Deux excellents outils pour le management des programmes

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Deux excellents outils pour le management des programmes
INT J TUBERC LUNG DIS 2 (3); 184-186
© 1998 IUATLD
CONTREPOINT
Deux excellents outils pour le management des programmes
nationaux de lutte contre la tuberculose : la notion de
traitement antérieur et le résultat du frottis à 2 mois
A. Trébucq, H. L. Rieder
Union Internationale contre la tuberculose et les Maladies respiratoires, Paris, France
DANS UN ARTICLE RECENT, Wilkinson et
col.1 concluent que lorsque quatre antituberculeux,
isoniazide (H), rifampicine (R), pyrazinamide (Z),
et streptomycine (S) sont donnés sous supervision
deux fois par semaine pendant 6 mois, il n'est ni
nécessaire de s'enquérir d'un traitement antérieur,
ni essentiel d'avoir un résultat d'examen bacilloscopique à la fin de la phase intensive du traitement. Leur argumentation repose sur des données
qui montrent que ces informations ont une faible
valeur prédictive pour les échecs et les rechutes.
Ces deux éléments sont des composantes si importantes de la stratégie recommandée par l'Union
Internationale Contre la Tuberculose et les Maladies Respiratoires (UICTMR), et par l'Organisation
Mondiale de la Santé (OMS) dans la lutte antituberculeuse,2 qu'il est utile de rappeler leur raison
d'être avant de les jeter à la poubelle. En tant que
consultants de l'UICTMR, nous connaissons bien
ces outils de management et nous les utilisons depuis qu'ils ont été mis au point par le Dr Karel
Styblo à la fin des années 1970.
Le régime thérapeutique à partir duquel Wilkinson et col. fondent leurs recommandations n'est pas
recommandé par les instances internationales car il
n'a fait l'objet d'aucune publication scientifique
faisant suite à un essai thérapeutique rigoureux, ou
à une étude prospective bien menée. Le matériel
présenté dans l'article a été collecté entre 14 et 22
années avant cette publication ; le fait que son
analyse soit très récente soulève évidemment un
certain nombre de questions. Tandis que l'efficacité
d'un traitement de 6 mois avec SRHZ donné trois
fois par semaine est reconnue,3 la prescription de
ce régime deux fois par semaine ne l'est pas.
Si ce régime particulier ne peut être recommandé parce que d'efficacité inconnue, un autre,
particulièrement puissant, peut être proposé pour le
besoin de la discussion. Retenons le régime de
deuxième ligne (dit régime de retraitement) actuellement recommandé par l'UICTMR et l'OMS :
2SERHZ/1ERHZ/ 5E3R3H3. (E pour éthambutol).
Quel serait l'intérêt de rechercher une histoire de
traitement antérieur et un résultat de bacilloscopie
à la fin de la phase intensive avec un tel régime ?
Si la souche est susceptible à la rifampicine, le
pourcentage d'échecs ou de rechutes avec un tel
régime sera certainement très faible. Le recueil
d'une histoire de traitement antérieur est sans
intérêt dans ce cas car il n'y a pas d'alternative
thérapeutique valable dans les pays à faibles revenus. La réalisation d'un examen microscopique à la
fin de la phase intensive de traitement reste cependant importante. Son intérêt dans ce cas là ne
réside pas tellement dans l'identification de ceux
qui sont à haut risque d'échec ou de rechute, mais
en tant qu'outil de management il permet d'évaluer
aisément la qualité du suivi des patients dans le
centre de santé à partir du Registre de la
Tuberculose du District. L'analyse définitive du
devenir des malades (analyse de cohorte) est
habituellement réalisée trois mois après que le dernier patient ait terminé son traitement ; elle reflète
ainsi ce qui se passait dans ce centre de santé il y a
longtemps, en général une année auparavant. Ceci
est une information de qualité pour l'évaluation du
programme comme un tout, mais ne permet guère
de comprendre ce qui se passe actuellement dans le
centre. Les analyses de cohorte intermédiaires
réalisées après 2 (et 5) mois permettent d'évaluer et
de discuter avec le personnel du centre la qualité
des services suivants :
• la qualité du laboratoire : habituellement, si les
techniciens de laboratoire sont performants,
Auteur pour correspondance : A Trébucq, MD, MCHDC, Union Internationale Contre la Tuberculose et les Maladies
Respiratoires, 68 boulevard Saint Michel, 75006 Paris, France. Tel: (+33 1) 44 32 03 60. Fax: (+33 1) 43 29 90 87. email: [email protected]
[Traduction de l'article "Two excellent tools for national tuberculosis programmes: history of prior treatment and
sputum status at two months". Int J Tuberc Lung Dis 1998; 2(3): 184-186.]
2
The International Journal of Tuberculosis and Lung Disease
10% à 20% des patients dont les examens de
frottis de crachat étaient initialement positifs,
ont toujours des frottis positifs après 2 mois de
traitement parfaitement bien suivi ;4
• la qualité du suivi du traitement, en faisant
particulièrement attention au pourcentage de
malades perdus de vue au cours de la phase
intensive.
On pourrait rétorquer qu'au lieu de faire un
examen bacilloscopique à la fin de la phase intensive de traitement, une simple marque sur le
Registre de la Tuberculose indiquant que le patient
a pris régulièrement son traitement suffirait. Cependant, la vérification de la véracité de cette
information serait bien plus difficile à réaliser que
la comparaison des registres du laboratoire et de la
tuberculose. De plus, un moyen simple d'évaluer la
qualité du travail des techniciens de laboratoire
serait perdu.
Cela représente-t-il trop de travail à demander
aux laborantins ? Les variations de proportion de
cas positifs parmi les patients adressés au laboratoire sont très grandes : dans une étude récente,
cette proportion allait de 5% au Nicaragua à 32%
au Bénin.5 Les examens à la fin de la phase
intensive de traitement représentent 1,6% de
l'ensemble des bacilloscopies réalisées au Nicaragua et 8,1% de celles réalisées au Bénin (UICTMR, données non publiées). Même au Bénin, la
charge de travail induite par ces demandes est
facilement absorbée.
Bien entendu, le régime de retraitement n'est
pas utilisé comme régime de première ligne, et
dans la plupart des programmes avec lesquels
l'UICTMR collabore, une phase intensive de 2
mois est suivie par une phase de consolidation de 6
mois qui consiste soit en {isoniazide / thioacétazone} soit en {isoniazide / éthambutol}. Lorsque
le frottis est toujours positif à la fin des deux
premiers mois, la phase intensive avec quatre
antituberculeux est prolongée jusqu'à négativation
pendant un maximum d'un mois. Il a été montré
que la prolongation de l'utilisation de la rifampicine est efficace pour réduire les risques d'échec et
de rechute.3 Connaître le résultat du frottis est ainsi
très utile pour décider ou non de la prolongation de
la phase intensive de traitement.
Wilkinson et col. montrent que selon leur
expérience, seulement 35,7% du total des cas
d'échec sont trouvés positifs au deuxième mois, et
que même si une action était entreprise, l'utilisation
du résultat du frottis à deux mois comme indicateur
n'identifierait pas la majorité des cas d'échec
(64,3%). Effectivement, l'outil n'est pas parfait
pour identifier ceux à risque d'échec ou de rechute,
mais, à l'inverse, on pourrait dire que ce n'est pas
un si mauvais outil puisqu'il permet d'identifier très
facilement plus de 35% de ceux qui auront un
problème.
S'il n'est pas nécessaire de s'enquérir d'un traitement antérieur lorsqu'on utilise le régime de
retraitement comme régime de première ligne,
qu'est-ce qui nous empêche d'utiliser ce régime ?
En fait, il ne contient pas de nouvelle molécule si
ce n'est l'addition de l'éthambutol ou de la streptomycine selon le médicament utilisé en régime de
première ligne. Ce qui change c'est la durée d'utilisation et la combinaison des antituberculeux, avec
comme conséquences la faisabilité de la remise des
médicaments et le coût.
Intéressons-nous tout d'abord au coût. Quatre
régimes de première ligne recommandés par
l'UICTMR et l'OMS, le régime de 6 mois utilisé
par Wilkinson et col. (mais donné trois fois par
semaine au lieu de deux), et le régime classique de
retraitement ont été sélectionnés ici :
Régime
Prix (US$)6
2E3R3H3Z3/4R3H3
2ERHZ/4RH
2ERHZ/6TH
2ERHZ/6EH
6S3R3H3Z3
2SERHZ/1ERHZ/5E3R3H3
16,10
34,70
21,30
30,50
42,60
61,00
Il est évident que le régime de retraitement est
beaucoup plus cher que les autres et son utilisation
entraînerait des conséquences financières importantes. Mais pourquoi le régime 2E3R3H3Z3/4R3H3
est-il si rarement utilisé? C'est de loin le moins
cher.
La réponse à cette question doit être en relation
avec la faisabilité. Le traitement directement observé est une stratégie pénible et difficile à mettre en
œuvre car elle demande beaucoup d'efforts de la
part des patients et des soignants. Etant donné que
chaque prise de rifampicine doit être directement
supervisée pour éviter le développement de
résistances – et il paraît évident que l'auto-adhérence à un traitement intermittent est encore pire
qu'à un traitement quotidien – les programmes
nationaux contre la tuberculose (PNT) préfèrent un
moyen plus simple de dispenser les médicaments.
Ceci explique pourquoi les régimes de 8 mois sont
si populaires : ils ne demandent que 2 mois de
supervision directe. Aussi, si le régime intermittent
de 6 mois (2E3R3H3Z3/4R3H3) est rarement retenu
pour des raisons de faisabilité, il est difficile d'imaginer comment il serait possible d'utiliser le régime
6S3R3H3Z3 qui requiert 6 mois de supervision.
Il n'est certainement pas excessivement difficile
et cela ne prend pas beaucoup de temps de
demander s'il y a eu ou non traitement antérieur,
d'autant que quelques erreurs de classification sont
Counterpoint
admissibles. De même l'utilisation de différents
régimes thérapeutiques selon le type de tuberculose
n'est pas si difficile, comme l'expérience dans de
nombreux PNT, à l'échelle nationale, le montre.
Alors pourquoi rejeter un outil aussi simple ?
Il semble que les efforts louables de Wilkinson
et al. pour diminuer la charge de travail dans les
PNT des pays à faibles revenus échouent sur deux
points : en évaluant incorrectement la charge de
travail et en sous-estimant la valeur d'outils très
simples. La charge de travail dans un laboratoire
ne provient pas des examens de contrôle prescrits à
la fin de la phase intensive de traitement. Si les
laboratoires sont débordés, ce qui souvent n'est pas
le cas,5 on peut réfléchir à une diminution du
nombre de frottis à réaliser par cas suspect.7
L'interrogatoire sur un éventuel traitement antérieur ne peut prendre qu'un temps minime lors de
l'entretien que le soignant doit avoir avec un
patient récemment diagnostiqué comme tuberculeux. Plus grave, les propositions de Wilkinson et
al. priveraient les soignants d'un excellent outil de
management — la microscopie à la fin de la phase
intensive — et empêcheraient l'utilisation rationnelle de régimes thérapeutique de coûts différents
adaptés aux besoins du malade. Enfin, pour les
pays qui utilisent la surveillance de la résistance
des mycobactéries aux antituberculeux comme
outil intrinsèque d'évaluation de la qualité du
programme, l'identification des patients qui ont
3
déjà été traités auparavant est évidemment
essentielle.
Références
1
2
3
4
5
6
7
Wilkinson D, Bechan S, Connolly C, Standing E, Short G.
Should we take a history of prior treatment, and check
sputum status at 2-3 months when treating patients for
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Disease. 4th ed. Frankfurt, Germany: pmi Verlagsgruppe
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