 320.
Alma Tadema, Lawrence, 61.
Almela y Vives, Francisco, 167.
Alphonse V le Magnanime, 198.
Alphonse X le Sage, 215.
Alphonse XII, 31, 32, 52, 99.
Alphonse XIII, 19, 28, 87, 90, 93, 94, 98, 105,
113, 118, 119, 125, 128, 135, 138, 151, 164,
171, 179, 181, 251, 257, 291.
Altamira, Rafael, 66, 118.
çlvarez Capra, Lorenzo, 56.
çlvarez Catal‡, Luis, 86.
çlvarez de Sotomayor, Fernando, 227.
AmŽrigo, Francisco Javier, 42.
Andreu, Teodoro, 140, 144, 158, 159.
Anglada-Camarasa, Hermenegildo, 127, 139,
263.
Arana, Lucrecia, 106.
Artal, JosŽ, 81.
Artola, Miguel, 107.
Aspiroz, JosŽ Mar’a, 192.
Aymam’, Federico, 150.
Aza–a, Manuel, 178, 179, 180, 181, 182, 183,
184, 192, 196, 250, 315.
Azcaoga, Enrique, 204.
Azc‡rate, Gumersindo de, 118.
Azc‡rraga, Adolfo de, 152.
Bachoud, AndrŽe, 194.
Bacon, Francis, 238.
Balmes, Jaime, 215.
Ballester y Gozalvo, JosŽ, 165.
Ballester Soto, Vicente, 108.
Barber‡, Rita, 294.
Barber‡ Masip, Vicente, 191.
Barber‡n, Cecilio, 204.
Barcena, Catalina, 179, 257.
Baroja, P’o, 16, 46, 76, 118, 122, 128, 252.
Baroja, Ricardo, 77, 122.
Bastida, Mar’a Concepci—n, 33.
Bastien-Lepage, Jules, 35, 37, 43, 47, 72, 290,
291.
Battenberg, Victoria Eugenia de, 93, 95, 98,
105, 118.
Baumeister, Wili, 228.
Baviera, JosŽ Eugenio de, 222.
Baxandall, Michael, 12, 13.
Beaux, Cecilia, 153.
Beltr‡n, Federico, 45.
Benavente, Jacinto, 118.
BŽnŽdite, LŽonce, 71.
Benedito Vives, Manuel, 118, 126, 144, 145,
149, 150, 154, 158, 159, 165, 171, 186, 227,
236.
Benet, Manuel, 233.
Benlliure Gil, JosŽ, 39, 75, 77, 118, 139, 150,
153, 158, 188.
Benlliure Gil, Mariano, 12, 54, 56, 75, 86, 87,
106, 109, 118, 127, 149, 150, 153, 157, 160,
165, 166, 167, 171, 177, 187, 191, 215, 319,
327.
Benlliure Ortiz, JosŽ, 45 , 77, 144, 159.
Berenguer, D‡maso, 171.
Bermejo, JosŽ, 144.
D. Index des noms de personnes
Beruete, Aureliano de, 19, 26, 35, 45, 59, 62,
70, 74, 99, 106, 107, 118, 139, 158, 162, 196,
201.
Berruguete, Pedro, 223.
Besnard, Albert, 72.
Bilbao, Gonzalo, 60, 139.
Blasco, Ricardo, 75, 105.
Blasco Ib‡–ez, Sigfrido, 187, 189, 196.
Blasco Ib‡–ez, Vicente, 15, 16, 55, 61, 62, 63,
65, 72, 73, 75, 76, 78, 79, 80, 81, 83, 85, 87,
106, 118, 129, 130, 131, 133, 134, 135, 181,
187, 199, 226, 240, 279, 291, 304, 305, 346.
Blay, Miguel, 56, 107, 118, 175.
Bšcklin, Arnold, 122.
Boix Alv‡rez, Manuel, 273.
Boldini, Giovanni, 123.
Bol’n, Luis Antonio, 216.
Bol’var, Ignacio, 177.
Bonafoux, Luis, 44.
Bonnat, LŽon, 46, 70, 82.
394
Cantelly, Juan, 24.
Capa, Robert, 213.
Capuz, Cayetano, 33, 313.
Capuz, JosŽ, 166, 171, 177, 313.
Cardona, Juan, 45.
Carreres Bayarri, Gerardo, 179.
Casado del Alisal, JosŽ, 32, 54.
Casas, Ram—n, 60, 61, 125, 126, 144, 145, 238.
Casagemas, Carlos, 144.
Castro, Fidel, 250.
Castrovido, Roberto, 80, 81, 83, 129, 157, 172.
Castelar, Emilio, 54.
Causar‡s Casa–a, Ricardo, 167.
Cav’a, Mariano de, 37, 64.
Cebri‡n, Gregorio, 231.
Cervantes, Miguel de, 215, 290.
CŽzanne, Paul, 131, 238, 252.
Charles, ƒtienne, 92.
Bores, Francisco, 156.
Charles III dÕEspagne, 34.
Borja-Villel, Manuel, 269.
Charles Quint, 182, 215.
Boronat, Carlos, 201.
Bouguereau, William, 143
Bourbon, Isabelle de, 93.
Braque, Georges, 175, 255.
Breton, AndrŽ, 156, 318.
Bret—n, Tom‡s, 87, 118.
Bro#’k, V‡clav, 43.
Buend’a, Rogelio, 247.
Burgue–o, Mar’a Jesœs, 149.
Checa, Ulpiano, 74.
Chicharro, Eduardo, 140, 144, 145, 146.
Chillida, Eduardo, 249.
Cilla, Ram—n, 42, 303, 304.
Cintora PŽrez, JosŽ, 72, 80, 83.
Clar—s, Alfredo, 147.
Clausen, George, 43.
Codding, Mitchell A., 263, 278.
Colomer, JosŽ, 151.
Burke, Marcus, 263, 284.
Com‡s y Blanco, Augusto, 60, 75.
Bur—n, Javier, 263.
Comfort Tiffany, Louis, 185.
Conde y Luque, Rafael, 55.
Cabanel, Alexandre, 43, 172.
Caillebotte, Gustave, 40.
Calvo Sotelo, Joaqu’n, 246.
Camps, Francisco, 275, 293, 294.
Camus, Albert, 290.
Canalejas, JosŽ, 74, 75, 76, 78, 106.
C‡novas del Castillo, Antonio, 51, 52, 53, 67.
C‡novas y Vallejo, Antonio, 67.
Cortina, Antonio, 150.
Cortissoz, Royal, 123, 124.
Coss’o, Manuel BartolomŽ, 19, 59, 106, 118.
Coss’o, Pancho, 156, 228.
Costa, Joaqu’n, 76, 109.
Courbet, Gustave, 50.
Croft Watson, Dudley, 143.
Cs—k, Istv‡n, 43.
D. Index des noms de personnes
395
Cubero, JosŽ Ignacio, 281.
Fern‡ndez Fl—rez, Isidoro, 37, 38.
Cuixart, Modest, 228.
Fern‡ndez Pelayo, Eduardo, 57.
Cu–at, Enrique, 151.
Fern‡ndez Serrano, JosŽ, 136.
Cutanda, Vicente, 42.
Ferr‡ndiz, Bernardo, 34.
Ferrant Fisherman, Alejandro, 57, 68, 175.
Dagnan-Bouveret, Pascal Adolphe Jean, 43, 61.
Ferrero, JosŽ, 296.
Dal’, Salvador, 229.
Ferrer, Saint Vincent, 183.
D‡tile, 245, 337.
Ferry, Jules, 45.
David, Jacques Louis, 53.
Fillol, Antonio, 68.
Degas, Edgard, 40.
Font de Mora, Alejandro, 294.
Demaria L—pez, JosŽ Mar’a, 94, 312.
Ford, John, 322.
Dequis, Henri, 266.
Fornet de Asensi, Emilio, 14, 168, 169, 198.
Derain, AndrŽ, 260.
Fortuny y Madrazo, Mariano, 45, 234.
Dicenta, Joaqu’n, 75, 76, 84.
Fortuny y Marsal, Mariano, 44, 158.
D’ez, JosŽ Luis, 263.
Fraga, Manuel, 194.
DomŽnech, Rafael, 26, 30, 36, 115, 140, 150,
154.
FrancŽs, JosŽ, 127, 141, 142, 163.
Domingo, Marceliano, 172.
Franch y Mira, Ricardo, 49.
Domingo MarquŽs, Francisco, 34, 49, 68, 127,
150, 158, 234.
Franco y Bahamonte, Francisco, 19, 196, 198,
210, 214, 217, 220, 223, 224, 226, 232, 243,
246, 331.
Dom’nguez, Manuel, 56, 121, 218.
Franco y Bahamonte, Ram—n, 182.
Dom’nguez, îscar, 227, 228.
Francos Rodr’guez, JosŽ, 75.
Dongen, Kees van, 255, 260.
Franzen, Christian, 109, 124.
Duchamp, Marcel, 238.
Friant, ƒmile, 43.
Dufy, Raoul, 175, 255.
Fuentes, Antonio, 87.
Dur‡n, Consuelo, 264.
Dur‡n y Tortajada, Enrique, 168, 179, 187, 190.
Galinsoga, Luis de, 168, 169.
Durand Ruel, Paul, 92, 257.
Gallego, Juli‡n, 80, 247, 263.
Gandara, Antonio de la, 45.
Echegaray, JosŽ, 106, 118.
Garc’a Alix, Antonio, 63.
Edelfelt, Albert, 55.
Garc’a del Castillo, Antonio, 33, 286.
Einstein, Albert, 265.
Garc’a del Castillo, Clotilde, 39, 65, 91, 164,
171, 173, 342.
Escobar Ram’rez, Alfredo, 112.
Esquenazi, Jean Pierre, 11, 12.
Escriv‡, JosŽ Antonio, 30, 100, 152, 279, 345.
Estadella Arn—, JosŽ, 189.
Garc’a Raga, Casimiro, 147.
Garc’a Sanch’s, Federico, 161, 169, 179, 180,
181, 182, 183, 184.
Garc’a y Peris, Antonio, 33, 39, 80, 118.
Gargallo, Pablo, 156.
Falla, Manuel de, 213.
Farin—s y Tortosa, Felipe, 49.
Gar’n, Felipe, 16, 17, 21, 263, 274, 278, 295,
298.
Faupel, Whilem, 196.
Garnelo, JosŽ, 41.
Ferdinand I de Castille, 183.
Garrido, Francisco, 83.
D. Index des noms de personnes
396
Garrido, Leandro Ram—n, 45.
Gasc—n Mar’n, JosŽ, 172.
Habsbourg, Marie-Christine de, 19, 31, 91, 93.
Gautier, ThŽophile, 110.
Hartzentbush, Eugenio, 18.
GŽr™me, Jean LŽon, 143, 174.
Heredia, JosŽ Mar’a de, 44.
Gessa y Arias, Sebasti‡n, 45.
Hern‡ndez, Laura, 42.
Gestoso, JosŽ, 118.
Herrero, JosŽ Joaqu’n, 179.
Gil, Jacinta, 233.
Hierro del Real, JosŽ, 236.
Gil, JosŽ Pedro, 171, 274.
Hinojosa, Eduardo de, 56, 57, 61.
Gil, Rodolfo, 99.
Hitler, Adolf, 196.
Gil Moreno de Mora, Pedro, 35, 39, 57, 59, 86,
96, 155, 171, 256, 274.
Hjertensson, Ulf, 258.
Gil PŽrez, Manuel, 228, 233.
Gil-Robles, JosŽ Mar’a, 189.
Houcelist, Nicolle, 42.
Huntington, Archer Milton, 96, 97, 102, 117,
118, 128, 163, 210, 245, 329, 338.
Gilman Proske, Beatrice, 210.
Gimeno, Amalio, 75, 77, 179, 182, 316.
Ib‡–ez Mart’n, JosŽ, 209.
Giner de los R’os, Francisco, 59, 105, 107, 181.
Innocent X, 66.
Gisbert, Antonio, 32.
Inurria, Mateo, 122.
Giscard dÕEstaing, Anne-Aymone, 224.
Iturbi Baguena, JosŽ, 212.
Giscard dÕEstaing, ValŽry, 224.
Iturrino, Francisco, 45.
Gomar y Gomar, Antonio, 106.
Isidore, Saint, 215.
G—mez TrŽnor, Juan Antonio, 203.
Israels, Isaac, 16.
Gonz‡lez, Felipe, 28, 249.
Gonz‡lez Mart’, Manuel, 68, 77, 109, 119, 141,
163.
Gonz‡lez MŽndez, Manuel, 45.
Gonz‡lez-Sinde, çngeles, 298.
Goya y Lucientes, Francisco de, 38, 40, 110,
175, 199, 223, 238.
Gracia, Carmen, 11, 14, 15, 17, 28, 29.
Granath, Olle, 258.
Gras, Francisco, 147, 151.
Greco, Le, 175.
Gris, Juan, 196.
Guayasamin, Oswaldo, 234.
Jerez de los Caballeros, marquis de, 128.
Jewet Mather, Franck, 15.
JimŽnez, Juan Ram—n, 17, 90, 118, 127.
JimŽnez Aranda, JosŽ, 33, 39, 40, 41, 143, 231.
JimŽnez Aranda, Luis, 33, 39, 40, 74, 231.
Johns, Jasper, 237.
Jover Casanova, Francisco, 32.
Juan Carlos I, 19, 248, 281.
Julian, Rodolphe, 143.
Just Jimeno, Julio, 136.
Justo, Isabel, 295.
Guerra del R’o, Rafael, 189.
Guerrero, Mar’a, 65, 66, 106.
Guillot Carratal‡, JosŽ, 232, 235.
GutiŽrrez Abascal, JosŽ, 74.
GutiŽrrez Abascal, Ricardo, 126, 141.
GutiŽrrez Solana, JosŽ, 16, 77, 103, 110, 119,
122, 126, 198, 234, 238, 323.
Kahn, Gustave, 71.
Kalikatres, 337.
Khnopff, Fernand, 122.
Kirchner, Ernst Ludwig, 256.
Klimt, Gustave, 61.
Kr¿yer, Peter Severin, 61.
D. Index des noms de personnes
397
Madrazo y Kuntz, Ricardo de, 75.
Lafuente Ferrari, Enrique, 204, 232, 234, 236.
Maeztu, Ramiro de, 16, 121.
Lagunas, Santiago, 228.
Mager, Gus, 155, 306.
Lahuerta, Genaro, 156.
Mallo, Maruja, 227, 228.
Lambies Grancha, Vicente, 200.
Manaut NoguŽs, JosŽ, 147, 148, 174.
Lara Z‡rate, Antonio, 189.
Manaut Viglietti, JosŽ, 147, 151, 152, 228.
Larroumet, Gustave, 71.
Manet, Edouard, 50, 64.
L‡zl—, Philip de, 94.
Ma–‡, Samuel, 144, 236.
Lecomte, Georges, 71.
Masriera, Llu’s, 139.
Legat Lafarga, Luis, 222.
Mara–—n, Gregorio, 118, 177, 179, 180.
LŽon XIII, 39.
Marchena, duchesse de, 160.
Le—n y Rom‡n, Ricardo, 118.
Marco, Custodio, 233.
Lerma, Joan, 250.
Marco L—pez, Alfredo, 151.
Lerroux, Alejandro, 189.
Marco Miranda, Vicente, 189.
Lezcano, Carlos, 158.
Marquet, Albert, 255.
Lhermitte, LŽon, 43.
Mart’n Caballero, Francisco, 113, 162.
Lichtenstein, Roy, 237.
Mart’nez, Encarna, 264.
Liebermann, Max, 16, 93.
Mart’nez, Luc’a, 281.
L—pez, Ernesto, 63.
Mart’nez, Santiago, 102, 147, 158, 159, 313,
314.
L—pez Ballesteros, Luis, 73, 75.
L—pez de Legazpi, Miguel, 217.
L—pez de Zuazo Algar, Antonio, 18.
Lora Tamayo, Manuel, 223, 331.
Louis XIV, 34.
Lozoya, marquis de, 179, 209, 222, 223, 244.
Llorens, Tom‡s, 11, 15, 16, 17, 28, 263, 289.
Llorente, Teodoro, 61, 75, 277.
Lucas, Antonio, 288.
Lucas, Eugenio, 323.
Lucas y Villamil, Eugenio, 45.
Lucius, 51.
Mart’nez Barrio, Diego, 189.
Mart’nez Campos, Arsenio, 181.
Mart’nez Cubells, Enrique, 56, 144, 145.
Mart’nez Cubells, Salvador, 56, 121, 175.
Mart’nez Fosatti, JosŽ, 264.
Mart’nez Gonz‡lez, Vicente, 273.
Mart’nez Lumbreras, Joaqu’n, 144.
Mart’nez Sala, Pascual, 189.
Martos, Cristino, 75.
Masriera, Llu’s, 139.
Masses, Beltr‡n, 122.
Matisse, Henri, 238, 255.
Machado, Antonio, 118.
Madonna, 271.
Madrazo, JosŽ de, 53.
Madrazo, Raimundo de, 61, 118, 139.
Madrazo y Kuntz, Federico de, 44, 53, 54, 70,
121, 234.
Mauclair, Camille, 71.
M‡ximo, 245, 337.
MeifrŽn, Eliseo, 61, 196.
Meissonnier, Ernest, 289.
MŽlida, JosŽ Ram—n, 19, 53, 66, 69, 72, 73, 118.
MŽlida y Alinari, Enrique, 45.
Madrazo y Kuntz, Juan de, 54, 55.
Meller, Raquel, 172, 200, 265.
Madrazo y Kuntz, Luis, 53.
Mena, 337.
D. Index des noms de personnes
398
MŽndez Casal, Antonio, 191.
Nagel, Charles, 42.
MenŽndez Arranz de la Torre, Juan, 146.
Navarro, Vicente, 165.
MenŽndez Pelayo, Marcelino, 75, 118.
Navarro Llorens, JosŽ, 144.
MenŽndez Pidal, Luis, 58.
Nelken, Margarita, 179.
MenŽndez Robles, Mar’a Luisa, 12, 164.
Nicolle, Marcel, 266.
Menzel, Adolf, 35.
Nieto Gallo, Gratiniano, 222, 245, 327.
Merenciano, Francisco, 144.
Nouvel, Jean, 268, 350.
Merrit Chase, William, 153, 155, 307.
Nordau, Max, 111.
Michavila, Joaqu’n, 237.
Miguel Nieto, Anselmo, 122, 177.
Oliag Miranda, Luis, 166.
Millas, Isidoro, 144.
Olivas, JosŽ Luis, 272.
Millet, Jean Franois, 217.
Oller y Cestero, Francisco, 45.
Mingote, 337.
Orozco, JosŽ Clemente, 175.
Mir Trinxet, Joaqu’n, 60, 139, 196, 263.
Ortega y Gasset, JosŽ, 118.
Mir—, Francisco, 156.
Orueta, Ricardo de, 173.
Mir—, Joan, 196, 249.
Mir—, Trinidad, 293.
Palacio ValdŽs, Armando, 83.
Moneo, Rafael, 350.
Palencia, Benjam’n, 156.
Monet, Claude, 92, 140.
Pantorba, Bernardino de, 18, 26, 43, 54, 196,
201, 217, 221, 224, 231, 232, 263, 317.
Mongrell, JosŽ, 140, 144, 146, 158.
Montero Alonso, JosŽ, 186.
Montgomery, Helene, 265.
Montortal, marquis de, 146.
Mora Berenguer, Francisco, 188, 319.
Morayta Sagrario, Miguel, 75.
Moreau, Gustave, 122, 178.
Moreno Carbonero, JosŽ, 31, 42, 60, 139, 198,
290.
Pardo Baz‡n, Emilia, 83, 118.
Pareja YŽbenes, JosŽ, 189.
ParladŽ y Heredia, AndrŽs, 45.
Passo, Manuel, 75.
Pasteur, Louis, 55.
Pastor, Rosanna, 345.
Peel, Edmund, 248, 252.
PŽladan, JosŽphin, 71.
Moreno Galv‡n, Francisco, 230.
Pelliza da Volpedo, 16.
Moreira y Galicia, Jaime, 75, 107, 139.
Penagos, Rafael, 122.
Moret, Segismundo, 73.
Pe–aranda, Carlos de, 64.
Morice, Charles, 123.
Perales, Eva, 280.
Moya, JosŽ Gabriel, 246.
Perales, Guillermina, 289.
Mozart, Wolfgang Amadeus, 290.
PŽrez de Ayala, Ram—n, 17, 104, 118, 127.
Munoa, Rafael, 220, 221, 333.
PŽrez Boy, Pedro, 273.
Mu–oz Degrain, Antonio, 31, 34, 49, 118, 127,
150, 165, 175, 178, 196.
PŽrez Gald—s, Benito, 76, 83, 106, 118, 285.
Mu–oz Grandes, Agust’n, 223, 331.
Mu–oz Lucena, Tom‡s, 60.
Murillo Ramos, Tom‡s, 147, 177.
PŽrez Giner, Carmen, 233.
PŽrez Rojas, Francisco Javier, 263.
PŽrez Rubio, Timoteo, 177, 192.
PŽrez Sim—n, Juan Antonio, 261.
D. Index des noms de personnes
399
Peris Mencheta, Francisco, 75.
Rembrandt, 233, 238.
Per—n, Eva, 214.
Renoir, Piere-Auguste, 52.
Perucho, Arturo, 136.
RepullŽs, Enrique Mar’a, 160, 161.
PŽtain, Philippe, 217.
Requejo Avedillo, Federico, 67.
Petit, Georges, 30, 92, 105, 257.
Ribera, JosŽ de, 238.
Piano, Renzo, 295.
Rico Avello, Manuel, 189.
Pic—n, Jacinto Felipe Octavio, 67, 73, 76, 83,
109.
Rico Ortega, Mart’n, 158.
Pidal y Mon, Alejandro, 58, 118.
Pidal y Mon, Luis, 58.
Pinazo, Ignacio, 127, 147, 158, 255, 261, 268.
Pinazo, JosŽ, 61, 150.
Piqueres GuillŽn, JosŽ, 33, 58, 74.
Pl‡, Cecilio, 33, 77, 139, 147, 165, 177.
Pompey, Francisco, 202.
Pon, Joan, 228.
Pons Arnau, Francisco, 100, 144, 200, 203, 204,
227, 236.
Pons-Sorolla, Blanca, 18, 26, 35, 173, 263, 264,
266, 295.
Pons-Sorolla, Francisco, 20, 209, 244, 245, 250,
263.
Portillo, Aurelio, 42.
Posada, Adolfo, 177.
Pradilla, Francisco, 31, 40, 51, 54, 56, 69, 142,
230.
Rinc—n de Arellano, Adolfo, 170.
R’os, Fernando de los, 179.
Riscal, marquis de, 73.
Rivelles, Juan, 177.
Rocha Garc’a, Juan JosŽ, 189.
Rodin, Auguste, 140, 179.
Rodr’guez Filloy, Benito, 204.
Rodr’guez Fornos, Fernando, 209.
Rodr’guez Lafora, Gonzalo, 177.
Rodr’guez Mar’n, Francisco, 118.
Rodr’guez Zapatero, JosŽ Luis, 28.
Rold‡n, Clodoaldo, 296.
Roll, Alfred-Philippe, 43.
Romanones, Comte de, 66, 68, 69, 76, 86, 291,
299.
Romero de Torres, Julio, 103, 110, 121, 125,
126, 198, 215
Rosales, Eduardo, 234, 290.
Primo de Rivera, Miguel, 19, 138, 167, 171.
Ruiz GimŽnez, Joaqu’n, 229.
Puebla, Di—scoro, 230.
Ruiz Picasso, Pablo, 37, 45, 144, 156, 175, 196,
212, 230, 231, 235, 238, 249, 268.
Puente, Joaqu’n de la, 232, 238, 247.
Puig, çngel, 189.
Pujol, Juan, 180.
Querol, Agust’n, 56.
Ruiz de Luna, 219.
Rusi–ol, Santiago, 45, 60, 61, 77, 126, 196, 215.
Sagasta, Pr‡xedes Mateo, 52, 66, 76, 87, 291.
Saint-Aubin, Alejandro, 67, 73, 106, 110.
Ram—n y Cajal, Santiago, 106.
Ram’rez Ib‡–ez, Manuel, 57.
Rauschenberg, Robert, 237.
Regoyos, Dar’o de, 121, 123, 126, 157, 196,
323.
Sainz, Casimiro, 158.
Sala FrancŽs, Emilio, 230.
Salazar, Ant—nio, 198.
Salmer—n, Nicol‡s, 76.
Salmson, Hugo, 43.
Reig PiquŽ, Joaqu’n, 189.
Salv‡ Simbor, Gonzalo, 49, 150, 261.
RŽpine, 16.
Salvador Rodrig‡–ez, Am—s, 75.
Reis, Carlos, 90.
Samper Ib‡–ez, Ricardo, 189.
D. Index des noms de personnes
400
S‡nchez-Camargo, Manuel, 204, 219, 235.
Thaulow, Fritz, 158.
S‡nchez D’az, Ram—n, 109.
Thous Orts, Maximiliano, 191.
Sanch’s y GuillŽn, Vicente, 57, 72.
Toledo, Joan-Antoni, 237.
Sancho, JosŽ, 152, 345.
Tom‡s, Facundo, 16, 17, 263, 295.
Sandoval, Francisco, 118.
Tormo, El’as, 179.
Sandstršm, Brigitta, 258.
Torre, Manuel de la, 42.
Santa-Ana, Florencio de, 21, 250, 255, 258,
259, 260, 262, 263, 282.
Torre Egu’a, FŽlix de la, 42.
Santa Mar’a, Marceliano, 57, 175.
Santiago y Carri—n, Eduardo de, 168, 169.
Sargent, John Singer, 16, 61, 158.
Seligmann, Jacques, 266.
Semprun, Jorge, 257.
Seraf’n, 337.
Torres Quevedo, Leonardo, 118.
Tovar, Manuel, 156, 177, 317.
Trueba, Antonio, 54.
Truman, Harry S., 214.
Tusell, Javier, 249, 263, 298.
Tuset y Tuset, Salvador, 144, 151, 158, 227,
233, 236.
Serov, Valentin A., 61.
Serrano Sime—n, JosŽ, 191.
Umbral, Francisco, 251, 254.
Sert, JosŽ Mar’a, 234.
Unamuno, Miguel de, 16, 72, 101, 127, 128,
177.
SigŸenza Alonso, Manuel, 136.
Silvela, Francisco, 53, 57, 63.
Simarro Lacabra, Luis, 59, 78.
Uranga, Pablo de, 45.
Urgell, Modesto, 56.
Siurana, Adolfo, 273.
Solana, Javier, 249.
Solbes, Rafael, 195, 237, 238.
Soler, Rigoberto, 136, 146, 151.
Soriano, Rodrigo, 72, 80, 83.
Soriano y Fort, JosŽ, 75, 85.
Sorolla Gasc—n, Joaqu’n, 33, 80.
Sorolla y Bastida, Concha, 33.
Sorolla y Garc’a, Elena, 65, 150, 173, 185, 256,
313, 315.
Sorolla y Garc’a, Joaqu’n, 20, 65, 173, 185, 192,
198, 200, 209, 244.
Sorolla y Garc’a, Mar’a Clotilde, 150, 155, 173,
185, 202, 256, 274, 315.
ValdŽs, Manolo, 195, 237, 238, 339, 347.
Valencia, Pedro de, 156.
Valenzuela, JosŽ, 143.
Valle-Incl‡n, Ram—n Mar’a del, 16, 122, 124,
125, 126, 127, 128, 158, 164.
Valls, Ernesto, 147.
Van Gogh, Vincent, 289.
Vauxcelles, Louis, 123.
Varo, Remedios, 227, 228.
V‡zquez D’az, Daniel, 126, 232, 235.
Vega-Incl‡n, Benigno de la, 12, 19, 118, 162,
179.
Vegue y Goldoni, çngel, 186.
Soto, Juan, 327.
Vento, JosŽ, 228, 233.
Starkweather, William, 143.
Vel‡squez, Diego, 15, 63, 64, 66, 89, 175, 221,
223, 238, 240, 271, 293.
Su‡rez, Adolfo, 248.
Vera, Alejo, 104.
Taft, William Howard, 98.
Tˆpies, Antoni, 228, 249.
Tharrats, Joan Josep, 228.
Verde Rubio, Ricardo, 144.
Viana, marquis de, 94, 96, 97, 191.
Vierge, Daniel, 45.
Viola, Manuel, 227, 228.
D. Index des noms de personnes
Vila Prades, Julio, 144.
401
Yriarte, Charles, 44.
Villagracia, marquis de, 80.
Villegas Cordero, JosŽ, 51, 68, 86, 142.
Zabala, Arturo, 236.
Villegas, Manuel, 57.
Zabaleta, Rafael, 235.
Vizca’, Fernando, 135, 144.
Zab‡lburu, Francisco, 42.
Vlaminck, Maurice de, 255.
Zab‡lburu y Mazarredo, Mar’a del Carmen, 42.
Voltaire, 82.
Zamacois, Eduardo, 122.
Zamorano, Ricardo, 233.
Warhol, Andy, 237.
Zegr’, JosŽ, 315.
Washburn, Cadwaller Lincoln, 59, 158.
Zola, ƒmile, 130, 265.
Washington, George, 216.
Zorn, Anders, 16, 61, 72, 77, 158, 257, 258,
259.
Wilde, Oscar, 265.
Williams, Leonard, 110.
Zuazo, Secundino, 177.
Zuloaga, Ignacio, 16, 32, 45, 103, 110, 119,
121, 122, 123, 124, 126, 157, 212, 234.
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