François Derouault, Lycée Sainte Marie

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François Derouault, Lycée Sainte Marie
NOURRIR EN AFFAMANT
François DEROUAULT -Lycée Sainte-Marie – Caen (14) - 2011
Mesdemoiselles, mesdames et messieurs,
Un milliard de personnes souffrent de la faim dans le monde. Et ce chiffre pourrait bien augmenter si
l’accaparement des terres arables des pays du Sud continue de se généraliser. Ce sont les droits des
populations locales, victimes de ce phénomène au caractère impérialiste, que je suis venu défendre.
En 2050, la population mondiale devrait s’élever à plus de neuf milliards d’habitants. Cette
perspective d’avenir a favorisé le « land grabbing », également connu sous le nom d’accaparement de
terres, dans un contexte de crise alimentaire et agricole. En effet, la Chine, l’Inde, la Corée du Sud,
l’Arabie Saoudite, l’Egypte, le Qatar, les Emirats Arabes Unis, le Royaume-Uni, et même la France,
investissent par le biais de leurs firmes transnationales dans les terres cultivables de la planète. Selon
un rapport d’Oxfam, une confédération d’ONG, 45 millions d’hectares ont été négociés ces dernières
années, soit plus de la superficie des Philippines. L’objectif officiel des investisseurs est d’assurer la
sécurité alimentaire, mais officieusement, il s’agit de faire du profit. Du profit, toujours du profit,
encore du profit. Et je n’en parlerais pas si seulement ce n’était pas au détriment de l’environnement,
des pays les moins avancés, et de leurs deux milliards de petits producteurs dont 800 millions sont
sous-nourris.
Car il faut savoir, mesdemoiselles, mesdames, et messieurs, que ces accaparements de terres ont lieu
dans les pays les plus pauvres du globe, parfois même dépendants de l’aide alimentaire et de la
solidarité internationale. C’est le cas de l’Ethiopie.
L’Afrique subsaharienne est la principale région touchée par ce néo-colonialisme massif. Mais peut-on
dire touchée lorsque ce sont les propres Etats-hôtes qui vendent, louent, voire donnent des milliers
d’hectares ? Ces achats ou ces locations à long terme sont-ils bénéfiques à leurs ressortissants ? Non
et en aucune manière. Au prix où l’Ethiopie loue l’hectare à l’année, à savoir un dollar, le
gouvernement ne pourra même pas construire dix écoles ! Et c’est autant de terres en moins pour
nourrir les habitants. Mais les gouvernements concernés ne semblent pas se soucier de leur sort. Ils
se moquent bien de savoir qui vit sur les territoires qu’ils mettent sur le marché mondial. Ainsi, les
terres que les paysans cultivent, les terres qu’ils ont héritées de leur père, les terres sur lesquelles ils
ont versé tant de sueur à la tâche, les terres qui nourrissent leur famille et leur village leur sont
volées ; ce qui est contraire à l’article 17 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, stipulant
que « Nul ne peut être arbitrairement privé de sa propriété ».
Selon Olivier de Schutter, rapporteur spécial pour le droit à l’alimentation au Conseil des droits de
l’homme de l’ONU, les contrats signés entre les sociétés productivistes étrangères et les Etats-hôtes
ne font que trois ou quatre pages au maximum. Peu sont adressés aux populations locales. Beaucoup
sont opaques et laissent une totale liberté à l’investisseur quant à la forme de l’exploitation des terres
et au sort des habitants touchés.
Dans cette ruée vers la terre, les bénéficiaires seront les investisseurs publics ou privés qui sécurisent
leur production, et non les Etats-hôtes qui verront s’échapper de nouveau leurs ressources naturelles.
De plus, ces pays légalisent leurs colonisations. Un pays qui ne prend pas conscience de la richesse et
de la valeur de son territoire se condamne à devenir une colonie. Les frontières des pays du Sud
pourraient donc bien être redessinées. Le Soudan est en proie à maintes négociations. L’Arabie
Saoudite a contacté la Tanzanie dans l’espoir qu’elle lui accorde 500 000 hectares. La République
démocratique du Congo a proposé dix millions d’hectares à l’Afrique du Sud... Mais le land grabbing
ne s’arrête pas à l’Afrique, il a également contaminé l’Europe de l’Est, l’Amérique latine et l’Amérique
centrale. La société française Tereos, par exemple, s’est implantée au Guatemala.
Toutes ces transactions foncières ont un point commun. Elles se font au détriment des petits paysans
et de leurs droits qu’il faut impérativement protéger. Ces exploitants agricoles voient arriver sur leurs
terres des tracteurs et autres machines modernes s’emparant des sols et des sources, les privant ainsi
des récoltes et de l’eau ! Les conditions de vie déjà précaires de ces petits producteurs sont aggravées
à cause du non-respect du droit à la propriété. Certaines sociétés se vantent de créer de l’emploi.
Mais les personnes embauchées reçoivent de si bas salaires qu’elles ne peuvent même pas acheter ce
qu’elles produisent !
Quel avenir reste-t-il alors à ces pauvres paysans, sinon la faim, puis l’exode, puis la prostitution ou la
mort ? Quelles solutions autres ont-ils à part habiter dans des bidonvilles et mendier ou se retrancher
sur des sols arides où rien ne peut pousser ? Pourquoi l’Afrique, si riche, doit-elle être
sempiternellement le théâtre du désespoir, de la pauvreté et de la misère ?
Tout ceci, mesdemoiselles, mesdames et messieurs, n’est pas conforme à l’article 3 de la Déclaration
universelle des droits de l’homme, garantissant le droit à la vie, à la dignité et à la sûreté de la
personne. Quelle belle réalité que celle du monde de l’agrobusiness ; nourrir en affamant ! Alors je
vous demande si ce traitement infligé injustement est digne de l’Homme. Imaginez-vous vivre avec
une faim constante et meurtrière ! Imaginez-vous vivre dans des bidonvilles à attendre que la mort
vous prenne !
Eux n’ont pas d’autre sort que celui-là. Eux sont condamnés à vivre dans la puanteur des quartiers
insalubres. Eux ne croient pas en un futur meilleur. Ils savent juste que le malheur et la faim existent.
Sachez qu’un jour nous aurons faim également. Les sociétés productivistes surexploitent les terres
arables en question. Elles épuisent les sols, assèchent ou polluent les nappes phréatiques, déboisent
les forêts. Elles utilisent des pesticides et des engrais chimiques nuisant à toute la biodiversité dont
nous faisons partie. Un quart de la surface de la terre est menacé de désertification et la moitié des
terres cultivables subit des dégradations.
Comment continuer à nourrir l’humanité, si après avoir été exploitées les terres arables ne peuvent
plus rien produire ?
Comment vivrons-nous si l’eau que nous buvons est polluée ?
Arrêtons d’exproprier paysannes et paysans sous prétexte que leurs rendements sont trop faibles.
Mettons nous à l’heure du développement durable et accordons à l’agriculture vivrière une place
d’importance en lui donnant des outils modernes ! Elle n’en sera que plus performante !
Si le land grabbing continue de se généraliser, non seulement, l’avenir de millions de petits
producteurs est mis en péril, mais les famines dans les pays du Sud vont s’accroître. Les terres ne
produiront plus de nourriture et alors, tous nous serons en danger.
Comment se fait-il que cette menace ne soit pas médiatisée ?
Pourquoi ne parle-t-on pas de cette réalité effrayante afin que tous les hommes puissent en prendre
conscience ?
Bien sûr, il y a des gens qui savent. Mais ils sont trop peu nombreux.
Bien sûr, il y a des actions qui sont menées, des pétitions qui sont écrites. Je cite, comme exemple,
l’action entreprise par des ONG défendant les droits des petits producteurs à Madagascar. Elles ont
manifesté leur mécontentement face au projet sud-coréen du conglomérat Daewoo qui prévoyait de
cultiver intensivement du maïs sur la moitié du pays. Mais des actions de ce type sont trop peu
nombreuses.
En définitive, le land grabbing n’est pas seulement l’occasion de se livrer à des investissements
spéculatifs qui engrangent des bénéfices colossaux. Il appartient à un processus à long terme qui vise
à ce que les firmes de l’agrochimie, de la pharmacie, de l’alimentation et des transports s’emparent
de l’agriculture.
Changeons de chemin afin d’éviter cet avenir peu prometteur.
Retournons sur nos pas en essayant de résoudre tous les problèmes de la faim et en n'excluant
personne !
Dans chaque Etat, il faut adopter un système d’agriculture plus juste, plus écologique, à échelle
nationale et non planétaire !
Privilégions un système qui assure la sécurité alimentaire et garantit l’avenir de l’Homme.
Et protégeons les droits universels des petits exploitants agricoles ! La mondialisation a ses limites : il
est immoral d’acheter le droit de mourir de faim !
C’est pourquoi ici, dans ce mémorial pour la paix et les droits universels, je dénonce la mort
programmée de millions de petits producteurs.
Je prie le gouvernement français de faire pression sur les Etats-hôtes et sur les sociétés qui
investissent afin que les populations locales jouissent des droits à la propriété et à la dignité. Qu’il
veille à ce qu’il ne soit pas écrit sur les livres d’histoire des écoliers futurs : « le land grabbing a
provoqué la plus grande crise alimentaire mondiale » !

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