Université Cheikh Anta Diop de Dakar Année - FSJP
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Université Cheikh Anta Diop de Dakar Année Universitaire 2012/2013 Faculté des sciences Juridiques et Politiques *********** Licence 1 Sciences Juridiques Droit Civil / Groupe A 1er Semestre EQUIPE PEDAGOGIQUE Cours du Professeur Mohamed Bachir NIANG Chargés (es) des Travaux dirigés Mme Ndèye Sophie DIAGNE NDIR / M. Sidy Nar DIAGNE / M. Thomas DIATTA / M. Oumar Ahamadou DICKO / M. Cheikhou Oumar DIEYE / Melle Khadidiatou DIOP / Dr. Abdoul Aziz DIOUF / M. Christian Ousmane DIOUF / M. Ndigue DIOUF / M. Samba DIOUF/ M. Waly Deb DIOUF / M. Ndiack FALL/ Mme Oumy GUEYE /M. Ousseynou KA / M. El Hadj Iba Barry KAMARA / M. Séckou MASSALY / M. Ibrahima NDAO / M. El Hadj Samba NDIAYE / Melle Ndèye Coumba Madeleine NDIAYE (coordonnatrice) / M. Bira Lô NIANG / M. Daly SENE SEANCE 1 CONTENU DE LA SEANCE - Prise de contact: présentations / présentation du déroulement des travaux dirigés et de la méthode de travail QUELQUES INFORMATIONS IMPORTANTES A CARACTERE PEDAGOGIQUE I- LES COURS ET LES TRAVAUX DIRIGES Le cours dit magistral (en Amphi) et les travaux dirigés forment un tout, concourant de manière différente mais complémentaire à la formation de l’étudiant. Le cours est destiné à offrir à l’étudiant un ensemble de connaissances recouvrant le programme de la matière (en l’espèce celui du droit civil : Introduction au droit – Les Personnes – La Famille). La tradition veut que l’assistance au cours ne soit pas obligatoire, ce qui peut se justifier soit d’un point de vue pratique (comment contrôler la présence des étudiants) – soit d’un point de vue intellectuel (ce que dit le Professeur serait déjà écrit dans les ouvrages de droit, plus complets, plus développés que ne peut l’être un cours de droit. Parfois aussi le chargé de cours fait des fascicules ou publie le cours sur un site internet). En réalité, il est fortement conseillé d’assister au cours, et ce pour plusieurs raisons : écouter favorise l’acquisition des connaissances, tandis que la lecture solitaire d’un ouvrage est source de difficultés de compréhension sinon de contresens. Une telle lecture demande d’ailleurs plus de temps et d’effort pour l’étudiant (l’étudiant doit assister au cours et compléter par la 1 lecture d’un ouvrage). Enfin et de façon essentielle, le droit doit se parler, se discuter, être source de controverses : la parole le rend vivant. Mais toujours est-il que les étudiants sont ici parfaitement libres. Ce n’est pas le cas pour les travaux dirigés : cette fois, l’assistance est obligatoire. L’assiduité est prise en compte dans la note attribuée à l’étudiant. C’est que les travaux sont dirigés sont parfaitement irremplaçables. En effet, les T.D sont-ils essentiellement pratiques : l’étudiant procède dans ce cadre à divers exercices. C’est à cette occasion que chaque étudiant pourra à son tour s’adonner à la discussion et à la controverse, à l’échange intellectuel. Inévitablement, une séance de T.D ne peut être correctement préparée que si l’étudiant a, au préalable, appris et compris le cours qui constitue le thème de la séance : en cela la complémentarité est évidente. Mais le but du T.D. n’est pas de s’assurer que l’étudiant a bien appris son cours ; il s’agit, de façon différente, d’approfondir les questions traitées en cours, de les voir se mettre en œuvre. Alors les T.D conduiront inévitablement à former l’esprit juridique des étudiants, à leur apprendre les méthodes du droit, les raisonnements, les modes d’argumentation. Il faut pour cela que chaque étudiant y prenne une participation active : c’est par le dialogue que se font les séances. A RETENIR : Pour chaque séance, les étudiants devront donc nécessairement connaître le cours correspondant, avoir lu toute la fiche et fait l’ensemble des exercices demandés. Ce travail est la condition même de la réussite. Mais ce qui importe, c’est d’avantage : les étudiants doivent exercer leur intelligence à partir des documents, réfléchir, comprendre, discuter, s’interroger… II- LA DOCUMENTATION (largement inspirée de l’ouvrage de Jérôme Bonnard, Méthodes de travail de l’étudiant en droit, 5è éd., Hachette Supérieur, 2011). Pour être un bon étudiant en droit, il faut lire et beaucoup lire !!! Les livres et les revues vont donc devenir les instruments de travail privilégiés de l’étudiant. Celui-ci devra en acquérir certains et consulter les autres en bibliothèque. Il est littéralement impossible de dresser une liste exhaustive des livres de droit. Nous présenterons ainsi les principales catégories d’ouvrages de droit, les codes et les principales revues qui sont utiles pour la compréhension du cours, l’approfondissement des connaissances et la préparation des travaux dirigés. A- LES CATEGORIES D’OUVRAGES Sont à la disposition des étudiants des dictionnaires, des encyclopédies, des traités, des manuels, des « Mélanges » et des thèses, des recueils de grands arrêts, des livres de méthodologie et d’exercices pratiques. 1- Les dictionnaires et lexiques - Culture juridique D. Alland et S. Rials (sous la direction de), Dictionnaire de la culture juridique, PUF, coll. « Quadridge », 2003. 2 O. Cayla et J.-L. Halpérin (sous la direction de), Dictionnaires des grands œuvres juridiques, Dalloz, 2008. - Vocabulaire juridique Comme toute science, le droit a un vocabulaire qui est technique et complexe. Certains termes sont inconnus de l’étudiant novice. Par exemple usucapion, contrat synallagmatique, action pétitoire, réintégrande. D’autres termes sont plus familiers dans la mesure où ils sont empruntés au langage commun. Mais ils peuvent avoir un sens différent en droit : par exemple, la possession n’est pas la propriété ; un animal est un bien meuble ; un droit réel n’est pas un droit concret ou authentique mais un droit qui porte sur une chose. Tous ces termes seront définis dans le cours. Seulement, il peut être utile de consulter un dictionnaire de droit en général. Par exemple : R. Cabrillac (sous la dir. de), Dictionnaire du vocabulaire juridique, Litec, 3è éd., 2008. G. Cornu (sous la dir. de), Vocabulaire juridique, PUF, coll. « Quadridge », 8è éd., 2007. S. Guinchard et G. Montagnier (sous la dir. de), Lexique des termes juridiques, Dalloz, 18è éd., 2010. 2- Les encyclopédies Il s’agit d’ouvrages qui exposent l’ensemble des connaissances juridiques dans les principales disciplines du droit. Les rubriques sont d’une grande fiabilité scientifique dans la mesure où elles sont rédigées par les meilleurs spécialistes de la matière. Afin de garantir leur actualité, les fascicules périmés sont régulièrement renouvelés. Dans l’attente de ces refontes, des cahiers ou des feuillets mobiles de mise à jour, édités plusieurs fois par an, sont insérés dans les volumes pour signaler les dernières évolutions. Il y a : - L’Encyclopédie Juridique Dalloz Mode de citation : rép. civ. (ou Enc. Dalloz), v. Cession de créance, n° 182 (chaque paragraphe des rubriques du répertoire est numéroté). - Les JurisClasseurs Mode de citation : J.-Cl. civ., art. 1134. 3- Les traités Les traités sont des ouvrages scientifiques qui développent de manière exhaustive une branche du droit. Ces ouvrages peuvent être consultés en bibliothèque pour une recherche ponctuelle. En droit civil, les grands traités ne sont plus réédités, comme ceux d’Aubry et Rau (Droit civil français, 12 vol., dans la 7è édition de 1984 par A. Ponsard, Litec) ou de Planiol et Ripert (Traité pratique de droit civil français, 2è éd., 1952-1960, 14 vol., LGDJ). 3 Ceci est dû au fait que ce genre d’ouvrages ne peut plus rendre compte de la complexité et de l’évolution constante du droit positif. Pourtant, des éditeurs ont soutenu la gageure d’entreprendre de nouveaux traités de droit civil. Contrairement aux anciens traités, certains volumes peuvent être rédigés par des auteurs différents. Droit civil, par Ph. Malaurie, L. Aynès (Defrénois) : Introduction générale, par Ph. Malaurie et P. Morvan, 3è éd., 2009. – Les biens, par L. Aynès et Ph. Malaurie, 4è éd., 2010. – Les obligations, par L. Aynès, Ph. Malaurie et P. Stoffel-Munck, 4è éd., 2009. – Les contrats spéciaux, par L. Aynès, P.-Y. Gautier et Ph. Malaurie, 5è éd., 2011. – La famille, par H. Fulchiron et Ph. Malaurie, 4è éd., 2011. – Les régimes matrimoniaux, par L. Aynès et Ph. Malaurie, 3è éd., 2010. – Les successions, les libéralités, par Ph. Malaurie, 4è éd., 2010. – Les sûretés, la publicité foncière, 3è éd., 2008, par L. Aynès et P. Croq. 4- Les manuels Sous diverses appellations (manuels, précis, cours élémentaire, etc.), les éditeurs publient des ouvrages qui exposent de manière claire et pédagogique les principales matières étudiées à l’université. Ces ouvrages sont indispensables pour préparer les travaux dirigés et étudier des questions pour lesquelles la prise de notes en cours a été incorrecte. En outre, les cours étant rarement exhaustifs, les professeurs invitent souvent leurs étudiants à les compléter à l’aide de manuels. Aubert (J.-L.), et Savaux (E.), Introduction au droit, Sirey, coll. « Université », 13è éd., 2010 Buffelan-Lanore (Y.) et Larribau-Teyneyre (V.), Droit civil 1re année, Sirey, 16è éd., 2009 Carbonnier (J.), Droit civil, Introduction, PUF, coll. Thémis, 2è éd. 2002 Cornu (G.), Droit civil, Introduction au droit, Montchrestien, coll. « Précis Domat », 13è éd., 2007 Courbe (P.), Introduction générale au droit, Dalloz, coll. « Mémentos », 11è éd., 2009. Malaurie (Ph.) et Morvan (P.), Droit civil, Introduction générale, Défrénois, coll. « Droit civil », 3è éd., 2009 Mazeaud (H., L. et J.) et Chabas (F.), Leçons de droit civil : Introduction à l’étude du droit, Montchrestien, 12è ed., 2000 Terré (F.), Introduction générale au droit, Dalloz, coll. « Précis », 8è éd., 2009 5- Les « Mélanges » et les Thèses - Mélanges Les étudiants trouveront sur les rayonnages des bibliothèques de nombreux ouvrages dont le titre « Mélanges » ou « Etudes » est suivi du nom d’un professeur des facultés de droit. Ces ouvrages contiennent une série d’articles qui sont écrits, généralement par des universitaires, en l’honneur d’un de leurs maîtres ou collègues (exemple : Mélanges en l’honneur de Serge Guinchard, Dalloz 2010). 4 - Thèses Un certain nombre de thèses de doctorat en droit sont publiées et peuvent être consultées en bibliothèque pour préparer une étude ponctuelle. Exemple : Amsatou SOW SIDIBE, Le pluralisme juridique en Afrique : l’exemple du droit successoral sénégalais, LGDJ, 1991. 6- Les Recueils de Grands Arrêts Plusieurs ouvrages regroupent les plus importantes décisions rendues par les juridictions dans une matière déterminée. Chaque arrêt est accompagné d’un commentaire, qui est mis à jour à l’occasion de chaque réédition. Les grands arrêts de la jurisprudence civile, par H. Capitant, F. Terré, Y. Lequette, Dalloz, tome 1, 12è éd., 2007, tome 2, 12è éd., 7- Les livres de méthodologie et d’exercices pratiques - Manuels de méthodologie juridique Divers ouvrages fournissent des « outils » du droit pour familiariser l’étudiant avec la documentation, le langage juridique, le raisonnement juridique et l’interprétation des décisions de justice. On y Trouve également des conseils de méthodologie pour les divers types d’exercices pratiqués dans les facultés des droits. Exemples : Isabelle DEFRENOISSOULEAU, Je veux réussir mon droit : Méthodes de travail et clés du succès, Dalloz, 7è éd., 2010 ; Jérôme BONNARD, Méthodes de travail de l’étudiant en droit, Hachette supérieur, 5è éd., 2011. - Manuels d’exercices pratiques Les éditeurs multiplient les collections d’ouvrages d’exercices de droit appliqués à une matière déterminée de premier et de deuxième cycle. - Roger Mendegris, Le commentaire d’arrêt en droit privé : méthode et exemples. Méthode du droit, 7ème éd., Dalloz, 2004. - Gilles GOUBEAUX, Philippe BIHR, Les épreuves écrites en droit civil : Méthodologie, LGDJ, 10è éd., 2005. - Alain SERIAUX, Marc BRUSCHI, Le commentaire de textes juridiques : Lois et règlements, Ellipses, 2è éd., 2007. - Thierry GARE (sous la direction de), Annales : Introduction et droit et droit civil : Méthodologie et sujets corrigés, Dalloz, 2009. B- LES CODES On appelle « code » un ouvrage qui réunit en les ordonnant l’ensemble des lois, décrets et arrêtés d’une même branche de droit. - Code des obligations civiles et commerciales (COCC), EDJA, 2010 - Code civil français, Dalloz, 111è éd., 2012 ou 110è éd., 2012 - Code de la famille, EDJA, 2009 5 - La Constitution sénégalaise du 22 janvier 2001 commentée, EDJA, 2011 C- LES REVUES JURIDIQUES - Journal officiel de la République du Sénégal - Journal officiel de la République française - Bulletins des arrêts de la cour de cassation (France) *****Le Bulletin civil regroupe les arrêts les plus importants rendus au cours du mois considéré par les chambres civiles (première, deuxième et troisième chambre civile), la chambre commerciale, financière et économique, et la chambre sociale de la cour de cassation, ainsi que ceux rendus par l’Assemblée plénière ou en chambre mixte Mode de citation : Cass. 1re civ. (ou Civ. 1re ), 27 mai 2010, Bull. civ. I, n° 121 (arrêt de la première chambre civile de la cour de cassation, publié au Bulletin civil de l’année de la décision) ; Com., 4 mai 2010, Bull. civ. IV, etc. *****Le Bulletin criminel regroupe les arrêts essentiels rendus par la chambre criminelle. Mode de citation : Cass. Crim. (ou Crim.), 14 avril 2010, 09-83503, Bull. n° 74. *****Le Bulletin d’information de la cour de cassation - Le bulletin des arrêts de la cour de cassation (Sénégal) - Le Bulletin des arrêts rendus par la cour d’Appel de Dakar en matière civile et commerciale (le Vol. n° 1 paru en 2011) - Le Recueil des décisions du conseil constitutionnel (France) Mode de citation : Cons. Const., 11 février 2011, Décision n° 2010-99 QPC, JO du 12 févr. 2011, p. 2757. - Le Recueil Lebon (regroupe la jurisprudence administrative française) Mode de citation : CE, 26 juin 2001, Sieur Bernier, Rec. Cons. D’ Et. (CE), 2001, p. 54 - Le Recueil des arrêts de la cour internationale de justice (www.icj-cij.org) - Le Recueil Dalloz Mode de citation : L. Favoreu, La notion de liberté fondamentale devant le juge administratif des référés, D. 2001, Chron., p. 1739 (cette référence désigne un article du professeur Favoreu, reproduit au Recueil Dalloz de l’année 2001, dans la première partie consacrée aux chroniques. L’article débute à la page 1739 du recueil Cass. Soc., 6 avril 1999, D. 2000, Jur., p. 5, note J. Mouly (cette référence désigne un arrêt du 6 avril 1999 de la chambre sociale de la cour de cassation, qui est reproduit au Recueil Dalloz de l’année 1999, page 5, avec un commentaire du professeur Mouly. - La Semaine Juridique (Semaine Juridique : SJ ; ou JurisClasseur Périodique : JCP) 6 La Semaine Juridique, également appelée JurisClasseur Périodique (à ne pas confondre avec les JurisClasseurs), connaît cinq éditions hebdomadaires : Générale ; Entreprise et affaires ; Notariale et immobilière ; administrations et collectivités territoriales ; sociale. - La Gazette du Palais Mode de citation : Gaz. Pal. 2009.1 (ou 2). 78. Les chiffres 1 et 2 renvoient au premier ou au second recueil semestriel - Les Petites Affiches Mode de citation : Petites Affiches, n° 220 du 4 novembre 2003 - Droit et Patrimoine Mode de citation : Dr et patr. 2007. 97, obs. P. Stoffel-Munck - Revue trimestrielle de droit civil (RTD civ) - Revue trimestrielle de droit commercial et de droit économique (RTD com) - Revue critique de droit international privé (Rev. Crit. DIP) - Revue du droit public (RDP) - Actualité Juridique Droit Administratif (AJDA) - Actualité Juridique Famille (AJ. Fam.) - Actualité Juridique Pénal (AJ. Pén.) - Revue de droit du travail (RDT) - La revue des Sociétés - Revue de droit sanitaire et social - Revue Lamy Droit Civil - Répertoire du notariat Defrénois (citée Defrénois) - Nouvelles Annales Africaines (Revue de la Faculté des Sciences Juridiques et Politiques de l’Université Cheikh Anta Diop) - Revue Internationale de Droit Africain (Editions Juridiques africaines : EDJA) – Parution trimestrielle - Revue Sénégalaise de Droit - Penant (Revue africaine) - Revue de droit uniforme (revue africaine) - Revue juridique et politique indépendance et coopération (revue africaine) - Revue internationale de droit africain 7 QUELQUES SITES UTILES www.credila.net (site du Centre de Recherche, d’Etude et de Documentation sur les Institutions et les Législations Africaines (Faculté de Droit)) www.gouv.sn (site du Gouvernement du Sénégal) www.edja.sn (site des Editions Juridiques Africaines) www.courdecassation.fr (site de la Cour de cassation française) www.legifrance.gouv.fr (site où est publié le Code civil français) www.lextenso.fr (site de documentation et d’information juridique) www.dalloz.fr (donne accès aux Codes, Revues, Répertoires de droit français) www.ohada.com (documentation sur droit des affaires en Afrique) III- COMMENT LIRE (Extrait de l’ouvrage d’Isabelle DEFRENOIS-SOULEAU, Je veux réussir mon droit, Dalloz, 2010, pp. 19-21) Même d’une simple lecture, il doit vous rester quelque chose ; ce doit être un travail efficace et non du temps perdu et de la fatigue. Lisez lentement, avec grande concentration Il ne s’agit pas de parcourir le texte distraitement ou avec précipitation. Décidez de vous plonger dans une question ; concentrez-vous dans le calme, en vous ménageant un temps suffisant. Il n’est pas question de lire sans comprendre. Vous devez parvenir à comprendre très clairement ce que vous lisez. Abordez la matière en prenant connaissance du plan et des définitions : aucun mot ne doit vous restez obscur. Lisez en pensant, en comparant, en vous posant des questions, c’est-à-dire de manière active. Lisez le crayon à la main Vos polycopiés, vos documents de TD, vos notes de cours, et même les manuels qui vous appartiennent doivent être soulignés et annotés. Le texte lu sera ainsi préparé pour être résumé (prenez l’habitude de faire des fiches de lecture) et révisé facilement. Il est très utile de souligner ou de surligner les groupes de mots ou les phrases importants. Mais il est sans aucun intérêt de souligner (ou de recopier) des paragraphes entiers. Souligner a pour but de faire ressortir l’essentiel. Lorsque tout est souligné, plus rien ne ressort. Le travail intelligent et profitable consiste à faire un effort pour distinguer l’important du détail, isoler des mots mais peu de phrases, et ne faire apparaître que l’ossature du texte. De la sorte, cette ossature apparaît d’un coup d’œil et le résumé de la question se trouve préparé. 8 Des indications notées en marge vous aideront aussi à préparer le travail de révision : marquez d’un signe les définitions et les questions qui vous seront signalées comme étant particulièrement importantes. A RETENIR : vos notes de cours doivent être disposées de manière aérée et doivent être aisément lisibles. Il faut nécessairement plusieurs lectures pour comprendre un cours. Une, deux et même trois lectures ne suffisent point pour se familiariser avec le cours. Prenez le soin de photographier le plan (c’est-à-dire de connaître parfaitement le plan de votre cours : le meilleur moyen c’est de prendre le plan sur des fiches, c’est la première étape du résumé du cours). IV- QUELQUES CONSEILS POUR LA REUSSITE DE L’EXPOSE ORAL (Extrait de l’ouvrage d’Isabelle DEFRENOIS-SOULEAU, Je veux réussir mon droit, Dalloz, 2010, p. 208) L’exposé est un exercice de communication L’exposé n’est pas une dissertation plus ou moins mal lue, mais un exercice bien particulier destiné à vous entraîner à la parole en public d’une part, et à faire profiter tout le groupe du travail de l’un des étudiants, d’autre part. C’est donc l’occasion d’apprendre à vous exprimer oralement avec aisance et sérieux. Le droit est un art d’expression et presque toutes les professions juridiques exigent de savoir parler, expliquer, convaincre. En préparant et en disant votre exposé, pensez à votre auditoire Ayez pour objectif : - de vous faire comprendre, - d’intéresser votre auditoire, - de lui apporter quelque chose : une étude approfondie, une synthèse, qui constitue le fruit de votre travail et que vous avez à cœur de transmettre. Dans cet état d’esprit, attachez-vous : - à mettre en valeur les aspects intéressants de la question, - à être clair, - à vous exprimer de manière correcte et vivante. A RETENIR : Ne restez pas toujours collé à vos notes ! Un exercice bien préparé doit pouvoir être présenté avec aisance sans pour autant lire de manière permanente ce que vous avez écrit. Un étudiant de la première année doit s’exercer pour pouvoir y arriver progressivement. V- TRAVAIL DE LA LANGUE FRANCAISE L’expression écrite doit être de qualité. Les copies qui présenteront trop de lacunes en français seront sanctionnées. Pour vous éviter d’être pénalisé, la langue française devra être travaillée sans relâche tout au long de l’année afin d’être toujours mieux connue, mieux dominée. 9 - Enrichissez votre vocabulaire. - Evitez les erreurs et les imprécisions de vocabulaire, qu’il soit courant ou juridique (gardez-vous d’employer, solutionner (pour résoudre) ; expliciter (pour expliquer) ; conséquent (pour important) ; complexifier (pour compliquer, obscurcir) ; malgré que (pour bien que, quoique) ; par contre (pour en revanche) ; génocide (pour crime) ; etc. « Mal nommer les choses, c’est ajouter aux malheurs du monde » (Albert Camus). - Faites attention à l’orthographe. - N’oubliez pas les accents et les majuscules. - Pensez à la ponctuation, elle est la respiration de la langue. - Tenez compte de la grammaire élémentaire (un verbe dans chaque phrase). « Il ne peut y avoir, d’un côté la forme, de l’autre le fond. Un mauvais style, c’est une pensée imparfaite » (Jules Renard). Pour cela, vous devez : - continuer à travailler votre grammaire, conjugaison et orthographe en utilisant des ouvrages appropriés (Bescherelle. La conjugaison pour tous, L’orthographe pour tous, la grammaire pour tous), le BLED (orthographe, grammaire, conjugaison), d’Edouard Bled. - Avoir à votre disposition un dictionnaire de la langue française (Le Robert, Le Larousse, ou Le Dictionnaire Universel, Hachette, 2007). - Lire aussi des ouvrages, autres que ceux de droit (cela pourra vous aider à parfaire votre culture générale). VI- EXPRESSIONS LATINES USUELLES EXPRESSIONS ET MOTS LATINS Ab initio : dès le début - In limine litis : au début du procès Ab intestat : succession qui s’ouvre en l’absence de testament Accipiens : celui qui reçoit le paiement - solvens : celui qui paie Ad hoc : qui convient pour cela, pour cette fonction Ad litem : pour le procès Ad nutum : à son gré, de manière discrétionnaire Ad probationem : formalité exigée pour la preuve d’un acte Ad validitatem : formalité exigée pour la validité d’un acte Ad solemnitatem : la solennité constitutive 10 Affectio societatis : intention de s’associer dans une société Animus : intention - animus donandi : intention libérale = volonté de donner - animus cooperandi : intention de coopérer dans un contrat Bonus pater familias : bon père de famille Contra legem (coutume) : coutume contraire à la loi Causa proxima / remota : cause la plus proche / la plus éloignée Culpa in contrahendo / in eligendo / lata : faute dans la conclusion du contrat / dans le choix / lourde De cujus : défunt dont on répartit la succession entre les héritiers De facto : en fait ou situation de pur fait De in rem verso : restitution de la chose De jure : en droit ou situation juridique De lege ferenda : dans la perspective d’une modification de la loi De lege lata : relativement à la loi en vigueur Dolus bonus / malus : bon dol / mauvais dol Erga omnes : à l’égard de tout le monde Ex æquo et bono : en fonction du juste et de l’équitable Exceptio non adimpleti contractus : exception d’inexécution du contrat In : dans Infans : enfant en bas âge Infra petita : en deçà de la demande Instrumentum : acte juridique (le document) Intuitus personae : en considération de la personne In abstracto, in concreto : abstraitement, concrètement In solidum : en entier Lato sensu : au sens large Mutuus consensus / dissensus : consentement mutuel, dissentiment mutuel Negotium : acte juridique (le contenu) 11 Ne varietur : sans changement Non ædificandi : ne pas construire : Servitude de ... Praeter legem (coutume) : coutume qui complète la loi Pretium doloris : indemnisation des souffrances Post mortem : après la mort Pro forma : pour la forme Quantum : montant Ratione loci : en raison du lieu (compétence territoriale du tribunal) Ratione materiae: en raison de la matière (compétence d’attribution du tribunal) Res nullius : chose sans propriétaire Secundum legem (coutume) : coutume à laquelle renvoie la loi Sine qua non : (sans laquelle non ; sous entendu : condition...) Solo consensu : par le seul effet du consentement) Stricto sensu : au sens strict Sui generis: propre à une espèce, à un genre, unique Ultra petita : au-delà de la demande MAXIMES ET ADAGES Accessorium sequitur principale : l’accessoire suit le principal Actio non natæ non currit præscriptio : pas de prescription de l’action avant sa naissance Actor sequitur forum rei : le demandeur doit porter l’action devant le tribunal du défendeur Actori incumbit probatio : au demandeur incombe la preuve A l’impossible nul n’est tenu Bonne foi est toujours présumée Contra non valentem agere non currit praescriptio : la prescription n’a pas couru contre celui qui a été empêché d’agir Culpa lata dolo æquiparatur : la faute lourde est équivalente au dol De minimis non curat prætor : le préteur, comprenez le juge, ne s’occupe pas d’affaires insignifiantes 12 De non vigilantibus non curat prætor : le préteur ne s’intéresse pas au négligent Dies non interpellat pro homine : l’échéance du terme ne vaut pas mise en demeure Donner et retenir ne vaut Dura lex, sed lex : la loi est dure, mais c’est la loi Electa una via, non datur recursus ad alteram : une voie choisie, il n’est pas possible de revenir à l’autre En fait de meubles, possession vaut titre Error communis facit jus : une erreur communément répandue devient le droit Exceptio est strcictissimae interpretationis : l’exception est d’interprétation stricte Fraus omnia corrumpit : la fraude corrompt toute chose Genera non pereunt : les choses de genre ne périssent pas Impossibilium nulla obligatio : il n’y a pas d’obligation quand l’objet est impossible In dubio pro reo : le doute profite à l’accusé In lege Aquilia et culpa levissima veniet : (dans la loi Aquilia, c’est-à-dire en matière délictuelle, la faute la plus légère est prise en considération) In pari causa turpitudinis cessat repetitio : pas de répétition, c’est-à-dire de restitutions, en présence d’une faute égale Locus regit actum : la forme de l’acte est réglée par le lieu Malitiis non est indulgendum : pas d’indulgence pour la mauvaise foi Neminem lædit qui suo jure utitur : celui qui use de son droit ne lèse personne Nemo auditur propiam turpitudinem allegans : on ne peut être entendu en justice lorsque l’on invoque sa propre turpitude Nemo censetur ignorare legem : nul n’est censé ignorer la loi Nemo contra se subrogare censetur : nul n’est censé avoir subrogé contre soi Nemo dat quod non habet ou Nemo plus juris ad alium transfere potest quam ipse habet : nul ne peut transférer à autrui plus de droit qu’il n’en a lui-même Non bis in idem : on ne peut être jugé deux fois sur la même chose Nullum crimen, nulla pæna sine lege : il n’y a pas d’infraction sans texte Nulla poena (crimen) sine lege : il n’y a pas de peine (ou de crime) sans loi 13 Pacta sunt servanda : les conventions doivent être respectées Prior tempore potior jure : le premier en date est le premier en droit Pas d’intérêt, pas d’action Quæ temporalia ad agendum perpetua sunt ad excipiendum : l’action est temporaire, l’exception est perpétuelle Quod nullum est nullum producit effectum : ce qui est nul ne produit aucun effet Qui fait l’enfant doit le nourrir Res inter alios acta aliis neque nocere neque prodesse potest : la chose convenue entre les uns ne nuit ni ne profite aux autres (effet relatif des contrats) Res judicata pro veritate habetur : la chose jugée est tenue pour vraie Res mobilis, res vilis : chose mobilière, chose sans valeur Res perit domino : la perte d’une chose est pour le propriétaire Specialia generalibus derogant : les dispositions spéciales dérogent aux dispositions générales Solus consensus obligat : le consentement oblige à lui seul Ubi emolumentum, ibi onus : là où est le profit, là est la charge Ubi lex non distinguit nec nos distinguere debemus : quand la loi ne distingue pas, nous non plus ne devons distinguer Volenti non fit injuria : on ne fait tort à qui consent Voir les ouvrages suivants : H. Roland et L. Boyer, Adages du droit français, Litec, 4è éd., 1999. H. Roland, Lexique juridique – expressions latines, Litec, 4è éd., 2006. SENS DE QUELQUES ABRÉVIATIONS USUELLES Contra : en sens contraire i. e. : id est, c’est-à-dire Ibid ou ibidem : au même endroit Id ou idem : le ou la même Infra, supra : ci-dessous ou plus loin ; ci-dessus ou plus haut Op. et loc. cit. : opus et loco citatis (ouvrage et endroit cités) 14 V°, Vis : verbo, verbis (mot, mots) VII- VOCABULAIRE Chaque terme de droit a un sens précis qu’il convient de connaître pour pouvoir l’utiliser à bon escient. - Un tribunal rend des jugements ; une cour d’appel, la cour suprême, le conseil d’Etat rendent des arrêts, un président d’un tribunal ou d’une cour rend des ordonnances ; une juridiction (tribunal ou cour) et le conseil constitutionnel rendent des décisions - Une cour d’appel confirme ou, au contraire, infirme (ou réforme) une décision. La cour suprême ne confirme jamais (ni n’infirme ou ne réforme) une décision. Soit elle rejette un pourvoi, c’est-à-dire qu’elle maintient une décision, soit elle casse celle-ci, c’est-à-dire l’annule. - Ne dites pas qu’une loi stipule. Une loi dispose, prévoit, énonce, précise, etc. C’est le créancier qui, dans un contrat, stipule une clause ou une obligation qui engage son débiteur. - L’initiative d’un projet de loi revient au Président de la République; l’initiative d’une proposition de loi, aux membres du parlement. - Plaignant, porter plainte (ne dites pas « porter une plainte »), poursuites, accusé, prévenu, coupable, innocent sont des termes qui doivent être employés exclusivement en matière pénale. - Préjudiciel : qui doit précéder le jugement. Préjudiciable : qui cause un dommage à quelqu’un. - Demandeur : partie (ou plaideur) qui prend l’initiative d’un procès. Défendeur : partie (ou plaideur) contre laquelle la demande est formée (à ne pas confondre avec le terme défenseur, qui désigne l’avocat qui assure la défense ou la représentation d’un plaideur). - Le fonds (avec « s » au singulier) désigne certaines biens (par exemple : fonds de commerce). Le fond (sans « s » au singulier) signifie, au sens propre, l’endroit le plus bas d’une chose (par exemple : descendre au fond), et au sens figuré, ce qui porte sur des choses essentielles (par exemple : plaider ou juger sur le fond). - La foi ou la bonne foi avec le foie (organe, avec un e final). - Prémices, prémisse. Prémices (toujours au pluriel) désigne les premiers fruits de la terre ou du bétail ; au figuré le commencement, le début. Prémisse désigne les deux premières propositions d’un syllogisme. - Votre et vôtre. Votre (sans accent) s’emploie devant un nom (votre canne, votre mari) ; vôtre, avec l’accent circonflexe, dans les autres cas (cette idée est vôtre ; la vôtre est plus belle). La même subtilité pour notre et nôtre. 15 - Dommage et préjudice. Dans un langage juridique précis, le dommage désigne la lésion subie, tandis que le préjudice est la conséquence de la lésion. Un voyou m’ayant violemment heurté, je suis tombé et me suis cassé le bras droit (le dommage), ce qui m’a empêché d’exercer mes tournées en tant que représentant (mon manque à gagner est le préjudice). De même, il est préférable d’employer l’expression de dommages et intérêts (comme le Code civil de 1804 à une exception près), plutôt que celle de dommages-intérêts qui s’est répandue dans les textes récents : En effet, les dommages visent la réparation de la perte subie (le dommage), et les intérêts le gain manqué (le préjudice). - Décennie : Intervalle de dix ans ; décade : De dix jours. - Conjecture : Opinion fondée sur des probabilités, ou supposition ; à ne pas confondre avec conjoncture (situation résultant d’un ensemble de circonstances fortuites). - Acceptation, acception. Acceptation veut dire action d’accepter, alors qu’acception signifie soit préférence (la justice ne fait acception de personne), soit signification (d’un mot). - Amener, ramener : Conduire en menant ; ne peut donc s’appliquer qu’aux personnes et à certains animaux; les verbes apporter et rapporter s’emploient pour les objets inanimés. - Avérer (donner pour vrai). S’avérer vrai est un pléonasme, et s’avérer faux est un nonsens (l’expression convenable est se révéler faux). Il est juste de dire : Ce contrat s’avère être de mandat, ce chandelier s’avère être en métal argenté, monsieur X s’avère être un bandit. - Placez les accents ainsi: règle, règlement, pouvoir réglementaire, réglementer. Consulter les ouvrages (précités) de vocabulaire juridique. Il existe également un site internet très précieux (http://coursenligne.univ-artois.fr ; cliquer ensuite sur Langue française dans la fenêtre Tous publics). Le dictionnaire de l’Académie française, le seul ayant une valeur officielle, est disponible en ligne (http://atilf.atilf.fr/academie.htm). Le Trésor de la langue française informatisé est aussi précieux (http://atilf.atilf.fr). D’autres sites comportent des dictionnaires utiles : OrthoNet, corrigeant l’orthographe du mot recherché, tout en fournissant le cas échéant ses accords et ses conjugaisons (www.sdv.fr/orthonet) ; celui du CNRS, donnant les synonymes de la zone de saisie (http://elsap1.unicaen.fr/cgi-bin/cherches.cgi) ; enfin, Cactus 2000, donnant les conjugaisons de 140 verbes (www.cactus2000.de/fr/conif/) » - Tirés de Conseils aux étudiants de Philippe le Tourneau, Professeur émérite de la Faculté de Droit de Toulouse 1 Capitole 16 QUELQUES CONSEILS D’ORDRE PRATIQUE - Pour tout ce qui concerne les questions d’ordre administratif liées aux examens et aux travaux dirigés, s’informer attentivement auprès des services compétents (Assessorat, Service des examens et TD, Scolarité). - Si vous reprenez l’année, lorsqu’une unité d’enseignement n’est pas validée, tous ses éléments doivent être repris. Exemple : l’introduction à l’étude du droit et les institutions judiciaires forment une unité d’enseignement. Si l’étudiant a la moyenne en I.J et pas en Droit civil, et qu’il n’a pas validé l’unité d’enseignement, il doit reprendre les deux (droit civil et I.J). Si l’étudiant a la moyenne en introduction au droit et non en I.J, et qu’il a validé l’unité, il ne doit pas reprendre pas les institutions judiciaires. - A l’examen de rattrapage, renseignez-vous sur la matière à reprendre. Par ailleurs, faites bien attention au sujet que vous devez traiter. C’est vraiment dommage de voir un étudiant échouer parce qu’il n’a pas traité le bon sujet (il arrive qu’un étudiant traite le sujet d’un semestre qu’il ne devait pas reprendre). Parce que dans pareil cas, il sera considéré comme défaillant pour le semestre qu’il n’a pas repris. - Assurer vous que vous avez bien une note de TD pour chaque semestre (cela vous éviterait à faire des réclamations). En effet, même si vous êtes régulier aux séances de TD, il peut arriver que l’assistant qui a beaucoup de groupes à diriger oublie de vous attribuer une note. Pour éviter cela, il faut assister à la dernière séance consacrée à la remise des notes. - Lire les affiches (qui se font souvent au niveau du hall de la faculté), chaque jour, à la sortie des amphithéâtres. Parfois, il peut y avoir des changements relatifs aux programmations des cours et TD. Pour les travaux dirigés : les jours, les horaires, les salles de TD et même les exercices de la semaine peuvent changer en fonction de certaines circonstances. - Concernant les travaux dirigés, pour chaque semestre, le service des examens et TD établit des emplois du temps différents. L’emploi du temps du 1er semestre n’est pas automatiquement reconduit au second semestre (il y a souvent des changements de salles de TD). Alors, revoir impérativement les affiches relatives aux TD du second semestre. - Visiter régulièrement le site de la FSPJ : www.fsjp.ucad.sn - Surtout, ne jamais hésiter à poser des questions aux chargés de TD qui pourront vous conseiller. Bonne rentrée universitaire Université Cheikh Anta Diop de Dakar Année Universitaire 2012/2013 17 Faculté des sciences Juridiques et Politiques *********** Licence 1 Sciences Juridiques Droit Civil / Groupe A 1er Semestre Chargé du cours : Professeur Mohamed Bachir NIANG Coord. : Melle Ndèye Coumba Madeleine NDIAYE Séance 2 Thème : La règle de droit Travail à faire - Lire les documents Faire la dissertation Sujet : Droit et religion Bibliographie indicative Ouvrages - Carbonnier (J.), Droit civil, Introduction, PUF, coll. Thémis, 2è éd. 2002 - Cornu (G.), Droit civil, Introduction au droit, Montchrestien, coll. « Précis Domat », 13è éd., 2007 - Malaurie (Ph.) et Morvan (P.), Droit civil, Introduction générale, Défrénois, coll. « Droit civil », 3è éd., 2009 - Mazeaud (H., L. et J.) et Chabas (F.), Leçons de droit civil : Introduction à l’étude du droit, Montchrestien, 12è ed., 2000 (recommandé pour la séance) - Terré (F.), Introduction générale au droit, Dalloz, coll. « Précis », 8è éd., 2009 (recommandé pour la séance) - Constitution du Sénégal du 22 janvier 2001 - Code de la famille, Art. 112 (délai de viduité), art. 114 (dualité des formes du mariage) art. 571 à 653 successions de droit musulman - CIRCOFS, Comité Islamique pour la Réforme du Code de la Famille au Sénégal, Projet de Code de statut personnel, Institut islamique de Dakar, 2è édition, année 1422/ 2002 Articles - Antoine Jeammaud, La règle de droit comme modèle, Recueil Dalloz 1990, Chron. p. 199 (V. site FSJP) 18 - Philippe Jestaz, La sanction ou l’inconnue du Droit, Dalloz, 1986 (V. site FSJP) Valérie Lasserre-Kiesow, L'ordre des sources ou le renouvellement des sources du droit, Recueil Dalloz 2006 p. 2279 (V. site FSJP) Documents Doc.1 / Constitution du Sénégal du 22 janvier 2001, articles 1er et 24 Article premier— La République du Sénégal est laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens, sans distinction d’origine, de race, de sexe, de religion. Elle respecte toutes les croyances. Art. 24 — La liberté de conscience, les libertés et les pratiques religieuses ou culturelles, la profession d’éducateur religieux sont garanties à tous sous réserve de l’ordre public. Les institutions et les communautés religieuses ont le droit de se développer sans entrave. Elles sont dégagées de la tutelle de l’État. Elles règlent et administrent leurs affaires d’une manière autonome. Doc. 2/ Jean CARBONNIER, La religion, fondement du droit ? In Droit et Religion, Archives de philosophie du droit, Paris, Sirey T. 38, 1993, p. 17-21 RÉSUMÉ. — La religion peut-être créatrice de règles de droit, soit par la médiation de la morale, soit même directement ; elle peut aussi renvoyer au pouvoir laïc la charge de légiférer. Mais le droit, c’est encore un jaillissement spontané de justice : dans ce domaine, la religion est souvent entendue comme porteuse de grâce, d’espérance, de prophétie. Ce titre interrogatif aurait pu être entendu comme une question d’ethnologie : si, dans le magma de coutumes qui rythmait la monotonie des tribus primitives, le religieux n’avait pas précédé le juridique, si le juge n’était pas sorti du prêtre. Mais nous sommes ici en philosophie, et il me faut comprendre la question autrement : me demander si le droit est aussi indépendant de la religion – c’est-à-dire (dans la banalité de nos sociétés occidentales) d’un minimum de dogmatique chrétienne – aussi indépendant que le laisseraient supposer l’autonomie, voire l’autopoïèsie qu’en théorie il s’attribue. En fait, notre fin de siècle étant encline au consensus, le bon ton doctrinal est de concéder au religieux une certaine influence sur le juridique. Mais le mot est vague, et surtout il ne fait pas apparaître ce qui est essentiel : la diversité des mécanismes par lesquels la religion peut intervenir dans le droit. Une diversité qui se complique de la dualité qui traverse le droit lui-même. Car le droit, ce ne sont pas seulement des règles, c’est aussi un jaillissement en dehors des règles. C’est justement cette dualité règles de droit et droit sans règles – qui a servi d’arête à la recherche qui va suivre. Une recherche qui a été conduite sans référence nommée à une dénomination. Encore que vous puissiez estimer que c’est déjà une suffisante confession de foi que d’étaler ses variétés et d’assumer ses variations, ses fameuses variations, ô Bossuet – mes variations. -IIl est des règles de droit qui résonnent comme des échos de prescriptions religieuses, et avec deux motifs d’obéir pour un, le peuple n’en obéira que mieux. Il se peut que ce soit cet aspect providentiel de la rencontre qu’ait voulu démontrer une œuvre un peu énigmatique du Ve siècle, la Collatio (comparaison) des lois mosaïques et romaines. Mais la Collatio pourrait être reprise pour le droit français de notre époque. Des commandements du Décalogue y sont gravés : l’honneur dû aux père et mère aussi bien que la condamnation du meurtre et du vol, 19 ou – pour relever des cas de plus grande fréquence – l’impératif du repos hebdomadaire (à un jour près), aussi bien (jusqu’en 1975) que le célèbre futur apodictique « Tu ne commettras pas d’adultère » (ce commandement qui n’aurait pas été rayé du code civil s’il n’avait tenu qu’à moi). Le parallèle pourrait se poursuivre, fût-ce avec des tonalités plus sourdes : Paul Esmein décelait la notion théologique du péché sous la notion juridique de la faute, et des auteurs voient se refléter dans l’autonomie de la volonté la pureté du oui et du non de l’Évangile. Ce serait une erreur, toutefois, de penser qu’en cela nous avons affaire à des phénomènes de réception (au sens où l’on évoque la réception d’un droit étranger par le droit national). Dans la perspective où nous nous situons, on ne saurait parler de réception, parce qu’il n’y a pas eu d’adoption directe des normes religieuses par le système juridique. Elles ne sont devenues règles de droit que par l’intermédiaire, la médiation d’autres systèmes normatifs. Elles y sont passées, s’affaiblissant au passage, se dépouillant de la religion pour n’en conserver qu’une religiosité. La morale est un de ces systèmes de transition. On en pourrait citer d’autres : la culture, les bonnes mœurs, voire le droit naturel. Mais la morale est, par excellence, la religion de ceux qui n’en ont pas. Si notre droit des contrats réprouve le dol et la fraude, c’est sous la pression de la règle morale. Ripert, qui a dépeint brillamment la montée de la sève morale, lui assigne expressément une source chrétienne. Source, rien de plus : ce n’est pas avec le christianisme que le code civil a traité directement, c’est avec la morale médiatrice. Elle fait écran devant la religion, et l’écran se fait icône, idole, fixant sur elle l’adoration. La conséquence est considérable, elle touche au redoutable Etiamsi de Grotius : nous devrions continuer à nous abstenir de dol et de fraude, même si – etiamsi – nous en venions à admettre que Dieu n’existe pas, ce qui ne pourrait être avancé que par le plus grand des crimes, ajoute Grotius, négligemment. L’excès libéral peut appeler en contrepoids le fondamentalisme. Il nous faut, cependant, quitter la France pour les pays de la Réforme si nous voulons découvrir des exemples juridiques assez consistants de ce que l’on qualifie parfois de biblicisme naïf. Naïf pour qui s’enferme dans les murailles de la raison, mais la foi intensément vécue les fait éclater. Essayons plutôt de comprendre. Voici – nous sommes au XVIe siècle – des gens qui n’ont jamais eu entre les mains de recueil de coutumes, ni bien sûr de Corpus juris civilis. Et brusquement, des hommes prestigieux, des hommes de Dieu leur confient un livre, en leur disant « Lisez et méditer librement » – un livre qui, surtout dans une de ses parties, s’exprime avec une voix de commandement. C’était une réaction naturelle de recevoir – ici, il s’agissait bien d’une réception – de recevoir la Bible comme un code. Très tôt pourtant, les Réformateurs avaient mis en garde leurs ouailles : la Thora est rude, rudimentaire, conçue pour une société fort différente des nôtres, et elle n’a pu fonctionner comme droit qu’enveloppée, adoucie, humanisée par le Talmud. Allons-nous canoniser le Talmud ? Peut-être les réformateurs auraient-ils pu se contenter de dire : « Posez toujours le texte, et laissez faire les juristes, avec leur goût de la forme, leur propension aux commentaires ». De fait, les lois puritaines de la Nouvelle-Angleterre au milieu du XVIIe siècle, s’alignant sur le Deutéronome, avaient prononcé la peine de mort contre l’enfant rebelle. C’était féroce. Alors, il y eut des amendements : il convenait de distinguer selon l’âge, et si l’éducation avait été désastreuse, n’était-ce pas une circonstance atténuante ? Finalement on pouvait bien se borner à remplacer les pierres de la lapidation par autant de coups de verges, cette peine capitale, si j’ose dire, pour enfants. Un autre exemple, à peine moins historique. Imaginez un scribe, un rédacteur qui soit puritain. Son prince, qui ne l’est pas, lui donne l’ordre d’introduire dans les lois la répudiation, le divorce par volonté unilatérale. La Bible lui corne aux oreilles : « Tu ne renverras pas la femme de ta jeunesse ». Alors, il entortillera la répudiation de délais, de conditions, de prix à payer, si bien qu’elle sera confinée à des cas extrêmes. Il l’aura fait entrer tout de même dans le droit. Avec/sans 20 remords, qui peut le savoir ? Ah ! Comme l’esprit est habile… habile à tuer la lettre ! Les juristes, böse Christe, mauvais chrétiens. Qui donc a dit cela ? Au risque de ne surprendre personne, je n’abandonne pas la Réforme et j’écoute maintenant Luther dans sa doctrine des deux règnes. Oh ! je n’ignore pas l’effort de réduction que les Églises de notre temps – la luthérienne non moins que les autres – ont appliqué à cette doctrine qui les dérange. Il est si tentant pour elles de se mêler au grand spectacle du monde, du politique, dont la législation est une composante de choix, procurant l’illusion de façonner les peuples comme de l’argile. C’est même la troisième, la suprême tentation : « Je te donnerai tous les royaumes du monde et leur gloire ». Mais la doctrine des deux règnes interrompt : laissons les royaumes à leurs rois, à leurs législateurs : ils exercent parmi nous, sur nous, en faisant et maniant le droit, un métier voulu de Dieu, parce que, sans la force, la violence inhérente au droit, la condition humaine qui est pécheresse, ferait exploser la société dans le chaos. Mais ce métier, Dieu lui-même l’a rejeté hors de son royaume, parce qu’étant exercé par des hommes, il ne peut l’être sans péché (ne pensons pas nécessairement aux tyrannies meurtrières, aux pouvoirs corrompus, ce peut être aussi bien – aussi mal – paresse, faiblesse, somnolence). En vain, nous chercherions une analogie entre cette séparation radicale des deux règnes et la vieille distinction du spirituel et du temporel qu’a épuisée son incessant jeu de raquettes. Il y a, dans la doctrine des deux royaumes, un accent qui n’est qu’à elle, pessimiste, voire tragique, et les conséquences qu’elle emporte sont d’une autre dimension : elle fonde – et par la théologie même, la théologie du péché – une laïcité qui libérera de la religion le système juridique, en même temps qu’elle relativise le droit en dévoilant ses misères. Coup double ! J’ai quelquefois rêvé, dans le respect de son génie, d’un Kelsen que Luther aurait converti afin de lui épargner les affres d’un dilemme : ou bien la norme fondamentale dont il couronne sa construction est parole de Dieu, et le droit tout entier, en dessous, devient religion ; ou bien elle n’est que parole humaine sans rien au-dessus à quoi l’accrocher, et tout l’édifice flotte dans les airs. Or, la norme fondamentale pourrait bien être d’essence divine sans que fût altérée le moins du monde la laïcité des normes subordonnées, si c’était précisément la norme par laquelle le Seigneur a déclaré se désintéresser du droit, le renvoyant à la compétence du prince, c’est-à-dire de l’État, selon un mécanisme comparable au renvoi en droit international privé. Une norme qui, s’il fallait la rédiger, pourrait tenir dans cette phrase, entre bien d’autres : « Qui m’a établi sur vous pour faire vos partages ? » (Luc, 12 : 14) – énoncé exemplaire, car le partage des propriétés – Montesquieu, Rousseau l’avaient vu avant Marx – a été la naissance du droit. - II Cependant, le droit ne peut plus être, de nos jours, figuré uniquement par une pyramide ou une colonnade de normes : c’est aussi le champ où il pousse comme une herbe, fût-ce avec l’aide des hommes, les juges d’équité en première ligne, mais également des hommes quelconques, usagers, témoins, victimes du juridique, altérés de paix, de repos, de justice. Sur cet espace de liberté, la religion qui est esprit peut souffler spontanément, aisément. Ce qui lui ouvre des possibilités nouvelles, diverses et souvent inattendues, de participer au droit. L’Évangile est fontaine de grâce. Aux côtés de la loi dont elle se croit l’antithèse, la grâce est partie intégrante du système juridique. Il est des grâces institutionnalisées. La grâce royale, présidentielle, c’est le prototype, et les menues grâces que les juges ont mission de faire pleuvoir à bon escient sur le juste et l’injuste : délais de grâce en matière civile ; en matière pénale, sursis qui est une grâce sous condition. Ce qui soulève, néanmoins, une question : si d’être institutionnalisée, la grâce ne perd pas de sa diaphanité évangélique, si le calcul utilitaire n’y étouffe pas les élans du cœur. Dans l’organisation politique et judiciaire de 21 l’Occident, les décideurs se doivent d’être logiques par profession, mais ils peuvent être charismatiques (pour emprunter à des catégories wébériennes) par accident, c’est-à-dire par grâce reçue pour être ensuite répandue. C’est ainsi que, par instants, des bouffées d’indulgence remuent la surface des systèmes juridiques, et les vocables que véhicule le phénomène – supplique, pardon, rémission, rédemption – n’en dissimulent pas l’origine – l’origine chrétienne. Sans doute, les païens aussi étaient cléments, mais ils l’étaient en empereurs. Les chrétiens le sont par grâce, et ils sont capables d’une clémence anarchique. Qui ne refuse pas le passage à l’acte. La délivrance des prisonniers ne relève pas de l’anecdote : c’est, pour la Révélation, avant ou après Esaïe, une manière de dire le droit – Joseph, la sortie d’Égypte, Suzanne… – le thème court tout le long de l’Écriture. Les prisons brisées, c’était une tapisserie qu’avec des scènes bibliques Jeanne d’Albret, reine de Navarre, brodait à l’infini. La religion aurait pu se contenter de ces échappées de justice divine au travers de la justice humaine. Etait-il besoin d’organiser la justice divine en juridiction ? Mais c’est que l’homme ne se résigne pas à ne posséder qu’une justice imparfaite. Il va s’évertuer à capter, pour la ramener sur terre la vision que, pense-t-il, ne peut manquer d’avoir du juste et de l’injuste la divinité omnisciente. Telle était l’intention des ordalies, du duel judiciaire, jugements de Dieu. C’était au temps jadis, mais il en subsiste quelque chose dans le serment décisoire du procès civil. Pour peu que nous en dégagions son ressort caché, en écartant la médiation qui lui est laïquement infligée par morale de l’honneur interposée, c’est bien un recours à la justice d’en haut. Aussi est-il des sectaires qui s’abstiennent du serment comme d’un sacrement inouï, sacrement juridique, tentative pour mettre la main du droit sur le Tout Autre. Ils ne récusent pas, au contraire, le jugement de Dieu – qu’ils espèrent ou redoutent – outretombe, outre-terre. Comment le récuseraient-ils ? Il est annoncé par l’Évangile. S’ils hésitent, c’est que l’Évangile n’est pas seul à l’annoncer : le Styx était même plus judiciaire. Antique ou moderne, il n’est guère de religion qui n’ait promis une justice de la vie future comme une compensation, une revanche des injustices du droit positif. Les incrédules ont beau jeu d’en rire : le bon billet pour faire prendre patience ! Mais les croyants n’ont pas tort en répliquant que, dans un rapport où la matière et le temps sont abolis, l’ici-bas et l’audelà se soudent pour ne former qu’une même et immédiate justice. J’ai lu récemment une introduction à l’étude du droit, d’une remarquable élévation de pensée, où l’Auteur – il n’est pas français – au chapitre de la procédure, dressant le tableau des voies de recours, au-dessus de l’appel, du pourvoi en cassation, a inscrit sans trembler le jugement dernier, particulier, puis universel à la fin des temps. Qui oserait contredire ? C’est acte de foi. Ceux qui ne croient pas au ciel ont le droit de tout nier. Ceux qui ne croient pas au droit – je veux dire : à sa sublimité – s’étonneront seulement de retrouver du droit, encore du droit – un prétoire, des balances, un centre d’observation, qui sait ? – à l’heure de s’enfoncer dans la grande nuit, fût-elle étoilée. En attendant, il faut tenter de vivre – vivre avec le droit tel qu’il est. Ceux-là même qui accordent aux autorités de l’État pleins pouvoirs pour régir le royaume du monde doivent admettre, en toute sérénité, que des révoltes peuvent surgir qui ont leur justification dans l’autre royaume. Les deux enseignements ne se réunissent pas dans une relation d’exception à principe : ce sont deux vérités égales, parce que pareillement enracinées dans l’Écriture. Ce sont les rois qui font et disent le droit. Mais, en face, il advient qu’en temps imprévu, des prophètes se lèvent, qui leur crient « Assez ! L’Éternel est actuel ! ». Israël a eu des prophètes, des grands, des petits prophètes ; nous en eûmes aussi sous Louis XIV, dans les Cévennes. C’était plus et moins qu’une insurrection : c’était un autre droit qu’ils fondaient, droit de l’instant et d’un instant. 22 Que les juristes ne reconnaissent-ils la virtualité d’un droit prophétique ? J’ai entendu l’expression sur les lèvres d’André Néher, l’historien inspiré du prophétisme juif. Le droit prophétique, non pas l’absolue justice, qui est inaccessible, mais la dénonciation de l’injustice absolue qui soulève le cœur. Singulier droit que celui-ci : il n’est pas donné d’avance, il est créé par l’événement accompli, ex eventu, éventuellement. Par le cours de l’histoire, traduiront les uns, par le jugement de Dieu, affirmeront les autres. C’est un droit de risques et périls. Mais êtes-vous venus chercher, pour le droit, dans la religion une assurance ? Doc. 3 / Valérie Lasserre, Droit et religion, Recueil Dalloz 2012 p. 1072 L'essentiel L'attentat contre Charlie Hebdo, les récentes condamnations des femmes dissimulant leur visage dans l'espace public, l'avis du Haut Conseil à l'intégration sur la religion dans l'entreprise, la proposition de loi sur l'extension aux crèches privées et aux assistantes maternelles de l'interdiction du voile ou les prières dans la rue ravivent la réflexion sur le rapport entre droit et religion, entre démocratie et tolérance. « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances » - L'article 1er de la Constitution française formule de façon percutante la distinction entre la République et la sphère du religieux qui a été consacrée par la loi du 9 décembre 1905 de séparation des Eglises et de l'Etat mettant fin au régime concordataire. La laïcisation de l'Etat, qui a suivi chronologiquement la sécularisation du droit avec la Révolution française et la déconfessionnalisation de l'Etat, n'a jamais fait disparaître la question religieuse. Celle-ci est au cœur de toute société quelle que soit l'époque. Faut-il être surpris que, dans une société démocratique laïque comme la France, les débats sur le fait religieux bénéficient d'une place centrale ? Jean Carbonnier a écrit que si l'Etat et la religion ne peuvent pas s'ignorer, c'est sans doute parce que les droits positifs « empruntent néanmoins, ne fût-ce que par la médiation de la morale ou des mœurs, à la religion qui les entoure » (1). Le fait religieux est même d'autant plus omniprésent qu'il est admis dans toute sa diversité ; laïcité emportant liberté de conscience et de religion, et donc pluralisme. Fait religieux. Liberté publique et rapports de droit privé (2) - Loi interdisant le voile islamique dans les espaces publics, annulation judiciaire d'un mariage pour mensonge de la mariée sur sa virginité, décisions de justice sur les caricatures de Mahomet, rapports des pouvoirs publics sur les sectes, refus d'accorder la nationalité française à une femme pour pratique radicale de sa religion dénotant un défaut d'assimilation, religion dans la famille, dans l'entreprise, abattage des animaux selon les prescriptions religieuses, proposition d'inscrire la loi de 1905 dans la Constitution, réflexions des partis sur la place des religions, etc. L'actualité juridique démontre la nécessité pour les pouvoirs publics de prendre en compte le fait religieux. Si l'on se focalise sur la liberté publique de conscience et de religion (qui prend racine dans la Déclaration des droits de l'homme de 1789, a valeur constitutionnelle et constitue une liberté fondamentale consacrée par les conventions internationales), la question des interférences entre religion et droit est extraordinairement complexe. Tout d'abord, parce que la neutralité de l'Etat emporte des obligations tant négatives (ne pas s'immiscer dans les questions cultuelles et dans la vie privée des individus) que positives (obligation de garantir la liberté de conscience et de religion tant au niveau individuel que collectif). Mais on ne sait pas toujours quelle doit être la teneur de ces obligations dans les cas particuliers. Et ensuite, parce 23 qu'on se demande parfois quelle doit être la limite du pluralisme, de l'esprit de tolérance et d'ouverture. Comment lutter contre le communautarisme que menace parfois d'entraîner la religion ? Comment empêcher la liberté de religion de nuire à la liberté individuelle ? Quelle place accorder à la manifestation de croyances religieuses dans l'espace public et dans les rapports avec autrui ? Et c'est sans compter la difficulté pour l'Etat d'être neutre. Le poids historique d'une religion ne fait-il pas obstacle à la neutralité effective de l'Etat ? Quant aux relations de droit privé, elles sont également affectées par la religion en tant que fait social auquel s'appliquent les règles générales. Mais aux conflits habituels entre droits subjectifs s'ajoute une question spécifique : quand les limites apportées à la liberté de conscience et de religion doivent-elles être considérées comme discriminatoires ? Seront donc envisagées, dans une première partie, la portée du principe de laïcité de l'Etat et, dans une seconde partie, l'appréhension du fait religieux par le droit privé. I - La portée du principe de laïcité Dans son rapport sur la laïcité de 2004 (3), le Conseil d'Etat a décliné la notion en trois principes : celui de neutralité de l'Etat, qui sera examiné en premier lieu, et ceux de liberté religieuse et de respect du pluralisme, qui seront étudiés en second lieu. A - Neutralité de l'Etat Le principe et le régime de la laïcité ont été instaurés dans la loi de 1905 (4), mais n'existent que par leur mise en œuvre. 1 - Principe et régime de la laïcité La République assure la liberté de conscience, garantit le libre exercice des cultes, ne reconnaît, ne salarie ni subventionne aucun culte - Que signifie exactement laïcité? C'est dans un article célèbre que Jean Rivero y a répondu : « les textes législatifs, les rapports parlementaires qui les commentent, les circulaires qui ont accompagné leur mise en application ont toujours entendu la laïcité en un seul et même sens, celui de neutralité religieuse de l'Etat » (5). Laïcité est synonyme d'impartialité de l'Etat - gage de l'égalité et de l'absence de discrimination entre les cultes -, de discrétion de l'Etat - par la distinction de l'autorité politique et de l'autorité religieuse - et d'obligation pour l'Etat d'assurer à chacun le libre exercice de sa religion. Le régime juridique de la séparation de l'Eglise et de l'Etat se base sur la garantie de la liberté de conscience et du libre exercice du culte, l'absence de reconnaissance et de financement des cultes et sur les associations cultuelles destinées à acquérir les biens cultuels (6). En bref, comme le disait Aristide Briand, « l'Etat n'est ni religieux, ni antireligieux, il est areligieux ». 2 - Mise en œuvre de la laïcité Enseignement libre. Dialogue. Lieux de culte - Trois exemples illustrent les relations entre l'Etat et la religion. Tout d'abord, les institutions publiques d'intérêt général n'ignorent pas les religions, comme en témoignent le financement par l'Etat des aumôneries dans les établissements publics tels les collèges, les lycées, les hôpitaux et les prisons ou celui de l'école privée confessionnelle partie intégrante du service public scolaire. Ensuite, l'Etat a favorisé le dialogue avec les cultes religieux, par exemple avec la création en 2003 du Conseil français du culte musulman (7). Enfin, la question du financement de la construction des lieux de culte - surtout des mosquées trop peu nombreuses - se pose depuis plusieurs décennies avec une acuité toujours plus vive (8). C'est au cas par cas et avec le renfort de circulaires qu'elle a été résolue par les collectivités territoriales par le recours au droit commun, tels les baux emphytéotiques administratifs et les garanties d'emprunt. L'application souple de la loi de 1905 semble avoir rendu sa réforme inutile (9). Certains parlent à ce propos de la 24 métamorphose du principe de laïcité dans le sens d'une «laïcité ouverte, ou positive » (10). Les cinq arrêts rendus par le Conseil d'Etat le 19 juillet 2011 démontrent le pragmatisme libéral déterminant les décisions des pouvoirs publics à propos de la garantie du libre exercice du culte (11). Limites. Communautarisme. Société divisée - Dans les débats publics, la laïcité est aussitôt invoquée dès que sont exprimées des revendications communautaristes ou prétendues telles. Le Conseil constitutionnel a rappelé que les dispositions de l'article 1er de la Constitution aux termes desquelles « la France est une République laïque » interdisent à quiconque de se prévaloir de ses croyances religieuses pour s'affranchir des règles communes régissant les relations entre collectivités publiques et particuliers et s'opposent « à ce que soient reconnus des droits collectifs à quelque groupe que ce soit, défini par une communauté d'origine, de culture et de langue ou de croyance » (12). Mais où s'arrêtent les droits subjectifs fondés sur la liberté de conscience et d'exercice du culte ? Où commence le communautarisme en tant que rattachement si excessif à une communauté qu'il en devient une menace pour la cohésion sociale (13) ? Cette question se pose notamment pour les horaires aménagés dans les piscines municipales, les plats sans viande à la cantine, les emplacements confessionnels dans les cimetières ou la revendication par certaines femmes d'être soignées par des femmes dans les hôpitaux. La lutte contre le communautarisme ne risque-t-elle pas d'être liberticide ou discriminatoire, alors que la Cour de cassation a rappelé récemment que le principe de laïcité ne saurait justifier aucune discrimination (14) ? Les politiques canadiennes d'accommodements raisonnables fondées sur l'égalité (pour lutter contre les discriminations indirectes) et censées favoriser le multiculturalisme sont-elles meilleures (15) ? Faudrait-il suivre les pays qui, prenant le contrepied de la neutralité, reconnaissent ouvertement un nouveau droit subjectif à un traitement différencié au bénéfice de certains groupes religieux sauf contrainte excessive (16) ? En France, la question du développement des « obligations positives reposant sur les Etats de garantir un respect effectif du droit à la liberté religieuse sans discrimination » (17) ne devrait pas être écartée sans examen. B - Liberté de conscience et de religion et pluralisme « Et que tout tremble au nom du Dieu qu'Esther adore ! » - Cette phrase résonne comme un hymne à la tolérance, à la liberté de religion et au respect d'autrui. Le pluralisme est la conséquence de la liberté de croire et du libre exercice des cultes consacrés tant dans la Déclaration des droits de l'homme, que dans la loi de 1905 et dans les conventions internationales, comme la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme. La Cour européenne des droits de l'homme, qui depuis 1993 a élaboré progressivement « un véritable droit européen des religions » (18), y voit même l'une des assises d'une société démocratique (19). De nombreux débats actuels conduisent à s'interroger sur la portée et les limites de la tolérance. Tout est-il permis ? Les difficultés pour répondre à cette question se rencontrent par exemple à propos des signes religieux ostensibles ou des mouvements sectaires. 1 - Liberté religieuse et signes religieux Voile. Ecole. Espace public - La liberté de manifestation individuelle, ainsi que la visibilité de la religion dans les écoles et les espaces publics doivent-elles être illimitées ? Si, d'un côté, il y a l'impératif de tolérance, de l'autre, certaines pratiques tel le port du voile par des jeunes filles à l'école affichant une croyance en l'Islam, ou celui du voile intégral, ont pu sembler remettre en cause la laïcité de l'Etat. Ces nouvelles questions allant bien au-delà de la neutralité imposée aux fonctionnaires en vertu du principe de laïcité (20), les pouvoirs publics 25 en ont été saisis dans les années 80. En sept ans, deux lois prohibitives ont été adoptées. La première, du 14 mars 2004, qui a interdit tout signe ostensible d'appartenance religieuse dans les établissements scolaires publics, était principalement justifiée par la volonté de soustraire les élèves aux pressions des pairs (21). La seconde, du 11 octobre 2010, interdisant la dissimulation du visage dans l'espace public a été motivée par le danger pour la sécurité publique, les exigences minimales de la vie en société et la situation d'exclusion et d'infériorité dans laquelle se trouvent les femmes dissimulant leur visage, volontairement ou non, manifestement incompatible avec les principes constitutionnels de liberté et d'égalité. A l'occasion de la décision du Conseil constitutionnel (22) a ainsi été débattue l'existence d'un nouvel ordre public élargi aux règles essentielles du contrat républicain qui fonde notre société. Nul n'ignore que l'ordre public est en constante évolution. Pour un auteur, « il existe bien un ordre public non matériel qui peut justifier des restrictions apportées aux libertés individuelles, voire des interdictions générales et cet ordre public immatériel trouve un fondement constitutionnel dans l'article 5 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. C'est alors de la protection de la société et non seulement des libertés individuelles qu'il s'agit » (23). Cour européenne des droits de l'homme. Liberté de conscience et de religion et laïcité En matière de liberté religieuse, la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) a joué un rôle immense. Elle est devenue, en moins d'une décennie, « la sentinelle avancée de la protection de la laïcité qui semble naviguer, désormais, entre l'affirmation de la neutralité religieuse de l'Etat et les exigences de la lutte contre le communautarisme » (24). On distingue trois orientations dans sa jurisprudence. Premièrement, la CEDH a imposé le principe de laïcité comme un objectif conforme aux valeurs sous-jacentes à la Convention (25). La deuxième orientation consiste à garantir la liberté religieuse des citoyens même lorsqu'elle investit l'espace public en l'absence de menace ou de pression sur autrui (26). Comme le remarque un auteur, « tout ce qui choque ou dérange ne doit pas nécessairement être interdit, au risque de stigmatiser une communauté religieuse » (27). Ce sont précisément les limites de la liberté religieuse et le respect de la tolérance mutuelle dans une société démocratique qui sont en cause avec l'interdiction de la dissimulation du visage dans l'espace public par le droit français ou l'interdiction en Suisse des minarets (28). Troisièmement, la CEDH reconnaît aux Etats une marge d'appréciation concernant la laïcité (29). Sa décision Lautsi 2, qui souligne la symbolique culturelle de certains signes religieux, en l'espèce les crucifix dans les salles de cours, incite aussi à se demander si la neutralité de l'Etat est possible, une question également posée pour les mouvements sectaires. […] II - Fait religieux et droit privé Le fait religieux, en tant que fait de la vie sociale, ne peut être ignoré par le droit privé (34). D'abord, parce que la discrimination fondée sur la religion est interdite, ce qui sera étudié en premier lieu. Ensuite, parce que la religion peut entrer en conflit avec d'autres droits subjectifs, ce qui sera envisagé en second lieu. […] Conclusion - Qu'est-ce que la laïcité ? - Au milieu du XXe siècle, Jean Rivero disait que « le mot va se gonfler de puissances multiples, d'aspirations et de refus mêlés » (51). Aujourd'hui, ne régule-t-elle pas les manifestations les plus diverses de la liberté de religion ? La conquête par la laïcité des rapports privés, après avoir conquis l'Etat tout entier, ne traduit-elle pas la mobilité/malléabilité/potentialité du concept ? Il soulignait le rôle créateur de la jurisprudence « pour faire, à partir de l'idéologie laïque, le droit positif de la laïcité » (52). Les jurisprudences tant judiciaire et administrative qu'européenne ne composent-elles pas collectivement déjà depuis plusieurs décennies le droit positif de la laïcité ? Il disait que « 26 l'idéologie laïque est, avant tout, une idéologie de combat » (53). A l'aube du XXIe siècle, la virulence des discussions ne continue-t-elle pas avant tout de s'expliquer par le caractère engagé et passionnel de la pensée laïque ? Il se demandait s'il fallait sacrifier « la liberté de ceux qui croient à la peur de froisser ceux qui ne croient pas » (54). Cette question n'est-elle pas quotidienne ? Avec ses emblèmes : le voile, les minarets et les prescriptions alimentaires. Il écrivait que « la position de neutralité n'est pas aisée à définir, ni à tenir » (55). La neutralité n'a-t-elle pas été conservée en tant que principe que concourent à aménager incessamment de façon pragmatique des exceptions conçues au cas par cas ? Dans son Traité sur la tolérance, Voltaire disait du « droit de l'intolérance » qu'il était « absurde et barbare ». Les débats sur le respect de la laïcité et la liberté de conscience et de religion ne devraient-ils pas toujours être guidés par l'idéal de tolérance mutuelle et le respect du pluralisme, l'esprit de la démocratie et la recherche de la paix sociale ? Doc. 4 : règle de droit et règle morale / Par le Professeur Henri MAZEAUD / (extrait de son Cours de droit civil, licence 1e année – Les Cours de droit 1954-1955) Il est indispensable, pour que la vie en société soit possible, qu’il existe une règle, une règle de conduite. Si chacun de nous suivait son bon plaisir, chacun deviendrait un ennemi pour son voisin. Mais si la nécessité d’une règle de conduite est incontestable, il est par contre plus difficile de préciser à quels besoins répond exactement cette règle de conduite. En réalité, cette règle s’impose à nous pour deux raisons ; elle s’impose, d’une part pour faire régner la justice, et, d’autre part, pour donner la sécurité. - La règle de droit s’impose d’abord pour faire régner la justice. Le besoin de justice est l’un des plus élémentaires et l’un des plus impérieux que nous ressentions. Il existe déjà chez l’enfant ; dès le plus jeune âge l’enfant se révolte contre l’injustice, et ce sentiment demeure également puissant chez l’adulte : nous ne pouvons admettre un acte qui ne paraît se justifier que par la force de celui qui l’accomplit ; il y a contre cet acte une révolte de notre conscience, et ce n’est pas là seulement une simple réaction de tendance morale ; nous réagissons ainsi parce que nous savons que la vie en société serait impossible si les plus forts pouvaient écraser les plus faibles. - La règle de droit est également nécessaire pour nous donner la sécurité, car, pour vivre en société, l’homme a encore plus besoin de sécurité que de justice. Nous pouvons à la rigueur vivre sous une règle que nous estimons injuste, du moins faut-il que nous connaissions la règle sous laquelle nous vivons ; il faut, en effet, que quand nous accomplissons un acte nous sachions quelles seront exactement les conséquences de cet acte. Ce besoin de justice, et surtout ce besoin de sécurité, sans la satisfaction desquels la vie en société est impossible, obligent à tracer une règle de conduite. Mais il y a deux disciplines qui proposent aux hommes des règles de conduite ; il y a la morale, et il y a le droit. Alors une question se pose : est-ce que la morale n’est pas une règle suffisante, est-ce qu’il est nécessaire d’avoir, à côté de la règle morale, une règle de droit ? C’est nécessaire, parce que la règle morale ne peut à elle seule, gouverner une 27 société, et cela pour trois raisons : 1° - La règle morale n’a qu’une sanction d’ordre intérieur, qu’une sanction morale, sanction qui, malheureusement, n’est pas de nature à effrayer beaucoup de personnes, à les empêcher d’enfreindre la règle, et à les obliger à réparer les conséquences de leurs infractions à cette règle. Il faut donc qu’une autre règle - et c’est la règle de droit - vienne créer une sanction plus efficace, qui, elle, contraindra matériellement les individus à ne pas faire ce qui est défendu, une sanction qui frappera ceux qui ont enfreint la règle et qui les obligera à réparer les conséquences des actes contraires à la règle. Cette contrainte, qui est ainsi la caractéristique essentielle de la règle de droit, et qui différencie la règle de droit de la règle morale, se manifeste, pour nous en tenir au droit civil, sous trois formes essentielles : - Tantôt sous une forme directe, brutale ; la force publique va intervenir directement pour faire respecter la règle. Lorsqu’un enfant quitte le domicile paternel et va ainsi à l’encontre de la règle de droit qui veut que l’enfant habite avec ses parents, le père pourra faire ramener cet enfant au domicile paternel par les gendarmes, manu militari. C’est ici la contrainte directe, mise en oeuvre pour faire respecter la règle de droit. - Tantôt la sanction consiste à supprimer l’acte qui a été accompli contrairement à la règle. Cette sanction est ce que l’on appelle la nullité : l’acte est nul. Par exemple, il y a une règle de droit selon laquelle le mariage doit être célébré devant l’officier d’état civil ; le mariage qui ne serait pas célébré devant l’officier d’état civil, serait nul ; il n’y aurait pas de mariage. - Tantôt encore, la sanction va consister dans la condamnation de celui qui a agi contre la règle à réparer les conséquences de son acte. Un conducteur d’automobile, à la suite d’un excès de vitesse, renverse et blesse un piéton ; il doit réparer les conséquences de son acte ; il doit verser des dommages-intérêts, une somme d’argent, pour réparer le préjudice qu’il a causé. C’est ce que l’on appelle la responsabilité civile. Il y a aussi la responsabilité pénale, qui est également une sanction des règles de droit ; non plus des règles du droit civil, mais du droit pénal, sanction qui consiste en des condamnations corporelles ou pécuniaires, en des amendes qu’il ne faut pas confondre avec les dommages-intérêts. L’amende est une peine, elle est versée au Trésor, tandis que les dommages-intérêts sont une réparation ; ils sont versés à la victime pour réparer le dommage qui lui a été causé. Une sanction juridique est donc indispensable ; on ne peut pas se contenter, pour organiser la vie en société, d’une sanction d’ordre moral. Mais faut-il conclure de là que, à côté de la règle de morale, il soit nécessaire de créer une règle de droit ? Ne pourrait-on pas se contenter d’ajouter à la règle de morale une sanction juridique, autrement dit de faire respecter par la contrainte la règle de morale ? 28 Ce ne serait pas possible, car il y a deux autres raisons pour lesquelles la règle de morale est inapte à gouverner les hommes en société. 2° - C’est d’abord que la règle de morale est d’une nature trop haute ; du moins en est-il ainsi de la règle de morale chrétienne. Cette règle de morale est fondée en effet sur la charité, sur l’amour du prochain ; elle est résumée, on le sait, dans le Sermon sur la Montagne, et se retrouve à chaque page de l’Évangile. C’est l’amour du prochain qui doit nous conduire à rendre le bien pour le mal : « Si quelqu’un te gifle sur la joue droite, tends-lui encore l’autre. À qui veut te citer en justice, et te prendre ta tunique, laisse encore ton manteau" (St. Matthieu, V,44). C’est là la distinction fondamentale avec la morale de l’Ancien Testament dominé par le principe : « Oeil pour oeil, dent pour dent ». Il y a deux idéaux différents l’idéal de charité, et l’idéal de justice ; le nouvel idéal, l’idéal de charité, dépassent évidemment l’idéal de justice. La doctrine chrétienne enseigne que nous ne devons pas nous contenter d’être justes envers le prochain, qu’il faut encore la charité qui est au-delà de la justice. On peut dire que l’homme chrétien n’a pas seulement à être juste, qu’il a aussi à être bon. Il faut, si l’on veut être juste, rendre à chacun ce qui lui est dû ; mais il faut ensuite, et c’est un degré plus élevé, être charitable au-delà de la justice, c’est-à-dire savoir ne pas exiger son dû, supporter l’injustice, savoir rendre le bien pour le mal. Alors la question qui se pose à nous est de savoir si la règle de droit, la règle dont le but est de permettre aux hommes de vivre en société, peut poursuivre cet idéal de justice et de charité, ou si elle est obligée de se contenter d’atteindre l’idéal de justice. Il n’est pas douteux que la règle de droit se trouve obligée de s’arrêter au premier stade, au stade de la justice. Pour que la vie en société soit possible, il faut établir la justice dans les rapports entre les hommes, il faut que chacun rende à autrui ce qui lui est dû, il faut que celui qui fait tort à autrui soit puni. L’idéal de charité ne peut pas être poursuivi sur le plan social, parce que, si la règle de droit était la règle de charité, comme malheureusement les hommes ne sont pas parfaits, ce serait l’anarchie dans la société. L’idéal de charité ne peut être un idéal que sur le plan individuel, dans nos consciences ; il ne peut être qu’une règle de conduite individuelle. C’est ce que l’on peut exprimer en disant que la justice est une nécessité sociale, et une « triste » nécessité sociale puisque la règle de droit ne peut pas dépasser ce stade de la justice. C’est ce qu’exprime Romano Guardini (Le Seigneur, t. I, p. 341) : « La justice est l’ordre, non des choses et des forces, mais des relations entre personnes humaines ». La règle morale est donc trop haute pour gouverner la société, pour qu’elle dépasse la justice, et c’est la raison pour laquelle il faut qu’il existe, à côté d’une règle morale, une règle de droit. 3° - Mais il est une autre raison pour laquelle la règle de morale ne suffit pas ; c’est qu’elle ne peut pas contenir une réglementation suffisamment complète, suffisamment précise, pour donner aux hommes cette sécurité dont ils ont besoin pour vivre en société. Il faut en effet, 29 non seulement que nous connaissions les règles qui nous régissent, mais que nous les connaissions dans leur détail. Il faut que chaque fois que nous agissons nous sachions quelles seront les conséquences de nos actes. Or, la morale se contente de tracer de grandes règles, de poser de grands principes, et elle ne peut pas procéder autrement parce qu’elle varie avec chaque conscience. On ne peut pas demander à l’un ce que l’on peut demander à l’autre. C’est donc une règle nécessairement floue, nécessairement vague, très générale. Ces grands principes suffisent pour guider notre conscience, mais ils ne suffisent pas pour nous donner la sécurité dont nous avons besoin dans la vie civile. Par exemple, la règle de morale nous dit, « n’achetez pas à vil prix », ou « ne vendez pas à un prix excessif » ; mais nous avons besoin de savoir dans quels cas le contrat de vente que nous passons risque d’être nul parce que nous avons acheté trop bon marché, ou parce que nous avons vendu trop cher. Si nous ne pouvons pas le savoir, il n’y aura plus aucune sécurité dans la vie juridique ; nous ne saurons jamais si le contrat de vente que nous venons de passer est valable ou nul, s’il risque ou non d’être annulé. Nous avons besoin de savoir exactement ce qui est permis et ce qui est défendu, la loi française dispose qu’il est défendu d’acheter un immeuble pour moins des 7/12 de sa valeur. Pour que la lésion fasse tomber le contrat de vente d’immeuble, il faut que la lésion subie par le vendeur dépasse les 7/12 de sa valeur. C’est une règle précise, et ainsi nous sommes fixés. La morale, évidemment, ne peut pas, elle, nous donner des règles de cette nature. Voilà donc la différence entre la règle de droit et la règle de morale : La règle de morale a pour but de nous dire ce qui est juste, et aussi ce qui doit être fait par chacun de nous au-delà de la justice, sur le terrain de la charité. La règle de droit, elle, a pour but à la fois d’obliger à respecter ce qui est juste, sans pouvoir dépasser la justice, et de nous donner la sécurité. Séance 3 Thème : Les sources de la règle de droit Sous-thème : La hiérarchie des normes Travail à faire - Lire les documents - Faire la dissertation Sujet : L’autorité des traités en droit interne BIBLIOGRAPHIE INDICATIVE - NDOYE (D.), La Constitution du Sénégal du 22 janvier 2001 commentée, EDJA, 2011. 30 - - - Le texte de la Constitution du Sénégal est disponible sur le site du gouvernement du Sénégal : (www.gouv.sn). MALAURIE (Ph.) et MORVAN (P.), Droit civil, Introduction générale, Defrénois, coll. « Droit civil », 3è éd., 2009. MAZEAUD (H., L. et J.) et CHABAS (F.), Leçons de droit civil : Introduction à l’étude du droit, Montchrestien, 12è ed., 2000. TERRE (F.), Introduction générale au droit, Dalloz, coll. « Précis », 8è éd., 2009. (Ouvrage recommandé pour cette séance). CAMARA (G.), Communication de la cour de cassation du Sénégal, in les actes du colloque de Ouagadougou 24-26 juin 2003 sur l’application du droit international dans l’ordre juridique interne des Etats africains Francophones – Les cahiers de l’association Ouest Africaine des hautes juridictions francophones, pp. 296-299. (Document disponible à la salle de lecture de la FSJP). NEIRINCK (C.) et MARTIN (P.-M.), Un traité bien maltraité. A propos de l’arrêt Le Jeune, JCP 1993, I, 3677. Cass. 1re civ. 13 juillet 2005, D. 2006, jur. P. 554, note F. Boulanger. SALL ( A.), Les débuts des cours de justice de la CEDEAO et de l’UEMOA : propos sur la faiblesse du droit jurisprudentiel de l’intégration en Afrique de l’Ouest, Nouvelles Annales Africaines, n° 1/2010, pp. 5-72 (disponible au CREDILA) KAMARA (M.), De l’applicabilité du droit international des droits de l’homme dans l’ordre juridique interne, RJP 2011, n° 1 janv.-fév. 2011, pp. 76-127 (disponible à la salle de lecture de la FSJP) Documents Doc. 1 / Constitution du Sénégal Préambule Constitution « Le Peuple du Sénégal souverain, … Affirme : — son adhésion à la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 et aux instruments internationaux adoptés par l’Organisation des Nations Unies et l’Organisation de l’Unité africaine, notamment la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme du 10 décembre 1948, la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes du 18 décembre 1979, la Convention relative aux Droits de l’Enfant du 20 novembre 1989 et la Charte africaine des Droits de l’Homme et des Peuples du 27 juin 1981 » ; ….. Art. 97 : « Si le Conseil Constitutionnel a déclaré qu’un engagement international comporte une clause contraire à la Constitution, l’autorisation de le ratifier ou de l’approuver ne peut intervenir qu’après révision de la Constitution ». Art. 98 : « Les traités ou accords régulièrement ratifiés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l’autre partie ». Doc. 2/ Convention de Vienne sur le droit des traités (faite à Vienne le 23 mai 1969, entrée en vigueur le 27 janvier 1980), Nations Unies, Recueil des Traités, vol. 1155, p. 331 Article 26 / pacta sunt servanda Tout traité en vigueur lie les parties et doit être exécuté par elles de bonne foi. 31 Art. 27 / droit interne et respect des traités Une partie ne peut invoquer les dispositions de son droit interne comme justifiant la non exécution d’un traité. Cette règle est sans préjudice de l’article 46. Article 46 / dispositions du droit interne concernant la compétence pour conclure des traités 1. Le fait que le consentement d’un Etat à être lié par un traité a été exprimé en violation d’une disposition de son droit interne concernant la compétence pour conclure des traités ne peut être invoqué par cet Etat comme viciant son consentement, à moins que cette violation n’ait été manifeste et ne concerne une règle de son droit interne d’importance fondamentale. 2. Une violation est manifeste si elle est objectivement évidente pour tout Etat se comportant en la matière conformément à la pratique habituelle et de bonne foi. Doc. 3. Extrait de Pascal Puig / Hiérarchie des normes : du système au principe - Revue trimestrielle de droit civil 2001, Chroniques p. 749 (…) En fondant la validité d'une norme juridique sur le respect d'une procédure de création prescrite par une norme supérieure - et, en dernier lieu, par la norme fondamentale - le système kelsénien conduit le droit à organiser lui-même sa propre production (6) et, par cette « autorégulation » (7), à se réaliser par degrés successifs. La norme de degré supérieur ne pouvant tout prévoir (8), c'est à celles de niveau inférieur qu'il revient d'apporter les précisions utiles, et ainsi de suite jusqu'aux normes à caractère individuel et aux actes de pure exécution matérielle. La détermination du droit s'opère ainsi par étapes successives en descendant du sommet vers la base de la pyramide des normes. A ce schéma théorique correspond en France un mode de régulation juridique fondé sur la suprématie de l'Etat et gouverné, dans une large mesure, par une Administration dont l'omnipotence a atteint sous la Ve République des proportions inquiétantes (9). Que ce système ait engendré une augmentation considérable du volume des textes et participé au naufrage du droit commun en favorisant la spécialisation des branches du droit n'est plus à démontrer. En revanche, le « système dynamique de normes » auquel correspondent, selon Kelsen, les ordres juridiques (10), n'aurait guère dû favoriser une inflation des contrôles au-delà du seul respect des conditions de création de la norme. L'auteur distingue en effet deux systèmes de normes, l'un de type statique, l'autre de type dynamique. Dans le premier, la validité des normes résulte de la conformité de leur contenu à celui d'une norme supérieure, si bien que chacune d'elles se trouve subsumée sous le fond d'une autre « comme le particulier sous le général » (11) jusqu'à la norme fondamentale qui les contient toutes. Une telle hiérarchie matérielle peut, selon l'auteur, être observée dans l'ordre moral où, par exemple, l'interdiction du mensonge, de la tromperie ou du parjure peut être déduite de la norme plus générale qui ordonne la sincérité (12). C'est donc par voie d'opération logique, en concluant du général au particulier, que les normes peuvent se déduire l'une de l'autre. A cette hiérarchie statique, Kelsen oppose un système dynamique dans lequel une norme n'est pas valable parce qu'elle a un certain contenu mais parce qu'elle a été créée conformément à ce que prescrit une norme supérieure, jusqu'à la norme fondamentale supposée qui ne contient rien d'autre que « l'habilitation d'une autorité créatrice de normes » 32 (13). Dans un tel système, les seuls contrôles de validité auxquels les normes sont susceptibles d'être soumises portent sur le respect de leur procédure de création puisque « n'importe quel contenu peut être droit » (14). En cas de contrariété, peut alors être constatée la nullité de la norme (15), c'est-à-dire son inexistence en tant que telle (16). Mais dès l'instant que ses conditions de création ont été respectées, sa validité ne saurait, en principe, être contestée alors même que son contenu se révélerait contraire à celui prescrit par une norme de niveau supérieur. La pensée kelsénienne conduit ainsi à opérer une distinction fondamentale entre validité et conformité (17) de laquelle il résulte qu'une norme valable, au sens où les conditions qui règlent sa production ont été respectées, peut très bien n'être pas conforme au contenu que prescrivent les normes de degré supérieur. L'insigne mérite de cette proposition est de préserver la cohérence de la hiérarchie des normes malgré la contrariété de fond d'une norme avec les degrés supérieurs de l'ordre juridique, la validité n'impliquant pas la conformité. Dans cette perspective, il paraît quelque peu difficile d'imputer au succès du normativisme l'accroissement des contrôles que connaît notre droit positif, lesquels s'intéressent essentiellement à la conformité matérielle des normes. L'analyse peut toutefois sembler bien insuffisante à ceux qui recherchent dans l'organisation hiérarchisée des normes une cohérence substantielle. Or c'est bien ainsi qu'est généralement comprise la hiérarchie des normes et c'est la raison pour laquelle le mouvement normativiste a indirectement engendré cette inflation des contrôles. 3. Il est vrai que la théorie pure de Kelsen pouvait paraître sur ce point bien décevante et que, séduits par la représentation pyramidale de l'ordre juridique, les juristes ont pu avoir la tentation de l'adapter (18). En séparant les normes de leur contenu, en leur reconnaissant une existence juridique indépendamment de tout jugement de valeur, elle conduit à « détacher le droit de la société nourricière » (19) et s'installe, en définitive, « à côté du droit » et du raisonnement juridique (20). Cette neutralité tant critiquée du kelsénisme conduit des auteurs à n'y voir « qu'une théorie, et non une philosophie du droit » (21). Mais il est également vrai que cette théorie comprend des nuances que les synthèses et le temps ont eu parfois tendance à gommer. Ainsi le maître autrichien envisage-t-il assez largement la possibilité « qu'un seul et même système de normes combine le principe statique et le principe dynamique » de telle sorte que si les « ordres juridiques ont pour l'essentiel un caractère dynamique », il est fréquent qu'une norme règle à la fois la création et le contenu des normes subordonnées (22). Dans cette perspective, la validité ne tient plus seulement au respect de la procédure d'édiction mais également à une correspondance de fond. Ainsi la théorie kelsénienne apparaît-elle déjà plus directement à l'origine des nombreux contrôles de conformité (…). Suite V. le document sur le site de la FSJP). Doc. 4. Extrait de l’Arrêt Administration des Douanes c/Cafés Jacques Vabre – H. Capitant, F. Terré et Y. Lequette, Grands arrêt de la jurisprudence civile, tome 1, 12è éd., 2007, p. 28. MAIS ATTENDU QUE LE TRAITE DU 25 MARS 1957, QUI, EN VERTU DE L’ARTICLE SUSVISE DE LA CONSTITUTION [art. 55], A UNE AUTORITE SUPERIEURE A CELLE DES LOIS, INSTITUE UN ORDRE JURIDIQUE PROPRE 33 INTEGRE A CELUI DES ETATS MEMBRES ; QU’EN RAISON DE CETTE SPECIFICITE, L’ORDRE JURIDIQUE QU’IL A CREE EST DIRECTEMENT APPLICABLE AUX RESSORTISSANTS DE CES ETATS ET S’IMPOSE A LEURS JURIDICTIONS ; QUE, DES LORS, C'EST A BON DROIT, ET SANS EXCEDER SES POUVOIRS, QUE LA COUR D'APPEL A DECIDE QUE L'ARTICLE 95 DU TRAITE DEVAIT ETRE APPLIQUE EN L'ESPECE, A L'EXCLUSION DE L'ARTICLE 265 DU CODE DES DOUANES, BIEN QUE CE DERNIER TEXTE FUT POSTERIEUR; D'OU IL SUIT QUE LE MOYEN EST MAL FONDE; (…) – Par ces motifs, rejette… (V. l’arrêt à la salle de lecture de la FSJP). MÉTHODOLOGIE DE LA DISSERTATION JURIDIQUE Si les étudiants semblent avoir une certaine familiarité avec la dissertation (dissertation littéraire, philosophique), il faut remarquer que la dissertation juridique présente un certain nombre de particularités liées bien sûr à la matière mais aussi à la construction. L’épreuve écrite de dissertation juridique, parfois appelée « sujet théorique », n’est pas un devoir de récitation du cours. Il ne s’agit pas de reproduire des connaissances d’ailleurs plus ou moins bien comprises mais de réfléchir à un sujet, en utilisant certes les connaissances acquises pendant l’année, mais surtout en élaborant une réflexion personnelle et, en ce sens, originale. Dès lors, la dissertation ne fait pas seulement appel à la mémoire, mais surtout à l’intelligence et à la réflexion. Il est donc vain de tenter de rapprocher le sujet à traiter de tel ou tel chapitre du cours, voire de telle section ou de tel paragraphe. En effet, l’approche analytique qui est celle d’un cours diffère sensiblement de celle synthétique qui est exigée dans une dissertation. La dissertation est une démonstration : l’étudiant doit livrer au correcteur son approche de la question posée, en la justifiant par des considérations juridiques. Dès lors, un bon devoir ne doit pas se limiter à une explication technique des mécanismes juridiques discutés. Il doit indiquer en outre comment ces mécanismes se rattachent au sujet, et pourquoi tel mécanisme est cité à tel endroit de la démonstration et pas ailleurs. La dissertation juridique est donc un exercice délicat et nécessite alors un effort de préparation sérieuse et de construction rigoureuse avant la rédaction. I- La préparation Lecture du sujet Cela semble banal de le préciser et pourtant une mauvaise compréhension du sujet découle souvent de sa lecture en diagonal. Imposez-vous plusieurs lectures articulées et concentrées, ne laissant rien passer. Ne vous braquez pas sur un mot en négligeant l’expression entière (« l’action en nullité » n’est pas le même sujet que « la nullité »). Des termes comme comparer, commenter, discuter, analyser ou montrer vous indiquent et vous imposent un certain genre d’exercice. 34 Analyse du sujet Une étape à ne pas négligez, elle seule vous permet de cerner la problématique soulevée par le sujet pour ensuite bâtir un plan détaillé adapté. Une analyse rigoureuse vous garantit de ne pas passer à côté du sujet ou de traiter partiellement le sujet. - Concentrez-vous d’abord sur la forme du sujet Le sujet d’exposition Le sujet d’exposition est l’exercice le plus simple, qui consiste à exposer une question déterminée du programme de l’examen. En général, la question a été traitée en une seule fois dans le cours. Cependant, pour éviter l’écueil d’une récitation mot à mot, il conviendra de personnaliser le devoir. Cet effort de réflexion s’exprimera essentiellement dans la construction du plan à partir de la problématique qui intéresse le sujet. Si la question dans le cours a été décrite de manière linéaire en une suite de quatre ou cinq éléments par exemple, il est indispensable de réunir ces éléments sous la forme d’un plan binaire. Si la question a été traitée sous un plan classique en deux parties, il faudra rechercher si un autre plan n’est pas concevable. A défaut, il sera toujours possible de rendre plus suggestifs les intitulés du plan du cours. Exemple de sujet d’exposition : l’application de la loi dans le temps en matière de contrats ; la notion de patrimoine, etc. Le sujet de synthèse Le sujet de synthèse nécessite de réunir plusieurs questions réparties dans l’ensemble du programme. Dans ce cas, il faut éviter le piège qui consiste à ne traiter que le premier aspect du sujet qui vient immédiatement à l’esprit. Il faut prendre le temps pour visionner tout le cours et dresser l’inventaire complet des questions qui se rapportent au sujet. Ensuite, il convient de réaliser une synthèse de ces questions. Exemple : la vérité en droit civil ; la fidélité dans le couple, etc. Le sujet de comparaison Le sujet de comparaison est une espèce de sujet de synthèse. Il conduit à examiner deux notions qui, souvent, ont été présentées séparément dans le cours. Cependant, l’exercice se complique car il est indispensable d’examiner ces notions en parallèle. Autrement dit, il ne s’agit pas de deux sujets descriptifs distincts mais d’un seul et unique sujet de synthèse. Parfois ce genre de sujet est clairement énoncé dans l’intitulé. Par exemple : « comparez le droit et la morale ». D’autres fois, il peut être déduit de l’utilisation dans l’intitulé de la conjonction de coordination « et ». Par exemple : « Propriété et possession ». Cependant, l’emploi du mot 35 « et » n’est pas toujours synonyme d’un sujet de comparaison entre les deux éléments qu’il relie. Souvent, il a pour objet d’inviter l’étudiant à réfléchir sur l’influence que peut exercer l’un des éléments sur l’autre. Par exemple : le mariage en droit sénégalais et les conventions internationales. - Analysez les termes clés puis délimitez le sujet L’observation d’étudiants composant une épreuve écrite révèle une obsession pathologique à trouver le plan parfait dans les cinq minutes qui suivent la distribution des sujets. Faute de vous concentrer un quart d’heure sur l’analyse détaillée et la délimitation du sujet, vous perdez un temps considérable à tester des plans bancals en cherchant davantage à caser votre cours qu’à traiter la problématique. Vous vous contentez de réciter sans les trier ni les organiser des connaissances parfois sans rapport direct avec le sujet. Mais ce n’est pas ce qu’attend le correcteur ! Vous devez lui montrer que vous savez réfléchir et structurer votre pensée. Ne faites pas l’impasse sur l’analyse et la délimitation du sujet. Non seulement cette étape fondamentale prévient le risque de hors sujet mais surtout met en lumière la problématique à soulever ainsi qu’une ébauche de plan. Une analyse correctement menée est la clé d’une dissertation réussie. Pour une analyse efficace du sujet, sélectionnez puis définissez les termes clés. Décomposez ensuite les définitions obtenues afin de repérer les points importants sous-entendus par le sujet. Vous examinerez ces points lors de l’élaboration du plan détaillé. Le piège, à ce stade de la préparation, est de restreindre arbitrairement le sujet ou de partir sur une mauvaise voie en ne recherchant pas une définition exacte et complète de chaque terme. Soyez attentif à tous les termes du sujet. Procédez par conséquent à une étude sémantique, consistant à définir les mots importants, puis à une analyse grammaticale. Les articles définis ou indéfinis, les mots de liaison comme « ou », « et », les adverbes et les signes de ponctuation ne sont pas là par hasard ! Ils influent considérablement sur le sens du sujet. Tenez également compte des temps et des modes employés. Attention ! La plupart des hors sujets résultent de la négligence d’un terme ou d’un indice grammatical. Rater un examen, une année universitaire, parce qu’on a confondu un « et » avec un « ou », alors que l’on connaissait son cours sur le bout des doigts, il y a de quoi « se mordre les doigts » ! Pour gagner du temps lors de la recherche de la problématique, analysez le sujet sous forme de tableau ou de schéma de manière à confronter les informations. La problématique naît en effet de cette confrontation. La mise en valeur des contradictions soulevées par le sujet vous permet de cerner et de formuler plus rapidement cette problématique. - Recherche et formulation de la problématique Une fois l’analyse du sujet achevée, vous possédez déjà une idée de la problématique, c’est-àdire de la question importante et sujette à discussion que vous devez traiter. Selon l’intitulé du sujet, cette problématique est plus ou moins apparente. Mais, même sous-jacente, elle doit 36 vous « sauter aux yeux » à ce stade de préparation si votre analyse a été correctement menée. Il s’agit maintenant de la préciser et de la formuler correctement. Relisez encore le sujet afin de vous assurer que vous ne partez pas sur la mauvaise voie. Puis reprenez les éléments dégagés par l’analyse et repérez les contradictions qui en résultent. Dégagez ensuite le fil qui unit ces contradictions. Ce fil constitue la problématique, c’est-àdire la question importante et digne d’intérêt que vous devez soulever. Pour vous aiguiller, remémorez-vous aussi les points importants et les débats soulignés par le professeur lors du cours relatif au thème abordé. Les sujets de dissertation ont quasiment toujours été évoqués et/ou partiellement traités en cours. La problématique est identifiée, il faut maintenant la formuler. Attention, il ne s’agit pas de reprendre le sujet sous la forme d’une question ! Vous l’avez constaté, l’identification de la problématique est le fruit d’un long processus de réflexion. Vous devez exposer le résultat de ce processus. Votre formulation doit être dynamique. Cela signifie que vous devez mettre en relief la problématique en expliquant son intérêt et l’enjeu des différentes réponses que l’on peut y apporter. Pour trouver les éléments de mise en relief, prenez du recul face au sujet en vous demandant pourquoi il vous est posé aujourd’hui et si les données du problème ont ou vont évoluer ? Procédez par conséquent à une mise en perspective dans le temps et dans l’espace du sujet. Vous replacerez la problématique dans l’introduction que vous rédigerez une fois le plan détaillé bâti. Cependant, formulez-la clairement avant la construction du plan car ce dernier doit justement répondre à la problématique. Les intitulés des deux grandes parties doivent renvoyer directement à la problématique. De bons intitulés doivent permettre de la retrouver sans se référer à l’introduction. - Recensement des idées et des connaissances Vous avez maintenant défini et précisé l’objet de votre développement. Il s’agit d’exposer en deux axes votre réponse à la problématique que vous venez d’identifier. Votre position personnelle, c’est-à-dire le message que vous voulez faire passer au moyen de votre démonstration, constitue le fil directeur de votre devoir. Elle va donc orienter les intitulés dans un sens ou un autre. L’exposé de votre réponse à la problématique doit être organisé en deux axes (très exceptionnellement trois), en d’autres termes structuré autour d’un plan, mais aussi justifié et illustré. En droit, encore plus que dans d’autres disciplines, vos affirmations n’ont de valeur que si elles reposent sur des éléments objectifs. Affirmer sans justifier revient à ne rien dire. Afin de trouver les différents éléments qui servent de support à votre démonstration, reprenez les points dégagés lors de l’analyse du sujet. Puis remémorez-vous votre cours, vos TD et vos lectures en notant toutes les données qui se rapportent directement où indirectement au sujet. Procédez à des associations d’idées. II- La construction La dissertation juridique comprend : 37 Une introduction, Un plan (avec des développements bien sûr) en deux parties, elles-mêmes subdivisées en deux sous-parties. En revanche, ne vous donnez même pas la peine de pensez à la conclusion, car au premier cycle on préfère l’occulter. Il n’y a pas de conclusion. A. Les étapes de l’introduction L’introduction est très certainement la partie la plus importante de la dissertation. Pour les chasseurs de points, sachez qu’elle permet de récupérer un nombre conséquent de points lorsqu’elle est bien construite. L’introduction ne doit être ni trop longue, ni trop brève (elle doit représenter environ le 1/3 du devoir). Alors comment construire une bonne introduction ou en tout cas une introduction qui puisse être satisfaisante. L’introduction doit répondre aux trois grandes questions suivantes : De quoi dois-je parler ?, Pourquoi dois-je parler de ce sujet ? Et comment vais-je parler du sujet ? De quoi dois-je parler ? Il s’agit à ce stade de procéder à la présentation du sujet : l’étudiant doit amener et poser le sujet, définir les termes du sujet et délimiter le sujet s’il y a lieu. *1- Amener et poser le sujet Amener le sujet C’est la phrase d’accroche, encore appelée l’entrée en matière Il s’agit de situer progressivement la question à traiter dans l’ensemble de la matière, en centrant jusqu’à la cerner avec précision. C’est la méthode de l’entonnoir. Cependant, il faut éviter de prendre la question de trop loin ou de trop haut, ce qui retarderait à l’excès l’étude du sujet lui-même (par exemple il ne faut pas décrire toutes les sources de la règle de droit avant d’en arriver à la jurisprudence ou encore, il ne faut pas exposer la règle de droit à propos de l’étude de la preuve des droits subjectifs). Il faut essayer aussi de se distinguer en proposant parfois une accroche qui va dans le sens du cours qui vous a été dispensé, mais qui provient d’une autre source. Vous prouverez en outre que vous avez fait des recherches, donc fourni un travail qui donne une valeur ajoutée à votre devoir. Citer le professeur de cours magistral ou le chargé de TD n’est pas conseillé. Exemple d’entrée en matière par la méthode de l’entonnoir (sujet : l’abrogation de la loi par désuétude) Situer la question consiste à la placer dans le cadre général des sources du droit positif et, parmi ces sources, la loi (dont on mentionnera la prééminence), puis à propos de la loi, à poser la question de sa durée d’application, de son abrogation en général, et enfin du cas particulier de son abrogation par désuétude 38 Cette façon d’ « attaquer » le sujet n’est pas la seule : L’entrée en matière peut notamment faire référence à l’actualité juridique ou à l’histoire. Mais la méthode de l’entonnoir est la plus usuelle. Poser le sujet Le sujet doit être progressivement annoncé. Il ne doit pas y avoir de rupture entre l’entrée en matière et la citation du sujet *2- La définition des termes du sujet Dans le droit fil de la phrase d’accroche qui peut être une définition, vient le moment où il faut définir le sujet (après l’avoir posé) pour le comprendre. Montrer que vous l’avez compris, comment vous l’avez compris et pourquoi. En fait, il s’agit de prendre les mots du sujet et de les définir en disant pourquoi vous avez retenu telle signification particulière de chaque mot et du sujet en général. En procédant ainsi, vous dégagez et mettez en évidence, le sens du sujet. A RETENIR : seuls les mots qui font partie du langage juridique sont à définir. Aussi, seuls les vocables en relation directe avec le sujet appellent des définitions. Il n’y a pas lieu d’expliquer chaque terme technique rencontré, ce qui alourdirait trop la dissertation. Pour le sujet précédent (l’abrogation de la loi par désuétude : il s’agit de définir les termes : loi, abrogation et désuétude). * 3- La délimitation du sujet (ce point ne s’impose pas toujours. Tout dépend de l’étendue du sujet) Vous devez ciblez les idées que le sujet vous impose de traiter, tout en les délimitant d’abord par rapport au sujet, mais aussi en prenant en compte des paramètres temporels (dates, chronologie), géographique (le sujet impose-t-il de traiter que le cas sénégalais ou d’autres pays sont concernés ? ), voire institutionnels (si le sujet impose une institution particulière, peut-être cela suppose-t-il d’en évoquer d’autres. Ne serait ce que parce que l’institution du sujet entretien des rapports avec les autres institutions). Chose très importante aussi, dites ce que vous ne traiterez pas et pourquoi. L’intérêt de passer par cette étape, consiste à montrer que vous avez connaissance de certaines notions mais dont vous ne voyez pas l’utilité pour la démonstration que vous allez mener. A RETENIR : délimiter un sujet ne consiste surtout pas à écarter une ou des questions qui n’ont rien à voir avec le sujet (exemple pour traiter de la formation du mariage, l’étudiant n’a pas à préciser que la question du divorce ne sera pas abordée parce que c’est une évidence). Pourquoi dois-je parler de ce sujet : Le sujet soulève une ou plusieurs questions fondamentales qui présentent certainement des intérêts (sinon on ne vous l’aurait pas proposé). A ce stade, posez la problématique et le (ou les) intérêt (s) du sujet. *4- La problématique 39 Sujets sous forme interrogative Parfois, la question que vous devez traiter est directement posée dans le sujet. Il convient alors de répondre précisément à la question posée. Exemple : la jurisprudence constitue t-elle une source de droit ? En général, ce genre de sujet invite l’étudiant à prendre personnellement position. Il doit donc réunir les éléments de résolution du sujet présentés dans le cours et les manuels, et les organiser pour construire un plan sous forme de réponse à la question posée. Sujets sous forme non interrogative D’autres fois, la question que vous devez exposer n’est pas clairement exprimée dans le sujet. Dans cette hypothèse, il ne vous appartient pas d’inventer n’importe quelle problématique. La problématique préexiste certainement, et vous devez la retrouver à travers le sujet. En général, elle a été exposée en cours et elle figure dans les manuels. Eventuellement, si vous avez du mal à dégager la problématique, essayez de reformuler le sujet sous forme interrogative en utilisant des formules variées : « Quelle est l’influence de … ? » ; « A quoi sert … ? » ; « Comment fonctionne … ? » ; « Quelle est la portée de … ? »…….. Pour la réponse, vous devez vous servir des matériaux (cours, documents) et de vos réflexions personnelles. A RETENIR : La problématique est le cœur de l’introduction. Soignez-là. Elle doit être claire, compréhensible et surtout pertinente. C’est elle qui doit conditionner votre plan et non l’inverse. Vous pouvez parfaitement tomber sur une, voire deux problématiques. Dans le premier cas, il s’agira de suivre un seul fil conducteur. Il s’agira généralement de procéder par étapes pour mener à bien la démonstration. Vérifiez que toutes les étapes du plan qui s’annonce s’articulent bien entre elles. Dans l’hypothèse où vous auriez deux problématiques qui ne peuvent a priori pas être regroupées sous une autre plus globale, alors dédiez une partie à chaque problématique. C’est encore le plus simple. (Comment rechercher la problématique, V. développements précédents) *5- L’intérêt du sujet Une fois que vous pensez savoir (mais mieux vaut en être certain) où le sujet veut vous emmener, il faut insister sur l’intérêt du sujet. Il s’agit de répondre à la question : « pourquoi dois-je parler de ce sujet ? ». Si le sujet a été donné, c’est qu’il est important. Il faut donc rechercher pourquoi le sujet a été donné et le dire franchement. Ces intérêts, souvent liés à des développements d’actualité, peuvent être d’ordre pratique et/ou théorique : Intérêt théorique : Ce sont les implications théoriques du sujet à savoir : les débats qui se sont soulevés (ce sont les controverses doctrinales), lorsque les principes juridiques traduisent une évolution particulière (de la législation, des mœurs, de la société…). Exemple d’intérêt théorique 40 - Actualité législative. Par exemple avec l’OHADA, la consécration d’un patrimoine d’affectation avec la société unipersonnelle. Controverse doctrinale. Par exemple, en ce qui concerne la nature du patrimoine, du droit au nom ou du droit réel, la nature juridique du mariage. Evolution d’un fondement du droit. Par exemple, en matière de responsabilité, l’idéologie de la réparation qui conduit à indemniser toutes sortes de préjudices. L’intérêt pratique L’intérêt pratique se découvre la plupart du temps en cherchant à imager des cas d’application concrets des règles juridiques en cause. On peut alors montrer que la question envisagée se pose fréquemment, que les solutions à dégager intéressent beaucoup de personnes ou commandent des conséquences (économiques, sociologiques…) importantes. Faire apparaître, quand c’est possible. L’actualité des problèmes renforce considérablement le dynamisme de la dissertation ; mais n’extrapolez surtout pas ! Exemple d’intérêt pratique - - - Conflit dans les sources du droit. Par exemple, le problème de la violation de la Convention de l’OIT soulevé dans l’affaire Séga Seck Fall, le problème de la violation de la convention de New York contre la torture dans l’affaire Hissen Habré. Hiatus entre la législation existante et les besoins pratiques. Par exemple les problèmes posés par l’exigence du divorce judiciaire et la pratique de la répudiation ; les problèmes posés par la limitation des dépenses excessives dans les cérémonies familiales. Aspects sociologiques. Par exemple en France, le débat judiciaire sur l’adoption d’enfants par des couples homosexuels (NB : la question sera bientôt réglée par la loi). Eventuellement, on peut retracer à ce stade de l’intérêt du sujet l’évolution du sujet dans le temps (historique) et dans l’espace (droit comparé). A RETENIR : un sujet peut revêtir un intérêt théorique ou un intérêt pratique (pas forcément les deux à la fois). Aussi, lorsque vous souligner l’existence d’un intérêt, il faudra effectivement le préciser. Exemple : Il ne suffit pas de dire (comme on le remarque dans la plupart des copies) : le sujet revêt un intérêt théorique (sans aucune précision). [Vous ne soulignez là aucun intérêt !]. Comment vais-je parler du sujet ? Il s’agit de justifier et d’annoncer le plan * 6- L’annonce justifiée du plan Vous voilà en possession de votre problématique qui prend le plus souvent la forme d’une question. Le plan n’est autre que la réponse en deux points à cette question. Mais il ne s’agit pas seulement de dire quelle articulation a été choisie ; il faut justifier ce plan. On doit commencer par exprimer l’idée ou les idées essentielles animant le sujet ; puis on annonce l’ordonnancement de la démonstration. Le plan adopté doit apparaître comme une conséquence logique et naturelle des principes antérieurement dégagés. 41 L’essentiel consiste donc à expliquer pourquoi la présentation retenue s’impose. L’annonce proprement dite se limite à la phrase dans laquelle vous ferez apparaître entre parenthèse le I et le II du plan. Ex : ...............(I), ...................(II). En première année, vous pouvez vous satisfaire de phrases assez simple comme : dans un premier temps, puis dans un second, ou, dans une première partie nous traiterons telle chose et puis telle autre dans une seconde. Mais il faudra assez vite dépasser ce stade car il n’apporte pas de réelle satisfaction sinon celle de mettre en parallèle deux idées principales. A RETENIR : l’étudiant doit impérativement, dans l’introduction, veiller à: Amener et poser le sujet – Définir les termes du sujet – Poser la problématique – Donner l’intérêt du sujet – Justifier et annoncer le plan. Les différentes phases de l’introduction ne doivent pas être intitulées dans la rédaction. Il suffit d’aller à la ligne après chaque phase. B. Le plan Le plan est commandé par le sujet, ou, plus précisément, par l’idée directrice que vous avez dégagée. Il convient donc d’adopter un plan qui suive une ligne directrice claire, que l’on s’attache à respecter et à démontrer. Concrètement : le plan est la réponse à la problématique posée. En droit, le plan se structure en deux parties, deux sous-parties. Ce qui fait un total de quatre sous parties. Si vous avez lu attentivement ce qui précède, vous devez vous souvenir que, lors de la recherche de notre problématique, nous avons regroupé nos idées en 4 catégories. Celles-ci correspondent aux 4 sous parties. Mais pour réaliser le plan, ces 4 catégories doivent être contenues dans deux grandes catégories. De telle sorte que : Catégorie 1 regroupe Une sous catégorie, Une seconde sous catégorie, Catégorie 2 regroupe Une sous catégorie, Une seconde sous catégorie. Ce travail doit aboutir à plan qui devra avoir pour résultat ce qui suit : Structure du Plan d’une dissertation juridique I. Le titre de ma PREMIERE PARTIE J’annonce que je vais parler ma première sous-partie (A), puis de ma seconde sous-partie (B) A. Le titre de ma première sous-partie Je fais une transition pour annoncer la seconde sous-partie 42 B. Le titre de ma seconde sous-partie Je fais une transition pour annoncer la SECONDE PARTIE II. Le titre de ma SECONDE PARTIE J’annonce que je vais parler de ma première sous-partie (A), puis de ma seconde sous-partie (B) A. Le titre de ma première sous-partie Je fais une transition vers ma seconde sous-partie B. Le titre de ma seconde sous-partie (Pas de conclusion) ATTENTION : il est préférable et même important de réserver le I.B. et le II.A. aux catégories les plus essentielles. C’est le cœur de votre devoir. Comme vous pouvez le voir, le plan n’est pas qu’une succession de catégories. Il y a des titres. Chaque titre de PARTIE doit être suffisamment englobant pour regrouper les sous parties qui le composent (les sous parties doivent correspondre aux parties. Soit elles se complètent ou elles s’opposent). De même, les titres doivent être la réponse à votre problématique, de telle sorte qu’en le lisant le correcteur sait ce que vous allez dire dans les parties et sous parties. Ce n’est pas parce que vous n’avez pas le même plan que votre camarade que vous êtes hors sujet ou que vous avez fait un faux plan. Idem, en ce qui concerne votre plan et celui du chargé de TD. Il y a plusieurs bonnes démarches pour traiter un sujet. Tout dépend de la façon dont vous avez compris le sujet (en restant, bien sûr, dans le cadre de la problématique posée par le sujet) mais aussi, dont vous l’avez amené. Il est alors important de justifier (de bien justifier) les choix que vous avez faits lors de la délimitation du sujet. Les différents plans possibles: Le plan d’idées : c’est un plan qui valorisera toujours votre travail. Il est construit à partir d’une idée que vous avez du sujet exposée en deux parties. Exemple de plan d’idées sur le sujet le « dol » I- Le dol, vice du consentement dans la formation du contrat II- Le dol, délit dans l’exécution du contrat. 43 Les plans types - Les plans de comparaison : pour les sujets de comparaison, il faut proscrire l’examen séparé des deux termes de la comparaison (Exemple pour le sujet Droit et morale, éviter de faire : I- Le droit II- La morale). A la limite, on peut envisager de présenter successivement : les ressemblances (I) et les différences (II), en habilitant ces intitulés. - Les plans de continuation : le plan type le plus utilisé est celui dit « de continuation », dont les deux parties se prolongent en intégrant deux aspects distincts du sujet. I- Les conditions II- Les effets /// I- La formation II- Le contenu /// I- La formation IIL’exécution /// I- Les sujets ou les titulaires du droit II- L’objet ou le contenu du droit…. A RETENIR : Veiller à réaliser un certain équilibre des parties et sous-parties, en volume et en intérêt autant que possible. III- La rédaction Vous devez retenir qu’une dissertation est une démonstration et non pas un simple exposé des connaissances. Les connaissances sont mises au service de la démonstration, c’est à dire de la problématique. Contrairement à la forme, le fond ou le contenu est fonction du sujet qui vous est donné. Mais il y a quelques règles essentielles qui ne changent pas. Elles sont relatives à la rédaction ou la formulation du contenu et son développement. Faites des phrases courtes et simples. Les phrases courtes rendent le contenu dynamique, léger et maintient l’attention du correcteur ou du lecteur. Les phrases simples rendent la dissertation plus claire et compréhensible. Vous éviterez ainsi de perdre le lecteur. Généralement tout se passe en trois temps : je vais dire quelque chose, je dis la chose en question, voilà ce que je voulais vous dire. Il faut exprimer vos intentions, les réaliser et les résumer. Privilégiez une idée par partie, mais une idée importante peut être accompagnée d’autres idées accessoires. Le risque reste que des idées accessoires peuvent être hors sujet. Il n’est pas possible de schématiser ou d’aller plus en profondeur pour deux raisons : la première c’est qu’il existe une multitude de sujets et que chaque sujet peut être traité différemment. C’est selon l’importance que l’on accorde à telle ou telle idée. Pour quelques conseils de rédaction: soigner l’écriture, l’orthographe et l’expression ; proscrire les abréviations, les sigles et les schémas ; éviter les familiarités ; ne pas employer le mot « je », mais plutôt « nous », « on », « il » ; éviter l’emploi de verbes dans les intitulés ; éviter les répétitions ; aller à ligne pour chaque idée nouvelle, enchaîner les phrases de manière logique ; enfin, relire la copie. Remarque générale Tout exposé de connaissances est un exercice de communication. Il requiert: 44 - Aisance et maîtrise de soi Brièveté et concision Nécessité absolue d'un plan tant pour l'écrit que pour l'oral Indication des Titres Transitions Ecriture aérée et lisible Surtout éviter le remplissage hors sujet qui indispose fortement le lecteur et témoigne d'une profonde méconnaissance du sujet demandé. 45 Université Cheikh Anta Diop de Dakar Faculté des sciences Juridiques et Politiques *********** Année Universitaire 2012/2013 Licence 1 Sciences Juridiques Droit Civil / Groupe A 1er Semestre SEANCE 4 THEME : Application de la loi Sous-thème : conflits de lois dans le temps Exercice: faire les cas pratiques Cas 1 Mamadou et Aïda se sont mariés en juin 2009, puis ont divorcé en mars 2011 pour cause d’incompatibilité d’humeur à la demande de l’époux. Une pension alimentaire de 50 000 F CFA par mois fut alors fixée à la charge de ce dernier. Pour des raisons diverses, une loi nouvelle entre en vigueur en juillet 2011 et prévoit que le divorce n’est autorisé qu'après sept ans de mariage. Elle exige en outre que la pension alimentaire soit plafonnée à 25000 FCFA par mois. Le divorce est-il valable ? Mamadou pourra- t-il profiter du plafonnement à 25000 F CFA et obtenir remboursement des 25000 F CFA des mois précédents? Cas 2 Babacar, un commerçant très connu dans le marché du riz, a contracté un prêt auprès de sa banque en octobre 2010 pour financer son commerce. La banque lui avait consenti ce prêt à un taux d’intérêt de 11% pour une durée de trois ans. Babacar espère voir sa dette allégée avec cette information qui lui est parvenue d’un de ses neveux, étudiant en droit, selon laquelle, une loi est entrée en vigueur en avril 2011 et qu’elle propose aux banques de fixer les taux d’intérêt des prêts à moins de 10 %. Babacar a-t-il raison d’espérer bénéficier des taux proposés par la loi nouvelle? Cas 3 Jean, homme d’affaires, marié et père de deux enfants, a convolé en secondes noces ; il a, depuis qu’il s’est remarié il y a dix mois, quitté la résidence conjugale et cessé d’assurer les charges de son premier ménage. Il est, de ce fait, après jugement, condamné pour abandon de famille le 2 mars 2009 à 3 mois de prison et à une amende de 200 000 F CFA. Une loi nouvelle, entre en vigueur le 10 mars 2009 pour limiter la sanction de l’abandon de famille à une amende de 200 000F CFA. L’avocat de Jean, confiant, lui apprend qu’il va bientôt être libéré. Sur quel argument se fonde t-il ? 46 INDICATIONS BIBLIOGRAPHIQUES - Buffelan-Lanore (Y.) et Larribau-Teyneyre (V.), Droit civil 1re année, Sirey, 16è éd., 2009. Malaurie (Ph.) et Morvan (P.), Droit civil, Introduction générale, Defrénois, coll. « Droit civil », 3è éd., 2009. Mazeaud (H., L. et J.) et Chabas (F.), Leçons de droit civil : Introduction à l’étude du droit, Montchrestien, 12è ed., 2000. Terré (F.), Introduction générale au droit, Dalloz, coll. « Précis », 8è éd., 2009. Documents annexes Doc. 1. Art. 2 Code civil français : « La loi ne dispose que pour l’avenir; elle n’a point d’effet rétroactif ». Doc. 2. Art. 831 Code de la famille du Sénégal Conflits de lois dans le temps - Principe « La loi nouvelle a effet immédiat au jour de sa mise en vigueur. Elle régit les actes et faits juridiques postérieurs et les conséquences que la loi tire des actes ou faits qui ont précédé sa mise en application. Demeurent soumis aux règles en vigueur lorsqu’ils ont été passés ou sont intervenus, les actes ou faits ayant fait acquérir un droit ou créer une situation légale régulière ». Doc. 3 Les grands arrêts de la jurisprudence civile, 12e édition 2007 / P. 40 LOIS. CONFLITS DANS LE TEMPS. NON-RETROACTIVITE. EFFET IMMEDIAT. RAPPORTS JURIDIQUES FORMES ANTERIEUREMENT. DROITS ACQUIS I. Civ. 20 février 1917. - II. Ch. réun. 13 janvier 1932. - III. Civ., 1re sect. civ. 29 avril 1960. IV. Civ., sect. com. 15 juin 1962 par François Terré Membre de l'Institut ; Professeur émérite à l'Université Panthéon-Assas (Paris II) et Yves Lequette Professeur à l'Université Panthéon-Assas (Paris II) Si toute loi nouvelle régit en principe les situations établies et les rapports juridiques formés dès avant sa promulgation, il est fait échec à ce principe par la règle de la nonrétroactivité des lois formulée par l'article 2 du Code civil, lorsque l'application d'une loi nouvelle porterait atteinte à des droits acquis sous l'empire de la législation antérieure (1er, 2e arrêts). Si, sans doute, une loi nouvelle s'applique aussitôt aux effets à venir des situations juridiques non contractuelles en cours au moment où elle entre en vigueur, et cela même quand semblable situation est l'objet d'un litige judiciaire, en revanche elle ne saurait, sans avoir effet rétroactif, régir rétrospectivement les conditions de validité ni les effets passés d'opérations juridiques antérieurement achevées (3e arrêt). 47 Les effets d'un contrat sont régis, en principe, par la loi en vigueur à l'époque où il a été passé (4e arrêt). 1 L'inflation des lois a pour corollaire l'instabilité du droit. De là, l'actualité du problème des conflits de lois dans le temps. Lorsqu'une loi nouvelle remplace une loi ancienne, la détermination de leurs domaines d'application respectifs résulte de l'affrontement d'impératifs contradictoires : privilégie-t-on l'idée de sécurité, la loi ancienne se verra reconnaître une place très importante ; lui préfère-t-on celle de progrès du droit et d'unité de la législation, et la loi nouvelle l'emportera. Aussi bien l'histoire montre-t-elle que la coloration politique du législateur n'est pas indifférente à ces choix : révolutionnaire ou réformiste, il n'hésitera pas devant les lois rétroactives, c'est-à-dire devant les lois qui reviennent sur le passé ; conservateur, il s'accommodera plus aisément d'une certaine survie de la loi ancienne. Eclairés par les excès de la période révolutionnaire, les rédacteurs du Code civil ont eu à cœur de consacrer une solution équilibrée. Aux termes de l'article 2 : « la loi ne dispose que pour l'avenir ; elle n'a point d'effet rétroactif ». La loi nouvelle n'a pas d'effet rétroactif, cela signifie qu'elle ne s'applique pas aux situations juridiques qui se sont entièrement réalisées sous l'empire de la loi ancienne. Ainsi sauvegarde-t-on la sécurité des particuliers. Comment, au demeurant, exiger de ceux-ci l'obéissance à une règle qu'ils ne pouvaient connaître puisqu'elle n'existait pas encore à l'époque où ils ont agi ? La loi nouvelle dispose pour l'avenir ; elle régit donc les situations nées postérieurement à son entrée en vigueur. En décider autrement serait, à l'évidence, priver de toute efficacité l'ordre du législateur. Apparemment simples, ces directives se heurtent à des difficultés de mise en œuvre considérables lorsque le changement de législation intéresse des phénomènes juridiques qui ne présentent pas un caractère instantané : la création d'une situation juridique nécessite parfois l'écoulement d'un certain temps (usucapion, possession d'état) ; les effets d'une situation juridique peuvent se prolonger pendant une période fort longue. D'où une question : quel est, dans ces diverses hypothèses, l'effet d'une loi nouvelle entrant en vigueur au cours de ces périodes ? Face à l'insuffisance des directives du Code, il revenait à la jurisprudence de faire œuvre créatrice. Elle s'y est employée avec souplesse et pragmatisme, s'inspirant des grandes constructions doctrinales sans pour autant s'enfermer dans celles-ci. Aussi bien, en contrepoint de l'analyse des arrêts ci-dessus reproduits, retracera-t-on les grandes lignes de chacune de ces constructions (I), avant de dégager les solutions jurisprudentielles relatives à la constitution et aux effets des situations juridiques (II). (Suite V. le document à la salle de lecture de la FSJP). Doc. 4 : Les grands arrêts de la jurisprudence civile, 12e édition 2007 / 57 LOIS. LOIS RETROACTIVES. LOIS DE VALIDATION. DROITS FONDAMENTAUX. CONVENTION EUROPEENNE DES DROITS DE L'HOMME. PROCES EQUITABLE Ass. plén. 24 janvier 2003 (Bull. civ. ass. plén., n° 2, p. 2, D. 2003. 1648, note Péricard-Pioux ; RFDA 2003. 470, note B. Mathieu) Baudron c/ Fédération des syndicats nationaux d'employeurs des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées par François Terré Membre de l'Institut ; Professeur émérite à l'Université Panthéon-Assas (Paris II) et Yves Lequette Professeur à l'Université Panthéon-Assas (Paris II) 48 1 Aux termes de l'article 2 du Code civil, la loi «n'a point d'effet rétroactif ». On entend par là qu'une loi ne peut pas s'appliquer à des faits qui ont été accomplis antérieurement à son entrée en vigueur. La règle paraît de bon sens. Le droit privé a pour finalité d'organiser la vie en société et d'assurer la paix sociale en réglant les rapports entre les personnes privées. Comment pourrait-il atteindre ce but si les actes qui ont été accomplis, les situations qui ont été créées et les droits qui ont été acquis conformément à la loi alors en vigueur pouvaient être remis en cause à tout moment par une loi nouvelle ? Mais il arrive que le législateur se propose de déroger à cette règle. Le peut-il et dans quelle mesure ? Répondant à cette interrogation, l'arrêt ci-dessus reproduit pose les principes qui gouvernent la question (I). Les justifications qu'on invoque à leur soutien ne sont pas à l'abri de la discussion (II). I. - Les principes 2 Après avoir rappelé que le législateur peut, en matière civile, adopter des dispositions rétroactives (A), la haute juridiction apporte à cette affirmation, s'agissant des lois de validation, des limitations qu'elle emprunte à la jurisprudence de la Cour de Strasbourg (B). A. - Les lois rétroactives 3 « Le législateur peut adopter, en matière civile, des dispositions rétroactives ». Et de fait, si l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme de 1789, à laquelle renvoient le Préambule de la Constitution de 1946 et celui de la Constitution de 1958, ainsi que l'article 7 de la Convention européenne des droits de l'homme posent le principe de la non-rétroactivité de la loi pénale, il n'en va pas de même pour la loi civile. A la différence de la Constitution de l'an III qui avait consacré un tel principe (« Aucune loi ni criminelle ni civile ne peut avoir d'effet rétroactif »), aucun des instruments constitutionnels qui l'ont suivie n'a réaffirmé cette règle, laquelle procède aujourd'hui exclusivement de l'article 2 du Code civil. Il en résulte que le législateur peut, en matière civile, déroger au principe de nonrétroactivité, dès lors qu'il confère expressément ce caractère à une loi. On peut, en effet, en principe déroger par une loi plus récente à une loi plus ancienne. 4 L'exemple toujours cité de disposition rétroactive est celui du décret du 17 nivôse an II (6 janv. 1794) qui, durant la Révolution, a annulé toutes les donations faites depuis le 14 juillet 1789 et disposé que les règles nouvelles qu'il édictait en matière de dévolution de biens laissés par des personnes décédées s'appliquaient à toutes les successions ouvertes depuis cette date. Le législateur révolutionnaire cherchait ainsi à changer la structure de la société en modifiant au sein de celle-ci la répartition des richesses. Il en est résulté de graves perturbations puisqu'il a fallu remettre en cause les partages effectués dans l'intervalle ainsi que les actes juridiques qui avaient été accomplis sur la foi de ceux-ci. D'où, on l'a vu, la consécration du principe de non-rétroactivité de la loi civile par la Constitution de l'an III. Fort de cette expérience, le législateur n'a longtemps fait usage des lois rétroactives que de manière exceptionnelle. Parfois, il s'est agi de faire face à des situations de crise. Ainsi la loi du 27 juillet 1940 a exonéré les chemins de fer de leur responsabilité pour les transports effectués depuis le 10 mai 1940. Parfois aussi, certaines lois reçoivent une portée rétroactive dans un souci de progrès social. Ainsi la loi du 5 juillet 1985 tendant à l'amélioration de la situation des victimes d'accident de la circulation a été déclarée applicable aux procédures en 49 cours, ainsi qu'aux accidents intervenus dans les trois années précédant la publication de la loi et n'ayant pas donné lieu à l'introduction d'une action en justice. Parfois enfin, le législateur donne une portée rétroactive à une loi nouvelle afin de valider une pratique, irrégulière au regard des textes, mais qui paraît pouvoir être admise sans inconvénient sérieux. C'est ainsi que la loi du 21 juin 1843 a validé rétroactivement tous les actes notariés ne mentionnant pas la présence d'un notaire en second alors que celle-ci était requise. C'est ainsi encore que la loi du 3 janvier 1972 a validé la reconnaissance d'enfants adultérins jusque-là illicites dont la nullité n'avait pas été prononcée par un jugement passé en force de chose jugée (art. 12 al.3). (Sur les lois interprétatives et leur caractère rétroactif, voir infra, n° 9). (Suite V. le document à la lecture de la FSJP) Doc 5 Ordre public et bonnes mœurs – Jean HAUSER – Jean-Jacques LEMOULAND – mars 2004 (dernière mise à jour : juin 2011) – Répertoire de droit civil Section 1 - Sources de l'ordre public Art. 1 - Sources internationales et européennes de l'ordre public 10. Il convient de mettre à part ce que le juge français range traditionnellement sous l'appellation d'ordre public international (V. Rép. internat., Vo Ordre public). Par cette référence on veut soit justifier l'application de certaines lois françaises ou du moins leur application immédiate, soit porter exception à l'application de la loi étrangère que la règle de conflit désignerait, ceci pour « défendre des positions jugées essentielles de l'ordre juridique national » (J. DERRUPPÉ, Droit international privé, 9e éd., 1990, Dalloz). En réalité l'expression d'ordre public international n'est pas très heureuse, et elle a seulement pour but de marquer la distinction d'avec l'ordre public interne. Il n'y a pas coïncidence, et la notion d'ordre public utilisée en droit international privé est beaucoup plus étroite que celle qui est utilisée en droit interne. Il est vrai qu'elle n'est pas pour autant plus précise (pour un exposé simplifié de cette notion, F. MONEGER, Droit international privé, no 141 et s., 2e éd., 2003, Litec ; pour une étude détaillée, V. R. LIBCHABER, L'exception d'ordre public en droit international privé, in L'ordre public à la fin du XXe siècle, op. cit., p. 65 et s.). 11. Les sources internationales de l'ordre public ne sauraient être négligées. Se résumant souvent à des principes essentiels, les traités et conventions internationales peuvent être une source importante d'ordre public, car ils proclament alors des droits élémentaires qui prennent forcément appui sur des règles dont le caractère d'ordre public n'est pas contesté. Que l'on songe aux pactes internationaux des droits de l'homme tant pour les droits économiques, sociaux et culturels que pour les droits civils et politiques auxquels la France a adhéré le 4 novembre 1981, ou encore la Convention européenne des droits de l'homme, ou la Convention internationale sur les droits de l'enfant, ou bien entendu les traités fondant l'Union européenne. Ces règles, dont toutes ne sont évidemment pas d'ordre public puisqu'on trouve de nombreuses simples recommandations, constituent une sorte de cadre dans lequel la loi interne doit s'insérer, et les juridictions françaises acceptent de contrôler la compatibilité entre elles et les lois internes (Cass. ch. mixte 24 mai 1975, D. 1975.497, concl. Touffait ; CE 20 oct. 1989, Nicolo, D. 1990.135, note P. Sabourin ). L'effet d'ordre public est très net dans la jurisprudence de la CEDH et affirmé dès le 11 janvier 1961 dans un arrêt Autriche c/ Italie (Ann. CEDH, vol. 4, p. 139 et s.) selon lequel la Convention a pour but « d'instaurer un ordre public communautaire des libres démocraties d'Europe afin de sauvegarder leur patrimoine commun de traditions politiques, d'idéaux, de liberté et de prééminence du droit ». En même temps l'articulation avec l'ordre public interne des États 50 connaît une application spécialement intéressante dans le contrôle de ce que la CEDH appelle la marge nationale d'appréciation. L'exception d'ordre public national, qui est ainsi reconnue, connaît toutefois un contrôle de plus en plus strict par la cour selon laquelle il ne peut avoir effet que s'il concerne une mesure nécessaire, répondant à un besoin social impérieux, s'il est proportionné, etc. (V. ainsi, F. SUDRE, op. cit., no 154 : sur la Convention comme standard minimum, J. F. RENUCCI, op. cit., no 288 et s. ; sur l'ordre public en droit communautaire, M. C. BOUTARD-LABARDE, in L'ordre public à la fin du XXe siècle, p. 83 et s.). On est ainsi en face d'une hiérarchie organisée des ordres publics entre normes internationales et normes internes. Art. 2 - Sources internes § 1 - Sources textuelles 12. Lois et règlements. - Parmi les sources internes, c'est bien entendu tout d'abord la loi qui en est la source première, et ce sont ces textes que vise l'article 6 du code civil qui prévoit « qu'on ne peut déroger, par des conventions particulières, aux lois qui intéressent l'ordre public et les bonnes mœurs ». On retrouve trace de cette limite dans l'article 1128 du même code qui interdit a contrario les conventions sur les choses qui sont hors du commerce et que la jurisprudence utilise notamment en droit des personnes et de la famille, et encore dans les articles 1131 et 1133 qui, combinés, annulent les conventions dont la cause serait prohibée par la loi ou qui serait contraire à l'ordre public et aux bonnes mœurs. Mais, comme l'indique nettement l'article 6, toute autre loi peut être déclarée d'ordre public, et ledit article en assurera le respect. Il faut même entendre le terme de loi dans un sens large. En effet, si de nombreuses dispositions d'ordre public résultent effectivement du pouvoir législatif, la source réglementaire de l'ordre public s'est plus ou moins développée selon les périodes, notamment dans le domaine de l'ordre public économique. Sous la seule réserve de respecter les limites du domaine réglementaire fixées par la Constitution, il est toujours possible de créer des dispositions d'ordre public par cette voie. 13. Les formules utilisées dans les textes sont très variables. À côté de la formule nette selon laquelle le présent texte est d'ordre public, on trouve d'autres formules variées visant surtout les éventuelles conventions contraires « nonobstant toutes conventions contraires… », « les conventions contraires à la présente loi sont nulles… », « … sont réputées non écrites ». Il arrivera même que le législateur ne prenne pas la peine de préciser, et qu'on déduise le caractère d'ordre public de l'esprit même du texte, ce qui ne sera pas toujours sans créer des difficultés. Dans ce dernier cas c'est le juge qui remplira alors un rôle important (V. infra, no 18 et 87). 14. On pourrait être alors tenté de déduire de ces formules que l'ordre public serait assimilable à la notion de lois impératives. Il se ramènerait aux textes qui sont suffisamment importants pour qu'on interdise toute volonté contraire. L'affirmation suppose une double vérification. Il paraît d'abord certain que tout ce qui est d'ordre public ne résulte pas forcément de lois impératives car il existe d'autres sources (V. infra, no 16), même si les lois impératives demeurent une source importante. On a ainsi noté que de nombreux textes modernes usaient et abusaient de la sanction pénale pour faire respecter ce qui semblait essentiel au législateur moderne (J. CARBONNIER, Introduction, in L'évolution contemporaine du droit des contrats, Journées R. Savatier, 1985, p. 36). Sur ce point l'accord se fait en général (J. GHESTIN, Les obligations, op. cit., no 104 et 110). Par contre la réciproque est beaucoup plus discutée : toutes les lois impératives sont-elles nécessairement d'ordre public ? On peut fortement en douter, car ceci nous ramène à la définition de la notion considérée. Si l'on admet que l'ordre public comporte un minimum de référence à 51 l'intérêt général, il faut bien constater que de nombreuses lois impératives ne visent qu'à protéger certains intérêts de groupes ou d'individus sans que la référence à l'intérêt général soit immédiate. Il est sans doute indirectement de l'intérêt général de protéger les incapables par des lois impératives, mais, dans l'immédiat, ce sont bien les personnes elles-mêmes qui sont protégées. Si l'on veut comprendre dans l'ordre public toutes les lois impératives, il faut retenir de celui-ci une définition plus vague qui renonce à toute référence aux buts poursuivis (J. CARBONNIER, Droit civil, t. 4, Les obligations, no 69, « l'ordre public est le domaine des lois impératives »), mais cette conséquence est acceptée par une part importante de la doctrine (J. GHESTIN, op. cit., no 97). Dans cette conception, l'ordre public se définit uniquement par son résultat technique sans référence à un but poursuivi. Le choix n'est pas seulement technique, il est aussi notionnel. Son importance apparaît bien dans certains des projets de code européen des contrats où la notion d'impérativité est uniquement utilisée sans qu'on puisse toujours affirmer que cette impérativité recouvre bien ce qu'on entend habituellement par ordre public en droit français. Aussi bien la variabilité des sanctions proposées pour assurer le respect de cette impérativité montre bien qu'on est parfois très loin de textes destinés à assurer l'ordre public, au moins au sens habituel du terme (J. HAUSER, L'ordre public et les bonnes mœurs, in Les concepts contractuels…, op. cit., p. 105). On a même parfois soutenu (D. TALON, Considérations sur la notion d'ordre public dans les contrats en droit français et en droit anglais, Mélanges Savatier, p. 883 et s.) paradoxalement que l'ordre public n'existerait qu'en dehors des lois impératives, car ce n'est que là que, en donnant une latitude au juge, il trouverait son utilité. 15. Il ne serait pas non plus possible de rapprocher lois d'ordre public et lois de police au sens du droit international privé alors que ces dernières pourraient sembler proches des lois impératives du droit interne. Il n y a pas coïncidence entre les lois d'ordre public interne et les lois de police, ces dernières obéissant à une définition beaucoup plus étroite. Il n'y a pas non plus coïncidence avec la notion d'ordre public en droit international privé car l'effet technique en est très différent. Alors que l'exception d'ordre public conduit à évincer la loi normalement applicable, ce qui suppose que celle-ci ait été préalablement désignée, la loi de police postule que la loi étrangère n'a jamais été désignée. Il est vrai simplement que la notion de loi d'ordre public en droit international est si discutée qu'on peut comprendre les confusions parfois entretenues (sur ces discussions, R. LIBCHABER, L'exception d'ordre public en droit international privé, in L'ordre public à la fin du XXe siècle, op. cit., p. 65 et s.). De nouveau le vocabulaire et la méthodologie retenues dans les projets européens conduisent souvent à retenir parmi l'impérativité un noyau dur de textes, alors semble-t-il plus proches de la définition classique de l'ordre public, qui comprendrait certaines règles du droit international privé parmi lesquelles on trouverait les lois de police (J. HAUSER, Ordre public et bonnes mœurs, in Les concepts contractuels, op. cit., p. 110). (Suite V. le document à la salle de lecture de la FSJP). Séance 5 Thème : Les droits subjectifs Sous-thème : La classification des biens Exercice : Faire les cas pratiques Cas 1 Maïmouna, une amie de longue date de votre sœur rencontre des difficultés ces derniers temps. Elle vient vous voir afin que vous l’édifiiez sur deux questions qui la préoccupent. 52 Premièrement, elle est confrontée à un problème avec son mari qui, il y a un an de cela, lui avait offert un bijou de très grande valeur. Alors qu’aujourd’hui elle a pris la décision de la vendre afin d’amener sa mère à la Mecque pour le pèlerinage, ce dernier s’y oppose. Elle estime, en tant que propriétaire de la parure, avoir le droit d’en faire ce qu’elle veut. A-t-elle ce droit ? Justifiez votre réponse. Ensuite, elle avait confié à un menuisier la confection de meubles pour l’atelier de couture qu’elle a ouvert. Ce dernier, n’ayant pas terminé la commande, lui donne en remplacement d’autres meubles qu’il gardait dans son magasin. En réalité, ces meubles appartenaient à une cliente, Fama qui les avait déjà payés et qui les lui avait confiés en partant en voyage. De retour de mission, Fama est mise au courant de la situation, mais n’est nullement inquiète ; elle est juriste et maitrise bien le droit. Elle sait qu’elle pourra reprendre son bien auprès de Maïmouna. Sur quoi se fonde t-elle ? Cas 2 Exploitant agricole à Mbour, Ousmane est propriétaire d’un domaine entouré d’arbres dont les fruits, presque mûrs, sont vendus à un exportateur. Dans un hangar, on trouve du matériel agricole et un moulin posé à même le sol. La salle à manger de la maison centrale, aux murs tapissés d’une œuvre d’un célèbre peintre, est garnie d’un mobilier de grande valeur. Le voisin d’Ousmane possède quelques veaux. Il les élève dans un enclos situé dans la propriété. Ousmane veut obtenir un prêt de sa banque mais cette dernière lui demande une hypothèque en garantie. Après avoir qualifié chaque bien situé dans la propriété, précisez ceux qui peuvent être hypothéqués. BIBLIOGRAPHIE INDICATIVE - ATIAS (Chr.), Droit civil, Les biens, 10è éd., Litec, 2009. BUFFELAN-LANORE (Y.) et LARRIBAU-TEYNEYRE (V.), Droit civil, 1re année, sirey, 16è éd., 2009. CARBONNIER (J.), Droit civil, Les biens, T.3, 19è éd., PUF, 2000. CORNU (G.), Droit civil. Introduction, les personnes, les biens, 13è éd., Montchrestien, 2007. MALAURIE (Ph.), AYNES (L.), Droit civil. Les biens, 3è éd., Defrénois, 2007. Documents annexes Doc. 1/ Art. 192 Acte uniforme sur le droit des sûretés Sauf disposition contraire, seuls les immeubles présents et immatriculés peuvent faire l'objet d'une hypothèque. Peuvent faire l'objet d'une hypothèque : 1°) les fonds bâtis ou non bâtis et leurs améliorations ou constructions survenues, à l'exclusion des meubles qui en constituent l'accessoire ; 2°) les droits réels immobiliers régulièrement inscrits selon les règles de l’Etat Partie. 53 Doc. 2 / Articles 516 à 536 (Disponibles à la salle de lecture de la FSJP) Article 516 Tous les biens sont meubles ou immeubles Article 517 Les biens sont immeubles, ou par leur nature, ou par leur destination, ou par l'objet auquel ils s'appliquent. Article 518 Les fonds de terre et les bâtiments sont immeubles par leur nature. Article 520 Les récoltes pendantes par les racines et les fruits des arbres non encore recueillis sont pareillement immeubles. Dès que les grains sont coupés et les fruits détachés, quoique non enlevés, ils sont meubles. Si une partie seulement de la récolte est coupée, cette partie seule est meuble. Article 522 Les animaux que le propriétaire du fonds livre au fermier ou au métayer pour la culture, estimés ou non, sont censés immeubles tant qu'ils demeurent attachés au fonds par l'effet de la convention. Ceux qu'il donne à cheptel à d'autres qu'au fermier ou métayer sont meubles. Article 523 Les tuyaux servant à la conduite des eaux dans une maison ou autre héritage sont immeubles et font partie du fonds auquel ils sont attachés. Article 524 Modifié par Loi n°2009-526 du 12 mai 2009 - art. 10 Les animaux et les objets que le propriétaire d'un fonds y a placés pour le service et l'exploitation de ce fonds sont immeubles par destination. Ainsi, sont immeubles par destination, quand ils ont été placés par le propriétaire pour le service et l'exploitation du fonds : Les animaux attachés à la culture ; Les ustensiles aratoires ; Les semences données aux fermiers ou métayers ; Les pigeons des colombiers ; Les lapins des garennes ; Les ruches à miel ; Les poissons des eaux non visées à l'article 402 du code rural et des plans d'eau visés aux articles 432 et 433 du même code ; Les pressoirs, chaudières, alambics, cuves et tonnes ; Les ustensiles nécessaires à l'exploitation des forges, papeteries et autres usines ; Les pailles et engrais. Sont aussi immeubles par destination tous effets mobiliers que le propriétaire a attachés au fonds à perpétuelle demeure. Article 525 Le propriétaire est censé avoir attaché à son fonds des effets mobiliers à perpétuelle demeure, quand ils y sont scellés en plâtre ou à chaux ou à ciment, ou, lorsqu'ils ne peuvent être détachés sans être fracturés ou détériorés, ou sans briser ou détériorer la partie du fonds à laquelle ils sont attachés. Les glaces d'un appartement sont censées mises à perpétuelle demeure lorsque le parquet sur lequel elles sont attachées fait corps avec la boiserie. Il en est de même des tableaux et autres ornements. Quant aux statues, elles sont immeubles lorsqu'elles sont placées dans une niche pratiquée exprès pour les recevoir, encore qu'elles puissent être enlevées sans fracture ou détérioration. Article 526 Sont immeubles, par l'objet auquel ils s'appliquent : L'usufruit des choses immobilières ; Les servitudes ou services fonciers ; Les actions qui tendent à revendiquer un immeuble. Article 527 Les biens sont meubles par leur nature ou par la détermination de la loi. Article 528 Loi n° 99-5 du 6 janvier 1999 - art. 25, JORF 7 janvier 1999.Sont meubles par leur nature les animaux et les corps qui peuvent se transporter d'un lieu à un autre, soit qu'ils se meuvent par eux-mêmes, soit qu'ils ne puissent changer de place que par l'effet d'une force étrangère. Article 529 Sont meubles par la détermination de la loi les obligations et actions qui ont pour objet des sommes exigibles ou des effets mobiliers, les actions ou intérêts dans les compagnies de finance, de commerce ou d'industrie, encore que des immeubles dépendant de ces entreprises appartiennent aux compagnies. Ces actions ou intérêts sont réputés meubles à l'égard de chaque associé seulement, tant que dure la société. Sont aussi meubles par la détermination de la loi les rentes perpétuelles ou viagères, soit sur l'Etat, soit sur des particuliers. Article 531 Les bateaux, bacs, navires, moulins et bains sur bateaux, et généralement toutes usines non fixées par des piliers, et ne faisant point partie de la maison, sont meubles : la saisie de quelques-uns de ces objets peut cependant, à cause de leur importance, être soumises à des formes particulières, ainsi qu'il sera expliqué dans le code de procédure civile. 54 Article 532 Les matériaux provenant de la démolition d'un édifice, ceux assemblés pour en construire un nouveau, sont meubles jusqu'à ce qu'ils soient employés par l'ouvrier dans une construction. Article 533 Le mot "meuble", employé seul dans les dispositions de la loi ou de l'homme, sans autre addition ni désignation, ne comprend pas l'argent comptant, les pierreries, les dettes actives, les livres, les médailles, les instruments des sciences, des arts et métiers, le linge de corps, les chevaux, équipages, armes, grains, vins, foins et autres denrées ; il ne comprend pas aussi ce qui fait l'objet d'un commerce. Article 534 Les mots "meubles meublants" ne comprennent que les meubles destinés à l'usage et à l'ornement des appartements, comme tapisseries, lits, sièges, glaces, pendules, tables, porcelaines et autres objets de cette nature. Les tableaux et les statues qui font partie du meuble d'un appartement y sont aussi compris, mais non les collections de tableaux qui peuvent être dans les galeries ou pièces particulières. Il en est de même des porcelaines : celles seulement qui font partie de la décoration d'un appartement sont comprises sous la dénomination de "meubles meublants". Doc. 3. / Cour de Cassation Assemblée plénière du 15 avril 1988 85-10.262 85-11.198 Publié au bulletin – D. 1988, p. 325, note J. Maury Titrages et résumés : 1° IMMEUBLE - Immeuble par nature - Fresque 1° Seuls sont immeubles par destination les objets mobiliers que le propriétaire d'un fonds y a placés pour le service et l'exploitation de ce fonds ou y a attachés à perpétuelle demeure. Encourt la cassation l'arrêt qui qualifie d'immeubles par destination des fresques détachées de leur support, alors que celles-ci, immeubles par nature, sont devenues des meubles du fait de leur arrachement. Sur le moyen unique du pourvoi n° 85-10.262, pris en sa première branche, et sur le premier moyen du pourvoi n° 85-11.198, pris en sa première branche, réunis : Vu l'article 524 du Code civil ; Attendu que seuls sont immeubles par destination les objets mobiliers que le propriétaire d'un fonds y a placés pour le service et l'exploitation de ce fonds ou y a attachés à perpétuelle demeure ; Attendu que des fresques qui décoraient l'église désaffectée de Casenoves ont été vendues par deux des propriétaires indivis de ce bâtiment sans l'accord des deux autres, Mmes Z... et Y... ; que détachées des murs par l'acquéreur, puis réparties en deux lots, elles se trouvent actuellement en la possession de la Fondation Abegg et de la ville de Genève, contre lesquelles Mmes Z... et Y... ont formé une demande en revendication devant le tribunal de grande instance de Perpignan ; que la Fondation Abegg et la ville de Genève ayant soulevé l'incompétence de ce tribunal au profit des juridictions helvétiques, par application de la convention franco-suisse du 15 juin 1869, qui, en matière mobilière, attribue compétence au tribunal du domicile du défendeur, l'arrêt attaqué (Montpellier, 18 décembre 1984) retient, pour rejeter leurs contredits, que les fresques litigieuses, originairement immeubles par nature, étaient devenues immeubles par destination depuis la découverte d'un procédé permettant de les détacher des murs sur lesquels elles étaient peintes ; qu'il en déduit que leur séparation de l'immeuble principal, dès lors qu'elle est intervenue sans le consentement de tous les propriétaires, ne leur a pas fait perdre leur nature immobilière, dont Mmes Z... et Y... peuvent continuer à se prévaloir à l'égard de tous, de sorte que l'action exercée par elles est une action en revendication immobilière ; 55 Attendu qu'en statuant ainsi alors que les fresques, immeubles par nature, sont devenues des meubles du fait de leur arrachement, la cour d'appel a violé le texte susvisé ; […] PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs des pourvois ; CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 18 décembre 1984, entre les parties, par la cour d'appel de Montpellier sous le n° 84/2797 ; statuant à nouveau, dit que le tribunal de grande instance de Perpignan est incompétent et, aucune juridiction française n'étant compétente, renvoie les parties à mieux se pourvoir ; […]. Doc. 4 / Cass. civ. 1ère, 5 mars 1991, Bull. civ. I, n ° 81 Sur le moyen unique, pris en ses trois branches : Attendu, selon les énonciations des juges du fond, que, par acte notarié du 5 mars 1986, les époux X... ont vendu aux époux Y... un ensemble immobilier sis à La Rochelle ; que, le 1er janvier 1987, M. X... a assigné les époux Y... en restitution de la bibliothèque située au deuxième étage de l'immeuble cédé ; que l'arrêt attaqué (Poitiers, 8 mars 1989) l'a débouté de cette demande ; Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt d'avoir ainsi statué, alors, selon le moyen, d'une part, qu'ayant relevé que le meuble, dont le caractère démontable était invoqué, était appuyé au mur, et non scellé, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les articles 524 et 525 du Code civil, et privé sa décision de base légale au regard de ce dernier texte ; alors, ensuite, qu'il n'a pas été répondu aux conclusions soulignant le caractère démontable du meuble et provisoire de sa fixation ; et alors, enfin, que faute d'avoir constaté la volonté expresse du propriétaire d'attacher la bibliothèque à perpétuelle demeure, volonté au surplus démentie par la vente de l'immeuble qui n'incluait pas ce meuble, la juridiction du second degré a privé sa décision de base légale au regard de l'article 524 du Code civil ; Mais attendu qu'ayant relevé, tant par motifs propres qu'adoptés, que la bibliothèque litigieuse était un important meuble en L masquant entièrement les murs sur lesquels il était appuyé, et que ce meuble a été construit aux dimensions exactes de la pièce dont il épouse les particularités, et qu'ayant souverainement estimé que les propriétaires ont ainsi manifesté leur volonté de faire de l'agencement de cette bibliothèque un accessoire de l'immeuble auquel elle était fixée, et dont elle ne pouvait être détachée sans en altérer la substance, la cour d'appel, qui a répondu aux conclusions invoquées, en a exactement déduit que ladite bibliothèque constituait un immeuble par destination attaché au fonds à perpétuelle demeure ; D'où il suit que le moyen ne peut être retenu en aucune de ses trois branches ; Par ces motifs : rejette le pourvoi. Doc. 5. / Recueil Dalloz 2005 p. 2352 56 Droit des biens : panorama 2005 / Blandine Mallet-Bricout, Nadège Reboul-Maupin, L'essentiel L'année 2005 est marquée par l'émergence de « nouveaux biens » : produits de l'activité intellectuelle, sols pollués, biens naturels ou biens environnementaux en sont quelques illustrations... Certains essaient de parvenir à la qualification de biens par l'extension des catégories intermédiaires existantes ; d'autres, en revanche, tendent à une adaptabilité du droit commun des biens. A côté de ces innovations, le droit des biens conserve toutefois ses « grands classiques » : le juste titre, notion délicate, donne lieu à quelques décisions intéressantes qui permettent de mieux la cerner. Quant à la théorie des troubles du voisinage, certaines décisions récentes donnent l'occasion de s'interroger sur l'existence d'un « droit acquis de nuire à autrui » ou encore sur la cohabitation de cette théorie avec la copropriété ou le lotissement. On retrouve d'ailleurs le particularisme de la propriété laissant place à l'intérêt collectif à propos des servitudes : ces derniers mois ont notamment été marqués par un important revirement de la Cour de cassation relatif aux servitudes au sein de la copropriété. I - Qualification des biens : à la recherche de catégories intermédiaires Qualifier un bien suppose de le faire entrer dans l'une des catégories prévues par la loi. A cet égard, les décisions récentes, tant nationales qu'européennes, se livrent à une application des critères de l'immobilisation par destination à une exploitation piscicole (A) ou à celle des critères de la mobilisation par anticipation à un sol pollué (B). Ce recours intempestif aux catégories intermédiaires s'inscrit d'ailleurs dans un contexte de renouvellement des biens liés le plus souvent à la nature et à l'environnement. En droit positif, c'est l'animal qui pose quelques difficultés : celui-ci a-t-il encore un avenir en droit des biens (C) ? A - L'application des critères de l'immobilisation par destination « Les articles 524 et 525 régissent deux types de meubles devenant immeubles par destination : ceux que le propriétaire d'un fonds y a placés pour le service et l'exploitation de ce fonds et ceux qu'il a attachés au fonds à perpétuelle demeure » (V. H. Périnet-Marquet, Evolution de la distinction des meubles et des immeubles depuis le code civil, Etudes offertes à J. Béguin, Litec, coll. Droit et actualité, 2005, p. 643). La destination issue du code civil de 1804 est strictement légale. Elle est fonctionnelle ou matérielle ; et, à y regarder de plus près, elle est plutôt « économique par intention ou domestique par incorporation » (V. H. PérinetMarquet, op. cit., p. 651). Pour autant, elle ne doit pas faire perdre de vue qu'elle a connu certains assouplissements jurisprudentiels. Les tribunaux ont contribué à élargir et à préciser le critère de destination. Ils ont non seulement étendu les activités auxquelles on applique ledit critère mais aussi décidé que « la volonté de désaffectation était insuffisante à faire perdre la qualité d' immeuble par destination s'il n'y a pas soit séparation effective entre l'immeuble par nature et l' immeuble par destination , soit aliénation de l'un et de l'autre » (V. F. Terré et P. Simler, Droit civil, Les biens, 6e éd., Dalloz, coll. Précis, 2002, n° 33). 57 C'est bien dans cette logique que s'inscrit l'arrêt rendu le 11 janvier 2005 par la première Chambre civile de la Cour de cassation. En l'espèce, des époux vendent à une première société civile immobilière une exploitation piscicole comprenant des bâtiments et des terres. Le même jour, ils procèdent encore à la vente du matériel nécessaire à l'exploitation et à la vente des bassins piscicoles à une autre société. Cette dernière reproche aux vendeurs de ne pas avoir délivré la quantité de truites prévues au contrat et les assigne en remboursement partiel du prix de vente. La cour d'appel la déclare déchue de son action en relevant que celleci a été intentée plus d'un an après la vente. L'arrêt est cassé pour violation de l'article 1622 du code civil car il ne « s'applique pas aux ventes de meubles et que les juges ont pu constater que les poissons avaient été cédés indépendamment du terrain sur lequel les bassins étaient implantés, de sorte qu'ils ne pouvaient présenter le caractère d' immeubles par destination au sens de l'article 524 du code civil » (Cass. 1re civ., 11 janv. 2005, n° 01-17.736, D. 2005, IR p. 246). Dans ces conditions, le critère d'immobilisation par destination fait bien défaut en ce qu'il y a bien une séparation résultant d'une aliénation (Cass. 1re civ., 4 juin 1962, Bull. civ. I, n° 284 ; Cass. com., 21 juill. 1987, JCP N 1988, II, p. 312). L'arrêt ne fait que reprendre une précision jurisprudentielle importante sur les conditions de suppression de la destination. Toutefois, ne doit-on pas considérer que le contrat prend alors le relais de la loi ? Si le contrat peut faire perdre la qualité d' immeuble par destination , il peut aussi lui faire acquérir. C'est admettre une nouvelle destination. A côté de la destination légale, il y aurait la destination conventionnelle. La solution ressortait déjà implicitement d'un arrêt de la Cour de cassation rendu le 7 avril 1998 (Bull. civ. I, n° 143 ; D. 1998, Somm. p. 344, obs. A. Robert ; JCP 1998, I, 171, n° 1, obs. H. Périnet-Marquet ; solution déjà consacrée par Cass. civ., 27 juin 1944, DC 1944, Jur. p. 93, note A. C. ; RTD civ. 1945, p. 127, note H. Solus ; JCP 1945, II, 2782, note G. Toujas) où il est jugé qu'il n'est pas possible de faire perdre aux biens la qualité d' immeuble par destination par la simple manifestation de la volonté, mais qu'il en va peut-être différemment en cas de concrétisation de la volonté (formule employée par A. Robert dans ses obs. sous CA Paris, 8 avr. 1994, D. 1995, Somm. p. 191 ) dans un acte juridique et donc, a fortiori, qu'il est possible de leur faire acquérir cette qualité par une stipulation dans l'acte juridique (V. contra, Cass. 3e civ., 26 juin 1991, JCP 1992, II, 21825, note J.-F. Barbièri où « il est affirmé que la nature immobilière ou mobilière d'un bien est définie par la loi et que la convention des parties ne peut avoir d'incidence à cet égard »). Certes, la théorie des immeubles par destination a fait l'objet de vives critiques doctrinales comme n'ajoutant rien à celle de l'accessoire (V. en ce sens, J. Carbonnier, Droit civil, Les biens (Monnaie, immeuble, meuble), t. 3, 19e éd., PUF, coll. Thémis, 2000, n° 63). Il en résulte que la prise en compte d'un nouveau type de destination, dite conventionnelle, permettrait de dépasser une telle critique et aurait le mérite de s'appuyer sur le principe bien connu de la force obligatoire du contrat exprimé à l'article 1134 du code civil. D'ailleurs, la destination conventionnelle a déjà été consacrée dans un arrêt de la Cour d'appel de Paris du 8 avril 1994 (A. Robert, obs. préc.) à propos de lustres, de boiseries et de tapisseries murales qui avaient donné lieu à une stipulation dans l'acte de vente comme des éléments constituant des immeubles par destination . Si elle constitue une dérogation au principe général suivant lequel la distinction des biens mobiliers et immobiliers est d'ordre objectif, elle conduit 58 incontestablement à admettre la consécration d'une nouvelle source de destination, à savoir par contrat, dans un contexte d'émergence de « nouveaux biens ». B - Droit des biens face au droit de l'environnement : des questionnements La régénération du droit des biens est vivement souhaitée. Etant pour l'essentiel un droit de l'immeuble (V. H. Périnet-Marquet, L'immeuble et le code civil, in Le Code civil, un passé, un présent, un avenir, Dalloz, 2004, p. 395), il connaît depuis plusieurs années une explosion de la matière mobilière qui s'est faite parfois hors du droit, ou par l'intermédiaire de textes spéciaux, ou encore par l'intervention des juges qui n'ont pas hésité à accueillir une catégorie coutumière (V. à ce propos, la note de F. G. Trébulle sous CJCE, 7 déc. 2004, Van de Walle, RDI 2005, p. 31, spéc. p. 35 , citant Pothier qui rapporte que la coutume d'Orléans réputait meubles les bois de la forêt d'Orléans aussitôt que la coupe avait été adjugée aux sièges des forêts « quoi qu'ils n'avaient pas encore été abattus » : Pothier, Traité des choses, œuvres compl., t. XIII, 1873, p. 475), les meubles par anticipation (M. Fréjaville, Des meubles par anticipation, thèse, Paris, 1927). Ils peuvent être définis comme « des biens, qui par leur nature physique, sont des immeubles, mais qui, à certains égards, sont soumis au régime juridique des meubles parce qu'ils sont destinés à le devenir dans un avenir prochain » (P. Malaurie et L. Aynès, Droit civil, Les biens, 2e éd., Defrénois, 2005, n° 134). Il s'agit là d'une destination future et, en l'occurrence, d'une dérogation au principe général selon lequel « la nature mobilière ou immobilière d'un bien ne dépend pas de la volonté de l'homme » (V. F. Terré, op. cit., n° 33). Ceci étant, la catégorie des meubles par anticipation ne transgresse pas toujours ledit principe puisque l'on vient encore de lui attribuer une origine toute particulière. En effet, un arrêt Van de Walle du 7 décembre 2004, rendu à la suite d'une question préjudicielle posée à la Cour de justice des Communautés européennes, a consacré « sur le strict plan des déchets une véritable innovation en droit des biens qui invite à élargir la notion de meubles par anticipation » (CJCE, 7 déc. 2004, aff. C-1/03, note F. G. Trébulle, préc. ; D. 2004, IR p. 2620 ; AJDA 2004, p. 2454, note A. Gossement ). Au lieu de faire découler la mobilisation par anticipation de la volonté des parties ou du contrat (V. à cet effet, le contrat de foretage, C. Larroumet, La mobilisation par anticipation, Mélanges A. Colomer, Litec, 1993, p. 209 ; V. dernièrement, Cass. 3e civ., 12 janv. 2005, Contrats, conc., consom., juin 2005, n° 105, obs. L. Leveneur), il paraît désormais possible de s'en tenir à la loi et, plus particulièrement, « à une qualité objective qui demeure la pollution » (F. G. Trébulle, note préc.). Les faits sont les suivants : un sous-sol est pollué à la suite d'une fuite accidentelle d'hydrocarbures provenant d'une station-service. Cette dernière était exploitée par un gérant en vertu d'une convention d'exploitation qui prévoyait que le terrain, bâtiment, matériel et mobilier d'exploitation étaient mis à la disposition du gérant par Texaco. Après la découverte de la fuite, qui résultait de défauts dans les installations de stockage de la station-service, Texaco a considéré que l'exploitation de celle-ci n'était plus possible et a résilié le contrat de gérance en invoquant une faute grave du gérant. Malgré les travaux d'assainissement du sol non menés à terme et le remplacement d'une partie des installations de stockage par Texaco, la région de Bruxelles, propriétaire du terrain voisin victime de l'infiltration d'eaux saturées 59 d'hydrocarbures, et le ministère public agirent contre celle-ci en lui reprochant d'avoir abandonné des déchets. Les juridictions belges se sont alors interrogées à la fois sur la notion d'abandon et de déchets. Pour sa part, la Cour d'appel de Bruxelles, ayant un doute sur la qualification de déchet des terres non encore excavées, interroge la Cour de justice des Communautés européennes. Celle-ci retient avec étonnement la qualification de déchets « au sens de la directive CE n° 75/442 du 15 juillet 1975 (dont le point Q 4 de l'annexe I précise que doit être considéré comme déchet « toute matière, équipement, etc., contaminés par suite du déversement accidentel de ces matières, de la perte de celles-ci ou de tout autre incident ») qui s'impose pour le sol contaminé par suite d'un déversement accidentel d'hydrocarbures » (pt 52). Alors que le sol, en tant que fonds de terre, relève de l'article 518 du code civil, et donc de la catégorie des immeubles par nature, la Cour nous surprend en l'analysant comme un déchet. La question est clairement posée par M. le Professeur Trébulle : « comment concevoir que le sol, fonds de terre, puisse être en même temps un immeuble par nature et un déchet, c'est-à-dire un meuble ? » (V. la note sous CJCE, 7 déc. 2004, préc., p. 34). Pour y répondre, il considère que la Cour « adopte un raisonnement fondé sur la règle de l'accessoire » mais interprété en sens inverse puisqu'elle retient que « les hydrocarbures ne sont pas séparables des terres qu'ils ont polluées et ne peuvent être valorisés ou éliminés que si ces terres font également l'objet des opérations nécessaires de décontamination », note de F. G. Trébulle, préc.). Ainsi, les déchets constituent le principal alors que la terre demeure l'accessoire. Peu importe, il s'agit là d'une application de la théorie de la mobilisation par anticipation. En effet, la terre polluée par les hydrocarbures peut être considérée comme un déchet dans une optique de protection des milieux naturels et d'interdiction de leur abandon. Une telle qualification « dépend donc bien de l'obligation qu'a la personne à l'origine du déversement accidentel de ces substances de se défaire de celles-ci » (pt 52). Ainsi, l'obligation de s'en défaire en les éliminant ou en les valorisant imposée par la loi, et donc par le code de l'environnement, en matière de déchets dangereux, va permettre d'anticiper le détachement. Il en résulte que la mobilisation par anticipation s'éloigne de sa source première qu'est la volonté des parties ou le contrat pour y préférer la loi. La chronologie des sources est donc inversée par rapport à celle de l'immobilisation par destination, mais il n'en demeure pas moins que les catégories intermédiaires accusent un réel succès. Par conséquent, l'homogénéité du droit des biens est mise à mal. Elle l'est d'ailleurs, le plus souvent, par le droit de l'environnement qui, loin de se cantonner à élargir la mobilisation par anticipation, « met en évidence la nécessité de créer des catégories juridiques particulières, et, par exemple, les biens de l'environnement ou biens naturels, bien spéciaux par excellence » (M.-J. del Rey-Bouchentouf, Droit des biens et droit de l'environnement, thèse, Paris ISorbonne, 2002). C'est mettre en avant le « patrimoine commun de l'humanité » et proclamer « haut et fort » le point de vue écologique. Le relais est pris par le droit de l'environnement qui s'adonne à protéger la faune sauvage (V. à cet effet pour l'animal sauvage, L. du 10 juill. 1976 ; V. sur la question, S. Antoine, L'animal et le droit des biens, D. 2003, Chron. p. 2651 ), ce qui apporte un « enrichissement au droit des biens » et participe en même temps « à la remise en cause de sa summa divisio qui semble désormais bel et bien dépassée, aléatoire, et insuffisante » (S. Antoine, art. préc., p. 2654). Le droit de l'environnement fait donc prendre conscience qu'il faut repenser les distinctions en adaptant le droit commun des 60 biens (V. sur la question de l'adaptabilité du droit des biens à propos du produit de l'activité intellectuelle, T. Revet, obs. sous Cass. crim., 22 sept. 2004, RTD civ. 2005, p. 164 ; V. C. Caron, Du droit commun des biens en tant que droit commun de la propriété intellectuelle, JCP 2004, I, 162), et en commençant, par exemple, à attribuer un statut juridique à l'animal. C - Quel avenir pour l'animal en droit des biens ? « La pensée zoophile est en constante évolution : la sensibilité à la cause animale ne cesse de croître » (B. Vital-Durand, Tous les animaux naissent libres et égaux, Libération du 27 mai 2005, p. 27), ce qui amène, depuis quelque temps déjà, à s'interroger sur l'avenir de l'animal en droit des biens. « Sans aller jusqu'à souhaiter des droits semblables à ceux des êtres humains » (position de Paola Cavalieri, philosophe italienne), la réforme proposée par Mme Suzanne Antoine, Présidente de chambre honoraire à la Cour d'appel de Paris (S. Antoine, Rapport sur le régime juridique de l'animal, www.ladocumentationfrançaise.fr), aboutit à deux solutions. La première, privilégiée par l'auteur, consiste à « déréifier » les animaux en les considérant comme des êtres vivants doués de sensibilité et aboutit à une extraction complète de l'animal du droit des biens tout en ne bouleversant pas le régime de l'appropriation. La seconde se contente de créer une troisième catégorie de biens, celle des animaux, en les associant à des « biens protégés ». C'est reprendre pour la première de ses propositions les termes de l'article 9 (abrogé par l'Ord. n° 2000-550 du 15 juin 2000, D. 2000, Lég. p. 290) de la loi n° 76-629 du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature, puisqu'il qualifiait l'animal « d'être sensible qui devait être placé par un propriétaire dans des conditions compatibles avec les impératifs biologiques de son espèce ». Déjà reconnue par la jurisprudence comme une personne par destination (TGI Lille, 23 mars 1999, D. 1999, Jur. p. 350, note X. Labbée ; Defrénois 1999, art. 37048, note P. Malaurie), il semble que la réflexion législative menée sur le nouveau statut juridique de l'animal n'aille pas aussi loin. Tout au plus, elle semble admettre que l'animal serait une entité à mi-chemin entre les biens et les personnes. Ne faut-il pas préférer que le droit des biens apparaisse beaucoup plus proche de la nature des choses ? A cet effet, deux tendances peuvent s'imposer. Une première tendance d'adaptation à de nouvelles préoccupations qui devrait conduire le droit des biens à mettre à plat ces distinctions classiques pour en introduire de nouvelles fondées sur la nature des choses. La seconde tendance serait plutôt de consacrer un droit des biens spéciaux afin de réintroduire de nouvelles catégories ignorées du droit commun, ce qui aurait le mérite « de s'adonner à une vision concrète des choses » (J. Carbonnier, op. cit., n° 46). Pour cet être sensible, autre que l'être humain, que constitue l'animal, il semble qu'il faille préférer la première à la seconde tendance, sauf à s'aventurer dans une spécialisation à outrance des droits pouvant conduire à perdre de vue le droit commun des biens. Il nous faut régénérer le droit des biens en ajoutant aux deux critères classiques de reconnaissance des biens, à savoir ceux de l'appropriation et de l'utilité, ceux apportés par le droit de l'environnement, « à savoir celui de la protection [le droit cherche à protéger les biens] et celui de la finalité [dans certains systèmes juridiques, les fins sont considérées comme des biens] » (M.-J. del Rey-Bouchentouf, Les biens naturels, un nouveau droit objectif : le droit des biens spéciaux, D. 2004, Chron. p. 1615 ). Le tour est 61 ainsi joué. Rendons aux biens, ce qui relève des biens et laissons aux personnes, ce qui relève des personnes! N. R.-M. ………………………………………………………………………………………………… ……………………………………………………… METHODOLOGIE DU CAS PRATIQUE (inspirée d’Isabelle Defrénois-Souleau, Je veux réussir mon droit. Méthodes de travail et clés du succès, 7è éd., Dalloz, 2010) Comme tous les exercices juridiques, le cas pratique est un travail de démonstration qui conduit à une réponse ponctuelle et précise à la question posée. Aucune extrapolation n’est admise. L’étudiant doit mener une démonstration concise en évitant de verser dans des développements théoriques sans intérêt. Dans un cas pratique, on ne vous demande pas lequel des protagonistes, vous semble dans son bon droit, ou quel arrangement vous paraîtrait équitable. On vous demande la solution imposée par la loi ou, plus largement, par le droit positif en vigueur ; autrement dit, la solution qu’apporterait un tribunal si le cas lui était donné à juger. Vous devez découvrir les règles applicables et les mettre en œuvre comme si vous étiez le juge. Puisque la solution d’un cas pratique ne s’invente pas, des connaissances précises sont nécessaires pour parvenir à des réponses exactes. N’essayez pas de résoudre un cas avant d’avoir appris et compris la matière théorique sur laquelle il porte. Il faut connaître les règles de droit, leurs conditions d’application, leurs effets, leurs exceptions, sans oublier les détails tels que la durée des délais, etc. Il faut savoir quelle est la position de la jurisprudence récente, et pour cela, avoir étudié quelques arrêts. Il faut avoir acquis une certaine familiarité avec la terminologie, afin que les mots employés dans l’énoncé ne soient pas vides de sens, mais éveillent des échos, déclenchent des associations d’idées, suggèrent des solutions possibles. En un mot, il faut être précis et attentif à tous les détails. Ne cherchez pas un plan subtil. Le cas pratique est un exercice simple, qui n’obéit à aucune règle de forme particulière. Il s’agit seulement de répondre, dans l’ordre, aux questions posées. On attend de vous une réponse qui soit à la fois précise et raisonnée. Une solution non justifiée par un raisonnement juridique serait sans valeur pour le correcteur. Et, de même, une argumentation ou un exposé de connaissances qui ne déboucherait pas sur une réponse précise à la question posée resterait inachevé. Donc : pas de solution sans raisonnement, pas de raisonnement sans une solution. Et pour justifier clairement la solution, la meilleure méthode est celle du raisonnement juridique classique : 62 1. Qualifications juridiques (qualification juridique des faits et problème juridique) 2. Règles applicables 3. Solution. Construction A- Schéma d’un cas pratique ne comportant qu’une question INTRODUCTION 1- Domaine général dans lequel se situe le cas pratique C’est la phrase d’entrée en matière Même si certains soutiennent qu’elle n’est pas obligatoire dans un cas pratique, elle est importante car elle rend compte du degré de compréhension du cas par l’étudiant. Il est alors vivement recommandé de situer le cas dans son contexte. 2- Exposé des faits Pour présenter l’exposé des faits, exprimez-vous en juriste. Il est sans intérêt de reprendre textuellement l’énoncé, ou de le paraphraser maladroitement. L’exposé des faits doit se faire dans l’ordre chronologique (la démarche consistant à exposer les faits dans l’ordre de leur importance est aussi admise). Les actes, les évènements doivent être précisés en termes juridiques et abstraits. Les personnes ne doivent pas être nommées sauf si le cas pratique est relatif à l’identification des personnes. 3- Qualification juridique des faits Qualifier, c’est nommer en termes juridiques. On qualifie des faits, ou une situation, en les exprimant en termes juridiques et abstraits, afin de les rattacher aux cas prévus et réglementés par la loi. Exemple, dire est-ce qu’il s’agit d’un problème d’application de la loi dans le temps, est-ce un problème de preuve ou un problème de nullité du mariage etc. 4- Formulation du ou des problèmes de droit à résoudre Elle permet de dégager et de formuler un ou plusieurs problèmes de droit. Elle n’est nécessaire que quand la question n’est pas déjà formulée en termes techniques et précis. D’une demande de conseil, d’une question posée en langage courant, ou en termes vagues (du genre « quels sont ses droits, de moyens dispose-t-il, que peut-il faire, qu’en pensezvous ? »), vous tirez donc une ou plusieurs questions de droit, précises, bien circonscrites, auxquelles l’exposé des règles applicables va répondre. Pour être parfaitement clair et précis, aboutissez à la formulation de problèmes de droit, posés en termes abstraits et concis. A RETENIR: Le problème de droit doit toujours être posé au regard de la règle de principe 5- Règles applicables (ou principes de solution) 63 La deuxième phase du raisonnement consiste en une description et une explication des règles applicables à la situation juridique que vous venez de dégager. Ce sont ces règles qui apportent les principes de solution et qui justifient vos réponses. Cet examen du droit positif portera sur : Textes (légaux et réglementaires) et grands principes. Jurisprudence (quelques mots sur l’évolution, puis explication des solutions actuelles). Doctrine. Expliquez de manière approfondie les points de droit utiles à la solution mais n’indiquez que brièvement ceux qui ne font pas de difficulté en l’espèce. 6- SOLUTION (ou réponse) La dernière étape consiste à tirer les raisonnements en appliquant les règles de droit au cas d’espèce. On aboutit ainsi aux solutions imposées par le droit positif. Dans la dernière partie de votre devoir, vous devez apporter des solutions nettes et explicites à un double niveau : Au plan juridique et abstrait, donnez réponse aux problèmes de droit que vous avez dégagés plus haut. Expliquez de manière claire et convaincante la solution tirée des règles exposées, la décision que prendrait un tribunal saisi de l’affaire. Puis au plan concret, répondez à la question pratique posée : donnez une réponse ou conseil concret et précis. Eventuellement, pour une deuxième réponse écartant une autre solution, et/ou proposant une solution subsidiaire, le plan sera le même. A RETENIR : De manière détaillée, dans un cas pratique il faut obligatoirement : rappeler les faits, qualifier juridiquement les faits, poser le problème juridique, donner le (ou les) principe(s) de solution, rattacher le (ou les) principe (s) de solution au cas d’espèce, donner la solution. B- Schéma d’un cas pratique comportant plusieurs questions INTRODUCTION - Domaine général dans lequel se situe le cas pratique, - Exposé des faits (dans l’ordre chronologique (par exemple), en se limitant à ceux qui constituent les données de l’ensemble des questions). - Qualification juridique des faits PREMIERE QUESTION Transposition de la question en termes juridiques (si nécessaire) et formulation d’un ou plusieurs problèmes de droit (concis et abstraits). 64 Réponse au premier problème : Règles applicables : exposé du droit positif. Solution : . Solution du problème de droit . Réponse concrète. Réponse à un deuxième problème (s’il y a lieu) : même raisonnement. DEUXIEME QUESTION : même raisonnement. TROISIEME QUESTION : même raisonnement 65 Université Cheikh Anta Diop de Dakar Faculté des sciences Juridiques et Politiques *********** Année Universitaire 2012/2013 Licence 1 Sciences Juridiques Droit Civil / Groupe A 1er Semestre Cours du Professeur Mohamed Bachir NIANG Coord. Melle Ndèye Coumba Madeleine NDIAYE SEANCE 6 Thème : Les droits subjectifs Sous-thème : La preuve des droits subjectifs Exercice : Faire les cas pratiques Cas 1 Nguéma a prêté, en présence d’un agent de son service, une somme de 100.000 frs à une de ses nouvelles collègues qui n’a été recrutée que depuis une semaine et qui lui disait avoir une urgence à régler. Nguéma ne la connaissait pas avant ; d’ailleurs ils n’ont aucune relation particulière au bureau. Deux mois se sont écoulés, mais sa débitrice qui devait lui payer la somme dans la semaine du prêt fait la sourde oreille à se demande de remboursement. Pire, sa débitrice ne lui adresse même plus la parole. Nguéma veut saisir la justice. A-t-il des chances de recouvrer sa créance ? Cas 2 Pathé, un père de famille, a été victime d’une agression alors qu’il regagnait le parking où il gare sa voiture. Au cours de l’incident, la serviette qui contenait la quittance du paiement de son dernier mois de loyer d’un montant de 250.000 frs CFA a été emportée par le malfaiteur. Son bailleur, au courant de la situation, en profite pour l’arnaquer. Il le menace d’expulsion, arguant n’avoir rien reçu de son locataire. Traduit devant le juge par son bailleur qui lui 66 réclame paiement, Pathé se défend d’avoir déjà payé. Qui doit prouver ? Et comment doit-il prouver ? Cas 3 Pendant les fêtes de pâques, Ndoya a quitté, pour quelques jours, la magnifique résidence dont elle est propriétaire à Sendou pour visiter la capitale. Mais son séjour s'est très mal passé. En effet, le 31 mars au soir, devant des témoins éberlués, un homme en moto lui a roulé sur les pieds avant de finir sa course dans la vitrine d’un grand magasin. Tant bien que mal, Ndoya rentre à Sendou 5 jours plus tard et là, une autre mauvaise surprise l'attendait. Aurélie, qui avait loué pour une semaine sa résidence durant son absence, ne lui avait pas laissé la somme de 300 000 F correspondant au loyer. Ndoya a aussitôt appelé Aurélie. Cette dernière nie l’existence d’un quelconque contrat de location qui les lie et soutient que Ndoya avait seulement mis la résidence à sa disposition; Ndoya est furieuse. Aurélie est de mauvaise foi puisque dans une correspondance électronique du 15 février, elle affirmait être d’accord pour louer à 300 000 F la résidence pendant les fêtes de pâques. Ndoya veut savoir comment elle peut prouver l'accident d'une part, car elle envisage de demander des dommages intérêts au conducteur de la moto. D'autre part, elle veut savoir si elle a assez d'éléments de preuve pour espérer récupérer ses 300 000 F CFA. Bibliographie indicative - BUFFELAN-LANORE (Y.) et LARRIBAU-TEYNEYRE (V.), Droit civil 1re année, Sirey, 16è éd., 2009. CARBONNIER (J.), Droit civil, Introduction, PUF, coll. Thémis, 2è éd. 2002 CORNU (G.), Droit civil, Introduction au droit, Montchrestien, coll. « Précis Domat », 13è éd., 2007 MALAURIE (Ph.) et MORVAN (P.), Droit civil, Introduction générale, Défrénois, coll. « Droit civil », 3è éd., 2009. MAZEAUD (H., L. et J.) et CHABAS (F.), Leçons de droit civil : Introduction à l’étude du droit, Montchrestien, 12è ed., 2000. TERRE (F.), Introduction générale au droit, Dalloz, coll. « Précis », 8è éd., 2009. (n° 449-571) Documents annexes Doc. 1. Articles 9 à 38 du COCC (articles et commentaires disponibles à la salle de lecture de la FSJP) 67 CHAPITRE Il / LA PREUVE DES OBLIGATIONS SECTION PREMIERE / LA CHARGE DE LA PREUVE ARTICLE 9 / Droit commun Celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit en prouver l'existence. Celui qui se prétend libéré doit prouver que l'obligation est inexistante ou éteinte. ARTICLE 10 / Présomptions légales Celui qui établit les actes ou faits auxquels la loi a attaché une présomption bénéficie pour le surplus d'une dispense de preuve. En toute hypothèse, la bonne foi est présumée et c'est à celui qui allègue la mauvaise foi de la prouver. ARTICLE 11 / Preuve contraire aux présomptions légales La présomption légale supporte la preuve contraire qui peut être faite par tous moyens. Interdite dans les cas expressément prévus par la loi, la preuve contraire peut également être limitée dans son objet ou dans les moyens de preuve laissés à la disposition des parties. SECTION Il / LES MOYENS DE PREUVE ARTICLE 12 / Enumération Les seuls moyens de preuve retenus par la loi sont: - L'écrit ; - Le témoignage ; - La présomption du fait de l'homme ; - L'aveu judiciaire ; - Le serment. ARTICLE 13 / Liberté de preuve Tous ces moyens peuvent être utilisés pour la preuve des faits juridiques. La preuve est libre en matière commerciale pour les actes juridiques. Paragraphe Premier L'écrit ARTICLE 14 / Préconstitution de la preuve Il doit être passé acte devant notaire ou sous signatures privées de toute convention dont l'objet excède 20.000 francs. ARTICLE 15 / Impossibilité de préconstitution de la preuve La règle ci-dessus reçoit exception toutes les fois qu'il n'a pas été possible au créancier de se procurer ou de produire une preuve écrite de la convention. 68 ARTICLE 16 / Commencement de preuve écrit Les témoignages et présomptions sont également recevables, lorsqu'il existe un commencement de preuve par écrit. On appelle commencement de preuve par écrit tout écrit qui rend vraisemblable le fait allégué et qui émane de celui auquel on l'oppose, de son auteur ou de son représentant. Sont assimilées au commencement de preuve par écrit les déclarations faites au cours d'une comparution personnelle ordonnée par le juge. ARTICLE 17 / Acte authentique L'acte authentique est celui qui a été reçu par un officier public compétent instrumentant dans les formes requises par la loi. L'acte qui ne remplit pas ces conditions vaut comme acte sous seings privés s'il a été signé par les parties. ARTICLE 18 / Force probante L'acte authentique fait pleine foi à l'égard de tous et jusqu'à inscription de faux de ce que l'officier a fait ou constaté personnellement conformément à ses fonctions. Pour le surplus l'acte fait foi seulement jusqu'a preuve contraire. ARTICLE 19 / Acte sous seings privés L'acte sous seings privés est valable lorsqu'il est signé par les parties. ARTICLE 20 / Actes des illettrés La partie illettrée doit se faire assister de deux témoins lettrés qui certifient dans l'écrit son identité et sa présence: ils attestent en outre que la nature et les effets de l'acte lui ont été précisés. ARTICLE 21 / Formalité du double L'acte sous seings privés relatif à une convention synallagmatique doit être rédigé en autant d'originaux qu'il y a de parties ayant un intérêt distinct. Chaque original doit contenir la mention du nombre des originaux établis. ARTICLE 22 / Formalité du bon pour L'acte sous seings privés contenant un engagement unilatéral doit être rédigé en entier de la main de celui qui le souscrit. Dans le cas contraire, il faut que celui qui s'engage écrive de sa main, outre sa signature un bon pour ou un approuvé portant en toutes lettres le montant de son obligation dont il fait preuve. La présence des témoins certificateurs dispense les illettrés de l'accomplissement de la présente formalité. ARTICLE 23 / Force probante de l'acte sous seings privés L'acte sous seings privés reconnu par celui auquel on l'oppose, ou déclare sincère par le juge, fait foi de son contenu à l'égard de tous jusqu'à preuve contraire. ARTICLE 24 / Date certaine 69 L'acte sous seings privés fait foi de sa date entre les parties et leurs ayants cause à titre universel. A l'égard des tiers il acquiert date certaine du jour où il a été enregistré, du jour du décès d'une des parties ou du jour ou l'acte a été mentionné dans un acte dressé par un officier public. ARTICLE 25 / Désaveu et contestation Faute de désaveu, l'écriture ou la signature sont tenues pour reconnues. Les héritiers ou ayants cause peuvent se borner à déclarer qu'ils ne connaissent pas l'écriture ou la signature de leur auteur. ARTICLE 26 / Vérification d'écriture En cas de désaveu ou de non connaissance, la vérification d'écriture est ordonnée en justice suivant les dispositions du Code de procédure civile. ARTICLE 27 / Lettres missives La lettre missive fait foi des engagements qu'elle contient contre celui qui l'a signée. ARTICLE 28 / Copie et reproduction de titres La copie, photocopie ou toute autre reproduction d'actes authentiques, ou d'actes sous seings privés a la même force probante que l'acte lui-même lorsqu'elle est certifiée conforme par un officier public ou, dans les limites de leurs attributions, par le conservateur de la propriété foncière et le receveur de l'enregistrement. (Loi du 6 juillet 1989). La copie, photocopie ou toute autre reproduction d'actes sous-seings privés a également la même force probante que l'acte lui-même, lorsqu'elle est certifiée conforme par un officier de police judiciaire. Paragraphe II / Des témoignages et des présomptions du fait de l'homme ARTICLE 29 / Admissibilité La preuve par témoins ou par présomptions du fait de l'homme est admissible chaque fois que la préconstitution de la preuve n'est pas obligatoire. Elle n'est pas recevable contre et outre le contenue d'un acte écrit. ARTICLE 30 Force probante Les témoignages ou présomptions sont abandonnés à la prudence du magistrat qui en apprécie la gravité, la précision ou la concordance. ARTICLE 31 / Enregistrement de la parole Les modes de reproduction de la parole peuvent seulement être retenus comme présomptions du fait de l'homme. ARTICLE 32 / Aveu extrajudiciaire L'aveu extrajudiciaire vaut comme présomption du fait de l'homme. Paragraphe III / L'aveu judiciaire et le serment 70 ARTICLE 33 / Conditions et effets de l'aveu Recevable en toute matière, l'aveu judiciaire de la partie, ou de son fondé de pouvoir spécial, fait pleine foi contre celui dont il émane. L'aveu est indivisible. Il ne peut être révoqué sauf erreur de fait. ARTICLE 34 / Conditions de la prestation de serment Le serment peut être déféré en toute matière sur un fait personnel à la partie à laquelle on le défère. ARTICLE 35 / Effets La force probante du serment et sa forme résultent de la convention des parties passées devant le juge. Si la partie refuse une telle convention, son refus vaut aveu judiciaire, sauf à référer le serment à l'adversaire. Le refus de prêter le serment ainsi référé vaut aveu par l'adversaire de la fausseté du fait allégué. ARTICLE 36 / Aveu et serment des personnes morales Pour les personnes morales, l'aveu est fait et le serment prêté par les personnes physiques qui les représentent, statutairement. SECTION III / LES CONVENTIONS SUR LA PREUVE ARTICLE 37/ Conventions valables Les conventions sur la preuve sont valables dans la mesure où les parties règlent conventionnellement l'acquisition ou la perte d'un droit par la production d'un mode de preuve déterminé. ARTICLE 38 / Conventions nulles Sont nulles les conventions ayant pour objet de modifier la charge de la preuve telle qu'elle est répartie par la loi. Art. 179 / Preuve du paiement La preuve du paiement obéit, sauf dispositions contraires de la loi, aux règles du droit commun de la preuve Doc. 2. / Loi n° 2008-08 du 25 janvier 2008 sur les transactions électroniques, Recueil –Droit sénégalais dans la société de l’information, p. 63. (disponible à la salle de lecture de la FSJP) Art. 19, al.1 Lorsqu’un écrit est exigé pour la validité d’un acte juridique, il peut être établi et conservé sous forme électronique dans les conditions prévues aux articles 37 et 41 de la présente loi. Art. 24 al. 1Quiconque propose, à titre professionnel, par voie électronique, la fourniture de biens ou la prestation de services, met à la disposition de la clientèle les conditions contractuelles applicables d’une manière qui permette leur conservation et leur reproduction. Sans préjudice des conditions de validité mentionnées dans l’offre, son auteur reste engagé par elle tant qu’elle est accessible par voie électronique de son fait […] Art. 37 L’écrit sous forme électronique est admis en preuve au même titre que l’écrit sur support papier et a la même force probante que celui-ci, sous réserve que puisse être dûment identifié la personne dont il émane et qu’il soit établi et conservé dans des conditions de nature à en garantir l’intégrité. 71 La conservation des documents sous forme électronique doit se faire pendant une période de dix (10) ans et dans les conditions suivantes : […] Art. 41 La signature nécessaire à la perfection d’un acte juridique identifie celui qui l’appose. Elle manifeste le consentement des parties aux obligations qui découlent de cet acte. Quand elle est apposée par un officier public, elle confère l’authenticité à l’acte. Lorsqu’elle est électronique, elle consiste en l’usage d’un procédé fiable d’identification garantissant son lien avec l’acte auquel elle s’attache. La fiabilité de ce procédé est présumé, jusqu’à preuve contraire, lorsque la signature électronique est créée. L’acte authentique peut être dressé sur support électronique s’il est établi et conservé dans des conditions fixées par décret. Doc. 3. / Articles 1315 à 1369-11 C. civ. français (Disponibles à la salle de lecture de la FSJP) Art. 1315 Celui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré, doit justifier le payement ou le fait qui a produit l’extinction de son obligation. Art. 1316 (L. n° 2000-230 du 13 mars 2000) La preuve littérale, ou preuve par écrit, résulte d’une suite de lettres, de caractères, de chiffres ou de tous autres signes ou symboles dotés d’une signification intelligible, quels sue soient leur support et leurs modalités de transmission. Art. 1316-1. L’écrit sous forme électronique est admis en preuve au même titre que l’écrit sur support papier, sous réserve que puisse être dûment identifiée la personne dont il émane et qu’il soit établi et conservé dans des conditions de nature à e, garantir l’intégrité. Art. 1317 L’acte authentique est celui qui a été reçu par officiers publics ayant el droit d’instrumenter dans le lieu où l’acte a été rédigé, et avec les solennités requises. (L. n° 2000-230 du 13 mars 2000) « Il peut être dressé sur support électronique s’il est établi et conservé dans des conditions fixées par décret en Conseil d’Etat. » Art. 1322 L’acte sous seing privé, reconnu par celui auquel on l’oppose, ou légalement tenu pour reconnu, a, entre ceux qui l’ont souscrit et entre leurs héritiers et ayants cause, la même foi que l’acte authentique. Art. 1341 Il doit être passé acte devant notaires ou sous signatures privées de toutes choses excédant une somme ou une valeur fixée par décret, même pour dépôts volontaires, et il n’est reçu aucune preuve par témoins contre et outre le contenu aux actes, ni sur ce qui serait avoir été dit avant, lors ou depuis les actes, encore qu’il s’agisse d’une somme ou valeur moindre. Le tout sans préjudice de ce qui est prescrit dans les lois relatives au commerce. Art. 1352 La présomption légale dispense de toute preuve celui au profit duquel elle existe. Nulle preuve n’est admise contre la présomption de la loi, lorsque, sur le fondement de cette présomption, elle annule certains actes ou dénie l’action en justice, à moins qu’elle n’ait réservé la preuve contraire et sauf ce qui sera dit sur le serment et l’aveu judiciaires Art. 1353 Les présomptions qui ne sont point établies par la loi, sont abandonnées aux lumières et à la prudence du magistrat, qui ne doit admettre que des présomptions graves, précises et concordantes, et dans les cas seulement où la loi admet les preuves testimoniales, à moins que l’acte ne soit attaqué pour cause de fraude ou de dol. 72 Art. 1354 L’aveu qui est opposé à une partie, est ou extrajudiciaire ou judiciaire. Art. 1357 Le serment judiciaire est de deux espèces : 1° Celui qu’une partie défère à l’autre pour en faire dépendre le jugement de la cause : il est appelé décisoire. 2° Celui qui est déféré d’office par le juge à l’une ou à l’autre des parties. Art. 1369-1 (ord. N° 2005-674 du 16 juin 2005) la voie électronique peut être utilisée pour mettre à disposition des conditions contractuelles ou des informations sur des biens ou services. Doc. 4. / Extrait de Philippe Delebecque, Jean-Daniel Bretzner, Isabelle Gelbard-Le Dauphin / Droit de la preuve, juillet 2010 - octobre 2011 - Recueil Dalloz 2011 p. 2891 J.-D. B. II - Les principes probatoires propres aux droits personnels A - La preuve des actes juridiques 1 - En l'absence de fraude, la preuve, entre les parties, d'une simulation doit se faire par écrit En cas de fraude, la simulation se prouve par tous moyens, puisque la fraude fait échec à tous les principes (Civ. 1re, 17 déc. 2009, n° 08-13.276, D. 2010. 150 , et 2671, nos obs. ). Mais, en dehors de cette situation, les règles ordinaires retrouvent leur application et la simulation doit alors être prouvée par écrit, dès l'instant que l'acte ostensible est établi sous cette forme (V. Civ. 1re, 18 janv. 1989, n° 86-15.605, Bull. civ. I, n° 28 ; RTD civ. 1990. 79, obs. J. Mestre ; Civ. 3e, 3 mai 1978, Bull. civ. III, n° 186). Elle ne peut résulter, par ailleurs, du comportement de l'une des parties à l'acte ostensible. Voilà en substance ce que nous dit un arrêt de la troisième chambre civile de la Cour de cassation du 15 septembre 2010 (Civ. 3e, 15 sept. 2010, n° 09-68.656, Bull. civ. III, n° 160 ; AJDI 2011. 438 , obs. N. Damas ; RTD civ. 2010. 781, obs. B. Fages ). En l'espèce, l'ayant droit d'une partie à un bail emphytéotique, sans se prévaloir d'une quelconque fraude, avait agi en déclaration de simulation, afin d'obtenir l'annulation dudit bail. Le demandeur n'invoquait aucun écrit pouvant contredire l'acte apparent et s'était contenté de dire que son auteur - la bailleresse - avait laissé faire les choses et n'avait fait preuve d'aucune rigueur au cours de l'exécution du bail. Le bailleur, avait-il été prétendu, aurait fait montre de « faiblesse vis-à-vis du locataire en n'exigeant pas l'application stricte des termes du bail emphytéotique », ce qui signifiait que les parties étaient convenues à l'origine d'une simulation de bail emphytéotique pour cacher une autre opération. Pouvait-on se fonder sur le seul comportement d'une partie pour conclure à l'existence d'une simulation, alors qu'un acte ostensible - le bail emphytéotique - avait été conclu en bonne et due forme ? Aucun commencement de preuve par écrit n'accréditait la simulation. De même, aucune impossibilité morale d'établir un écrit n'était-elle alléguée. L'acte apparent écrit ne pouvait donc être remis en cause que par un autre écrit. A défaut, la preuve d'un simple fait - le comportement de l'une des parties à l'acte et plus précisément sa complaisance - n'avait-elle aucune efficacité juridique. 73 Ph. D. 2 - Impossibilité morale de pré-constituer un écrit en présence d'un usage agricole Comment prouver une vente d'aliments pour le bétail à l'égard d'un acheteur qui n'a pas la qualité de commerçant (une exploitation agricole à responsabilité limitée) ? Par écrit, si du moins la valeur de l'opération dépasse 1 500 € ou, encore, sur la base d'un commencement de preuve par écrit rendant admissible la preuve par d'autres moyens. Ce qui n'est pas le cas si le demandeur, le vendeur en l'espèce, se prévaut de documents (bons de livraison, bons de fabrication) émanant de lui-même ou de l'un de ses préposés. Ce qui est cependant le cas, si ces documents émanent d'un mandataire du demandeur, mandataire dont on peut présumer l'indépendance. Par commencement de preuve par écrit donc ou, en son absence, par tous moyens, dans la mesure où le demandeur peut établir une impossibilité morale de préconstituer un écrit. Or, précisément, en matière de vente agricole, l'usage est d'autoriser les parties à sceller verbalement leurs conventions (V., pour une vente d'engrais naturel, Civ. 1re, 28 févr. 1995, n° 93-15.448, RTD civ. 1996. 170, spéc. 174, obs. J. Mestre ; CCC 1995, n° 83, obs. L. Leveneur). La parole suffit. Le monde rural est encore respectueux de ses poignées de mains. C'est au demeurant ce bel usage qui est ici rappelé (Com. 22 mars 2011, n° 09-72.426, D. 2011. 1076, obs. X. Delpech, et 2687, chron. F. Arbellot ; RTD civ. 2011. 491, obs. P. Deumier ; Dr. rur. 2011. Comm. 81, obs. J.-J. Barbièri ; RDC 2011. 869, obs. Libchaber). Et l'arrêt d'approuver la cour d'appel qui avait estimé que des commandes d'aliments pour bétail pouvaient être faites par téléphone et ne pas être concrétisées par un écrit daté et signé par le client. Ph. D. 3 - Le défaut de forme de l'acte authentique enfermant une cession de parts n'emporte pas la nullité du contrat conclu, mais simplement sa réduction en acte sous seing privé Même s'il relève plus de la forme des actes juridiques que de leur preuve, l'arrêt de la première chambre civile du 28 septembre 2011 (Civ. 1re, 28 sept. 2011, n° 10-13.733, D. 2011. 2471) mérite d'être signalé dans ce panorama. Il met en cause un acte notarié dont la régularité passe, comme on le sait, par le respect scrupuleux des dispositions du décret du 26 novembre 1971. Le texte impose, entre autres exigences de forme, la signature du notaire, celle des parties et des éventuels représentants. En l'espèce, le débat s'est concentré sur l'absence de signature de l'une des parties (co-cédant des parts sociales d'une SCI faisant l'objet d'un contrat de cession). Cette carence constituait un défaut de forme au sens de l'article 1318 du code civil privant l'acte de toute authenticité. Pour autant, l'acte n'était pas privé de toute valeur instrumentaire et pouvait encore être considéré comme un acte sous seing privé. L'arrêt permet de rappeler que lorsqu'un acte authentique est requis à titre de validité, son irrégularité formelle entraîne la nullité de l'acte. Dans le cas inverse, l'irrégularité n'affecte 74 que sa force probante : celle-ci est réduite à celle d'un acte sous seing privé s'il a été signé (V. Civ. 1re, 21 févr. 2006, n° 04-17.318, Bull. civ. I, n° 85 ; D. 2006. 675 , et 2007. 1901, obs. T. Vasseur ; RTD civ. 2006. 767, obs. J. Mestre et B. Fages ). Cette réserve n'était pas en cause en l'espèce, car le co-cédant avait ultérieurement ratifié l'acte de cession, et c'est bien d'instrumentum irrégulier qu'il s'agissait. La solution de requalification en acte sous seing privé mérite donc d'être retenue, mais il serait intéressant d'en savoir plus sur la notion de « défaut de forme » visée par l'article 1318. Le défaut de signature du notaire luimême en fait-il partie ? N'est-ce pas un cas d'inexistence ? Qu'en est-il aussi de l'irrégularité des pouvoirs donnés à un clerc qui n'en est pas un ? Quid encore de l'annexion de ces pouvoirs à l'acte lui-même (cf. Décr. 26 nov. 1971, art. 21) ? Ces questions appelleraient, elles aussi, des réponses claires. Doc.5. / Extrait de Matthieu Buchberger, Le rôle de l'article 1315 du code civil en cas d'inexécution d'un contrat - Recueil Dalloz 2011 p. 465 L'essentiel L'apparente simplicité de l'article 1315 du code civil est trompeuse. Dès lors que l'on s'écarte de l'hypothèse expressément visée par ce texte, soit celle d'une action en exécution forcée, déterminer quelle est l'interprétation qui s'est imposée en jurisprudence ne relève pas de l'évidence. En particulier, il est difficile d'expliquer pourquoi l'inexécution, lorsqu'elle est invoquée pour résister à une action en exécution forcée, ou sert de fondement à une action en responsabilité ou en résolution, est parfois, mais parfois seulement, présumée. Une certaine cohérence peut cependant être révélée en recourant à une interprétation large de cette disposition et aux propositions doctrinales distinguant entre le défaut d'exécution et l'exécution défectueuse. 1 - L'actualité jurisprudentielle récente remet au goût du jour la question de la charge de la preuve en droit des contrats. En particulier, elle soulève la question du sens de la règle, a priori simple, posée à l'article 1315 du code civil. Selon le premier aliéna de ce texte, « celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver ». En écho, le second alinéa énonce que, « réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le payement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation ». Ce texte paraît illustrer à merveille la théorie classique qui voit avant tout dans la charge de la preuve un « jeu de pendule » (1). Quoiqu'elle soit aujourd'hui complétée par une analyse en termes de « risque de la preuve » (2), cette présentation quelque peu théorique demeure d'actualité. La doctrine est unanime pour considérer que le domaine de l'article 1315 du code civil dépasse largement le droit des contrats, son champ naturel d'application. Cependant, nul besoin de s'engager dans les autres domaines du droit pour déceler un certain nombre de problèmes auxquels doctrine et jurisprudence sont à ce jour encore confrontées. En effet, en droit des contrats, des solutions ou des opinions difficilement conciliables voient le jour, ce qui suggère la persistance de certaines difficultés. 2 - Ces difficultés sont de deux ordres. La première concerne l'alinéa 1er de l'article 1315 du 75 code civil et, plus précisément, la question de la preuve de l'existence de l'obligation. En effet, selon cet alinéa, celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit en prouver l'existence. Or, les solutions rendues par les juges du fond révèlent qu'il n'est pas toujours aisé de savoir comment celui qui agit peut se conformer à cette exigence. Ainsi, un arrêt de la cour d'appel de Paris rendu à propos d'un prêt consenti par un particulier a récemment été cassé par la Cour de cassation car les juges du fond n'avaient pas pris en compte l'existence d'une reconnaissance de dette (3). Pourtant, cette dernière suffit à prouver l'existence du prêt et celle de la remise des fonds, peu important, selon la Cour de cassation, que la reconnaissance de dette ne précise pas quelle en était la cause. Toujours en matière de prêt, la Cour de cassation avait d'ailleurs déjà dû casser un arrêt de la cour d'appel de Versailles, laquelle avait considéré que la preuve de la remise des fonds par un particulier suffisait à démontrer l'existence de ce prêt. Cette cassation ne peut qu'être approuvée puisque, comme le rappelle la haute juridiction, « la preuve de la remise des fonds à une personne ne suffit pas à justifier l'obligation pour celle-ci de les restituer » (4). En effet, la remise des fonds pourrait révéler, non pas un prêt, mais une donation. Au final, ces solutions relatives à la preuve de l'existence de l'obligation paraissent, sinon appliquées sans difficultés par les juges du fond, du moins tout à fait compréhensibles et justifiables. 3 - La seconde difficulté soulevée par l'application de l'article 1315 du code civil s'avère plus délicate. Elle concerne la charge de la preuve quant à l'exécution d'une obligation, ce dont traite directement cette disposition : est-ce à celui qui allègue l'inexécution de la démontrer, ou est-ce au débiteur de cette obligation d'en prouver l'exécution (5) ? Si l'on s'en tient à une analyse littérale de l'article 1315, c'est-à-dire à l'hypothèse d'une demande en exécution forcée d'une obligation, la solution reste simple. En effet, la combinaison des deux alinéas de cet article indique que, s'il revient à celui qui réclame l'exécution d'une obligation d'en démontrer l'existence (al. 1er), c'est en revanche à celui qui se prétend libéré de démontrer qu'il s'est exécuté ou qu'il n'avait pas à le faire (al. 2) (6). Autrement dit, celui qui agit n'a à démontrer que l'existence de l'obligation, et non l'inexécution ; et c'est au débiteur de prouver, pour se défendre, qu'il a exécuté son obligation. En quelque sorte, la démonstration par le créancier de l'existence de l'obligation fait présumer l'inexécution, et c'est alors au débiteur de combattre cette présomption en rapportant la preuve de l'exécution. Par conséquent, si l'on se cantonne à l'hypothèse directement envisagée par l'article 1315, soit lorsque l'exécution forcée est demandée en raison d'une inexécution, le problème de la charge de la preuve de l'exécution ou de l'inexécution se résout sans grande difficulté. Pourtant, nombreuses sont les circonstances, autres qu'une demande en exécution forcée, où une inexécution peut être alléguée. Quid en particulier lorsque l'inexécution est employée comme moyen de défense pour résister à la demande d'un créancier ? Quid également lorsqu'elle est invoquée, non pour fonder une demande en exécution forcée, mais pour engager la responsabilité du cocontractant ou obtenir la résolution du contrat ? L'article 1315 a-t-il vocation à régir de telles situations ? Peut-on généraliser le raisonnement exposé précédemment, selon lequel le créancier n'aurait qu'à prouver l'existence de l'obligation, le débiteur devant démontrer qu'il s'est exécuté ou qu'il n'avait pas à le faire? Il est fort probable que les rédacteurs du code civil n'envisageaient pas ces autres situations 76 lorsqu'ils ont rédigé l'article 1315. De fait, les discours et discussions qui ont précédé l'adoption de cette disposition révèlent que cette dernière n'était conçue que comme l'expression d'une évidence (7), ce qui laisse penser qu'aucune portée ne lui était donnée en dehors de son domaine littéral d'application. Mais n'est-il pas justifié de raisonner de façon similaire dans ces différentes hypothèses ? Demander l'exécution forcée, la résolution du contrat, chercher à engager la responsabilité du cocontractant ou à lui opposer l'exception d'inexécution ne revient-il pas finalement au même : sanctionner ce dernier, coupable d'une inexécution contractuelle ? Et ne serait-il donc pas justifié de transposer à ces différentes situations les règles que le code civil ne semble édicter qu'à propos d'une demande d'exécution forcée. On peut le penser, et ce d'autant plus que le code civil n'établit aucune hiérarchie entre les sanctions possibles de l'inexécution (8), ce qui rend peu compréhensible l'édiction d'une règle de preuve favorable au débiteur dans la seule hypothèse d'une demande en exécution forcée. Cette idée d'uniformiser le régime de la preuve en cas d'inexécution n'est pas étrangère à la Cour de cassation, qui se réfère à l'article 1315 dans toutes les hypothèses où l'inexécution d'une obligation est alléguée. Cependant, cette œuvre d'uniformisation est loin d'être parfaite, les solutions jurisprudentielles demeurant encore très hétérogènes. Ainsi, l'application des règles relatives à la charge de la preuve en dehors de leur domaine littérale d'application n'est parfois pas sans surprendre, car il n'est pas toujours évident de comprendre quelle lecture de ce texte a fondé la solution retenue, en particulier lorsque cette dernière heurte le sens littéral de cette disposition, pourtant expressément visée. L'objectif de cet article est donc de tenter d'apporter quelques clarifications quant au rôle de l'article 1315 en cas d'inexécution. A cette fin, il importe d'exposer les différentes interprétations dont l'article 1315 du code civil est susceptible de faire l'objet (I), avant de les confronter aux solutions retenues par la jurisprudence (II). Il sera alors possible de dresser un bilan quant au rôle de l'article 1315 du code civil en cas d'inexécution du contrat (III) I - Les interprétations possibles de l'article 1315 4 - La première interprétation de l'article 1315 , déjà évoquée, est littérale : ce dernier aurait vocation à ne s'appliquer que dans le cas où une partie réclame l'exécution d'une obligation. Dans une telle hypothèse, il revient au créancier de prouver l'existence de l'obligation, ce qui fait présumer l'inexécution. Quant au débiteur, il doit, pour s'opposer à une telle demande en exécution forcée, démontrer soit l'exécution de son engagement, soit le fait qui a produit l'extinction de cette obligation. Dès lors qu'aucune exécution de l'obligation n'est réclamée, l'article 1315 n'aurait aucun rôle à jouer. En conséquence, l'action en résolution échapperait au domaine de l'article 1315 car, dans une telle hypothèse, ce n'est pas l'exécution de l'obligation souscrite par le débiteur qui est réclamée, mais la remise en cause du lien contractuel. On appliquerait alors l'article 9 du code de procédure civile en vertu duquel « il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention ». Le créancier ne 77 pourrait donc pas se contenter d'alléguer l'inexécution. Il devrait prouver l'inexécution, cette dernière étant l'un des « faits nécessaires » à l'obtention de la résolution. S'agissant des actions en responsabilité contractuelle, on pourrait croire que l'article 1315 n'a pas à s'appliquer puisque, à s'en tenir à une analyse classique, ce n'est pas l'exécution forcée qui est demandée. Une telle impression devrait cependant être écartée si l'on adoptait la théorie qui assimile l'action en responsabilité à une action en exécution forcée (9). L'hypothèse serait alors directement celle que vise l'article 1315, et la présomption d'inexécution qu'il édicte devrait alors s'appliquer. Mais il est vrai que cette théorie, contestée par de nombreux auteurs, ne semble pas s'être imposée en droit positif (10). A s'en tenir à la conception classique de la responsabilité contractuelle, devrait-on pour autant en conclure qu'elle échappe au domaine de l'article 1315 ? Rien n'est moins sûr, puisque l'on peut considérer que le créancier agissant en responsabilité cherche à démontrer l'existence d'une obligation de réparation dont il demande l'exécution (11). Il faut cependant préciser que seule l'obligation en réparation est alors concernée par cette disposition, et que l'inexécution de l'obligation initialement souscrite n'est donc pas présumée. Au contraire, démontrer l'inexécution de cette obligation est ce qui permet de prouver l'existence de l'obligation de réparation. Quant à l'exception d'inexécution, la solution est incertaine. Si l'on considère que celui qui oppose l'exception d'inexécution ne le fait pas dans le but premier de ne pas respecter ses engagements, mais dans l'espoir de forcer son cocontractant à s'exécuter, on peut penser qu'il s'agit d'un moyen de réclamer l'exécution d'une obligation. Dans ce cas, celui qui oppose une telle exception n'aurait, selon l'article 1315, alinéa 1er, qu'à prouver l'existence de l'obligation dont il allègue l'inexécution. A l'inverse, si l'on insiste d'avantage sur le fait que l'exception d'inexécution est un moyen de défense opposé à une demande en exécution, une interprétation littérale de l'article 1315 conduirait à écarter cette disposition. En effet, le second alinéa de cet article ne vise comme moyen de défense que la preuve du payement ou d'une cause d'extinction de l'obligation. Or, l'exception d'inexécution n'est ni un payement, ni une cause d'extinction de l'obligation, du moins si l'on s'en tient à la liste dressée à l'article 1234 du code civil. Pour que l'article 1315, alinéa 2, s'applique à l'exception d'inexécution vue comme un moyen de défense, il faut dépasser une interprétation littérale de cette disposition, ce qui renvoie à la deuxième analyse dont cet article peut faire l'objet. 5 - La deuxième analyse de l'article 1315 repose sur une interprétation que l'on pourrait qualifier de téléologique. Ce qui importe est le mouvement de balancier entre une demande et la réplique à cette demande, mouvement que suggère l'adverbe « réciproquement » figurant en tête du second alinéa de l'article 1315. Le demandeur doit prouver ce qu'il allègue ; le défendeur doit prouver ce qu'il oppose à cette demande, ce qui n'est que reprendre la règle actori incombit probatio, reus in excipiendo fit actor, elle-même consacrée à l'article 9 du code de procédure civile (12). Suivant cette deuxième interprétation, les actions en résolution et en responsabilité tombent dans le champ d'application de l'article 1315 du code civil. En vertu de l'article 1315, alinéa 1er, que le demandeur invoque l'une ou l'autre de ces actions, il doit prouver ce qui permet de les mettre en oeuvre. Et le moins qu'il ait à démontrer est l'inexécution de ses obligations 78 par son débiteur. L'inexécution n'est donc pas présumée. Concernant l'exception d'inexécution, elle peut être vue comme une application de l'article 1315, alinéa 2, si l'on retient cette deuxième interprétation, et si l'on considère que l'exception d'inexécution est davantage un moyen de défense qu'une manière de réclamer l'exécution d'une obligation. Il reviendra alors à celui qui allègue ce moyen de défense de le démontrer, ce qui suppose la preuve de l'inexécution. 6 - Mais à retenir une interprétation de l'article 1315 détachée de sa lettre, on pourrait être conduit à privilégier une troisième analyse qui conférerait une portée bien plus large à la présomption d'inexécution qu'il édicte. Cette analyse, à mi-chemin entre une interprétation littérale et une interprétation téléologique, consisterait à dire qu'en toute hypothèse (ce qui conduit à dépasser le domaine d'application de l'article 1315 tel qu'il résulte de sa lettre) un créancier n'a à démontrer que l'existence de l'obligation, laquelle ferait présumer l'inexécution (ce qui correspond à une interprétation littérale de cette disposition). Ce serait ensuite au débiteur de démontrer qu'il a exécuté cette obligation, ou qu'il n'avait pas à le faire. De la sorte, la présomption d'inexécution ne se cantonnerait plus à l'hypothèse d'une demande en exécution forcée, mais serait appliquée dans tous les cas où l'inexécution est alléguée par le créancier. Une telle interprétation semble retenue par certains auteurs qui généralisent la présomption d'inexécution en se fondant soit sur le premier alinéa de l'article 1315 du code civil (13), soit sur le second (14). A suivre cette troisième interprétation, le créancier qui agit en résolution ou en responsabilité contractuelle n'aurait qu'à alléguer l'inexécution, et non à la démontrer, dès lors qu'il aurait rapporté la preuve de l'existence de l'obligation. De même, le débiteur qui oppose une exception d'inexécution n'aurait pas à prouver l'inexécution : il reviendrait à son créancier de démontrer qu'il a bien exécuté sa propre obligation avant de pouvoir exiger celle de son débiteur. 7 - De ce qui précède, il résulte que l'article 1315 du code civil est susceptible de donner lieu à trois interprétations. La première est littérale et conduit à appliquer l'article 1315 aux actions en exécution forcée et en responsabilité contractuelle, ainsi qu'à l'exception d'inexécution si on y voit davantage un moyen de réclamer l'exécution d'une obligation qu'un moyen de défense. Alors que, s'agissant d'une action en responsabilité contractuelle, il reviendrait au créancier de démontrer l'inexécution, il n'aurait qu'à rapporter la preuve de l'existence de la créance s'il réclamait l'exécution forcée ou opposait l'exception d'inexécution. La deuxième interprétation, téléologique, fait de cette disposition une réplique de l'article 9 du code de procédure civile. Elle conduit à imposer au créancier qui agit en responsabilité contractuelle et en résolution, ainsi qu'à celui qui oppose l'exception d'inexécution, analysée en un moyen de défense, de démontrer l'inexécution. Quant à la troisième interprétation, elle a pour conséquence d'édicter une présomption générale d'inexécution, applicable quelles que soient les circonstances dans lesquelles l'inexécution est invoquée. Il reste alors à confronter ces différentes interprétations aux solutions de la jurisprudence, afin de savoir si l'une d'elles s'est imposée en droit positif. 79 II - L'application jurisprudentielle de l'article 1315 8 - Afin de clarifier les développements qui suivent, il sera distingué selon que l'inexécution est invoquée comme moyen de défense, par le biais de l'exception d'inexécution (A), ou à titre principal, au service d'une action en responsabilité ou en résolution (B). A - L'exception d'inexécution 9 - Un grand nombre d'arrêts fait peser sur le débiteur qui oppose l'exception d'inexécution la charge de prouver cette inexécution. Ainsi, dans un arrêt du 18 décembre 1990, rendu au visa de l'article 1315, alinéa 2, du code civil, la Cour de cassation affirme qu'il appartient à la partie qui se prévaut de l'exception d'inexécution en alléguant l'inexécution partielle par le débiteur de son obligation de moyens d'établir cette inexécution (15). Ce n'était que confirmer plusieurs décisions antérieures, lesquelles concernaient également une exécution défectueuse invoquée par le débiteur pour échapper à ses obligations (16). De tels arrêts paraissent adopter l'interprétation téléologique (la deuxième interprétation exposée) de l'article 1315 , laquelle conduit à considérer que l'alinéa 2 vise tout moyen de défense opposé à la demande du créancier, et non uniquement ceux qu'il énumère expressément (17), et qu'il revient au débiteur qui oppose cette exception de prouver l'inexécution. Cette solution est jugée évidente, car l'inverse conduirait à imposer à tout créancier la démonstration de l'exécution de sa propre prestation avant de pouvoir exiger celle de son débiteur (18). Pire, prôner une solution contraire conduirait à présumer l'inexécution (19). 10 - Pourtant, dans d'autres arrêts, la Cour de cassation a semblé obliger le créancier à démontrer qu'il avait exécuté sa propre obligation avant de pouvoir exiger l'exécution de celle de son débiteur. Tel est le cas d'un arrêt rendu le 23 octobre 1990 par la chambre commerciale de la Cour de cassation (20). Un débiteur avait refusé de payer l'intégralité du prix, arguant qu'une partie seulement de la marchandise promise avait été reçue. Pour la cour d'appel, le débiteur devait prouver cette allégation. Son arrêt est cassé, au visa de l'article 1315, au motif qu'il appartient à celui qui réclame l'exécution d'une obligation de la prouver. Comme le remarquent certains auteurs, il est difficile de concilier cette solution avec celles retenues en cas d'exception d'inexécution (21). En effet, invoquer l'exception d'inexécution, c'est alléguer le non-respect par le créancier de ses engagements pour ne pas avoir à exécuter sa propre prestation tant que ce dernier ne le fait pas lui-même. Or, dans l'arrêt du 23 octobre 1990, c'est précisément le raisonnement que tenait le débiteur, lequel prétendait n'avoir pas reçu l'intégralité de sa commande. La référence à l'article 1315 et à l'obligation pour celui qui réclame l'exécution d'une obligation de la prouver, ce qui paraît renvoyer à l'alinéa 1er de cet article, semble indiquer que, pour la Cour de cassation, celui qui oppose l'exception d'inexécution pour ne pas avoir à exécuter sa propre obligation doit être assimilé à celui qui réclame l'exécution de l'obligation. C'est, semble-il, considérer que celui qui oppose une telle exception réclame l'exécution de l'obligation. La solution de la Cour de cassation peut donc découler d'une interprétation littérale de l'article 1315 , première interprétation à avoir été exposée. 80 Très récemment, la haute juridiction a paru réaffirmer cette solution, considérant que « si le prêt consenti par un professionnel du crédit est un contrat consensuel, il appartient au prêteur qui sollicite l'exécution de l'obligation de restitution de l'emprunteur d'apporter la preuve de l'exécution préalable de son obligation de remise des fonds » (22). Une interprétation littérale de cet attendu peut conduire à penser que la Cour de cassation réaffirme l'idée selon laquelle la démonstration par le créancier de l'exécution de son obligation est un préalable à la possibilité d'agir contre son débiteur. Le fondement de ce raisonnement est moins évident que dans l'arrêt précédent puisqu'il n'est pas fait référence à la « réclamation de l'exécution d'une obligation ». On ne sait pas s'il s'agit d'une interprétation littérale de l'article 1315 du code civil ou d'une interprétation généralisant la présomption d'inexécution qu'il contient (23). Mais, quoi qu'il en soit, cet arrêt permet également à celui qui invoque l'exception d'inexécution de se contenter de démontrer l'existence de l'obligation, sans avoir à démontrer l'inexécution. Il s'oppose ainsi aux arrêts évoqués précédemment qui lui imposent au contraire de prouver cette inexécution. Les arrêts concernant l'exception d'inexécution révèlent par conséquent que l' interprétation téléologique de l'article 1315 du code civil ne prévaut pas en toute hypothèse, certaines solutions paraissant appliquer la présomption d'inexécution qu'il recèle. Ces exceptions se retrouvent s'agissant des actions en résolution et en responsabilité contractuelle. B - Les actions en résolution et en responsabilité contractuelle 11 - Concernant l'action en résolution, la jurisprudence semble en principe s'en tenir à l' interprétation téléologique de l'article 1315 , écartant ainsi la présomption d'inexécution qu'il énonce. L'inexécution doit être prouvée par le créancier, demandeur à l'action en résolution (24). La doctrine approuve une telle solution, remarquant qu'il ne s'agit pas d'une demande en exécution, mais en résolution (25). C'est appliquer la règle actori incumbit probatio, et donc l'article 1315, alinéa 1er, entendu de façon particulièrement large (26). Mais, comme pour l'exception d'inexécution, on dénombre quelques arrêts dissidents qui, sans le dire expressément, paraissent adopter l'interprétation généralisant la présomption d'inexécution de l'article 1315 puisqu'ils exigent du débiteur contre lequel le créancier agit en résolution qu'il démontre l'exécution de son obligation (27). 12 - S'agissant de la responsabilité contractuelle, la jurisprudence écarte généralement la présomption d'inexécution qu'édicte l'article 1315. En effet, c'est en principe à celui qui invoque la responsabilité contractuelle de rapporter la preuve de l'inexécution. Plus encore, parce qu'il est question de responsabilité civile, le créancier doit en outre démontrer que cette inexécution lui a causé un préjudice (28). On remarquera que les arrêts rendus en matière de responsabilité contractuelle le sont au visa de l'article 1315 du code civil (outre le visa des art. 1137 et 1147 c. civ.) (29). Un tel visa peut se comprendre, soit que l'on considère que le créancier cherche à démontrer l'existence d'une obligation de réparation, soit que l'on estime plus simplement qu'étant le demandeur, il doit démontrer les éléments 81 qui lui permettent de mettre en jeu la responsabilité de son débiteur. Ainsi, le visa de l'article 1315 se comprend que l'on adopte l'une ou l'autre des deux premières interprétations dont il peut faire l'objet. Il est cependant un domaine de la responsabilité contractuelle, celui des obligations d'information qui pèsent sur certains professionnels, où les juges paraissent favorables à la troisième interprétation de l'article 1315 et par conséquent à la généralisation de la présomption d'inexécution qu'il édicte. En effet, se fondant sur cette disposition, la jurisprudence fait peser sur le débiteur poursuivi la charge de démontrer qu'il a exécuté l'obligation d'information à laquelle il est tenu (30). Par ailleurs, même en dehors du cas particulier des obligations d'information, un arrêt du 18 janvier 1989 a, en matière de mandat, imposé au mandataire de prouver qu'il avait exécuté son obligation, du moins lorsque c'est une absence totale d'exécution qui est alléguée par le créancier (31). Là encore, la présomption d'inexécution de l'article 1315 semble être appliquée en dehors de son domaine originel. Ces différentes solutions jurisprudentielles exposées, un bilan peut être dressé quant au rôle de l'article 1315 en cas d'inexécution. III - Bilan quant au rôle de l'article 1315 en cas d'inexécution 13 - Les solutions jurisprudentielles révèlent que les interprétations de l'article 1315 varient selon les hypothèses où l'inexécution est alléguée, qu'il s'agisse d'exception d'inexécution, d'action en résolution, ou d'action en responsabilité contractuelle. Ce texte ne semble donc pas employé comme un moyen rigoureux d'organiser la charge de la preuve de l'inexécution d'un contrat. Il est d'avantage un instrument servant à parer les solutions de la Cour de cassation d'une apparence de rigueur, l'interprétation sollicitée étant étroitement liée au résultat souhaité. Comme cela a déjà été exposé, les véritables fondements sont ailleurs : vraisemblance, aptitude de chacune des parties à la preuve, position de faiblesse de l'une des parties, prise en compte de la difficulté de prouver une abstention, équité... (32). En somme, en cherchant la cohérence d'un système à travers une lecture unitaire de ce texte, on découvre le caractère artificiel du raisonnement fondé sur ce dernier. 14 - Ce constat peut inquiéter car ce que l'on gagne en souplesse se perd en prévisibilité. Aussi, serait-il tentant de suggérer un retour à un système plus rigoureux, fondé sur une interprétation littérale de l'article 1315 , laquelle conduit à ne présumer l'inexécution que dans le cadre d'une action en exécution forcée. Mais un tel système ne serait pas sans inconvénients. D'une part, s'agissant de l'exception d'inexécution, il serait difficile de savoir si celui qui s'en prévaut bénéficie de la présomption. En effet, cette présomption ne pourrait s'appliquer que s'il était possible d'assimiler l'exception d'inexécution à une action en exécution forcée. Or, l'exception d'inexécution peut tout autant être vue comme un moyen d'obtenir l'exécution d'une obligation que comme une façon de résister à une demande en exécution. D'autre part, l'exception d'inexécution mise à part, ce retour à la lettre du texte conduirait à ne présumer l'inexécution que dans le cas d'une action en exécution forcée, alors que l'on ne voit pas ce qui justifie de cantonner cette solution à cette seule hypothèse. 82 Pourquoi devrait-on présumer l'inexécution lorsque est demandée l'exécution forcée, et non lorsque le créancier agit en responsabilité, alors que cette dernière action peut conduire à une réparation en nature, très proche, voire assimilable, à une exécution en nature (33) ? De même, serait-il vraiment justifié de ne pas présumer l'inexécution lorsque le créancier agit en résolution puisqu'il s'agit également de sanctionner l'inexécution de ses obligations par le débiteur, et que l'article 1184, alinéa 2, du code civil semble la présenter comme une alternative à l'exécution forcée (34) ? Il ne le semble pas. Dès lors, en ce qu'elle échoue à fournir un régime unitaire de la preuve de l'inexécution, l'interprétation littérale paraît devoir être écartée. 15 - La deuxième interprétation - l'interprétation téléologique - n'échappe pas à ce grief. Seule la troisième interprétation, qui fait présumer l'inexécution quelle que soit l'action en cause, offre un régime unitaire. Mais cette dernière interprétation doit-elle prévaloir ? Elle peut a priori sembler excessive car elle heurte frontalement un grand nombre de solutions jurisprudentielles : ce n'est que rarement que l'inexécution est réellement présumée. Il est néanmoins possible de nuancer les conséquences de cette interprétation en s'appuyant sur certaines contributions doctrinales visant à redonner une cohérence aux solutions jurisprudentielles. Il a ainsi été proposé de distinguer selon qu'était invoquée une exécution défectueuse ou une absence d'exécution (35). Selon certains auteurs, l'article 1315 ne viserait que l'absence totale d'exécution, et la présomption d'inexécution qu'il pose ne fonctionnerait que dans ce dernier cas (36). On ne cachera pas que cette théorie présente des inconvénients. Son fondement est incertain : l'article 1315 peut tout autant viser le défaut d'exécution que l'exécution défectueuse. Il ne sera en outre pas toujours évident de distinguer ces deux hypothèses (37). Enfin, cette distinction n'est pas appliquée systématiquement en jurisprudence. Ainsi, à propos de l'exception d'inexécution, la Cour de cassation considère que le créancier à qui est opposée une livraison partielle doit prouver qu'il a exécuté intégralement son obligation (38). A appliquer le critère proposé, cela signifierait qu'une livraison partielle est une absence totale d'exécution, ce dont on peut douter. Pourtant, malgré ces défauts, un tel système semble devoir être préconisé. La première raison est que la distinction sur laquelle il repose n'est pas sans recevoir un certain écho en jurisprudence. La Cour de cassation y a parfois recours expressément, tant en ce qui concerne l'exception d'inexécution (39) que l'action en responsabilité (40). De plus, cette distinction confère une certaine cohérence à des solutions de prime abord difficilement conciliables (41). Par ailleurs, ce système présente le mérite de généraliser la présomption d'inexécution à toutes les hypothèses où l'inexécution est alléguée, soumettant ainsi à des règles identiques des situations qui ne méritent pas d'être distinguées, du moins quant à leur régime probatoire. Ce système est également opportun en ce que, tout en généralisant la présomption d'inexécution, il la cantonne à l'hypothèse où est alléguée une absence totale d'exécution. De fait, qui mieux que le débiteur est à même de démontrer qu'il n'y a pas absence totale d'exécution ? Et, à l'inverse, si cette exécution est jugée insatisfaisante par le créancier, qui mieux que lui peut démontrer en quoi consiste l'exécution défectueuse ? Par conséquent, lorsqu'un créancier agit en responsabilité contractuelle, il ne devrait pas 83 avoir à prouver l'inexécution dès lors qu'il allègue une inexécution totale, et ce qu'il s'agisse d'une obligation de moyens ou de résultat (42). La même distinction s'impose en cas d'action en exécution forcée ou en résolution, voire encore lorsque est opposée l'exception d'inexécution (43). Certes, une telle construction doctrinale malmène l'article 1315, puisqu'elle suppose à la fois de se détacher de sa lettre et de s'y conformer strictement. Cela ne doit pas surprendre outre mesure : l'évolution de la jurisprudence révèle en effet que ce texte ne fait depuis longtemps plus l'objet d'une interprétation uniforme et cohérente, ce qui soulève d'ailleurs la question de son opportunité, du moins en l'état actuel de sa rédaction (44). (suite V. document à la salle de lecture et sur le site de la FSJP). Doc. 6. / Source : Civ. 1re, 16 sept. 2010, n° 09-13.947 / Consécration du principe de la liberté de la preuve du paiement / La preuve du paiement, qui est un fait, peut être rapportée par tous moyens. www.dalloz-actu-etudiant.fr Un homme a consenti à une femme un prêt d’argent. Se fondant sur une reconnaissance de dette, le prêteur assigna l’emprunteur en paiement de la somme ainsi prêtée. La femme ne versant comme preuve de la libération de sa dette que des attestations (attestations sur l’honneur et relevé de sa banque) et non une quittance, les juges du fond ont accueilli la demande du prêteur, subordonnant ainsi la preuve de l’exécution du paiement à un écrit. Tout en confirmant sa jurisprudence constante depuis 2004 (Civ. 1re, 6 juill. 2004 ; Civ. 1re, 30 avr. 2009), la première chambre civile casse cette analyse au visa de l’article 1341 du Code civil avec toujours le même attendu de principe : « la preuve du paiement, qui est un fait, peut être rapportée par tous moyens ». La Cour rappelle ainsi la nature juridique du paiement : un fait (et non un acte V. à ce propos la jurisprudence antérieure de la Cour avant le revirement de 2004 : Civ. 1re, 19 mars 2002) dont la preuve peut être rapportée par tous moyens, notamment comme en l’espèce grâce à une attestation sur l’honneur de l’employé de banque à qui l’emprunteuse avait confié la destination des fonds ainsi tirés. Cette solution s’inscrit dans l’esprit de clarification retenu par l’avant-projet de réforme du droit des obligations (projet Catala). En effet, les futurs articles 1219 et 1231 du Code civil disposeraient respectivement que : « Le paiement est l’exécution de la prestation due » et qu’il « (…) se prouve par tous moyens ». Cette définition générique du paiement et la consécration du principe de la preuve par tous moyens mettraient ainsi fin au débat doctrinal sur la détermination de la nature juridique du paiement qui était un préalable obligatoire à la désignation des modes de preuve exigés dans ce domaine. Civ. 1re, 16 sept. 2010, n°09-13.947 ■ Reconnaissance de dette : « Acte par lequel une personne reconnaît unilatéralement devoir une certaine somme ou un bien fongible à une autre personne; sa validité est subordonnée à la mention, écrite par lui-même, de la somme ou de la quantité en toutes lettres et en chiffres. » - Lexique des termes juridiques 2011, 18e éd., Dalloz, 2010. ■ Article 1341 du Code civil « Il doit être passé acte devant notaires ou sous signatures privées de toutes choses excédant une somme ou une valeur fixée par décret, même pour dépôts volontaires, et il n'est reçu aucune preuve par témoins contre et outre le contenu aux actes, ni sur ce qui serait allégué avoir été dit avant, lors ou depuis les actes, encore qu'il s'agisse d'une somme ou valeur moindre. Le tout sans préjudice de ce qui est prescrit dans les lois relatives au commerce. » 84 ■ Civ. 1re, 19 mars 2002, n°98-23.083, Bull. civ. I, n°101. ■ Civ. 1re, 6 juill. 2004, n°01-14.618, Bull. civ. I, n°202. ■ Civ. 1re, 30 avr. 2009, n°08-13.705. ■ Avant-projet Catata Article 1219 « Le paiement est l’exécution de la prestation due. » Article 1231 « Le paiement se prouve par tous moyens ». Doc. 7. / www.cdcm-montpellier.fr / Isabelle ALVAREZ (centre du droit de la consommation – Montpellier 1) Février 2010 ou l’impossibilité morale de prouver par écrit dans tous ses états Civ. 1ère, 11 février 2010, n°09-11.527 - Civ. 1ère, 11 février 2010, n°09-12.372 - Civ. 1ère, 25 février 2010, n°09-10.428 Le principe selon lequel un acte juridique doit être prouvé par écrit (C. civ., art. 1341) connait de nombreuses exceptions, notamment lorsque se présentent des circonstances empêchant d’établir une preuve littérale : c’est classiquement le contrat conclu sur un champ de bataille, le contrat conclu en famille, etc. L’article 1348 du Code civil identifie plus précisément l’hypothèse de l’impossibilité morale d’établir une preuve littérale. Le Code civil n’apportant aucune définition de cette notion, il appartient à la jurisprudence de l’illustrer. Les usages (voir notamment : Civ. 1ère, 15 avril 1980 – en matière d’usage professionnel en agriculture : Civ. 1ère, 17 mars 1982 ; TGI Saintes, 2 juillet 1991 ; CA Poitiers, 25 novembre 1992 – en matière de vente de fumier : Civ. 1ère, 28 février 1995), les rapports de confiance (dans le cadre de la relation d’un avocat avec son client : Civ. 1ère, 9 mai 1996) ou encore les liens de parenté ou d’affection (voir notamment : Civ. 1ère, 10 octobre 1984 - Civ. 3e, 7 janvier 1981 - Civ. 1ère, 06 décembre 1972 - CA Grenoble, 12 avril 1967 - Civ. 1ère, 16 décembre 1997 - Civ. 1ère, 27 juin 1973) ont déjà fait l’objet de toute l’attention de la Cour de cassation. Le mois de février 2010 continue de s’inscrire dans cette lignée. L’impossibilité morale, d’interprétation stricte en raison de son caractère dérogatoire, dépend de l’appréciation souveraine des juges du fond. La Cour de cassation a récemment réaffirmé cela en rejetant un pourvoi ne tendant « qu’à contester cette appréciation souveraine » (Civ. 1ère, 11 février 2010, n°09-11.527). Cet arrêt confirme également la solution retenue par la cour d’appel qui avait relevé qu’un garagiste, demandant le remboursement des réparations effectuées sur le véhicule d’un particulier à hauteur de 4 917, 66 euros, s’était trouvé dans l’impossibilité morale de se procurer une preuve écrite de la commande de travaux en raison « d’un lien de voisinage et d’une entente cordiale, née d’une passion commune des parties pour les voitures anciennes ». Le même jour, la Cour reconnaissait que l’existence d’une « liaison » entre les parties suffit à établir l’exception probatoire. Elle « reproche à la cour d’appel, qui avait pourtant constaté qu’en raison de leur relation affective les parties étaient dans l’impossibilité morale de se procurer une preuve littérale de l’avance de frais allégué par l’une d’entre elle, d’avoir débouté cette dernière de sa demande en remboursement, faute de commencement de preuve par écrit (art. 1347 c. civ.) » (Civ. 1ère, 11 février 2010, n°0985 12.372 – P. Guiomard, Passion (très) diverses et impossibilité morale de se procurer un écrit, Dalloz actu., 24 février 2010). En revanche, le 25 février 2010, la Cour de cassation approuvait les juges du fond qui avait rejeté l’impossibilité morale malgré les liens familiaux unissant les parties. En l’espèce, M. D., demandait le remboursement de sommes prétendument versées au bénéfice de son frère et de ses neveux, dans le cadre de l’acquisition de parcelles de terre. Il invoquait l’article 1348 du Code civil et l’impossibilité morale pour justifier l’absence de preuve littérale de ces prêts. Il soulignait en particulier à cet égard qu’il est le frère et l’oncle et, qu’étant sans enfant, « il considérait ses neveux comme ses propres fils ». La première chambre civile de la Cour de cassation approuve la décision des juges du fond rejetant cette argumentation et constatant que « ni les liens de parenté qui unissaient le demandeur à ses neveux, ni le degré d’estime, de confiance et d’intimité des relations ayant existé entre les parties ne pouvaient empêcher qu’il leur demandât un écrit s’agissant de prêts de plus de 300 000 francs ». Dans cette dernière affaire, le montant important du prêt litigieux semble avoir influencé les juges dans leur refus de reconnaître l’existence d’une impossibilité morale de se préconstituer une preuve écrite. Faut-il en conclure qu’il s’agit d’un nouveau critère permettant de déterminer l’existence d’une impossibilité morale ? Jusqu’à quel montant l’estime, la confiance et l’intimité pourront constituer des circonstances interdisant, moralement, de se demander mutuellement un écrit ? Doc. 8. / L’arrêt Michel Drucker et la preuve en matière civile / LA PREUVE PAR ECRIT ENTRE CONCUBINS (l'exemple d'un animateur de télévision croqué par son "nègre") – Par Patrick MORVAN / Professeur Agrégé à l'Université Panthéon-Assas / Publié dans www.Patrickmorvan.over-blog.com I. - Le droit civil des preuves est dominé par un principe de légalité transcrit au premier alinéa de l’article 1341 du Code civil, reprenant les termes de l’ordonnance de Moulins de 1566 : « Il doit être passé acte devant notaires ou sous signatures privées de toutes choses excédant une somme ou une valeur fixée par décret [...] », soit une valeur de 1 500 euros. En d’autres termes, les parties à un acte juridique – bilatéral (ex. : contrat) ou unilatéral (ex. : testament) – doivent « préconstituer » par « écrit » la preuve de l’existence de cet acte, fût-il verbal, dès lors que la demande excède 1500 euros. Un tel écrit (preuve littérale ou titre) doit revêtir la forme d’un acte authentique (notarié) ou celle d’un acte sous seing privé. À défaut d’un tel document (instrumentum), la preuve de l’acte juridique (negotium) ne pourra être rapportée d’aucune autre manière (témoignages, indices ou présomptions de fait). Cette preuve littérale ne pourra ensuite être combattue qu’au travers d’un autre écrit (comme l’indique l’article 1341, al. 1er, en ses derniers mots : « (…) et il n’est reçu aucune preuve par témoins contre et outre le contenu aux actes (…)». La contre-preuve doit consister en un autre écrit (authentique ou sous seing privé) dès lors qu’il s’agit de nier le contenu de l’acte initial. Dans la mesure où il est improbable qu’il y ait deux titres divergents constatant le même acte juridique, le titre initial sera souvent décisif. 86 Mais le Code civil aménage des échappatoires à l’article 1341, permettant de contourner l’impératif de la preuve littérale. En particulier, l’article 1348 dispose que la preuve redevient libre « lorsque l’une des parties n’a pas eu la possibilité matérielle ou morale de se procurer une preuve littérale de l’acte juridique ». L’impossibilité morale de préconstituer un écrit, en particulier, peut résulter d’un lien affectif entre concubins ou entre parents (pour des exemples devant des cours d’appel : D. 2008, Pan., 2825, obs. Ph. Delebecque), d’un rapport de confiance (ex. : Cass. civ. 3e, 7 janv. 1981, Bull. civ. III, n° 7, relevant des « liens particuliers et quasi familiaux d’estime et d’affection »), voire d’un usage professionnel (ex. : Cass. civ. 1re, 17 mars 1982, Bull. civ. I, n° 114 ). Dans tous ces cas, la preuve par tous moyens (indices, témoignages, etc.) est à nouveau recevable. II. - La cour d’appel de Paris vient de donner une intéressante et peu fréquente illustration de l’impossibilité morale de se préconstituer un écrit en raison d’un lien affectif. En l’espèce, Madame Calixte Belaya, écrivain franco-camerounaise, réclamait à Monsieur Michel Drucker, animateur de radio et de télévision, la rémunération de 200.000 euros que celui-ci lui aurait promise en 2005 afin de rédiger à sa place un livre d’entretiens commandé par les éditions Albin Michel (soit les réponses à une douzaine de questions posées par Régis Debray). La cour d’appel de Paris, par arrêt du 12 janvier 2011, fait droit partiellement à cette demande (allouant 30.000 euros à titre de dommages-intérêts), en dépit de l’absence de preuve littérale produite par la demanderesse. La décision se fonde sur l’article 1348 du Code civil pour affirmer que « la relation de concubinage qu’elle entretenait à l’époque avec Michel Drucker la plaçait dans l’impossibilité morale d’exiger de lui qu’il formalise par écrit son engagement ». Mais une autre question de preuve se pose : comment la concubine amère est-elle parvenue à démontrer la réalité de ce concubinage au point que les magistrats y virent sans hésiter la source d’une impossibilité morale d’établir un écrit ? Par sa propre plume : en 2007, elle publiait un roman (L'Homme qui m'offrait le ciel, Albin Michel) relatant dans un esprit vengeur sa relation entre 2004 et 2006 avec un présentateur de télévision, incarné par un personnage masculin dissimulé sous un nom d’emprunt transparent (François Ackerman). Elle démontra alors être en possession d’une correspondance personnelle émanant de son amant. L'animateur a renoncé à former un pourvoi en cassation contre l’arrêt de la cour d’appel de Paris. Cela est regrettable pour le droit civil car deux principes encadrant la recevabilité de la preuve auraient pu être invoqués (sous réserve d’une analyse plus approfondie) : - D’une part, le « principe selon lequel nul ne peut se constituer une preuve à lui-même » implique le rejet d’une preuve unilatérale, émanant exclusivement de la partie qui l’a versée 87 aux débats. - D’autre part, le principe de loyauté de la preuve rend irrecevable en justice celle obtenue par un procédé déloyal. Ainsi, « l'enregistrement d'une conversation téléphonique privée, effectué et conservé à l'insu de l'auteur des propos invoqués, est un procédé déloyal rendant irrecevable en justice la preuve ainsi obtenue » (Cass. civ. 2e, 7 oct. 2004, Bull. civ. II, n° 447). Toutefois, la Cour de cassation admet qu’un mari produise aux débats, dans une procédure de divorce, le journal intime et les lettres de son épouse (obtenus sans fraude ni violence) alors même que ces preuves portent atteinte à la vie privée de l’intéressée (Cass. civ. 1re, 29 janv. 1997, D. 1997, 296 ; Cass. civ. 2e, 6 mai 1999, JCP G, 1999.II.10201 ; D. 2000, 557).Dans le même sens, la Cour européenne des droits de l'homme juge non contraire à l’art. 8 CEDH la production par une épouse, dans une procédure de divorce, de lettres échangées entre le mari et son amant homosexuel (CEDH 13 mai 2008, RTD civ. 2008, p. 650, obs. J.-P. Marguénaud). Doc. 9 / France, Cour de cassation, Chambre civile 1, 09 février 2012, 10-27101 (www.juricaf.org) LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant : Sur le moyen unique : Attendu, selon l'arrêt attaqué (Versailles, 16 septembre 2010), que M. Alain X... et Mme Adeline X... ont, suivant acte notarié, procédé au partage des biens immobiliers dont la donation leur avait été consentie par leur mère et conclu une convention de voisinage aux termes de laquelle ils s'engageaient à " ne pas élever entre les maisons et le golf, sauf accord entre les parties, aucune autre construction que celle existant déjà, à l'exception de piscine et de constructions souterraines " ; que M. et Mme Alain X..., reprochant à Mme Adeline X... d'avoir fait construire deux vérandas sans leur accord et en violation de ces stipulations, l'ont fait assigner aux fins d'en voir ordonner la démolition; Attendu que M. et Mme Alain X... font grief à l'arrêt de les débouter de leur demande, alors, selon le moyen : 1°/ qu'il doit être passé acte devant notaires ou sous signatures privées de toutes choses excédant une somme ou une valeur fixée par décret ; que cette règle reçoit exception en cas d'impossibilité morale de se procurer un écrit ; que cette impossibilité morale suppose l'existence de circonstances particulières ayant empêché de prouver par écrit ; qu'en recherchant si M. X... rapportait la preuve de la possibilité, pour sa sœur, de se préconstituer un écrit sans caractériser des circonstances particulières qui auraient empêché Mme Adeline X... de se procurer un écrit, la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard des articles 1341 et 1348 du code civil ; 88 2°/ qu'à défaut de rechercher, comme elle y était invitée, si la conclusion entre les parties d'une précédente convention, en date du 14 janvier 1983, par écrit, n'établissait pas la preuve de l'impossibilité morale de se procurer un écrit, la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au sens des articles 1341 et 1348 du code civil ; 3°/ que dans leurs écritures devant la cour d'appel, M. et Mme Alain X... avaient rappelé que la convention du 14 janvier 1983 avait été conclue par écrit et que l'existence de ce précédent contrat démontrait l'absence d'impossibilité morale de se procurer un écrit entre M. X... et sa sœur ; qu'à défaut de répondre à ce moyen, la cour d'appel a méconnu les prescriptions de l'article 455 du code de procédure civile ; 4°/ qu'en se fondant sur le motif inopérant selon lequel M. Alain X... aurait demandé la démolition des vérandas afin d'obtenir une autorisation d'implanter un garage, la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard de l'article 1134 du code civil ; Mais attendu qu'ayant relevé, d'une part, que la preuve des relations affectives et familiales qui existaient entre M. Alain X... et Mme Adeline X... était rapportée par les pièces produites et, d'autre part, que M. et Mme Alain X... ne parvenaient pas à démontrer que les parties ne procédaient entre elles que par échange d'écrits, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de suivre celles-ci dans le détail de leur argumentation, a, abstraction faite du motif surabondant critiqué par la dernière branche du moyen, souverainement estimé que de telles circonstances caractérisaient l'impossibilité morale de se procurer un écrit et constaté que preuve était apportée de l'existence d'un accord tacite de M. et Mme Alain X... à la construction des vérandas litigieuses ; qu'elle a ainsi légalement justifié sa décision ; PAR CES MOTIFS : REJETTE le pourvoi ; Condamne M. et Mme Alain X... aux dépens ; 89