Norman McLaren et l`utopie de l`oeuvre d`art totale.

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Norman McLaren et l`utopie de l`oeuvre d`art totale.
Norman McLaren et l'utopie de l'oeuvre d'art totale. (Recherches
effectuées à l'occasion de la projection films d'animation inédits de Norman
McLaren à l'auditorium de l'EESAB, le 13 février 2013, dans le cadre du festival
Travelling)
Dans ses films, McLaren accorda au son et surtout à la musique une importance particulière.
Il collabora par exemple avec le trio de jazz Oscar Peterson pour Caprice en couleur (1949) où est
recherchée une fusion, une association, une synesthésie (phénomène neurologique par lequel deux
ou plusieurs sens sont associés) du son et des images. L'ensemble des travaux de McLaren sur ce
rapport entre images et son « synchronisés » semblent dans la lignée des travaux de Len Lye, artiste
néo zélandais, écrivain, sculpteur et réalisateur de films expérimentaux, dans les années 30. Dans
ces films, il cherchait plus à faire appel à la sensation qu'à la forme narrative, c'est-à-dire qu'il
souhaitait libérer l'expression de connotation littéraire qu'il jugeait confuses en particulier dans la
musique ( Colour box, 1935). Ainsi dans Caprice en couleur l'intervention des formes abstraites
semblant être influencée par les peintures de Kandinsky ou de Arp, et du jazz n'est pas anodine.
Ces travaux d'animation ne reposent pas sur le fait qu'il faille adapter l'image à la musique
ou inversement, mais sur l'idée que l'animation visuelle et sonore existe par le mouvement (le
mouvement lié au dispositif cinématographique, mais aussi le mouvement produit par le défilement
des images sur l'écran). En fait l'enchainement des images est plus important que les images ellesmêmes. D'où la nécessité pour McLaren de s'écarter du dispositif d'enregistrement des images mais
aussi des sons en travaillant directement sur le film et sur la piste son. C'est le cas dans Loops et
Dots. Par l'expérimentation du dispositif cinématographique, il s'approche de la musique de pure
sensation recherchée par Len Lye mais crée aussi une nouvelle façon de créer une partition
musicale. En effet la bande sonore peut s'apparenter à une partition à ceci prêt qu'elle n'est plus
écrite mais peinte et qu'elle n'est plus interprétée par un musicien mais animée par le dispositif
cinématographique lui même (et donc complètement synthétique).
La méthode de production des « sons animés » pour accompagner les films, se rapproche
énormément de la méthode de production des images animés : On prépare des dessins ou des motifs
représentant des ondes sonores, sur de longs cartons étroits en noir et blanc. Ces dessins sont ensuite
photographiés les uns après les autres. Seulement, ils sont photographié sur l'étroite bande verticale
réservé à la bande son. Pendant la projection, on entend donc les images photographiés de ces
dessins lorsque la piste optique passe entre la lampe et la cellule photo-réceptrice qui transforme
l'intensité lumineuse en signal électrique.
Dans Pen Point Percussion, il est expliqué de quelle façon les sons peuvent être représenté,
que ce soit de manière visuelle abstraite comme dans les animations de McLaren, par le biais d'une
partition, en filmant un musicien jouant de son instrument. Mais la bande sonore (qui n'est pas
visible durant la projection d'un film) a aussi des qualité visuelle : selon le son, les oscillations
lumineuses seront plus ou moins espacées, régulières, avec une plus ou moins grande amplitude,
etc... Si un son peut produire une séquence d'images, alors une séquence d'image peut produire un
son. C'est sur ce principe que Norman McLaren a réalisé Dots et Loops, sans utiliser de camera ni
d'appareil d'enregistrement sonore.
Les films d'animation abstraits de Len Lye et de McLaren peuvent être considérées comme
un aboutissement pleinement synesthésique dans les années 1930 du cinéma abstrait et d'une
recherche sur la musique chromatique entreprit depuis 1911 par les frères Corradini. Arnaldo et
Bruno Ginnani-Corradini, deux aristocrates italiens proche du mouvement futuriste, réalisaient dès
1910 des films abstraits peints à la main. Ces recherches étaient guidées par l'idée d'œuvre d'art
totale, dans le but de réunir tous les art, et plus particulièrement, de créer une « musique pour les
yeux », où la couleur en mouvement aspire à se suffire à elle-même, à exclure tout
accompagnement musical. Il est cependant intéressant de remarquer que malgré cet aboutissement,
il y eut un déplacement, entre les frères Corradini et McLaren, de la musique des couleurs au
mouvement. On pourrait croire que l'influence du dispositif cinématographique, dont la logique de
fonctionnement est due à une recherche guidée par l'idée d'art totale, ait fourni un aboutissement
mais en éloignant quelque peut de l'utopie des frères Corradini selon laquelle :
« Unique est l'essence des arts ; variés sont les moyens d'expression (…) entre tous les arts
il existe un parallélisme et une correspondance formels absolus ».