universite de franche-comte, besançon ecole doctorale « langages
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UNIVERSITE DE FRANCHE-COMTE, BESANON ECOLE DOCTORALE Ç LANGAGES, ESPACES, TEMPS, SOCIETES È Thse en vue de lÕobtention du titre de docteur en ETUDES IBERIQUES ET IBERO-AMERICAINES LA RCEPTION DE LÕÎUVRE DE JOAQUêN SOROLLA DE 1881 Ë 2009 Prsente et soutenue publiquement par Jordane FAUVEY Le 13 octobre 2012 Sous la direction de M. le Professeur mrite Grard BREY Membres du jury : M. Jean-Louis AUG, Docteur, Conservateur en Chef des muses Goya et Jaurs de Castres M. Bernard BESSIéRE, Professeur lÕuniversit dÕAix-en-Provence Mme Mara de los Santos GARCêA FELGUERA, Matre de Confrences lÕUniversit Pompeu Fabra de Barcelone, rapporteur M. Eliseo TRENC, Professeur mrite de lÕuniversit de Champagne-Ardennes, Reims, rapporteur 1 2 Ç Les fluctuations dÕune vie et dÕune rputation dÕartiste sont lies de mystrieux phnomnes de comportement et de socit, et si certaines volte-face du got surprennent, ou dconcertent, voire scandalisent, il faut en saisir le contexte qui relve autant des conditions de la vie de lÕart et des artistes que de lÕconomie et de la sociologie. È Introduction de Pierre Cabanne, ÒLes petits matres retrouvsÓ. Pierre Cabanne et Grald Shurr, Dictionnaire des Petits Matres de la peinture, 1820-1920, Paris, LÕAmateur, 2008, page 15. 3 TABLE DES MATIéRES PREMIéRE PARTIE RemerciementsÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ.. 5 Abrviations et siglesÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ 8 IntroductionÉÉÉÉÉÉÉÉ.ÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ.ÉÉÉÉÉÉ. 9 I. 1881 - 1901. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance. 31 I.1. De lÕExposition Nationale aux Salons europens 33 I.2. LÕaffaire de la Mdaille dÕHonneur 49 I.3. Les premiers soutiens : la gauche librale et rpublicaine 71 II. 1902 - 1923. Le march de lÕart : un parcours de la contestationÉÉÉ. 86 II.1. De lÕexposition Petit Visin de Espaa 89 II.2. La reconnaissance des conservateurs 105 II.3. La lgende noire de Sorolla 121 III. 1924 - 1939. La cration du Muse SorollaÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ 138 III.1. Le sorollisme 139 III.2. Quel muse pour Sorolla ? 160 III.3. Un hritage artistique en jeu 177 IV. 1939 - 1974 : Sorolla et le rgime franquisteÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ 194 IV.1. Sorolla lÕAragonais : le pass du peintre en question 195 IV.2. SorollaÕs Spain is different 212 IV.3. Le regard de la gnration post-sorolliste 226 V. 1975 - 2009 Sorolla et lÕEspagne dmocratiqueÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ 242 V.1. Une Ïuvre trop ÒmarqueÓ dans une Espagne en mutation ? 243 V.2. Les rformes du Muse Sorolla et leurs consquences 254 V.3. ÒSorollamanaÓ 271 4 ConclusionÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ 288 DEUXIéME PARTIE A. FiguresÉÉÉÉÉ.ÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ.ÉÉÉ 303 B. AnnexesÉ..ÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ..ÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ 353 C. BibliographieÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ. 364 D. Index des noms de personnesÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ 393 5 PREMIéRE PARTIE REMERCIEMENTS Je tiens remercier chaleureusement tous mes collaborateurs ainsi que tous les organismes qui mÕont aid raliser ce travail. Je remercie en premier lieu celui qui fut mon professeur puis mon directeur de recherche, M. Grard Brey. Merci au Conseil Rgional de Franche-Comt et lÕUniversit de Franche-Comt qui mÕont tmoign leur confiance et leur soutien en attribuant mon projet une allocation de recherche compter de lÕanne 2006, ceci pour une dure de trois ans. Je remercie mon laboratoire, le Centre de Recherches Interdisciplinaires (CRIT) et sa responsable Mme. Laurence Dahan-Gaida. Par ailleurs, durant cette priode, lÕUniversit de Franche-Comt mÕa confi une charge de cours lÕUFR des Sciences du Langage, de l'Homme et de la Socit. Je veux remercier galement la Socit des Hispanistes Franais qui a accueilli favorablement le projet de cette thse et mÕa remis, en 2008, une bourse dÕtude qui mÕa permis de poursuivre mes recherches Madrid durant le mois de juillet 2008. Il y a quelques annes, jÕai eu la chance de rencontrer lÕarrire-petite-fille du peintre, Mme. Blanca Pons-Sorolla, qui mÕa gnreusement aid dans tous mes travaux scientifiques et cette page me donne lÕoccasion de lÕen remercier particulirement aujourdÕhui. Toute ma gratitude va bien sr M. Florencio de Santa-Ana qui fut le directeur du Muse Sorolla de 1982 2008, ainsi quÕ sa jeune et enthousiaste quipe compose de : M. David Ruiz Lpez, Mme. Araceli Muoz, Mme. Mara del Carmen, Mme. Mnica Rodrguez et Mme. Alicia Vallina. Depuis 2004, ces personnes mÕont paul dans mes recherches sur les portraits royaux de Sorolla. Le fruit de ce travail est reccueilli aujourdÕhui dans un ouvrage publi en 2009 : Joaqun Sorolla, pintor del Rey Alfonso XIII. Mes penses vont galement Mme. Mara de los Santos Garca Felguera qui fut, dÕabord, mon professeur lÕUniversit Complutense de Madrid et qui a continu ensuite mÕaider et me conseiller dans mes travaux scientifiques. Un grand merci au ralisateur M. Jos Antonio Escriv qui a gnreusement mis ma disposition son film Cartas de Sorolla avant sa sortie commerciale et au dessinateur M. Rafael Munoa qui, me 6 recevant Saint-Sbastien, mÕa apport un clairage prcieux sur ses crations. Je tiens mentionner aussi Mme. Stella Manaut pour tous les renseignements quÕelle mÕa apports concernant son pre Jos Manaut Viglietti et son grand-pre Jos Manaut Nogus. Enfin, pour leur aide divers gards, il me faut remercier M. Mitchell A. Codding et M. Marcus Burke de lÕHispanic Society of America de New York, M. Henri Ferreira Lpez de la Bibliothque dÕtude et de conservation de Besanon, Mme. Emilia Alcela du Centre de Documentation Touristique Espagnol de Madrid, Mme. Beln Villanueva du Muse Vicente Blasco Ibez de Valence, Mme. Consuelo Cscar Casabn de lÕInstitut Valenci dÕArt Modern de Valence, M. Baltasar Muoz Toms du Muse Postal de Madrid, M. Cecilio Alonso Alonso de lÕUniversit Nationale dÕducation Distance ainsi que les conservateurs des Archives Gnrales de lÕAdministration de Alcal de Henares, M. Javier Delicado de lÕAcadmie de San Carlos de Valence et Mme. Mercedes Gonzlez de Ameza de lÕAcadmie Royale de San Fernando de Madrid. Comment ne pas remercier galement mes amis libraires madrilnes et valenciens : Librera Berceo (Madrid), Librera El Crabo (Valence), Librera de la Escalinata (Madrid) et Librera Ruzafa (Valence). Sans eux, je nÕaurais jamais eu entre les mains de prcieux catalogues dÕexposition aujourdÕhui puiss. Toutes mes penses vont enfin Mme. Claire Nicolle Robin Kerk (1938-2012) qui, en 2004, a accept de diriger mon mmoire de Master sur Sorolla et le portrait royal. Un tel sujet nÕallait pas de soi, tout dÕabord car cette facette de son Ïuvre tait compltement inexplore. Le Valencien est pass la postrit comme le peintre de la Mditerrane et approfondir cette piste scientifique tait un vrai pari, qui sÕavra ensuite payant. Mais je tiens souligner ici, comme un clin dÕÏil, que le peintre espagnol nÕavait pas bonne presse parmi les hispanistes franais qui le considraient comme un peintre de droite, vendu la bourgeoisie et rcupr par les fascistes aprs la guerre civile. Quand je lui proposai le nom de Sorolla, elle me rtorqua : Ç ÀSorolla? ÁUna cuenta bancaria y el aplauso de los del cuarenta! È cÕest--dire : Ç Sorolla ? Un compte en banque et les applaudissements de la gnration de quarante ! È Elle me suggra alors les noms de peintres plus ÒfrquentablesÓ, Catalans pour la plupart : Mariano Fortuny y Marsal, Ramn Casas, Eduardo Zamacois y Zabala, Joaqun Mir Trinxet, Eliseo Meifren, etc. JÕinsistai, et nous avons commenc faire venir dÕEspagne et des tats-Unis toute la bibliographie disponible. En franais, il nÕy avait rien si ce 7 nÕest la traduction de lÕouvrage de Rafael Domnech, Sorolla, sa vie et son Ïuvre (1910). Je me souviens aujourdÕhui avec beaucoup de tendresse de lÕhostilit de Claire qui me donnait une ide du chemin restant parcourir pour forger une vision plus juste de ce peintre et, avant tout, le faire connatre en France. Ç ÀSorolla? ÁUna cuenta bancaria y el aplauso de los del cuarenta! È posait la question de la rception critique du peintre et ce fut pour moi le point de dpart de ce travail auquel jÕai choisi de donner pour titre : Sorolla et lÕEspagne puis La rception de Joaqun Sorolla de 1881 2009. CÕest donc toi Claire, pour ta confiance et ton implication dans tous mes travaux de recherche que je ddie ce travail : la premire thse franaise consacre Joaqun Sorolla. 8 ABRVIATIONS ET SIGLES AGA Archivo General de la Administracin, Alcal de Henares. AGP Archivo General del Palacio Real, Madrid. APMS Archives de Presse du Muse Sorolla, Madrid. BECB Bibliothque dÕtude et de Conservation, Besanon BNE Biblioteca Nacional de Espaa, Madrid. BNF Bibliothque Nationale de France, Paris. BNP Biblioteca Nacional de Portugal, Lisbonne. Cat. Catalogue. CEDA Confdration Espagnole des Droites Autonomes, Madrid. CDTE Centro de Documentacin Turstica de Espaa, Madrid. HSA The Hispanic Society of America, New York. Inc. Inconnu. Inv. Inventaire. MS Muse Sorolla, Madrid. Nb. Nombre. N¡. Numro. N¡ Cat. Numro de catalogue. PRR Parti Rpublicain Radical, Madrid. PURA Parti de lÕUnion Rpublicaine Autonomiste, Valence. RABASF Real Academia de Bellas Artes de San Fernando, Madrid. Trad. Traduction. UCM Universidad Complutense, Madrid. UFC Universit de Franche-Comt, Besanon. Introduction 9 INTRODUCTION En 2007, lÕEspagne accueille pour la premire fois Visin de Espaa, une Ïuvre au sujet de laquelle le quotidien El Pas rappelait que Ç el pintor [Joaqun Sorolla] muri sin poder ver su obra ms extensa y para algunos expertos su obra cumbre, ni en Espaa ni en Nueva York. È1 En 1911, le peintre Joaqun Sorolla (1863-1923) recevait dÕune fondation prive amricaine, lÕHispanic Society of America de New York, la commande dÕun dcor pour la bibliothque de cette institution sur le thme des provinces espagnoles. Durant neuf ans, de 1911 1919, il travailla la ralisation de cette frise monumentale de 58,3m de longueur par 3 3,5m de hauteur, quÕil termina quatre ans seulement avant sa mort, en 1923. Quatorze panneaux mobiles la composent : La fiesta del pan (Castilla), Los nazarenos (Sevilla), La jota (Aragn), El consejo del Roncal (Navarra), Los bolos (Guipzcoa), El encierro (Andaluca), El baile (Sevilla), Los toreros (Sevilla), La romera (Galicia), La pesca (Catalua), Las grupas (Valencia), El mercado (Extremadura), El palmeral (Elche) et La pesca del atn (Ayamonte). Ces panneaux ne furent jamais prsents en Espagne, conformment aux dispositions consignes dans le contrat de cette commande qui stipulait que le dcor complet devait rester confidentiel jusquÕau jour de sa prsentation officielle, aux EtatsUnis.2 En 1921, le Muse du Prado tenta en vain dÕobtenir lÕautorisation de le prsenter dans ses salles avant quÕil ne quittt dfinitivement le territoire puis, en 1922, il fut achemin outre-Atlantique. Quatre ans plus tard, lÕinstallation permanente fut inaugure lÕHispanic Society.3 Voil pourquoi, en Espagne, Visin de Espaa demeurera longtemps ignor du public. Les premires planches 1. 2. 3. Ferrn Bono, ÒSorolla vuelve a casaÓ, El Pas, Madrid, 27/05/2006. Ç Le peintre [Joaqun Sorolla] est mort sans pouvoir contempler son Ïuvre la plus vaste et, selon quelques experts, son chef dÕÏuvre, ni en Espagne ni New York. È Ë New York, HSA : Castilla. La fiesta del pan, 351x1393, 1913. Navarra. El Concejo del Roncal, 349x230, 1914. Guipzcoa. Los bolos, 350x231Õ5, 1914. Aragn. La jota, 351x301, 1914. Andaluca. El encierro, 351x752, 1914. Sevilla. Semana Santa, nazarenos, 1914. Sevilla. El baile (la cruz de mayo), 351x302,5, 1914. Sevilla. Los toreros, 350x231, 1915. Catalua. El pescado, 351x485, 1915. Galicia. La romera, 351x300, 1915. Valencia. Las grupas, 351x301, 1916. Extremadura. El mercado, 351x302, 1917. Elche. El palmeral, 350x321, 1918-1919. Ayamonte. La pesca del atn, 348x485, 1919. Blanca Pons-Sorolla, Joaqun Sorolla. Vida y obra, Madrid, Fahah, 2001, page 532. Introduction 10 imprimes en couleur nÕy seront diffuses quÕen 1965, dans un ouvrage intitul La visin de Espaa de Sorolla.4 Il sera rdit une seule fois, en 1973. De 2007 2009, lÕexposition Visiones de Espaa fait le tour de lÕEspagne depuis lÕEst du pays, Valence, au Sud, Sville et Malaga, en passant par le Nord, Bilbao et Barcelone, pour finir au centre, Madrid. Ë la fin de cette ÒtourneÓ, Visiones de Espaa aura t lÕexposition temporaire la plus visite de lÕhistoire de lÕEspagne puisquÕelle enregistra, au total, plus de deux millions dÕentres.5 Ë Madrid, le Muse du Prado profita de lÕopportunit qui se prsentait pour dvoiler, ct des quatorze panneaux, quatre-vingt-huit tableaux majeurs provenant de collections publiques et prives. Cette exposition vnement venait ponctuer un cycle de prsentation qui, depuis le milieu des annes 1990, a ramen lÕÏuvre de Sorolla au premier plan de la vie culturelle espagnole. En effet, grce la rforme du statut juridique du Muse Sorolla (1993), qui autorise la libre circulation de ses collections, lÕEspagne a redcouvert lÕÏuvre de ce peintre par le biais dÕexpositions itinrantes qui ont parcouru tout le pays. Entre 1994 et 1996, lÕexposition Sorolla. Fondos del Museo Sorolla a t prsente dans quinze villes moyennes telles que La Corogne, Pampelune ou Alicante. Sur le mme principe, lÕexposition Sorolla pequeo formato a t inaugure dans quinze villes entre 1995 et 1997. Sorolla paisajista a parcouru lÕEspagne entre 2000 et 2002 et, plus rcemment, Sorolla y Castilla a connu huit ditions de 2003 2005. Ces expositions ont montr au public les principales facettes de cette Ïuvre, en runissant des tableaux appartenant toutes les priodes de la vie du peintre. Toutefois, Visin de Espaa, la dernire pice du puzzle, Òle chef-dÕÏuvreÓ si lÕon veut traduire lÕexpression Ç obra cumbre È utilise par le quotidien El Pas, nÕavait jamais figur dans aucune exposition temporaire. Pour cette raison, sa prsentation en Espagne a parachev un cycle de rception critique, fournissant lÕoccasion de formuler un premier bilan de lÕensemble dvoil ces dernires annes. Dans ce contexte, lÕtude scientifique de ce cycle pouvait voir le jour. Ce nÕest donc pas le fruit du hasard si, parmi les articles publis dans le catalogue de 4. 5. Felipe M. Garn Ortiz de Tarranco, La visin de Espaa de Sorolla, Valence, Diputacin Provincial, 1973 (1965). Eduardo Manzana, ÒLa exposicin de Sorolla supera los dos millones de visitantesÓ, http://www.abc.es/, 20/01/2010. Introduction 11 lÕexposition du Muse du Prado, lÕun dÕentre eux, ÒLa fortuna crtica de Joaqun SorollaÓ, explore justement cette question.6 Ë lÕoccasion de lÕexposition itinrante Visiones de Espaa, Toms Llorens, un ancien directeur du Muse Thyssen Bornemisza, a tent de rpondre aux questions suivantes: Ç ÀCmo explicar el Òcaso SorollaÓ? ÀCmo entender la discordancia entre la inmensa popularidad de la que goza y la imagen mezquina que de l nos han venido dando muchos crticos e historiadores del arte moderno? È7 LÕauteur constatait le dcalage entre lÕaffection du public, qui visite en nombre les expositions rtrospectives, et la dsaffection tenace dÕune partie de la critique. En 1989 dj, dans un article intitul ÒSorolla y la crticaÓ, Carmen Gracia relevait des discordances et des conflits au sein de la critique.8 Pour elle, lÕÏuvre de Sorolla ne serait mme jamais parvenue conqurir une place stable dans le champ de la connaissance artistique. Tantt juge naturaliste, impressionniste, no-impressionniste voire luministe, cette Ïuvre serait mme, pour certains, inclassable. En outre, elle serait, crit-elle, lÕorigine dÕune cole, le ÒsorollismeÓ ! Hors des frontires de lÕEspagne, elle est encore gnralement mal connue et le plus souvent quasiment ignore, en particulier dans les autres pays de lÕUnion Europenne. Ce constat, ou lÕexistence dÕun Òcas SorollaÓ selon lÕexpression employe par Llorens, pose la question du lien entre la perception actuelle de lÕÏuvre du peintre espagnol et lÕhistoire de sa rception critique, en Espagne et lÕtranger. CÕest pourquoi on se demandera dÕabord comment les contemporains de Sorolla percevaient sa peinture et comment, aprs la mort du peintre, son Ïuvre continua tre interprte. Nous chercherons identifier les raisons qui motivrent ou justifirent ces interprtations et construisirent ce Òvoyage au long coursÓ dont nous parle le sociologue de lÕart Jean-Pierre Esquenazi, pour lequel Ç [lÕÏuvre] est embarque dans un voyage au long cours o elle est value, interprte, 6. 7. 8. Felipe Garn et Facundo Toms, ÒLa fortuna crtica de Joaqun SorollaÓ in Joaqun Sorolla, Madrid, Museo Nacional del Prado, 2009, pages 471-484. Toms Llorens, ÒVerdad y naturaleza. Dejado de lado por la historia del arte, Sorolla fue vctima del olvidoÓ, El Pas, Madrid, 3/11/2007. Ç Comment expliquer le Òcas SorollaÓ ? Comment interprter la disonance entre lÕimmense popularit dont il jouit et lÕimage mesquine que de nombreux critiques et historiens de lÕart moderne nous ont donn de lui au fil du temps. È Carmen Gracia, ÒSorolla y la CrticaÓ in Joaqun Sorolla, Londres, Philip Wilson, 1989, pages 75-89. Introduction 12 dissque, apprcie de nombreuses reprises. È9 On questionnera la prgnance des interprtations anciennes sur la perception rcente de lÕÏuvre de Sorolla, lÕheure o une historienne comme Mara Luisa Menndez Robles, une exconservatrice du Muse Sorolla, en appelle une lecture neuve en proposant des points de vue jamais adopts, ainsi quÕelle lÕavait fait en 2000 dans un article.10 Autour dÕune problmatique qui croisait les vies du peintre Sorolla, du sculpteur Mariano Benlliure et du collectionneur Benigno de la Vega-Incln, lÕhistorienne faisait converger la triple perspective de lÕart, de lÕconomie et de la vie politique du pays. On sÕintressera aux derniers travaux scientifiques afin de comprendre dans quelle mesure ils induisent une remise en question des lectures hrites. Dans lÕouvrage prcit, Esquenazi dcrit les conditions qui prsident la naissance dÕune Ïuvre : La premire vie des Ïuvres, qui les voit passer du statut de simple projet un tat dÕachvement au moins matriel, se droule lÕabri des regards autres que professionnels. Elles nÕaccdent la lumire quÕavec leur prsentation publique : dÕune certaine faon, elles ne deviennent effectivement Ç Ïuvres È que lors de ce second temps du processus social qui constitue leur existence. Le roman qui reste lÕtat de manuscrit, le tableau qui ne sort jamais de lÕatelier sont-ils vraiment un Ç roman È ou un Ç tableau È ? 11 On comprend que lÕÏuvre nÕest pas un objet mais un processus et que sa vie commence seulement le jour o les regards se portent sur elle. Elle est une variante dont la valeur et le sens se modifient au contact des poques et des espaces sociaux. LÕtude dÕune Ïuvre rclame, par consquent, une analyse diachronique, qui commence le jour de sa prsentation publique. Un autre sociologue de lÕart, Michael Baxandall, propose un modle simple et pertinent de ce Ç voyage au long cours È, en quatre tapes, que nous avons schmatis de la manire suivante12 : 9. 10. 11. 12. Jean Pierre Esquenazi, Sociologie des Ïuvres. De la production a lÕinterprtation, Paris, Armand Colin, 2007, page 51. Mara Luisa Menndez Robles, ÒSorolla, Benlliure y el segundo marqus de la VegaIncln: Interacciones amistosas y artsticasÓ in Mariano Benlliure y Joaqun Sorolla: Centenario de un homenaje, Generalitat valenciana, Valence, 2000, pages 56-74. J.P. Esquenazi, SociologieÉ page 70. Michael Baxandall, Formes de lÕintention, Nmes, J. Chambon, 1991, page 34. Introduction 13 ESPACE PRIV ESPACE PUBLIC SALON DÕEXPOSITION ! ! ! Objet confidentiel Objet-candidat Îuvre TEMPS 1. Production 2. Prsentation 3. Dclaration 4. valuation Accroch dans lÕatelier du peintre, le tableau nÕa pas gagn le statut dÕÏuvre quÕil acquerra, ventuellement, aprs sa prsentation publique. Pour faire de lui une ÒÏuvreÓ, la communaut dÕinterprtation le dclare tel. Cette tape consiste attribuer une ÒdirectiveÓ qui peut tre lÕide que la communaut se fait du projet initial du peintre. Dans tous les cas, la dclaration a pour fonction dÕadouber lÕobjet-candidat en le situant quelque part dans le panthon de la connaissance. Ainsi, on dira dÕun tableau quÕil est caravagiste, raliste, impressionniste, expressionniste, cubiste etc. CÕest lÕacte de naissance de lÕÏuvre et le point de dpart dÕun jugement de valeur que Baxandall choisit dÕappeler lÕvaluation. LÕÏuvre dÕun artiste, comme Ç ensemble de ses diffrentes Ïuvres, considr dans sa suite, son unit et son influence È, nÕexiste pas physiquement.13 Elle nÕest pas la somme des Òchef-dÕÏuvresÓ et encore moins lÕensemble de la production, autrement dit lÕÏuvre au genre masculin, ÒlÕÏuvre peintÓ ou ÒÏuvre entierÓ, dans lÕacception technique des catalogues raisonns. Chez Sorolla, lÕÏuvre entier reprsenterait environ quatre mille peintures et onze mille dessins, 13. Alain Rey (dir.), Dictionnaire culturel en langue franaise, Paris, Le Robert, 2005, tome III, page 1088. Introduction 14 selon les estimations les plus rcentes.14 LÕÏuvre dont il est le plus souvent question dans les articles de presse consults est une reprsentation mentale qui rsulte dÕun travail de synthse. Ë cet gard, quelques titres sont riches dÕenseignements, en particulier celui dÕun article dÕEmilio Fornet conu comme une quation: Ò!Sol + !Sorolla = ValenciaÓ ; ou bien, ÒSorolla, o el impresionismo espaolÓ ; ou bien, ÒJoaquim Sorolla. Exhuberante intrprete da luz e notvel renovador da pintura espanholaÓ ; ou encore ÒSorolla no fue un impresionista sino un realista luminosoÓ, etc.15 Le corpus des objets-candidats servant de base matrielle ces articles, sorte de pinacothque imaginaire propre chaque auteur, nÕest bien sr jamais le mme. Il est toutefois fortement li au contenu des expositions temporaires qui constituent des occasions de dcouverte de tableaux indits et / ou de redcouverte de tableaux connus. Par consquent, les contours de lÕÏuvre de Sorolla ont t constamment redfinis par les communauts interprtatives successives et donc par le contenu des expositions temporaires. Enfin, partir du point dÕancrage que constitue la dclaration, lÕÏuvre va tre en condition dÕtre value et rvalue. LÕanalyse diachronique de la rception de lÕÏuvre de Sorolla est un objet dÕtude rcent, apparu il y a vingt ans environ. De toute vidence, il rclame la fois une approche pluridisciplinaire mais aussi la prise en compte dÕune priode aussi longue que possible. Or, jusque-l, il nÕa t trait que dans des articles courts prsents comme de simples pistes de recherche. Cette question nous renvoie tout dÕabord lÕarticle dj mentionn de lÕhistorienne de lÕart valencienne, Carmen Gracia. Dans ÒSorolla y la crticaÓ (1989), elle formula des observations qui auraient parfaitement pu se fondre dans des modles emprunts la sociologie de lÕart, bien quÕelle nÕen utilist pas la terminologie. Ce texte 14. 15. Blanca Pons-Sorolla, Joaqun Sorolla. Vida y obra, Madrid, Fahah, 2001, page 30. Ces chiffres ont constamment t rvalues depuis la premire grande tentative dÕinventaire, en 1970, par Bernardino de Pantorba. Son catalogue, divulgu en 1953 puis rvis en 1970, enregistrait dans sa dernire version deux mille cent soixante-quinze pices, toutes techniques confondues. Emilio Fornet, Ò!Sol + !Sorolla = ValenciaÓ, La Correspondencia de Valencia, Valence, 26/06/1927. Cecilio Barbern, ÒSorolla, o el impresionismo espaolÓ, Patria, Grenade, 7/06/1944. Joaquim Lopes, ÒJoaquim Sorolla - Exhuberante intrprete da luz e notvel renovador da pintura espanholaÓ, OÕprimeiro de Janeiro, Rio de Janeiro, 15/12/1948. ÒSorolla no fue un impresionista sino un realista luminosoÓ, El Correo de Andaluca, Sville, 18/11/1973. En franais, Ò!Soleil + !Sorolla = ValenceÓ, ÒSorolla ou lÕImpressionnisme espagnolÓ, ÒJoaqun Sorolla Ð Exubrant interprte de la lumire et remarquable rnovateur de la peinture espagnoleÓ et ÒSorolla ne fut pas un impressionniste mais un raliste lumineuxÓ. Introduction 15 pionnier, le seul portant prcisment sur la rception critique de lÕÏuvre de Sorolla, fut publi pour la premire fois dans le catalogue de lÕexposition Joaqun Sorolla organise lÕInstitut Valenci dÕArt Modern (IVAM).16 LÕouvrage a fait lÕobjet de deux rditions, la premire en 1990 et la seconde en 1996. Pour montrer quel point la rception de Sorolla fut contraste, la spcialiste partait du constat que deux critiques amricains contemporains de Sorolla, J.G. Mottet (inc.inc.) et Franck Jewet Mather jr. (1868-1953), tous deux journalistes du quotidien new-yorkais The Evening Post, avaient exprim deux opinions radicalement opposes dans des articles consacrs la mme exposition, que le peintre ralisa New York en 1909. Alors que le premier nÕhsitait pas mesurer ce quÕil venait de voir lÕaune des chefs-dÕÏuvre de Vlasquez, pour le second, la peinture de lÕEspagnol nÕtait quÕune simple curiosit sans intrt.17 Carmen Gracia dcrivait ensuite les tapes de la rception critique de lÕÏuvre de Sorolla durant le sicle qui sÕtend de 1887 1989, partir de la publication dÕun article de Vicente Blasco Ibez dans lequel lÕcrivain vantait les qualits de lÕÏuvre de son compatriote.18 LÕhistorienne distinguait deux niveaux de rception simultans, dÕabord local, avant les annes 1890, puis national et international, partir des annes 1890. Pour la seconde priode, elle prcisait quÕen Espagne la rception de lÕÏuvre de Sorolla avait t plus ÒpolmiqueÓ quÕ lÕtranger. Ensuite, aprs la mort du peintre, survenue en 1923, elle voquait une priode dÕoubli dont elle situait le commencement en 1926 en sÕappuyant sur un article tir de La Prensa. 19 Enfin, Carmen Gracia observait quÕaprs cette date et en dpit des expositions consacres lÕÏuvre de Sorolla, en 1963 et en 1973, dÕune part celle-ci nÕtait pas sortie de lÕoubli et que, dÕautre part, les publications monographiques ressassaient les mmes ides et ritraient des lieux communs. Pour Toms Llorens, Sorolla fut tout bonnement laiss de ct par lÕhistoire de lÕart. Dans son article ÒVerdad y naturaleza. Dejado de lado por la historia del arte, Sorolla fue vctima del olvidoÓ (2007) publi dix-huit ans aprs celui de Carmen Gracia, lÕhistorien de lÕart parle de Ç damnatio memoriae È. Selon ce 16. 17. 18. 19. Joaqun Sorolla, Londres, Philip Wilson, 1989, pages 75-89. J.G. Mottet, ÒSorolla y Bastida ExhibitionÓ, The Evening Post, New York, 1/02/1909. Frank Jewet Mather, ÒThe Painting of SorollaÓ, The Evening Post, New York, 12/03/1910. Vicente Blasco Ibez, ÒCrnica artstica. SorollaÓ, El Pueblo, Valence, 5/06/1887. ÒLa magia del arte pictrico espaol crea en New York un nuevo monumento al genio vibrante de la razaÓ, La Prensa, Barcelone, 22/01/1926. Introduction 16 spcialiste, la perception actuelle de lÕÏuvre de Sorolla dpendrait de deux facteurs lis sa fortune critique, lÕun national et lÕautre international : Uno est enraizado en lo que han sido las corrientes dominantes de la intelectualidad espaola durante la mayor parte del siglo XX, el otro, internacional, deriva de la manera en que se nos ha contado la historia del arte moderno.20 Dans cet article, lÕauteur souligne lÕhostilit des intellectuels Miguel de Unamuno (1864-1936) et Ramn Mara del Valle-Incln (1866-1936) qui, selon lui, Ç [É] en la pintura de Sorolla vean el paradigmo negativo de la Espaa que ellos exaltaban. È cÕest--dire : Ç [É] dans la peinture de Sorolla, ils voyaient le modle oppos de lÕEspagne quÕils magnifiaient. È Il met galement en cause la construction de lÕhistoire de lÕart autour dÕune ligne unique, extrmement simplifie, qui carterait ce quÕelle ne parviendrait pas assimiler. Pour Llorens, la gnration de Joaqun Sorolla, dont il cite lÕAmricain John Singer Sargent (1856-1925), le Hollandais Isaac Israels (1865-1934), lÕAllemand Max Lieberman (1847-1935), le Sudois Anders Zorn (1860-1920), lÕItalien Pelliza da Volpedo (1868-1907), et le Russe Rpine - Ilia Iefimovitch - (1844-1930), domina le monde de la peinture autour de 1900, mais fut dfinitivement oublie en 1930. LÕauteur attribue cette lacune au manque de cohsion historiographique, ces peintres ayant t redcouverts sparment et des moments distincts. Enfin, en 2009, dans ÒLa fortuna crtica de Joaqun SorollaÓ, les auteurs valenciens Felipe Garn et Facundo Toms sÕintressrent aux jugements mis par les crivains espagnols contemporains du peintre. Ils distingurent Ç la gnration de 1898 È des Ç crivains favorables Sorolla. È21 Le premier groupe comprend quatre crivains, Miguel de Unamuno, Po Baroja (1872-1956), Ramiro de Maeztu et Ramn del Valle-Incln. Ces intellectuels auraient t hostiles la peinture de Sorolla et auraient partag, au contraire, lÕesthtique sombre et grave de Jos Gutirrez Solana (1886-1945) et Ignacio Zuloaga (1870-1945). Le deuxime groupe associe Vicente Blasco Ibez (1867-1928), Juan Ramn 20. 21. Toms Llorens, ÒVerdad y naturaleza. Dejado de lado por la historia del arte, Sorolla fue vctima del olvidoÓ, El Pas, Madrid, 3/11/2007. Ç LÕun se trouve ancr dans ce quÕont t les courants dominants de lÕintelligentsia espagnole durant la majeure partie du XXe sicle, lÕautre, international, provient de la faon dont on nous a racont lÕhistoire de lÕart moderne. È Ibidem, ÒLa fortuna crticaÉÓ, pages 471-484. Introduction 17 Jimnez (1881-1958) et Ramn Prez de Ayala (1881-1962), trois crivains qui ont laiss des tmoignages de leur admiration pour le Valencien. La priode postrieure la mort du peintre nÕest traite que dans la conclusion de lÕarticle. Les auteurs y avancent une hypothse nouvelle : sous le franquisme, une partie de la Critique considre comme ÒractionnaireÓ aurait oppos la peinture de Sorolla aux Avant-gardes. Selon eux, au moins jusquÕ la fin de la dictature, ce point de vue aurait empch les jeunes gnrations de sÕidentifier lÕÏuvre du Valencien. Bien que vingt ans sparent lÕarticle le plus ancien du plus rcent, les quatre auteurs se rejoignent nanmoins sur plusieurs points. SÕils soulignent dÕabord le prestige et la notorit du peintre son poque, ils voquent ensuite une priode dÕoubli, une Ç traverse du dsert È. Garn, Toms, Gracia et Llorens en situent le commencement quelques annes seulement aprs la mort du peintre, entre 1926 et 1930. Pour lÕexpliquer, ils mettent en cause la persistance de jugements hostiles. Aprs cette date, tous observent le manque de reconnaissance dont ptirait lÕÏuvre de Sorolla principalement en Espagne, son pays dÕorigine. Notons, enfin, que si tous ces spcialistes en arrivent des conclusions proches, ils nÕexploitent cependant pas les mmes sources. Alors que Llorens semble sÕappuyer presque exclusivement sur des sources de seconde main, les autres auteurs exploitent des sources de premire main, en particulier des coupures de journaux probablement issues, au moins en partie, des archives de presse du Muse Sorolla. Ce muse fut inaugur en 1932 dans les murs de la maison madrilne du peintre. Il conserve une importante collection de peintures et de dessins mais aussi des sculptures, des pices archologiques, des cramiques, des bijoux rgionaux et un ensemble mobilier et textile. Il hberge galement une bibliothque spcialise et possde, parmi ses archives, une prcieuse collection de photographies anciennes, toute la correspondance prive du peintre ainsi quÕun fond de presse trs complet. Or, jusquÕ maintenant, la collection de coupures de presse nÕa pas encore t exploite comme elle le mriterait. Durant longtemps, elle a t nglige par les biographes du peintre au moins pour deux raisons lies, la fois au contenu de leur projet dÕtude et la nature des sources disponibles. DÕabord, lÕambition de ces auteurs visait le plus souvent raconter au public la vie et le parcours du peintre. Les tmoignages et les anecdotes servaient plus efficacement ce type de projet. Ensuite, les archives de presse ont t fortement concurrences par les archives de correspondance du Muse Sorolla. Cette collection rare et Introduction 18 prcieuse runit plus de deux mille lettres originales.22 Ces deux facteurs ont contribu clipser une collection de presse qui a pourtant une immense valeur documentaire. Ë lÕintrieur de trente-trois cartons, elle runit plus de quatre mille articles, soit plus de dix mille feuillets. Les ouvrages de Bernardino de Pantorba, La vida y la obra de Joaqun Sorolla (1970) et de Blanca Pons-Sorolla, Joaqun Sorolla. Vida y obra (2001) contiennent chacun une liste dÕarticles de presse. Cependant, lÕinventaire de la collection du muse nÕa jamais t fait. Pour cette raison, nous avons ralis un travail de recherches pralable afin de rfrencer prcisment tous les articles selon la manire habituelle : Auteur, ÒTitreÓ, Priodique, Lieu dÕdition, jour / mois / anne. Dans la mesure du possible, les auteurs utilisant un pseudonyme ont t identifis lÕaide des dictionnaires dÕEugenio Hartzenbush et dÕAntonio Lpez de Zuazo Algar.23 LÕinventaire de la collection de presse du Muse Sorolla existe dsormais. Toutefois, nous avons choisi de ne pas adjoindre ce document dÕenviron quarante pages la thse et nous nous rservons la possibilit de le publier ultrieurement en collaboration avec le Muse Sorolla. Les archives de presse, dsormais plus lisibles, constituent la source fondamentale de la thse. Deux autres sources principales la compltent : les soixante-cinq catalogues des expositions monographiques et les cinquante-sept ÒessaisÓ monographiques consacrs lÕÏuvre de Sorolla. La quasi totalit de cette documentation est conserve sur le mme site, au Muse Sorolla de Madrid. Revenons, la collection de presse qui comprend deux ensembles distincts : les Ç Archives de Presse Ancienne È, qui couvrent la priode 1887 1998, et un fond en cours de constitution que nous avons choisi dÕappeler les Ç Archives de Presse Actuelle È, de 1999 2009. La plus ancienne occurrence 22. 23. Depuis 2007, une maison dÕdition catalane publie cette correspondance au sein de la collection Epistolarios de Sorolla : Facundo Toms, Felipe Garn, Isabel Justo et Sofa Barrn, Epistolarios de Joaqun Sorolla, I. Correspondencia con Pedro Gil Moreno de Mora, Barcelone, Anthropos, 2007. Blanca Pons-Sorolla, Vctor Lorente Sorolla et Marina Moya, Epistolarios de Joaqun Sorolla, II. Correspondencia con Clotilde Garca del Castillo, Barcelone, Anthropos, 2008 et Blanca Pons-Sorolla et Vctor Lorente Sorolla, Epistolarios de Joaqun Sorolla, III. Correspondencia con Clotilde Garca del Castillo (1891-1911), Barcelone, Anthropos, 2009. Maxiriarth (Eugenio Hartzenbush), Unos cuantos seudnimos de escritores espaoles con sus correspondientes nombres verdaderos, Madrid, Est. Tipogrfico Sucesores de Rivadeneyra, 1904 et Antonio Lpez de Zuazo Algar, Diccionario de seudnimos periodsticos espaoles del siglo XX, Madrid, Fragua, 2008. Introduction 19 remonte au 10 juillet 1887 et la plus rcente au 31 octobre 2009.24 Cette date a t retenue comme la borne chronologique de fin de lÕtude ; toutefois, nous avons prfr comme borne de dpart le premier article de presse connu, bien quÕil ne se trouve pas dans les cartons du Muse Sorolla.25 Il est question dans ce texte de la premire participation du peintre lÕExposition Nationale, au printemps 1881. Cette priode est la fois longue et complexe car pas moins de sept tapes historiques sÕy sont succdes : la rgence de la Reine Marie Christine (18851902), le rgne dÕAlphonse XIII (1902-1931) qui comprend la dictature de Miguel Primo de Rivera (1923-1930), la Seconde Rpublique et la Guerre Civile (19311939), la dictature de Francisco Franco (1939-1975) et une partie du rgne de Juan Carlos I (1975-2009). Les Ç Archives de Presse Ancienne È sont constitues de 3.001 articles rpartis en vingt cinq cartons. Les huit premiers cartons dÕarchives contiennent des coupures rcoltes par la famille Sorolla avant la cration du muse, en 1932. Au moins trois raisons laissent penser que le peintre sÕimpliquait personnellement dans lÕarchivage de ces documents. Tout dÕabord, plusieurs articles sont annots de sa main. Ensuite, la collecte sÕarrte net le 18 juin 1920, cÕest--dire le lendemain de lÕaccident vasculaire crbral dont il a t victime la veille et qui le plonge, semaine aprs semaine, dans un tat vgtatif toujours plus avanc.26 JusquÕ son dcs, le 10 aot 1923, la collection ne fut pas augmente ni par son pouse ni par son fils, qui habitaient encore la maison. Enfin, il convient de signaler que Sorolla devait parfaitement tre conscient de lÕintrt historique de ces documents. En effet, il comptait parmi ses plus proches amis trois historiens dÕart aussi minents que Manuel Bartolom Cosso (1857-1935) Jos Ramn Mlida (1856-1933) et Aureliano de Beruete (1845-1912), et un des plus fins collectionneurs de son poque, le marquis de la Vega Incln (1858-1952). Ce dernier lui conseilla peut-tre de protger son patrimoine sous la forme dÕune fondation.27 24. 25. 26. 27. De : Lucius, ÒNuestros artistas en RomaÓ, El Pas, Madrid, 10/07/1887 Felipe Garn, ÒÀMs Sorolla?Ó, http://www.abc.es/, Madrid, 31/10/2009. Anonyme, ÒCuadros para la exposicin de MadridÓ, Las Provincias, Valence, 5/04/1881. Francisco Alcntara, ÒSorolla en la Escuela de Bellas ArtesÓ, El Sol, Madrid, 18/06/1920. Mara Luisa Menndez Robles, ÒSorolla, Benlliure y el segundo marqus de la VegaIncln: Interacciones amistosas y artsticasÓ in Mariano Benlliure y Joaqun Sorolla. Centenario de un homenaje, Valence, Generalitat Valenciana, 2000, pages 69. Introduction 20 Selon toute vraisemblance, Sorolla tait trs attentif ce que la presse publiait sur son compte, notamment lors de chacune de ses expositions individuelles. Il lui importait de lire la presse parisienne car, dÕune part, il concourait rgulirement au Salon de la Socit des Artistes Franais et, dÕautre part, son poque la critique franaise faisait autorit dans le monde de lÕart et orientait le march. Or, il ne vivait pas Paris mais Madrid et, malgr quelques bons contacts dans la capitale franaise, son accs la presse trangre tait limit. CÕest pourquoi il souscrivait ponctuellement des abonnements auprs dÕagences, les ÒPress CuttingsÓ, qui lui fournissaient les coupures qui le concernaient directement en indexant leur recherche sur son patronyme. Le plus souvent, ces abonnements taient souscrits sur des priodes courtes qui correspondaient la dure dÕune exposition. Parmi ces agences internationales, qui possdaient des antennes dans les grandes capitales du monde, citons ÒLe LynxÓ (1876, Paris), ÒLe Courrier de la PresseÓ (1880, Paris), ÒArgus de la PresseÓ (1879, Paris), ÒArgusÓ (inc., Berlin), ÒC. Freyer ShneÓ (inc., Berlin), ÒDurrantÕs Press CuttingsÓ (inc., Londres), ÒThe General Press Cuttings Association Ltd.Ó (inc., Londres), etc. Pour dchiffrer ces coupures venues du monde entier, lÕEspagnol pouvait compter sur ses trois enfants car lui-mme nÕtait pas polyglotte. Il lisait lÕitalien, parlait mal le franais et ne connaissait ni lÕallemand ni lÕanglais. Aprs la cration du Muse Sorolla, Joaqun Sorolla y Garca (1892-1948), le fils du peintre et premier directeur de lÕinstitution, conserva et augmenta la collection en souscrivant deux nouveaux abonnements, dÕabord auprs de lÕagence ÒArgos de la PrensaÓ (inc., Madrid), de 1932 1933, puis auprs de ÒEuropaÓ (inc., Madrid), partir de 1943. Aprs sa mort, en 1948, la dernire souscription fut maintenue durant cinq ans, probablement par Francisco Pons-Sorolla, le petit-fils du peintre, alors la tte de lÕinstitution. Entre 1953 et 1966, un dernier abonnement fut souscrit auprs de lÕÒAgencia Internacional CamarasaÓ (inc., Madrid). Au cours des annes soixante, le muse traversa une importante crise financire et, en 1967, il fut mme sur le point de fermer ses portes au public. Malgr lÕabsence dÕabonnement, la collecte des articles de presse ne fut pas interrompue mme si le nombre dÕentres dcrut jusquÕ la fin des annes 1990. La rforme du statut du muse, qui se traduisit, entre autres, par la cration dÕune quipe de recherche finance par un systme de bourses, assura la prennit de la collection qui, sous la direction de Florencio de Introduction 21 Santa-Ana, sÕenrichit partir de 1999 des Ç Archives de Presse Actuelle È. Ce fond diffre du prcdent dans la mesure o il est constitu principalement dÕarticles dits en ligne. Ë ce jour, ces articles sont imprims avant dÕtre classs. Cependant, dans les prochaines annes, la numrisation des fonds anciens pourrait permettre la cration dÕune base de donnes unique et plus facile dÕaccs, regroupant les deux collections. Elle permettrait de visualiser directement les articles en ligne sur un site dot dÕun moteur de recherches. Les Ç Archives de Presse Actuelle È comprennent 1.067 articles rpartis en huit cartons. Le dernier article du vingt-troisime carton est celui de Felipe Garn ÒMs SorollaÓ, publi le 31 octobre 2009.28 Les archives de presse du Muse Sorolla comprenaient, cette date, un total de 4.068 articles rpartis chronologiquement de la manire suivante : 28. Felipe Garn, ÒMs SorollaÓ, http://www.abc.es/, 31/10/2009. Introduction 22 Graphique n¡1. Rpartition des archives de presse du Muse Sorolla.29 1963 2007 - 20 2009 194 1944 44 1932 1900 1923 29. Anne (Nb. dÕarticles) : 1887 (1) 1892 (1) 1893 (2) 1894 (1) 1895 (69) 1896 (13) 1897 (32) 1898 (1) 1899 (23) 1900 (99) 1901 (73) 1902 (3) 1903 (27) 1904 (26) 1905 (56) 1906 (32) 1907 (23) 1908 (29) 1909 (32) 1910 (3) 1911 (30) 1912 (30) 1913 (2) 1914 (8) 1915 (7) 1916 (19) 1917 (7) 1918 (6) 1919 (18) 1920 (3) 1923 (85) 1924 (17) 1925 (2) 1926 (7) 1927 (9) 1928 (3) 1929 (3) 1930 (5) 1931 (3) 1932 (147) 1933 (24) 1934 (7) 1935 (11) 1936 (2) 1939 (1) 1941 (1) 1942 (4) 1943 (15) 1944 (178) 1945 (82) 1946 (59) 1947 (10) 1948 (43) 1949 (15) 1950 (69) 1951 (37) 1952 (19) 1953 (63) 1954 (8) 1955 (74) 1956 (47) 1957 (91) 1958 (25) 1959 (35) 1960 (88) 1961 (6) 1962 (41) 1963 (512) 1964 (72) 1965 (91) 1966 (10) 1967 (29) 1969 (7) 1972 (9) 1973 (36) 1974 (8) 1975 (3) 1978 (2) 1979 (5) 1980 (32) 1981 (4) 1984 (36) 1985 (4) 1986 (9) 1987 (18) 1988 (12) 1989 (18) 1990 (2) 1991 (18) 1992 (5) 1993 (2) 1994 (7) 1995 (12) 1997 (6) 1998 (21) Introduction 23 Ces statistiques ont t obtenues partir de ce corpus de presse spcialise trs complet, mais non exhaustif. Par consquent, ce graphique doit tre lu en tenant compte des spcificits de la constitution de ce corps dÕarchives que nous avons prcises et ses donnes doivent ncessairement tre compares. Les chiffres, tels quÕils apparaissent dans le graphique, font ressortir trois Òtemps fortsÓ mdiatiques. Deux priodes de basse intensit les sparent. Un segment permet de constater quÕelles sÕtendent sur une dure gale, de trente ans environ, ce qui est apparemment le dlai indispensable avant toute redcouverte de lÕartiste. La courbe situe prcisment la naissance mdiatique de Sorolla en 1895. Ë partir de l, une premire zone de forte activit critique culmine en 1900. Le peintre est trs expos sur le plan mdiatique compter du printemps de cette anne car il remporte alors le prix le plus important de sa carrire. Cette priode est suivie dÕune phase de basse activit qui commence vers 1913 alors que, paradoxalement, non seulement Sorolla tait toujours en vie mais il se trouvait mme en pleine possession de ses moyens artistiques. Or, partir de cette date, il sÕisola en se consacrant pleinement sa commande Visin de Espaa. Dans la priode de basse intensit qui suit, 1923 et 1932 sont les deux seules annes qui se dtachent. Elles correspondent respectivement la mort du peintre et la cration du Muse Sorolla. Sous le franquisme, une nouvelle phase de haute intensit critique commence en 1944, lÕanne de la premire exposition rtrospective. Le nombre dÕarticles se maintient ensuite un niveau lev avec un pic en 1963, qui nÕa jamais t dpass. Le centenaire de la naissance du peintre ft cette anne-l fut jalonn dÕvnements commmoratifs dont le plus importants fut la grande rtrospective organise au Muse du Prado. Cette priode sÕacheva vers la fin des annes soixante. La transition dmocratique ne provoqua pas de regain dÕintrt mdiatique, bien au contraire. Sorolla tait-il, ce moment-l, associ la politique culturelle de la dictature ? Voil une des questions auxquelles cette tude tentera de rpondre. Ensuite, le nombre dÕarticles se maintient un niveau assez bas, avec moins de cinquante articles par an, jusquÕ la fin du XXe sicle. Mais partir des annes 2000, il repart la hausse et atteint une frquence suprieure cent articles par an durant toute la dure de lÕexposition itinrante 1999 (16) 2000 (49) 2001 (87) 2002 (52) 2003 (49) 2004 (63) 2005 (26) 2006 (87) 2007 (135) 2008 (199) 2009 (304). Total : 4.068. Introduction 24 Visiones de Espaa, entre 2007 et 2009. La, ou les cause(s) de cette reprise devront tre prcises. Dans le cadre de cette tude, ce nÕest pas la totalit des 4.068 articles de presse qui sera utilise. Aprs une slection pralable, dont nous allons prciser les critres, 1.452 articles ont t retenus, soit 35,6 % du total. Ë lÕintrieur de ce fond international, nous nÕavons fait valoir aucun critre linguistique ni gographique. La slection runit des textes issus de douze pays trangers : tatsUnis (33), France (26), Angleterre (22), Argentine (22), Allemagne (6), Portugal (5), Italie (5), Chili (3), Cuba (1), Uruguay (1), Hongrie (1) et Chine (1). Nous avons privilgi les articles publis plusieurs fois dans plusieurs priodiques. Par exemple, ÒEl Sorolla, nico museo madrileo de un solo artistaÓ de Juan Cantelly est publi le 16 janvier 1955 dans le journal valencien Espaa30. La mme anne, il est republi pas moins dÕune dizaine de fois, notamment dans des priodiques locaux tels que Arriba Espaa (Pampelune), Clima (Valence), La Voz de Espaa (Saint Sbastien). Il en va de mme pour les articles dont des extraits sont cits entre guillemets et parfois mme comments ou complts dans dÕautres articles. Ensuite, nous avons privilgi les textes signs, car beaucoup dÕentres, en particulier les notes informatives, sont anonymes et leur contenu est superificiel voire sans intrt. Ces entrefilets sont particulirement abondants la veille des expositions dont ils annoncent les lieux, dates, horaires de visite, etc. Enfin, durant la phase de rdaction de cette tude, quelques articles de presse, qui ne faisaient pas partie de la collection du Muse Sorolla, ont t utiliss afin dÕclairer tel ou tel point de lÕanalyse. Les rfrences de ces articles apparaissent sparment dans la bibliographie. Ils proviennent, pour la plupart, des bases dÕarchives consultables en ligne de la Bibliothque Nationale espagnole et du groupe de presse madrilne ABC - Blanco y Negro.31 Le second corpus de sources comprend les soixante-cinq catalogues publis entre 1906 et 2009, priode pendant laquelle la peinture de Sorolla est prsente lors dÕexpositions collectives et dÕexpositions monographiques.32 Ce sont les catalogues de ces dernires que nous avons choisi de consulter en priorit. Tous 30. 31. 32. Juan Cantelly, ÒEl Sorolla, nico museo madrileo de un solo artistaÓ, Espaa, Tanger, 16/01/1955. Consultables partir des url http://www.bne.es/es/Catalogos/HemerotecaDigital/ et http://www.hemeroteca.abc.es/. Voir lÕannexe n¡1. Expositions monographiques. Introduction 25 ces ouvrages sont aujourdÕhui facilement localisables grce au nouveau catalogue unique des bibliothques des muses nationaux espagnols, BIMUS, qui est librement accessible depuis lÕurl http//:bimus.mcu.es. Pour restituer fidlement la rpartition des expositions dans le temps, nous avons accord une place plus grande aux vnements itinrants en comptabilisant le nombre de leurs dplacements. Par exemple, la premire priode comprend les cinq expositions particulires : 1906, Paris. 1907, Berlin - Dsseldorf - Cologne. 1908, Londres. 1909, New York - Buffalo - Boston et 1911, Chicago - Saint Louis. Puisque trois sont itinrantes, au total ce sont dix villes qui ont accueilli une de ces expositions. Graphique n¡2. Rpartition des expositions monographiques.33 Expositions Dplacements LÕaspect de ce graphique rappelle le prcdent car on y retrouve les trois Òtemps fortsÓ. La ÒgrappeÓ des expositions individuelles, laquelle nous venons 33. Annes (expositions ; dplacements): 1906 (1;0) 1907 (1;2) 1908 (1;0) 1909 (1;2) 1911 (1;1) 1935 (0;0) 1942 (1;0) 1944 (1;0) 1948 (1;0) 1952 (1;0) 1953 (1;0) 1958 (1;0) 1963 (3;0) 1965 (2;0) 1967 (1;0) 1968 (1;0) 1971 (1;0) 1972 (1;0) 1973 (1;0) 1974 (1;6) 1979 (1;0) 1982 (1;0) 1983 (1;2) 1985 (2;0) 1986 (2;0) 1989 (2;3) 1991 (1;0) 1992 (3;0) 1993 (1;0) 1994 (2;5) 1995 (3;7) 1996 (2;5) 1997 (5;11) 1998 (4;4) 1999 (0;3) 2000 (1;4) 2001 (0;7) 2002 (0;6) 2003 (1;3) 2004 (1;3) 2005 (0;7) 2006 (3;1) 2007 (3;2) 2008 (1;4) 2009 (1;2). Total : 61 ; 90. Introduction 26 de faire rfrence, se dtache entre 1906 et 1911. Ensuite, un espace vide court jusquÕen 1944, une priode qui comprend, rappelons-le, la guerre civile et les annes noires durant lesquelles le pays tait accabl par les difficults conomiques. Leur frquence se maintient ensuite un niveau bas, cÕest--dire zro ou une exposition par an, jusque dans les annes soixante. Une reprise ponctuelle dmarre la fin du franquisme et sÕachve avant la transition dmocratique. Aprs la rforme du Muse Sorolla de 1993, leur nombre augmente significativement, notamment grce au principe de lÕexposition itinrante et il se maintient presque invariablement un niveau trs lev, entre cinq et dix vnements annuels. En 2009, les manifestations lies au peintre valencien occupent une telle place dans lÕactualit du pays que le magazine de mode Vogue nÕhsite pas parler de ÒSorollamanaÓ !34 Les sources comprennent enfin les cinquante-sept essais monographiques consacrs lÕÏuvre de Sorolla. De toute vidence, toutes ces publications nÕont pas tous la mme valeur. Les quatre ouvrages de rfrence restent ce jour les tudes de Rafael Domnech (1910), Aureliano de Beruete (1921), Bernardino de Pantorba (1953 et 1970) et Blanca Pons-Sorolla (2001).35 Le catalogue raisonn du mme auteur, paratre prochainement, deviendra sans doute lÕouvrage de rfrence dans les annes venir. Ce corpus nÕinclut pas les supplments de presse, ni les textes parus dans une publication priodique, ni ceux figurant dans un catalogue dÕexposition, puisque les uns et les autres ont dj t pris en compte. Les textes publis et vendus sparment sont tous compris entre 1910 et 2009 et rpartis ainsi quÕil apparat dans le graphique suivant : 34. 35. M. C., ÒSorollamanaÓ, http://www.vogue.es/, Madrid, 06/2009. Rafael Domnech, Sorolla. Su vida y su arte, Madrid, Leoncio Miguel, 1910 et Sorolla, sa vie et son Ïuvre, Madrid, Vilanova y Geltr-Oliva, 1910. Aureliano de Beruete, Joaqun Sorolla, Madrid, Biblioteca Estrella, 1921. Bernardino de Pantorba, La vida y la obra de Joaqun Sorolla. Estudio biogrfico y crtico, Madrid, Mayfe, 1953 et La vida y la obra de Joaquin Sorolla. Estudio biogrfico y crtico, Madrid, Grficas Monteverde, 1970. Blanca Pons-Sorolla, Joaqun Sorolla. Vida y obra, Madrid, Fahah, 2001. Introduction 27 Graphique n¡3. Rpartition des essais monographiques.36 Essai monographique Rdition et/ou traduction De toute vidence, il serait hasardeux dÕanalyser dans le dtail la rpartition de si peu dÕentres distribues sur une priode aussi longue. Nanmoins, trois observations peuvent tre formules. Tout dÕabord, la publication dÕun essai monographique accompagne gnralement une exposition temporaire, comme le montrent les principaux pics, 1909-1910, 1932, 1944, 1967, 1973-1974 et 1979-1980. Ensuite, le nombre de ces publications augmente progressivement partir du cycle des expositions itinrantes qui dbute en 1994. Enfin, pour rpondre la demande du public, pas moins de huit essais monographiques ont t dits ou rdits lÕoccasion de lÕexposition Visiones de Espaa, entre 2007 et 2009. En rsum, les graphiques n¡1 n¡3 mettent en vidence trois phases de haute intensit critique, bien spares les unes des autres : 36. 1909 (1) 1910 (2 dont 1 traduction en franais) 1913 (1) 1921 (1) 1924 (1) 1927 (1) 1932 (3) 1933 (1) 1944 (2) 1948 (1) 1950 (1) 1953 (1) 1957 (1) 1958 (1) 1963 (1) 1964 (1) 1965 (1) 1967 (2) 1970 (1) 1973 (2 dont 1 rdition) 1974 (2) 1975 (1) 1979 (2) 1980 (2 dont 1 rdition) 1981 (1) 1983 (1) 1989 (1) 1992 (1 rdition.) 1993 (1) 1994 (1) 1995 (1) 1996 (2) 1998 (1) 2000 (2) 2001 (1) 2002 (1) 2004 (1) 2005 (2 dont une traduction en anglais) 2006 (3) 2008 (1 rdition) 2009 (4 dont 1 rdition). Total : 57. Introduction 28 1901 Temps I. 1963 Temps II. JJuan Jua n Carlos I Franquisme II Rpublique et Guerre Civile Alphonse XIII Rgence Graphique n¡4. Synthse. 2009 Temps III. Le Temps I. 1895-1912, est cheval sur la fin de la Rgence et les premires annes du rgne personnel dÕAlphonse XIII. Il correspond lÕapoge de la carrire internationale du peintre. Le second, 1944-1963, se situe au milieu de lÕre franquiste et sÕaccompagne dÕun nouvel essor de lÕhistoriographie sorolliste alors que, on lÕa vu, Carmen Gracia et Toms Llorens intgrent cette priode dans ce quÕils qualifient de Òpriode dÕoubliÓ. La transition dmocratique marque un temps dÕarrt durant lequel Sorolla disparat nouveau des colonnes de la presse jusquÕau Temps III. 1993-2009. Il sÕagit de lÕpoque rcente, des mandats de Felipe Gonzlez (1942) ceux de Jos Luis Rodrguez Zapatero (1960). Dans un mouvement de basculement qui dbuta dans les annes quatrevingt-dix, lÕÏuvre de Sorolla opra un retour progressif dans les salles dÕexposition temporaire des muses espagnols puis trangers. Le cycle des grandes expositions rtrospectives commena au milieu des annes quatre-vingt dix avec la rforme du statut juridique du Muse Sorolla et connut son apoge avec la grande exposition itinrante Visiones de Espaa organise du 7 novembre 2007 au 6 septembre 2009. Les pics vertigineux des graphiques n¡1 et n¡2 prouvent, sÕil le fallait, que les modes sont phmres. Par consquent, aprs Introduction 29 cette exposition, Sorolla devra sans doute cder la place quÕil occupe aujourdÕhui dÕautres artistes pour mieux tre redcouvert plus tard. Dans les deux premiers chapitres, on sÕintressera lÕapoge de sa carrire. On reviendra sur les courants dans lesquels il engagea sa peinture. On verra quels furent les tableaux dvoils au cours de ces priodes et quels furent ceux qui ont nourri la ou les interprtations fondatrices. On commentera les premiers jugements critiques lesquels, selon Carmen Gracia, dclenchrent une ÒpolmiqueÓ. Pour faire toute la lumire sur cet aspect, on tentera dÕidentifier la communaut interprtative, ses intrts et les enjeux qui lÕont anime. Dans les deux chapitres suivants, on verra que la mort du matre fut suivie dÕune priode de basse intensit critique seulement ponctue dÕvnements commmoratifs plus ou moins remarqus. La fin du franquisme semble avoir t le moment dÕun nouvel engouement critique si lÕon tient compte des graphiques n¡1. et n¡2., alors que des chercheurs lÕont intgre dans une longue priode dÕoubli ! Cette contradiction mritera un clairage. Enfin, dans le dernier chapitre, on tentera de comprendre comment et pourquoi lÕÏuvre de Sorolla revint la mode dans les annes 1990 et occupe dsormais une place si importante sur la scne culturelle espagnole, comme vient de le dmontrer lÕexposition Visiones de Espaa. Une deuxime partie complte cette tude dans lequel figure une bibliographie aussi exhaustive que possible. Par ailleurs, une slection de vingtcinq documents iconographiques est reproduite et commente. Elle contient principalement des photographies et des dessins tirs des archives de presse du Muse Sorolla. Ë lÕexception dÕune bauche dÕaffiche ralise pour le journal rpublicain El Pueblo en 1899, on ne fera pas apparatre les nombreuses peintures du Valencien cites dans le corps de texte, prfrant renvoyer le lecteur au catalogue numrique du Muse Sorolla librement accessible en ligne lÕadresse suivante : http://ceres.mcu.es/.37 Un seul tableau fait partie des figures, Sorolla como pretexto du duo dÕartistes pop Equipo Crnica. De mme, nous nÕavons reproduit aucun article ni aucun document dÕarchive afin de ne pas nourrir cette deuxime partie au-del du raisonnable. En revanche, nous avons voulu offrir au lecteur trois outils indits cÕest--dire un tableau aussi complet que possible des 37. CERES est une base de donnes musographique en rseau dveloppe par le Ministre de la Culture pour optimiser la gestion des biens culturels conservs dans les muses nationaux. Introduction 30 expositions monographiques consacres Sorolla, une liste des derniers rsultats de vente de ses tableaux ainsi quÕune table de traduction en franais des Ïuvres cites dans ce travail.38 Les titres traduits varient normment selon les trois sources de rfrences consultes cÕest--dire les catalogues des expositions Georges Petit (1906), Sargent / Sorolla (2006) ainsi que Sorolla, sa vie et son Ïuvre, la version franaise du livre de Rafael Domnech. Le catalogue de lÕexposition Petit, qui nÕest en fait quÕune liste, pose de nombreux problmes de comprhension car il est difficile de savoir prcisment quels tableaux correspondent tels ou tels titres. Ë ce jour, il nÕa pas permis dÕtablir formellement le contenu de lÕchantillon prsent Paris. Sauf indication contraire, les traductions que nous proposons sont de lÕauteur. Enfin, ce travail sÕaccompagne dÕun dvd contenant une copie du tlfilm de Jos Antonio Escriv (1952) Cartas de Sorolla (2006). 38. Annexe n¡3. Table de traduction des Ïuvres cites. I LES SALONS DE PEINTURE : UN PARCOURS DE LA RECONNAISSANCE 1881 - 1901 Joaqun Sorolla nÕa que seize ans lorsque, pour la premire fois, il expose publiquement un tableau. Avec El patio del Instituto, une aquarelle aujourdÕhui perdue, il participe au concours de peinture de lÕExposition Rgionale de Valence en 1879. LÕanne suivante, dans la mme ville, il prsente trois scnes orientalistes lÕExposition de la Socit Rcrative El Iris. Naturellement, les deux apparitions de ce Valencien, jeune et inconnu, sont peine remarques par les journalistes. Ensuite, on ne sait presque rien de ces deux premires participations lÕExposition Nationale, dans les annes 1880. Enfin, jusquÕ la deuxime moiti des annes 1890, il est encore impossible de parler de notorit tant donne la faible couverture mdiatique de chacune de ces apparitions. Les choses changeront en 1895 avec son premier grand succs au Salon franais et lÕentre de son tableau La vuelta de la pesca au Muse du Luxembourg de Paris. Ce sera alors le dbut de ce nous avons choisi dÕappeler le Temps I. 1895-1912, qui correspond lÕapoge de sa carrire de ÒsalonnierÓ et dont le sommet se situe en 1901. En effet, cette anne-l, son dernier envoi lÕExposition Nationale lui permettra de dcrocher la Mdaille dÕHonneur, le point dÕorgue de son parcours acadmique. Ces bornes chronologiques sont comprises lÕintrieur de la Restauration. Le parcours acadmique de Joaqun Sorolla commence vers le milieu du rgne dÕAlphonse XII, qui sÕtend de 1875 1885, et sÕachve la fin de la rgence de Marie-Christine, en 1902. Sous le rgne dÕAlphonse XII, la peinture dÕhistoire vit son dernier ge dÕor. Les chefs dÕÏuvres du genre, Juana la Loca (1877) et la Rendicin de Granada (1882) de Francisco Pradilla (1848-1921), Los amantes de Teruel (1884) dÕAntonio Muoz Degrain (1840-1924), La conversin del Duque de Ganda (1884) de Jos Moreno Carbonero (1860-1942), ou encore I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901 32 Fusilamiento de Torrijos y sus compaeros en las playas de Mlaga (1888) dÕAntonio Gisbert (1834-1902) sont tous compris dans les limites du rgne dÕAlphonse XII.1 Sous la Rgence le genre priclite, mme si la commande dÕtat parvient lui donner un dernier souffle. Il volue en sÕadaptant la politique dÕexaltation et de clbration de la monarchie porte par les dirigeants. Sous lÕimpulsion de commandes publiques, la peinture dÕhistoire devient ÒhistoricocommmorativeÓ. JusquÕ la fin du sicle, elle immortalise des pisodes de la vie politique des premires annes de la Restauration. En 1892, Joaqun Sigenza (1825-1902) reprsente la crmonie dÕinvestiture dÕAlphonse XII comme Grand Matre des ordres militaires de Santiago, Alcntara, Calatrava et Montesa. Joaqun Sorolla avait reu, deux ans plus tt, une commande du Snat, La jura de la Constitucin [de 1876] por la regente Da. Mara Cristina.2 Confie initialement Jos Casado del Alisal (1832-1886), la commande est ensuite transmise Francisco Jover Casanova (1830-1890), mais les deux peintres meurent avant lÕachvement du tableau et Sorolla le termine en 1897. Indniablement, le dclin, puis la disparition dfinitive dÕun genre rig durant presque un demi-sicle au rang dÕexercice suprieur sanctionn par le jury de lÕExposition Nationale, ouvre des perspectives nouvelles la jeune gnration. Parmi elle, quelques peintres parviennent mme introduire au concours national des genres venus de lÕextrieur, en particulier de France. Inversement, cÕest dans ce contexte que Joaqun Sorolla, un jeune peintre ouvert aux influences trangres, va contribuer changer lÕimage de lÕcole espagnole hors des frontires de son pays. On verra, dans ce chapitre, comment cette ambition rejaillit sur la rception de sa peinture et, pour ce faire, on reviendra tout dÕabord sur sa formation, Valence et Rome. On rappellera ensuite quel est son parcours au cÏur des institutions des Beaux-Arts, en Espagne et lÕtranger. On sÕintressera aux courants dans lesquels il engage sa peinture et aux tableaux quÕil prsente durant cette priode. On verra pourquoi le jury de lÕExposition Nationale refusera par deux fois de lui dcerner la Mdaille dÕHonneur, en 1897 et en 1899, et 1. 2. Doa Juana la loca. 300x500, Madrid, Muse National du Prado, 1878. La rendicin de Granada, 300x550, Madrid, Palais du Snat, 1882. Los amantes de Teruel, 330x516, Madrid, Muse National du Prado, 1884. La conversin del Duque de Ganda, 315x500, Madrid, Muse National du Prado, 1884. Fusilamiento de Torrijos y sus compaeros en las playas de Mlaga, 390x600, Madrid, Muse National du Prado, 1888. La jura de la Constitucin por la regente Da. Mara Cristina, 350x550, Madrid, Palais du Snat, 1897. I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901 33 quelles seront les consquences de ce double chec. On tentera de comprendre pourquoi, dans ce contexte, la presse librale et rpublicaine valorisera sa peinture et son parcours. On verra, enfin, quelles lignes dÕinterprtation vont merger dans la presse. I.1. DE LÕEXPOSITION NATIONALE AUX SALONS TRANGERS Fils de Joaqun Sorolla Gascn (1832-1865) et de Mara Concepcin Bastida (1838-1865), un couple de ngociants en tissus, Joaqun Sorolla y Bastida est n Valence le 27 fvrier 1863. La famille possde une petite boutique dont le nom tait ÒSis ditsÓ cÕest--dire ÒSix doigtsÓ, situe dans la rue de las Mantas, ancienne Òcalle NuevaÓ. Elle vit lÕtage dÕun immeuble qui aujourdÕhui nÕexiste plus. Sorolla sÕy rend une seule fois et emporte avec lui un carreau du sol et se plat dire en le montrant : Ç Sobre este ladrillo yo vine al mundo. È3 LÕobjet se trouve aujourdÕhui au Muse Sorolla o il est conserv comme une relique. Le peintre ne garde aucun souvenir de ses parents car, en 1865, lÕpidmie de cholra qui frappe la ville les emporte quelques jours dÕintervalle. Joaqun et sa sÏur Concha sont alors recueillis par un oncle, Jos Piqueres Guilln (1832-1900), modeste forgeron tabli Valence. Comme dÕautres peintres espagnols de son temps, Sorolla est issu du milieu artisan dans lequel on pratiquait le dessin avant de travailler les matires premires. Par exemple, Ignacio Zuloaga est fils dÕun orfvre et le pre des frres Jimnez Aranda est bniste. Le jeune Valencien fait donc ses armes dans lÕatelier familial. Pour cette raison, cÕest cet oncle qui dcle chez son neveu des dispositions pour le dessin et lÕinscrit lÕcole des Artisans de la ville en 1876. Il y reoit les enseignements du sculpteur Cayetano Capuz (inc.-inc.) qui dispense des cours du soir. Deux ans plus tard, le garon entre lÕcole des Beaux-Arts qui dpend de lÕAcadmie Royale de San Carlos de Valence. Il y rencontre Cecilio Pl et Antonio Garca del Castillo, le fils du photographe Antonio Garca y Peris qui possde un atelier au centre ville. Dans sa jeunesse, ce notable de la ville avait 3. Lola Soriano, ÒLa cuna de Sorolla, en el olvidoÓ, http://www.lasprovincias.es/, Valence, 22/10/2009. Ç Sur ce carreau, je suis venu au monde. È I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901 34 tudi la peinture lÕAcadmie de San Carlos aux cts de Bernardo Ferrndiz (1835-1885), Francisco Domingo Marqus (1842-1920) et Antonio Muoz Degrain (1840-1924) avant dÕentreprendre des tudes de chimie et dÕintroduire Valence les techniques photographiques les plus rcentes.4 En 1878, il recherche un jeune peintre assez minutieux pour dcorer et rehausser ses portraits et Sorolla est recommand par ses deux amis. Au contact de la photographie, il dveloppe ses qualits visuelles et son sens de la composition. Les premiers biographes du peintre voqueront cet apprentissage comme une anecdote ; pourtant, il sÕagit certainement dÕune des tapes les plus dcisives de sa formation car lÕinfluence de la photographie sur sa peinture est dÕautant plus prgnante chez un peintre g de quinze ans seulement. En juin 1884, la fin de son cursus, il dcroche vingt-et-un ans un prix assorti dÕune bourse dÕtude. Cette rcompense acadmique lui permet de poursuivre sa formation artistique lÕAcadmie Espagnole de Rome compter de lÕanne suivante et pour trois annes civiles : 1885, 1886 et 1887. LÕAcadmie de San Carlos organise un ÒPrix de RomeÓ local, dont les allocations sont finances par les autorits dpartementales.5 Ce qui existe Valence depuis 1863 dcoule dÕune tradition franaise ne deux sicles plus tt sous Louis XIV, en 1663, et qui essaima dans toute lÕEurope. Le Prix de Rome tait destin offrir aux artistes les plus mritants les moyens dÕapprofondir leur connaissance de lÕart dans la ville ternelle, au contact direct des chefs-dÕÏuvre de lÕAntiquit et de la Renaissance. Les pensions taient finances par le roi de France. Au XVIIIe sicle, le modle fut copi en Espagne sous le rgne de Charles III. En 1746, des Òpensionnaires du roiÓ, forms lÕAcadmie Royale des Beaux-Arts de San Fernando, sjournaient en Italie aux frais de lÕtat. Celui-ci disposera seulement partir de 1873 dÕune cole, lÕAcadmie Espagnole de Rome sur la colline du Janicule, suivant lÕexemple de la Villa Mdicis qui hbergait depuis 1803 lÕAcadmie de France. Mais la fin du XIXe sicle, la capitale italienne ne rpond plus aux aspirations des jeunes artistes car tous les courants artistiques mergent, se dveloppent et se 4. 5. Vicente Vidal Corella, ÒLa casa del fotgrafo Antonio Garca. Donde Sorolla fue retocador de retratosÓ, Las Provincias, Valence, 20/08/1961. Arturo Zabala, ÒJoaqun Sorolla, pensionado en RomaÓ in Un siglo de arte valenciano, exposiciones conmemorativas de las pensiones de Bellas Artes de la Diputacin provincial. IV. Sorolla, Valence, Diputacin Provincial de Valencia, 1965, pages 1-19. I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901 35 diffusent Paris et Vienne, nouvelles capitales artistiques et sjours des peintres. Ë peine est-il arriv Rome que Sorolla se rend dj Paris lÕoccasion dÕun voyage effectu avec un compagnon franco-espagnol rencontr dans la ville ternelle, Pedro Gil Moreno de Mora (1856-1930). Il visite pour la premire fois le ÒSalonÓ ou ÒSalon de la Socit des Artistes FranaisÓ. Sur place, il dcouvre deux matres de la peinture de Òplein airÓ en visitant une exposition posthume consacre lÕÏuvre du Franais Jules Bastien-Lepage (1848-1884) lÕHtel de Chimay, et une exposition de tableaux de lÕAllemand Adolf Menzel (1815-1905) installe aux Tuileries. De sa dcouverte de Paris, Sorolla dira plus tard : Ç All se pintaban cosas vistas. È6, une petite phrase qui fait implicitement allusion la peinture historique enseigne Rome et dans toutes les coles des Beaux-Arts dÕEspagne. Pour le paysagiste et historien de lÕart Aureliano de Beruete, un des premiers biographes du Valencien, Ç [É] abri Sorolla sus ojos por vez primera al movimiento iniciado entonces en la pintura moderna. È7 De lÕcole des Artisans de Valence lÕAcadmie Espagnole de Rome, le garon franchit toutes les tapes dÕune formation acadmique oriente vers lÕExposition Nationale, participant pour la premire fois ce concours en 1881, ainsi quÕon le verra plus avant. Il constitue son premier envoi vers un Salon tranger en 1891, lÕexposition internationale de Berlin et, jusquÕen 1901, il envoie rgulirement ses tableaux vers dÕautres Salons de peinture en Europe. Durant la priode 1881-1901, il prsente au total un peu plus dÕune centaine de tableaux, en Espagne et lÕtranger. En moyenne, cela reprsente peine plus de cinq tableaux par an. Si lÕon ramne ce chiffre aux quatre cent quatre-vingt dix sept tableaux dvoils lÕoccasion de sa premire exposition individuelle, en 1906, il est presque cent fois infrieur ! Pour comprendre cet cart, il faut rappeler que les concours de peinture sont priodiques, gnralement annuels ou biennaux, et que le nombre des toiles admises par envoi est strictement rglement. On saisit alors mieux cette observation de Blanca Pons-Sorolla qui voque, dans une monographie rcente, la lenteur avec laquelle les tableaux de son aeul sont 6. 7. El Duende de la Colegiata (Abelardo Fernndez Arias y Lpez) ÒSorollaÓ, Por Esos Mundos, Madrid, [1913]. Ç L-bas, on peignait des choses vues. È Aureliano de Beruete, ÒJoaqun SorollaÓ, Hispania, Madrid, 15/06/1901. Ç Sorolla posa pour la premire fois ses yeux sur le mouvement enclench alors dans la peinture moderne. È I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901 36 prsents au public durant cette priode : Ç Hasta este momento [1906] nunca se haban visto ms de seis obras juntas en una misma exposicin internacional, y entre las nacionales, slo en la de Madrid de 1901, se haban podido ver reunidas diecisis. È8 Parmi les tableaux prsents avant 1902, tous ne bnficient pas de la mme audience. Alors que certains passent compltement inaperus, dÕautres, lÕinverse, sont distingus par un ou plusieurs prix et deviennent, en quelque sorte, des tableaux clbres. CÕest le cas de onze ralisations : El dos de mayo, 1884. Boulevard de Pars, 1890. Rogaciones en Burgos en el siglo XVI, 1892. ÁOtra Margarita!, 1892. El beso de la reliquia, 1893. La vuelta de la pesca, 1894. ÁAn dicen que el pescado es caro!, 1894. Pescadores valencianos, 1895. La bendicin de la barca, 1895. Cosiendo la vela, 1896 et Triste herencia, 1899.9 Presque tous bnficient, leur poque, dÕun excellent accueil dans les journaux et sont reproduits dans la presse illustre. Dans lÕouvrage de Rafael Domnech, Sorolla. Su vida y su arte (1910), qui est la premire monographie dite et vendue 8. 9. Blanca Pons-Sorolla, Joaqun Sorolla. Vida y obra, Madrid, Fahah, 2001, page 217. Ç Jusque-l [1906], jamais plus de six Ïuvres nÕavaient t runies dans une seule exposition internationale et, parmi les expositions nationales, on avait put en voir seize lors de celle 1901, Madrid. È El dos de mayo, 400x580, 1884, Mdaille de Deuxime Classe, Exposition Nationale des Beaux-Arts (Madrid, 1884). Boulevard de Pars, 80x160, 1890, Mdaille de Deuxime Classe, Exposition Nationale des Beaux-Arts (Madrid, 1890). Rogaciones en Burgos en el siglo XVI, 1892, Mdaille dÕOr de Deuxime Classe, Exposition Internationale (Munich, 1892). ÁOtra Margarita!, 129x198, 1892, Mdaille de Premire Classe, Exposition Nationale des Beaux-Arts (Madrid, 1892) / Premier Prix, Exposition Internationale (Chicago, 1893). El beso de la reliquia, 103x125, 1893, Mdaille de Troisime Classe, Salon de la Socit des Artistes Franais (Paris, 1893) / Mdaille de Deuxime Classe, Exposition Internationale (Vienne, 1894) / Premier Prix, Exposition dÕArt (Bilbao, 1894). Achet par le Muse des Beaux-Arts de Bilbao. La vuelta de la pesca, 265x325, 1894, Premire Mdaille dÕOr de Deuxime Classe, Salon de la Socit des Artistes Franais (Paris, 1895). Achet par lÕtat franais. ÁAn dicen que el pescado es caro!, 151x204, 1894, Mdaille de Premire Classe, Exposition Nationale des Beaux-Arts (Madrid, 1895). Achet par lÕtat espagnol. Pescadores valencianos, 65x87, 1895, Mdaille dÕOr, Exposition Internationale (Berlin, 1896). Achet par la Galerie Nationale de Berlin. La bendicin de la barca, 50x71, 1895, Mdaille dÕOr, Salon de la Socit des Artistes Franais (Paris, 1896) / Prix de Venise, Exposition Biennale Internationale (Venise, 1897). Cosiendo la vela, 220x302, 1896, Mdaille dÕOr, Exposition Internationale (Munich, 1897) / Grande Mdaille de lÕtat Autrichien (Vienne, 1898). Achet par le Muse dÕArt Moderne de Venise. Triste herencia, 210x285, 1899, Grand Prix de Peinture, Exposition Universelle (Paris, 1900) et Mdaille dÕHonneur, Exposition Nationale des Beaux-Arts (Madrid, 1901). I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901 37 sparment, aucun ne manque.10 Ce groupe des onze sert de base aux premires interprtations, tout simplement parce que les observateurs le connaissent trs bien. Il y a dans ce lot une peinture dÕhistoire, un paysage urbain Ò la franaiseÓ, trois peintures sociales, et le reste est compris dans le vaste courant naturaliste hritier de la peinture de Bastien-Lepage, ainsi quÕon le verra par la suite. Si la gamme des genres reprsents est aussi contenue cÕest parce que les critres dÕadmission des Salons officiels sont trs stricts et que, pour le candidat, contrevenir au got du moment revient ruiner toute chance de russir. CÕest donc travers un prisme trs rduit que la personnalit artistique de Sorolla est dissque et prsente au lecteur de la presse, en cette fin de XIXme sicle et au moins jusquÕen 1902. Force est de constater que seuls les initis connaissent aujourdÕhui ces onze tableaux qui se trouvent actuellement tantt remiss, tantt exposs dans les salles les plus confidentielles des muses qui les hbergent car, aujourdÕhui, ils nÕintressent plus. On verra plus loin que, dsormais, le grand public connat ce peintre essentiellement travers son Ïuvre tardive, cÕest--dire au moins postrieure 1901. Pour cette raison, le grand public serait certainement drout devant ces tableaux concours dont la facture obissait aux modes du moment. Cette rgle nÕest pas propre Sorolla mais sÕapplique tous les peintres de cette poque tant lÕvolution des codes picturaux est fulgurante entre 1890 et 1910. Il faut se souvenir, comme un exemple assez parlant, que dans lÕÏuvre de Pablo Ruiz Picasso (1881-1973), une dcennie seulement spare Ciencia y Caridad (1897) et Les demoiselles dÕAvignon (1907) cÕest--dire le ralisme social et le cubisme.11 De 1881 1901, Sorolla participe invariablement chacune des neuf ditions de lÕExposition Nationale espagnole en 1881, 1884, 1887, 1890, 1892, 1895, 1897, 1899 et 1901. CÕest la raison pour laquelle son parcours est trs bien document dans la presse madrilne dans tous les titres phares du moment : La Ilustracin Espaola y Americana (1869), El Imparcial (1867), El Pas (1887), Heraldo de Madrid (1890), Blanco y Negro (1891), etc. La cration du concours gnral des Beaux-Arts, en 1856, a engendr toute une gnration de critiques 10. 11. Rafael Domnech, Sorolla. Su vida y su arte, Madrid, Leoncio Miguel, 1910. Pablo Picasso, Ciencia y Caridad, 197x249Õ5, Barcelone, Muse Picasso, 1897 et Les demoiselles dÕAvignon, 243Õ9x233Õ7, New York, Museum of Modern Art, 1907. I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901 38 dÕart dont on peut citer Isidoro Fernndez Flrez (1840-1902), qui crit sous le pseudonyme ÒFernanflorÓ, Francisco Alcntara (1854-1930) ou encore Mariano de Cava (1855-1920). Tous ont couvert les dbuts du jeune homme venu de Valence. Le garon nÕa pas encore dix-huit ans et ne possde que la seule exprience des expositions rgionales organises Valence quand il se rend pour la premire fois Madrid pour prsenter trois marines, Veleros en el mar, Escena de puerto et Barcos en el puerto con fondo de edificios, qui passent inaperues.12 Lors de lÕdition de 1884, il prsente un grand format historique intitul, comme le chefdÕÏuvre de Goya, El dos de mayo. Defensa del Parque de Artillera de Madrid el da del 2 de mayo de 1808.13 Avec cet envoi, il obtient vingt-et-un ans une brillante et prometteuse Mdaille de Seconde Classe. SÕil nÕy a pas de coupures antrieures 1887 dans la collection de presse du Muse Sorolla, cela ne veut pas dire pour autant que lÕvnement passe inaperu puisque deux revues illustres La Ilustracin Espaola y Americana, Madrid, et La Ilustracin Ibrica, Barcelone, couvrent le succs du jeune homme.14 Trois ans plus tard, il prpare depuis Rome un sujet biblique, El entierro de Cristo. Mais cette toile aux dimensions monumentales ne lui vaut quÕune Mention Honorifique, synonyme dÕchec. Fernanflor en fait une critique acerbe dans laquelle il moque la composition du tableau en considrant que, au lieu de reprsenter lÕenterrement du Christ, le jeune homme a peint lÕheure durant laquelle il avait t enterr : Ç El seor Sorolla, pues, ha hecho lo que muchos otros autores de esta Exposicin; creyendo hacer un cuadro, ha hecho un pas, cosa ms fcil, aunque sea difcil siempre. Ha pintado no el entierro de Cristo, sino la hora que le enterraron. È15 Humili et dcourag, il dtruit son tableau avant de repartir pour lÕItalie. Le 12. 13. 14. 15. Barcos en puerto con fondo de edificios, 25x40, Valence, Museo de Bellas Artes, 1880. Escena de puerto, 45x78, Madrid, MS,1880. Veleros en el mar, non localis. El dos de mayo ou Defensa del Parque de Artillera de Madrid el da del 2 de mayo de 1808, 400x580, Madrid, Museo Nacional del Prado, 1884 et El entierro de Cristo, 430x685, Madrid, fragments conservs au Muse Sorolla, 1887. Fernanflor, ÒExposicin de Bellas Artes. Cuadros histricosÓ, La Ilustracin Espaola y Americana, Madrid, 22/06/1884 et Manuel Pl y Valor, ÒExposicin Nacional de Bellas Artes de 1884Ó, La Ilustracin Ibrica, Barcelone, 5/07/1884. Fernanflor, ÒExposicin Nacional de Bellas ArtesÓ, La Ilustracin Espaola y Americana, Madrid, 8/07/1887. Ç Monsieur Sorolla, disais-je, a commis la mme erreur que beaucoup dÕautres peintres de cette exposition ; en pensant faire un tableau, il a fait un pays, ce qui est plus facile, bien que cela soit toujours difficile. Il nÕa pas peint lÕenterrement du Christ, mais lÕheure durant laquelle on lÕa enterr. È I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901 39 rcent film Cartas de Sorolla reconstitue ce moment marquant de la vie et de la carrire du peintre.16 Il est alors g de vingt-quatre ans. De cette grande toile, quatre fragments sont conservs au Muse Sorolla.17 Une bauche de lÕensemble fait aussi partie de la collection.18 De mme, lÕinstitution madrilne conserve une photographie ancienne du tableau ainsi que des photographies de lÕatelier de Pedro Gil Moreno de Mora, Rome, dans lequel le tableau tait entrepos avant dÕtre envoy en Espagne. LÕtat espagnol, reprsent par ses institutions des Beaux-Arts, rserve ses premiers prix la peinture dÕhistoire, le Ògenre par excellenceÓ.19 Des acadmiciens lus composent le jury du concours depuis sa cration, ainsi que le prvoit lÕarticle III du rglement publi le 13 mai 1854 dans la Gaceta de Madrid.20 La fortune artistique dÕun peintre espagnol tait donc ncessairement lie ce genre, au moins jusque dans les annes 1889-1890. Ë cette poque, les frres Luis (1845-1928) et Jos (1837-1903) Jimnez Aranda importent de France une peinture de la Òdnonciation socialeÓ. Sous des titres sentencieux, elle met en scne des histoires sombres, inspires ou directement tires des faits divers des journaux tels que des meutes, des grves, des scnes de mendicit, etc. En Espagne, ce courant sÕinscrit dans une priode dÕexpansion et dÕorganisation du mouvement ouvrier partir de la fondation de la Fdration Espagnole de lÕAIT en 1870, du Parti Socialiste en 1879 et de lÕUnion Gnrale des Travailleurs en 1888. De mme, la publication, en 1891, de lÕencyclique de Lon XIII Rerum novarum Ð des choses nouvelles Ð engage lÕglise dans une rflexion sociale. En Espagne, le genre pictural donne lieu une mode phmre qui, bien quÕelle prenne fin au tournant du nouveau sicle, opre la transition entre une peinture de sujets historiques et une peinture de Òsujets contemporainsÓ. Aprs son chec de 1887, Sorolla a regagn Rome puis, fuyant une pidmie, il se rfugie Assise, chez le peintre valencien Jos Benlliure (18551937). Il obtient lÕanne suivante la prorogation de sa pension romaine dÕune anne supplmentaire et pouse, au mois de septembre 1888, Clotilde Garca del 16. 17. 18. 19. 20. Cartas de Sorolla, 15:25 18:10. Florencio de Santa-Ana, Catlogo de pintura del Museo Sorolla, Madrid, Ministre de la Culture, 2009, pages 54-55. Estudio para ÒEl entierro de CristoÓ, 63Õ5x100, Madrid, MS, 1886-1887. Jess Gutirrez Burn, Exposiciones Nacionales de Bellas Artes, Madrid, Historia 16, 1992, page 22. Reglamento para la Exposicin Nacional de Bellas Artes, Madrid, Imprenta del Colegio Nacional de Sordomudos y de ciegos, 1860. I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901 40 Castillo, la fille du photographe Antonio Garca y Peris. Cette famille fait partie de la bourgeoisie commerante de la ville. Sorolla, dont les origines sont modestes, connat alors une certaine ascension sociale. Le jeune couple vit quelque temps Assise, avant de regagner dfinitivement lÕEspagne. En quittant lÕItalie, en juin 1889, Sorolla et son pouse prennent le chemin de Paris ce qui permet notre peintre de visiter les pavillons nationaux de lÕExposition Universelle. Il dcouvre sur place les tableaux de ses compatriotes parmi lesquels figure La visita al hospital de Luis Jimnez Aranda.21 Avec cette toile, le peintre svillan, alors quasiment inconnu, remporte le Grand Prix de peinture au nez et la barbe dÕun matre, Francisco Pradilla, qui prsente pourtant La rendicin de Granada.22 Bien que dÕexcellente facture, ce tableau historique appartient un genre dpass en France. Ë Madrid, le signal envoy de Paris a des consquences immdiates sur lÕExposition Nationale de 1890. Jos Jimnez Aranda, le frre du prcdent, dcroche une Premire Mdaille avec Una desgracia, un tableau qui met en scne le sort tragique dÕun maon tomb dÕun chafaudage.23 Aranda choisit un sujet qui fait cho la tradition nationale. En effet, le Muse du Prado expose dans ses salles El albail herido, un carton de Goya qui pourrait tre la premire Ïuvre espagnole du genre.24 Sorolla, quant lui, obtient une Mdaille de Seconde Classe avec Boulevard de Pars, une scne de vie quotidienne dans la veine du paysage urbain cultiv par les Impressionnistes franais, notamment Gustave Caillebotte (1848-1894) et Edgard Degas (1834-1917). Le concours madrilne nÕest pas coutumier de ce genre de sujet qui doit apparatre, aux yeux du jury, comme un tmoignage de son admiration pour le voisin franais. Sorolla justifiera plus tard ce choix en expliquant que lÕeffervescence dÕun boulevard parisien constituait, selon lui, un sujet rsolument naturaliste : Ç Estudi en Pars; y aquel tono abigarrado logrado con la policroma del boulevard me hizo concebir tal cuadro, ya francamente naturalista y al cual procur llevar la vida que vea. È25 21. 22. 23. 24. 25. La visita al hospital, 291x441, Madrid, Muse National du Prado, 1889. Francisco Pradilla, La rendicin de Granada, 300x550, Madrid, Palais du Snat, 1882. Una desgracia, 108x156, Cadix, Collection particulire, 1890. Francisco de Goya, El albail herido, 268x110, Madrid, Muse National du Prado, 17861787. Petronio, ÒLos grandes artistas espaoles : Joaqun SorollaÓ, Onuba, Huelva, 30/09/1915. Ç JÕai travaill Paris ; et cette palette chamarre, fruit de la policromie du boulevard, me fit concevoir un tel tableau, dj rsolumment naturaliste et dans lequel jÕessayai de rendre compte de la vie que jÕobservais. È I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901 41 Malheureusement, Boulevard de Pars est aujourdÕhui perdu. Il prouve que le Valencien anticipe alors deux volutions majeures : dÕune part, que les canons tablis allaient changer et, dÕautre part, que le concours national tait sur le point de sÕouvrir lÕinfluence du Salon de la Socit des Artistes Franais. Sorolla entend russir depuis Madrid, et cÕest dans cette ville quÕil vient dÕinstaller sa famille, au dbut de lÕanne. Plus tard, la presse valencienne lui demandera de justifier ce choix et il expliquera que Madrid tait la seule ville partir de laquelle il pouvait prtendre un destin national. Plusieurs raisons ont provoqu la droute dÕEl entierro de Cristo, ainsi quÕon le verra, et lÕune dÕentre elles tenait lÕloignement gographique du pensionnaire de lÕAcadmie Espagnole de Rome. Dans son choix dÕtablir sa famille Madrid, cette mauvaise exprience compte certainement. Le genre social nouvellement introduit connat son apoge lors de lÕdition de 1892 mme si, quatrime centenaire de la Dcouverte de lÕAmrique oblige, Jos Garnelo (1866-1944) obtient une Mdaille de Premire Classe avec Primer homenaje a Coln qui est le tableau le plus remarqu de cette dition26. Le souvenir de la russite dÕAranda a conduit Sorolla adhrer au courant social et il saisit ainsi lÕopportunit de se dtourner dfinitivement des sujets historiques. Il prsente donc son premier tableau thseÓ, ÁOtra Margarita!, lÕimage dÕune mre infanticide conduite sur le lieu de son excution. Avec cette toile ad hoc, il dcroche vingt-neuf ans une Mdaille de Premire Classe quÕil reoit sans effusion de joie comme si lÕchec dÕEl entierro de Cristo tait encore bien prsent dans son esprit. CÕest ce que laisse entendre cette lettre quÕil adresse son pouse le 1er dcembre : Ç Como ya sabrs se ha confirmado en la votacin en pleno la primera medalla a mi cuadro ÒMargaritaÓ, de feliz memoria; es la nica que se aprob por unanimidad; se dan muchos premios, pero eso no vale nada desde el momento que los premios no hacen buenos pintores (sino lo contrario). Yo como ya haba consumido la cantidad de deseo de tenerla, lo he recibido sin impresin. È27 LÕExposition Nationale de 1892 passe la postrit comme 26. 27. Jos Garnelo, Primer homenaje a Coln, 300x600, Madrid, Muse Naval, 1892. Blanca Pons-Sorolla et Vctor Lorente Sorolla, Epistolarios de Joaqun Sorolla, III. Correspondencia con Clotilde Garca del Castillo (1891-1911), Barcelone, Anthropos, 2009, page 54. Ç Comme tu le sais peut-tre dj, la premire mdaille vote en sance plnire en faveur de mon tableau ÒMargaritaÓ, dÕheureuse mmoire, a t confirme, ce fut la seule avoir t decerne lÕunanimit ; beaucoup de prix sont distribus, mais cela ne vaut rien tant donn que les prix ne font pas les bons peintres (bien au contraire). I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901 42 lÕdition sociale par excellence car la mme rcompense revient au peintre madrilne Vicente Cutanda (1850-1925) pour son tableau Una huelga de mineros en Vizcaya et au Valencien Francisco Javier Amrigo (1842-1912) pour El derecho de Asilo.28 LÕtat nÕachte pas ÁOtra Margarita! si bien que le Valencien lÕenvoie lÕExposition Universelle de 1893, qui se tient Chicago, et remporte un Premier Prix.29 Le maire de Saint Louis, Charles Nagel (1849-1940), en fait lÕacquisition, ce qui explique que le tableau soit aujourdÕhui conserv outreAtlantique. En dpit des rcompenses obtenues avec ÁOtra Margarita!, le Valencien demeure, trente ans, peu connu du grand public espagnol et compltement inconnu en Europe car il lui manque un premier succs parisien. Cependant, une coupure de presse de 1894 prouve quÕil est en train de conqurir, dans son pays, un dbut de notorit. En effet, le caricaturiste succs Ramn Cilla (1859-1937) croque ses traits pour le journal Blanco y Negro.30 Une autre caricature est publie le 25 mai 1895 dans le journal satirique Madrid Cmico. Ce comentaire accompagne le dessin : Ç ÀQu mis retratos no salen baratos? ÁEs natural! ÁPues si los ms de ellos valen doble que el original! È31 cÕest--dire Ç Mes portraits ne sont pas abordables ? Cela va de soi ! Puisque la plupart dÕentre eux valent deux fois lÕoriginal ! È Outre lÕallusion peu flatteuse lÕendroit des riches clients du peintre, le propos souligne sa ÒcoteÓ leve sur le march madrilne. Son envoi lÕExposition Nationale comprenait dix portraits de socit, cÕest--dire ceux des peintres Aurelio Portillo (inc.-inc.) et Jos Moreno Carbonero (1858-1942), de lÕarchitecte Flix de la Torre Egua (inc.-inc.), Laura Hernndez (inc.-inc.), Manuel de la Torre (inc.-inc.), Francisco Zablburu (inc.-inc.), Mara del Carmen Zablburu y Mazarredo (inc.-inc.), Mademoiselle Barrios (inc.-inc.), comtesse de Santiago, et sa disciple franaise Nicolle Houcelist (inc.-inc).32 28. 29. 30. 31. 32. Dans mon cas, comme jÕavais consum toute envie de lÕobtenir, je lÕai reu sans aucune impression. È Vicente Cutanda, Una huelga de mineros en Vizcaya, 275x550, Madrid, Ministre du Travail, 1892 et Francisco Javier Amrig, El derecho de Asilo, 340x540, Xrs de la Frontera, Collge Cervantes, 1892. Priscilla E. Muller, ÒSorolla y AmricaÓ in Joaqun Sorolla, Londres, Philip Wilson, 1989, pages 55-73. Ramn Cilla, ÒDoce del CrculoÓ, Blanco y Negro, Madrid, 29/12/1894. Ramn Cilla, ÒInstantneas. Joaqun SorollaÓ, Madrid Cmico, Madrid, 25/05/1895. Figure n¡1. Instantans. Joaqun Sorolla (1895). Blanca Pons-Sorolla, Joaqun Sorolla. Vida y obra, Madrid, Fahah, 2001, page 139. I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901 43 Sr de lÕengouement pour le genre social, Sorolla prsente au concours ÁY an dicen que el pescado es caro!, une toile reprsentant un jeune garon bless la poitrine, agonisant dans la cale dÕun bateau de pche.33 Alors que les portraits sont froidement accueillis, il russit nanmoins sÕimposer avec ÁY an dicen que el pescado es caro!34 LÕtat espagnol en fait, cette fois, lÕacquisition pour la collection du Muse dÕArt Moderne de Madrid. CÕest le premier et le seul de ses tableaux rejoindre les collections nationales par une acquisition dÕtat. Pour lÕoccasion, La Ilustracin Espaola en publie une photogravure en grand format.35 ÁY an dicen que el pescado es caro! intgre des lments du naturalisme du Lorrain Jules Bastien-Lepage (1848-1884), un peintre que Sorolla avait dcouvert en France lors de son premier voyage. Le Franais avait russi concilier la tradition, quÕil avait apprise dans lÕatelier dÕAlexandre Cabanel (18231889), avec lÕapport des peintres de Òplein airÓ, de lÕcole de Barbizon aux Impressionnistes. Pour cette raison, le critique espagnol Bernardino de Pantorba lui donne ce surnom pompeux : Òel armonizadorÓ.36 Dans ses tableaux, les figures rigoureusement dessine se dcoupent sur un fond de nature champtre cisel de petites touches de couleurs. Ce compromis entre lÕacadmisme et le naturalisme ouvre une sorte de Òtroisime voieÓ qui, au cours de la dernire dcennie du sicle, connat un engouement extraordinaire chez les peintres franais car elle leur offre la possibilit de sÕaffranchir de la tradition sans toutefois rompre avec elle. Ils prservent ainsi leurs chances de russir au Salon. Parmi ces peintres, on peut citer Lon Lhermitte (1844-1925), Alfred-Philippe Roll (1846-1919) Pascal Adolphe Jean Dagnan-Bouveret (1852-1929), mile Friant (1863-1932), etc., auxquels il faut ajouter de trs nombreux peintres trangers comme le Sudois Hugo Salmson (1843-1894), le Tchque Vclav Bro!k (1851-1901), le Britannique George Clausen (1852-1944), ou encore le Hongrois Istvn Csk (1865-1961) et beaucoup dÕautres.37 Cette peinture champtre, qui retient sur la toile une France en train de disparatre, puise ses sujets dans le monde paysan, ses 33. 34. 35. 36. 37. Otra Margarita, 129Õ5x198, Saint Louis (Missouri), Washington Gallery of Art, 1892. ÁAn dicen que el pescado es caro!, 151x204, Madrid, Muse National du Prado, 1894, S. C., ÒSorolla y sus retratosÓ, Nuevo Mundo, Madrid, 6/06/1895. Anonyme, ÒÁAn dicen que el pescado es caro!Ó, La Ilustracin Espaola, Madrid, 22/09/1895. Bernardino de Pantorba, Joaqun Sorolla, Madrid, Figuras de la Raza n¡20, 1927, page 32. Emmanuelle Amiot-Saulnier, ÒLÕinfluence de Jules Bastien-Lepage : Un passage vers la modernitÓ in Jules Bastien-Lepage, Paris, Muse dÕOrsay, 2007, pages 60-69. I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901 44 traditions, son mode de vie, ses pratiques religieuses, etc. CÕest sur cette voie que Sorolla engage sa peinture, de La vuelta de la pesca, en 1894, Sol de la tarde, en 1903.38 Il adapte le courant venu de la terre aux spcificits de la mer en mettant en scne la vie des pcheurs de Valence. La vuelta de la pesca reprsente le halage dÕun bateau de pche sur la plage par deux puissants bovins. Pour ce tableau, le peintre ralise de nombreuses tudes peintes, dont deux de lÕensemble. Il sÕattache particulirement rendre les lumires naturelles sur la surface de lÕeau et sur la voile gonfle par le vent. Ce tableau longuement mri est dvoil Paris au Salon de 1895 dont il est une des Ïuvres majeures. La critique franaise remarque cet envoi parmi dix-neuf mille cent soixante toiles accroches au Palais de lÕIndustrie ! Ce chiffre peine croyable donne lui seul une ide de lÕexploit accompli par lÕEspagnol. Dans Le Figaro, le journaliste Charles Yriarte (18321898) tient le tableau pour le meilleur de lÕexposition. Une partie de son article est traduite et parat le deux mai dans le journal La Iberia.39 La bonne rception de La vuelta de la pesca est confirme par la sanction du jury qui lui dcerne une Mdaille de Seconde Classe aprs lÕavoir pressenti pour une Mdaille de Premire Classe laquelle il ne peut pas prtendre en tant quÕenvoi non franais. LÕEspagnol vient dÕobtenir son premier grand succs lÕtranger car le Salon de la Socit des Artistes Franais est, cette poque, le concours de rfrence. Par ailleurs, aucun peintre espagnol nÕy a atteint un tel niveau depuis Federico de Madrazo y Kuntz (1815-1894), qui avait obtenu la mme rcompense en 1838 avec une peinture dÕhistoire. Luis Bonafoux ne se trompe donc pas en affirmant : Ç [É] la gran ciudad habla actualmente de Espaa por lo que dej de hablar en medio siglo. È40 Le journaliste, critique littraire et crivain n en France, a fond deux journaux Madrid, El Espaol (1882) et El Intransigente (1892). Il sera correspondant Paris du journal Heraldo de Madrid de 1902 1906. Dans son article, il associe Sorolla lÕcrivain Jos Mara de Heredia (1842-1905) qui est probablement, cette poque, lÕEspagnol le plus connu dans la capitale franaise. Comment ne pas mentionner, aussi, le nom de Mariano 38. 39. 40. Sol de la tarde, 294x435, New York, HSA, 1903. La vuelta de la pesca, 265x325, Paris, Muse dÕOrsay, 1894. Charles Yriarte, Le Figaro et ÒUn cuadro de SorollaÓ, La Iberia, Madrid, 2/05/1895. Luis Bonafoux, ÒSorolla-HerediaÓ, Heraldo de Madrid, Madrid, 2/06/1895. Ç La grande ville parle actuellement de lÕEspagne pour tout ce quÕelle nÕen a rien dit depuis un demi sicle. È I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901 45 Fortuny y Marsal (1838-1874) qui, sans jamais participer au Salon, avait t le dernier peintre espagnol avoir ÒconquisÓ le march parisien, dans la France du Second Empire. Artiste virtuose, Fortuny y vend quantit de toiles. Il faut ajouter, avant de poursuivre que, non seulement lÕtat franais fait lÕacquisition du tableau rcompens, mais quÕil sÕagit, de surcrot, de la premire Ïuvre espagnole entrer ainsi dans les collections du Muse du Luxembourg, le premier muse des artistes vivants.41 Il a rejoint depuis les salles du Muse dÕOrsay o il est un des rares tableaux espagnols accrochs parmi lÕexposition permanente. LÕactuel catalogue des peintures espagnoles de ce muse compte trente-neuf tableaux de vingt-et-un peintres : Hermen Anglada-Camarasa (1871-1959), Federico Beltrn (1885-1949), Jos Benlliure Ortiz (1884-1916), Aureliano de Beruete (1845-1912), Juan Cardona (1877-1957), Mariano Fortuny y Madrazo (1871-1949), Leandro Ramn Garrido (1868-1909), Sebastin Gessa y Arias (1840-1915), Manuel Gonzlez Mndez (1843-1909), Francisco Iturrino (1864-1924), Antonio de La Gandara (1861-1917), Eugenio Lucas y Villamil (1841-1920), Enrique Mlida y Alinari (1834-1892), Francisco Oller y Cestero (1833-1917), Andrs Parlad y Heredia (1859-1933), Pablo Picasso (1881-1973), Santiago Rusiol (1861-1931), Joaqun Sorolla, Pablo de Uranga (1861-1934), Daniel Vierge (1851-1904) et Ignacio Zuloaga (1870-1945).42 Comme une consquence logique de sa russite parisienne, la collection de presse du Muse Sorolla rend compte de la perce du Valencien dans lÕespace mdiatique puisque lÕanne 1895 est le point de dpart de la premire phase de haute intensit critique. Dans ce quÕil convient dÕappeler sa Òpeinture concoursÓ, La vuelta de la pesca marque un changement de cap par rapport la priode coule. Si, jusquel, celle-ci sÕest prudemment ajuste aux critres du jury de lÕExposition Nationale, ce nÕest plus le cas de cette scne de mer baigne de lumire. En revanche, elle peut lui ouvrir les portes dÕun concours moins conservateur comme lÕest le Salon parisien qui tait organis depuis 1881 par la Socit des Artistes Franais. LÕassociation avait t fonde par le rpublicain Jules Ferry (1832-1893) 41. 42. Archives Nationales F21/4341. La base Arcade retrace la gense et l'histoire des Ïuvres d'art, acquises, commandes ou gres par l'tat franais et les collectivits territoriales entre 1800 et 1969. Elle est librement accessible lÕadresse suivante : http://www.culture.gouv.fr/documentation/arcade/pres.htm. Annabelle Mathias, ÒCatalogue des peintures espagnoles du Muse dÕOrsayÓ in LÕEspagne entre deux sicles de Zuloaga Picasso de Zuloaga Picasso, Paris, Fundacin Mapfre & Muse de lÕOrangerie, 2011, pages 135-149. I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901 46 pour perptuer, sur un principe dÕouverture, lÕancien Salon de lÕAcadmie des Beaux-Arts. Elle tait compose dÕartistes admis au moins une fois au concours et, depuis 1891, son prsident est Lon Bonnat (1833-1922). En prenant le chemin de lÕEurope, Sorolla affiche une ambition nouvelle, mais il risque en mme temps de perdre pied en Espagne. Et cÕest ce qui advient puisque, sÕil sÕimpose comme un matre incontournable dans les Salons europens, il renoue avec lÕchec dans son pays en 1897 et en 1899. La vuelta de la pesca est suivie dÕune srie marine dont tous les sujets sont puiss dans le monde de la pche. Pescadores valencianos (1895), La bendicin de la barca (1895) et Cosiendo la vela (1896) lui offrent cinq mdailles Paris, Berlin, Venise, Munich et Vienne. Avec ces trois tableaux, Sorolla conquiert une stature europenne. Avec le dernier, Cosiendo la vela, il russit Berlin, en 1897 puis Vienne, en 1898, aprs quoi un muse de Venise en fait lÕacquisition.43 Les reflets de la lumire solaire sur une voile ravaude par un groupe de pcheurs constitue le sujet principal de ce tableau minemment technique qui puise aux sources de lÕImpressionnisme franais et des Macchiaolis italiens. Mais le tableau ne plat pas en Espagne et est mme froidement accueilli, comme on le verra par la suite. Ë Paris, Sorolla se fait connatre comme un peintre de la plage et il y est plus prcisment associ une scne de halage dÕun bateau de pche quÕil dcline dans plusieurs versions. LÕcrivain Po Baroja rapporte dans ses mmoires quÕun peintre basque tabli Paris lui avait demand un jour le nom de ce peintre qui ne peignait, disait-il, que des bÏufs.44 Pour briller nouveau Madrid, Sorolla renoue une dernire fois avec une peinture du tragique, dÕinspiration littraire, dans un tableau intitul Triste herencia. LÕExposition Nationale de 1899 est imprgne par le profond sentiment dÕabattement qui suit la fin de la Guerre de Cuba de laquelle lÕEspagne sort perdante et humillie. Le peintre se conforme contrecÏur la noirceur de cette poque, ainsi quÕil le reconnatra plus tard : Hemos tenido en la pintura una poca que pudiramos designar con el nombre de pica, en la que todos nos dedicbamos casi exclusivamente a enterrar Reyes. Vino despus una sana corriente de naturalismo: el placer de vivirÉ Pero vino amargada 43. 44. Cosiendo la vela, 220x302, Venise, Muse dÕArt Moderne CaÕPesaro, 1896. Po Baroja, Desde la ltima vuelta del camino: memorias. IV. Galera de tipos de la poca, Madrid, Biblioteca Nueva, 1982, pages 253-258. I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901 47 por una oleada literaria negra [É] Esa manera pesimista de la literatura invadi tambin el campo de mi arte.45 Sur la plage de Valence, il a observ les jeunes pensionnaires de lÕHpital San Juan de Dios. Ces enfants infirmes, aveugles ou boiteux, sortent le soir lÕheure de leur bain de mer quotidien. Aprs avoir excut quelques pochades du groupe, il tente dÕexploiter cette scne poignante en lui ajoutant une dimension dramatique. La composition reoit dÕabord un titre difiant, Los hijos del placer, qui devient par la suite Triste herencia. Sur la toile, les corps blancs et chtifs se dtachent lugubrement sur un fond de mer sombre et menaant. Avec ce tableau, qui fait la synthse entre les deux genres avec lesquels il avait triomph en Espagne et lÕtranger, il obtient conscutivement les deux principales rcompenses de sa carrire, cÕest--dire le Grand Prix de lÕExposition Universelle, en 1900, puis la Mdaille dÕHonneur dcerne par le jury de lÕExposition Nationale espagnole, en 1901. Cette dernire rcompense marque la fin de son parcours acadmique mme si, aprs cette date, quelques-uns de ses tableaux continuent figurer, titre honorifique, dans de prestigieuses expositions internationales comme le Salon franais, jusquÕen 1909. Au cours de la priode que lÕon vient de parcourir, la peinture de Sorolla pouse les contours de ces ÒtendancesÓ en vogue dans les concours des BeauxArts organiss Madrid, Paris, Vienne, Berlin, Venise, etc. LÕEspagnol triomphe dÕabord avec la peinture thse, dont il comprend temps lÕintrt quÕelle va veiller dans son pays ; mais il parvient ensuite se fondre dans un courant naturaliste plus en accord avec ses qualits de coloriste, qui lui permet de russir lÕtranger. Cependant, cette peinture lumineuse et dynamique quÕil labore partir de La vuelta de la pesca ne lui offre pas le moindre prix en Espagne ! Ironie du sort, les observateurs franais reconnaissent dans ses tableaux lÕatmosphre chaude et envotante de sa terre natale que lui saurait exalter mieux que personne. Mais en Espagne, aux Expositions Nationales de 1897 et de 1899, cette peinture 45. Francisco Martn Caballero, ÒHablando con D. Joaqun Sorolla en su estudioÓ, La Correspondencia de Valencia, Valence, 11/09/1913. Ç Nous avons eu, en peinture, une poque que nous pourrions qualifier dÕpique, durant laquelle nous nous consacrions tous presque exclusivement enterrer des rois. Puis vint ensuite un sain courant de naturalisme : le plaisir de vivreÉ bientt altr par une vague littraire noire [É] Ce courant pessimiste de la littrature gagna aussi mon domaine artistique. È I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901 48 ne lui permet pas de dcrocher la Mdaille dÕHonneur, le seul prix qui lui manque alors. I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901 49 I.2. LÕAFFAIRE DE LA MDAILLE DÕHONNEUR La fortune artistique de Sorolla varie dÕune aire gographique lÕautre dans la mesure o il russit en Espagne et lÕtranger avec deux genres diffrents. On vient de voir que, sÕil triomphe dans son pays avec une peinture dÕatelier encore trs acadmique, il conquiert des prix hors de ses frontires avec une peinture de Òplein airÓ qui sÕinspire dÕun modle forg par Jules Bastien-Lepage et repris par des peintres de toute lÕEurope. On cherchera ici comprendre cette diffrence et expliquer pourquoi, Madrid, le jury de lÕExposition Nationale refuse de lui dcerner la Mdaille dÕHonneur aux ditions de 1897 et de 1899. Dans un discours rdig vers la fin de sa vie, Sorolla fait tat des querelles esthtiques qui divisaient lÕpoque les professeurs de lÕcole des Beaux-Arts de San Carlos o il tait lui-mme lve, cÕest--dire de 1878 1884. Il cite dans ce texte deux peintres valenciens adeptes du pleinairisme franais, Antonio Muoz Degrain et Francisco Domingo Marqus (1842-1920), ainsi que trois professeurs de lÕcole, le peintre Gonzalo Salv Simbor (1845-1923), quÕil oppose deux dfenseurs du Classicisme, le graveur Ricardo Franch y Mira (1839-1897) et le sculpteur Felipe Farins y Tortosa (1826-1888) : D. Ricardo Franch y D. Felipe Farins eran almas ponderadas que encarecan la importancia del dibujo; pero D. Gonzalo Salv, conocedor del momento artstico, lleno de anhelos luminosos, nos dejaba libres, animndonos siempre a copiar la naturaleza con visin realista. [É] Sabamos que Salv era amigo de Muoz Degrain y de Domingo, y, debido al trato frecuente de estos artistas, daba primaca a la expansin colorista de los discpulos de aquella escuela, en la que, en lucha interior, venci el color al dibujo, a pesar de los esfuerzos hechos por Franch y Farins en contra de esta tendencia.46 46. Homenaje a la Gloriosa Memoria del Excm. Don Joaqun Sorolla, Acadmico electo. Discursos ledos en la Sesin Pblica el da 2 de febrero de 1924 Ð Real Academia de San Fernando Ð Madrid, Mateu Artes Grficas, 1924, page 11. Ç Ricardo Franch et Felipe Farins taient deux mes pondres qui accordaient une importance suprieure au dessin ; mais Gonzalo Salv, au fait du moment artistique, pris de lumire, nous laissait libres et nous encourageait toujours copier la nature depuis un point de vue raliste. [É] Nous savions que Salv tait un ami de Muoz Degrain et de Domingo, et, en raison de ses contacts frquents avec ces artistes, il laissait libre cours aux panchements coloristes des disciples de cette cole, au sein de laquelle, dans une lutte intrieure, la couleur terrassa le dessin, en dpit des efforts dploys par Franch et Farins contre cette tendance. È I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901 50 Sorolla affirme son penchant pour la couleur ds ses jeunes annes, au risque de contrevenir aux canons tablis. En 1886, la majeure partie des travaux quÕil fait parvenir Valence en change de sa pension romaine est rejete par lÕAcadmie de San Carlos. Seuls deux des six dessins compris dans son envoi sont jugs recevables et le reste est qualifi de Ç [É] graciosos apuntes muy propios para la cartera de un artista pero en manera alguna bastante serios cuando se los considera como envo de un pensionado. È47 La seule peinture comprise dans son envoi, Una mujer desnuda, est un nu de facture trs libre et, surtout, non idalis. Ce tableau rappelle le naturalisme de deux peintres franais, le Franccomtois Gustave Courbet (1819-1877) et le Parisien douard Manet (1832-1883), dont Sorolla a peut-tre dcouvert quelques tableaux Paris lÕanne prcdente.48 La touche, courte et nerveuse, gomme efficacement les lignes du dessin prparatoire. Le volume du corps est model dans des nuances de gris, de bleus et de verts ples. Le triomphe de la couleur sur le dessin est signifi allgoriquement par la palette dpose au pied du modle, qui occupe tout le tiers droit de la composition. Il sÕagit, en Espagne, dÕun dbat ancien puisque Francisco Pacheco (1564-1644) en fait tat dans son Trait de la peinture lorsquÕil relate sa rencontre avec Le Greco en 1611 Tolde.49 De ce nu, le rapport acadmique conserv aux archives du Conseil Gnral de la province de Valence prcise : No puede aprobarlo la Academia porque no se revelan en esta obra las dotes que ha tenido la satisfaccin de alabar en las dems [É] y porque se nota en l bien patente la tendencia a un grosero realismo que aumenta los reparos opuestos por la decencia a la completa desnudez de la figura humana, sobre todo en el sexo en que son ms 50 imperiosos el recato y el pudor. 47. 48. 49. 50. Document dat du 18/04/1886, in Joaqun Sorolla. Exposiciones conmemorativas de las pensiones de Bellas Artes de la Diputacin Provincial, Valence, Diputacin Provincial de Valencia, 1965, page 13. Una mujer desnuda, 88x168, Valence, Conseil Gnral de Valence, 1885. Francisco Pacheco, Arte de la Pintura. Su antigedad y su grandeza, Sville, Simn Fajardo, 1649. Joaqun Sorolla. Exposiciones conmemorativasÉ page 14. Ç LÕAcadmie ne peut pas le valider car les qualits quÕelle a eu la satisfaction de louer dans dÕautres Ïuvres ne se rvlent pas ici [É] et parce quÕon y observe trs clairement un flchissement vers un grossier ralisme qui augmente nos objections au nom de la dcence de la nudit complte du corps humain, surtout lÕendroit du sexe, o la rserve et la pudeur sont indispensables. È I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901 51 LÕaversion de ces professeurs pour le ÒralismeÓ de la reprsentation rend compte des barrires morales qui ont cours dans la socit de la Restauration. En effet, lÕimplantation dÕun rgime conservateur a renforc la prdominance de lÕEglise, notamment en matire dÕducation. LÕanne suivante, le jeune homme choue lÕExposition Nationale de 1887 avec El entierro de Cristo, un grand format peint Rome. Il confiera plus tard, avec une pointe dÕironie amre, que son tableau ne plut personne sauf au chef du parti conservateur, Antonio Cnovas del Castillo (1828-1897), un admirateur de ce classicisme qui fut prcisment pour lui un carcan insupportable : Ç Mi pobre Entierro de Cristo fue un fracaso, a nadie gust, a nadieÉ menos a Cnovas, que tuvo para mi cuadro una frase suyaÉ È51 Selon le quotidien rpublicain El Pas, ce revers met davantage en vidence son manque dÕappui au sein du jury du concours que la facture du tableau. Selon Lucius, lÕauteur de lÕarticle, le jury est alors majoritairement ÒvilleguisteÓ, cÕest-dire partisan du peintre Jos Villegas Cordero (1844-1921). Ce rival de Francisco Pradilla est alors au sommet de sa renomme. Or, cette poque, Sorolla est pensionnaire de lÕAcadmie Espagnole de Rome dont le directeur est justement, depuis 1881, Francisco Pradilla. Pour Lucius, cÕest la rivalit entre les deux matres qui aurait provoqu lÕchec de Sorolla.52 Amer, Pradilla adresse une lettre ouverte son disciple, en commenant par ces mots : Hoy me explico por qu se senta V. necesitado de recomendacin!! Lo que no acierto a explicarme an admitiendo grandisimos errores en su ÒCalvarioÓ como se ha atrevido a desconocer sus bellezas y sus promesas un jurado que ha coronado las mayores aberraciones!!!! 53 Cette lettre date du 12 juin 1887 parat en premire page du journal La Regencia, quelques jours plus tard. Le Valencien est donc confront au moins deux formes de rsistance, dÕune part, au conservatisme dÕune partie de 51. 52. 53. Ceferino Palencia Tubau, ÒJoaqun SorollaÓ, La Tribuna, Madrid, 3/07/1912. Ç Mon pauvre Enterrement du Christ fut un chec et il nÕa plu personneÉ sauf Cnovas, qui a eu pour mon tableau une phrase bien luiÉ È Lucius, ÒNuestros artistas en RomaÓ, El Pas, Madrid, 10/07/1887. Francisco Pradilla, ÒCarta abiertaÓ, La Regencia, Madrid, 27/06/1887. Ç Je mÕexplique aujourdÕhui pourquoi vous pensiez avoir besoin dÕun appui ! Ce que je ne parviens pas mÕexpliquer, mme en reconnaissant de grandes erreurs dans votre ÒCalvaireÓ, cÕest comment un jury qui a rcompens les pires aberrations a os en ignor les beauts et les promesses. È I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901 52 lÕAcadmie de San Carlos et, dÕautre part, aux manÏuvres et aux rapports dÕinfluence propres lÕExposition Nationale. Il faut prciser que le systme politique de la Restauration est lui mme vici par des pratiques clientlistes et antidmocratiques. En 1885, la mort dÕAlphonse XII, les chefs respectifs des partis conservateur et libral, Antonio Cnovas del Castillo (1828-1897) et Prxedes Mateo Sagasta (1825-1903), chafaudent un plan dÕalternance politique rgle, qui repose sur le clientlisme et la fraude lectorale. Cette entente, qui carte du pouvoir les autres forces politiques Ð rpublicains, socialistes et carlistes Ð prvaudra jusquÕen 1923. De mme, au sommet de ce concours dÕtat, lÕlection des membres du jury, lÕadmission des tableaux comme lÕattribution des prix nÕchappent pas aux influences et aux machinations en tout genre. Sur ce dernier point, El Diario de Barcelona affirmait en 1890 : Ç [É] en el ltimo certamen el reparto de premios fue cosa de compadres y comadres, algo parecido a las meriendas de los Carabancheles, y quien ms empujo ms obtuvo. È54 Ë lÕvidence, Sorolla ne peut pas se soustraire compltement ce systme et ces pratiques clientlistes sans risquer dÕanantir son avenir. Mais cette contrainte nÕexplique-t-elle pas, au moins partiellement, quÕil participe si tt des expositions hors des frontires de son pays dÕorigine ? En effet, bien quÕil prsente chaque anne des nouveaux tableaux Madrid, il envoie des ralisations vers des Salons trangers ds 1891. Ë cette poque, il ne possde quasiment aucune rfrence nationale hormis la Seconde Mdaille enleve en 1884 avec El dos de mayo. Toutefois, malgr son manque dÕexprience et de rfrences, il parvient rivaliser avec les meilleurs peintres trangers Paris, Berlin, Munich, Venise, Vienne, etc. o, leur contact, son esthtique se dsolidarise progressivement du canon espagnol. Elle sÕenrichit et, dÕune certaine manire, se modernise en assimilant les techniques et les courants les plus rcents. Sorolla labore une peinture de plein air, lumineuse et dynamique, qui lui offre de nombreux succs lÕextrieur mais quÕil ne parvient pas faire triompher Madrid. Ë ce titre, le sort rserv son tableau Cosiendo la vela, une scne de pcheurs mise en lumire la manire de Renoir, est loquent. Cette peinture 54. Anonyme, Òtitre inconnuÓ, El Diario de Barcelona, Barcelone, 1890. Ç Lors du dernier concours, la distribution des prix fut un jeu de copains et de coquins, une chose semblable aux goters de Carabanchel, car celui qui poussa le plus fort obtint plus que les autres. È I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901 53 conquiert les premiers prix Vienne et Munich, en 1897 et 1898, avant de rejoindre les collections du Muse dÕArt Moderne de la ville de Venise. Mais lÕanne suivante, Madrid, elle ne dcroche pas la rcompense escompte. Dans La Ilustracin Espaola y Americana, la principale revue dÕinformation illustre, lÕhistorien et archologue Jos Ramn Mlida (1856-1933) tente dÕexpliquer ce paradoxe de la faon suivante : Ç En suma es demasiado valiente y demasiado tcnico ese gnero de pintura para la masa comn del pblico espaol. En el Saln de Pars del pasado ao gust mucho, y se comprende, porque cuadros de esta tendencia son all muy corrientes. È55 Un tel jugement tmoigne du dcalage de lÕEspagne sur sa voisine. Alors, si Sorolla porte haut les couleurs de lÕEspagne en dehors de ses frontires entre 1890 et 1900, cÕest au prix dÕune forme de transgression du modle acadmique espagnol. Tandis que sa peinture perce dans les capitales trangres, elle implique Madrid une rupture trop brutale avec la priode coule. Cela explique, au moins en partie, quÕaux Expositions Nationales de 1897 et de 1899, les jurys successifs lui refusent obstinment la Mdaille dÕHonneur. On doit rappeler ici lÕinfluence de la famille Madrazo sur lÕensemble du systme des Beaux-Arts. Les Madrazo sont une dynastie dÕartistes acadmiques dont les membres les plus minents occupent des positions cls tout au long du XIXe sicle. Jos de Madrazo (1781-1859), le patriarche, avait t lÕlve du Franais Jacques Louis David (1748-1825). Il importa le classicisme en Espagne et occupa des charges importantes la cour et dans les principales institutions officielles. Un de ses fils, le peintre Federico de Madrazo y Kuntz (1815-1894), est lÕhomme le plus influent de sa gnration. Il est constamment rlu la tte de lÕAcadmie des Beaux-Arts de San Fernando de 1866 1893, et sige rgulirement au sein du jury de lÕExposition Nationale. Son frre Luis (1825-1897) est galement membre de ce jury en 1881, 1884, 1887 et 1892.56 Enfin il faut prciser, avant de poursuivre, que les deux dernires ditions de lÕExposition Nationale du XIXe sicle sont organises sous les mandats de deux chefs du gouvernement conservateurs, Antonio Cnovas del Castillo, assassin en aot 1897, et Francisco Silvela (1843-1905). On se demandera alors, dans la suite 55. 56. Jos Ramn Mlida, ÒLa Exposicin Nacional de Bellas ArtesÓ, La Illustracin Espaola y Americana, Madrid, 22/05/1899. Ç Au bout du compte, ce genre de peinture est trop audacieuse et technique pour la majeure partie du public espagnol. Au Salon de Paris de lÕanne passe il plut beaucoup, et cela se comprend, car des tableaux de cette tendance y sont trs frquents. È El mundo de los Madrazo, Madrid, Comunidad de Madrid, 2007, pages 332-333. I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901 54 de ce chapitre, si des critres non artistiques et lis au contexte politique, nÕont pas contribu provoquer ce double chec de Sorolla. Ds la premire dition de lÕExposition Nationale, qui remonte 1856, lÕarticle VI du rglement prvoit la possibilit de distinguer une Ïuvre exceptionnelle par une Mdaille dÕHonneur, un prix suprieur tous les autres cÕest--dire aux mdailles de premire, deuxime et troisime classe ainsi quÕaux mentions. En dehors de cette hirarchie de prix, des dcorations civiles peuvent galement tre remises. La Mdaille dÕHonneur serait dcerne par un collge extraordinaire form par les jurys des trois sections runies, cÕest--dire celles de Peinture, Sculpture et Architecture.57 Depuis la cration du concours en 1854, la plus haute distinction espagnole a t remise trois artistes : un peintre, un architecte et un sculpteur. Francisco Pradilla lÕavait obtenue lÕissue de lÕExposition Nationale de 1878, pour son tableau historique Doa Juana la Loca. LÕarchitecte Juan de Madrazo y Kuntz (1829-1880) lÕavait reue titre posthume en 1881 pour lÕensemble de son Ïuvre. Enfin, elle a t attribue au sculpteur Mariano Benlliure (1862-1947) en 1895, pour sa statue de lÕcrivain basque Antonio Trueba (1819-1889) inaugure la mme anne Bilbao. Dans la premire grande tude consacre lÕExposition Nationale espagnole, Bernardino de Pantorba rappelle que lÕattribution dÕune rcompense aussi convoite ne se fit pas toujours sans heurts.58 En 1881, lÕinfluence de Federico de Madrazo, le directeur de lÕAcadmie de San Fernando, changea le sens du scrutin en faveur de son plus jeune frre Juan, qui venait de mourir. LÕchec du peintre Jos Casado del Alisal (1832-1886) souleva une polmique qui eut des rpercussions jusquÕau parlement. Car le dput rpublicain Emilio Castelar (1832-1899) demanda lÕtat dÕacheter La leyenda del rey Monje, le tableau prsent par Casado del Alisal et obtint finalement gain de cause.59 On verra que dans le cas de Sorolla, la conqute de la Mdaille dÕHonneur est la fois lente et complique. Jalonne de rebondissements et de polmiques, elle prendra la tournure dÕune affaire dÕtat et sera mme lÕorigine dÕune importante rforme du concours. 57. 58. 59. Reglamento para las Exposiciones de Bellas Artes, Madrid, Imprenta del Colegio Nacional de Sordomudos y de ciegos, 1897. Bernardino de Pantorba, Historia y crtica de las Exposiciones de Bellas Artes celebradas en Espaa, Madrid, Jess Ramn Garca Rama, 1980, pages 34-35. La leyenda del rey Monje, 356x474, Madrid, Muse National du Prado, 1880. I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901 55 Ë partir de 1897, Sorolla ne peut donc plus prtendre quÕ la Mdaille dÕHonneur car il a dj remport deux Mdailles de Premire Classe. Deux ans auparavant, le sculpteur Mariano Benlliure a obtenu la Mdaille dÕHonneur de sorte que, exalt par ce triomphe dÕun Valencien, lÕcrivain Vicente Blasco Ibez rclame la rcompense pour son autre compatriote. Pero a Sorolla an le faltan aqu en Espaa grados que ganar. Tiene todas las medallas; es teniente general del arte, pero le falta el ltimo entorchado, el de capitn general, el que se da por mritos excepcionales: la medalla de honor, que hasta ahora slo la han alcanzado Pradilla y Mariano Benlliure, y a la que con justicia aspira Sorolla. 60 Blasco oublie sans doute volontairement de citer Juan de Madrazo dont le prix avait t demand et obtenu par les dirigeants conservateurs. Ë la fin du mois de mars 1897, le jury prsid par Rafael Conde y Luque (1835- 1922), snateur conservateur de Cordoue, procde pour la premire fois un vote pour attribuer la Mdaille dÕHonneur Sorolla. Il prsente onze tableaux qui rvlent plusieurs facettes de son Ïuvre : le ralisme social, Trata de blancas ; le paysage, El cabo de San Antonio ; le naturalisme lepagien, Ordeando la cabra et La parra, ainsi que des portraits individuels et de groupe : Mis chicos, La Pepiya, Mara Guerrero, Amalia Romea, Luis Simarro Lacabra, Seora de Simarro et Una investigacin peint dans le laboratoire madrilne du docteur Simarro.61 Entour de ses confrres, le scientifique manipule des chantillons sous une lumire artificielle qui enveloppe la scne dans une atmosphre orange. Ce tableau rappelle le portrait du scientifique franais Louis Pasteur (1822-1895) par le peintre finlandais Albert Edelfelt (1854-1905).62 Pasteur est reprsent en plein travail, dans son laboratoire de la rue dÕUlm o il met au point le vaccin anti- 60. 61. 62. Vicente Blasco Ibez, ÒCrnica artstica. SorollaÓ, El Pueblo, Valence, 5/06/1897. Ç Mais ici, en Espagne, il reste encore Sorolla quelques grades conqurir. Il a toutes les mdailles; il est gnral en chef de lÕart, mais il lui manque le dernier galon, celui de marchal, celui qui rcompense des mrites exceptionnels: la mdaille dÕhonneur, que seuls Pradilla et Mariano Benlliure ont obtenu jusquÕ maintenant, et laquelle Sorolla aspire en toute justice. È Trata de blancas, 166Õ5x165, Madrid, MS, 1894. El cabo de San Antonio. Ordeando la cabra. La parra. Mis chicos, 140x228, Madrid, MS, 1897. La Pepiya. Mara Guerrero, 131x120Õ5, Madrid, Muse National du Prado, 1897-1906. Amalia Romea, 107Õ5x150Õ5, Collection particulire, 1897. Albert Edelfelt, Louis Pasteur, 154x126, Paris, Muse dÕOrsay, 1885. I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901 56 rabique. Au Salon de 1886, le jeune peintre sÕtait vu remettre la Lgion dÕHonneur pour ce tableau. Lors de lÕExposition Nationale de 1897, le jury comprend quatre sections, Peinture, Scultpure, Architecture et, pour la premire fois, Arts dcoratifs. Le Valencien nÕest pas le seul candidat la rcompense. La concurrence du sculpteur catalan Agustn Querol (1860-1909) rduit de facto les chances de ces deux candidats de mme ge et de valeur gale. Le sculpteur form Barcelone a effectu un parcours similaire celui de Sorolla. Ensemble, ils ont t pensionnaires de lÕAcadmie Espagnole de Rome avant de regagner Madrid la mme anne, en 1890. Sept ans plus tard, leurs palmars sont comparables. Car mme si Sorolla a connu une russite internationale suprieure celle de Querol, ce dernier a reu davantage de commandes publiques, Madrid. Il ralisa, par exemple, le groupe monumental La gloria y los pegasos qui surplombe la faade de lÕancien Ministre de lÕconomie qui abrite aujourdÕhui le Ministre de lÕAgriculture. Paradoxalement, cÕest sans doute la qualit mme des deux candidats qui conduit six des seize jurs, dont Francisco Pradilla et Mariano Benlliure, ne pas attribuer la Mdaille dÕHonneur. Toute la section de Peinture, lÕexception de Modesto Urgell (1839-1919), vote pour Sorolla. Il rcolte donc six suffrages mais nÕen obtient aucun des sections de Sculpture et dÕArchitecture. Querol runit quatre voix seulement, de sorte que la rcompense nÕest pas attribue cette anne-l. Le rapport du jury conserv aujourdÕhui dans les Archives Gnrales de lÕAdministration Alcal de Henares fait apparatre la mention Ç desierta È.63 Le 19 mai 1899, un autre jury extraordinaire prsid par Eduardo de Hinojosa lui refuse derechef cette rcompense, malgr une stricte galit des voix pour et contre ! Parmi les dix-huit jurs, Sorolla rcolte neuf suffrages. Ceux dÕAgustn Querol (1860-1909) et de Miguel Blay (1866-1936) pour la section de Sculpture, celui de Lorenzo çlvarez Capra (1848-1901) pour la section dÕArchitecture, ainsi que ceux de toute la section de Peinture lÕexception de Manuel Domnguez (1840-1906) et de Salvador Martnez Cubells (1842-1914).64 63. 64. AGA EC. 31/6836. Membres du jury par section : Eduardo de Hinojosa (prsident), Juan Facundo Riao (vice-prsident), Fernando Arbs (secrtaire). Peinture : Salvador Martnez Cubells, Alejandro Ferrant, Manuel Villegas, Manuel Domnguez Snchez, Eduardo Pelayo, Manuel Ramrez et Marceliano Santa Mara. Scultpure : Cipriano Folgueras, Miguel I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901 57 Il faut noter que le fils de ce dernier, Enrique, deviendra un des plus fervents admirateurs du Valencien et que, ironie du sort, notre peintre sera lu en 1914 membre de lÕAcadmie des Beaux-Arts de San Fernando sur le sige vacant du pre dont il fera lÕloge dans un discours.65 Les autres peintres, Alejandro Ferrant (1843-1917), Eduardo Fernndez Pelayo (1850-1901), Manuel Ramrez Ibnez (1856-1925), Marceliano Santa Mara (1866-1952) et Manuel Villegas Brieva (1871-1923) votent en faveur du Valencien.66 Le vote dfavorable du prsident du jury, Eduardo de Hinojosa y Naveros (1852-1919), provoque lÕgalit des suffrages. Ce membre du parti conservateur occupe alors la Direction Gnrale de lÕInstruction Publique au sein du gouvernement Silvela. Un rsultat nul est synonyme de nouvel chec pour Sorolla car, dans ce cas de figure, lÕarticle XXXVII du rglement stipule : Ç Para premiar una obra ser preciso el voto favorable de la mitad ms uno de los individuos del jurado È.67 Ë nouveau, Sorolla repart sans la Mdaille dÕHonneur, qui nÕest pas attribue. Mais cette fois, les jurs lui dcernent lÕunanimit la Grande Croix de Chevalier de lÕOrdre dÕIsabelle la Catholique, une distinction cense compenser lÕeffet produit par ce deuxime chec. Le peintre est abattu, ainsi que lÕatteste une lettre envoye son ami Pedro Gil : Ç [É] yo he sufrido mucho moral y fsicamente; moral por la mala fe de mis colegas negndome nuevamente la medalla de honor, y lo segundo pues todos pasamos la gripe [É] È68 Dans la presse dÕopposition, la nouvelle du rsultat provoque un mouvement dÕindignation et de protestation, dont lÕarticle de Vicente Sanchs y 65. 66. 67. 68. Blay, Agustn Querol, çngel Avils et Eduardo Barrn. Architecture : Lorenzo çlvarez Capra, Eduardo de Adaro, Jos Arija et Luis Sinz. Francisco Alcntara (journaliste) et Enrique Amar (galeriste). Une photographie de ce jury a t publi le 13 mai 1899 en page 5 du journal madrilne ABC. Homenaje a la Gloriosa Memoria del Excm. Don Joaqun Sorolla, Acadmico electo. Discursos ledos en la Sesin Pblica el da 2 de febrero de 1924. Real Academia de San Fernando, Madrid, Mateu Artes Grficas, 1924. Jess Gutirrez Burn, ÒSorolla y las Exposiciones Nacionales de Bellas ArtesÓ in Conocer el Museo Sorolla. 10 aportaciones a su estudio, Madrid, Ministerio de Cultura, 1986, pages 13-19. Reglamento para las Exposiciones de Bellas Artes, Madrid, Imprenta del Colegio Nacional de Sordomudos y de ciegos, 1897. Ç Pour rcompenser une Ïuvre, les suffrages favorables de la moiti du jury plus une voix, seront ncessaires. È Facundo Toms, Felipe Garn, Isabel Justo et Sofa Barrn, Epistolarios de Joaqun Sorolla, I. Correspondencia con Pedro Gil Moreno de Mora, Barcelone, Anthropos, 2007, page 369. Ç JÕai beaucoup souffert sur les plans moral et physique ; moral cause de la mauvaise foi de mes collgues qui mÕont nouveau refus la mdaille dÕhonneur, et ensuite parce que nous avons tous la grippe. È I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901 58 Guilln (1849-1907), alias Miss-Teriosa, ÒEl fallo del JuradoÓ offre un bon exemple : No puede prevalecer un acuerdo como el que, con detalles que me resisto a reproducir, sirve de pretexto para realizar una incalificable injusticia. Por el decoro del arte nacional, es preciso que se anule la votacin, que revoten algunos ÒvacilantesÓ jurados que votaron en contra, que recobre su imperio el que ha venido a ser el menos comn de todos los sentidos, y que no demos ocasin a los extranjeros para que nos califiquen tambin de ÒriffeosÓ en materia de arte. 69 Dans un article intitul ÒArte ministerialÓ, La Nacin avait anticip ce rsultat en pressentant lÕinfluence des conservateurs sur le jury de lÕexposition.70 LÕcrivain Jos Martnez Ruiz (1874-1967) que le public connatra ensuite sous le nom dÕAzorn, publie cet article sous son premier pseudonyme, Cndido. Selon lui, des facteurs trangers lÕart auraient provoqu le nouvel chec de Sorolla. Dans un article publi au lendemain de lÕannonce du rsultat, ÒNota del da. Se consumÓ, on peut lire dans le mme journal : Ç Todo se ha confirmado. Sorolla, se ha quedado sin la medalla de honor ; Menndez Pidal, la ha conseguido de primera. È71 Selon lÕcrivain, si le peintre Luis Menndez Pidal (1861-1932) obtint une Mdaille de Premire Classe ce fut grce lÕinfluence de ses oncles, Luis Pidal y Mon (1842-1913), alors ministre de lÕconomie, et Alejandro Pidal y Mon (1846-1913), le prsident de la Chambre des Dputs. Il faut prciser ici que, selon lÕarticle XV du rglement de lÕdition de 1899, le ministre de lÕconomie nomme la fois le prsident et le vice-prsident du concours.72 Les accusations contenues dans cet article ne sont pas assez tayes pour tre fiables, mais elles sont suffisamment crdibles pour poser la question du lien entre le double chec de Sorolla et lÕinfluence du parti conservateur, notamment 69. 70. 71. 72. Miss-Teriosa (Vicente Sanchs y Guilln), ÒExposicin de bellas artes : El fallo del juradoÓ, El Da, Madrid, 20/05/1899. Ç Un accord tel que celui qui, avec des dtails que je me refuse de reproduire, sert de prtexte pour comettre une inqualifiable injustice ne peut pas lÕemporter. Au nom du respect de lÕart national, il faut que le vote soit annul et que revotent quelques jurs ÒhsitantsÓ qui se sont opposs et que, de tous les sens, celui qui est aujourdÕhui le plus baffou recouvre toute sa superbe, et que nous ne donnions pas aux trangers une occasion dÕtre aussi tax de ÒrifainsÓ en matire dÕart. È Cndido, ÒArte ministerialÓ, La Nacin, Madrid, 1899. Cndido, ÒNota del da. Se consumÓ, La Nacin, Madrid, 1899. Ç Tout sÕest pass comme prvu. Sorolla nÕa pas remport la mdaille dÕhonneur ; Menndez Pidal en a obtenu une de premire classe. È Reglamento para las Exposiciones de Bellas Artes, Madrid, Imprenta del Colegio Nacional de Sordomudos y de ciegos, 1899. I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901 59 sur la dernire dition du concours. On peut sÕinterroger sur lÕexistence de critres extra artistiques susceptibles dÕopposer les conservateurs Sorolla. Est-il, cette poque, peru comme un artiste de gauche ? Pour rpondre cette question, on peut tout dÕabord retenir les origines valenciennes du peintre, Valence tant alors le bastion du rpublicanisme espagnol. De son pre adoptif, Jos Piqueres Guilln, un journal valencien affirme lÕoccasion de sa mort, en 1900 : Ç Aparte de sus mritos como hombre laborioso y de gran corazn, era un firme republicano que figur con tanta modestia como esfuerzo en las milicias del 69 y el 73, defendiendo los ideales democrticos. È73 Personne nÕa russi dmontrer que Sorolla tait lui-mme rpublicain ; malgr cela, il tait de fait considr comme tel si lÕon en juge par un article paru aux tats-Unis en 1902. Un peintre amricain form en Europe, Cadwaller Lincoln Washburn (1866-1965), tient le Valencien pour un opposant la monarchie qui mprise les rites religieux et rprouve lÕinfluence de lÕglise dans les affaires civiles. Pour cet auteur, de telles positions sont le rsultat de sa culture valencienne.74 Ces hypothses peuvent tre pertinentes, toutefois, beaucoup dÕautres influences que celles de sa ville natale interfrent dans sa formation intellectuelle. En ralit, il y rsida peu de temps puisquÕil partit vingt-deux ans sÕtablir Rome o il se lia dÕune amiti indfectible avec Pedro Gil Moreno de Mora, un jeune franco-espagnol issu de la bourgeoisie monarchiste de Paris. Ë son retour en Espagne, cinq ans plus tard, il dcide dÕinstaller sa famille Madrid. Dans la capitale, il ctoie la bourgeoisie librale, en particulier les intellectuels krausistes de lÕInstitution Libre dÕEnseignement et se lie dÕamiti avec plusieurs de ses membres : Aureliano de Beruete, Manuel Bartolom Cosso (1857-1935), Luis Simarro Lacabra (18511921) et Francisco Giner de los Ros (1839-1915), son fondateur. De mme, ses trois enfants y font leur scolarit. LÕInstitution Libre dÕEnseignement voit le jour un an aprs le dbut de la Restauration. Francisco Giner de los Ros avait alors t destitu de la chaire de philosophie quÕil occupait lÕUniversit Centrale de Madrid car le nouveau rgime considrait que ses enseignements taient incompatibles avec le dogme de la religion dÕtat. En raction cette mesure 73. 74. ÒSorolla en Valencia, El Pueblo, Valence, 14/06/1900. Ç En dehors des mrites de lÕhomme au grand cÏur et du travailleur, cÕtait un farouche rpublicain qui intgra avec autant de modestie que dÕengagement les milices de 69 et de 73 pour dfendre les idaux dmocratiques. È Cadwaller Lincoln Washburn, ÒSorolla, a Great Spanish Painter of To-DayÓ, The Outlook, New York, 3/05/1902. I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901 60 arbitraire, Giner fonde une structure nouvelle proposant un modle dÕducation laque tourn vers les dernires dcouvertes scientifiques et pdagogiques. Elle sÕoppose aux valeurs traditionnelles, catholiques et bourgeoises.75 Contrairement Azorn, le peintre et critique valencien Augusto Coms y Blanco (1862-1953), nÕtablit pas de relation entre les checs de Sorolla et des manÏuvres politiciennes. Selon lui, la polmique met en vidence la faillite du systme des Beaux-Arts. Dans un article publi par Diario de Barcelona, il dnonce le dcalage entre les critres du concours national et les aspirations dÕune nouvelle gnration de peintres. Il compare le phnomne aux rsistances opposes aux Impressionnistes dans la France des annes 1870. ÁEs triste, muy triste, que lo que en Europa ya no se discute hace muchos aos, ahora empiece a discutirse en Espaa! ÁParece mentira que las obras de Sorolla, Casas, Muoz Lucena, Godoy, Rusiol, Bilbao, Mir y Abrzuza encuentren en 1899 las mismas resistencias que vencer que hace treinta aos vencieron los llamados treintaistas franceses! 76 Mais comment ne pas voir aussi dans ce passage une mise en cause du pouvoir. Car il y est aussi question du rapport entre Madrid, centre des pouvoirs, et les provinces. En effet, Coms fait implicitement allusion trois villes plus innovantes sur le plan des arts et qui, cette poque, le sont aussi sur le plan des techniques et de lÕindustrie. Il sÕagit de Barcelone voque, par les noms de quatre Catalans, Ramn Casas (1866-1932), Toms Muoz Lucena (1860-1943), Santiago Rusiol (1861-1931) et Joaqun Mir Trinxet (1873-1940), Valence, par Joaqun Sorolla, et enfin, Sville qui se profile derrire les noms de Felipe Abrzuza (1871-1948) et de Gonzalo Bilbao (1860-1938). En filigrane, ce sont donc aussi la reprsentation et la reconnaissance des priphries sous la Restauration qui sont mises en cause travers des questions dÕordre artistique. 75. 76. Antonio Jimnez-Landi, La Institucin Libre de Enseanza y su ambiente. Perodo escolar 1881-1907, Madrid, Ministerio de Educacin y Cultura, 1996, page 522. Augusto Comas y Blanco, ÒLa Exposicin Nacional de bellas artes en 1899Ó, Diario de Barcelona, Barcelone, 22/05/1899. Ç Il est triste, trs triste que ce qui en Europe ne fait plus polmique depuis de nombreuses annes, commence maintenant poser problme en Espagne ! Cela semble peine croyable que les Ïuvres de Sorolla, Casas, Muoz Lucena, Godoy, Rusiol, Bilbao, Mir et Abrzuza rencontrent en 1899 les mmes rsistances que la gnration des Franais de 1830 a d combattre il y a trente ans. È I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901 61 Le mouvement de protestation retombe vers la fin de lÕanne 1899. Mais en 1900, il rejaillit avec plus dÕintensit lorsque, le 6 juin, Sorolla reoit un Grand Prix de Peinture de lÕExposition Universelle qui se tient Paris. Pour reprsenter lÕEspagne, le Comit dÕOrganisation du Pavillon Espagnol avait prslectionn les grands noms du moment cÕest--dire Jos Moreno Carbonero (1860-1942), Jos Pinazo (1879-1933), Santiago Rusiol, Ramn Casas, Eliseo Meifrn (19581940), etc. Chacun dÕeux peut envoyer deux ou trois tableaux Paris, deux exceptions prs : Sorolla et Raimundo de Madrazo sont autoriss en prsenter six ! Cette faveur laisse entendre que le comit espagnol entend mettre en avant ces deux peintres.77 Le Comit comprend trois membres : lÕaristocrate comte de Villagonzalo (1851-1921), le grand collectionneur vivant Paris, Ramn Errazu (inc.-inc.) et le peintre dÕhistoire Antonio Gisbert. Mariano Miguel Maldonado y Dvalos, VIIe comte de Villagonzalo, est un grand dÕEspagne, snateur en 18871888, ambassadeur dÕEspagne en Russie de 1893 1897, ami proche dÕAlphonse XII, donc un diplomate monarchiste conservateur. Quant Ramn Errazu, richissime industriel, trs bien introduit dans la haute socit parisienne, il est un collectionneur de Mariano Fortuny et de Raimundo de Madrazo, ce qui explique peut-tre la prsence de ce dernier comme artiste privilgi ct de Sorolla ; quant Antonio Gisbert, en dehors de rticences esthtiques, le localisme pourrait constituer un argument en faveur de Sorolla. Il est en effet originaire dÕAlcoy, ville du Levant, de la province dÕAlicante. Mais les choix de ce jury dÕadmission vont avoir une autre consquence trs importante, qui sera lÕorigine de la Òlgende noireÓ de Sorolla et de la rivalit et de lÕantipathie de celui-ci avec Ignacio Zuloaga, mme si, au fond, le premier nÕy est pour rien. Dans ces conditions, la victoire du Valencien est donc prvisible. Parmi les peintres rcompenss ses cts figurent les plus grands noms du moment : lÕAutrichien Gustave Klimt (1863-1918), lÕAmricain John Singer Sargent, le Russe Valentin A. Serov (1865-1911), le Franais Dagnan Bouveret (1852-1929), lÕAnglais Lawrence Alma Tadema (1836-1912), le Danois Peter Severin Kr¿yer (1851-1909), le Sudois Anders Zorn (1860-1920), etc. En ce qui concerne le succs obtenu par le peintre espagnol, il faut prciser, tout dÕabord, quÕil remporte facilement la mdaille en runissant trente-sept des cinquante-deux voix, soit 77. Mariano Benlliure y Joaqun Sorolla. Centenario de un homenaje, Valence, Generalitat Valenciana, 2000, page 26-27. I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901 62 environ 70% des suffrages. Ensuite, lÕenvoi rcompens est quasiment identique celui quÕil vient de prsenter Madrid, avec le rsultat que lÕon connat. En effet, quatre des six toiles accroches Paris, Cosiendo la vela, Comiendo en la barca, El algarrobo et La caleta lÕavaient t Madrid lÕanne prcdente.78 En Espagne, cÕest lÕun des motifs qui va nouveau chauffer les esprits. Ds que la nouvelle de ce succs parvient en Espagne, Vicente Blasco Ibez ravive la controverse dans un article pamphltaire intitul ÒRegateosÓ. Ce titre fait rfrence la fois au ÒmarchandageÓ auquel sÕest livr, ses yeux, lÕancien directeur de lÕInstruction Publique, Eduardo de Hinojosa, et rpond en mme temps au quotidien valencien Las Provincias. En effet, le journal conservateur dirig par Teodoro Llorente (1836-1911) vient de publier un pitre article dans lequel il est question de deux prix, lÕun pour Sorolla et le deuxime pour Bastida ! Ë Valence, Llorente tait une figure incontournable et unanimement respecte pour son engagement en faveur de la diffusion et de la valorisation de la culture rgionale. Pote, crivain, journaliste et homme politique, il est lu plusieurs fois dput et snateur sur les bancs conservateurs.79 Dans ÒRegateosÓ, lÕcrivain proteste tout dÕabord contre le conservatisme de la socit de son poque : Como no le nombren arzobispo de Toledo o reina madre, que son las dignidades ms cmodas y honorficas que existen, no sabemos a qu otra cosa pueda aspirar Sorolla despus de su triunfo de Pars. Pero tal vez crean algunos que ms que ese premio conseguido sin recomendaciones en la capital del mundo, vale el premio de honor de la Exposicin de Madrid, regalo de influencias polticas y hasta de caciquismos electorales, y que negaron a Sorolla porque no pinta retratos de seoras de ministros, y porque necesitando todo su tiempo para estudiar, no visita palacios. 78. 79. 80. 80 Cosiendo la vela, 220x302, Venise, Muse dÕArt Moderne CaÕPesaro, 1896. Comiendo en la barca, 180x250, Madrid, Acadmie Royale de San Fernando, 1898. El algarrobo, 46Õ3x96Õ3, Collection particulire, 1898 et La caleta, 47Õ5x97, Collection particulire, 1898. Miguel Artola (dir.), Enciclopedia de Historia de Espaa, IV. Diccionario biogrfico, Madrid, Alianza, 2001 (1991), page 509. Vicente Blasco Ibez, ÒRegateosÓ, El Pueblo, Valence, [07/06/1900]. Ç Si on ne le nomme pas archevque de Tolde ou reine mre, qui sont les dignits les plus confortables et honnorifiques qui existent, nous ne savons pas quoi peut aspirer Sorolla aprs son triomphe de Paris. Mais peut-tre que dÕaucun pense quÕau-del de ce prix obtenu sans recommandation dans la capitale du monde se situe la mdaille dÕhonneur de lÕexposition de Madrid, cadeau dÕinfluences politiques et mme de npotismes lectoraux I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901 63 Il oppose ensuite avec vhmence deux rcompenses, la Mdaille dÕHonneur, quÕil vilipende, et le Grand Prix, quÕil magnifie. Toutefois, les arguments dfendus en faveur du prix international sont excessifs. Blasco ne dit rien, par exemple, de la composition du jury. En effet, trente des cinquante-deux jurs sont franais. Par consquent, si plusieurs nationalits cohabitent bel et bien dans cette assemble, une majorit se dtache dj sur le papier.81 De plus, Sorolla a obtenu dÕexcellentes rfrences en France, en particulier au Salon. Ensuite, lÕcrivain omet de signaler la prsence dÕAureliano de Beruete au sein du jury runi Paris. Non seulement le peintre madrilne est un intime du Valencien mais, par ailleurs, il est le seul reprsentant de lÕEspagne dans ce jury. Pour ces deux raisons, il est difficile dÕimaginer que son influence ne joue pas en faveur de Sorolla. Beruete sÕen dfendra ds son retour en Espagne dans un article publi dans le journal Hispania.82 Cela tant, Blasco a sans doute raison au moins sur le point le plus essentiel : le Grand Prix de lÕExposition Universelle est logiquement suprieur toute rcompense nationale. Ce constat suffit soulever une nouvelle polmique laquelle le gouvernement conservateur de Francisco Silvela (18431905) tente ensuite, semble-t-il, dÕapporter une rponse avant la fin de son mandat. Le ministre de lÕInstruction Publique et des Beaux-Arts, vient de voir le jour par un dcret royal du 18 avril 1900 soit moins de deux mois avant cet vnement. Le premier ministre de lÕInstruction Publique et des Beaux-Arts, Antonio Garca Alix (1842-1911), prpare une rforme du concours national qui est un des premiers chantiers de cette institution.83 Cependant, aucune mesure effective nÕest adopte par son cabinet. Le deuxime chec pse sur la rception du peintre, en particulier du ct de ses partisans. Tout porte croire quÕils jugent alors que le peintre paye le prix de son cosmopolitisme et de sa modernit. Aussi, pour inverser les choses, interprtent-ils dsormais son Ïuvre sous lÕangle de la tradition. En 1899, le pays fte le troisime centenaire de la naissance de Diego Vlasquez (1599-1660). Ë lÕapproche de cet vnement, toutes sortes de rapprochements entre Sorolla et le 81. 82. 83. quÕon refusa Sorolla parce quÕil ne peint pas de portraits dÕpouses de ministres et parce que, ayant besoin de tout son temps pour travailler, il ne frquente pas les palais. È Exposition Universelle Internationale de 1900. Rapports du jury international. Groupes II Ïuvres dÕart, Paris, Imprimerie Nationale, 1904. Aureliano de Beruete, ÒJoaqun SorollaÓ, Hispania, Madrid, 15/06/1901. Anonyme, ÒTriunfo de SorollaÓ, [?], Valence, 7/05/1901. I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901 64 matre de Sville voient le jour, comme pour signifier quÕil existe une filiation artistique et spirituelle entre les deux artistes. Dans la presse trangre, il est dÕusage de raisonner par coles nationales et Sorolla est communment peru comme un hritier de la ÒmanireÓ des matres du Sicle dÕOr. Cette ide parvient donc en Espagne dÕabord par le biais de traductions dÕarticles trangers. En 1896, Ernesto Lpez dcouvre un article de la Berliner Zeitung Illustrierte quÕil publie dans El Correo de Valencia. On peut lire dans le texte en espagnol : Pasa con la pintura de Sorolla lo que con esos generosos vinos de la lejana Espaa : al que los bebe le parecen cosa nueva, cuando hace sin embargo ms de un siglo que se hallan encerrados en las profundidades de un tonel. As tambin parece cosa completamente nueva la extraordinaria paleta de Sorolla y es porque en ella resucitan los rasgos mgicos del Pincel de Velzquez. [É] Por lnea y en sucesin directa la paleta del gran Velzquez ha venido a heredarla este joven maestro espaol [É] 84 La comparaison est ensuite reprise et dveloppe par des journalistes espagnols. Elle voque les racines nationales mais aussi la modernit et la dimension europenne de Sorolla car, cette poque, Vlasquez symbolise tout cela la fois. La redcouverte du matre remonte 1865, depuis le voyage en Espagne dÕdouard Manet. Par la suite, des peintres de toute lÕEurope prennent le chemin de Madrid dans le seul but de copier ses tableaux. Vlasquez fait lÕunanimit, tant chez les conservateurs que chez les modernes. En 1900, dans les colonnes de El Imparcial, Mariano de Cava (1855-1920) associe les noms de Velzquez, Goya et Sorolla au panthon des peintres de la nation : Ç No siempre en la patria de Velzquez y Goya ha de decirse solemnemente Don Diego, Don Francisco, Don JoaqunÉÈ85 Dans le quotidien La Voz de Galicia, Carlos de Pearanda (1848-1908) affirme lÕanne suivante : Ç [É] en verdad, que, despus 84. 85. Ernesto Lpez, ÒSorollaÓ, Correo de Valencia, Valence, 15/08/1896. Ç Il en va de la peinture de Sorolla comme de ces gnreux vins de la lointaine Espagne : quiconque les boit croirait une chose nouvelle alors quÕils se trouvent, au contraire, enferms dans les profondeurs dÕun tonneau depuis plus dÕun sicle. De mme, la palette de Sorolla parat compltement nouvelle et cela parce que les traits magiques du Pinceau de Vlasquez ressucitent en elle. [É] Ce jeune matre espagnol a hrit en succession directe de la palette du grand Vlasquez. È Mariano de Cava, ÒChimetÓ, El Imparcial, Madrid, 16/06/1900. Ç Ce nÕest pas tous les jours que dan la patrie de Vlasquez et de Goya, on peut dire solennellement Don Diego, Don Francisco, Don JoaqunÉ È I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901 65 de Velzquez, nicamente al egregio pintor valenciano puede aplicrsele la frase clebre de Mengs sobre el cuadro Las hilanderas: parece que la mano no ha tomado parte en las obras de Sorolla, sino que ha pintado slo la voluntad. È 86 Pearanda rige le peintre au rang de nouveau Vlasquez, en lui reconnaissant des qualits suprieures propres lÕauteur de Las hilanderas. Tous ces articles, plus ou moins tays et fonds, finissent mme par exasprer un journaliste de la revue El Artista qui se plaint dÕun tel martelage : ÁOh, Sorolla!... ÁVelzquez!... ÁVelzquez puro!... Su paleta velazquina recuerda la escuela clsicaÉ Estas y otras vulgaridades se oyen en boca de personas que, por su cultura y sus conocimientos deberan hablar de otra manera, en materia de arte, cuando se ocupan del insigne pintor valenciano y este mal nace de que slo creemos comparable el Ç genio vivo È con el Ç genio muerto È. 87 Enfin, Blasco Ibez signe lui-mme un jour un article intitul ÒNieto de Velzquez, hijo de GoyaÓ, dont il sera question plus avant.88 Cette lecture vlasquzienne, ne dans le contexte de lÕaffaire, pourrait trs bien tre lÕorigine de la perce dans lÕÏuvre de Sorolla de ces portraits ÒvlasquziensÓ dans lesquels cohabitent des citations de chefs-dÕÏuvre du matre. Le premier du genre est un portrait de lÕactrice Mara Guerrero (1867-1928) en mnine, qui remonte justement 1897.89 La composition sera lgrement remanie en 1906, ce qui explique que deux dates figurent sur la notice du Muse du Prado. Contrairement la logique selon laquelle les observateurs reoivent un tableau quÕils interprtent ensuite, la ralisation de ce portrait pourrait avoir t motive, en amont, par la critique. Notre hypothse est la suivante : Sorolla se serait engag dans une voie trace par ses amis journalistes et, cela, pour faire apparatre de faon indiscutable 86. 87. 88. 89. Carlos de Pearanda, ÒEl triunfo de SorollaÓ, La Voz de Galicia, La Corogne, 7/05/1901. Ç [É] il est vrai que, aprs Vlasquez, il nÕy a quÕ lÕillustre peintre valencien que lÕon puisse appliquer la clbre phrase de Mengs concernant le tableau Les fileuses : Il semble que, dans les Ïuvres, la main nÕait jou aucun rle et que seule la volont ait peint. È Anton Raphael Mengs (1728-1779). Martn Ricardo, ÒLa medalla de honorÓ, El Artista, Madrid, 15/05/1901. Ç Oh, Sorolla ! Vlasquez !... Vlasquez tout crach !... Sa palette vlasquzienne rappelle lÕcole classiqueÉ Celle-l et dÕautres vulgarits sortent de la bouche de personnes qui, par leur culture et leurs connaissances devraient parler autrement, en matire dÕart, quand ils sÕoccupent de lÕillustre peintre valencien et ce mal provient de ce que nous pensons le Ògnie vivantÓ seulement comparable au Ògnie disparuÓ. È Vicente Blasco Ibez, ÒNieto de Velzquez, hijo de GoyaÓ, La Nacin, Buenos Aires, 3/03/1907. Retrato de Mara Guerrero, 131x120Õ5, Madrid, Muse National du Prado, 1897-1906. I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901 66 lÕempreinte de la tradition dans sa peinture. Ainsi, il espre augmenter ses chances de dcrocher la Mdaille dÕHonneur. Cela expliquerait pourquoi, lÕExposition Nationale de 1901, il prsente un portrait collectif, Mi familia, plagiant la composition du tableau Les Mnines ou La famille de Philippe IV.90 On peut voir, au premier plan, son pouse Clotilde et les trois enfants. Install un pupitre, le petit Joaqun dessine le portrait de sa sÏur Elena. Dans le fond de la pice, un miroir reflte la silhouette du peintre tenant une palette et un pinceau. Les couleurs dominantes sont le gris et le rouge, une association qui rappelle un autre chef-dÕÏuvre du Muse du Prado, Mercurio y Argos.91 Depuis le tricentenaire de 1899, les deux tableaux se trouvent cte cte dans la salle basilicale du muse, dans une disposition identique a celle que nous connaissons aujourdÕhui.92 Le portrait de Mara Guerrero et Mi familia forcent la comparaison avec le matre mais cela ne veut pas dire, pour autant, que cette comparaison soit pertinente. En effet, ces tableaux doivent tre compris dans le contexte de la conqute de la Mdaille dÕHonneur et ils nÕont, disons-le, quÕune parent lointaine et assez improbable avec lÕÏuvre de Vlasquez. Aprs lÕaffaire, le Valencien manipulera dÕautres reprises la citation. Le portrait de lÕhistorien Rafael Altamira, inspir de celui du Pape Innocent X de la Galerie Doria Pamphili de Rome, en est une autre illustration.93 Quelques semaines seulement avant lÕinauguration de lÕExposition Nationale de 1901, un nouveau gouvernement est form, le 6 mars, par le chef du parti libral, Prxedes Mateo Sagasta. Ds son entre en fonction, le nouveau ministre de lÕInstruction Publique et des Beaux-Arts, çlvaro de Figueroa y Torres, comte de Romanones (1863-1950), modifie lÕarticle du rglement concernant lÕattribution de tous les prix en faisant entrer en application une proposition dicte par son prdcesseur. Cette attribution serait dcide, dornavant, par une centaine dÕartistes rcompenss lors des ditions prcdentes et non plus par le 90. 91. 92. 93. Mi familia, 185x159, Valence, Municipalit de Valence, 1901 et Diego Vlasquez, Las Meninas o La familia de Felipe IV, Madrid, Muse National du Prado, 1656. Diego Vlasquez, Mercurio y Args, 128x250, Madrid, Muse National du Prado, 1659. Javier Ports, ÒVelzquez fin de sigloÓ in Dilogos : Sorolla & Velzquez, Madrid, Ministerio de Cultura, 2009, pages 11-13. Retrato de Rafael Altamira, 115x91Õ5, New York, HSA, 1913 et Diego Vlasquez, Retrato del Papa Inocencio X, Rome, Collection Doria-Pamphili, 141x159, 1549-1551. I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901 67 collge de pairs lus.94 Jos Ramn Mlida nÕhsite pas parler de Òsuffrage universelÓ, une dsignation excessive mais charge dÕintentions puisquÕelle fait cho la restauration du suffrage universel (masculin), en 1890. Il sÕagit dÕune des principales mesures prises par la majorit librale durant le Òparlamento largoÓ.95 La nouvelle mouture du rglement de lÕExposition Nationale restera en vigueur durant un peu plus de trente ans, jusquÕ lÕdition de 1934. Signe des temps, lÕancien systme dÕattribution des prix sera rtabli par lÕadministration franquiste en 1941, lÕanne de la premire dition organise sous la dictature. Mais dornavant, lÕultra conservatisme du jury fera perdre toute crdibilit au concours qui disparatra dfinitivement en 1968. Le 4 mai 1901, depuis les colonnes du journal Heraldo de Madrid, Jacinto Octavio Picn (1852-1923) appelle les artistes votants choisir le Valencien.96 Le 6, le nouveau secrtaire du ministre de lÕInstruction Publique, le libral Federico Requejo Avedillo (1854-1915), prside donc ce jury largi compos de cent trente-six artistes.97 Requejo avait t dput de Zamora de 1886 jusquÕ 1901. Il sera ensuite ministre de lÕAgriculture en 1905, puis ministre des Finances en 1906. Le peintre valencien, unique candidat la Mdaille dÕHonneur, obtient cent douze voix, soit plus de 80% des suffrages. Dans la presse du lendemain, Alejandro Saint-Aubin saisit lÕoccasion qui se prsente pour revenir sur lÕchec de 1899 : Ç [É] No seremos crueles, Sr. Hinojosa; no haremos alarde de rencorosos y vengativos. ÁOh ilustre ex director de I.[nstruccin] P.[blica]! vuelve a la memoria la famosa votacin para la medalla de honor, y aparece de nuevo el presidente del Jurado uniendo a la minora un voto que no le concede el reglamento y reclamando la calidad para decidir en el empate [É] È98 Ailleurs, on peut lire cependant : Ç Pocas veces ha sido tan discutido por artistas y aficionados este importante punto de la adjudicacin de la medalla de honor de nuestra 94. 95. 96. 97. 98. On peut lire ce sujet : Jos Francs, ÒLa medalla de honorÓ, El Alczar, Madrid, 22/06/1950 et Jos Montero Alonso, ÒÇDoa Juana la LocaÈ fue el cuadro que obtuvo la primera Medalla de HonorÓ, El Diario Vasco, Saint Sbastien, 13/06/1957. Jos Ramn Mlida, ÒHonor a SorollaÓ, El Correo, Madrid, 05/1901. Jacinto Octavio Picn, ÒSorollaÓ, Heraldo de Madrid, Madrid, 4/05/1901. Alejandro Saint-Aubin, ÒExposicin de bellas artes. Cuestin previaÓ, Heraldo de Madrid, Madrid, 7/05/1901. Alejandro Saint-Aubin, ÒArte y artistasÓ, El Heraldo, Madrid, 7/05/1901. Ç Nous ne serons pas cruels ; nous ne ferons pas talage ni de rancunes ni de vengeances. Oh, illustre ex directeur de lÕI.[nstruction] P.[ublique] ! Le fameux vote pour la mdaille dÕhonneur nous revient en mmoire, et nous revoyons nouveau le prsident du jury joignant la minorit une voix que ne lui autorisait pas le rglement en invoquant sa qualit pour dcider dÕun rsultat nul. È I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901 68 Exposicin de Bellas Artes. È99 Dans le quotidien conservateur La poca, le photographe Antonio Cnovas y Vallejo (1874-1933) Ð de son pseudonyme Dalton Kaulak Ð un neveu dÕAntonio Cnovas del Castillo, dplore dÕautres effets de la rforme comme, par exemple, la soudaine et douteuse inflation de la quantit de prix distribus. SÕil reconnat les qualits de Sorolla, il affirme nanmoins : Ç Conste asimismo que hay varios artistas de primera fila que la merecen igualmente, y que tienen historia artstica (algunos) ms brillante, por ser ms larga, que la de Sorolla. È100 LÕauteur fait visiblement allusion des artistes de la gnration prcdente. Peut-tre pense-t-il aux peintres Jos Villegas, ou Alejandro Ferrant (1843-1917), ou encore Francisco Domingo Marqus. Avant de conclure, il convient de se demander si, en dÕautres circonstances, Sorolla aurait obtenu cette rcompense. On peut raisonnablement penser que oui, tout simplement parce quÕune stricte galit des suffrages sÕtait produite lors de lÕdition antrieure. Dans ce cas, sÕil y eut ensuite un Òcoup de pouceÓ ministriel du libral Romanones, celui-ci tait sans doute superflu et certainement dommageable. En effet, acquise dans des conditions trop favorables, la rcompense arrive, de surcrot, bien trop tard. Un article publi dans la revue Blanco y Negro, rapporte quÕaux amis venus son atelier pour lui annoncer la nouvelle, Sorolla se serait content de rpondre laconiquement, Ç ÁMe trais el diploma de viejo! È101 Il existe dÕautres anecdotes faisant tat de lÕamertume et de la retenue du peintre le jour de sa victoire. Manuel Gonzlez Mart rend compte dÕun change entre Sorolla et le peintre valencien Antonio Fillol Granell (18701930) : Ç Cuando alcanz la medalla de honor un grupo de artistas valencianos, que en su inquietud le haba sido adverso siempre, fue a felicitarle, y el cabeza del grupo le endilg un pequeo discurso lleno de superlativos. Sorolla, con toda seriedad, escuch los elogios y contest : Si cuando acabis de decir lo decs de veras, os lo agradezco infinito. È102 Certes, le peintre accueille sa victoire sans 99. 100. 101. 102. Anonyme, [?], [?], Madrid, 7/05/1901. Ç Rarement cette importante question de la remise de la mdaille dÕhonneur de notre Exposition des Beaux-Arts nÕa autant t discute par les artistes et les observateurs. È Antonio Cnovas y Vallejo, ÒExposicin Nacional de Bellas Artes. Las recompensasÓ, La poca, Madrid, 13/05/1901. Ç Reconnaissez, de mme, quÕil y a plusieurs artistes de premier rang qui la mritent autant, et qui possdent une histoire artistique (pour quelques-uns) plus brillante, parce que plus ancienne, que celle de Sorolla. È Anonyme, ÒNuestros Artistas. Joaqun SorollaÓ, Blanco y Negro, Madrid, 7 ou 8/05/1901. Ç Vous mÕapportez le diplme mon ge ! È Pelejero, ÒUsted que conoci a Sorolla, dganos Àcmo era?Ó, Levante, Valence, 17/09/1959 et Francisco Almela Y Vives, ÒLo que el gran pintor pensaba donar a su I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901 69 effusion de joie ; mais cela ne veut pas dire pour autant quÕil la mprise. Sorolla a t form lÕcole des rcompenses et des honneurs et il ne les ddaigne pas, bien au contraire. Ë la fin du XIXme sicle, ce sont des cls indispensables qui ouvrent les portes des postes officiels, des commandes dÕtat et de beaucoup dÕautres choses qui assurent la vie matrielle de lÕartiste. Sorolla ne retire pas tout le bnfice de sa Mdaille dÕHonneur. Pis, les polmiques qui ont maill ses dernires participations au concours et, plus encore, lÕhostilit souleve par la rforme de Romanones chez les conservateurs, vont ensuite lui porter prjudice. Elles sont mme lÕorigine dÕun contentieux entre le peintre et lÕtat. Car le tableau rcompens, Triste herencia, nÕest jamais achet son auteur, contrairement lÕunique prcdent en la matire, Doa Juana la Loca, acquis Pradilla pour la somme de quarante mille pesetas plus de vingt ans auparavant.103 Le gouvernement libral propose lÕacquisition de Triste herencia au Parlement, conformment lÕusage tabli, mais les conservateurs refusent de signer la dclaration dÕachat. Les deux partis dynastiques ne parviennent pas sÕentendre, malgr les efforts du comte de Romanones, et le dlai expire en dcembre 1902 sans quÕaucune solution nÕait t trouve. Finalement, Sorolla vend avantageusement son tableau un collectionneur espagnol tabli aux Etats-Unis. Il changera ensuite plusieurs fois de mains avant dÕtre rapatri, dans les annes 1980, par la Caisse dÕpargne de Valence. Dans son article ÒHonor a SorollaÓ, Jos Ramn Mlida rapporte une anecdote qui pourrait servir dÕpilogue lÕaffaire. LÕauteur y voque les rpercussions ngatives du Grand Prix de lÕExposition Universelle sur la rception de Sorolla, dans son pays. Il cite les prdictions dÕun peintre anonyme, Ç un illustre peintre qui connat bien notre pays È : 103. ciudad nativaÓ, Levante, Valence, 24/02/1963. Ç Quand il remporta la mdaille dÕhonneur, un groupe dÕartistes valenciens qui, par manque exprience, lui avait toujours t hostile, vint le fliciter, et le chef du groupe se fendit dÕun petit discours rempli de superlatifs. Sorolla, avec le plus grand srieux, couta les loges et rpondit : Si quand vous aurez fini de parler vous consentez dire vrai, je vous en serai infiniment reconnaissant. È Rufo Vzquez, ÒAlgunos curiosos datos sobre la Medalla de HonorÓ, Dgame, Madrid, 15/07/1952. Federico Galindo, Federico, ÒÀDnde estn? Los distintos paraderos de algunos cuadros famosos del Museo de Arte ModernoÓ, Dgame, 16/06/1959 et Bernardino de Pantorba, ÒHistoria y peripecia del cuadro de Sorolla Triste HerenciaÓ, ABC, Madrid, 3/06/1981. I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901 70 Pero hubo entonces en Pars un pintor ilustre que conoce bien nuestro pas, y lo demostr con lo que vamos a referir. Despus de visitar la Exposicin, se sentaban una tarde a comer con Sorolla y en obsequio suyo dicho artista extranjero y otro espaol. El extranjero felicit a Sorolla por su triunfo, que estim como muy legtimo y aadi: - Pero ya ver usted cuntos disgustos le cuesta a Vd. en su pas ese premio. Desgraciadamente fue profeta. [É] En otro pas, a Sorolla se le ensalza, se le aplaude, se le admira; aqu la caracterstica es despreciarle, discutirle cuando ya nadie le discute, y si es posible, procurar que se vaya. 104 Il sÕagit, selon toute vraisemblance, du Franais Lon Bonnat avec lequel Sorolla et Beruete dnrent le 18 juilllet 1900.105 Le Franais connaissait trs bien lÕEspagne et parlait espagnol couramment car sa famille sÕtait install temporairement Madrid en 1847, et il y avait suivi les enseignements de Federico de Madrazo lÕAcadmie des Beaux-Arts de San Fernando. Aprs 1901, mme si Sorolla continue rsider en Espagne, cette affaire lÕloigne de son pays dÕorigine. Il nÕy organise, par exemple, aucune de ses cinq expositions individuelles. On verra dans le chapitre suivant, quÕ partir de 1902, sa carrire sÕoriente vers trois pays europens, la France, lÕAllemagne et lÕAngleterre, puis, partir de 1909, quÕelle se poursuit aux tats-Unis. 104. 105. Jos Ramn Mlida, ÒHonor a SorollaÓ, El Correo, Madrid, 05/1901. Ç Mais il y avait alors Paris un illustre peintre qui connat bien notre pays et il en donna une preuve ainsi que le montre ce qui suit. Un aprs-midi, aprs avoir visit lÕExposition, cet artiste tranger et un autre, espagnol, prenaient place autour dÕune table pour djeuner avec Sorolla. LÕtranger flicita Sorolla pour son succs, quÕil estima trs lgitime avant dÕajouter : Mais vous verrez combien de dsagrments vous cotera ce prix dans votre pays. Malheureusement sa prophtie se ralisa. [É] Ë lÕtranger, on lÕencense, on lÕapplaudit et on lÕadmire tandis quÕici lÕusage est de le mpriser, de remettre en cause son talent quand il ne viendrait plus lÕide de personne de le faire et, si possible, faire en sorte quÕil sÕen aille. È Lettre de J. Sorolla son pouse Clotilde Garca del Castillo, date du 18/07/1900 : Ç [É] ya mareado me fui con Beruete a ver el viejo Pars, una cosa que no hace mal, despus estuvimos a comer con la familia Beruete y Bonnat en un restorn a la orilla del ro È in Blanca Pons-Sorolla et Vctor Lorente Sorolla, Epistolarios de Joaqun Sorolla, III. Correspondencia con Clotilde Garca del Castillo (1891-1911), Barcelone, Anthropos, 2009, pages 112-113. Ç [É] puis, je suis all visiter le vieux Paris avec Beruete, une chose quÕil matrise assez bien, ensuite nous djeunmes avec la famille Beruete et Lon Bonnat dans un restaurant au bord du fleuve. I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901 71 I.3. LES PREMIERS SOUTIENS : LA GAUCHE LIBRALE ET RPUBLICAINE Cette affaire de la Mdaille dÕHonneur est le premier Òmoment clÓ de la rception de lÕÏuvre de Sorolla en Espagne si lÕon en juge, par exemple, par la densit des articles entre 1897 et 1901.106 Avec presque cent articles, lÕanne 1900 constitue mme un ÒpicÓ qui ne sera dpass quÕen 1932, lÕanne de lÕinauguration du Muse Sorolla. Durant le temps de lÕaffaire, les contours dÕune communaut dÕinterprtation se dessinent dans la presse. Sa premire caractristique est son positionnement idologique, clairement situ du ct de la gauche dynastique librale et du rpublicanisme. On peut sÕinterroger dÕores et dj sur le manque dÕarticles issus des organes de presse conservateurs et carlistes dans les cartons du Muse Sorolla. Y aurait-il une lacune propre cette collection ou faut-il penser que les journaux les plus ractionnaires sÕintressent moins Sorolla durant cette priode ? Quand bien mme les deux hypothses fussent valides, elles ne justifieraient peut-tre pas compltement ce dsquilibre si lÕon tient compte, par exemple, de lÕimplication du peintre dans la collecte des premires coupures. En admettant cela, lÕingale distribution des articles entre gauche et droite, pourrait trs bien reflter ses propres ides politiques. La seconde caractristique de la communaut dÕinterprtation qui se dtache dans ce corpus est la prsence, parmi elle, dÕauteurs non spcialistes. Cette particularit la diffrencie de la critique dÕart trangre reprsente dans les mmes archives. Par exemple, la critique parisienne est un cercle de fins connaisseurs dont font partie des hommes de lettres, parfois potes, comme Josphin Pladan (1858-1918), Gustave Kahn (1859-1936), Camille Mauclair (1872-1945), Alphonse Germain (1861-inc.), Gustave Larroumet (1852-1903), Georges Lecomte (1867-1958) etc. Parmi eux figure un historien aussi minent que Lonce Bndite (1856-1925), le conservateur du Muse du Luxembourg. Il publie des chroniques dÕart bien documentes et signera, en 1910, un ouvrage de rfrence.107 Ë lÕimage du discours dominant qui consiste alors relier verticalement les peintres aux grands modles de lÕhistoire de lÕart, son livre sur la peinture la fin du XIXme sicle est divis en coles nationales. Toutefois, 106. 107. Voir : Graphique n¡1. Rpartition des archives de presse du Muse Sorolla. Lonce Bndite, La peinture au XIXe sicle, Paris, Flammarion, 1910. I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901 72 lÕintrieur du chapitre consacr lÕcole espagnole, la notice concernant Sorolla tranche avec le reste puisque le Valencien est rattach trois peintres europens ns au XIXme sicle : Jules Bastien-Lepage, Albert Besnard (1849-1934) et Andres Zorn. Pour le critique franais, Sorolla est le plus europen des peintres espagnols car sa peinture rejoint les courants dominants. En Espagne, si des experts confirms, tels que Rodrigo Soriano, Francisco Alcntara et Jos Ramn Mlida commentent les tableaux du Valencien, dÕautres tels que Vicente Sanchs Guilln, Jos Cintora Prez (1861-inc.) ou Vicente Blasco Ibez ne sont ni connaisseurs ni mme proches du monde des BeauxArts. Le dernier lit rgulirement la presse trangre et reconnat la valeur des critiques trangers, comme le dmontrent les trois articles quÕil consacre Sorolla durant cette priode. Pour cette raison, lÕcrivain nÕentend pas se substituer la critique dÕart, ainsi quÕil lÕaffirme sans dtour en 1897 : Ç Considero intil hablar aqu, una por una, de las obras que Sorolla tiene en la Exposicin. ÀPara qu? La crtica se ha ocupado de ellas, tributndolas elogios justsimos, y las ilustraciones extranjeras las han reproducido en hermosos grabados. È108 Jos Cintora Prez commence mme une chronique intitule ÒEl cuadro de SorollaÓ de la manire suivante : Ç ÀUn artculo de crtica? No. Soy profano en la materia. Pueden ustedes leer sin cuidado estas lneas. È109 Tant dans sa nature que dans ses intentions, lÕaffaire de la Mdaille dÕHonneur fdre une communaut dÕinterprtation diffrente de ce qui existe dj lÕextrieur et plusieurs facteurs expliquent cette singularit. Le premier est li au niveau de notorit du peintre car, cette poque, Sorolla est dj un personnage public connu bien au-del des milieux artistiques. Le second tient lÕcho, Madrid, de la presse trangre. En effet, la traduction totale ou partielle dÕarticles imports rduit lÕespace critique des spcialistes locaux. Cet usage est alors courant et il continuera jouer un rle important lors de chacune des expositions du peintre lÕtranger. DÕune manire gnrale, les crivains trangers sont alors tellement la mode que Miguel de Unamuno affirme en 1895 108. 109. Vicente Blasco Ibez, ÒSorollaÓ, El Pueblo, Valence, 5/06/1897. Ç Il me semble inutile de comenter ici, une une, les Ïuvres de Sorolla lÕExposition. Pourquoi le faire ? La critique sÕest occupe dÕelles, en leur rservant des loges tout fait justifis, et les revues illustres trangres les ont reproduites dans de belles gravures. È Jos Cintora, ÒEl cuadro de SorollaÓ, [?], [Madrid], 04 ou 05/1901. Ç Un article de critique ? Non. Je suis profane en la matire. Vous pouvez parcourir ces lignes sans crainte. È I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901 73 quÕon lit en Espagne plus dÕauteurs trangers que dÕauteurs espagnols.110 Enfin, il faut souligner lÕinfluence du contexte historique de lÕEspagne. Car lÕaffaire se superpose aux vnements tragiques de la guerre dÕindpendance de Cuba et des Philippines (1895-1898) et une importante crise conomique. La double dfaite de lÕArme et de la Marine espagnoles provoque le dmantlement des restes de lÕempire dÕoutre-mer. Dans un tel contexte, la perception du parcours et de la peinture de Sorolla ne reste pas lÕcart des tensions qui traversent la socit et son double chec au concours national se transforme en une question brlante, dont la dimension dpasse de loin les frontires de lÕart. CÕest probablement la principale raison pour laquelle il mobilise bien au-del des seuls cercles artistiques. Durant lÕaffaire, Heraldo de Madrid, El Da et El Pueblo publient, ensemble, au moins trente-deux articles sur le peintre valencien si lÕon sÕen tient la collection de presse du Muse Sorolla. Inversement, durant la mme priode, la production de Sorolla tmoigne de plusieurs changes avec leurs rdactions. Pour le quotidien rpublicain de Vicente Blasco Ibez El Pueblo, il peint en 1899 une affiche promotionnelle reprsentant une Valencienne coiffe dÕun bonnet phrygien distribuant des exemplaires du journal.111 La mme anne, il ralise un portrait dÕAlejandro Saint-Aubin, secrtaire du quotidien libral Heraldo de Madrid.112 Enfin, une scne dÕintrieur de 1900-1901, Clotilde leyendo un diario, pourrait tre une rfrence directe lÕappui quÕil reoit de ce journal.113 Aprs lÕaffaire, Sorolla portraiturera cinq auteurs qui lÕont soutenu dans la presse : Luis Lpez Ballesteros (1869-1933), Jos Ramn Mlida, Jacinto Felipe Octavio Picn, Vicente Blasco Ibez, et Francisco Acebal.114 El Da est fond par le marquis de Riscal, en 1880, mais il est rachet six ans plus tard par Segismundo Moret (1838-1913), le fondateur du parti 110. 111. 112. 113. 114. Miguel de Unamuno, En torno al casticismo, Madrid, Biblioteca Nueva, 1996 (1895), page 51. Boceto para un cartel anunciador, 95Õ5x172Õ3, Valence, Muse des Beaux-Arts San Po V, 1899. Figure n¡2. bauche dÕune affiche promotionnelle pour le journal El Pueblo (1899). Las manos de Alejandro Saint-Aubin, con un perrito, 41x71, Collection particulire, 1899. Clotilde leyendo un diario, 60Õ5x100Õ5, Madrid, MS, 1900-1901. Luis Lpez Ballesteros, 61x45, çlava, Muse des Beaux-Arts de çlava, 1903. Jos Ramn Mlida, 95x59, New York, HSA, 1904. Jacinto Felipe Octavio Picn, 65x88, Madrid, Museo Nacional del Prado, 1904. Vicente Blasco Ibez, 127x90, New York, HSA, 1906. El escritor Francisco Acebal, 58x80, Collection particulire, 1908. I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901 74 monarchiste libral. Il faut souligner, au passage, la parent de cet homme politique avec un ami du peintre, Aureliano de Beruete, qui nÕest autre que son neveu. LÕtude quÕil consacre lÕÏuvre de Sorolla parat dans la presse en juin 1901 et sera republie sparment en 1910.115 El Da consacre trois articles Sorolla entre 1899 et 1901, tous signs du pseudonyme Miss-Teriosa sous lequel crit un personnage mal connu, Vicente Sanchs Guilln.116 Il finit ses jours Biarritz dans une villa quÕil fait construire en 1904 et que lÕon peut encore admirer aujourdÕhui mais ses biens nÕy ont pas t conservs. Comme la plupart des intellectuels de cette poque, ce militaire n Valence toucha diffrents domaines. Il fut colonel de lÕarme espagnole missionne Cuba, journaliste, crivain et homme politique, lu deux fois dput conservateur de Cuba, en 1891 et en 1893. Ë la fin de son deuxime mandat il se rallie au parti libral de Sagasta. Pour le colonel Sanchs, le second chec de Sorolla symbolise lÕhermtisme de lÕEspagne de la Restauration aux tentatives de rnovation. Depuis les colonnes dÕEl Da, il demande en 1899 la rvision du rglement de lÕExposition Nationale et dnonce lÕinfluence des dirigeants politiques sur le concours. Le monarchiste libral Jos Canalejas (1854-1912) fait lÕacquisition de Heraldo de Madrid en 1893, trois ans aprs sa naissance.117 Le journal couvre efficacement les vnements majeurs de la carrire du peintre partir de 1895. Les archives de presse du Muse Sorolla contiennent treize articles du quotidien publis entre le 1er janvier 1900 et le 31 dcembre 1901. Bien sr lÕensemble nÕest pas exhaustif et les archives consultables en ligne de la Bibliothque Nationale dÕEspagne signalent soixante-huit occurrences du patronyme ÒSorollaÓ sur la mme priode.118 Au printemps 1900, le journal publie les dpches de deux peintres, Luis Jimnez Aranda (1845-1928) et Ulpiano Checa (1860-1916), qui rendent compte, depuis Paris, de la participation des artistes espagnols lÕExposition Universelle. Aprs lÕannonce du succs de Sorolla, le journal continue valoriser son parcours en organisant sa rception Madrid. Jos 115. 116. 117. 118. Aureliano de Beruete, ÒJoaqun SorollaÓ, Hispania, Madrid, 15/06/1901 et Joaqun Sorolla, Madrid, Biblioteca Estrella, 1921. Miss-Teriosa, ÒExposicin de bellas artesÓ, El Da, Madrid, 18/05/1899 ; ÒExposicin de bellas artes : El fallo del juradoÓ, El Da, Madrid, 20/05/1899 et ÒSorollaÓ, [El Da], [Madrid], 7/05/1901. Mara Cruz Seoane et Mara Dolores Saiz, Cuatro siglos de periodismo en Espaa, Madrid, Alianza, 2007, page 133. http://www.bne.es/es/Catalogos/HemerotecaDigital/ I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901 75 Gutirrez Abascal (1852-1907), le directeur du journal, prside un banquet en lÕhonneur du Grand Prix de lÕExposition Universelle, le lundi 11 juin 1900. CÕest le premier dÕune srie des trois banquets organiss en lÕhonneur du peintre. Le premier runit environ cent trente personnes dont une large majorit dÕartistes tels que Jos et Mariano Benlliure, Ricardo de Madrazo, Jaime Morera y Galicia (1954-1927), Marcelino Menndez Pelayo, Jos Soriano y Fort (18731937), etc. Parmi le reste de lÕassistance, figurent des journalistes de la gauche librale comme Ricardo Blasco (inc.-inc.) de La Correspondencia de Espaa et Augusto Coms y Blanco de Diario de Barcelona, et des hommes politiques : le dput libral Luis Lpez Ballesteros (1869-1933), Ams Salvador Rodrigez (1845-1922), Jos Francos Rodrguez (1862-1931) du Parti Dmocrate ou encore Amalio Gimeno (1852-1936), un partisan du libralisme de Jos Canalejas. Il faut ajouter cette liste un dput rpublicain, Miguel Morayta Sagrario (1834-1917) ainsi que le fils homonyme de Cristino Martos (1830-1893).119 Le second banquet est organis Valence le 1er aot 1900, en hommage Sorolla et Mariano Benlliure, les deux artistes mdaills Paris.120 Le banquet clture les festivits commences le 28 juillet. Le peintre et le sculpteur sont tout dÕabord levs au rang de citoyens dÕhonneur de la ville par le maire Jos Montesinos Checa (inc.-inc.). La ÒPlaza de la PelotaÓ est rebaptise ÒPlaza de Mariano BenlliureÓ et la ÒCalle de las BarcasÓ devient ÒCalle del pintor SorollaÓ.121 Quelques jours plus tard, le Club Maritime du Cabaal convie les deux artistes un banquet auquel participent les crivains Joaqun Dicenta (18621917), Manuel Passo (1864-1901) et les figures politiques de la ville, de gauche comme de droite : Vicente Blasco Ibez ainsi que les dputs conservateurs Teodoro Llorente et Francisco Peris Mencheta (1844-1916). Le journaliste et homme politique est un intime du roi Alphonse XIII, dont il couvre les dplacements pour La Correspondencia de Espaa. LÕt 1900 passera la postrit comme une des pages les plus marquantes de lÕhistoire de la cit 119. 120. 121. Alejandro Saint-Aubin, ÒArte y artistasÓ, Heraldo de Madrid, Madrid, 11/06/1900 ; Anonyme, ÒEn honor de SorollaÓ, La Unin Democrtica, Alicante, 14/06/1900 et Csar Gnzalez Ruano, ÒLos dos Cristinos Martos y su tiempoÓ, La Vanguardia, Barcelone, 16/03/1944. Anonyme, ÒBenlliure y SorollaÓ, La Correspondencia de Valencia, Valence, 2/08/1900. Anonyme, ÒSorolla y BenlliureÓ, [El Pueblo], [Valence], 29/07/1900 I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901 76 levantine qui continue, aujourdÕhui, dÕen fter lÕanniversaire.122 Cent ans plus tard, le Muse San Po V accueillera une exposition intitule Mariano Benlliure y Joaqun Sorolla. Centenario de un homenaje.123 En toute logique, Heraldo de Madrid consacre une importante couverture lÕExposition Nationale de 1901 car la rforme du concours laisse prsager une large victoire de Sorolla qui est le seul prtendant la Mdaille dÕHonneur. Aprs lÕannonce du rsultat, le 6 mai, un cortge improvis, compos de journalistes et dÕadmirateurs du peintre, prend le chemin de son atelier pour lui faire part de la nouvelle et recueillir ses premires impressions. Parmi eux se trouve Jos Canalejas, le fondateur du journal, qui va devenir ministre de lÕAgriculture, de lÕIndustrie et du Commerce au sein du cabinet form par Sagasta, en mars 1902. Le 7 mai, Heraldo de Madrid est le premier journal annoncer lÕattribution de la Mdaille dÕHonneur Sorolla car Alejandro Saint-Aubin, son secrtaire, fait partie du jury tendu une centaine dÕartistes.124 Deux jours plus tard, le 9, le journal organise le troisime banquet, Madrid.125 Cette fois, le ministre de lÕInstruction Publique et des Beaux-Arts, le comte de Romanones, prside luimme lÕassemble aux cts de Jos Canalejas. Trois crivains de la gauche rpublicaine, Benito Prez Galds (1843-1920) Joaqun Dicenta et Jacinto Octavio Picn, participent ce rassemblement des amis du peintre. En 1903, Picn sera lu dput sous les couleurs de lÕUnion Rpublicaine aux cts de trente-cinq autres, dont Joaqun Costa (1846-1911) et Nicols Salmern (18381908). Les divers hommages offerts Sorolla, tant Madrid quÕ Valence, rassemblent une majorit de personnalits de gauche, de sorte que, si les convictions personnelles du peintre rejoignent, cette poque, celles de ses amis, sa couleur politique doit se situer quelque part entre le rpublicanisme de Blasco Ibez et le monarchisme dmocratique de Canalejas mme si aucun document nÕtaye cette supposition. Le peintre ne sÕest jamais exprim publiquement sur sa filiation politique, certainement pour ne pas sÕaliner une partie de sa riche 122. 123. 124. 125. Vicente Vidal Corrella, ÒSorolla y Benlliure en la Feria de 1900Ó, Las Provincias, Valence, 30/07/1961. Mariano Benlliure y Joaqun Sorolla. Centenario de un homenaje, Valence, Generalitat Valenciana, 2000. Alejandro Saint-Aubin, ÒArte y artistasÓ, Heraldo de Madrid, Madrid, 7/05/1901. Alejandro Saint-Aubin, ÒEn los Viveros. Banquetes de hoyÓ, El Heraldo, Madrid, 10/05/1901. I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901 77 clientle. Cela ne veut pas dire quÕil nÕa pas dÕopinion politique, bien au contraire. LÕcrivain Po Baroja fera un court portrait du peintre dans lequel il dcrira un homme trs intelligent et qui, sur le plan politique, avait les ides trs claires.126 Mais Sorolla nÕadhre aucun parti et sait, semble-t-il, se maintenir lÕcart des cercles si lÕon en croit plusieurs sources concordantes dont fait partie ce tmoignage du cramiste valencien Manuel Gonzlez Mart (1877-1972) : En Valencia careca de tertulia [É] En Madrid, las tertulias, no muy nutridas, las tena los domingos, por la maana de 12 a 2; periodistas literatos compaeros; porque durante los das de la semana, el criado tena la consigna: El seor est trabajando y no recibe.127 Contrairement dÕautres artistes de sa gnration tels que Santiago Rusiol, Jos Gutirrez Solana, Cecilio Pl (1860-1934), Ricardo Baroja (1871-1953) et beaucoup dÕautres, Sorolla nÕest pas un intellectuel. Il ne sÕexprime quasiment jamais sur des sujets dÕordre public et ne signe que trois textes diffuss dans la presse : un article consacr au peintre sudois Anders Zorn, un hommage posthume au peintre Jos Benlliure Ortiz (1884-1916) Ð communment dsign sous ses diminutifs Peppino ou Pepito Ð, le fils de son ami Jos Benlliure Gil, et une lettre ouverte adresse au quotidien La Correspondencia de Valencia, concernant lÕdification dÕun Palais des Arts Valence.128 Mais ces textes sont-ils bien de lui ? Rien nÕest moins sr. DÕautres crits ne peuvent plus lui tre attribus aujourdÕhui. LÕcrivain Azorn (1873-1967) affirme avoir compos sa place une prface pour lÕexposition dÕun peintre amricain et cÕest un homme politique, Amalio Gimeno (1852-1936), qui pourrait tre le vritable auteur de son 126. 127. 128. Po Baroja, Desde la ltima vuelta del camino: memorias. IV. Galera de tipos de la poca, Madrid, Biblioteca Nueva, 1952. Pelejero, ÒUsted que conoci a Sorolla, dganos Àcmo era?Ó, Levante, Valence, 17/09/1959. Voir aussi Vicente Blasco Ibez, ÒCrnica artstica. SorollaÓ, El Pueblo, Valence, 5/06/1897 et, enfin, Lon Roch, ÒJoaqun SorollaÓ, La Ilustracin Artstica, Barcelone, 2/07/1900. Ç Ë Valence, il manquait de relation. Ë Madrid, il frquentait des cercles, pas trs frquents, les dimanches matin de midi deux heures ; journalistes, hommes de lettres, camarades ; car durant la semaine, le gardien avait la consigne suivante : Monsieur est en train de travailler et ne reoit pas. È Joaqun Sorolla y Bastida, ÒApunte sobre ZornÓ, La Lectura, Madrid, 1903. ÒPepito BenlliureÓ, Rosas y Espinas, Valence, 10/1916 et ÒCarta abiertaÓ, La Correspondencia de Valencia, Valence, 20/12/1916. I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901 78 discours dÕinvestiture lÕAcadmie Royale de San Fernando.129 Tous les titres ÒlittrairesÓ de ses tableaux thse sont souffls par des tiers. Vicente Blasco Ibez dcouvre probablement ÁAn dicen que el pescado es caro! et cÕest au docteur Luis Simarro que lÕon doit les titres Triste herencia et Trata de blancas.130 Sorolla ne publie aucun livre, ne prononce aucun discours et refuse mme de prendre la parole devant un auditoire. Ë lÕoccasion dÕun banquet, Jos Canalejas lui vite soigneusement cette peine par une pirouette reste clbre : Ç no necesita hablar el que tan admirablemente pinta. È131 Il ne possde ni la formation acadmique ni la culture suffisante pour occuper lÕespace public de cette faon.132 CÕest en tant quÕartiste de rang international quÕil sÕattire la sympathie dÕune partie des lites intellectuelles du pays car il incarne la fois la nouvelle gnration, la rnovation artistique, mais aussi la russite au plus niveau. Tous ces aspects de son parcours sont favorablement accueillis par les partisans dÕun certain ÒrformismeÓ politique car ils font cho leurs propres engagements. Cette identification orientera leur manire de lire ses tableaux. On sÕintressera donc ici la vision des rpublicains qui, naturellement, identifirent leurs luttes sa peinture de la dnonciation sociale. Le principal tableau de cet ensemble, Triste herencia, donnera lieu de nombreuses lectures, ainsi quÕon va le voir maintenant. On a cit prcdemment un article du Valencien Vicente Blasco Ibez, une des figures les plus emblmatiques de ce groupe, en particulier parce quÕil dirigeait El Pueblo. Journaliste, romancier et homme politique farouchement 129. 130. 131. 132. Azorn (Jos Martnez Ruiz), Obras selectas, Madrid, Biblioteca Nueva, 1943, page 156 et Florencio de Santa-Ana, ÒSorolla en el contexto de la pintura valenciana de su tiempoÓ in Conocer el Museo Sorolla, Diez aportaciones a su estudio, 1986, pages 5-12. Hiplito To, ÒSorolla era en la intimidad un hombre cariosoÓ, Las Provincias, Valence, 17/04/1960. Anonyme, ÒEn los Viveros. Banquetes de hoyÓ, Heraldo de Madrid, Madrid, 10/05/1901. Ç Celui qui peint si admirablement nÕa pas besoin de parler. È On peut consulter ce sujet un entretien accord par Sorolla la revue Por esos Mundos, dans lequel on peut lire : - ÀEstudi usted alguna carrera?... La de pintor, Áno le digo!... en vez de aprender a leer y escribir, yo pintaba monos, y de tal manera me dediqu yo a la pintura, que abandonaba cualquiera otra instruccin. ÁCon decir a usted que hoy es y me cuesta trabajo ser correcto ortogrficamente! Y es que nosotros quisiramos hablar con los colores. [É] in El Duende de la Colegiata, ÒSorollaÓ, Por esos Mundos, Madrid, [1913]. Ç - Avez-vous fait des tudes ?... - Celles de peintre, quelle histoire !... au lieu dÕapprendre lire et crire, moi je peignais des singes et je me suis tellement consacr la peinture que jÕai nÕglig tout autre enseignement. Sachez quÕil mÕest aujourdÕhui difficile de ne pas commettre de fautes dÕortographe ! Parce que nous, nous voulions parler avec les couleurs. È I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901 79 anticlrical et antimonarchiste, lu six fois dput sur les bancs rpublicains entre 1898 et 1908, il est plusieurs fois emprisonn puis amnisti. La relation entre Blasco et Sorolla est aujourdÕhui plus clbre que connue, car les sources manquent, un point sur lequel on reviendra dans le chapitre consacr au franquisme. La bibliographie, en revanche, ne manque pas. La tentation dÕassocier le peintre et lÕcrivain a souvent conduit les critiques des conclusions htives tel point quÕils ont fini par forger une lgende selon laquelle les deux Valenciens auraient t unis par toutes sortes dÕaffinits : personnelles, artistiques et mme politiques.133 Les mmes sources reviennent cÕest--dire les articles de presse de Blasco Ibez et la prface dÕune rdition de Flor de mayo publie en 1923, lÕanne de la mort du peintre. On peut y lire par exemple : Ç Trabajamos juntos, l en sus lienzos, yo en mi novela, teniendo enfrente al mismo modelo. As se reanud nuestra amistad, y fuimos hermanos, hasta que hace poco nos separ la muerte. Era Joaqun Sorolla. È134 Blasco et Sorolla se sont rencontrs tardivement, contrairement une ide reue, dont lÕorigine se trouve, selon toute vraisemblance, dans cette prface. LÕcrivain y consigne en effet le bref tmoignage suivant : Ç Este pintor y yo nos habamos conocido de nios, perdindonos luego de vista. Vena de Italia y acababa de obtener sus primeros triunfos. È135 Selon lÕhypothse la plus crdible, les deux hommes auraient t prsents par un ami commun en 1894, lÕanne de la fondation dÕEl Pueblo.136 Le peintre a alors trente et un ans, et lÕcrivain vingtsept. Il faut souligner que Sorolla vit Madrid depuis dj quatre ans et quÕen dehors de courts sjours, il nÕa pas rsid Valence depuis son dpart pour Rome 133. 134. 135. 136. Amalio Gimeno, ÒLlorente, Blasco Ibez, Sorolla y BenlliureÓ, El Liberal, Madrid, 07/1924. J. Bort-Vela, ÒSorolla y Blasco Ibez, glorias seeras de ValenciaÓ, El Pueblo, Valence, 3/01/1934. Len Roca, ÒCmo conoci Blasco Ibez a SorollaÓ, Levante, Valence, 16/10/1959. Emilio Gasco Contell, ÒLas playas de Sorolla y de Blasco IbezÓ, ABC, Madrid, 29/09/1965. Francisco Cars, ÒBlasco y Sorolla inventaron la MalvarrosaÓ, Arte y Libertad, Valence, 3/05/2007 ainsi que cet article prtention scientifique : Andrs Ubeda de los Cobos, ÒSorolla y el escritor Blasco IbezÓ in Conocer el Museo Sorolla. Diez aportaciones a su estudio, Madrid, Ministerio de Cultura, 1986, pages 47-54. Vicente Blasco Ibez, Flor de mayo, Valence, Prometeo, 1923, page 10. Ç Nous travaillions ensemble, lui ses toiles, moi mon roman, face au mme modle. CÕest ainsi que nous avons renou amiti, et nous avons t des frres, jusquÕ ce quÕil y a peu la mort nous spare. CÕtait Joaqun Sorolla. È V. Blasco Ibez, Flor deÉ page 10. Ç Ce peintre et moi, nous nous tions connu plus jeunes, avant de nous perdre ensuite de vue. Il arrivait dÕItalie et venait dÕobtenir ses premiers triomphes. È Extraits du journal intime de Archer M. Huntington in Sorolla y la Hispanic Society. Una visin de la Espaa de entresiglos, Madrid, Museo Thyssen Bornemisza, 1999, page 377. I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901 80 en 1885. Comment, dans ce cas, traduire ÒnioÓ ? Blasco veut-il parler des jeunes hommes quÕils taient tous deux en 1894, ou fait-il allusion une rencontre antrieure, durant leur enfance ou leur adolescence ? Son propos est suffisamment flou pour laisser entendre les deux choses. Sorolla nÕa jamais prtendu lÕavoir rencontr durant son enfance, dÕailleurs Blasco Ibez appartenait une classe sociale trs suprieure la sienne. En tant quÕartiste, Sorolla a dÕabord recherch la protection de la bourgeoisie de la ville. Ses premiers ÒprotecteursÓ et mcnes sont le marquis de Villagracia, Luis Santoja Crespo (inc.-inc.), et le photographe Antonio Garca y Peris.137 Ces hommes ont plus dÕargent, de relations, de pouvoir et dÕexprience que lui. Ce nÕest pas le cas de Vicente Blasco Ibez et tout porte croire que Sorolla ne cherche pas se rapprocher du jeune journaliste. Lui-mme est dj connu Madrid et ce nÕest pas encore le cas du romancier nophyte. Il vient de dominer lÕExposition Nationale en Òpeintre thseÓ, au printemps 1894, et il prpare un tableau pour le Salon parisien, La vuelta de la pesca, alors que Blasco Ibez vient tout juste de publier son premier roman, Arroz y tartana. Inspir des conflits de classe Valence, le livre parat sous la forme de roman-feuilleton en 1894, dans El Pueblo. Pour lÕhistorien de lÕart Julin Gallego (1919-2006), le personnage de lÕenfant abandonn sur le march par son pre, un immigr aragonais, pourrait avoir t calqu sur lÕhistoire du pre de lÕartiste, Joaqun Sorolla Gascn.138 Quand il rencontre Sorolla, Blasco ne travaille pas encore son second ouvrage, Flor de mayo (1895). Ë cette poque, le jeune crivain observe son compatriote travers le prisme de ses propres ambitions. Il considre que son an est la peinture ce quÕil entend devenir lui-mme la littrature, cÕest--dire un artiste engag, libre et insoumis, des ides que lÕon retrouvera ensuite chez dÕautres rpublicains tels que Rodrigo Soriano, Jos Cintora Prez, Flix Azzati (1874-1929) ou Roberto Castrovido y Sanz (1864-1941). Ce dernier semble convaincu que Sorolla est un artiste rebelle qui sÕest rendu coupable dÕune trahison impardonnable en enlevant la plus haute rcompense de lÕExposition Universelle. Dans un article intitul ÒLa lucha por la medallaÓ, il voque la fois son indpendance et son insubordination vis--vis de ses pairs : 137. 138. Blanca Pons-Sorolla, Joaqun Sorolla. Vida y obra, Madrid, Fahah, 2001, page 56. Julin Gallego, ÒBocetos de una vida de pintorÓ in Paisajes de Granada de Joaqun Sorolla, Grenade, Fundacin Caja de Granada, 1997, page 15. I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901 81 Antes de abrirse la Exposicin ya saba de memoria lo que se iba a decir y a escribir contra el premiado en Pars. ÁOh! Àcmo le iban a perdonar ese desacato los acadmicos, los lamidos, los fracasados? Devoraron entonces la hiel y vinagre de su envidia, se les meti dentro el pus de su impotencia; pero ah estn ahora fieros, terribles, los gozquecillos convertidos en tigres, evitando que a Sorolla se le d lo que merece: la medalla de honor. 139 On retrouve dans ce passage lÕopposition entre la France et lÕEspagne. En effet, Castrovido sÕattache dmontrer lÕinfriorit de lÕExposition Nationale espagnole par rapport son quivalent franais et il faut rappeler ici que pour les rpublicains espagnols la IIIe Rpublique est le modle politique suivre. En filigrane, la comparaison sÕtend donc aux rgimes en vigueur dans les deux pays : la monarchie alphonsine et la IIIe Rpublique franaise. Blasco affirme dÕailleurs sans hsitation : Ç El aplauso extranjero es el que ms vale y ms ruidosamente suena. È140, en faisant allusion deux Rpubliques, la France et lÕArgentine car, partir de 1897, Sorolla coule ses tableaux avec succs Buenos Aires par lÕintermdiaire de Jos Artal (1862-1918), un marchand espagnol tabli dans cette ville.141 Plus dÕun aspect du parcours, et de faon plus globale, du pass du peintre, font cho des luttes menes par ces hommes, en particulier celle pour lÕgalit des chances. Les origines sociales de Sorolla sont modestes et il gravit un un les chelons dÕun parcours qui ne fait pas de distinction de classe. Dans sa peinture, la population laborieuse Ð travailleurs de la mer et des champs Ð occupe une place prpondrante puisquÕelle lui inspire les sujets de la plupart de ses tableaux Ò concoursÓ. Il ralise, par exemple, une srie reprsentant les activits des pcheurs ou encore lÕlaboration des raisins secs Jvea, un village de la cte valencienne. 139. 140. 141. Roberto Castrovido, ÒLa lucha por la medallaÓ, Heraldo de Madrid, Madrid, 05/1901. Ç Avant lÕouverture de lÕExposition, je savais dj par cÏur ce qui allait tre dit et crit au sujet du Grand Prix de Paris. Ah ! Comment ces acadmiciens, ces vendus, ces rats allaient-ils lui pardonner cet affront ? Ils dvorrent alors le fiel et le vinaigre de leur jalousie, ils avalrent le pus de leur impuissance ; mais les voil maintenant changs en btes froces, terribles ; de petits roquets, ils sont devenus tigres, et font en sorte que Sorolla nÕobtienne pas ce quÕil mrite : la mdaille dÕhonneur. È Vicente Blasco Ibez, ÒSorollaÓ, El Pueblo, Valence, 5/06/1897. Ç Les applaudissements trangers sont ceux qui ont le plus de valeur et font le plus de bruit. È On peut voir ce sujet Los Salones Artal. Pintura espaola en los inicios del siglo XX, Madrid, Ministerio de Cultura, 1995 et Ramn Garca Rama, ÒHistoria de una emigracin artsticaÓ in Otros emigrantes. Pintura espaola del Museo Nacional de Bellas Artes de Buenos Aires, Salamanque, Caja Salamanca y Soria, 1995, pages 17-45. I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901 82 De mme, sa peinture Ò thseÓ prend le parti de montrer crment les conditions de vie des couches infrieures de la socit, notamment celles des pcheurs dans ÁY an dicen que el pescado es caro! Dans les colonnes de la presse rpublicaine, la vie de Sorolla finit par ressembler une saga car certains de ses aspects ont t non seulement mis en avant au profit dÕautres, mais aussi le plus souvent amplifis et dforms. Orphelin de pre et de mre, recueilli par des gens modestes, le garon deviendrait un des plus grands peintres du monde et peindrait indiffremment les petits et les puissants, peut-on lire dans The New York Times qui crit au sujet de lÕEspagnol lÕanne de son exposition newyorkaise : Ç Painter of splendors and squalors, of fishermen, peasants, and Kings È, Ç Peintre des splendeurs et des misres, des pcheurs, des paysans et des rois. È.142 Aux tatsUnis, lÕincroyable ÒsuccessÕstoryÓ de lÕorphelin devenu riche et clbre passionnera tellement quÕelle contribuera au succs de ses deux expositions itinrantes. En Espagne comme lÕtranger, lÕenfance de Sorolla est gnralement place sous le signe de lÕadversit et souvent rapporte avec des accents misrabilistes et / ou piques comme le montre une biographie illustre publie dans la revue Blanco y Negro, en 1919 : Ç Sus padres adoptivos quisieron dotarle de medios para que siguiese los estudios de la pintura ; lucharon con la pobreza, y sta hubiera vencido si la fortuna no vuelve al lado de Sorolla, despus de haberle castigado con tanta crueldad la desgracia. È143 Cette image toute faite, forge autour de 1900, traversera les poques et les frontires et connatra mme un nouvel ge dÕor sous la Seconde Rpublique, ainsi quÕon le verra plus avant. On y retrouve, comme une constante, la valeur du travail qui est perue comme la seule rcompense juste. De ses origines sociales et de sa formation initiale dans lÕatelier de lÕoncle, Sorolla tirerait sa lgendaire assiduit la tche. Un journaliste de La Ilustracin Nacional dcrit le peintre comme un besogneux, vivant loin du monde, reclus dans son atelier. Selon lui, il tirerait sa ÒnoblesseÓ de cet asctisme et, en plagiant Voltaire, il estime que Sorolla, comme le plbien mritant, ÒporteÓ 142. 143. Elizabeth Newport Hepburn, ÒSorollaÓ, The New York Times, New York, 6/03/1909. La mme ide est reprise par Silvio Lago [ÒSorolla y los niosÓ, La Esfera, Madrid, 1/01/1927], Rafael Domnech, ÒJoaqun SorollaÓ, Blanco y Negro, Madrid, 27/04/1919. Ç Ses parents adoptifs ont voulu lui donner les moyens de suivre la formation de peintre, ils luttrent contre la pauvret et elle aurait triomph si la bonne fortune nÕtait pas revenue aux cts de Sorolla, aprs que le malheur sÕest abattu avec tant de cruaut. È I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901 83 son nom, alors que le noble, qui ne possde aucun talent, le ÒtraneÓ.144 En 1899, Rodrigo Soriano consacre un article Triste herencia, un tableau connu cette poque sous son premier titre, Los hijos del placer. 145 En tant que critique dÕart, Soriano collabore avec des journaux de tous bords, du conservateur La poca, ses dbuts, jusquÕau journal rpublicain El Pueblo. Selon Blasco Ibez, le tableau nÕaurait jamais vu le jour si le peintre nÕavait pas reu le soutien de ses amis rpublicains.146 LÕcrivain raconte quÕaprs avoir peint les premires bauches, Sorolla tait sur le point dÕabandonner sa toile car il la trouvait beaucoup trop sombre et contraire son temprament. Mais au cours dÕun repas chez le conseiller municipal Francisco Garrido (inc.-inc.), Rodrigo Soriano, Roberto Castrovido et lui-mme, russissent le convaincre de persvrer en vantant la porte sociale de son projet. Dans un article publi dans le quotidien rpublicain, Rodrigo Soriano sÕattache tout dÕabord relever une parent entre la peinture sociale de Sorolla et le naturalisme de quatre crivains, Benito Prez Galds, Jacinto Octavio Picn, Emilia Pardo Bazn (1851-1921) et Armando Palacio Valds (1853-1938). Selon lui, la conscience sociale du peintre affleure dans la vrit de son dessin. Il fait rfrence la non idalisation des corps mutils, dforms par les malformations congnitales ou dcharns par la malnutrition et la maladie. Jos Cintora Prez pousse encore plus loin lÕinterprtation de ce tableau. Selon lui, le corps souffrant de lÕenfant infirme reflte lÕtat du corps social dans son ensemble : Pero el poeta, el artista, el pensador, ve en el espectculo que ofrecen esas infelices criaturas, esos seres raquticos, anmicos, escrofulosos, deformes, que muestran desnuda toda la realidad de una espantosa miseria fisiolgica, algo ms hondo y ms trascendental. Ve all en esos cuerpecillos entecos, de miembros desproporcionados, de configuracin repulsiva y antiesttica, la imagen viviente, exacta, desconsoladora, horripilante de las desigualdades, los vicios, las deformidades del gran cuerpo social.147 144. 145. 146. 147. ÒEscena de la costaÓ, La Ilustracin Nacional, Madrid, 18/04/1898. Rodrigo Soriano, ÒLos hijos del placerÓ, El Pueblo, Valence, 4/11/1899. Vicente Blasco Ibez, ÒEl gran SorollaÓ, El Pueblo, 1900. Jos Cintora, ÒEl cuadro de SorollaÓ, [Heraldo de Madrid], [Madrid], 05/1901. Ç Mais le pote, lÕartiste, le penseur, voit dans le spectacle quÕoffrent ces malheureux petits, ces tres rachitiques, anmiques, scrofuleux, difformes, qui mettent nue toute la ralit dÕune pouvantable misre physiologique, quelque chose de plus profond et de plus transcendantal. Il voit dans ces petits corps chtifs, aux membres disproportionns, dans I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901 84 Bien que trs postrieure, il faut ajouter aux prcdentes une autre interprtation de ce tableau, tire dÕun article de Flix Azzati. Ce Valencien dÕorigine italienne participa la fondation dÕEl Pueblo. De 1908 1923, il sera dput rpublicain pour la circonscription de Valence. Il publiera un article au lendemain de la mort du peintre, dans lequel on peut lire : Ç Su cuadro ÁAn dicen que el pescado es caro! tiene el sabor trgico del proletariado del mar. [É] Al lado de esta maravillosa accin imprecatoria del arte ha de figurar forzosamente su otro cuadro Triste herencia que no es sino la traduccin de una sensibilidad en la que palpitan todas las protestas y todas las rebeldas. È148 Pour Azzati, les deux tableaux tmoignent de lÕengagement du peintre en faveur dÕune socit plus quitable et plus juste, une position conforme ses propres convictions idologiques. Lors du banquet valencien dÕaot 1900, dont il a t question prcdemment, lÕcrivain partisan du rpublicanisme Joaqun Dicenta rdige un court pome dans lequel il imagine runir entre ses mains les talents conjugus du sculpteur et du peintre afin de mieux les mettre la disposition dÕune plus grande justice sociale. Il entend faonner ainsi ce quÕil considre comme son chefdÕÏuvre, cÕest--dire Ç un monde sans infamies È : ÁLas manos de Benlliure y de Sorolla! ÁQuin estas manos manejar pudiera Para servir a la justicia humana Y poner en accin a las ideas!... Si yo las poseyese, si esos msculos Que al arte rediviven y encadenan, Pudiera ser clarn de mis deseos Y ejecutar lo que mi anhelo intenta, Yo hara algo sublime, Una obra justa colosal, eterna. ÀCul? Modelar un mundo sin infamias Y pintar una patria sin fronteras.149 148. 149. cette complexion repoussante et anti-esthtique, lÕimage vivante, exacte, alarmante, exasprante des ingalits, des vices, des difformits du grand corps social. È Flix Azzati, ÒEntierro de Joaqun SorollaÓ, El Pueblo, Valence, 14/08/1923. Cit par Julio Just Jimeno, ÒEl seor de la chisteraÓ, El Pueblo, Valencia, 14/08/1923. Ç Les mains de Benlliure et de Sorolla ! / Qui de ces mains pourrait faire usage / Afin de servir la justice des hommes / Et mettre les ides en action !... / Si je le pouvais moimme, si ces muscles / qui pour lÕart ressuscitent et en brisent les chanes / Je pourrais I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901 85 Les intentions artistiques qui traversent la peinture de Sorolla rejoignent les ides de justice et dÕgalit sociale que Vicente Blasco Ibez et Rodrigo Soriano dfendent depuis les bancs de lÕopposition. Par ailleurs, la prsence de sujets rgionaux dans plusieurs tableaux prsents lÕtranger, alimente lÕide de son adhsion intellectuelle et de sa volont de promouvoir un certain ÒvalencianismeÓ, qui leur tait si cher. Hors des frontires du pays, la russite artistique de ÁAn dicen que el pescado es caro !, La vuelta de la pesca, Pescadores valencianos, La bendicin de la barca, ou encore de Triste herencia, etc. ne dmontre-t-elle pas, ds lors, la valeur politique des ides portes par les rpublicains de Valence ? Inversement, lÕchec de ces mmes toiles, en Espagne, ne signifie-t-elle pas lÕinertie de ce pays et lÕhostilit de ses dirigeants leurs propositions dans le domaine social ? exprimer mes dsirs / Et excuter le fruit de ma volont / Je ferais quelque chose de sublime, / Une Ïuvre juste, colossale, ternelle. / Laquelle ? Modeler un monde sans infamies / Et peindre une patrie sans frontire. È II. Le march de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923 86 II LE MARCH DE LÕART : U N P ARC O URS DE LA CON T EST A T IO N 1902 - 1923 Joaqun Sorolla nÕa pas encore quarante ans, mais il a dj remport les deux plus belles rcompenses auxquelles il pouvait prtendre cÕest--dire le Grand Prix de lÕExposition Universelle et la Mdaille dÕHonneur de lÕExposition Nationale. Son parcours acadmique est dsormais clos. Dans la deuxime moiti de lÕanne 1901, il ne cherche obtenir aucune charge officielle, ce qui constitue, dans lÕEspagne de la Restauration, un fait assez rare pour tre relev. En effet, pour assurer leur avenir matriel, les artistes recherchent la scurit dÕun poste dÕenseignement ou dÕadministration dans telle ou telle institution des Beaux-Arts, par exemple lÕAcadmie Espagnole de Rome, lÕAcadmie Royale des BeauxArts de San Fernando ou la Direction Gnrale des Beaux-Arts. En octobre 1901, la mort de Luis çlvarez Catal (1841-1901), directeur du Muse du Prado, rend possible sa nomination cette charge. Ë Madrid, lÕide est Òdans lÕairÓ, comme le montrent les inquitudes de Sorolla ce sujet. Dans une lettre adresse son ami Pedro Gil Moreno de Mora (1860-1930), il crit : Ç Hasta la fecha nada se sabe de la direccin del Museo, yo preferira que no me obligasen a ello pues es cargo de responsabilidad y no podra trabajar libremente. È1 Le comte de Romanones confie le poste un autre peintre, lÕAndalou Jos Villegas qui dirige depuis quatre ans lÕAcadmie Espagnole de Rome et Mariano Benlliure est nomm la place vacante.2 En choisissant de se consacrer pleinement son art, Sorolla tente un pari risqu car il assurera son avenir matriel tant que sa peinture correspondra aux 1. 2. Facundo Toms, Felipe Garn, Isabel Justo et Sofa Barrn, Epistolarios de Joaqun Sorolla. I. Correspondencia con Pedro Gil Moreno de Mora, Barcelone, Anthropos, 2007, page 158. Ç Ë ce jour, personne ne sait rien de la direction du Muse, moi je prfrerais quÕon ne mÕoblige pas lÕaccepter car cÕest une fonction responsabilit et je ne pourrais pas travailler librement. È çngel Castro Martn, ÒJos Villegas: vida y obraÓ in Jos Villegas (1844-1921), Cordoue, Cajasur, 2001, page 79. II. Le march de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923 87 besoins dÕun march, ou au moins dÕun ou de plusieurs riches clients. Pour couler ses tableaux, il peut compter sur le constant accroissement du march de lÕart sur le continent amricain puisque cÕest hors dÕEurope que les perspectives de gain sont dsormais les plus intressantes. Sorolla le sait et envoie dj des toiles au Chili, en Argentine et Cuba. Plus tard, sa peinture se vendra aussi aux tats-Unis. La fin de sa carrire acadmique concide exactement avec lÕavnement dÕAlphonse XIII, un roi g de seize ans en 1902. Sous son rgne, le Classicisme disparat compltement et la peinture de Òplein airÓ entre dans les acadmies des Beaux-Arts. Dans ce contexte nouveau, les difficults que Sorolla a rencontres, quelques annes auparavant, semblent dfinitivement dpasses. Ë la fin de lÕanne 1902, le journal ABC invite ses lecteurs lire leurs personnalits prfres dans le monde de la politique, de la musique, de la littrature, etc. sous la forme dÕun ÒConcours de NolÓ. Prs de deux cent vingt mille bulletins de jeu sont envoys la rdaction du journal et les rsultats sont publis le 20 dcembre. Le torero Antonio Fuentes, qui totalise 23.423 voix, est dsign comme la personnalit prfre des lecteurs, devant le sculpteur Mariano Benlliure, 19.063 voix, et le peintre Sorolla 14.201 voix. Le trio devance le chef libral Prxedes Mateo Sagasta, 13.501 voix, et le musicien Toms Bretn (1850-1923), 10.438 voix, auteur de zarzuelas aussi populaires que La Verbena de la Paloma (1894) et Botn de guerra (1896).3 La nouvelle popularit de Sorolla va de pair avec la reconnaissance de la majorit des artistes. En effet, ds 1904, il est suffisamment lgitime auprs de ses confrres pour prsider le jury de peinture de lÕExposition Nationale. Trois ans plus tard et tout juste vingt ans aprs lÕchec de El entierro de Cristo, Vicente Blasco Ibez constate ce renversement non sans scepticisme. Espaa, aunque no lo parezca a primera vista, ha cambiado totalmente de pensamiento en menos de veinte aos. Este pintor, joven y audaz, que llegaba de Roma con una obra irrespetuosa para los cnones del arte y los seculares convencionalismos de la pintura religiosa, fue acogida con una ÒbroncaÓ 3. Anonyme, ÒNuestro Concurso de NavidadÓ, Blanco y Negro, Madrid, 20/12/1902 et anonyme, ÒUn plebiscito popular hace cincuenta aosÓ, Dgame, Madrid, 9/06/1953. II. Le march de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923 88 monstruosa, inmensa, slo comparable a la que recibe en la plaza de toros un picador que comete el sacrilegio de manejar la garrocha fuera del reglamento. 4 En 1906, Il Giornale dÕItalia considre que Sorolla a guid toute une gnration vers la rnovation de lÕcole espagnole en constatant que, la fin du XIXme sicle, le pays avait accumul tant de retard sur ses voisins europens que le rattrapper semblait alors infaisable : Noi assistiamo, da qualche anno, a una mirabile rifioritura dellÕarte spagnuola. Quando gli ultimi discepoli del Fortuny sembravano immobilizzati in una formula che escludeva ogni nuova ricerca, e i pi grandi pittori della Spagna si perdevano in un virtuosismo in cui la grande abilit di una facile tecnica poteva dare lÕillusione di un vigore che era solo apparente, tutta una nuova generazione ha meravigliato lÕEuropa con un rinnovamento che non sembrava possibile.5 Au sommet de sa gloire, Sorolla est reconnu et admir en Italie, en France, en Autriche, en Allemagne, aux tats-Unis, etc. et ÒenfinÓ Ð devrait-on dire Ð dans son pays dÕorigine, un dnouement que ses soutiens ont recherch tout au long de lÕaffaire de la Mdaille dÕHonneur. Mais on verra que cette rcompense est aussi le point de dpart dÕun parcours de la contestation que lÕon tentera dÕexposer dans ce chapitre. 4. 5. Vicente Blasco Ibez, ÒNieto de Velzquez, hijo de GoyaÓ, La Nacin, Buenos Aires, 3/03/1907. Ç Mme si cela ne saute pas aux yeux premire vue, lÕEspagne a compltement chang de mentalit en moins de vingt ans. Ce peintre, jeune et audacieux, qui arrivait de Rome avec une Ïuvre irrespectueuse envers les canons de lÕart et les conventionnalismes sculaires de la peinture religieuse, fut accueilli sous un monstrueux concert de hues, seulement comparable celui que reoit dans lÕarne le picador qui commet le sacrilge de manier la pique dÕune faon contraire au rglement. È Diego Angeli, ÒIl pensionato artistico spagnuoloÓ, Il Giornale dÕItalia, Rome, 18/02/1906. Ç Nous assistons, depuis quelques annes, une miraculeuse renaissance de lÕart espagnol. Quand les derniers disciples de Fortuny semblaient figs dans une formule qui excluait toute nouvelle recherche, et que les plus grands peintres dÕEspagne se perdaient dans une virtuosit dont lÕhabilet certaine dÕune technique matrise pouvait donner lÕillusion dÕune vigeur qui nÕtait en fait quÕapparente, toute une nouvelle gnration dÕartistes a merveill lÕEurope avec un renouvellement qui ne semblait pas possible. È II. Le march de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923 89 II.1. DE LÕEXPOSITION PETIT A VISION DE ESPAA Ë compter de 1902, deux leviers vont transformer la fois lÕactivit et la peinture de Sorolla : dÕabord le principe commercial de la galerie dÕart, jusquÕen 1908, puis la prdominance, parmi sa clientle, de deux puissants commanditaires : la Maison Royale dÕEspagne et lÕHispanic Society of America de New York. De mme, la perception de son parcours, en Espagne, nÕaurait plus rien voir avec ce quÕelle avait t antrieurement car Sorolla ne montera aucune exposition dans son pays natal. La critique espagnole assistera dsormais de loin la poursuite de sa carrire, laissant la presse trangre et, le cas chant, des correspondants lÕtranger, le soin de ragir chaud. CÕest par tlgramme que les dpches arrivent aux rdactions des journaux espagnols. Le journal ABC fait apparatre au-dessus de ses articles les mentions Òpor telgrafoÓ ou Òpor cableÓ. Enfin, on essaiera de comprendre pourquoi partir de 1912, alors quÕil est g de quarante-neuf ans et quÕil se trouve encore en pleine possession de ses moyens, le Valencien disparat brusquement des colonnes de la presse. En effet, entre 1913 et 1922, la collection de coupures de presse ancienne du Muse Sorolla contient seulement soixante-dix articles, soit sept articles par an6 ! Ce recul par rapport la priode antrieure appelle ncessairement un rexamen de lÕide, communment admise ce jour, selon laquelle le peintre aurait sombr dans lÕoubli seulement aprs sa mort, quelque part entre 1926 et 1930. 1902 est pour Sorolla une anne de transition au cours de laquelle son activit ralentit. En mars, il voyage pour la premire fois en Andalousie avant de prendre la route de Paris puis de Londres car il souhaite contempler in situ la Vens del espejo de Vlasquez, dans les salles de la National Gallery.7 Il a en tte de peindre, sans contrainte, un nu conforme la tradition du genre. Depuis son sjour Rome, il nÕa jamais ralis une telle Ïuvre tout simplement car elle ne correspondait pas au got des Salons officiels. Durant lÕt 1903, il peint un chef dÕÏuvre majeur, Sol de la tarde, un tableau qui aurait pu conclure son parcours acadmique. Il reprend le motif de La vuelta de la pesca en lÕenveloppant dans 6. 7. Voir plus haut le graphique n¡1. Rpartition des archives de presse du Muse Sorolla. Diego Vlasquez, La Vens del espejo, 122Õ5x177, Londres, National Gallery, 16511660. II. Le march de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923 90 une lumire du couchant. LÕcrivain Juan Ramn Jimnez se laissa envot par cette atmosphre qui lui semblait irrelle : Ç La noche llega. El cuadro est ah lleno de sol, lleno de rumor y de espuma. Parece un sueo. È8 Mais Sol de la tarde laisse aussitt la place une peinture de plage qui prend pour sujet principal les enfants au bain. Le Valencien adopte alors un regard trs photographique, base de diagonales, et sÕattache rsoudre sur la toile des problmes techniques lis la reprsentation dÕeffets lumineux et aquatiques. Dans lÕaprs-guerre de Cuba, ces tableaux ne refltent pas le pessimisme dominant et restituent, au contraire, la confiance du peintre en une Espagne renaissante. Comme on le verra plus en dtail dans ce chapitre, sa peinture rejoint les ides dfendues par les membres de lÕInstitution Libre dÕEnseignement. Sorolla part du principe que ses tableaux doivent valoriser ce que son pays a de plus prcieux et de plus digne dÕadmiration cÕest--dire le Territoire Ð les paysages Ð, lÕHistoire Ð les monuments et les coutumes Ð, et le Peuple travers ces enfants sains et heureux en qui il voit lÕavenir de son pays.9 Selon lui, les problmes structurels, conomiques et sociaux, relvent de lÕaction politique quÕil juge seule apte mettre en Ïuvre les solutions les plus adaptes leur nature et il croit le jeune Alphonse XIII capable de rompre avec le pass et dÕinaugurer une re nouvelle, tourne vers le progrs. Le peintre est conscient de lÕimportance des images et il estime que ses toiles doivent accompagner lÕaction politique et ne pas sÕy opposer. Toujours en 1903, Sorolla est nomm acadmicien par lÕAcadmie Royale des Beaux-Arts de Lisbonne. Ë cette occasion, il rencontre le peintre portugais Carlos Reis (1863-1940) auquel il soumet lÕide de fonder une socit artistique ibrique.10 En organisant alternativement des expositions communes, Madrid et Lisbonne, les artistes des deux pays toucheraient une clientle plus large. Sorolla et Reis cherchent vendre des tableaux aux amateurs des deux pays sans aucun intermdiaire. Ce systme pouvait garantir aux artistes une rmunration plus juste et une grande libert de cration. En effet, ces deux habitus des 8. 9. 10. Juan Ramn Jimnez, ÒSol de la tardeÓ, Alma Espaola, Madrid, 13/03/1904. Ç La nuit arrive. Le tableau est rempli de lumire, de bruit et dÕcume. On dirait un rve. È Mara Luis Menndez Robles, ÒSorolla y su idea de EspaaÓ in Sorolla y su idea de Espaa, Madrid, Ministerio de Cultura, 2009, pages 9-23. Caiel, ÒUm grande pintor da actualidade. Uma idea de SorollaÓ, Diario de Noticias, Lisbonne, 13/06/1903. II. Le march de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923 91 concours et des commandes publiques connaissent les contraintes inhrentes lÕactivit dÕun artiste de cette poque. Durant vingt ans, lÕEspagnol avait prpar plusieurs concours par an et avait accept les commandes qui sÕtaient prsentes, y compris celles qui ne correspondaient pas son temprament artistique. Il avait une famille sa charge et toutes les offres bien rmunres taient les bienvenues. En 1890, il avait reu une importante commande du Snat pour un grand format historicocommmoratif reprsentant lÕinstant o la rgente Marie-Christine prte serment la Constitution.11 Cette tche avait t pour notre peintre tout un pensum car la scne devait tre entirement monte en atelier partir dÕbauches. En dcembre 1892, il avait crit son pouse : Ç Yo pinto el cuadro del Senado y va volando; si supieras lo a disgusto que lo hago y lo que es el cuadro me compadecerasÉ È12 cÕest--dire Ç De mon ct, je peins le tableau du Snat et le travail avance vite ; si tu savais de quoi il sÕagit et comme je le fais contre-cÏur, tu aurais piti de moi. È Dans la correspondance prive du couple rcemment publie, ce sujet tait pour Clotilde un motif dÕinquitude car elle connaissait lÕantipathie de son mari pour le genre. Mais le tableau tait bien pay et lÕpouse, qui tenait les comptes du foyer, se montra particulirement attentive au prompt achvement de cette commande. Sa ralisation complte fut cependant interminable, puisque la toile fut livre seulement en 1897. Aprs cela, Sorolla ne cacha pas sa lassitude dÕtre trop souvent soumis des rgles imposes tantt par un commanditaire, tantt par un jury de concours, et il rvait dÕinverser lÕordre des choses. Bien entendu, lÕidal dÕun peintre est de reprsenter le motif quÕil a choisi selon sa propre ide de lÕart. Mais ce qui est possible pour le peintre amateur ne lÕest pas pour le professionnel. Sorolla ne possdait pas de fortune personnelle ; par consquent, cela supposait que sa production ft accepte par le march de lÕart, sans quoi elle resterait dans son atelier et constituerait une pure perte, au sens commercial du terme. Pour donner forme son aspiration, il commence ds 1903 prparer sa premire exposition individuelle, dont il choisit de confier lÕinstallation un marchand parisien. La location des murs dÕune galerie dÕart permet dÕcouler une 11. 12. La jura de la Constitucin por la regente Da. Mara Cristina, 350x550, Madrid, Palais du Snat, 1897. Blanca Pons-Sorolla et Victor Lorente Sorolla, ÒEpistolarios de Sorolla III., Barcelone, Anthropos, 2009, page 60. II. Le march de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923 92 partie des tableaux accrochs dans lÕatelier mais aussi de se faire connatre et dÕobtenir des commandes. Or, ce genre dÕentreprise comporte sa part de risques. Une exposition monographique nÕest pas toujours rentable et Sorolla nÕa, cette poque, aucune exprience en la matire. En France, il peut compter sur la bonne rception de sa peinture car il a obtenu au Salon plus quÕune simple reconnaissance, de La vuelta de la pesca Triste herencia. Expos hors comptition au Salon de 1905, Sol de la tarde avait t trs remarqu. Ç Si lÕartiste nÕtait tranger, il et dcroch la mdaille dÕhonneur È avait alors dclar un journaliste.13 De plus, Paris est alors le meilleur endroit pour monter une exposition dÕenvergure internationale. Deux galeristes, Georges Petit (1856-1920) et Paul Durand Ruel (1831-1922), sÕy disputent le commerce des meilleurs signatures. Le premier possde, rue de Sze, les locaux les plus vastes et les plus modernes de la capitale. CÕest probablement cela qui dcide lÕEspagnol choisir cette adresse. Pour profiter au maximum des grands espaces et donc rentabiliser au mieux son investissement, il envoie environ cinq cent peintures. Or, une telle quantit est trs excessive comme le souligne le critique tienne Charles qui voque, dans La Libert, un ensemble Ç un peu ml. È14 Mais en dpit de ce dfaut, lÕexposition nÕest pas un chec. En effet, le prestige que lÕEspagnol a acquis dans la capitale franaise, quelques annes plus tt, paye. Il compense les lacunes de ce premier essai et lÕexposition est trs rentable. La bourgeoisie parisienne et les collectionneurs amricains investissent car ils voient dans cet artiste cap une valeur sre. Par ailleurs, des peintres franais tablis Paris achtent des tableaux pour leur propre compte. CÕest le cas de Lon Bonnat qui fait lÕacquisition de deux grands formats peints Jvea et Claude Monet achte, semble-t-il, une pochade que nous nÕavons pas russi localiser Giverny et qui serait peut-tre perdue.15 Mais ce succs ne se renouvelera pas, ni en Allemagne ni Angleterre, les pays qui doivent accueillir ses expositions suivantes. LÕexposition allemande est, tout point de vue, un dsastre. En Espagne, elle nÕa pas le moindre cho car aucun correspondant ne se trouve sur place et parce que la presse allemande nÕest pas traduite. Nous nÕavons retrouv aucune photographie de cette exposition parmi la presse trangre conserve au Muse 13. 14. 15. Lon Ple, ÒSorolla y BastidaÓ, Les Annales Politiques et Littraires, Paris, 30/04/1905. tienne Charles, ÒExposition Sorolla y BastidaÓ, La Libert, Paris, 12/06/1906. Alfonso Snchez, ÒY para jardines, SorollaÓ, Informaciones, Madrid, 7/10/1958. II. Le march de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923 93 Sorolla. Au dbut de lÕanne 1907, le peintre confie deux cent quatre-vingts tableaux un marchand allemand qui organise une exposition itinrante Berlin, Dsseldorf et Dresde. Ë nouveau, lÕEspagnol mise sur un pays qui avait favorablement accueilli sa peinture lÕpoque o il participait aux Expositions Internationales car il avait t rcompens deux fois Munich en 1892 et en 1897, et une fois Berlin, en 1896. Le dtail de son envoi nÕest pas connu car il nÕexiste pas de catalogue de cette exposition. En tout tat de cause, la presse allemande conserve dans les archives du Muse Sorolla atteste la mauvaise rception des toiles Outre-Rhin. Le rsultat commercial de lÕentreprise est dsastreux puisquÕun seul tableau est vendu ! Plusieurs raisons pourraient justifier cet chec. Tout dÕabord, Sorolla nÕest pas suffisamment ancr dans le paysage artistique allemand en dpit des trois prix quÕil y avait dcrochs. Ensuite, non seulement il manque cruellement dÕappuis sur place mais un de ses rivaux allemands, Max Liebermann (1847-1935), voit dÕun mauvais Ïil lÕintrusion de lÕEspagnol dans son pays et oriente la critique.16 LÕchec tient enfin son absence sur les diffrents lieux de son exposition. En effet, le peintre ne se rend pas en Allemagne car il vient dÕobtenir une importante commande du Roi Alphonse XIII. Cet vnement concomitant nous oblige bifurquer vers lui avant dÕen venir lÕexposition londonienne. Au dbut de lÕt 1907, Sorolla sÕinstalle Sgovie pour peindre les portraits de lÕInfante Isabelle de Bourbon, du Prince des Asturies, de la reine et du roi qui sjournent au Palais de La Granja de San Ildefonso. Les quatre toiles doivent ensuite rejoindre lÕAngleterre, o elles seraient offertes la famille royale pour commmorer le premier anniversaire de lÕunion entre le roi Alphonse XIII et la princesse britannique Victoria Eugenia de Battenberg.17 Jusque-l, Sorolla nÕa jamais travaill pour la Maison Royale. Il a peint un portrait de la rgente MarieChristine en 1887 pour la Direction Gnrale de la Poste et une scne de serment la Constitution commande par le Snat et livre en 1897. Enfin, il a achev en 1906 un double portrait de la rgente et du jeune Alphonse XIII pour le compte du ministre des Affaires trangres18. Pour ces trois tableaux, les membres de la 16. 17. 18. Anonyme, ÒEine MonsterausstellungÓ, Berliner Tageblatt, Berlin, 1/02/1907. Jordane Fauvey, Joaqun Sorolla, pintor del Rey Alfonso XIII, Besanon, Presses Universitaires de Frenche-Comt, 2009, page 63. Retrato de la reina Mara Cristina, 141x90Õ30, Madrid, Direction Gnrale de la Poste, 1887. La jura de la Constitucin por la regente Da. Mara Cristina, 350x550, Madrid, II. Le march de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923 94 famille royale nÕont pos que pour le photographe. Pour le dernier, le peintre a travaill partir des clichs de Christian Franzen, le photographe de la cour. Les archives de lÕatelier photographique Franzen conservent un portrait indit du jeune Alphonse XIII avec, au second plan, notre peintre accroupi derrire un fauteuil, supervisant la sance.19 Mais en 1907, Alphonse XIII pose et cÕest cette occasion que les deux hommes se rencontrent et se lient dÕamiti. Sorolla a cherch obtenir une commande royale et il y est parvenu grce au marquis de Viana qui est alors un des hommes les plus proches du souverain20. Au moins jusquÕ la fin de son parcours de ÒsalonnierÓ, le Valencien est peru comme un rpublicain, en particulier parce que lÕon connat bien sa peinture sociale et que les rpublicains de Valence sÕidentifient elle. Mais de toute vidence, Sorolla nÕest pas anti-monarchiste Ð lÕa-t-il t jadis ? Ð et partir de sa rencontre avec Alphonse XIII, il donnera de plus en plus de gages de son attachement la personne du roi et dÕun certain patriotisme. Dans les jardins du palais, Sorolla campe ses modles sous la lumire naturelle filtre par la frondaison des arbres. Le roi, tout juste g de vingt-et-un ans, accepte volontiers lÕide dÕun portrait de facture ÒimpressionnisteÓ, frais et dynamique, propre moderniser lÕimage de la monarchie. Sorolla nÕest pas un spcialiste du portrait royal comme lÕest, par exemple, le Hongrois Philip de Lzl (1869-1937) qui a peint les souverains de son temps dans toute lÕEurope, en Angleterre, en Italie, en Espagne, Monte-Carlo, etc. Or, le Valencien est un peintre de la lumire et du mouvement et cÕest justement pour cette raison quÕil peut sÕaffranchir des codes du genre et renouveler lÕimage du roi. Pour la premire fois, un portrait de cour est peint en plein air, entirement sur le motif. LÕvnement est bien couvert par le journal monarchiste ABC qui possde une rubrique mondaine quotidienne intitule ÒDe PalacioÓ.21 Sur place, le photographe Campa, Jos Mara Demaria Lpez (1870-1936), ralise un reportage photographique qui sera ensuite largement diffus par la presse illustre espagnole et trangre. En France, la revue LÕIllustration publie plusieurs clichs et dcrit 19. 20. 21. Palais du Snat, 1897 et La Regencia, dim. inc., Madrid, Ministre des Affaires trangres, 1906. Archives Christian Franzen, Madrid. F4650. Ibidem, J. Fauvey, ÒJoaqunÉÓ, page 56-57. Les archives du journal ABC sont librement accessibles depuis la bibliothque numrique en ligne http//www.hemeroteca.abc.es/. Elles couvrent une priode allant de 1891 nos jours. II. Le march de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923 95 ainsi les sances de pose du roi, en plein air : Ç Quant au Roi Alphonse, il a consacr quelques-unes des heures de loisir que lui laissait cette villgiature poser dans un coin ombreux des jardins: il a confi, en effet, au peintre Sorolla y Bastida, le soin de faire de lui un portrait en grand uniforme, sabre au poing, tte nue. È22 On peut y voir le jeune Alphonse XIII posant en uniforme de hussard mais aucune photographie ne montre Victoria Eugenia de Battenberg posant en extrieur. En effet, la jeune reine sÕest montre trs rtive au projet ÒpleinairisteÓ, obligeant son excutant retoucher continuellement sa toile. Ces rticences, auxquelles personne ne semble alors prter attention, prdisent la mauvaise rception des tableaux la cour britannique. Car lorsquÕils seront prsents au chteau de Windsor, en septembre, les deux portraits seront rejets. LÕeffigie de la nouvelle reine dÕEspagne, dnue des symboles du pouvoir, donnera lieu de violentes critiques, tant et si bien que, depuis Madrid, Alphonse XIII ordonnera en urgence le retrait des tableaux. Sorolla essuiera la premire dÕune srie de dconvenues, bientt suivie par la dconfiture de sa troisime exposition personnelle. LÕexposition londonienne organise au printemps 1908 aux Galeries Graffton est donc un nouvel chec. En mai, The Daily Telegraph sÕinquite de lÕexcs dploy dans les annonces diffuses par les organisateurs. Prsent comme le meilleur peintre du monde, Ç The Greatest Painter of the World È lÕEspagnol est, selon le journal argentin La Prensa, annonc la manire dÕun numro de cirque questre.23 Mais il ne fait aucun doute que dÕautres raisons lies la prparation de lÕexposition ont davantage nui sa russite. Sorolla nÕavait probablement pas tir tous les enseignements de son prcdent chec et il commit plusieurs impairs. Par exemple, il connat mal la demande londonienne. En effet, le got de la classe dominante est tourn vers une peinture dÕatelier beaucoup plus acadmique que la sienne. De plus, la slection prsente manque de cohrence et donc de lisibilit. LÕEspagnol apparat sous le double jour dÕun peintre conventionnel par ses portraits officiels des n¡84 n¡89 du catalogue, et dÕun peintre htrodoxe par ses pochades peintes sur le motif et qui figurent dans le 22. 23. Anonyme, ÒLes souverains d'Espagne au chteau de La GranjaÓ, L'Illustration, Paris, 27/07/1907. Leer, ÒSorolla ExhibitionÓ, The Daily Telegraph, Londres, 5/05/1908 et Ramiro de Maeztu, ÒSorolla en LondresÓ, La Prensa, Buenos Aires, 24/06/1908. II. Le march de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923 96 catalogue sous le titre gnrique Coulour-Notes.24 Sa peinture nÕtant pas connue outre-Manche, elle gagnait tre prsente sous un angle choisi lÕavance et ce ne fut pas le cas. Ë nouveau, Il concde dÕimportantes pertes financires car aucune de ses deux dernires expositions nÕa t rentable. En plus de cela, il doit affronter dÕautres difficults. En effet, la correspondance entre Sorolla et son ami Pedro Gil Moreno de Mora rend compte dÕun litige financier qui lÕoppose aux marchands anglais. En septembre, il nÕa toujours pas russi rcuprer ses tableaux et il crit cet ami : Ç ÁÁÁTemo entrar en un pleito!!! È25, Ç Je crains dÕengager un procs !!! È Au bout du compte, le procs sera vit mais le peintre ne travaillera plus jamais avec les galeries et il est mme probable que sa troisime exposition aurait t la dernire sans lÕimplication, dans sa carrire, de Jos de Saavedra y Salamanca (1870-1927), marquis de Viana. Le Grand-Veneur dÕAlphonse XIII est aussi son homme de confiance. Par son intermdiaire, Sorolla a obtenu sa premire commande de la Maison Royale et a t reu par le roi en personne et les membres de sa famille dans la rsidence dÕt de La Granja de San Ildefonso. Ë Londres, Viana sÕimplique de manire dcisive dans la carrire du peintre en mettant lui-mme au point sa prochaine exposition personnelle. Elle aura lieu huit mois plus tard, lÕHispanic Society of America, une fondation prive inaugure New York en 1904. Afin dÕclairer ce qui suit, il est temps de prsenter succinctement cette institution, dont il a dj t question en introduction, ainsi que son fondateur, Archer Milton Huntington (1870-1955). Cet Amricain n New York est lÕunique hritier dÕun empire industriel et financier comprenant, notamment, les chemins de fer Central Pacific et la compagnie maritime Newport News Shipbuilding and Drydock, en Virginie.26 Il fait partie de ces industriels qui ont tabli des fortunes colossales aprs la Guerre de Scession. rudit, collectionneur et mcne, Huntington 24. 25. 26. Exhibition of Paintings by Sr. Joaqun Sorolla y Bastida, Londres, Grafton Galleries, 1908. Facundo Toms, Felipe Garn, Isabel Justo et Sofa Barrn, Epistolarios de Joaqun Sorolla, I. Correspondencia con Pedro Gil Moreno de Mora, Barcelone, Anthropos, 2007, page 262. Beatrice Gilman Proske, Archer Milton Huntington, New York, HSA, 1965, page 17. Ç Ne manquez pas lÕoccasion qui sÕoffre vous dÕenvoyer vos Ïuvres New York en comptant sur lÕestime que vous porte Mister Archer Huntington : ce monsieur me dit que vous ne vous occuperez de rien, que lui se chargera de tout, frais en tous genres, assurancesÉ et vous, vous nÕaurez quÕ donner lÕautorisation dÕexposer vos tableaux. È II. Le march de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923 97 finana de nombreux projets culturels, scientifiques et pdagogiques dont le plus important fut la cration dÕune fondation musale ddie au monde hispanique. En 1908, le riche Amricain ne rencontre pas Sorolla ainsi que cela a t dmontr rcemment grce la publication du journal intime de Huntington.27 En revanche, il entre en contact avec le marquis de Viana, ainsi que le prouve une lettre dans laquelle ce dernier prsente au peintre le projet dÕune exposition New York dont il a pralablement convenu des dtails matriels avec le mcne amricain28 : [É] no desperdicie la ocasin que se le presenta a Vd. de llevar sus obras a New-York con el apreciamiento de que le hace Mr. Archer Huntington : este seor me dice que de nada tendr Vd. que ocuparse, que l lo har todo, gastos de cualquier gnero, 29 segurosÉ y Vd. nicamente dar el permiso de exponer sus cuadros. Dans une lettre antrieure, date du 4 juin, le marquis avait mis en garde son protg contre le danger que reprsentaient, ses yeux, certains de ses collaborateurs, Ç [É] estos Srs. ms comerciantes que artistas quieren lucrarse con el pincel de Vd. È cÕest--dire Ç [É] ces messieurs plus commerants quÕartistes veulent sÕenrichir sur votre signature. È, comme sÕil avait souhait luimme prendre en main les rnes de son destin.30 Les expositions allemande et britannique sÕtaient soldes par des pertes financires ; par consquent, le peintre avait tout intrt accepter une offre qui, compte tenu dÕun tel passif, tait inespre. DÕun autre ct, plusieurs raisons justifient lÕimplication de la Maison Royale dans la carrire de Sorolla. Quelle quÕen ft lÕissue, cette exposition New York posait le principe dÕune collaboration engageant les deux pays, ce qui ne sÕtait encore jamais prsent depuis le Trait de Paris. En effet, dix ans aprs la fin de la Guerre de Cuba, les relations entre lÕEspagne et les tats-Unis nÕavaient toujours pas repris. Pour retisser un lien neuf, la culture et le patrimoine, au sens le plus large, constituaient un terrain favorable car la grande bourgeoisie 27. 28. 29. 30. Sorolla y la Hispanic Society. Una visin de la Espaa de entresiglos, Madrid, Museo Thyssen Bornemisza, 1998, pages 371-423. J. Fauvey, JoaqunÉ page 78. Muse Sorolla, CS 7113, 27/10/1908. Muse Sorolla. CS 7112, 4/06/1908. II. Le march de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923 98 du nord-est amricain comptait parmi elle quelques hispanophiles riches et influents.31 Avant de quitter Madrid, le peintre est reu par Alphonse XIII au Palais Royal de Madrid le 29 dcembre 1908.32 Il prend ensuite la direction de Paris et embarque bord du transatlantique ÒLorraineÓ, au Havre. Il arrive aux tats-Unis le 24 janvier 1909. Ç Yo llegu a New York en el estado de nimo que es de suponer despus de lo de Santiago de Cuba È, confiera-t-il plus tard un journaliste pour dire ses rticences et son malaise.33 Il supervise lui-mme lÕaccrochage des tableaux et lÕexposition, qui bnficie du patronnage du roi Alphonse XIII et de la reine Victoria Eugenia, ouvre ses portes au public le 4 fvrier. Ds les premiers jours, la bourgeoisie new-yorkaise se presse dans les salles de lÕHispanic Society qui accueille 10.334 visiteurs la premire semaine, 17.974 la deuxime, 42.716 la troisime et 76.229 la quatrime.34 Au total, presque cent soixante mille personnes visitent cette exposition, tout un record pour un seul artiste. Le phnomne attire lÕattention des media, crant ainsi un cercle vertueux car la mdiatisation devient elle-mme la cause dÕune plus grande affluence. LÕexposition itinrante inaugure New York en fvrier, se dplace Buffalo puis Boston. Elle se traduit chaque fois par dÕexcellentes ventes et donne lieu des commandes. Au total, cent quatre-vingt quinze tableaux changent de mains en trois mois pour une somme de prs dÕun million de francs.35 Sorolla est reu chez de riches industriels et est mme appel Washington par le prsident William Howard Taft (1857-1930) qui lui commande son portrait et celui de son pouse. Dans le contexte de lÕaprs-guerre de Cuba, la prsence de lÕEspagnol la Maison Blanche constitue tout un symbole. Le Muse Sorolla ne possde quÕune infime partie des articles de presse publis sur place et illustrs avec des images de la foule des lgantes se pressant sur la terrasse et dans lÕescalier monumental du muse. En Espagne, Mundo Grfico publie une photographie montrant la file des voitures alignes dans la cent cinquante cinquime rue et une autre du peintre posant devant la porte de 31. 32. 33. 34. 35. Mon livre : Joaqun Sorolla, pintor del Rey Alfonso XIII. Anonyme, ÒDe palacioÓ, ABC, Madrid, 30/12/1908. Francisco Martn Caballero, ÒHablando con D. Joaqun en su estudioÓ, La Correspondencia de Valencia, Valence, 11/09/1913. Ç Je suis arriv New York dans lÕtat dÕesprit quÕil faut imaginer aprs les vnements de Santiago de Cuba. È Eight essays on Joaquin Sorolla y Bastida, New York, HSA, 1909, page 457. Blanca Pons-Sorolla, Joaqun Sorolla. Vida y obra, Madrid, Fahah, 2001, page 323. II. Le march de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923 99 lÕdifice.36 Ces images invraisemblables, synonymes dÕargent et de gloire, feront sensation chez les jeunes peintres qui rveront leur tour dÕgaler le matre. Ë dfaut dÕavoir pu visiter cette exposition historique, les Espagnols dcouvriront en 1910 la premire monographie du peintre dite dans deux luxeuses ditions, lÕune en espagnol et lÕautre en franais. Cet ouvrage trs document fait apparatre cent seize illustrations.37 Du vivant de lÕartiste, trois essais monographiques seront proposs la vente : celui que lÕon vient de citer, puis Sorolla de Rodolfo Gil, en 1913, et Joaqun Sorolla dÕAureliano de Beruete qui tait dj sorti dans la presse en 1901 mais ne sera vendu sparment quÕen 1921 dans une dition raffine.38 LÕexcellent rsultat de lÕexposition amricaine incite lÕEspagnol retraverser lÕAtlantique, deux ans plus tard, pour prsenter dÕautres tableaux et honorer plusieurs commandes. La dernire exposition individuelle du peintre est donc organise de fvrier avril 1911, Chicago et Saint Louis. Cet vnement, qui nÕest en fait que le prolongement du prcdent, bnficie des mmes conditions et remporte logiquement le mme succs. Mais cÕest un autre projet qui, la mme anne, va la fois mettre un terme au ÒcycleÓ des expositions individuelles et prparer la fin de la carrire du peintre. Mais avant de tourner la page des expositions particulires, il est temps dÕen tirer quelques enseignements. Tout dÕabord, ce circuit international ne fait pas tape en Espagne. Ë Paris, Sorolla coule ses tableaux auprs dÕune clientle cosmopolite, principalement amricaine. Il ne vend quasiment rien en Allemagne et trs peu en Angleterre. En revanche, plus dÕune centaine de tableaux changent de mains au cours de ses deux expositions aux tats-Unis et des commandes prives sont honores sur place. Il rentre en Espagne riche et aurol de gloire. De mme, la relation entre le peintre et le roi en sort renforce. Sorolla est admis au sein de la cour et, bien quÕil ne possde pas la charge de peintre de chambre Ð qui avait t supprime sous le rgne dÕAlphonse XII Ð il est non seulement le portraitiste du souverain mais galement un de ses amis les plus proches. Alors mme que sÕachve sa dernire exposition, lÕEspagnol vient de recevoir de lÕHispanic Society une commande considrable comprenant une srie 36. 37. 38. Sebastin Cruset, ÒLa exposicin Sorolla en Nueva YorkÓ, Mundo Grfico, Madrid, 1909. Rafael Domnech, Sorolla. Su vida y su arte, Madrid, Leoncio Miguel et Sorolla, sa vie et son Ïuvre, Madrid, Vilanova y Geltr-Oliva, 1910. Rodolfo Gil, Sorolla, Madrid, Senz de Jubera, 1913 et Aureliano de Beruete, Joaqun Sorolla, Madrid, Biblioteca Estrella, 1921. II. Le march de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923 100 de grands formats destins recouvrir les murs de la bibliothque de lÕinstitution. Cette frise, la fois dcorative et pdagogique, offrirait au visiteur une Òvision de lÕEspagneÓ travers des reprsentations de quelques provinces choisies. Compte tenu des dimensions de ce dcor de trois trois mtres cinquante de hauteur sur une longueur totale dÕenviron soixante-dix mtres, ce projet, confi un seul excutant, rclame plusieurs annes de travail. Cette commande allait le mettre lÕabri la fois de la transformation de la demande et des consquences conomiques de la Premire Guerre Mondiale sur le march de lÕart europen mais elle rduirait en mme temps son espace de cration. En effet, ce dcor peint rclame un travail prparatoire colossal car les plus grands panneaux ne peuvent pas tre peints directements sur le motif. Entre 1912 et 1919, lÕactivit du peintre gravite donc essentiellement autour de Visin de Espaa. Cette priode est la fois trs longue, huit ans, mais aussi trs pauvre dÕun point de vue critique car Sorolla sort de lÕespace public pratiquement durant tout ce temps. Sa commande lÕempche de monter une autre exposition individuelle parce que cela supposait quÕil ralist suffisamment de tableaux pour cela. Cela ne fut jamais possible tant sa charge de travail tait grande. Par ailleurs, il nÕoccupait aucun poste et nÕtait donc expos dÕaucune manire sur le plan mdiatique. Durant huit ans, il sjourne rgulirement hors de Madrid, dans chacune des provinces quÕil compte transposer sur la toile. La presse rend compte de ses dplacements constants jusque dans des contres trs recules, inaccessibles ni en train ni en automobile. Le rcent film dÕAntonio Escriv nÕa dÕailleurs pas manqu, sous la forme dÕun clin dÕÏil plein dÕhumour, dÕinsrer une courte scne dans laquelle la voiture conduite par son disciple Francisco Pons Arnau se trouve embourbe en pleine campagne.39 Le peintre sÕextirpe du vhicule en grimpant sur le dos du garon. En 1914, dans une revue de Xrs de la Frontera, un dessinateur le reprsente en costume de voyage, une valise dans la main droite et un pardessus repli sur le bras gauche.40 Durant les deux annes 1912 et 1913, il travaille au plus grand panneau du dcor, La fiesta del pan. En ralit, cette fte nÕa jamais exist et ce thme inspir par la rcolte du bl nÕest quÕun prtexte une composition unique associant les deux Castilles. LÕensemble reflte une certaine 39. 40. Cartas de Sorolla, 65:45 66:00. Anonyme, ÒFiguras popularesÓ, Revista Poltica y Administrativa, Xrs de la Frontera, 11/11/1914. Voir la figure n¡4. Figures populaires (1914). II. Le march de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923 101 vision de lÕhistoire et du devenir du pays comme le montre cet extrait de lÕessai de Miguel de Unamuno, En torno al casticismo : En Espaa llev a cabo la unificacin Castilla, que ocupa el centro de la Pennsula, la regin en que se cruzaban las comunicaciones de sus distintos pueblos, centro de ms valor que ahora entonces, que en la crisis de la pubertad nacional las funciones de nutricin predominaban sobre la relacin (si bien, y no olvide esto el lector, la funcin nutritiva es una verdadera funcon de relacin). Entonces, cuando todava no haba llevado la vida a las costas el descubrimiento de Amrica, ni llegaban del Far West americano trigos al puerto de Barcelona, Castilla era un emporio del comercio espaol de granos y verdadero centro natural de Espaa.41 Pour prparer cette Ïuvre, il parcourt les provinces de Tolde, Sgovie, Avila, Salamanque, Guadalajara, Ciudad Real et Madrid.42 Les dimensions du chssis, trois mtres cinquante sur prs de quatorze mtres, sont imposantes, raison pour laquelle il doit travailler en atelier partir de centaines de dessins et dÕbauches peintes sur le motif. La fiesta del pan est acheve la fin de lÕanne 1913. Puis partir de mars 1914, il commence une srie de panneaux suffisamment petits pour tre installs directement en plein air. Ë Sville, il assiste en spectateur aux processions de la Semaine Sainte et excute, sur place, le deuxime panneau : Los Nazarenos. Durant lÕt, il prend la direction des Pyrnes pour raliser les panneaux ddis la Navarre et lÕAragon : El consejo del Roncal et La jota. Le premier reprsente un rite annuel pratiqu depuis le Moyen-åge dans la valle de Roncal. Pour renouveler le droit de faire patre leurs troupeaux du ct espagnol de la frontire, les bergers franais offraient, selon la coutume, trois agneaux chacun des sept maires des villages de cette valle. Le second immortalise la danse populaire pratique en Aragon. Ë Saint-Sbastien, il peint une scne de jeu, Los bolos, symbolisant le Pays Basque. Il repart ensuite 41. 42. Miguel de Unamuno, En torno al casticismo, Madrid, Biblioteca Nueva, 1996 (1895), page 79. Ç La Castille, qui occupe le centre de la Pninsule, a men son terme lÕunification de lÕEspagne. Vers cette rgion convergent les voies de communication des autres provinces, carrefour plus crucial hier quÕaujourdÕhui, car au moment de la crise de pubert nationale les fonctions alimentaires lÕemportaient sur les autres relations (disonsle, et que le lecteur ne perde pas cela de vue, la fonction alimentaire implique une vraie relation). Jadis, alors que la dcouverte de lÕAmrique nÕavait pas encore apport la vie sur nos ctes, que le bl amricain du Far West nÕarivait pas encore au port de Barcelone, la Castille tait un centre commercial espagnol des crales, et le vritable centre naturel du pays. È Marcus Burke et Priscilla Muller, Sorolla. The Hispanic Society, New York, HSA, 2004, pages 208-214. II. Le march de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923 102 Sville avant la fin de lÕanne pour les besoins du sixime panneau, El encierro, sur le thme de lÕlevage des taureaux en Andalousie. Au dbut de 1915, il retourne dans cette rgion quÕil affectionne tant pour intgrer dans deux panneaux distincts la danse flamenca et la tauromachie : El baile et Los toreros. Durant lÕt, il prend la route de la Galice pour raliser le neuvime morceau du dcor, La romera. En dpit de son titre, il sÕagit dÕune foire aux bestiaux comme il y en avait dans cette Galice dÕlevage. La composition souligne lÕimportance des produits laitiers dans la gastronomie locale. Il bifurque ensuite vers Barcelone, en septembre, pour rejoindre le motif dÕune scne de pche symbolisant la Catalogne : El pescado. Trs affaibli par tous les efforts consentis jusque-l, le peintre est oblig dÕarrter momentanment son activit puis de la rduire considrablement. Aprs cela, il ne produit plus quÕun seul panneau par an. 1916 est lÕanne de Las grupas, celui de Valence. Une nouvelle fois, la composition est fabrique par Sorolla partir de diffrentes sources dÕinspiration religieuses et paennes. Comme les panneaux castillans et galiciens, il sÕagit dÕune allgorie de la rgion. En octobre 1917, il se rend en Estrmadure accompagn de son disciple Santiago Martnez pour peindre un panneau figurant le march aux cochons de Plasencia : El mercado. En novembre 1918, il sÕintresse la rcolte des dattes Elche Ð El Palmeral Ð dans la province dÕAlicante. Enfin, en mai 1919, il achve le quatorzime et dernier panneau, La pesca del atn, Ayamonte dans la province de Huelva.43 Le peintre arpente davantage de territoires que ceux qui viennent dÕtre cits car sa qute de motifs nÕaboutit pas systmatiquement. Ses recherches obissent aux indications du commanditaire amricain ; or, nous ne les connaissons pas prcisment. Ni le contrat de la commande ni la correspondance entre les deux hommes ni mme le journal intime de lÕhispanophile ne permettent dÕtablir avec prcision lÕimplication de chacun dans le choix des thmes.44 Visin de Espaa semble avoir t pilote par Huntington de manire dmontrer que le mode de vie et la culture des tats-Unis sont ns en Espagne. Par exemple, le panneau El encierro rappelle que le cow-boy de lÕOuest amricain Ð comme le gaucho argentin Ð descendent de lÕleveur de taureaux bravos andalous. Les carrioles, les 43. 44. Florencio de Santa-Ana, ÒLa estancia ayamontina de Joaqun SorollaÓ, Boletn de Ayamonte, Ayamonte, 09/1999. Cette documentation a t publie in Sorolla y la Hispanic Society. Una visin de la Espaa de entresiglos, Madrid, Museo Thyssen Bornemisza, 1998, pages 371-423. II. Le march de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923 103 attelages et le costume castillan de La fiesta del pan, tout cela nÕvoque-t-il pas le terroir amricain ? De mme, lÕarne de Los toreros ne rappelle-t-elle pas celle des rodos ? Son thymologie est justement espagnole puisque le mot provient du verbe ÒrodearÓ, cÕest--dire encercler. Autour de 1880, il tait dj pratiqu au Texas comme un spectacle public. On pourrait ainsi multiplier les exemples pour tablir dÕautres parrallles entre cette Espagne peinte et les campagnes nordamricaines au dbut du XXme sicle. Durant toutes ces annes, les alles et venues du peintre lÕloignent de la sphre publique mme si, ponctuellement, des entretiens sont publis dans les quotidiens des provinces quÕil parcourt la recherche dÕun motif digne dÕintrt, par exemple Alicante, Sville, Saint-Sbastien, Murcie, Palma de Majorque, Huelva, Carthagne, etc. Ces entrevues, caractristiques de cette priode, tmoignent du besoin dÕinformer le lecteur sur ce peintre dont il nÕa que de lointains chos depuis 1906 puisquÕaucune de ses expositions nÕa eu lieu en Espagne, et dont il ne sait plus rien aprs 1911, date partir de laquelle il nÕexpose plus. CÕest donc bien avant sa mort et au moment o il sÕimmerge compltement dans sa dernire commande que Sorolla commence sombrer dans lÕoubli. La courbe de rpartition des archives de presse du Muse Sorolla le prouve en sÕaffaissant progressivement jusquÕ lÕanne de son dcs. En 1917, le critique Francisco Alcntara dclare aprs avoir aperu, par hasard, une toile du Valencien : Ç hace tiempo que yo no vea pintura de Sorolla. È45 cÕest--dire Ç Il y a longtemps que je nÕavais pas vu de peinture de Sorolla. È En Europe, les courants se renouvellent et une autre gnration occupe lÕespace artistique et mdiatique. Des mouvements dÕavant-garde tels que le Fauvisme, n Paris, le Futurisme italien, ou encore les Expressionnismes allemands font leur apparition. En Espagne, la critique sÕintresse davantage Ignacio Zuloaga, Julio Romero de Torres et Jos Gutirrez Solana. Si bien quÕavant mme que Visin de Espaa ne soit termine, lÕEspagnol appartient dj au pass. Enfin, il achve cette commande au mois de juin 1919 et, en octobre, il prend possession de la place de professeur de couleur et de composition de lÕcole des Beaux-Arts de San Fernando occupe, avant lui, par le peintre madrilne 45. Francisco Alcntara, ÒApertura de la Exposicin de Bellas ArtesÓ, El Imparcial, Madrid, 29/05/1917. II. Le march de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923 104 Alejo Vera (1834-1923).46 Ë cinquante-six ans seulement Sorolla est dj trs diminu physiquement. Le 17 juin 1920, alors quÕil est en train de peindre un portrait de lÕpouse de Ramn Prez de Ayala dans le jardin de sa proprit, un accident vasculaire crbral le foudroie. SÕil survit cette attaque, il conserve nanmoins une hmiplgie dont il ne se remettra jamais et qui dgnrera peu peu durant trois ans. Il dcde le 10 aot 1923. 46. Anonyme, ÒSorolla, profesor oficialÓ, Heraldo de Madrid, Madrid, 23/03/1919. II. Le march de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923 105 II.2. LA RECONNAISSANCE DES CONSERVATEURS Ë lÕintrieur de lÕensemble dvoil chez le galeriste parisien Georges Petit, quelques toiles refltent, de manire plus ou moins marque, les affinits intellectuelles de Sorolla avec les membres de lÕInstitution Libre dÕEnseignement. Sur les paysages des montagnes du Guadarrama notamment, la presse madrilne ne manque pas de signaler lÕinfluence des ides librales prnes et mises en pratique par Francisco Giner de los Ros et son entourage. Mais comme lÕexposition nÕa pas lieu Madrid mais Paris, elle est aussi perue comme une projection de lÕEspagne vers lÕextrieur. Il faut rappeler que le pays traverse alors un moment cl de son histoire puisque, le 31 mai 1906, le roi Alphonse XIII a pous la princesse anglaise Victoria Eugenia de Battenberg. Cette union laisse prsager un renouveau politique. Aussi, en dvoilant les portraits des savants et des artistes espagnols les plus minents de son poque, lÕexposition inaugure le 12 juin met en valeur une Espagne ÒmoderneÓ, dit Ricardo Blasco.47 De l, il nÕy a quÕun pas Ð aussitt franchi Ð vers une autre perception du peintre espagnol. Car la presse librale, et mme la presse conservatrive, qui nÕavait jamais jug favorablement sa peinture, dcle derrire ces toiles une intention ÒpatriotiqueÓ. Cette vision des choses reprsente indniablement un facteur supplmentaire qui incite la Maison Royale sÕattacher les services de Sorolla, ds son retour en Espagne. Les archives de presse du Muse Sorolla comprises entre les annes 1902 et 1907 traduisent un glissement idologique de la rception critique, de la gauche vers la droite. En effet, tandis que les journalistes dÕEl Pueblo disparaissent de la communaut dÕinterprtation, ceux du quotidien conservateur La poca la rejoignent. Une nouvelle tape dans lÕhistoire de la rception de son Ïuvre est sur le point de commencer. Pour le journaliste et dramaturge Ricardo Blasco, la premire exposition personnelle de Sorolla va rpandre une nouvelle image de lÕEspagne dans le monde travers une srie de portraits et de paysages : 47. Ricardo Blasco, ÒLa Exposicin Sorolla en ParsÓ, La Voz de Guipzcoa, Saint-Sbastien, 06/1906. II. Le march de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923 106 Sorolla, adems de traerse en sus cuadros el sol de Espaa, con toda la fuerza de color y calor con que vibra en las costas, las playas y las huertas valencianas, ha trado en hermosos retratos de Echegaray, Galds, Cajal, Blasco Ibez, Canalejas y otros ilustres compatriotas mucho de nuestras glorias de la Ciencia, las Letras, la Elocuencia unidas a la suya propia pintura.48 En avril, Alejandro Saint-Aubin avait visit lÕatelier du peintre juste avant que les tableaux ne fussent emballs. Dans un article, il affirme que les portraits qui allaient tre envoys Paris mettraient en lumire une gnration de penseurs.49 Il fait rfrence aux portraits de quelques amis du peintre dont on se rappelle, pour Jos Canalejas, Vicente Blasco Ibez et Benito Prez Galds, le soutien quÕils lui avaient apport quelques annes auparavant lorsquÕil tait encore ÒsalonnierÓ. Il faut ajouter cette liste ceux du dramaturge Jos Echegaray (1832-1916), des peintres Aureliano de Beruete et Antonio Gomar (1853-1911), du sculpteur Mariano Benlliure, de lÕhistorien Manuel Bartolom Cosso (18571935), de la soprano Lucrecia Arana (1871-1927), de la comdienne Mara Guerrero et enfin, du scientifique Santiago Ramn y Cajal (1852-1934).50 Tous taient dignes dÕtre compars, sur le plan international, aux esprits les plus brillants de leur poque. Il faut rappeler, par exemple, que Mariano Benlliure a obtenu un Grand Prix de Sculpture lors de lÕExposition Universelle de 1900, Echegaray a reu le Prix Nobel de Littrature en 1904 et Ramn y Cajal vient de dcrocher le Prix Nobel de Mdecine pour ses travaux sur le systme nerveux (1906). 48. 49. 50. Ricardo Blasco, ÒLa Exposicin Sorolla en ParsÓ, La Voz de Guipzcoa, San Sbastien, 06/1906. Ç Sorolla, outre quÕil apporte dans ses tableaux le soleil de lÕEspagne, avec toute lÕintensit de couleur et de chaleur avec laquelle il vibre sur les ctes, les plages, les jardins de Valence, a fait venir dans de beaux portraits de Echegaray, Galds, Cajal, Blasco Ibez, Canalejas et dÕautres illustres compatriotes, beaucoup de nos gloires des Sciences, des Lettres, de lÕloquence unies sa propre peinture. È Alejandro Saint-Aubin, ÒVisitando estudios : Joaqun SorollaÓ, Heraldo de Madrid, Madrid, 04/1906. Jos Canalejas, 131Õ5x97, Madrid, Chambre des dputs, 1906. Vicente Blasco Ibez, 127x90, New York, HSA, 1906. Benito Prez Galds, 75x100, Las Palmas de Gran Canaria, Casa-Museo Prez Galds, 1894. Jos Echegaray, 100x133, Madrid, Collection de la Banque dÕEspagne, 1905. Aureliano de Beruete, 115Õ5x110Õ5, Madrid, Muse National du Prado, 1902. Familia Benlliure Arana, 128x91, Collection particulire, 1906. Santiago Ramn y Cajal, 91x127Õ5, Saragosse, Muse Municipal, 1906. Bartolom Cosso, non localis. Retrato de Mara Guerrero, 131x120Õ5, Madrid, Muse National du Prado, 1897-1906. II. Le march de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923 107 Francisco Giner de los Ros considre que les paysages de Sorolla ont autant dÕintrt que les ÒpersonnesÓ.51 LÕexposition de la Galerie Petit comprend des paysages peints dans quatre rgions diffrentes : Valence, les Asturies, la Galice et la Castille. Pour les membres de lÕInstitution Libre dÕEnseignement, le territoire et ses habitants constituent le socle de lÕidentit nationale. Ils ont fond une socit en 1886 afin dÕtudier le massif du Guadarrama Ð au nord-ouest de Madrid Ð dÕun point de vue gologique, hydrographique, botanique, etc.52 Suivant lÕexemple dÕAureliano de Beruete et de Jaime Moreira y Galicia, partir de lÕhiver 1905-1906 Sorolla part en excursion dans ce massif afin de peindre sur le motif une srie de paysages des montagnes enneiges.53 Ë leur manire, les trois peintres contribuent la connaissance et la valorisation de ce territoire. Sorolla collectionne jusquÕ six toiles de son ami Beruete : une vue du massif du Guadarrama, deux paysages de Madrid peints au bord du fleuve Manzanares, deux paysages de Tolde et un paysage de la Sierra Nevada.54 Un autre membre de lÕInstitution, le docteur Luis Simarro Lacabra, possdait une des ralisations majeures de Sorolla, Mara con la sierra al fondo : un portrait de sa fille convalescente qui, suivant les conseils du mdecin, prend lÕair revigorant de la montagne.55 Autour de 1906, la peinture du Valencien est indissociable du courant idologique ÒrgnrationnisteÓ mme si, lÕvidence, dÕautres influences la traversaient. Dans lÕEnciclopedia de Historia de Espaa, dirige par Miguel Artola, le ÒrgnrationnismeÓ est prsente de la faon suivante : Surge como concepto y como prctica poltica, social y cultural a finales del siglo XIX, en una Espaa sumergida en una crisis multifactorial, de la que la prdida de la hegemona por parte del bloque oligrquico de poder es el factor fundamental, en 51. 52. 53. 54. 55. Propos reccueillis par : Leonard Williams, ÒEl pintor Sorolla juzgado en el extranjeroÓ, El Pas, Madrid, 22/05/04. Nicols Ortega Cantero, Paisaje y excursiones : Francisco Giner, la Institucin Libre de Enseanza y la Sierra del Guadarrama, Madrid, Races, 2001. Laura Arias Serrano, La Universidad Complutense y sus fondos de pintura contempornea: los Sorollas del legado SimarroÓ in La Universidad Complutense y las Artes, Madrid, UCM, 1995. Aureliano de Beruete, El Guadarrama desde la Moncloa, 48x79Õ5, Madrid, MS, 1893. La Alhambra. Granada, 14Õ8x27Õ5, Madrid, MS, 1895. Orillas del Manzanares, 16Õ6x33Õ3, Madrid, MS, 1900. Lavaderos en el Manzanares, 57Õ5x81, Madrid, MS, 1904. El Tajo. Toledo, 53x48, Madrid, MS, 1908. Toledo desde el castillo de San Servando, 43x53Õ5, Madrid, MS, 1910. Mara con la sierra al fondo, 63x92, Madrid, Universit Complutense, 1907. II. Le march de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923 108 tanto que el desastre colonial de 1898 (prdida de los territorios ultramarinos) ser el catalizador o el detonante para que estalle tal crisis.56 Ce courant poursuit, comme un idal, lÕdification dÕune Espagne modernise, capable de rivaliser sur les plans industriel, scientifique, pdagogique, littraire, artistique, etc. avec les grandes puissances de lÕEurope du XXe sicle, cÕest--dire lÕAngleterre, la France, lÕAllemagne, lÕAutriche-Hongrie, la Russie et lÕItalie. En cherchant former une gnration neuve, plus instruite et plus responsable que celle qui avait conduit le pays au Trait de Paris, lÕInstitution Libre dÕEnseignement est le fer de lance de ce courant. Dans un article intitul, ÒCajal y SorollaÓ, Vicente Ballester Soto (inc.-inc.) affirme que seuls les sciences et les arts ont chapp la dcadence de lÕEspagne et continuent briller au niveau europen : Nada somos, nada representamos en la poltica europea; no figuramos lo ms mnimo en el concierto de las grandes naciones libres de la Tierra; estamos fracasados como hombres de espritu emprendedor, y nada de lo que constituy nuestra corona de laurel en otros tiempos sirve y aprovecha: slo la ciencia y el arte con sus cultivadores entusiastas nos realzan y honran, devolviendo a la madre patria su prestigio, ms brillante, ms potente y ms firme ahora que antes. 57 Dans lÕre qui sÕannonce, les dcouvertes scientifiques et les progrs artistiques constitueraient des conqutes inalinables, pensait-on, alors mme que la guerre venait de mettre en vidence la vulnrabilit dÕun empire territorial clat et distant de lÕEspagne de plusieurs milliers de kilomtres. LÕespoir dÕun pays renaissant sur des bases nouvelles sÕinscrit dans le prolongement dÕune ide 56. 57. Miguel Artola, Enciclopedia de Historia de Espaa, V. Diccionario temtico, Madrid, Alianza, 2001 (1991), page 1027. Ç Le rgnrationnisme voit le jour comme une notion et comme une pratique politique, sociale et culturelle la fin du XIXme sicle, dans une Espagne immerge dans une crise multifactorielle, dont la cause fondamentale est la perte dÕhgmonie dÕune partie du bloc oligarchique, et pour laquelle le dsastre colonial de 1898 (perte des territoires dÕOutre-mer) constitue le catalyseur et lÕlment dclencheur. È Vicente Ballester Soto, ÒCajal y SorollaÓ, El Pas, Madrid, 2/11/1906. Ç Nous ne sommes rien, nous ne reprsentons rien dans la politique europenne ; nous ne jouons pas le moindre rle dans le concert des grandes nations libres de la Terre ; Nous avons chou en tant que peuple lÕesprit conqurant, et rien de ce qui constitua notre couronne de lauriers une autre poque nous est utile ni profitable : seuls la science et lÕart, incarns par ses enthousiastes reprsentants, nous mettent en valeur et nous font honneur, en rendant la mre patrie son prestige, plus brillant, plus puissant et plus solide aujourdÕhui quÕhier. È II. Le march de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923 109 largement rpandue lÕpoque, selon laquelle, seuls les Beaux-Arts auraient chapp au dclin.58 Ë ce titre, la peinture et la sculpture lÕemportent probablement sur tous les autres arts car le pays compte au moins deux sculpteurs dÕenvergure europenne : Mariano Benlliure et Miguel Blay (1866-1936) qui dcrochent ensemble le Grand Prix de lÕExposition Universelle de 1900.59 Et on pourrait ajouter encore ces deux arts la photographie car lÕEspagnol dÕorigine danoise Christian Franzen (1864-1923) brille lors du mme vnement et remporte une rcompense quivalente. Sorolla fait sa connaissance en 1903 et le photographe de la Cour, dont lÕatelier se trouve deux pas du Palais Royal, lÕaide prparer une commande publique intitule La Regencia.60 Il peint son portrait la mme anne.61 En 1901, Jacinto Octavio Picn compare son pays un navire en perdition qui, dans son naufrage, nÕaurait russi sauver que les arts : Ç Nos han derrotado por las armas un pueblo de mercaderes ricos ; estamos pobres y a todas horas repetimos que nos devoran la corrupcin y la ignorancia, del naufragio de nuestra gloria solo hemos salvado el arte. È62 Dans la prface du livre de Ramn Snchez Daz (1869-1960), Juan Corazn (1906), Joaqun Costa (1846-1911) ne ÒsauveÓ que la peinture : Ç No he encontrado una sola zona, fuera quiz del arte pictrico, que no acuse en nosotros una marcada inferioridad respecto de los dems pueblos europeos, cuando no una franca y radical incapacidad. È63 Le ÒsalutÓ peut donc venir de la peinture et, pour un observateur comme Manuel Gonzlez Mart, lÕexposition Petit en est la dmonstration. Le Valencien signe un article intitul ÒSorolla dignificadorÓ sous le pseudonyme de Folch. Il y prtend que Sorolla a redonn un peu de dignit son pays en dtruisant lÕimage errone que lÕon sÕen fait encore lÕtranger.64 En 58. 59. 60. 61. 62. 63. 64. Miguel de Unamuno, En torno al casticismo, Madrid, Biblioteca Nueva, 1996 (1895), page 55-65. Anonyme, ÒLas medallas de honor en la exposicin de ParsÓ, ABC, Madrid, 8/07/1900. La Regencia, dim. inc., Madrid, Ministre des Affaires trangres, 1906. El fotgrafo Christian Franzen, 100x66, Madrid, Collection prive, 1903. Jacinto Octavio Picn, ÒSorollaÓ, Heraldo de Madrid, Madrid, 4/05/1901. Ç Un peuple de commerants enrichis nous a dfaits par les armes ; nous voil pauvres et toute heure nous rptons que la corruption et lÕignorance nous dvorent, du naufrage de notre gloire nous nÕavons sauv que lÕart. È Joaqun Costa (prface) in Ramn Snchez Daz, Juan Corazn, Madrid, Fernando F, 1906. Ç Je nÕai pas trouv un seul domaine, en dehors peut-tre de lÕart pictural, qui ne dmontre pas chez nous une nette infriorit par rapport aux autres peuples europens, quand il ne sÕagit pas dÕune franche et radicale incapacit. È Folch, ÒSorolla dignificadorÓ, El Mercantil Valenciano, Valence, 3/12/1906. II. Le march de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923 110 1900, lÕanne o Sorolla remporte le Grand Prix de peinture, le pavillon espagnol de lÕExposition Universelle de Paris vhicule, selon Alejandro Saint-Aubin, une image pathtique du pays. Pena da pensar que detrs de aquellos muros, que evocan las grandezas picas de la Espaa de Carlos V, encuentren los visitantes el bullicio de un caf jitanesco, donde entre los excesos del ms desganado cante flamenco, se oiga la voz del mulato Mory, recordando, no s si para llorarlas o escarnecerlas, pero s seguramente para profanarlas, las pginas tristes de nuestra guerra de Cuba.65 En 1906, la perception de lÕEspagne lÕtranger, particulirement en France, est encore fortement influence par les lieux communs rpandus par la littrature romantique et / ou par les rgionalistes de droite, voire carlistes. La redcouverte de ce pays, au milieu du XIXme sicle, avait t guide par lÕide quÕil nÕavait pas t contamin par les nouveauts du monde moderne, notamment par les effets nfastes de lÕindustrialisation. L rsidait toute sa beaut et tout son charme. Au cours de son voyage, Thophile Gautier sÕintressa, par exemple, au peuple gitan, aux courses de taureaux, la mantille et lÕventail comme des vestiges du pass qui auraient travers les ges sans subir dÕinfluences extrieures, du moins le croyait-il.66 En France, ces ides toute faites ont nourri une lite cultive qui, son tour, recherchait dans la peinture espagnole des reprsentations fidles cet imaginaire. En 1904, lÕhistorien dÕart britannique Leonard Williams (inc.-inc.) dplore lÕinfluence de la demande franaise sur la production artistique espagnole.67 Selon lui, les tableaux en provenance dÕEspagne ne reprsentent pas ce pays tel que leurs auteurs le voient mais tel que leurs riches clients lÕimaginent. Cette analyse est partage par Alejandro Saint-Aubin, selon lequel les hritiers de la peinture noire de Francisco de Goya (1746-1828), en particulier Ignacio Zuloaga, Jos Gutirrez Solana et Julio Romero de Torres, perptuent une image fantasme de 65. 66. 67. Alejandro Saint-Aubin, ÒArte y artistasÓ, Heraldo de Madrid, Madrid, 05/1900. Ç On a du mal imaginer que derrire ces murs, qui rappellent les grandeurs piques de lÕEspagne de Charles Quint, les visiteurs dcouvrent lÕagitation dÕun caf gitan, o parmi les excs du chant flamenco le plus pathtique, rsonne la voix du multre Mory, rappelant, je ne sais pas si pour les pleurer ou les tourner en ridicule, mais certainement pour les profaner, les pages tristes de notre guerre de Cuba. È dition consulte : Thophile Gautier, Voyage en Espagne, Paris, Hachette, 1981 (1843). Leonard Williams, ÒEl pintor Sorolla juzgado en el extranjeroÓ, El Pas, Madrid, 22/05/04. II. Le march de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923 111 lÕEspagne pour vendre leurs tableaux. Dans le passage qui suit, on reconnat facilement ces trois peintres que cet auteur situe aux antipodes de Sorolla et de sa peinture lumineuse. No seguirn formando con los lienzos de Sorolla la equivocada y tristsimo idea que de nosotros tienen en el Extranjero, contemplando la figura de toreros momificados y repugnantes, de naranjeros negros, descendientes de la raza karabal, de amazonas con sombrero calas, de mendigos y mujeres astrosas con pegotes de negro de humo por cejasÉ Sorolla demostrar con retratos maravillosos que no es hoy Espaa un pas de pandereta, y que entre nosotros existen pensadores, hombres de Ciencia, literatos, artistas, damas distinguidas, caballeros decentemente vestidos y otra cosa, en fin, que idiotas, rufianes, maletillas de la torera, dueas y brujas.68 Ce genre de distinction entre deux courants picturaux majeurs de lÕEspagne du dbut du XXe sicle ouvre la voie une lecture ractionnaire de la peinture de Sorolla et il trs parlant, cet gard, de rencontrer dans Heraldo de Madrid une traduction dÕun article du Hongrois Max Nordau (1849-1923), le thoricien de ÒlÕart dgnrÓ. Selon lui : Ç La Espaa que Sorolla ha querido mostrar al Extranjero es la del pensamiento moderno, del trabajo fecundo, del progreso radical; en una palabra, la Espaa europea, y no la antigua Espaa morisca, es decir, africana. È69 Plus tard, sous la dictature nazie, les thories de cet auteur justifieront la censure des avant-gardes au profit dÕun Òart racial purÓ inspir des modles classiques, grecs et romains. Mme si lÕheure nÕest pas encore une vision aussi radicale et oriente de la peinture de Sorolla, la rception de lÕexposition Petit est indniablement imprgne dÕune forme de conservatisme bien perceptible dans les colonnes de Heraldo de Madrid. DÕailleurs, lÕadhsion du journal La poca, qui ne sÕtait 68. 69. Alejandro Saint-Aubin, ÒVisitando estudios : Joaqun SorollaÓ, Heraldo de Madrid, Madrid, 04/1906. Ç LÕaffligeante et mensongre ide que lÕon sÕest faite de nous lÕtranger, en contemplant des toreros momifis et rpugnants, des vendeurs dÕoranges basans descendants de la race karabali, des amazones aux chapeaux bords relevs, des mendiants et de femmes malpropres, etc. tout cela prendra fin avec les toiles de Sorolla. Il dmontrera avec des portraits merveilleux que ce pays nÕest pas aujourdÕhui une Espagne dÕoprette et que, parmi nous, il y a des penseurs, des hommes de Science, des crivains, des artistes, des dames distingues, des hommes bien mis et dÕautres choses encore, au fond, que des idiots, des ruffians, des apprentis toreros, des maquerelles et des sorcires. È Max Nordau, ÒSorolla y Max NordauÓ, Heraldo de Madrid, Madrid, 13/06/1906. Ç LÕEspagne que Sorolla a voulu montrer lÕtranger est celle de la pense moderne, du travail fcond, du progrs radical ; en un mot, lÕEspagne europenne, et non pas lÕancienne Espagne morisque, cÕest--dire africaine. È II. Le march de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923 112 encore jamais montr partisan du Valencien, atteste une nouvelle perception du peintre. Le quotidien madrilne, fond en 1849, fut dirig de 1887 1933 par Alfredo Escobar Ramrez (1858-1953), marquis de Valdeiglesias, qui en a fait le premier organe conservateur du pays. En 1906, le quotidien publie une traduction dÕune bonne critique publie en France dans le journal boulangiste LÕIntransigeant, en ajoutant en note : Ç Hay un inters patritico, sin duda, en propagar estos elogios de Sorolla, hechos por Rochefort, y a l respondemos copiando lo que antecede, y celebrando, como es natural, ese triunfo en Pars de nuestro arte contemporneo. È70 La poca publie ensuite deux autres articles avant la fin de lÕanne 1906 et beaucoup dÕautres suivront. Ë lÕoccasion de la mort du peintre, un article hommage intitul ÒUna gran prdida nacionalÓ soulignera lÕamiti du roi pour son portraitiste.71 Le quotidien valencien Las Provincias rejoint la mme ligne critique et lÕon peut sÕinterroger sur les raisons dÕune telle rvaluation de Sorolla dans la presse de droite. Force est de constater, tout dÕabord, que si le peintre avait t jadis associ Valence et aux rpublicains, cette vision des choses est dsormais caduque. DÕabord, en 1906 Sorolla envoie Paris le tableau La Regencia, une commande du Ministre des Affaires trangres et un portrait dÕAlphonse XIII adolescent. LÕanne suivante, il entre au service du roi ce qui carte, au passage, toutes les suspicions de son adhsion au blasquisme. Durant lÕt 1909, il se montre clairement partisan de la campagne de Melilla qui vise tendre les possessions coloniales de lÕEspagne au Maroc : Ç Yo tengo una confianza absoluta en nuestro Ejrcito : ÁQu hermoso porvenir para Espaa! El ensanchamiento de sus dominios; romper el cinturn que nos oprime dentro del viejo solar. È72 Mais la mobilisation de quarante mille rservistes allait dclencher, Barcelone, un mouvement de protestation des ouvriers, du 26 au 30 juillet. Ce soulvement 70. 71. 72. Anonyme, ÒSorolla en ParsÓ, La poca, Madrid, 28/06/1906. Ç Il y a un intrt patriotique, sans doute, propager ces loges de Sorolla faits par Rochefort, et nous nous y associons en copiant le texte prcit et en clbrant, comme il est naturel, ce triomphe de notre art contemporain Paris. È Mencheta, ÒUna gran prdida nacional : La muerte de SorollaÓ, La poca, Madrid, 13/08/1923. Anonyme, ÒSans titreÓ, Las Provincias, 1909. Article republi par le journal le 12/08/1923. Ç JÕai une confiance absolue en notre arme : quel bel avenir pour lÕEspagne ! LÕlargissement de ses possessions ; briser la ceinture qui nous opresse lÕintrieur de notre vieux sol national. È II. Le march de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923 113 contre une campagne militaire impopulaire est connu comme la ÒSemaine TragiqueÓ car le gouvernement le rprime dans le sang. Du travail prparatoire Visin de Espaa, un croquis dat de 1911 prouve que le peintre envisage de consacrer un panneau aux possessions africaines. Il voyage Ttouan quelques annes plus tard peut-tre la demande dÕAlphonse XIII, mme si aucun document ne nous a, pour lÕinstant, permis de lÕtablir. Beaucoup dÕinterrogations entourent ce voyage et le panneau africain, que nous ne connaissons quÕ travers quelques croquis de lÕensemble conservs lÕHispanic Society de New York, ne verra finalement pas le jour.73 En 1913, un journaliste connu pour ses ides socialistes, Francisco Martn Caballero (inc.inc.), lÕinterroge sur ses convictions politiques et, non seulement il nÕobtient aucune rponse, mais il dclenche en plus la colre du peintre qui refuse de sÕexprimer sur ce sujet.74 Enfin, dans un article publi Valence en 1916, Sorolla affirme dtester le rgionalisme chaque fois quÕil serait, pour lÕEspagne, un facteur de division.75 Sur le plan artistique, le peintre abandonne le genre social ds lors quÕil ne participe plus aux Salons officiels. Ë partir de 1902, il adapte sa production la demande du march. Le succs commercial de sa peinture dÕenfants sur la plage est la principale raison pour laquelle il cultive autant ce thme au point dÕarrter, autour de 1904, les codes dÕun genre bien lui, immdiatement identifiable. Cette peinture lumineuse et chamarre est prise par les riches clients trangers, dÕabord parce quÕelle est minemment dcorative mais aussi parce que ces images atemporelles dÕenfants jouant au bord de lÕeau vhiculent une vision idale et complaisante de lÕEspagne, conforme au got bourgeois. Cette peinture qui ne dit rien de la misre sociale, des mouvements ouvriers et des conflits de classe Ð qui sÕexacerbent partir de 1899 Ð reoit, selon toute logique, les faveurs des lites sociales, du pouvoir et de la presse monarchiste. Pour lÕartiste, il sÕagit aussi Ð rappelons-le Ð dÕune peinture plus intuitive et mme exprimentale puisque cÕest travers elle quÕil se familiarise avec les domaines de la reprsentation qui lÕintressent. Dans ces ralisations, il peint sans contrainte et se livre toutes sortes dÕessais, en particulier en petit format et sur des supports pauvres. Par 73. 74. 75. Croquis de la instalacin, 21Õ5x43Õ2, New York, HSA, 1911. Francisco Martn Caballero, ÒHablando con D. Joaqun en su estudioÓ, La Correspondencia de Valencia, Valence, 11/09/1913. Joaqun Sorolla, ÒCarta abiertaÓ, La Correspondencia de Valencia, Valence, 20/12/1916. II. Le march de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923 114 exemple, Jvea, il profite de la hauteur des rochers pour tenter dÕapprhender des phnomnes aquatiques tels que la transparence, le reflet et la rfraction. Pour toutes ces raisons, la scne de plage pourrait tre la partie la plus personnelle de son Ïuvre. AujourdÕhui, nous connaissons cette facette plus que toutes les autres, en particulier parce que le franquisme la mettra en avant dans les annes soixante, dans le cadre de sa propagande. Une grande partie de ces tableaux se trouve dissmine dans des collections prives ou conserve dans des muses aux tatsUnis. CÕest le cas de El bote blanco, Idilio en el mar, Nios en la playa, La herida al pie et beaucoup dÕautres.76 Toutefois, lÕatelier de lÕartiste, qui est depuis 1932 le Muse Sorolla, conserve une grande quantit de ces scnes de plages, et un des trois ateliers leur est mme entirement ddi depuis lÕouverture du muse. Pour cette raison, de la dictature jusquÕ nos jours, les gouvernements successifs ont utilis El balandrito, Paseo a orillas del mar ou encore Nios en la playa, dans des campagnes promotionnelles lies au tourisme ctier. En 1909, Sorolla voyage pour la premire fois aux tats-Unis. Le succs de son exposition itinrante, moins de dix ans aprs la fin de la Guerre de Cuba, marque une nouvelle tape dans la diplomatie transatlantique et lui donne une dimension quÕil nÕavait pas jusque-l. En effet, partir de cette date, sa carrire est perue en Espagne, tantt dans un esprit rconciliateur, tantt dans un esprit revanchard, comme une chose collective et digne de fiert. En tmoigne cet article publi dans le quotidien conservateur La Correspondencia de Espaa : El suyo no es un xito privado : es el triunfo del arte espaol. Al sancionarlo los yankis con los mayores pronunciamientos favorables, forzosamente ha de inundarnos de ntima satisfaccin, ya que viene a indemnizarnos, espiritualmente, siquiera en parte pequesima, de pasadas cadas en lo material. Por eso, felicitar al ilustre Sorolla vale tanto como felicitarnos a nosotros mismos. 76. 77. 77 El bote blanco, 105x150, Collection particulire, 1905. Idilio en el mar, 151x199Õ3, New York, HSA, 1908. Nios en la playa, 81Õ2x105Õ7, New York, HSA, 1908. La herida al pie, 43x39, Los Angeles, The J. Paul Getty Museum, 1909. Anonyme, ÒSorolla en AmricaÓ, La Correspondencia de Espaa, Madrid, 12/02/1909. Ç Son succs nÕest pas personnel : cÕest le triomphe de lÕart espagnol. Aprs avoir t favorablement sanctionn par les yankees, il nous submerge forcment dÕune intime satisfaction, puisquÕil vient nous indemniser, spirituellement, et mme si cÕest dans une proportion insignifiante, de pertes matrielles passes. Pour cette raison, fliciter lÕillustre Sorolla revient nous fliciter nous-mmes. II. Le march de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923 115 Il est question dans ce texte dÕun ddommagement immatriel cens compenser, au moins en partie, les pertes matrielles et territoriales subies par lÕEspagne cause du conflit. Mais dans le reste de la presse espagnole, il est aussi question dÕun ddommagement matriel qui englobe la fois les gains du peintre et des retombes touristiques attendues. Un journaliste interprte cela comme une consquence positive de cette exposition : Ç Los risueos y pintorescos paisajes de Valencia, que tan bellos asuntos inspiraron a la imaginacin del gran artista, han revelado al pblico americano la existencia de una tierra ideal para pasar los rigores del verano. È78 LÕtape suivante revient considrer le triomphe du peintre espagnol comme une forme de reconqute sur lÕadversaire dÕhier, un pays qui lÕavait contraint renoncer ses dernires possessions dÕoutre-mer. Dans le journal monarchiste El Liberal, lÕhistorien dÕart Rafael Domnech affirme : Este nuevo triunfo del gran pintor espaol debe enorgullecernos a todos, es una victoria que el arte alcanza para nuestra patria en un pas del que guardamos recuerdos muy tristes y muy recientes. All, en donde hace once aos acabamos de perder nuestro gran imperio colonial, Sorolla conquista hoy un gran timbre de gloria para nuestra patria. 79 Ë partir de 1911, lÕide encore trs imprcise de Visin de Espaa est salue dans la presse comme la poursuite de cette reconqute. Un journaliste de Galicia Nueva voque ce dcor dans des termes belliqueux et vengeurs en assimilant les Amricains des pirates avant dÕenvisager, plus loin, les bienfaits conomiques dÕune telle commande. Pour lui, Visin de Espaa assurerait la promotion de lÕEspagne aux tats-Unis et entranerait ncessairement les retombes financires dÕun tourisme culturel : 78. 79. Anonyme, ÒEl gran triunfo de SorollaÓ, [?], [?], 1909. Ç Les joyeux et pittoresques paysages de Valence, qui inspirrent de si beaux sujets lÕimagination du grand artiste, ont rvl au public amricain lÕexistence dÕune terre idale o se prmunir des chaleurs de lÕt. È Rafael Domnech, ÒSorolla en los Estados UnidosÓ, El Liberal, Valence, [02/1909]. Ç Ce nouveau triomphe du grand peintre espagnol doit tous nous rendre fiers, cÕest une victoire que lÕart obtient pour notre patrie dans un pays dont nous conservons des souvenirs trs tristes et trs rcents. L-bas, o il y a onze ans nous avons perdu notre grand empire colonial, Sorolla conquiert un grand titre de gloire pour notre patrie. È II. Le march de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923 116 [É] A m me encantara que el maestro les metiera una certera estocada en plena bolsa a los felones que nos han atracado y robado all por el mar Caribe. Ms, Sorolla nos va a vengar con creces. Ese friso de las ÒRegiones espaolasÓ en el centro de la monstruosa metrpoli de los ÒrascacielosÓ es el grito soberano y triunfal de ÁViva Espaa! Dado por un genio gigante en el corazn mismo de la nacin poderosa que tan injustamente nos humill. [É] Cuando los yankis cultos, curiosos y adinerados, entren a estudiar y curiosear por las salas de dicho museo, se dirn asombrados, ante las prodigiosas pinturas: Aqu est Espaa, la gloriosa Espaa, la luminosa, la alegre, la varia [É] ÁOh que Espaa ms hermosa! ÁMs risuea, ms interesante! Vamos a ver. Y se caern por estas tierras, con los bolsillos repletos de dlares. 80 En dpit du mystre qui entoure le projet, la presse voque Visin de Espaa comme sÕil tait le prolongement de lÕExposition Petit. Il vise aussi, pense-t-on, renouveler lÕimage de lÕEspagne lÕextrieur. Le contrat de la commande prcise dÕailleurs que les motifs du dcor reprsenteront la Òvie actuelleÓ de lÕEspagne et du Portugal.81 Mais la formulation mrite dÕtre place entre guillements car le commanditaire amricain entend installer une frise ÒpdagogiqueÓ donnant voir le folklore de chaque rgion. Ë lÕorigine, Huntington avait mis lÕide dÕun dcor historique, mais Sorolla lÕavait froidement accueillie. En effet, il avait abandonn depuis longtemps la peinture dÕhistoire laquelle il sÕtait jadis astreint contre-cÏur. De mme, il ne sentait pas lÕaise avec la peinture dÕatelier et prfrait peindre sur le motif ; ce sont autant dÕinformations que Huntington a consignes dans son journal intime : We returned to the question of the decoration, and finally decided upon a series of landscapes of the provinces, emphasizing costume, and he was very delighted, 80. 81. Daniel Porto, ÒSorolla en VillagarcaÓ, Galicia Nueva, Villagarca, 18/07/1915. Ç En ce qui me concerne, jÕaimerais que le matre portt une estocade bien place dans la bourse de ces flons qui nous ont attaqu et vol l-bas, du ct de la mer des Carbes. Et plus encore, Sorolla va faire bien plus que nous venger. Cette frise des ÒRgions espagnolesÓ installe en plein cÏur de la monstrueuse mtropole aux Ògratte-cielsÓ est le cri souverain et triomphal de : Vive lÕEspagne ! Pouss par un immense gnie dans le cÏur mme de la nation puissante qui nous humilla si injustement. [É] Quand les yankees cultivs, curieux et riches, viendront tudier ou examiner les salles de tel ou tel muse, ils sÕapercevront de leur tonnement face aux prodigieuses peintures : LÕEspagne est ici, la glorieuse Espagne, la lumineuse, la joyeuse, la diverse [É] Oh ! Quelle belle Espagne ! Tellement joyeuse, tellement intressante ! Allons voir cela. Et ils se dverseront sur notre territoire les poches remplies de dollars. È Bernardino de Pantorba, La vida y la obra de Joaquin Sorolla. Estudio biogrfico y crtico, Madrid, Grficas Monteverde, 1970, page 83-84. II. Le march de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923 117 because the idea of historical work had given him a bit of a chill as it meant research and material with which he was unfamiliar.82 Si bien quÕaucun des sujets retenus ne rend compte des changements socioconomiques qui transforment lÕEspagne de la fin du XIXe sicle et du dbut du XXe sicle tels que les dveloppements de lÕindustrie, du rseau ferroviaire, des tlcommunications, etc. LÕintrt de Huntington se porte, au contraire, vers le monde rural et vers tout ce qui, dÕune manire gnrale, semble menac par le progrs technique comme la rcolte des dattes Elche, le march aux cochons de Plasencia ou bien la pche au thon Ayamonte. En 1911, le monde rural regroupe la majeure partie de la population, mais les rites folkloriques sont en voie de disparition. De ce point de vue, Visin de Espaa ne va pas compltement lÕencontre du rgnrationnisme castillan qui traverse lÕÏuvre du Valencien autour de 1906 puisque les traditions, les ftes, les costumes rgionaux, la terre, etc. sont perus comme des noyaux de lÕidentit nationale. Cependant, cette vision de lÕEspagne ne rend pas compte de la ralit du moment et le peintre est visiblement conscient et gn de cette drive puisque dans un entretien accord en 1915 il se dfend spontanment dÕavoir vers dans lÕespagnolade : Yo he querido fijar conforme a la verdad, claramente, sin simbolismos ni literaturas, la psicologa de cada regin; quiero dar, siempre dentro de mi escuela verista, una representacin de Espaa; pero no buscando ninguna filosofa, sino lo pintoresco de cada regin. Lo que s quiero que conste desde ahora, aunque creo que tratndose de m sea necesario decirlo, es que estoy muy lejos de la espaolada.83 82. 83. Journal intime de Archer M. Huntington, extrait dat de 1910 in Sorolla y la Hispanic Society. Una visin de la Espaa de entresiglos, page 388. Ç Nous sommes revenus au sujet du dcor et, en fin de compte, nous nous sommes dcids pour une srie de paysages des provinces dans lesquels les costumes rgionaux seraient mis en valeur ; Sorolla est ravi parce que lÕide dÕune Ïuvre de type historique lui donnait des sueurs froides. En effet, cela lÕobligeait mener des recherches sur des choses qui ne lui sont pas familires. È Alejandro Prez Lugin, ÒLa capa de Sorolla y la montera de HuntingtonÓ, Heraldo de Madrid, Madrid, 23/08/1915. Ç JÕai voulu peindre conformment la vrit, clairement, sans symbolismes ni littratures, la psychologie de chaque rgion ; je veux offrir, toujours lÕintrieur de mon cole raliste, une reprsentation de lÕEspagne ; mais en ne cherchant aucune philosophie, mais plutt le pittoresque de chaque rgion. Ce que, en revanche, je veux faire savoir ds maintenant, bien que je pense que sÕagissant de moi il soit inutile de le signaler, cÕest que je suis trs loin de lÕespagnolade. È II. Le march de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923 118 Pour contrebalancer ce dfaut et promouvoir aussi lÕEspagne modernise et savante, Huntington fait lÕacquisition dÕune galerie de trente-sept portraits peints par Sorolla cÕest--dire ceux dÕAlphonse XIII, Rafael Altamira (1866-1951), Gumersindo de Azcrate (1840-1917), Azorn, Po Baroja, Victoria Eugenia de Battenberg, Jacinto Benavente (1866-1954), Manuel Benedito, Jos Benlliure, Mariano Benlliure, Aureliano de Beruete, Vicente Blasco Ibez, Miguel Blay, Toms Bretn, Manuel Bartolom Cosso, Antonio Muoz Degrain, Jos Echegaray, Antonio Garca y Peris, Jos Gestoso (1852-1917), Juan Ramn Jimnez, Ricardo de Len y Romn (1877-1943), Raimundo de Madrazo, Jos Ramn Mlida, Jos Ortega y Gasset (1883-1955), Antonio Machado, Gregorio Maran, Emilia Pardo Bazn (1852-1921), Marcelino Menndez Pelayo (18561912), Ramn Prez de Ayala (1880-1962), Benito Prez Galds, Manuel Prez de Guzmn (1852-1929), Ramn Menndez Pidal (1869-1968), Alejandro Pidal y Mon, Francisco Rodrguez Marn (1855-1943), Francisco Sandoval (inc.-inc.), Leonardo Torres Quevedo (1852-1933) et Benigno de la Vega Incln. Ces portraits furent tantt achets leurs propritaires, tantt commands pour figurer dans cette galerie. Il reste enfin prciser quÕen Espagne Visin de Espaa nÕaura pas dÕinfluence sur la rception de son Ïuvre avant de nombreuses annes. En effet, les journalistes cits dans ce chapitre se contentent dÕvoquer un projet confidentiel dont ils ne connaissent que les grandes lignes cÕest--dire ce que le peintre a dvoil oralement au cours des entretiens accords et il se montre peu loquace quand il sÕagit de donner des dtails sur le sujet. Le presse ne manque pas de sÕen plaindre sans parvenir bien comprendre les raisons de tant de mystre : Ç Hasta ahora nadie ha visto los cuadros de Sorolla, ni nadie ha tenido noticias concretas de ellos. Se dice que Mr. Huntington exigi a Sorolla reserva absoluta hasta que la obra estuviera terminada, y el artista guarda religiosamente el secreto. È84 Mme au journal Heraldo de Madrid, il ne fait aucune rvlation aprs avoir pralablement mis en garde le reporter : Ç Despacio, despacio, amigo 84. Anonyme, ÒUna gran obra espaolaÓ, [?], [Sville], 26/08/1915. Ç JusquÕ maintenant personne nÕa vu les tableaux de Sorolla, ni mme ne dtient la moindre information concrte les concernant. On dit que M. Huntington exigea de Sorolla une rserve absolue jusquÕ ce que lÕÏuvre ft acheve, et lÕartiste garde religieusement le secret. È II. Le march de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923 119 mo, que usted est por preguntar mucho y yo por no decir nada. È85 Et il refuse catgoriquement de montrer la moindre toile aucun journaliste. Bien des annes plus tard, Manuel Gonzlez Mart expliquera que le peintre avait alors maille partir avec la critique car il considrait quÕelle encensait exagrment les Ïuvres dÕIgnacio Zuloaga et de Jos Gutirrez Solana.86 Le secret qui entoure Visin de Espaa nÕaura donc pas lÕoccasion dÕtre dissip puisque les quatorze panneaux ne seront pas prsents en Espagne avant dÕtre expdis vers les tats-Unis. Le Muse du Prado tentera dÕobtenir lÕautorisation dÕaccrocher le dcor complet dans ses salles avant son expdition mais la demande sera rejete. Le roi en personne aurait tent dÕobtenir la drogation ncessaire mais le contrat tait trs clair : lÕHispanic Society se rservait lÕexclusivit de sa prsentation publique. Les premires photographies en noir et blanc ne seront reproduites dans la presse espagnole quÕen 1926, lÕanne de lÕinauguration de lÕinstallation dfinitive.87 Enfin, comme il a t signal dans lÕintroduction, lÕensemble ne sera expos pour la premire fois en Espagne quÕen 2007 ! De lÕexposition Petit jusquÕ Visin de Espaa, la rception de Sorolla se teinte dÕune coloration nationale et politique. Ë compter de 1907, le peintre se lie dÕune amiti indfectible avec le roi Alphonse XIII quÕil prtendra considrer comme son propre fils, si lÕon en croit un entretien publi en 1913 dans La Correspondencia de Valencia.88 De toute vidence, cette relation influence lÕvolution de sa peinture vers des sujets toujours plus a-temporels, souvent anodins, qui ne dvoilent au monde quÕune image de lÕEspagne lumineuse et lisse. De mme, elle oriente sa carrire puisque sa prsence aux tats-Unis a pour toile de fond la reprise de la relation transatlantique dsire par le souverain. Mais tandis que le peintre gagne le respect et les faveurs de la presse conservatrice, qui voit en lui une sorte dÕambassadeur culturel de la monarchie, il provoque lÕindignation dÕune partie des intellectuels du pays dont les jugements svres 85. 86. 87. 88. A. Prez Lugin, ÒLa capa deÉÓ, Heraldo de Madrid, Madrid, 23/08/1915. Ç Doucement, doucement mon ami, vous avez envie de me poser beaucoup de questions et moi je ne peux rien dire. È Pelejero, ÒUsted que conoci a Sorolla, dganos Àcmo era?Ó, Levante, Valence, 17/09/1959. Mauricio Lpez Roberts, ÒLas Regiones de Espaa, cuadros de J. SorollaÓ, ABC, Madrid, 14/03/1926. Francisco Martn Caballero, ÒHablando con D. Joaqun en su estudioÓ, La Correspondencia de Valencia, Valence, 11/09/1913. II. Le march de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923 120 finissent par forger une Òlgende noireÓ dont des traces subsistent encore dans la perception actuelle de son Ïuvre. II. Le march de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923 121 II.3. LA LGENDE NOIRE DE SOROLLA En tant que correspondant Londres du quotidien argentin La Prensa, lÕcrivain espagnol Ramiro de Maeztu (1875-1936) couvre la troisime exposition particulire de Sorolla. En parlant de lui-mme la troisime personne, celui-ci observe dans lÕintroduction dÕun article consacr cet vnement : Ç El corresponsal empez a escribir crtica de arte en Madrid, hace cinco o seis aos, en el preciso momento en que Sorolla tocaba las cimas del triunfo y por eso mismo comenzaban a apuntarse tendencias hostiles a su manera de pintar. È89 Il situe donc le sommet de la carrire du peintre autour de 1902, une date qui concide avec la fin de sa carrire acadmique mais aussi, selon lui, avec lÕapparition dÕun courant dÕhostilit. LÕcrivain ajoute ensuite : Ç [É] ha luchado como un valiente para arrinconar a sus predecesores, para destacarse entre sus contemporneos. Ahora, por conquistar el mundo, aunque al trasponer las fronteras se le subleven dentro de la casa los que antes no se atrevan a pestaear sin su permiso. È90 Ce propos opaque mrite dÕtre clarifi. Par exemple, qui sont les ÒprdcesseursÓ, qui sont les ÒcontemporainsÓ et qui sÕest ÒsoulevÓ et contre quoi ? On peut supposer, tout dÕabord, que lesdits ÒprdcesseursÓ sont ces peintres dÕhistoire qui, comme Federico de Madrazo, Manuel Domnguez ou Salvador Martnez Cubells, sÕtaient montrs hostiles la peinture de Sorolla en lui barrant la route des honneurs. Dans la suite de son article, Maeztu considre que tant que le Valencien avait particip lÕExposition Nationale, il avait limit les chances dÕau moins trois peintres de sa gnration, les ÒcontemporainsÓ : Ignacio Zuloaga, Julio Romero de Torres et Daro de Regoyos. Certes, ces artistes nÕadhrent pas au courant naturaliste, mais ils ne partagent pas non plus les mmes affinits artistiques. En effet, les deux premiers cultivent un symbolisme sombre trs loign du divisionnisme de Regoyos. Mais ils appartiennent tous au 89. 90. Ramiro de Maeztu, ÒSorolla en LondresÓ, La Prensa, Buenos Aires, 24/06/1908. Ç Le correspondant commena rdiger des critiques dÕart Madrid, il y a cinq ou six ans, au moment prcis o Sorolla touchait le sommet de la gloire et, pour cette raison, des courants hostiles sa mainre de peindre commenaient voir le jour. È Ibidem, Ç Il a lutt comme un brave pour carter ses prdcesseurs, pour tirer son pingle du jeu parmi ses contemporains. Et maintenant pour conqurir le monde, mme si, au moment o il traversa les frontires, ceux-l mme qui nÕosait pas sourciller sans son autorisation se sont soulev chez lui. È II. Le march de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923 122 Modernismo, terme qui englobe tout le mouvement de modernisation de la culture espagnole clectique car on peut y retrouver aussi bien le Symbolisme que le Post-Impressionnisme de Daro de Regoyos, le Dcadentisme que son contraire, le Vitalisme, le Wagnrisme et lÕcole franco-belge en musique ou encore lÕArt Nouveau en architectur et dans les arts dcoratifs. Mais malgr leurs diffrences, Zuloaga, Romero de Torres et Regoyos frquentent, en 1906, le cercle de la bohme madrilne du Nuevo Caf de Levante autour de lÕcrivain Ramn del Valle-Incln. Le sculpteur Mateo Inurria (1867-1924), les peintres Eduardo Zamacois (1873-1971), Anselmo Miguel-Nieto (1881-1964), Beltrn Masses (1885-1949), Rafael Penagos (1889-1954) et Jos Gutirrez Solana ainsi que les frres Ricardo Ð peintre Ð et Po Baroja Ð crivain Ð ont frquent ce cercle qui fut le creuset dÕune autre conception de lÕart, qui se voulait plus sensible, leve et spirituelle.91 La forme picturale prne par le groupe sÕinscrit dans le sillage du prraphalisme anglais, du symbolisme du Franais Gustave Moreau (18261898), du Suisse Arnold Bcklin (1827-1901), ou encore du Belge Fernand Khnopff (1858-1921). En 1935, le critique Manuel Abril prfrera le terme dÕidalisme.92 En toute logique, le naturalisme lumineux de Sorolla est jug avec svrit par le cercle madrilne. Mais malgr cela, seul Valle-Incln affirme publiquement son aversion pour sa peinture dans les colonnes dÕun journal. Cela pourrait expliquer que son portrait ne figure pas dans la galerie iconographique de lÕHispanic Society, alors que celui de Po Baroja sÕy trouve. On tentera ici de mettre jour les causes dÕun rejet qui fut lÕvidence dÕordre esthtique. Mais un paradoxe invite mener plus avant la rflexion. En effet, le Valencien essuie les attaques les plus dures entre 1906 et 1908 alors quÕil expose loin de Madrid et nÕest donc pas en concurrence avec les peintres du Nuevo Caf de Levante ! Ce point mritera un clairage. Ignacio Zuloaga nourrissait une inimiti tenace envers le Valencien. En 1900, le jury dÕadmission des tableaux espagnols destins lÕExposition Universelle de Paris avait refus son tableau Vspera de la corrida qui lui avait valu une Premire Mdaille lÕExposition des Beaux-Arts de Barcelone en 1898. Zuloaga et beaucoup dÕartistes furent indigns par cette dcision, en particulier 91. 92. Francisco Pompey, Recuerdos de un pintor que escribe. Semblanzas de grandes figuras, Madrid, Artes Grficas Iberoamericanas, 1972, pages 20-25. Manuel Abril, De la Naturaleza al Espritu. Ensayo crtico de la pintura contempornea desde Sorolla hasta Picasso, Madrid, Espasa-Calpe, 1935, pages 29-60. II. Le march de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923 123 ses amis catalans ÒmodernistesÓ : Ramn Casas et Santiago Rusiol. Ce dernier, qui avait prsent six tableaux, renona participer lÕexposition devant la dcision du jury dÕen liminer quatre. Par consquent, la raction de Zuloaga et des artistes catalans devant le succs de Sorolla lÕExposition Universelle de Paris ne pouvait tre que ngative et certainement teinte dÕamertume puisquÕils nÕavaient pas pu y participer. Malgr tout, il y eut une sorte de compensation pour Zuloaga puisquÕil participera, toujours avec Vspera de la corrida, la VIIe Exposition de la Libre Esthtique Bruxelles, et que le gouvernement belge dcidera dÕacqurir cette Ïuvre si polmique. Comme lÕcrit Miguel Zugaza dans lÕintroduction du catalogue Sorolla-Zuloaga : Ç Inevitablemente, a partir de ese xito de 1900 se sucede el enfrentamiento abierto entre los defensores de uno y otro artista. È93 Dans une lettre son oncle Daniel, Ignacio Zuloaga dcrit ainsi lÕexposition du Valencien chez Georges Petit, environ dix jours avant sa fermeture : Bueno, pues imparcialmente he de decirte que la exposicin de Sorolla ha sido un desastre para la gente artista y para los que ven; aquellas quinientas telas le dejan a uno fro como la nieve, al salir de dicha exposicin. La opinin general es que Sorolla es muy trabajador y nada ms. Que su cerebro est completamente vaco de arte pero s lleno de maldad; que los retratos son horribles; que en cuanto quiere componer algo, es decir, crear, no sabe ni por donde empieza; que para l, el Arte es el aproximarse lo ms posible al natural y copiarlo como un carbn, lo cual es casualmente abnegacin completa. 94 Dans ce document priv, le peintre basque rduit la peinture de son compatriote une copie systmatique et minutieuse du motif, ce qui constitue pour lui une forme de renoncement artistique. LÕide a fait son chemin au sein de 93. 94. Sorolla y Zuloaga. Dos visiones para un cambio de siglo, Bilbao, BBK, 1997, page 17. Ç Invitablement, partir de ce succs de 1900 commence la lutte ouverte entre les dfenseurs de lÕun ou de lÕautre. È Mariano Gmez de Caso Estrada, Correspondencia de I. Zuloaga con su to Daniel, Segovie, Diputacin Provincial de Segovia, 2002, lettre n¡90 date du 28/06/1906, page 123. Ç Bon, eh bien, en toute impartialit je dois te dire que lÕexposition de Sorolla a t un dsastre du point de vue de la communaut artistique et pour tous ceux qui lÕont vue ; au sortir de cette exposition ces cinq cent toiles vous laissent de glace. LÕopinion gnrale est que Sorolla est trs travailleur et rien de plus. Que son cerveau est compltement vide dÕart mais au contraire plein de mchancets ; que les portraits sont horribles ; quÕ chaque fois quÕil veut composer quelque chose, cÕest--dire crer, il ne sait mme pas par o commencer ; que pour lui, lÕArt revient se rapprocher le plus possible de la nature et la copier comme au charbon, ce qui est, sans quÕil sÕen rende compte, un total sacrifice de soi. È II. Le march de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923 124 la presse franaise ainsi que le montre, par exemple, un article publi par le Mercure de France. Charles Morice (1860-1919), qui est un ami de Daro de Regoyos, accuse Sorolla de manquer de personnalit.95 Dans le quotidien parisien Gil Blas, Louis Vauxcelles (1870-1945) affirme que lÕEspagnol est incapable de sublimer la nature : Ç Ne demandons point Sorolla de penser. On lÕa dfini Òune main et un ÏilÓ. Le cerveau nÕa gure de part dans cette prodigieuse production. È96 Le peintre Zuloaga compare par drision lÕart du Valencien un procd mcanique rudimentaire, la copie au carbone. Mais lÕide dÕune intervention ÒmcaniqueÓ cache dans sa peinture est plus srieusement envisage par le peintre macchiaioli Giovanni Boldini (1842-1931), si lÕon en juge par un tmoignage rapport par le critique dÕart amricain Royal Cortissoz (1869-1948). En visitant lÕexposition Petit, Boldini est frapp par la ressemblance entre la slection de peintures quÕil dcouvre et la photographie et il lui semble possible que lÕEspagnol lÕutilise dans son processus de cration : I have always remembered with amusement what happened when I went with Boldini to the Sorolla exhibition at the Georges Petit Gallery in Paris. As we progressed form picture to picture Boldini seemed suddenly to get into the grip of some hidden excitement and for a time hesitated about telling me just was the matter ! At last he could stand it no longer. ÒThis man must work with a cameraÓ, he said; Òthey look like so many snapshots.Ó I donÕt believe Sorolla ever in his life used a camera, but the episode I have cited points with some justice to the nature of those impressions trough which he was first made know here.97 La photographie avait effectivement fait partie de la formation artistique de Sorolla puisque, paralllement ses tudes lÕAcadmie de San Carlos, il avait travaill dans un atelier photographique. Il utilisa ensuite des clichs afin dÕtudier la composition de lÕimage comme lÕa montr une exposition rcente, 95. 96. 97. Charles Morice, Òtitre inconnuÓ, Mercure de France, Paris, 06/1906. Louis Vauxcelles, ÒSorollaÓ, Gil Blas, Paris, 12/06/1906. Cortissoz, Royal, ÒThe Field of ArtÓ, ScribnerÕs, New York, 05/1926. Ç Je me suis toujours rappel avec amusement de ce qui arriva le jour o je me rendis avec Boldini lÕExposition Sorolla de la Galerie Georges Petit de Paris. Alors que nous avancions de tableau en tableau il me semblait que Boldini ft soudainement pris dÕune sorte dÕexcitation secrte et hsita un instant me dire simplement quel tait le problme ! Mais finalement, il ne put se taire plus longtemps. ÒCet homme doit travailler avec un appareil photographiqueÓ, dit-il, Òcela ressemble tellement des prises de vues instantannesÓ. Je doute que Sorolla ait un jour utilis un appareil photographique, mais lÕpisode que jÕai voqu tmoignait assez justement de la nature des impressions dont il me fit part alors. È II. Le march de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923 125 Sorolla y la otra imagen (2006). En 1903, il se lie dÕamiti avec le photographe de la cour Christian Franzen qui lÕaide, par exemple, arrter la composition du portrait dÕAlphonse XIII en uniforme des hussards. Mais lÕinfluence de la photographie sur son Ïuvre nÕa pas toujours t perue comme une preuve de son intelligence artistique et de la modernit de sa peinture comme le montre le tmoignage rapport par Cortissoz. La deuxime exposition personnelle de Sorolla, en Allemagne, passe compltement inaperue en Espagne, ce qui nÕest pas le cas de lÕexposition londonienne, qui est bien couverte par la presse espagnole car plusieurs portraits indits de la famille royale sont prsents au public avant de rejoindre les palais dans lesquels ils seront ensuite tenus loin des regards. Dans deux chroniques satiriques parues dans El Mundo, Ramn del Valle Incln sÕen prend violemment cette peinture quÕil ne connat quÕ travers des repoductions de presse. LÕcrivain estime, tout dÕabord, que les tableaux de Sorolla ne transmettent aucune motion. On se souvient que lÕexposition Petit avait laiss le peintre Zuloaga Òde glaceÓ, avait dclar celui-ci. Il rprouve ensuite la palette impressionniste, trop chamarre son got, et raille enfin la facture, quÕil juge maladroite. Solamente un perfecto y vergonzoso conocimiento de la emocin y una absoluta ignorancia esttica ha podido dar vida a esa pintura brbara, donde la luz y la sombra se pelean con un desentono teatral y de mal gusto. Por una quimrica e inverosmil semejanza, esa pintura de ocre y de violeta me ha dado siempre la emocin antiptica y plebeya de dos borrachos de pelen disputando a la puerta de una taberna. Solamente en una poca de mal gusto han podido los crticos alzar sus incensarios ante esos prodigios tcnicos, donde toda emocin desaparece, y apenas nos queda qu admirar en el pintor sino una habilidad manual muy inferior a la que el elefante tiene en la trompa y de la cual suele hacer alarde en los circos. 98. 98 Ramn Mara del Valle Incln, ÒNotas de la exposicin de bellas artes de 1908. Un pintorÓ, El Mundo, Madrid, 3/05/1908. Ç Seules une parfaite et honteuse connaissance de lÕmotion et une absolue ignorance esthtique ont pu donner vie cette peinture barbare, o la lumire et lÕombre se disputent dans un dchanement thtral et de mauvais got. Par une chimrique et invraisemblable similitude, cette peinture dÕocres et de violets mÕa toujours rappel cette motion antipathique et plbienne produite par deux ivrognes bagarreurs en train dÕen dcoudre devant la porte dÕune taverne. Il nÕy a que dans une poque de mauvais got que les critiques ont pu agiter leurs encensoirs devant ces prodiges techniques qui font disparatre toute motion et laissent peine de quoi admirer chez le peintre une habilet manuelle trs infrieure celle dÕun lphant avec sa trompe et dont il a lÕhabitude de faire la dmonstration dans les cirques. È II. Le march de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923 126 Dans un autre papier, lÕcrivain tourne en ridicule le portrait dÕAlphonse XIII en uniforme des hussards de Pavie, qui est le tableau le plus important de la slection londonienne : Surgi ante m, evocado por el recuerdo, el retrato de nuestro seor Rey, con el bizarro atavo de hsares colorado. La obra maestra del genio levantino [É] ÁOh, dolor de mi alma, cmo la vi con los ojos del espritu! ÁQu aridez, qu ausencia de emocin la que me dio al evocarla! Yo recordaba la palidez claustral de nuestro Csar y, trmulo de admiracin, adverta como al ser pintado haba sufrido una transformacin parecida a la que sufren los cangrejos al ser cocidos. Esta observacin me llen de cavilaciones. ÀSera esa la grande y moderna evolucin de la pintura ? 99 Valle-Incln admire Julio Romero de Torres plus que tout autre peintre mais, dans ce passage cÕest, semble-t-il, Ramn Casas quÕil oppose implicitement au Valencien car le Catalan avait peint deux portraits du roi plus conformes sa sensibilit. Quelques annes plus tt, Casas sÕtait inscrit dans la continuit du portrait de Cour et avait envelopp la figure du jeune roi dans une sombre mlancolie de circonstance car le pays venait de vivre le ÒDsastre de 1898Ó. Ë lÕinverse, Sorolla avait opt pour un portrait lumineux et dynamique qui tmoignait dÕune rupture avec le pass. SÕil y avait eu une rivalit entre Casas et Sorolla, celle-ci ne pouvait plus exister en 1908. Il convient donc de se demander si une raison non esthtique explique que Valle-Incln prend alors aussi durement parti contre Sorolla tant donn que son activit principale se situe alors hors des frontires du pays et quÕil ne fait, pour cette raison, plus dÕombre aucun peintre espagnol. Le critique dÕart Ricardo Gutirrez Abascal (1888-1963), qui crit sous le pseudonyme Juan de la Encina, apportera plus tard un clairage intressant sur les 99. Ramn Mara del Valle Incln, ÒNotas de la exposicin de bellas artes de 1908. Del retratoÓ, El Mundo, Madrid, 12/06/1908. Ç En cherchant dans ma mmoire, le portrait de notre monsieur Roi arborant lÕtrange accoutrement bigarr des hussards mÕapparut tout coup. Le chef dÕÏuvre du gnie levantin [É] Oh ! Pauvre de moi, combien je le regardai avec les yeux de lÕesprit ! Quelle scheresse, quelle absence dÕmotion mÕenvahit alors ! Je me souvenais de la pleur claustrale de notre Csar et, tremblant dÕadmiration, jÕobservais comment une fois peint il avait subi une transformation semblable celle dÕune crevisse lors de la cuisson. Cette observation mÕemplit de doutes. Ce sera donc cela la grande et moderne volution de la peinture. È II. Le march de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923 127 accusations de Valle-Incln. Dans un article publi quelques jours aprs la mort de Sorolla, dans lequel il utilisera le mot ÒsorollismeÓ comme une dsignation visiblement dj admise cette poque, le journaliste dclare : Ç Hemos combatido en distintas ocasiones y circunstancialmente su manera de pintar y, sobre todo, lo que pudiera denominarse su teora esttica informulada. È100 Le nologisme ÒsorollismeÓ renvoie la peinture trs formate des disciples de Sorolla qui fera lÕobjet dÕun autre chapitre. Sans dvelopper ce qui le sera par la suite, on peut nanmoins entamer cette question en signalant que si les partisans de Zuloaga et de Romero de Torres rejettent en bloc le ÒsorollismeÓ cÕest parce quÕ partir de 1904, ses jeunes adeptes accdent aux premiers prix de lÕExposition Nationale grce lÕinfluence de leur matre, alors mme que Daro de Regoyos, par exemple, choue encore. Quant Jos Gutirrez Solana et Daniel Vsquez Daz (1882-1969), qui participent pour la premire fois au concours, ils passent compltement inaperus. LÕdition de 1906 confirme mme la suprmatie des ÒsorollistesÓ. Manuel Benedito (1875-1963), le principal disciple du Valencien, domine encore les dbats et le vent ne commence tourner quÕ partir de lÕdition de 1908 au terme de laquelle Julio Romero de Torres et Santiago Rusiol dcrochent enfin des rcompenses de premier rang.101 Il y a donc cette poque non seulement une concurrence couteaux tirs entre les ÒsorollistesÓ et tous les reprsentants de courants picturaux diffrents, mais aussi une ingalit des chances fonde sur lÕinfluence de Sorolla sur les membres des jurys de lÕExposition Nationale. Aprs que la Mdaille dÕHonneur lÕait adoub comme premier peintre du pays, Sorolla mobilise en effet toute son influence au sein des mmes institutions qui lui avaient jadis t contraires ! En favorisant tel ou tel artiste form dans son atelier, il limite les chances des autres. Il use galement de toute son aura pour que la Mdaille dÕHonneur revienne ses ÒvieuxÓ matres valenciens, au mpris des tendances du moment. Il lÕobtient pour Muoz Degran, en 1910, pour Ignacio Pinazo, en 1912, et tente en vain dÕorienter le jury vers Francisco Domingo, en 100. 101. Juan de la Encina, ÒSorollaÓ, La Voz, Madrid, 17/08/1923. Ç Nous avons combattu en diverses occasions et selon les circonstances sa manire de peindre et, surtout, ce qui pourrait sÕappeler son informulable thorie esthtique. È Bernardino de Pantorba, Historia y crtica de las Exposiciones de Bellas Artes celebradas en Espaa, Madrid, Jess Ramn Garca Rama, 1980, pages 183-208. II. Le march de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923 128 1915, provoquant au passage la colre du peintre et critique dÕart Jos Francs.102 Dans les coulisses de lÕExposition Nationale, Sorolla tire toutes les ficelles car son avis compte plus quÕaucun autre. CÕest probablement cela qui conduit un auteur anonyme le juger si durement, dans un article paru dans El Blido. Le Valencien est prsent comme un homme arrogant et mprisant qui nÕaurait dÕgal que le soleil, dont il inonde ses tableaux : Ç Sorolla no ayuda a los pintores jvenes de talento. Es un hombre endiosado que se cree ms que Velzquez. Yo pinto el sol Ð dice. È103 ce qui signifie Ç Sorolla nÕaide pas les jeunes peintres de talent. CÕest un homme bouffi dÕorgeuil qui se croit suprieur Vlasquez. Moi je peins le soleil Ð dit-il. È Le peintre Hermenegildo Anglada Camarasa (1871-1959) rappelera, la fin de sa vie, que Sorolla et Benlliure lui barrrent obstinment la route car, selon lui, ils se mfiaient de la jeunesse artistique et voulaient les prix et les rcompenses pour eux seuls.104 LÕimmiscion du Valencien dans la vie artistique madrilne est au moins une raison non esthtique pour laquelle quelques-uns tirent sur lui boulets rouges ds les premires annes du sicle commenant. Avant de poursuivre, il convient dÕajouter deux observations. DÕabord, si Valle-Incln combat ponctuellement les choix esthtiques de Sorolla, en aucun cas ce peintre ne peut tre oppos de faon systmatique tous les intellectuels espagnols, ni une gnration dÕintellectuels, ni mme aux intellectuels du nord de lÕEspagne. Azorn, Juan Ramn Jimnez (1881-1958) Ramn Prez de Ayala (1881-1962), ou encore Miguel de Unamuno, lÕadmirent et le respectent comme le montrent plusieurs tmoignages.105 Dans un article sur lÕart publi en 1912, Miguel de Unamuno fait une analyse critique taye de lÕesthtique de Sorolla en partant des reprsentations quÕil avait faites du Pays Basque.106 Il exprime, par exemple, son malaise face sa reprsentation de la femme basque car elle lui semble exagrment lascive. Mais cela tant dit, il est impossible dÕassocier sans nuances Unamuno aux attaques de Valle-Incln. Des sources concordantes prouvent que les deux hommes sÕapprcient mutuellement et ont toujours 102. 103. 104. 105. 106. Jos Francs, ÒLas medallasÓ, El Ao Artstico, Madrid, 1915. Anonyme, ÒSorolla, los requets, los intelectualesÓ, El Blido, [Madrid], 11/07/1915. Anonyme, ÒNo arrempujenÉ no arrempujenÓ, Destino, Barcelone, 15/06/1955. Juan Ramn Jimnez, ÒSol de la tardeÓ, Alma Espaola, Madrid, 13/03/1904. Ramn Prez de Ayala, ÒSorollaÓ, La Prensa, Buenos Aires, 7/10/1923. Azorn, Obras selectas, Madrid, Biblioteca Nueva, 1953, page 870. Miguel de Unamuno, ÒDe Arte PictricaÓ, La Nacin, Buenos Aires, 21/07/1912 et 8/08/1912. II. Le march de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923 129 maintenu une bonne relation. Ë la demande de Archer Milton Huntington, Unamuno pose pour le peintre en 1920. Sans aucun doute, la qualit du lien entre Sorolla et ses contemporains facilite la ralisation de la galerie iconographique de lÕHispanic Society. Le commanditaire le comprend trs bien et sÕappuie sur le rseau social du peintre. On peut rappeler ici que lÕhispanophile nÕa pas toujours t bien peru en Espagne car, en 1898, la fin de la Guerre de Cuba, il y menait des fouilles archologiques sur le site dÕItlica, prs de Sville, et achetait des biens prcieux pour sa fondation new-yorkaise. Aprs lÕexplosion du navire amricain Maine dans le port de la Havane, le 15 fvrier, et lÕintervention militaire amricaine Cuba, Huntington doit abandonner le site archologique. En 1902, lorsquÕil fait lÕacquisition de la bibliothque du marquis de Jrez de los Caballeros, qui contient une premire dition du Don Quichotte de la Manche de Miguel de Cervantes, il dclenche la colre dÕAlphonse XIII.107 Aprs cela, il achtera des livres espagnols anciens seulement en dehors du pays. LÕimage de Huntington auprs des dirigeants et des intellectuels changera peu peu car il ralisera des investissements colossaux en Espagne et assurera la promotion du pays aux tatsUnis. Au chapitre de ÒSorolla et les intellectuelsÓ, il convient dÕvoquer le cas de Po Baroja qui diffre de celui de Valle-Incln dans la mesure o il ne colporte pas ses divergences ni avec lÕart ni avec la personne du peintre et ne les exprimera finalement que dans des mmoires publies tardivement.108 Il ne voit dans lÕart du Valencien quÕune formule commerciale indigne de son talent car il le considre, du reste, comme un des meilleurs peintres de son poque. Personne ne voit en Sorolla un mauvais peintre, au contraire, cÕest une ide que lÕhistorien Joaqun de la Puente (1925-2001) exprimera trs bien dans un article publi dans les annes soixante-dix : Ç De Sorolla nunca dijeron sus detractores que fuera pobre pintor. Al contrario, deploraban el exceso de sus facultades manuales y visuales. Segn ellos, en l slo haba manos y ojos. È109 Ë la demande du fondateur de lÕHispanic 107. 108. 109. Beatrice Gilman Proske, Archer Milton Huntington, New York, The Hispanic Society of America, 1965, page 9. Po Baroja, Memorias, Madrid, Caro Raggio, 1997 (1955). Joaqun de la Puente, ÒSorolla el GrandeÓ in Dibujos de Sorolla. Coleccin Pons Sorolla, Valence, Direccin General de Bellas Artes, 1974, page 12. Ç Ë propos de Sorolla, ses dtracteurs nÕont jamais dit quÕil tait un pitre peintre. Au contraire, ils dploraient chez lui lÕexcs de facults manuelles et visuelles. Selon eux, il nÕtait que mains et yeux. È II. Le march de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923 130 Society, il fait un portrait de lÕcrivain en 1914, mais leur rencontre est glaciale car les deux hommes connaissent leurs divergences.110 Enfin, le mpris de quelques socitaires du Caf de Levante relve dÕune opposition dÕordre artistique quÕil ne faut pas confondre avec lÕopposition dÕordre idologique, cette fois, qui allait sparer Sorolla de ses premiers soutiens, les rpublicains de Valence. Les deux choses ne sont cependant pas trangres lÕune lÕautre et ce nÕest pas le fruit du hasard si elles se manifestent concommitament, ainsi quÕon va le voir maintenant. Pour faire toute la lumire sur cette question, la collection de presse du Muse Sorolla offre nouveau de prcieuses indications car, partir de 1902, les rpublicains de Valence ne figurent plus parmi la collection de presse lÕexception de Vicente Blasco Ibez qui publie un seul article en 1907. Les autres noms rapparatront seulement en 1923 pour rendre hommage au peintre disparu. Il faut noter enfin que, sous la Seconde Rpublique, la collection comprend quatre articles de Roberto Castrovido car, durant cette priode, le souvenir de Sorolla sera raviv par le Parti de lÕUnion Rpublicaine Autonomiste (PURA), comme on le verra plus avant. LÕvolution de lÕactivit, de la position sociale ou encore de lÕentourage du peintre sont autant de facteurs responsables de la dsaffection des soutiens de la premire heure. Autour de 1906, la famille Sorolla connat alors une progression sociale rapide et est admise parmi la bourgeoisie royaliste de la capitale. LÕimage brosse lÕpoque de lÕaffaire de la Mdaille dÕHonneur sÕmiette et la commande royale de la Granja de San Ildefonso apporte finalement la preuve, si cela tait ncessaire, que Sorolla nÕest pas un homme de gauche. Ë Valence, cette Òdeuxime moitiÓ de la carrire du peintre est mal vcue mme si les tmoignages publis dans la presse de lÕpoque manquent. Il faudra attendre de nombreuses annes pour que les langues se dlient un peu. Depuis lÕEspagne franquiste, la presse phalangiste portera un regard accusateur sur cette priode : Sorolla no recibi de Valencia durante su vida el reconocimiento que la ciudad deba a uno de sus hijos ms preclaros. El Sorolla consagrado en Pars, en Londres y en 110. Sorolla y la Hispanic Society. Una visin de la Espaa de entresiglos, Madrid, Museo Thyssen Bornemisza, 1998, pages 347-349. II. Le march de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923 131 Nueva York no pudo vencer en Valencia el cacicato artstico de unas medianas cimentadas sobre los intereses creados del menos ambicioso provincianismo.111 Avant 1923, si un Valencien a lÕintention de sÕen prendre publiquement Sorolla, dans une lettre ouverte par exemple, personne ne le fait. Cela peut sÕexpliquer la fois par une logique de cohrence avec des positions prises dans le pass mais aussi par une forme de solidarit rgionale. De son vivant, le peintre est toujours admir et respect des Valenciens car il est le meilleur ambassadeur de la ville et de toute la rgion du Levant. Les Valenciens peuvent difficilement jet lÕopprobre sur celui qui a fait connatre dans le monde entier les plages de la Malvarrosa et de Cabaal, le Cap Saint Antoine de Jvea, le port du Grao, etc. La fiert et lÕadmiration lÕemportent sur tout le reste. Ë cette rgle, il y a toutefois une exception car, en dpit de ce qui vient dÕtre dit, Vicente Blasco Ibez exprime habilement son indignation dans deux textes : un roman intitul La maja desnuda (1906) et un article, ÒNieto de Velzquez, hijo de GoyaÓ, publi lÕanne suivante. Au printemps 1906 est publi le deuxime livre dÕune trilogie comprenant Entre naranjos (1900) et La voluntad de vivir (1907). Dans La maja desnuda, le romancier expose sa propre vision de lÕÇ Artiste È comme lÕavait fait, avant lui, mile Zola (1840-1902) dans LÕÎuvre, en 1886. Dans le quatorzime tome des Rougon-Macquart - Histoire naturelle et sociale dÕune famille sous le Second Empire, Zola sÕintresse au destin dÕun peintre ÒrefusÓ, dont les toiles sont exposes en marge du Salon officiel. Le hros de ce roman, Claude Lantier, est un peintre libre, imptueux et rvolt, tel que Zola percevait lui-mme le jeune Paul Czanne (1839-1906). Vingt ans plus tard, dans La maja desnuda, lÕcrivain espagnol donne naissance un double littraire de Sorolla nomm Mariano Renovales. Il pourrait tre driv de ÒrenovarÓ et ÒrenovacinÓ et faire donc implicitement allusion lÕpoque o le Valencien tentait de renouveler les codes picturaux dans son pays. Dans le premier chapitre du roman, le lecteur dcouvre un peintre de quarante-trois ans Ð lÕge de Sorolla en 1906 Ð au fate de sa gloire et de sa prosprit conomique. Une visite dans un Muse du Prado dsert lui 111. Anonyme, ÒLa vuelta de SorollaÓ, Jornada, Valence, 20/05/1944. Ç De Valence, Sorolla nÕa pas reu durant sa vie la reconnaissance que la ville devait un de ses fils les plus illustres. Le Sorolla consacr Paris, Londres et New York nÕa pas russi vaincre Valence lÕintelligentzia artistique repue de mdiocrits bases sur des intrts ns du provincialisme le moins ambitieux. È II. Le march de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923 132 donne lÕoccasion de se remmorer les principales tapes de sa carrire au fil dÕune longue analepse qui occupe les trois premiers chapitres du livre. Si lÕon passe la partie concernant sa formation, qui correspond scrupuleusement celle du Valencien, le premier Renovales rappelle le jeune Sorolla que Blasco avait dfendu au temps des Salons officiels. Le personnage lutte sans relche pour imposer sa peinture de Òplein airÓ et parvient dcrocher les plus hautes rcompenses, etc. Mais la conscration et la gloire le transforment. Conscient de la valeur de sa signature, il gagne grce elle des sommes considrables, mne grand train et ctoie la haute socit madrilne : Ç El maestro, amargado por las estrecheces de su perodo de lucha, sinti de pronto una ansia de dinero, una codicia dominadora que nunca le haban conocido sus amigos. È112 Renovales, qui nÕest pourtant que le fils dÕun modeste artisan de Valence, tourne alors le dos sa classe sociale dÕorigine. Dans une des scnes les plus marquantes, le peintre contemple le petit peuple de Madrid depuis un balcon, avec la satisfaction arrogante de celui qui a russi : Ç La pobre muchedumbre agolpada fuera le hizo recordar con cierto orgullo al hijo del herrero. ÁDios! ÁY cmo haba subido!É È113 Le hros madrilne sÕoppose donc radicalement Lantier dans la mesure o il incarne un nouveau modle dÕartiste que lÕon qualifie dj en Espagne, avant la sortie du roman, de Òpeintre installÓ.114 Francisco Acebal dcrit en 1904 lÕvolution de la condition conomique et sociale des peintres succs : Suele ser el artista espritu inquieto, rebelde a toda costumbre que tenga cara de rutina y no se da, sin embargo, cabal cuenta de que ya la vida bohemia entra en la clasificacin de las grandes rutinas. Hoy los ms sonados artistas de Europa son una nueva especie de plcidos burgueses, sometidos al severo rgimen de un trabajo metdico, perseverante y regular. Con esta sumisin aderezan la vida, una vida familiar, rica en goces verdaderos, y sobre esa vida, sobre esos hogares en donde la existencia ofrece las blandas comodidades del caudal bien adquirido, flota, con sus 112. 113. 114. Vicente Blasco Ibez, La maja desnuda, Madrid, Ctedra, 1998, page 246. Ç Le matre, aigri par les privations de sa priode de lutte, sentit tout coup un dsir ardent de richesse, une avidit imprieuse que ses amis ne lui connaissaient pas. È Ibidem, La majaÉ page 355. Sur les occurrences entre la vie de Joaqun Sorolla et celle de Mariano Renovales, on peut consulter lÕdition critique de Facundo Toms cite dans la note prcdente. II. Le march de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923 133 destellos ureos, la codiciada gloria. [É] Los tiempos del arte mendicante y pobretn pasaron ya. 115 Artistes bohme dans les annes 1870-1880, certains peintres de Òplein airÓ accumulent des fortunes considrables moins de vingt ans aprs, une poque o la reconnaissance publique de leur Ïuvre et lÕenvole de la demande prive transforment le march de lÕart. Entre 1890 et 1900, les revenus de Sorolla triplent, passant de 21.775 ptas. 79.135 ptas. par an.116 Au cours des cinq annes suivantes, ils sont de nouveau multiplis par deux, atteignant la somme colossale de 149.971 ptas. en 1905. Le portrait dit Òde socitÓ ou ÒmondainÓ, qui dcore habituellement les intrieurs bourgeois, reprsente la plupart des commandes particulires et constitue le premier facteur de cette progression. La presse de lÕpoque reflte cette volution puisque, par exemple, la revue mondaine et cosmopolite Gran Mundo y Sport consacre Sorolla une chronique dans sa srie des Òpeintres pour damesÓ dÕavril 1906.117 Ce genre dÕarticles revient ensuite assez frquemment pour que Sorolla lui-mme sÕindigne de se voir trait ainsi : Ç ÁYo pintor de retratosÉ y de retratos de seoras! ÁNo salgo de mi asombro! È crit-il son pouse en 1913.118 Car le genre entre en contradiction avec la libert laquelle il est attach et quÕil revendique, par exemple, en refusant des charges officielles. Vicente Blasco Ibez assimile cette activit une forme de prostitution intellectuelle. Dans le roman, le genre est synonyme dÕargent facile et de subordination au client : Ç Poda estar satisfecho de los retratos de aquellas gentes: ellos, unos seores despreciables, malas personas, ladrones casi todos. 115. 116. 117. 118. Francisco Acebal, ÒSorollaÓ, La Vanguardia, Barcelone, 1904. Ç LÕartiste a gnralement lÕhumeur vagabonde, rebelle toute habitude qui ressemble une routine, et il ne se rend pas bien compte du fait que la vie de bohme fait aussi partie des grandes routines. AujourdÕhui, les artistes europens les plus prestigieux constituent une nouvelle espce de bourgeois paisibles, soumis la svre astreinte dÕun travail mthodique, constant et rgulier. Cette constance est tout le sel de leur vie, une vie de famille, riche en plaisirs authentiques, et sur cette vie, sur ces foyers o lÕexistance offre le confort moelleux dÕune fortune bien acquise, flotte, comme une lumire dore, la gloire tant convoite. [É] LÕpoque dÕun art mendiant et indigent est rvolue. È Bernardino de Pantorba, La vida y la obra de Joaquin Sorolla. Estudio biogrfico y crtico, Madrid, Grficas Monteverde 1970, page 121. Manuel Carretero, ÒPintores de mujeresÓ, Gran Mundo y Sport, Madrid, 04/1906. Pantorba, La vidaÉ page 101. Ç Moi, un portraitisteÉ et portraitiste pour dames ! Je nÕen reviens pas ! È II. Le march de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923 134 [É] Aquella casa, con toda sus fachada de laureles y sus letras de oro, era un burdel. È119 On se souvient que, par le pass, lÕcrivain avait relev une parent entre les tableaux de Sorolla et ses romans et, par extension, entre les mtiers de peintre et dÕcrivain. Mais dans La maja desnuda, il est frappant de les voir opposs dornavant, ce qui pourrait tout fait reflter lÕvolution de sa relation avec son compatriote : Pero ahora para ser un pintor clebre haba que ganar mucho dinero, y ste slo se consegua con los retratos, abriendo tienda, pintando al primero que se presenta, sin derecho al escoger. ÁMaldita pintura! En el escritor era mrito la pobreza; representaba virtud e integridad. Pero el pintor haba de ser rico: su talento se juzgaba por las ganancias. 120 La bibliothque personnelle de Sorolla compte peu de livres, mais parmi eux figure un exemplaire de La maja desnuda ddicac par son auteur. Selon toute vraisemblance, Blasco lui-mme le lui adresse par courrier avec une lettre, or, aucun document de cette nature nÕest conserv dans les archives du Muse Sorolla. Quelques mois aprs la sortie du roman, Blasco publie un autre texte dans le quotidien argentin La Nacin.121 Malgr son titre, ÒNieto de Velzquez, hijo de GoyaÓ, il ne sÕagit nullement dÕun hommage Sorolla ainsi quÕil est invariablement interprt jusquÕ maintenant. Dans cette tude, nous nous inscrivons en faux contre cette vision des choses. Selon nous, dans la continuit de La maja desnuda, ce texte ne saurait tre un hommage. Contre toute logique, lÕcrivain y livre une vision de son compatriote apparemment identique celle quÕil brosse dix ans plus tt. Il dfend lÕide que son ami nÕa pas chang depuis lÕpoque o ils se sont rencontrs. Plusieurs intentions pourraient se recouper lÕintrieur de cet article : visiblement, Blasco 119. 120. 121. V. Blasco Ibez, La majaÉ page 253. Ç Il pouvait tre satisfait des portraits de ces gens : eux, ces messieurs mprisables, ces mauvaises personnes, presque tous voleurs [É] Cette maison, en dpit des lauriers de sa faade et de ses lettres dÕor, tait un bordel. È Ibidem, La majaÉ page 270. Ç Mais alors pour devenir un peintre clbre il fallait gagner beaucoup dÕargent, ouvrir boutique, peindre le premier qui se prsente, sans possibilit de choisir. Maudite peinture ! Pour lÕcrivain, la pauvret tait une valeur, elle reprsentait vertu et intgrit. Mais le peintre devait tre riche : on mesurait son talent lÕaune de ses revenus. È Vicente Blasco Ibez, ÒNieto de Velzquez, hijo de GoyaÓ, La Nacin, Buenos Aires, 3/03/1907. II. Le march de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923 135 veut convaincre le lecteur que Sorolla nÕa rien voir avec le Renovales du roman. Mais un lecteur avis peut aisment lire le contraire des affirmations et capter lÕironie de lÕcrivain. On peut lire par exemple : Ç Por encima de los honores de la gloria y del dinero, Sorolla ama su arte. È, Ç Au-del des honneurs de la gloire et de lÕargent, Sorolla aime son art.È Ou encore Ç Los honores le dejan fro, y en plena gloria de triunfador ilustre, rico y clebre, muestra cierta sencillez y descuido bohemios, como en sus primeros tiempos de lucha artstica. È cÕest-dire Ç Les honneurs le laissent de marbre et, en pleine gloire de vainqueur illustre, riche et clbre, il fait preuve dÕune certaine simplicit et dÕune nonchalance toute bohmiennes, comme aux premiers temps de ses combats artistiques. È Dans ce texte, Blasco voque la couleur politique de son compatriote, nÕhsitant pas le qualifier de rpublicain enthousiaste alors mme que celui-ci est sur le point de sÕatteler la commande royale qui vient de lui tre confie : Ç Reyes y gobiernos haciendo caer sobre su pecho bandas y condecoraciones, de las cuales, como silencioso pero entusiasta republicano, slo usa de la Legin de Honor, de la Repblica Francesa. È122 Ce propos jet publiquement depuis les colonnes dÕun journal grand tirage nÕa rien voir avec un hommage. Blasco nÕen revient pas de voir son ami se transformer en portraitiste pour dames de la haute socit et bientt en peintre courtisan et tout cela lui apparat comme une mascarade insupportable. Sorolla serait-il devenu le nouveau Federico de Madrazo ? CÕest la question quÕil semble poser alors. LÕcrivain connat la porte des mots et leurs consquences possibles alors que le peintre est sur le point de travailler la cour. LÕarticle oblige Sorolla prciser sa relation avec Blasco auprs du roi, quand celui-ci lÕinterroge en priv.123 Alphonse XIII a besoin de lui car il est lÕartiste le plus mme de rnover lÕimage de la monarchie et cÕest probablement pour cette raison que cela ne condamne pas ses chances et ne remet pas en cause la commande. En revanche, la relation entre le peintre et lÕcrivain sÕenvenime momentanment. CÕest cette poque que Sorolla cde le portrait de lÕcrivain 122. 123. Ibidem Ç Des rois et des gouvernements couvrant sa poitrine dÕcharpes et de dcorations, parmi lesquelles, en tant que silencieux mais enthousiaste rpublicain, il nÕarbore que la Lgion dÕHonneur de la Rpublique Franaise. È Sorolla est nomm Chevalier de la Lgion dÕHonneur en 1900 puis il reu la Grande Croix de la Lgion dÕHonneur en 1906 pour lÕensemble de son Ïuvre. Jos Manaut Nogus, ÒJoaqun Sorolla. Intimidades y recuerdosÓ, El Mercantil Valenciano, Valence, 10/08/1930. II. Le march de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923 136 lÕHispanic Society, provoquant la fureur de ce dernier.124 Ç Vine i te fare un altre È, Ç Viens et je tÕen ferai un autre È aurait-il reu pour toute rponse, mais lÕinvitation reste lettre morte puisquÕaucun autre portrait ne voit le jour.125 Au bout du compte, mme si leur relation est ponctue de hauts et de bas, dÕloges et de reproches mutuels, il nÕy a, apparemment, jamais de rupture franche et dfinitive. Malheureusement les sources manquent dÕun ct comme de lÕautre, cÕest--dire dans les archives du Muse Sorolla de Madrid et de la Maison-Muse Blasco Ibez de Valence. Mais au hasard dÕun document rencontr par chance, les deux hommes rapparaissent cte cte comme dans cette lettre de lÕcrivain adresse au peintre Fernando Vizca, date du 26 juillet 1913 : Ç Estuve en septiembre en Pars. Dios Mediante, te avisar mi llegada. [É] Dichoso arte que siempre da disgustos. Mil abrazos de Sorolla. Posdata: Hace un calor infernal. ÁTreinta y nueve grados a la sombra. È126 Au lendemain de la mort du peintre, les rpublicains de Valence commmorent chaleureusement le souvenir de leur compatriote, mais lÕhomme auquel la presse rpublicaine fait alors allusion est le premier Sorolla, celui de la peinture sociale et des luttes acadmiques, comme si le temps sÕtait arrt en 1901. Le reste est tout simplement cart. El Pueblo publie un numro spcial le 14 aot 1923 dans lequel on peut lire : Ç Su lucha en franco combate contra la miseria, nos presenta su temperamento, que sigue con tenacidad asombrosa hasta su muerte. È cÕest--dire Ç Sa lutte acharne contre la misre nous en dit assez long sur son caractre, quÕil conserva avec une tonnante obstination jusquÕ sa mort. È et Vicente Blasco Ibez rdige un hommage sous la forme dÕun prologue son roman Flor de mayo, dans une rdition illustre de tableaux du peintre. Il se limite voquer la jeunesse de son compatriote en citant La vuelta de la pesca, un tableau peint en 1894. En tant que farouches adversaires de la monarchie, les rpublicains de Valence ne considrent pas Sorolla comme une personnalit de dimension nationale et ils prfrent toujours le rduire une dimension locale ou lÕlever une dimension internationale gnralement dsigne, non sans emphase, 124. 125. 126. Vicente Blasco Ibez, 127x186, New York, HSA, 1906. V. Blasco Ibez, La majaÉ Page 60. Note n¡62. Vicente Borges, ÒSorolla y Vizca, en el Crculo. Una valiosa e interesante exposicin de pintura figurativa, de gran clase y buena escuelaÓ, La Tarde, Santa Cruz de Tenerife, 2/07/1962. Ç JÕtais Paris en septembre. Si Dieu le veut, je te prviendrai ds mon retour. [É] Satan art qui cause toujours des dceptions. Mille bonjours de Sorolla. Postscriptum : Il fait une chaleur infernale. Trente neuf degrs lÕombre. È II. Le march de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923 137 comme ÒuniverselleÓ. Ce rapport si particulier des rpublicains cet Òenfant du paysÓ et citoyen dÕhonneur de la ville reste toujours entour dÕune part de mystre. Toutefois, lÕenterrement du peintre, le 13 aot 1923, est riche de circonstances en tout genre qui, leur manire, aident la comprhension de ce lien. Au matin, le corps de lÕartiste est transfr en train de Madrid Valence. Depuis la gare, le cortge est cens prendre la direction du cimetire, mais des incidents clatent avant le dpart du corbillard. Pour le comprendre, il faut rappeler que Manuel Sigenza Alonso (1870-1964), le directeur du Cercle des Beaux-Arts de Valence, avait demand et obtenu les honneurs militaires pour le peintre.127 Les autorits ecclsiastiques et militaires accueillent donc le cortge ds sa descente du train. Mais la rdaction du quotidien El Pueblo, reprsente sur place par son directeur Flix Azzati et ses collaborateurs Arturo Perucho (inc.inc.), Jos Fernndez Serrano (1889-1963), Rigoberto Soler, Julio Just Jimeno (1894-1976), et quelques autres, peroit la prsence de lÕarme comme une intrusion du pouvoir central. Contre lÕavis des autorits et de la famille, la rdaction du journal sÕoppose physiquement au protocole prvu et une rixe clate devant la gare. Il est question, entre autres, que le cercueil reste sur le corbillard. Mais Flix Azzati en dcide autrement ; il se juche sur la voiture, soulve le cerceuil par une de ses poignes en bronze et harangue la foule au cri de Ç ÁSorolla es nuestro, es de Valencia! ÁValencia quiere llevarlo al jardn de los muertos sobre su corazn! È128 et les rpublicains sÕemparent du cercueil manu militari pour le porter eux-mmes travers les rues. Le ton monte nouveau et, pour viter que la dispute ne dgnre en pugilat, le cercueil est tantt port lÕpaule, tantt pos sur le corbillard. Le journal illustr madrilne Mundo Grfico publiera le lendemain quelques photographies de la foule compacte sÕcartant au passage de lÕattelage. Sur lÕune dÕentre elles, un cavalier ouvre la voie, sabre au poing, sommant la foule de reculer.129 Pour la rdaction dÕEl Pueblo, Sorolla symbolise encore ces classes populaires de Valence qui englobe la fois les artisans et les pcheurs quÕil avait couchs sur quelques-unes de ses toiles clbres. DÕailleurs, le journal ne manque 127. 128. 129. Enrique Malboysson, ÒSorolla y los honores oficialesÓ, El Pueblo, Valence, 14/08/1923. Ibidem Ç Sorolla est des ntres, il est de Valence ! Valence veut le porter jusquÕau jardin des morts sur son cÏur ! È Figure n¡6. Valence accueille la dpouille de Joaqun Sorolla (1923). II. Le march de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923 138 pas dÕopposer la ferveur populaire la pompe des solennits. Il rapporte, par exemple, quÕ lÕangle de la rue de las Comedias, trois femmes plores se jetrent sur le cerceuil pour y dposer leurs larmes avant dÕtre rudoyes sans mnagement, prcise le journal, par un militaire pied. Les incidents du 13 aot sont en quelque sorte le prlude la querelle qui allait sÕinstaller sous la Dictature et se prolonger tout au long de la Seconde Rpublique. En effet, Madrid et Valence opposeraient deux visions diffrentes de Sorolla, lÕune nationaliste et conservatrice, lÕautre rgionaliste et rpublicaine. III. La cration du Muse Sorolla : 1924-1939 139 III LA CRATION DU MUSE SOROLLA 1924 - 1939 La mort de Sorolla, le 10 aot 1923, est aussitt clipse par la crise politique qui dbouchera, un mois plus tard, sur une dictature avalise par Alphonse XIII. Dpass, sur le plan extrieur, par les revers subis par lÕarme espagnole au Maroc et, lÕintrieur, par les crises successives et les mouvements de protestation, le souverain concdera des pouvoirs extraordinaires au gnral Miguel Primo de Rivera le 15 septembre. Deux jours auparavant, lÕofficier sÕest soulev et a adress au roi un manifeste dans lequel il demande le dpart des hommes dÕtat quÕil qualifie de Òprofessionnels de la politiqueÓ. La Constitution de 1876 est suspendue, les partis politiques dclars illgaux, le parlement et les conseils municipaux destitus et lÕtat de guerre proclam. Un Directoire militaire remplace le gouvernement jusquÕen 1925. Dans ce contexte, le souvenir du peintre sÕestompe au point de sÕeffacer presque compltement. La rpartition des archives de presse met en vidence cet affaissement de lÕactivit critique qui est seulement interrompu par la couverture rserve lÕinauguration du Muse Sorolla, en 1932. Avec cent quarante-sept articles conservs entre le 1er janvier et le 23 novembre, cette anne reprsente un sommet critique lÕintrieur de la collection du Muse Sorolla. On tentera de comprendre dans ce chapitre dans quelle mesure la fondation dÕun muse monographique mettra fin lÕoubli dans lequel le peintre avait sombr, rappelons-le, dj avant sa mort. On sÕintressera ses nombreux disciples, les ÒsorollistesÓ et leur influence sur la rception de son Ïuvre. On verra o, par qui, et comment le souvenir et la commmoration du peintre seront pris en charge. Enfin, on cherchera expliquer pourquoi son hritage se trouvera au centre dÕun rapport de forces entre les rpublicains et les conservateurs, quelques annes seulement avant le dbut de la Guerre Civile. III. La cration du Muse Sorolla : 1924-1939 140 III.1. LE SOROLLISME LÕinfluence de Sorolla sur les peintres espagnols est une question vaste lÕintrieur de laquelle quelques distinctions doivent tre faites. Naturellement, sa peinture influe dÕabord sur des peintres de sa gnration tels que Jos Benlliure, Jos Moreno Carbonero, Gonzalo Bilbao (1860-1938), Cecilio Pl (1860-1934), etc. Il faut souligner, par ailleurs, que des peintres plus gs que lui, tels quÕAureliano de Beruete, Raimundo de Madrazo et Jaime Moreira y Galicia, transforment leur touche son contact. Or, dans ce chapitre, on ne sÕintressera ni aux uns ni aux autres, mais tous ces peintres plus jeunes que lui et qui, de faon plus ou moins directe, sont en quelque sorte les ÒcontinuateursÓ de sa manire. Ë la fin des annes cinquante, un journaliste de la revue littraire et culturelle madrilne ênsula jettera ce regard rtrospectif sur lÕimpact du matre sur les jeunes peintres : Los pintores y el pblico de nuestros das no pueden imaginarse la fama de que Sorolla goz en su poca. En los estudios alababan casi unnimemente su obra. Llegaban a ellos noticias de los triunfos que Sorolla obtena fuera de Espaa y de los precios a que se pagaban sus cuadros. Los ms de los pintores jvenes eran sorollistas.1 Par ses succs, sa notorit, ses voyages, la nature de ses commandes et le prestige de ses commanditaires, mais aussi par sa fortune personnelle, son patrimoine, ses relations, son aura, le matre de Valence a nourri les rves et les espoirs de plusieurs gnrations de peintres. Tout cela nÕaurait pas exist sans la presse nationale qui joue indniablement son rle dÕintermdiaire entre les media trangers et le public espagnol. Ë la manire dÕun jeune dÕaujourdÕhui rvant de suivre lÕexemple de tel footballeur ou de tel chanteur vu la tlvision et sur internet, les articles de presse font natre des vocations chez de nombreux jeunes. 1. Juan Menndez Arranz, ÒUna visita al pintor SorollaÓ, ênsula, Madrid, 15/04/1957. Ç Les peintres et le public dÕaujourdÕhui ne peuvent pas sÕimaginer la notorit dont Sorolla a joui son poque. Dans les ateliers, on faisait presque unanimement lÕloge de son Ïuvre. On recevait les nouvelles des succs quÕil obtenait hors dÕEspagne et des prix auxquels se vendaient ses tableaux. La majeure partie des jeunes peintres taient sorollistes. È III. La cration du Muse Sorolla : 1924-1939 141 Comme Claude Monet et Auguste Rodin en France, Sorolla et Benlliure ont t un jour, dans leur pays, les premires ÒstarsÓ espagnoles des Beaux-Arts. Parmi les ÒcontinuateursÓ de la peinture de Sorolla, il faut distinguer deux groupes : dÕune part, les jeunes forms dans son atelier entre 1892 et 1905, et dÕautre part, tous ceux qui nÕen franchissent jamais les portes et sont initis sa peinture par un autre matre. De 1910 1920, la manire du Valencien se diffuse largement lÕintrieur des acadmies et sur tout le territoire, car Sorolla a des admirateurs au sein des principales coles dÕart du pays.2 Certains sont tout simplement dÕanciens disciples dj reconvertis dans des fonctions professorales. Un des plus fervents promoteurs de la technique de Sorolla est lÕhistorien dÕart Rafael Domnech, qui enseigne lÕcole des Beaux-Arts de San Carlos de Valence. Il publie une monographie du peintre en 1910, aussitt traduite en franais.3 Parmi les sorollistes devenus professeurs, citons Teodoro Andreu, qui enseigne lÕcole des Beaux-Arts de Cadix ds 1904, Eduardo Chicharro, qui devient professeur lÕAcadmie Espagnole de Rome en 1912, Jos Mongrell, lÕcole des Beaux-Arts San Jorge de Barcelone en 1913. Enfin, en 1916, lÕimplication de Sorolla dans la vie artistique de sa ville dÕorigine provoque un dernier regain dÕintrt pour sa peinture chez de jeunes Valenciens ns autour de 1895. Il convient donc de sparer deux gnrations de disciples : celle des peintres ns dans les annes 1870 1880, qui frquentent son atelier madrilne, et celle de ces plus jeunes peintres ns dans les annes 1890 1900, forms dans les coles dÕart et / ou qui frquentent les ateliers des premiers. Dans le deuxime cas de figure, la premire gnration participe la formation de la relve. Il faut noter, enfin, que Sorolla dispense lui-mme un cours lÕcole des Beaux-Arts de San Fernando de Madrid durant la seule anne acadmique 1919-1920, mais son impact est trs limit car peu dÕlves y sont admis. Parmi les disciples de la deuxime gnration, tous ne russissent pas se dmarquer assez nettement du modle enseign. Certains pratiquent mme un art tellement formel quÕil tire vers la caricature dans la mesure o il repose sur des lments puiss, a et l, dans les tableaux du matre. Pour nommer cela, le 2. 3. L. Folch, ÒEl pintor Joaqun SorollaÓ, Diario de Barcelona, Barcelone, 08/1923. Rafael Domnech, Sorolla. Su vida y su arte, Madrid, Leoncio Miguel et Sorolla, sa vie et son Ïuvre, Madrid, Vilanova y Geltr-Oliva, 1910. III. La cration du Muse Sorolla : 1924-1939 142 nologisme ÒsorollismeÓ apparat en 1923 sous la plume de Ricardo Gutirrez Abascal comme une dsignation pjorative : El sorollismo es una variante levantina del impresionismo. [É] Pero no debe confundirse al sorollismo con Sorolla. El hijo no tiene, ni mucho menos, la calidad del padre. En todo caso, acenta, no ya lo que en el padre parece entrar en la categora de lo permanente, sino lo perecedero, lo circunstancial, lo inmediatamente caedizo. Es su caricatura por el defecto.4 ÒLa caricature par le dfautÓ est une dfinition cinglante qui doit tre comprise dans les limites du pictural. Car en copiant avec application tel ou tel coup de pinceau, effet de constraste, nuance, reflet, etc. isol de lÕensemble, certains jeunes disciples finissent par oublier leur propre ralisation au point de commettre dÕimportantes erreurs de composition et de proportion. La somme de ces morceaux de peinture pris, a et l, ne donne pas une autre peinture, mais bel et bien la caricature du modle. Au lendemain de la mort du matre, un flot dÕarticles critiques suit la publication des notices ncrologiques. A cette poque, les spcialistes Ricardo Gutirrez Abascal, Manuel Gonzlez Mart, Jos Francs (1883-1964) et dÕautres, tentent de porter un regard ÒdpassionnÓ sur les attaques dont le Valencien a t la cible durant les vingt dernires annes de sa vie. La disparition du matre est suivie dÕune rconciliation possible dans la mesure o le ÒsorollismeÓ expie tous les pchs. En effet, pour ces journalistes, le Valencien a t victime de tous les peintres qui galvaudent sa peinture en lÕimitant jusque dans ses traits les plus singuliers. Dans La Nacin, un journaliste tient le ÒsorollismeÓ pour une vulgarit qui a fini par nuire lÕimage de la peinture de Sorolla. Lo que pasa es que la manera sorollesca se ha hecho vulgar, a fuerza de contrahecha por gentes que han pensado que basta pincelar duro con colores bravos para parecerse 4. Juan de la Encina, ÒSorollaÓ, La Voz, Madrid, 17/08/1923. Ç Le sorollisme est une variante levantine de lÕImpressionnisme. [É] Mais le sorollisme ne doit pas tre confondu avec Sorolla. Le fils ne possde, ni de prs ni de loin, la qualit du pre. En tous cas, il accentue, non pas ce qui chez le pre entre dsormais dans la catgorie du prenne, mais au contraire, le prissable, lÕanecdotique, lÕphmre. CÕest sa caricature par le dfaut. È III. La cration du Muse Sorolla : 1924-1939 143 al maestro. Y lo peor no es que se haya hecho vulgar sino que, por culpa de esos plagiarios sin talento, haya sido calumniada y se haya desacreditado.5 Le critique Jos Francs considre que les peintres Francisco Pradilla et Jos Villegas ont survcu un genre puisque la peinture dÕhistoire sÕest teinte avant eux. Mais il souligne, comme un fait douteux et inquitant, que la peinture de Sorolla a survcu son crateur au point de devenir un genre part entire. Il ajoute, enfin, que le ÒsorollismeÓ est tellement tributaire de son modle quÕil est condamn disparatre brve chance. Toutes ces opinions trs svres ne tardent pas jeter lÕopprobre sur tous ceux qui, avec plus ou moins de russite, continuent peindre comme le matre disparu et le courant se dlite compltement partir de 1923. Ë cette poque, tout ce qui parat, de prs ou de loin, emprunt Sorolla est jug avec la plus grande svrit.6 Avant dÕaller plus avant, il faut prciser que le terme ÒsorollismeÓ volue au fil du temps au point de recouvrer tout et son contraire. Dans les annes quarante, un journaliste en propose deux dfinitions qui continuent aujourdÕhui se parasiter mutuellement : Y entindase por sorollismo el culto fervoroso, la admiracin incondicional y el justo apasionamiento hacia lo que Sorolla fue y represent en el mbito de la pintura nuestra. El otro sorollismo, el del amaneramiento de los seguidores del gran maestro, ya es ms discutible y hasta ms recusable.7 Le ÒsorollismeÓ est tantt synonyme dÕadmiration, dÕimitation ou mme dÕusurpation, et il est toujours peru comme un phnomne exogne, indpendant de la volont du matre. Or, il est temps de rappeler quÕil ne se dveloppe pas aux dpens de Sorolla et que, aux antipodes dÕune ide visiblement admise dj en 5. 6. 7. Anonyme, ÒJoaqun Sorolla y BastidaÓ, La Nacin, Buenos Aires, 12/08/1923. Ç Ce qui se passe cÕest que la manire sorollesque est devenue vulgaire, force dÕavoir t contrefaite par des gens qui ont pens quÕil suffisait de peindre obstinment avec des couleurs chatoyantes pour ressembler au matre. Et le pire nÕest pas quÕelle ft devenue vulgaire mais que, cause de ces plagiaires sans talent, elle ait t calomnie et discrdite. È Jos Francs, ÒEvocacin de Joaqun SorollaÓ, La Esfera, Madrid, 9/02/1924. J.O., ÒSorolla en Nueva YorkÓ, Jornada, Valence, 3/10/1946. Ç Et comprenez bien par sorollisme le culte fervent, lÕadmiration inconditionnelle et lÕengouement justifi pour ce que Sorolla fut et reprsenta dans le domaine de notre peinture. LÕautre sorollisme, celui des continuateurs maniristes du grand matre, est dj plus discutable et mme plus contestable. È III. La cration du Muse Sorolla : 1924-1939 144 1923, ou passe sous silence, il veille lui-mme crer les conditions les plus favorables sa survie et son expansion. Invitablement, le premier foyer de ÒsorollismeÓ est lÕatelier du peintre. Rappelons quÕavant longtemps, il est impossible dÕtudier la peinture de Sorolla sans entrer dans son atelier puisque les muses du pays ne possdent pas assez de tableaux. Arriv Madrid en 1890, Sorolla sÕinstalle trois ans plus tard dans lÕancien atelier du peintre Jos Jimnez Aranda, quand celui-ci dcide de regagner Sville, sa ville dÕorigine. Ë cette poque, le Valencien a dj quelques lves auxquels sÕajoute le petit groupe de disciples de son confrre8. Le journaliste Jos Valenzuela (inc.-inc.), qui crit sous le pseudonyme Riverita, est frapp par la jeunesse de ce matre peine plus g que ses lves : Ç Hoy se agrupan a su alrededor una porcin de jvenes entusiastas que buscan sus enseanzas y solicitan sus consejos. Sorolla ha comenzado por donde la generalidad termina. È9 Un cahier de comptes tenu par lÕpouse du peintre prouve dÕailleurs, au moins jusquÕ lÕanne 1905, que Sorolla peroit le produit des enseignements quÕil dispense.10 Cet atelier attire rapidement des disciples venus de lÕtranger, principalement des tats-Unis, comme William Starkweather (1879-1969) et Dudley Croft Watson (inc.-inc.) qui entreprennent de voyager en Espagne dans le seul but de se former aux cts du peintre.11 Ë cette poque, les jeunes Amricains sÕtablissent temporairement en Europe et entrent lÕAcadmie Julian, fonde par Rodolphe Julian (1839-1907), ou intgrent les ateliers de peintres succs comme Jean Lon Grme ou William Bouguereau (18251905), etc. Ë Paris, ils forment une colonie et, de l, parcourent les capitales europenes.12 Mais la plupart des lves de Sorolla sont originaires de Valence, tels que Jos Navarro Llorens (1867-1923), Teodoro Andreu (18701935), Joaqun Martnez Lumbreras (inc.-inc.), Jos Mongrell (1870-1923), Felipe 8. 9. 10. 11. 12. Bernardino de Pantorba, La vida y la obra de Joaquin Sorolla. Estudio biogrfico y crtico, Madrid, Grficas Monteverde, page 115. Riverita, ÒJoaqun SorollaÓ, La Unin Vascongada, Saint-Sbastien, 27/11/1893. Ç AujourdÕhui il est entour dÕun groupe de jeunes enthousiastes recherchant ses enseignements et sollicitant ses conseils. Sorolla a comenc l o la plupart finit. È Le cahier de compte de la famille Sorolla tenu par Clotilde Garca del Castillo est conserv au Muse Sorolla. Sa consultation est, pour lÕinstant, restreinte et contrle. Priscilla E. Muller, ÒSorolla y AmricaÓ in Joaqun Sorolla, Londres, Philip Wilson, 1989 page 60. Kathleen Adler, ÒWeÕll always have Paris : Paris comme cole et comme cadreÓ in Amricains Paris 1860-1900, Londres, 5 Continents & The National Gallery, 2006, pages 11-55. III. La cration du Muse Sorolla : 1924-1939 145 Abarzuza (1871-1848), Julio Vila Prades (1873-1930), Eduardo Chicharro (18731949), çlvaro Alcal Galiano (1873-1936), Enrique Martnez Cubells (18741947), Isidoro Millas (1875-1938), Samuel Ma (1875-1955), Manuel Benedito Vives (1875-1963), Ricardo Verde Rubio (1876-1954), Jos Bermejo (1879-inc.), Fernando Vizca (1879-1936), Salvador Tuset (1883-1951), Peppino Benlliure (1884-1916), Francisco Merenciano (1885-1934), Francisco Pons Arnau (18861953) et beaucoup dÕautres. Cette gnration de peintres espagnols est aussi celle, rappelons-le, de Pablo Picasso et Carlos Casagemas, ns tous deux en 1881. Ë lÕpoque o ils frquentent le cabaret barcelonais Els Quatre Gats, lÕAndalou et le Catalan sont plus influencs par Ramn Casas que par Sorolla. Entre 1904 et 1920, le naturalisme lumineux hrit du matre assure la russite acadmique et, dans certains cas, le succs commercial de cette premire gnration de ÒsorollistesÓ. Mais il convient de se demander si ces peintres auraient perc lÕExposition Nationale et / ou sur le march de lÕart en dÕautres circonstances. Il est difficile de le savoir, mme si on peut au moins penser quÕils nÕauraient pas russi si tt et mont si vite tant donn que la plupart dÕentre eux sont encore jeunes et inexpriments lÕheure de leurs premiers succs. LÕinfluence de leur matre est telle quÕelle a pu en aider certains gravir aussi aisment que prmaturment les chelons de lÕExposition Nationale, de la Mdaille de Troisime Classe jusquÕ la Mdaille dÕHonneur, pour lÕun dÕentre eux. Huit ditions du concours sont organises durant cette priode, en 1904, 1906, 1908, 1910, 1912, 1915, 1917 et 1920. Voici synthtiquement les rcompenses obtenues par les ÒsorollistesÓ13 : 13. Tableau labor partir de lÕouvrage de Bernardino de Pantorba, Historia y crtica de las Exposiciones de Bellas Artes celebradas en Espaa, Madrid, Jess Ramn Garca Rama, 1980 (1948), pages 183-249. III. La cration du Muse Sorolla : 1924-1939 ANNEE 1904 146 NATURE DE LA MEDAILLE 1re CLASSE 2me CLASSE 3me CLASSE M. Benedito J. Bermejo T. Andreu E. Chicharro J. Vila Prades J. Mongrell E. Martnez C F. Abrzuza S. Ma 1906 M. Benedito 1908 E. Chicharro DECORATION J. Bermejo 1910 P. Benlliure J. Bermejo T. Murillo S. Tuset J. Navarro 1912 E. Martnez C J. Navarro T. Murillo J. Bermejo A. Alcal-G 1915 J. Navarro P. Benlliure 1917 1920 A. Alcal-G S. Martnez M En 1904, Sorolla prside le jury de la section de peinture, ce qui explique que, parmi les quatre laurats dÕune Mdaille de Premire Classe, seul le Catalan Ramn Casas nÕest pas un de ses disciples. CÕest un peintre confirm, g de quarante-et-un ans Ð trois ans de moins que Sorolla Ð, mais qui se trouve ici au mme niveau que ses jeunes lves. Manuel Benedito, Eduardo Chicharro et Enrique Martnez Cubells remportent pour la premire fois ce prix. Benedito parvient atteindre le mme niveau de russite en 1906, Chicharro en 1908, et Martnez Cubells sÕimpose en 1912 avec un tableau mdiocre mais dont le titre, La vuelta de la pesca, fait clairement cho un chef-dÕÏuvre bien connu de Sorolla. Comme leur matre en son temps, tous trois sont donc des prtendants III. La cration du Muse Sorolla : 1924-1939 147 la Mdaille dÕHonneur que seul Chicharro dcroche en 1922, avec Las tentaciones de Buda.14 Pour plusieurs raisons, la deuxime gnration de ÒsorollistesÓ ne connat pas une russite comparable la prcdente. Premirement parce quÕelle accde aux concours dÕtat une poque o Sorolla nÕest plus aussi influent car sa commande amricaine lÕaccapare. Ensuite, la qualit des productions de ces jeunes est globalement infrieure celles de leurs ans. En effet, les ÒsorollistesÓ de la deuxime gnration essayent de se rapprocher au maximum dÕun modle dont ils nÕont quÕune ide vague puisque, aussi tonnant que cela puisse paratre, ils ne connaissent les tableaux de Sorolla quÕ travers des reproductions ! Ë lÕinverse de la premire gnration, ils nÕont pas ctoy la peinture du matre et ne la connaissent, pour ainsi dire, pas. Tous, sans exception, peignent des scnes de plage en abondance car Sorolla en avait fig les codes au point de donner naissance un genre. Cependant, il nÕa laiss aucune de ces scnes de plage dans sa ville natale, lÕexception dÕune toile intitule Playa de Valencia qui figurait dans la collection du marquis de Montortal mais laquelle aucun dÕentre eux nÕeut jamais accs.15 La deuxime gnration de sorollistes a, avant tout, un intrt sociologique, comme vestige dgrad en commercialisation de lÕart de Sorolla. Est-elle un courant ? un genre ? un sous-genre ? ou un simple effet de mode ? Elle pourrait nÕtre quÕune Òniche de peintureÓ Ð la plage lÕt Ð commercialement comparable dÕautres modalits picturales telles que les courses de chevaux, les animaux, les sports mcaniques, etc. Les ÒsorollistesÓ de la deuxime gnration frquentent, selon les cas, les ateliers des ÒsorollistesÓ de la premire gnration car, occup honorer sa commande, le matre est devenu quasiment inaccessible. Rigoberto Soler (18961968) est le disciple dÕun ÒsorollisteÓ de la premire gnration, Jos Mongrell. Le jeune homme affirme vnrer Sorolla comme sÕil sÕagissait dÕun dieu vivant bien que, jusquÕen 1917, il ne lÕa pas rencontr une seule fois ! Il raconte que lorsquÕil se prsente au domicile du matre sans avoir t recommand, le gardien lui en refuse lÕentre. Il rdige alors le billet suivant : Ç Permtame maestro, le 14. 15. Enrique Martnez Cubells, La vuelta de la pesca, 84x105, Malaga, Muse de Malaga, 1911. Eduardo Chicharro, Las tentaciones de Buda, 366x290, Madrid, RABSF, 1922-1943. Fernando Dicenta de Vera, ÒClausura del centenario de Sorolla. La realidad y el sueo realizableÓ, Las Provincias, Valence, 28/02/1964. III. La cration du Muse Sorolla : 1924-1939 148 haga saber que soy discpulo de Jos Mongrell, hijo espiritual de usted; por lo tanto soy de usted su nieto y con el mayor dolor de mi vida me he visto que no me recibe mi abuelo. È16 Aprs quoi il est finalement reu et dcouvre alors le contenu des ateliers. De mme, Juan Menndez Arranz de la Torre (1884-inc.), un peintre amateur recommand par Cecilio Pl, est chaleureusement accueilli par le matre qui apprcie, semble-t-il, le contact avec la jeunesse. 17 Sorolla se mfie de la critique et se refuse expliquer sa peinture : Ç Yo slo pinto cuadros, son los dems los que me los explican a su manera È cÕest--dire Ç Moi je ne fais que peindre les tableaux, ce sont les autres qui me les expliquent leur faon. È disaitil. Cependant, il apprcie par dessus tout de partager ses ides et son exprience mais aussi dbattre de questions purement techniques avec les gens de son mtier, dont il aime tre entour.18 La gnration de ces deux garons, qui se veut lÕhritire de Sorolla, sÕattache le dmontrer sur la toile, au risque de verser dans le pastiche. Parmi ces peintres, presque tous ns Valence, il faut citer encore Santiago Martnez (1890-1979), Toms Murillo Ramos (1890-1934), le plus ÒsorollisteÓ des ÒsorollistesÓ si lÕon en croit Jos Manaut Viglietti (1898-1971). Cet artiste, luimme disciple du matre, est le fils dÕun proche ami de Sorolla, le journaliste valencien Jos Manaut Nogus (inc.-inc.). DÕailleurs, il consacrera une monographie son matre, en 1964, dans laquelle un chapitre traite du ÒsorollismeÓ.19 Chez les derniers reprsentants de ce courant il y avait aussi Ernesto Valls (1891-1941), Alfredo Clars (1893-1965), Francisco Gras (1897inc.), Casimiro Garca Raga (1898-1985), ainsi que beaucoup dÕautres artistes dont les noms ne sont pas toujours passs la postrit. Sorolla tient ce que ces peintres accdent une reconnaissance officielle qui, selon lui, constitue la condition sine qua non toute perce sur le march national. Par ailleurs, il considre que la peinture qui lÕa rendu clbre et a fait sa fortune peut, entre les mains de ces jeunes Valenciens enthousiastes, faire 16. 17. 18. 19. Rigoberto Soler, ÒRecuerdos del maestroÓ, El Pueblo, Valence, 14/08/1923. Ç Permettezmoi, matre, de porter votre connaissance que je suis le disciple de Jos Mongrell, votre fils spirituel ; par consquent je suis votre petit-fils et avec la plus grande douleur de ma vie, je me suis vu refus lÕentre du domicile de mon grand-pre. È Juan Menndez Arranz, ÒUna visita al pintor SorollaÓ, ênsula, Madrid, 15/04/1957. Hiplito To, ÒSorolla era en la intimidad un hombre cariosoÓ, Las Provincias, Valence, 17/04/1960. Jos Manaut Viglietti, Crnica del pintor Joaqun Sorolla, Madrid, Editora Nacional, 1964. III. La cration du Muse Sorolla : 1924-1939 149 prosprer une rgion et peut-tre mme tout un pays. Il avait peut-tre hrit cette conviction de lÕun de ses matres, Ignacio Pinazo (1849-1916), qui prchait avant lui un discours similaire : Ç El regionalismo, desde el punto de vista del arte, aportara grandes ventajas; las modalidades seran ricas y varias. Espaa, por su situacin geogrfica, lo pide y lo necesita. È20 Sorolla voyage suffisamment pour comprendre que lÕart et lÕindustrie ont une valeur ajoute trs suprieure aux productions agricoles sur lesquelles reposent lÕconomie de sa rgion natale. En suivant la voie du progrs, Valence rivaliserait bientt avec une ville comme Barcelone, dans laquelle il sjourne longuement en 1915 pour peindre le dixime panneau du dcor, Catalua. El pescado. Dans une lettre son ami Jos Manaut Nogus, il affirme : Ç [É] sera la pintura riqueza valenciana ms poderosa que el arroz y la naranja, y si esto ocurre, como ocurrir, debemos bendecir el haber nacido. È21 Pour saisir le sens de ces lignes il faut garder lÕesprit lÕide que Sorolla est vritablement proccup par le progrs conomique et social de son pays et, en tant quÕartiste de premier plan, il pense y contribuer. Sa peinture se vend si cher quÕelle constitue trs tt une cible de choix pour les voleurs et les faussaires. Le vol et la contrefaon sont dÕexcellents baromtres de la cote dÕun artiste puisque, en toute logique, ils ne touchent que les peintres les plus cots. Dans le cas du peintre espagnol, cÕest le succs retentissant de son exposition new-yorkaise, en 1909, qui dclenche la prolifration de faux. Des toiles frelates circulent sur le march amricain, et plus tardivement et en plus grande quantit, sur le march espagnol. En 1911, lors de son passage Chicago, Sorolla est directement confront une rplique de son tableau El bao. Jvea, conserv au Metroplitan Museum de New York.22 Effar, il constate lui-mme la contrefaon et le journal Chicago Illustrated rend compte de toute lÕaffaire en rapportant le dmenti ci-aprs : Ç Jamais, jamais de ma vie, did I paint such a picture, he said. It was a botch, a daub. Some one in America is making a business of forging my works. I have heard that some dealer in New York has had others 20. 21. 22. Pinazo cit par Jos Guillot Carratala, ÒPor fin se abri al pblico el museo del insigne SorollaÓ, El Adelantado, Salamanca, 16/03/1933. Ç Le rgionalisme, du point de vue de lÕart, apporterait de grands bnfices ; les modalits seraient riches et varies. LÕEspagne, par sa situation gographique, le rclame et en a besoin. È J.M. Viglietti, CrnicaÉ page 97. Ç La peinture deviendrait une richesse valencienne plus forte que le riz et lÕorange et, si cela arrive, comme ce sera le cas, il faut remercier le ciel quÕil en soit ainsi. È El bao. Jvea, 90Õ2x128Õ3, New York, The Metropolitan Museum of Art, 1905. III. La cration du Muse Sorolla : 1924-1939 150 for sale. È23 Le ÒsorollismeÓ accentue le problme car les jeunes peintres sont, tantt sciemment, tantt leur insu, des propagateurs de faux. Les marchands sont, dans certains cas, des faiseurs de toiles de matre ainsi que lÕont dmontr plusieurs affaires. Dans les annes quatre-vingt, un faux vendu pour vritable sera la cause dÕun procs retentissant Madrid car la transaction sÕlvera dix millions de pesetas.24 Or, lÕauteur du tableau serait, selon toute vraisemblance, Jos Navarro, un ÒsorollisteÓ de la premire vague. Chez Sorolla, la signature nÕest pas indicateur fiable car elle varie normment dÕune poque une autre sous les formes : J. Sorolla, J. Sorolla B. ou J. Sorolla y Bastida.25 Le peintre nÕaccorde pas la moindre importance ce dtail tellement pris du client. Ë une riche cliente qui lui rclamme une signature bien visible ct de son portrait, il aurait rpondu : Ç Todo lo grande que sea para que ni usted ni yo hagamos el ridiculo. È26 Avant les expositions individuelles, toute la famille sÕemploie signer toutes les toiles dÕun coup ; cÕest pourquoi cinq graphies diffrentes, celles des poux et des trois enfants, doivent tre distingues. Mara Jess Burgueo a rcemment tudi cette question dans un article difiant intitul ÒSorolla bajo la lupa. Anlisis del pintor ms falsificadoÓ.27 En 1916, Sorolla fait tape Valence pour peindre le onzime panneau de son dcor, Las grupas. Valencia. Il travaille sa ralisation de janvier mars, et dcide ensuite de marquer une longue pause jusquÕen janvier 1917.28 Durant ce sjour dans ville natale, il reprend son compte lÕide dÕy difier un Palais des Beaux-Arts et de lÕIndustrie capable dÕaccompagner lÕessor conomique de la rgion en accueillant des expositions de grande envergure. Le projet nÕest pas nouveau puisquÕil a dj t soulev avant lÕExposition Rgionale de 1909. Cette exposition industrielle et commerciale avait t imagine comme une vitrine pour 23. 24. 25. 26. 27. 28. Anonyme, ÒSorolla Finds Forged PictureÓ, Chicago Ill., Chicago, 22/03/1911. Ç Jamais, jamais de ma vie je nÕai peint un tel tableau, dit-il. CÕtait un travail de sagouin, une crote. QuelquÕun en Amrique est en train de faire des affaires en contrefaisant mes Ïuvres. JÕai entendu dire quÕun vendeur de New York en a eu dÕautres vendre. È Romano (Jos Mara Jimnez Aguirre), ÒPleito sobre la compraventa de un SorollaÓ, ABC, Madrid, 12/12/1981. Bernardino de Pantorba, La vida y la obra de Joaquin Sorolla. Estudio biogrfico y crtico, Madrid, Grficas Monteverde, 1970, page 132. R. Mart Orbera, ÒUn recuerdo de Sorolla. Crnica ntimaÓ, La Voz Valenciana, Valence, 9/08/1924. Ç Aussi grande que possible de sorte que ni vous ni moi nÕayons lÕair ridicule. È Mara Jess Burgueo, ÒSorolla bajo la lupa. Anlisis del pintor ms falsificadoÓ, Subastas Siglo XXI, Madrid, 03/2001. Jos Luis Dez, ÒLa Ç visin de Espaa È de Sorolla. Gestacin plstica de un proyectoÓ in Sorolla y la Hispanic Society, 1999, page 222. III. La cration du Muse Sorolla : 1924-1939 151 les entreprises de la rgion. En dcembre 1908, Mariano Benlliure, Manuel Benedito et Sorolla avaient demand dj la construction dÕun difice permanent qui devait se trouver, selon eux, hors de lÕenceinte de lÕexposition quÕils jugeaient trop loigne du centre ville. La municipalit avait favorablement accueilli cette proposition mais elle avait demand aux artistes de runir des subventions hauteur de six cent mille pesetas et ce fut probablement faute des fonds ncessaires que le projet ne vit pas le jour.29 Huit ans plus tard, le projet est donc relanc par Sorolla. Entre ses mains, il prend une tournure inattendue car, avec lÕaide des frres Benlliure, Manuel Benedito, Antonio Muoz Degrain, Rafael Domnech, et quelques autres, il russit Ð momentanment Ð fdrer autour de cette ide ambitieuse les artistes et les intellectuels valenciens les plus en vue. La presse locale rend compte des principales tapes du projet ressuscit qui commence prendre forme aussitt avec, comme premier pas, la cration dÕun comit excutif prsid par Jos Benlliure puis par Gonzalo Salv. Ce collectif est cens rcolter les fonds ncessaires la construction de lÕdifice. Afin de prsenter le projet au public, le comit organise un spectacle au Thtre Principal de Valence auquel assistent les lites et les autorits de la ville.30 En hommage la peinture valencienne, des Òtableaux vivantsÓ reconstituent, sur les planches, Muerte del Rey don Jaime de Ignacio Pinazo (1849-1916), Santa Clara de Francisco Domingo (1842-1920), San Francisco dÕAntonio Cortina (1841-1890), Los dos amigos de Joaqun Agrasot (1837-1919), ou encore La vuelta de la pesca de Sorolla. Ë la fin du spectacle, une vue du futur Palais des Beaux-Arts, dessine par lÕarchitecte catalan Federico Aymam (inc.-inc.), est dvoile sur la scne sous les applaudissements et les ÒÁViva Valencia !Ó Le quotidien Heraldo de Madrid dcrit un difice de style noclassique de cent mtres de long par vingt trente mtres de large entour dÕune colonnade et surmont dÕune coupole dans sa partie centrale.31 Il en estime la construction cinq cent mille pesetas, une somme importante mais nanmoins justifie pour un tel projet car, titre de comparaison, lÕExposition rgionale de 1909, pour laquelle une dizaine de btiments avait t construits, avait cot six millions de pesetas.32 29. 30. 31. 32. Anonyme, ÒValenciaÓ, ABC, Madrid, 29/12/1908. Anonyme, ÒEl festival de anoche por el palacio de Bellas-ArtesÓ, [?], Valence, 1916. Jos Fillol Sanz, ÒIdeal de artistasÓ, [?], Madrid, 1916. Francisco Soler Fando, ÒLa Exposicin Regional valenciana de 1909Ó, ABC, Madrid, 17/05/1959. III. La cration du Muse Sorolla : 1924-1939 152 Toujours en 1916, et lÕinitiative de Sorolla, le comit excutif convoque un concours dÕart ÒjeuneÓ cens la fois contribuer au financement du projet mais surtout valoriser les nouveaux talents, en particulier les talents fminins car le peintre avait lui-mme deux filles artistes, Mara, qui tait peintre et Elena, sculptrice.33 La premire dition de ce concours est inaugure le 22 juillet dans le clotre de lÕuniversit. Le gouvernement de Romanones contribue son financement.34 Sorolla envoit un tableau, Componiendo la vela, mais nÕassiste pas lÕinauguration.35 En revanche, il exprime sa vision de lÕavenir dans un discours lu par son disciple Jos Manaut Viglietti. Selon lui, Valence est en train de vivre une ÒRenaissanceÓ, un terme qui fait cho la ÒRenaixena catalanaÓ de la moiti du XIXme sicle. Cependant, il constate que les classes dominantes ne protgent plus les artistes et que, sans ce mcnat, ce nouvel lan risque de retomber. Sorolla avait sans doute en tte Barcelone, comme le modle suivre. Il affirme, enfin, bnficier de lÕappui personnel du roi Alphonse XIII, dont il est alors trs proche. Un ÒsorollisteÓ de la premire gnration, Salvador Tuset, remporte le concours de peinture avec Concierto de mujeres.36 Au cours dÕun banquet offert au matre par un groupe de jeunes artistes valenciens, Sorolla les incite sÕunir en corporation pour mieux dfendre leurs intrts.37 CÕest ainsi que Jos Manaut Viglietti, Enrique Cuat (1883-1959), Jos Colomer (inc.-inc.), Rigoberto Soler et dÕautres ÒsorollistesÓ de la deuxime gnration fondent lÕAssociation de la Jeunesse Artistique Valencienne, prside par Alfredo Marco Lpez (1884-inc.).38 LÕassociation se dote dÕune revue, Renovacin, pour laquelle Sorolla offre une allgorie au fusain reprsentant une mre tenant son enfant dans les bras!39 Illustre-t-il ainsi la fonction ducative quÕil entend remplir auprs des plus jeunes ? Dans une autre revue valencienne, un pote anonyme estime que la jeunesse pche par indolence et quÕelle a besoin dÕun pre spirituel capable de lÕduquer pour en tirer le meilleur parti. Un portrait de Sorolla par le jeune Francisco Gras illustre ces vers : 33. 34. 35. 36. 37. 38. 39. Fidelio, ÒExposicin de arte jovenÓ, El Mercantil Valenciano, Valence, 23/07/1916. ÒPalacio de Bellas-ArtesÓ, [?], Valence, 1916. Emilio Fornet, ÒLa estela de Joaqun Sorolla en los salones de Mariano BenlliureÓ, La Correspondencia de Valencia, Valence, 06/1927. Salvador Tuset, Concierto de mujeres, J. Manaut Viglietti, CrnicaÉ page 95. Ibidem, page 95. Figure n¡5. Renouveau (1916). III. La cration du Muse Sorolla : 1924-1939 153 ÁOjal pronto nuestros artistas vean que hacen el tonto malgastando su tiempo, da tras da, si no en siestas, en vana palabrera! Si tu impulso les saca De andar despacio Y, al fin, de Bellas Artes Se alza el Palacio. ÁBenditos tambin ellos que, a tu influencia, inmarcesibles glorias dan a Valencia! 40 Aprs avoir termin Visin de Espaa, le peintre prend ses fonctions de professeur lÕcole des Beaux-Arts de San Fernando, lÕautomne 1920. Selon le journaliste Adolfo de Azcrraga, il aurait alors dclar : Ç Sentira que de mi paso por la ctedra surgiera el sorollismo como escuela, pues esto supondra una decadencia. È41 Or, avec ou sans ce cadre acadmique, le ÒsorollismeÓ est bel et bien une cole. Dans le film rcent de Jos Antonio Escriv, Cartas de Sorolla, une scne montre justement le matre entour de ses derniers lves. Le peintre, interprt par Jos Sancho (1944), prononce ces mots qui sont attribus au peintre par ses descendants : Ç El sorollismo es una peste pictrica. Deje a Sorolla que imite a Sorolla. Mire el mundo con sus propios ojos, no con los de este tonto pintor valenciano del que todo el mundo habla ltimamente. È42 Ë cette poque, le matre est visiblement conscient de la drive de la peinture de ses disciples, force dÕimitation excessive. LÕAssociation de la Jeunesse Artistique Valencienne cesse dÕexister en 1923 car la disparition de Sorolla provoque sa dissolution, si lÕon en croit Jos Manaut Viglietti : Ç Esta Asociacin perdur con mayor o menor vitalidad durante algunos aos hasta desaparecer quiz por la falta de estmulo a consecuencia de la 40. 41. 42. Anonyme, ÒEl Palacio de Bellas ArtesÓ, El Pueblo, Valence, 7/06/1916. Ç Pourvu que bientt / nos artistes se rendent compte quÕils font les idiots / en gchant leur temps, jour aprs jour / dans des verbiages inutiles, quand ils ne font pas la sieste / Si sous ta houlette ils renoncent / traner la savate / Et, enfin, des Beaux-Arts / Le Palais sort de terre / Bnis soient ceux qui, sous ton influence / offrent des gloires immarcescibles Valence. Adolfo de Azcrraga, ÒSorollismo y Antisorollismo. Con posdata sobre un monumento inexcusableÓ, Las Provincias, Valence, 16/05/1975. Ç Je serais navr quÕaprs mon passage par la chaire le sorollisme voie le jour en tant quÕcole, car cela supposerait une dcadence. È Cartas de Sorolla, de 92:53 93:05. Ç Le sorollisme est un fleau pictural. Laissez Sorolla imiter Sorolla. Regardez le monde avec vos propres yeux, et non pas travers ceux de ce peintre valencien imbcile dont tout le monde parle en ce moment. È III. La cration du Muse Sorolla : 1924-1939 154 enfermedad y la muerte del maestro. È43 Un journaliste de Diario de Barcelona affirme que personne ne regretterait les ÒsorollistesÓ : Ç Muere con l toda esa escuela que, salvo contadsimas excepciones, no supo tener por desgracia, ms que imitadores serviles y amanerados de la obra de su fundador a quien honraban bien poco, creyndole un manerista poseedor de recetas y dominador de trucos. È44 Presque tout ce que Sorolla avait chaffaud autour des jeunes artistes sÕeffondre comme un chteau de cartes. Le projet de Palais des Beaux-Arts et de lÕIndustrie ne verra finalement jamais le jour et seules les expositions se perptueront jusquÕau soulvement du 17 juillet qui empchera lÕinauguration de lÕdition de 1936.45 De nombreux facteurs expliquent que Sorolla nÕait pas russi difier le Palais des Beaux-Arts et de lÕIndustrie dont il rvait. Tout dÕabord, il sÕattelle tardivement ce projet car, mme sÕil nÕavait que cinquante trois ans, sa sant commence dj dcliner. De plus, il ne vit pas Valence et ne jouit pas, cette poque, de lÕautorit et du rseau relationnel indispensable pour conduire jusquÕ son terme un projet de cette envergure. SÕil y a, au dpart, une large adhsion sur le principe, les choses se compliquent par la suite. Incapable de concilier les attentes des uns et des autres, Sorolla choue en perdant le soutien des hommes les plus influents en la matire. Il doit renoncer dfinitivement toute chance dÕy parvenir aprs sÕtre brouill avec les frres Benlliure. Quant au ÒsorollismeÓ, il priclite pour dÕautres raisons. DÕabord, il fait figure dÕarchasme dans une Europe traverse par le Cubisme (1906), le Futurisme (1909), le mouvement Dada (1916) et bientt le Surralisme (1924). Ensuite, il nÕest pas lÕatout conomique que Sorolla avait imagin parce que les tableaux des sorollistes se vendent mal et ne sÕexportent pas. Paradoxalement, dans les deux pays o lÕEspagnol avait connu ses plus grands succs, cÕest--dire en France et aux tats-Unis, ses disciples ne russissent pas percer. Sur ces deux questions, des pistes seront ouvertes dans les paragraphes qui suivent. 43. 44. 45. Jos Manaut Viglietti, CrnicaÉ page 96. Ç Cette association sÕest maintenue avec plus ou moins de vitalit durant quelques annes jusquÕ disparatre peut-tre cause du manque de motivation qui fut une consquence de la maladie et de la mort du matre. È L. Folch, ÒEl pintor Joaqun SorollaÓ, Diario de Barcelona, Barcelone, 08/1923. Ç Avec lui disparat toute cette cole qui, en dehors de rares exceptions, nÕa malheureusement pas su offrir autre chose que des imitateurs serviles et maniriste de lÕÏuvre de son fondateur quÕils honoraient bien peu en le tenant pour un maniriste dtenteur de recettes et disposant de trucs. È J. Manaut Viglietti, CrnicaÉ page 98. III. La cration du Muse Sorolla : 1924-1939 155 Dans les villes du Nord-est amricain, Sorolla avait assez dÕadmirateurs autour de 1900 pour que sa peinture pntrt dans les acadmies des Beaux-Arts, en particulier dans la plus prestigieuse dÕentre elles, celle de Philadelphie, o enseignaient ses amis William Merritt Chase (1849-1916) et Cecilia Beaux (18551942).46 La connaissance de sa technique tait facilite par la prsence, dans les collections amricaines, de quelques-uns de ses meilleurs tableaux. En 1909, lÕhistorien de lÕart Rafael Domnech lÕavait dÕailleurs mis en vidence pour alerter lÕopinion espagnole sur la mauvaise reprsentation du Valencien dans les collections nationales : Hace poco vino a Madrid un joven Ç yankee È; me lo recomend un amigo para que le enseara los Museos. Llegamos al de Arte moderno y me pregunt cuntos cuadros haba all de SorollaÉ Por toda contestacin le llev ante el lienzo ÁAn dicen que el pescado es caro! Examinle bien el americano y despus de largo rato de silencio me dijo: Ç No es de lo mejor suyo. ÀDnde estn los otros? È Ç No hay ms. È, le contest, Ç ÁAh! Nosotros tenemos Otra Margarita, su primer gran triunfo; tenemos Triste herencia, su premio de honor, en Madrid; tenemos Nios jugando en la playa, de los ms tpicos de su ltima manera, y ahora hemos comprado muchos, los mejores que ha pintado.47 Aprs le succs de son tableau Otra Margarita, lÕExposition Internationale de Chicago de 1893, sa peinture avait t enseigne comme un modle suivre Philadelphie. Dans cette ville, il y eut donc un court pisode ÒsorollisteÓ non espagnol. Manuel Benedito ne lÕoublia pas et rappela dans une interview lÕinfluence internationale du Valencien : Ç Joaqun Sorolla y Bastida ha tenido muchos seguidores en la pintura contempornea. No slo entre nosotros sino tambin fuera del mbito nacional, dnde su pintura luminista de cromtico 46. 47. Anonyme, ÒMr. Sorolla Here to Schow PaintingsÓ, New York Herald, New York, 25/01/1909. Rafael Domnech, ÒEl arte de Sorolla y su triunfo en la Amrica del NorteÓ, El Liberal, Madrid, 1909. Ç Il y a peu, un jeune ÒyankeeÓ vint Madrid ; un ami me le recommanda afin que je lui montrasse les Muses. Nous arrivons celui dÕArt moderne et il me demanda combien de tableaux de Sorolla sÕy trouvaientÉ Pour toute rponse je lÕemmenai devant le tableau ÁAn dicen que el pescado es caro! LÕAmricain lÕexamina bien et aprs un long moment de silence il me dit : ÒCela ne fait pas partie de ce quÕil a fait de mieux. O sont les autres ?Ó ÒIl nÕy a rien dÕautreÓ lui rpondis-je, ÒAh ! Nous autres avons Otra Margarita, son premier grand succs nous avons Triste herencia, sa mdaille dÕhonneur, Madrid, nous avons Nios jugando en la playa, un des plus emblmatique de son Ïuvre tardive, et maintenant nous en avons achet beaucoup dÕautres, les meilleurs quÕil ait peint. È III. La cration du Muse Sorolla : 1924-1939 156 zarpazo, provoc la posible escuela. El ÒSorollismoÓ fue, a la vez, incitacin y peligro. È48 La dernire observation de Benedito mrite un clairage. En effet, aux tats-Unis, cette peinture venue dÕEurope fut trs tt perue comme un nouvel acadmisme insupportable, comme le montre trs bien un cartoon humoristique de Gus Mager (1878-1956) publi par The Evening Journal, en avril 1909.49 Knocko, le personnage principal, est un singe critique dÕart qui pourrait tre la caricature du professeur de lÕcole des Beaux-Arts de Philadelphie, William Merrit Chase. Il renvoie implacablement tous les tableaux que lui prsentent les jeunes peintres en les jugeant toujours trop infrieurs ceux de Sorolla. Quand un novice exhibe firement ce quÕil considre comme sa meilleure ralisation : Ç My masterpiece ! Tell me, ainÕt it great ? È Knocko rtorque avec ddain : Ç Tush ! Sorolla would laugh at you ! È Mais la fin du gag, Knocko nÕchappe pas une bastonnade en rgle.50 En France, non seulement il nÕy eut rien de comparable, mais les ÒsorollistesÓ venus dÕEspagne pour tenter leur chance ne renourent pas avec la russite de leur matre, pour des raisons probablement diverses. LÕune dÕelles devait dpendre de lÕempreinte que celui-ci y avait laisse. En effet, pour les peintres franais, la russite Paris de cet tranger avait t particulirement mal ressentie. LÕexposition Petit avait piqu au vif de nombreux artistes actifs dans la capitale qui nÕaccdrent jamais une vitrine aussi prestigieuse ni de pareils gains financiers. Paradoxalement, ce fut donc le glorieux pass du matre qui, dÕune certaine manire, barra la route de Paris ses disciples. Au Salon de 1912, lÕenvoi de Mara Sorolla fut refus, la surprise de son pre qui tenta aussitt dÕen dcouvrir les causes. Son ami Pedro Gil Moreno de Mora lui expliqua par retour de courrier que quelques membres du jury avaient contre lui une rancÏur persistante. Il nuanait ensuite son propos en invoquant les tensions politiques entre la France et lÕEspagne provoques par leurs prtentions respectives sur le 48. 49. 50. Rafael Florez, ÒEl discpulo predilecto de Sorolla, habla de su maestro con motivo de la exposicin del Casn del RetiroÓ, Dgame, Madrid, 26/03/1963. Ç Joaqun Sorolla a eu beaucoup de continuateurs dans la peinture contemporaine. Non seulement parmi nous mais aussi hors de la sphre nationale, o sa peinture luministe aux couleurs mordantes ouvrit la voie une cole possible. Le ÒSorollismeÓ fut, tout la fois, incitation et danger. È Ciro Inafer, ÒKnocko the Monk as an Art CriticÓ, Evening Journal, New York, 3/04/1909. Voir la figure n¡3. Le singe Knocko, critique dÕart (1909). Ç Mon chef-dÕÏuvre ! Dites-moi un peu, nÕest-il pas excellent ? È Ç Bah ! Sorolla rirait de toi ! È III. La cration du Muse Sorolla : 1924-1939 157 Maroc. Car jusquÕau Trait de Fez du 27 novembre 1912, les zones dÕinfluence des deux pays nÕtaient pas encore tablies : Te mand la lista del jurado. No me gust su composicin pues hay muchos de ellos que salen de lÕatelier Julian y all forman Ç une coterie È que no te quiere. Es ms, ahora estn en Francia muy montados contra los espaoles por los eventos de Marruecos, ven que no pueden hacer lo que quieren con nosotros y estn furiosos.51 Pour en finir avec les causes de lÕchec du ÒsorollismeÓ, il faut rappeler quÕaucun des disciples de Sorolla nÕatteignit, en Espagne, une russite comparable la sienne. Et quant la russite de quelques-uns, elle se limita lÕExposition Nationale et dpendait troitement de son aura et de son influence. Les ÒsorollistesÓ les plus tardifs prirent dÕautres voies au contact des mouvements dÕavant-garde durant le bref pisode dÕouverture des annes trente, cÕest--dire de la proclammation de la Seconde Rpublique jusquÕ lÕimplantation du rgime franquiste. Durant cette priode, un ouvrage franais intitul La jeune peinture espagnole fit connatre un petit groupe de jeunes peintres rassembls autour de Genaro Lahuerta (1905-1985) et de Pedro de Valencia (inc.-inc.), au fait des courants la mode en France.52 Avant la Guerre Civile, le Cubisme et le Surralisme furent introduits Madrid par des peintres comme Benjamn Palencia (1894-1980), Francisco Bores (1898-1972) et Pancho Cosso (1898-1970) qui avaient rsid et expos Paris et avaient connu Pablo Picasso (1881-1973), Joan Mir (1893-1983) et le sculpteur Pablo Gargallo (1881-1934). En 1932, le dessinateur Manuel Tovar (1875-1935) avait imagin dans une vignette humoristique la rencontre improbable entre Sorolla et lÕun dÕentre eux. Comme un fantme, le matre pntrait dans lÕatelier dÕun peintre surraliste rappelant vaguement celui dÕAndr Breton (1896-1966). Au centre dÕune toile pose sur un chevalet, on pouvait voir clairement les fesses dÕun corps disproportionn entour de symboles primitifs. Dconcert, le vieux matre posait la question suivante : 51. 52. Facundo Toms, Felipe Garn, Isabel Justo et Sofa Barrn, Epistolarios de Joaqun Sorolla. I. Correspondencia con Pedro Gil Moreno de Mora, Barcelone, Anthropos, 2007, page 309. Ç Je tÕai envoy la liste du jury. Je nÕai pas aim sa composition parce que plusieurs de ses membres sortent de lÕatelier Julian et ils forment l-bas Òune coterieÓ qui ne tÕaime pas. Par ailleurs, on est maintenant en France trs remont contre les Espagnols cause des vnements du Maroc, ils voient quÕils ne peuvent pas faire ce quÕils veulent de nous et ils sont furieux. È La jeune peinture espagnole, Paris, Gallimard, 1935. III. La cration du Muse Sorolla : 1924-1939 158 Ç ÀConoci usted a Sorolla? È et le jeune surraliste de rpondre : Ç S, creo que he odo hablar de lÉ Àno era un seor millonario que tena la mana de pintar ? È53 cÕest--dire : Ç Avez-vous connu Sorolla ? È Ç En effet, je crois avoir entendu parler de luiÉ NÕtait-ce pas un monsieur millionaire qui avait la manie de peindre ? È La rponse iconoclaste tranchait avec la dvotion des ÒsorollistesÓ et rejoignait des critiques dj exprimes il y a bien longtemps par Zuloaga, Regoyos et des peintres qui avaient choisi une autre voie esthtique. En taxant le peintre de bourgeois millionnaire dconnect de la vie relle, le dessinateur restituait la vision de ces jeunes qui ne sÕidentifiaient plus la peinture radieuse du Valencien. En se remmorant ce dbut des annes trente, un artiste interrog dans les annes soixante par Levante expliquait que la superficialit et lÕidalisme du monde vu par Sorolla taient incompatibles avec les proccupations du jeune quÕil tait : - Es algo importante, Àsabes? Son los personajes. Los de Sorolla eran gente feliz y sin problemas. A Sorolla no se le muri nadie. - ÀNi el pescador que puso precio al pescado ? - Ni se, que no pas de pura ancdota. No es que yo prefiera la gente atormentada, pero el hombre tiene problemas y hay que captarlos [É] Hay que meterse dentro del hombre y Sorolla se qued en el umbral.54 Dans la presse de gauche comme de droite, les hommes qui avaient connu le matre se scandalisrent de ce quÕils interprtrent comme du mpris. Roberto Castrovido nÕy voyait quÕune manire maladroite de revendiquer une certaine ÒmodernitÓ : Ç Escribir mal de Sorolla y de Benlliure es para los necios un timbre de modernidad. È55 AujourdÕhui le ÒsorollismeÓ reste la fois mal aim et mal connu car une tude de ce courant reste faire. Aucune exposition temporaire nÕa couvert le 53. 54. 55. Tovar, ÀConoci usted a Sorolla?, La Voz, Madrid, 13/06/1932. Figure n¡9. Avez-vous connu Sorolla (1932). Pons-Santiago, ÒCuatro opiniones sobre SorollaÓ, Levante, Valence, 23/02/1963. Ç - CÕest quelque chose dÕimportant, tu sais ?, Je parle des personnages. Ceux de Sorolla taient des gens sans problmes. Sorolla nÕa fait mourir personne. / - Et quÕen est-il du pcheur qui fit monter le prix du poisson ? / - Pas mme celui-l, qui ne fut rien de plus quÕune simple anecdote. Ce nÕest pas que je prfre les gens tourments, mais lÕhomme a ses problmes et il faut les capter [É] Il faut rentrer lÕintrieur de lÕhomme et Sorolla est rest sur le perron. È Roberto Castrovido, ÒSorolla y BenlliureÓ, El Pueblo, Valence, 23/11/1932. Ç crire mal de Sorolla et de Benlliure est, pour les niais, une preuve de modernit. È III. La cration du Muse Sorolla : 1924-1939 159 sujet dans son ensemble et il nÕexiste pas de catalogue raisonn de lÕimmense Ïuvre ÒsorollisteÓ. Les galeries dÕart et les maison de ventes aux enchres espagnoles connaissent bien ces peintres car leurs tableaux se trouvent en nombre dans leurs rserves. Or, jamais elles ne les prsentent sous la dsignation infamante du ÒsorollismeÓ et prfrent les vendre sous lÕtiquette imprcise du ÒluminismeÓ ou, plus simplement, comme des disciples de Sorolla. Le luminisme est un terme gnrique qui englobe tous les courants de la lumire ns en Europe dans le dernier tiers du XIXme sicle, des macchiaolis italiens aux impressionnistes et jusquÕaux naturalistes scandinaves et des peintres cossais, les Glasgow boys. Jos Mongrell est un des peintres les plus chers de ce march des ÒdisciplesÓ et quelques-uns de ses tableaux majeurs sont dissmins dans de prestigieuses galeries dÕart Barcelone, Valence et Madrid. En 2006, son tableau Vuelta de la pesca a chang de mains pour cent soixante-dix mille euros lors dÕune vente aux enchres londonienne.56 Ë lÕtranger, la grande majorit de ces peintres ne sont pas connus de sorte que leurs tableaux se vendent mal. Mais cela pourrait changer, ainsi que lÕa laiss prsager lÕexposition monographique itinrante de Salvador Tuset Valence, Alicante et New York, en 2007.57 Pour conclure, il faut signaler, comme les prmices dÕune possible rvaluation du courant, que le Muse Sorolla a entrepris rcemment lÕarchivage de documents textuels et iconographiques se rapportant ce sujet. Deux cartons dÕarchives sont dj disponibles la consultation. Ces sources pourraient, un jour, constituer le point de dpart dÕun recensement exhaustif de ces artistes et de leurs tableaux, et peut-tre dÕune premire tude sur le sujet. Par ailleurs, le matre possdait quelques tableaux de ses premiers disciples. De toute vidence, Sorolla tait un collectionneur comme beaucoup dÕartistes lÕon t avant lui. On pense Francesco Squarcione (1397-1468), matre de Mantegna, qui collectionnait les Antiques. Le Valencien runit une importante collection de sculptures parmi lesquelles figurent un Antique romain provenant des fouilles de Cstulo, un bas relief du IIIme sicle reprsentant un Mercure romain, une Vierge lÕenfant polychrome du XVme sicle et dÕautres sculptures anciennes. De ses contemporains, il collectionnait Auguste Rodin, Paul Troubetzkoy (1866-1938), 56. 57. Jacques-Armand Akoun, Akoun 2011, Paris, La cote des peintres, 2011, page 1128. Anonyme, ÒNueva York descubre la obra de Salvador Tuset, discpulo de SorollaÓ, heraldo.es, 25/05/2007. III. La cration du Muse Sorolla : 1924-1939 160 Jos Capuz et exposait dans la maison madrilne des nus fminins de sa fille Elena. Sorolla admirait la sculpture classique, en particulier les frises du Parthnon et la Victoire de Samothrace, dont il possdait une reproduction en pltre dans son atelier. Il rvait, semble-t-il, de sculpter lui-mme, ce quÕil ne fera jamais. En 1913, Il avait indiqu Huntington son intention de raliser un buste dÕAlphonse XIII pour lÕoffrir lÕHispanic Society mais ce projet ne verra pas le jour. Par ailleurs, il collectionnait la cramique, les bijoux anciens et accumula une soixantaine de tableaux en plus des siens. On retrouve les noms de peintres quÕil admirait, comme Joaqun Agrasot, Jos Benlliure y Gil, Aureliano de Beruete, Francisco Domingo Marqus, Mariano Fortuny, Ignacio Pinazo, Martn Rico Ortega (1833-1908), Casimiro Sainz (1853-1898), John Singer Sargent, Frits Thaulow (1848-1906), Benigno Vega-Incln, Anders Zorn et quelques autres. Il ne possdait pas de tableaux anciens lÕexception dÕun panneau anonyme, probablement peint au XVme sicle, reprsentant une vierge lÕenfant ainsi quÕun San Bartolom qui pourrait tre lÕÏuvre dÕun disciple de Jos de Ribera. De ses disciples, Sorolla possdait huit toiles : un paysage de Teodoro Andreu, Barca en la playa et Figuras holandesas de Manuel Benedito, Paisaje de Ass de Pepino Benlliure, Pescadores en la barca de Carlos Lezcano (1871-1929), Estudio para el mercado. Extremadura de Santiago Martnez, Escena de mercado de Jos Mongrell et Cabeza masculina de Cadwallader Lincoln Washburn (18661965). Tous figurent aujourdÕhui dans les collections du Muse Sorolla.58 Certaines de ces peintures sont tellement semblables aux siennes quÕelles pourraient tre confondues, ce qui laisse penser que le matre aimait sans doute reconnatre sa ÒpatteÓ chez ceux quÕil formait. Il est frappant, par ailleurs, de rencontrer une tude pour Visin de Espaa attribue son lve andalou Santiago Martnez qui lÕaccompagna lors de son voyage en Estrmadure. Cela pourrait vouloir dire que le matre associa son lve au panneau quÕil tait en train de prparer. Le jeune peintre tait donc, vraisemblablement, celui qui aurait termin la commande si Sorolla tait mort avant son achvement. Tous les peintres que lÕon vient de citer ont eu une relation trs troite avec lui. Pepino Benlliure, Manuel Benedito et Teodoro Andreu taient considrs comme des fils 58. Catlogo de pintura del Museo Sorolla, Madrid, Ministre de lÕducation, de la Culture et des Sports, 2002, tome II. pages 387-413. III. La cration du Muse Sorolla : 1924-1939 161 et taient reus par la famille qui leur offrait le gte et le couvert durant leurs sjours Madrid.59 59. Francisco Martn Caballero, ÒHablando con D. Joaqun Sorolla en su estudioÓ, La Correspondencia de Valencia, Valence, 11/09/1913. III. La cration du Muse Sorolla : 1924-1939 162 III.2. QUEL MUSE POUR SOROLLA ? Le Muse Sorolla, premier muse monographique de Madrid, est inaugur dans lÕancienne demeure familiale le 11 juin 1932. Les Sorolla possdaient une rsidence dÕt, la Villa Coliti Cercedilla, un village de montagne situ entre Madrid et Sgovie. Par ailleurs, durant ses sjours Valence, le peintre louait une maison face la plage de la Malvarrosa, la Casa Blanca. Mais cÕest logiquement la maison-atelier de Madrid, rsidence principale de la famille, qui accueille le Muse Sorolla. Cet vnement couronne les dmarches commences par la veuve et les enfants du peintre qui sont en quelque sorte les Ògardiens du templeÓ. Depuis cette poque, tout ce qui touche lÕÏuvre de Sorolla est imbib de lÕesprit de sa famille et de ses descendants. Il faut prciser, avant dÕaller plus loin, que lÕide de la fondation dÕun muse tait ancienne. Sorolla avait souhait que les tableaux accrochs dans son atelier ne fussent pas disperss, mais il nÕavait jamais dit explicitement son dsir de constituer un muse dans les murs de sa proprit. Il avait probablement une ide trs claire du devenir de ses biens mais il ne pouvait pas prendre le risque de provoquer lÕindignation des Valenciens qui, bien entendu, pouvaient sÕattendre accueillir au moins une partie de sa collection prive. Pourtant, la mue de la demeure madrilne en Muse Sorolla devait tre une sorte de Òsecret de PolichinelleÓ car la conception et lÕamnagement de cette maison ne laissait planer aucun doute quant sa future conversion musale, comme on le verra plus avant. Il convient donc, tout dÕabord, dÕapporter quelques prcisions concernant cet difice. Nous dcrirons ensuite les diffrentes tapes qui jalonnrent la fondation de ce muse jusquÕ la veille de son inauguration, car cet vnement sera trait sparment. En novembre 1905, le peintre avait achet la duchesse de Marchena un terrain dans le nouveau quartier madrilne hupp, Chamber, qui se situait lÕpoque la limite septentrionale de la ville.60 Puis avec lÕargent gagn aux tats-Unis, il acheta un deuxime terrain, attenant au premier, avant de confier la conception dÕune maison bourgeoise lÕun des architectes les plus en vue lÕpoque, Enrique Mara Repulls (1845-1922). LÕarchitecte de la Maison Royale 60. La casa de Sorolla. Dibujos, Madrid, Ministerio de Cultura, 2007, page 10. III. La cration du Muse Sorolla : 1924-1939 163 et des riches particuliers de la capitale venait dÕentamer les travaux de rhabilitation de la maison de Mariano Benlliure, dans le mme quartier.61 La commande de Sorolla fut pour Repulls un projet difficile conduire car le peintre dessina lui-mme la maison Ð faades et intrieurs Ð et les trois jardins, ainsi que lÕa rcemment mis en vidence lÕexposition temporaire La casa de Sorolla. Dibujos (2007). LÕarchitecte dposa la mairie de Madrid un premier projet en fvrier 1910, mais il dut par la suite le revoir compltement car le peintre avait une ide trs prcise de ce quÕil voulait et resta tous moments le seul matre dÕÏuvre. Les plus anciens croquis du peintre remontent 1905. Il dessina une maison dÕun tage en forme de ÒLÓ comprenant, au rez-de-chausse, trois grands ateliers en galerie afin de faciliter lÕexposition et la visite de la collection.62 Les chambres occupaient le bel tage. Si lÕintrieur de la maison volua peu, il nÕen fut pas de mme de la faade. Ë lÕorigine, Sorolla lÕimagina trs sobre dans le style castillan mais le dessin volua vers lÕhistoricisme, toujours la mode. Puis son dessin se simplifia nouveau et la maison gagna finalement un tage indispensable au logement des domestiques. La construction commence en juillet 1910 sÕacheva en octobre 1911 et la famille emmnagea avant la fin de lÕanne. Il est intressant de souligner que, ds la fin des travaux, lÕaspect musal de la maison fut dj relev par les rares journalistes autoriss la visiter. Dans le premier article consacr ce lieu, en dcembre, Federico Garca Sanchs ne parlait pas dÕune maison, mais bel et bien dÕun muse qui ne lÕtait pas encore.63 Il y retournera bien des annes plus tard et, en se remmorant sa premire visite, il livrera la description suivante : El taller. Sigue en sus proporciones de hangar y en su bric a brac, con la panoplia de armas antiguas, las tanagras, la caja de mariposas tropicales. Unos viejos estandartes cuelgan de una viga que cruza. Reconozco la otomana con baldaqun en que descansaba o soaba el heroico trabajador; junto a ella se yergue la Senyera del Reino de Valencia, dando al cubierto sof un aire de tienda de capitn. Por el suelo, 61 . 62. 63. IbidemÉ page 10. Enrique Mara Repulls, Plano de la planta principal de la Casa Sorolla, 78Õ6x61Õ2, Madrid, Museo Sorolla, 1911. Federico Garca Sanchs, ÒDe cerca, Ave CsarÓ, La Noche de Madrid, Madrid, 29/12/1911. III. La cration du Muse Sorolla : 1924-1939 164 tapices encantadoramente descoloridos. Y en los muros, y en los caballetes, y por los rincones, cuadros, cuadros, cuadros.64 LÕarticle ne faisait pas encore mention des espaces extrieurs qui deviendront, par la suite, un lieu dÕexposition en plein air. Sorolla imagina, dessina et planta lui-mme un jardin dÕinspiration andalouse et y installa plusieurs sculptures dont un antique romain provenant des fouilles archologiques de la cit romano-ibre de Cstulo.65 Pour la dcoration extrieure, il associa des azulejos valenciens de Manises, et svillans, de Triana. LÕintrieur de la maison continua sÕenrichir dÕÏuvres permanentes en recevant une frise peinte sur les murs de la salle manger autour du thme des rcoltes du verger. Il dessina galement des croquis et peignit plusieurs bauches pour un autre dcor plus ambitieux, apparemment des allgories de Valence. LÕensemble devait orner les trois murs de la monte dÕescalier mais il ne verra jamais le jour.66 En 1912, le peintre utilisa les grands espaces dont il disposait pour y organiser la premire exposition posthume de lÕÏuvre dÕAureliano de Beruete. Il fit diter un catalogue de cette exposition et obtint du roi quÕil la visitt afin de lui donner un caractre officiel. Outre ses expriences en tant quÕexposant, le peintre avait quelques connaissances musologiques. Comme il a t dit en introduction, Sorolla tait un ami intime du collectionneur Benigno de la Vega Incln qui fonda la Maison-muse du Greco de Tolde (1911), la Maison Cervants de Valladolid (1912) et le Muse Romantique de Madrid (1921), qui sont aujourdÕhui trois des vingt-quatre Muses Nationaux espagnols.67 Aux cts du collectionneur, il sÕinvestit personnellement dans la fondation du premier. Cette exprience lÕincita 64. 65. 66. 67. Federico Garca Sanchs, ÒSorolla en el PradoÓ, ABC, Madrid, 26/02/1944. Ç LÕatelier. Il affiche toujours des proportions de hangar et renferme le mme bric--brac, toute la panoplie des armes anciennes, les figurines de Tanagra, la bote aux papillons tropicaux. De vieux tendarts pendent accrochs une poutre traversante. Je reconnais le lit turc avec son baldaquin dans lequel lÕhroque travailleur se reposait ou rvait ; ct, se dresse la Senyera du Royaume de Valence, offrant au canap ainsi recouvert un air de tente de gnral. Sur le sol, des tapis aux charmantes couleurs passes. Et sur les murs, et sur les chevalets, et dans tous les coins, des tableaux, des tableaux et encore des tableaux. È Hiplito To, ÒCmo hara un periodista de hoy una entrevista de SorollaÓ, Levante, Valence, 7/06/1957. Le Muse Sorolla conserve trois panneaux, tous dats de 1911 : Boceto para la decoracin de la escalera de la casa Sorolla, 99x186, Proyecto de decoracin de la escalera de la casa Sorolla, 39Õ7x103 et Proyecto de decoracin de la escalera de la casa Sorolla, 62x115. Mara Luisa Menndez Robles, El marqus de la Vega Incln y los orgenes del turismo en Espaa, Madrid, Ministerio de Industria, Turismo y Comercio, 2006, page 13. III. La cration du Muse Sorolla : 1924-1939 165 peut-tre prendre lui-mme des dispositions concernant la conservation et la protection de son propre patrimoine. En 1913, cÕest--dire lÕanne suivante, Sorolla indiqua clairement au journaliste Francisco Martn Caballero son intention de confier ses tableaux, ses livres, ses documents personnels, ses objets dÕart, ainsi que sa correspondance prive, un muse existant Ð peut-tre pensait-il au Muse des Beaux-Arts de Valence Ð ou cr cet usage.68 Selon Manuel Gonzlez Mart, il avait lÕintention de faire construire une villa Valence et, au cours dÕune conversation prive, il estima pouvoir sÕatteler cette tche vers soixante-cinq ans Ð un ge quÕil nÕatteindra jamais Ð : Ç Dejad que cumpla 65 aos y realice mi sueo dorado: construir un gran edificio para vivir en l, instalando all mis obras y mis recuerdos de triunfos y viajes por el mundo y morir aqu, en Valencia. Para ese edificio he comprado ya la portada del palacio de las Plateras de Madrid. È69 En janvier 1914, La Ilustracin Espaola consacra au peintre valencien un numro spcial dans sa srie ÒNuestros grandes artistas contemporneosÓ.70 Les lecteurs de la revue dcouvrirent alors douze photographies de la maison. Les trois ateliers tendus de brocart et baigns par la lumire naturelle depuis une large verrire znithale ressemblaient aux salons des galeries dÕart. De plus, tous les tableaux taient dj encadrs et accrochs, comme si le lieu tait dj ouvert la visite. Plus tard, autour de 1915, le critique Jos Francs fut reu par Sorolla et, alors quÕils parcouraient ensemble les ateliers, il sembla vident aux yeux du critique que la maison tait destine devenir un muse : 68. 69. 70. Francisco Martn Caballero, ÒHablando con D. Joaqun Sorolla en su estudioÓ, La Correspondencia de Valencia, Valence, 11/09/1913. Pelejero, ÒUsted que conoci a Sorolla, dganos Àcmo era ?Ó, Levante, Valence, 17/09/1959. Ç Attendez que jÕatteigne 65 ans et que je ralise mon plus grand rve : construire un grand difice pour y vivre, en y instalant mes Ïuvres et les souvenirs de mes voyages et de mes succs de par le monde et mourir l, Valence. Pour cette construction, jÕai dj achet le portail du Palais des Orfvres de Madrid. È Rafael Domnech, ÒJoaqun SorollaÓ, La Ilustracin Espaola y Americana, Madrid, 30/01/1914. III. La cration du Muse Sorolla : 1924-1939 166 - Esta casa ser un museo Ð le dije. - ÁOjal! Ð contest con aquella su voz clara cantarina de aes abiertas Ð. Me gustara que lo pareciese ahora, y que el da de maana lo fuese sin parecerlo.71 Le journal intime de Archer M. Huntington porte la trace dÕune visite de la maison effectue en compagnie du matre, en janvier 1918 : Ç We went over each picture slowly and explored the house in detail. He is very proud of the house & calls it is His[panic] Soc[iety]. He has a dream of its future as a S[orolla] museum & I think something of the kind may be brought about one of these days, but I hope in the distant future. È72 LÕhispanophile redoutait visiblement deux choses. DÕune part, que lÕartiste ne dpenst trop dÕnergie dans un autre projet que le sien parce quÕil nÕavait pas encore termin Visin de Espaa et que son tat de sant lui inspirait les plus vives inquitudes. DÕautre part, il pouvait craindre que ce muse nÕentrt en concurrence directe avec sa propre collection dj ouverte au public et qui, lÕpoque, nÕavait pas dÕquivalent dans le monde. Pour toutes les raisons voques, le Muse Sorolla sera davantage une conversion quÕune cration de A Z et, mme si le peintre ne fit pas de testament et ne prit aucune disposition juridique de son vivant allant de ce sens, sa veuve prcisera dans son testament les conditions et les dtails dÕune importante donation lÕtat. Ses trois enfants et les cinq excuteurs testamentaires se chargeront ensuite de conduire le projet jusquÕ sa complte ralisation, ainsi quÕon va le voir maintenant. En aot 1923, au lendemain de la mort du peintre, la dcision de transformer la maison en muse tait dj arrte, comme le montre une lettre du roi publie rcemment par lÕhistorienne Mara Luisa Menndez Robles, spcialiste du marquis de la Vega Incln et ex-directrice du Muse Romantique de Madrid. Apparemment, le marquis aurait t consult par Clotilde Garca del 71. 72. Jos Francs, ÒLa elocuente nostalgia de la Casa SorollaÓ, Crnica, Madrid, 3/07/1932. Ç - Cette maison sera un muse, lui dis-je. / - Pourvu quÕil en soit ainsi, rpondit-il de sa voix stentor. JÕaimerais que cela en ait lÕair aujourdÕhui et que, demain, ce le ft sans en avoir lÕair. È Extraits du journal intime de Archer M. Huntington in Sorolla y la Hispanic Society, Madrid, Museo Thyssen Bornemisza, 1998, page 416. Ç Nous avons lentement examin chacun des tableaux et explor la maison. Il en est trs fier et lÕappelle son Hispanic Society. Il rve quÕelle devienne un muse Sorolla et je crois quÕun jour il pourrait en tre ainsi mais jÕespre que cela arrivera dans un avenir lointain. È III. La cration du Muse Sorolla : 1924-1939 167 Castillo et, son tour, il informa Alphonse XIII du projet. Voici la rponse du souverain date du 14 aot et qui figure dans les archives du Muse Romantique : Recibo tu telegrama en el que inspirndote en tu gran admiracin que como sabes comparto siempre por Sorolla y por su obra inmortal propones la formacin de un Museo de sus cuadros. Puedes comprender con cuanta simpata acojo yo esta idea que como todo lo que tienda a honrar y perpetuar la gloriosa memoria del artista que todos lloramos.73 En aot 1924, lÕoccasion du premier anniversaire de la mort de Sorolla, le reporter de El Mercantil Valenciano, Jos Ballester y Gozalvo (1893-1970), manifestait son tonnement aprs avoir vu de ses propres yeux le trsor artistique conserv dans les murs de la maison familiale : Pero al entrar en este almacn, ante la realidad de los hechos, siente uno insignificante el concepto que de ella habamos formado. Sorolla ha vendido mucho; quizs sea el pintor espaol que ms obras tiene esparcidas por el mundo. Pues bien; adems de eso, su estudio de Madrid tiene almacenadas ms de mil doscientas obras de todos tamaos. Parece como si Sorolla hubiera guardado sin querer desprenderse de ella, la produccin de toda su vida.74 Aprs cette visite, effectue en compagnie du peintre Manuel Benedito, Ballester y Gozalvo affirmait que plus de mille deux cent toiles sÕy trouvaient alors. videmment, la collection sera ensuite divise en quatre parts correspondants lÕhritage de la veuve et des trois enfants. Sans tenir compte de ce partage, le journaliste demandait lÕtat dÕacheter la villa avec tous ses biens 73 . 74. Mara Luisa Menndez Robles, ÒSorolla, Benlliure y el segundo marqus de la VegaIncln: Interacciones amistosas y artsticasÓ in Mariano Benlliure y Joaqun Sorolla. Centenario de un homenaje, Valence, Generalitat Valenciana, 2000, pages 69. Ç Je reois ton tlgramme dans lequel, fidle ton immense admiration pour Sorolla et pour son Ïuvre immortelle Ð que je partage Ð tu proposes de constituer un muse partir de ses tableaux. Tu dois bien comprendre avec quelle symapthie jÕaccueille cette ide, comme tout ce qui tend honorer et faire vivre le glorieux souvenir de lÕartiste que nous pleurons tous. È Jos Ballester y Gozalvo, ÒEl templo abandonadoÓ, El Mercantil Valenciano, Valence, 9/08/1924. Ç Mais en entrant dans cette rserve, face la ralit des choses, dÕaucun comprend combien lÕide quÕil sÕen tait faite mrite dÕtre rvalue. Sorolla a vendu beaucoup ; il est peut-tre le peintre ayant le plus dÕÏuvres parpilles de par le monde. Eh bien, en plus de cela, les rserves de son atelier de Madrid renferment plus de mille deux cent Ïuvres de tous les formats. CÕest comme si Sorolla avait gard, sans jamais avoir voulu sÕen dfaire, la production de toute une vie. È III. La cration du Muse Sorolla : 1924-1939 168 mobiliers afin de fonder un muse qui serait ensuite ouvert au public. Le mme jour, La Voz Valenciana publia un numro spcial contenant une dizaine dÕarticles consacrs au peintre disparu, pour le premier anniversaire de sa mort.75 Ë cette occasion, Mariano Benlliure, Antonio Muoz Degrain, Cecilio Pl et dÕautres artistes qui avaient bien connu Sorolla collaborrent avec la rdaction du journal. Le peintre Vicente Navarro regrettait que Madrid nÕait pas un Muse Sorolla sur le modle du Muse Rodin de Paris, install depuis 1919 dans lÕhtel particulier du sculpteur. Toutefois, dans la ville natale du peintre, cette ide suscita quelques rticences car tous les observateurs valenciens ne consentirent pas laisser Madrid le bnfice dÕune telle institution. Naturellement, sans un projet local le souvenir de Sorolla finirait par chapper la ville. Ë partir de ce constat, deux ides allaient voir le jour concomitamment Valence : la cration dÕun musecole et lÕdification dÕun monument public commmoratif. Dans La Voz de Valencia, un journaliste soulignait que le premier anniversaire de la mort du peintre avait fait lÕobjet dÕune commmoration Sville, o un buste du peintre avait t install dans le Jardin des Dlices.76 La chose tait dÕautant plus regrettable pour lÕobservateur que le buste tait lÕÏuvre dÕun sculpteur valencien, Jos Capuz (1884-1964). Dans la presse valencienne, lÕimage dÕune ÒdetteÓ morale non acquitte se propagea pour dire lÕingratitude de la ville envers celui quÕelle avait fait son citoyen dÕhonneur. LÕimage traversera tant et si bien les poques, quÕil en reste encore aujourdÕhui des rminiscences, ainsi quÕon le verra plus avant. Ë Valence, rien de semblable nÕavait t fait car un conflit opposait la municipalit aux nombreux partisans de lÕdification dÕun monument sur la plage de La Malvarrosa. Ë dessein, Mariano Benlliure avait offert la ville un buste du peintre en marbre blanc. Selon lui, le bord de mer devait accueillir sa sculpture car son compatriote y avait peint ses meilleurs tableaux. Mais un an plus tard, le projet nÕavait toujours pas avanc, si bien quÕ lÕoccasion du premier anniversaire de la mort du peintre, Benlliure menaa de retirer la sculpture dans une lettre ouverte adresse au maire de la ville, Luis Oliag Miranda (1861-1933).77 Il y 75. 76. 77. Vicente Navarro, ÒLa casa de SorollaÓ, La Voz Valenciana, Valence, 9/08/1924. Jaime Mariscal de Gante, ÒUn recuerdo a SorollaÓ, Voz de Valencia, Valence, 11/08/1924. Figure n¡7. Hommage des artistes svillans D. Joaqun Sorolla (1924). Mariano Benlliure, ÒUna carta de Mariano BenlliureÓ et Luis Oliag Miranda, ÒEl alcalde contesta a Mariano BenlliureÓ, El Mercantil Valenciano, Valence, 23/11/1924. III. La cration du Muse Sorolla : 1924-1939 169 exposait dÕabord sa vision de ce monument, compos dÕun buste pos sur un socle simple et solide, le tout faisant face la mer. Puis il prcisait, comme une mise en garde, que le marbre, qui tait alors prsent dans une exposition vnitienne, intressait le Muse dÕArt Moderne de Madrid qui, affirmait-il, dsirait lÕinstaller dans les jardins qui longent lÕavenue de la Castellana. Dans la rponse quÕil adressa au journal, le maire accda toutes les requtes du sculpteur en promettant de commencer les dmarches en concertation avec les deux institutions des Beaux-Arts de la ville : lÕAcadmie de San Carlos et le Cercle des Beaux-Arts. Un concours fut donc convoqu et des avant-projets furent prsents, mais les choses en restrent-l. Si bien que trois ans plus tard, le journaliste Francisco Almela y Vives (1903-1967) ironisait encore sur cet pisode sans lendemain : Ç [É] los anteproyectos estuvieron expuestos muchos das, hasta que cambiaron el color blanco de la escayola por el color gris y tostado del polvo. Y en este resultado inane influy no poco el hecho de que ningn anteproyecto satisficiera plenamente. È78 LÕauteur expliquait que les maquettes nÕavaient pas apport entire satisfaction aux diles, mais il ajoutait plus loin que la municipalit rejetait lÕide dÕinstaller le monument dans une zone non urbanise et expose aux temptes hivernales, un argument dont on comprendra toute la pertinence plus loin dans ce chapitre. La municipalit se vit ensuite offrir une deuxime sculpture reprsentant la main droite de Sorolla tenant un pinceau, Ïuvre du sculpteur Ricardo Causars Casaa (1875-1953). Il en avait ralis le moule directement sur la main de lÕartiste en 1901, lÕanne o il dcrocha la Mdaille dÕHonneur. En aot 1930, lÕassociation des Valenciens de Barcelone avait financ un coulage de ce moule en argent, bien quÕil aurait t initialement question, nous dit-on, dÕun coulage en or.79 La ville avait donc au moins deux Ïuvres commmoratives sa disposition, mais toujours pas le moindre monument ! Cette situation ubuesque et le dlai anormal pour ce type de projet mit en vidence la passivit des autorits locales, sous la dictature de Primo de Rivera 78. 79. Francisco Almela y Vives, ÒMonumentos en honor de Joaqun SorollaÓ, La Voz, Madrid, 27/09/1927. Ç Les avant-projets furent exposs plusieurs jours, jusquÕ ce que la couleur immacule du pltre vire au gris de lin de la poussire. Et le fait quÕaucun des projets ne donnt entire satisfaction explique en grande partie ce bilan infructueux. È Anonyme, ÒLa mano de Joaqun SorollaÓ, La Voz, Madrid, 11/08/1930 et Enrique Gonzlez Fiol, ÒLa mano de plata de Sorolla, mano votivaÓ, La Esfera, Madrid, 21/08/1930. III. La cration du Muse Sorolla : 1924-1939 170 car, pour contrler le territoire, il avait dmis de leurs fonctions les maires en les remplaant par des officiers. Le plus probable est que ceux-ci ne firent aucun cas du dossier car il tait port par les rpublicains ; cÕest en tout cas ce que semble montrer la suite de lÕaffaire. En effet, Mariano Benlliure et tous les artistes et intellectuels qui avaient apport leur soutien au premier projet persvrrent jusquÕ le faire aboutir tel quÕils imaginaient et le nÏud gordien fut enfin tranch aprs la proclammation de la Seconde Rpublique, en avril 1931. Le premier maire de lÕre rpublicaine, Vicente Alfaro Moreno (1902-1974) du Parti de lÕUnion Rpublicaine Autonomiste (PURA) porta le projet jusquÕ son terme en un temps trs court. Ds le mois de juin 1932, lÕoccasion de lÕinauguration du Muse Sorolla de Madrid, le prsident de la commission municipale des monuments de Valence, Enrique Durn y Tortajada (1883-1947), annona que les travaux avaient commenc.80 Paralllement aux dbats concernant la nature et lÕemplacement du monument, lÕide dÕun Muse Sorolla de Valence avait fait son chemin durant le mme laps de temps. Alors quÕen 1927 le projet mmoriel semblait dans lÕimpasse, Eduardo de Santiago y Carrin avana lÕide de la cration dÕun Òmuse-coleÓ consacr lÕÏuvre de Sorolla.81 La proposition souleva tellement dÕenthousiasme dans la presse locale quÕelle fut bientt toffe par toutes sortes de suggestions. Pour Emilio Fornet de Asensi (1898-1985), celui-ci devait occuper la Òmaison blancheÓ, la modeste demeure dans laquelle le peintre avait sjourn chaque fois quÕil avait travaill sur la plage de la Malvarrosa.82 Le Òmuse-coleÓ ne laissa pas indiffrente la presse conservatrice comme le montre un article publi dans Las Provincias. Luis de Galinsoga (1891-1967) voyait dans ce projet une sorte de rempart qui prserverait les artistes valenciens de lÕinfluence des Avant-gardes.83 Mais cette proposition rtrograde, qui visait raviver le pass sorolliste de la ville, dclencha la colre dÕEmilio Fornet de Asensi, qui qualifiait son confrre dÕÒanti-avant-gardisteÓ. Dans lÕesprit de ce journaliste, la vocation du Òmuse-coleÓ nÕtait pas de sÕopposer aux nouvelles 80. 81. 82. 83. Anonyme, ÒInauguracin del Museo SorollaÓ, Diario de Valencia, Valence, 12/06/1932. Eduardo de Santiago y Carrin, Ò?Ó, El Imparcial, 09 ou 10/1927. Article cit in Emilio Fornet de Asensi, Ò!Sol + !Sorolla = ValenciaÓ, La Correspondencia de Valencia, Valence, 26/06/1927. Emilio Fornet de Asensi, ÒLevante - ValenciaÓ, La Correspondencia de Valencia, Valence, 1927. Luis de Galinsoga, [?], Las Provincias, Madrid, 1927. III. La cration du Muse Sorolla : 1924-1939 171 tendances mais au contraire de les accompagner en les mettant en contact avec lÕÏuvre du matre.84 Pour signifier les dangers dÕune admiration excessive des gloires du pass, il paraphrasait dans sa rponse le titre dÕun ouvrage de Joaqun Costa devenu proverbial, Crisis poltica de Espaa. Doble llave al sepulcro del Cid85 : Pero es que Luis de Galinsoga viene a decirnos que sea Sorolla y su recuerdo en Valencia como un talud que preserve a los artistas valencianos de la oleada de modernidades. Y eso, no. [É] ÁO es que tendremos que soltar la irreverencia tremenda de que se den dos vueltas a la llave del sepulcro de Sorolla, como se dice del de El Cid ! 86 Le 13 octobre 1927, Santiago y Carrin rpondit aux deux journalistes dans lÕespoir de concilier leurs points de vue divergents87. Mais quelques jours plus tard, par journaux interposs, Galinsoga rpondait violemment Fornet, rduisant davantage la faisabilit de cette institution nouvelle qui nÕen tait pourtant quÕau stade dÕide.88 Sans entrer davantage dans les dtails de ce dbat sur lequel les sources ne manquent pas, il faut souligner quÕ lÕimage du monument, qui avait mis aux prises les deux bords politiques de la ville, le muse-cole divisa pareillement, illustrant une fois encore deux visions du peintre opposes. Elles coexisteront jusquÕ la guerre civile, aprs quoi le camps victorieux imposera sa propre perception et les choses en resteront l au moins jusquÕ la transition dmocratique. LÕenthousiasme soulev par lÕide dÕun muse-cole retomba et finit par disparatre compltement le 5 mars 1929, le jour o la nouvelle de la fondation du Muse Sorolla se rpandit. DÕun coup, elle ensevelit les espoirs des Valenciens car la collection familiale semblait voue rester entre les murs de la villa 84. 85. 86. 87. 88. Emilio, Fornet ÒLevante. ValenciaÓ, La Correspondencia de Valencia, Valence, 1927. Joaqun Costa, Crisis poltica de Espaa. Doble llave al sepulcro del Cid, Madrid, Biblioteca Costa, 1914. E. Fornet de Asensi, ÒLevanteÉÓ Ç Mais il apparat que Luis de Galinsoga vient nous dire que Sorolla et son souvenir Valence devraient constituer une digue prservant les artistes valenciens de la vague des avant-gardes. Et de cela, il nÕen est pas question [É] Ou alors devrons-nous avoir lÕinsolence de donner deux tours de cl au tombeau de Sorolla, comme on dit de celui du Cid ! È Eduardo de Santiago y Carrin, ÒEl Museo-Escuela y la casa de SorollaÓ, El Imparcial, Madrid, 26/10/1927. Luis Galinsoga de la Serna, ÒAcerca del homenaje a SorollaÓ, Las Provincias, Valence, 11/1927. III. La cration du Muse Sorolla : 1924-1939 172 madrilne. Or, personne nÕignorait que, sans une importante donation des hritiers du peintre, il tait impossible de constituer ailleurs une collection ambitieuse. LÕinformation provenait dÕEl Clamor, un journal oral dclam sur les planches du Thtre de la Comdie de Madrid par un cabotin n Valence, Federico Garca Sanchs (1886-1964).89 En se rservant la primeur de la nouvelle, le comdien assura la promotion de son spectacle puisque, de Madrid Valence, la presse quotidienne du lendemain reprit la nouvelle, tout en questionnant son authenticit et la lgitimit de son propagateur. Le 6 mars, El Mercantil Valenciano et La Correspondencia de Valencia titraient ensemble : Ç El Museo Sorolla Àestar en Madrid? È Dpit, Emilio Fornet accusait lÕorganisation gnrale du pays et celle de la vie artistique espagnole en particulier car, selon lui, elles avaient contraint le peintre sÕexpatrier, sans quoi il serait rest Valence et sÕy serait fix dfinitivement. Sorolla lÕavait dit lui-mme dans un entretien car il considrait effectivement que pour conduire une carrire artistique de haut niveau, rsider en province nÕtait pas la bonne option : Ç Los artistas vivimos aqu por ser el centro de todo el movimiento, no porque esto nos agrade, y vivimos a fuerza de carecer Madrid de personalidad. Yo vivira en Valencia, y all hubiera construido esta casa, si Valencia fuera camino para ir a alguna parte. È90 Il faut noter que lÕide dÕun muse valencien renatra pisodiquement. Par exemple, quand une collection particulire fut expose Valence, en 1944, deux journalistes locaux demandrent la propritaire de cder sa collection la ville ; en vain.91 La question fut nouveau dbattue en 1963, lÕanne du centenaire de la naissance du peintre. Sorolla tait n Valence, rue de Las Barcas, ses restes reposaient dans le cimetire municipal, mais son Ïuvre tait ailleurs et les touristes cultivs prfraient se rendre Madrid plutt que dans sa rgion natale. En janvier 1966, une motion visant la cration dÕun Muse Sorolla de Valence fut approuve sous le mandat du maire Adolfo Rincn de Arellano (1910-2006), mais elle ne donna aucun rsultat. Quand le Muse Sorolla traversa une importante crise financire, en 1967, il fut mme question de dmonter lÕdifice 89. 90. 91. J.L.L., ÒLa casa de Sorolla, convertida en MuseoÓ, ABC, Madrid, 1932. Francisco Martn Caballero, ÒHablando con D. Joaqun Sorolla en su estudioÓ, La Correspondencia de Valencia, Valence, 11/09/1913. Ç Nous les artistes, nous vivons ici car cÕest le centre de tout le mouvement et non pas pas parce que cela nous plat, nous vivons Madrid bien que cette ville manque de personnalit. Moi je vivrais Valence, et cÕest l-bas que jÕaurais construit cette maison si Valence avait t le chemin menant quelque-part. È Jess Vasallo, ÒLa fundacin de la beca Mara SorollaÓ, Jornada, Valence, 31/05/1944. III. La cration du Muse Sorolla : 1924-1939 173 pierre par pierre pour mieux le reconstruire ensuite Valence !92 En 2001, la question dÕun dpt permanent Valence dÕÏuvres extraites des rserves du Muse Sorolla fut dbattue lÕoccasion de lÕexposition temporaire El Museo Sorolla visita Valencia installe dans les salles du Muse du XIXme sicle.93 Enfin, aujourdÕhui, lÕide dÕun muse valencien continue mobiliser la classe politique locale et fut rcemment, ainsi quÕon le verra, un des enjeux des lections rgionales de 2007.94 La veuve Sorolla avait indiqu son intention de fonder le muse Madrid dans un testament tabli le 10 juillet 1925. Ce document confidentiel prcisait les dtails et les conditions dÕune donation lÕtat espagnol comprenant la demeure familiale, une partie du mobilier, sa propre collection de peinture, etc. Clotilde Garca del Castilla dcda le 5 janvier 1929 et le contenu du testament fut donc partiellement rvl en mars par Garca Sanchs, comme on vient de le voir. La ralisation du muse revint donc aux trois hritiers et aux cinq excuteurs testamentaires, Mariano Benlliure, Manuel Benedito, Jos Capuz, Pedro Gil Moreno de Mora et son fils Jos Pedro.95 Les trois enfants du peintres firent lÕinventaire de tous les biens mobiliers conservs dans la maison car cette tche indispensable permettait dÕtablir les parts correspondant chaque hritier. Ensuite, lÕensemble de la procdure se fit en collaboration avec les institutions de la Dictature qui vivait alors ses dernires heures. Sous la menace dÕun renversement du pouvoir par lÕarme, Primo de Rivera prsenta sa dmission le 28 janvier 1930, avant de trouver refuge en France. Le gnral Dmaso Berenguer (1878-1953), nomm sa place, ne parviendra pas remettre flot le rgime et ce fut dans une situation proche du chaos politique que lÕadministration dÕAlphonse XIII traita le dossier du muse comme une affaire urgente. Le 23 fvrier 1931, Mariano Benlliure prsenta lÕinventaire de la donation de la veuve au ministre de lÕInstruction Publique et des Beaux-Arts.96 Il comprenait neuf cent dix huiles, trois mille quatre cent quatre-vingt sept dessins, vingt et une gouaches et dix 92. 93. 94. 95. 96. R. Trivio, ÒLa Casa-Museo de Sorolla ser en Madrid o no serÓ, Generalitat, Valence, 16/07/1980. R.V.M., ÒPons-Sorolla dice que el legado peligrara si el depsito en Valencia fuera permanenteÓ, El Mercantil Valenciano, Valence, 1/12/2001. Anonyme, ÒCamps anuncia la prxima creacin del Centro Sorolla en un convento de ValenciaÓ, lavanguardia.es, 13/04/2007. Csar Gonzlez Ruano, ÒLa verdad sobre la fundacin del museoÓ, La Libertad, Madrid, 5/03/1929. La casa de Sorolla. Dibujos, Madrid, Ministerio de Cultura, 2007, page 27. III. La cration du Muse Sorolla : 1924-1939 174 aquarelles.97 Le 24 mars, le fils du peintre fit joindre la donation de sa mre cinquante-six tableaux dont il avait hrit parmi lesquels figuraient plusieurs grand formats tels que La siesta, El bao del caballo, Tipos de Salamanca, Despus del bao, etc.98 Sa part comprenait en tout deux cent trente et une huiles, mille quarante-deux dessins, sept gouaches et une aquarelle.99 Dans sa jeunesse, Joaqun avait vcu une histoire dÕamour avec la chanteuse et actrice de cinma Raquel Meller (1888-1962) et, aprs leur sparation, il ne sÕtait jamais mari et nÕavait pas eu dÕenfant.100 Il possdait dÕailleurs un portrait dÕelle que Sorolla avait peint la fin de sa vie et qui se trouve aujourdÕhui au Muse Sorolla.101 Le 28, le ministre de lÕInstruction Publique et des Beaux-Arts, Jos Gascn Marn (1875-1962), signa le dcret royal Ð publi dans la Gaceta de Madrid du 12 avril suivant Ð par lequel lÕtat acceptait lÕensemble de la donation. Ce fut le dernier dcret de lÕre alphonsine puisque, le 14 avril 1931, le roi abandonnait le pouvoir et sÕexilait dfinitivement lÕtranger.102 Au milieu de lÕagitation politique qui secouait le pays, les dmarches administratives ne furent pas retardes par la proclamation de la Seconde Rpublique. Aprs le dpart du roi, le rpublicain Niceto Alcal-Zamora (18771949) prit la tte dÕun gouvernement provisoire. Il nomma un comit de direction le 29 mai et pronona un discours dans lequel il annona lÕinauguration prochaine du Muse Sorolla. Il salua la contribution de tous les acteurs qui avaient pris part la ralisation du projet et, cela mrite dÕtre remarqu, il souligna lÕimplication personnelle du roi, dont il connaissait les liens dÕamiti qui lÕunissaient lÕartiste. Son administration mena le dossier son terme en un temps record, au moins pour deux raisons. DÕune part, lÕessentiel du travail avait t ralis en amont par le ministre Jos Gascn y Marn qui sÕtait pleinement investi dans ce projet. Par consquent, le nouveau rgime pouvait sans peine en recueillir le fruit. Ensuite, les rpublicains tenaient lÕoccasion de reprendre la main en ramenant dans leur 97. 98. 99. 100. 101. 102. Bernardino de Pantorba, Gua del Museo Sorolla, Madrid, Grficas Nebrija, 1975 (1951), page 11. M.A., ÒLa casa de SorollaÓ, Luz, Madrid, 24/09/1932. La siesta, 200x201, Madrid, Muse Sorolla, 1911. El bao del caballo, 205x250, Madrid, Muse Sorolla, 1909. Tipos de Salamanca, 191x200, Madrid, Muse Sorolla, 1912 et Saliendo del bao, 130x150Õ5, Madrid, Muse Sorolla, 1914. B. de Pantorba, GuaÉ page 11. Csar Gonzlez Ruano, ÒEvocacin de Raquel MellerÓ, Arriba, Madrid, 17/07/1955. Retrato de Raquel Meller, 125x100, Madrid, Muse Sorolla, 1918 et Jos Rico de Estasen, ÒSorolla pint a Raquel MellerÓ, Garbo, Barcelone, 25/08/1962. La casa de Sorolla, page 34. III. La cration du Muse Sorolla : 1924-1939 175 giron le peintre de Valence. Roberto Castrovido, qui venait de retrouver un sige de dput comme rpublicain indpendant, a peut-tre jou un rle important dans la poursuite et lÕaboutissement rapide du projet. Le 12 juin 1931, cÕest--dire moins de deux mois aprs le dpart du roi, le Muse Sorolla fut solennellement remis lÕtat au cours dÕune crmonie en petit comit laquelle participrent le chef du gouvernement provisoire, le ministre de lÕInstruction Publique et des Beaux-Arts, Marcelino Domingo (1864-1939), le directeur gnral des Beaux-Arts, Ricardo de Orueta (1868-1939), les enfants du peintre, les excuteurs testamentaires, et dÕautres personnalits du monde de lÕart.103 Tous faisaient partie du premier comit de direction du muse dont Manuel Azaa tait le prsident dÕhonneur. Il sera solennellement inaugur un an plus tard, presque jour pour jour, ainsi quÕon le verra par la suite. Le Muse Sorolla fut donc un projet men avec succs dans un temps court, en dpit du changement de rgime. Il ouvrit ses portes moins de dix ans aprs la mort du peintre et trois ans seulement aprs la mort de son pouse. Dans la presse, la donation de la veuve fut souvent rduite la gnrosit du geste. Or, cette dimension occultait dÕautres objectifs de cette initiative, qui devait aussi permettre la rvaluation critique de Sorolla. LÕarrire-petite-fille du peintre rappelle aujourdÕhui que la donation fut, sur le plan familial, une question particulirement pineuse puisquÕelle revenait soustraire aux trois enfants un hritage qui leur revenait de droit.104 Clotilde Garca del Castillo en dcida seule et cela fut visiblement mal vcu au sein de cette famille. DÕailleurs, avec le recul des annes, il est frappant de constater que les trois enfants adopteront des attitudes trs diffrentes lÕgard de leur hritage respectif car Mara conserva ses tableaux, Joaqun en cda lÕensemble lÕtat et Elena en vendit une partie. Pour Blanca Pons-Sorolla, son aeule sacrifia une partie du bien de ses enfants pour offrir son mari le rayonnement et la gloire quÕil mritait. Car il faut rappeler, une fois encore, que son Ïuvre tait trs mal reprsente dans les collections nationales pour plusieurs raisons lies au droulement de sa carrire. Par consquent, la cration dÕun muse dÕtat pouvait combler au moins cette lacune. En vitant la dispersion dÕune partie de la collection familiale, le muse permettrait une 103. 104. Alfonso (photographie), ÒEl museo del pintor Joaqun SorollaÓ, La Libertad, Madrid, 12/06/1931. Blanca Pons-Sorolla, ÒSorolla y su familiaÓ in Ternura y Melodrama. Pintura de escenas familiares en tiempos de Sorolla, Valence, Bancaja, 2003, pages 97-98. III. La cration du Muse Sorolla : 1924-1939 176 meilleure connaissance de son Ïuvre, pensait-elle. La dispersion dÕune collection prive tait perue, cette poque, comme une catastrophe quÕil fallait absolument viter. Quant au choix de Madrid, il allait presque de soi, tout simplement parce que le peintre avait choisi de sÕy tablir et dÕy construire un btiment dot dÕvidentes qualits musales. Par ailleurs, dans la capitale, cette institution aurait une envergure nationale et peut-tre internationale tandis que, Valence, elle aurait t isole et limite une dimension locale. Enfin, ce muse tait susceptible de mettre fin deux phnomnes indissociables durant la dcennie qui suivit la mort du peintre, cÕest--dire lÕoubli dans lequel Sorolla avait sombr et lÕaversion que son nom suscitait dsormais chez les jeunes artistes et que lÕon attribuait, tort ou raison, la mauvaise connaissance de son Ïuvre. Cette opinion se diffusa dans la presse au lendemain de lÕinauguration du muse car les observateurs pensaient que les choses allaient enfin changer. Jos Manaut Nogus tait de ceux qui partageaient ce point de vue, rsum dans Heraldo de Madrid de la faon suivante : Despus, su muerte le coloca en esa difcil situacin de toda figura eminente ante la generacin inmediata. Se proyecta sobre l esa sombra, esa disminucin de aprecio, que slo los grandes logran superar. As Sorolla se encuentra hoy incomprendido por falta de conocimiento, cosa que parece inverosmil, tan cercana su prdida.105 Si la mort dÕun peintre fait mcaniquement monter la valeur de son Ïuvre, qui devient un ensemble clos et dnombrable, sa rvaluation critique est souvent plus tardive et doit parfois subir au moins lÕindiffrence dÕune ou de plusieurs gnrations. Un exemple assez frappant est celui des peintres dÕhistoire franais qui ont endur, titre posthume, un rejet au moins proportionnel au succs quÕils avaient connu de leur vivant. Or, ces peintres intressent nouveau comme 105. Daz Casariego (Photographie), ÒEl Museo Sorolla se ha inaugurado solemnemente esta maana con asistencia del seor AzaaÓ, Heraldo de Madrid, Madrid, 11/06/1932 et Jos Manaut Nogus, ÒHoy hace nueve aos que muri Joaqun SorollaÓ, El Mercantil Valenciano, Valence, 10/08/1932. Ç Ensuite, sa mort le place dans cette situation difficile propre toute personnalit minente face la gnration suivante. Cette ombre se projte sur lui, cette diminution dÕestime, que seuls les grands parviennent surmonter. Ainsi, Sorolla se trouve aujourdÕhui incompris par mconnaissance, une chose qui semble invraisemblable tant est proche sa disparition.È III. La cration du Muse Sorolla : 1924-1939 177 viennent de le montrer les surprenants rsultats obtenus par les rcentes expositions monographiques dÕAlexandre Cabanel et de Jean Lon Grme.106 LÕinauguration du Muse Sorolla intressa ponctuellement les media si lÕon en juge par la rpartition des archives de presse consultes pour les besoins de cette tude. Elles contiennent presque cent cinquante articles dats de 1932. Avant cette date, Sorolla avait sombr dans un oubli presque total. En effet, aprs sa mort les journaux du pays avaient couvert trs sommairement les deux vnements attendus, cÕest--dire sa rception posthume lÕAcadmie Royale des Beaux-Arts de San Fernando et la prsentation publique de Visin de Espaa, New York. Le 2 fvrier 1924, la sance-hommage posthume que lui consacra lÕAcadmie fut peine remarque. Il faut rappeler que, dix ans auparavant, le 16 mars 1914, Sorolla avait t lu acadmicien sur le sige vacant de Salvador Martnez Cubells (1874-1947) la suite dÕune proposition collective des peintres Antonio Muoz Degran, Alejandro Ferrant Fisherman (1843-1917) et du sculpteur Miguel Blay. La lettre portant les trois signatures est conserve dans les archives de lÕinstitution.107 En 1914, le peintre tait absorb par Visin de Espaa. Plus tard, son tat de sant ne lui permit pas de se rendre lÕAcadmie pour prononcer son discours dÕinvestiture de sorte que, en 1924, lÕinstitution madrilne organisa une session extraordinaire au cours de laquelle le peintre Marceliano Santa Mara fit une lecture publique de ce discours.108 Deux ans plus tard, le 25 janvier 1926, la prsentation officielle de Visin de Espaa, New York, fut un non vnement, tant aux tats-Unis quÕen Espagne. Dans cette ville, les courants artistiques sÕtaient renouvels depuis lÕArmory Show, en 1913. Cette exposition internationale dÕart moderne fit connatre aux tats-Unis Pablo Picasso, Georges Braque, Raoul Dufy, etc. En 1926, les avantgardes taient trs implantes New York, ainsi que le prouve lÕinauguration dÕun Muse dÕart moderne, le MOMA, trois ans plus tard. Dans ce contexte, lÕÏuvre monumentale de lÕEspagnol fut traite avec cynisme par la critique et quelques artistes du moment. Le muraliste mexicain Jos Clemente Orozco (1883-1949) dclarait aprs avoir contempl la frise des provinces : Ç Los murales de Sorolla: 106. 107 108. Alexandre Cabanel 1823-1889 : la tradition du beau, Montpellier, Muse Fabre, 2010 et Jean Lon Grme 1824-1904 : lÕhistoire en spectacle, Paris, Muse dÕOrsay, 2010. Archives de lÕAcadmie Royale des Beaux Arts de San Fernando, dossier 5-146-6. Homenaje a la Gloriosa Memoria del Excm. Don Joaqun Sorolla, Acadmico electo. Discursos ledos en la Sesin Pblica el da 2 de febrero de 1924 Ð Real Academia de San Fernando ÐMadrid, Mateu Artes Grficas, 1924. III. La cration du Muse Sorolla : 1924-1939 178 ÁUn aburrimiento! Este hombre confunda la pintura con el cante jondo. ÁOl! Y esto a diez metros de El Greco, Goya y Velzquez. È109 Orozco avait visit lÕHispanic Society car il ralisait alors des dcors de grandes dimensions en Californie, New York et dans le New Hampshire.110 Comme lui, les jeunes Espagnols chercheront emprunter dÕautres voies que celles traces par Sorolla et lÕouverture du muse ne russira pas, ni brve ni moyenne chance, rconcilier ces artistes avec le vieux matre. 109. 110. Jos de Orozco, El artista en Nueva York, Mxico, Ciudad de Mxico, 1971, page 40. Ç Le dcor mural de Sorolla, un ennui ! Cet homme confondait la peinture avec le chant populaire andalou. Ol ! Et cela dix mtres du Greco, de Goya et de Vlasquez. È Edward Lucie-Smith, Arte latinoamericano del siglo XX, Londres, Destino, 1994, page 58. III. La cration du Muse Sorolla : 1924-1939 179 III.3. UN HRITAGE ARTISTIQUE EN JEU Le 11 juin 1932, lÕinauguration du Muse Sorolla marque une tape majeure dans lÕhistoire de la rception du peintre car des personnalits de tous bords se trouvent runies par le seul souvenir dÕun homme quÕelles avaient toutes connu et ctoy. La liste des personnes prsentes tmoigne elle seule de lÕtonnante dualit de Sorolla qui est alors au moins aussi cher aux rpublicains quÕil lÕest aux monarchistes. Toutefois, et contrairement des apparences trompeuses, le souvenir de lÕartiste nÕest pas un objet de concorde, bien au contraire. Quatre ans avant la Guerre Civile, cette inauguration est le thtre dÕun double affrontement : idologique, entre deux familles politiques, mais aussi gographique, entre Madrilnes et Valenciens. Parmi les quelque trois cents personnes qui assistent lÕinauguration du Muse Sorolla, il faut relever dÕemble lÕimportance du corps diplomatique compos des ambassadeurs dÕAllemagne, dÕItalie, dÕAutriche et des tats-Unis ainsi que des membres des gouvernements de Saint Domingue, du Panama, dÕUruguay et de Tchcoslovaquie.111 Cette reprsentation trangre relve probablement moins du rayonnement du peintre dans ces pays lointains que de la volont des autorits rpublicaines de donner du relief cet vnement. Parmi les personnalits espagnoles figurent le Òtout MadridÓ cÕest--dire les crivains Miguel de Unamuno et Adolfo Posada (1860-1944), lÕarchitecte du Madrid de la Seconde Rpublique Secundino Zuazo (1887-1971), les docteurs Gregorio Maran et Gonzalo Rodrguez Lafora (1886-1971), le naturaliste Ignacio Bolvar (1850-1944), le dessinateur Manuel Tovar ainsi que de nombreux artistes tels que les peintres Anselmo Miguel Nieto (1881-1964), Timoteo Prez Rubio (18961977), Cecilio Pl, Juan Rivelles (1896-inc.), Toms Murillo (1890-1934), les sculpteurs Jos Capuz, Mariano Benlliure, Juan Adsuara (1893-1973) et beaucoup dÕautres.112 Le projet musal avait t men sous la Dictature et le dossier avait t trait par son administration mais, par les alas de lÕhistoire, les autorits rpublicaines sÕapprtent alors en reccueillir le bnfice. LÕouverture dÕun tel muse est une 111. 112. Anonyme, ÒInauguracin del Museo SorollaÓ, La Voz, Madrid, 11/06/1932. Alfonso, ÒInauguracin del Museo SorollaÓ, Luz, Madrid, 11/06/1932. III. La cration du Muse Sorolla : 1924-1939 180 premire en Espagne. Il existe, ailleurs, des maison-ateliers reconverties aprs la mort de leur propritaire en muse ouvert au public. Les plus clbres sont les muses Gustave-Moreau et Auguste-Rodin de Paris, qui ont servi de modles aux suivants. Dans la premire moiti du XXme sicle, ce principe musal est la mode car il offre une approche plus complte et surtout plus intimiste de lÕartiste que les traditionnelles pinacothques qui prsentent dans leurs salles froides et vides dÕinterminables enfilades de tableaux. En plus de lÕatelier et de ses Ïuvres, le visiteur peut dcouvrir les objets de lÕartiste, ses collections, son mobilier, sa bibliothque, la dcoration intrieure des pices dÕhabitation, le cas chant des manuscrits, etc. Tout cela est conserv dans son ÒambianceÓ de lÕpoque, tel point que pntrer dans un de ces lieux revient faire un bond dans le temps. En Espagne, aucun atelier dÕartiste nÕest ainsi protg et valoris avant celui de Sorolla. Par exemple, un peintre valencien de la gnration antrieure, Antonio Muoz Degrain, vendit son atelier et donna ses tableaux aux muses de Valence et de Malaga avant de sÕtablir dans un appartement de la rue San Lorenzo, Madrid. Le sort rserv aux ateliers ne diffre pas de celui des lieux dÕhabitation. Ils sont tantt vendus ou cds, tantt occups par les descendants. Les biens mobiliers sont gnralement disperss aprs la mort de lÕartiste. La donation de la veuve Sorolla est donc, dÕune certaine manire, en avance sur son temps. Elle fait merger lÕide que ces ateliers ne peuvent pas tre traits comme de simples proprits prives car ils constituent, en quelque sorte, des morceaux du patrimoine collectif. Dans son sillage, deux autres donations lui emboteront le pas, le Muse Rusiol de Sitges et le Muse Romero de Torres de Cordoue si bien que la jeune Rpublique sÕennorgueillira de recevoir, dÕun coup et sans effort, un muse national et deux muses municipaux.113 Le jour de lÕinauguration du Muse Sorolla, cÕest donc le chef du gouvernement rpublicain, Manuel Azaa Daz (1880-1940), qui occupe le centre de la table au milieu dÕune foule compose, en majorit, de ses adversaires politiques. Une photographie panoramique publie dans lÕdition de Blanco y Negro du lendemain montre le chef du gouvernement assistant au discours dÕAmalio Gimeno.114 Le regard perdu quelque part en direction des grands 113. 114. Anonyme, ÒNuevos museos de la Repblica : Sorolla en Madrid ; Rusiol en Sitges ; Romero en CrdobaÓ, Nuevo Mundo, Madrid, 1/01/1932. Figure n¡8. Madrid. Inauguration du Muse Sorolla (1932). III. La cration du Muse Sorolla : 1924-1939 181 tableaux accrochs en hauteur sur les murs de lÕatelier, le leader rpublicain coute dÕune oreille cet expos quÕil qualifiera, dans ses mmoires, dÕassomant.115 Autour de lui, dÕautres monarchistes coutent ce mme discours, comme Benigno de la Vega-Incln, Jos Joaqun Herrero (1858-1945), Elas Tormo (1869-1957), le marquis de Lozoya (1893-1978), Federico Garca Sanchs etc.116 Ces hommes faisaient partie du dernier entourage du peintre. La maison Sorolla avait vu passer entre ses murs le gratin de lÕpoque, des vedettes de la scne madrilne telles que Raquel Meller, Catalina Barcena (1896-1978) et Mara Guerrero, jusquÕ lÕaristocratie et le roi en personne.117 LÕcrivain Francisco Umbral le rappelera, sur un ton goguenard, dans un article dÕEl Pas dat de 1986 : Ç El Museo Sorolla es como un chalet pretencioso de maestro de obras de derechas. Hoy parece inslito decirlo, pero fue el Ceesep de su tiempo. È118 cÕest--dire Ç Le Muse Sorolla est une sorte de villa prtencieuse dÕun matre dÕÏuvres de droite. Cela semble incroyable de lÕaffirmer aujourdÕhui, mais il fut le CSP de son poque. È CSP ou Carlos Snchez Prez (1958) est un peintre Ò la modeÓ dans les annes quatre-vingt. La prsence des monarchistes cette inauguration dmontre que, si les rpublicains en avait recueilli le fruit, le Muse Sorolla est bel et bien un projet port par les autorits de la dictature. Il faut imaginer quÕen lieu et place de Manuel Azaa, le roi Alphonse XIII en personne aurait probablement prsid cet hommage dans une maison quÕil avait frquente une autre poque. Parmi les figures politiques des partis de gauche, il faut aussi noter la prsence du ministre de lÕInstruction Publique, Fernando de los Ros (1879-1949), du dput Gerardo Carreres Bayarri (1885-1936), du maire rpublicain de Madrid Pedro Rico (1888-1957), de la dpute socialiste Margarita Nelken (1894-1968), ou encore du reprsentant du maire de Valence, Enrique Durn y Tortajada. Dans son article ÒUna fiesta de toleranciaÓ, Gregorio Maran (1887-1960), un homme du centre, voit dans cette assemble de rpublicains et de monarchistes un symbole de ÒfraternitÓ : Ç Ayer sin embargo, muchas gentes de banderas encontradas vivieron juntas unos instantes de tolerancia y de fraternidad. Hablaron los antiguos y los modernos, con intencin unsona. Se habl del pasado 115. 116. 117. 118. Manuel Azaa, Memorias polticas y de Guerra, Madrid, Giner, 1990, tome IV, pages 400-401. Anonyme, ÒInauguracin del Museo SorollaÓ, La poca, Madrid, 11/06/1932. Jordane Fauvey, Joaqun Sorolla pintor del Rey Alfonso XIII, Besanon, PUFC, 2009, pages 95-97. Francisco Umbral, ÒSorollaÓ, El Pas, Madrid, 18/01/1986. III. La cration du Muse Sorolla : 1924-1939 182 sin rencor y del presente sin ira. È119 Cependant, la crmonie nÕest pas aussi apaise que ce passage le laisse entendre. Les textes des discours, dont des passages seront cits plus avant, le dmontrent sans ambigit. Par ailleurs, le journal personnel de Manuel Azaa donne entendre tout fait le contraire de ce quÕaffirme le docteur Maran. Ce texte est dat par son auteur du 9 juin 1932 bien que les faits rapports datent, en ralit, du 11 : Se ha inaugurado la casa de Sorolla, que es un museo de cuadros de este pintor, instalado en la casa que construy en el paseo que no s ahora cmo se llama. Bastante gente, mucha de ella del otro bando. Yo presid la ceremonia. El perdurable don Amalio Gimeno ley un discurso pesado. Otros seores leyeron otros discursos tambin pesados. Y el increble Garca Sanchz, alias ÒBorregueroÓ (que as le llamaban cuando vino de Valencia con el pelo de la dehesa a hacer fortuna), recit una de esas tiradas de prosa en delirio que l llama charlas. [É] Ha dicho, entre otras cosas, que la ÒGuardia Civil es la columna vertebral de la PatriaÓ. En el ABC se derriten por Sanchz. Le conoc en el Ateneo hace treinta aos. Entonces era muy amigo de Juan Pujol : los llamaban Rinconete y Cortadillo.120 Ce passage mrite dÕtre comment en dtail. Tout dÕabord, celui qui est alors chef du gouvernement traite le peintre avec une certaine distance comme pour sÕen tenir lÕcart. LÕassimile-t-il, lui aussi, cet Òautre campÓ dont il est question dans le texte, cÕest--dire la droite monarchiste ? Cela est possible car il faut se souvenir que, un an seulement auparavant, Alcal Zamora avait mentionn les liens dÕamiti qui unissaient le peintre Alphonse XIII, alors quÕon se souvient que Vicente Blasco Ibez nÕavait jamais admis cette ide. Or, mme si 119. 120. Gregorio Maran, ÒCon motivo de la entrega del Museo Sorolla al Estado. Una fiesta de toleranciaÓ, El Sol, Madrid, 14/06/1932. Ç Hier pourtant, beaucoup de gens appartenant des factions opposes ont partag ensemble quelques instants de tolrance et de fraternit. Les anciens et les modernes ont parl, avec les mmes intentions. On voqua le pass sans rancÏur et le prsent sans animosit. È Manuel Azaa, Memorias polticas y de Guerra, Madrid, Giner, 1990, tome IV, pages 400-401. Ç On a inaugur la maison de Sorolla, qui est un muse de tableaux de ce peintre, install dans la maison quÕil a fait construire sur lÕavenue dont je ne sais plus le nom cet instant. Pas mal de gens, beaucoup de lÕautre camp. Moi jÕai prsid la crmonie. LÕinfatigable Amalio Gimeno a lu un discours assommant. DÕautres messieurs ont lu dÕautres discours pas moins assommants. Et lÕincroyable Garca Sanchs, alias Ògardien de moutonsÓ (cÕest ainsi quÕon lÕappelait quand il arriva de Valence, avec ses sabots tout crotts, pour chercher fortune), rcita une de ses tirades de prose dlirante quÕil appelle conversations. [É] Il a dit, entre autres choses, que la ÒGarde Civile est la colonne vertbrale de la PatrieÓ. Ë la rdaction dÕABC, on a dÕyeux que pour Sanchs. Je lÕai connu lÕAteneo il y a trente ans. Il tait alors trs ami de Pujol : on les appelait Rinconete et Cortadillo. È III. La cration du Muse Sorolla : 1924-1939 183 lÕattachement de Sorolla la monarchie espagnole est connu de tout le monde, et bien sr dÕAzaa, le sujet demeure encore tout un tabou Valence. Dans les colonnes dÕEl Pueblo, un journaliste opte pour une formule suffisamment ambigu pour que chacun y trouve son compte : Ç Pensara Sorolla como pensase, era un hombre nuestro. È121 cÕest--dire Ç Peu importe ce que pensait Sorolla, il tait lÕun des ntres. È Dans le texte dÕAzaa, il est aussi question du changement de nom de la rue du muse. En effet, le peintre avait fait lÕacquisition de deux terrains attenants situs Paseo del Obelisco.122 En 1914, la rue avait reu le nom du gnral Martnez Campos, dont le pronunciamiento du 29 septembre 1874 avait permis la Restauration de la monarchie. Mais en juin 1931, juste avant lÕinauguration du muse, la mairie de Madrid efface le nom du gnral putschiste. Il est remplac par celui de lÕintellectuel libre penseur Francisco Giner de los Ros car lÕInstitution Libre dÕEnseignement tait situe au numro 14, et le muse au 37. Depuis les colonnes dÕEl Liberal, Roberto Castrovido, qui est cette poque dput de Madrid, salue la modification et demande aux diles de poursuivre leur action en changeant le nom de la Plaza vieja de Chamber en Plaza del pintor Sorolla.123 Mais la proposition nÕest pas entendue et les alas de lÕhistoire font que le vÏu formul par le rpublicain sera exauc sous le franquisme, le 9 mars 1944.124 Par la mme occasion, la rue Francisco Giner de los Ros retrouvera son ancienne plaque, quÕelle continue arborer aujourdÕhui. Cette anecdote prouve, au moins, que si les conservateurs ne disputent pas lÕhritage de Giner la gauche rpublicaine, et que celle-ci ne dispute pas la droite monarchiste les valeurs de lÕpope de Martnez Campos, il nÕen va pas de mme pour Sorolla et son Ïuvre puisquÕils servent, au gr de lÕalternance politique, toutes les causes. Enfin, dans le texte dÕAzaa, il est surtout question dÕun homme, le comdien, pote et romancier n Valence, Federico Garca Sanchs. Dans le texte, le nom comporte une faute dÕorthographe, ÒSanchzÓ, qui pourrait tre intentionnelle et faire allusion un accent madrilne forc. Cette pique entrerait en cohsion avec le portrait caustique de Sanchs, quÕAzaa nous prsente comme un provincial venu chercher fortune Madrid. Il affirme lÕavoir connu trente ans 121. 122. 123. 124. Arturo Mori, ÒSorollaÓ, El Pueblo, Valence, 16/06/1932. La casa de Sorolla. Dibujos, page 10. Roberto Castrovido, ÒEl Museo SorollaÓ, El Liberal, Madrid, 12/06/1931. Anonyme, ÒMs de un milln de pesetas para ampliar el alumbrado elctrico pblicoÓ, Arriba, Madrid, 10/03/1944. III. La cration du Muse Sorolla : 1924-1939 184 auparavant lÕAteneo de Madrid, une institution cre en 1835 qui fut, jusquÕ la guerre civile, un lieu dÕchanges et de dbats politiques, scientifiques, littraires et artistiques. Azaa en fut le secrtaire de 1913 1920, lÕpoque o Sanchs le frquentait. Au sujet de ce Valencien touche--tout, il faut rappeler que, quelques annes plus tt, il avait pris de court la presse en annonant la cration du Muse Sorolla et il avait ensuite publi plusieurs articles sur le peintre quÕil ctoya la fin de sa vie. En 1926, lÕanne de la prsentation de Visin de Espaa, il signa un article fortement empreint de nationalisme intitul ÒEl pintor Sorolla y el comandante FrancoÓ.125 Il y associait lÕvnement new-yorkais lÕexploit ralis par le frre an du futur caudillo, Ramn Franco (1896-1938) qui, le 22 janvier, avait t le premier aviateur espagnol franchir lÕocan Atlantique, de Palos de la Frontera Buenos Aires, bord dÕun hydravion baptis ÒPlus UltraÓ, la devise de Charles Quint. Pour le journaliste, les deux vnements apparemment sans lien relevaient dÕun mme lan de ÒpatriotismeÓ car ils glorifiaient tous deux, et leur manire, le nom de lÕEspagne. Azaa accuse le journal ABC de nÕavoir dÕyeux que pour Sanchs probablement parce que dans lÕdition du 12 juin 1932, son discours est jug admirable : Ç Federico Garca Sanchiz, el conde de Gimeno y las dems personalidades que ayer hicieron uso de la palabra en el acto de la inauguracin oficial del Museo, ensalzaron de manera admirable las grandes cualidades del artista insigne que dej este esplndido legado a la nacin. È126 Dans le discours quÕil prononce le jour de lÕinauguration du muse, Sanchs sÕen prend avec virulence la politique visant concder une autonomie aux rgions qui le souhaiteraient. En effet, pour redfinir le rle et les comptences de lÕtat et des rgions, le gouvernement est prt accorder une certaine autonomie la Catalogne ainsi que le prvoit le Pacte de Saint-Sbastien. Avant lÕavnement de la Rpublique, les responsables des partis rpublicains sÕtaient runis dans la ville basque, le 17 aot 1930, dans le double but de former un Comit Rvolutionnaire et de dfinir les grands chantiers de la Rpublique. Parmi les sujets dbattus, figurait la question de la dcentralisation des pouvoirs. Le 9 125. 126. Federico Garca Sanchz, ÒEl pintor Sorolla y el comandante FrancoÓ, Informaciones, Madrid, 11/02/1926. Anonyme, ÒInauguracin oficial de la Casa Museo SorollaÓ, ABC, Madrid, 12/06/1932. Ç Federico Garca Sanchs, le comte Amalio Gimeno et autres personnalits qui ont fait hier usage de la parole au cours de la crmonie officielle dÕinauguration du Muse, lourent de faon admirable les grandes qualits de lÕillustre artiste qui laissa ce splendide hritage la nation. È III. La cration du Muse Sorolla : 1924-1939 185 septembre 1932, les Corts concdent un statut particulier la Catalogne mais, bien avant ce vote, les conservateurs dnoncent dj une atteinte lÕunit nationale. CÕest ce thme que Sanchs dveloppe travers des images tires du plus grand panneau du dcor de lÕHispanic Society, Castilla. La Fiesta del pan. Comme lÕEspagne, la frise des provinces est une Ïuvre part entire qui nÕa de sens que dans lÕindivisibilit de ses quatorze panneaux, remarque Sanchs. Il loue lÕÒespagnolismeÓ de lÕensemble, une notion en vogue dans lÕEspagne des annes trente quÕil faut comprendre comme le contraire de ÒsparatismeÓ. LÕÒespagnolismeÓ doit sÕentendre comme un patriotisme fond sur le souci de maintenir une cohsion politique, territoriale, conomique, etc. Il poursuit en expliquant que le pays doit son unit aux Rois Catholiques, avant dÕajouter que sans le Compromis de Caspe (1412) et le rle jou par Saint Vincent Ferrer (1350-1419), celle-ci nÕaurait pas t possible. Le Compromis de Caspe avait permis Ferdinand de Castille, avec le soutien du dominicain de Valence, dÕaccder la Couronne dÕAragon et dÕunir ainsi les deux royaumes qui formeront ensemble lÕEspagne. Par un raccourci historique, Sanchs estime que le pays doit donc son unit un Valencien, ce qui explique quÕun autre Valencien, Sorolla, lÕexalte son tour dans ses tableaux. Il poursuit sa dmonstration par une mtaphore. Selon lui, le fruit valencien par excellence, lÕorange, symbolise lÕunit nationale car chacun de ses quartiers, spars les uns des autres, sont hermtiquement maintenus ensemble sous la peau, comme les rgions lÕintrieur des frontires. Dans un discours postrieur il compltera cette image en signalant que lÕorange est un mlange de jaune et de rouge, les couleurs du drapeau national.127 Il identifie ensuite dÕautres symboles nationaux dans la composition du panneau Castilla. La Fiesta del pan. Il fait lÕloge des drapeaux, des monuments et du pain qui, selon lÕorateur, accommode et rassemble sur la table tous les aliments produits dans la pninsule. Il fait enfin mention de la Garde Civile quÕil considre comme la Òcolonne vertbrale de la PatrieÓ, ce quÕAzaa tiendra sans doute pour du ÒdlireÓ, car la Garde Civile avait t lÕun des piliers de la monarchie. Douze ans plus tard, Sanchs livrera lui aussi son souvenir de cette inauguration et son rapport glacial avec Azaa : 127. Federico Garca Sanchs, ÒSorolla en el PradoÓ, ABC, Madrid, 26/02/1944. III. La cration du Muse Sorolla : 1924-1939 186 Nos conocamos de antiguo del Ateneo. Saludmonos al entrar, pero como en mi discurso, glosando la composicin titulada La fiesta del pan en Castilla, que se conserva en la Hispanic Society of America, arremetiese contra la poltica separatista del Gobierno, su Jefe y yo no nos despedimos a la salida, o mejor dicho, nos despedimos para siempre.128 Les discours prononcs sont publis ensemble quelques jours plus tard, dans un fascicule intitul La Casa de Sorolla.129 En annexes, huit tableaux du muse sont reproduits en noir et blanc dont la moiti sont des tudes prparatoires au dcor de lÕHispanic Society : Tipos regionales castellanos, Tipos regionales del Valle de Ans, Tipos regionales del Roncal, Tipos aragoneses.130 Ë cela, il faut ajouter une imposante reproduction du panneau Castilla. La fiesta del pan sur une page qui se dplie en quatre volets. Tout cela vient illustrer le discours de Federico Garca Sanchs. Les images quÕil a voques et commentes sont aussitt reprises et propages par la presse conservatrice. Dans un article de La Voz de Valencia, un journaliste tente lui aussi de dmontrer comment Visin de Espaa incarne lÕide dÕunit nationale. Il oppose le patriotisme de Sorolla lÕgosme des Catalans : ÁSublime ejemplo! Ese rasgo de los familiares de Sorolla, al dejar a Espaa la casa solariega en la que el maestro pas sus mejores aos y en la que volc sus entusiasmos de artista y en la que reconcentr todo el buen gusto de elegido y en la que fue dejando ao tras ao huellas de genio creador son una prueba de su espaolismo inculcado devotamente a sus hijos [É] y que denotan su gran amor a la patria grande, a la que representa la hermandad de todas las regiones hispanas unidas en estrecho abrazo y sin la mezquina idea que subyuga a los infelices catalanes de nuevo cuo.131 128. 129. 130. 131. Federico Garca Sanchz, ÒSorolla en el PradoÓ, ABC, Madrid, 26/02/1944. Ç Nous nous connaissions de longue date, de lÕAteneo. Nous nous sommes salus lÕentre, mais comme dans mon discours, en glosant sur la composition intitule La fiesta del pan en Castilla, qui est conserve lÕHispanic Society of America, je mÕen suis pris la politique sparatiste du Gouvernement, son Chef et moi nous nous sommes spars sans nous saluer la sortie, ou plutt, nous nous sommes spars pour toujours. È La Casa de Sorolla, Madrid, Patronato del Museo Sorolla, 1932. Au Muse Sorolla de Madrid : Tipos regionales castellanos, 203x156, 1912. Tipos regionales del Valle de Ans, 206x150Õ5, 1912. Tipos regionales del Roncal, 200x150, 1912 et Tipos aragoneses, 209x143, 1912. Emilio Juan Favieres, ÒSorolla. El maravillosoÓ, La Voz Valenciana, Valence, 22/06/1932. Ç Sublime exemple ! Ce geste des membres de la famille Sorolla, qui cdrent lÕEspagne la noble maison dans laquelle le peintre passa les meilleurs annes III. La cration du Muse Sorolla : 1924-1939 187 Il prtend que les enfants de Sorolla ont accru le bien commun alors que, au contraire, Ç les Catalans È sont justement en train de le sacrifier. Ë la fin de ce passage, lÕauteur sÕen prend lÕÒhistoire communeÓ des Catalans, un argument du catalanisme politique, en les taxant de ÒnaturalissÓ pour signifier la superficialit de leur revendication. La filiation se trouve au cÏur de ce passage car, en renonant une partie importante de leurs hritages respectifs, au profit de lÕtat, Mara, Joaqun et Elena viennent de faire un ÒsacrificeÓ matriel qui revt dans ce contexte une signification nationale. La famille est perue ici la fois comme le creuset de valeurs telles que lÕentente, le respect, lÕabngation, dans une vision toute catholique, mais aussi comme la Ògrande familleÓ cÕest--dire la patrie, dont la cohsion repose sur les mmes valeurs. Pour bien le comprendre, il faut rappeler que lÕÏuvre de Sorolla reflte une certaine Òcohsion familialeÓ car lÕartiste a peint en quantit des scnes de foyer aussi intimistes que Madre, Mi mujer y mis hijos, Clotilde con los hijos, Da de Reyes et beaucoup dÕautres.132 Par ailleurs, il peignait galement des portraits individuels de ses enfants et de son pouse. Ces modles furent particulirement importants dans son processus de cration car, en toute libert, il se Òfaisait la mainÓ et se livrait des exprimentations dont il transfrait ensuite lÕapport vers ses commandes. Ce fut le cas, entre autres, du portrait de jardin quÕil mit au point dÕabord avec ses proches avant de le proposer ensuite ses clients. Le portrait du designer amricain Louis Comfort Tiffany, sur un fond de fleurs qui rappelle ses vitraux art nouveau, en est un exemple.133 Naturellement, la plupart des tableaux familiaux nÕavait pas t vendue et une grande partie dÕentre-eux figure dans la donation de la veuve cÕest-dire dans les collections initiales du Muse Sorolla. Pour cette raison ils sont dcouverts tardivement et donc abondament coments en 1932. Dans ce contexte brlant, le fils du peintre, qui est galement le premier directeur du Muse Sorolla, accorde un entretien Jos Montero Alonso (1904- 132. 133. de sa vie et dans laquelle il versa son enthousiasme dÕartiste et dans laquelle il concentra tout le bon got, et dans laquelle il laissa, anne aprs anne, des traces de son gnie crateur, autant de preuves de son espagnolisme inculqu dvotement ses enfants [É] et qui attestent de son grand amour pour la grande patrie, reprsente par la fraternit de toutes les rgions hispaniques unies main dans la main et sans lÕide misrable qui aveugle les satans Catalans de la nouvelle espce. È Au Muse Sorolla de Madrid : Madre, 125x169, 1895. Mi mujer y mis hijos, 160x150, 1897-1898 et Clotilde con los hijos, da de Reyes, 36Õ5x53, 1900. Retrato de Louis Comfort Tiffany, 150Õ5x225Õ5, New York, HSA, 1911. III. La cration du Muse Sorolla : 1924-1939 188 2000), le directeur du journal conservateur La Hoja del Lunes.134 Au cours de sa visite, une toffe accroche dans un des ateliers attire son attention. Il sÕagit de la ÒsenyeraÓ, cÕest--dire le drapeau burel de la Couronne dÕAragon que le peintre avait immortalis dans le panneau Valencia. Las grupas. Il lÕavait ensuite conserv comme un souvenir de son sjour de 1916. Embarrass, le fils affirme que son pre nÕtait pas sparatiste, mais quÕil avait toujours eu une affection profonde et sincre pour sa terre natale. En remontant le fil de la presse on retrouve en 1924 ce tmoignage du Valencien Benedito qui confiait alors au journal El Mercantil Valenciano: Ç El da que esa bandera entr en esta casa, organiz don Joaqun, en petit comit, como de corazn a corazn, una fiesta ntima, de exaltacin de valencianismo, todo emocin y sentimiento. È135 Ce genre dÕanecdote sera absolument prohib sous le franquisme, en particulier chez celui qui deviendra un des portraitistes du dictateur. Quelques jours aprs la visite de La Hoja del Lunes, un journaliste de la revue Hogar considre que lÕarchitecture et la dcoration intrieure de la maison revtent un Òprofond caractre nationalÓ : Ç Aqu habla Espaa con su recio acento histrico. Esta valiosa coleccin de cuadros, de tipos regionales, no puede ser ms elocuente en estos momentos polticos. È136 En novembre, le souvenir de Sorolla est raviv par le trs conservateur Salon dÕAutomne de Madrid. Alors que quelques tableaux du matre sont exposs dans une des salles de lÕexposition, son organisateur, Manuel Abril (1884-1943), essuie les attaques du critique çngel Vegue y Goldoni (inc.-inc.) qui lui reproche de nÕexposer que des peintres de droite.137 Selon lui, la slection admise reflte le conformisme du salon et dcourage les tentatives de rupture artistique. Dans sa rponse, Abril indique tout dÕabord que les salles consacres Sorolla et au sculpteur Benlliure ne constituent pas toute lÕexposition. Puis il revendique lÕorientation conservatrice de lÕassociation quÕil prside, en signalant que cÕest l 134. 135. 136. 137. Jos Montero Alonso, ÒEl glorioso pintor visto a travs de su hijoÓ, El Eco de Santiago, Saint Jacques de Compostelle, 21/06/1932 et Anonyme, ÒJos Montero Alonso, periodistaÓ, El Pas, Madrid, 28/03/2000. Jos Ballester y Gozalvo, ÒEn templo abandonadoÓ, El Mercantil Valenciano, Valence, 9/08/1924. Ç Le jour o ce drapeau entra dans cette maison, don Joaqun organisa, en petit comit, auprs de ses fidles, une fte intime, dÕexaltation de valencianisme, qui ne fut quÕmotion et sentiment. È C. J., ÒEl hogar del pintor SorollaÓ, Hogar, Madrid, 30/06/1932. Ç LÕEspagne parle ici avec son pre accent historique. Cette prcieuse collection de tableaux, de types rgionaux, ne peut tre plus loquente en ces temps politiques. È çngel Vegue y Goldoni, Òtitre inconnuÓ, La Voz, Madrid, 1/11/1932. III. La cration du Muse Sorolla : 1924-1939 189 une de ses obligations, au nom de la dfense de lÕart.138 Sous le franquisme, le Salon dÕAutomne nÕexposera plus que des peintres consacrs. Comme il a t indiqu, les discours prononcs le jour de lÕinauguration du Muse Sorolla sont publis le 24 juin 1932 dans un fascicule dit par le comit de direction du muse. Tous les discours y figurent, except celui du reprsentant du maire de Valence, Enrique Durn y Tortajada. Il avait annonc ce jour-l que la ville tait en train dÕdifier un monument sur la plage de La Malvarrosa. Le texte fut cart par le comit de direction, la tte duquel se trouvait le fils du peintre, peut-tre parce que, dans son allocution, Tortajada avait prcis que lÕinauguration du monument attendrait le rapatriement de la dpouille de Vicente Blasco Ibez, mort quatre ans plus tt Menton, et que les deux vnements donneraient lieu une manifestation conjointe. En organisant cet hommage, le Parti de lÕUnion Rpublicaine Autonomiste, dirig alors par son plus jeune fils, Sigfrido Blasco-Ibez (1902-1983), entend rhabiliter la fois lÕhomme politique et lÕcrivain en lÕassociant aux artistes de la grande poque valencienne, Mariano Benlliure et Joaqun Sorolla. Cet vnement commmortaif contribuerait forger une identit valencienne conforme lÕidal de ces rgionalistes de gauche. En 1929, Sigfrido Blasco-Ibez avait rachet Flix Azzati le journal fond par son pre, El Pueblo, qui faisait lui aussi partie du patrimoine culturel de la ville. Le journal disparatra dix ans plus tard avec lÕarrive au pouvoir des franquistes. Le 11 aot 1933, le maire de Valence Vicente Alfaro Moreno organise une crmonie au cimetire municipal pour le dixime anniversaire de la mort du peintre et, le 31 dcembre, le monument tant attendu est inaugur sur le bord de mer. En ce qui concerne cette construction, il faut prciser, tout dÕabord, que le buste en marbre offert par Mariano Benlliure avait du tre fondu en bronze en septembre 1932 car il serait tre expos ciel ouvert.139 Le monument dessin par lÕarchitecte Francisco Mora Berenguer (1875-1961) comprend une esplanade ferme lÕouest par un pristyle semi-circulaire compos de huit colonnes doriques.140 Au centre, le bronze est plac sur un socle frapp du blason rouge et jaune de la ville. Le buste fait face la Mditerranne, figeant ainsi pour lÕternit 138. 139. 140. Manuel Abril, ÒEl Saln de OtooÓ, Luz, Madrid, 2/11/1932. Jos Manaut Nogus, ÒBenlliureÓ, El Mercantil Valenciano, Valence, 2/08/1932 Figure n¡10. Monument Ç Valencia a Sorolla È (1933-1957). III. La cration du Muse Sorolla : 1924-1939 190 la tension visuelle si fugace entre le regard du peintre et son motif. Pour les pcheurs et les gens de la ville qui ont aperu un jour le peintre seul sur la plage, immerg dans sa tche, le monument est dÕautant plus marquant et mouvant. Les Valenciens avaient longtemps attendu un tel monument et il est dÕautant mieux accueilli par la population quÕil compense une lacune et solde la ÒdetteÓ de la ville envers son peintre, selon la formule rebattue par la presse locale. AujourdÕhui, rien de tout cela ne subsiste car lÕhistoire donna raison aux fonctionnaires aviss qui sÕtaient opposs cette construction. En effet, le coteux mausole sera balay par les eaux lors de la crue du fleuve Turia de lÕautomne 1957, qui cause aussi la perte de nombreux tableaux de Sorolla qui dcoraient des rsidences prives comme celle du peintre Jos Benlliure, qui possdait une importante collection personnelle.141 Durant six ans, le monument la mmoire de Sorolla reste lÕtat de ruine. parpills sur la plage, les blocs de pierre semblent driver dans une mer de sable. Ce spectacle dsolant constitue durant tout ce temps une sorte de curiosit locale, photographie par les badauds. Les autorits franquistes ne mettront aucun empressement organiser lÕvacuation des vestiges, peut-tre parce que ces pierres et leur histoire rappelaient le rgime rpublicain, comme on va le voir. En 1960, Levante sÕindignera du sort rserv au monument alors que la ville sÕest releve de cette preuve : Ç Tres aos han pasado de la catstrofe y Valencia est completamente restaurada de sus terribles heridas, pero an queda abierta una que cada da se ulcera ms y ms: ese monumento que, de no tomar una determinacin, acabar por desaparecer falto de respeto y consideracin que se merece. È142 Ë lÕapproche du centenaire de la naissance du peintre, en 1963, il sera finalement dmont et partiellement rinstall un peu plus loin du rivage dans le quartier maritime o il se trouve aujourdÕhui.143 La nouvelle sera annonce par Jornada, en aot 1962. Le 141. 142. 143. Anonyme, ÒEl barro destroza lienzos de Benlliure, Sorolla y Pepino BenlliureÓ, Clima, Valence, 26/10/1957. Gnzalez Vidal, ÒContina sin restaurar el monumento a SorollaÓ, Levante, Valence, 12/07/1960 et Anonyme, ÒEl monumento a SorollaÓ, Levante, Valence, 17/12/1960. Ç Trois annes se sont coules depuis la catastrophe et Valence est compltement remise de ses terribles blessures, mais il en reste encore une qui chaque jour se gte de plus en plus ; si personne ne prend une rsolution, ce monument finira par disparatre faute du respect et de la considration quÕil mrite. È Anonyme, ÒHa quedado instalado totalmente el monumento al pintor Sorolla. Ser inaugurado el prximo mircolesÓ, Levante, Valence, 24/02/1963. Figure n¡16. Valence commmore le 100e anniversaire de la naissance de Sorolla (1963). III. La cration du Muse Sorolla : 1924-1939 191 journal saluera ce dnouement mais il estimera que le buste du peintre doit rester face la mer, cote que cote.144 Pour comprendre la crmonie dÕinauguration du 31 dcembre 1933, il faut rappeler que les rpublicains viennent de perdre les lections lgislatives du 19 novembre, remportes par la Confdration Espagnole des Droites Autonomes (CEDA) le parti conservateur et catholique de Jos Mara Gil-Robles (18981980). Toutefois, si la CEDA gagne les lections, cÕest le Parti Rpublicain Radical (PPR) dÕAlejandro Lerroux (1864-1949) qui va gouverner. Lerroux prside un conseil des ministres largement compos de membres de son parti : Diego Martnez Barrio (1883-1962) ministre de la Guerre, Juan Jos Rocha Garca (1877-1938), ministre de la Marine, Antonio Lara Zrate (1881-1956), ministre des Finances, Manuel Rico Avello (1886-1936), ministre de lÕIntrieur, Rafael Guerra del Ro (1885-1955), ministre de lÕconomie, Jos Pareja Ybenes (1888-1951), ministre de lÕInstruction Publique et des Beaux-Arts, Jos Estadella Arn (1880-1951), ministre du Travail et Ricardo Samper Ibez (1881-1938), ministre de lÕIndustrie et du Commerce. Dans ce contexte lÕinauguration prend un sens politique particulier car elle donne lieu un rassemblement rpublicain auquel prennent part le ministre de lÕIndustrie Ricardo Samper, ainsi que les membres les plus minents de PURA, la branche valencienne du PRR, cÕest--dire les dputs Sigfrido Blasco-Ibez, Pascual Martnez Sala (inc.-inc.), Vicente Marco Miranda (1880-1946), çngel Puig (inc.-inc.), Joaqun Reig Piqu (18961989), etc. Ricardo Samper est n Valence et y a exerc les fonctions de conseiller municipal de 1911 1920, avant dÕen devenir le maire de 1920 1923. CÕest sans doute pour cela que le gouvernement le dlgue, au lieu dÕenvoyer, comme il et t logique, le ministre de lÕInstruction Publique Jos Pareja Ybenes. Mme si la manifestation conjointe associant le peintre et lÕcrivain nÕa finalement pas lieu, les discours font allusion aux deux personnages. Le directeur de lÕcole des Beaux-Arts de San Carlos voque deux Òmes jumellesÓ : Ç sus espritus eran tan fraternos que lo que el uno pintaba era lo que el otro 144. Vicente Mauri, ÒÀTraslado del monumento a Sorolla? De ser cierto, no debe prosperarÓ, Jornada, Valence, 18/08/1962. III. La cration du Muse Sorolla : 1924-1939 192 escriba. È145 cÕest--dire Ç leurs esprits taient si fraternels que ce que lÕun peignait lÕautre lÕcrivait. È Le reste des discours prononcs fait revivre les images que les blasquistes ont jadis associes Sorolla comme le montre, par exemple, ce passage lu par le directeur de lÕcole des Arts et Mtiers : Ç [É] siempre fue un amigo de las clases necesitadas y, como hombre que haba luchado, realiz en sus obras un verdadero canto al trabajo. È146 ce qui signifie Ç il fut toujours lÕami des classes dfavorises et, en tant quÕhomme qui avait lutt, il ralisa dans ses Ïuvres une vritable ode au travail. È ou cet autre passage extrait du discours du conseiller municipal Durn y Tortajada : Fue un ciudadano de la repblica del arte; hombre de humilde linaje, nunca tuvo la petulancia del saber, sino que vivi entregado a su arte, sin pagarse de relumbrones ni de apariencias. De su niez y de su juventud, en la que se curti para la lucha, sin ms proteccin que la de don Antonio Garca, conserv un vivo sentimiento contra las injusticias sociales.147 Comme par le pass, ces rpublicains modrs brossent le portrait inchang dÕun Sorolla des dbuts, de son enfance sa formation acadmique en terminant par son parours pique comme ÒsalonnierÓ. Ils ne disent rien, en revanche, du portraitiste de la haute socit et de la Cour, ni du peintre qui fut, de trs loin, le plus riche de tous et frquentait les stations balnaires de Saint-Sbastien, Zarauz et Biarritz, comme si tout cela nÕavait jamais exist. Pourtant, les tableaux accrochs aux murs du Muse Sorolla le disent assez. Car les jardins sont bien ceux de lÕAlhambra, du Palais de La Granja de San Ildefonso, et de lÕAlcazar de Sville, autant de rsidences royales o notre peintre avait t invit par le roi en personne. Dans le jardin de la proprit, la plus belle pice est un antique la toge dcouvert sur le site archologique de Cstulo Ð dans la province de Jan Ð qui est un cadeau du marquis de Viana comme le prouve cette lettre : Ç Ah van dos figuras bastante interesantes de las ruinas de Cstulo, que acaban de descubrirse. En ningn lugar estarn mejor que en el precioso jardn de Vd. Recbalas de este 145. 146. 147. Anonyme, ÒSe inaugur brillantemente el monumento a SorollaÓ, La Correspondencia de Valencia, Valence, 1/01/1934. Ibidem. Ibidem. Ç Ce fut un citoyen de la rpublique de lÕart ; un homme issu dÕune famille modeste, il nÕa jamais eu lÕoutrecuidance de celui qui sait, mais il vcu au contraire absorb par son art, en ne versant ni dans le clinquant ni dans les apparences. De son enfance et de sa jeunesse, endurci par les luttes et sans autre protection que celle de don Antonio Garca, il avait conserv une vive rpugnance envers les injustices sociales. È III. La cration du Muse Sorolla : 1924-1939 193 amigo que le abraza y le quiere. È148 Et lÕon pourrait continuer ainsi la liste de ces symboles tangibles qui laissent entrevoir le Òpeintre courtisanÓ. En dpit de tout cela, dix ans aprs la mort du peintre, le credo des rpublicains nÕa pas volu. Le critique dÕart Antonio Mndez Casal (1884-1940) va mme jusquÕ affirmer : Ç Joaqun Sorolla fue un temperamento genuinamente rebelde. Su rebelda noble, sentida, jams hizo concesiones a la farsa exhibicionista. Sorolla fue como fue, por impulso nativo, un revolucionario. È149 Une fois encore, le raccourci est rapide. Tous les natifs de Valence ne sont pas des Ç rvolutionnaires È et Sorolla nÕavait rien dÕun opposant la monarchie. Comme une marque dÕaffirmation et de rsistance, tous les symboles rgionaux sont de lÕinauguration du monument : le drapeau valencien, lÕhymne rgional compos et crit en 1909 par Maximiliano Thous Orts (1875-1947) et Jos Serrano Simen (1873-1941) et, dans les discours, le valencien alterne avec lÕespagnol150. Le refrain de lÕhymne rgional fait cho lÕesprit de rsistance des rpublicains : Ç Per ofrenar noves glries a Espanya, tots una veu, germans, vingau È cÕest--dire : Ç Pour offrir lÕEspagne de nouvelles gloires, notre rgion a su lutter. È Sorolla tait de ces ÒgloiresÓ et faisait bel et bien partie des figures historiques revendiques par le parti comme siennes et admises comme ambassadrices de sa pense. Le fils du peintre reprsente, sur place, le Muse Sorolla. Sur une photographie de groupe prise par Vicente Barber Masip (18701935) et publie par le journal Las Provincias, il apparat aux cts du sculpteur Mariano Benlliure.151 Ë Madrid, le Muse Sorolla est tardivement ouvert au public, seulement en mars 1933, pour des raisons internes lies lÕapprobation de son budget et lÕadoption dÕun rglement intrieur. Mais aprs trois ans dÕexploitation, il doit 148. 149. 150. 151. MS. CS 7237, Lettre du marquis de Viana Sorolla date du 19/01/1916. Ç Voici deux pices intressantes des ruines de Castulo qui viennent dÕtre dcouvertes. Il nÕy a pas de meilleur endroit pour les accueillir que votre beau jardin. Recevez-les de cet ami qui vous embrasse et vous estime. È Antonio Mndez Casal, ÒJoaqun Sorolla por Mariano BenlliureÓ, ABC, Madrid, 11/04/1931. Ç Joaqun Sorolla avait un temprament rsolument rebelle. Sa rbellion noble, mesure, ne fit jamais de concession la farce exhibitionniste. Sorolla a t ce quÕil a t, par lÕinfluence de sa terre, un rvolutionnaire. È Anonyme, ÒHomenaje a la memoria de SorollaÓ, El Pueblo, Valence, 11/08/1933. Vicente Barber Masip (photographies), ÒInauguracin del monumento a SorollaÓ, Las Provincias, Valence, 3/01/1934. III. La cration du Muse Sorolla : 1924-1939 194 refermer ses portes cause de la guerre.152 Le 16 fvrier, une coalition de partis de gauche, le Front Populaire, remporte les lections lgislatives. Alcal-Zamora assume la prsidence jusquÕen mai avant dÕtre remplac par Manuel Azaa. Les garnisons du Maroc se soulvent le 17 juillet et le mouvement sÕtend la pninsule les 18 et 19 juillet. Nous ne disposons dÕaucun article de presse entre le 17 aot 1936 et le 9 mai 1939 et ce nÕest quÕaprs cette date que quelques journalistes madrilnes sÕintressent au sort des collections du muse.153 Or, ds juillet 1936, le gouvernement rpublicain sÕest dot dÕun Comit de Dfense du Trsor Artistique prsid par le peintre Timoteo Prez Rubio. Quelques chefsdÕÏuvre du Muse du Prado sont mis lÕabri hors de Madrid, mais les collections du Muse Sorolla ne sont pas concernes par ce plan. Son directeur rassemble simplement les toiles au rez-de-chausse du btiment afin quÕelles soient moins exposes aux tirs de mortier et aux bombardements ventuels. Joaqun Sorolla y Garca vit encore dans cette maison puisque sa mre a veill lui laisser la direction du muse et la jouissance des pices dÕhabitation. Sur ses fonds propres, lÕhritier finance un coteux plan de sauvegarde du btiment.154 Il charge en effet lÕarchitecte Jos Mara Aspiroz (inc.-inc.) de mettre en place une protection autour du site qui se rvle trs efficace puisque les seuls dgts dplorer la fin du conflit sont deux impacts de grenade dÕartillerie sur la faade. Enfin, durant la prise de Madrid, les soldats de lÕarme franquiste assurent la protection des lieux jusquÕ la fin des hostilits. En 1939, tous les biens sÕy trouvent inctacts. Sous la Seconde Rpublique, plus que jamais auparavant, le souvenir du peintre valencien prend une coloration politique dans un contexte marqu par de violentes luttes entre les partis. JusquÕ la fin de la priode 1924-1939 et au gr de lÕaternance au pouvoir, droite et gauche puisent dans la vie de Sorolla, et dans son Ïuvre, les symboles de lÕune ou de lÕautre Espagne quÕils veulent voir triompher. Le souvenir du peintre se situe donc prcisment sur cette fracture qui est sur le point de dgnrer en guerre civile. 152. 153. 154. Jos Guillot Carratala, ÒPor fin se abri al pblico el museo del insigne SorollaÓ, El Adelantado, Salamanque, 16/03/1933. J.F. Garca Lozano, ÒUn recuerdo al gran pintor valencianoÓ, El Luchador, Alicante, 17/08/1936. Jos Flix Tapia, ÒCuadros del inmortal Sorolla, salvadosÓ, Informaciones, Madrid, 9/05/1939. IV SOROLLA ET LE RGIME FRANQUISTE 1939 - 1974 La victoire des troupes franquistes est suivie dÕune refonte totale de la presse. Hormis quelques journaux conservateurs, tous les titres dÕavant-guerre disparaissent. Ë Madrid, ABC parvient se maintenir dans une offre rduite quelques titres dÕextrme droite : Arriba, Ya, El Alczar, Informaciones, Madrid et Pueblo. Le seul journal dit Barcelone est La Vanguardia qui devient La Vanguardia Espaola. Valence ne compte plus que Las Provincias, et deux journaux phalangistes font leur apparition ses cts : Levante et Jornada.1 Cette presse autorise par le pouvoir est, par ailleurs, soumise une censure pralable jusquÕ la promulgation de loi de la presse de Manuel Fraga (1922-2012), en 1966. Sa suppression nÕest pas, pour autant, synonyme de libert dÕexpression puisque les mmes mesures de rpression menacent toujours les rdactions qui finissent par pratiquer lÕautocensure. Sous la dictature, non seulement Sorolla nÕest pas menac par la censure, mais ses tableaux sont rgulirement exposs et les journalistes ne manquent pas de couvrir ces vnements. Naturellement, dans ce contexte, une perception nouvelle et quasiment uniforme de sa peinture, et surtout conforme lÕidologie du rgime, va tre diffuse. La premire exposition rtrospective de son Ïuvre est organise Valence, en 1944, dans une Espagne o se conjuguent famine et ennui, selon une expression de lÕhistorienne Andre Bachoud.2 Cette date marque le dbut du Temps n¡2, 1944-1963, qui est la deuxime phase de haute intensit critique. Ë partir des annes cinquante, la peinture radieuse du Valencien sert la propagande du rgime en accompagnant lÕouverture du pays au tourisme. Des images tires de ses tableaux ornent des affiches promotionnelles, des timbres, des billets de banque, etc. Le dbut des annes soixante est un moment dÕexaltation de sa 1. 2. Mara Cruz Seoane et Mara Dolores Saiz, Cuatro siglos de periodismo en Espaa. De los avisos a los peridicos digitales, Madrid, Alianza, 2007, pages 253-256. Andre Bachoud, Franco ou la russite dÕun homme ordinaire, Paris, Fayard, 1997, page 289. IV. Sorolla et le rgime franquiste : 1939-1974 196 peinture qui connat son apoge avec la double exposition commmorant le centenaire de sa naissance, en 1963. La prsentation publique de cent trente-deux tableaux dans les salles du Casn del Buen Retiro est lÕorigine dÕun changement dans la reprsentation du peintre auprs des jeunes artistes. En effet, nombreux sont ceux qui dcouvrent seulement son Ïuvre cette occasion. En visitant cette exposition, quelques jeunes peintres portent mme un regard neuf, enfin librs de prjugs anciens. Enfin, en 1974, le triptyque Sorolla como pretexto du duo dÕartistes pop Rafael Solbes (1940-1981) et Manolo Valds (1942) connu sous le nom dÕEquipo Crnica, est le premier hommage de lÕart contemporain au vieux matre longtemps honni. Le triptyque met en lumire la modernit de sa peinture, jusque-l taxe dÕacadmique et de ringarde, et dmontre Ð ce qui ne va pas de soi Ð que la nouvelle vague est capable dÕintgrer son hritage artistique sans imiter servilement sa technique. IV.1. SOROLLA LÕARAGONAIS : LE PASS DU PEINTRE EN QUESTION Avant dÕentrer dans cette priode dÕaprs-guerre, il est temps de faire un point quant la vision dÕensemble de lÕÏuvre de Sorolla, dans lÕEspagne de 1939. Certes, avant la guerre, la presse a publi des reproductions en telle ou telle occasion mais quÕen est-il de la prsentation des toiles vritables ? Pour comprendre cette priode, il faut se souvenir que jusquÕ la guerre civile le Muse Sorolla est la seule exposition permanente suffisamment complte pour donner une juste ide de lÕÏuvre de Sorolla. Or, cause des alas de lÕhistoire, lÕinstitution est reste ouverte dans un laps de temps trop court et nÕest donc pas encore connue du public. On se souvient galement que le peintre nÕavait jamais expos dans son pays, si bien que les Espagnols ne peroivent pas encore les contours de son Ïuvre. Aprs la guerre, les nouveaux matres du pays sont-ils srs de bien la connatre ? De mme, que savent-ils du pass du peintre ? Voil des questions qui se posent alors et qui ne seront pas lucides sans dlai. JusquÕ ce que les choses se prcisent, Sorolla sera dÕabord cart des premiers projets culturels de la dictature ainsi quÕon va le voir dans ce chapitre. IV. Sorolla et le rgime franquiste : 1939-1974 197 Hitler et Franco se sont rencontrs pour la premire fois Hendaye, le 23 octobre 1940. LÕanne suivante, lÕEspagne, qui est officiellement neutre et non engage dans la Deuxime Guerre Mondiale, collabore militairement avec le Reich en envoyant un contingeant de soldats volontaires sur le front russe, la ÒDivisin AzulÓ. Alors que des Espagnols participent au sige de Lningrad, lÕAllemagne nazie inaugure le 19 mars 1942 une importante exposition de peinture espagnole contemporaine compose de deux cent dix-neuf tableaux. Le projet fait partie dÕun programme dÕchanges culturels entre deux pays qui cooprent sur le plan militaire. Cet vnement est prpar, en Espagne, par lÕarchitecte Francisco Iiguez (1901-1982), commissaire gnral du patrimoine artistique et, en Allemagne, par une hispaniste nomme Richte et par le gnral Wilhelm Faupel (1870-1945). Sous le Reich, il dirige lÕInstitut ibro-amricain de Berlin, une institution scientifique cre en 1930 et qui, entre ses mains, sert la propagande du rgime. La slection espagnole prsente dans les murs de lÕAcadmie des Beaux-Arts de Berlin exclut les peintres avant-gardistes tels que Pablo Ruiz Picasso, Juan Gris, Joan Mir, etc., qui sont associs de facto au Parti Communiste. Mais elle fait la part belle la peinture de plein air dÕAureliano de Beruete, Eliseo Meifrn, Joaqun Mir, Antonio Muoz Degrain, Santiago Rusiol, Daro de Regoyos et dÕautres peintres ns au XIXme sicle. Dans le quotidien madrilne ABC, un journaliste relve lÕabsence de Sorolla, qui est dÕautant plus criante que le choix de lÕtat sÕest port sur les peintres qui ont fait cole !3 Il ne sait, ou ne peut, apporter de rponse convaincante expliquant cette absence et pour claircir cette question, nous ne pouvons que formuler de simples hypothses. Vraisemblablement, aucun obstacle technique nÕempche lÕenvoi dÕun ou de plusieurs tableaux, car mme si les statuts du Muse Sorolla interdisent les prts, dÕautres institutions dÕtat possdent des tableaux qui auraient parfaitement pu rejoindre la slection berlinoise. Bernardino de Pantorba en fera un inventaire en 1953.4 Le Muse dÕArt Moderne de Madrid conserve neuf portraits et deux grands formats, ÁAn dicen que el pescado es caro! et La jura de la Consitucin por la Reina Regente Doa Mara Cristina. Le muse de lÕAcadmie des Beaux-Arts de 3. 4. Ernesto del Campo, ÒExposicin de arte espaol contemporneoÓ, ABC, Madrid, 20/03/1942. Bernardino de Pantorba, La vida y la obra de Joaqun Sorolla. Estudio biogrfico y crtico, Madrid, Mayfe, 1953, pages 165-171. IV. Sorolla et le rgime franquiste : 1939-1974 198 San Fernando possde deux sujets de mer, Jugando en el agua et Comiendo en la barca. De plus, une trentaine de tableaux se trouve dissmine en province dans les muses de Valence, Castelln, Murcie, Cordoue, Cadix, Bilbao, Saragosse, Barcelone, Malaga et Tolde. Par consquent, lÕabsence de Sorolla, en Allemagne, doit dpendre dÕautres motifs tels que, par exemple, lÕide que le pouvoir franquiste se fait de son pass. Ë lÕvidence, les prcautions sont de mise car les tableaux vont rejoindre le Reich et lÕEspagne ne peut pas risquer dÕindisposer un partenaire aussi puissant. Il faut rappeler que, la fin de lÕanne 1941, les forces de lÕAxe sont leur apoge. LÕaviation japonaise vient dÕinfliger de lourdes pertes la flotte amricaine du Pacifique Pearl Harbor, lÕAfrika Korps contrle le Maroc, lÕAlgrie et la Tunisie et la Wehrmacht se trouve aux portes de Moscou. Les ministres du caudillo sont-ils certains que le peintre ne fut pas, jadis, un rpublicain ou un ÒvalencianisteÓ ? Quelques indices tendent prouver que non car, sous la Seconde Rpublique, cÕest justement cette ide que le PURA, le parti de Sigfrido Blasco-Ibez, sÕest attach diffuser en rapprochant, par exemple, le peintre de lÕauteur de Flor de mayo. Au dbut de la Guerre Civile, le gouvernement lgitime a fait dit, Londres, un billet de banque de vingt-cinq pesetas lÕeffigie de Sorolla.5 Le recto de ce billet prsente un portrait du peintre dans un ovale ct dÕune vue dÕun monument emblmatique de Valence, la tour de Miguelete ou Micalet, la dsignation locale du clocher de la Cathdrale Sainte Marie de Valence. Le recto prsente une reproduction dÕun tableau peint sur la plage de La Malvarrosa, reprsentant une scne de retour de pche. Pour comprendre la porte de ces images valenciennes il faut rappeler que le gouvernement de Manuel Azaa sÕest rfugi Valence le 7 novembre 1936. La ville devient alors la capitale de lÕEspagne rpublicaine et un bastion de rsistance. Mais elle paie pour cela un lourd tribut puisquÕelle est rgulirement bombarde par lÕaviation nationaliste partir de 1937. Le gouvernement a donc utilis lÕimage du peintre sur un billet charg de sens puisquÕil raffirmait la continuit et la lgitimit du gouvernement rpublicain lu au suffrage universel. Aprs la guerre, les franquistes peuvent avoir quelques raisons de sÕinterroger sur le pass de Sorolla et ils prfrent peut-tre, dans un premier 5. Figure n¡11. Billet de 25 pesetas Ç Pescadoras valencianas È (1936). IV. Sorolla et le rgime franquiste : 1939-1974 199 temps, ne pas lÕincorporer leur politique culturelle. CÕest au moins une hypothse qui nÕest pas invraisemblable. Toutefois, si Sorolla est Òmis en quarantaineÓ en 1942, il sera vite nouveau admis par le rgime. En effet, ds novembre 1943, un de ses tableaux fait partie de la slection de peinture du XXme sicle envoye Lisbonne aux cts de ceux de Julio Romero de Torres, Jos Gutirrez Solana, Jos Moreno Carbonero (1860-1942), etc.6 Apparemment, Sorolla est alors compatible avec la dictature dÕAntnio Salazar (1889-1970). Mais avant ce dbut de Òretour en grceÓ, le peintre a-t-il d tre rhabilit ? Durant les annes qui suivent la fin de la guerre civile, un document tonnant prouve que, dans lÕEspagne franquiste, le pass de Sorolla est bel et bien en question. Ë lÕoccasion de la rouverture du Muse Sorolla, en novembre 1941, le fils accorde un entretien au journaliste Emilio Fornet (1898-1985). Ce tmoignage est largement diffus puisquÕil est plusieurs fois republi et abondamment cit dans dÕautres articles. Au cours de cette rencontre, apparemment prpare et mme rdige lÕavance, Joaqun Sorolla y Garca insiste particulirement sur les origines aragonaises de son pre et fait allusion lÕanciennet de sa ligne : Ç Era muy espaol. Oriundo de Aragn por sus padres, del casal aragons tena la tenacidad, la agudeza, la elegancia, aquella que el rey Alfonso V expandiera en el Npoles humanista [É] È7 et le journaliste prsente ainsi les objets, pour la plupart valenciens, accrochs dans lÕatelier : Ç Colgado est el bello estudio de Sorolla de banderas, de faroles, de trofeos; expresan su ardiente opulencia latina, romana, a travs de su rica sangre aragonesa [É] È8 Latine, romaine, aragonaise, tous ces adjectifs contournent soigneusement la ralit. Et par un Ògrand cartÓ historique, le texte voque lÕancien royaume dÕAragon qui englobait, sous le rgne dÕAlphonse le Magnanime (1396-1458), Valence, lÕAragon, la Catalogne mais aussi la Corse, la Sardaigne, la Sicile, le Sud de lÕItalie et dÕautres possessions. Or, dÕune part, notre peintre nÕa rien voir avec cette poque 6. 7. 8. Marino Rico, ÒEl arte espaol en PortugalÓ, ABC, Madrid, 12/11/1943. Emilio Fornet, ÒLa Casa-Museo de Joaqun SorollaÓ, Madrid, Madrid, 18/11/1941. Ç Il tait trs espagnol. Originaire dÕAragon par ses parents. Du terroir aragonais il possdait la tnacit, la finesse, lÕlgance, celle-l mme quÕAlphonse V rpandit dans la Naples humaniste. È Ibidem Ç Dans le bel atelier de Sorolla sont accrochs les drapeaux, les lustres, les trophes ; ils expriment sa brillante opulence latine, romaine, travers son riche sang aragonais. È IV. Sorolla et le rgime franquiste : 1939-1974 200 lointaine et, dÕautre part, chacun sait bien quÕil est Valencien et ses tableaux les plus clbres le dmontrent assez. Mais, dans les premires annes de la dictature, mme lÕvidence relve du tabou. En ralit, seul le pre de lÕartiste tait aragonais, natif de Cantavieja, un village de la province de Teruel.9 Quant sa mre, elle tait catalane, mais le fils prend soin de ne pas y faire mention. Dire que son pre est dÕorigine aragonaise permet Joaqun de masquer la fois sa propre origine valencienne et les origines catalanes de sa mre, donc dÕloigner tout ventuel soupon de ÒsparatismeÓ. Il faut rappeler, en plus de cela, que lÕAragon est la terre de Francisco de Goya, un des peintres les plus emblmatiques de lÕcole espagnole. Le rapprochement entre les deux peintres est dÕailleurs le sujet de la confrence donne par le prsident de lÕassociation de la presse valencienne, en juin 1944.10 Ë lÕimage de Goya, Sorolla est peru comme un gnie isol et visionnaire. Et comme tous deux ont fait cole, ils apparaissent comme des jalons de lÕhistoire de la peinture nationale. Enfin, au moins durant quelques annes, la confusion concernant les origines de Sorolla est relle. Ë tel point que le journal Artes y Letras le prsente comme un Òillustre peintre svillanÓ probablement parce quÕun monument son effigie se trouve dans cette ville.11 En tenant compte de tous ces lments, on peut se demander si le directeur du Muse Sorolla prend dÕautres prcautions durant cette priode. Par exemple, les archives familiales sont-elles pures ? Si tel fut le cas, cela pourrait expliquer, entre autres, les inexplicables lacunes dans la correspondance avec Vicente Blasco Ibez qui font si cruellement dfaut pour une plus juste comprhension de leur relation. Le Muse Vicente Blasco Ibez ne possde que quatre lettres signes du peintre, une quantit insignifiante qui pourrait sÕexpliquer par les constants dplacements de lÕcrivain et sa vie tumulteuse, faite de hauts et de bas. Le Muse Sorolla conserve treize de ses lettres mais qui nÕvoquent que des sujets anodins, quasiment sans intrt.12 Les collections du muse sont de trs bonne qualit, en particulier celle qui contient les courriers reus par le couple Sorolla, mais manifestement, ici des lettres manquent. Une source orale nous a confi que le fils aurait fait un tri parmi 9. 10. 11. 12. Anonyme, ÒArte y artistas. Los maestros del arte: Joaqun SorollaÓ, El Correo Cataln, Barcelona, 29/04/1943. Anonyme, ÒSolemne clausura de la Exposicin de obras pictricas de Joaqun SorollaÓ, Hoja del Lunes, Valence, 12/06/1944. Anonyme, ÒNoticiario artsticoÓ, Artes y Letras, Madrid, 15/06/1944. MS. X.1 / 67. Lettres de V. Blasco Ibez J. Sorolla. IV. Sorolla et le rgime franquiste : 1939-1974 201 les archives de son pre. Ë deux reprises, il aurait dtruit par le feu les documents les plus gnants dans le jardin de la proprit. LÕpoque rclame en effet de prendre quelques prcautions indispensables. Joaqun Sorolla y Garca est alors doublement responsable de ces documents ; dÕabord en tant que membre de la famille mais aussi en tant que directeur du Muse Sorolla. Nous ne disposons pas dÕinformations concernant les positions idologiques de Joaqun Sorolla y Garca et une tude de ce personnage mal connu reste faire. Rien ne permet de percevoir chez cet homme un conservateur, bien au contraire. Il fit sa scolarit lÕInstitution Libre dÕEnseignement avant dÕtudier les sciences Londres. Comme il a t dit, il fut lÕamant de Raquel Meller et frquentait le cancan de Madrid. Il nÕexera pas de mtier et sÕadonnait la photographie et la peinture en amateur. LÕensemble de ses ralisations, qui est aujourdÕhui conserv au Muse Sorolla, ne porte pas de traces idologiques. Elle ne contient, en effet, que des portraits et des nus fminins, souvent lascifs.13 Les photographies pourraient se fondre dans le courant surraliste. Elles montrent des jeunes femmes costumes dans des mises en scne oniriques qui rappellent lÕunivers de Jean Cocteau (1889-1963). En 1933, Joaqun Sorolla y Garca a particip lÕinauguration du monument la mmoire de son pre difi par les rpublicains de Valence comme seul reprsentant de la famille. Ë cette occasion, il avait accueilli favorablement lÕide de monter une exposition temporaire dans cette ville en collaboration avec le maire de lÕpoque, Vicente Lambies Grancha (inc.-inc.). Mais ce projet ne verra pas le jour avant la guerre. Plus tard, sa sÏur Mara et son beau-frre Francisco Pons Arnau y organiseront une exposition sous le franquisme, mais lui sÕen tiendra lÕcart en ne participant pas son inauguration.14 Si le tmoignage du fils est remarqu, le retour en grce du Valencien nÕaurait jamais t possible sans le soutien de la presse phalangiste, ds le dbut des annes quarante. Elle joue un rle dterminant en revendiquant et prsentant Sorolla tantt comme le dernier reprsentant de la grande cole espagnole, tantt comme lÕinventeur dÕun ÒImpressionnisme nationalÓ. Jornada, Solidaridad 13. 14. Son Ïuvre peint a t publi dans un catalogue des collections du Muse Sorolla : Catlogo de pintura del Museo Sorolla, Madrid, Ministre de lÕducation, de la Culture et des Sports, 2002, tome II, pages 483-515. Anonyme, ÒSolemne apertura de la gran exposicin SorollaÓ, Levante, Valence, 16/05/1944. IV. Sorolla et le rgime franquiste : 1939-1974 202 Nacional, El Alczar, Arriba, etc. et dÕautres journaux lis au Mouvement fasciste prennent part une campagne de ÒrhabilitationÓ du peintre. En mai 1944, le mot apparat dÕailleurs sous la plume dÕun journaliste de Jornada qui, au risque de se contredire, ne juge pas cette rhabilitation ncessaire en la trouvant nanmoins bienvenue : Ç Ahora, el tiempo ha vuelto las aguas a su cauce y nos ayuda en esta, aunque innecesaria, oportuna rehabilitacin del pintor. È15 En septembre 1942, lÕoccasion dÕune exposition de peintres phalangistes organise Madrid, Carlos Boronat (inc.-inc.) vante la suprmatie de ÒlÕart raliste espagnolÓ qui, selon lui, dcoule directement de la peinture de Sorolla. Dans son article, il analyse son esthtique du mouvement et de la lumire comme le premier pas vers un ÒImpressionnisme nationalÓ qui nÕentretient, selon lui, aucun lien de parent avec lÕImpressionnisme franais. Dans son raisonnement, il reconnat Sorolla comme le pre dÕune cole de peinture dgage dÕinfluences trangres. Pour dmontrer que son art nÕest pas purement rgional Ð faut-il comprendre valencien ? Ð il rappelle quÕil a peint les paysages des Asturies, dÕAndalousie et de Castille.16 Cette position intellectuelle est, dans les faits, rvisionniste dans la mesure o elle occulte toute la dimension europenne du mouvement n en France. En prfrant lÕadjectif ÒralisteÓ celui dÕÒimpressionnisteÓ lÕauteur jette une passerelle entre les matres du Sicle dÕor et les peintres modernes. Enfin, sa vision des choses fait cho la situation politique dÕun pays qui a fait le choix de lÕautarcie. En 1963, lÕhistorien Bernardino de Pantorba rfutera tout lien entre lÕessor de la peinture sur le motif Valence et le pleinairisme franais en voquant une simple concidence !17 LÕide dÕun ÒImpressionnisme nationalÓ, prsent et justifi dans les circonstances que lÕon vient de voir, survivra la dictature. Alors quÕun contemporain de Sorolla comme Aureliano de Beruete admettait comme une vidence lÕinfluence des peintres franais dans son volution, ce nÕest plus le cas aprs la guerre civile. Les interprtations de lÕÏuvre de Sorolla nes sous le franquisme passeront la postrit quasiment sans tre jamais remises en cause par les communauts 15. 16. 17. J.O., ÒLa Exposicin SorollaÓ, Jornada, Valence, 16/05/1944 . Ç Maintenant, le temps a fait que les choses sont rentres dans lÕordre ce qui facilite cette, bien que superflue, ncessaire rhabilitation du peintre. È Carlos Boronat, ÒDe arte. Sorolla y la pintura realistaÓ, Solidaridad Nacional, Madrid, 1/09/1942. Bernardino de Pantorba, ÒSorolla, el hombre y la obraÓ, Blanco y Negro, Madrid, 13/04/1963. IV. Sorolla et le rgime franquiste : 1939-1974 203 dÕinterprtations postrieures. Il en va ainsi de la rception critique, les strates sÕadditionnent les unes aux autres et les plus rcentes prennent pour point de dpart les prcdentes. Suivant cette logique, la vision de Sorolla a plus souvent t complte quÕelle nÕa t rvise et des ides ont t admises sans tre pralablement questionnes. Dans le prolongement de la lecture franquiste, le peintre Francisco Pompey (1887-1974) ractualise lÕide selon laquelle, dans la nouvelle re qui est en train de sÕouvrir, Sorolla doit figurer comme un modle : Ç Los artistas contemporneos, de esta poca de inquietudes y de confusin, se encontrarn frente a esas obras, paisajes y retratos de Sorolla como nufragos que aperciben en la lejana la isla maravillosa del ensueo y de la salvacin. È18 Ce discours empreint de la religiosit de lÕpoque rappelle que lÕinauguration du Muse Sorolla nÕa pas mis fin lÕimpopularit du matre auprs dÕune partie des jeunes peintres que Pompey considre comme des ÒnaufragsÓ. LÕexistence mme de ces Òanti-Ó continue nuire son image. CÕest une des raisons qui incite une des filles du peintre, Mara, parrainer un jeune artiste valencien en crant la bourse ponyme. Pour ce faire, lÕhritire vend aux enchres un tableau de sa collection. En couvrant lÕenchre la plus leve, la Caisse dÕpargne et Mont-de-pit de Valence fait lÕacquisition du lot pour douze mille pesetas et se charge elle-mme de convoquer un concours de peinture avec cet argent.19 Cependant, aucune des ralisations prsentes ne lui semble digne de la rcompense si bien quÕelle convoque un deuxime concours et rcompense finalement une sculpture classique qui obit des canons dpasss depuis longtemps. La bourse Mara Sorolla est un double chec puisquÕelle ne parvient pas parrainer un peintre et que, de surcrot, elle finit par promouvoir lÕacadmisme le plus orthodoxe. Ë lÕoccasion du quatre-vingtime anniversaire de la naissance du peintre, le 27 fvrier 1943, le journal madrilne Pueblo rappelle que le Valencien a honor un jour son pays en le reprsentant dignement lÕtranger au plus fort de la crise de 1898 : Ç Sorolla, jaln de historia y temple de voluntad al servicio ideal de la belleza, gan para Espaa el respecto y la admiracin de un mundo que haba 18. 19. Francisco Pompey, ÒLa Casa de SorollaÓ, [?], [?], 23/11/1942. Ç Les artistes contemporains de cette poque de troubles et de confusion, se trouveront devant ces Ïuvres, paysages et portraits de Sorolla, comme des naufrags aperevant au loin lÕle merveilleuse du rve et du salut. È Anonyme, ÒValencia al daÓ, Las Provincias, Valence, 2/05/1946. IV. Sorolla et le rgime franquiste : 1939-1974 204 empezado a desdearnos o a olvidarnos. È20 Ë travers une mtaphore militaire caractristique de cette priode, il estime que le pays ne doit pas oublier ceux qui ont vers pour elle Òle sang de la pense et du cÏurÓ. Un pays la drive secouru par un homme, voil une image qui renvoie implicitement lÕpope martiale du gnralissime. Le pays a alors besoin de mythes et de parangons. Comme le chef suprme, le peintre disparu peut aussi tre un modle pour la jeunesse et cÕest sous ce jour que la revue Chicos le prsente.21 Pour faciliter lÕidentification entre Sorolla et les jeunes lecteurs de la revue, lÕauteur anonyme brosse le portrait de lÕenfant quÕil a un jour t. Le garon est dcrit comme un colier mdiocre et rveur mais comme un dessinateur hors pair qui, force dÕapplication et de constance, est dment rcompens par le travail manuel. Dans une Espagne o tout est reconstruire, le rgime a moins besoin dÕintellectuels que de garons forts, sains et forms aux tches physiques. Cette rcupration du peintre, fortement empreinte des valeurs du rgime, flatte lÕorgueil national et prouve que lÕEspagne a aussi ses ÒgloiresÓ. La priode durant laquelle la presse sÕemploie rtablir Sorolla dans lÕestime et la considration du plus grand nombre sÕtend au moins jusquÕ la premire exposition rtrospective. En contribuant la fondation dÕun muse, les enfants de lÕartiste ont accompli la volont de leur mre et la fille ane poursuit leur engagement en rendant possible lÕorganisation dÕune exposition posthume de grande envergure. Le maire de Valence, Juan Antonio Gmez Trnor (inc.-inc.), apporte son soutien ce projet dont lÕinitiative revient Francisco Pons Arnau, le gendre du peintre. Selon lui, lÕexposition est cense rparer une injustice car la ville natale de lÕartiste nÕa jamais accueilli aucune de ses expositions monographiques. Il invoque cet argument lorsquÕun journaliste de Las Provincias lÕinterroge, une semaine avant lÕinauguration.22 Mais est-ce l son unique intention ? Dans le contexte que lÕon a dcrit, celui qui a t un disciple du matre avant de devenir le mari de sa fille ane entend aussi dmontrer que son matre et beau-pre a t un peintre de lÕEspagne toute entire, patriote et ÒespagnolisteÓ. Deux ans auparavant, Pons Arnau a mont une exposition personnelle Valence, 20. 21. 22. Jos, ÒHace ochenta aos naca SorollaÓ, Pueblo, Madrid, 27/02/1943. Ç Sorolla, jalon de lÕhistoire et modle de volont au service idal de la beaut, gagna pour lÕEspagne le respect et lÕadmiration dÕun monde qui avait commenc nous mpriser et nous oublier. È Anonyme, ÒÀCerrajero o pintor?Ó, Chicos, Madrid, 17/11/1943. Rafael Mart Orber, ÒSorolla y nuestra deudaÓ, Las Provincias, Valence, 7/05/1944. IV. Sorolla et le rgime franquiste : 1939-1974 205 du 1er au 11 mai 1942. Elle avait pour pice majeure un portrait questre du dictateur que le peintre offrit la ville.23 Si son adhsion au nouveau rgime allait de soi et si le reste de la famille avait donn des gages de son patriotisme en rendant possible, on sÕen souvient, la fondation du Muse Sorolla, les incertitudes entourant les positions idologiques de Sorolla demeurent en 1944. Or, une slection de toiles bien choisies peut commencer lever quelques doutes. Dans la presse, lÕexposition est annonce en dcembre 1943.24 Pour attirer un maximum de visiteurs, elle est programm pour la mi-mai, au moment de la fte de la Vierge des Dsempars Ð deuxime dimanche de mai Ð qui, gnralement, sÕaccompagnait dÕun programme touristique. LÕensemble qui va tre prsent comprend principalement des Ïuvres indites provenant de la collection prive du couple. Le 15 mai 1944, une centaine de toiles et deux cents pochades et dessins sont dvoiles dans les salles du nouveau Muse Municipal que lÕon inaugure par la mme occasion. Depuis Madrid, le critique Enrique Lafuente Ferrari (1898-1985) considre dÕemble que cette exposition ne doit pas avoir lieu Valence car elle prsenterait ncessairement Sorolla sous lÕangle local.25 Mais le lendemain de la parution de cet article, les journaux madrilnes El Alczar, El Hoja del Lunes, Arriba et ABC, dpchent des reporters sur place et ceux-ci constatent justement le contraire : Ç Valencia hace bien en regalar en esta ocasin el concepto de lo regional con que se present hasta aqu esta genial pintura y en mostrarla de forma ms profunda y justa. È26 Les quatre journalistes, Cecilio Barbern (1899-1982), Manuel Snchez-Camargo (1911-1967), Benito Rodrguez Filloy (1906-1946) et Enrique Azcaoga (1912-1985) sont reus le 18 mai par les organisateurs de lÕexposition.27 LÕvnement a une valeur nationale Ð ainsi en a dcid Pons Arnau Ð et cÕest le message que les journalistes se chargent de rpercuter. Dans El Alczar, lÕarticle de Snchez Camargo commence ainsi : Ç El homenaje que Valencia ha rendido a Sorolla tiene une significacin nacional 23. 24. 25. 26. 27. Exposicin Sorolla patrocinada por el Excmo. Ayuntamiento de Valencia, Valence, Ayuntamiento de Valencia, 1944, page 14. Anonyme, ÒGran exposicin del pintor SorollaÓ, El Alczar, Madrid, 10/12/1943. Enrique Lafuente, ÒPara un Ç descubrimiento È de SorollaÓ, Arriba, Madrid, 17/05/1944. Anonyme, ÒArte y artistas : la Exposicin de Sorolla en ValenciaÓ, ABC, Madrid, 3/06/1944 et Manuel Snchez Camargo, ÒValencia y SorollaÓ, El Alczar, Madrid, 22/05/1944. Ç Ë cette occasion, Valence fait bien de mettre de ct la notion de rgional sous laquelle cette peinture gniale a t prsente jusquÕici et de la montrer dÕune manire plus profonde et juste. È ÒCrticos de la prensa madrilea visitan la exposicin SorollaÓ, Las Provincias, Valence, 19/05/1944. IV. Sorolla et le rgime franquiste : 1939-1974 206 que es preciso sealar [É] È28 cÕest--dire Ç LÕhommage que Valence a rendu Sorolla a une valeur nationale quÕil convient de souligner [É] È La slection prsente exclut la jeunesse valencienne du peintre et la peinture sociale des annes 1894-1901, en particulier la peinture de dnonciation dans laquelle les rpublicains ont jadis reconnu leurs valeurs. En effet, les organisateurs ont privilgi les ralisations tardives, cÕest--dire au moins postrieures 1901, en expliquant juste titre, il faut bien le reconnatre, quÕil sÕagit alors de son Ïuvre le moins connu du public. Leur choix sÕest donc port sur des scnes de plage et de jardin, cÕest--dire des productions purement plastiques, sans ÒthseÓ. Ils ont privilgi galement des paysages de diffrentes rgions du territoire national, cÕest--dire la Castille, lÕAndalousie, le Pays Basque et les les Balares. LÕexposition dvoile trois bauches en grand format du dcor de lÕHispanic Society : Tipos regionales de Soria, Tipos regionales de Segovia et Tipos regionales de çvila.29 Dans le catalogue de lÕexposition comme dans la presse, cette Ïuvre tardive est alors qualifie ÒdÕge dÕorÓ, une dsignation qui souligne la maturit de lÕartiste mais tablit, de fait, une hirarchie de valeur entre son Ïuvre de jeunesse et son Ïuvre tardive.30 LÕexposition doit gnrer une autre perception de Sorolla, moins locale, car il est encore peru Valence travers des tableaux anciens, en particulier des scnes de pcheurs affairs tirer un bateau sur la plage, ravauder une voile ou un filet, rparer les nasses, etc. Le dcor Visin de Espaa, qui a sombr dans un oubli complet, est entirement dvoil dans le catalogue de cette exposition, qui contient en annexes les quatorze planches imprimes en noir et blanc dpliables en trois volets. LÕexposition vhicule lÕide suivante : en tant que peintre de tout le territoire national, tout Espagnol peut sÕidentifier son Ïuvre. Ë cette poque cela ne va pas de soi, car les rpublicains de Valence se sont toujours refuss partager leur artiste et cette culture demeure. On se souvient du Ç ÁSorolla es nuestro, es de Valencia! È de Flix Azzati, le cri lanc la foule le jour de lÕenterrement du peintre. Il existe un lien trs fort entre la population et le peintre, et une exposition comme celle de 1944 entend apparemment le diluer en 28. 29. 30. Manuel Snchez Camargo, ÒValencia y SorollaÓ, El Alczar, Madrid, 22/05/1944. Tipos regionales de Soria, 200x244, Madrid, Collection particulire, 1912. Tipos regionales de Segovia, 192x200, Madrid, Collection particulire, 1912. Tipos regionales de çvila, 205x121, Madrid, Collection particulire, 1912. Sorolla, Valence, Ayuntamiento de Valencia, 1944, page 14. IV. Sorolla et le rgime franquiste : 1939-1974 207 montrant, Valence, les paysages de Castille. Jusque-l, Sorolla tait toujours associ aux plages de la Malvorrasa et du Cabaal et les familles de pcheurs se souvenaient encore trs bien de lÕartiste install face la mer, au milieu dÕeux. Il nÕest pas commun quÕun peintre entre ce point dans le cÏur et dans la vie dÕune population. Comme sur les pages dÕun album photo, des gens humbles et anonymes figurent sur les tableaux du matre si bien que, dans cette ville, nombreux ont toujours t ceux qui, tort ou raison, ont jur reconnatre tel grand pre ou tel cousin loign sur une toile du matre. Il y a peu, le journal Las Provincias a envoy un reporter sur les traces des descendants des personnages peints. Reconnatre les femmes nÕest pas une chose aise car elles prfraient ne pas tre identifiables. Cela apparat au premier coup dÕÏil, en dehors des enfants, Sorolla ne peignait pas les visages de ces gens de la mer. Les ttes sont le plus souvent tournes ou masques par un couvre-chef quand elles ne sont pas, tout simplement, imprcises. Poser pour un artiste tait alors mal vu car les modles fminins, souvent des gitanes, taient perues comme des femmes lgres prtes se dnuder pour quatre sous. Selon un tmoignage, des familles de pcheurs ont pu recevoir des cadeaux du peintre en change de leurs bons services, mme si des lments nous autorisent en douter. Une Valencienne affirmait la chose suivante : Ç Me consta que la abuela tuvo dos retratos pintados por Sorolla mucho tiempo, pero en poca de hambre vendi cada uno de ellos por 200 pesetas. [É] Luego creo que fueron a Amrica. È31 En juin 1945, le journal Dgame rencontre un tmoin qui explique que Sorolla aimait le contact des travailleurs et sÕadressait tout le monde sans protocole ni hauteur. LÕhomme interrog voque les sances de travail du peintre qui commenaient lÕaube, lÕheure o les pcheurs rapportent les filets relevs durant la nuit.32 Les tmoignages recueillis dans les annes quarante sont autant dÕexemples de la constante et indfectible popularit du peintre parmi les couches populaires. Les gens de la mer apprcient Sorolla dÕabord parce quÕils lÕont tous vu de leurs propres yeux. Par ailleurs, sa peinture leur parle dÕautant plus quÕelle 31. 32. Anonyme, ÒEn el pincel de SorollaÓ, lasprovincias.es, 11/11/2007. Lola Soriano, ÒInmortalizados por SorollaÓ, lasprovincias.es, 17/08/2008 et Ramn J. Campo, ÒEl modelo de SorollaÓ, heraldo.es, 14/09/2009. Ç Je suis certaine que ma grand-mre a longtemps possd deux portraits peints par Sorolla, mais dans une poque de famine elle vendit chacun dÕeux pour deux cents pesetas. Ensuite, je crois quÕils partirent pour lÕAmrique. È Federico Galindo, ÒEl hombre que sujetaba el caballete de SorollaÓ, Dgame, Madrid, 5/06/1945. IV. Sorolla et le rgime franquiste : 1939-1974 208 est fidle cette nature quÕils connaissent si bien. Les enfants de la plage qui, jadis, poursuivaient lÕartiste en nue et sÕagglutinaient autour du chevalet au point de pitiner ses tubes de couleurs, sont devenus en 1944 des adultes qui retrouvent dans ses tableaux un monde quÕils ont connu et dont ils conservent une grande nostalgie. Ces Òenfants de la plageÓ ont transmis oralement telle ou telle anecdote dans leur entourage et, de fil en aiguille, une lgende valencienne a pris forme. Les histoires orales nÕont jamais manqu dans la capitale du Levant et il serait dommage dÕen faire lÕconomie dans cette tude. Fascins par le don de lÕartiste, ceux qui ont observ le peintre la tche demeurrent vie subjugus par sa maestria. CÕest ce qui explique que la plupart des rcits qui nous sont parvenus font lÕloge de sa rapidit dÕexcution, de la prcision de son geste et de lÕacuit de son regard. Ainsi, un certain Santos Faura se souvient dÕun jour o lÕartiste ÒcueillitÓ en une poigne de seconde un pcheur qui traversait son champ de vision : En otra ocasin, Ácmo le recuerdo!, estaba pintando una marina, en la que haba una barcaza sobre la playa. En esto vio venir hacia l un labriego. Yo le iba a llamar la atencin para que se apartase del ngulo visual del maestro, pero ste me lo impidi diciendo : ÁEsprate a ver si se para! La casualidad quiso que el lugareo se detuviese precisamente ante la barca, y entonces Sorolla, en un instante, ÒcazÓ al labrador sobre el lienzo con una verdad y una vida difcilmente superablesÉ33 Les liens troits qui unissaient le peintre la population locale sont une des raisons de lÕimmense succs populaire de lÕexposition de 1944. DÕautre part, elle apporte un peu de joie et de bonne humeur dans la ville et trompe, durant un mois, la noirceur et la morosit de cette Espagne dÕaprs-guerre. Cinq jours seulement aprs son ouverture au public, lÕexposition enregistre dj sept mille visites quotidiennes !34 Pour rguler lÕaffluence des personnes venues de Catalogne, le 33. 34. Ibidem, Ç Une autre fois, Ð comme je mÕen souviens ! Ð il tait en train de peindre une marine au centre de laquelle se trouvait un bateau de pche. Alors quÕil peignait, je vis un pcheur qui sÕapprochait et je mÕapprtais attirer son attention afin quÕil sÕcarte du champ de vision du matre, mais celui-ci mÕinterrompit aussitt en disant : Attends, voyons voir sÕil sÕarrte. Le hasard voulu que cet homme sÕarrta prcisment devant le bateau et alors Sorolla, en un instant, ÒcueillitÓ le pcheur et le fixa sur la toile avec une vrit et une vie incomparables. È Anonyme, ÒGran xito de la exposicin Sorolla en ValenciaÓ, El Alczar, Madrid, 20/05/1944. IV. Sorolla et le rgime franquiste : 1939-1974 209 trafic ferroviaire entre Valence et Barcelone est intensifi.35 Tmoin de ce succs, la galerie barcelonaise Pars runira un peu plus tard une trentaine de tableaux pour monter une exposition dans ses murs.36 Parce que lÕengouement pour cet vnement dpasse de loin toutes les attentes, une partie de la presse verse dans lÕexaltation lÕheure o Valence clbre la Vierge des Dsempars, sa sainte patronne locale. Jornada voque donc dans un registre religieux de circonstance des Òconversions foudroyantesÓ pour la peinture de Sorolla : Tengo noticia de varias conversiones fulminantes al aprecio e incluso al fervor hacia Sorolla, ante los lienzos que ahora se exponen en nuestro ayuntamiento. Gentes, forasteras algunas, que sentan por nuestro genial pintor una repulsin injustificada o un desdn olmpico sembrado de prejuicios se han visto en el caso de desdecirse bajo la abrumadora elocuencia de las telas de don Joaqun.37 LÕexposition reste ouverte vingt-neuf jours, durant lesquels elle accueille 86.106 visiteurs, un chiffre colossal plus dÕun titre. Tout dÕabord, cela reprsente environ un cinquime de la population de cette ville qui comptait alors environ 450.000 habitants, selon lÕInstitut National des Statistiques, INE (Madrid).38 Dans ces annes dÕautarcie, le pays vit des heures trs sombres marques par la faim, la rpression et le march noir. La population restera soumise au rationnemment des produits alimentaires et de premire ncessit jusquÕen 1952. LÕtat de guerre se prolonge jusquÕ la fin des annes quarante. De plus, il sÕagit dÕun vnement provincial ddi, qui plus est, un seul artiste.39 Pour une exposition ouverte durant un mois seulement, la frquentation enregistre est comparable des succs rcents. Ë titre de comparaison, lÕexposition du Muse dÕOrsay Jean Lon Grme 1824-1904 : lÕhistoire en spectacle, qui a t un des succs parisien de lÕanne 2010, nÕa pas fait mieux. 35. 36. 37. 38. 39. Anonyme, Ò42 miembros de la Asociacin de Amigos de los Museos, en Valencia. Vienen a visitar la Exposicin SorollaÓ, Levante, Valence, 21/05/1944. Anonyme, ÒSe inaugura una exposicin de cuadros de SorollaÓ, La Almudaina, Palma de Majorque, 1/02/1948. Anonyme, ÒSorolla al alcance de todosÓ, Jornada, Valence, 22/05/1944. Ç JÕai eu vent de plusieurs cas de conversions foudroyantes, dans le sens dÕune reconnaissance et mme dÕun enthousiasme pour Sorolla, devant les toiles exposes en ce moment dans notre mairie. Des gens, de lÕextrieur pour certains, qui prouvaient pour notre peintre gnial une rpulsion injustifie ou un ddain hautain sem de prjugs se sont retrouvs dans lÕobligation de se ddire face lÕtonnante loquence des toiles de don Joaqun. È http://www.ine.es/inebaseweb/71807.do?language=0. Felipe Garn Ortiz de Taranco, ÒUna ojeada al arte plstico en Valencia durante el ao 1944Ó, Levante, Valence, 5/01/1945. IV. Sorolla et le rgime franquiste : 1939-1974 210 LÕcho mdiatique de lÕexposition valencienne est retentissant, comme le montre la distribution des archives de presse du Muse Sorolla, qui contiennent cent soixante dix-huit articles pour la seule anne 1944, un pic qui ne sera dpass quÕen 1963. Ces deux dates, qui correspondent deux expositions temporaires majeures, constituent les bornes chronologiques du Temps II. cÕest--dire la deuxime phase de haute intensit critique. Sorolla occupe lÕespace mdiatique tout au long de la priode car des expositions prsentant ses tableaux jalonnent le calendrier culturel. Le succs inattendu de lÕexposition de 1944 a des rpercussions sur le plan politique car il a mis en vidence tout lÕavantage que le pays peut tirer de lÕÏuvre de Sorolla, en particulier sur le plan touristique. Mais il fait apparatre en mme temps la contradiction suivante : alors que lÕexposition a attir Valence une foule de visiteurs, le muse madrilne est trs loin dÕenregistrer lÕaffluence escompte. Au moins deux raisons peuvent expliquer les mauvais dbuts du Muse Sorolla. DÕune part, il est situ loin du centre et donc lÕcart des principaux muses et monuments de la ville. DÕautre part, il ne dispose pas de lÕespace suffisant pour prsenter toute sa collection, ce pourquoi la visite est courte et donc peu attractive. Faute dÕespace, beaucoup de peintures et tous les dessins de lÕartiste sont entreposs dans les rserves. Pour rsoudre ce problme, une srie de travaux sont financs afin de viabiliser de nouveaux espaces et donc tendre la surface dÕexposition. Trois nouvelles salles sont inaugures le 27 juin 1945 par le ministre de lÕducation Nationale Jos Ibez Martn (1896-1969), le directeur gnral des Beaux-Arts, le marquis de Lozoya, et le prsident de lÕuniversit de Valence, Fernando Rodrguez Fornos (1884-1951).40 Aprs la mort de Joaqun Sorolla y Garca, le 2 mars 1948, un petit-fils du peintre, Francisco Pons-Sorolla (1917-2011), est charg de lÕadministration du muse. Pour en augmenter davantage la capacit, lÕtat finance partiellement un autre projet dÕextension, si bien quÕen octobre 1951, une nouvelle salle est amnage prs du patio andalou pour recevoir les meilleurs dessins de la collection.41 Le jour de sa rouverture, le muse dispose dÕun livre trilingue en espagnol, anglais et franais 40. 41. Anonyme, ÒInauguracin de nuevas salas en el Museo SorollaÓ, El Alczar, Madrid, 27/06/1945. Anonyme, ÒInauguracin de una nueva sala en el Museo SorollaÓ, Ya, Madrid, 18/10/1951. IV. Sorolla et le rgime franquiste : 1939-1974 211 cens rpondre la demande des touristes.42 Mais en dpit de toutes ces amliorations, et mme si Las Provincias titre en dcembre 1951 ÒLa casa de Sorolla no es un museo muertoÓ, aucune solution radicale nÕa t trouve et le muse demeure un endroit isol et ignor du touriste de passage Madrid.43 Le concept de la maison-muse a certes un certain charme mais il comporte galement sa part de contraintes et cÕest la raison pour laquelle il est si difficile de lÕadapter aux nouveaux enjeux touristiques et commerciaux de lÕpoque. LÕinvestissement de lÕtat visant rendre le muse plus fonctionnel est donc la consquence la fois du succs de lÕexposition de 1944 et de la campagne de rhabilitation mene dans la presse nationale. DÕun point de vue politique, elle peut aussi tre lie lÕouverture du pays en direction de lÕextrieur et tout particulirement des tats-Unis car Sorolla est toujours le peintre espagnol le plus connu et apprci outre-Atlantique. Ses toiles sont dissmines dans les collections publiques et prives du pays, en particulier sur la cte est. La visite du Muse Sorolla figure dans les brochures des tour-oprateurs nord-amricains comme une tape obligatoire des circuits touristiques. La question de la relation transtlantique se pose nouveau aprs la Deuxime Guerre Mondiale car lÕEspagne, qui nÕa pas directement pris part au conflit mais sÕest montre clairement partisane de lÕAxe, a besoin de tisser un lien neuf avec la premire puissance mondiale. Par le pass, le peintre et son commanditaire Archer Milton Huntington avaient Ïuvr ensemble la rconciliation de leurs pays respectifs, aprs la Guerre de Cuba. La biographe de lÕhispanophile, Beatrice Gilman Proske (1899-2002), a signal dans un ouvrage que Huntington fut appel ngocier un trait commercial entre les deux pays en 1918.44 Les autorits franquistes ne lÕont, semble-t-il, pas oubli. Le 25 septembre 1946, Franco dcerne la Grande Croix dÕAlphonse le Sage au fondateur de lÕHispanic Society, alors g de quatre-vingt quatre ans.45 Si Sorolla a t dÕabord, pour ainsi dire, Òplac en quarantaineÓ afin de ne pas compromettre la relation diplomatique avec lÕAllemagne nazie en 1942, il devient un atout lÕheure o le pays sÕemploie changer son image auprs de la 42. 43. 44. 45. Bernardino de Pantorba, Gua del Museo Sorolla, Madrid, Grficas Nebrija, 1951. Anonyme, ÒLa casa de Sorolla no es un museo muertoÓ, Las Provincias, Valence, 30/12/1951. Beatrice Gilman Proske, Archer Milton Huntington, New York, The Hispanic Society of America, 1965, page 17. Anonyme, ÒLa Gran Cruz de Alfonso el Sabio a Mr. Archer M. HuntingtonÓ, ABC, Madrid, 26/09/1946. IV. Sorolla et le rgime franquiste : 1939-1974 212 premire puissance mondiale. La prudence lÕgard de ce peintre prtendument sulfureux contraste avec la rcupration et la promotion acharne par un rgime port son znith. IV. Sorolla et le rgime franquiste : 1939-1974 213 IV.2. SOROLLAÕS SPAIN IS DIFFERENT ÒLÕEspagne de Sorolla est diffrenteÓ : voici une variante possible du slogan touristique ÒSpain is diferentÓ qui pourrait parfaitement convenir aux annes cinquante et soixante telles que nous allons les parcourir. LÕexpression tait double tranchant car en voulant signifier que cette destination de vacances avait des atouts supplmentaires, elle pouvait tre comprise, lÕinverse, comme diffrente du fait de son retard par rapport aux autres pays europens. En intgrant la peinture du Valencien sa propagande touristique, le rgime projette sur le monde une image radieuse certes, mais en dcalage avec son sicle. Non seulement Sorolla est mort lÕanne de la fin de la Restauration mais sa peinture refltait, dj son poque, une Espagne dÕun autre temps. Ë lÕvidence, une image arrte du pays tel quÕil se prsentait aprs-guerre nÕest pas exportable et cÕest pourquoi la peinture occupe une place privilgie dans lÕiconographie de la dictature. On verra sous quelle forme des images tires de ses tableaux seront instrumentalises et qui en seront les destinataires. La guerre civile avait ananti le secteur du tourisme qui ne commence renatre de ses cendres que dans les annes cinquante, date partir de laquelle le nouveau rgime entreprend dÕexploiter lÕÏuvre de Sorolla des fins promotionelles pour changer lÕimage sinistre dÕun pays ravag par le conflit et, dont les deux premiers gouvernements de lÕre franquiste, ceux de 1938-1939 et 1939-1945, sont composs en majorit de militaires.46 Le choix du peintre valencien relve de plusieurs facteurs : tout dÕabord, son pass politique est compatible avec le rgime car il nÕavait pas t franc-maon et, sÕil avait eu des sympathies rpublicaines, il nÕa jamais apport son soutien militant aucun parti. Ensuite, il fait partie des ces Espagnols dont le nom a franchi les frontires du pays. Un journal catalan publie une liste des artistes espagnols les plus connus outre-Atlantique le 24 mai 1945. Dans cette liste, Sorolla figure en bonne place ct des peintres Ignacio Zuloaga et Pablo Picasso, du pianiste Jos Iturbi 46. Ramn Tamames, La Repblica. La era de Franco, Madrid, Alianza, 2001 (1988), page 307-308. IV. Sorolla et le rgime franquiste : 1939-1974 214 Baguena (1895-1980) et du compositeur Manuel de Falla (1876-1946).47 Les tats-Unis avaient manifest leur attachement Sorolla en 1923 et en 1932, en envoyant un reprsentant diplomatique Valence le jour de son enterrement, et Madrid pour lÕinauguration du Muse Sorolla. Ensuite, lÕÏuvre du Valencien est facilement exploitable car, depuis la fondation du muse, elle se trouve en grande partie dans les collections de lÕtat. Enfin, sa peinture montre des paysages de cartes postales, des enfants heureux, sains et pleins de vie. Cette vision radieuse et sereine de lÕEspagne se situe aux antipodes des reportages photographiques diffuss lÕtranger durant et aprs la guerre civile. Les clichs du reporter hongrois Robert Capa (1913-1954), publis par les revues illustres du monde, avaient propag les images dÕune terre inculte, dÕdifices en ruines, dÕune population civile rurale plonge dans une misre extrme, de familles entires jetes sur les routes, en particulier des femmes et des enfants.48 Ds la cration du Ministre de lÕInformation et du Tourisme, en 1951, lÕÏuvre de Sorolla va servir renouveler lÕimage du pays lÕextrieur. En mme temps, des expositions de ses tableaux feront partie de lÕoffre culturelle ÒchoisieÓ que le rgime proposera ses touristes. Aprs la guerre, les relations diplomatiques entre lÕEspagne et les ex-allis se trouvent au plus mal car les vainqueurs se refusent reconnatre comme lgitime une dictature fasciste. En fvrier 1946, le gouvernement franais ferme sa frontire pyrnenne. En mars, lÕOrganisation des Nations Unies condamne officiellement le rgime franquiste et, en dcembre, lÕinstitution demande ses tats membres le dpart des ambassadeurs en poste Madrid. Ë lÕexception de Dublin, du Saint-Sige, de Lisbonne, de Berne et de Buenos Aires, la plupart des membres suivent cette recommandation.49 Ë partir de 1947, seize pays europens commencent bnficier du plan Marshall, mais lÕEspagne est mise lÕcart du programme dÕaide amricain. LÕisolement politique et la fragilit conomique du pays sont tels que le gouvernement de Franco est oblig de redfinir son modle afin de changer son image lÕtranger, en particulier auprs de la premire puissance mondiale. Pour y parvenir, il prcise lÕavenir de son rgime dans une 47. 48. 49. Anonyme, ÒLos artistas espaoles ms conocidos en NorteamricaÓ, Barcelona Teatral, Barcelone, 24/05/1945. Alicia Alted (dir.), El exilio de los nios, Madrid, Sinsentido, 2003. Andre Bachoud, Franco ou la russite dÕun homme ordinaire, Paris, Fayard, 1997, page 297 et Ramn Tamames, La Repblica. La era de Franco, Madrid, Alianza, 2001 (1988), pages 268-270. IV. Sorolla et le rgime franquiste : 1939-1974 215 Òloi sur la successionÓ annonce la radio en mars 1947. Ce texte prvoit le retour la monarchie dans des conditions bien dfinies. Franco se rserve le droit de gouverner jusquÕ sa mort et de dsigner lui-mme un successeur de sang royal, de sexe masculin, catholique, g dÕau moins trente ans et dÕune fidlit indfectible aux Leyes fundamentales. En juin, le rgime assure la mdiatisation de sa relation avec lÕextrieur en recevant avec tous les honneurs lÕpouse du prsident argentin, Eva Pern (1919-1952). Les deux pays ont sign un accord conomique lÕanne prddente concernant lÕapprovisionnement alimentaire de lÕEspagne. La solidarit de lÕArgentine proniste est un atout pour le rgime de Franco qui valorise autant que possible lÕHispanit, cÕest--dire la prtendue unit et fraternit des pays de langue espagnole. Cette notion pose le principe dÕune communaut transnationale soude par une culture, une histoire et une religion communes. Mme si la langue officielle des tats-Unis est lÕanglais, le rgime de Franco lÕinclut, sur le plan culturel, dans cette Hispanit. DÕailleurs, certainement la demande de Huntington, Sorolla lÕavait mise en images avec Visin de Espaa puisque les motifs faisaient apparatre une ÒfiliationÓ historique entre les deux pays. On se souvient, par exemple, du panneau El encierro qui montre les gardiens de troupeaux, Sville, et renvoie implicitement au Òcow-boyÓ amricain. En Espagne, les planches en noir et blanc du dcor ont justement t publies pour la premire fois en 1944, lÕintrieur du catalogue de lÕexposition valencienne. Progressivement, les contraintes imposes par la communaut internationale sont leves. Le 30 mars 1948, le Congrs amricain adopte lÕinclusion de lÕEspagne lÕintrieur du plan Marshall. Quelques mois plus tard, le tourisme reprend car la compagnie arienne Trans World Airlines (TWA) met en place une liaison quotidienne entre lÕEspagne et les tats-Unis.50 Enfin, les tensions entre les blocs amrcain et sovitique modifient la perception de lÕEspagne auprs du gouvernement de Harry S. Truman (1884-1972). Par sa situation gographique, son territoire peut constituer une position avance dans le contexte de la ÒGuerre FroideÓ commenante. La Guerre de Core clate le 25 juin 1950. Elle oppose le Sud, soutenu par les tats-Unis, au Nord, soutenu par la Rpublique populaire de Chine et lÕUnion sovitique. Durant les premiers mois du conflit, les 50. Beatriz Ruiz Correyero, ÒLa propaganda turstica espaola en los aos de aislamientoÓ in Historia y comunicacin social VIII., Madrid, UCM, 2003, page 29. IV. Sorolla et le rgime franquiste : 1939-1974 216 recommandations des Nations Unies visant asphixier lÕEspagne sont abroges. Le pays est admis au sein de lÕOrganisation des Nations Unies pour lÕalimentation et lÕagriculture (FAO) en novembre 1950 et intgrera, plus tard, lÕOMS en 1952, lÕUNESCO en 1953, avant de devenir membre de lÕONU en 1955. La nouvelle relation transatlantique dbouche sur la signature du Pacte de Madrid, le 26 septembre 1953. Cet accord conomico-militaire prvoit lÕinstallation de bases militaires en Espagne en change dÕune aide conomique. Quatre bases ariennes et une base sous-marine sont construites ainsi quÕun rseau de conduites de transport de ptrole et de gaz.51 Ce nÕest quÕaprs le Pacte de Madrid que Sorolla redevient, titre posthume, lÕambassadeur culturel quÕil avait t par le pass. En effet, quelques semaines plus tard, le 31 dcembre, la Fabrique Nationale des Monnaies et des Timbres met un billet de mille pesetas lÕeffigie de Sorolla qui sera mis en circulation en juin 1953.52 Les Espagnols, qui disposent cette poque de neuf billets de banque Ð 1, 2, 5, 10, 25, 50, 100, 500 et 1000 ptas Ð, voient apparatre en quelques mois quatre nouveaux visages ct des plus grosses sommes : Joaqun Sorolla, 1000 ptas. Mariano Benlliure, 500 ptas. Julio Romero de Torres, 100 ptas. et Santiago Rusiol, 50 ptas. Sous le franquisme, le billet de mille est rserv aux grands noms de lÕhistoire puisque le Valencien a succd, fiduciairement parlant, Charles Quint et sera ensuite remplac par les Rois Catholiques, qui seront eux-mmes supplants par le Patron de Madrid, Saint Isidore. Dans une chronique humoristique intitule Òensayo sobre la psicologa bancariaÓ, Evaristo Acevedo commente lÕarrive des artistes dans les portefeuilles des bourgeois alors que le thologien Jaime Balmes (1810-1848), 5 ptas. le roi Alphonse X le Sage (1221-1284), 5 ptas. et le personnage de Miguel de Cervantes (1547-1616), Don Quichotte de la Manche, 1 pta. frquentent les comptoirs des cafs et les guichets de cinma et de mtro.53 Dans lÕEspagne des annes cinquante, le billet de mille nÕest pas la porte de toutes les bourses. Cette grosse coupure rpondrait, entre autres, aux besoins des touristes trangers et serait donc le billet le plus frquemment dlivr par les bureaux de change. Ë cette poque, le 51. 52. 53. Ramn Tamames, La Repblica. La era de Franco, Madrid, Alianza, 2001 (1988), pages 264-265. Anonyme, ÒNuevo billete de mil pesetasÓ, Informaciones, Madrid, 23/06/1953. Evaristo Acevedo, ÒEnsayo sobre psicologa bancariaÓ, Informaciones, Madrid, 16/01/1957. IV. Sorolla et le rgime franquiste : 1939-1974 217 dollar et la livre sterling bnficient du taux de change le plus intressant car le rgime entend ainsi soutenir le tourisme en provenance des tats-Unis et de la Grande Bretagne.54 Ce nÕest donc pas le fruit du hasard si le billet espagnol lÕeffigie de Sorolla copie lÕaspect du dollar amricain.55 Son modle pourrait avoir t le billet dÕun dollar lÕeffigie du premier prsident des tats-Unis George Washington (1732-1799) car il en reprend la couleur, la longeur, imite lÕentrelacs complexe et copie mme la feuille dÕacanthe stylise. LÕmission de ce billet vert va de pair avec lÕenvole du tourisme nordamricain puisque le nombre de visiteurs issus de ce pays est pratiquememnt multipli par huit entre 1947 et 1951.56 Ce rsultat avait t un des objectifs majeurs du Directeur Gnral du Tourisme, Luis Antonio Boln (1894-1969). En janvier 1950, il se rend avec son quipe dans plusieurs villes des tats-Unis pour rencontrer les tours-oprateurs et inaugurer de nouvelles agences touristiques. Au cours de sa tourne, il invite une dlgation de journalistes ainsi que les plus hauts reprsentants de la compagnie arienne TWA visiter lÕEspagne. Le 10 fvrier, la dlgation amricaine est reue au Palais prsidentiel par Franco lui-mme. Le journal El Alczar publie cet extrait de son allocution : ÒEl pueblo espaol no tiene ninguna diferencia con el pueblo americano, antes al contrario; por su historia, por la tarea que un da Espaa desarroll en Amrica, se considera unido familiarmente por vnculos de sangre y de lenguaje con los pueblos de Amrica. Y lo que deseamos es que este camino que han iniciado hoy con este viaje por los aires pueda repetirse y que siempre que quieran saber algo de Espaa vengan a verlo a Espaa misma, con la seguridad de que nosotros no les ocultaremos absolutamente nada.Ó57 Le dictateur prtend garantir ses htes une certaine ÒtransparenceÓ alors que, au contraire, il contrle parfaitement lÕimage de son rgime comme le montre 54. 55. 56. 57. Beatriz Ruiz Correyero, ÒLa propaganda turstica espaola en los aos de aislamientoÓ in Historia y comunicacin social VIII., Madrid, UCM, 2003, page 53. Figure n¡12. Billet de mille pesetas Ç La fiesta del naranjo È (1951). B. Ruiz Correyero, ÒLa propagandaÉÓ, page 52. Anonyme, Òtitre inconnuÓ, El Alczar, Madrid, 11/02/1950. Ç Le peuple espagnol ne diffre en rien du peuple amricain, et cÕest mme tout le contraire ; par son histoire, par lÕÏuvre que lÕEspagne difia jadis en Amrique, elle se considre unie fraternellement par des liens du sang et de la langue aux peuples dÕAmrique. Et ce que nous dsirons cÕest que ce chemin ouvert aujourdÕhui par ce vol puisse se prrenniser et que chaque fois que vous voudrez savoir quelque chose sur lÕEspagne vous viendrez le voir par vous-mmes, avec lÕassurance que nous ne vous cacherons absolument rien. È IV. Sorolla et le rgime franquiste : 1939-1974 218 lÕoffre culturelle propose sur place. Les touristes de 1953 peuvent dcouvrir plusieurs manifestations commmorant le trentime anniversaire de la mort de Sorolla. Ë Madrid, une exposition organise par la galerie Toisn prsente cent pochades et dessins indits.58 Pour les inconditionnels de lÕartiste, trois mille exemplaires numrots du premier catalogue raisonn de lÕÏuvre peinte crit par Bernardino de Pantorba sont proposs la vente dans le courant de lÕanne.59 Le livre sera rdit en 1970 dans une luxeuse dition, plus conforme la place de choix que le rgime accorde cet artiste. En effet, lÕouvrage in folio reli en cuir rouge, frapp de lettres dÕor et sera tellement raffin que son prix de vente en fera un objet exclusif. Enfin, le 9 octobre, lÕtat met en circulation un timbre de cinquante pesetas lÕeffigie du peintre.60 La srie est connue sous le nom ÒSorolla & LegazpiÓ car elle comprend galement un timbre reprsentant le dcouvreur des Philippines, Miguel Lpez de Legazpi (1502-1572). Les deux timbres ne circulent pas sur les courriers ordinaires mais sont propags par del les frontires puisquÕils sont destins au seul affranchissement arien. Appos sur les plis pour lÕtranger, le visage du peintre symbolise lÕEspagne. Dans les colonnes du journal Informaciones, Evaristo Acevedo glose sur les ÒSorollaÓ de papier, quÕil juge tout aussi inaccessibles que les toiles vritables en soulignant que la valeur du timbre dpassait celle dÕune livre de jambon !61 LÕanne 1954 voit apparatre les premiers produits drivs par lesquels la peinture de Sorolla pntre dans les foyers comme Òart de masseÓ. Sans connatre un sort comparable LÕAnglus ni aux Glaneuses de JeanFranois Millet (1814-1875), qui ornent mille et un objets du quotidien des Franais tels que des soufflets, des porcelaines, des canevas, des tabatires ou encore des botes biscuits, les scnes de pcheurs de Sorolla figurent sur les pages des almanachs dits par des banques, offerts la clientle pour la nouvelle anne.62 La prfrence pour Millet, dans la France du Marchal Ptain, et pour 58. 59. 60. 61. 62. Germn Gmez de la Mata, ÒExposiciones de Arte. Apuntes de SorollaÓ, Crtica, Madrid, 31/01/1953 et M. Chamoso Lamas, ÒDesde Madrid. Exposicin de apuntes de SorollaÓ, La Noche, Santiago du Chili, 7/02/1953 Anonyme, ÒUn libro fundamental: La vida y la obra de Joaqun SorollaÓ, òltima hora, Palma de Majorque, 15/06/1953. Figure n¡13. Timbre de cinquante pesetas Ç Sorolla & Legazpi È (1953) et anonyme, ÒSello areoÓ, Hierro, Bilbao, 27/09/1953. Evaristo Acevedo, ÒEl pintor de la carestaÓ, Informaciones, Madrid, 16/10/1953. Joaqun de Valencia (Joaqun Jos Thous Orts), ÒY sigue sin estatuaÉÓ, Hoja del lunes, Valence, 5/04/1954 et anonyme, ÒEn el pincel de SorollaÓ, lasprovincias.es, 11/11/2007. IV. Sorolla et le rgime franquiste : 1939-1974 219 Sorolla, dans lÕEspagne de Franco, sÕajuste aux mmes critres. Les tableaux reproduits sont scrupuleusement naturalistes et refltent les valeurs traditionnelles prnes par ces rgimes autoritaires : le travail, la foi et la famille. Dans le cas de Sorolla, il sÕagit donc principalement des premires scnes de mer, celles des annes 1890, reprsentant la vie quotidienne des familles de pcheurs, cÕest--dire La vuelta de la pesca, La bendicin de la barca, Pescadores valencianos, Cosiendo la vela, etc. Ë la fin des annes cinquante, le touriste de passage Madrid peut difficilement manquer la peinture de Sorolla puisquÕelle se trouve presque invariablement au centre de lÕactualit culturelle de la capitale. Le rgime ne laisse rien au hasard et balise mthodiquement le parcours de ses visiteurs. En 1956, une exposition centennale est organise lÕoccasion de lÕanniversaire de lÕExposition Nationale. Contrairement lÕambition affiche, lÕvnement nÕintgre pas le sicle en entier car, conformment la ligne idologique des phalangistes, la Direction Gnrale des Beaux-Arts ne prsente que des tableaux dÕartistes disparus. Avec vingt-neuf tableaux, Sorolla est un des artistes les mieux reprsents.63 Deux ans plus tard, le Cercle des Beaux-Arts de Madrid monte une exposition thmatique autour de sa peinture de jardin en prsentant quarante-six toiles puis, en 1960, lÕinstitution madrilne hberge une autre exposition comprenant dix tableaux issus de collections prives.64 Le Cercle des Beaux-Arts est une fondation culturelle prive cre en 1880 par un groupe dÕartistes pour assurer la diffusion, la transmission et la promotion des arts. AujourdÕhui, elle couvre des champs aussi varis que le thtre, la musique, la danse, le cinma ou encore les sciences. Au printemps 1960, un documentaire sur Sorolla reprsente lÕEspagne au festival de Cannes : le cinaste espagnol Manuel Domnguez (inc.-inc.) participe au concours international avec un court mtrage documentaire intitul Sorolla, pintor de la luz.65 LÕtat ne participe pas son financement et il sÕagit donc dÕune production entirement prive. Ce film est en ralit une succession de plans 63. 64. 65. Jos Rico de Estasen, ÒLa aportacin valenciana a la exposicin. Un Siglo de Arte EspaolÓ, Levante, Valence, 11/01/1957. Anonyme, ÒExposicin homenaje a Sorolla en el Crculo de Bellas ArtesÓ, Levante, Valence, 10/04/1960. Guillamon, ÒExcelente documental sobre SorollaÓ, Signo, Madrid, 29/08/1959, Juan Ignacio, ÒDesde el punto de vista educativo el documental resulta interesanteÓ, Signo, Madrid, 21/05/1960 et Anonyme, ÒLa crtica de Barcelona otorga el VI Ç Premio San Jorge È de cinematografaÓ, Fotogramas, Barcelone, 4/05/1962. IV. Sorolla et le rgime franquiste : 1939-1974 220 glissants et de fondus enchans dvoilant des dtails de tableaux du matre. Un fond musical au piano accompagne ces images et une voix off retrace le parcours du peintre. Le critique Manuel Snchez-Camargo signe les textes et Salvador Ruiz de Luna (1908-1978), la musique. Selon le journal Signo, le documentaire ne passe pas inaperu, mais la ralit est tout autre. Il ne se vend pas et cÕest la raison pour laquelle il est si difficile dÕen localiser une copie aujourdÕhui. Le Muse Sorolla en possde une. En Espagne, le film a un certain cho puisque, en mai 1962, la critique catalane lui dcerne le Prix San Jorge dans la catgorie des courts-mtrages.66 Mais son impact lÕtranger est quasiment nul. Si bien que si le film tait cens promouvoir lÕEspagne lÕtranger travers lÕÏuvre du Valencien, le but ne fut pas atteint. En 1961, un tableau de Sorolla est pour la premire fois appos sur un poster touristique. LÕOffice du Tourisme de Valence dite cette affiche promotionnelle conue partir dÕun tableau du Muse Sorolla intitul El balandrito, qui montre un enfant jouant sur la plage de la Malvarrosa avec son petit bateau.67 Elle est tire dix mille exemplaires, en deux formats et en cinq langues : franais, allemand, italien, anglais et espagnol.68 La ville espre ainsi attirer un tourisme familial car le niveau de vie dans les pays dÕEurope du Nord a considrablement augment depuis la fin de la guerre. Ë cette poque, le tourisme de masse connat une croissance vertigineuse. Suivant le modle de la Costa Brava et de la Costa del Sol, Valence entend profiter de cette manne en dveloppant les infrastructures de sa cte. LÕexploitation de cette peinture ensoleille capte sur le motif sur les plages de la Malvarrosa et du Cabaal, est facilite par son atemporalit. En effet, comme elle nÕest ÒmarqueÓ ni politiquement, ni socialement, ni historiquement, elle convient trs bien dans les annes soixante, et continue aujourdÕhui tre utilise des fins promotionnelles par le ministre de lÕIndustrie, du Tourisme et du Commerce : deux affiches, une de 1990 et lÕautre de 1998, sont prsentes en annexes.69 66. 67. 68. 69. Anonyme, ÒLa crtica de Barcelona otorga el VI Ç Premio San Jorge È de cinematografaÓ, Fotogramas, Barcelone, 4/05/1962. Figures n¡14. J. Sorolla, peintre de Valence. Espagne (1961) et n¡15. J. Sorolla, Spanien, (1961). ÒCuadro de Sorolla en un cartel turstico de ValenciaÓ, Las Provincias, Valence, 4/03/1961. Figures n¡24. Espagne tout (de nouveau) sous le soleil (1990) et n¡25. Espagne. Plages, 1998. IV. Sorolla et le rgime franquiste : 1939-1974 221 Il faut encore signaler une occurrence tonnante trouve parmi les archives de presse du Muse Sorolla, qui atteste lÕexploitation tous azimuts de lÕimage du peintre. En mars 1963, la compagnie arienne dÕtat Iberia commande un appareil DC-8 la firme amricaine Douglas Aircraft Corporation. LÕavion est baptis du nom de Sorolla et son fuselage reoit pour dcoration une scne de retour de pche inspire dÕun de ses tableaux.70 Le gros-porteur dcolle de Los Angeles avec, son bord, une missive amicale du directeur de lÕHispanic Society. Pour le symbole, il entre sur le territoire national par la localit galicienne dÕEl Ferrol, ville natale de Franco, et atterrit ensuite lÕaroport de Valence, o il est attendu par un reprsentant du maire, par les autorits militaires et religieuses. Il sÕenvole ensuite pour Madrid o il rejoint la flotte transatlantique de la compagnie. Ds lÕembarquement, les touristes nord-amricains se trouvent dj en contact avec le nom et lÕimage de Sorolla qui a la proprit dÕvoquer immdiatement lÕEspagne radieuse quÕils sÕattendent dcouvrir. Tous les vnements lis au peintre de Valence, de la tenue dÕune exposition la mise en circulation dÕun timbre, formaient ensemble une chane vnementielle dont la courbe de rpartition des archives de presse du Muse Sorolla rend clairement compte puisquÕelle se maintient un niveau lev sans quasiment flchir jusquÕen 1963. Tout au long des annes cinquante et jusquÕau dbut des annes soixante, une iconographie choisie, dont font partie des images tires de la peinture de Sorolla, nourrit la propagande extrieure dÕun rgime soucieux de changer son image dans le reste du monde et dÕexploiter le potentiel conomique de son littoral mditerrannen. Certes, lÕimage de Sorolla est alors projete lÕtranger ; mais on a vu galement que, de manire indissociable, elle nourrit lÕoffre touristique propose sur place. Ë ce titre, un dessin de Rafael Munoa (1930) illustre avec sagacit ce double aspect des choses. On y voit au premier plan deux croisiristes confortablement installs sur des chaises pliantes caractristiques des paquebots transatlantiques et qui portent, pour cette raison, le nom de ÒtransatsÓ. La chaleur semble crasante alors que les deux touristes ne se trouvent ni sur le pont dÕun bateau ni sur aucune plage mais dans la salle dÕun muse, face deux tableaux de Sorolla. Effar, le gardien-matelot sÕcrie : Ç Comprendemos, seores 70. Figure n¡17. Un avion baptis au nom de Sorolla (1963) et Anonyme, ÒEl nuevo reactor trasatlntico de Iberia que llevar el nombre de SorollaÓ, Las Provincias, Valence, 27/03/1963. IV. Sorolla et le rgime franquiste : 1939-1974 222 turistas, que Sorolla tiene mucha luz mediterrneaÉ Pero no es para ponerse asÉ71 È LÕhumour repose sur la confusion entre lÕimage publicitaire et la ralit. Car au lieu de contempler lÕEspagne telle quÕelle sÕoffre leurs yeux, les deux touristes se pment devant une image fabrique par un artiste. Les deux touristes du dessin ne contemplent-ils pas, au fond, lÕEspagne quÕils sont venus chercher ? CÕest la question que semble poser Rafael Munoa. Le dbut des annes soixante est la fois le prolongement et lÕapothose de lÕinstrumentalisation de lÕimage de Sorolla par le rgime car, encore plus quÕauparavant, le centime anniversaire de la naissance du peintre va servir de vitrine. LÕtat ne manque pas ce rendez-vous et prpare rien de moins quÕune ÒAnne SorollaÓ, qui est annonce dans la presse en mai 1962.72 Ë la manire dÕune fte, cet anniversaire aurait un caractre national. En Espagne, les peintres sont rarement clbrs ainsi. En la matire, le seul prcdent comparable cette ÒAnne SorollaÓ pourrait tre le troisime centenaire de Diego Vlasquez, en 1899. Il avait t commmor en grande pompe car, dans la deuxime moiti du XIXme sicle, le matre de Sville tait admir par les peintres du monde entier qui venaient Madrid pour copier ses tableaux dans les salles du Muse du Prado.73 Vlasquez tait, cette poque, un symbole de la culture espagnole connu lÕtranger. Un dcret du ministre de lÕducation Nationale dat du 8 janvier 1963, et publi au Boletn Oficial del Estado du 2 fvrier suivant, confirme la tenue de clbrations compter du 27 fvrier 1963, jour du centenaire de la naissance du peintre et jusquÕau mme jour de lÕanne suivante.74 Cette priode constitue un sommet critique, ainsi que le prouvent les cinq cent douze articles conservs au Muse Sorolla pour la seule anne 1963. Les archives contiennent une majorit dÕarticles dÕinformation, des biographies condenses et quelques articles dÕopinion. Blanco y Negro nÕhsite pas sortir un supplmnt de vingt-six pages, ÒSorolla, el hombre y la obraÓ, driv du livre de Pantorba.75 LÕorganisation de 71. 72. 73. 74. 75. Rafael Munoa (dessin), ÒSans titreÓ, Ya, Madrid, 24/04/1963 et figure n¡19. Dessin humoristique sans titre (1963). Anonyme, ÒConmemoracinÓ, Dgame, Madrid, 22/05/1962. Gary Tinterow, ÒRaphal supplant : le triomphe de la peinture espagnole en FranceÓ in Manet Vlazquez, la manire espagnole au XIXe sicle, Paris, RMN, 2002, pages 16-82. Vicente Badia, ÒNuestra ciudad. Centenario de SorollaÓ, Las Provincias, Valence, 7/02/1963. Bernardino de Pantorba, ÒSorolla, el hombre y la obraÓ, Blanco y Negro, Madrid, 13/04/1963. IV. Sorolla et le rgime franquiste : 1939-1974 223 cette anne commmorative est confie un Comit dÕHonneur lu pour lÕoccasion et compos du sous-secrtaire du ministre de lÕducation Nationale, Luis Legat Lafarga (inc.-inc.), du directeur gnral des Beaux-Arts, Gratiniano Nieto Gallo (1917-1986), des membres du comit xcutif du Muse Sorolla, du directeur de lÕAcadmie Royale des Beaux-Arts de San Fernando, Jos Eugenio de Baviera (inc.-inc.), du maire de Valence, Adolfo Rincn de Arellano, et du directeur de lÕAcadmie des Beaux-Arts de San Carlos.76 Ce comit et les souscommissions qui en dpendent sont chargs dÕtablir le programme vnementiel de lÕanne. La veille de la journe inaugurale, le quotidien Levante titre avec emphase ÒMaana nacer SorollaÓ, car le peintre sera certainement redcouvert grce aux expositions commratives.77 Le programme est ouvert par une messe donne en une chapelle de la cathdrale qui est immdiatement suivie dÕune crmonie de reccueillement autour de la tombe du peintre, au cimetire municipal. Ë midi, le nouveau monument install dans le quartier maritime est dvoil et inaugur par le prsident du comit charg de lÕorganisation des festivits, Luis Legat Lafarga, le directeur gnral des Beaux-Arts, Gratiniano Nieto Gallo (1917-1986), son prdcesseur le marquis de Lozoya, etc.78 Levante souligne que la prsence des autorits venues de Madrid donne un caractre national cet vnement dcentralis.79 Comme en 1944, la dimension nationale du peintre prime. Valence nÕest dÕailleurs que le prlude du programme qui doit battre son plein Madrid. Comme un symbole, le cours des clbrations suit la trajectoire du peintre, de la province vers la capitale. Le cortge valencien prend ensuite la direction du Muse Municipal, l mme o, en 1944, la premire grande exposition posthume sÕest tenue. Une slection trs rduite est prsente, probablement pour ne pas faire dÕombre lÕexposition madrilne prvue pour la mi-avril. Trente tableaux seulement sont accrochs, dont plusieurs sont dj connus des Valenciens. Paralllement, le Conseil Gnral organise une autre manifestation en runissant 76. 77. 78. 79. Anonyme, ÒEl Ayuntamiento va a celebrar el centenario del nacimiento del pintor SorollaÓ, Jornada, Valence, 19/01/1963. Salvador Chanz, ÒMaana nacer SorollaÓ, Levante, Valence, 26/02/1963. Anonyme, ÒConmemoracin del centenario del nacimiento de Sorolla. Descubrimiento del monumento al insigne artista en su nuevo emplazamientoÓ, Jornada, Valence, 27/02/1963. Luis Vidal Corrella (photographies), ÒCarcter nacional del homenaje a SorollaÓ, Levante, Valence, 28/02/1963. IV. Sorolla et le rgime franquiste : 1939-1974 224 quelques travaux du jeune Sorolla lÕpoque o, en tant que pensionnaire de lÕAcadmie Espagnole de Rome il avait bnfici dÕune bourse dÕtude.80 Enfin, une confrence donne par le marquis de Lozoya lÕAcadmie de San Carlos sert dÕpilogue cette journe. LÕvnement majeur de cette anne commmorative est donc la grande rtrospective organise Madrid dans le Casn del Buen Retiro du Muse du Prado et inaugure par le chef de lÕtat. Avant elle, la Direction Gnrale des Beaux-Arts y a organis les expositions de trois matres espagnols : Diego Vlasquez, Francisco de Goya et Pedro Berruguete (1450-1504).81 Elle affirme ainsi la place de choix que Sorolla occupe dsormais lÕintrieur de la politique culturelle du rgime. Cent trente tableaux, vingt-quatre pochades et soixante-huit dessins du Valencien sont prsents au public durant un mois, compter du 22 avril 1963.82 Comme le dcor Visin de Espaa ne peut pas quitter les murs de lÕHispanic Society, des diapositives en couleurs des quatorze panneaux sont projetes dans une salle.83 Il sÕagit alors de lÕexposition la plus complte jamais ralise car elle prsente un ensemble partant de sa premire toile connue, une nature morte peinte vers lÕge de quinze ans, jusquÕaux jardins de sa maison madrilne quÕil peignit la fin de sa vie.84 Tous les genres quÕil avait abords cÕest--dire la peinture religieuse, la peinture ÒthseÓ, la scne dÕintrieur, le portrait Ð y compris le portrait royal Ð le paysage, le nu, la scne de plage, de jardin, etc. Mme sa peinture dÕhistoire, qui avait compltement sombr dans lÕoubli, est exhume des collections publiques. DÕailleurs, le 21 avril, jour de lÕinauguration, le chef de lÕtat Francisco Franco pose devant une Ïuvre de jeunesse, El dos de mayo, un sujet de guerre, symbole dÕunit nationale.85 La reprsentation officielle donne une ide de lÕimportance de cet vnement puisque le chef de lÕtat est accompagn du Capitaine gnral des armes, Agustn Muoz Grandes (1896-1970) Ð ex-commandant de la Divisin Azul Ð, du ministre de lÕducation Nationale Manuel Lora Tamayo (1904-2002), et plusieurs autres 80. 81. 82. 83. 84. 85. Sorolla. Pensionado de la Diputacin, Valence, Diputacin Provincial de Valencia, 1963. Sorolla 1863-1923. Primer centenario del nacimiento de Sorolla, Madrid, Ministerio de Cultura, 1963, page 2. ÒFranco y su esposa inauguraron la Exposicin de Obras de Sorolla en el Casn del Retiro, en MadridÓ, El Adelantado de Segovia, Sgovie, 22/04/1963 Mercedes Chivelet, ÒEsta primavera: Sorolla, en el CasnÓ, Pueblo, Madrid, 8/02/1963. Bodegn, 45x65, Valence, Muse des Beaux-Arts, 1878. Figure n¡18. Franco a inaugur lÕexposition Sorolla (1963). IV. Sorolla et le rgime franquiste : 1939-1974 225 ministres en fonction assistent cet vnement.86 Parmi les invits trangers se trouve Anne-Aymone Giscard dÕEstaing (1933) lÕpouse de Valry (1926), ministre des Finances du prsident De Gaulle. La mdiatisation de lÕexposition est assure par la presse et la radio mais aussi par la tlvision qui est cette poque un media nouveau. Elle ne compte cette poque quÕune seule chane, Televisin Espaola (TVE), qui mettait quotidiennement depuis 1956.87 Ë lÕoccasion de cette exposition, la Direction Gnrale des Beaux-Arts fait diter un catalogue dans lequel tous les tableaux sont reproduits en noir et blanc.88 Il ne contient quÕun court article biographique et des repres chronologiques tablis par Bernardino de Pantorba. DÕun point de vue bibliographique, lÕvnement est trs mal couvert, peut-tre parce que les autorits lÕont annonc trop tard. La grande monographie du mme auteur publie en 1953 est puise et elle ne sera pas rdite avant 1970.89 La fin de lÕanne Sorolla est suivie dÕune nouvelle mission philatlique lÕoccasion de la Òjourne du timbreÓ, le 23 mars 1964.90 Une srie de dix timbres, sur lesquels figurent principalement des tableaux prsents lÕanne prcdente, est tire quatre millions dÕexemplaires. Durant dix ans, Sorolla a occup lÕespace mdiatique parfois de manire inattendue et bien loigne de lÕart en soi. Pourtant, et en dpit des formes surprenantes de la ÒdiffusionÓ, la connaissance de son Ïuvre sÕest considrablement amliore sous la dictature grce toutes les expositions inaugures entre 1944 et 1963. Durant ce laps de temps, des tableaux ont t runis et montrs ensemble. Pour le public, ces conditions ont permis une meilleure connaissance de lÕart du Valencien. Si le franquisme a incontestablement son lot de consquences ÒpositivesÓ sur la rception du peintre, cette priode de Òsur-expositionÓ pose la question de son devenir, aprs la mort de Franco et la disparition de son rgime autoritaire. En effet, en tant que support de propagande de la dictature, la peinture de Sorolla est dsormais fortement 86. 87. 88. 89. 90. Anonyme, ÒEl Caudillo presidi la inauguracin de la Exposicin de las obras de SorollaÓ, Nueva Espaa, Huesca, 23/04/1963. Miguel Costas et Carlos Marimn, ÒAyer en TV. SorollaÓ, Noticiero Universal, Barcelone, 1/05/1963. Sorolla 1863-1923. Primer centenario del nacimiento de Sorolla, Madrid, Ministerio de Cultura, 1963. Bernardino de Pantorba, La vida y la obra de Joaquin Sorolla. Estudio biogrfico y crtico, Madrid, Grficas Monteverde, 1970, page 8. Anonyme, ÒEl 24 de marzo se pondr en circulacin la serie dedicada al Da del SelloÓ, Yugo, Almera, 15/02/1964. Figure n¡20. Srie de timbres Ç Pintor Joaqun Sorolla È. IV. Sorolla et le rgime franquiste : 1939-1974 226 connote et cela pourrait un jour la condamner une nouvelle mise lÕcart comme cela avait dj t le cas au dbut de lÕre franquiste. Jusque-l, et en dpit de lÕalternance au pouvoir et mme des changements de rgime, lÕÏuvre de Sorolla continue de dmontrer son tonnante capacit traverser et sÕadapter toutes les poques. IV. Sorolla et le rgime franquiste : 1939-1974 227 IV.3. LE REGARD DE LA GNRATION POST-SOROLLISTE Es comprensible que cualquier gesto innovador, esbozado entre nosotros, hubiese de tener, en consecuencia, algo de desafo antisorollista. Pedro Salinas, hablando de la reaccin de los escritores del 98 frente a don Vicente Blasco Ibez, la calific de Òjusta injusticiaÓ. Otro tanto podra decirse de la actitud ante Sorolla de muchos pintores valencianos posteriores. Fueron ÒinjustosÓ, pero con razn. Con una razn que, en ltima instancia, la proporcionaban, no don Joaqun, sino sus aburridos seguidores.91 Fuster, ÒSorolla, en un cartelÓ, Jornada, Valence, 11/03/1961. LÕarrive au pouvoir des franquistes avait provoqu un retour une politique artistique trop ractionnaire pour autoriser lÕinnovation. LÕextrme droite lÕavait salue comme la restauration des valeurs classiques : Ç Por fortuna, en estos ltimos aos, y sin que ello pueda interpretarse como un sntoma de regresin, se advierte un marcado afn revisionista a la luz de una estimacin clsica de los valores. È92 Pour orienter la production des Beaux-Arts, le pouvoir peut agir au moins sur deux leviers : les coles dÕart et lÕExposition Nationale. La dernire dition du concours avait eu lieu en 1936 et la premire de lÕre franquiste est organise en 1941. Ë partir de cette date, la transmission et la validation des savoirs artistiques campe sur des principes dpasss, hrits du XIXme. Au bnfice de lÕimplantation dÕun rgime ultra-conservateur, les exÒsorollistesÓ qui avaient t vilipends par la critique aprs la mort de leur matre, sont en train dÕtre reconsidrs dans les annes quarante. Sic transit gloria mundi. Tout porte croire que Francisco Franco, qui est lui-mme peintre 91. 92. Ç Il est comprhensible que chacune de nos actions innovantes dut avoir, comme consquence, un air de dfi antisorolliste. En voquant la raction des crivains de la gnration de 98 face don Vicente Blasco Ibez, Pedro Salinas la qualifia dÕÒinjustice justifieÓ. On pourrait en dire autant de lÕattitude de beaucoup de peintres valenciens issus des gnrations suivantes, face Sorolla. Ils furent ÒinjustesÓ, mais juste titre. Avec une raison qui, au fond, ne venait pas de don Joaqun, mais de ses ennuyeux continuateurs. È Benito Rodrguez Filloy, ÒLa gran exposicin Sorolla en ValenciaÓ, Arriba, Madrid, 28/05/1944. Ç Par chance, ces dernires annes, et sans que cela puisse tre interprt comme un signe de rgression, on remarque un retour bien marqu vers la tradition, motiv par la revalorisation des valeurs classiques. È IV. Sorolla et le rgime franquiste : 1939-1974 228 amateur, nÕest pas tranger cette rhabilitation.93 N en 1892, il est contemporain de la deuxime gnration de ÒsorollistesÓ. Manuel Benedito et Francisco Pons Arnau sont deux de ses portraitistes. Franco apprend tardivement les Beaux-Arts auprs dÕun peintre acadmique, Fernando çlvarez de Sotomayor (1875-1960), originaire comme lui dÕEl Ferrol et qui avait t directeur du Muse du Prado de 1922 jusquÕ lÕavnement de la Rpublique, en 1931. Il fut alors destitu de son poste mais le rintgra au bnfice de la victoire franquiste, en 1939. Dans les annes quarante, non seulement les disciples de Sorolla exposent nouveau, comme Francisco Pons-Arnau et Salvador Tuset qui montent leur propre exposition individuelle, respectivement en 1942 et en 1946, mais en outre, les autorits leur commandent des tableaux et leur confient dÕimportants postes de direction et dÕenseignement au sein des institutions des Beaux-Arts. Manuel Benedito enseigne lÕcole des Beaux-Arts de Madrid, en lieu et place de son matre. Il prside le Comit de direction du Muse Sorolla en 1941 et intgre celui du Muse du Prado en 1951. Salvador Tuset devient professeur lÕcole des Beaux-Arts de Valence en 1943, avant dÕen devenir le directeur, trois ans plus tard.94 Par ailleurs, il est sur le point dÕobtenir la Mdaille dÕHonneur en 1948. 95 Ceux-l mme que plus aucun journaliste ne dsigne sous le nom infamant de ÒsorollistesÓ sont donc chargs de former une nouvelle gnration, ne dans les annes vingt et trente. Cette ÒrelveÓ, on va le voir, nÕa pas connu Sorolla et connat superficiellement son Ïuvre. LÕarrive au pouvoir des franquistes a rduit nant la diversit artistique des annes trente tout dÕabord parce que la plupart de ceux qui avaient t des partisans de la rnovation avaient aussi t les adversaires du soulvement des 17 et 18 juillet. Certains ont mme pris les armes et combattu dans les milices populaires et ont t, pour cela, tantt tus au front, tantt victimes de la rpression, cÕest--dire perscuts, emprisonns ou excuts. Mais la plupart des artistes anti-acadmiques russirent sÕexiler avant, pendant, ou aprs le conflit, comme les surralistes Maruja Mallo (1902-1995), îscar Domnguez (19061957), Remedios Varo (1908-1963), Manuel Viola (1916-1987) et beaucoup 93. 94. 95. Narciso Campillo Balboa, ÒFranco, gran mecenas de las ArtesÓ, Diario de Cdiz, Cadix, 1/10/1957. Manuel Muoz Ibez, La pintura valenciana de la posguerra, Valence, Universitat de Valncia, 1994, pages 35-36. Anonyme, ÒNueva York descubre la obra de Salvador Tuset, discpulo de SorollaÓ, heraldo.es, 25/05/2007. IV. Sorolla et le rgime franquiste : 1939-1974 229 dÕautres. Maruja Mallo quitta lÕEspagne en 1936 pour le Portugal avant de rejoindre lÕArgentine. îscar Domnguez et Javier Bueno (1915-1979) voyagrent clandestinement Paris, et Remedios Varo gagna la France avant de partir pour le Mexique. Javier Bueno a jou en rle notable en excutant deux chef-dÕÏuvres conservs au Muse Goya de Castres : le Combattant espagnol et Judith et Holopherne, Ïuvres politiques empreintes de rminiscences mdivales et renaissantes. Enfin, Manuel Viola sÕexpatria Paris aprs avoir combattu dans les milices du Parti Ouvrier dÕUnification Marxiste (POUM). Il convient ici de souligner que les peintres acadmiques et, parmi eux, des disciples de Sorolla, ont aussi t victimes de la guerre. Par exemple, Jos Manaut Viglietti fut emprisonn Madrid parce quÕil avait t franc-maon et ses dessins raliss dans les prisons de Porlier et de Carabanchel ont rcemment t exposs Madrid.96 Au moins jusquÕ la fin de la Deuxime Guerre Mondiale, lÕisolement et la censure des artistes rsidant en Espagne est extrme. Mais au-del de cette priode noire et alors que le rgime amorce le virage de lÕouverture et de la ÒnormalisationÓ, quelques jeunes artistes commencent sÕaffranchir du carcan acadmique. Ainsi, entre 1945 et 1950, des collectifs voient le jour en marge des institutions officielles. En 1947, les Valenciens Manuel Gil (1925-1952) et Jos Vento (1925) parviennent fdrer autour dÕeux un petit groupe compos de huit lves de lÕcole des Beaux-Arts de San Carlos dsireux de se dmarquer du modle enseign.97 Ils forment ensemble le groupe Z qui se fait connatre en novembre de la mme anne en organisant une exposition commune dans la librairie Faus, Valence. Une initiative semblable voit le jour la mme anne Saragosse. Autour de lÕarchitecte Santiago Lagunas (1912-1995), un petit groupe dÕartistes se retrouve dans la librairie Prtico afin de se tenir informs des dernires tendances artistiques. Ce groupe, auquel appartient le peintre Fermn Aguayo (1926-1977), expose la galerie Bucholz de Madrid avant de se sparer en 1950. En Catalogne, le collectif avant-gardiste Dau al Set Ð la septime face du d Ð, dont font partie les peintres Joan Josep Tharrats (1918-2001), Antoni Tpies (1923-2012), Modest Cuixart (1925-2007) et Joan Pon (1927-1984), voit le jour en 1948. En mme temps, Santander, le collectif lÕcole dÕAltamira dont font partie Willi Baumeister (1889-1955) et Pancho Cosso (1898-1970), revendique 96. 97. Patricia Ortega Dolz, ÒEl artista cautivoÓ, El Pas, Madrid, 22/06/2008. M. Muoz Ibez, La pinturaÉ, page 107-116. IV. Sorolla et le rgime franquiste : 1939-1974 230 lÕhritage des peintures rupestres du site prhistorique quÕil considre comme leur manifeste. Ces artistes partagent au moins trois points communs : ils ont une vingtaine dÕannes environ, rejettent lÕenseignement de la peinture tel quÕil est dispens dans les structures officielles et cherchent rester en contact avec lÕart pratiqu hors des frontires du pays. Ë la fin des annes quarante, le rgime sÕemploie changer son image lÕtranger afin de rtablir des relations diplomatiques cordiales avec le reste du monde. En juillet 1946, lÕambassadeur dÕEspagne au Vatican, Joaqun RuizGimnez (1913-2009), reprsente son pays lors du XIXme rassemblement des jeunesses catholiques, Pax Romana, qui se tient San Lorenzo del Escorial. Ce colloque dbouche sur la cration dÕune fondation destine renforcer les relations culturelles entre les pays ibro-amricains. LÕtat franquiste lÕintgre ensuite son appareil en faisant de lÕInstitut de Culture Hispanique une institution officielle part entire. En 1951, Ruiz-Gimnez est nomm ministre de lÕducation Nationale et prsident de cet Institut. Pour faire exister lÕhispanit et orienter la politique culturelle du pays en direction de lÕouverture et du cosmopolitisme, lÕInstitut de Culture Hispanique sÕemploie dvelopper les changes avec le continent amricain en finanant, notamment, un programme ditorial scientifique et des bourses universitaires. En 1951, lÕInstitut organise la Ire Biennale hispano-amricaine. LÕexposition comprend quatre sections : architecture, sculpture, peinture et dessin / gravure. Mille trois cents Ïuvres en provenance de quinze pays trangers sont exposes : Argentine, Chili, Colombie, Cuba, quateur, tats-Unis, Honduras, Nicaragua, Panama, Paraguay, Prou, Philippines, Rpublique dominicaine, Salvador et Venezuela. La Biennale est inaugure par le chef de lÕtat le 12 octobre, fte nationale et jour de lÕHispanit. JusquÕau 28 fvrier de lÕanne suivante, Madrid accueille des ralisations non figuratives qui sont toutes englobes, par la critique espagnole, sous le terme gnrique et vague dÕabstraction. Pour dissimuler au monde le repli artistique de lÕEspagne, lÕexposition doit donner lÕillusion que le pays nÕest pas hostile aux nouveaux courants picturaux. Pour cette raison, lÕInstitut de Culture Hispanique expose les avant-gardes trangres et, pour reprsenter lÕEspagne, invite les collectifs avant-gardistes Dau al Set, Prtico, lÕcole dÕAltamira, etc. ainsi que le IV. Sorolla et le rgime franquiste : 1939-1974 231 Catalan Salvador Dal (1904-1989), dont lÕÏuvre est dj reconnue en Europe et aux tats-Unis.98 Dans la presse phalangiste, les intentions du rgime ne sont pas toujours comprises ni partages. Par exemple, Dgame sÕindigne de voir dferler Madrid une telle vague de nouveauts cot des classiques et imagine un dialogue improbable entre des personnages peints : Doa Juana la Loca se ha apartado un momento del fretro que encierra los restos de su real esposo para preguntar a los judos expulsados, a los nios de la playa al jovencito don Juan de Austria y a las hijas del Cid qu locura es esta. [É] Don Francisco, don Emilio, don Joaqun, etctera, sabrn perdonar. Son aires nuevos los que nos llegan. Y ya tendremos cuidado de evitar las corrientes.99 Il faut reconnatre dans ce passage cinq tableaux biens connus conservs dans les collections du Muse du Prado : Doa Juana la Loca de Francisco Pradilla, Expulsin de los judos de Espaa dÕEmilio Sala, Chicos en la playa de Sorolla, Don Juan de Austria dÕEduardo Rosales (1836-1873) et Las Hijas del Cid de Discoro Puebla (1831-1901).100 Selon le journaliste, les peintres espagnols doivent se tenir lÕcart de toute influence trangre. Ce qui vient de lÕextrieur est jug pernicieux, commencer par le libralisme hrit de la Rvolution franaise. Les observateurs les plus ractionnaires martlent lÕide que lÕart national a chapp la dcadence et les commentaires les plus absurdes fusent pour dfendre les orientations esthtiques prnes par les institutions officielles. Mais, au mme moment, les voix divergentes de quelques jeunes artistes sÕlvent dans lÕespace mdiatique. Dans les colonnes du journal Ayer, un peintre form Sville entre 1941 et 1946, Francisco Moreno Galvn (1925-1999), dclare sans dtour que les coles des Beaux-Arts ne rendent pas service lÕartiste et que lÕon 98. 99. 100. Jos Guillot Carratal, ÒLa I Bienal Hispano-americana de ArteÓ, La Gaceta Regional, Salamanque, 18/10/1951. R. de G. ÒPerdn, MaestrosÓ, Dgame, Madrid, 16/10/1951. Ç Jeanne la Folle sÕest carte un moment du cerceuil contenant les restes de son poux royal pour demander aux juifs expulss, aux enfants de la plage, au jeune don Juan dÕAutriche ainsi quÕaux filles du Cid, quelle est donc cette folie. [É] Don Francisco, don Emilio, don Joaqun et c¾tera sauront pardonner. Ce sont des vents nouveaux qui soufflent jusquÕici. Et nous prendrons soin dÕviter les courants. È Ë Madrid, Muse National du Prado : Francisco Pradilla, Doa Juana la Loca, 300x500, 1878. Emilio Sala, Expulsin de los judos de Espaa, 313x281, 1889. Joaqun Sorolla, Chicos en la playa, 118x185, 1910. Eduardo Rosales, Don Juan de Austria, 76Õ5x123Õ5, 1869 et Discoro Tefilo Puebla, Las Hijas del Cid, 232x308, 1879. IV. Sorolla et le rgime franquiste : 1939-1974 232 y respire un air dprimant.101 Il ne cache pas son admiration pour Pablo Ruiz Picasso (1881-1973), quÕil considre comme un chef de file en exil alors mme que, auprs de la droite catholique, ce dernier fait figure de dmon. Pour un journaliste dÕExtremadura, Picasso est investi dÕune mission funeste consistant dtruire le spirituel dans lÕart. Puisque lÕEspagne a dclar le communisme hors la loi, le journaliste propose dÕinterdire la libert artistique afin de prserver les jeunes du venin de la modernit.102 Le peintre qui vit en France a sign le manifeste anti-Biennale des artistes espagnols et hispano-amricains rsidant Paris. Des contre-biennales sont mme organises Paris, Mexico et Caracas.103 La Biennale met en vidence une fracture qui est peut tre moins idologique que gnrationelle. En effet, La Verdad publie un article intitul ÒLa Bienal y los pintores clasicistasÓ, dans lequel le journaliste sollicite lÕopinion dÕun jeune peintre de la Phalange. Pour un certain Gregorio Cebrin, les artistes espagnols doivent tre en contact avec lÕtranger et il juge lÕisolement comme un acte suicidaire ! 104 JusquÕ la transition dmocratique, deux visions du systme des Beaux-Arts sÕopposent, lÕune ultra-conservatrice, dont le modle est toujours la peinture naturaliste, et lÕautre ÒmodrmentÓ progressiste, convaincue que cette tape doit tre dpasse. Comme par le pass, Sorolla sert de porte-tendard aux premiers, ainsi quÕon va le voir maintenant. LÕhistorien dÕart Bernardino de Pantorba (1896-1990) est aussi un peintre qui appartient la gnration des derniers disciples de Sorolla. On peut souligner quÕil est le neveu des frres Jimnez Aranda que le Valencien avait trs bien connus. Selon lui, seule une deuxime vague de ÒsorollismeÓ est susceptible de prserver le pays de lÕinfluence venue dÕailleurs. Il idalise le rle que le Valencien a jou auprs de la jeunesse et le rapporte, comme ici, avec des accents la fois mystiques et militaires comme sÕil eut t jadis un ÒguideÓ : Ç Llega por consiguiente lo que se ha llamado Òla poca del sorollismoÓ. Sorolla, el renovador, conduce a su legin por el camino sano y luminoso. [É] A su alrededor se forman muchos; por librarse de quien as manda y sujeta, otros se 101. 102. 103. 104. J.M.C., ÒLa joven pintura espaola en la BienalÓ, Ayer, Jan, 21/10/1951. Francisco Mirn, ÒModernismo pernicioso en la pinturaÓ, Extremadura, Cceres, 10/02/1955. Francisco Javier çlvaro Oa, ÒLa I Bienal Hispanoamericana de 1951. Paradigma y contradiccin de la poltica artstica franquistaÓ in www.ahist.con.org. Antonio Oliver, ÒLa Bienal y los pintores clasicistasÓ, La Verdad, Murcie, 8/09/1951. IV. Sorolla et le rgime franquiste : 1939-1974 233 aventuran por el campo opuesto. È105 Bernardino de Pantorba ralise un travail de fond car il a accs aux archives familiales. Tous ses livres sont trs bien documents et cÕest la raison pour laquelle ils feront longtemps autorit. Il signe dÕailleurs lÕarticle consacr au peintre lÕintrieur de lÕEncyclopdie EspasaCalpe. Vingt-quatre tableaux y sont reproduits, dont un en couleur. Quant sa vision de Sorolla, elle est minemment nationaliste et traditionelle.106 Un des critiques les plus conservateurs du moment est Jos Guillot Carratal (inc.-inc.). Il est la fois journaliste et historien dÕart. En tant que spcialiste des productions artisanales nationales, il publie des ouvrages sur le verre, la cramique, la tapisserie et lÕventail. Il signera en 1967 une courte biographie du Valencien, sans grand intrt puisquÕil sÕagit dÕun pot pourri dÕempreints divers plutt quÕune tude nouvelle.107 Aprs avoir parcouru les diffrents sites de la Biennale, il ne dissimule pas son malaise face aux Avant-gardes espagnoles mais il affirme ensuite que quelques peintres acadmiques venus du continent amricain ont lÕenvergure dÕun Sorolla.108 Sous le franquisme lÕcriture de la vie de Sorolla reste dÕabord la chasse garde de la critique conservatrice puis les choses changent dans les annes soixante et soixante-dix. Mme si Pantorba est une sorte de Òbiographe officielÓ et que Guillot Carratal publie un opuscule, des critiques plus ÒpondrsÓ tels que Enrique Lafuente Ferrari, Vicente Aguilera Cerni (19202005) et Joaqun de la Puente (1925-2001) adoptent une approche plus esthtique de son Ïuvre en sÕattachant la mettre en lien avec les courants picturaux de son poque.109 Dans lÕEspagne de Franco, aucun artiste dsireux dÕinnover ne sÕidentifie lÕÏuvre de Sorolla. LÕadolescence des jeunes Espagnols a t interrompue par la guerre civile et ils nÕont ensuite connu que la dictature. Dans ces conditions, la peinture dÕaprs-guerre est logiquement grave et empreinte de noirceur. Ç Lo de 105. 106. 107. 108. 109. Bernardino de Pantorba, Gua del Museo Sorolla, Madrid, Grficas Nebrija, 1951, page 18. Ç Ce que lÕon a appel ÒlÕpoque du sorollismeÓ arrive alors. Sorolla, le rnovateur, conduit sa lgion sur le chemin sain et lumineux. [É] Autour de lui beaucoup se rassemblent ; voulant se soustraire lÕautorit de celui qui commande ainsi, dÕautres sÕaventurent dans le camps adverse. È Enciclopedia universal ilustrada europeo-americana, Madrid, Espasa-Calpe, 1958, pages 568-576. Jos Guillot Carratal, El pincel deslumbrador, Plasencia, Snchez Rodrigo, 1967. Jos Guillot Carratal, ÒLa I BienalÉÓ. Joaqun de la Puente, Joaqun Sorolla, Buenos Aires, Codex, 1964. Enrique Lafuente Ferrari, Conmemoracin de Sorolla: disertacin leda en el acto inaugural del curso el da 15 de octubre de 1963, Madrid, Ministerio de Educacin Nacional, 1963 et Vicente Aguilera Cerni, Dibujos de J. Sorolla, Ibrico europea de ediciones, 1973. IV. Sorolla et le rgime franquiste : 1939-1974 234 Valencia ya ha pasado È Ð que lÕon pourrait traduire par : Ç LÕcole de Valence, cÕest du pass È Ð affirme Daniel Vzquez Daz pour signifier que la peinture lumineuse ne dans cette ville nÕa plus de raison dÕtre dans les annes cinquante.110 Pour sÕen dmarquer assez nettement, les membres du groupe Z, Manolo Gil Prez (1925-1957) et ses camarades Jos Vento (1925-2005), Jacinta Gil (1917), Custodio Marco (1925-2003), Manuel Benet (inc.-inc.), Ricardo Zamorano (1930), Federico Montaana (1928-2006) et Carmen Prez Giner (inc.inc.), cultivent une esthtique sombre inspire de lÕÏuvre du matre hollandais Rembrandt (1606-1669). Manolo Gil Prez est visiblement cÏur par la peinture de Sorolla et il sÕen explique au cours dÕun entretien dans lequel il affirme que le professeur Salvador Tuset lÕa jadis oblig copier le peintre de la lumire durant une anne entire pour obtenir la validation de son cursus !111 Ë dfaut des tableaux vritables, lÕlve avait copi de simples lithographies comme le confirment plusieurs tmoignages. Dans Informaciones, un peintre anonyme voque Ç la prodigada reproduccin litogrfica de la obra sorollana, que tan mal le refleja. È112 En 1953, un journaliste voit dans lÕusage de ces reproductions un dfaut majeur de lÕenseignement dispens Valence : Ç Desgraciadamente, los jvenes pintores no disfrutan de las enseanzas vivas, prendidas en sus lienzos, de quien es ya un clsico de la pintura espaola. [É] debemos llegar con mayor frecuencia a los originales pictricos ms valiosos, pues de ver sus reproducciones litogrficas al uso se nos familiarizan rebajados. È113 Malheureusement ces lithographies si prcieuses pour une plus juste connaissance du ÒsorollismeÓ ne figurent pas dans les archives historiques de lÕAcadmie de San Carlos, si bien que demeurent de nombreuses questions concernant le choix des Ïuvres 110. 111. 112. 113. Jos Guillot Carratal, ÒLa exposicin de Ç Jardines de Sorolla È ha tenido un gran xito de pblicoÓ, Las Provincias, Valence, 7/10/1958. Adolfo de Azcrraga, ÒSorollismo y Antisorollismo. Con posdata sobre un monumento inexcusableÓ, Las Provincias, Valence, 16/05/1975. D.S., ÒSorolla, ahora y siempreÓ, Informacin, Alicante, 11/09/1953. Ç lÕabondante reproduction lithographique de lÕÏuvre sorollienne, qui le reflte si mal. È Jos Ombuena, ÒLos restos de Sorolla reciben sepultura definitivaÓ, Madrid, Madrid, 9/09/1953. Ç Malheureusement, les jeunes peintres ne profitent pas des enseignements vivants, accrochs sur les toiles de celui qui est dj un classique de la peinture espagnole. [É] Nous devons aller plus frquemment aux originaux picturaux les plus prcieux, car force de voir ses reproductions lithographiques, on se familiarise avec une Ïuvre dprcie. È IV. Sorolla et le rgime franquiste : 1939-1974 235 reproduites, ou encore la qualit, le format, le lieu et la maison dÕdition de ces documents.114 En 1955, des peintres anti-acadmiques sont rcompenss au terme de la IIIme Biennale hispano-amricaine. Pour un journaliste de Hoy, lÕexposition va plonger le public dans la confusion car la rupture avec la priode coule lui semble trop brutale.115 Le journal catalan La Vanguardia sÕindigne des prfrences du jury, comme le montre ce passage : Ç Consumatum est. Ya se han fallado los premios de la III Bienal Hispanoamericana de Arte. Vencieron los no figurativos. È116 LÕun de ses membres, Enrique Lafuente Ferrari (1898-1985), est interrog par le journal. Le directeur du Muse dÕArt Moderne dfend les nouvelles tendances artistiques et rejette lÕaccusation selon laquelle la politique du rgime aurait pes sur la dcision de remettre un Grand Prix au peintre quatorien Oswaldo Guayasamin (1919-1999). Or lÕtat finance le concours et ce choix valide au moins deux objectifs de lÕInstitut de Culture Hispanique cÕest--dire la promotion de lÕhispanit et la mise en pratique dÕune certaine ouverture dÕesprit, au moins de faade. DÕailleurs, les peintres acadmiques ont dsert le concours, convaincus quÕils taient quÕils nÕavaient aucune chance dÕy briller. Il faut rappeler quÕil y a alors un dcalage trs net entre la tolrance prne par la Biennale et dÕautres expositions sans envergure internationale. LÕexemple de la centennale de 1956 le dmontre assez bien.117 En effet, pour commmorer le centenaire de lÕExposition Nationale, la Direction Gnrale des Beaux-Arts runit dans les salles du Casn del Buen Retiro prs de cinq cents tableaux prsents au concours depuis sa cration. Deux cent peintres sont reprsents et six dÕentre eux, Eduardo Rosales, Mariano Fortuny, Ignacio Zuloaga, Jos Mara Sert (18741945), Jos Gutirrez Solana et Joaqun Sorolla figurent dans des salles individuelles.118 Mais au mpris de toute logique, lÕexposition centennale carte les artistes vivants ! Cette clbration cense fter un sicle complet est, dans les 114. 115. 116. 117. 118. çngela Aldea Hernndez, El Archivo Histrico de la Real Academia de Bellas Artes de San Carlos y sus fondos documentales, Valence, Real Academia de Bellas Artes de San Carlos, 2007. Arturo Gazul, ÒDe la pintura realista a la abstractaÓ, Hoy, Badajoz, 28/04/1955. Del Arco, ÒEnrique Lafuente FerrariÓ, La Vanguardia, Barcelone, 16/12/1955. Ç Consumatum est. Les jurs de la IIIe Biennale Hispanoamricaine dÕArt se sont tromps. Les non figuratifs ont gagn. È Anonyme, ÒTemporada de pinturasÓ, La Vanguardia, Barcelone, 9/11/1956. Anonyme, ÒInauguracin por el jefe del Estado de la exposicin antolgica de artistas fallecidosÓ, ABC, Madrid, 30/11/1956. IV. Sorolla et le rgime franquiste : 1939-1974 236 faits, une rtrospective de la deuxime moiti du XIXme sicle de Federico de Madrazo, en passant par Eduardo Rosales, Domingo Marqus, Mariano Fortuny et jusquÕ Sorolla, Zuloaga, Solana, etc. En octobre 1958, lÕexposition 46 jardines de Sorolla, installe dans le salon Goya du Cercle des Beaux-Arts de Madrid, ctoie une exposition de lÕcole de Madrid, un groupe htroclite constitu de peintres en contact avec les courants trangers dont font partie Daniel Vzquez Daz (1882-1969) et Rafael Zabaleta (1907-1960).119 La cohabitation entre ces peintres et les jardins de Sorolla offre un nouveau motif de polmiques. Jos Guillot Carratal estime que les tableaux du Valencien vont donner une leon dÕthique professionnelle cette jeunesse Òfolle et gareÓ : Era muy natural que ahora los jardines que pintara el maestro Sorolla, presentados en el Crculo, dieran ejemplo de honradez profesional a toda esa juventud loca y descarriada que, con sus atesmos y deformaciones pictricas, desea descubrirnos una naturaleza nueva y renovada a su gusto.120 Ë lÕinverse, Manuel Snchez-Camargo y voit le grand ventail de la peinture espagnole qui sÕtend, selon lui, de Sorolla jusquÕ Picasso. Ë la fin des annes cinquante, le prestige international de lÕauteur des Demoiselles dÕAvignon et de Guernica est tel que seuls les esprits les plus orthodoxes lui sont encore hostiles. Snchez-Camargo salue les succs artistiques de lÕEspagne la Biennale de Venise en les comparant lÕhgmonie sur le football continental du club Real de Madrid qui vient de gagner sa quatrime Coupe dÕEurope conscutive.121 En 1960, le Cercle des Beaux-Arts de Madrid rassemble dix tableaux de Sorolla dans une de ses salles et, cette occasion, Guillot Carratal prononce une confrence 119. 120. 121. Sorolla en el Crculo de Bellas Artes. 46 jardines de Sorolla, Madrid, Crculo de Bellas Artes, 1958. Jos Guillot Carratal, ÒLa exposicin de Ç Jardines de Sorolla È ha tenido un gran xito de pblicoÓ, Las Provincias, Valence, 7/10/1958. Ç Il est tout naturel que les jardins peints par le matre Sorolla offrent aujourdÕhui une leon de probit professionnelle toute cette jeunesse folle et gare qui, avec ses dformations et ses blasphmes picturaux, dsire nous rvler une nature nouvelle et rnove son got. È Manuel Snchez-Camargo, ÒJardines de SorollaÓ, La Nueva Espaa, Oviedo, 15/10/1958. IV. Sorolla et le rgime franquiste : 1939-1974 237 remarque dans laquelle il oppose le Valencien aux peintres ÒabstraitsÓ quÕil qualifie ÒdÕanarchistes de lÕartÓ.122 Aprs cela, Sorolla sort momentanment de lÕactualit artistique pour mieux y revenir puisque le centenaire de sa naissance approche. LÕanne 1963 a pour effet de replacer lÕÏuvre du Valencien au cÏur des dbats entre les partisans de telle ou telle orientation esthtique. Un journaliste affirme dans les colonnes de la revue Luna y Sol : Ç Otro Sorolla nos hubiera evitado la confusin presente. È123 en franais : Ç Un autre Sorolla nous aurait vit la confusion actuelle. È Toutefois, et malgr les frictions entre Òpro-Ó et Òanti-Ó, lÕexposition est, pour Enrique Lafuente Ferrari, le point de dpart dÕune rconciliation, car il estime que le peintre fait enfin lÕunanimit.124 Un tel renversement est probablement impossible dans un dlai aussi court ; toutefois, comme lÕÏuvre du Valencien se trouve pour la premire fois dvoile dans un chantillon assez vaste pour que chacun puisse en prendre la juste mesure, quelques jeunes artistes commencent porter un autre regard sur la peinture quÕils dcouvrent. Le pote Jos Hierro del Real (1922-2002) constate alors que les tableaux quÕil a devant lui nÕont rien voir ni avec la peinture des ÒsorollistesÓ ni avec les lithographies quÕil connat. Il en conoit une plus grande animosit pour ces peintres en estimant quÕils ont masqu la jeunesse la vritable essence de sa peinture et livre cet intressant tmoignage au journal El Alczar : Los viejos seguidores del pintor opinaban que nada se haba hecho antes ni despus que pudiese ser comparable. Los jvenes, entre los que entonces me contaba, abominbamos de aquella pintura. Fue ms tarde, y lejos cuando empec a comprender y a gustar la obra de Sorolla. A pesar de sus enormes defectos, de una esttica fuera de circulacin, a pesar del sorollismo de sus imitadores malos, supe ver entonces el gran pintor.125 122. 123. 124. 125. Anonyme, ÒGuillot Carratal diserta en Valencia sobre la exposicin de Joaqun SorollaÓ, En Pie, Madrid, 1960 et anonyme, ÒExposicin homenaje a Sorolla en el Crculo de Bellas ArtesÓ, Levante, Valence, 10/04/1960. Luis Gil Fillol, ÒSorolla, hoyÓ, Luna y Sol, Madrid, 02/1963. Anonyme, ÒSorolla fue un pintor de aire libre y gran genio creadorÓ, La Verdad, Murcie, 2/02/1964. Jos Hierro del Real, ÒCrnica de Arte. SorollaÓ, El Alczar, Madrid, 10/04/1963. Ç Les vieux disciples du peintre estimaient que rien de comparable nÕavait t fait ni avant, ni aprs lui. Les jeunes, dont je faisais alors partie, avions cette peinture en horreur. Ce fut plus tard et avec de la distance que je commenai comprendre et apprcier la peinture de Sorolla. Malgr ses normes dfauts, son esthtique dpasse, malgr le sorollisme de ses mauvais imitateurs, je sus voir alors le grand peintre. È IV. Sorolla et le rgime franquiste : 1939-1974 238 Le ÒsorollismeÓ rhabilit par le franquisme est nouveau la cible dÕattaques trs dures partir de 1963. Les derniers disciples forms dans lÕatelier du matre sont morts dans les annes cinquante : Tuset en 1951, Pons-Arnau en 1953, Ma en 1955, avec toutefois une exception puisque Benedito disparat seulement en 1963. Comme Jos Hierro del Real, le peintre Arturo Zabala (inc.-inc.) sÕattache dissocier lÕÏuvre de Sorolla du ÒsorollismeÓ, une diffrence dsormais indispensable ses yeux.126 Aprs avoir parcouru les salles du Muse du Prado, le peintre valencien Joaqun Michavila (1926) affirme avoir t impressionn en tant que spectateur, mais quÕen tant que peintre, il ajoute ne pas pouvoir tre intress par la technique du Valencien.127 Pour les plus jeunes peintres, qui en 1963 ne sont encore que des lves des coles dÕart, cÕest--dire pour la gnration ne dans les annes quarante, le rapport Sorolla est plus apais. Leurs tmoignages attestent une curiosit nouvelle alors mme que la gnration prcdente lui tait, au mieux, indiffrente. Pour les Valenciens Manolo Valds (1942) et Rafael Solbes (1940-1981), lÕÏuvre de Sorolla avait aussi fait partie de lÕenseignement quÕils avaient reu lÕcole des Beaux-Arts de San Carlos : [É] durante los aos de la Escuela de Bellas Artes, siempre cuestionbamos a Sorolla, no sabamos bien si era por la defensa que los profesores hacan o por el desconocimiento que tenamos de su obra. Con el paso del tiempo, aprendimos a reconocer sus cualidades.128 Avant la fin du franquisme, une autre approche de Sorolla voit le jour dans une Ïuvre hommage des artistes pop Equipo Crnica. La formation du collectif valencien remonte 1965. Manolo Valds (1942), Rafael Solbes (1940-1981) et Joan-Antoni Toledo (1940) participent ensemble au XVIe Salon de la Jeune Peinture, Paris, sous le nom Equipo Crnica mais ils y prsentent leurs Ïuvres sparment. Toledo quitte le groupe et le duo poursuit sous le mme nom. Equipo 126. 127. 128. Pons Santiago, ÒCuatro opiniones sobre SorollaÓ, Levante, Valence, 23/02/1963. Ibidem. Manolo Valds, ÒSorolla como pretextoÓ in Cuadernos del IVAM 02, Valence, IVAM, 2004, page 18-19. Ç [É] Durant nos annes lÕcole des Beaux-Arts, nous discutions toujours lÕart de Sorolla, sans bien savoir si cÕtait cause de lÕadmiration excessive des professeurs ou cause de notre mconnaissance de son Ïuvre. Au fil du temps, nous avons appris reconnatre ses qualits. È IV. Sorolla et le rgime franquiste : 1939-1974 239 Crnica labore une Ïuvre innovante inspire des artistes pop amricains Roy Lichtenstein (1923-1997), Robert Rauschenberg (1925-2008), Andy Warhol (1928-1987), et Jasper Johns (1930). Le groupe cesse dÕexister en 1981, lÕanne de la mort de Rafael Solbes. LÕInstitut Valencien dÕArt Moderne publiera un catalogue raisonn de leur Ïuvre, exactement vingt ans plus tard.129 En 1971-1972, Equipo Crnica explore deux thmes, la violence et la mort, comme deux symboles de la dictature. Ils choisissent pour motifs les mouvements de foule, la rpression policire, lÕaccident, le duel, etc. En 1972-1973, la srie ÒPortraits, nature-mortes et paysagesÓ marque un retour vers la tradition picturale espagnole sous la forme de citations et de dtournements. Ils explorent la peinture religieuse du Sicle dÕOr, le portrait royal, lÕÏuvre de Jos Ribera mais aussi les chef-dÕÏuvres de Goya et de Gutirrez Solana. En 1973, la srie Òprofessions et professionnelsÓ est celle de lÕautoportrait collectif puis, partir de 1974, ces artistes de Valence rinventent quelques chefs-dÕÏuvre de lÕart comme lÕavaient fait avant eux Pablo Picasso, Marcel Duchamp (1887-1968) ou encore Francis Bacon (1909-1992). Sorolla lui-mme assimilait et citait les matres, en particulier Diego Vlasquez. La rcente exposition du Grand Palais, Picasso et les matres a explor cette question rsume dans une courte citation de lÕartiste : Ç Ce sont nous, les peintres, les vrais hritiers, ceux qui continuent peindre. Nous sommes les hritiers de Rembrandt, Vlasquez, Czanne, Matisse. Un peintre a toujours un pre et une mre, il ne sort pas du nantÉ È130 Valds et Solbes imaginent, par exemple, leurs propres versions de Garrote Vil et de La carga de Ramn Casas quÕils intitulent Arroyo y Casas en la plaza et Ver y or.131 Ë lÕintrieur de cette srie, Sorolla como pretexto est une triple dclinaison du tableau El balandrito.132 Ë travers cette Ïuvre, ils revendiquent pour la premire fois lÕhritage du peintre de la mer. Depuis 2004, lÕÏuvre fait partie des collections de lÕIVAM et est expose parmi lÕaccrochage permanent. De faon consciente ou non, les artistes choisissent une image de lÕEspagne franquiste puisque le tableau a t reproduit des miliers dÕexemplaires sur une affiche 129. 130. 131. 132. Michle Dalmace (dir.), Equipo Crnica, Valence, IVAM, 2001, page 8. Anne Baldassari, ÒLa peinture de la peintureÓ in Picasso et les matres, Paris, RMN, 2008, pages 21-35. Ramn Casas, La Carga, 298x470Õ5, Barcelone, Muse National dÕArt de Catalogne, 1902 et Garrote vil, 127x166, Madrid, Muse Reina Sofa, 1894. Equipo Crnica, Arroyo y Casas en la plaza, 114x146, Valence, collection particulire et Ver y or, 140x110, Valence, collection particulire. Figure n¡23. Sorolla como pretexto (1974). IV. Sorolla et le rgime franquiste : 1939-1974 240 touristique de 1961. Dans lÕensemble de leur production de cette poque, le tryptique tranche avec la noirceur dominante.133 Pour comprendre son irruption dans leur Ïuvre, il faut en rappeler le point de dpart. Comme lÕa expliqu Manolo Valds en 2004, Sorolla como pretexto est n dÕun concours de circonstances : Algunos sbados solamos ir a un restaurante de la Malvarrosa. Un da estbamos Rafael Solbes y yo hablando de pintura y alguien que nos estaba escuchando dijo que cuando era nio vea a Sorolla pintando del natural en esa playa. Recordaba haber visto a Sorolla con un caballete que montaba all mismo y le haba visto protegerse del sol con un sombrero y la paleta con su cuerpo, porque no le gustaba que la arena se pegara a los colores. Tambin deca que protegerse de los nios era difcil. [É] All mismo empezamos a repasar sus cuadros hasta que encontramos el que nos pareca que haba sido pintado en ese lugar. Se trataba del cuadro en el que un nio juega con un barquito de vela.134 Ë lÕinverse du ÒsorollismeÓ, le duo nÕessaie pas dÕimiter la facture du tableau mais plutt de la dtourner jusquÕ en inverser les codes. Alors que la peinture du matre repose sur la nuance, ils dcident de rduire la palette quelques couleurs pures : bleu, jaune, orange, rouge, marron et vert. La peinture acrylique est applique de telle sorte quÕelle rappelle un coloriage dÕenfant, une technique qui convient cette scne de jeu et peut aussi voquer la facilit et lÕintuitivit du matre. Le tableau est ensuite complt par une deuxime version dans laquelle Valds et Solbes transforment les touches de couleur en formes gomtriques anguleuses, trs graphiques. Ils conservent le principe dÕune palette contenue, sans nuance. Ce traitement met clairement en vidence la prfrence du matre pour la ligne oblique, qui apporte plus de dynamisme la composition, par exemple en acclrant la perspective. Enfin, la troisime partie du triptyque tabli, 133. 134. El balandrito, 100x110, Madrid, Museo Sorolla, 1909 et Equipo Crnica, Sorolla como pretexto, 363x288, Valence, IVAM, 1974. Manolo Valds, ÒSorolla comoÉÓ page 18-19. Ç Certains samedi, nous avions lÕhabitude dÕaller manger dans un restaurant de la plage de la Malvarrosa. Un jour, Rafael Solbes et moi tions en train de parler de peinture, et quelquÕun qui nous coutait rapporta que quand il tait enfant, il voyait Sorolla peindre sur le motif sur cette plage. Il se souvenait lÕavoir vu avec un chevalet quÕil plantait ici mme et il se rappelait lÕavoir vu se prmunir du soleil avec un chapeau et protger la palette avec son corps car il nÕaimait pas que le sable se mlange ses couleurs. Il disait aussi que se protger des enfants lui tait difficile. [É] Dans le restaurant, nous avons commenc nous remmmorer ses tableaux jusquÕ ce que nous trouvassions celui qui nous semblait avoir t peint cet endroit. Il sÕagissait dÕun tableau dans lequel un garon joue avec petit bateau voile. È IV. Sorolla et le rgime franquiste : 1939-1974 241 la manire dÕun collage, un lien entre la scne de jeu, la plage de Valence et le dbut du XXme sicle. Sur un fond reprsentant un plan du quartier et de la plage de La Malvarrosa, ils peignent en Òtrompe lÕÏilÓ une photographie en noir et blanc reprsentant trois enfants ocups jouer dans le sable, semblables ceux que Sorolla couchaient sur la toile lorsquÕil plantait son chevalet sur cette plage. En simplifiant au maximum tel ou tel aspect de la ÒmanireÓ du matre, la triple dclinaison pop du tableau El balandrito fait apparatre la modernit de sa composition plongeante, trs photographique. Dpouille de sa touche ample, de ses nuances subtiles et de ses effets lumineux, lÕÏuvre revue et corrige montre quel point Sorolla domine les proportions, lÕquilibre des formes et des couleurs, le rapport de lÕobjet et du corps lÕespace, etc. Toutes ces questions plastiques fondamentales restent des questions artistiques ÒactuellesÓ. En 1974, le Valencien peut donc tre lu diffremment travers ce que son Ïuvre a de plus novateur. Ë la manire de Sorolla lui-mme, qui avait puis aux sources des matres du Sicle dÕOr, en particulier de Diego Vlasquez, Equipo Crnica russit mettre jour ce que lÕÏuvre de Sorolla a de plus moderne et de plus compatible avec les annes soixante-dix. Relire ce peintre sous lÕangle de lÕinnovation rappelle les premiers articles dÕun autre Valencien, Vicente Blasco Ibez, qui voyait en lui et sur cette mme plage de la Malvarrosa, le liquidateur de la peinture dÕhistoire et on se souvient quÕil tait all jusquÕ inscrire lÕide mme de renouvellement dans le nom de son personnage : Renovales. Ë travers le tryptique Sorolla como pretexto, cÕest une autre facette qui est mise en vidence, cÕest--dire celle dÕun artiste exprimental, une sorte de peintre-chercheur capable de perfectionner constamment la reprsentation du mme sujet pour atteindre un idal. Le duo dÕartistes isole enfin la peinture de Sorolla de lÕanecdotique et de lÕhistorique, les deux prismes travers lesquels elle a t regarde jusque-l par les exgtes crivant sous la dictature. Signe que la perception du peintre doit ncessairement changer aprs le franquisme, lÕoccasion dÕune exposition de dessins du matre, Joaqun de la Puente estime que, pour reconnatre les qualits de la peinture du matre de Valence, il ne faut plus ncessairement tre conservateur outrance : IV. Sorolla et le rgime franquiste : 1939-1974 242 Por fortuna para Sorolla, y para nosotros quiz tambin, los tiempos han cambiado. La perspectiva cultural es otra. Ya no hace falta sacar las cosas de quicio o ser un conservador a ultranza, para ver y admitir la grandeza de Sorolla.135 Equipo Crnica vient alors de dmontrer quÕil faut dsormais tre mminement moderne pour juger de sa qualit. Un an avant la fin de lÕre franquiste, Sorolla como pretexto annonce dj que la vision du peintre impose sous la dictature est caduque. Dans les annes qui viennent, Sorolla sera moderne ou ne sera pas. 135. Dibujos de Sorolla. Coleccin Pons-Sorolla, Valence, Direccin General de Bellas Artes, 1974, page 9. Ç Par chance pour Sorolla, et pour nous aussi peut-tre, les temps ont chang. La perspective culturelle est diffrente. Il est dsormais inutile de chercher la petite bte ou dÕtre conservateur outrance pour voir et reconnatre la grandeur de Sorolla. È V. Sorolla et lÕEspagne dmocratique : 1975-2009 243 V SOROLLA ET LÕESPAGNE DMOCRATIQUE 1975 - 2009 Nous avons choisi Sorolla como pretexto pour borne de fin de lÕre franquiste car le triptyque pop annonce un nouveau rapport lÕÏuvre de Sorolla. Sa redcouverte sous le jour dÕun peintre innovant et au fait des courants antiacadmiques de son poque viendra beaucoup plus tard, seulement partir des annes quatre-vingt dix. Entre temps, la transition dmocratique est une priode de basse intensit critique qui, dans les faits, ne commence pas en 1975 mais dix ans plus tt, aprs lÕanne anniversaire. Ë partir de l, Sorolla est de moins en moins expos et nÕintresse plus les media. Ë la fin des annes soixante et au dbut des annes soixante-dix, les archives de presse rendent comptent de la lthargie du Muse Sorolla, qui sera mme sur le point de fermer ses portes. Cela semble difficile croire aujourdÕhui tant donn la frquence et lÕimpact mdiatique des vnements qui ont t consacrs au peintre de la mer durant ces quinze dernires annes. Car depuis la rforme du statut juridique du Muse Sorolla, le Valencien est la mode. Sa peinture plat, les expositions temporaires dplacent des foules et, dans les salles des deux plus importantes maisons de ventes aux enchres, SothebyÕs et Christies, ses tableaux changent de mains pour des prix qui se calculent en millions dÕeuros. Entre 2007 et 2009, lÕexpositon Visiones de Espaa connatra un tel engouement populaire quÕune revue nÕhsitera pas parler de ÒsorollamanieÓ. LÕimage de Sorolla gnrera tellement de bnfices que les marques lanceront des produits son effigie et quÕune enseigne commerciale ouvrira mme un point de vente, Madrid. Les muses cherchent aujourdÕhui obtenir et accrocher ses tableaux, cote que cote. En Espagne, la loi interdisant quÕun peintre n avant Pablo Picasso, cÕest--dire avant 1881, ne soit expos dans un muse dÕart contemporain pourrait prochainement tre rvise afin dÕinclure Sorolla dans un chapitre de lÕhistoire de lÕart qui correspondrait aux Òpr-avant-gardesÓ. Ses tableaux pourraient alors tre exposs dans les muses dÕart contemporain. De la rforme V. Sorolla et lÕEspagne dmocratique : 1975-2009 244 de lÕExposition Nationale, en 1901, celle dite de sparation des collections, notre peintre pourrait encore une fois se trouver au cÏur des transformations du systme des Beaux-Arts de son pays. V.1. UNE ÎUVRE TROP ÒMARQUEÓ DANS UNE ESPAGNE EN MUTATION ? Le rgime franquiste a jet un coup de projecteur sur la peinture du Valencien en lÕintgrant sa propagande. Pour cette raison, la diffusion de son Ïuvre sÕest faite selon des modalits et sur des supports trs varis et parfois mme dconcertants. JusquÕen 1964, plusieurs formes dÕutilisation de lÕimage de Sorolla par lÕtat ont cohabites. Ë compter de cette date, la courbe de rpartition des archives de presse du Muse Sorolla fait apparatre une chute vertigineuse. Le nombre dÕarticles passe, en effet, de cinq cent douze en 1963 dix seulement pour lÕanne 1966 ! Ensuite, la courbe frle le zro et nous ne disposons mme plus dÕarchives de presse pour les annes 1968, 1970, 1971, 1976, 1977 et 1983. Par ailleurs, aucune exposition monographique nÕest organise entre 1974 et 1979. La transition dmocratique ne provoque pas de regain dÕintrt mdiatique, et cÕest mme tout le contraire. Pour expliquer un tel coup dÕarrt par rapport la priode coule, nous devrons tenter de comprendre pourquoi le peintre sombre dans un nouvel oubli avant mme la fin du franquisme, cÕest--dire entre 1964 et 1972. Puis, durant la priode de transition dmocratique, 1975-1978, nous tenterons de dterminer dans quelle mesure Sorolla est toujours associ la politique culturelle de la dictature et si cela le condamne une autre mise lÕcart. Ë partir de 1964, lÕintrt des journaux et du public pour le peintre de la lumire retombe. Comment expliquer que, dix avant la mort de Franco, Sorolla sort si brusquement de la vie culturelle du pays ? Pour le comprendre, il faut rappeler, tout dÕabord, quÕune exposition majeure comme celle du centenaire ne peut tre suivie que dÕune accalmie. En effet, il est impossible de remonter un vnement aussi ambitieux sans accrocher encore une fois des peintures qui viennent de lÕtre comme ses tableaux concours El dos de mayo, Trata de blancas, ou encore Comiendo en la barca, qui sont indispensables la V. Sorolla et lÕEspagne dmocratique : 1975-2009 245 comprhension de son parcours de ÒsalonnierÓ.1 Il faut signaler que cette exposition repose uniquement sur des collections espagnoles libres de circulation et que celles-ci ne sont pas ÒextensiblesÓ, cÕest pourquoi la Direction Gnrale des Beaux-Arts laisse sÕcouler un peu de temps aprs lÕAnne Sorolla. Mais cela ne veut pas dire pour autant que le peintre cesse dÕintresser le pouvoir, ainsi que le montrent plusieurs actions. La premire et la plus importante concerne la gestion de la crise du Muse Sorolla, entre 1967 et 1973. Mme si plusieurs vagues de travaux ont t ralises depuis son ouverture, lÕinstitution a insuffisamment rempli sa mission de diffusion et de valorisation des collections quÕelle hberge. Elle nÕa, par exemple, jamais attir assez de visiteurs pour tre rentable. Ses statuts juridiques nÕont pas t rviss et son fonctionnement obit donc toujours des dispositions prises dans les annes trente. Son budget repose encore sur des fonds privs complts par une participation de lÕtat. Celle-ci sÕlve quarante mille pesetas, alors que le muse aurait besoin, selon le petit-fils du peintre Francisco Pons-Sorolla, dÕune somme six fois suprieure.2 Sa sant financire sÕest dgrade progressivement aprs la mort du premier directeur, Joaqun Sorolla y Garca, car il engageait des fonds propres dans le muse. Son neveu Francisco Pons-Sorolla assuma aprs lui la gestion de lÕinstitution mais, la fin des annes cinquante, son budget devint dsormais insuffisant pour garantir un fonctionnement normal, tel point que jusquÕ la surveillance des collections finit par en ptir. En 1960, un portrait du fils, Joaqun en el laboratorio, fut drob avant dÕtre finalement retrouv par la police.3 En juin 1964, le marquis de Lozoya est nomm la tte du Comit de direction du muse pour relancer son activit. Il fait connatre son intention dÕaccrocher par roulement les collections entreposes dans les magasins et propose dÕattirer les touristes valenciens en transformant le muse en une sorte ÒdÕambassade de ValenceÓ Madrid (sic).4 LÕanne suivante, le journal Heraldo de Aragn annonce que la frquentation est en hausse mais quÕelle reste 1. 2. 3. 4. El dos de mayo, 400x580, Madrid, Museo Nacional del Prado, 1884. Trata de blancas, 165x194, Madrid, MS, 1895. Comiendo en la barca, 180x250, Madrid, RABASF, 1898. Ral Torres, ÒSorolla. Un museo con vida a fecha fijaÓ, [?], [?], 1967. Anonyme, ÒRobo de un cuadro de SorollaÓ, Diario de Barcelona, Barcelone, 1/06/1960. Joaqun en el laboratorio,19Õ8x19Õ7, Madrid, Muse Sorolla, 1912. Julio Garca Candau, ÒEl marqus de Lozoya ha sido nombrado presidente del Patronato del Museo SorollaÓ, Las Provincias, Valence, 9/06/1964. V. Sorolla et lÕEspagne dmocratique : 1975-2009 246 insuffisante pour redresser sa situation conomique et elle continue, de fait, se dteriorer.5 Les archives du Muse Sorolla portent la trace de cette crise puisque le dernier abonnement de presse, souscrit auprs de lÕagence Camarasa en 1953, est rsili en 1966. Cela aussi explique que nous disposions de si peu de coupures partir de cette date. Au dbut de lÕanne 1967, un dficit de deux cent mille pesetas grve ses finances. Sa frquentation est insignifiante si lÕon en croit deux journaux diffrents, selon lesquels il nÕenregistre que deux ou six mille visites annuelles.6 Quel que soit le chiffre rel, il est drisoire quand on pense que ce muse accueille aujourdÕhui plus de cent mille visiteurs par an. Le 1er mars 1967, Francisco Pons-Sorolla annonce dans la presse que, sans une intervention de lÕtat, le muse fermera ses portes pour une dure indtermine compter du 31 mars.7 La nouvelle a un large cho mdiatique et est mme le sujet de dessins humoristiques. LÕun dÕentre eux, sign du caricaturiste Dtile, montre deux visiteurs commentant lÕactualit. Un des personnages rclame lÕintervention dÕun nouvel Archer M. Huntington : Ç ÁLstima que no aparezca algn americano que descubra el tesoro artstico que tenemos aqu! È cÕest--dire Ç Quel dommage quÕun Amricain capable de dcouvrir le trsor artistique que nous avons ici ne pointe pas le bout de son nez ! È Un autre dessin prte la parole un autoportrait au chapeau conserv dans une salle du muse. Alors quÕau premier plan les visiteurs lui tournent ostensiblement le dos, le portrait sÕen indigne en ces termes : Ç Podra regalar mis cuadros y todas mis cosas a este extrao pas mo, pero Àlas querr? È8, Ç Je pourrais offrir mes tableaux et tous mes biens cet trange pays qui est le mien, mais en voudra-t-il ? È Le dessinateur Mximo oppose ainsi la gnrosit de la donation ralise dans les annes trente lÕingratitude de lÕEspagne des annes soixante. LÕultimatum de Pons-Sorolla porte ses fruits puisque le ministre de lÕducation prend sa charge les salaires des personnels de surveillance et que le directeur gnral des Beaux-Arts, Gratiniano Nieto Gallo (inc.-1986) augmente la 5. 6. 7. 8. Borau, ÒSorolla en augeÓ, Heraldo de Aragn, Saragosse, 27/06/1965. Ral Torres, ÒSorolla. Un museo con vida a fecha fijaÓ, [?], [?], 1967 et Pedro Crespo, ÒUn museo en trance de asfixia: el SorollaÓ, ABC, Madrid, 29/01/1967. Mayte Mancebo, ÒLa crisis del Museo Sorolla. Tendr que ser cerrado porque su dbito sobrepasa ya las doscientas mil pesetasÓ, Las Provincias, Valence, 1/03/1967. Figures n¡21 et n¡22. Dessins humoristiques sans titre (1967). Mximo (dessin), ÒPodra regalar mis cuadrosÉÓ, Pueblo, Madrid, 11/03/1967 et Dtile (dessin), ÒLstima que no aparezca algn americanoÉÓ, Ya, Madrid, 12/03/1967. V. Sorolla et lÕEspagne dmocratique : 1975-2009 247 participation de lÕtat de cent mille pesetas. Le directeur du Cercle des BeauxArts de Madrid, Joaqun Calvo Sotelo (1905-1993), offre cinquante mille pesetas. Enfin, une socit prive, Constructions Colomina G. Serrano, injecte deux cent cinquante mille pesetas destines la rnovation des locaux.9 Mais ce plan de sauvetage improvis nÕa rien de prenne ; le budget du Muse Sorolla nÕest toujours pas quilibr et cette situation se prolonge durant six ans. Pour le doter des moyens dont il a besoin, lÕtat le fait passer sous la coupe de la Direction Gnrale des Beaux-Arts, le 27 avril 1973. LÕinformation est publie officiellement le 17 juillet suivant, en voici un extrait : [É] A fin de vitalizar al mximo las posibilidades de actuacin cientfica y didctica del Museo Sorolla [É] se estima conveniente proceder a la integracin de dicho Centro en el Patronato Nacional de Museos, lo que sin suponer menoscabo de la participacin de sus actuales rganos de gobierno, reglamentariamente consistuidos, en el funcionamiento del citado Museo, se traducir en una evidente mejora de su actual situacin econmica-fundacional. 10 Un directeur, Jos Gabriel Moya (inc.-inc.), est nomm la place du petitfils qui en assurait jusque-l la gestion si bien que, deux ans avant la mort du dictateur, le Muse Sorolla dispose dÕun nouveau statut et des moyens indispensables la conservation et la valorisation de ses collections. Cette rforme nÕest pas une petite mesure mais une transformation majeure qui est le premier acte de sa ÒnormalisationÓ. Alors quÕil tait gr jusque-l comme une fondation prive, le Muse Sorolla fonctionnera dsormais comme un muse national. Il convient alors de se demander si la mesure nÕest pas aussi dicte par les incertitudes lies lÕavenir politique du pays. En effet, si le Muse Sorolla avait ferm ses portes la fin des annes soixante, ou au dbut des annes soixante-dix, 9. 10. Anonyme, ÒEntrega de un donativo de 250.000 pesetas al patronato del Museo SorollaÓ, ABC, Madrid, 8/10/1967. Boletn Oficial del Estado, n¡170 du 17/07/1973, page 14597. Document consultable en ligne lÕadresse suivante : http://www.boe.es/aeboe/consultas/bases_datos/doc.php?id=BOE-A-1973-983. Ç Dans le but dÕaccrotre au maximum les possibilits dÕactions scientifiques et didactiques du Muse Sorolla [É] on estime quÕil convient de procder lÕintgration de ce Centre lÕintrieur du Commissariat National des Muses ce qui, loin de reprsenter une atteinte la participation de ses actuels organes de direction, lgalement constitus, se traduira par une vidente amlioration de sa situation financire actuelle dont lÕorigine remonte sa fondation. È V. Sorolla et lÕEspagne dmocratique : 1975-2009 248 rien nÕassurait que, aprs la mort de Franco, un autre chef dÕtat lui octroyt les moyens indispensables sa survie. Entre 1972 et 1973, le journal Heraldo de Aragn lance une campagne de promotion du muse travers une srie de dix articles thmatiques sign de lÕhistorien dÕart Julin Gallego.11 Leur publication hebdomadaire sÕchelonne sur une priode de trois mois durant lesquels, la manire dÕun feuilleton, Gallego prsente ses lecteurs un aspect de la vie ou de lÕÏuvre du peintre dans des articles courts et accessibles tous. Mais en 1974, ABC titre encore : ÒLa Casa Museo del pintor Sorolla, descuidada e ignoradaÓ.12 Pour le journal Arriba, tout reste encore faire car lÕinstitution a accumul un retard tellement important quÕelle aura besoin de plusieurs annes pour le combler.13 Pour tmoigner son intrt pour le peintre de la lumire, la Direction Gnrale des Beaux-Arts organise en 1974 une exposition itinrante de dessins tirs de la collection Pons-Sorolla. Elle est prsente dans sept villes : Valence, Sville, Valladolid, Bilbao, Grenade, Barcelone et Madrid. Il sÕagit de la dernire exposition du peintre sous la dictature. Mais elle passe quasiment inaperue probablement parce quÕelle nÕexpose que des dessins. Dans son discours inaugural, le pote Rogelio Buenda (1891-1969) avait dÕailleurs qualifi le dessin dÕÏuvre Òmineure mais importanteÓ (sic).14 Dans le catalogue de lÕexposition, lÕhistorien Joaqun de la Puente rdige un article biographique dans lequel il nÕest question des dessins que dans les deux dernires pages. Par ailleurs, il dplore le manque de reconnaissance dont auraient pti les dessins mais il nÕexplique pas comment ni pourquoi ils permettent une plus juste comprhension de lÕÏuvre de Sorolla ce qui pose la question du sens et de la pertinence de cette exposition : 11. 12. 13. 14. Julin Gallego, ÒEl Museo Sorolla : 1. El pintorÓ, Heraldo de Aragn, Saragosse, 2/11/1972. ÒEl Museo Sorolla : 2. La casaÓ, Heraldo de Aragn, Saragosse, 9/11/1972. ÒEl Museo Sorolla : 3. El jardnÓ, Heraldo de Aragn, Saragosse, 16/11/1972. ÒEl Museo Sorolla : 4. De Valencia a Roma, pasando por MadridÓ, Heraldo de Aragn, Saragosse, 7/12/1972. ÒEl Museo Sorolla : 5. ParsÓ, Heraldo de Aragn, Saragosse, 14/12/1972. ÒEl Museo Sorolla : 6. Sorolla, modernistaÓ, Heraldo de Aragn, Saragosse, 21/12/1972. ÒEl Museo Sorolla : 7. FuturistaÓ, Heraldo de Aragn, Saragosse, 25/12/1972. ÒEl Museo Sorolla : 8. Msica y jardinesÓ, Heraldo de Aragn, Saragosse, 5/01/1973. ÒEl Museo Sorolla : 9. Sorolla y el noventa y ochoÓ, Heraldo de Aragn, Saragosse, 18/01/1973. ÒEl Museo Sorolla : 10. Sorolla y el folkloreÓ, Heraldo de Aragn, Saragosse, 25/01/1973. Ismael Fuente Lafuente, ÒLa Casa Museo del pintor Sorolla, descuidada e ignoradaÓ, ABC, Madrid, 20/01/1974. Ladislao Azcona, ÒEl Museo Sorolla, para superar su crisis actualÓ, Arriba, Madrid, 20/08/1974. Buenda cit par Luis Garca de Vegueta, ÒDibujos de SorollaÓ, Las Provincias, Valence, 23/10/1974. V. Sorolla et lÕEspagne dmocratique : 1975-2009 249 Con cuantos conozco, puedo dar tranquilamente por sentado que suponen algo muy importante y, por ningn concepto, considerable como tarea ÒmenorÓ, a marginar sin escrpulos de ninguna clase.15 Durant toute la priode franquiste, le total des expositions finances par des institutions publiques et prives, sÕlve quinze cÕest--dire douze en Espagne, deux en Argentine et une en Angleterre.16 Des tableaux issus de collections particulires ont t exposs Buenos Aires en 1942 et en 1952. Au gr des crises politiques et conomiques traverses par le pays, la collection argentine a t disperse et il nÕy a aujourdÕhui que deux tableaux du Valencien inscrits au catalogue du Muse National des Beaux-Arts de Buenos Aires.17 Enfin, en 1965, dix tableaux de Sorolla furent prsents ensemble par le marchand Edmund Peel (inc.) dans la ville de Worcestershire. Le 20 novembre 1975, la mort du dictateur marque la fin dÕune re politique. Le successeur dsign, Juan Carlos de Borbn (1938), est proclamm roi deux jours plus tard. Le chef du dernier gouvernement de la dictature, Carlos Arias Navarro (1908-1989), qui a t maintenu son poste par le jeune roi, dmissionne le 1er juillet 1976 et le souverain nomme sa place le Secrtaire Gnral du Mouvement, Adolfo Surez (1932). Ë partir de l et jusquÕen 1981, Surez prend une srie de mesures indispensables la liquidation du franquisme dont font partie la lgalisation des partis, lÕamnistie des prisonniers politiques, la convocation dÕlections dmocratiques, la mise en chantier dÕune nouvelle Constitution, etc. lÕUnion de Centre Dmocratique (UCD), une coalition de partis de centre-droit, remporte les premires lections dmocratiques le 15 juin 1977. Le ministre de la Culture, cr le 4 juillet, absorbe la Direction Gnrale des Beaux-Arts, qui dpendait auparavant du ministre de lÕducation et des Sciences. 15. 16. 17. Joaqun de la Puente, ÒSorolla el GrandeÓ in Dibujos de Sorolla. Coleccin Pons Sorolla, Valence, Direccin General de Bellas Artes, 1974, page 12. Ç Parmi tous ceux que je connais, je peux affirmer sereinement quÕils reprsentent quelque chose de trs important, et en aucune faon intressant en tant que genre ÒmineurÓ, bons mettre de ct sans aucun scrupule. È Annexe n¡1. Expositions monographiques. La vuelta de la pesca, Muse National des Beaux-Arts, Buenos Aires, 1898 et En la costa de Valencia, Muse National des Beaux-Arts, Buenos Aires, 1898. V. Sorolla et lÕEspagne dmocratique : 1975-2009 250 On a vu que le franquisme avait privilgi la promotion de la peinture du XIXme sicle, au dtriment des contemporains. Aprs quarante ans de mise lÕcart et de mpris, les avant-gardes espagnoles doivent leur tour et de manire urgente tre valorises et diffuses en Europe. Par consquent, la nouvelle politique culturelle du pays va tre oriente en direction de lÕart contemporain, la fois pour rsorber le retard accumul et pour rompre avec lÕhritage de la dictature. Cette politique culturelle de rupture avec le pass est mene de 1979 1982 par lÕhistorien Javier Tusell (1945-2005), directeur gnral des Beaux-Arts. Comme un symbole de la nouvelle re culturelle qui est en train de sÕouvrir, il ngocie avec les descendants de Picasso et le Muse dÕArt Moderne de New York et obtient le retour en Espagne du tableau Guernica, qui voque les victimes civiles du bombardement de ce village basque par lÕaviation allemande, le 26 avril 1937.18 De mme, il organise les expositions rtrospectives Joan Mir (1978), Antoni Tpies (1980), Eduardo Chillida (1980) et Pablo Picasso (1981). Le 28 octobre 1982, le Parti Socialiste remporte les lections et Felipe Gonzlez (1942) devient chef du premier gouvernement de gauche depuis la Seconde Rpublique. Ce parti se maintiendra au pouvoir durant quatre mandats, cÕest--dire jusquÕen 1996. En 1983, un Centre National des Expositions est cr. Cette structure prend en charge lÕorganisation des expositions dÕart moderne et contemporain.19 Ë Madrid, un nouveau centre dÕart contemporain, le Muse Reina Sofa, est inaugur en 1986. Sous le premier mandat socialiste, tous les peintres qui avaient occup lÕespace culturel sous le franquisme cdent la place des artistes ÒactuelsÓ. Pour autant, Sorolla paye-t-il, plus quÕun autre, le prix de sa surexposition sous la dictature ? Il semble que ce ne soit pas le cas, ainsi que le prouvent plusieurs indices convergeants. DÕabord, lÕtat lÕinclut dans sa politique dÕacquisition. En septembre 1981, la Direction Gnrale des Beaux-Arts fait lÕacquisition un collectionneur priv de Grupa valenciana20. La transaction sÕlve seize millions de pesetas.21 La gauche poursuit cette action et cÕest sous 18. 19. 20. 21. Anonyme, ÒJavier Tusell, ms all de la historiaÓ, http://www.elmundo.es/, 10/02/2005. Isaac Ait Moreno, ÒModernizacin y poltica artstica: el Centro Nacional de Exposiciones entre 1983 y 1989Ó in Anales de Historia del Arte, Madrid, n¡17, 2007, pages 223-245. Grupa valenciana, 254x185, Barcelone, Muse National dÕArt de Catalogne, 1908. Anonyme, ÒEl Ministerio de Cultura adquiere para Valencia un cuadro de SorollaÓ, El Pas, Madrid, 22/09/1981. V. Sorolla et lÕEspagne dmocratique : 1975-2009 251 mandat socialiste que le Muse Sorolla opre sa mue. Le ministre de la Culture Javier Solana (1942) lui donne les moyens de mener des projets de fond. Mme si rien de spectaculaire et de mdiatique nÕest entrepris durant cette priode, des tches aussi essentielles que les inventaires des collections de peintures, de cramiques et de sculptures sont alors realiss.22 Le muse bnficie dÕune quipe technique permanente compose dÕun directeur, dÕun conservateur et de deux assistants. En 1982, la premire exposition temporaire de lÕaprs-franquisme finance par lÕtat voit le jour : El jardn de la Casa Sorolla en la pintura de Sorolla.23 Vingt-deux tableaux sont prsents par le directeur Florencio de SantaAna et son pouse Mara Antonia qui vient de mener dÕimportantes recherches sur le jardin plant par Sorolla. Il sÕagit des ralisations les plus tardives du peintre puisquÕelles sont toutes comprises entre 1918 et 1920. Dans les dernires annes de sa vie, Sorolla sÕisola dans le jardin de sa proprit et en ralisa diffrentes vues associant vgtal et minral. LÕexposition offrait lÕintrt majeur de se trouver sur le lieu mme. La premire campagne de restauration des toiles endommages remonte galement aux annes quatre-vingt.24 Auparavant, le petit-fils Francisco PonsSorolla intervenait lui-mme sur les tableaux quand il le jugeait ncessaire.25 Pour toutes ces raisons, ce muse, qui se trouvait au bord de lÕagonie la fin de annes soixante, est en train de prendre un nouveau dpart dans les annes quatre-vingt. LÕaction de lÕtat est complte par un projet valencien. En 1985, la Communaut Autonome de Valence prside par le socialiste Joan Lerma (1951) finance lÕexposition de la collection Sorolla du Muse des Beaux-Arts de La Havane. Ces tableaux issus de collections prives collectivises sous le rgime de Fidel Castro (1927) nÕavaient jamais quitt le territoire cubain.26 Sorolla nÕest donc pas ÒenterrÓ par les socialistes, bien au contraire. Ils crent les conditions favorables une approche plus scientifique de son Ïuvre qui permettra, par la suite, de la faire connatre sous un autre jour. Comme on a pu le voir au cours de cette tude, le Valencien appartient au moins autant la culture 22. 23. 24. 25. 26. Catlogo de pintura del Museo Sorolla, Madrid, Ministre de lÕducation, de la Culture et des Sports, (2 tomes), 2002 (1982). El jardn de la Casa Sorolla en la Pintura de Sorolla, Madrid, Museo Sorolla, 1982. Florencio de Santa-Ana, Museo Sorolla, Madrid, Electa, 2000, page 30. R. Trivio, ÒLa Casa-Museo de Sorolla ser en Madrid o no serÓ, Generalitat, Valence, 16/07/1980. Els Sorolla de lÕHavana, Valence, Generalitat Valenciana, 1985. V. Sorolla et lÕEspagne dmocratique : 1975-2009 252 de la gauche quÕ celle de la droite en particulier parce que le Muse Sorolla a t inaugur par Manuel Azaa et quÕil est pass la postrit comme un projet rpublicain, en dpit de la ralit puisque, rappelons-le, cÕest en trs grande partie la monarchie et lÕimplication personnelle dÕAlphonse XIII que nous le devons. Par ailleurs, Valence, le peintre est toujours associ au pass rpublicain de la ville. La Transition dmocratique ouvre un espace de libert dÕexpression qui rend possible une lecture de son Ïuvre sans complaisance et mme provocatrice. En 1985, une exposition comparative, Sorolla Ð Solana, est organise en Belgique par la fondation brusseloise Europalia qui propose depuis 1969 une biennale interculturelle autour dÕun pays invit. Aprs la Grce et avant lÕAutriche, 1985 est lÕanne de lÕEspagne. LÕexposition est prsente Lige dans la Salle Saint Georges. Son catalogue contient un seul article, celui de lÕcrivain espagnol Francisco Umbral (1932-2007) qui livre une vision trs sombre du Valencien et ractualise les ides dominantes de la lgende noire propage autour de 1906 par ses dtracteurs. Ce texte montre quel point les strates de rception les plus anciennes imprgnent durablement la perception dÕun artiste. Francisco Umbral voque un peintre sans attrait, bon bourgeois et fonctionnaire de la peinture. Il reprend son compte lÕide ancienne selon laquelle ses portraits ne transmettent aucune motion : Sorolla Òne donne pas son opinionÓ sur Galds ni sur Echegaray, deux personnages bien dfinis. Il se limite faire leur portrait, de la manire la plus mcanique, voire photographique, dans le sens que nous donnons ce mot. CÕest ce quÕil a fait avec les coutumes valenciennes et avec Valence, ce quÕil a fait avec la vie et lÕart : sÕabstenir. Voil pourquoi un si grand peintre apparat, comme je lÕai dit dÕabord, sans Òaucun intrtÓ. Sorolla ne formule aucune opinion.27 Il voit enfin en Sorolla un peintre ractionnaire, vendu la monarchie, qui Ç chantait un peuple heureux pour le convaincre de son bonheur. È28 Une lecture si acerbe ne pouvait voir le jour quÕaprs le franquisme et dans un contexte de rupture. On se souvient que les dtracteurs de Sorolla ne lÕavaient jamais jug mauvais peintre, au contraire, mais quÕils lui reprochaient de reprsenter des 27. 28. Sorolla-Solana, Lige, Europalia, 1985, page 17. Ibidem, page 16. V. Sorolla et lÕEspagne dmocratique : 1975-2009 253 sujets anodins, sans paisseur intellectuelle. Umbral reprend son compte cette ide ancienne en expliquant que le Valencien est un artiste Òmanqu, par excs de facultsÓ : CÕest lÕun des meilleurs et des plus grands impressionnistes europens, si nous laissons les dates de ct, et dans ces derniers tableaux dont je parle il y a plus de Czanne (pour donner un point de repre) que dÕimpressionnisme. Sorolla est lÕexemple de lÕartiste Ç manqu È par excs de facults. Comme il pouvait tout faire, il fit le plus facile, ce quÕil avait sous les yeux [É] 29 De manire plus surprenante, lÕcrivain pousse plus loin la charge en tentant de dcouvrir les ressorts psychologiques qui se cachent derrire sa peinture de plage et il voit en Sorolla le ÒLewis Carroll de la peintureÓ : Ç Sorolla a peint une fillette de dos, solide, elle a de sept neuf ans et un fessier gracieux, ingnu. Sorolla savait ce quÕil peignait bien sr. È30 Ses premiers dtracteurs avaient aussi donn dans les attaques personnelles et basses, touchant la psychologie de lÕhomme. Dans ses mmoires, Po Baroja avait beaucoup glos sur son avarice, alors mme quÕil tait un peintre trs riche.31 En dehors de cet article, le peintre de la lumire ne dchane plus les passions et il reste ainsi en retrait de la vie culturelle espagnole jusquÕ la fin des annes quatre-vingt. Mais cela commence changer en 1989 avec lÕexposition Sorolla an 80th anniversary exhibition organise par le Muse des Beaux-Arts de San Diego et lÕIVAM de Valence.32 Prs de cent tableaux prts par des muses du monde entier sont exposs aux tats-Unis, New-York, Saint-Louis et San Diego avant de rejoindre Valence. LÕvnement commmore la russite de Sorolla aux tats-Unis en 1909 et prouve que lÕEspagnol a laiss une empreinte forte outre-Atlantique, notamment dans les villes qui ont accueilli une de ses expositions individuelles. LÕapproche choisie par le commissaire britannique, Edmund Peel, est novatrice car elle permet de mieux comprendre lÕlaboration des tableaux concours car des tudes prparatoires indites de La vuelta de la pesca et de Triste herencia sont runies autour des deux tableaux. Alors que le 29. 30. 31. 32. Ibidem. Ibidem. Po Baroja, Desde la ltima vuelta del camino: memorias. IV. Galera de tipos de la poca, Madrid, Biblioteca Nueva, 1982, pages 253-258. Sorolla an 80th anniversary exhibition, New York, HSA, 1989. V. Sorolla et lÕEspagne dmocratique : 1975-2009 254 franquisme avait construit des expositions anthologiques, cÕest une approche plus plastique qui est choisie par le commissariat de cette exposition. En dpit de cette dmarche et de la qualit de la slection, elle passe un peu inaperue quand elle est prsente en Espagne, probablement parce quÕelle a lieu en province. V. Sorolla et lÕEspagne dmocratique : 1975-2009 255 V.2. LA RFORME DU STATUT JURIDIQUE DU MUSE SOROLLA CÕest un muse o ne va personne. Il appartenait la famille Sorolla qui le cda lÕtat moyennant une clause qui interdit de sortir aucun tableau du muse. La famille Sorolla pensait sans doute assurer ainsi la prsence continuelle des visiteurs, mais cela a produit lÕeffet contraire : ce muse, retir et sans publicit, personne ne va et beaucoup de Madrilnes en ignorent mme lÕexistence. Sorolla-Solana, Lige, Europalia, 1985, page 16. Comme le rappelle ici lÕcrivain Francisco Umbral, le statut juridique du Muse Sorolla, inchang depuis 1932, interdit les prts. Par ailleurs, une disposition prvoit que toute violation aux principes de la fondation est susceptible dÕentraner sa dissolution immdiate et donc la restitution de tous les biens aux hritiers.33 Dans les annes quatre-vingt-dix, le Comit de direction du muse et le minitre de la Culture conviennent de rformer ce statut pour des raisons que lÕon expliquera plus avant. Cela va rendre possible la mise en circulation de la plus importante collection de tableaux du matre, cÕest--dire environ un tiers de son Ïuvre peint. Invitablement, la prsentation de sa peinture la plus intime, cÕest--dire celle qui nÕest jamais sortie de lÕatelier, va entraner son lot de changements sur la rception de son Ïuvre. La perception de Sorolla par les institutions des Beaux-Arts se trouve au cÏur des enjeux de cette poque. En effet, au dbut des annes quatre-vingt-dix, Sorolla est peru comme le plus acadmique des peintres de Òplein airÓ. Pour cette raison, il nÕa sa place dans les muses nationaux que dans les collections XIXme. JusquÕen 1996, celles du Muse du Prado se trouvent dans les salles du Casn del Buen Retiro. Les tableaux du Valencien y figurent car son Ïuvre sÕinscrit, semble-t-il, dans la continuit de la ÒtraditionÓ. Ë Madrid, le Muse du Prado conserve dix-neuf tableaux alors que le Muse Reina Sofa nÕen possde aucun, ce qui est justement 33. R. Trivio, ÒLa Casa-Museo de Sorolla ser en Madrid o no serÓ, Generalitat, Valence, 16/07/1980. V. Sorolla et lÕEspagne dmocratique : 1975-2009 256 sur le point de changer aujourdÕhui.34 Un des matres de Sorolla, Ignacio Pinazo, qui fut pourtant un peintre dÕhistoire, est dj expos lÕIVAM de Valence avec les artistes contemporains. Cette institution possde, depuis 1986, une centaine de peintures provenant pour moiti dÕune donation des hritiers et son Ïuvre est prsente dans ce muse dÕart moderne et contemporain comme le point de dpart des avant-gardes valenciennes. Le Muse Sorolla abrite des peintures jusque-l confidentielles qui auraient parfaitement pu se fondre dans les collections dÕun muse dÕart contemporain. Car quand Sorolla peignait Òpour luiÓ, selon lÕexpression de Florencio de Santa-Ana, sa production rejoint les courants de son poque, en particulier lÕexpressionnisme allemand et le fauvisme.35 En 1986, une historienne a accs aux rserves du Muse Sorolla et le met en vidence dans un article intitul ÒSorolla y el fauvismoÓ dans lequel elle rapproche Sorolla dÕHenri Matisse (1869-1954), Albert Marquet (1875-1947), Maurice de Vlaminck (1876-1958), Raoul Dufy (1877-1953), Kees Van Dongen (1877-1968), Andr Derain (1880-1954) et Georges Braque (1882-1963) ; mais cette tude est passe inaperue.36 Les expositions des annes 1994-1999 vont enfin dmontrer que, en marge de Visin de Espaa, lÕEspagnol a aussi suivi ce quÕil appelait lui-mme la Òmarche de lÕart moderneÓ. Devoir y renoncer avait t une de ses craintes quand il avait commenc sÕimmerger dans cette commande : Nada he pintado engolfado en el proyecto de la decoracin, y cuanto ms pienso en ello ms contrario lo encuentro para mi temperamento. He perdido dos meses en los 34. 35. 36. Au Muse National du Prado de Madrid : Retrato de seora con mantilla blanca, 48x33, sans date. Santa italiana, 78x61, sans date. Retrato de la nia Mara Figueroa vestida de menina, 152x122, sans date. El dos de mayo, 387x580, 1884. Retrato de Rafael Altamira y Crevea, 55Õ5x41, 1886. El pintor Juan Espina y Capo, 69Õ5x54Õ5, 1892. El nio Jaime Garca Banus, 85x110, 1892. ÁAn dicen que el pescado es caro!, 151Õ5x204, 1894. Doa Mara Teresa Moret, 111x88, 1901. El pintor Aureliano de Beruete, 115Õ5x110Õ5, 1902. Aureliano de Beruete y Moret, hijo, 140x82, 1902. Jacinto Felipe Picn y Pardinas, 65x88, 1904. El doctor don Francisco Rodrguez de Sandoval, 104x104, 1906. La actriz doa Mara Guerrero como Ç La dama boba È, 131x120Õ5, 1906. Doa Mercedes Mendeville, condesa de San Flix, 198x98Õ5, 1906. El pintor Antonio Gomar y Gomar, 59x100, 1906. Retrato de don Ramn Pia y Millet, 80x62, 1907. El doctor Joaqun Decref y Ruiz, 60x91, 1907. Nios en la playa, 118x185, 1910. Florencio de Santa-Ana, ÒCuando Sorolla pintaba para s mismoÓ, Arte y Libertad, Valence, 10/11/2007. Paloma Plaza Lpez, ÒSorolla y el fauvismoÓ in Conocer el Museo Sorolla. Diez aportaciones a su estudio, Madrid, Ministerio de Cultura, 1986, pages 31-38. V. Sorolla et lÕEspagne dmocratique : 1975-2009 257 que he podido pintar algunas cosas que es posible fueran ms tiles para la marcha del arte moderno; mientras este encargo me comer los mejores aos de mi vidaÉ37 Cet extrait dÕune lettre son ami Pedro Gil Moreno de Mora, date de janvier 1912, a t dvoil seulement en 2001. Il apporte un clairage nouveau La Siesta (1911) qui est la fois le dernier grand format avant Visin de Espaa et une des toiles les plus modernes de Sorolla. Sa facture, la fois rapide et ÒbruteÓ, pourrait trs bien se fondre dans la peinture du peintre allemand Ernst Ludwig Kirchner (1880-1938). Ë lÕaube du XXIme sicle, un autre Sorolla est sur le point dÕmerger et cÕest ce que lÕon verra ici. Mais pour comprendre le sens et la porte de la rforme du statut juridique du Muse Sorolla, il faut tout dÕabord revenir son origine. Sous la dictature franquiste, les expositions consacres au peintre nÕauraient pas pu voir le jour sans la collaboration de ses deux filles, Mara et Elena, qui possdaient, titre priv, deux cent soixante-deux tableaux.38 Les deux hritires prtrent leurs Ïuvres tout au long de la priode car le Muse Sorolla, qui tait cens remplir cette mission de diffusion et de valorisation du peintre, nÕavait pas les moyens lgaux de le faire. Comble dÕune situation ubuesque, il resta lÕcart du mouvement. En prenant une disposition qui rendait impossible la dispersion des collections, la donatrice pensait agir pour le bien de sa fondation, mais elle ne sut pas anticiper les transformations musales du XXme sicle, en particulier lÕessor de lÕexposition temporaire qui, telle quÕon la connat aujourdÕhui, repose sur la mobilit des collections. Cette close condamnait le muse une autre forme dÕisolement, plus pernicieuse que sa situation gographique qui, par ailleurs, mesure de lÕextension urbaine et du dveloppement du rseau de transports, ne posait plus le mme problme quÕauparavant. Le Muse Sorolla conservait alors un peu plus de mille cent peintures et entre quatre et cinq mille dessins qui ne pouvaient ni sortir des murs ni mme des magasins puisque sa capacit maximale 37. 38. Lettre de Joaqun a Pedro Gil Moreno de Mora, 01/1912 in Blanca Pons-Sorolla, Joaqun Sorolla. Vida y obra, 2001, page 385. Ç Je nÕai rien peint tellement je suis absorb par le dcor, et plus jÕy pense plus je le trouve contraire mon temprament. JÕai perdu deux mois durant lesquels jÕai russi peindre deux ou trois choses qui, vraisemblablement, seraient plus utiles la marche de lÕart moderne ; tandis que cette commande me mangera les meilleures annes de ma vieÉ È Bernardino de Pantorba, La vida y la obra de Joaquin Sorolla. Estudio biogrfico y crtico, Madrid, Grficas Monteverde, 1970, pages 152-165. V. Sorolla et lÕEspagne dmocratique : 1975-2009 258 dÕexposition tait environ de deux cent cinquante tableaux.39 Sa superficie totale se situe autour de deux mille huit cents mtres carrs. Ë titre de comparaison, le Muse National du Prado expose aujourdÕhui mille cent cinquante tableaux sur quarante-cinq mille mtres carrs ! Compte tenu de tout cela, les collections du Muse Sorolla se trouvaient confines et prisonnires dÕune citadelle bien verouille et cette situation semblait irrmdiable. LÕinstitution remplissait, par consquent, la fonction oppose celle qui lui avait t assigne en retenant des grands formats majeurs tels que Una investigacin, Nadadores Jvea, Instantnea, La siesta, ou encore les portraits dÕAlphonse XIII, de Raquel Meller, de Catalina Brcena, etc.40 Le muse contrariait la diffusion de lÕÏuvre de Sorolla en rendant son accs plus compliqu et cette situation se prolongea jusque dans les annes quatre-vingt-dix. En 1990, un muse sudois dpose le projet dÕune exposition comparative dÕAnders Zorn et de Joaqun Sorolla.41 Les deux peintres sÕtaient connus Paris et avaient concouru ensemble au Salon de la Socit des Artistes Franais. En 1900, ils furent tous deux laurats du Grand Prix de leurs pavillons respectifs et, en 1906, alors que lÕun occupait les salons du galeriste Petit, lÕautre exposait en mme temps chez le concurrent Durand-Ruel.42 Au fil de leurs rencontres, les deux hommes sÕtaient lis dÕamiti et leurs Ïuvres respectives sÕtaient mutuellement influences. CÕest en tout cas ce que pouvait dmontrer cette exposition.43 Zorn avait construit sa maison en Sude, Mora et, aprs sa mort, celle-ci fut transforme en muse. LÕide dÕune exposition comparative est souleve pour la premire fois par un Espagnol europaniste, Jorge Semprun (1923-2011), ministre de la Culture de son pays de 1988 1991. Ë lÕoccasion dÕun voyage officiel Stockholm, il propose de runir dans une exposition 39. 40. 41. 42. 43. La collection de dessins du Muse Sorolla est en cours dÕinventaire. Les chiffres donns ici sont tirs de Bernardino de Pantoba, Gua del Museo Sorolla, Madrid, Grficas Nebrija, 1975 (1951), page 11. Au Muse Sorolla de Madrid : Una investigacin, 122x151, 1897. Nadadores Jvea, 90x126, 1905. Instantnea, 62x93Õ5, 1906. La siesta, 200x201, 1911. S.M. el Rey Alfonso XIII, 150x104Õ5, 1918. Retrato de Raquel Meller, 125x100, 1918 et Retrato de Catalina Barcena, 135x100, 1919-1920. Florencio de Santa-Ana, Museo Sorolla, Madrid, Electa, 2000, page 31. Sorolla-Zorn, Madrid, Ministerio de Cultura, 1992, page 82 et Pilar de Navascus Benlloch, ÒSorolla y los pintores nrdicosÓ in Conocer el Museo Sorolla. Diez aportaciones a su estudio, Madrid, Ministerio de Cultura, 1986, pages 23-29. Rafael Sierra, ÒEntre dos mares. Sorolla y Zorn nos acercan a travs de su obra a una Espaa lejana y exticaÓ, El Mundo, Madrid, 1/03/1992. V. Sorolla et lÕEspagne dmocratique : 1975-2009 259 commune les Ïuvres de Sorolla et de Zorn.44 Son ide sduit alors lÕamabassadeur sudois Madrid, Ulf Hjertensson (inc.) et le directeur du Muse National de Stockolm, Olle Granath (1940) qui tentent de mettre sur pied ce projet. En 1990, la directrice du Muse Zorn, Birgitta Sandstrm (inc.), adresse une demande de prt son homologue espagnol Florencio de Santa-Ana (1938), mais celle-ci la rejette tout simplement car le Muse Sorolla ne peut pas lgalement la satisfaire. Toutefois, les choses nÕen restent pas l, car le gouvernement sudois formule ensuite une demande officielle directement auprs du gouvernement espagnol.45 En intervenant au plus haut sommet de lÕtat, Stockholm russit obtenir la drogation ncessaire et cette exposition peut alors voir le jour un an plus tard. Ce projet binational doit tre rapproch des grands chantiers europens de ce dbut des annes quatre-vingt-dix. LÕinstauration dÕune politique extrieure europenne, dÕune monnaie unique ou encore la dfinition de la citoyennet europenne seront bientt lÕordre du jour du Trait de Maastricht, en 1992. Dans une Espagne communautaire depuis le 1er janvier 1986, la dimension transnationale de Sorolla peut alors apparatre comme un lment digne dÕtre valoris, mme si la Sude ne fait pas partie de la Communaut conomique Europenne (CEE). On peut imaginer que lÕtat espagnol est alors particulirement soucieux de promouvoir son patrimoine artistique dans ce quÕil a de plus europen car Madrid sera la capitale europenne de la culture en 1992, lÕoccasion du cinq-centime anniversaire de la dcouverte de lÕAmrique. Cette anne verra aussi se raliser deux vnements internationaux majeurs : les Jeux Olympiques dÕt, Barcelone, et lÕExposition Universelle de Sville. Le ministre de la Culture espagnol accde la requte sudoise mais demande, en contre-partie, que lÕexposition soit itinrante, raison pour laquelle elle est dÕabord prsente en novembre 1991 Mora sous le titre Frn tv hav. Zorn och Sorolla cÕest--dire De deux mers, Zorn et Sorolla. Les reines dÕEspagne et de Sude lÕinaugurent ensemble le 7 novembre. Puis en mars 1992, lÕexposition est inaugure Madrid sous le titre Sorolla - Zorn. Elle contient soixante-et-un tableaux de lÕEspagnol et cinquante-trois du Sudois. Parmi eux 44. 45. Anonyme, ÒLas reinas de Espaa y Suecia inauguran una muestra en EstocolmoÓ, El Correo Espaol, [Buenos Aires], 8/11/1991. Museo Sorolla, 2000, page 31. V. Sorolla et lÕEspagne dmocratique : 1975-2009 260 figurent un portrait de Sorolla par Zorn, conserv Madrid, et le tableau de Sorolla Despus del bautizo. Valencia, conserv Mora.46 Comme lÕexposition devance la rforme du statut juridique du Muse Sorolla, celle-ci est mise en chantier ds lÕanne suivante. Le nouveau statut est rdig par une commission dÕexperts puis adopt en Conseil des ministres le 30 juillet 1993. Il autorise enfin la mobilit des collections ce qui constitue, de fait, la condition la plus indispensable au rayonnement la fois national et international de lÕinstitution. Le Muse Sorolla entre alors dans une nouvelle re car il assure dornavant la promotion de ses collections non seulement lÕtranger mais aussi, et surtout, en province. Par ailleurs, la redcouverte du peintre va tre guide par des questions dÕordre historique et esthtique. Le directeur Florencio de Santa-Ana dfinit en priorit un programme national car il estime que le peintre nÕest pas suffisamment connu dans son propre pays. Ainsi, ds 1994, cinquante-deux tableaux sont envoys Sville le temps de lÕexposition Sorolla en Andaluca.47 Soixante-dix ans aprs la mort de lÕartiste, de nombreuses facettes de son Ïuvre demeurent compltement indites. LÕune dÕentre elle, sa peinture andalouse, tmoigne de son profond attachement cette rgion. Ë un journaliste, le peintre avait un jour dclar : Ç Son, entre las ciudades de Espaa, las de mis dos grandes amores. Si posible fuera nacer a voluntad y en dos lugares a un tiempo, yo sera mitad de Valencia, mitad de Sevilla. È48 Sous le franquisme, les paysages de la cte ont t surexposs pour des raisons lies lÕconomie touristique. Mais Sorolla nÕa pas plant son chevalet uniquement sur la plage de Valence. En Andalousie, il a peint Cordoue, Grenade, Sville et Xrs de la Frontera ainsi que le dmontre lÕexposition. Deux paysages des montagnes enneiges de la Sierra Nevada offrent un tout autre aperu de lÕartiste car ils mettent en vidence les recherches plastiques qui le menrent jusquÕaux portes de lÕabstraction.49 La touche large et rapide, la palette anti-naturaliste et la facture synthtique de ces 46. 47. 48. 49. Joaqun Sorolla y Bastida, 62x58, Madrid, Muse Sorolla, 1906 et Despus del bautizo, Valencia, 80x114, Mora, Muse Zorn, 1899. Sorolla en Andaluca, Ministerio de Cultura, Sville, 1994. Francisco Martn Caballero, ÒHablando con D. Joaqun Sorolla en su estudioÓ, La Correspondencia de Valencia, Valence, 11/09/1913. Ç Ce sont, parmi les villes dÕEspagne, celle de mes deux grands amours. SÕil ft possible de voir le jour selon mon bon vouloir et en deux lieux en mme temps, je serais pour moiti de Valence et pour lÕautre moiti de Sville. È Sierra nevada en invierno, 81Õ5x105, Madrid, MS, 1910 et Sierra Nevada, Granada, 95x69, Madrid, MS, 1917. V. Sorolla et lÕEspagne dmocratique : 1975-2009 261 peintures rappelle le paysage du groupe allemand Die Brcke. DÕautres tableaux dmontrent que, en marge de la commande de lÕHispanic Society, Sorolla peignait les mmes motifs ÒautrementÓ. En effet, entre les sances de pose du septime panneau du dcor de lÕHispanic Society, El baile, il ralise des portraits de gitanes purement exprimentaux. Il essaie des expositions de lumire contre-plongeantes qui donnent aux figures un aspect spectral. De lÕobscurit, la lumire jaillit en diffrents points, en particulier des visages qui, de ce fait, font penser des masques. Florencio de Santa-Ana les rapproche, juste titre, de la peinture expressionniste.50 Ces toiles pourraient trs bien tre compares aux portraits fminins de Kees Van Dongen peints autour de 1910 ou encore ceux dÕAndr Derain. Les paysages de Grenade et les portraits de gitanes, qui sont rests si longtemps confidentiels, mettent en lumire des axes vers lesquels Sorolla engagea sa peinture la fin de sa vie. Pour toutes ces raisons, Sorolla en Andaluca est le point de dpart dÕune rvision des jugements tablis. Le peintre a-t-il t aussi acadmique et formel que certains lÕont affirm durant longtemps ? Quels changements de perception peut-on attendre des expositions venir ? Autant de questions qui se posent en 1994. La mme anne, les collections du muse continuent tre exhumes et prsentes au public. Sorolla. Fondos del Museo Sorolla est la premire dÕune srie dÕexpositions itinrantes parcourant les grandes et moyennes villes du pays. Ainsi, le Muse Sorolla Òse dplaceÓ en direction du public. Contrairement lÕexposition prcdente, celle-ci se veut plus gnraliste. La direction du muse fait sortir les grands formats quÕelle considre comme les chefs-dÕÏuvre de la collection comme lÕautoportrait de 1904 mais aussi Madre, Una investigacin, Clotilde con traje gris, Mis hijos, Saltando a la comba, Paseo a orillas del mar, La siesta, El balandrito, La bata rosa, Clotilde con traje de noche et beaucoup dÕautres.51 LÕexposition itinrante est installe et dmonte pas moins de quinze fois en trois ans ! Elle fait le tour du pays dans le sens des aiguilles dÕune montre en commenant par la Galice puis le Pays Basque, la Catalogne, lÕAragon, la Communaut de Valence et ainsi de suite. 50. 51. Sorolla en Andaluca, page 138. Au Muse Sorolla de Madrid : Autorretrato, 66x100Õ5, 1904. Madre, 125x69, 1895. Una investigacin, 122x151, 1897. Clotilde con traje gris, 178Õ5x93, 1900. Mis hijos, 160Õ5x230Õ5, 1904. Saltando a la comba, 105x166, 1907. Paseo a orillas del mar, 205x200, 1909. El balandrito, 100x110, 1909. Clotilde con traje de noche, 150x105, 1910. La siesta, 200x201, 1911. La bata rosa, 208x126Õ5, 1916. V. Sorolla et lÕEspagne dmocratique : 1975-2009 262 En 1995, une exposition itinrante de petits formats est inaugure Valence. Sorolla en Andaluca a donn un aperu des recherches plastiques du peintre en grand format mais, en toute logique, le petit format avait t le support privilgi de ses recherches picturales. Le peintre vendait aussi des petits formats quÕil signait pour lÕoccasion, comme le prouvent les catalogues de ses expositions individuelles, mais la plupart de ces ralisations, de la simple pochade au tableautin, nÕavaient jamais quitt son atelier. Lors de ses dplacements, il transportait avec lui tantt un bloc, pour les dessins au fusain, tantt des cartons pour les gouaches, ou encore des tablettes pour les huiles. Ë lÕcole des BeauxArts, son matre Gonzalo Salv lui avait enseign la peinture sur le motif telle que la pratiquait, par exemple, Ignacio Pinazo. Sorolla aimait peindre ainsi, en pleine nature et sous la lumire naturelle et fit un jour un court rcit de ces excursions en compagnie de Salv : Ç Recuerdo con verdadero deleite las largas caminatas, bajo el ardiente sol levantino, en busca de un efecto de luz o de una nota de color. È52 En petit format, il essayait des compositions, cherchait la nuance juste pour tel reflet ou telle ombre ou encore ÒcueillaitÓ une silhouette sur le vif. Sur ces supports pauvres, il essayait de rsoudre les problmes quÕil rencontrait. Il conservait ensuite prcieusement ce matriel et lÕutilisait, le cas chant, lorsquÕil peignait en grand format. Ë Valence, les deux expositions qui sont prsentes conscutivement marquent le retour de lÕÏuvre de Sorolla dans la ville. LÕvnement est ft lÕoccasion des Fallas car le peintre y a un char son effigie.53 Ë partir de 1996 et jusquÕen 2005, le Muse Sorolla exporte ses expositions lÕtranger. Ce cycle commence en Amrique latine, dans six pays : la Colombie, le Chili, la Bolivie, le Prou, le Brsil et le Mexique. Dans cette partie du monde, le peintre est compltement inconnu du public. Sur le continent amricain, les deux collections les plus importantes se trouvent en Argentine et Cuba. Il faut aussi mentionner le rle jou par le plus grand collectionneur priv du monde, le milliardaire mexicain Juan Antonio Prez Simn (1941) qui a constitu une 52. 53. Homenaje a la Gloriosa Memoria del Excm. Don Joaqun Sorolla, Acadmico electo. Discursos ledos en la Sesin Pblica el da 2 de febrero de 1924. Real Academia de San Fernando, Madrid, Mateu Artes Grficas, 1924, page 11. Ç Je me souviens avec un vrai dlice des longues marches, sous le soleil ardent du levant, la recherche dÕun effet de lumire ou dÕune nuance de couleur. È Anonyme, ÒFalla sobre SorollaÓ, ABC, Madrid, 17/03/1995. V. Sorolla et lÕEspagne dmocratique : 1975-2009 263 importante collection de tableaux du Valencien.54 Durant lÕt 2010, ils ont t prsents au Muse Jacquemard-Andr de Paris.55 En Espagne, dans les annes quatre-vingt-dix, les vnements lis Sorolla couvrent quasiment tout le calendrier artistique car les expositions se suivent et arrivent mme se superposer les unes aux autres. En mars 1996, le visiteur peut dcouvrir Palma de Majorque Sorolla y el Mediterrneo, puis J. Sorolla y la cornisa cantbrica Oviedo en mai, puis Sorolla. Fondos del Museo Sorolla, òbeda en octobre et, enfin, Sorolla. Pequeo formato en novembre, Valladolid. Le calendrier est encore plus dense pour les deux annes 1997 et 1998 comme le montre le tableau ÒExpositions monographiquesÓ prsent en annexe n¡1. Alors que trente ans auparavant le Muse Sorolla tait sur le point de fermer ses portes faute dÕaffluence, il bat dsormais des records puisquÕil double sa frquentation en cinq ans. En effet, il accueille 51.408 visiteurs en 1998, 56.914 en 1999 et 57.066 en 2000.56 Aprs une fermeture temporaire en 2001-2002, pour cause de travaux de rnovation, il reoit 104.609 visiteurs en 2003.57 Florencio de SantaAna profite de cette priode de fermeture temporaire pour intensifier la divulgation des collections du muse en province. Pour cela, il sÕappuie presque exclusivement sur le mcenat des caisses dÕpargne rgionales car le muse nÕa pas les moyens dÕassumer seul le cot de ses expositions. La collaboration de ces institutions prives lui permet de mettre sur pied un programme vnementiel digne des plus grands muses. Parmi les expositions temporaires proposes durant cette priode, trois retiennent lÕattention : Paisajes de Granada de Joaqun Sorolla, Sorolla a Xbia et Sorolla y la Hispanic Society. Una visin de la Espaa de entresiglos. 58 La premire explore un aspect de son Ïuvre, le paysage tardif, que le public a pu entrevoir quelques annes plus tt lÕoccasion de lÕexposition andalouse. La 54. 55. 56. 57. 58. Anonyme, ÒVoici le plus grand collectionneur priv du mondeÓ, Paris Match, Paris, 5/09/2010. Du Greco a Dal. Les grands matres espagnols de la collection Prez Simn, Paris, Snoeck Ducaju Et Zoon, 2010. Pedro Silverio y Moreno, ÒEl Romntico deja de ser el museo que menos visitas recibe al aoÓ, Madrid y ms, Madrid, 8/03/2000 et Mara Diezhandino, ÒEl Thyssen, el museo madrileo que ms visitantes perdi en el 2000Ó, Madrid y Ms, Madrid, 5/02/2001. Anonyme, ÒEl Museo Sorolla duplica el nmero de visitantesÓ, Metro, Madrid, 26/02/2004 et anonyme, ÒEl Museo Sorolla cierra por obrasÓ, Metro Directo, Madrid, 15/10/2001. Paisajes de Granada de Joaqun Sorolla, Grenade, Fundacin Caja de Granada, 1997. Sorolla y la Hispanic Society. Una visin de la Espaa de entresiglos, Madrid, Museo Thyssen Bornemisza, 1998 et Sorolla a Xbia, Jvea, Bancaixa, 1999. V. Sorolla et lÕEspagne dmocratique : 1975-2009 264 seconde est sans doute la plus spectaculaire puisquÕelle met jour ses recherches sur la reprsentation des phnomnes aquatiques. En 1905, Sorolla sÕtait install dans un village situ au sud de Valence, Jvea. Depuis la hauteur des rochers, il tenta dÕapprhender sur la toile un phnomne optique aussi fugace que la rfraction. Durant un t, il reprsenta le corps immerg dans une srie connue comme celle des ÒnageursÓ. Elle comprend principalement des pochades mais aussi cinq grands formats dont trois se trouvent dans les collections du Muse Sorolla et sont prsents cette occasion. LÕensemble fait apparatre lÕinfluence du Valencien sur deux peintres relis aux mouvements dÕavant-garde, Joaquim Mir et Hermenegildo Anglada Camarasa. Enfin, lÕexposition Sorolla y la Hispanic Society. Una visin de la Espaa de entresiglos permet de mieux cerner le portraitiste de la dernire poque puisquÕune partie de la galerie inconographique de lÕHispanic Society est temporairement prte au Muse Thyssen Bornemisza. A dfaut de pouvoir accueillir Visin de Espaa, les bauches conserves au Muse Sorolla sont prsentes ensemble. Ces expositions offrent les conditions indispensables une analyse scientifique rigoureuse de cette Ïuvre puisque, disons-le ainsi, un tableau qui nÕest pas visible est perdu pour la critique et pour la recherche. Les historiens dÕart Marcus Burke, Javier Burn, Mitchell. A Codding, Jos Luis Dez, Julin Gallego, Toms Llorens, Javier Tusell, Felipe Garn, Francisco Javier Prez Rojas, Facundo Toms, Florencio de Santa-Ana, et dÕautres contribuent alors prciser et largir la connaissance de lÕÏuvre du Valencien. Leurs travaux bnficient de la collaboration de Blanca Pons-Sorolla, lÕarrire-petite-fille, qui continue soutenir et / ou prend part ellemme activement aux travaux de recherches en cours. La redcouverte du peintre profite au march de lÕart, puisque les prix de ses tableaux sÕenvolent comme on le verra plus avant. En mme temps, lÕdition vit des heures fastes puisquÕen plus des traditionnels catalogues dÕexposition, des tudes isoles voient le jour et quÕun ambitieux projet de catalogue raisonn en quatre volumes est annonc dans la presse en aot 1999.59 Ë cette poque, lÕouvrage de rfrence est toujours celui de Bernardino de Pantorba, qui a t publi en 1953 puis rdit en 1970. Entre 1985 et 1986, Francisco Pons-Sorolla et sa fille Blanca commencent tablir lÕinventaire de lÕÏuvre de leur aeul. 59. Natividad Pulido, ÒCultura busca un espacio anexo al Museo Sorolla para su ampliacinÓ, ABC, Madrid, 12/08/1999. V. Sorolla et lÕEspagne dmocratique : 1975-2009 265 Quand le projet est suffisamment avanc, les ditions Fahah et lÕentreprise Airtel Vodafone lui apportent un soutien financier. Enfin, la sortie de quatre volumes est annonce en aot 1999. Le premier, une monographie trs documente, sort en 2001 et est suivi lÕanne suivante dÕune tude des dessins drive de la thse de Luz Buelga.60 Ë ce jour, le catalogue raisonn de lÕÏuvre peint nÕa pas encore t publi. Il devrait prochainement porter la connaissance du public quatre mille fiches ainsi que toutes les reproductions des peintures, en couleur. En ce qui concerne la progression des prix sur le march, il faut rappeler, titre dÕexemple, que le grand format avec lequel Sorolla dcrocha la Mdaille dÕHonneur de lÕExposition Nationale, Triste Herencia, a t vendu pour la somme de vingt-deux millions de pesetas en 1981.61 Or, en 1997, Clotilde y Elena en las rocas change de mains pour plus de cent quatre-vingts millions de pesetas, cÕest-dire pour un prix huit fois suprieur ! Selon Consuelo Durn (1952), de la maison de ventes aux enchres madrilne Durn Subastas, les acquisitions du ministre de la Culture ont dynamis le march.62 En 1999 et en 2000, lÕtat achte conscutivement deux Ïuvres de jeunesse, Moro con naranjas, pour vingtsix millions de pesetas, puis El Pillo de playa pour cent seize millions de pesetas. Les deux Ïuvres se trouvent dsormais dans les collections du Muse Sorolla.63 Curieuse concidence, en 2002, une Valencienne nomme Encarna Martnez se prsente aux media comme la fille dÕun prtendu fils cach du peintre, un certain Jos Martnez Fosatti. Ë la manire de ces histoires sensation racontes dans le talk show dÕAntena 3 ÒDiario de PatriciaÓ, cette femme porte cette histoire prive la connaissance du public. Que les faits rapports soient avrs ou non, la mdiatisation de cette affaire nous intresse pour lÕclairage quÕelle apporte sur la rception de Sorolla. En effet, elle intervient dans un contexte dÕintense activit mdiatique, car ses tableaux nourrissent lÕactualit culturelle du pays et tablissent des records sur le march qui, leur tour, font les gros titres. Le journaliste ne manque pas de demander : Ç ÀY por qu usted ha tardado tanto en contar esta historia? Desde que muri su padre han pasado once aos. È et lÕinterroge de 60. 61. 62. 63. Natividad Pulido, ÒLa bisnieta de Sorolla publica la monografa ms completa del pintorÓ, ABC, Madrid, 9/12/2001. Blanca Pons-Sorolla, Joaqun Sorolla. Vida y obra, Madrid, Fahah, 2001 et Luz Buelga, Dibujos de Joaqun Sorolla, Madrid, Fahah, 2000. Voir lÕannexe n¡2. Rsultats des ventes par adjudication. Mara Jess Burgueo, ÒSorolla bajo la lupa. Anlisis del pintor ms falsificadoÓ, Subastas Siglo XXI, Madrid, 03/2001. Au Muse Sorolla de Madrid : Moro con naranjas, 73Õ5x39Õ9, 1885-1886 et El pillo de playa, 80Õ5x124, 1891. V. Sorolla et lÕEspagne dmocratique : 1975-2009 266 rpondre : Ç No lo cont antes por el temor a la desconfianza de la gente sobre un asunto tan delicado y mantenido en secreto tanto tiempo. È64 Dans une Espagne gagne par la tlralit et grande consommatrice de presse scandale, lÕaffaire passionne. CÕest le dbut dÕun pisode de ÒpeopleisationÓ de Sorolla, un phnomne de socit qui nÕpargne pas les personnages historiques. La double vie dÕmile Zola, la mysoginie dÕAlbert Einstein ou bien encore la sexualit dÕOscar Wilde, ont t avant cela autant de thmes vendeurs.65 Cela revient prsenter lÕhistoire par le petit bout de la lorgnette pour mieux la vendre au grand public. Las Provincias sÕintresse aux liaisons extraconjugales du peintre dans un article intitul ÒEl lado oculto de SorollaÓ. On y raconte, par exemple, que le peintre de la mer a vcu une idylle avec une jeune fille de Jvea et que lÕaffaire prit un mauvais tour car le fianc cornard, un carabinier, se fit justice lui-mme en tuant la nymphette dÕun coup de feu. Selon la mme source, le pre et le fils se seraient disputs la belle Raquel Meller.66 En 2004, La hora del bao change de main pour la somme colossale de cinq millions deux cent mille euros ! Cette transaction constitue toujours le record pour une production de Sorolla. Elle le positionne alors parmi les peintres les plus chers du march du XIXme sicle et comme un des meilleurs investissements, selon lÕexperte de la maison de ventes aux enchres SothebyÕs, Helene Montgomery (inc.-inc.).67 En 2006, Mara mirando los peces franchit la barre des deux millions et demi dÕeuros et Las tres velas frle, en 2008, les trois millions dÕeuros car les collectionneurs recherchent les scnes de plage cote que cote, sans toujours tenir compte de leur qualit. Cette partie de lÕÏuvre du matre fascinait dj les ÒsorollistesÓ qui avaient plant leur tour leurs chevalets sur le sable de la plage de La Malvarrosa. CÕest pour cette raison quÕelle sÕest ensuite dvalue jusquÕ ce que le franquisme lÕintgre sa propagande. Elle est alors nouveau prise des collectionneurs. Signe des temps, en avril 2008, le site 64. 65. 66. 67. Rafa Mar, ÒSorolla pint a mi abuela con mi padre en brazosÓ, Las Provincias, Valence, 30/04/2002. Ç Et pourquoi avoir mis autant de temps raconter cette histoire ? È Ç Je ne lÕai pas raconte par peur du scepticisme des gens concernant un sujet si dlicat et gard secret aussi longtemps. È Anonyme, Òmile Zola, solitaire et solidaireÓ, Le Monde, Paris, 27/09/2002. Anonyme, ÒVatican reconciles with Oscar WildeÓ, The Telegraph, Londres, 16/07/2009 et Denis Bryan, ÒThe Unexpected Einstein: The Real Man behind the IconÓ, Cosmos, Chippendale, 09/2006. Rafa Mara, ÒEl lado oculto de SorollaÓ, Las Provincias, Valence, 9/05/2002. Anonyme, ÒLa hora del bao, de Sorolla, se vende por 5,3 millones y marca un rcord del artistaÓ, El Pas, Madrid, 19/11/2003. V. Sorolla et lÕEspagne dmocratique : 1975-2009 267 dÕenchres en ligne Ebay met pour la premire fois en vente un tableau du matre, un paysage de Valence peint en 1881.68 Durant la premire dcennie du XXIme sicle, les muses Sorolla et Thyssen Bornemisza russissent programmer le peintre de Valence dans lÕagenda culturel europen. LÕenjeu est annonc dans ABC, en 1999 par Blanca Pons-Sorolla : Ç Falta una gran antolgica en Madrid, Pars y Londres, que acabara de encumbrar a Sorolla como pintor universal. Es un reto de Europa. È69 Sorolla avait eu une dimension europenne de 1895 1906 puis lÕavait ensuite perdue autour de 1909, dÕabord en exposant aux tats-Unis puis en acceptant une commande qui lÕloigna et lÕisola. Ë Paris, les modes se renouvelrent et son nom fut rapidement gomm par dÕautres. Un sicle plus tard, aucun muse de lÕUnion Europenne, hormis lÕEspagne bien sr, nÕa accueilli une exposition consacre son Ïuvre. Les grands muses modernes comme Orsay, Paris, ou la Tate Gallery de Londres, nÕont jamais investi dans une exposition monographique du peintre espagnol. Il est peu frquent quÕun pays valorise les collections quÕil nÕa pas et Sorolla se trouve aujourdÕhui insuffisamment reprsent dans les muses franais, anglais, allemands, belges, italiens, russes, etc. La base Joconde, qui est le catalogue numrique des collections des muses nationaux franais, fait apparatre cinq rponses seulement : La vuelta de la pesca, La preparacin de la pasa. Jvea, et les portraits de lÕantiquaire parisien Jacques Seligmann (18581923), du critique dÕart Marcel Nicolle (1871-1934) et de lÕpouse du marchand Henri Dequis (inc.-inc.).70 DÕautres tableaux ne sont pas rfrencs dans cette base mais, malgr cela, lÕensemble du fond franais reste insignifiant. Cette situation est paradoxale quand on songe au parcours du peintre mais il faut se souvenir quÕ Paris la clientle tait cosmopolite. Pour le reste de lÕEurope, on a vu que ses expositions allemandes et anglaises furent deux dsastres commerciaux puisquÕil ne vendit quasiment rien et, lÕexception du Muse Zorn, aucune 68. 69. 70. Ramn Sanchs, ÒEbay Ç cuelga È un SorollaÓ, http://www.lasprovincias.es/, 9/04/2008. Natividad Pulido, ÒCultura busca un espacio anexo al Museo Sorolla para su ampliacinÓ, ABC, Madrid, 12/08/1999. Ç Il manque une grande rtrospective Madrid, Paris et Londres, qui achverait dÕlever Sorolla au rang de peintre universel. CÕest un dfi de lÕEurope. È La vuelta de la pesca, 265x325, Paris, Muse dÕOrsay, 1894. La preparacin de la pasa. Jvea, 195x140, Pau, Muse des Beaux-Arts, 1901. Retrato de Jacques Seligmann, 150x108, Castres, Muse Goya, 1911. Retrato de Marcel Nicolle, 48x58, Rouen, Muse des Beaux-Arts, sans date. Retrato de la seor Dequis, 73x93, Bordeaux, Muse des Beaux-Arts, 1913. La base Joconde est consutable lÕadresse suivante : http://www.culture.gouv.fr/public/mistral/joconde_fr . V. Sorolla et lÕEspagne dmocratique : 1975-2009 268 institution ne prit le parti de monter une exposition du peintre espagnol. En revanche, deux expositions prpares et finances en Espagne furent exportes vers le nord de lÕEurope. En 2002, le Wallraf Richartz Museum de Cologne accueille Sorolla paisajista, une exposition itinrante du Muse Sorolla qui circulait en Espagne depuis prs de deux ans.71 Puis, en 2006, le Petit Palais de Paris, qui a rcemment ouvert ses portes au public aprs quatre ans et demi dÕune rnovation complte, installe dans ses salles lÕexposition du Muse Thyssen Bornemisza Sargent y Sorolla.72 Le Petit Palais avait t construit pour lÕExposition Universelle de 1900, un cadre dÕautant plus appropri que Sargent et Sorolla y avaient alors t rcompenss ensemble par un Grand Prix. Mme si lÕexposition prpare par le Muse Thyssen Bornemisza est bien accueillie en France, cette exprience ne se renouvellera pas. Ë ce jour, la redcouverte de Sorolla en Europe reste faire. La dispersion de son Ïuvre lÕaurait probablement facilite car, de fait, cette tche est aujourdÕhui entirement dvolue aux institutions espagnoles. Avec la crise conomique et bancaire qui a frapp le pays en 2008, elles ne disposent plus aujourdÕhui des moyens ncessaires pour assumer seules autant de projets internationaux que par le pass. Nanmoins, et comme une consquence positive du travail ralis, la Fondation de lÕHermitage de Lausanne vient de monter une exposition largement consacre au peintre de Valence : El Modernismo de Sorolla a Picasso, 1880-1918.73 Sorolla apparat aujourdÕhui comme le peintre le plus important de sa gnration et cÕest pourquoi cÕest autour de lui que lÕexposition est btie. Elle prsente un ensemble trs vari parmi lequel on retrouve des portraits mais aussi des scnes de plage et de jardin provenant principalement de collections prives europennes. Plus rcemment, le 17 mars 2012, la premire exposition rtrospective italienne de son Ïuvre, Sorolla. Giardini di luce Ð ÒJardins de lumireÓ Ð a ouvert ses portes Ferrara.74 Il nous reste voquer lÕexposition Visiones de Espaa qui est le point dÕorgue de cette priode car, pour la premire fois de son histoire, le dcor de 71. 72. 73. 74. Anonyme, ÒLa calidez de Sorolla se ver en AlemaniaÓ, Metro Directo, Madrid, 4/09/2001. Unter Spaniens Sonne. Landschaften von Joaqun Sorolla (1863-1923), Cologne, 2002. Sargent et Sorolla. Peintres de la lumire, Paris, 2006. El Modernismo de Sorolla a Picasso 1880-1918, Lausanne, 5 Continents & Fondation de lÕHermitage, 2011. Sorolla. Giardini di luce, Ferrara, Comune di Ferrara, 2012. V. Sorolla et lÕEspagne dmocratique : 1975-2009 269 lÕHispanic Society allait tre entirement dmont, restaur et prsent en Espagne en 2007. Mais avant cela, il convient de se demander dans quelle mesure la perception de Sorolla a chang depuis 1994. Certes, le peintre apparat aujourdÕhui dans une complexit et une modernit quÕon ne lui connaissait pas mais, pour autant, peut-il tre, comme Ignacio Pinazo, resitu par les historiens de lÕart aux prmices des mouvements dÕavant-garde ? Mme si la redcouverte de son Ïuvre dpasse de loin toutes les attentes, elle ne balaie pas un sicle de rception critique et les institutions espagnoles ne sont pas encore prtes associer Sorolla aux Avant-gardes. On a vu que, par le pass, les deux choses ont continuellement t opposes par les communauts dÕinterprtation successives selon un schma fig : Sorolla la tradition et aux Avant-gardes, lÕinnovation. Mais on pourrait imaginer que ces barrires soient prochainement leves et que, par exemple, une exposition comparative des Ïuvres de Sorolla et dÕEquipo Crnica voie le jour en Espagne. Elle pourrait sÕarticuler autour du rapport aux matres et explorer, par exemple, la question de la citation. Mme si, pour lÕheure, un tel projet nÕest pas encore lÕordre du jour, une slection de tableaux provenant du Muse Sorolla fait dsormais partie de la collection permanente du nouveau Muse Reina Sofa qui bnficie depuis 2005 dÕune extension dessine par lÕarchitecte franais Jean Nouvel (1945). Saltando a la Comba fut la premire Ïuvre a rejoindre les salles du muse dÕart contemporain.75 En dpit de la loi de sparation des collections de 1995 qui fixe 1881, lÕanne de naissance de Picasso, la frontire entre ÒmodernesÓ et ÒcontemporainsÓ, le Muse Reina Sofa a fait inscrire le Valencien sur la liste des exceptions. Voici une partie du contenu du Dcret Royal du 17 mars 1995 : De acuerdo con el criterio general formulado por dicha Comisin, se ha optado por establecer como hito determinante de la asignacin de obras a uno u otro museo la fecha del nacimiento de Pablo Picasso, cuya obra, por su reconocida genialidad y su trascendencia ms all de lo puramente esttico, pueda servir para determinar el antes y despus de la evolucin artstica en los dos ltimos siglos. No obstante, dicho criterio general queda atemperado, asimismo, de conformidad con el informe de la Comisin, con la posibilidad de introducir sobre el mismo aquellas 75. Saltando a la comba, 105x166, Madrid, MS, 1907. V. Sorolla et lÕEspagne dmocratique : 1975-2009 270 excepciones que aconseje la complejidad de la creacin artstica del perodo considerado.76 Le texte prvoyait donc une certaine souplesse justifie par ses rdacteurs par la complexit des formes artistiques nes en Espagne, entre la Restauration et la premire Guerre Mondiale. LÕanne 1881 ne saurait, de fait, constituer une frontire tanche entre deux gnrations et elle doit tre comprise, sur le plan administratif et juridique, comme un repre permettant de distinguer les collections de lÕtat, dont la gestion est confie des institutions diffrentes menant des politiques distinctes. En France, cÕest lÕanne 1850 qui spare les collections du Muse du Louvre de celle du Muse dÕOrsay. LÕide de sparation des collections est forcment discutable et elle le fut, raison, lors de lÕexposition Visiones de Espaa car lÕÏuvre du Valencien se situe prcisment entre tradition et innovation et peut figurer autant comme la fin dÕune cole que comme les prmices dÕune autre. Sorolla a peint en 1897 un des derniers tableaux dÕhistoire, La jura de la Constitucin [de 1876] por la regente Da. Mara Cristina, mais il a aussi frl avec lÕabstraction en 1910, dans ses paisajes de la Sierra Nevada. Il peut donc, tour tour, clore le XIXme sicle espagnol et introduire le XXme. Le directeur du Muse Reina Sofa de Madrid, Manuel Borja-Villel (1957), explique que Sorolla, autant que Zuloaga, a nourri le terreau des Avant-gardes : Est comnmente aceptado que la Espaa negra es moderna, y por su luminosidad mediterrnea a Sorolla se le ha considerado un artista de otra poca [É] Pero tambin hubo una Espaa blanca que hay que tener en cuenta, y lo cierto es que Zuloaga y l tuvieron una consideracin internacional, sobre todo en EE UU, similar. Y de la confrontacin de ambas ideas es de donde surge Picasso y la superacin de los discursos caducos por la va de las vanguardias.77 76. 77. Dcret Royal n¡410/1995 consultable en ligne lÕadresse : http://www.boe.es/aeboe/consultas/bases_datos/ Ç Conformment lÕavis gnral exprim au sein de cette Commission, nous avons dcid de fixer comme repre pour lÕattribution des Ïuvres tel ou tel muse, la date de naissance de Pablo Picasso, dont lÕÏuvre, par son gnie reconnu et son importance au-del du critre purement esthtique, peut servir dterminer un avant et un aprs de lÕvolution artistique des deux derniers sicles. Cependant, ce critre gnral reste modulable, car, en accord avec le rapport de la Commission, il existe une possiblit dÕy introduire des exceptions dues la complexit de la cration artistique de la priode considre. È Iker Seisdedos, ÒJoaqun Sorolla tambin tiene cabida en el nuevo Reina SofaÓ, http://www.elpas.com, 9/05/2009. Ç Il est communment admis que lÕEspagne noire est moderne, et quÕen raison de sa lumire mditerrannenne, on a considr Sorolla comme V. Sorolla et lÕEspagne dmocratique : 1975-2009 271 Il faut imaginer que lÕintrt de ce muse dÕart contemporain est aussi conomique car Sorolla est aujourdÕhui un formidable Òproduit dÕappelÓ. Le Muse du Prado vient dÕadresser dÕailleurs au ministre de la Culture une demande visant augmenter la reprsentation du peintre parmi sa collection.78 78. un artiste dÕune autre poque [É] Mais il y a eu aussi une Espagne blanche quÕil faut prendre en compte et, ce qui est certain, cÕest que Zuloaga et lui ont joui dÕune reconnaissance internationale comparable, surtout aux tats-Unis. Et cÕest de la confrontation de ces deux tendances que Picasso voit le jour et que les discours caduques sont alors supplants par les Avant-gardes. È Ibidem. V. Sorolla et lÕEspagne dmocratique : 1975-2009 272 V.3. ÒSOROLLAMANêAÓ Pour dsigner lÕengouement soulev par lÕexposition itinrante Visiones de Espaa qui circule en Espagne durant un peu plus de deux ans, du 7 novembre 2007 au 18 janvier 2010, une journaliste de Vogue invente le nologisme ÒsorollamanaÓ qui est ensuite suffisamment repris pour devenir une dsignation admise.79 Le terme fait cho la ÒbeatlemanaÓ qui sÕest empare des jeunes Madrilnes les 2 et 3 juillet 1965, lors des deux seuls concerts espagnols de la tourne du groupe.80 Visiones de Espaa reste ce jour lÕexposition la plus visite de lÕhistoire de lÕEspagne puisquÕun peu plus de deux millions de personnes en ont franchi les portiques. Un cran digital faisait apparatre en direct la progression vertigineuse dÕun nombre qui arrta sa course 2.034.784 entres. Ce nombre sept chiffres dpasse de trs loin les rsultats de la rtrospective Vlasquez organise par le Muse du Prado en 1998 qui avait enregistr environ six cent mille entres et tait jusque-l le record en la matire.81 Selon le magazine Vogue, Sorolla connat, titre posthume, un succs comparable aux plus grandes stars internationales ! En aot 2009, le journal El Pas prtend, non sans ironie, que lÕcho mdiatique de lÕexposition a clips le concert de la chanteuse amricaine Madonna (1958) : Ç En Madrid la estrella de este verano est siendo sin ninguna duda Joaqun Sorolla, mucho ms que Madonna, que pas por aqu a dar un concierto y a ver el Museo del Prado y al final se hablaba ms de la visita al museo que de la actuacin. È82 La priode de ÒsorollamanaÓ est la fois courte mais trs dense car, comme jamais auparavant, lÕÏuvre du Valencien occupe le calendrier des vnements culturels du pays. Visiones de Espaa est, plusieurs gards, une exposition hors du commun. DÕabord, contrairement lÕusage selon lequel les muses organisent les expositions avec lÕappui financier dÕentits publiques et / ou prives, lÕexposition 79. 80. 81. 82. M. C., ÒSorollamanaÓ, http://www.vogue.es/, Madrid, 06/2009. Juan Luis Calleja, ÒComo catecumenosÓ, ABC, Madrid, 3/07/1965. M. L., ÒBancaja idea nueva disposicin y ttulo para el regreso de las obras a ValenciaÓ, http://www.lasprovincias.es/, Valence, 24/06/2009. Clara Snchez, ÒSorolla, Madonna, tapasÓ, http://www.elpas.com, Madrid, 30/08/2009. Ç Ë Madrid, la star de lÕt est certainement en passe de devenir Joaqun Sorolla, loin devant Madonna, qui a fait tape par ici pour donner un concert et visiter le Muse du Prado et, en fin de compte, la visite du muse fut davantage commente que sa prestation. È V. Sorolla et lÕEspagne dmocratique : 1975-2009 273 est entirement prpare et finance par la fondation culturelle de la caisse dÕpargne valencienne Bancaja. Pour mettre sur pied une exposition itinrante, lÕentreprise tablit ensuite des conventions avec cinq des plus grands muses du pays : les muses des Beaux-Arts de Sville et de Bilbao, les muses dÕArt Contemporain de Malaga et de Barcelone ainsi que le Muse National du Prado de Madrid. Sa prparation sÕtend sur plusieurs annes et cÕest pourquoi il convient de remonter un peu en arrire pour revenir son point de dpart. Au mois de juin 2005, Jos Luis Olivas, prsident de Bancaja, se rend New York pour signer lÕaccord autorisant la prsentation en Espagne du dcor de lÕHispanic Society. Outre une indemnisation dÕun million dÕeuros verse au muse amricain, le cot logistique de lÕopration est estim deux millions et demi dÕeuros. Il comprend le dmontage des panneaux, leur restauration complte, les transports routier et arien, leur scurit, etc. Par ailleurs, les quatorze toiles sont assures pour un montant de cent millions de dollars.83 En ralisant un investissement aussi important, la banque poursuit plusieurs objectifs mme si, dans un exercice de communication bien rod, Jos Luis Olivas voque que sa raison dÕtre premire concerne lÕimage de la marque Bancaja auprs de ses partenaires et de ses clients : Creo que hay poca tradicin en las instituciones culturales; existe cierto complejo para reconocer a los patrocinios con la misma naturalidad que se aceptan. Lgicamente, al patrocinador hay que darle la repercusin que merece. Entre la inversin que hace y la compensacin de imagen debe haber correspondencia. En otros lugares se ve como algo muy natural. La imagen se traduce en reputacin, prestigio, confianza, que en el mundo financiero y empresarial tienen gran importancia.84 83. 84. Carlos Aimeur, ÒLas exposicin de los sorollas de la Hispanic Society costar 2,5 millonesÓ, El Mundo, Valence, 8/06/2005. Jess Garca Calero, ÒJos Luis Olivas: En Espaa hay cierto complejo en reconocer los patrociniosÓ, http://www.abc.es/, Madrid, 4/06/2009. Ç Je crois que lÕusage est peu rpandu parmi les institutions culturelles ; il existe un certain complexe reconnatre lÕide de patronnage aussi facilement quÕelle est accepte. Logiquement, il faut donner au parrain la rpercussion quÕil mrite. Entre lÕinvestissement quÕil ralise et la compensation en matire dÕimage, il doit y avoir une quivalence. Dans dÕautres pays, on peroit cela comme quelque chose de trs naturel. LÕimage se transforme en rputation, en prestige, en confiance, ce qui, dans le monde de la finance et de lÕentreprise, est dÕune grande importance. È V. Sorolla et lÕEspagne dmocratique : 1975-2009 274 Outre cet argument, lÕexposition Visiones de Espaa peut tre compare une gigantesque campagne de publicit lÕchelle nationale. Sur le plan local, elle est cense faire connatre le nouveau sige valencien de la Fondation Bancaja puisque lÕexposition y sera inaugure en grande pompe.85 Ensuite, il faut rappeler que la caisse dÕpargne possde dj quatorze tableaux du matre et que, en investissant dans la promotion et la diffusion de lÕÏuvre du Valencien, elle fait augmenter en mme temps la valeur de sa propre collection.86 LÕart constitue un placement sr qui peut connatre dÕimportantes plus-values et rarement lÕinverse. Les grandes entreprises espagnoles et les banques, bien sr, possdent des collections dÕart. Aussi vrai quÕil convient de diversifier un portefeuille boursier pour limiter les risques, les entreprises runissent des collections gnralistes. Mais en la matire, une collection cohrente a plus de valeur que des tableaux isols. Pour ces deux raisons, Bancaja oriente ses acquisitons autour de deux axes valenciens : lÕÏuvre du peintre Sorolla et, un sujet historique : lÕexpulsion des morisques en 1609. En dehors de ces deux fonds, elle possde principalement des Ïuvres de peintres rgionaux. Elle a runi galement une collection de sculpture valencienne contemporaine qui comprend des Ïuvres de Manuel Boix Alvrez (1942), Vicente Martnez Gonzlez (inc.), Pedro Prez Boy (inc.) et Adolfo Siurana (1970). Le lien entre Visin de Espaa et une partie de sa propre collection nÕest quÕun des aspects de lÕinvestissement ralis par Bancaja. LÕentreprise mise sur la rentabilit du projet en prvoyant de dpasser les rsultats atteints par lÕexposition archologique Guerreros del XiÕan qui a attire en 2005, lors de sa prsentation Valence, environ deux cent quarante mille visiteurs et restait la plus visite de lÕhistoire de la ville. Pour cela, Bancaja prvoit dj court terme les retombes financires des entres payantes et les ventes des produits drivs, en particulier du catalogue, qui est dÕabord tir trente-sept mille exemplaires. Les recettes dpasseront largement toutes les prvisions et lÕinvestissement sÕavrera trs 85. 86. Charo Ramos, ÒEn la capilla sixtina de EspaaÓ, http://www.diariodesevilla.es/, Sville, 27/05/2008. Fundacin Bancaja de Valence : Cabeza de nia con flores, 45x29Õ3, sans date. Monja en oracin, 81x61, 1883. Retrato de una dama, 39x33, 1883. Doa Enriqueta Garca, 63x54, 1890. Barca, 34x45, 1895. Triste herencia, 212x288, 1899. Arrastre del bou, Valencia, 21x33, 1903. Barcas de pesca, 21x33, 1903. Playa de Biarritz, 16x22, 1906. Otoo en la Granja, 81x106, 1907. Al agua, 81x106, 1908. Seoras sentadas en un banco del Paseo de la Concha, 16x22, 1917. Figuras sentadas en la playa de San Sebastin, 14Õ5x18, 1917. Horno de El Palmeral de Elche, 20x24, 1918. V. Sorolla et lÕEspagne dmocratique : 1975-2009 275 rentable. Enfin, lÕinitiative doit tre relie au contexte politique car il sÕinscrit sur fond de rgionalisme culturel. En effet, la Communaut Autonome, le Conseil Gnral et la Ville de Valence financent depuis quelques annes des expositions et des projets ditoriaux visant promouvoir les artistes rgionaux avec en ligne de mire la consolidation dÕune identit culturelle rgionale. Pour lÕhistorien Felipe Garn, Sorolla est un symbole de la ÒvalencianidadÓ, lÕidentit valencienne.87 En janvier 2007, la Communaut Autonome de Valence prside par le conservateur Francisco Camps (1962), du Parti Populaire, fait lÕacquisition de deux cent soixante quinze lettres indites crites par Sorolla et adresses son ami Pedro Gil Moreno de Mora.88 Il sÕagit dÕun fond trs prcieux car les deux hommes taient amis de longue date et sÕcrivaient trs rgulirement en abordant aussi bien des sujets dÕordre priv que des questions artistiques. Gil avait t peintre dans sa jeunesse et cÕest lÕAcadmie Espagnole Rome que les deux hommes sÕtaient connus, ainsi que cela a dj t mentionn. Mais il sÕtablit ensuite Paris et devint banquier. Il conseilla notamment son ami dans la gestion de son patrimoine, en lÕorientant vers tel ou tel placement. La premire lettre est trs ancienne puisquÕelle est date de 1886 et nous renvoie donc au sjour romain des deux garons. La dernire est un courrier de 1953, de Mara Clotilde Sorolla Jos Pedro Gil, car les enfants des deux familles restent en contact bien aprs la mort de leurs pres respectifs89. La collection complte des courriers changs est porte la connaissance du public travers une exposition organise au Muse San Po V, qui est inaugure le 25 mars, puis par la publication du premier volume dÕun programme ditorial ambitieux : Epistolarios de Sorolla.90 Le projet vise mettre le contenu de ces lettres la disposition du public, en particulier des chercheurs. Le premier tome est suivi en 2008 et en 2009 par la sortie de deux volumes contenant les lettres changes entre Sorolla et son pouse. Plus de mille lettres comprises entre 1891 et 1919 sont aujourdÕhui conserves au Muse Sorolla et dsormais accessibles au plus grand nombre grce ces deux volumes. 87. 88. 89. 90. Anonyme, ÒGarn asegura que Sorolla es un smbolo por antonomasia de la valencianidadÓ, http://www.panorama-actual.es/, Barcelone, 4/10/2007. Anonyme, ÒLa Generalitat valenciana adquiere por 300.000 euros unas 300 cartas inditas de SorollaÉÓ, http://www.actualidad.terra.es/, Madrid, 9/01/2007. Facundo Toms, Felipe Garn, Isabel Justo et Sofa Barrn, Epistolarios de Joaqun Sorolla, I. Correspondencia con Pedro Gil Moreno de Mora, Barcelone, Anthropos, 2007, pages 53-376. Marta Moreira, ÒEl epistolario indito de Sorolla revela a un pintor apasionado y familiarÓ, ABC, Madrid, 27/03/2008. V. Sorolla et lÕEspagne dmocratique : 1975-2009 276 En raison des nombreux voyages du peintre, le couple correspondait presque quotidiennement, si bien que cette documentation reprsente une mine dÕinformations sur la vie quotidienne de lÕartiste.91 Ce fonds tait rest jusque-l confidentiel car les descendants nÕtaient pas prts rendre public des archives familiales traitant de questions quÕils jugeaient prives. Le prochain volume de la collection pourrait contenir la correspondance entre Sorolla et les artistes.92 Quelques semaines avant les lections rgionales de mai 2007, la cration dÕun centre dÕexposition et / ou de recherches ddi Sorolla est une des promesses du candidat du Parti Populaire valencien (PPCV), Francisco Camps. Sa vocation nÕest cependant pas dtermine avec prcision car, sans collection, ce centre serait ncessairement amput de son volet musal et donc cantonn des missions dÕtude et de recherche. Mme si les contours de ce projet demeurent alors trs flous, le candidat annonce en avril que, sÕil est rlu, cette institution verra le jour dans lÕancien couvent San Vicent de la Roqueta.93 Un journaliste estime que la ville recevra enfin son ÒMuse SorollaÓ quÕelle attend depuis si longtemps et que cela mettra un terme la ÒdiasporaÓ (sic) de la collection valencienne qui se trouve toujours dissmine dans plusieurs institutions publiques.94 Or, les runir est une gageure qui a dj t tente maintes fois par le pass et qui sÕest toujours solde par des checs. Le 27 mai 2007, le PPCV remporte les lections et le prsident du Gouvernement Autonome est rlu ; un Institut Joaqun Sorolla dÕtude et de recherches Ð Institucin Joaqun Sorolla de Investigacin y Estudios Ð voit le jour au printemps 2010 lÕintrieur dÕun autre difice, un ancien couvent carmlite qui est une annexe du Muse des Beaux-Arts de Valence, le Centre El Carmen. Mais non seulement il ne dispose pas du moindre tableau mais son budget est bien en de des ambitions affiches lors de la campagne.95 La Communaut Autonome de Valence est alors la rgion la plus endette dÕEspagne en raison de la gestion des dirigeants rgionaux du Parti Populaire qui ont entrepris, sur une priode trs 91. 92. 93. 94. 95. Epistolarios de Joaqun Sorolla. Correspondencia con Clotilde Garca del Castillo, Barcelone, Anthropos, 2008, 2 tomes. Alfonso Garca Valencia, ÒEl epistolario privado de Sorolla revelaÉÓ, http://www .levante-emv.com, Valence, 2/07/2009. Anonyme, ÒCamps anuncia la prxima creacin del Centro Sorolla en un convento de ValenciaÓ, http://www.lavanguardia.es/, Barcelone,13/04/2007. A.B., ÒEl genio de la luz, en ArrancapinsÓ, El Mundo, Madrid, 23/08/2007. Alfonso Garca Valencia, ÒEl Centro Sorolla queda reducido a un instituto de investigacin de 72m2Ó, http://www .levante-emv.com, Valence, 20/10/2009. V. Sorolla et lÕEspagne dmocratique : 1975-2009 277 courte, des projets faramineux. Des statistiques publies par la Banque dÕEspagne sont consultables sur son site internet lÕadresse http://www.bde.es/webbde/es/estadis/infoest/a1310.pdf . Ces chiffres montrent que cet endettement tait plus de deux fois suprieur la moyenne des autres rgions en 2007.96 Valence est alors la rgion la plus endette devant la Catalogne, la Galice et les Balares. La rgion la moins endette en 2007 est le Pays Basque. La dette valencienne progressa ensuite de faon vertigineuse puisquÕelle est quasiment multiplie par deux entre 2007 et 2011. On verra plus avant sous quelle forme lÕInstitut Joaqun Sorolla se prsente aujourdÕhui et quelles sont ses comptences et son champ dÕaction. LÕintrt du Parti Populaire de Valence pour le peintre de La Malvarrosa mrite dÕtre dcrypt. En effet, il sÕinscrit la fois dans lÕhistoire rcente de la droite, en particulier parce que Sorolla a t rhabilit par le rgime franquiste, mais aussi lÕintrieur dÕun certain ÒvalencianismeÓ conservateur. Il faut se souvenir que le pote Teodoro Llorente qui, au XIXme sicle, dfendait la langue, le patrimoine et la culture valenciennes, tait un lu conservateur. Le Òsentiment rgionalÓ est aussi une valeur historique de la droite valencienne. DÕun autre point de vue, lÕacquisition dÕune importante collection de correspondance comme la cration de cet Institut ne doivent pas tre spares des vises lectoralistes du Parti Populaire car, ainsi que cela a t dvelopp dans un autre chapitre, le citoyen dÕhonneur de la ville a continu jouir, dans sa ville dÕorigine, dÕune indfectible popularit parmi toutes les couches de la population. La cration dÕun Muse Sorolla de Valence est, nous le savons, une aspiration ancienne qui nÕa jamais abouti, de sorte que la promesse lectorale de Camps est taille pour rassembler au-del des clivages politiques. Les chiffres de frquentation des expositions monographiques de la peinture de Sorolla organises dans la ville depuis la rforme du statut juridique du muse madrilne continuent dmontrer que le peintre compte pour les Valenciens et lÕexposition Visiones de Espaa va bientt le confirmer. La restauration des quatorze panneaux, New York, prend fin en mai 2007 et ils sont achemins en Espagne le 30 septembre bord dÕun boeing 747 affrt 96. Statistiques de lÕendettement publique. Tableau n¡13.10. V. Sorolla et lÕEspagne dmocratique : 1975-2009 278 pour lÕoccasion.97 Le 7 novembre, lÕexposition Visiones de Espaa est inaugure par le couple princier dans les salles de la Fondation Bancaja. Prsente jusquÕau 31 mars de lÕanne suivante, elle attire plus de quatre cent mille visiteurs en cent quarante-cinq jours, soit prs de tois mille visiteurs par jour !98 Pour comprendre ce succs, il convient de rappeler que, tout comme les fonds du Muse Sorolla, le dcor de lÕHispanic Society ne pouvait pas sortir des murs de lÕinstitution pour des raisons juridiques, auxquelles sÕajoutaient dÕvidentes contraintes techniques et matrielles. Si bien que, quand cet obstacle fut dpass et que le prt des collections fut vrifi, la nouvelle dclencha un emballement mdiatique. La communication autour de lÕvnement est axe autour de deux messages simples, en direction du grand public : lÕexposition est indite et a, de surcrot, peu de chance de se renouveler. Elle est, en un mot, immanquable. Ç No creo que nunca ms se desmonten los murales. È cÕest--dire Ç je ne crois pas que les panneaux soient un jour redmonts. È dclare dans la presse locale Mitchell A. Codding, le directeur de lÕHispanic Society.99 La petite phrase fait les gros titres le jour de lÕinauguration et est entendue par le public, comme le montre ce microtrotoir ralis dans les files dÕattente de lÕexposition : Ç Juande y Pamela, de 27 y 26 aos respectivamente, pidieron el viernes pasado un da de permiso en sus centros de trabajo, en Castelln, para venir expresamente a Valencia a ver la exposicin porque : Es una oportunidad nica. È100 Les messages diffuss par les organisateurs et relays par les media sont taills pour dplacer les foules car ils mobilisent des rfrences connues de tous. Visin de Espaa est qualifie, par exemple, de Òchapelle sixtine de lÕEspagneÓ et prsente comme le Òtestament artistiqueÓ de Sorolla.101 La dsignation est singulire quand on songe dÕune part, que le peintre sÕattelle cette tche quarante-huit ans seulement et, dÕautre part, quÕil continue peindre aprs lÕavoir 97. 98. 99. 100. 101. Anonyme, ÒSorolla est listo para volarÓ, http://www.levante-emv.com, Valence, 3/05/2007. Paco Gisbert, ÒSorolla se va de gira por EspaaÓ, http://www.elpais.com, Madrid, 31/03/2008. Jos Aleixandre, ÒMichel Codding: ÒNo creo que nunca ms se desmonten los muralesÓ, http://www.levante-emv.com, Valence, 7/11/2007. Paco Gisbert, ÒSorolla se va de gira por EspaaÓ, http://www.elpais.com, Madrid, 31/03/2008. Ç Juande et Pamela, gs respectivement de 27 et 26 ans, ont demand un jour de cong leurs employeurs vendredi dernier, Castelln, pour venir expressment Valence dans le but de voir cette exposition parce que : CÕest une occasion unique. È Charo Ramos, ÒEn la capilla sixtina de EspaaÓ, http://www.diariodesevilla.es/, Sville, 27/05/2008. V. Sorolla et lÕEspagne dmocratique : 1975-2009 279 termine. Quant la prtendue Òchapelle sixtineÓ espagnole, la comparaison vise la frange catholique de la population dans une ville qui a accueilli depuis 2006, et jusquÕen 2009, les Vme Rencontres Internationales de la Famille. LÕvnement organis et financ par le Vatican aborde et dbat de questions lies la transmission de la foi au sein des familles. LÕhistorien Felipe Garn nÕhsite pas affirmer dans les colonnes de Las Provincias : Ç El Sorolla de la Hispanic Society es el mejor Sorolla. È102 Ç Le Sorolla de lÕHispanic Society est le meilleur Sorolla. È De mme, on peut se demander ce que recouvre ce ÒmeilleurÓ lanc ici comme une formule dÕappel. Quoi quÕil en soit, tous ces slogans font mouche et lÕexposition attire bien au-del du public habituel des muses. Afin de rpondre la demande, la Fondation Bancaja met en place des visites noctures, les Ònuits blanchesÓ, les vendredis et les samedis. Grce ce dispositif, les salles restent ouvertes jusquÕ seize heures par jour ! En mme temps, une visite virtuelle est propose sur le site internet de la fondation mais, ds le jour de sa mise en service, le nombre de connexions est tel que la page web se trouve hors service. LÕengouement gnral cre un contexte trs favorable la prsentation publique du tlfilm Cartas de Sorolla, le premier long mtrage consacr au peintre.103 Il avait t projet en avant-premire Valence ds le lendemain de lÕinauguration de lÕexposition. Sur la chane rgionale Canal 9, il sera diffus plus tard en deux pisodes. Cette fiction pdagogique destine au grand public prsente les grandes lignes du parcours du peintre et soigne tout particulirement la reconstitution des ambiances en essayant de coller au plus prs des tableaux. Escriv nÕen est pas sa premire fiction valencienne puisquÕil vient dÕadapter pour la mme chane le roman de Vicente Blasco Ibez, Arroz y Tartana (2003). Le Gouvernement Autonome et le groupe audiovisuel RTVV Ð Radiotelevisi Valenciana Ð financent ces deux tlfilms. Pour cette raison, le scnario de Cartas de Sorolla privilgie le lien entre le peintre et sa rgion et ne manque pas de souligner son amiti avec Blasco. Escriv reconstitue notamment leur rencontre sur la plage de La Malvarrosa, telle que lÕcrivain lÕa raconte dans la prface dÕune dition de Flor de Mayo. En mai 2008, Cartas de Sorolla remporte le prix du meilleur tlfilm de lÕanne dcern par lÕAcadmie des 102. 103. Rafa Mar, ÒFelipe Garn: Ç El Sorolla de Hispanic Society es el mejor Sorolla ÈÓ, http://www.lasprovincias.es, Valence,16/10/2007. Marta Moreira, Ò2.000 invitados asisten al estreno del telefilme Ç Cartas de Sorolla ÈÓ, http://www.abc.es/, Madrid, 8/11/2006. Figure n¡26. Cartas de Sorolla (2006). V. Sorolla et lÕEspagne dmocratique : 1975-2009 280 Sciences et des Arts de la Tlvision.104 Depuis lÕt 2009, il est projet une fois par semaine au Muse Sorolla de Madrid dans le cadre du programme ÒNoches de veranoÓ. LÕexposition connat une belle russite dans toutes les villes o elle est prsente, comme le montre le tableau ci-dessous : Rsultats de lÕexposition Visiones de Espaa Source : http://www.obrasocial.bancaja.es/ page consulte le 16/08/2011. Dure en jours Nb. dÕentres Entres / j. Valence, Centro Cultural Bancaja. 145 422.794 2916 Sville, Museo de Bellas Artes. 68 132.292 1945,5 Mlaga, CAC. 66 161.220 2443 Bilbao, Museo de Bellas Artes. 98 154.009 1571 Barcelona, MNAC. 73 252.376 3457 Madrid, Museo Nacional del Prado. 111 459.267 4137,5 Valence, Centro Cultural Bancaja. 121 452.826 3742 681 2.034.784 2887,5 Total Les quatorze panneaux sont prsents Madrid compter du 26 mai 2009, dans les nouvelles salles du Muse du Prado. Pour lÕoccasion, quatre-vingt-huit tableaux supplmentaires sont rassembls pour former ensemble une grande rtrospective seulement comparable celles de 1963 et de 1989. Ils proviennent du monde entier et, grce la collaboration dÕinstitutions et de collectionneurs trangers, des Ïuvres majeures sont pour la premire fois prsentes cte cte. Le Muse dÕOrsay prte La vuelta de la pesca, le Muse des Beaux-Arts de Cuba cde Verano et le Muse dÕArt Moderne CaÕPesaro de Venise se spare momentanment de Cosiendo la vela qui, une fois restaur, rvle lÕclat et la brillance de ses bleus azurs. Le chef-dÕÏuvre de la srie des nageurs de Jvea, El 104. Anonyme, ÒEl Consell destaca el premio de la Academia de la Televisin a Cartas de SorollaÓ, http://www.panorama-actual.es/, Barcelone, 3/07/2008. V. Sorolla et lÕEspagne dmocratique : 1975-2009 281 bote blanco, figure aussi au catalogue de cette exposition de prestige.105 Il nÕavait t expos quÕune fois aux tats-Unis, en 1989. On pourrait poursuivre ainsi longuement car les cent deux tableaux inscrits au catalogue sont autant de pices essentielles la comprhension de lÕÏuvre de Sorolla. Selon les besoins, quelques toiles sont restaures par les spcialistes du Muse du Prado Eva Perales (inc.) et Luca Martnez (inc.), et rencadres pour mieux rendre compte de leur tat premier. Deux toiles retrouvent leurs cadres originels, noclassiques de style dorique. Ë Madrid, lÕexposition est inaugure par le Roi Juan Carlos I et la reine Sofa ainsi que le prince des Asturies et son pouse. Elle se traduit, comme ailleurs, par un immense succs populaire et tablit une nouvelle fois des records de frquentation, dpassant de loin la meilleure rfrence de lÕanne cÕest--dire une exposition dÕobjets vus dans la srie Star Wars qui avait enregistr deux cent quatre-vingt mille entres.106 Ë la fin de lÕanne 2009, la presse diffuse les chiffres dÕune exposition dj connue comme celle de tous les records.107 Les rsultats de frquentation donnent une ide de lÕadhsion populaire au peintre de Valence. Son nom devient une marque part entire, gnrant assez de bnfices pour intresser lÕenseigne commerciale Corte Ingls qui ouvre un point de vente de produits drivs : ÒRincn SorollaÓ.108 Prs de cent mille cartes postales, trente mille aimants dcoratifs, sept cents foulards, mille cent DVD, cent cinquante mille affiches et cinquante mille exemplaires du catalogue sont vendus en deux ans. Celui-ci est rdit deux fois dans le courant de lÕexposition car les trente sept mille exemplaires de la premire dition et les onze mille exemplaires supplmentaires de la deuxime sÕarrachent en quelques semaines. Une telle ferveur populaire nÕest pas le lot commun de tous les peintres et cela est mme extrmement rare. On peut se demander pourquoi Sorolla plat autant aujourdÕhui, au-del du public ordinaire des muses dÕart ? Pour le journaliste Jos Ignacio Cubero, lÕart contemporain est devenu trop conceptuel pour tre 105. 106. 107. 108. La vuelta de la pesca, Paris, Muse dÕOrsay, 265x325, 1894. Verano, Cuba, Muse des Beaux-Arts de La Havanne, Cosiendo la vela, Venise, Muse dÕArt Moderne CaÕPesaro, 1896. El bote blanco, Collection particulire, 1905. Anonyme, ÒUn milln de personas con SorollaÓ, http://www.lasprovincias.com, Valence 04/2009 et E. Prez, ÒEl Sorolla de los rcordsÓ, http://www.lasprovincias.es/, Valence, 13/09/2009. E, Prez, ÒEl Sorolla de los rcordsÓ, http://www.lasprovincias.es/, Valence, 13/09/2009. Anonyme, ÒEl xito de la exposicin de Sorolla dispara la compra de libros y artculos sobre el pintorÓ, http://www.europapress.es/, Madrid, 3/10/2009. V. Sorolla et lÕEspagne dmocratique : 1975-2009 282 compris de tous et un foss se serait creus entre les masses et les artistes. La valeur financire et la reconnaissance concdes certaines Ïuvres ne sont pas comprises quand elles remettent en cause la valeur du travail. Dans une Espagne accable par le chmage, la prcarit et la baisse du pouvoir dÕachat, la peinture de Sorolla trouverait grce aux yeux du grand public car elle tmoignerait dÕun savoir-faire hors du commun et digne dÕtre admir. CÕest en cela quÕelle serait aujourdÕhui considre par le public comme un art vritable.109 Mais on peut dgager dÕautres rponses possibles car un tel engouement obit, de toute vidence, de nombreux critres. Tout dÕabord, on ne peut pas exclure la dimension gographique de cette Ïuvre. Visin de Espaa montre des territoires varis et parle autant lÕAndalou quÕau Basque. Les lieux, les monuments et les costumes sont non seulement facilement identifiables mais aussi trs vocateurs puisquÕils renvoient des images prsentes dans lÕalbum de famille du spectateur. Par ailleurs, en de temps de crise, la peinture lumineuse du Valencien pourrait trs bien offrir un certain ÒrconfortÓ. En effet, cette ÒEspagne dÕavantÓ saine, heureuse et insouciante, est particulirement scurisante dans un tel contexte. Par ailleurs, Visin de Espaa montre lÕabondance des rcoltes, lÕauthenticit des produits de la terre et de lÕlevage et ces savoir-faire rgionaux qui ont presque disparus dans une Espagne qui est aujourdÕhui le verger de lÕEurope. La production marachre intensive est une industrie qui a sacrifi depuis longtemps la qualit au profit de la productivit. Visin de Espaa cÕest lÕEspagne de papi, celle laquelle on pense avec nostalgie et tendresse. DÕun point de vue historiographique, dÕimportants enjeux accompagnent la prsentation du dcor de lÕHispanic Society. Car la redcouverte rcente de Sorolla a t guide par lÕide que son Ïuvre prsente des affinits thmatiques et plastiques avec des courant anti-acadmiques europens. Pour le dmontrer, les spcialistes se sont appuys sur sa peinture la plus confidentielle, cÕest--dire celle qui nÕa pas quitt son atelier. Or, Visin de Espaa est prcisment le contraire, puisquÕil sÕagit non seulement dÕun dcor monumental, dÕune commande prive mais aussi dÕune Ïuvre ancre dans le no-romantisme du XIXme sicle espagnol, le ÒcostumbrismoÓ. LÕimplication du peintre avait t limite par les dsirs de son riche client ; cÕest pourquoi Florencio de Santa-Ana continue 109. Jos Ignacio Cubero, ÒSobre la pinturaÓ, abc.es, 4/08/2009. V. Sorolla et lÕEspagne dmocratique : 1975-2009 283 considrer cette frise comme une rgression par rapport la peinture la plus personnelle de lÕartiste.110 videmment, dans le contexte de lÕexposition Visiones de Espaa, cette lecture nÕest pas ÒcommercialeÓ et la communication autour de lÕvnement est toute diffrente. Ds son inauguration, en 1926, le dcor tait en dcalage avec les courants du moment. Il fut ensuite longtemps ignor jusquÕ ce que le franquisme lÕexhume et sÕemploie le rhabiliter et cela en dit assez long sur la mauvaise image de la dernire Ïuvre de Sorolla. Il est dÕailleurs intressant de consulter, titre de comparaison, les forums en ligne car la perception des internautes nÕobit pas aux rgles journalistiques. LÕun dÕentre eux voit dans ce dcor une Ïuvre encore trs acadmique : Ç A mi Sorolla em sembla un pintor fora del deu temps, molt acadmic i venut a la burguesia dÕ lÕpoca. Quan a Paris passaben fam o morien de febra genis com Modigliani, ell segua pintant ÒmarinesÓ i eixa horrorosa y tpica ÒVisin de EspaaÓ. Preferisc el apunts de la primera poca i no aquestes pintures dÕencrrec. È111 Depuis notre dbut de XXIme sicle, la perception de Visin de Espaa ne peut tre que renouvele compte tenu du cycle qui vient de sÕachever mais aussi du contexte politique, conomique et social de lÕEspagne. Sous le franquisme, elle symbolise lÕunit nationale et lÕHispanit. CÕest en ces termes quÕelle avait t commente en 1944, lorsque la premire rtrospective de lÕÏuvre de Sorolla avait dvoil quelques bauches du panneau castillan La fiesta del pan. Mais lÕexposition Visiones de Espaa voit le jour dans des conditions trs diffrentes de celle de 1944 puisque le projet est entirement priv et se superpose, par ailleurs, la politique culturelle rgionaliste conduite par les autorits valenciennes. Dans ce contexte, la nouvelle lecture de cette Ïuvre en quatorze parties est diamtralement oppose lÕancienne. La forme mme de lÕÏuvre est prsente sous un autre angle car, si les provinces se trouvent, de fait, associes les unes aux autres, les panneaux sont bien spars et ne forment pas une frise continue mais plutt une mosaque de panneaux autonomes et solidaires comme le sont les rgions dÕEspagne lÕintrieur du systme des autonomies tel quÕil est dfini dans 110. 111. Jos Luis Plaza, ÒSorolla fue tan personal que no tuvo discpulosÓ, En Libertad, [?], 31/05/2008. Anonyme, ÒOtro hito para Joaqun SorollaÓ, levante-emv.com, 5/09/2009. Ç Selon moi, Sorolla mÕapparat comme un peintre hors du temps, trs acadmique et vendu la bourgeoisie de lÕpoque. Tandis quÕ Paris des gnies comme Modigliani mouraient de faim, lui continuait peindre des ÒmarinesÓ et cette affreuse et strotype ÒVisin de EspaaÓ. Je prfre ses pochades de la premire poque ces peintures commandes. È V. Sorolla et lÕEspagne dmocratique : 1975-2009 284 lÕarticle 2 de la constitution de 1978 : Ç La Constitucin se fundamenta en la indisoluble unidad de la Nacin espaola, patria comn e indivisible de todos los espaoles, y reconoce y garantiza el derecho a la autonoma de las nacionalidades y regiones que la integran y la solidaridad entre todas ellas. È112 Tout est une question de point de vue. Dans un journal en ligne de Cadix, le conservateur de lÕHispanic Society Marcus Burke (inc.) affirme que le dcor a une valeur prophtique puisquÕil aurait anticip le Òfdralisme moderneÓ : En un tiempo estos magnficos cuadros se desapreciaron por ser tursticos, pero hoy en da, con una Espaa regionalizada dentro de un Europa igualmente reconocida de valores locales, la visin artstica de Sorolla nos parece no solamente moderna, sino proftica. Si el federalismo moderno tuviera una ciudad vaticana, Las Regiones de Espaa sera su Capilla Sixtina. La serie nos permite, casi un siglo despus de su creacin, saber lo que era Espaa y lo que ha llegado a ser.113 Ë la fin de ce passage, lÕintellectuel amricain parle dÕun tmoignage de lÕEspagne de lÕpoque comme si Visin de Espaa avait la valeur dÕun document historique. Un journaliste considre que, en recueillant sur la toile les physionomies et les costumes des rgions, le peintre a suivi une dmarche anthropologique avant lÕheure.114 Hormis Castilla. La fiesta del pan, tous les panneaux ont t peints directement sur le motif. Pour cette raison, la manire dÕun relev, ils peuvent revtir un caractre ethnographique. AujourdÕhui, la frise des provinces peut difficilement tre lue sous le seul angle valencianiste, car cela serait un non-sens. Il faut se souvenir que, par le pass, les rpublicains ne rduisaient pas le peintre sa dimension nationale et prfraient lÕlever une dimension internationale quÕils dsignaient, selon une formule rebattue, comme 112. 113. 114. http://www.lamoncloa.gob.es/ Ç La Constitution repose sur le principe de lÕunit indissoluble de la Nation espagnole, patrie commune et indivisible de tous les Espagnols. Elle reconnat et garantit le droit lÕautonomie des nationalits et des rgions qui la composent ainsi que la solidarit entre elles. È Marcus Burke, ÒLa capilla sextina del regionalismo espaolÓ, http://www.lavozdigital.es/, Cadix, 21/12/2008. Ç Ë une autre poque, ces superbes tableaux ont perdu de leur valeur pour avoir t jugs touristiques. Mais de nos jours, dans une Espagne des rgions lÕintrieur dÕune Europe qui, de mme, reconnat les particularismes locaux, la vision artistique de Sorolla nous semble non seulement moderne, mais aussi prophtique. Si le fdralisme moderne avait un Saint Sige, les Rgions dÕEspagne en seraient la Chapelle Sixtine. La srie nous permet de savoir, presque un sicle aprs sa cration, ce quÕtait lÕEspagne et ce quÕelle est devenue. È Enrique Castaos Als, ÒUna cierta idea de EspaaÓ, http://www.sur.es/, Malaga, 5/09/2008. V. Sorolla et lÕEspagne dmocratique : 1975-2009 285 universelle. CÕest justement la mme notion dÕuniversalit qui se trouve au cÏur de la rception de Visin de Espaa entre 2007 et 2009. Le site internet granadahoy.com titre prcisment : ÒEl Sorolla ms universalÓ.115 La frise est perue comme universelle plus dÕun titre. Tout dÕabord, lÕimage est un langage universel. Ensuite, les thmes choisis sont la porte du plus grand nombre car le travail Ð agriculture, pche et levage Ð le commerce, la religion, la tradition, la fte, le spectacle et le jeu font partie de la culture de toutes les communauts humaines. Le dcor montre des vnements marquants de la vie des hommes. Par exemple, dans le panneau consacr la Castille le mariage est voqu par la jeune fille qui arbore la robe de marie de Salamanque. Par ailleurs, lÕÏuvre est universelle parce quÕelle ne cite pas dÕvnements nationaux, contrairement la peinture dÕhistoire ou, en littrature, aux pisodes nationaux de Benito Prez Galds, dont la rception sÕest limite lÕEspagne. Enfin, parce quÕelle est installe dans une ville aussi cosmopolite que New York et que cela lui confre une dimension transnationale.116 Cette nouvelle lecture de Visin de Espaa mrite dÕtre replace dans le prolongement de la transformation de la ville de Valence dans les annes quatrevingt-dix et deux mille et sa nouvelle dimension de ple cosmopolite, ouvert sur le monde. En effet, lÕinternationalisme et lÕinterculturalisme dcels dans la dernire commande de Sorolla sont des valeurs qui correspondent cette ville qui se trouve alors dans une phase mergente et rayonne au plus haut niveau mondial sur les plans conomique, infrastructurel, culturel, sportif, etc. Citons, par exemple, lÕinauguration en 2010 dÕune nouvelle gare ferroviaire ultra moderne, baptise prcisment Joaqun Sorolla. En 2005, le Palais des Arts Reina Sofa est inaugur lÕintrieur de la Cit des Arts et des Sciences. La ville accueille en 2007 et en 2010 deux ditions de lÕAmericanÕs Cup, une course la voile de lgende puisquÕil sÕagit dÕun des plus vieux trophes sportifs au monde. Enfin, depuis 2008, un Grand Prix de formule 1 emprunte un circuit urbain trac dans le quartier maritime. Le gigantisme, la fois du dcor de lÕHispanic Society et de lÕexposition elle-mme, colle une stratgie politique de la dmesure qui prendra fin avec la crise conomique de 2008 et se soldera par un endettement exorbitant. 115. 116. Bernardo Palomo, ÒEl Sorolla ms universalÓ, http://www.granadahoy.com, Grenade, 16/06/2008. Bernardo Palomo, ÒEl Sorolla ms universalÓ, http://www.granadahoy.com, Grenade,16/06/2008. V. Sorolla et lÕEspagne dmocratique : 1975-2009 286 LÕexposition quitte les salles du Muse du Prado au dbut du mois de septembre 2009. Malgr la dure de cette exposition et les moyens mobiliss pour quÕun maximum de personnes puisse la visiter, toutes les demandes ne sont pas satisfaites. Pour des raisons de scurit, les entres sont limites cent personnes toutes les quinze minutes selon un systme dÕentres groupes qui a fait ses preuves au Muse Thyssen Bornemisza. Un systme de rservations sur internet est mme mis en service pour rguler lÕaffluence. Mais vingt jours avant la fin de lÕexposition, le stock de billets disponibles en ligne est puis.117 Afin de rpondre la demande valencienne, Visin de Espaa est nouveau accroch dans les salles de la Fondation Bancaja jusquÕau dbut de lÕanne 2010.118 En complment, des dessins prparatoires conservs lÕHispanic Society sont prsents Gandia, une ville de la province de Valence.119 Par ailleurs, la ville clbre alors le centenaire de lÕexposition de 1909 et de lÕhymne rgional. Ë cette occasion Manolo Valds dessine une affiche inspire dÕun tableau de Sorolla, Las grupas. Aprs cette tourne nationale de deux ans, les panneaux et les bauches reprennent le chemin de New York. Sur le plan touristique, lÕexposition a t une manne pour la capitale du Levant et pour continuer dÕattirer les inconditonnels du peintre, la Communaut Autonome a rcemment dvoil un nouvel itinraire touristique : le circuit Sorolla.120 Le choix des sites et la rdaction des notices ont t confis lÕInstitut Joaqun Sorolla dÕtude et de recherches. Le circuit comprend vingt-neuf tapes, de la maison natale du peintre la collection de peintures du Muse Lladr en passant par lÕatelier photographique dÕAntonio Garca, le monument ÒValencia a SorollaÓ, la plage de la Malvarrosa, le Muse Vicente Blasco Ibez, le Muse des Beaux-Arts, etc.121 De mme, le Muse des Beaux-Arts San Po V a rnov 117. 118. 119. 120. 121. Anonyme, ÒAgotadas las entradas por internet para ver antologa de Sorolla en el PradoÓ, http://www.abc.es/, Madrid,21/08/2009. Anonyme, ÒVisin de Espaa 2Ó, http://www.elpais.com, Madrid, 27/09/2009. Anonyme, ÒUna muestra documenta en Valencia los siete aos deÉÓ, http://www.adn.es/, Madrid, 7/07/2009. Figure n¡29. Affiche promotionnelle du circuit Sorolla (2012). 1. Maison natale de J. Sorolla. 2. glise Sainte Catherine. 3. Rsidence de la famille Sorolla Bastida (1864-1865). 4. Foyer adoptif de Joaqun et Concha Sorolla Bastida depuis 1865. 5. Ancien emplacement de lÕcole des Artisans de Valence. 6. cole des Artisans de Valence. 7. Centre El Carmen. 8. Atelier photographique et domicile de la famille Garca del Castillo. 9. Ancien emplacement de la Socit Rcrative El Iris. 10. Premier atelier de Joaqun Sorolla. 11. Deuxime atelier. 12. Escalones de la Lonja. Dcor de lÕÏuvre El grito del palleter. 13. glise San Martn. 14. Maison natale de Saint Vincent Ferrier. Dcor de lÕÏuvre Exvoto. 15. Maison muse Benlliure. 16. Mairie de V. Sorolla et lÕEspagne dmocratique : 1975-2009 287 une partie de ses locaux pour prsenter sa collection de quarante-deux tableaux et onze dessins du matre dans des conditions optimales. Un site internet, comprenant une visite interactive, est consultable gratuitement.122 122. Valence. 17. Cathdrale de Valence. 18. Place Redonda. 19. glise Saint Jean. 20. Palais de lÕExposition. 21. Casilicio de la Virgen de los Desamparados en el Puente del mar. 22. Cercle des Beaux-Arts de Valence. 23. Muse des Beaux-Arts de Valence. 24. Plage de la Malvarrosa. Maison muse Vicente Blasco Ibez. 25. Ancien Asile San Juan de Dios. 26. Maison dels bous. 27. Monument ÒValencia a SorollaÓ. 28. Cimetire Gnral de Valence. 29. Collection de peinture du Muse Lladr. http://sorolla.museobellasartesvalencia.gva.es/. Conclusion 288 CONCLUSION AujourdÕhui, la ÒsorollomanieÓ est retombe mme sÕil est probable quÕelle reprenne un second souffle en 2013, lÕanne du cent-cinquantime anniversaire de la naissance du peintre. Aprs cela, ses tableaux disparatront probablement nouveau du devant de la scne culturelle du pays ainsi que plusieurs indices nous conduisent le penser. Tout dÕabord, la prsentation de Visin de Espaa a clos un cycle car, de lÕÏuvre peint, la frise des provinces restait la dernire pice indite dans la mesure o des expositions ont balay les principaux champs de sa production. De plus, il serait difficile dÕorganiser dj une autre exposition majeure si proche de la grande rtrospective du Muse du Prado. Si lÕon en croit les oscillations de la courbe de rpartition des archives de pressse, le peintre cdera ncessairement la place dÕautres artistes qui occuperont leur tour lÕactualit culturelle du pays selon une logique de cycles. Le graphique prsent en introduction montre que les phases de haute intensit critique sont spares de trente ans environ. CÕest apparemment la dure au-del de laquelle il est ncessaire de raviver le souvenir du peintre disparu en 1923. Le public espagnol connat aujourdÕhui lÕÏuvre de Sorolla comme jamais auparavant. Selon lÕexpression du journaliste Antonio Lucas (1975), le peintre a cess dÕtre un Òlocataire de lÕoubliÓ : Ç Algo pas con Sorolla. No un maleficio, ni una torcedura del destino. Sencillamente que qued largo tiempo sentado en ese purgatorio donde algunos artistas esperan turno para ser restituidos. No es un hospital de convalescientes, sino un pabelln de sombras. Joaqun Sorolla fue uno de los inquilinos del olvido. È1 Si son Ïuvre devait sombrer dans un nouvel ÒoubliÓ, il ne serait certainement pas comparable la longue lthargie des annes vingt quarante ou, plus rcemment, celle des annes soixante-dix et quatrevingt. Mais fatalement, un peu de temps doit sÕcouler pour quÕelle soit nouveau redcouverte et Ð il faut lÕesprer Ð sous un jour aussi nouveau quÕinattendu. 1. Antonio Lucas, ÒLa recuperacin del maestro de la luzÓ, El Mundo, Madrid, 17/05/2009. Ç Quelque chose sÕest produit avec Sorolla. Non pas un malfice, ni mme un tournant du destin. Simplement, il resta longtemps assis dans ce purgatoire o quelques artistes attendent leur tour avant dÕtre rendus la libert. Ce nÕest pas un hpital de convalescents mais un pavillon des ombres. Joaqun Sorolla a t un de ces locataires de lÕoubli. È Conclusion 289 Durant la priode qui vient de sÕachever, le Valencien aurait, dit-on, retrouv sa place dans lÕhistoire de lÕart. Rcemment, Toms Llorens prtendait que la perception actuelle de son Ïuvre devrait tre au moins proportionnelle son rayonnement pass. On peut se demander quel est le sens dÕun tel avis, dans la mesure o la rception dÕun artiste nÕest pas constante et obit des facteurs sur lesquels lÕhistorien nÕa pas toujours de prise. Par ailleurs, il nÕy a pas de ÒjusticeÓ en la matire, ni son contraire, car ce serait un non-sens. Un peintre comme le Franais Ernest Meissonnier (1815-1891) fut considr son poque comme un matre et jouissait dÕun haut niveau de notorit, alors quÕil est aujourdÕhui inconnu du grand public. Son contemporain Vincent Van Gogh (1853-1890) est lÕexemple le plus frappant dÕun artiste marginal qui resta toujours en dehors de lÕespace public et fut, malgr tout, redcouvert et mme adul aprs sa mort par les peintres, puis par les spcialistes et enfin par le public. La journaliste Guillermina Perales pense que Sorolla occupe la place qui lui revient : Ç Sorolla es lo que es È, Ç Sorolla nÕest que ce quÕil est È, crivait-elle dans un article paru en dcembre 2007. Elle le justifiait en mettant en avant les choix esthtiques du peintre : Ç Sorolla condiciona su concepcin pictrica a una visin estereotipada y caduca, ajeno a la realidad artstica y social de la Espaa de aquellos aos. È2 En dehors de cette justification, le titre choisi par Perales suppose quÕil existe une hirarchie reposant sur un quilibre naturel. Or, l encore cÕest un non-sens car, comme la spculation oriente le march, les forces qui orientent la rception sont anti-naturelles. Au fil dÕune tude diachronique, nous avons tent de dmontrer que la place dÕun artiste nÕest ni due, ni indue, mais quÕelle se trouve comme gaine lÕintrieur de phnomnes politiques, conomiques et sociaux. Un peintre est plus ou moins reconnu par lÕhistoriographie, le march de lÕart et le grand public. Depuis une vingtaine dÕannes, Sorolla est entr dans une phase de rvaluation car son Ïuvre a t trs souvent prsente au public durant cette priode. Aussi vrai quÕun auteur doit tre frquemment rdit, un peintre doit tre rgulirement expos et cÕest ce qui est arriv dans son cas. Pour que ces expositions puissent voir le jour, il faut bien sr quÕun certain nombre de conditions soient runies. Ces pisodes ne durent pas ternellement et cÕest 2. Guillermina Perales, ÒSorolla es lo que esÓ, informacion.es, 5/12/2007. Ç Sorolla adapte sa conception de la peinture une vision strotype et caduque, trangre la ralit artistique et sociale de lÕEspagne de cette poque. È Conclusion 290 pourquoi la redcouverte dÕun artiste est cyclique et se calque, selon lÕusage, sur des phmrides. Par exemple, lÕEspagne a ft le quatrime centenaire de Don Quichotte en 2005, lÕAutriche a clbr le deux cent cinquantime anniversaire de la naissance de Mozart (1756-1791) en 2006 et la France a commmor le cinquantime anniversaire du Prix Nobel dÕAlbert Camus, en 2007. Le roman de Miguel de Cervantes et les Ïuvres compltes des deux crateurs ont t chaque fois rdits. Bien que les commmorations soient phmres, elles laissent une empreinte qui, elle, dure quelques annes de plus. Les expositions temporaires laissent des catalogues que lÕon regarde et relit. Les peintres dÕhistoire que lÕon dsignait sous le terme pjoratifs de ÒpompiersÓ, en rfrence aux casques luisants arbors par les soldats romains, sont en voie de rhabilitation en France, comme on lÕa dj not dans cette tude, mais aussi en Espagne si lÕon pense par exemple la grande rtrospective organise au Muse du Prado en 2007.3 Cette exposition a t une occasion de redcouvrir les chefs-dÕÏuvre du genre, La leyenda del rey Monje et La rendicin de Bailn de Jos Casado del Alisal, Conversin del Duque de Ganda de Jos Moreno Carbonero, Muerte de Lucrecia dÕEduardo Rosales, et quelques autres.4 Cela tant, combien dÕexpositions et de nouvelles approches seront ncessaires la complte rhabilitation des peintres dÕhistoire ? Nul ne le sait et le temps seul le dira. Sorolla nÕa jamais occup que la place que ses contemporains ont bien voulu lui donner. Le ÒsalonnierÓ des annes 1890 bnficia de lÕappui de la gauche librale et rpublicaine car il apparaissait, sur le plan artistique, comme un rformateur. Il nÕa jamais t un peintre rsolumment anti-acadmique et il tenta seulement de concilier, dans sa peinture, la tradition et lÕinnovation, comme avait su le faire en France Jules Bastien-Lepage. En suivant cet exemple, il russit ouvrir cette voie ÒintermdiaireÓ qui nÕexistait pas dans son pays et chercha obtenir la reconnaissance officielle. Y parvient-t-il par lui-mme ? La rponse est non car il bnficia la fois du soutien des rpublicains de Valence et de la gauche dynastique. Aprs deux checs conscutifs aux Expositions Nationales de 1897 et de 1899, le concours fut rform en 1901 par le ministre libral 3. 4. El siglo XIX en el Prado, Madrid, Museo Nacional de Prado, 2007 et çngeles Garca, ÒEl Prado pone fin al exilio de la coleccin del XIXÓ, elpais.com, 5/10/2009. Au Muse National du Prado : Eduardo Rosales, Muerte de Lucrecia, 257x347, 1871. Jos Moreno Carbonero, Conversin del Duque de Ganda de, 315x500, 1884. Jos Casado del Alisal, La rendicin de Bailn, 338x500, 1864 et La leyenda del rey Monje, 356x374, 1880. Conclusion 291 Romanones sous le dernier mandat de Prxedes Mateo Sagasta. Son jury fut alors compltement renouvel. La gnration des peintres dÕhistoire fut carte au profit des jeunes artistes rcompenss lors des ditions prcdentes. Dans ces conditions, Sorolla dcrocha facilement la Mdaille dÕHonneur car tous reconnaissaient en lui le liquidateur du classicisme. Il tait g de trente-huit ans seulement mais aucun peintre, en Espagne, nÕavait un palmars comparable au sien. Comme Bastien-Lepage, Sorolla fit cole et devint, en quelque sorte, le modle de la gnration suivante. Ë partir de 1902, il affronta seul le march de lÕart europen et connut deux checs en Allemagne et en Angleterre qui lÕincitrent ne plus collaborer avec les galeries et rechercher la relation directe avec le client. En mme temps, il essuya dans son pays des critiques svres car sa peinture de la lumire et du mouvement tait dj vcue comme un nouvel acadmisme. Il avait, certes, fait voluer le concours national et lÕenseignement des Beaux-Arts, mais non seulement il ne comprit pas lÕabsolue ncessit de dpasser cette tape, mais il cra par ailleurs les conditions les plus favorables lÕexpansion dÕune cole drive de sa manire, le ÒsorollismeÓ. Il utilisa son influence en faveur de ses disciples et cela eut pour effet de rduire les chances des peintres les plus innovants, ce qui lui valut de trs vifs reproches. Enfin, ses commandes le conduisent camper sur des choix esthtiques dpasss comme le montre Visin de Espaa, sa dernire commande. Elle lÕisole prmaturment, en 1911, date partir de laquelle Sorolla disparat pour longtemps de lÕespace mdiatique. Aprs sa mort, le peintre de Valence laissa une empreinte la fois contraste et contradictoire. Lou et insult par gal, il avait t la fois peru comme anti-acadmique et acadmique, progressiste et ractionnaire, soutenu par les rpublicains et par les conservateurs, ami de Vicente Blasco Ibez et du roi Alphonse XIII, peintre du peuple et de lÕaristocratie, etc. LÕamiti que porta Sorolla pour des tres aussi diffrents que lÕcrivain, le roi ou encore le richissime mcne new-yorkais, laissent entrevoir les contradictions humaines, esthtiques et politiques qui ont d agiter cette personnalit sans doute aussi attachante et tourmente que le Mariano Renovales du roman. Son niveau de vie, sa place dans la socit comme ses opinions politiques avaient suffisamment fluctu pour ne pas obir une dfinition unique. La dualit de Sorolla est un lment cl de sa Conclusion 292 rception critique dans la mesure o elle lui permit de traverser toutes les poques. Pour cette raison, son hritage fait aujourdÕhui autant partie de la culture et de lÕhistoire des partis de gauche que de ceux de droite. En ce qui concerne son Ïuvre peint, ses contours demeuraient trs flous et, en 1923, elle tait pour ainsi dire inconnue car seulement entre deux et trois pour cent de celle-ci avaient t prsents en Espagne, essentiellement lÕExposition Nationale. En 1932, la cration dÕun Muse Sorolla Madrid nÕy changea rien car lÕinstitution restera longtemps confidentielle. Sorolla commencera seulement tre instrumentalis sous le franquisme, dÕabord en 1944, puis entre 1953 et 1963 car la dictature avait besoin de sa peinture lumineuse et a-politique pour lÕincarner. Durant cette dcennie, les expositions organises par lÕtat accompagnrent lÕouverture du pays au tourisme. Elles faisaient partie dÕune offre culturelle choisie en fonction de lÕimage de lÕEspagne quÕelle vhiculaient. Pour le centenaire de la naissance du peintre, lÕexposition du Casn del Buen Retiro couvrit, pour la premire fois, lÕensemble de sa vie artistique. Ce cycle amliora considrablement la connaissance du peintre et commena modifier le rapport des artistes sa ÒmanireÓ. Mais le centenaire fut suivi dÕune priode de trente ans durant laquelle le peintre resta en retrait de la vie culturelle. Les premiers gouvernements de lÕEspagne dmocratique valorisrent les Avant-gardes auxquelles la dictature nÕavait jamais donn les moyens dÕexister dans lÕespace public. LÕheure de Sorolla viendra plus tard, dans les annes quatre-vingt-dix. Sur le plan politique, lÕentre de lÕEspagne dans la Communaut Europenne favorisa la redcouverte du peintre car son parcours et sa peinture avaient justement une dimension europenne ad hoc. La rforme du statut juridique du Muse Sorolla de 1993 rendit possible la libre circulation de ses collections et donc la mise en place dÕun vaste programme dÕexpositions itinrantes. Ë partir de l, le Valencien a t prsent au public comme un artiste moins acadmique et plus cratif. Enfin, la politique rgionale de la Communaut Autonome de Valence eut son lot de consquences positives sur la rception du peintre. En 2007, la prsentation en Espagne de Visin de Espaa, sa dernire Ïuvre majeure indite, est relue travers le prisme des ambitions politiques et de dirigeants mgalomanes dÕune rgion endette. Valence voulait merger comme un ple de dimension internationale ; cÕest pourquoi la frise des provinces est prsente comme une Ïuvre universelle et interculturelle. Conclusion 293 Nous avons vu dans cette tude que, mme si la perception dÕune Ïuvre se transforme au contact des poques, elle ne se rinvente pas tous les jours. Chaque strate de rception critique se superpose la prcdente et il y a donc une certaine forme de continuit entre les interprtations les plus anciennes de lÕÏuvre dÕun artiste et les plus rcentes. Il est frappant de constater, quÕune partie de la critique refuse toujours dÕadmettre lÕinfluence de lÕImpressionnisme sur la peinture de Sorolla. Or, les archives de presse rvlent que cette posture critique correspond une lecture franquiste qui a vu le jour dans la presse phalangiste, aprs la guerre civile. Ë cette poque, des incertitudes entouraient le pass du peintre ; cÕest pourquoi ses admirateurs cartrent les liens entre son art et les courants trangers pour mieux clmer son Òpatriotisme artistiqueÓ. La rception critique peut aussi orienter la production dÕun artiste. On a vu, par exemple, que la comparaison entre Sorolla et Vlasquez remonte une poque aussi lointaine que celle de lÕaffaire de la Mdaille dÕHonneur, cÕest--dire une priode comprise entre 1897 et 1901. La technique du Valencien tait naturellement plus proche des courants de son poque que des ateliers du Sicle dÕOr. Toutefois, pour conqurir la plus haute rcompense des Beaux-Arts, son art devait sÕinscrire dans la continuit de la grande cole espagnole. Le rapprochement entre les deux peintres fut donc une ligne interprtative choisie par ses soutiens afin dÕaugmenter ses chances de russir et de flatter les conservateurs. Comme nous lÕavons indiqu dans le cours de cette tude, cela influena sa production puisquÕ partir de 1897 Sorolla commena intgrer des citations vlasquziennes dans ses tableaux concours. La perception de lÕÏuvre de Sorolla va bien sr continuer changer dans les annes qui viennent. LÕInstitut Joaqun Sorolla de Valence et le nouveau Muse Sorolla de Madrid qui, pour lÕinstant, nÕen est quÕau stade de projet, continueront faire avancer la connaissance de lÕÏuvre de Sorolla. On verra galement quÕune quipe de recherche de lÕInstitut des Sciences des Matires de lÕUniversit de Valence (ICMUV) a choisi, il y a peu, lÕÏuvre de Sorolla pour objet dÕtude. LÕInstitut Joaqun Sorolla de Valence a t prsent la presse en octobre 2009 par la conseillre rgionale charge de la culture et des sports, Trinidad Mir Conclusion 294 (1960) ; et il a t inaugur en avril 2010.5 LÕide dÕtablir un muse dans cette ville tait ancienne et nÕavait jamais abouti. La cration dÕune institution entirement ddie ce peintre fut une promesse de campagne du candidat Francisco Camps, en 2007.6 Sans collection, un muse ne pouvait pas voir le jour Valence et il nÕy avait que deux manires de la constituer : soit en runissant les tableaux disperss dans les collections publiques valenciennes, soit en menant une politique dÕacquisition sur le march.7 La dernire tait bien sr trop coteuse et rclamait des dlais beaucoup trop longs. La premire supposait un accord qui ne fut pas trouv. Actuellement, les quatre principales collections valenciennes de tableaux de Sorolla sont les suivantes : le Muse San Po V possde quarantedeux tableaux, la fondation Bancaja, quatorze, la Communaut Autonome de Valence, six, et la Municipalit possderait une dizaine de toiles, ce qui reprsente donc un total de soixante-douze units. CÕest ce chiffre que Francisco Camps annona lors de sa campagne en promettant de regrouper tous ces tableaux sur un seul site. En 2002, la Communaut Autonome de Valence avait dj tent de runir les tableaux disperss dans des bureaux et des salons dÕinstitutions officielles et la demande fut renouvele, en vain, avant les lections rgionales de 2007 par le conseiller la Culture Alejandro Font de Mora (1949).8 Ironie du sort, en 2008, un tableau appartenant la ville de Valence, Mi familia, et un autre faisant partie de la collection de la Communaut Autonome El grito del palleter, se trouvrent au cÏur dÕune polmique.9 En effet, le premier est accroch dans le bureau de la mairesse Rita Barber (1848) et le second dans celui du prsident Francisco Camps, deux lus du Parti Populaire. Quand le Muse du Prado demande les deux toiles, elles sont cdes sans dlai pour mieux regagner ensuite leurs emplacements initiaux. LÕopposition dnonce alors ce prt comme une aberration car les tableaux inaccessibles la population valencienne vont tre prsents Madrid. La promesse de Camps nÕest pas tenue car il ne parvient pas 5. 6. 7. 8. 9. X.M., ÒTras la pista de SorollaÓ, http://wwww.abc.es/, Madrid, 20/10/2009. Anonyme, ÒCamps anuncia la prxima creacin del Centro Sorolla en un convento de ValenciaÓ, http://wwww.lavanguardia.es/, Barcelone, 13/04/2007. Ramn Sanchs, ÒSan Vicente de la Roqueta expondr de forma permanente obras de SorollaÓ, http://wwww.lasprovincias.es/, Valence, 14/04/2007. Mikel Labastida, ÒSorollas en despachos oficiales y colecciones privadasÓ, http://wwww.lasprovincias.es/, Valence, 14/04/2007 et J. R. S., ÒSorolla slo para sus ojosÓ, http://wwww.levante-emv.com, Valence, 6/06/2009. Paco Moreno, ÒSorolla viaja del despacho al museoÓ, http://wwww.lasprovincias.es/, Valence, 12/2008 Conclusion 295 runir les quelques soixante-dix tableaux convoits et le journal Las Provincias titre le 30 dcembre 2009 : ÒValencia se quedar definitivamente sin un Museo sobre Joaqun SorollaÓ, ÒValence demeurera dfinitivement sans Muse consacr Joaqun SorollaÓ. Ces mots ne sont pas sans rappeler le dcouragement qui avait parcouru la presse valencienne aprs lÕannonce de la cration dÕun Muse Sorolla Madrid. CÕtait en 1929, quatre-vingts annes plus tt. Ë dfaut dÕune collection propre, lÕInstitut ne peut tre quÕune sorte de lieu dÕexposition temporaire. LÕoption la plus raliste consiste accueillir par roulement des collections dj constitues. En signant une convention avec le Muse Sorolla de Madrid, lÕinstitution pourrait un jour devenir une sorte de succursale valencienne dans lÕintrt des deux entits car le premier ne dispose pas de lÕespace suffisant pour accrocher tous ses fonds. Si cela se confirme un jour, lÕInstitut pourrait dmnager dans des locaux plus vastes et plus modernes, qui ressembleront peut-tre au Centre Paul-Klee de Berne, inaugur en 2005. Depuis cette date, quatre mille peintures du Suisse Paul Klee (1879-1940) sont exposes par rotation lÕintrieur dÕun btiment moderne, spacieux et lumineux dessin par lÕarchitecte italien Renzo Piano (1937). Valence pourrait un jour sÕen inspirer, car sa structure reprend la forme dÕune vague et son systme complexe de dflecteurs, destin moduler la luminosit dans les salles, rappelle les voiles dÕun bteau. Mais un tel projet est coteux et la Communaut Autonome de Valence se trouve actuellement en rcession conomique et trs endette. Pour lÕheure, lÕInstitut Joaqun-Sorolla est cantonn au seul volet scientifique. Il dispose dÕune bibiothque, de bureaux et de salles de travail dans le Centre El Carmen cÕest--dire dans les anciens locaux de lÕAcadmie des Beaux-Arts de San Carlos.10 Son quipe est compose de trois membres, les historiens de lÕart Felipe Garn, Facundo Toms et Isabel Justo. Pour lÕinstant, lÕinstitution poursuit les objectifs suivants : la localisation, la restauration, lÕtude et la divulgation de tableaux oublis ou perdus. Selon la spcialiste Blanca Pons-Sorolla, dix pour cent de lÕÏuvre peint Ð soit quatre cents tableaux Ð nÕest toujours pas localise.11 En 2010, lÕInstitut prsente au public Elena en la playa, un tableau exhum dÕune collection particulire. LÕanne suivante, lÕquipe reconstitue un dyptique : 10. 11. Anonyme, ÒA la caza de obras de SorollaÓ, http://www.panorama-actual.es/, Barcelone, 25/10/2009. Alfonso Garca Valencia, ÒMs de un centenar de obras de Joaqun Sorolla todava estn por localizarÓ, http://www.levante-emv.com, Valence, 12/07/2009. Conclusion 296 Familia de Estanislao Granzow, command en 1905 par une famille aristocrate de Valence et runit autour du tableau Comiendo en la barca les bauches disperses dans des collections publiques et prives.12 Les trois projets ont donn lieu des publications spares qui forment ensemble les premiers volumes dÕune collection. En 2012, lÕInstitut a tabli lÕitinraire ÒRoute SorollaÓ qui est aujourdÕhui propos par lÕOffice du tourisme de la ville. Ë Valence, une autre quipe de recherche mne des travaux complmentaires en constituant une base de donnes des pigments relevs sur les toiles du matre. Depuis 2007, lÕInstitut des Sciences des Matires de lÕUniversit de Valence (ICMUV) perfectionne cet outil de pointe conu pour confondre les faux. Le projet est men par une quipe dirige par les professeurs Jos Ferrero et Clodoaldo Roldn.13 LÕquipe exploite une technologie base sur la fluorescence des rayons X, qui ne cause pas de dommage aux couches de matire et permet de connatre la composition chimique des pigments. Comme cela a dj t soulign dans cette tude, Sorolla est un des peintres les plus contrefaits. Des copies prsentes comme authentiques circulent sur le march, dÕautres sont conserves chez des particuliers et mme dans les collections des muses. Un faux grossier dat de 1923 se trouve dans la collection de la Casa Lis, le Muse dÕArt Nouveau et dÕArt Dco de Salamanque. Or, le peintre ne peignait plus depuis trois ans car il nÕavait plus aucune mobilit. Il sÕagit vraisemblablement dÕune toile dÕun sorolliste transforme en ÒSorollaÓ ce qui, cela a t signal antrieurement, est une pratique suffisamment lucrative pour sÕtre gnralise. Le systme dvelopp par lÕICMUV a tabli rcemment quÕun tableau conserv au Muse National des Beaux-Arts de La Havane nÕappartient pas lÕÏuvre du Valencien car il contient du blanc de titane (PW6), un pigment qui nÕexistait pas lÕpoque.14 12. 13. 14. Elena en la playa, 201x121Õ5, Collection particulire, 1909. Retrato del seor Granzow, 101x116, Valence, Muse des Beaux-Arts San Po V, 1905, Seora de Estanislao Granzow e hijo, 101x116, Collection particulire et Comiendo en la barca, 180x250, Madrid, Acadmie Royale de San Fernando, 1898. Anonyme, ÒUn registro de los pigmentos usados por Sorolla permitir detectar falsificacionesÓ, http://www.lasprovincias, Valence, 23/12/2007. Anonyme, ÒLa Universidad de Valencia crea una base de datos de pigmentos de SorollaÉÓ, http://www.panorama-actual.es/, 23/12/2007. Anonyme, ÒLos sorollas americanos, a estudioÓ, http://www.lasprovincias.es/, Valence, 26/02/2009 et E. Prez, ÒLa luz de Sorolla tiene qumicaÓ, http://www.lasprovincias.es/, Valence, 1/04/2009. Conclusion 297 Enfin, dans les annes venir, lÕextension du Muse Sorolla transformera vraisemblablement la rception du peintre car lÕinstitution pourrait enfin bnficier des outils qui lui font aujourdÕhui dfaut. En tant que maison-atelier, ce muse au charme surann a toujours t peru comme un lieu fig dans le temps et isol de lÕactivit bruyante de la ville. Ses dirigeants successifs ont toujours veill prserver lÕambiance de ce qui avait t un jour un atelier de peinture et un lieu dÕhabitation. Mais lÕaugmentation de sa frquentation dans les annes quatre-vingt-dix a chang la donne car, plusieurs gards, le muse tait incompatible avec dÕimportants flux de visiteurs. Il ne disposait dÕaucun moyen moderne de surveillance, cÕest--dire des portiques, des camras, des alarmes individuelles, etc. En 2000, deux journalistes de Diario 16 dnoncent cette situation en pointant du doigt le manque de moyens indispensables la scurit des tableaux : Y aqu nos encontramos con el primer descuido. Nadie nos registra las mochilas, ni pasamos por un detector de metales, ni superamos ningn tipo de control. La entrada, expedida por la Subdireccin General de los Museos Estatales, deba haber sido cortada por el encargo de seguridad, pero el Museo Sorolla apenas dispone de vigilancia: tan slo dos personas para quince salas y, en nuestra visita, uno de ellos se encontraba en una esquina de la planta principal leyendo un peridico.15 LÕarticle provoque la colre des descendants et, au dbut des annes 2000, le muse subit une modernisation gnrale.16 Mais ce qui fait le plus dfaut aujourdÕhui reste lÕespace. Le Muse Sorolla a besoin de salles pour ses expositions temporaires car, jusquÕ maintenant, elles empitent sur la collection permanente qui doit tre range. Il manque, par ailleurs, un vestiaire, des espaces de stockage, des bureaux, une bibliothque accessible aux chercheurs, une salle de consultation des archives, etc. Comme il a dj t signal, un des atouts majeurs 15. 16. O. Lorenzo, ÒSorolla en peligroÓ, Diario 16, Madrid, 24/07/2000 et ÒLa familia Sorolla denuncia la falta de seguridad del museoÓ, Diario 16, Madrid, 3/08/2000. Ç Et nous voici arrivs la premire ngligence. Personne ne vrifie nos sacs dos, nous ne passons pas au dtecteur de mtaux et nous ne franchissons aucune sorte de contrle. LÕentre dlivre par la Sous-direction des Muses Nationaux aurait d tre dchire par le charg de scurit, mais le Muse Sorolla dispose peine de surveillance : seulement deux personnes pour quinze salles et, au cours de notre visite, lÕune dÕelles lisait un journal dans un coin du niveau principal. È O. Lorenzo, ÒLa familia Sorolla denuncia la falta de seguridad del museoÓ, Diario 16, Madrid, 3/08/2000. Conclusion 298 de cette institution est la richesse et la raret de ses archives. Or, faute de place, leur accs reste trs compliqu. Pour remdier cette situation, le Muse Sorolla de demain a t imagin il y a dj longtemps mais de nombreuses contraintes ont frein lÕavance du projet. AujourdÕhui, le btiment se trouve entour dÕimmeubles qui sont autant dÕentraves la construction dÕune extension comme le montre lÕimage satellite propose en annexes17. En 1999, lÕtat avait tent dÕacqurir des espaces annexes dans le but de doubler la superficie du muse, mais lÕopration nÕaboutit pas.18 Ë lÕautomne 2009, des appartements reprsentant une surface totale de mille neuf cent mtres carrs sont achets dans la rue attenante, au n¡68 de la rue Zurbano, et les bureaux devraient prochainement y tre transfrs.19 La ministre de la Culture çngeles Gnzalez-Sinde (1965) en fait lÕannonce devant le Snat le 23 octobre 2009.20 Dans sa nouvelle configuration, le Muse Sorolla devrait pouvoir organiser des expositions temporaires sans sacrifier dÕespaces permanents et il accueillera davantage de chercheurs. Mais sa mue dfinitive sera lente et pourrait prendre plusieurs annes. Ë nÕen pas douter, les trois centres de recherches dont il a t question ici vont compter dans les annes qui viennent et leur impact sur la communaut scientifique, en particulier sur le monde universitaire, est prvoir. Le Muse Sorolla dveloppe des outils en ligne afin de simplifier lÕaccs aux collections depuis un site commun tous les muses nationaux du pays : http://www.ceres.mcu.es/. Les archives sont progressivement dmatrialises et consultables distance. Par ailleurs, des catalogues imprims continuent tre dits. Celui des collections de peintures a t publi dans une nouvelle version en 2009 et celui de la collection photographique devrait sortir trs prochainement.21 Ë lÕavenir, le peintre de Valence pourrait trs bien intresser au-del des seuls historiens dÕart et cÕest ce que prvoyait un des membres de lÕInstitut Joaqun Sorolla, Felipe Garn.22 Des avances considrables pourraient tre 17. 18. 19. 20. 21. 22. Figure n¡28. Vue satellite du Muse Sorolla de Madrid (2009). Carlos Bueno, ÒTodos los veranos de Joaqun SorollaÓ, La Gaceta del Sbado, Madrid, 10/07/1999. Anonyme, ÒEl Museo Sorolla ve cumplida su anhelada ampliacin, despus de cuarenta aosÓ, noticias.terra.es, 23/10/2009. Anonyme, ÒSe ampla la capacidad del Museo SorollaÓ, elmundo.es, 23/10/2009. Anonyme, ÒSe ampla la capacidad del Museo SorollaÓ, http://www.elmundo.es/, Madrid, 23/10/2009. X.M., ÒTras la pista de SorollaÓ, http://.abc.es/, Madrid, 20/10/2009. Conclusion 299 ralises dans les domaines historique et conomique, car ces champs ont jusquel t ngligs. Dans le cas de Sorolla, la connaissance de lÕartiste a longtemps prim sur celle du personnage historique. Or, il a jou un rle dans lÕhistoire de son pays et cÕest ce quÕavait tent de dmontrer lÕhistorien Javier Tusell dans un texte pionnier.23 La piste quÕil avait trace est prolonge en 2009 par lÕexposition du Muse Sorolla, Sorolla y su idea de Espaa, et par la publication de mon livre dj mentionn, Joaqun Sorolla, pintor del Rey Alfonso XIII.24 Mais, ce jour, dÕautres questions restent explorer en particulier celle de ses liens personnels et politiques avec le comte de Romanones, sa position dans le conflit qui opposa blasquistes et sorianistes ou encore le motif et le contenu de son sjour en Afrique du Nord. En outre, aucune question dÕordre conomique nÕa t traite. On ignore encore tout de sa fortune personnelle et de son patrimoine, de ses placements en France et de son implication financire dans les projets valenciens de lÕanne 1916, cÕest--dire le Palais des Beaux-Arts et de lÕIndustrie et le concours dÕart jeune. De mme, nous gagnerions connatre les mouvements de ses tableaux sur le march de lÕart, partir de 1906. Il conviendrait aussi de sÕinterroger, dans de futurs travaux, sur lÕimpact de lÕopration marketing mise en Ïuvre par Bancaja sur la perception du peintre et notamment auprs du grand public. Enfin, une meilleure connaissance de Sorolla passera ncessairement par la redcouverte du ÒsorollismeÓ et cÕest, selon nous, le grand chantier des annes venir. Le Muse Sorolla et LÕInstitut Joaqun Sorolla en ont fait une de leurs priorits scientifiques. Le ÒsorollismeÓ est un courant pictural aussi cohrent que le ÒcaravagismeÓ qui sÕest dvelopp Rome dans la premire moiti du XVIIme sicle. Les deux coles semblent dÕailleurs se rpondre puisque Le Caravage enveloppait ses personnages dans lÕobscurit et posait la lumire par ÒtchesÓ alors que Sorolla est au contraire un virtuose des ombres colores baignes dans une lumire diaphane. Ë la diffrence du ÒcaravagismeÓ, le ÒsorollismeÓ ne sÕexporta pas, en dehors dÕun court pisode aux tats-Unis. En Espagne, le courant nÕa jamais joui dÕune bonne rputation. Sous le franquisme, il tait vcu par les jeunes peintres comme un acadmisme rtrograde et il ne sÕest pas dbarrass de cette tiquette. AujourdÕhui, le mot est tabou et il est souvent utilis 23. 24. Javier Tusell, ÒJoaqun Sorolla en los ambientes polticos y culturales de su tiempoÓ in Sorolla y la Hispanic Society, Madrid, Museo Thyssen Bornemisza, 1998, pages 19-32. Sorolla y su idea de Espaa, Madrid, Ministerio de Cultura, 2009 et Jordane Fauvey, Joaqun Sorolla pintor del Rey Alfonso XIII, Besanon, PUFC, 2009. Conclusion 300 mauvais escient, par ignorance de son contenu rel.25 Il ne figure ni dans le Dictionnaire de lÕAcadmie Royale Espagnole (DRAE), ni dans lÕencyclopdie Espasa Calpe. Enfin, cette tude a jet un regard rtrospectif sur un sicle largi de rception critique depuis la naissance mdiatique de Sorolla jusquÕ sa redcouverte complte. Par la nature mme du sujet que nous avons trait, cette thse nÕest pas ferme, bien au contraire. Elle pourrait mme recevoir un jour un sixime chapitre qui commencerait, par exemple, aprs le 150me anniversaire, en 2013. 25. Pedro Gnzalez-Trevijano, ÒSorollistas y sorolllogosÓ, La Gaceta, Madrid, 16/06/2009. 301 DEUXIéME PARTIE TABLE DES MATIéRES A. FiguresÉÉÉÉÉ.ÉÉ..ÉÉÉÉÉ..ÉÉÉÉÉÉÉÉÉ.É..ÉÉÉ. 303 1. Instantans. Joaqun Sorolla (1895) ÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ..ÉÉ 303 2. bauche dÕune affiche promotionnelle pour le journal El Pueblo (1899)ÉÉ. 305 3. Le singe Knocko, critique dÕart (1909) ..ÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ... 306 4. Figures populaires (1914) ÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ.ÉÉ. 308 5. Renouveau (1916) ÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ.ÉÉÉ..É 310 6. Valence accueille la dpouille de Joaqun Sorolla (1923) ÉÉÉÉ..ÉÉÉ.É 312 7. Hommage des artistes svillans D. Joaqun Sorolla (1924) ÉÉÉÉÉ..É.. 313 8. Madrid. Inauguration du Muse Sorolla (1932) ÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ..ÉÉ 315 9. Avez-vous connu Sorolla ? (1932) ÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ.ÉÉ 317 10. Monument Ç Valencia a Sorolla È (1933-1957) ÉÉÉÉ..ÉÉÉÉÉÉÉ.. 319 11. Billet de 25 pesetas Ç Pescadoras valencianasÈ (1936) ÉÉÉÉÉÉÉ...É 321 12. Billet de mille pesetas Ç La fiesta del naranjo È (1953) ÉÉÉÉÉÉ........... 322 13. Timbre de cinquante pesetas Ç Sorolla & Legazpi È (1953) ÉÉÉÉÉÉ.. 324 14. J. Sorolla, peintre de Valence. Espagne (1961) ÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ..É.. 325 15. J. Sorolla, Spanien (1961) ÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ..É 325 16. Valence commmore le 100e anniversaire de la naissance de Sorolla (1963) 327 17. Un avion baptis au nom de Sorolla (1963) ÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ..É 329 18. Franco a inaugur lÕexposition Sorolla (1963) ÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ 331 19. Dessin humoristique sans titre (1963) ÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ.. 333 20. Srie de timbres Ç Pintor Joaqun Sorolla È (1964) ÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ.. 335 21. et 22. Dessins humoristiques sans titre (1967) ÉÉÉÉÉÉÉÉ..ÉÉÉ.. 337 23. Sorolla como pretexto (1974) ÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ.. 339 24. Espagne. Tout (de nouveau) sous le soleil (1990)ÉÉÉÉÉÉÉÉ..ÉÉÉ 342 25. Espagne. Plages (1998)ÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ 344 26. Cartas de Sorolla (2006) ÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ 345 27. Centenaire de lÕexposition de 1909 et de lÕhymne rgional (2009)ÉÉÉÉ. 347 28. Vue satellite du Muse Sorolla de Madrid (2009)ÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ 349 29. Affiche promotionnelle du circuit Sorolla (2012)ÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ 351 B. AnnexesÉ..ÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ..ÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ. 353 302 1. Liste des expositions monographiquesÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ. 353 2. Rsultats des ventes par adjudicationÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ 359 3. Table de traduction des Ïuvres citesÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ 361 C. BibliographieÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ... 364 D. Index des noms de personnesÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ.. 393 A. Figures 303 A. F I G U R E S 1. INSTANTçNEAS (JOAQUêN SOROLLA), 1895. - INSTANTANS (JOAQUêN SOROLLA) - Ramn Cilla (1859-1937) Madrid Cmico, Madrid, 25/05/1895. On dcouvre dans cette caricature le visage dÕun Sorolla jeune, ag de trente-deux ans seulement. 1895 est pour lui lÕanne de la conscration puisquÕil vient de dcrocher une mdaille au Salon parisien. Cet vnement est mdiatis en Espagne, notamment par la presse illustre. Le dessinateur Ramn Cilla signe quelques caricatures du peintre pour plusieurs titres, dont celle-ci parue dans le journal satirique Madrid Cmico. La lgende qui accompagne le A. Figures 304 dessin donne la parole Sorolla : Ç ÀQu mis retratos no salen baratos? ÁEs natural! ÁPues si los ms de ellos valen doble que el original! È1 Ë cette poque, quelques riches madrilnes lui commandent des portraits de socit, conformes au got bourgeois. LÕactivit est lucrative mais, la fin du XIXme sicle, le portrait est peru comme un genre mineur car il est limit et conditionn par le got du commanditaire. Il faut se souvenir que le portrait modain sera la cible dÕattaques svres de Vicente Blasco Ibez. En effet, le rpublicain mprisait ces bourgeois, quÕils fussent hommes politiques, industriels, banquiers, rentiers, etc. et il lÕexprimera sans dtour dans son roman La maja desnuda : Ç Poda estar satisfecho de los retratos de aquellas gentes: ellos, unos seores despreciables, malas personas, ladrones casi todos. È 2 Dans la lgende qui accompagne la caricature de Cilla, il est donc dj question de ces notables madrilnes qui, nous dit-on, ne valent pas la moiti de leur portrait. 1. 2. Ç Mes portraits ne sont pas abordables ? Cela va de soi ! Puisque la plupart dÕentre eux valent deux fois lÕoriginal ! È. Vicente Blasco Ibez, La maja desnuda, Madrid, Ctedra, 1998, page 253. Ç Il pouvait tre satisfait des portraits de ces gens : eux, ces messieurs mprisables, ces mauvaises personnes, presque tous voleurs. È A. Figures 305 2. BAUCHE DÕUNE AFFICHE PROMOTIONNELLE POUR LE JOURNAL EL PUEBLO, 1899. Joaqun Sorolla y Bastida (1863-1923) Valence, Muse des Beaux-Arts San Po V. En 1899, lÕanne de son deuxime chec vers la conqute de la Mdaille dÕHonneur, Joaqun Sorolla ralise cette bauche dÕune affiche promotionnelle la demande du directeur dÕEl Pueblo, Vicente Blasco Ibez. Le journal rpublicain de Valence lui apporte un soutien sans faille durant toute la priode de lÕaffaire de la Mdaille dÕHonneur et ce projet est un tmoignage de la reconnaissance du peintre. LÕaffiche est un genre quÕil ne connat pas Ð il nÕen a jamais produit une seule Ð et cette toile le prouve. Cette ralisation est un tableau dÕexcellente facture, raison pour laquelle il a t soigneusement conserv. Sorolla choisit dÕassocier deux symboles valenciens : lÕoranger et le costume traditionnel. Le bonnet phrygien est lÕlment principal de la composition. Il sÕagit dÕun clin dÕÏil la Rvolution franaise qui rappelle ici lÕorientation politique du journal. Vicente Blasco Ibez admirait cette page de lÕhistoire de France. Ë vingt et un ans, il avait choisi pour nom maonnique : ÒDantnÓ. A. Figures 306 3. KNOCKO THE MONK AS AN ART CRITIC, 1909. - LE SINGE KNOCKO, CRITIQUE DÕART - Gus Mager (1878-1956) Evening Journal, New York, 3/04/1909. APMS IV. Charles Augustus Mager (Gus) est un dessinateur amricain dÕorigine allemande, auteur de bandes dessines qui sont devenues culte aux tats-Unis telles que Sherlocko the Monk (1910) A. Figures 307 et Hawkshaw the Detective (1913). Le personnage du singe Knocko est antrieur puisquÕil remonte 1904. Les singes de Mager inspireront les Marx Brothers qui leur emprunteront leurs pseudonymes : Groucho, Harpo et Chico. La presse amricaine conserve au Muse Sorolla atteste la bonne rception de lÕexposition du peintre espagnol lÕHispanic Society, en 1909. Toutefois, parmi ces articles, le cartoon humoristique de Gus Mager apparat comme une note dissonante. Il laisse entendre que lÕEspagnol a t exagrment encens par la critique amricaine et que cet engouement a eu un impact sur lÕenseignement de la peinture dans les acadmies amricaines. Dans ce gag, Knocko se sert de Sorolla comme dÕun talon servant mesurer la qualit des toiles que les jeunes peintres lui soumettent. Mme si la partialit du juge est certainement grossie des fins comiques, la peinture de Sorolla fut vritablement enseigne comme un modle suivre lÕAcadmie de Philadelphie entre 1894 et 1909. William Merrit Chase fut un de ses plus fervents dfenseurs et cÕest pourquoi le singe-critique pourrait en tre la caricature. La chute du cartoon repose sur la rvolte des novices qui, loin de sÕen laisser conter, organisent eux-mmes leur vengance en soumettant leur communaut un vote (vignette n¡5). Par une nuit de pleine lune, ils passeront tabac le critique arrogant au dtour dÕune rue. Il faut noter la diffrence de classe entre ces jeunes peintres lÕallure nglige et aux mthodes de voyou et ce critique au style recherch qui pourrait tre un bourgeois de la ville. Sorolla pouvait difficilement tre accept des jeunes car sa peinture nÕavait pas t introduite par eux mais par les classes dominantes. CÕest bien elles qui lÕavaient impose, dÕen haut. A. Figures 308 4. FIGURAS POPULARES, 1914. - FIGURES POPULAIRES - [Dessinateur inconnu]. Revista poltica y administrativa, Xrs de la Frontera, 11/11/1914. APMS V. Ë lÕautomne 1914, Sorolla vient dÕachever le premier panneau de Visin de Espaa, consacr aux deux Castilles. Du 8 au 16 octobre, il sjourne Xres de la Frontera pour trouver le motif de son premier panneau andalou 3. Le choix de cette ville nÕest pas anodin. En effet, elle compte parmi les cits espagnoles les plus connues hors des frontires du pays pour ses vins qui taient exports, entre autres, vers le nord de lÕEurope et aux tats-Unis. Sur place, le peintre ralise quelques bauches de paysages de vignes pour composer un grand format sur le thme des vendanges, dont il abandonnera ensuite le projet. Comme ce fut souvent le cas lors de ses dplacements en province, Sorolla ne refuse pas lÕinvitation dÕun notable de la ville honor de recevoir chez lui un hte de marque. Ë Xrs, il est donc reu chez un propritaire terrien tabli 3. Epistolarios de Joaqun Sorolla, II. Correspondencia con Clotilde Garca del Castillo, Barcelone, Anthropos, 2008, page 152. A. Figures 309 deux kilomtres de la ville au cÏur de son domaine viticole.4 Plus tard, Ayamonte, il sera reu par lÕindustriel Feu qui mettra sa disposition les locaux indispensables la prparation du panneau La pesca del atn.5 Quelques semaines aprs le passage du peintre Xrs, et alors quÕil se trouve encore Sville, un journal local publie le dessin prsent ci-dessus. La lgende nÕest pas de trop pour identifier ce voyageur au visage maci, visiblement fatigu : Ç El eminente artista de la paleta Sr. Sorolla que ha sido nuestro husped das pasados6. È dit la lgende. Pour plusieurs raisons, ce dessin apparement anodin a la valeur dÕun symbole. Il montre tout dÕabord un personnage connu de tous dont les apparitions sont si rares depuis quÕil travaille sa commande amricaine. En effet, ses voyages de province en province lÕont loign de Madrid et des media. Pour le souligner, le dessinateur le reprsente en voyageur, tel quÕil sÕest probablement prsent en arrivant sur place. On remarque, au passage, les traits tirs du visage de cet homme reint par les dplacements constants. Associ la lgende, lÕensemble peut laisser entendre que, sur la route du matre, la cit andalouse est une halte salutaire. Il faut remarquer, enfin, que ce personnage aux faux airs de vagabond apparat dans un costume bourgeois et fumant un imposant cigare, des indices qui laissent entrevoir sa condition sociale. 4. 5. 6. Jos Luis Jimnez, ÒSorolla en Jerez para pintar la vendimiaÓ, La Voz, Madrid, 9/04/2006. Florencio de Santa-Ana, ÒLa estancia ayamontina de Joaqun SorollaÓ, Boletn de Ayamonte, Ayamonte, 09/1999. Ç LÕillustre artiste la palette, M. Sorolla, qui a t notre hte il y a quelques jours. È A. Figures 310 5. RENOVACIîN, 1916. - RENOUVEAU - Renovacin, 16/09/1916. APMS V. Le premier numro de Renovacin, la revue de la Jeunesse Artistique de Valence, est dit en septembre 1916. Sur la premire page de la revue figure la reproduction dÕun dessin de Sorolla au-dessus de cette lgende : Ç Hermoso boceto dibujado por Sorolla para esta revista de juventud. È7 En dpit de cette indication et du titre du dessin, le plus probable est que Sorolla ne le fait pas prcisment pour la revue. Il sÕagit sans doute dÕune bauche pour un tableau en grand format qui pourrait appartenir sa production de plage de lÕt 1916 car il existe plusieurs dessins presque identiques celui-ci, conservs dans les archives du Muse Sorolla. LÕun dÕeux a t reproduit dans le fascicule La Casa de Sorolla.8 Cette mre acclimatant son jeune enfant lÕeau est un motif rpt dans son Ïuvre. Jugando en el agua, un tableau peint en 1908, en est 7. 8. Ç Belle bauche dessine par Sorolla pour cette revue de la jeunesse. È La Casa de Sorolla, Madrid, Patronato del Museo Sorolla, 1932page 43. A. Figures 311 un bon exemple.9 En tant quÕallgorie de la Jeunesse Artistique de Valence, ce dessin anodin mrite un clairage particulier. Le jeune enfant reprsente sans doute la gnration nouvelle, mais que dire de cette mre ? Le Valencien avait coutume dÕemployer une mtaphore aquatique pour parler de lÕapprentissage de la peinture. En 1918, dans un entretien accord un journalise dÕEl Imparcial, il affirme : Ç En general, me parece preferible la pincelada corta porque barre menos matices. Pero esto es como nadar. El aprendiz se vale de corchos, y no nada. El que sabe se tira de cabeza o de lado, y siempre flota 10 . È LÕimage est frappante quand on songe au dessin prsent ci-dessus. SÕil reprsente vritablement le premier contact dÕun enfant avec lÕeau, Sorolla se prsente comme celui qui, telle une mre, transmet lÕart de la peinture. 9. 10. Jugando en el agua, 75x105, Madrid, RABASF, 1908. Francisco Camba, ÒSorollaÓ, El Imparcial, Madrid, 15/02/1918. Ç En gnral, la touche courte me semble prfrable parce quÕelle gomme moins de nuances. Mais cela est comme nager. Le novice se sert de flotteurs, et il ne nage pas. Celui qui sait, plonge tte la premire ou sur le ct, et il flotte toujours. È A. Figures 312 6. VALENCIA RECIBE EL CADçVER DE JOAQUêN SOROLLA, 1923. - VALENCE ACCUEILLE LA DPOUILLE DE JOAQUêN SOROLLA - ÒCampaÓ. Jos M.a Demara Lpez (1870-1936). Mundo Grfico, Madrid, 14/08/1923. APMS. VI. Le reportage photographique publi par Mundo Grfico donne une ide de la foule immense prsente sur le parcours du cortge funbre. Encadrs dans une fentre en bas de page, la veuve et le fils du peintre sont peine visibles sur le grand format. Pour voir passer le corbillard, les Valenciens se sont masss sur les trottoirs et quelques-uns se sont mme juchs sur le toit des omnibus comme il apparat sur la gauche de lÕimage. Au premier plan, les hommes tent leurs chapeaux en signe de respect au dfunt. Enfin, il est difficile de dceler dans ce document la tension qui rgne entre un petit groupe de rdacteurs du journal El Pueblo et les autorits prsentes sur place. On constate cependant la nervosit de la garde monte qui carte le public, sabre au point, intimant lÕordre de reculer. A. Figures 313 7. HOMENAJE DE LOS ARTISTAS SEVILLANOS A LA MEMORIA DE D. JOAQUêN SOROLLA, 1924. - HOMMAGE DES ARTISTES SVILLANS Ë D. JOAQUêN SOROLLA - Buste de Jos Capuz (1884-1964) et socle de Vicente Traver (1888-1966). Photographie sans titre de ÒCampaÓ. Jos M.a Demara Lpez (1870-1936), 26/10/1924. Collection du Muse Sorolla, n¡Inv. 80.884. Le reportage photographique de ÒCampaÓ (Agence Cmara) fut partiellement publi in : ÒHomenaje de los artistas sevillanos a la memoria de D. Joaqun SorollaÓ, Mundo Grfico, Madrid, 5/11/1924. APMS VII. Le premier monument consacr la mmoire de Sorolla est inaugur le 26 octobre 1924, dans le Jardin des Dlices de Sville. La Section des Beaux-Arts de lÕAteneo svillan finance cette installation compose dÕun socle en pierre surmont du buste en bronze de Jos Capuz. Le sculpteur avait form Elena Sorolla, la fille du peintre, et avait ralis plusieurs Ïuvres pour le compte de la famille. Sorolla tait attach ce jeune Valencien qui tait, par ailleurs, un neveu du scultpeur Cayetano Capuz de qui il avait appris le dessin lÕcole des Artisans, quand il tait enfant. LÕhommage des Svillans soulve une polmique Valence car la municipalit nÕa encore rien fait de semblable. Pour comprendre cette initiative, il faut rappeler que Sorolla fut sduit par lÕAndalousie bien quÕil dcouvrt tardivement cette rgion, en 1902. Il y voyagea ensuite souvent et, grce son disciple Santiago Martnez, il se lia dÕamiti avec sa A. Figures 314 communaut artistique. Dans le discours quÕil prononce le jour de lÕinauguration du monument, Martnez explique ainsi le geste de ses confrres : Ç Al ocurrir la muerte del gran maestro de la pintura espaola don Joaqun Sorolla, se reuni la Seccin de Bellas Artes del Ateneo, acordando rendir un homenaje al que fue en vida artista glorioso, al mismo tiempo que enamorado entusiasta de esta Sevilla. [É] El acuerdo tomado fue el de elevar un monumento que perpetuara la memoria de tan gran maestro, pagando de este modo la deuda de gratitud que tenan contrada Sevilla y sus artistas con el insigne pintor : Sevilla, por lo mucho que la am durante su vida y por las obras geniales que de sus bellezas supo crear, repartindolas por el mundo como enseanza y honra de nuestra ciudad. È11 En effet, Sorolla avait peint la cit andalouse maintes reprises. Dans ce discours, Santiago Martnez fait plus particulirement rfrence Visin de Espaa puisque pas moins de quatre des quatorze panneaux du dcor ont t peints Sville et dans ses environs : El encierro, Los nazarenos, El baile et Los toreros. 11. Anonyme, ÒLa inauguracin del monumento a Joaqun SorollaÓ, El Liberal, Murcie, 27/10/1924. Ç Quand survint la mort du grand matre de la peinture espagnole don Joaqun Sorolla, la Section des Beaux-Arts de lÕAteneo se runit, sÕaccordant rendre hommage celui qui fut, sa vie durant, un artiste couvert de gloire mais aussi un amoureux enthousiaste de cette ville de Sville. [É] La rsolution prise consistait lever un monument la mmoire dÕun si grand artiste, soldant ainsi la dette de reconnaissance que Sville et ses artistes avaient contracte envers lÕillustre peintre : Sville, pour tout lÕamour quÕil lui porta sa vie durant et pour les Ïuvres de gnie quÕil sut crer avec ces splendeurs, en les dispersant de par le monde comme enseignement et honneur de notre ville. È A. Figures 315 8. MADRID. INAUGURACIîN DEL MUSEO SOROLLA, 1932. - MADRID. INAUGURATION DU MUSE SOROLLA - Zegr (inc.-inc.) Blanco y Negro, Madrid, 12/06/1932. APMS VIII. Le Muse Sorolla est inaugur le 11 juin 1932 par le chef du gouvernement Manuel Azaa ainsi que le prcise la lgende : Ç Bajo la presidencia del jefe del gobierno, Sr. Azaa, y con asistencia del ministro de Instruccin Pblica, director General de bellas artes, representantes diplomticos y un selectsimo pblico de crticos y artistas, se verific ayer la inauguracin oficial del Museo Sorolla, en el que fue domicilio y estudio del glorioso pintor. È12 On distingue clairement le dirigeant rpublicain au centre de la table, devant le tableau Mara en El Pardo, encadr par les deux filles du peintres, Mara et Elena. La crmonie se droule dans le plus grand des trois ateliers mais, en dpit de la taille de cette pice, la majeure partie des personnes 12. Ç Sous la prsidence du chef du gouvernement, M. Azaa, et en prsence du ministre de lÕInstruction Publique, Directeur Gnral des Beaux-Arts, des reprsentants diplomatiques et dÕun public de critiques et dÕartistes distingus, lÕinauguration officielle du Muse Sorolla sÕest tenue hier, dans la maison qui fut le domicile et lÕatelier du glorieux peintre. È A. Figures 316 prsentes restent lÕextrieur ainsi que le laissent entrevoir les deux entres, vers lesquelles se presse la foule la plus compacte. Sur la table est install le micro dÕUnin Radio car les discours sont retransmis Valence par liaison tlphonique.13 Debout, sur la droite de lÕimage, Amalio Gimeno est en train de lire son discours. Au premier plan, on ne distingue que les chapeaux des lgantes de la haute socit madrilne. 13. Anonyme, ÒInauguracin del Museo SorollaÓ, El Socialista, Madrid, 12/06/1932. A. Figures 317 9. ÀCONOCIî USTED A SOROLLA?, 1932. - AVEZ-VOUS CONNU SOROLLA ? - Manuel Tovar (1875-1935) La Voz, Madrid, 13/06/1932. APMS VIII. CÕest probablement lÕinauguration du Muse Sorolla, laquelle il vient dÕassister, qui inspire Manuel Tovar ce dessin humoristique. Il y a rencontr cette occasion des admirateurs du peintre qui ne cachent pas leur aversion pour les courants avant-gardistes. LÕun dÕentre eux, Bernardino de Pantorba, a violemment oppos la peinture de Sorolla au Surralisme dans une courte biographie publie en 1927. Il considre le courant comme un Òart de pygmesÓ : Apartemos los ojos del arte actual, con su mezquino campo de accin, con su balumba de ÒteorasÓ, con sus pobres ÒismosÓ grotescos, con sus ridculas extravagancias, con su ÒingenuidadÓ calculada, con sus amaneramientos de fbrica, con su falta de belleza y de verdad, de arranque y de vuelo ; separemos la vista de tanta figura dislocada, de tanto retrato elemental, de tanto paisaje de rutina, de tanta fruta polidrica, de tanta notita de color, de tanto engendro de principiante y tanto aborto de la ignorancia, de la vanidad, de la impaciencia, correados por une crtica A. Figures 318 hueca y presuntuosa, podrida de literatura y, en mil ocasiones, francamente cerril ; levantmonos sobre este lamentable panorama de un arte de pigmeos y para abrir el alma a la Naturaleza, en bao de salud, y ennoblecer los ojos viciados por la contemplacin de esperpentos y mediocridades, fijmonos en la labor de Sorolla.14 Pour illustrer avec humour lÕincomprhension mutuelle entre les uns et les autres, le dessinateur imagine cette rencontre impossible entre le fantme de Sorolla et ÒEl moderno artistaÓ, un jeune peintre surraliste. Tovar vient de dcouvrir lÕatelier de la rue Martnez Campos, mais la source dÕinspiration du dessin pourrait tre une photographie de lÕatelier parisien dÕAndr Breton du 42 de la rue Fontaine. LÕAssociation Andr Breton conserve des clichs de cet atelier remontant lÕanne 1929. On y voit, notamment, les objets dÕart primitif de la collection de lÕintellectuel franais. LÕune de ces photographies pouvait tre dj connue de Tovar. LÕeffet comique du dessin repose la fois sur le dcalage esthtique et gnrationnel qui spare les deux hommes, mais aussi sur le contre-pied lÕadmiration excessive des ex-ÒsorollistesÓ. Alors que ceux-ci vnrent encore le Valencien comme un demi-dieu, son nom nÕvoque, pour les autres, que le souvenir imprcis dÕun millionaire peignant ses heures perdues ! EL VISITANTE : ÀConoco usted a Sorolla? EL MODERNO ARTISTA : S; creo que he odo hablar de lÉ Àno era un seor millonario que tena la mana de pintar ?15 Pour les ÒsorollistesÓ et autres notalgiques du peintre de Valence, cette vision relve du sacrilge. 14. 15. Bernardino de Pantorba, Joaqun Sorolla, Madrid, Figuras de la Raza n¡20, 1927, page 28-29. Ç Dtournons le regard de lÕart actuel, avec son champ dÕaction mesquin, avec son fatras de ÒthoriesÓ, avec ses pauvres ÒismesÓ grotesques, avec ses extravagances ridicules, avec sa ÒnavetÓ calcule, avec ses manires en srie, avec son manque de beaut et de vrit, dÕlan et de hauteur ; dtournons le regard de tant de figures disloques, de tant de portraits lmentaires, de tant de paysages dj vus, de tant de fruits polydriques, de tant de petites touches de couleur, de tant dÕhorreurs de dbutant et de tant de monstruosits de lÕignorance, de la vanit, de lÕimpatience, encenss par une critique creuse et prtentieuse, gave de littrature et, la plupart du temps, rsolumment grossire ; Indignons-nous de ce lamentable panorama dÕun art de pygmes et pour ouvrir lÕme la Nature, dans un bain salutaire, et pour annoblir les yeux pollus par la contemplation de ces extravagances et autres mdiocrits, concentrons-nous sur le travail de Sorolla. È LE VISITEUR : Avez-vous connu Sorolla ? LÕARTISTE MODERNE : Oui ; je crois que jÕai entendu parl de luiÉ nÕtait-ce pas un monsieur millionaire qui avait la manie de peindre ? A. Figures 319 10. MONUMENT Ç VALENCIA A SOROLLA È, 1933. Architecture : Francisco Mora Berenguer (inc.-inc.) Sculpture : Mariano Benlliure. Photographie Atelier Boldn, Valence. [1953] publie par Bernardino de Pantorba in La vida y la obra de Joaquin Sorolla. Estudio biogrfico y crtico, Madrid, Grficas Monteverde, 1970, page 104. Au terme dÕune dcennie dÕaffrontements et de polmiques, ce monument voit le jour la fin de lÕanne 1933. Ainsi que lÕavait souhait Mariano Benlliure, il est difi sur la plage de la Malvarrosa de Valence. Il rappelle ainsi que, ici mme, Sorolla a peint ses tableaux les plus clbres. Or, le sculpteur avait plaid pour un monument simple, lÕimage de lÕhomme dont il honnererait la mmoire. Cependant, le monument dfinitif ne reflte pas cette vision des choses. Le projet est confi lÕarchitecte Francisco Mora Berenguer. Ë lÕinverse du monument svillan, trs sobre et install dans un jardin intimiste, il dessine un impressionnant monument de style noclassique, comme si Sorolla avait t un personnage comparable un hros antique. Ë nÕen pas douter, lÕeffort financier consenti pour difier un tel monument fut au moins proportionnel la prtendue ÒdetteÓ de la ville envers Sorolla, une ide longtemps propage par une partie de la presse locale. En finanant ce monument spectaculaire et coteux, le maire rpublicain de la A. Figures 320 ville Vicente Alfaro Moreno entend solder cette ÒdetteÓ mais aussi clmer lÕattachement de sa famille politique lÕauteur de Triste herencia et de ÁY an dicen que el pescado es caro! A. Figures 321 11. BILLET DE 25 PESETAS Ç PESCADORAS VALENCIANASÈ, 1936. 11Õ2x7Õ1 mis le 31/08/1936 Madrid. Date de mise en circulation inconnue. Madrid, Muse Arquologique National. Inv. 2007/123/4 Il sÕagit du premier billet de banque consacr au peintre espagnol. ÒPescadoras valencianasÓ est mis en circulation au dbut de la guerre civile. Il a t command par le gouvernement rpublicain la maison londonienne Thomas de La Rue. Sur le recto, la tour du Micalet de Valence ctoie un mdaillon contenant le portrait de Sorolla. Le recto reproduit une scne de retour de pche. A. Figures 322 12. BILLET DE MILLE PESETAS Ç LA FIESTA DEL NARANJO È, 1953. 15Õ8 x 10Õ1 mis le 31/12/1951, Madrid. Mis en circulation en 1953. Collection particulire Le billet de mille pesetas reprend la police de caractre fleurie popularise par les westerns hollywoodiens des annes trente et quarante. LÕaffiche du film La diligencia (1939) de John Ford (1894-1973) est peut-tre une rfrence documentaire utilise par ses concepteurs. Par ailleurs, ce portrait indit du peintre pourrait lui aussi avoir t influenc par le genre car le large col blanc ainsi rabattu sur la veste sombre rejoint les codes vestimentaires du Far West. A. Figures 323 Sur le plan technique, le modle est apparemment le billet dÕun dollar avec lequel il partage la mme encre, la mme longueur et dÕautres dtails de composition. Le mdaillon blanc laisse apparatre en transparence un portrait de don Quichotte coiff dÕun plat barbe. Selon la formule consacre, Informaciones prsente le ÒSorollaÓ comme infalsifiable, un comble pour celui qui continue faire partie des peintres les plus contrefaits ! Ë cette poque, Eugenio Lucas (1817-1870), Daro de Regoyos, Jos Gutirrez Solana et le Valencien forment ensemble le quatuor des signatures les plus frquemment plagies16 . Cet Òautre billet vertÓ, forcment kitsh, accompagne lÕessor du tourisme nord-amricain en Espagne. Le recto prsente le portrait dÕun Sorolla g, lÕpoque o il peint le dcor de lÕHispanic Society dont un dtail figure au verso. Il sÕagit du panneau consacr Valence qui immortalise une scne de procession de lÕorange invente de toutes pices. Le billet prsente une Espagne folklorique, conforme la doctrine du rgime franquiste. 16. Anonyme, ÒNuevo billete de mil pesetasÓ, Informaciones, Madrid, 23/06/1953. Andrs Apellniz, ÒLas falsificaciones en la pintura modernaÓ, Pensamiento Alavs, Vitoria, 19/04/1954 et A.D.O., ÒApasionante Ç affaire È en el mundo de la pinturaÓ, Pueblo, Madrid, 15/06/1955. A. Figures 324 13. TIMBRE DE CINQUANTE PESETAS Ç SOROLLA & LEGAZPI È, 1953. Srie 1124-1125. émise le 9/10/1953. Tirage: 200.000 exemplaires. Format !. Bords classiques. Le premier timbre lÕeffigie de Sorolla est mis lÕoccasion du trentime anniversaire de sa mort. Il compte aujourdÕhui parmi les plus recherchs des collectionneurs car son tirage est limit deux cent mille exemplaires. Selon le journal El Pas, il se ngociait neuf cent cinquante euros en 2006 et dpasse aujourdÕhui le millier dÕeuros 17. Mais, dj lÕpoque, son cot tait lev car son usage tait rserv lÕaffranchissement arien. Il voyage sur les courriers adresss par les touristes destination de leurs pays dÕorigine. Ce timbre tmoigne de la place occupe par Sorolla dans lÕiconographie du rgime. 17. Fernando Barciela, ÒAntiguos, caros y en buen estadoÓ, El Pas, Madrid, 25/06/2006. A. Figures 325 14. J. SOROLLA, PINTOR DE VALENCIA. ESPAA, 1961. - J. SOROLLA, PEINTRE DE VALENCE. ESPAGNE - Jos Cabrelles Sigenza Las Provincias, Valence, 10/03/1961. APMS. XVII. 15. J. SOROLLA, SPANIEN, 1961 - J. SOROLLA, ESPAGNE - Affiche promotionnelle. Ministerio de Informacin y Turismo. Conception : Rieusset S.A. Centro de Documentacin Turstica de Espaa. Madrid. Inv. 61-03 R. 858 LÕaffiche prsente dans cette coupure de presse tire de Las Provincias est commande lÕatelier de graphisme catalan Rieusset par lÕOffice du Tourisme de Valence. Elle reproduit un tableau conserv au Muse Sorolla, El balandrito18. Sous lÕimage, un bandeau fait apparatre la signature du peintre ct de la mention : Ç Sorolla, pintor de Valencia / Espaa. È LÕaffiche est assez emblmatique de la double revendication de Sorolla, locale et nationale. Sous le 18. El balandrito, 100x110, Madrid, MS, 1909. A. Figures 326 franquisme, le mot ÒEspaaÓ doit apparatre dans une police plus grande car la dimension nationale du peintre prime. DÕailleurs, les versions trangres diffuses par le Ministre de lÕInformation et du Tourisme ne font mme plus apparatre le mot ÒValenciaÓ, comme on peut le constater dans lÕdition allemande. Enfin, le choix de lÕenfant au petit bateau prouve que la campagne est oriente vers le tourisme familial des grandes vacances de juillet et dÕaot. En 1960, ces deux mois reprsentent prs de 40% de lÕaffluence touristique annuelle.19 Les Franais constituaient la principale communaut touristique de la cte mditerrannenne de lÕEspagne. En 1956, leurs congs pays avaient t ports de deux trois semaines annuelles, facilitant ainsi les dparts de la classe moyenne. 19. Ramn Tamames et Antonio Rueda, Estructura econmica de Espaa, Madrid, Alianza, 1997 (1985), Tableau n¡3, page 557. A. Figures 327 16. VALENCIA CONMEMORA EL CENTENARIO DE SOROLLA, 1963. - VALENCE COMMMORE LE 100me ANNIVERSAIRE DE LA NAISSANCE DE SOROLLA - Photographie de Jos Cabrelles Sigenza (inc.-inc.) ABC, Madrid, 7/03/1963. APMS. XIX. LÕactuel monument valencien consacr Sorolla est rig sur la Plaza de la Armada Espaola, face au port de Valence, dans un quartier en pleine restructuration dans les annes soixante. Il est inaugur le 27 fvrier 1963 par le Directeur Gnral des Beaux-Arts, Gratiniano Nieto Gallo. La crmonie est le premier pisode dÕune anne culturelle place sous le signe du peintre n un sicle plus tt. Ce monument trs sobre, qui remplace celui qui avait t dtruit par la crue de 1957, est conu par lÕarchitecte municipal Carlos Soler (inc.-inc.). Le bronze de Benlliure est rinstall sur un nouveau socle entour dÕun bassin de 3,50m par 7,84m cens, peut-tre, symboliser la mer Mditerranne. Quoi quÕil en soit, lÕensemble est clairement inspir du monument Cervantes de la Plaza de Espaa de Madrid inaugur en 1929. Toutefois, ses dimensions bien plus petites nÕen font quÕune ple copie du prcdent. Dans la cit levantine, lÕaspect insolite de cette construction sera un sujet de raillerie et alimentera une fois encore lÕide que Valence est dcidment incapable de rendre hommage son peintre. Un journaliste de Jornada en fait une description cinglante : Ç [É] visto desde lejos parece una falla de tercera categora B, y visto de cerca es una autntica birria, con todas las agravantes. Es imperdonable que a un hombre como Sorolla, que con su arte rindi culta a la belleza, se le ofrezca como A. Figures 328 homenaje este esperpento. È 20 En fvrier 2008, en pleine ÒsorollamanieÓ, un conseiller municipal socialiste, Juan Soto (1962), demande la mairie de rassembler les vestiges de lÕancien monument Ð celui des rpublicains Ð afin de le rinstaller, comme en 1933, sur la plage de la Malvarrosa.21 Mais loin de satisfaire la demande, la mairie aux couleurs du Parti Populaire restaure le monument existant en 2009 car il se trouve sur le circuit urbain qui va accueillir le premier Grand Prix de formule 1 de lÕhistoire de la ville.22 Le regard fig du peintre, jadis tourn vers la mer, contemple donc aujourdÕhui les bolides du paddok ! Cela semble incroyable que, comme par le pass, le souvenir de Sorolla continue aujourdÕhui opposer vertement la droite et la gauche. 20. 21. 22. Fineza (photographie), ÒÀEs esto lo que Valencia hace por Sorolla?Ó, Jornada, Valencia, 13/11/1963. Ç [É] Vu de loin, il ressemble une falla de troisime catgorie B, et vu de prs cÕest une vritable verrue, avec toutes les circonstances aggravantes. CÕest impardonnable quÕ un homme comme Sorolla, qui avec son art a vou un culte la beaut, on offre en son hommage une telle extravagance. È Anonyme, ÒEl PSPV propone al ayuntamiento la recuperacin del monumento a Sorolla en la playa de la Malva-rosaÓ, http://www.lasprovincias.es/, 7/02/2008. Cristina Fernndez, ÒSorolla relucir en la F-1Ó, http://www.lasprovincias.es/, 3/08/2009. A. Figures 329 17. EL NOMBRE DE SOROLLA A UN AVIîN, 1963. - UN AVION BAPTIS AU NOM DE SOROLLA - Cifra ABC, Madrid, 31/03/1963. APMS. XX. Les autorits franquistes nÕont pas oubli que le peintre Sorolla et le fondateur de lÕHispanic Society, Archer Huntington, avaient Ïuvr ensemble la rconciliation entre les deux pays aprs la Guerre de Cuba. Appos sur le flanc dÕun appareil californien achet par la compagnie dÕtat Iberia, le nom de Sorolla symbolise lÕentente hispano-amricaine. Comme un clin dÕÏil lÕhistoire, le premier vol transporte son bord une missive du nouveau directeur de lÕinstitution new-yorkaise adresse au maire de Valence. Le Douglas DC-8 dcolle le soir du 29 mars de lÕaroport de Santa Monica. Pour le symbole, il entre sur le territoire espagnol par la localit dÕEl Ferrol, la ville natale du ÒcaudilloÓ, avant dÕaterrir un peu plus tard lÕaroport de Manises, au sud de Valence23. Comme on peut le voir sur cette photographie publie par le 23. Anonyme, ÒAyer lleg al aeropuerto nacional de Manises el avin reactor Ç Sorolla ÈÓ, Las Provincias, Valence, 31/03/1963. A. Figures 330 journal ABC, lÕavion est assitt baptis sur le tarmac au cours dÕune crmonie laquelle participent les diles et les autorits militaires de la rgion. Il intgrera ensuite le reste de la flote transatlantique avec, son bord, la documentation touristique valencienne qui sera distribue aux futurs passagers amricains. A. Figures 331 18. FRANCO INAUGURî LA EXPOSICIîN SOROLLA, 1963. - FRANCO A INAUGUR LÕEXPOSITION SOROLLA - Sanz Bermejo ABC, Madrid, 23/04/1963. APMS. XXI. Sur cette photographie qui fait la couverture du quotidien madrilne ABC, le gnralissime pose devant un grand format militaire, El dos de mayo, la premire peinture dÕhistoire du jeune Sorolla. Situ au centre du salon principal, ce tableau avait t longtemps oubli de tous, dÕune part car le genre tait pass de mode et, dÕautre part, parce que le tableau se trouvait Valence, dans un salon du Conseil Gnral. Le soulvement contre lÕoccupant franais du 2 mai 1808 est la fois un symbole dÕunit nationale mais aussi de la grande cole espagnole, car Goya lÕavait magistralement reprsent avant lui. Une lgende dsigne les quatre personnages du premier plan, cÕest--dire le couple Franco ainsi quÕAgustn Muoz Grandes (1896-1970) et Manuel Lora Tamayo (1904-2002), dont les pouses se trouvent, elles, au second plan : Ç Su Excelencia el Jefe del Estado y su esposa, doa Carmen Polo de Franco, con el vicepresidente del Gobierno, capitn general Muoz Grandes, y el ministro de Educacin Nacional, Sr. Lora A. Figures 332 Tamayo, en su recorrido por las salas de la Exposicin Sorolla, inaugurada en el Casn del Retiro ayer, a primera hora de la tarde. È24 24. Ç Son Excellence le chef de lÕtat et son pouse, doa Carmen Polo de Franco, en prsence du vice-prsident du gouvernement, le capitaine gnral Muoz Grandes, et du ministre de lÕducation Nationale, M. Lora Tamayo, lors de leur visite des salles de lÕExposition Sorolla, inaugure hier au Casn del Retiro, en dbut dÕaprs-midi. È A. Figures 333 19. DESSIN HUMORISTIQUE SANS TITRE, 1963. Rafael Munoa (1930) Ya, Madrid, 24/04/1963. APMS. XXI. La publication de ce dessin humoristique suit de prs lÕinauguration de lÕexposition du Casn del Buen Retiro. Rafael Munoa a, coup sr, parcouru ses salles puisque deux tableaux exposs, Sacando la barca (Cat n¡118) et Nia saliendo del bao (Cat n¡74), figurent dans la composition du dessin25. Au premier plan, un couple de touristes est confortablement install dans des transats, comme sÕils se trouvait sur le bord de la plage ou sur le pont dÕun paquebot. La prsence dÕun homme casquette qui pourrait aussi bien tre un gardien de muse quÕun matelot semble confirmer cette hypothse. Mais ces touristes ne contemplent pas la mer, mais les tableaux de Sorolla qui la reprsentent, et ce couvre-chef aux faux airs de bret est bel et bien la casquette dÕun gardien de muse sÕcriant : Ç Comprendemos, seores turistas, que Sorolla tiene mucha luz mediterrneaÉ Pero no es para ponerse asÉ26 È La rprimande met en vidence une situation droutante et absurde qui nÕest pas sans rappeler le tourisme romantique du XIXe sicle puisque, cent ans plus tt, les voyageurs trangers recherchaient en Espagne une 25. 26. Nia saliendo del bao, 100x70, Madrid, Collection particulire, 1909 et Sacando la barca, 100x120, Madrid, Collection particulire, 1916. Ç Nous comprenons, messieurs les touristes, que Sorolla contient beaucoup de lumire mditerrannnneÉ Mais ce nÕest pas une raison pour sÕinstaller ainsi. È A. Figures 334 ralit conforme leur imaginaire. Rafael Munoa pousse lÕabsurdit jusquÕ placer le touriste des annes soixante face aux images originales dont les reproductions ont, il faut le croire, nourri sa culture, par le biais dÕaffiches promotionnelles, de timbres, de billets de banque etc. Le dessin fait ainsi la synthse entre la double utilisation de lÕÏuvre de Sorolla sous le franquisme. En effet, elle sert la fois lÕimage du pays lÕextrieur et lÕoffre culturelle propose sur place. A. Figures 335 20. SRIE DE TIMBRES Ç PINTOR JOAQUêN SOROLLA È, 1964. Srie 1566-1575. mise le 23/03/1964. Tirage: 4.000.000 dÕexemplaires. 28,8x33,2 et 33,2x28,8. Format !. Bords dors. De gauche droite : 1575. Grupa valenciana, 10 pesetas. 1569. Pescadora valenciana, 80 centimes. 1571. El encierro, 1Õ50 pesetas. 1568. Tipos manchegos, 70 centimes. 1567. Boyero castellano, 40 centimes. 1570. Autorretrato, 1 peseta. 1573. Nios en la playa, 3 pesetas. 1566. El botijo, 25 centimes. 1574. Sacando la barca, 5 pesetas. 1572. ÁY an dicen que el pescado es caro!, 2Õ50 pesetas. Un mois aprs la fin de lÕanne jubil, lÕtat met en circulation cette srie de dix timbres, avec son enveloppe de collection, lÕoccasion du Òjour du timbreÓ. Cette dition prolonge le souvenir de lÕexposition du Casn del Buen Retiro car Pescadora valenciana (Cat. n¡29) El A. Figures 336 botijo (Cat. n¡45) Grupa valenciana (Cat. n¡70) ou encore Sacando la barca (Cat. n¡118), viennent dÕtre prsents au public. Le dernier figure dÕailleurs dans la composition du dessin qui vient dÕtre comment. Contrairement au timbre dit en 1953, destin lÕaffranchissement arien, la nouvelle srie circulerait lÕintrieur du pays sur les courriers ordinaires. Pour cette raison, elle est tire quatre millions dÕexemplaires. Le choix de ces dix tableaux semble avoir t guid par deux critres. DÕune part, ils refltent le territoire dans sa diversit en montrant des paysages de Castille, dÕAndalousie et de Valence. DÕautre part, les images slectionnes ne disent rien de la ralit de lÕEspagne des annes soixante mais brossent, au contraire, la vision dÕune terre pittoresque et mythique. A. Figures 337 21 et 22. DESSINS HUMORISTIQUES SANS TITRE, 1967. Mximo Pueblo, Madrid, 11/03/1967. APMS. XXIV. Dtile Ya, Madrid, 12/03/1967. APMS. XXIV. Mximo et Dtile sont deux dessinateurs espagnols qui collaborent dans les annes soixante avec La Codorniz (1941), la principale revue comique du pays, aux cts de Munoa, Kalikatres, Serafn, Mena, Mingote, etc. Ces deux dessins doivent tre replacs dans le contexte de la crise du Muse Sorolla. Parce quÕelle ne peut plus faire face ses cots de fonctionnement, lÕinstitution est sur le point de fermer ses portes au public la fin du mois de mars 1967. Trois ans seulement aprs la fin de lÕÒanne SorollaÓ, la nouvelle interpelle lÕopinion et les autorits et des solutions sont rapidement trouves. Mais avant cela, lÕaffaire inspire quelques dessinateurs de presse qui apportent, leur faon, un clairage particulier sur cet vnement. Mximo et Dtile choisissent pour point de dpart un autoportrait conserv au Muse Sorolla que le public connat bien puisquÕil figure sur le timbre dÕune peseta de 1964, prsent dans la figure prcdente. Pour Mximo, tout le monde tourne dsormais le dos au peintre et celui-ci de sÕinterroger : Ç Podra regalar mis cuadros y todas mis cosas a este extrao pas mo pero, Àlas A. Figures 338 querr?27 È La question fait allusion la donation de la veuve qui avait rendu possible la cration dÕun muse. Ë la fin des annes soixante, le nombre dÕentres enregistr laisse croire lÕingratitude des Espagnols, qui ne prennent pas la peine de le visiter et donc de lui donner les moyens de subsister. Dtile, quant lui, met en scne la complainte dÕun visiteur nostalgique : Ç ÁLstima que no aparezca algn americano que descubra el tesoro artstico que tenemos aqu!28 È Ce visiteur anonyme nÕa visiblement pas oubli le rle jou par Archer M. Huntington en faveur de la prservation et de la valorisation du patrimoine espagnol. LÕAmricain avait galement t le plus grand mcne du Valencien. Enfin, la complainte laisse entendre que les trangers sont plus mme de protger le patrimoine espagnol que les Espagnols eux-mmes. 27. 28. Ç Je pourrais offrir mes tableaux et tous mes biens cet trange pays qui est le mien, mais en voudra-t-il ? È Ç Quel dommage quÕun Amricain capable de dcouvre le trsor artistique que nous possdons ne se prsente pas ici ! È A. Figures 339 23. SOROLLA COMO PRETEXTO, 1974. - SOROLLA COMME PRTEXTE - Equipo Crnica, 1974. Acrylique sur toile. Triptyque compos de trois panneaux de 121x96. Dimensions totales 363x288. Valence. Collections de lÕInstitut Valenci dÕArt Modern (IVAM). Cat. raisonn (2001) page 265. En 2004, lÕoccasion de lÕachat du tryptique Sorolla como pretexto par lÕInstitut dÕArt Modern de Valence, le muse publia ce tmoignage de Manolo Valds, lÕintrieur de sa revue Cuadernos del IVAM : Algunos sbados solamos ir a un restaurante de la Malvarrosa. Un da estbamos Rafael Solbes y yo hablando de pintura y alguien que nos estaba escuchando dijo que cuando era nio vea a Sorolla pintando del natural en esa playa. Recordaba haber visto a Sorolla con un caballete que montaba all mismo y le haba visto protegerse del sol con un sombrero y la paleta con su cuerpo, porque no le gustaba que la arena se pegara a los colores. Tambin deca que protegerse de los nios era difcil. Cuando ese personaje se fue, nosotros continuamos la conversacin comentando que, durante los aos de la Escuela de Bellas Artes, siempre cuestionbamos a Sorolla, no sabamos bien si era por la defensa que los profesores hacan o por el desconocimiento que tenamos de su obra. Con el paso del tiempo, aprendimos a reconocer sus cualidades. All mismo empezamos a repasar sus cuadros hasta que encontramos el que nos pareca que haba sido pintado en ese A. Figures lugar. Se trataba del cuadro en el que un nio juega con un barquito de vela. Pensamos que una forma de interpretarlo poda ser reducir el cuadro a 4 o 5 colores, usando los rotuladores para despus ampliarlo, de manera que se conservara el trazo y se pudiera reconocer la herramienta. Este apunte servira para ampliar y fabricar el cuadro. El resultado nos pareci pobre y decidimos continuar, hacer una segunda versin. Esta vez traduciramos las manchas que Sorolla haba pintado con tanta soltura a manchas cuyos perfiles seran rectos, siempre hechos con la regla y el tiralneas para separarnos de su manera de pintar cambiando su cdigo. Cuando tuvimos estos dos cuadros, vimos que podan complementarse y formar un dptico que mostrara las dos maneras de abordarlo. Recordando la historia que habamos odo en el restaurante, decidimos que debamos buscar una manera de situarlo en el lugar en que haba sido pintado, la Malvarrosa. As pues, empezamos un tercer cuadro que haca referencia a un mapa de esa playa. Aquello se haba convertido en un trptico. Para darle mayor unidad al conjunto, utilizamos una cinta adhesiva como un trompe lÕÏil, que hiciera de bisagra de los cuadros, y con la misma finalidad pintamos las herramientas con las que haban sido hechos: el pincel, el lpiz y el tiralneas. Slo faltaba ya una foto de los nios para completar la imagen. ÒSorolla como pretextoÓ es uno de esos cuadros al podamos haber seguido aadindole ms elementos. Recuerdo que cuando se lo sugera a Solbes, dijo: Ç Alguna vez habr que acabarlo29.È Ç Certains samedis, nous avions lÕhabitude dÕaller manger dans un restaurant de la Malvarrosa. Un jour, Rafael Solbes et moi tions en train de parler de peinture dans ce restaurant et quelquÕun nous coutait et raconta que, quand il tait enfant, il voyait peindre Sorolla, en plein air, sur cette plage. Il se souvenait lÕavoir vu avec un chevalet quÕil installait ici mme et il lÕavait vu se protger du soleil avec un chapeau et protger sa palette avec son corps, car il nÕaimait pas que le sable se mlange ses couleurs. Il disait aussi quÕil lui tait difficile de se prmunir des enfants. Quand ce personnage sÕen alla, nous poursuivmes la conversation en nous rappelant que, durant nos annes lÕcole des Beaux-Arts, nous discutions toujours lÕart de Sorolla, sans bien savoir si cÕtait cause de lÕadmiration excessive des professeurs ou cause de notre mconnaissance de son Ïuvre. Au fil du temps, nous avons appris reconnatre ses qualits. Toujours dans le restaurant, nous avons commenc nous remmorer ses tableaux jusquÕ ce que nous trouvmes celui qui, selon nous, avait pu tre peint cet endroit. Il sÕagissait du 29. Manolo Valds, ÒSorolla como pretextoÓ in Cuadernos del IVAM 02, Valence, IVAM, 2004, pages 18-19. 340 A. Figures tableau dans lequel un enfant joue avec un petit bateau voile. Il nous sembla quÕune manire de lÕinterprter pouvait tre de le rduire 4 ou 5 couleurs, en utilisant des marqueurs pour ensuite lÕagrandir, de faon conserver le trait et laisser lÕoutil utilis facilement identifiable. Cette bauche servirait agrandir et fabriquer le tableau. Le rsultat nous sembla pauvre et nous dcidmes de poursuivre, faire une deuxime version. Cette fois, nous transformerions les tches de couleur que Sorolla avait peint avec tant dÕaisance en des applats dont les lignes seraient droites, toujours traces la rgle et au tire-ligne afin de nous loigner de sa manire de peindre, en changeant ses codes. Aprs avoir obtenu ces deux tableaux, nous nous sommes rendus compte quÕils pouvaient se complter et former un dyptique montrant deux manires de lÕaborder. En nous remmmorant lÕhistoire que nous avions entendu au restaurant, nous avons pris la dcision de chercher une manire de le situer dans le lieu o il avait t peint, la Malvarrosa. De sorte que nous avons commenc un troisime tableau qui ferait apparatre un plan de cette plage. Le projet sÕtait donc transform en un tryptique. Afin de donner davantage dÕunit lÕensemble, nous avons fait apparatre des morceaux de scotch peints en trompe lÕÏil, la manire dÕune charnire entre les tableaux, et dans le mme esprit nous avons peint les outils avec lesquels nous avions travaill : le pinceau, le crayon et le tire-lignes. Enfin, il ne manquait quÕune photo des enfants pour complter lÕimage. ÒSorolla como pretextoÓ est un de ces tableaux que nous aurions pu poursuivre en lui ajoutant davantage dÕlments. Je me souviens que lorsque je le suggrais Solbes, il disait : Ç Un jour il faudra le terminer. È 341 A. Figures 342 24. ESPAA. TODO (NUEVO) BAJO EL SOL, 1990. - ESPAGNE. TOUT ( DE NOUVEAU) SOUS LE SOLEIL - Affiche promotionnelle. Ministerio de Transportes, Turismo y Comunicaciones. Conception : DÕArcy Masius Benton & Bowles. Centro de Documentacin Turstica de Espaa. Madrid. Inv. M 15325-1990. Les tableaux du Valencien ont servi promouvoir les plages de la cte mais, cette fois, ils apparaissent dans une campagne valorisant le patrimoine artistique national. On peut voir ici une vue du troisime atelier du Muse Sorolla dans lequel on reconnat le lit turc et la copie en pltre de la Victoire de Samothrace. Sur le chevalet se trouve un portrait de son pouse Clotilde dit Ò la mantille noireÓ. Les robes blanches qui se dtachent sur le parquet clair et mat, le tout envelopp par la lumire diaphane qui tombe de la verrire, tout cela fait cho au tableau Paseo a orillas del mar que lÕon aperoit au second plan, accroch au milieu du mur. La maxime biblique Òrien de nouveau sous le soleilÓ (Ecclsiaste I, 9), transforme ainsi quÕil apparat sur lÕaffiche, laisse entendre que tout a chang en Espagne et tout est bel et bien sur le point de changer pour le Muse Sorolla. Car en 1990, la rforme de son statut juridique est dj Òdans lÕairÓ puisque le gouvernement est prt intervenir dans ce sens pour permettre la Sude dÕorganiser lÕexposition Frn tv hav. Zorn och Sorolla. Par le pass, les dcideurs politiques A. Figures 343 avaient plusieurs fois financ des campagnes de travaux pour le moderniser afin de le rendre plus attractif, mais cela nÕavait pas eu dÕimpact sur son affluence. La cl du changement se trouve ailleurs. En effet, la rforme du statut juridique du Muse Sorolla, qui autorisera enfin les prt, sauvera lÕinstitution. A. Figures 344 25. ESPAA. PLAYAS, 1998. - ESPAGNE. PLAGES - Affiche promotionnelle rdite en 2000. Ministerio de Economa y Hacienda Conception : Pedro Alonso, Madrid. Centro de Documentacin Turstica de Espaa. Madrid. Inv. 98-08 R. 566 CÕest un dtail dÕun tableau du Muse du Prado, Chicos en la playa, qui figure sur cette affiche sous-titre ÒEspaa. PlayasÓ. Le nom du peintre nÕapparat pas car, en 1998, il nÕa toujours pas t redcouvert hors des frontires du pays. Malgr les rcentes expositions Unter Spaniens Sonne. Landschaften von Joaqun Sorolla (1863-1923) organise Cologne en 2002 et Sargent et Sorolla, peintres de la lumire, Paris en 2006, lÕEspagnol demeure aujourdÕhui pratiquemment inconnu du grand public europen. Toutefois, par le biais de campagnes publicitaires comme celle-ci, des images tires de sa peinture ont largement t diffuses lÕtranger. Aperues sur une affiche touristique, une carte postale ou bien au dtour dÕune page de manuel scolaire dÕespagnol, ces scnes de plage ensoleilles sont vaguement connues des citoyens de lÕUnion Europnne. A. Figures 345 26. CARTAS DE SOROLLA, 2006. - LETTRES DE SOROLLA - DePalacio Films pour RTVV (Radiotelevisi Valenciana) et Generalitat Valenciana. Mise en scne : Jos Antonio Escriv. Scnario : Horacio Valcrcel. Dure : 2 heures. Acteurs principaux: Jos Sancho (Joaqun Sorolla) et Rosanna Pastor (Clotilde Garca del Castillo). Le tlfilm biopic de Jos Antonio Escriv est diffus pour la premire fois la tlvision le 14 novembre 2006, sur la chane valencienne Canal 9. Ë la manire dÕun documentaire historique, le film retrace la vie et la carrire du peintre, de son enfance jusquÕ sa mort. Escriv dclare dans la presse que son objectif principal a t de donner vie aux tableaux : - ÀEn qu medida la pelcula es biogrfica y en cul se aproxima al documental? - Mi idea ha sido darle vida a los cuadros y creo que lo he logrado. Me he preocupado ms de eso que de contar la vida de Sorolla. Quera que los cuadros tomaran vida30. 30. Alejandro Pl, ÒHe puesto la cmara donde Sorolla pona el caballeteÓ, http://www.lasprovincias.es/, 7/11/2006. - Dans quelle mesure le film est-il biographique, dans quel mesure se rapproche-t-il dÕun documentaire ? A. Figures 346 Un personnage fictionnel, Ramn Bertomeu, tire les fils de la construction narrative. Ce jeune journaliste entreprend lÕcriture dÕun essai biographique et, pour toffer son manuscrit, il rencontre lÕartiste, puis son pouse ainsi que lÕcrivain Vicente Blasco Ibez. Au gr des entretiens, les vocations du pass donnent lieu de longues analepses. En tant que programme destination du grand public, Cartas de Sorolla a incontestablement rempli une mission pdagogique. Cela ne veut pas dire que la vision dlivre soit neutre. En effet, elle privilgie le lien entre le peintre et sa rgion natale, car le tlfilm est financ par la chane de tlvision rgionale officielle et par la Communaut Autonome de Valence hauteur de plus de deux millions dÕeuros31. Sous le franquisme, un tel point de vue aurait certainement t cart car le peintre devait apparatre dans sa dimension nationale. - 31. Mon ide a t de donner vie aux tableaux et je crois que jÕai russi. Je me suis davantage intress cela quÕ la vie de Sorolla. Je voulais que les tableaux prennent vie. Anonyme, ÒJos Sancho desvela en miniserie RTVV el lado ms humano de SorollaÓ, actualidad.terra.es, 7/11/2006. A. Figures 347 27. CENTENARIO DE LA EXPOSICIîN DE 1909 y ANIVERSARIO DEL HIMNO REGIONAL, 2009. - CENTENAIRE DE LÕEXPOSITION DE 1909 ET DE LÕHYMNE REGIONAL - Manolo Valds. Affiche promotionnelle. Collection particulire. En mai 2009, la mairie de Valence inaugure une exposition commmorant le centenaire de lÕExposition Rgionale de 1909. Pour lÕoccasion, lÕartiste Manolo Valds rinterprte un tableau de Sorolla, Grupa valenciana, dans une affiche promotionnelle32. Le Valencien a peint deux fois ce sujet, en 1908 puis en 1916, dans le panneau de Visin de Espaa consacr sa rgion natale33. Valds simplifie la composition et pose la couleur lÕintrieur de formes gomtriques pour suggrer en trompe-lÕÏil un recouvrement par des tessons de cramiques en rfrence aux fabriques de Manises. Une fois encore, Valds puise un sujet dans lÕÏuvre de 32. 33. Roco Carrin, ÒValds reinventa a Sorolla en el cartel del centenario de la Exposicin RegionalÓ, abc.es, 24/02/2009. Grupa valenciana, 254x185, Barcelone, Muse National dÕArt de Catalogne, 1908 et Valencia. Las grupas, 351x301, New York, HSA, 1916. A. Figures 348 Sorolla, sans pour autant sacrifier sa technique. Il dmontre ainsi que lÕart contemporain peut sÕapproprier son Ïuvre. A. Figures 349 n¡28. VUE SATELLITE DU MUSE SOROLLA DE MADRID, 12/04/2009. Imagerie GeoEye. 2009! Donnes cartographiques Google, Tele Atlas. http://maps.google.fr/maps?utm_campaign=fr&utm_medium=ha&utm_source=fr-ha-emea-frbk-gm&utm_term=google%20map. Le Muse Sorolla est situ dans le quartier de Chamber, au nord du centre historique de Madrid, entre les rues Garca de Paredes, Zurbano, General Martnez Campos et Miguel çngel. Dans lÕencadr, on distingue clairement les trois parties de la proprit cÕest--dire les jardins, la maison qui occupe la moiti gauche du trapze et, au fond, les ateliers en galerie dont peut voir les trois verrires. Au fil du dveloppement de la ville et de son urbanisation croissante, le quartier sÕest transform et le Muse Sorolla se trouve aujourdÕhui encaiss entre des immeubles construits sous le franquisme. Cette position rend trs difficile tout projet dÕextension. LÕaggrandissement de muses existants est une pratique en vogue sur la A. Figures 350 Òpromenade des artsÓ de Madrid, qui comprend tous les muses qui longent lÕavenue Paseo del Prado et dont le dernier en date est lÕimpressionnant Caixa Forum (2007), situ au numro 36. LÕextension du Muse Reina Sofa dessine par lÕarchitecte franais Jean Nouvel (1945) a ouvert ses portes en octobre 2005 et celle du Muse du Prado, imagine par Rafael Moneo (1937), a t inaugure le 30 octobre 2007. Dans le cas du Muse Sorolla, le projet passe par lÕacquisition des appartements des immeubles collatraux. Il a t lanc en 2009, date des premiers achats, mais il sÕtendra ncessairement sur une priode longue. A. Figures 351 n¡29. AFFICHE PROMOTIONNELLE DU CIRCUIT SOROLLA, 2012. Institucin Joaqun Sorolla de Investigacin y Estudios - CMCV - Generalitat Valenciana. http://www.institucionsorolla.gva.es/es/publicaciones-e-investigacion/ruta-sorolla.html. Le circuit Sorolla est un itinraire touristique permettant de dcouvrir vingt-neuf sites valenciens voquant la vie et lÕÏuvre du peintre. Le projet a t financ par la Communaut Autonome de Valence et sa ralisation a t confi lÕInstitut Joaqun Sorolla dÕtude et de recherches. Voici les tapes de ce parcours : 1. Maison natale de J. Sorolla. 2. glise Sainte Catherine. A. Figures 3. Rsidence de la famille Sorolla Bastida (1864-1865). 4. Foyer adoptif de Joaqun et Concha Sorolla Bastida depuis 1865. 5. Ancien emplacement de lÕcole des Artisans de Valence. 6. cole des Artisans de Valence. 7. Centre El Carmen. 8. Atelier photographique et domicile de la famille Garca del Castillo. 9. Ancien emplacement de la Socit Rcrative El Iris. 10. Premier atelier de Joaqun Sorolla. 11. Deuxime atelier. 12. Escalones de la Lonja. Dcor de lÕÏuvre El grito del palleter. 13. glise San Martn. 14. Maison natale de Saint Vincent Ferrer. Dcor de lÕÏuvre Exvoto. 15. Maison muse Benlliure. 16. Mairie de Valence. 17. Cathdrale de Valence. 18. Place Redonda. 19. glise Saint Jean. 20. Palais de lÕExposition. 21. Casilicio de la Virgen de los Desamparados en el Puente del mar. 22. Cercle des Beaux-Arts de Valence. 23. Muse des Beaux-Arts de Valence. 24. Plage de la Malvarrosa. Maison muse Vicente Blasco Ibez. 25. Ancien Asile San Juan de Dios. 26. Maison dels bous. 27. Monument ÒValencia a SorollaÓ. 28. Cimetire Gnral de Valence. 29. Collection de peinture du Muse Lladr. 352 B. Annexes 353 B. A N N E X E S 1. Liste des expositions monographiques Anne Titre de lÕexposition Lieu dÕexposition Dates de lÕexposition Units dition dÕun catalogue Paris, Galerie Georges Petit. 12 juin - 10 juillet 497 ! Berlin, Galeries Schulte. Dsseldorf, Galeries Schulte. Cologne, Galeries Schulte. 3 fvrier - 1 mars mars avril 280 = = " " " 1906 Exposition Sorolla y Bastida 1907 Sorolla y Bastida 1908 Exhibition of Paintings by Sr. Joaqun Sorolla y Bastida Londres, Grafton Galleries. 4 mai - 4 juillet 278 ! 1909 Joaqun Sorolla y Bastida at The Hispanic Society of America New York, The HSA. Buffalo , Fine Arts Academy. Boston, Copley Society. 8 fvrier - 8 mars 19 mars - 10 avril 20 avril - 11 mai 356 201 201 ! ! " 1911 Joaqun Sorolla y Bastida 14 fvrier - 12 mars 20 mars - 20 avril 190 189 ! ! 1924 Exposicin Sorolla 2 - 7 fvrier 12 " 16 novembre - 5 dcembre 49 ! Espaola. Valence, Museo Municipal. 14 mai - 11 juin 108 ! Barcelone, Sala Pars. 31 janvier - 15 fvrier 33 ! juillet - aot 28 ! Chicago, The Art Institute. Saint Louis, City Art Museum. Madrid, Academia de Bellas Artes de San Fernando. 1942 Sorolla. Su obra en el arte espaol y sus obras en la Argentina 1944 Sorolla 1948 Exposicin de cuadros del gran pintor Joaqun Sorolla (1863-1923), con motivo del XXV aniversario de su muerte 1952 J. Sorolla y Bastida (18631923) Buenos Aires, Institucin Cultural Buenos Aires, Galerie Wildenstein. 1953 Exposicin de Apuntes y Dibujos de Joaqun Sorolla, de la Coleccin de sus hijas Mara y Elena Madrid, Sala Toisn. 1 - 31 janvier 100 " 1958 Sorolla en el Crculo de Bellas Artes. 46 jardines de Sorolla Madrid, Crculo de Bellas Artes. 3 - 15 octobre 46 ! 1960 Exposicin homenaje a Sorolla Madrid, Crculo de Bellas Artes. 11 - 22 avril 10 " 1963 Sorolla. Pensionado de la Diputacin Valence, Palacio de la Generalidad. 27 fvrier - avril 19 ! Centenario de Sorolla Valence, Ayuntamiento. 27 fvrier - avril 30 ! Primer centenario del nacimiento de Sorolla Madrid, Casn del Buen Retiro. 22 avril - mai 132 ! 10 juillet - 2 aot 10 ! 1965 Joaqun Sorolla (1863-1923) Worcestershire, Broadway Art B. Annexes 354 Gallery (Royaume-Uni). Un siglo de arte valenciano. IV. Joaqun Sorolla. Exposiciones Conmemorativas de las Pensiones de Bellas Artes de la Diputacin Provincial Valence, Diputacin Provincial. 27 octobre - 14 nov. 19 ! 1967 Joaqun Sorolla Alicante, Aula de Cultura Altea. 27 juillet - 8 aot 36 " 1968 Joaqun Sorolla y Bastida (1863-1923) Madrid, Galera Theo. 19 novembre - 7 dcembre [inc.] ! 1973 Exposicin Sorolla Barcelone, Sala Pars. 10 - 22 mars 41 ! 1974 Dibujos de Sorolla de la coleccin Pons-Sorolla 22 octobre - [inc.] ! [inc.] 180 = = = = = = Valence, Diputacin Provincial [inc.] [inc.] Valence, Museo de Bellas Artes. Sville, Museo de Bellas Artes. Valladolid, Museo de Bellas Artes. Bilbao, Museo de Bellas Artes. Grenade, Hospital Real. Barcelone, Palacio de la Virreina. Madrid, Direccin General de Bellas Artes. [inc.] [inc.] [inc.] [inc.] [inc.] 1979 J. Sorolla 1982 El jardn de la Casa Sorolla en la pintura de Sorolla Madrid, Museo Sorolla. [inc.] 24 ! 1983 Sorolla Tarrasa. Barcelone. Villanueva y Geltr. mars - juin [inc.] [inc.] ! 30 janvier - 3 mars 31 ! 15 octobre - 1 dc. 35/24 ! fvrier 15 ! New York, The HSA. Saint Louis, City Art Museum. San Diego, Museum of Art. Valence, IVAM. mars - mai juin - aot aot - octobre novembre - janvier 97 = = = ! 1985 Els Sorolla de lÕHavana. Col.lecci del Museo Nacional de Bellas Artes de Cuba Sorolla - Solana Valence, Centre de la Caixa de [inc.] lÕEstalvis. Lige, Salle Saint Georges. 1986 Joaqun Sorolla y Bastida (1863-1923) 1989 Sorolla an 80th anniversary exhibition 1991 Frn tv hav. Zorn och Sorolla Stockholm, Nationalmuseum. 7 nov. - janv. 53/61 ! 1992 Sorolla, el pintor de la luz Mxico, Museo de San Carlos. dcembre -fvrier [inc.] ! Sorolla en Guipuzkoa Saint Sbastien, Sala Kutxa. avril - septembre 55 ! 4 mars - 3 mai 61/53 ! [inc.] [inc.] " 1/04 au 19/01 51 ! Sorolla - Zorn 1993 Sorolla Madrid, Galera Jorge Juan. Madrid, Museo Sorolla. La Havane, Museo Nacional de Bellas Artes. 1994 Sorolla en Andaluca Sville, Hospital de los Venerables Sacerdotes. B. Annexes 355 [inc.] ! 21 mars - 30 avril dcembre - janvier 175 ! Madrid, Fundacin Cultural Mapfre. novembre - janvier 81 ! Sorolla. Fondos del Museo Sorolla (suite et fin) Andorre la Vieille, òbeda, Hospital de Santiago janvier octobre - novembre [inc.] Sorolla. Pequeo Formato (suite) Bogota, Museo de Arte Moderno Valladolid, Teatro Caldern Palencia, Sala Caja Espaa fvrier - mars novembre dcembre 175 ? Oviedo, CAMCO 9 mai - 2 juin 70 ! mars - avril 26 ! janvier fvrier mars avril - mai mai - juin juin 175 Sorolla. Fondos del Museo Sorolla 1995 Sorolla. Pequeo Formato Vigo, Caixavigo. La Corogne, Kiosko Alfonso. Santander, Fundacin M. Botn. Vitoria, Caja Vital Kutxa. Pamplune, Planetario. Barcelone, La Pedrera. mai - juin juillet - aot aot - septembre septembre - oct. novembre - dc. dcembre Ð janvier Saragosse, Centro Ibercaja. Valence, Fundacin Bancaja. Murcie, Sala San Esteban. Logroo, Sala Ams Salvador. Alicante, Llotja del Peix. Valladolid, Museo de la Pasin. Grenade, Museo de Bellas Artes. janvier - mars mars - avril avril - mai mai - juillet juillet - aot septembre novembre - janvier Valence, Edificio del Reloj. Castelln de la Plana, Centro Sant Miquel. Joaqun Sorolla (1863-1923) 1996 J. Sorolla y la cornisa cantbrica Sorolla y el Mediterrneo Palma de Majorque, Fundacin Barcel 1997 Sorolla. Pequeo Formato (suite et fin) Zamora, Centro Caja Espaa Salamanque, Sala La Salina Len, Centro Caja Espaa Vigo, Caixavigo Pontevedra, Museo Provincial Ourense, Museo Municipal St Jacques de Compostelle, Igrexada Universidade La Corogne, Ayuntamiento Lugo, [inc.] Aranjuez, Centro Isabel Farnesio Joaqun Sorolla y Bastida Salamanque, Sala Caja de Ahorros juillet - aot aot - septembre septembre - oct. octobre - nov. 14 fvrier - 10 avril 66 ! mai - juillet. juillet - sept. 45 ! de Salamanca y Soria Paisajes de Granada de Joaqun Sorolla Grenade, Fundacin Rodrguez Acosta Valence, Museo de la Ciudad Sorolla (1863-1923) Caracas, Museo de Bellas Artes septembre - oct. 60 ! Sorolla en las colecciones valencianas Valence, Museo de Bellas Artes 3 mars - 20 avril [inc.] ! Bilbao, Museo de Bellas Artes. 19 dcembre - 22 36/36 ! Sorolla - Zuloaga, dos B. Annexes 356 visiones para un cambio de siglo 1998 Sorolla Zuloaga Sorolla (1863-1923) (suite) J. Sorolla a Xbia 1999 2000 fvrier 8 avril - 28 juin = ! Bogota, Museo Nacional34. Santiago du Chili, CTC. La Paz, Museo Nacional. Lima, Museo de Bellas Artes. fvrier - mars septembre - oct. juillet - aot 17 septembre - 18 octobre 60 = = 58 ! ! Jvea, Espai dÕArt A. Lambert. 17 juillet - 30 aot 43 ! 4 novembre - 17 janvier 93 ! 5 novembre - 31 janvier 131 ! fvrier - mai mars - avril 93 = Valence, Museo del siglo XIX. New York, The Spanish Institute. 20 juin - 3 sept. 27 novembre - 21 octobre 61/59 = ! Orense, Aula Caixanova. Pontevedra, Sala G. Mendoza. Lugo, Museo Provincial. 14 sept. - 29 oct. novembre - dc. dcembre - janv. 69 = = ! Saragosse, Centro Ibercaja. Logroo, Sala Ams Salvador. Torren de Lozoya (Sgovie). Las Palmas de Grande Canarie, C.I.C.C.A. Huelva, Fundacin El Monte. Badajoz, MEIAC. 24 janv - 14 avril 27 avril - 2 juin 14 juin - 19 aot septembre - octobre 17 oct. - 18 nov. novembre - janv. 69 = = Rio de Janeiro, Museo Nacional. 14 novermbre - 31 dcembre 59 ! Valence, Museo del Siglo XIX. 26 novembre - 15 mai 70 ! Madrid, Fundacin Mapfre Vida. Sorolla y la Hispanic Society. Una visin de la Espaa de entresiglos Madrid, Sorolla y su visin de Espaa: Dibujo Madrid, Museo Sorolla. Sorolla y la Hispanic Society. Una visin de la Espaa de entresiglos (suite et fin) Valence, Museo de Bellas Artes. La Corogne, Fundacin Barri de Mariano Benlliure y Joaqun Sorolla: Centenario de un homenaje Sorolla paisajista 2001 Sorolla paisajista (suite) Sorolla no Brasil El Museo Sorolla visita Valencia Museo Thyssen Bornemisza. la Maza. = = = 2002 Sorolla paisajista (suite et fin) Grone, Centro Cultural La Caixa. Valence, Edificio del Reloj. Castelln, Sala San Miguel. Alicante, Palacio Gravina. Albacete, CCM. Cologne, Wallraf Richartz Museum. janvier - 2 mars 13 mars - 2 mai mai - juin juillet - aot 4 - 30 septembre 19 octobre - 5 janvier 69 = = = = = 2003 Sorolla y Castilla Talavera de la Reina, Centro 6 mai - 4 juin 25 sept. - 29 oct. 6 nov. - 8 dc. 45 Cultural San Prudencio. Cuenca, Casa Zavala. 34. ! n = Ë Bogota, cette exposition fut prsente sous le titre Sorolla en Gran Formato car la capitale colombienne venait dÕaccueillir lÕexposition Sorolla. Pequeo Formato. En 2001, Rio de Janeiro, elle reut un autre titre : Sorolla no Brasil. B. Annexes 357 Ciudad Real, Museo Lpez 12 dc. - 25 janv. Vilaseor. = Tolde, Museo de Santa Cruz. 2004 Sorolla ntimo Sta. Cruz de Tenerife, Museo 144 Mlaga, Museo de Bellas Artes. Cceres, Museo de Historia. 6 - 31 octobre 10 nov. - 8 dc. 15 dc. - 6 janv. çvila, Palacio de los Serranos. 20 janv. - 29 fv. 48 Cordoue, Sala Vincorsa. Jan, Museo de Bellas Artes. Grenade, Centro Gran Capitn. 14 janv. - 13 fv. 16 fv. - 14 mars 30 mars - 23 avril 144 = = 25 mai - 8 aot 50 27 janv. - 6 mars 11 mars - 28 avril 5 - 29 mai 45 = = Municipal. Sorolla y Castilla (suite) 2005 Sorolla ntimo (suite et fin) Sorolla en Mxico = Mxico, Museo Nacional de San ! = = ! ! Carlos. Sorolla y Castilla (suite) Murcie, Palacio de Almudn. Aranjuez, Centro Isabel de Farnesio. Madrid, Casa de Vacas. 2006 Sorolla y sus contemporneos Castelln, Sala San Miguel 30 nov. - 22 janvier 15/35 ! Sorolla y la otra imagen en la coleccin de fotografa antigua del Museo Sorolla Valence, Centro del Carmen. 6 novembre - 7 janvier 155 ! phot. Sorolla y sus contemporneos (suite) Murcie, Museo de Bellas Artes. Santiago, Fundacin Caixa Galicia. Sargent y Sorolla 27 janv. - 26 mars 21 avril - 6 juillet 15/35 3 octobre - 7 janvier 55/50 Paris, Petit Palais. 15 fvrier - 13 mai 45/48 Madrid, Muse Sorolla. 25 janvier - 25 mai Madrid, Museo Thyssen Bornemisza. 2007 Sargent et Sorolla, peintres de la lumire Sorolla y la otra imagenÉ (suite) Joaqun Sorolla en el Museo de Bellas Artes de Cuba Cartas de Sorolla a Pedro Gil-Moreno de Mora La casa Sorolla. Dibujos Blasco Ibez y Sorolla inventaron la Malvarrosa 2008 155 La Havane, Museo Nacional. Valence, Museo de Bellas Artes. 19 janvier - 23 avril 26 mars - 20 mai 30 " 275 ! lettres Madrid, Muse Sorolla. Valence, Museo Blaco Ibez. 11 juin - 14 octobre 84 ! 1 - 30 juin 24 " 7 novembre - 31 mars 14 ! 17 janvier - 14 mars 5 ! Valence, Centro Cultural Bancaja. Joaqun Sorolla en lÕescola dÕartesans de Valncia Valence, Escola dÕartesans. Sorolla. Visiones de Espaa (suite) Sville, Museo de Bellas Artes. Malaga, CAC. Bilbao, Museo de Bellas Artes. 24 avril - 29 juin 18 juil. - 21 sept. 13 oct. - 18 janv. 14 = = Valladolid, Sala de la Pasin. Salamanque, Casa Lis. 28 fv. - 12 avril 17 avril - 1 juin 45 = Burgos, Centro Cultural Cordn. 15 mai - 27 juillet 118 Sorolla ! phot. Sorolla. Visiones de Espaa Sorolla y Castilla (suite) ! ! B. Annexes 358 Sorolla y sus contemporneos (suite) 20 avril - 6 sept. 15/31 15 juil. - 31 aot 19 sept. - 23 nov. 15 octobre - 15 novembre = = = 20 fvrier - 3 mai 30 sept. - 28 janv. 14 = 6 mai - 10 juin 21 oct. - 22 nov. 15/31 Madrid, Museo Sorolla. 12 mai - 13 septembre 33 ! Madrid, Museo Nacional del Prado. 26 mai - 6 septembre 102 ! Gandia, Casa de Cultura Marqus de 8 juil. - 29 aot [inc.] " 1 octobre - 31 janvier 14/1 ! St Jacques de Compostelle, Fundacin Caixa Galicia. Malaga, Sala Unicaja. Cadix, Castillo de Santa Catalina. Albacete, Museo Municipal. 2009 Sorolla. Visiones de Espaa (suite) Sorolla y sus contemporneos (suite) Sorolla y su idea de Espaa: estudios preparatorios para la Hispanic Society of America Joaqun Sorolla Visin de Espaa. Estudios previos. Coleccin de la Hispanic Society of America Dilogos: Sorolla & Velzquez Barcelone, MNAC. Valence, Centro Cultural Bancaja. Cordoue, Museo Etnolgico. Huelva, Museo Provincial. Gonzlez de Quirs. Madrid, Museo Sorolla. B. Annexes 359 2. Rsultats des dernires ventes par adjudication35 Anne Date Titre du tableau Prix en ptas. Prix en ! Lieu 1981 28 mai Triste herencia 22.000.000 New York. 1984 mars La vuelta de la pesca 12.000.000 Londres. 1987 9 avril Nios jugando en la playa 5.500.000 Madrid, Durn. 8 juin Pescador valenciano 18.000.000 Madrid, Durn. 1988 fvrier Familia campesina de Benimamet 14.000.000 Madrid, Durn. 1989 24 oct. Familia segoviana 84.000.000 New York, SothebyÕs. Playa de Valencia 42.000.000 Retrato de don Diego de Alvear 9.000.000 Retrato 7.600.000 1990 14 fv. Londres, ChristieÕs. 1993 24 juin Estudio para Sol de la tarde 162.000.000 Londres, ChristieÕs. 1997 10 mai Clotilde y Elena en las rocas 181.500.000 New York, ChristieÕs. 22 mai A la orilla del mar 43.878.800 New York, ChristieÕs. 5 mai Sol de la tarde 145.282.300 New York, ChristieÕs. 6 mai Playa de Biarritz 10.371.400 New York, ChristieÕs 18 juin La odalisca 33.688.376 Londres, ChristieÕs 1999 avril El pillo de playa 116.240.000 2000 mars Moro con naranjas 26.000.000 Londres, SothebyÕs. avril Retrato de Da. Isaura Zaldo Arana 32.000.000 Madrid, Ansorena. avril Pescadora. Playa de Valencia 18.000.000 Madrid, Durn 22 nov. Nia en la playa del Cabaal 160.000 Sville, AIG. 4 dc. Desnudos en patio o plaza 274.000 Londres, ChristieÕs Mondando patatas 247.644 1998 2002 2004 18 nov. 5.200.000 Londres, SothebyÕs En la playa de Valencia 683.939 Londres, ChristieÕs Baile valenciano en la huerta 572.000 Madrid, ChristieÕs 16 nov. Arreglando las redes 492.650 Londres, SothebyÕs 17 nov. La playa. Biarritz 195.738 Londres, ChristieÕs 14 juin Playa de Biarritz 141.848 Londres, ChristieÕs Nia en la playa 322.635 Nios en el mar 1.179.287 2005 2006 5 oct. La hora del bao Sville, AIG. Bacante 35. 229.181 Grille ralise partir des archives de presse du Muse Sorolla, cartons n¡XXV n¡XXXII. B. Annexes 2007 7 nov. Mara mirando los peces 26 juin Puerto de Valencia Nia en la playa 22.800 186.860 Londres, ChristieÕs ÁQue te come! 264.250 Madrid, ChristieÕs Apunte de la playa de Valencia 144.250 Remendando las redes 336.250 3 octobre 2008 4 janvier 7 mai 2009 360 2.552.000 New York, SothebyÕs Nios en el mar 1.236.080 Londres, ChristieÕs Las tres velas 2.974.000 New York, SothebyÕs 2 juillet La playa de Valencia 726.757 Londres, ChristieÕs 21 janv. Dando cuerda 59.278 Londres, ChristieÕs Barcos en la playa de Valencia 159.852 3 juin Nia entrando en el bao Estudio en la playa 1.900.000 141.000 Londres, SothebyÕs B. Annexes 361 3. Table de traduction des Ïuvres cites36 ÁAn dicen que el pescado es caro! o ÁY an dicen que el pescado es caro! Et lÕon dit que le poisson est cher ! [R.D.] Barcos en el puerto con fondo de edificios Bateaux au port sur fond de maisons Boulevard de Pars Boulevard de Paris Chicos en la playa Enfants sur la plage Clotilde con los hijos Clotilde avec les enfants Clotilde con traje de noche Clotilde en robe du soir Clotilde con traje gris Clotilde en robe grise Clotilde leyendo un diario Clotilde lisant un journal Clotilde y Elena en las rocas Clotilde et Elena sur les rochers Comiendo en la barca Dner bord [R.D.] Cosiendo la vela Cousant la voile [R.D.] Despus del bao Aprs le bain Despus del bautizo, Valencia Aprs le baptme. Valence Da de Reyes piphanie El algarrobo Le caroubier El balandrito Le petit bateau El bao del caballo Le bain du cheval El beso de la reliquia Baisant la relique [R.D.] El bote blanco Le canot blanc [R.D.] El dos de mayo. Defensa del Parque de Artillera de Madrid el da del 2 de mayo de 1808. Le deux mai. Dfense du Parc dÕArtillerie Madrid le 2 mai 1808 [R.D.] El entierro de Cristo LÕenterrement du Christ El grito del palleter Le cri du palleter El pillo de playa Le galopin de la plage [S.S.] El patio del Instituto La cour de lÕcole Elena en la playa Elena sur la plage En la costa de Valencia Sur la cte de Valence Escena de puerto Scne de port Joaqun en el laboratorio Joaqun dans le laboratoire Jugando en el agua En jouant dans lÕeau Grupa valenciana En croupe la valencienne [R.D.] 36. Sauf indication contraire, les traductions sont de lÕauteur. Les abrviations [R.D.] et [S.S.] correspondent respectivement : Rafael Domnech, Sorolla, sa vie et son Ïuvre, Madrid, Vilanova y Geltr-Oliva, 1910 et Sargent / Sorolla, Paris, Petit Palais muse des Beaux-Arts de la ville de Paris, 2006. B. Annexes 362 Instantnea Instantann La bata rosa La robe rose [S.S.] La bendicin de la barca La bndiction du bateau [R.D.] La caleta La crique La hora del bao LÕheure du bain La jura de la Constitucin por la regente Da. Mara Cristina Le serment la Constitution de la rgente Marie Christine La preparacin de la pasa. Jvea La prparation des raisins secs. Jvea La Regencia La Rgence La siesta La sieste La vuelta de la pesca Le retour de la pche Las tres velas Les trois voiles Madre Mre Mara con la sierra al fondo Mara sur fond de montagne Mara mirando los peces Mara regardant les poissons Mi familia Ma famille Mi mujer y mis hijos Ma femme et mes enfants Mis hijos Mes enfants Moro con naranjas Vendeur dÕoranges Nadadores. Jvea Nageurs. Jvea ÁOtra Margarita! Une autre Marguerite [R.D.] Paseo a orillas del mar Promenade au bord de la mer [R.D.] Pescadores valencianos Pcheurs valenciens Playa de Valencia Plage de Valence Renovacin Renouveau Rogaciones en Burgos en el siglo XVI Une rogation Burgos au XVIe sicle [R.D.] Saltando a la comba En sautant la corde Sol de la tarde Soleil du soir [R.D.] Tipos aragoneses Types aragonais Tipos de Salamanca Types de Salamanque Tipos regionales castellanos Types rgionaux castillans Tipos regionales de çvila Types rgionaux dÕçvila Tipos regionales de Segovia Types rgionaux de Sgovie Tipos regionales de Soria Types rgionaux de Soria Tipos regionales del Roncal Types rgionaux du Roncal Tipos regionales del Valle de Ans Types rgionaux de la valle de Ans Trata de blancas Traite des blanches [S.S.] Triste herencia o Los hijos del placer Triste hritage ou Les enfants du plaisir Una investigacin Une exprience [S.S.] B. Annexes 363 Una mujer desnuda Nu fminin Veleros en el mar Voiliers en mer Verano t Visin de Espaa Vision dÕEspagne - La fiesta del pan (Castilla) - La fte du pain (Castille) - Los nazarenos (Sevilla) - Les nazarens (Sville) - La jota (Aragn) - La jota (Aragon) - El consejo del Roncal (Navarra) - Le conseil du Roncal (Navarre) - Los bolos (Guipzcoa) - Le jeu de boules (Guipzcoa) - El encierro (Andaluca) - La mise au toril (Andalousie) - El baile (Sevilla) - La danse (Sville) - Los toreros (Sevilla) - Les toreros (Sville) - La romera (Galicia) - Le plerinage (Galice) - La pesca (Catalua) - La pche (Catalogne) - Las grupas (Valencia) - Les cavaliers (Valence) - El mercado (Extremadura) - Le march (Extremadoure) - El palmeral (Elche) - La palmeraie (Elche) - La pesca del atn (Ayamonte) - La pche au thon (Ayamonte) C. Bibliographie C. B I B L I O G R A P H I E 1. Archives Gnrales de lÕAdministration 2. Archives de lÕAcadmie Royale des Beaux-Arts de San Fernando 3. Archives du Muse Arquologique National 4. Archives du Centre de Documentation Touristique Espagnol 5. Archives de correspondance du Muse Vicente Blasco Ibez 6. Archives de correspondance du Muse Sorolla 7. Archives de Presse du Muse Sorolla 8. Articles de presse hors APMS 9. Catalogues des expositions monographiques 10. Monographies 11. Autres ouvrages consults 12. Articles issus dÕun ouvrage collectif 13. Sites internet 364 C. Bibliographie 1. Archives Gnrales de lÕAdministration (Alcal de Henares) EC. 31/6829 Exposition Nationale des Beaux-Arts. EC. 31/6836 Exposition Nationale des Beaux-Arts. EC. 31/6839 Exposition Nationale des Beaux-Arts. 2. Archives de la Royale Acadmie des Beaux-Arts de San Fernando (Madrid) 5-146-6 Candidature de Joaqun Sorolla y Bastida. 5-175-12 Acquisitions. 3. 2007/123/4 365 Archives du Muse Arquologique National (Madrid) Billet de 25 pesetas ÒPescadoras valencianasÓ, 1936. 4. Archives du Centre de Documentation Touristique Espagnol (Madrid) 61-03 R.858 Affiche ÒJ. Sorolla, SpanienÓ, 1961 M 15325-1990 Affiche ÒEspaa. Todo (nuevo) bajo el solÓ, 1990. 98-08 R.56 Affiche ÒEspaa, playasÓ, 1998. 5. Archives de correspondance du Muse Vicente Blasco Ibez (Valence) Lettres de J. Sorolla V. Blasco Ibez de 1902 1912. 6. Archives de correspondance du Muse Sorolla (Madrid) I.1 / 142 Lettres dÕAlphonse XIII J. Sorolla. X.1 / 67 Lettres de V. Blasco Ibez J. Sorolla. LVI.1 / 176 Lettres du marquis de Viana J. Sorolla 7. Archives de Presse du Muse Sorolla (Madrid) En accord avec le directeur de la thse, le catalogue indit tabli par mes soins, recensant les rfrences compltes des 4.068 articles conservs au sein de la collection de presse du Muse Sorolla, est tenu confidentiel dans la perspective dÕune ventuelle publication. Les articles mentionns ci-dessous nÕen font pas partie et ils proviennent de la collection particulire de lÕauteur. C. Bibliographie 366 8. Articles de presse hors APMS ACEBAL, Francisco, ÒSorollaÓ, La Vanguardia, Barcelone, 1904. ANONYME, ÒNuevo Centro de investigacin y http://www.arteylibertad.org/, Valence, 10/2009. estudios Joaqun Sorolla BastidaÓ, ! ÒCuadros para la exposicin de MadridÓ, Las Provincias, Valence, 5/04/1881. ! ÒLes souverains d'Espagne au chteau de La GranjaÓ, L'Illustration, Paris, 27/07/1907. ! ÒDetalles del fallecimiento de Joaqun SorollaÓ, ABC, Madrid, 12/08/1923. ! ÒValenciaÓ, ABC, Madrid, 29/12/1908. ! ÒLas medallas de honor en la exposicin de ParsÓ, ABC, Madrid, 8/07/1900. ! ÒExposicin de bellas artes de 1899Ó, ABC, Madrid, 13/05/1899. ! ÒDe palacioÓ, ABC, Madrid, 30/12/1908. ! ÒJavier Tusell, ms all de la historiaÓ, http://www.elmundo.es/, Madrid, 10/02/2005. ! ÒVoici le plus grand collectionneur priv du mondeÓ, Paris Match, Paris, 5/09/2010. BAEZA, Almudena, ÒExposicin. De Sorolla al Equipo CrnicaÓ, http://www.elmundo.es/, Madrid, 15/09/2005. 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Agrasot, Joaqun, 150, 158. Aguayo, Fermn, 228. Aguilera Cerni, Vicente, 232. Alcntara, Francisco, 37, 72, 103. Alcal Galiano, çlvaro, 144. Alcal Zamora, Niceto, 172, 181, 192. Alfaro Moreno, Vicente, 167, 187, 320. Alma Tadema, Lawrence, 61. Almela y Vives, Francisco, 167. Alphonse V le Magnanime, 198. Alphonse X le Sage, 215. Alphonse XII, 31, 32, 52, 99. Alphonse XIII, 19, 28, 87, 90, 93, 94, 98, 105, 113, 118, 119, 125, 128, 135, 138, 151, 164, 171, 179, 181, 251, 257, 291. Altamira, Rafael, 66, 118. çlvarez Capra, Lorenzo, 56. çlvarez Catal, Luis, 86. çlvarez de Sotomayor, Fernando, 227. Amrigo, Francisco Javier, 42. Andreu, Teodoro, 140, 144, 158, 159. Anglada-Camarasa, Hermenegildo, 127, 139, 263. Arana, Lucrecia, 106. Artal, Jos, 81. Artola, Miguel, 107. Aspiroz, Jos Mara, 192. Aymam, Federico, 150. Azaa, Manuel, 178, 179, 180, 181, 182, 183, 184, 192, 196, 250, 315. Azcaoga, Enrique, 204. Azcrate, Gumersindo de, 118. Azcrraga, Adolfo de, 152. Bachoud, Andre, 194. Bacon, Francis, 238. Balmes, Jaime, 215. Ballester y Gozalvo, Jos, 165. Ballester Soto, Vicente, 108. Barber, Rita, 294. Barber Masip, Vicente, 191. Barbern, Cecilio, 204. Barcena, Catalina, 179, 257. Baroja, Po, 16, 46, 76, 118, 122, 128, 252. Baroja, Ricardo, 77, 122. Bastida, Mara Concepcin, 33. Bastien-Lepage, Jules, 35, 37, 43, 47, 72, 290, 291. Battenberg, Victoria Eugenia de, 93, 95, 98, 105, 118. Baumeister, Wili, 228. Baviera, Jos Eugenio de, 222. Baxandall, Michael, 12, 13. Beaux, Cecilia, 153. Beltrn, Federico, 45. Benavente, Jacinto, 118. Bndite, Lonce, 71. Benedito Vives, Manuel, 118, 126, 144, 145, 149, 150, 154, 158, 159, 165, 171, 186, 227, 236. Benet, Manuel, 233. Benlliure Gil, Jos, 39, 75, 77, 118, 139, 150, 153, 158, 188. Benlliure Gil, Mariano, 12, 54, 56, 75, 86, 87, 106, 109, 118, 127, 149, 150, 153, 157, 160, 165, 166, 167, 171, 177, 187, 191, 215, 319, 327. Benlliure Ortiz, Jos, 45 , 77, 144, 159. Berenguer, Dmaso, 171. Bermejo, Jos, 144. D. Index des noms de personnes Beruete, Aureliano de, 19, 26, 35, 45, 59, 62, 70, 74, 99, 106, 107, 118, 139, 158, 162, 196, 201. Berruguete, Pedro, 223. Besnard, Albert, 72. Bilbao, Gonzalo, 60, 139. Blasco, Ricardo, 75, 105. Blasco Ibez, Sigfrido, 187, 189, 196. Blasco Ibez, Vicente, 15, 16, 55, 61, 62, 63, 65, 72, 73, 75, 76, 78, 79, 80, 81, 83, 85, 87, 106, 118, 129, 130, 131, 133, 134, 135, 181, 187, 199, 226, 240, 279, 291, 304, 305, 346. Blay, Miguel, 56, 107, 118, 175. Bcklin, Arnold, 122. Boix Alvrez, Manuel, 273. Boldini, Giovanni, 123. Boln, Luis Antonio, 216. Bolvar, Ignacio, 177. Bonafoux, Luis, 44. Bonnat, Lon, 46, 70, 82. 394 Cantelly, Juan, 24. Capa, Robert, 213. Capuz, Cayetano, 33, 313. Capuz, Jos, 166, 171, 177, 313. Cardona, Juan, 45. Carreres Bayarri, Gerardo, 179. Casado del Alisal, Jos, 32, 54. Casas, Ramn, 60, 61, 125, 126, 144, 145, 238. Casagemas, Carlos, 144. Castro, Fidel, 250. Castrovido, Roberto, 80, 81, 83, 129, 157, 172. Castelar, Emilio, 54. Causars Casaa, Ricardo, 167. Cava, Mariano de, 37, 64. Cebrin, Gregorio, 231. Cervantes, Miguel de, 215, 290. Czanne, Paul, 131, 238, 252. Charles, tienne, 92. Bores, Francisco, 156. Charles III dÕEspagne, 34. Borja-Villel, Manuel, 269. Charles Quint, 182, 215. Boronat, Carlos, 201. Bouguereau, William, 143 Bourbon, Isabelle de, 93. Braque, Georges, 175, 255. Breton, Andr, 156, 318. Bretn, Toms, 87, 118. Bro#k, Vclav, 43. Buenda, Rogelio, 247. Burgueo, Mara Jess, 149. Checa, Ulpiano, 74. Chicharro, Eduardo, 140, 144, 145, 146. Chillida, Eduardo, 249. Cilla, Ramn, 42, 303, 304. Cintora Prez, Jos, 72, 80, 83. Clars, Alfredo, 147. Clausen, George, 43. Codding, Mitchell A., 263, 278. Colomer, Jos, 151. Burke, Marcus, 263, 284. Coms y Blanco, Augusto, 60, 75. Burn, Javier, 263. Comfort Tiffany, Louis, 185. Conde y Luque, Rafael, 55. Cabanel, Alexandre, 43, 172. Caillebotte, Gustave, 40. Calvo Sotelo, Joaqun, 246. Camps, Francisco, 275, 293, 294. Camus, Albert, 290. Canalejas, Jos, 74, 75, 76, 78, 106. Cnovas del Castillo, Antonio, 51, 52, 53, 67. Cnovas y Vallejo, Antonio, 67. Cortina, Antonio, 150. Cortissoz, Royal, 123, 124. Cosso, Manuel Bartolom, 19, 59, 106, 118. Cosso, Pancho, 156, 228. Costa, Joaqun, 76, 109. Courbet, Gustave, 50. Croft Watson, Dudley, 143. Csk, Istvn, 43. D. Index des noms de personnes 395 Cubero, Jos Ignacio, 281. Fernndez Flrez, Isidoro, 37, 38. Cuixart, Modest, 228. Fernndez Pelayo, Eduardo, 57. Cuat, Enrique, 151. Fernndez Serrano, Jos, 136. Cutanda, Vicente, 42. Ferrndiz, Bernardo, 34. Ferrant Fisherman, Alejandro, 57, 68, 175. Dagnan-Bouveret, Pascal Adolphe Jean, 43, 61. Ferrero, Jos, 296. Dal, Salvador, 229. Ferrer, Saint Vincent, 183. Dtile, 245, 337. Ferry, Jules, 45. David, Jacques Louis, 53. Fillol, Antonio, 68. Degas, Edgard, 40. Font de Mora, Alejandro, 294. Demaria Lpez, Jos Mara, 94, 312. Ford, John, 322. Dequis, Henri, 266. Fornet de Asensi, Emilio, 14, 168, 169, 198. Derain, Andr, 260. Fortuny y Madrazo, Mariano, 45, 234. Dicenta, Joaqun, 75, 76, 84. Fortuny y Marsal, Mariano, 44, 158. Dez, Jos Luis, 263. Fraga, Manuel, 194. Domnech, Rafael, 26, 30, 36, 115, 140, 150, 154. Francs, Jos, 127, 141, 142, 163. Domingo, Marceliano, 172. Franch y Mira, Ricardo, 49. Domingo Marqus, Francisco, 34, 49, 68, 127, 150, 158, 234. Franco y Bahamonte, Francisco, 19, 196, 198, 210, 214, 217, 220, 223, 224, 226, 232, 243, 246, 331. Domnguez, Manuel, 56, 121, 218. Franco y Bahamonte, Ramn, 182. Domnguez, îscar, 227, 228. Francos Rodrguez, Jos, 75. Dongen, Kees van, 255, 260. Franzen, Christian, 109, 124. Duchamp, Marcel, 238. Friant, mile, 43. Dufy, Raoul, 175, 255. Fuentes, Antonio, 87. Durn, Consuelo, 264. Durn y Tortajada, Enrique, 168, 179, 187, 190. Galinsoga, Luis de, 168, 169. Durand Ruel, Paul, 92, 257. Gallego, Julin, 80, 247, 263. Gandara, Antonio de la, 45. Echegaray, Jos, 106, 118. Garca Alix, Antonio, 63. Edelfelt, Albert, 55. Garca del Castillo, Antonio, 33, 286. Einstein, Albert, 265. Garca del Castillo, Clotilde, 39, 65, 91, 164, 171, 173, 342. Escobar Ramrez, Alfredo, 112. Esquenazi, Jean Pierre, 11, 12. Escriv, Jos Antonio, 30, 100, 152, 279, 345. Estadella Arn, Jos, 189. Garca Raga, Casimiro, 147. Garca Sanchs, Federico, 161, 169, 179, 180, 181, 182, 183, 184. Garca y Peris, Antonio, 33, 39, 80, 118. Gargallo, Pablo, 156. Falla, Manuel de, 213. Farins y Tortosa, Felipe, 49. Garn, Felipe, 16, 17, 21, 263, 274, 278, 295, 298. Faupel, Whilem, 196. Garnelo, Jos, 41. Ferdinand I de Castille, 183. Garrido, Francisco, 83. D. Index des noms de personnes 396 Garrido, Leandro Ramn, 45. Gascn Marn, Jos, 172. Habsbourg, Marie-Christine de, 19, 31, 91, 93. Gautier, Thophile, 110. Hartzentbush, Eugenio, 18. Grme, Jean Lon, 143, 174. Heredia, Jos Mara de, 44. Gessa y Arias, Sebastin, 45. Hernndez, Laura, 42. Gestoso, Jos, 118. Herrero, Jos Joaqun, 179. Gil, Jacinta, 233. Hierro del Real, Jos, 236. Gil, Jos Pedro, 171, 274. Hinojosa, Eduardo de, 56, 57, 61. Gil, Rodolfo, 99. Hitler, Adolf, 196. Gil Moreno de Mora, Pedro, 35, 39, 57, 59, 86, 96, 155, 171, 256, 274. Hjertensson, Ulf, 258. Gil Prez, Manuel, 228, 233. Gil-Robles, Jos Mara, 189. Houcelist, Nicolle, 42. Huntington, Archer Milton, 96, 97, 102, 117, 118, 128, 163, 210, 245, 329, 338. Gilman Proske, Beatrice, 210. Gimeno, Amalio, 75, 77, 179, 182, 316. Ibez Martn, Jos, 209. Giner de los Ros, Francisco, 59, 105, 107, 181. Innocent X, 66. Gisbert, Antonio, 32. Inurria, Mateo, 122. Giscard dÕEstaing, Anne-Aymone, 224. Iturbi Baguena, Jos, 212. Giscard dÕEstaing, Valry, 224. Iturrino, Francisco, 45. Gomar y Gomar, Antonio, 106. Isidore, Saint, 215. Gmez Trnor, Juan Antonio, 203. Israels, Isaac, 16. Gonzlez, Felipe, 28, 249. Gonzlez Mart, Manuel, 68, 77, 109, 119, 141, 163. Gonzlez Mndez, Manuel, 45. Gonzlez-Sinde, çngeles, 298. Goya y Lucientes, Francisco de, 38, 40, 110, 175, 199, 223, 238. Gracia, Carmen, 11, 14, 15, 17, 28, 29. Granath, Olle, 258. Gras, Francisco, 147, 151. Greco, Le, 175. Gris, Juan, 196. Guayasamin, Oswaldo, 234. Jerez de los Caballeros, marquis de, 128. Jewet Mather, Franck, 15. Jimnez, Juan Ramn, 17, 90, 118, 127. Jimnez Aranda, Jos, 33, 39, 40, 41, 143, 231. Jimnez Aranda, Luis, 33, 39, 40, 74, 231. Johns, Jasper, 237. Jover Casanova, Francisco, 32. Juan Carlos I, 19, 248, 281. Julian, Rodolphe, 143. Just Jimeno, Julio, 136. Justo, Isabel, 295. Guerra del Ro, Rafael, 189. Guerrero, Mara, 65, 66, 106. Guillot Carratal, Jos, 232, 235. Gutirrez Abascal, Jos, 74. Gutirrez Abascal, Ricardo, 126, 141. Gutirrez Solana, Jos, 16, 77, 103, 110, 119, 122, 126, 198, 234, 238, 323. Kahn, Gustave, 71. Kalikatres, 337. Khnopff, Fernand, 122. Kirchner, Ernst Ludwig, 256. Klimt, Gustave, 61. Kr¿yer, Peter Severin, 61. D. Index des noms de personnes 397 Madrazo y Kuntz, Ricardo de, 75. Lafuente Ferrari, Enrique, 204, 232, 234, 236. Maeztu, Ramiro de, 16, 121. Lagunas, Santiago, 228. Mager, Gus, 155, 306. Lahuerta, Genaro, 156. Mallo, Maruja, 227, 228. Lambies Grancha, Vicente, 200. Manaut Nogus, Jos, 147, 148, 174. Lara Zrate, Antonio, 189. Manaut Viglietti, Jos, 147, 151, 152, 228. Larroumet, Gustave, 71. Manet, Edouard, 50, 64. Lzl, Philip de, 94. Ma, Samuel, 144, 236. Lecomte, Georges, 71. Masriera, Llus, 139. Legat Lafarga, Luis, 222. Maran, Gregorio, 118, 177, 179, 180. Lon XIII, 39. Marchena, duchesse de, 160. Len y Romn, Ricardo, 118. Marco, Custodio, 233. Lerma, Joan, 250. Marco Lpez, Alfredo, 151. Lerroux, Alejandro, 189. Marco Miranda, Vicente, 189. Lezcano, Carlos, 158. Marquet, Albert, 255. Lhermitte, Lon, 43. Martn Caballero, Francisco, 113, 162. Lichtenstein, Roy, 237. Martnez, Encarna, 264. Liebermann, Max, 16, 93. Martnez, Luca, 281. Lpez, Ernesto, 63. Martnez, Santiago, 102, 147, 158, 159, 313, 314. Lpez Ballesteros, Luis, 73, 75. Lpez de Legazpi, Miguel, 217. Lpez de Zuazo Algar, Antonio, 18. Lora Tamayo, Manuel, 223, 331. Louis XIV, 34. Lozoya, marquis de, 179, 209, 222, 223, 244. Llorens, Toms, 11, 15, 16, 17, 28, 263, 289. Llorente, Teodoro, 61, 75, 277. Lucas, Antonio, 288. Lucas, Eugenio, 323. Lucas y Villamil, Eugenio, 45. Lucius, 51. Martnez Barrio, Diego, 189. Martnez Campos, Arsenio, 181. Martnez Cubells, Enrique, 56, 144, 145. Martnez Cubells, Salvador, 56, 121, 175. Martnez Fosatti, Jos, 264. Martnez Gonzlez, Vicente, 273. Martnez Lumbreras, Joaqun, 144. Martnez Sala, Pascual, 189. Martos, Cristino, 75. Masriera, Llus, 139. Masses, Beltrn, 122. Matisse, Henri, 238, 255. Machado, Antonio, 118. Madonna, 271. Madrazo, Jos de, 53. Madrazo, Raimundo de, 61, 118, 139. Madrazo y Kuntz, Federico de, 44, 53, 54, 70, 121, 234. Mauclair, Camille, 71. Mximo, 245, 337. Meifrn, Eliseo, 61, 196. Meissonnier, Ernest, 289. Mlida, Jos Ramn, 19, 53, 66, 69, 72, 73, 118. Mlida y Alinari, Enrique, 45. Madrazo y Kuntz, Juan de, 54, 55. Meller, Raquel, 172, 200, 265. Madrazo y Kuntz, Luis, 53. Mena, 337. D. Index des noms de personnes 398 Mndez Casal, Antonio, 191. Nagel, Charles, 42. Menndez Arranz de la Torre, Juan, 146. Navarro, Vicente, 165. Menndez Pelayo, Marcelino, 75, 118. Navarro Llorens, Jos, 144. Menndez Pidal, Luis, 58. Nelken, Margarita, 179. Menndez Robles, Mara Luisa, 12, 164. Nicolle, Marcel, 266. Menzel, Adolf, 35. Nieto Gallo, Gratiniano, 222, 245, 327. Merenciano, Francisco, 144. Nouvel, Jean, 268, 350. Merrit Chase, William, 153, 155, 307. Nordau, Max, 111. Michavila, Joaqun, 237. Miguel Nieto, Anselmo, 122, 177. Oliag Miranda, Luis, 166. Millas, Isidoro, 144. Olivas, Jos Luis, 272. Millet, Jean Franois, 217. Oller y Cestero, Francisco, 45. Mingote, 337. Orozco, Jos Clemente, 175. Mir Trinxet, Joaqun, 60, 139, 196, 263. Ortega y Gasset, Jos, 118. Mir, Francisco, 156. Orueta, Ricardo de, 173. Mir, Joan, 196, 249. Mir, Trinidad, 293. Palacio Valds, Armando, 83. Moneo, Rafael, 350. Palencia, Benjamn, 156. Monet, Claude, 92, 140. Pantorba, Bernardino de, 18, 26, 43, 54, 196, 201, 217, 221, 224, 231, 232, 263, 317. Mongrell, Jos, 140, 144, 146, 158. Montero Alonso, Jos, 186. Montgomery, Helene, 265. Montortal, marquis de, 146. Mora Berenguer, Francisco, 188, 319. Morayta Sagrario, Miguel, 75. Moreau, Gustave, 122, 178. Moreno Carbonero, Jos, 31, 42, 60, 139, 198, 290. Pardo Bazn, Emilia, 83, 118. Pareja Ybenes, Jos, 189. Parlad y Heredia, Andrs, 45. Passo, Manuel, 75. Pasteur, Louis, 55. Pastor, Rosanna, 345. Peel, Edmund, 248, 252. Pladan, Josphin, 71. Moreno Galvn, Francisco, 230. Pelliza da Volpedo, 16. Moreira y Galicia, Jaime, 75, 107, 139. Penagos, Rafael, 122. Moret, Segismundo, 73. Pearanda, Carlos de, 64. Morice, Charles, 123. Perales, Eva, 280. Moya, Jos Gabriel, 246. Perales, Guillermina, 289. Mozart, Wolfgang Amadeus, 290. Prez de Ayala, Ramn, 17, 104, 118, 127. Munoa, Rafael, 220, 221, 333. Prez Boy, Pedro, 273. Muoz Degrain, Antonio, 31, 34, 49, 118, 127, 150, 165, 175, 178, 196. Prez Galds, Benito, 76, 83, 106, 118, 285. Muoz Grandes, Agustn, 223, 331. Muoz Lucena, Toms, 60. Murillo Ramos, Toms, 147, 177. Prez Giner, Carmen, 233. Prez Rojas, Francisco Javier, 263. Prez Rubio, Timoteo, 177, 192. Prez Simn, Juan Antonio, 261. D. Index des noms de personnes 399 Peris Mencheta, Francisco, 75. Rembrandt, 233, 238. Pern, Eva, 214. Renoir, Piere-Auguste, 52. Perucho, Arturo, 136. Repulls, Enrique Mara, 160, 161. Ptain, Philippe, 217. Requejo Avedillo, Federico, 67. Petit, Georges, 30, 92, 105, 257. Ribera, Jos de, 238. Piano, Renzo, 295. Rico Avello, Manuel, 189. Picn, Jacinto Felipe Octavio, 67, 73, 76, 83, 109. Rico Ortega, Martn, 158. Pidal y Mon, Alejandro, 58, 118. Pidal y Mon, Luis, 58. Pinazo, Ignacio, 127, 147, 158, 255, 261, 268. Pinazo, Jos, 61, 150. Piqueres Guilln, Jos, 33, 58, 74. Pl, Cecilio, 33, 77, 139, 147, 165, 177. Pompey, Francisco, 202. Pon, Joan, 228. Pons Arnau, Francisco, 100, 144, 200, 203, 204, 227, 236. Pons-Sorolla, Blanca, 18, 26, 35, 173, 263, 264, 266, 295. Pons-Sorolla, Francisco, 20, 209, 244, 245, 250, 263. Portillo, Aurelio, 42. Posada, Adolfo, 177. Pradilla, Francisco, 31, 40, 51, 54, 56, 69, 142, 230. Rincn de Arellano, Adolfo, 170. Ros, Fernando de los, 179. Riscal, marquis de, 73. Rivelles, Juan, 177. Rocha Garca, Juan Jos, 189. Rodin, Auguste, 140, 179. Rodrguez Filloy, Benito, 204. Rodrguez Fornos, Fernando, 209. Rodrguez Lafora, Gonzalo, 177. Rodrguez Marn, Francisco, 118. Rodrguez Zapatero, Jos Luis, 28. Roldn, Clodoaldo, 296. Roll, Alfred-Philippe, 43. Romanones, Comte de, 66, 68, 69, 76, 86, 291, 299. Romero de Torres, Julio, 103, 110, 121, 125, 126, 198, 215 Rosales, Eduardo, 234, 290. Primo de Rivera, Miguel, 19, 138, 167, 171. Ruiz Gimnez, Joaqun, 229. Puebla, Discoro, 230. Ruiz Picasso, Pablo, 37, 45, 144, 156, 175, 196, 212, 230, 231, 235, 238, 249, 268. Puente, Joaqun de la, 232, 238, 247. Puig, çngel, 189. Pujol, Juan, 180. Querol, Agustn, 56. Ruiz de Luna, 219. Rusiol, Santiago, 45, 60, 61, 77, 126, 196, 215. Sagasta, Prxedes Mateo, 52, 66, 76, 87, 291. Saint-Aubin, Alejandro, 67, 73, 106, 110. Ramn y Cajal, Santiago, 106. Ramrez Ibez, Manuel, 57. Rauschenberg, Robert, 237. Regoyos, Daro de, 121, 123, 126, 157, 196, 323. Sainz, Casimiro, 158. Sala Francs, Emilio, 230. Salazar, Antnio, 198. Salmern, Nicols, 76. Salmson, Hugo, 43. Reig Piqu, Joaqun, 189. Salv Simbor, Gonzalo, 49, 150, 261. Rpine, 16. Salvador Rodrigez, Ams, 75. Reis, Carlos, 90. Samper Ibez, Ricardo, 189. D. Index des noms de personnes 400 Snchez-Camargo, Manuel, 204, 219, 235. Thaulow, Fritz, 158. Snchez Daz, Ramn, 109. Thous Orts, Maximiliano, 191. Sanchs y Guilln, Vicente, 57, 72. Toledo, Joan-Antoni, 237. Sancho, Jos, 152, 345. Toms, Facundo, 16, 17, 263, 295. Sandoval, Francisco, 118. Tormo, Elas, 179. Sandstrm, Brigitta, 258. Torre, Manuel de la, 42. Santa-Ana, Florencio de, 21, 250, 255, 258, 259, 260, 262, 263, 282. Torre Egua, Flix de la, 42. Santa Mara, Marceliano, 57, 175. Santiago y Carrin, Eduardo de, 168, 169. Sargent, John Singer, 16, 61, 158. Seligmann, Jacques, 266. Semprun, Jorge, 257. Serafn, 337. Torres Quevedo, Leonardo, 118. Tovar, Manuel, 156, 177, 317. Trueba, Antonio, 54. Truman, Harry S., 214. Tusell, Javier, 249, 263, 298. Tuset y Tuset, Salvador, 144, 151, 158, 227, 233, 236. Serov, Valentin A., 61. Serrano Simen, Jos, 191. Umbral, Francisco, 251, 254. Sert, Jos Mara, 234. Unamuno, Miguel de, 16, 72, 101, 127, 128, 177. Sigenza Alonso, Manuel, 136. Silvela, Francisco, 53, 57, 63. Simarro Lacabra, Luis, 59, 78. Uranga, Pablo de, 45. Urgell, Modesto, 56. Siurana, Adolfo, 273. Solana, Javier, 249. Solbes, Rafael, 195, 237, 238. Soler, Rigoberto, 136, 146, 151. Soriano, Rodrigo, 72, 80, 83. Soriano y Fort, Jos, 75, 85. Sorolla Gascn, Joaqun, 33, 80. Sorolla y Bastida, Concha, 33. Sorolla y Garca, Elena, 65, 150, 173, 185, 256, 313, 315. Sorolla y Garca, Joaqun, 20, 65, 173, 185, 192, 198, 200, 209, 244. Sorolla y Garca, Mara Clotilde, 150, 155, 173, 185, 202, 256, 274, 315. Valds, Manolo, 195, 237, 238, 339, 347. Valencia, Pedro de, 156. Valenzuela, Jos, 143. Valle-Incln, Ramn Mara del, 16, 122, 124, 125, 126, 127, 128, 158, 164. Valls, Ernesto, 147. Van Gogh, Vincent, 289. Vauxcelles, Louis, 123. Varo, Remedios, 227, 228. Vzquez Daz, Daniel, 126, 232, 235. Vega-Incln, Benigno de la, 12, 19, 118, 162, 179. Vegue y Goldoni, çngel, 186. Soto, Juan, 327. Vento, Jos, 228, 233. Starkweather, William, 143. Velsquez, Diego, 15, 63, 64, 66, 89, 175, 221, 223, 238, 240, 271, 293. Surez, Adolfo, 248. Vera, Alejo, 104. Taft, William Howard, 98. Tpies, Antoni, 228, 249. Tharrats, Joan Josep, 228. Verde Rubio, Ricardo, 144. Viana, marquis de, 94, 96, 97, 191. Vierge, Daniel, 45. Viola, Manuel, 227, 228. D. Index des noms de personnes Vila Prades, Julio, 144. 401 Yriarte, Charles, 44. Villagracia, marquis de, 80. Villegas Cordero, Jos, 51, 68, 86, 142. Zabala, Arturo, 236. Villegas, Manuel, 57. Zabaleta, Rafael, 235. Vizca, Fernando, 135, 144. Zablburu, Francisco, 42. Vlaminck, Maurice de, 255. Zablburu y Mazarredo, Mara del Carmen, 42. Voltaire, 82. Zamacois, Eduardo, 122. Zamorano, Ricardo, 233. Warhol, Andy, 237. Zegr, Jos, 315. Washburn, Cadwaller Lincoln, 59, 158. Zola, mile, 130, 265. Washington, George, 216. Zorn, Anders, 16, 61, 72, 77, 158, 257, 258, 259. Wilde, Oscar, 265. Williams, Leonard, 110. Zuazo, Secundino, 177. Zuloaga, Ignacio, 16, 32, 45, 103, 110, 119, 121, 122, 123, 124, 126, 157, 212, 234. ) 8 ) 0 ''a $ Q. ) ) = e e d 0 g a 0 l 3 i ) U a y 8 'æ > E -'0 Ë ) e 3 0 k Q. a 0 b 2 Q < i > g a ''a 2 ' E P ë 2 g S 8 E m æ g a 0 'a ' Z = ë 8 H 0 8 B a '3 g : { = a g b D' 2 B H 0 ''0 E Q. 8 'a > 8 = Ë e B 3 a 3 a 9 9 u' B b a ) Ë a 8 g 8 6 Q. J 8 0 = d } g = a E = ''0 ''a a a' 3 e Q} a Q. 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