le reveil litteraire en hollande et le naturalisme francais
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DE GRAAF LE REVEIL LITTERAIRE EN HOLLANDE ET LE NATURALISME FRANCAIS (1880-1900) 111.1111111111111111111111111111111111111111111111111111111111111111011 ■ 1111/11,1111111111111111111111111111111111111111111111111111111111/111111111 lllll 1111111111/11111111111111111111411111111111111 1.1111110/1111111111111111111.11k11111111111111111111 ■ 11111111111110 /111,111111111111111111111/1111111/1111111,11,11111111111111111111111111111111111111111111111111111111111111111111111111/111111111111111111 ■ 11 ■ 111111/11111111111111,1111111111111/1111111 ■ 11111111111111111111111111111111111111111111111111111 1111111111111111111111111 111111111111111111111111111111111111111.1111111..1,111 LE REVEIL LITTERAIRE EN HOLLANDE ET LE NATURALISME FRANCAIS [1880-1900] LE REVEIL LITTERAIRE EN HOLLANDE ET LE NATURALISME FRANCAIS [1880-1900] PAR J. DE GRAAF DOCTEUR-ES-LETTRES MCMXXXVIII AMSTERDAM - H. J. PARIS PARIS - A. NIZET & M. BASTARD TABLE DES MATIÉRES I INTRODUCTION ... CHAPITRE I — L'ACCUEIL FAIT AU NATURALISME FRANCAIS EN HOLLANDE. ANTIPATHIES ET SYMPATHIES, PREMIERS ENTHOUSIASMES ... Reaction aux premiers romans rêalistes (Flaubert); l'attitude de Conrad Busken Huet; Jan ten Brink; Jean- Jacques van Santen Kolff; les peintres de 1' „Ecole de la Haye" et la litterature francaise contemporaine, leur influence sur les Auteurs de 188o, les partisans de l'art pour l'art (Kloos et Van Deyssel) et le naturalisme francais; protestations, pour des raisons morales, contre la litterature naturaliste; le role des traductions dans la diffusion des idees et des conceptions artistiques. 5 29 CHAPITRE II — L'IMPRESSIONNISME .. Observations geiV rales. L'enthousiasme que professent les Auteurs de i88o pour les conceptions d'art qui rêgnent en France; creation d'un ideal artistique analogue a celui des romanciers francais; leur influence sur l'expression litteraire („ecriture artiste") et la reproduction de la realite; l'art descriptif, ses excês et ses reactions; evolution vers l'art du rove; influence du symbolisme. FRANS NETSCHER 41 - LODEWIJK VAN DEYSSEL 56 - ARIJ PRINS 73 FRANS ERENS 87 CHAPITRE III — LE PESSIMISME MORAL . 96 Observations generales. Les idees philosophiques de l'heure et le pessimisme de la litterature naturaliste; kat d'esprit qui favorise la penetration des nouvelles idees, la litterature de la „defaite" et les protestations qu 'elle soulève, orientation vers une litterature a tendances ethico-humanitaires. MARCELLUS EMANTS 107 - LOUIS COUPERUS 125 - A. ALETRINO 140 - FRANS COENEN Jr . 148 — JOHAN DE MEESTER 152. CHAPITRE IV — LE PESSIMISME SOCIAL . . 163 Observations generales. La litterature sociale d'avant 188o; orientation vers de nouvelles idees politiques et sociales; evolution du roman social en France, ses origines scientifiques; naissance et caractêre de la litterature sociale d'apres i880. AUG. P. VAN GROENINGEN 170 - HENRI HARTOG 183 - GERARD VAN HULZEN 186 - HERMAN HEIJERMANS Jr. 192. CONCLUSION . BIBLIOGRAPHIE. . INDEX DES NOMS PROPRES . 202 . 212 22I INTRODUCTION A partir du XIIe siècle, depuis la traduction du Roman d'Endas par Henric van Veldeke jusqu'a nos jours, nous relevons dans la litterature neerlandaise les traces d'une influence presque continue que les lettres francaises exercent sur ses productions. Cette action spirituelle, si feconde quelquefois, n'a pas toujours ete de meme nature; d'age en age son caractere et son intensite ont sensiblement change. Jusqu'au XIXe siècle, elle se manifeste, d'une maniere generale, sous la forme de traductions et d'imitations, oil l'auteur hollandais adaptait, supprimait ou attenuait d'apres ses gaits personnels ou les conventions de l'heure. Il ne s'agissait aucunement d'une influence esth6tique proprement dite, en ce sens que l'exemple de la littêrature francaise aurait contribue a activer ou a modifier l'evolution de nos lettres. L'art litteraire chez nous au XVII e siecle avait, comme la litterature francaise de cette époque, puise ses belles inspirations dans les oeuvres de l'Antiquite et de la Renaissance italienne. L'influence francaise ne s'y fait pas plus sentir qu'au XVIII e siecle, oil elle est egalement dominee par d'autres influences, allemandes et anglaises. Les idees des philosophes francais sont ici meme passionnement combattues; en 1764 les Etats de Frise defendent la publication d'une traduction du Traitd de la tolerance de Voltaire; en 1768 une traduction du Belisaire de Marmontel provoque, aupres des predicateurs, les plus vives protestations. Ce n'est que vers la fin du siecle que les idees philosophiques de la France, celles de Rousseau en premier lieu, eveillent ici d'assez grandes sympathies, sans que toutefois elles laissent de traces profondes dans la vie artistique et litteraire du temps 1). Au cours du XIXe siecle, qui etait presque entiêrement, comme le XVIII e siecle, une periode de decadence, 1) Voir a ce sujet l'article de K.-R. Gallas: Les vecherches sur les Rapports littdraires entre la France et la Hollande, R. C. L., 1927, p. 316-335 et l'article de 0. Noordenbos, De Verlichting. Rationalisme en Sentimentaliteit [Le siècle des „lumiêres", rationalisme et sentimentalisme] dans Jan Romein, De Lage Landen bij de Zee [Les Pays-Bas au bond de la Merl Utrecht, W. de Haan, 1934, p. 483 sqq. I 2 nous ne remarquons guêre non plus aupres, de nos auteurs cette attention „receptive" pour ainsi dire qui trahit une communaute de vues et d'idees. L'aspect qu'offre notre vie litteraire par exemple a l'epoque du romantisme n'est que le pale ref let des grands evenements qui se manifestent hors de nos frontieres. Aux environs de 183o seulement nous assistons, avec Potgieter, Bakhuizen van den Brink, Jacob Geel a une renovation, de breve duree d'ailleurs, qui trouve ses inspirations avant tout dans notre passe glorieux du XVII e siecle 1). Il faut attendre jusqu'aux annees 1875, 188o pour voir naitre pour la litterature francaise contemporaine une sympathie grandissante qui, evidemment, etait l'indice d'aspirations communes. L'intransigeance avec laquelle les naturalistes francais professaient leurs principes enthousiasmait nos auteurs, tout desireux de se debarrasser des entraves qui s'opposaient a une libre expansion de l'art. Zola contribuait, plus que les autres auteurs naturalistes, a l'emancipation artistique de cette époque. Son mepris des conventions, la hardiesse de ses theories seduisaient particulierement nos auteurs au point qu'ils ne tardaient pas a s'en assimiler les directives et a les appliquer dans leurs oeuvres. Aussi, la question qui dans notre travail s'imposait tout d'abord a l'attention, c'etait de savoir comment les premieres manifestations naturalistes en France etaient accueillies dans notre pays, comment certains auteurs ou critiques ont reagi aux nouvelles tendances a l'etranger, reaction qui etait souvent déjà l'indice d'une orientation nouvelle (chap. I). L'influence proprement dite de la littêrature naturaliste sur la notre se fera sentir, comme nous le verrons, sur le fond et sur la forme. Le souci que montraient les romanciers francais a peindre par le menu la vie des apparences, la description minutieuse des petits faits, une fawn tres personnelle d'observer, plaisaient a nos auteurs qui decouvraient dans ces tendances leurs plus anciennes traditions, celles qui exaltaient le rendu exact et pittoresque de l'exterieur. L'art intensifie des Flaubert, des Goncourt, des Huysmans portait nos auteurs a faire la guerre au vague a-peu-pres, au terme conventionnel, au verbiage moralisateur dont les generations precedentes n'avaient su se debarrasser. C'est par ces modeles que ceux qu'on designe comme les „Auteurs de 188o" prenaient conscience de leurs facultes artistiques, qu'ils developperaient jusqu'a un raffinement extreme. Les exces ofi devait necessairement tomber leur „ecriture artiste" ne doivent pas nous faire oublier 1) Voir, pour plus de details, l'article de Lya Berger et de H. van Loon: La litterature hollandaise depuis 1830. Le Monde Nouveau, 192o. p, 2544-2553. 3 les avantages essentiels et durables dont , beneficiera la litterature hollandaise de cette époque, en tendant a s'assimiler des valeurs sans lesquelles un art nouveau n'aurait pu se produire (chap. II). L'action qui s'est fait sentir sur le fond a un caractere double. Le pessimisme du roman naturaliste ne tarda pas a se communiquer A. notre roman et a l'impregner de ses amertumes et de ses revoltes. A son exemple nous voyons notre roman se peupler de nevropathes, de degeneres, de revoltes melancoliques qui se noient dans le desespoir et se sentent abandonnes a des forces aveugles qui les poussent vers une destinee fatale. Nourrie de ce fatalisme qui accompagnait les conceptions philosophiques de l'heure, la litterature revele un esprit de negation, de desenchantement, de spleen qui la retie au roman francais contemporain et au-dela, malgre ses origines diverses, au pessimisme des romantiques (chap. III). A cote de ce pessimisme moral nous reconnaissons un pessimisme social, evidemment inspire des drames de la grande misere humaine qui abondent dans la litterature francaise de ces jours. L' ambiance politique et sociale ne manquait pas d'aggraver cette tendance. L'etude des conditions sociales miserables, le besoin que, grace au socialisme naissant, on ressentait d'y porter remede, engendra une litterature sociale, oeuvre de protestation et de compassion plutOt que d'espoir et de confiance dans un avenir meilleur (chap. IV). C'est ainsi qu'on voit se degager les grandes lignes que nous avons suivies dans l'êtude des phenomenes litteraires qui sont le suj et de la presente these. Nous ne nous dissimulons point le caractere quelque peu arbitraire que prend une division pareille; sans doute it y aura des lecteurs qui s'etonneront de voir figurer dans tel chapitre tel auteur que, pour d'autres raisons, ils s'attendraient a trouver ailleurs. Comme le naturalisme atteint ici son apogee entre les annees 188o et 1900, nous nous sommes borne a n'etudier que les auteurs qui, nes aux environs de 1860, commencent a ecrire vers 1885, tout en suivant, au besoin, leur developpement au-dela. de 1900. On peut dire qu'apres cette date, comme en France 1), la litterature de chez nous avait perdu son caractere nettement „naturaliste"; lentement elle evoluait vers de nouvelles orientations. L'evolution ZolaMaeterlinck, caracteristique d'un Van Deyssel, s'opere ici avec une rapidite surprenante et est, sans aucun doute, une des causes pour laquelle le naturalisme, qui cl6buta ici au moment oil la reaction se faisait deja 1) Cf. R. Dumesnil, Le Rdalisme. Paris, J. de Gigord, 1936, passim. 4 sentir ailleurs, n'a jamais pu avoir la riche eclosion qu'elle eut en France. L'ceuvre des auteurs d'apres 190o, meme de ceux dont les productions se rattachent par leurs conceptions au roman naturaliste, trahit un esprit nouveau qui s'oppose manifestement au nihilisme deprimant de la fin du siecle dernier. Ce qui, dans la presente etude, devait tout particulierement nous interesser, c'etait de savoir de quelle nature etait l'influence que la litterature francaise a exercee sur chacun des auteurs qui occupent une place dans notre travail, en quelle mesure elle les a inspires, jusqu'a quel point elle a feconde leur art. En comparant la litterature francaise et la litterature hollandaise de la fin du XIXe siecle, nous aurons a nous demander pourquoi tels traits particuliers au naturalisme francais, concordant avec notre caractêre particulier, etaient assimiles, pourquoi tels autres, hostiles au temperament individuel ou national, etaient plus ou moins inconsciemment rejetes. Se rattachant d'une part intimement aux tendances qui regnaient vers la fin du siecle dernier dans le roman realiste et naturaliste et France, notre litterature s'en ecarte d'autre part, en se decouvrant, sous la suggestion des reactions qui se produisaient ailleurs, de nouvelles voies qui repondaient davantage aux besoins du moment ou d'une mentalite individuelle. CHAPITRE PREMIER L'ACCUEIL FAIT AU NATURALISME FRANCAIS EN HOLLANDE ANTIPATHIES ET SYMPATHIES — PREMIERS ENTHOUSIASMES En jetant un coup d'ceil sur la critique qui, depuis la publication de Madame Bovary (1857) fut consacree, dans nos revues et nos journaux, a l'ceuvre des auteurs realistes et naturalistes francais, on est frappe des nombreuses et violentes protestations contre une litterature qui, pretendait-on, etait un art de perversite, ne visant qu'a peindre le cote trivial et terre-a-terre de l'existence. Les descriptions, d'une hardiesse inouie, etaient peu propres a „elever et a reconforter l'hme" 1). On etait de l'avis d'un Potgieter 2) disant que le pretendu „gout de copier la vie quotidienne" ne saurait produire un art pur, si l'ceuvre n'etait en 1) Le fait suivant marque assez bien combien peu on appreciait, a cette époque, les indecences de langue et d'expression; le professeur Matthijs de Vries, critiquant, en 1843, une edition nouvelle du W arenar de Hooft, refusa de reconnaitre a nos auteurs du XVII e siècle toute grandeur artistique, justement a cause de la trivialite de leurs expressions, opinion que Bakhuizen van den Brink, dans Studien en Schetsen [Etudes et Esquisses], III, p. 308, se hata de combattre, en rappelant au professeur les paroles que Delavigne adressa a la Comedie francaise: „La Moralite ! eh morbleu ! la morale en alarmes Doit-elle, a tout propos, crier, prendre les armes ?" Mais de telles voix furent rares et ne trouvêrent aucun echo. 2) E.-J. Potgieter (1808-1875), l'auteur du Rijksmuseum [Le Musee de l' Etat], oeuvre qui s'inspire de notre passé glorieux; avec Jacob Geel (1784-1862), Aernout Drost, (1810-183 4), R.-C. Bakhuizen van den Brink (1810-1865), it represente un groupe d'auteurs qui aux environs de 1830 et 1840 s'efforcaient de renouveler la vie litteraire de ce temps; le premier janvier 1837 it fonde, avec Bakhuizen van den Brink, la revue De Gids [Le Guide], qui pour la couleur de sa couverture et son caractêre autoritaire fut denommê De Blauwe Beul [Le Bourreau bleu]. Par son esprit critique it annonce Busken Huet, Multatuli, Kloos, Van Deyssel. 6 merne temps inspiree d'un sentiment d'idealisme qui lui pretait sa veritable valeur 1). Aussi, a l'apparition des premiers romans realistes en France, la critique „bourgeoise" cria au scandale et ne trouva pas de termes assez reprobateurs pour condamner ces nouvelles tendances. Les romans d'un Flaubert Madame Bovary, Salammbli, L' Education sentimentale souleverent ici d'energiques protestations. Ainsi Jan ten Brink (1834-1901), critique qui jouissait alors d'une grande autorite, s'indigna devant les descriptions dêgoiltantes et triviales dans Salammb6. „Nous avons seulement choisi les passages qui nous semblaient rester dans les limites de l'art; des que le realisme retombait dans les trivialites et les platitudes, nous les avons passees sous silence" 2). Les realistes ne comprenaient pas, a ses yeux, le veritable but de l'art. Leur preoccupation essentielle etait de reproduire de la realite les cotes malsains et repugnants. Bien qu'il appreciat en Flaubert son talent extraordinaire de l'observation et de l'analyse, ii finissait par conclure que Madame Bovary, „ce monstre inspirant l'horreur", laissait „une impression de deception et qui blessait notre sentiment moral" 3). Il reprochait a Flaubert de ne pas se soucier des aspirations nobles du cceur humain; ses personnages n'etaient que des titres grossiers et denatures. Dans les manifestations les plus elevees du sentiment moral et religieux it ne voyait que la matiere, le systeme nerveux ou le temperament. „Il se contente d'observer patiemment les maladies les plus affreuses et de les examiner au microscope; si son malade succombe a la fin, ii emporte encore le cadavre pour le mener en triomphe a l'autopsie" 4). 1) De Gids, 1841, I, p. 442-460, article: De Kopijeerlust van het Dagelijksche Leven' ecrit a propos de la Camera Obscura de Hildebrand et des Studententypen [Types d' Etudiants] de Klikspaan (pseud. de Johannes Kneppelhout). 2) De Nederlandsche Spectator [Le Spectateur Neerlandais], 1863, p. 151. „We kozen alleen die regelen uit, welke ons nog binnen de grenzen der kunst schenen te vallen; zoo spoedig het realisme tot platheden en afschuwelijkheden afdaalde, zijn we stilzwijgend voorbijgetreden". 3) ibid., p. 139. „De eindindruk van Flaubert's eersten roman was, spijt het buitengewone talent van waarneming en analyse, teleurstellend en beleedigend voor het zedelijk gevoel", paroles qui rappellent le passage dans le requisitoire prononce par le substitut Pinard, ou celui-ci blame Madame Bovary d'etre „une offense a la morale publique et a la morale religieuse" (ed. Charpentier, p. 393). 4) ibid., 1870, p. 135. Art. Een nederlaag van het letterkundig realisme [Un dchec du realisme litte'raire]. „Hij getroost zich de afzichtelijkste ziekteverschijnselen met geduld waar te nemen en mikroskopisch te onderzoeken om eindelijk, zoo zijn patient bezwijkt, het lijk in triumf ter sektie weg te slepen". La critique de Ten 7 L'impression deconcertante que suscita ici Madame Bovary se laisse bien juger par la brochure que publia Taco-H. de Beer a propos du roman Lidewijde de Busken Huet, portant le titre significatif: Madame Bovary in Holland, Kunstmiskenning [Madame Bovary en Hollande, Meconnaissance de l' art] 1). Pour ce roman „contagieux", que nous trouvons de nos j ours assez inoffensif, Huet meritait, d' apres De Beer, autant de blame que Paul de Kock ou Flaubert. Au point de vue moral it estime que Madame Bovary est meme superieur au roman de Huet, puisque „le charme qui s'en &gage nous tient plus eloigne du mal" 2). D'apres lui Lidewijde est un roman qui ne devait etre nomme, ni lu, ni discute dans une honnete societe. La lecture devait en etre interdite a toute honnete femme; aucun mari aimant sa femme ne devait exposer ses sentiments delicats a des scenes si choquantes" 3). Ce jugement partial et rancunier, que lui inspiraient evidemment les prejuges de l'heure, &lake particulierement a quel point la critique s'alarmait devant les audaces de la nouvelle ecole. Wine ceux qu'on est convenu d'appeler les precurseurs du prêtendu mouvement de 188o se montraient pleins de reserve-. Emants, a ses debuts, blamait les tendances dans le roman moderne, qui rabaissaient l' art a une „copie fidele de la nature"; on „semblait chercher de preference sa matiere dans des platitudes et les immoralites, temoin les romans de FlauBrink rappelle celle qu'on lisait a cette époque dans les revues et journaux francais et it n'est pas impossible que ses opinions s'en inspirent; cf. Paulin-Linayrac dans Le Constitutionnel: „Les ecrivains se servent de leur plume comme d'un scalpel et ne voient plus dans la vie qu'un amphitheatre de dissection" (cite dans Rene Dumesnil, Gustave Flaubert. Paris, Desclee de Brouwer & Cie, 1932, p. 23o). De meme que Froehner dans la Revue contemporaine Ten Brink met en doute le caractere scientifique de SalammbO. „L' oeuvre prise en entier temoigne d'un savoir superficiel, d'une ignorance des principes elementaires de la science classique, d'une grande audace, mais non pas d'une connaissauce profonde" (het gantsche werk getuigt van een oppervlakkige kennis, van een struikelen in de eerste beginselen der klassieke wetenschap, van een stout wagen, maar niet van een grondig weten), Ned. Spect., 1863, p. 140. 1) Taco-H. de Beer, Madame Bovary in Holland, Kunstmiskenning. Bolsward, B. Cuperus Az., 1868 (broch.). 2) op. cit., p. 17. „De bevalligheid die het omgeeft, doet ons minder denken aan het kwaad". 3) ibid., p. 17. „Een boek dat in een fatsoenlijk gezelschap niet genoemd, gelezen of besproken mag worden; een roman waarvan de lezing aan elke beschaafde vrouw moet worden ontzegd — geen man, die zijn vrouw liefheeft, zal haar fijn gevoel aan zulke schokkende tooneelen wagen". 8 bert" 1). A celui-ci il preferait de beaucoup Charles Dickens, dont il avait loue, dans un article tres chaleureux, le realisme humanitaire 2). Busken Huet 3), lui aussi, semble hesiter et se ranger du cote de la critique traditionnelle; encore qu'il montre quelque sympathie pour la litt6rature realiste, il n'a jamais apprecie la franchise brutale avec laquelle les Francais semblaient prendre plaisir a decrire la realite basse. Nana, a ses yeux, etait un ouvrage „immoral" et „sans gaiete aucune". „Il y a des scenes qui plaisent dans la peinture, mais qui, dans la litterature, nous repugnent" 4). II s'opposait a ce que les romans de Zola 1) Quatuor, 1871, p. 13. „Dat de kunst verlaagde tot een getrouwe kopie der natuur . . . . het verlaagde zich spoedig door het schoone uit het oog te verliezen en zijne stof slechts in platheid en onzedelijkheid te zoeken. Men denke slechts aan de romans van Flaubert." 2) Quatuor, 187o, p. 35. A cette époque l'auteur anglais jouissait d'une veritable popularite; certains critiques, Jan ten Brink, Smit Kleine, le recommandaient comme un modêle a suivre, en l'opposant a l'exemple funeste de Zola; lire aussi le compte-rendu d'une conference sur Zola, prononcee en 1870 par D.-C. Nijhoff, oil celui-ci disait: „Dickens ouvrait des abimes pleins de crimes et de brutalites, mais au fond il laissait l'espoir; il causait des blessures, mais y mettait aussi un baume" (Dickens opende afgronden vol misdaden en ruwheden, maar op de bodem bleef de hoop; hij sloeg wonden, maar gaf ook balsem), De Portefeuille, 29. II, 1879. 3) Conrad Busken Huet (1826-1886), qui descend d'une famille de refugies francais, devient pasteur wallon comme son pere; sa critique de la Bible amêne entre lui et sa communaute un conflit qui finit par sa demission (1862); il s'engage comme journaliste au „Oprechte Haarlemmer Courant"; puis, aprês sa brouille avec la redaction du Gids, il va aux Indes (1868), oil il sera redacteur du. „ Java-Bode". En 1876 il se rapatrie, mais se trouvant ici tout a fait depayse, il s'etablit a Paris, oil il meurt en 1886. Son fils fut l'eminent romaniste Gedeon Huet. De son oeuvre capitale nous citons Het Land van Rembrand [Le pays de Rembrandt] (1884), glorification de notre XVII e siècle, et ses critiques recueillies sous le titre de Literarische Fantasien en Kritieken [Fantaisies et Critiques litte'raires] en 25 volumes. Voir sur lui l'excellente etude de J.-B. Tielrooy, Conrad Busken Huet et la litte'rature francaise (these de Sorbonne) Paris, Champion, 1923. 4) Nederland, 1885, I, p. 516. „Er zijn tooneelen, die in de schilderkunst behagen, in de letteren tegenstaan". Cf. ses jugements a propos de quelques romans „audacieux" hollandais, De Lotgevallen van Klaasje Zevenster [Les Aventures de Klaasje Zevenster] (1865) de Jacob van Lennep (voir Litt. Fant., XV, p. 31 sqq.) et Fantasie en Waarheid [Fantaisie et Ve'ritd] (1863) de C.-E. van Koetsveld. D'a pres Huet, ce dernier egale Feydeau ou Flaubert dans la peinture de la realite brutale. Les scenes les plus osees dans F anny ou dansMadame B ovary , dit-il, ne sont pas plus hardies que celles oil Zeewij, figure principale dans la nouvelle Schijn bedriegt [Les Apparences sont trompeuses], se montre en toilette de nuit. Huet regrette qu'un des meilleurs auteurs contemporains aime mieux decrire de telles scenes que „de vouer ses talents a l'edification de l'homme, ce qui est pourtant le but le plus eleve de l'art" (dan zijn talenten te wijden aan de verheffende stichting van den mensch, wat toch het meest verheven doel der kunst is), Litt. Fant., II, p. 69. 9 fussent mis entre les mains des jeunes gens. Son oeuvre ne saurait etre appreciee, a ses yeux, par ceux qui s'occupaient d'etudes scientifiques. Ceux qui regardaient la lecture comme un passe-temps, ne sauraient trouver aucun plaisir a le lire; s'il ne les irritait pas, il devait les ennuyer" 1). Ces reserves, auxquelles s'adjoignent celles qu'il fait sur le style de Zola, qu'il dit pesant, „touchant avant tout nos sens et n'allant nullement a l'esprit ni a l'ame" 2), n'empechent pas qu'il loue en Zola sa „grandeur", sa probite d'artiste. L' Assommoir est d'apres lui, les hardiesses mises a part, un chef-d'oeuvre de composition 3). „Zola a un talent enorme et travaille avec une exactitude exemplaire de conscience litteraire" 4). Si son enthousiasme l'a amene a composer, d'apres l'exemple des Rougon-Macquart, ses deux romans Josephine (1878) et Robert Bruce's leerjaren [Les amides d'apprentissage de Robert Bruce] (1898), c'est une question que nous n'avons pas a discuter ici 5). Tout ce qu'on saurait dire, c'est que cette influence doit s'etre bornee a une activite assez superficielle, tout „exterieure"; a sa langue, abstraite, entierement adaptee aux speculations de la penstie, manquent prkisement ce pittoresque, cette plasticite qui font des naturalistes les vrais peintres de la realite. Meme dans son roman Lidewijde oil, sous la suggestion, semblet-il, du roman francais de Feuillet et de George Sand, il s'enhardit a. traiter le theme de la femme adultere, et a peindre quelques scenes „audacieuses", Huet ne s'est jamais laisse gagner a la description brutale de la vie terre-a-terre; il n'a cesse d'observer dans sa langue une chastete, une delicatesse de gout qui frappent, des qu'on la compare aux procedes des naturalistes francais 6). 1) Huet, Litt. /ant., XXV, p. 173. „Deze laatsten kunnen in Zola's schilderingen geen behagen scheppen. — Waar hij hen niet ergert, moet hij hen vervelen" (oct. 1873). 2) ibid., XXIII, p. 174. „De schrijver spreekt ook wel tot onzen geest of ons gemoed, maar vOOr alles tot onze zintuigen". 3) ibid., p. 176. „Doch binnen de grenzen van dat voorbehouden is L' Assommoir een goede daad en een meesterwerk van zamenstelling". D'autre part Huet a fres bien compris dans Zola son „romantisme", puis sa tendance a symboliser et son talent a decrire des masses (voir son etude sur Germinal, Litt. /ant., XXI, p. 182-184). 4) ibid., p. 176. ,,Hij bezit een kolossaal talent en werkt met eene voorbeeldige nauwgezetheid van litterarisch geweten". 5) Voir, a ce propos, Joh. Tielrooy, Conrad Busken Huet et la litterature franfaise. Paris, Champion, 1923, p. 188. I) Déjà en 1877 Van Santen Kolff remarquait avec justesse que dans Lidewijde 10 C'est dans certains milieux litteraires de La Haye, alors le centre de la vie intellectuelle et artistique en Hollande, qu'on voit naitre, depuis 1875, un interet grandissant pour l'ceuvre de Zola et des tendances nouvelles qui se manifestent dans la litterature francaise de ces jours. Nous citons, sous ce rapport, trois noms, ceux de Jan ten Brink, de J.-J. van Santen Kolff et de Marcellus Emants 1). Que Jan ten Brink, aprês ses remarques severes sur l'ceuvre de Flaubert, se montre tout d'un coup engoue du roman naturaliste 2) ne laisse pas, au premier abord, de nous surprendre. Ce qui, dans l'ceuvre de Zola, &eine son enthousiasme, c'est le problême de la science dans le roman, enthousiasme qui ne tardera pas a faire de lui un tenant fervent du „roman scientifique". Il paraitra de sa main, sur Zola, et son ecole, quelques articles, dont le premier, intitule De jongste romantische school in Frankrijk [La jeune ecole romantique en France], est publie dans la revue Nederland de 1876 3), ou it etudie Zola en rapport avec Balzac, Flaubert et Daudet. Un article sur le meme sujet, qu'il n'achêve pas, parait vers la fin de 1876 dans l'hebdomadaire De Liberaal [Le Liberal]. L'annee suivante it entame dans Nederland 4) une etude sur Zola et le naturalisme, etude qu'il ne finit pas non plus, mais qui paraitra definitivement, en 1879, intitulee Emile Zola, Letterkundige Studie [Emile Zola, etude litteraire] 5). La nous it n'y avait aucune correspondance entre le fond et la forme; Huet faisait parler a ses personnages une langue conventionnelle, peu convenant aux scenes „realistes" qu'il decrivait. „Seulement par une langue grossiere et sensuelle, plongee dans la volupte, saisie sur le vif, it aurait attrape ici la tonalite juste" (Alleen met grofzinnelijke, in wellust zwelgende, op het leven betrapte taal ware hier de rechte toon getroffen geweest, De Banier, 1877, II, note a la page 362). Joh. Tielrooy voit dans la langue de Huet des reminiscences de Taine, de Renan et de Voltaire; voir la discussion, qu'il a, a ce sujet, avec J.- J. Salverda de Grave, De Nieuwe Taalgids [La nouvelle Revue de linguistique], XXI, p. 1-18 et p. 175-181, art. Taal en Compositie bij Busken Huet [Langue et composition chez Busken Huet]. 1) Voir sur cet auteur le chapitre que nous lui consacrons a la page 107 sqq. de notre etude. 2) Ce fut, au dire de Netscher „le coup de foudre". Au printemps de 1875 Ten Brink decouvrit La Fortune des Rougon; ravi, it se hata de se rendre a son club, au Cercle „de Witte", oil se trouvaient ses amis (parmi lesquels Van Santen Koiff) pour leur dire la nouvelle de sa trouvaille Voir De Hollandsche Revue, 1902, p. 63 5 3) Nederland, 1876, I, p. 3-43. 4) ibid., 1877, II, p. 11 3- 1 44; P. 24 1-2 72 ; P. 391-425; III, p. 270-298. 5) Dr Jan ten Brink, Emile Zola, Letterkundige Studie, Nijmegen, Blomhert & Timmerman, 1879. A la suite de cette etude nous voyons paraitre deux articles critiques, l'un de la main de G. Valette: Zola's Kunstleer en Werken [La conception II l'entendons raisonner dans le jargon des naturalistes, exaltant le progres des sciences et les perspectives qu'elles ouvrent au roman. „L'êtude de l'homme et de la nature, dit-il, dans un sens rigoureusement scientifique, occupe mille tetes et mille cceurs" 1), et plus loin „Nous voulons nous approcher d'un pas, d'un demi-pas au besoin, de la vent& nous voulons savoir — voila notre ideal" 2). Ce qu'il lone dans Zola, c'est son souci de ne rien ecrire sans la plus scrupuleuse preparation, de baser son oeuvre sur un fond de documentation riche et consciencieuse 3). Ainsi Ten Brink ne voyait dans le naturalisme qu'une litterature „scientifique", se preoccupant d'une fawn heureuse des problemes que se posait la science de l'heure. B. lui etait impossible d'y voir, comme Emants on Van Santen Kolff, un courant litteraire qui part d'une esthetique toute nouvelle. La franchise avec laquelle les auteurs naturalistes, plus hardiment encore que Flaubert, pretendaient nous peindre la vie reelle, meme la plus banale, ne cessait de l'inquieter. Aussi a-t-il prononce sur Zola et son art des opinions vagues et souvent contrad'art et l'ceuvre de Zola], De Banier, 188o, I, p. 150-177, l'autre de la main de A.-G. van Hamel, Over Zola [Sur Zola] dans De Gids, 1880, I, p. 326 sqq. Tous les deux se montrent beaucoup plus reserves dans leur admiration que Ten Brink. Valette qualifie Zola d'un auteur qui „tantOt force l'admiration, tantOt suscite le degofit (die beurtelings waardeering afdwingt en weerzin wekt, art. cit., p. 177). Van Hamel lui reproche son manque d'idealisme, puisqu'il ne prete aucune attention aux „facteurs ideals" (ideale factoren), qui ne sont point du tout „surnaturels", mais „profondement humains", tels que „l'amour, la pitie, l'honneur, le repentir" (liefde, medelijden, eergevoel, berouw), art. cit., p. 356. 1) op. cit., p. 4. „De studie van mensch en natuur houdt duizenden hoofden en harten bezig". 2) op. cit., p. 5. „Wij willen een schrede, een halve schrede desnoods nader komen aan de Waarheid, wij willen weten — ziedaar ons ideaal". 3) Son enthousiasme fut tel qu'il dressa, lorsque le huitieme volume des RougonMacquart eut paru, une genealogie des deux branches de la famille, quelque peu semblable a celle qui va paraitre peu aprês en tete d'Une page d' Amour (1878). Aussi enthousiaste que lui se montre le Dr. Francesco dans De Banier, 1880, I, p. 54-62, dans son article Zola en Daudet [Zola et Daudet], oil it glorifie le „roman experimental", „le seul roman d'importance", le „roman base sur les resultats de la science qui n'a d'autre pretention artistique que de trouver l'expression juste pour la verite sans le clinquant d'un idealisme faux" (de roman, die op de uitkomsten der wetenschap gebouwd is, en geen andere artistieke pretentie heeft, dan voor de waarheid der zaak de juiste uitdrukking to vinden, zonder idealiseerend klatergoud, art. cit., p. 55). Zola est d'aprês lui la sincerite personnifiee, la franchise a outrance" (Zola is de verpersoonlijkte oprechtheid, de vrijmoedigheid a outrance, ibid., p. 56). I2 dictoires 1). S'il lone chez l'auteur des Rougon-Macquart sa rare energie, sa conviction inebranlable, au point qu'il le qualifie d'un „Hercule litteraire" et le range a cote de Dante, de Raphael, de Michel Ange, de Shakespeare, de Wagner meme, it se voit d'autre part oblige de blamer en lui son manque d'idealisme. „Zola ne se soucie guere, dit-il, de l'impression finale, morale ou esthetique, it ne desire que d'être vrai 2)", defaut qu'il reproche 6galement a Baizac ou a Flaubert. Les realistes francais, Baizac, Flaubert, Zola, ne sont jamais sincerement preoccupes du choix de leur sujet 3). Its pretendent pouvoir tout decrire; tout sujet leur semble propre a etre traite, pourvu qu'il soit etudie a fond, ce qui constitue, d'apres lui, le cote faible de l'ecole naturaliste, qui pechait contre touter les exigences de l'esthetique. „La verite seule ne pouvait etre le but unique de l' art; les naturalistes oublient que la fin de tout art est „la beaute" 4). Se revelant donc, a un certain point de vue, un „moderne", Ten Brink ne s'ecartait point, d'autre part, des anciens dogmes litteraires. Son incapacite artistique ne lui permettait pas d'apprecier l'oeuvre d'art a sa juste valeur, defaut qui lui valut, de la part d'un Van Deyssel, les plus cruelles ironies 5). Cependant, la chose dont la generation suivante devait lui savoir gre — et elle n'y a pas manqué 6) —, c' est d'avoir fait connaitre ici l'auteur qui, plus qu'aucun autre, a inspire et feconde les prosateurs qui vont venir. C'est lui qui, le premier, a appele l' attention sur une litterature dont la nOtre va si prodigieusement beneficier. A coke de Ten Brink, mais superieur a lui et incontestablement plus 1) A propos du second roman du cycle, La Cure, Ten Brink en vint a se prononcer ainsi: „une etude excellente au point de vue physiologique et psychologique" (een uitstekende studie uit physiologisch en psychologisch oogpunt, op. cit., p. 35); „un recit bizarre" (een zonderling verhaal, ibid., p. 42); „un livre peu ragoiitant" (een weinig verkwikkelijk boek, ibid., p. 45); une oeuvre d'art complêtement manquee (een volkomen mislukt kunstwerk, ibid., p. 46). 2) op. cit , p. 33: „Zola bekommert zich niet om den moralen of aesthetischen eindindruk — hij streeft alleen naar waarheid." 3) ibid., p. 32. 4) op. cit., p. 31. „De waarheid alleen is niet het einddoel van den kunstenaar. Zij vergeten, dat alle kunst als hoogste doel de schoonheid huldigt." 5) Voir art. Nieuw Holland [La Hollande nouvelle], Verz. Werken, IV, p. 20; de meme sa critique acerbe a propos d'une nouvelle de Jan ten Brink: Jan Starter en zifn wi ll [J ean Starter et sa femme], ibid., V, P. 74-77. 6) On sait que Couperus et Netscher, les eleves de Ten Brink au lycee a La Haye, se sont montres pleins de reconnaissance au souvenir de leur maitre. Voici les paroles que lui adresse Netscher dans De Hollandsche Revue, 1902, p. 634. „Et 13 artiste, il faut rummer son ami Jean-Jacques van Santen Kolff 1), qui lui aussi etait, au dire de son neveu Frans Netscher, „un des premiers enthousiastes". Esprit fres ouvert aux nouvelles orientations, il etait, plus encore par ses paroles que par ses ecrits, un vrai animateur. Zola le passionne; a tout propos il lui ecrivait de longues lettres, surtout pour s'informer de details qui concernent la composition de son oeuvre 2). Toute nouvelle apparition d'un volume des Rougon-Macquart lui causait une joie profonde. Lorsque La Bete humaine va paraitre, il ecrit a Zola: „ Je suis fres heureux que la date du 15 novembre commence a poindre a l'horizon, car le debut d'une nouvelle oeuvre de votre plume est toujours un grand, un delicieux evenement pour moi" 3). Ses efforts pour faire connaitre le romancier francais en Hollande, lui valurent les com- s'il y a une chose dont nous honorons la memoire de notre ancien maitre Jan ten Brink, ce sont bien les efforts qu'il faisait pour nous initier dans l'art de Zola et a nous en faire decouvrir les beautes". (En wanneer er eèn ding is, waarvoor we onzen ouden leermeester Jan ten Brink, meer dan voor iets anders, dankbaar herdenken, dan is 't voor de pogingen, die hij heeft aangewend, om ons en zijn andere leerlingen in de kunst van Zola in te wij den en er ons de schoonheden van te ontdekken). Lire aussi sa brochure Lastertongen [Mauvaises langues]. Amsterdam, Warendorf, 1890, oil Netscher defend Ten Brink contre les attaques de Van Deyssel et de Frank van der Goes. 1) Jean-Jacques van Santen Kolff (1848-1896), collaborateur du Banier, ecrit plusieurs articles sur les tendances dans l'art moderne, la littêrature, la peinture et la musique. Depuis 1882 il demeure en Allemagne, d'abord a Dresde, ensuite a Berlin, oii il est mort. Peintre lui-meme et musicien de talent, il defend la peinture de 1' „Ecole de La Haye" et la musique de Wagner, chez qui il fait, a Wahnfried, de frequents sejours. Pour plus de details nous renvoyons a l'article interessant de M. P. Valkhoff dans le Haagsch Maandblad [Revue mensuelle de La Haye], 1929, p. 399 sqq. Emile Zola en Jac. van Santen Kolff, voir aussi son article Over het realisme in de Nederlandsche Letterkunde na 187o [Du re'alisme dans les lettres ne'erlandaises apses 1870], De Nieuwe Taalgids, XXIII, p. 161-179 et Emile Zola et la litterature neerlandaise dans les Melanges Baldensperger, Paris, Champion, 1930. 2) „Vos questions, ecrivait un jour Zola, s'accumulent a tel point qu'elles m'epouvantent" (voir De Nieuwe Gids, [Le Nouveau Guide] 1931, I, p. 538). La conespondance de Zola avec Kolff, datee du io mars 188o au 12 aoilt 1895, est actuellement conservee aux archives municipales a La Haye; elle offre surtout une valeur documentaire, puisqu'on y trouve une foule de notices que reunissait Kolff sur la genêse du cycle des Rougon-Macquart. On en retrouve des fragments dans la Correspondance de Zola (ed. Charpentier, 1908), dans De Nieuwe Gids, 1931, I, p. 69-72, p. 178-189, p. 266-278, p. 406-411, p. 532-540, et dans l'edition Bernouard, publiee sous les auspices de Maurice Le Blond et de Mme Le Blond-Zola. 3) Voir P. Valkhoff, Haagsch Maandblad, 1929, p. 399. 14 pliments du maitre 1). En Allemagne it etait l'intermediaire entre Zola et les auteurs de ce pays; it ne cessait de lui traduire les articles desapprobateurs, les railleries qu'on debitait sur son compte, se faisant ainsi le compilateur zele, le greffier du Zolaisme. La valeur de Kolff comme „precurseur" du Mouvement de 188o, c' est sans doute d'avoir signale aux jeunes les belles qualites artistiques que possedait rceuvre des auteurs naturalistes 2). Dans une lettre, non datee, de la fin de 1884, Van Santen Kolff ecrit a Arij Prins, a propos de Germinal qui, en ce moment, etait en train de paraitre dans le Gil Blas. „Tout est merveilleux par la peinture et tres interessant par le sujet meme. „L'entree en matiere" est, comme toujours, extremement belle, tres pittoresque de dessin et en outre de couleur; ces premieres histoires qui traitent du travail des mineurs hors des mines et a l'interieur, sont diablement difficiles a lire, a cause des nombreux termes techniques qu'on ne trouve pas meme dans un dictionnaire ordinaire . . . . On est touché de pitie devant la misere de ces pauvres qui livrent „un struggle for life" comme des forcats. Mais vous pensez que le peintre Zola a parfaitement reussi a reproduire cette vie sous terre ou vacillaient les mysterieuses et pales lumieres des lampes 3). Plus tot déjà, en 1877, dans un article tres chaleureux sur la peinture moderne 4), it avait signale la concordance frappante entre l'art pictural et l'art litteraire. Citant 1) Dans la lettre datee du 23 few. 1885. „ Je vous remercie de vos efforts pour me populariser en Hollande". 2) La correspondance de Van Santen Kolff avec Netscher et Van Deyssel fait voir comment ils discutaient les evenements litteraires de ces jours et se tenaient au courant de ce qui etait publie a Paris et dans les revues etrangéres, comment aussi ils entraient en relation avec divers auteurs; cet interet pour tout ce qui se passe a l'etranger et specialement a Paris illustre bien le caractêre cosmopolite du mouvement qui allait naitre, cf. Uri, Arij Prins. Delft, Waltman, 1935,p. 42-44. 3) „Alles is prachtig van schildering, dat kun je denken, en ook door het sujet zeer interessant. De „entrée en matiêre" is weer, zooals altijd, buitengewoon mooi, zeer pittoresk in teekening en kleur bovendien; die eerste histories, die het werken buiten en voornamelijk in de mijn behandelen, zijn duivelsch lastig om te lezen, door al de technische termen, die in een gewoon lexicon niet eens volledig te vinden zijn . . . . Men wordt van diep medelijden doordrongen met die stakkers, die een „struggle for life" als dwangarbeiders voeren. Dat 't leven onder den grond, in de eeuwige duisternis, met geheimzinnig-flauwe, doffe lantaarnlichtjes, enz., enz., den schilder Zola vrijwel gelukt is, kun je begrijpen ! ! !", cf. S.-P. Uri, op. cit., p. 41, 42. 4) De Banier [La Banniere], 1877, I, p. 222, 249 sqq., art. Over de nieuwste richting in onze schilderkunst naar aanleiding der jongste tentoonstelling te Amsterdam [Des nouvelles tendances dans notre art pictural a propos de la derniere exposition a Amsterdam]. I5 Flaubert, Daudet, Zola, Gustave Droz ii constate avec joie que toutes les manifestations de l'art montraient une tendance três forte vers „la verite dans la peinture de la vie, de la nature et de l'homme, tels qu'ils sont" 1). Il se rejouit que le nombre des oeuvres realistes augmente toujours; selon lui, on n'aurait pas a s'affliger de ce phenomene, fortifie qu'il etait par la conviction que dans toute oeuvre d'art il resterait un brin d'idealisme pour la proteger contre la chute dans le trivial absolu, dans la copie fidele de tout ce qui est detestable 2). Bien qu'il se montre ici un ennemi des exces, craignant les effets desastreux d'une litterature sans aucun idealisme, it applaudit neanmoins dans la litterature comme dans la peinture, a la reaction heureuse contre tout ce qu'il y a dans l'art de faux et de conventionnel. Sans prendre activement part a la grande renovation qu'il pressent, it aide a le preparer par ses conseils suggestifs et son enthousiasme. Intuitivement it a compris que c'est a la source seule de la Write et de la libert6 que devait aller se rajeunir notre litterature pour sortir de l'impasse ofi elle se trouvait. C'est la peinture et la litterature francaises de l'heure, comme Kolff n'avait cesse de le suggerer a ses contemporains, qui devaient pousser notre litterature vers une orientation nouvelle 3). En effet, le Mouvement de 188o, ou Out& son expression litteraire, ne se concoit guere sans une etude de l'art pictural qui l'accompagne et de ses aspirations essentielles auxquelles l'art de 188o semble devoir autant qu'au naturalisme francais. En 187o, plusieurs peintres hollandais qui travaillent a Paris 4), se voyant exposés aux inconvenients de la guerre, s'etaient rapatries. Its s'installerent a La Haye, ou s'etaient reunis quelques confreres, attires 1) art. cit., p. 356. „Alle kunsttakken en richtingen in onze dagen worden bezield door een machtigen drang naar natuur en waarheid, naar eenvoud in het schilderen van het leven, de natuur en den mensch, zooals zij zijn". 2) ibid., p. 361. „Gesterkt als wij zijn door de overtuiging, dat er in alle waarachtige kunst altijd een voldoende sprank van weldadige idealiteit zal overblijven, om haar to bewaren voor een bedroevend vervallen in het absoluut lage, gemeene, wanstaltige, mismaakte, kortom tot vuil „realisme", tot een photographisch getrouwe afspiegeling der afzichtelijke, naakte werkelijkheid". 3) Maintenant que nous sommes mieux renseignes, grace a la belle etude que M. G. Brom a consacree aux auteurs et peintres de cette époque dans ses Hollandsche schrijvers en schilders in de vorige eeuw [Auteurs et peintres hollandais au siècle dernier]. Rotterdam, W.-L. & J. Brusse, 1927, nous voyons comment Van Santen Kolff a vu juste et a entrevu l'art qui allait venir. 4) Jacob Maris, Artz, Kaemmerer entre autres. Voir Revue de Hollande, III, p. 581 (reponse de Zilcken a l'enquéte sur l'influence de l'esprit francais en Hollande). 16 sans doute par les environs, la fora, les paturages, les dunes, la plage de Scheveningue, qui avaient deja si souvent inspire les Brands paysagistes du XVII e siècle 1). Weissenbruch, Bosboom y demeuraient déjà, Joseph Israels, „le patriarche de la peinture hollandaise", s'y kablit en 1869; Mauve, Bisschop, Artz, les deux Neuhuys y vivront de 1870 a 1875, Roelofs viendra un peu plus tard, Breitner et Toorop arriveront en 18802). Plusieurs d'entre eux avaient travaille en France, en un contact direct avec leurs collegues francais; les freres Maris avaient fait des etudes a Paris et a Bruxelles; J.-B. Jongkind 3), sous l'influence de Daubigny et de Lepine, s'etait fait un des pionniers de l'impressionnisme. A quel point nos artistes se passionnaient pour la peinture francaise, c'est ce que prouve une lettre de Bilders (1838-1865), ecrite pendant un sejour a Paris. „ Je viens de voir des peintures plus belles que tout ce que je ne revais; j 'y trouve les aspirations de mon cceur, ce qui ne m'arrive jamais pour les peintures de chez nous. Troyon, Courbet, Diaz, Dupre m'ont fait une impression immense. Me voila bon Francais, bon Hollandais aussi, puisque les Francais d'aujourd'hui sont les freres de nos vieux maitres" 4). Marius Bauer, disait Zilcken 5), prenait l'express pour Paris, quand it se sentait „las, &courage, languissant", et que le travail n'allait pas; it y restait deux, trois jours „pour recommencer a travailler, rafraichi, imbibe de multiples impressions d'art" 6). La peinture hollandaise n'est pas sans subir l'influence de ce contact intime 7). Les maitres de 1) A Ruysdael entre autres. 2) Its formeront, ce qu'on appellera plus tard en peinture l'„Ecole de la Haye". M. P. Valkhoff suppose qu'on doit cette denomination a Van Santen Kolff, voir De Nieuwe Taalgids, XXIII, p. 170. 3) J.-B. Jongkind, 1819-1891; Edmond de Goncourt, dans le Journal, V, 17 juin 1882, ecrit sur lui: „Une chose me frappe dans ce salon, c'est l'influence de Jongkindt. Tout le paysage qui a une valeur, a l'heure qu'il est, descend de ce peintre, lui emprunte ces ciels, ses atmospheres, ses terrains. Cela saute aux yeux et n'est dit par personne". 4) Revue de Hollande, III, p. 583. 5) Ph. Zilcken, célèbre aquafortiste, ami de Netscher et de Prins, connait personnellement Edmond de Goncourt et Huysmans, recoit ici, en 1894, Paul Verlaine; on trouve maint souvenir de cette époque dans son livre interessant Au Jardin du Passe Paris, Messein, 193o. 6) Revue de Hollande, III, p. 581. 7) Cf. Zilcken, Revue de Hollande, III, p. 583. „ Jacob Maris a subi incontestablement l'influence de Millet, de Corot, de Daubigny". Johan de Meester, dans la Revue de Hollande, IV, p. 768 &fit: „L'ecole de La Haye s'est inspiree de Barbizon; les Maris ont etudie a Paris, Jozef Israels a voulu y faire des sejours jusqu'aux 17 Barbizon et de Fontainebleau contribuerent grandement a reveler aux artistes hollandais les splendeurs de la nature. Ceux-ci s'etaient facilement assimile les conceptions d'art qu'y professaient les peintres dits impressionnistes, dont l'idêal consistait a chercher avant tout l'atmosphêre, la lumiere, la couleur, la nuance qu'ils s'attachaient a reproduire d'une fawn immediate et toute personnelle. On ne souffrait plus que la vision de l'artiste fit troublee ou modifiee par des conceptions conventionnelles qui deformeraient la notation exacte de l'impression revue. Déjà l'ecole realiste de Courbet, proscrivant de la peinture les sujets mythologiques et religieux, historiques et anecdotiques, avait desire reproduire les choses telles qu'elles sont, sans pretendre les embellir par le travail de l'esprit. Il en resultait que l'artiste n'avait plus a se soucier du choix de son sujet; tout valait d'être reproduit et pouvait inspirer le vrai artiste 1). Déjà en 1874, F.-P. ter Meulen, peintre lui-meme et grand admirateur de Mauve, avait publie dans De Gids 2) un article, interessant a ce point de vue, intitule De Maatstaf der Kunst [Le Critdrium d'art], s'inspirant evidemment des nouvelles idees qui se faissaient jour. D'apres lui la valeur de l'o2uvre d'art ne dêpendait aucunement du sujet, mais de la fawn dont it etait reproduit. Plus tard, en 1879, it reprendra la defense de ses theories, dans un article Kunstwaarde [Valeur artistique] 3), oil it montre la faussete de la conception qui pretend chercher dans le sujet la „pensee de l'artiste". A une époque oil les peintres „realistes" etaient encore dedaigneusement qualifies de „copistes de la nature", ces idees temoignaient déjà d'une vue três hardie et moderne 4). A cote de lui Van Santen Kolff prit, dans De Banier 5), la defense des nouveaux maitres. I1 park avec enthousiasme de la nouvelle ecole, louant beaucoup la fawn „plus moderne" de voir et d'observer, condernieres annees de sa vie, pour y prendre „un bain de printemps"; Mesdag, homme courageux et entreprenant plus que grand artiste, ne fut tranquille qu'aprês s'étre conquis une place au Luxembourg". ' 1) Lorsqu'en 1850, Josef Israes avait peint une vieille femme laide, Jan Kruseman lui conseilla de ne pas peindre des types degoiltants parce que vela corrompait le gofit. 2) De Gids, 1874, I, p. 502-514. 3) De Gids, 1879, I, p. 85-98, article inspire peut-étre par Fromentin, Les maitres d'autrefois (traduit en 1877). 4) Beaucoup plus tard, en 1889, Emants soutiendra les memes idees dans son article Pro Domo (De Gids, 1898, II, p. 527 sqq.). 3) De Banier, 1877, I, p. 222 sqq. 2 IS sistant en une vision plus directe, plus consciencieuse de la nature. I1 reproche aux partisans de l'ancienne ecole de „se cramponner a la convention" et „de rester les esclaves de la tradition et de la routine", de se mefier de la tendance „moderne" ou „realiste". Les peintres realistes, dit-il, sont vrais dans le sens le plus large du mot, ils sont sans pretentions, ils cherchent avant tout la vërite et la beaute, sans are esclaves de la mode" 1). B. est meme curieux de voir comment nos peintres, s'enthousiasmant pour une tendance litteraire qui correspondait singulierement avec leurs ambitions a eux, y decouvrent de nouvelles inspirations. „Dans ces temps recules dep., temoigne un des leurs, Ph. Zilcken, mes maitres et mes amis, les Maris, Breitner, De Zwart, Isaac Israels, Bauer et presque tous les jeunes peintres lisaient avec passion Zola et Salammb6, tandis que Manette Salomon 2) trainait sur les divans des ateliers" 3). „Personnellement, ajoutait-il, je sais que les Goncourt, Zola, les livres de Fromentin contribuerent a orienter mes pensees en art" 4), et ailleurs „La lecture des oeuvres des Goncourt a certainement influence considerablement mon developpement general. Aussi it est certain que si, en 1883, je suis parti pour peindre en Algerie, c'est a la lecture de leurs descriptions suggestives d'un Orient peu connu que je fis ce voyage a la recherche de la lumiere, voyage qui a ete un des tout premiers voyages d'etudes en Orient entrepris par un peintre hollandais" 5). De meme que Van Gogh subit, pendant sa „periode hollandaise", l'influence de Zola qui lui re- yea la grandeur de la terre et des paysans 6), Isaac Israels (1865-1934), sous l'impression de Germinal, s'installe a Charleroi (1884-1885) pour y peindre les milieux pauvres des ouvriers. Ce dernier surtout s'est montre un passionne de la litterature francaise 1) ibid., p. 249. Onze „realistische" (sic) schilder is in zijn kunst „waarachtig" in den vollen zin van het woord; (p 251) „geen modedienaars". 2) Les peintres gofitaient ce roman des Goncourt, qui y ridiculisent les critiques officiels et dófendent une critique „impressionniste" qui „renonce aux rêgles, aux opinions conventionnelles, aux recettes, aux formules qui permettaient de juger automatiquement", qui „n'ecoute que le gout individuel de l'artiste". cf. Pierre Sabatier, L'Esthe'tique des Goncourt. Paris, Hachette, 192o, p. 537. 3) Revue de Hollande, III, p. 581. 4) ibid., III, p. 581. 5) ibid., I, p. 65. 6) Encore pendant son sejour a Arles Van Gogh ecrira un jour a son frêre Theo: „Je viens de relire Au Bonheur des Dames de Zola, et je le trouve de plus en plus beau". Mercure de France, IX (1893), p. 116. 19 contemporaine. Francois Erens, son ami personnel, vante son amour des lettres et sa connaissance des grandes litteratures. Dans sa seizieme annee, nous raconte-t-il, cet „enfant prodige" lisait Dante et Leopardi dans l'original; ii entendait et parlait plusieurs langues, parmi lesquelles le russe; ii recitait Horace en latin, citait de memoire des phrases entiêres de Cervantes; „sa bibliotheque se composait des oeuvres les plus raffinees de pokes et de prosateurs" 1). Ayant debute par des toiles qui traitent de la vie militaire 2), Israels se fera bientOt le peintre d'Amsterdam, dont il evoqua avec un rare talent les quartiers louches (Zeedijk) avec ses bars, ses dancings, ses filles. Il montre une extreme sensibilite a „l'atmosphere", trait qu'il retrouvait et admirait chez Huysmans et dont il park dans une lettre a Arij Prins. „Avec Valk 3) j'ai decouvert dernierement les beautes qu'Amsterdam revele la nuit. C' est curieux comment ces effets qu'on a déjà si souvent remarques, prennent soudain du relief dans toute leur grandeur. Dans En Ménage je lisais quelque chose de pareil, lorsque Andre ressent tout a coup la sensation exacte de son quartier . . . ." 4) . Dans la meme lettre, qui temoigne d'une singuliere correspondance entre lui et l'auteur des Sours Vatard, it park de son enthousiasme grandissant devant l'oeuvre recente de Huysmans, qu'il regarde comme „le plus sympathique" des auteurs francais contemporains. „En Rade m'a ecrase. Quel visionnaire! s'ecrie-t-il. Huysmans m'a vraiment gate, it ne m'est guere possible de lire autre chose . . . . Une Vie de Guy de Maupassant me paraissait, l'autre jour, banal. On n'y trouve aucune vision particuliere de la nature. Le titre seul est beau, le reste du grog de Flaubert.... J'ai essaye aussi de lire L'Ensorcele'e de Barbey d'Aurevilly, mais it m'etait impossible d'en continuer la lecture, de meme que celle de Notre Dame de Paris de Hugo. Bon Dieu, comme ce romantisme 1) F. Erens, Hollandsche schilders van dezen tijd [Peintres hollandais contemporains] (Isaac Israes). Amsterdam, Elsevier, 1912, p. 8. „Zijn bibliotheek bestond uit de meest geraffineerde werken van dichters en prozaschrijvers". 2) Son Militaire Begrafenis [L'Enterrement Militaire] attira, au salon des Champs Elysees ( ± 1883) l'attention generale, entre autres celle d'Albert Wolff, le célèbre critique d'art au Figaro. 3) Valk est l'aquafortiste Maurits van der Valk, fort lie aussi avec Willem Kloos. 4) Lettre datee de mars 1887, citee dans S.-P. Uri, Arij Prins, p. 29. „Met Valk heb ik laatst de schoonheden ontdekt van Amsterdam bij nacht". Curieus dat effekten die men al zoo dikwijls gezien heeft, ineens in al hun grootheid als 't ware gereleveerd kunnen worden. Ik las in En Menage iets dergelijks, als Andre plots de juiste sensatie krijgt van het karakter van zijn quartier". 20 est perime. L'epoque de la Chanson de Roland m'attire plus que celle d'avant '3o" 1). Des assertations de cette sorte montrent clairement, comment a cette époque les ambitions des peintres et des litterateurs vont parallelement. Van Santen Kolff avait ete le premier, en citant sous ce rapport les noms des ecrivains francais, a signaler l'affinite qui existait entre les deux arts 2). C'est sous cette double activite de la peinture et de la litterature francaise contemporaines, a laquelle it faudra, pour certains, ajouter celle d'un Taine 3), que nous voyons naitre ici, avant 188o déj une mentalite particulierement propre a favoriser la penetration des nouvelles conceptions artistiques que professaient les auteurs naturalistes en France. C'est a partir de 188o surtout que les auteurs francais trouvent ici des sympathies toujours plus grandes. Nour verrons, a la maniere dont chacun des auteurs reagissait individuellement, comment les nouvelles idees etaient accueillies ici avec faveur et inspiraient nos auteurs. Les artistes de l'art pour Part decouvraient dans le realisme et le naturalisme 1) Citêe dans la meme lettre, cf. S.-P. Uri, op. cit., pp. 107, „Overdonderend soms En Rade. Wat een visionnair ! .... Huysmans heeft me eigenlijk verwend, ik kan weinig anders meer lezen.... Une Vie van Guy de Maupassant leek me laatst ordinair. Welke particuliere vision van de natuur zit daar nu in? De titel is mooi, de rest grog van Flaubert. Ik heb ook L'Ensorcelie van Barbey d' Aurevilly trachten te lezen, maar kon 't evenmin doorzetten als mijn plan Notre Dame de Paris van Hugo te lezen. Goede hemel, wat is die romantiek voorbij ! Ik voel voor den tijd van de Chanson de Roland meer als voor '3o". Zilcken aussi avait remarque le „modernisme" chez Isra els, qui „aimait alors a repeter „le moderne, it n'y a que ca", tout en citant d'autres phrases de Goncourt ou de Baudelaire". Revue de Hollande, III, p. 581. 2) Cette communaute d'aspirations n'a pas manqué d'amener ici, comme en France, une fraternisation entre peintres et litterateurs qui ne cessent de s'encourager et de s'admirer. Voir G. Brom, op. cit., p. 95 sqq. 1) Voir, dans notre chapitre sur Emants, l'influence de Taine sur ses conceptions d'art. 4) Avant 188o personne, au cours du XIXe siècle, ne s'est exprime ici en faveur des principes de l'art pour l'art; les premiers qui les defendent avec zêle, ont ete les Auteurs de 188o sous l'influence des litteratures etrangéres. Allard Pierson (1831-1896), professeur d'esthetique, d'histoire de l'art et de langues modernes a Amsterdam, qu'on a cite comme un precurseur (e.a. C.-G.-N. de Vooys, Verzamelde Opstellen, p. 234) ne s'est cependant jamais fait le defenseur convaincu de ces principes. Dans sa brochure De beteekenis der kunst voor het zedelijk leven [Le sens de Part pour la vie morale], Haarlem, Kruseman, 1862, it s'est exprime, a cet egard, avec nettete. A ses yeux l'art ne devait etre jamais une copie de la nature; 2I francais des tendances qui ripondaient singuliêrement a leurs propres aspirations. Ce que les Auteurs de 188o appreciaient surtout dans le naturalisme francais, c'etait une reaction contre les exces du romantisme et un retour aux principes qui seules, croyait-on, pouvaient etre la base d'un art vigoureux et sain. Willem Kloos par exemple 1), le pionnier du mouvement de 188o, a ressenti, malgr6 ses sympathies pour la litterature anglaise du debut du siècle et des grands pokes allemands, Schiller, Goethe, Von Platen, Ruckert une sympathie asset grande pour les nouvelles tendances dans la litterature francaise puisqu'elles constituaient a ses yeux une „reaction heureuse et naturelle contre le subjectivisme insipide et le vague de la vision conventionnelle, qui ne s'appuie sur aucune base solide de realite physique ni psychique" 2). A propos des premieres tentatives realistes d'Arij Prins et de la prose epique qui, avec cet auteur, avait fait son entrée dans nos lettres, it constata que les auteurs realistes aspiraient a un ideal artistique, analogue a celui que s'etaient cree les pokes. „Et nous agissons de meme. Nous laissons agir sur nous la realite de nos visions et de nos passions, qui constituent notre realite a nous, sans les entraves de la tradition ou des modeles, et nous tachons de les reproduire en des termes equivalents. C'est en ceci que nous nous approchons des naturalistes et que nous nous rangeons de leur cote contre les autres" 3). C'est dans la methode de l'observation exacte et de la reproduction fidele des impressions et des sentiments qu'il voit le salut de nos lettres et le moyen de les &ever au rang des litteratures etrangeres. La definition que la poesie devait etre „la reit devait avoir une fin qui n'êtait pas confinee en elle-méme; l'art avait une signification profonde pour la vie morale; seulement „qu'un bon genie nous preserve que la tendance morale d'une oeuvre d'art en determine jamais la valeur artistique" (een goede genius beware ons er voor, dat de zedelijke strekking van een kunstgewrocht ooit de waarde ervan zou mogen bepalen, p. 15o), voir K.-H. Boersma, Allard Pierson. La Haye, Nijhoff, 1924, p. 418. 1) Willem Kloos, ne en 1859, est un de nos plus grands poêtes et un critique celêbre, dont les etudes litteraires ont ete recueillies dans Veertien Jaar Literatuur-Geschiedenis [Quatorze ans d'histoire litteraire, 188o-1894]. 2) De Nieuwe Gids, 1902, I, p. 55o. „Een gezonde, rechtmatige reactie van de natuur tegen het zinloos-subjectieve, het vaag-geziene, want op geen enkelen, psychischen noch physischen ondergrond van hechte realiteiten steunend". 3) Kloos, Veertien Jaar Litt. Gesch., I, p. 180. „En dat doen ook wij. Wij laten de werkelijkheid onzer visioenen en hartstochten, die onze werkelijkheid is, op ons werken, zonder belemmering van traditie of modellen en wij trachten ze te beelden en te zeggen, in de woorden, waartoe zij zich vormen. Hierin komen wij overeen met de naturalisten en hierin staan wij met hen, tegenover alle anderen." 22 production minutieusement exacte des mouvements de Fame" 1), montre clairement la voie que Kloos indiquait; toujours il s'est oppose aux images vagues et imprecises dont usaient les litterateurs d'avant '8o 2). Cependant la conception etroite du naturalisme, qui se bornait exclusivement a la description de certains milieux sociaux, de „la vie de jour-en-j our" 3) devait deplaire au poete pour qui ne valait au fond que la vie intime et mysterieuse de Fame. Il reprochait a l'auteur des RougonMacquarl de ne pas avoir compris qu'il y avait a cote d'une realite „materielle" une realite „psychique" qui toutes les deux meritaient d'être observees et representees 4). Selon Kloos il etait impossible a Zola, par suite de ses dispositions particulieres et de sa connaissance mediocre de l'art humain en son entier, de comprendre le sens vrai de „naturaliste" que Kloos desirait accepter dans le sens le plus large, le plus profond. „Tout art pur de toutes les generations, disait-il, filt-il de Shelley ou de Shakespeare, de Dante ou de Sophocle, etait naturaliste, c'est-hdire base sur la nature, sur ce qui est veritablement" 5). Van Deyssel 6), lui aussi a vu dans le naturalisme un mouvement litteraire qui obeissait aux principes fondamentaux de l'art. Sa nature „artiste" qui aspirait a la liberte et a la verite dans Fart, devait etre skluite par l'objectivite quasi scientifique avec laquelle les naturalistes francais etudiaient le monde ambiant. Zola, les Goncourt, Huysmans seront pour lui les grands maitres chez qui il admirait le devouement desinteresse avec lequel its tendaient a saisir la vie dans toutes ses manifestations directes, conception d'art qui, au commencement, l'a passionnement emu. Van Deyssel ne resta pas seul dans son enthousiasme. Plus qu'aucun autre il a su eveiller la sympathie pour une litterature 1) op. cit., preface, p. 4. „Poezie is de haarfijn-preciese weergave der bewegingen van de ziel". 2) Binnengedachten [Pensdes du for intdrieur]. De Nieuwe Gids, 1925, I, p. 49. „'k ontweek steeds, wat vaag-vreemd is" et De Nieuwe Gids, mai, 1932, I, p. 562. „Ik wil altijd alleen haarfijn-precies uitdrukken, wat er in mij leeft — ik houd niet van vage h-peu-prês — en wat ik dan waarachtig sterk voel". 3) De Nieuwe Gids, mai, 1902, p. 553. „Maar zij (het naturalisme) zoekt to veel in het „la vie de jour-en-jour" van 't gros der menschen". 4) ibid., nov., 1902, p. 184. 5) ibid., nov., 1902, p. 553. „Alle zuivere kunst van alle geslachten, 't zij Shelley of Shakespeare, 't zij Sophokles of Dante, is „naturalistisch", d.i. op-de-natuur, op-het-waarlijk-zijnde gebouwd". Plus tard, a propos de la mort de Zola, Kloos lui a rendu hommage dans un poême, intitule Zola's Dood [La Mont de Zola], oil il glorifie sa puissance visionnaire. Vo'r De Nieuwe Gids, 1902, p. 147. 9 Voir notre etude speciale sur Van Deyssel, p. 56-73. 23 qui faisait entrevoir un nouvel ideal artistique plus &eve, que n'avaient jamais atteint ici les generations precedentes. BientOt it se forma autour de lui un groupe de jeunes litterateurs, tous admirateurs passionnes de la litterature francaise contemporaine, et qui ne tarda pas, comme nous le verrons aux chapitres suivants, a s'inspirer des nouveaux maitres. A l'enthousiasme des „jeunes" s'opposait la mdiance et le dedain de la critique conventionnelle. Voici ce qu'Olim 1), dans le N ederlandsche Spectator de 188o, ecrivit a propos de L'Assommoir: „Ce livre en est presque a sa centieme edition; du point de vue d'un art qui doit edifier et reconforter Fame, ce roman peut passer pour le plus degofitant — j e ne dis pas le plus immoral — de la litterature mondiale. L'Assommoir, traduit dans notre langue maternelle, ferait reculer le lecteur le plus hardi. Puis Zola est un passionne, qui ne se soucie que de ce qui est sale et laid; l'interet du pretendu experimentateur scientifique sent trop le bordel, c'est souvent la soif scientifique de la lubricite. L'odeur des femmes l'enivre; du moms it semble vouloir en griser ses lecteurs. Celui qui ne sent pas que Zola, en cleshabillant une femme — et aucune de ses femmes n'echappe a ce procede artistique, pourvu qu'elle ait bonne mine et que cela vaille la peine ! — kale une voluptê bestiale, est un eunuque" 2). Les revues et les journaux de cette époque abondent en critiques que la haine et l'indignation semblent dicter. „Il etait rare, disait alors A.-G. van Hamel, qu'une critique ponderee et impartiale se fit entendre des qu'il s'agissait des produits litteraires de Zola" 3). On cria au scandale, on couvrit l'auteur des Rougon-Macquart des plus sottes invectives, le 1) Pseudonyme de H.-L. Berckenhoff. 2) De Nedeylandsche Spectator, 188o, p. 81. „Dit boek heeft nu bijna zoo drukken beleefd. Uit het oogpunt eener verheffende, veredelende kunst, uit het oogpunt van den goeden smaak, kan het wellicht doorgaan voor het onverkwikkelijkste boek — ik zeg niet het onzedelijkste ! — der wereldliteratuur. L'Assommoir in onze moedertaal zou den onverschrokkendste doen terugdeinzen. — Ook is hij (Zola) niet vrij van hartstocht. Behalve dat het leelijke, het vieze hem aantrekt, riekt de hem toegedichte belangstelling van een wetenschappelijk onderzoeker naar het bordeel; het is vaak de wetenschappelijke dorst der geilheid. L'odeur des femmes maakt hem dronken; hij tracht er althans den lezer mee to bedwelmen. Wie niet gevoelt, dat Zola bij het ontkleeden der vrouw — en geen zijner vrouwen ontsnapt aan die kunstbewerking, mits zij er goed uitzien en het de moeite loont! — wie niet gevoelt, dat hij daarbij een beestachtige wulpschheid ten toon spreidt, is een eunuch". 3) De Gids, 188o, I, p. 326. „Het was zelden, dat een onpartijdige en kalme kritiek aan het woord kwam, waar het de letterkundige produkten van Zola gold". 24 traitant de „genie malsain", „d'un dilettante de l'egoilt qui remise le torchon gras" 1) . Ising, jugeant L'euvre dit qu'il avait ferme le livre avec un soupir de soulagement. Comme Brunetiere en France,il reproche a Zola des digressions obscenes et son intention manifeste de speculer sur le gout du public 2). W. Doorenbos, le professeur au lycee moderne a Amsterdam qui avait tant d'influence sur les jeunes, blamait fort la tendance des naturalistes qui „preferent vous introduire dans le monde des obscenites et qui ne voient dans la nature que des saletes" 3). Les predicateurs, de leur cote, ne se lassaient pas de mettre leurs auditeurs en garde contre une litterature oil ils croyaient voir une menace pour les traditionnelles conceptions chretiennes. Leur inquietude fut telle qu'ils se reunirent, en 1886, a Amsterdam of in d'y discuter, dans une assemblee publique, le probleme du naturalisme dans la litterature. , Le pasteur P.-H. Hugenholtz attaqua vigoureusement les exces oil tombait le naturalisme et dont l'influence ne pouvait etre que funeste sur les jeunes Ames. Il reprocha aux naturalistes leur partialite, leur dessein delibere de ne peindre que la „bete humaine". A eux it preferait des auteurs comme Balzac, Thackeray, George Eliot et Tolstoi, êgalement des naturalistes, mais dont l'ceuvre exercait sur l'homme une action edifiante et regeneratrice 4). 1) Wolfgang (pseud. de H. Wolfgang van der Mey) dans De Portefeuille, 1879, p. 279. „Een riool-dilettant, die de verheven poetslap zwaait". 2) A.-H.-L. Ising, De Nederlandsche Spectator, 1886, p. 161, 163. A propos de La Terre parait dans le Ned. Spect., 1887, p. 173 la satire suivante: „Epitaphe. Ci-git l'auteur de La Terre; it a offense l'humanite, la nature, l'art et a amene la chute de son propre naturalisme. La boue de la terre lui profita. Que la terre lui soit legêre "(Grafschrift. Hier ligt de schrijver van La Terre. Hij heeft het menschdom, de natuur, de kunst beleedigd en zijn eigen naturalisme ten val gebracht. Het slijk der aarde was hem gewin. Que la Terre lui soit legêre). 3) De Portefeuille, 9. 4, 1881. „De naturalisten, die u het liefst voeren in vuiligheden en in de natuur alleen vuil kunnen zien". 4) Nous verrons comment Frans Netscher attaque furieusement „ce naturalisme a la feuille de vigne", voir De Nieuwe Gids, 1886, II, p. 35o. „Des qu'on blesse le sentiment moral de quelques theologiens, riposte-t-il, on est traite de pornographe et le naturalisme devient une tendance dangereuse" (Zoodra gij het zedelijkheidsgevoel van eenige theologen kwetst, zijt gij pornograaf en wordt het naturalisme een gevaarlijke kunstrichting). 5) Frederik van Eeden (186o-1932) fait des etudes de medecine, s'interessant plus specialement a des questions d'ordre psychologique. Il sera, en 1885, un des fondateurs du Nieuwe Gids. En 1887 it publie son premier roman qui l'a rendu. cOlêbre, De Kleine Johannes [Le petit Johannes], (traduit du hollandais par Leon Paschal, Revue de Hollande, V, pp. 209, 307, 411), espêce d'autobiographie oil la 25 De la part d'un Frederik van Eeden aussi, on pouvait s'attendre a une vive resistance contre un courant artistique qui repondait si peu a son besoin d'une litterature qui elevat et edifiat Fame. Nature profondement ethique, il ne cessa de blamer dans le naturalisme ce qu'il y avait de clegofitant et de trivial. Ce qu'il critiquait surtout, c'etait l'analyse par le menu de nos sensations physiques, notamment celles qui touchaient a la vie sexuelle 1). Il compare le naturaliste au botaniste qui cueille le nenuphar blanc pour savoir comment ii est enracine dans la vase et nourri par la terre noire. Aussi condamne-t-il Een Liefde [Un Amour] de Van Deyssel „pataugeant, lui aussi, dans les miseres de notre existence physique" et „gachant ses talents" en les consacrant a la description de choses qu'il valait mieux ne pas decrire. „Alors je ris, helas! — comme un paysan qui voit arriver un roi dans sa ferme, le voit accrocher la couronne d'or a une branche, mettre le manteau d'hermine sur la barriêre, et qui le voit bécher et transporter du fumier dans une brouette, trimant maladroitement jusqu'a ce que ses mains royales sont sales et que ses bas de soie sont crottes et qu'il finit par demander au paysan d'une voix hesitante, en suant sur un travail auquel il n'est pas fait: „C' est Bien fait, comme cela?" 2) figure principale, Windekind, symbolyse les aspirations êlevees d'une ame poetique qui abhorre un monde egoiste et materiel. Admirateur de Shelley, cette „figure juvenile et lumineuse", qu'il oppose a la sombre figure meridionale qui attire tous les regards sur lui (Studies, I, p. 37), Van Eeden ne se lasse pas de combattre ce qui est banal et vulgaire. En 1897, il fonde la colonie Walden oil il espére rêaliser son ideal d'une societe oil l'on vit en communaute de biens et d'idees, experience qui lui a valu d'amêres deceptions. En 1922 il s'est converti au catholicisme. Il est tout naturel que van Eeden se soit senti attire vers l'art du reve. Dans De Nieuwe Gids, 1890, I, p. 86 sqq., il consacre un article Decadenten [Les De'cadents] aux nouvelles tendances litteraires en France, analysant l'art de Laforgue, de Banes et de Dujardin (repris dans Studies, I, p. 105-138). 1) De Nieuwe Gids, 1887, II, p. 61 sqq., art. Over het naturalisme [Sur le naturalisme], etude reprise dans Studies, I, p. 32-37. 2) Studies [Etudes], I, p. 35. En dan lach ik, helaas! — als een boer die een koning ziet komen op zijn erf en hem de gouden kroon ziet hangen aan een boomtak en den hermelijnen mantel over een hek, — en hem ziet spitten en mestkruien, — zwoegend en onhandig, tot zijn koninklijke handen vuil en zijn zijden kousen be. morst zijn, en hij, zweetend van het ongewone werk, dan nog een weinig angstvallig naar den boer opziet, vragend: „Is het zoo goed ?" Lire aussi son etude Woordkunst [L'Ecriture artiste], Studies, IV, p. 313, 365 sqq., oil il attaque chez Van Deyssel son amour d'une forme parfaite qui aboutit a un art sans „humanite", cf. p. 376. „ Je n'aime pas la littêrature, ni l'art, ni la poezie — j'aime les hommes" (Ik houd niet van literatuur, ik houd ook niet van kunst, ik houd niet van poezie — maar ik houd van menschen). 26 Cependant cette repugnance a l'endroit des inconvenances littëraires 1), n'a pas sensiblement entrave, nous semble-t-il, la penetration des nouvelles conceptions d'art. C'est tout au plus qu'on constate chez plusieurs de nos auteurs une tendance a adoucir, a temperer, du peut-titre a leur besoin de poetiser une realite que les naturalistes aimaient a representer dans sa vulgarite 1). Mais, en general, les principes litteraires que leur suggeraient les exemples strangers leur commandaient de ne point ceder aux exigences des conventions. Netscher, Van Deyssel, Hartog, Heijermans paraissaient volontairement blesser le bourgeois dans ses opinions consacrees; ils se refusaient a faire des concessions a la morale pour plaire a un public que, au fond, ils detestaient. „L' art n'a rien a voir avec la vertu, disait Maurits Wagenvoort, pas meme avec „les bonnes moeurs". L'artiste demande seulement ce que dit et fait la vie, c'est-a.-dire la verite. Dans l'art tout est moral, pourvu que ce soit de l'art.... Les passions ne se soucient pas de nos conceptions de morale perimees" 2). De ces audaces, Zola etait plus ou moms directement responsable. Par l'intransigeance de ses conceptions artistiques, par la hardiesse avec laquelle il les mettait en pratique, il eveillait les grands enthousiasmes; c'etait lui qui preoccupait et revoltait les esprits. „Zola, disait Ch.-M. van Deventer, etait le romancier francais qui nous interessait, qui nous preoccupait; quoique sachant que Zola adorait Balzac, c'est Zola qui etait lu et discute et, non pas Balzac" 3), ainsi que le prouve tel temoignage de 1) Cette repugnance se fait voir par exemple dans les traductions des romans de Zola, oil certaines expressions indêcentes sont remarquablement adoucies, cf. L' Assommoir, p. 17, et De Kroeg, Nijmegen, Cohen, s.d., p. 19 sqq. „Ces gueux d'enfants, ma parole! Ca a de la suie au derriere" et la traduction hollandaise: „Het is waarachtig of die kinderen zich met roet besmeren;" „m'allongeait des coups de pieds dans les reins et „sloeg mij om een niemandalletje"; „il en avait assez de to carcasse" et „hij had genoeg van je"; „l'eau pissait par-dessous sa robe" et „het water stroomde onder haar japon uit", etc. 2) Vosmeer de Spie (pseud. de M. Wagenvoort), Een Passie [Line Passion]. Amsterdam, D. Buys Dz., s.d. (1891), preface, p. IV, V. „De kunst heeft met deugdzaamheid, zelfs met „goede zeden", niets to maken. De artiest vraagt alleen wat het leven, dat is de waarheid, zegt en doet. In de kunst is alles zedelijk, mits het kunst zij. De hartstochten storen zich niet aan onze gekunstelde welvoegelijkheidsbegrippen". Wagenvoort attaque furieusement les editeurs, ces „paladins de la moralite", qui par egard pour l'opinion publique, refusêrent de publier son roman, 3) De Gids, 1896, II, p. 432. „Balzac was voor mijn tijdgenooten en mij geen man om wie wij dachten. Zola was de Fransche romanschrijvcr die ons bezighield, en al wisten wij, dat Zola zelf Balzac aanbad, Zola was het die gelezen werd, overdacht en besproken, en niet Balzac". 27 Frans Erens, qui le premier se grit a defendre l'art des symbolistes. „ Je defendais a Amsterdam le bon droit de la nouvelle tendance, mais j'etais peu ecoute, puisque l'art de Zola dominait seul" 1). Il nous reste a dire un mot des traductions. D'une maniere generale on peut dire que la plupart des auteurs realistes et naturalistes n'ont pas ete traduits en hollandais. On ne trouve, avant 190o, aucune traduction de Flaubert 2), ni des Goncourt, ni de Huysmans. Celui-ci 6crivait un jour a son ami Arij Prins: „Nous autres „ecrivains artistes" sommes intraduisibles; it en est de mon oeuvre, transposee dans une langue etrangere, comme de la tienne" 3). De Guy de Maupassant on traduit un ou deux des contes 4), de Hennique son premier roman La Ddvoude (1878) 5). Ce sont Daudet et Zola qui ont ete les plus traduits, ce dernier tres souvent sous les titres les plus attrayants 6). Et ceux qui le lisaient, 1) De Gids, 1927, III, p. 425. „Ik betoogde in Amsterdam het goed recht van de jongste richting (het symbolisme), maar vond dikwijls weinig gehoor, omdat de kunst van Zola nog de alleen-heerschende was" Il est vrai que Flaubert, Guy de Maupassant, les Goncourt, Huysmans ne gagnêrent pas moins les sympathies, quoiqu'on ecrivit beaucoup moins sur eux. Sur Flaubert, qui etait sans contredit beaucoup admire, parait en 1890 seulement (De Gids, 1890, II, p. 37-70) un article de la main de J.-E. Sachse, oil it compare entre autres Aletrino et Flaubert (tous deux medecins); la meme annee, du meme auteur, un article sur Guy de Maupassant (De Gids, 1890, II, p. 412-461). Les Goncourt et Huysmans, três applaudis par les „ecrivains artistes", eurent par le raffinement de leur style, une três grande influence sur notre prose litteraire d'aprês 1880. 2) Flaubert a ete traduit pour la premiere fois en 1896 par Louis Couperus, qui rendit des fragments de La Tentation de saint Antoine. Dirk Coster traduisit en. 1906 Saint Julien l'Hospitalier [De legende van St. Julien den herbergzame]. Rotterdam, Boogaerdt, 1906. De Madame Bovary parut une traduction de G.-H. Priem, Amsterdam, Veldt, 1904 (nouv. ed. 1910). 3) Cf. P. Valkhoff, Het Fransche Boek [Le livre francais], sept. 1933, p. 11. „Wij woordkunstenaars zijn onvertaalbaar, 't is met mijn werk in een andere taal overgebracht net als met dat van jou". 4) Entre autres De Stoelenmatster [La Rempailleuse] dans le Nieuws van den Dag du 6 janv. 1884. Dans De Gids, 188o, IV, p. 346 et p. 473 on trouve de la main de J.-N. van Hall des adaptations de deux poêmes de Guy de Maupassant: Nuit de neige ['s Nachts in de sneeuw] et Les flies sauvages [Ganzenvlucht]. On sait que Van Hall sera plus tard celui qui dans De Gids attaquera avec acharnement les nouvelles tendances, qualifiant entre autres Sapho de Daudet d'une „epopee de la debauche" (dit epos van de ontucht), voir De Gids, 1884, III, p. 178. 5) Eggeman, Michelle Jeoffrin naar den naturalistischen roman La Divouie van Leon Hennique. 's-Gravenhage, Susan, 1880. 6)Cf. Au bonheur des dames est traduit sous le titre In het paradijs der vrouwen; L' Assommoir par De drinkebroers en de hroeg; La De'bdcle par Laatste Stuiptrekking. 28 etaient plus friands de scandale que capables de comprendre sa grandeur. Toutes caracteristiques que soient ces traductions comme indice d'une orientation nouvelle, elles n'ont aucunement joue un role sensible dans la diffusion des nouvelles idees et conceptions artistiques. Aussi nous n'y preterons pas longuement attention, puisqu'elles sont Out& l'effet, l'accompagnement d'un nouvel interet que d'en etre la cause. Les Auteurs de 188o, sans aucune exception, lisaient les auteurs francais dans l'original. Leurs idees penetthent ici par la voie directe, sans l'intermêdiaire des traductions, qui d'ailleurs, comme nous ra yons vu, etaient assez mal faites et sans aucune responsabilite litteraire. Deux choses, dans la litterature francaise contemporaine, ont attire nos auteurs, d'abord la fawn particuliere dont les auteurs naturalistes observaient et notaient l'exterieur; puis comment, d'un point de vue moral et social ils envisageaient l'homme et l'univers. Puisque, pour l'Auteur de 188o le souci d'une forme impeccable, infiniment travaillee predominait a toute preoccupation qui n'etait pas d'ordre purement artistique, nous avons cm devoir etudier d'abord ceux des auteurs qui, sous l'inspiration des modêles strangers, s'assimilerent un nouvel art d'êcrire, adapt& a une vision tout a fait renouvelee de la realite. Huet dit en 1885, dans son article sur Germinal, comment, pour chaque nouveau volume de Zola, on commande ici 2000 exemplaires d'avance (Litt. Fant., XXI, p. 182); J.-M. Meulenhoff, libraire et editeur a Amsterdam, dit egalement, dans une interview (Morks-Magazijn, oct. 1935, p. 509) que, a la publication, on lui commandait, de chaque nouveau roman de Zola, 2000 a 2500 exemplaires. (Van een nieuw werk van Zola werden er mij 2000 a 2500 bij uitgaaf besteld). Comme indice d'une orientation nouvelle nous signalons encore Realistische Schetsen [Esquisses rialistes]. Utrecht, J.-L. Beyers, 1883, „un essai de traduction" (eene proeve van vertaling), dedie par un auteur inconnu au „célèbre auteur et grand connaisseur d'hommes" (aan den gevierden schrijver en grooten menschenkenner) Giovanni Verga. Le recueil contient quatre nouvelles de Verga Nedda, De Wolvin, Eergevoel, Gramigna's Minnares (trad. de Nedda, La Lupa, Cavalleria rusticana et l' Amante di Gramigna), un conte de Guy de Maupassant Een Fransche boerenmeid (trad. d'Une Fille de ferme) que nous avons admire pour le rendu exact de la „couleur", et une nouvelle de la romanciere May Laffan Flitters, Flarden en de Raadsman (trad. de Flitters, Flarden and the Counsellor), recit emouvant qui evoque la vie du peuple a Dublin. CHAPITRE II L'IMPRESSIONNISME Une etude, meme superficielle, de notre „prose de 188o" suffit pour qu'on se fasse une idee du soin exquis, du raffinement particulier avec lesquels les Auteurs de 188o s'astreignaient a rendre les impressions et les sensations qu'ils recevaient du dehors. La langue de ces „ecrivains artistes" (woordkunstenaars), comme Van Deyssel et ses confreres tenaient a s'appeler 1), devait etre, comme pour les poêtes contemporains, „l'equivalent irreprochable, infiniment exact et consciencieux des mouvements les plus &eves, les plus beaux et les plus vivement sentis dans Fame humaine de l' artiste" 2). Presque aucun de ces ecrivains n'a echappe a cette „ecriture artiste", qui, cultivee et developpee chez nous a outrance, a imprime a la litterature dite de 188o sa marque toute particuliere 3). Ce qui, chez leurs preclecesseurs, devait irriter les Auteurs de 188o, c'etait leur style conventionnel, l'emploi du lieu commun, du cliche, auxquels ils cherchaient a substituer une expression originale et vigoureuse. C'est avec une rare energie que Kloos, Van Deyssel et d'autres combattirent la fausse rhetorique, la vision surannee et stereotype, qui depuis le XVII e siecle semblait avoir enleve a notre langue toute fralcheur, toute spontaneite. Il n'est guêre etonnant que les litteratures etrangeres, plus fecondes en oeuvres d'art que la notre, captivent les jeunes de 188o, auteurs pleins de talent, et infiniment plus „artistes" que leurs devan1) L. van Deyssel, Verzamelde Werken [ Euvres completes], V, p. 255. 2) W. Kloos, Nieuwe Literatuur-geschiedenis, III, p. 179 „het onverbeterlijke en eenig-exacte, het gewetensvolle equivalent van de hoogste en schoonste en meest gevoelde bewegingen in des kunstenaars menschelijke ziel". 3) Cf. Edmond de Goncourt, preface des Freres Zemganno (1879) . . . . it (le rêalisme) est venu au monde aussi, lui, pour &fink, dans de 1' „ecriture artiste, ce qui est eleve, ce qui est joli, ce qui sent bon . . . . 90 ..i ciers immediats. Les poetes Jacques Perk, Willem Kloos, Frederik van Eeden, Herman Gorter s'inspirent de la poesie de Shelley et de Keats 1), des Allemands aussi. Les prosateurs se passionnent pour la litterature francaise contemporaine dont la beaute plastique et la hardiesse des descriptions ne cessaient de les charmer. Le fait que le Hollandais s'est toujours plu a rendre minutieusement la vie de tous les j ours explique sans doute pourquoi le naturalisme francais, en tant qu'art descriptif, a particulierement flatte nos auteurs. Dans cette description de l'exterieur qu'inaugurerent les Flaubert, les Goncourt, les Huysmans, nous n'avorts fait que redecouvrir nos traditions. On concoit aisement que la renovation litteraire d'apres 188o debutat par cet art impressionniste qui repondait singulierement a notre amour du detail précis et pittoresque, trait qui distingue toute notre litterature, depuis l'epoque classique jusqu'au „menu" realisme du XIX e siecle. Ce que les Auteurs de 188o appreciaient avant tout chez les realistes et naturalistes francais, c'etait la precision avec laquelle ils observaient et reproduisaient le monde exterieur, c'etait le soin meticuleux avec lequel ils recherchaient l'equivalent unique et infiniment exact. Its semblaient prendre A. cceur les lecons de Flaubert et de ses disciples. fl Quelle que soft la chose qu'on veut dire, ecrivait Guy de Maupassant, it n'y a qu'un mot pour l'exprimer, qu'un verbe pour l'animer et qu'un adjectif pour la qualifier. Il faut donc chercher, jusqua ce qu'on les ait decouverts, ce mot, ce verbe et cet adjectif, et ne jamais avoir recours a des supercheries, meme heureuses, a des clowneries de langage pour 6viter la difficulte" 2). S'inspirant de leurs exemples, les auteurs impressionnistes s'attachaient a observer et a noter avec une attention minutieuse le monde environnant; tout demandait une etude consciencieuse, desint6ressee; les choses les plus banales valaient d'être reproduites avec une extreme precision. Cet art de la description charmait d'autant plus nos auteurs qu'ils croyaient y realiser un ideal plus eleve que n'avaient atteint les generations precklentes. Pour rendre aussi directement que possible leurs impressions, ils bannissaient de leur art tout ce qui 6tait imagination et fantaisie. Toute preoccupation particuHere, d'ordre moral ou religieux, devait alterer et falsifier l'image que l'auteur se formait du monde ambiant. „L'imagination, disait Zola, 1) Cf. G. Dekker, Die invloed van Keats en Shelley in Nederland gedurende die negentiende eeu [L'influence de Keats et de Shelley en Hollande pendant le XIX e siecle]. Groningen, Wolters, 1926. 2) Guy de Maupassant, Pierre et Jean. Paris, Conard, 1929, preface, p. XXV. 31 n'est plus la qualitê maitresse du romancier" 1) et ailleurs. „Elle a ete remplacee par le sens du reel. Le sens du reel, c'est de sentir la nature et de la rendre telle qu'elle est" 2). Mais grace a une sensibilite particuliere rceuvre de tout artiste recoit une empreinte tout individuelle, irreductible qui en constitue la beaute essentielle. „Chaque veil, disait encore Zola, a sa vision particuliere" 3). Le plus important etait moins la chose vue que la maniere dont elle etait rendue. D'un art objectif, impassible qu'il pretendait etre a ses debuts, l'impressionnisme tendait a devenir un art tout a fait subjectif. Le but unique de l'auteur semblait étre la recherche d'un style ou s'affirmat d'une facon tres marquee la personnalite de l'artiste. Seulement la recherche de l'equivalent le plus exact faisait naitre un raffinement extraordinaire des moyens d'expression. Alors que l'amour d'une construction claire, precise, harmonieuse defendait en general au Francais d'avoir recours a l' „epiphete rare" 4), le Hollandais cultivait et raffinait a l'exces la soi-disant „ecriture artiste". Le vocabulaire traditionnel ne suffisait plus a traduire la multitude des impressions; les auteurs en venaient a inventer de nouveaux procedes pour les exprimer avec plus de precision et de finesse; les neologismes, la synesthesie, la rime interieure, la prose rythm6e, l' alliteration leur furent de precieux moyens a transcrire leurs sensations les plus subtiles. C'est par cette recherche constante d'un style savamment travaille, hyper-individuel que l'art de nos auteurs impressionnistes se rapproche singulierement de celui d'un Huysmans ou des Goncourt. „Goncourt, disait Van Deyssel, 1) E. Zola, Le Roman experimental, p. 205. 2) ibid., p. 208. 3) ibid., p. 208. 4) On sait comment Flaubert, Guy de Maupassant, Zola reprochaient aux Goncourt et a Huysmans „leur abus du mot rare", cf. Guy de Maupassant, preface de Pierre et Jean, p. XXV, „Il n'est point besoin du vocabulaire bizarre, complique, nombreux et chinois qu'on nous impose aujourd'hui sous le nom d'ecriture artiste, pour fixer toutes les nuances de la pens& . . . . Ayons moins de noms, de verbes et d'adjectifs aux sens presque insaisissables, mais plus de phrases differentes, diversement construites, ingenieusement coupees, pleines de sonorites et de rythmes savants. Efforcons-nous d'etre des stylistes excellents plutOt que des collectionneurs de termes rares". D'ailleurs les Francais condamnent gen eralement cette maniere, cf., Pierre Lievre, dans son article L'Evolution de la langue et du style (Eugene M )ntfort, Vingt-cinq ans de litte'rature franfaise, I, p. 354). „La langue se corrompt a un moment donne et l'on peut assurer que les fauteurs de cette corruption sont les Goncourt". 32 a inaugure l'art de l'observation fine et penetrante des choses du dehors"9. Netscher, Prins, Aletrino n'ont jamais cesse d' admirer les raffinements avec lesquels Huysmans et les Goncourt reproduisaient le monde ambiant. Johan de Meester, egalement grand admirateur des Goncourt, et fervent defenseur des principes de 188o, a consacre aux deux freres un article tres interessant 2), qui illustre curieusement comment les Auteurs hollandais de cette époque se sont inspires des modeles strangers. C'est avec un veritable enthousiasme qu'il applaudit a leur recherche nerveuse du mot, du mot plastique par excellence, du mot saillant 3), approuvant les paroles de l'ecrivain stranger dans La Faustin: „La langue francaise me fait l'effet d'une espece d'instrument dans lequel les inventeurs auraient bonnassement cherche la clarte, la logique, le gros a peu pres de la definition, et it se trouve que cet instrument est, a l'heure actuelle, manie par les Bens les plus nerveux, les plus sensitifs, les plus chercheurs de la notation des sensations indescriptibles, les moms susceptibles de se satisfaire du gros a peu prês de leurs bien portants devanciers" 4). Seulement nous verrons comment les Hollandais depasseront leurs modeles; leur manque de discipline, leur exuberance, le zele avec lequel ils s'appliquaient a noter consciencieusement les plus infimes details les entrainaient aux descriptions lourdes, touffues, interminables, defaut dont ils ne se debarrasseraient guêre. Kloos etait un des premiers a s'Oever contre l'art „difforme, mort-ne" de ces „dresseurs d'inventaires et de catalogues". II reprochait a ces „realistes" de ne pas savoir faire un choix, ce choix heureux et genial auquel on reconnait l'oeuvre d'art 5). Par la it ne faisait que repeter ce qu'un Guy de Maupassant avait dej a. dit avant lui: „Le realiste, s'il est un artiste, cherchera, non 1) L. van Deyssel, Verzamelde Werken, IV, p. 187. 2) Article intituló _lets over Nevrose in Letteren [Propos sur la Nevrose dans la Litt"rature]. De Nieuwe Gids, 1908, I, pp. no, 203, 423, 529 sqq. 3) ibid., p. 112. „Het nerveuse zoeken naar het wOOrd, naar het bij uitnemendheid beeldende, frappant juiste woord". 4) ibid., p. 113; cf. La Faustin, ed. Flammarion et Fasquelle, p. 133. 5) Voir De Nieuwe Gids, 1897, p. 626. „Ils ne choisissent pas avec la sfirete prompte d'un choix genial, ce qui determine pour toujours l'oeuvre d'art. IN observent avec precision, et notent beaucoup, mais ils ne sont pas artistes; ainsi ils ne voient ni ne donnent la seule chose uniquement necessaire, ce qui eleverait leur travail a la hauteur de l'oeuvre d'art". (Zij kiezen niet datgene met plotselingzekeren, genialen greep, wat het kunstwerk voor altijd maakt. Zij kijk en nauwlettend en noteeren veel ook, maar zij zijn geen artiest, en zien dus niet en geven niet het eenig-noodige, wat hun werk zou waken tot echte kunst). 33 pas a nous montrer la photographie banale de la vie, mais a nous en donner la vision plus complete, plus saisissante, plus probante que la realite meme. Raconter tout serait impossible, car il faudrait alors un volume au moins par journee, pour 6numerer les multitudes d'incidents insignifiants qui emplissent notre existence. Un choix s'impose donc — ce qui est une premiere atteinte a la theorie de toute la verite . . . . Voila pourquoi l'artiste, ayant choisi son theme, ne prendra dans cette vie encombree de hasards et de futilites que les details caracteristiques utiles a son sujet, et il rejettera tout le reste, tout l'a-cote" 1). Cependant la recherche d'un art infiniment subtil, susceptible de rendre les plus infimes sensations faisait que l' art impressionniste ne tarda pas a aboutir a une nouvelle rhetorique oil toute inspiration humaine semblait etre etouffee. Depuis que l'observation et la notation du monde ambiant reclamait toute l' attention de l'artiste, il semblait lui sacrifier l'etude de la vie intime, avec ses tourments, ses luttes, son besoin et ses aspirations d'infini. Tout comme en France on cherchait ici a se delivrer de l'oppression d'un art auquel l'ame manquait, qui effrayait par son vide, ses apparences fausses. En 1891, a propos du deuxieme roman de Van Deyssel, De Kleine Republiek, Van Eeden avait, pour des motifs ethiques, condamne une litterature oil ii voyait une exaltation d'une jouissance egoiste et sensuelle 2). ,,Vous, amoureux du Verbe, adorant vos propres levres, vous avez fait de votre Ame divine, en la vendant, l'esclave de vos yeux, de vos oreilles, de votre bouche, de votre nez, de votre peau" 3). La lecture du roman de Van Deyssel le remplit d'une haine „lourde, briilante". „Celui qui erige des temples pour adorer le Verbe, en y sacrifiant toute son energie, tout son corps, toute son Arne — il commet de l'idolatrie, c'est un mêchant homme" 4). A cote de lui, il y avait Frans Erens qui, par son contact immediat avec les auteurs symbolistes, fut un des premiers a signaler a ses amis hollandais les beautes d'un art intime, plein de poesie et de mystere. L'un et l'autre saluaient avec joie les tendances nouvelles, tout en 1) Voir preface de Pierre et Jean, p. XIV. 2) Dans un article, intitule Woordkunst [Ecriture artiste], voir Studies, IV, p. 292-379. 3) art. cit., p. 378. „Gij, verliefde van het woord, minnaar van uw eigen lippen, Gij hebt uw Goddelijke ziel tot slaaf verkocht aan uw oogen, uw ooren, uw mond, uw neus, uw huid". 4) ibid., p. 373. „Die tempelen bouwt voor het Woord en het aanbidt — wie daaraan offert zijn gansche levenskracht, zijn geheele lichaam en zijn geheele ziel — die pleegt afgoderij, die is een slecht mensch". 3 34 s'inspirant, semble-t-il, de l'art de ces „decadents", auxquels ils consacrent, dans les premieres livraisons du Nieuwe Gids, d'enthousiastes articles 1). L'aversion de la realite „basse", la soif des sensations poetiques favorisait particulierement l'accueil d'une tendance oil l'on ecoutait, avec le meme devouement que les impressionnistes avaient mis a etudier le monde exterieur, les voix secretes, chuchotantes de la vie interieure. A cet egard it est curieux de signaler l'essai que Maurice Barres, par l'intermediaire de Frans Erens, publia dans un des premiers numeros du Nieuwe Gids, sous le titre L'Esthdtique de demain: l' Art suggestif 2). Dans cet article, qui est en partie un violent requisitoire contre les auteurs naturalistes, Barres se fait le defenseur des jeunes, d'un Edouard Rod, d'un Paul Bourget, d'un Huysmans, de ceux qui, selon lui, s'etaient „installes dans le domaine de l'idee". „Les nouveaux venus, disait-il, s'attachent a reflechir sur les choses, a &passer la simple notation des faits; ils s'acheminent a la metaphysique". „Un mouvement tournant, le plus curieux de ce siecle, peut etre pressenti. De ces negations accumulees eclOt une fleur de mysticisme" 3). Méme Van Deyssel, qui avait, avec tant d'enthousiasme, applaudi au naturalisme francais, ne tarde pas a se convertir et a se &gager de ses premieres influences. En plein triomphe de l'impressionnisme, it 6crit son fameux article De Gedachte [La Pensde] (1888) qui marque sa repugnance de ce qu'il qualifiait d'un „art sensuel, qui ne peignait que des obscenites" 4). „Ce qui manque aux poetes et aux prosateurs modernes, dit-il, c'est la pensee. S'ils sont lyriques, ils ne donnent que des sensations, s'ils sont epiques, ils ne decrivent que la vie primitive, bestiale, et non seulement la vie bestiale, mais la bestialite repugnante" 5). 1) F. van Eeden, art. Decadenten [Les Dicadents] (Laforgue, Dujardin et Barres), De Nieuwe Gids, 1890, I, p. 86; voir aussi ses Studies, I, p. 105-138; dans De Nieuwe Gids, 1885, II, p. 149, Erens consacre un article aux Hantises de Dujardin, parle en meme temps de Mallarme, de Wyzewa, de Villiers de l' Isle Adam. 2) De Nieuwe Gids, 1885-'86, I, p. 141-146. Cet art suggestif, qu'annoncait Maurice Barres dans son article, nous le retrouvons chez plusieurs auteurs de cette époque, d'une fawn três prononcee meme dans les romans de Couperus, Eline V ere et Noodlot [Fatalite], oil la fatalite est plutOt suggêree que decr.te, cf. Van Deyssel, Over Louis Couperus [Sur Louis Couperus), Verz. Werken, IV, p. 323, „omdat de auteur de aanwezigheid dier Fataliteit niet beschreef, maar het gevoel er van ongemerkt verwekte". 3) art. cit., p. 143. 4) L. van Deyssel, Verz. Werken, IV, p. 159, „deze zinnelijke en walgelijkhedenbeschrijvende kunst". 5) ibid., p. 159. „Aan die dichters en prozatoren dus ontbreekt de gedachte. Schrij- 35 Il est evident qu'aux ivresses de la premiere heure devait succeder une periode de recueillement, de desenchantement. On se rend compte du peu de benefice qu'apporta pour Fame un art qui plaisait avant tout aux sens. C'est alors que l'influence d'un Huysmans ou celle d'un Maeterlinck se font sentir. Avec autant d'enthousiasme qu'il avait salue trois ans auparavant La Terre, Van Deyssel applaudit maintenant a La-Bas (1891). „Ce livre de Huysmans est plein d'une force grandiose et suggestive et d'un inter& immediat. — Grand Dieu! ce Moyen-Age ! Oui, il faut que j'y aille aussi. C'est mon pays. „Depuis quatre siecles le monde n'a fait que &choir" dit Huysmans. Parfaitement; c'est ce que je souligne d'un trait rouge" 1). Quelques annees plus tard, en 1895, parait de sa main le fameux article Van Zola tot Maeterlinck [De Zola a Maeterlinck], oil it analyse avec beaucoup de penetration l'evolution: observation — impression — sensation — extase". „La Sensation, dit-il, s'ecarte par son essence de l'Observation. Elle se distingue par le &placement des parois et la decoloration de la vie perceptible a nos sens et nous introduit experimentalement, positivement et materiellement dans la realite de l'au-dela, dans le Tres-Haut, qui ne nous etait apparue jusqu'ici que comme une vie imaginaire". „Et c'est pourquoi celui qui a parle pour la premiere fois de la Sensation — oh, sans le savoir, mais d'une voix fremissant d'espoir — a ouvert les portes lumineuses du bonheur a l'humanit6 accablee de nos fours" 2). C'est alors que Van Deyssel peut ecrire que les romans de Zola n'avaient plus rien a faire avec la vie spirituelle de cette époque, qu'il salue avec enthousiasme Extaze (1892) de Couperus et La Faute de Madame Charvet (1895) de Camille Lemonyen zij lyriek, dan geven ze niets dan stemmingen, schrijven zij epiek, dan geven ze alleen het dierlijke-leven, en niet alleen het dierlijke, maar alleen het laagdierlijke". 1) Verz. Werken, V, p. 104. „Vol grandioos suggestive kracht en akuut interessant is het boek van Huysmans. Groote God, die Middeleeuwen ! Ja, ik moet er ook na toe. Dat is mijn land. „Depuis quatre siêcles le monde n'a fait que dechoir", zegt Huysmans. Precies. Daar zet ik een rooye streep onder". 1) ibid., IV, p. 32o, 321. De Sensatie verschilt in wezen van de Observatie, Zij kenmerkt zich door de verschuiving der wanden en het verschieten der kleuren van het zintuigelijk waarneembare leven en voert ons experimenteel, positief en materieel in het andere leven, de realiteit van het hoogereleven, dat ons zoo lang alleen eene verbeeldings-voorstelling had geleken". „En daarom heeft hij, die het eerst van Sensatie heeft gesproken, — och, zonder het to weten, maar met hoop-bevende stem — de lichte gelukspoorten opengezet voor de duistere menschheid dezer tijden". 36 vier, „ce travailleur admirable qui a su s'assimiler si completement cette nouvelle fawn de sentir et de comprendre la vie" 1). Avec Huysmans, le theatre de Maeterlinck, ainsi que l'ceuvre des mystiques romantiques allemands (Novalis, Eckhart) commencent a attirer l'attention. En 1894, le theatre de L'Euvre, sous la direction de Lugne-Poe, joue a Amsterdam des pieces d' Ibsen et de Maeterlinck (Rosmersholm, L'Ennemi du Peuple, Pelleas et Melisande). Heijermans, sous le coup de son enthousiasme, part pour Paris oil it visite les „Mardis", sejour qui lui inspire son Fleo. Maeterlinck lui-meme, comme le jeune Andre Gide dans ses Cahiers d' Andre Walter (1891), s'inspire des themes du romantisme allemand 2), apres s'etre passionne pour l'ceuvre de Ruysbroeck, dont it traduit en 1891 Die chierheit der gheesteleker brulocht [L'Ornement des Noces Spirituelles] 3). Chez nous Diepenbrock 4) et Van Deyssel, qui depuis 1890 se sont lies d'une amitie profonde 5), s'inspirent des mysterieuses beautes qu'ils decouvrent dans Novalis, dans BOhme 1) ibid., II, p. 331. „Het blijft uiterst veel genoegen doen, dat deze voormalige uitmuntende naturalistische werker zich in deze andere levensvoeling zoo door en door heeft weten in to dringen". 2) Il publie en 1895 les Disciples a Sais et les Fragments de Novalis. 3) Qu'Erens traduira plus tard (1917) en hollandais moderne (Het Sieraad der Geestelijke Bruiloft). 4) Alphons Diepenbrock (1862-1921) fait a Amsterdam de brillantes etudes de langues classiques; it se consacre surtout a la musique qui est sa passion, pour devenir un de nos plus celêbres compositeurs; a ses debuts it subit les influences de Wagner, de Cesar Franck, de Mahler, de Debussy; ii met en musique certaines poesies de Perk, de Verwey, de Novalis, de Verlaine et de Baudelaire; ses essais qu'il publie entre 1891 et 1911 dans diverses revues (dans De Nieuwe Gids et De Kroniek) sur des sujets d'ordre divers (musique, litterature, peinture), se trouvent reunies dans un recueil posthume Ommegangen [Processions], Amsterdam, Van Munster's Uitg. Mij., s.d. Nous y signalons l'article qu'il a ecrit en 1892 a propos du Latin mystique de Remy de Gourmont (avec preface de J.-K. Huysmans), qui est un document curieux sur sa mentalite spirituelle. Lire aussi dans De Nieuwe Gids, 1891-'92, I, p. 291 sqq. son article Melodie en Gedachte [La Melodie et la Pensle] qu'il intitule De Muziek in de intellectueele evolutie [La Musique dans l'evolution intellectuelle], avec, en epigraphe, une citation de Mallarme. „ Je crois que la poesie est faite pour le faste et les pompes supremes d'une societe constituee oil aurait sa place la gloire dont les gens semblent avoir perdu la notion". 5) Cf. L. van Deyssel, In Memoriam Dr. Alphons Diepenbrock, Persoonlijke herinneringen [En mdmoire de Alphons Diepenbrock, Souvenirs personnels]. De Nieuwe Gids, 1921, I, p. 749. „Nous avions plusieurs sympathies litteraires communes. Ainsi pour Novalis, pour Verlaine et encore pour Peladan". (Wij hadden verschillende gemeenschappelijke literaire sympathieen. Zoo voor Novalis, voor Verlaine, en ook voor Madan). 37 et Ruysbroeck. Diepenbrock, grand musicien, qui est un des premiers chez nous a applaudir et a defendre l'art de Wagner 1), s'enthousiasme encore pour les nouvelles tendances en peinture (Puvis de Chavannes, Derkinderen) et en litterature. Ii admire profondement l'oeuvre de Baudelaire, de Verlaine, de Mallarme, de Huysmans, de Remy de Gourmont, de Villiers de l' Isle Adam. II accueille avec joie la premier roman d'Arthur van Schendel, Drogon 2), qu'il considere comme un des premiers symptOmes heureux d'une nouvelle orientation. En 1892, W. G. C. Bijvanck avait recueilli dans Un Hollandais a Paris en 1891 3) ses aimables, mais peu profondes causeries avec les auteurs symbolistes Moreas, Verlaine, Mallarme, Maurice Barres, Marcel Schwob et d'autres. Meme Maurits Wagenvoort, que pour son mepris des conventions et sa peinture realiste de la passion 4) on a pris generalement 1) Voir Ommegangen, p. 19, oil it loue Henri Viotta d'avoir „introduit dans notre pays l'art plein de lumihre de Wagner" (hij, die de heerlijkheid van Wagner's kunst heeft gebracht in ons land). On sait que Van Santen Kolff, avec Nolthenius et Viotta, merite d'être nomme comme un des pionniers du wagnerisme dans notre pays; it passe quelque temps chez le maitre a Wahnfried; dans plusieurs revues hollandaises et allemandes it consacre des articles h son art; lire entre autres De Nibelungen-Repetities to Bayreuth in Juli en Augustus 1875 [Les Rdpetitions des Nibelungen a Bayreuth en juillet et aoiit 1875]. De Banier, 1876, I, p. 97-148, p. 229-280; II, p. 166-187; III, p. 174-198, p. 213-291. 2) Voir De Kroniek, 27 dec. 1896, Diepenbrock loue cette oeuvre parce que l'auteur s'est liberó du „principe que Goncourt formulait par le mot d'ordre de l'epithete rare"; l'epithete rare ne doit etre que le moyen d'arriver a un but plus eleve, et la description pour la description est le signe evident de la decadence de la litterature (dit boekje vrij van het beginsel, dat de Goncourt formuleerde met het wachtwoord „l'epithete rare"; l'epithete rare moet nooit anders zijn dan middel tot een hooger doel, en de beschrijving om de beschrijving is het onmiskenbare teeken van verval der literatuur); l'idee, dit D., est plus elevee que la sensation, parce que la premiere comporte naturellement la deuxiême et non pas inversement (de idee is hooger dan de sensatie, omdat de eerste vanzelf de tweede in zich bevat en niet omgekeerd). Voir a propos de cet article, qui se trouve imprime en preface a la 2e edition de Drogon (1935), F. Coenen, Groot Nederland, 1935, p. 109. 3) W.-C.-G. Bijvanck, Un Hollandais a Paris en 1891, Sensations de litterature et d'art, avec une preface d'Anatole France. Paris, Perrin & Cie, 1892. 4) Voir son roman Een Passie (1893). On trouve dans ce roman, peut-etre sous l'influence des prc-, cedes symbolistes, un emploi frequent de la synesthesie, cf. Kleine Studies, p. 233, oil it dit (en 189o): „La musique, la peinture et la litterature se rapprochent,- dans leurs manifestations, de plus en plus et l'on sent qu'il y aura un temps qui verra naitre un nouvel art: celui qui sera la fusion de ces trois arts ensemble" (De muziek, de schilderkunst en de literatuur naderen in hare uitingen elkaar meer en meer en men kan gevoelen, dat er een tijd zal komen, die eene nieuwe kunst zal zien ontstaan: zij die de vereeniging zal zijn van deze drie kunsten tezamen). 38 pour un auteur naturaliste, se revele dans ses Kleine Studies [Petites Etudes] (1892) 1) un grand admirateur de Maurice Barres et des tendances nouvelles. „Une chose est certaine, dit-il, c'est que les j ours du naturalisme sont comptes et que ceux qui debutent en ce moment dans la litterature n'ont aucune envie de le sauver en y pretant leurs jeunes forces" 2), et plus loin „Aujourd'hui les hommes en ont joliment assez de la conception naturaliste de la vie et on voit déjà se manifester chez eux la seule reaction possible: la reconnaissance de ce que Maurice Barres appelle l'Inconscient et que nous pouvons aussi bien etiqueter par le mot: TouteConscience (het albewustzijn) 3). Dans une lettre a M. P. Valkhoff (clatee du I er juillet 1915) Wagenvoort ne renie point son admiration qu'il eut autrefois pour les naturalistes, mais souligne que Barres seul l'a influence 4). „Lui (Zola) et Daudet, dit-il, ont certainement contribue a ma premiere formation; j'aurais tort envers moi-meme, je crois, de reconnaitre que quelque auteur a ete assez puissant pour me captiver tellement qu'on saurait retrouver de lui certaines traces dans mon oeuvre. Pourtant it faut, ajoute-t-il, que je fasse une exception pour Maurice Barres" 5). Que les poetes et les prosateurs de la „decadence" suscitent ici bien des enthousiasmes, c'est ce que prouvent les premieres livraisons d'une revue nouvellement fondee, De Kroniek [La Chronique] (1895), sous la direction de P.-L. Tak, qui s'assura la collaboration des modernes 6). Outre des articles sur le symbolisme, sur la nouvelle peinture on trouve, en feuilleton, des traductions de Rachilde 7), de Poe, de Villiers, de Marcel Schwob, de Baudelaire, de Gerard de Nerval, de Rette. 1) Vosmeer de Spie, Kleine Studies. Amsterdam, D. Buys Dz., 1892. 2) ibid., p. 128. „Maar dit is zeker: de dagen van het naturalisme zijn geteld en zij wier litterair leven nu begint, gevoelen geen neiging het, door er hunne jonge krachten aan te leenen, te redden". 3) ibid., p. 133, „dat de menschen van harte genoeg hebben van de materialistische levensbeschouwing en dat in hen reeds de eenig-mogelijke reactie werkt: de erkenning van wat Maurice Barres l'Inconscient noemt en wij met het woord albewustzijn even duidelijk etiketteeren". 4) Voir dans Kleine Studies, p. 105 sqq., son excellente etude sur La Bete humaine. 5) „Hij en Daudet hebben zeker een deel gehad in mijn eerste vorming, ofschoon ik mijzelf onrecht zou doen, geloof ik, door te erkennen, dat eenig schrijver krachtig genoeg geweest is om mij zoo onder zijn ban te brengen, dat van hem bepaalde sporen in mijn werk zouden zijn aan te wijzen. Ik moet echter een uitzondering maken voor Maurice Barres". 6) Parmi lesquels nous citons P.-L. Tak, Diepenbrock, Jan Kalf, Jan Veth, H.-P. Berlage Kz., Andre Jolles, Frans Coenen Jr., M.-C.-L. Lotsy. 7) Voir sur Rachilde: Henriette Charasson, Revue de Hollande, IV, p. 977 sqq. 39 Hein Boeken (1861-1933), vieil ami de Kloos et createur d'une poesie suggestive, curieusement originale, correspond avec Mallarme, Paul Fort, Frederic Mistral et la poftesse Jacques Treve (pseud. de Louise Ducot). Verlaine aussi suscita bien des enthousiasmes. Kloos dit, a propos de Sagesse et Amour et des Romances sans Paroles que „c'est le maitre que personne n'egale" 1). C'est en 1892, sur l'invitation des jeunes qu'il vient en notre pays faire quelques conferences, sej our dont on lit dans ses Quinze fours en Hollande les pittoresques souvenirs 2). Le symbolisme devait eveiller ici des resonances d'autant plus vives qu'il repondait a un autre trait „national", non moms profond que l'amour du detail pittoresque, c'est-h-dire un besoin d'intimit6, de recueillement, la soif de sensations poetiques, de nuances 3), de mystere, qu'accentuait encore la reaction a une époque foncierement materialiste. „Pour nous autres Hollandais, disait Erens, la vie intime et profonde est le veritable terrain oil fleurissent nos lettres . . . . Ce qui fait notre gloire, c'est la simplicite 4), qu'Erens croit discerner dans l'oeuvre de Ruysbroeck, de Thomas a Kempis, de Vondel aussi 5). Bien que sa partialite le rende injuste envers notre production realiste qui s'inspire d'une observation precise des menus faits, Erens a raison de voir la une des plus curieuses exigences de notre esprit. Ce besoin de reve, de meditation, de repliement sur soi-meme n'etait pas sans entraver l'epanouissement du naturalisme, qui, ne l'oublions pas, prit naissance ici au moment se manifestent en France les premieres reactions vives contre ces tendances. Le symbolisme naissant en a accelere la fin, l'a cktourne de sa mission initiale, comme it parait en avoir reduit, adouci les exces. L'horreur des bassesses, des trivialites de la vie quoti1) W. Kloos, Veertien Jaar Literatuur-Geschiedenis, II, p. 231. „Verlaine is de Meester, en nevens hem niet 6en". 2)Voir aussi Ph. Zilcken, Au Jardin du passe. Paris, Messein, 193o, p. 97 sqq. 3) L'auteur de 188o est particuliêrement sensible aux nuances atmosphêriques, ce qui explique l'explosion de la „poesie de la nature" a laquelle nous assistons ici (cf. la poesie de Jacques Perk, de Winkler Prins, de Herman Gorter), de meme que l'influence qu'ont exercee sur cette poesie les pokes „naturalistes" anglais, Shelley et Keats, cf. G. Dekker, op. cit. 4) De Amsterdammer du 2 juillet 1911. „De innerlijke levensdiepte is voor ons Hollanders dan ook het ware terrein, waarop onze letterkunde zich het best beweegt . . . . Onze glorie is de eenvoud van Ruysbroeck, Thomas a Kempis, van Vondel". Cf. aussi Just Havelaar, De Gids, 1916, II, p. 243-28o, art. Holland [La Hollande j, ou it s'essaye a faire une analyse de notre genie artistique. 5) Dans notre etude sur Erens on peut lire comment lui le premier subit le charme de la nouvelle poesie symboliste. 40 dienne explique que nous ayons rejete, consciemment ou non, le soidisant realisme „rosse", dont nous voyons dans la litterature francaise les exemples truculents. La „rosserie" etait, dans le naturalisme hollandais, un element auquel la mentalite de nos auteurs semblait nettement hostile. Its n'admiraient la licence du langage qu'en tant qu'elle etait l'effet d'une attitude artistique. Si certains auteurs, s'inspirant des principes naturalistes, se sont hasardes a meler dans leurs recits des expressions triviales, choquantes, ils s'y sont pris en tout premier lieu pour ne pas desobeir a un mot d'ordre; au fond leur sentiment esthetique ne faisait que s'effaroucher devant l'indecence crue, a laquelle semblaient se complaire les romanciers francais 1). Par suite du pedantisme et de l'obscurite oil tombaient plusieurs de ses partisans, la litterature impressionniste devait provoquer les plus vives reactions. On protestait contre un art qui mutilait notre langue; ce a quoi on voulait revenir, c'etait une langue plus naturelle, plus „humaine", intelligible a toes. Carel Scharten par exemple critiquait severement ce qu'il appelait la „decadence du style descriptif", meprisant de tout son coeur ce „culte du verbe" qui aboutissait d'apres lui a une meconnaissance de la langue meme 2). Albert Verwey 3), egalement, reprochait a ses contemporains leur exclusivisme; a leur ideal, celui de l'auteur de l'art pour l'art, it oppose le sien, plus humain et plus social. A ses cotes se range Willem Paap, un des fondateurs du Nieuwe Gids, dont le roman Vincent Haman (1898) est une satire violente contre la corruption de la langue litteraire, qui avait cesse d'être l'expression vraie d'une inspiration artistique 4). Les circonstances politiques n'etaient pas, semble-t-il, sans influencer cette evolution; ce sont surtout les auteurs socialistes, Herman Gorter 5), 1) Ainsi Van Deyssel en vient a supprimer dans la deuxiême edition de son roman Een Liefde[Un A mour] (1889) les expressions triviales, non pas que, comme certains l'ont cru, it abdique devant l'opinion publique, mais parce qu 'elles ne lui ,,semblaient pas etre conformes a un bon gout litteraire" (ze leken mij niet in overeenstemming met 'n goeden literairen smaak, cf. De mannen van '8o, p. 20). 2) Cf. De Gids, 1904, IV, p. 544. 3) Voir encore, sur lui, la page 105 de notre etude. 4) Cf. Menno ter Braak, dans sa preface a la 3e edition de Vincent Haman. Amsterdam, Em. Querido, 1936, p. 15. 5) Herman Gorter, le célèbre poête de Mei [Mai], ecrit son requisitoire trés partial contre les Auteurs de 188o dans un article Kritiek op de Literaire Beweging van 188o in Holland [Critique sur le mouvement litteraire de i88o en Hollande]. DeNieuwe Tijd, 3e annee, pp. 168, 603 sqq. 41 Adama van Scheltema 1), R. N. Roland Hoist 2) qu'on entend faire les plus violentes objections contre l'individualisme outré des Auteurs de l'art pour l'art; ce qu'ils blamaient chez eux, c'ëtait leur tendance „bourgeoise" a exalter leurs sensations individuelles, a glorifier leur moi au lieu de consacrer leurs talents a une litterature en fonction d'une societe nouvelle. Malgrê cette defense d'un art anti-individualiste, les auteurs de cette époque sacrifiaient difficilement un style qu'ils cultivaient a l'exces. Meme Heijermans, Querido, qui avaient le plus vigoureusement attaque la doctrine de l'art pour l'art, n'ont pu se degager d'une tendance esthetique qui parait les avoir seduits au plus haut point. Ce n'est que dans les annees d'apres-guerre, a l'epoque de la pretendue „objectivite nouvelle" 3), que semble se clore definitivement une periode d'art, foncierement nationale 4), it est vrai, mais dont les origines profondes remontent a Flaubert et a l'ecole litteraire venue apres lui. FRANS NETSCHER (1864-1923) Un auteur chez qui l'influence du naturalisme francais se fait le plus nettement sentir, dans son oeuvre comme dans ses conceptions artistiques, a ete Frans Netscher 5). Ne en 1864 a La Haye, it y fit ses etudes au lycee classique ou it connut, outre son ami Louis Couperus, les professeurs Jan ten Brink en A.-D. Stellwagen, qui eveillerent en lui le gout des lettres. Mais celui qui a eu sur sa formation litteraire une influence decisive, c'a ete son oncle J.- J. van Santen Kolff. A la suite d'une dis1) C.-S. Adama van Scheltema, De grondslagen eener nieuwe poezie [Les bases d'une poe'sie nouvelle] avec son sous-titre significatif Proeve tot een maatschappelijke kunstleer tegenover het naturalisme en anarchisme, de tachtigers en hun decadenten [Essai d'une doctrine litteraire a l'oppose du naturalisme et de l'anarchisme, des .Auteurs de 188o et de leurs de'cadents]. Rotterdam, W.-L. & J. Brusse, 1907. 2) R.-N. Roland Holst, Over kunst en kunstenaars [Sur l'art et les artistes]. Amsterdam, Meulenhoff, 1923; voir surtout l'article sur, Jozef Israels (ecrit en 1909). 3) Un de ses plus curieux representants, l'auteur Menno ter Braak, a attaque, sous la suggestion de Larbaud par exemple, mais surtout de Stendhal (Souvenirs d'Egotisme) la „manie stupide de la description" (de beschrijvings-stupiditeit), oil it voit „un complexe d'inferiorite pictural" (dat schilderen met woorden is een picturaal minderwaardigheidscomplex), cf. Forum, 1932, p. 671 sqq., art. Het Schrijverspalet [La palette de l'ecrivain]. 4) Contrairement a ce que pretend H. van Loon dans son article Is de beweging van '8o een nationale beweging geweest? [Le mouvement de '8o a-t-il dtd un mouvement national?), Ons Tijdschrift [Notre Revue], 1912, pp. 89-108, oil l'auteur croit discerner dans l'individualisme effrene des Auteurs de 188o et leur attitude antireligieuse un caractere et des origines anti-nationaux. 5) Pour la biographie et la bibliographie voir Den Gulden Winckel, 1913, p. 16. 42 cussion sur la valeur de l'ceuvre de Zola que sa mere eut un jour avec son frere, Netscher fut amene a lire cet auteur „detestable", lecture que sa mere lui avait deconseillee. „Ainsi, c'est un peu par hasard, disait-il, que je decouvris l'auteur qui exprimait ce que j'avais inconsciemment senti en moi". „Aprês, je lus successivement Flaubert, Balzac, les Goncourt, Huysmans, et tout le groupe de Medan" 1). Ses etudes finies, Netscher fut nomme stenographe a la Chambre des Deputes (Tweede Kamer), et joua a La Haye un certain role dans un club litteraire „Het Vlondertje" (Le Ponceau), oil se retrouvaient egalement les peintres et litterateurs qui etaient membres du „Spectatorclub". Vers la fin de 1884 it apprend a connaitre Arij Prins qui, lui aussi, s'interessait vivement au mouvement litteraire en France. L'enthousiasme que professait Netscher pour l'ceuvre des naturalistes 3), joint a son mepris de la litterature hollandaise contemporaine 4), l'amena a se faire ici le champion des principes et des conceptions d'art que defendaient les auteurs naturalistes. Ainsi parurent de sa main dans diverses revues plusieurs articles 5), tous consacres au naturalisme et a ses re1) E. d'Oliveira Jr. De Mannen van '8o aan het woord [Propos des Hommes de 1880], Amsterdam, Ned. Bibl., s.d., p. Ioo, IoI. „Toevallig vond ik zoo den schrijver, die uitte wat ik onbewust in mij had . . . Van zelf kwam ik toen op Flaubert, Balzac, de Goncourt's, Huysmans en de heele cênicle van Medan." 2) op. cit., p. rm. 3) Netscher ne tarde pas a entrer en correspondance avec Zola; quelques-unes des lettres que lui envoya Zola, ont ete publiees dans De Nieuwe Gids, 1931, I, p. 69 sqq. Il correspondait aussi avec George Moore, lisait beaucoup Claude Bernard dont it disait: „Voila notre homme". (De Mannen van '8o, p. 107, Ik las vooral Claude Bernard. Dat was onze man). Plus tard, en i888, pendant un sejour a Paris, Netscher apprendra a connaitre personnellement Zola, Paul Margueritte et Huysmans (voir son analyse de caractêre sur Zola dans De Hollandsche Revue, 1902, p. 634 sqq.). 4) Voir dans De Nieuwe Gids, 1886, I, p. 329 sqq. sa critique violente sur Justus van Maurik (1846-1904), auteur d'histoires sentimentales ou humoristiques, qui lui avaient valu une immense popularite, 5) Cf. Paul Margueritte: Een proeve van naturalistische kritiek [Un essai de critique naturaliste] dans De Amsterdammer du II oct. 1885; Cherie dans Nederlandsch Museum, 1884, II, p. 69-112; that wil het naturalisme? [Que vent le naturalisme fl dans Nederland, 1885, II, p. 433-462; III, p. 63-98; Het naturalisme in Engeland [Le naturalisme en Angleterre] (George Moore) dans De Gids, 1886, I, p. 71-91; Het Daghet uyt den Oosten [L'aube d'une ere nouvelle] dans De Nieuwe Gids, 1886, II, p. 332-360; Een Zweedsche Naturalist [Un naturaliste sue'dois] (Strindberg) dans De Portefeuille, 1885/6, p. 330, et dans sa critique sur De Malavoglia's, traduction d'aprês le naturiste G. Verga, Utrecht, van J.-L. Beij ers, 1885, voir De Amsterdammer du 20 et du 27 dec. 1885. 43 presentants, visant a la plus large diffusion des nouvelles theories litteraires. Continuant ainsi, en quelque sorte, l'ceuvre de Jan ten Brink et de Van Santen Kolff, Netscher ne manqua aucune occasion de professer sa foi dans le naturalisme, a ses yeux „la litterature de notre age scientifique" 1). C'est surtout dans l'article W at wil het naturalisme ? [Que veut le naturalisme .P ] qu'il se fait le fervent ddenseur des idees de Zola, copiant et citant des passages entiers dans le Roman experimental et les Lettres a la Jeunesse. D'un ton assez pedantesque 2) ii ne fait que glorifier a tort et a travers la superiorite du roman experimental. Ses arguments et ses raisonnements sont ceux de Zola, appuyes encore de nombreuses citations empruntees a L'Introduction a l' Etude de la mddecine experimentale de Claude Bernard et a L'Evolution du naturalisme de Louis Desprez. Meme par ses appreciations les plus subjectives it ne s'ecarte nullement des vues personnelles de son grand predecesseur. Quand celui-ci dit que le reve du physiologiste et du medecin experimentateur est aussi son reve a lui, qu'il applique a l'etude naturelle et sociale de l'homme la methode experimentale, qu'il veut etre le maitre des phenomerles, des elements intellectuels et personnels, pour pouvoir les diriger, qu'il veut apprendre a etre maitre du bien et du mal, regler la vie et la societe, apporter des bases solides a la justice en resolvant par l'experience les questions de criminalite, Netscher developpe, suivant de fres pres son exemple, un programme analogue, finissant comme Zola, par s'exclamer: „ Je ne connais presque pas de tache plus elevee" 3). S'inspirant des methodes de Zola, Netscher croit avoir decouvert la voie ou devaient s'engager les lettres hollandaises, „si elles ne voulaient pas rester en arriere dans la lutte du progres logique" 4). Notre roman, 1) Nederland, 1885, II, p. 435, „de letterkunde van onze wetenschappelijke eeuw". 2) Voici sa maniere, dont Van Deyssel s'est moque dans son article Over Literatuur. „Comment la methode du naturaliste se joint a celle du savant sera clair par l'exemple suivant. Arretons-nous un moment a la methode mathematique du physicien. Supposons que d'un objet lui fit donne etc." (Hoe de methode van den naturalist zich aansluit op die van den geleerde kan duidelijk worden uit het volgende voorbeeld. Laten wij even stilstaan bij de wiskundige leerwijze van den natuurkundige. Veronderstel, dat hem van een voorwerp gegeven ware etc., art. cit., P . 451) 3) Ned., 1885, II, p. 457. „Ik ken bijna geen verhevener taak", cf. E. Zola, Le Roman Experimental, p. 24. „ Je ne sais pas, je le repête, de travail plus noble." 4) Ned., 1885, II, p. 435. „den weg die ook weldra de Hollandsche letteren zouden moeten inslaan, wilden zij niet in den strijd des logischen vooruitgangs een der achterblijvers worden". 44 dit-il, dans un article Het daghet uyt den Oosten, a besoin d'une formule nouvelle. Dans les circonstances actuelles le naturalisme est une question vitale pour le roman hollandais. Cette tendance artistique presente en ce moment la formule du roman qui se conforme le mieux aux orientations de l'epoque" 1). D'apres lui, l'auteur doit mettre a profit les resultats de la science; il lui faut etudier Darwin, Spencer, de meme que le travail sur l'heredite de Prosper Lucas 2). Ainsi Justus van Maurik ne trouvait aucune grace a ses yeux, seulement parce qu'il ignorait totalement la methode de l'observation et de l'experimentation. „Il compte parmi ces realistes puritains dont l'art n'est qu'un art hybride, l'art a la feuille de vigne. Nos pasteurs hollandais nous ont (MP. assez embetes avec leurs digressions abstraites et ennuyeuses sur la vertu, la pike, le devoir, l'amour, sans qu'ils visent, par l'etude et l'analyse, a peindre la realite de la vie sous l'influence de tous les facteurs qui la composent" 3). L'engouement des methodes et des principes naturalistes 4) l'amene a les admettre comme base de la critique d'art litteraire. D'apres lui celle-ci serait dorenavant une oeuvre d'analyse, la recherche du rapport 1) De Nieuwe Gids, 1886, II, p. 346. „Onze roman heeft een nieuwe formule noodig. In de gegeven omstandigheden is het naturalisme een levensquestie voor den. Nederlandschen roman. Deze kunstrichting verkondigt op dit oogenblik de romanformule, die het best in overeenstemming met de tijdsverschijnselen gebracht is". 2) Dr. Prosper Lucas, Traitd philosophique et physiologique de l'He'reditd, 1850; voir aussi P. Martino, Le naturalisme francais. Paris, A. Colin, 1923, p. 39, 40. 3) De Nieuwe Gids, 1886, I, p. 341, 342. „De methode der waarneming en der proefondervindelijke leerwijze waren hem volslagen onbekend. Hij behoort tot de puriteinsche realisten, zijn kunst is bastaardkunst, het realisme met een vijgeblaadje. Onze hollandsche dominees hebben lang genoeg gewouweld en gefemeld, lamlendige predikaties gehouden over allerlei afgetrokken thema's van deugd, godsvrucht, plicht, liefde, enz.; zij beoogen niet door bestudeering en analyse de realiteit van het leven onder de invloed van al zijn samenstellende faktoren of to maken". 4) A plusieurs reprises Zola a su gre a Netscher de la propagande qu'il faisait en Hollande en faveur du naturalisme. En 1884 il lui fait hommage d'un exemplaire de Germinal, en le remerciant de ce qu'il avait fait en Hollande „pour la defense de ses oeuvres" (lettre du 5 mars 1884). Le 25 septembre 1885 il lui &fit: „Je vous suis três reconnaissant des efforts que vous faites pour plaid.er ma cause devant vos compatriotes. Je vous sais três brave, je suis certain de votre triomphe. Vous aurez en Hollande la place de Verga en Italie et de George Moore en Angleterre. Partout la victoire sera avec la verite". Le t er dêcembre 1885 Zola le prie de lui envoyer quelques notes breves sur le naturalisme en Hollande, afin qu'il puisse s'en servir dans la preface qu'il allait ecrire au roman La Femme du Cabotin de Moore. Le 2 janvier 1886 Zola &fit: „Vous verrez certainement le mouvement grandir chez vous et vous en serez un des soldats victorieux". Voir pour plus de details De Nieuwe Gids, 1931, I, p. 69-72. 45 entre l'oeuvre d'art et l'auteur, la recherche de l'influence de la race, du temps 1) et du milieu sur les produits de certains artistes. „Le critique, disait-il, dans „un essai de critique naturaliste" sur Paul Margueritte 2), doit se mettre au point de vue de l'homme de science, juger avec l'impartialite du savant; l'ceuvre d'un auteur doit etre consideree comme „le corps sur lequel it faut faire une vivisection; retroussez vos manches et plongez-y le scalpel" 3). Il pretend que le \critique, pour juger l'oeuvre d'art, se mette lui-meme hors de cause, qu'il ne fasse pas valoir ses sentiments et ses opinions personnels qu'il apprecie avec la meme impassibilite que l'auteur naturaliste met a ecrire ses romans 4). Ces assertions, que lui dictent evidemment ses sympathies nouvelles, lui ont valu les severes, mais justes reproches de Van Deyssel et d'Albert Verwey. Ce dernier, pretendant avec raison que la critique etait precisement une question de gait personnel, qu'elle ne visait qu'a „decrire aussi exactement que possible les impressions qu'une oeuvre d'art fait sur nous" 5), lui conseille d'etudier le chapitre de Zola sur l'Expression personnelle dans son Roman experimental et notamment la phrase: „Un grand romancier est, de nos jours, celui qui a le sens du reel et qui exprime avec originalitê la nature en la faisant vivante de sa vie propre" 6). C'est justement faute d'individualites, telles que Multatuli ou Zola, disait Verwey, que la critique et l'art de notre pays se trouvent dans un 6tat si deplorable. La meme annee Van Deyssel lance contre Netscher sa critique im1) Netscher dit: „de invloed van het ras, de tijd en de omgeving", confondant, semble-t-il, l'influence du moment, c'est-h-dire l'influence du passé litteraire sur le present avec celle du temps, milieu historique. 2) De Amsterdammer, le i i octobre 1885, art. Cherie. 3) art. cit., „Het werk van den schrijver moet worden beschouwd als het lichaam, waarop gij een vivisectie gaat uitoefenen; stroop Uw mouwen op en zet het ontleedmes er in". 4) Dans son article Cherie (Ned. Museum, 1884, II, p. 76) Netscher dit entre autres de Zola et de ses partisans qu'ils tiennent rigoureusement a une relation neutre des faits, que ce sont les defenseurs d'un style „impersonnel" (de strenge handhavers eener onzijdige verhaling der feiten, van een onpersoonlijke stip); a la page 'or du meme article, it se corrige cependant, en louant chez Edmond de Goncourt „cette methode de peindre par laquelle chaque auteur imprime a son oeuvre le cachet de sa personnalite" (ieder drukt het stempel zijner persoonlijkheid in zijn beschrijving af). 6) De Amsterdammer, le 18 octobre 1885. „Kritiek is juist een kwestie van persoonlijke smaak, en niets anders dan zoo nauwkeurig mogelijk de indrukken to beschrijven, die een kunstwerk op ons maakt". 6) Voir Zola, Le Roman experimental, p, 219. 46 pitoyable et mordante Over Literatuur [Sur la litterature] 1), on il lui done toute originalite et lui conteste le droit de se poser en reformateur des lettres hollandaises, tout cela sur le ton hautain et moqueur qu'on lui connait: „Vous, potache ridicule de l'ecole francaise, qui vous hissez sur un tas de livres of in de paraitre aussi grand que le maitre, vous, cornac hollandais du naturalisme francais", „Vous, remacheur des chiques de Zola", „Vous, fils bossu de Camille Lemonnier, qui mettez les calecons uses de Flaubert, vous voudriez commander en maitre dans notre litterature?" 2), et plus loin „Fi, mon fr6rot, toi, tu as goilte en cachette au pot de confitures du tonton Zola, car toute to figure en est barbouillee. Et que tu sens mauvais, tu as sans doute encore ose te faufiler sous les jupes de la tante Lemonnier". „Et que tu es sale! Mechant bambin! Ah, Seigneur, que tu me causes de chagrin, que tu es un souillon!" 3) Ce qui amena Van Deyssel surtout a son attaque violente contre un auteur de qui il avait, deux ans auparavant, apprecie les talents en termes enthousiastes, ce fut l'interpretation fausse que Netscher donnait des conceptions artistiques de Zola, la trop grande importance qu'il attachait au cas „scientifique", au lieu de faire ressortir les qualites essentiellement artistiques que renfermait l'ceuvre de Zola. Ce que, a ses yeux, Netscher avait totalement perdu de vue, c'etait ce que Zola avait nomme „la part de l'invention", l'element qui prete a l'ceuvre d'art sa valeur artistique, son accent propre, irreductible. Autant que nous sachions, Netscher n'a jamais cherche A. se justifier ou a se defendre contre cette critique foudroyante d' un des maitres du Mouvement de 1880. Plus tard il a manifesto meme sa satisfaction a propos de l'article de Van Deyssel 4). En tout cas il parait etre certain 1) L. van Deyssel, Verzamelde Werken, IV, p. 34-89. 2) ibid., p. 68. „Gij dwaze schooljongen van de fransche school, die op een boekenstapel gaat staan om zoo groot te toonen als de meester, gij, hollandsche kornak van het fransche naturalisme". „Gij, herkauwer van Zolaas tabakspruimen, gebocheld zoontje van Camille Lemonnier, die U kleedt met Flauberts versleten onderbroeken, gij zoudt in onze literatuur zoo'n beetje de baas komen spelen ?" 3) ibid., p. 83, 84. „Foei, broertje, foei, broertje ! je hebt te diep gekeken in de confiturenpot van oome Zola, want je heele gezichtje zit er nog vol van. En wat is er een vreemd luchtje aan je ! Je hebt zeker weft onder de rokken van tante Lemonnier gekropen! En wat zie je er slordig uit! Stout broertje, och Heer, wat doe-je m'n 'n displezier, wat bee-je'n 'n morspot !" 4) Cf. De Mannen van '8o, p. 102. „I1 (Van Deyssel) ecrivit contre moi cette violente attaque — une des plus belles choses qu'il ait jamais faite." (Hij schreef dien geweldigen aanval tegen me — 66n van de mooiste dingen, die hij ooit gemaakt heeft. 47 qu'apres ces remontrances Netscher a cessê sa propagande des methodes „naturalistes" et renonce a une tache dont it s'acquittait avec trop de zele. Il semble que les reproches de Verwey et de Van Deyssel n'ont pas manqué d'ebranler sa confiance dans rinfaillibilite du „systeme". En 1886 it ecrit a la fin de son article Het Daghet uyt den Oosten: „La critique doit titre une oeuvre d'art; la critique litteraire une serie d'impressions que la lecture de quelque ceuvre d'art a faites sur nine d'un autre artiste, les impressions d'une impression. Elle releve du lyrique; elle n'est ni critique, ni eclaircissement, mais une serie d'impressions artistement reproduites" 1). On voit comment Netscher a evolue, comment d'un defenseur zele des theories naturalistes et de leur pretendue „impassibilite", it devint, evidemment sous la suggestion des conceptions de ses confreres, un fervent partisan de l'individualisme et de la subjectivite dans l'art. Comme vulgarisateur et defenseur des procedes naturalistes it a manqué sa mission, justement parce qu'on s'opposait a ce qu'il y avait d'artificiel, de dogmatique, de presomptueux dans ses tendances. Ses premieres exaltations, son manque d'experience l'ont empeche de voir quelles etaient, dans le naturalisme, les valeurs essentielles qui devaient raj eunir et feconder notre art, valeurs que l'artiste en lui, intuitivement, ne tardera pas a cl6couvrir et a s'assimiler. Apres avoir constate A. quel point Netscher s'est revele un partisan z61.6 des principes que defendait l'auteur du Roman experimental, nous verrons que dans son ceuvre l'art des „naturalistes" a egalement laiss6 des traces sensibles. Ses recueils de nouvelles, aux titres significatifs, comme les Studies naar het naakt model, Menschen om ons, Uit de snijkamer 2), dont les premieres apparurent dans Nederland (1884) 3 ), attirerent immediatement l'attention par l'accent nouveau qu'on remarquait dans 1) De Nieuwe Gids, 1886, 1 r, p. 36o. „De kritiek moet een kunstwerk zijn; de literaire kritiek een aaneenschakeling van medegedeelde indrukken, welke de lektuur van eenig kunstwerk op de ziel van een mede-artiest gemaakt heeft: de impressies van een impressie. Zij wordt het onderdeel van de lyriek: noch beoordeeling, noch voorlichting, maar een reeks van artistiek weergegeven impressies". 2) Studies naar het naakt model [Etudes d'aprês le nu]. La Haye, Mouton & Cie, 1886; Menschen om ons [Des Bens autour de nous]. La Haye, W.-A. Morel, 1888; Uit de snijkamer [De la sane de dissection]. Haarlem, Vincent Loosjes, 1904. 3) Nederland, 1884, II, p. 70. Studien in onze Tweede Kamer [Etudes dans notre Chambre des Deputes], signees H. van den Berg, pseudonyme qu'il avait pris sur l'avis de Jan ten Brink, pour „ne pas avoir d'histoires avec MM. les Deputes". 48 l'observation et la notation du monde exterieur. Van Deyssel etait le premier a saluer avec joie cette prose qui „se distinguait par une vision toute neuve et tres personnelle" 2). Il est vrai qu'en comparant cette maniêre d'ecrire a celle qui etait familiere a la generation d'avant 188o, on est frappe du pittoresque et de l'audace des descriptions, oil sans aucun doute l'auteur s'est inspire de ses modeles. Son vocabulaire est visiblement emprunte a la langue des auteurs naturalistes, qu'il semble avoir etudiee avec soin. Ainsi on rencontre souvent les mots vlek (tache) et vlekken (tacker), termes que lui ont evidemment suggeres la langue des naturalistes 3), par exemple: une tache d'ombre froide (een koude vlek schaduw), une tache criarde dans la masse sombre (een schreeuwende vlek in de donkere massa), une tache de lumiere crue (een vlek rauw licht). Puis, tres frequent chez lui est l' emploi du terme vomit', si familier chez Zola ou Maupassant, dans des phrases telles que: une cheminee vomissant de lourdes et noires nuees de fumee (een schoorsteen dikke, zwarte rookwolken brakend); devant elle le grand portail gothique, vomissant 1) Voir De Amsterdammer du 12 octobre 1884 „dat zich onderscheidde door een geheel nieuwe en zeer persoonlijke vizie", voir aussi W. Moos, Veertien Jaar Literatuur-Geschiedenis, I, p. 192. 2) Déjà dans le „Zondagsblad, behoorende bij het Rotterdamsch Nieuwsblad" du 4 mars 1883, du 26 oct. et du 2 nov. 1884 on trouve, de sa main, des traductions de fragments de l'oeuvre de Zola, intitulees Een Schilderij [Un tableau] et Eene Idylle der Hallen [Une Idylle des Halles]. Dans ses Letterkundige Opstellen [Essais litteraires], p. 185, W.-G. van Nouhuys fait un rapprochement entre le style de Netscher et celui de Zola, se servant, a cet effet, d'une traduction qu'un professeur beige, Engeibert de Chateleux, avait faite d'un passage dans De Val van een minister [La Chute d'un ministre], la description d'une scene de la Chambre des Deputes que nous faisons suivre: „Le soleil donnait dans la salle de deliberation de la Seconde Chambre. Le ventilateur laissait penetrer les rayons qui glissaient obliquement. La lumiere, comme une pluie d'or blond, tombait. Les cadres dores des bancs s'eveillaient, brillaient; a gauche, le vert fonce des garnitures se reposait gaiment dans la lumiere; la partie droite de la salle commencait a poindre dans une teinte plus sombre . . . . C'etait une demi-heure avant l'ouverture de la séance; la Chambre etait completement vide. Et sous les bancs, le tapis pressait( ?) sa couleur par toutes les ouvertures; it se deroulait entre la table des ministres et des bureaux comme une tache carrêe, sanglante, sous le ventilateur; son rouge eclatant flamboyait dans les perspectives des bancs verts. Il faisait tranquille dans la salle, frais, gai, clair. Les murs blancs, d'un style pseudo-classique, brillaient . . . ." 3) Les Goncourt, Flaubert aussi, faisaient déjà un emploi tres frequent des mots comme touche, clartd, tache, cf. la description de la foret de Fontainebleau dans Manette Salomon (1867) et L'Education sentimentale (1869). Certainement nos auteurs ont suivi leur exemple. Tres probablement aussi, comme le montre M. G. Brom dans ses Hollandsche schrijvers en schilders, ils empruntent certains termes au vocabulaire des peintres. 49 de temps en temps quelque rare visiteuse de l'eglise (voor haar werd door de groote gothische deur nu en dan een enkele kerkgangster uitgebraakt). D'autres gallicismes, souvent três vilains, sont a relever: de dijk, die zich in de verte ging verliezen (la digue qui allait se perdre au lointain); een stuks leven (une tranche de vie); eenige suffe gedachten in haar hersens ronddolend (roulant dans son cerveau quelques mornes pensees); een straat, die zich voor hen ontrolde (une rue qui se deroulait devant eux); het uitblusschende hemelgrijs (le gris du ciel, s'eteignant); alle muren wasemden kalmte, stilte uit (tons les murs suaient le calme, le silence); nu rumineerde zij eenigen tijd huiselijke omstandigheden (maintenant elle ruminait pendant quelque temps de petites circonstances domestiques), exemples qu'on saurait facilement multiplier encore. C'est surtout dans la peinture des sensations charnelles que Netscher imite visiblement Zola ou Huysmans. „Elle etait de petite taille, large d'epaules et de hanches, toujours bouclee dans le corset, fraiche et appetissante comme une jeune femme qui, apres son premier accouchement, montre la pleine saveur de sa chair" 1). Ainsi ii echappe de sa plume des expressions grossieres, trahissant souvent chez lui un manque de gout total. „Il tourna la tete vers la fenetre, et avala encore a la derobee ses formes delicieuses" 2) ou „Et tout son corps gonflant d'une sante savoureuse, remplissait son corset etroit" 3). Ces exemples et tant d'autres tel que: „Et quand, apres l'accomplissement de ses 6treintes nocturnes, it se mettait a cote d'elle et tombait dans le sommeil lourd du male, elle se sentait soulagee comme la femelle" 4), montrent d'une fawn claire comment Netscher calquait ses phrases sur le modele de 1) cf. Studies naar het naakt model, p. 219. „Zij was klein van gestalte, breed van schouders en heupen, altijd strak in het corset gesloten, frisch en smakelijk als een jonge vrouw die na haar eerste bevalling tot de voile bloei van haar vleesch gekomen is". 2) ibid., p. 295. „Hij keerde het hoofd naar het venster, en at in stilte met zijn oogen haar vormen weer op". 3) ibid., p. 273. „En haar heele lichaam, gezwollen van een saprijke gezondheid, vulde haar nauw gesloten corset", cf. Huysmans, Les Sours Vatard. Paris, Cres, 1928, p. 17. „Madame Voblat, une bombance de chairs mal retenue par les douves d'un corset". 4) Uit de Snijkamer, p. 49. „En wanneer hij, na het voleindigen zijner nachtelijke omhelzingen, zich onmiddellijk naast haar legde, en in den zwaren slaap van het vermoeide mannetjes-beest viel, voelde ze zich verlicht als een wijfje". 4 50 ses maitres, effort que, malgre leur hardiesse, on ne saurait guêre apprecier 1). Mais bien souvent it a largement beneficie de leurs exemples. Dans son oeuvre on peut relever des passages qui charment encore maintenant par une vision originale, tel le portrait d'une vieille marchande juive, la mere Rachel, que Netscher a trace avec la precision d'un peintre. „Elle etait rongee par le temps comme une vieille batisse. Sa peau avait la couleur de cuivre patine ou d'une olive pourrie, ratatinee. Sa bouche avec les lêvres minces, large, ridee, edentee, etait comme une fente dans du vieux cuir. Le nez etait pointu, sortait du visage, plante entre deux petits yeux percants, enfonc6s, avec une expression rus6e, semitique. Ses longs doigts noueux, aux ongles durs et crasseux, ne cessaient d'entasser les pommes ou les prunes qui avaient roule en bas" 2). C'est surtout dans la reproduction de coins de la nature que l'influence des naturalistes francais se fait sentir dans l'art de Netscher. Celui-ci, dans son article sur Cherie, s'etait montre ravi de la fawn dont Goncourt notait et reproduisait la nature environnante, et tout specialement la fawn dont it faisait ressortir le silence en y opposant le bruit, l'animation 3). Il se plait meme a traduire un passage, qui l'a, a cet egard, tout 1) Aussi n'est-il pas etonnant que la critique bourgeoise s'alarmat de ces indecences, cf. l'article que Wolfgang (pseudonyme de H.-W. van der Mey) ecrivit a propos des Studies: „Alors un poête fit, en la personne de Frans Netscher, son entrée dans nos lettres et la Hollande etait envahie par la puanteur du naturalisme francais . . . . cette branche poussera et transformera, ce qu'a Dieu ne plaise, notre patrie en un tas de fumier. Pataugeant dans la crotte, ils viennent, impregnes de puanteur, empester le temple de l'art." (Nu stond een dichter op in den persoon van Frans Netscher en stonk het Fransche naturalisme Nederland binnen . . . . Ook deze twijg zal groeien en, zoo God het niet verhoedt, het Vaderland in een mestvaalt herscheppen. In de mest rondploeterend komen zij doortrokken van den stank, den tempel der kunst verpesten). 2) Menschen om ons, p. 223. „Als een oud huis was zij door regen en wind verteerd. Haar vel had de kleur van vuil koper, of van een verschrompelde, zieke olijf. Haar mond was breed, gerimpeld, zonder tanden en met smalle lippen, en geleek een scheur in oud leer. De neus was spits, boog uit het gelaat vooruit en stond tusschen twee diepe inliggende, scherpe oogjes, met een sluwe, semietische uitdrukking. Haar knokkige, lange vingers, met groezelige, harde nagels, waren voortdurend bezig de appelen of pruimen, die van de stapeltjes afvielen, weer op to tassen". Huysmans, lui aussi, se plait a dresser devant nous de ces „dechets de la societe", a peindre „une vieille bique de cinquante ans", cf. le portrait d'une balayeuse dans En Ménage, ed. Charpentier, p. 18. Voir Helen Trudgian, L'Evolution des idles esthe'tiques de J.-K. Huysmans. Paris, Conard, 1934. 3) Le meme procede, N etscher l'avait remarque chez Tourguêniev qui „voulant 51 particuliêrement frappe, la peinture d'une allee. „Par terre, tout le long de Vallee, se voyaient des raies de soleil sur l'ombre du chemin, et a droite et a gauche, parmi les eclaircies de la futaie, de gais sautillements de lumiere apres les blancheurs des bouleaux, apres les mousses tigrees des h8tres. En cette allee ii s'elevait aussi par instants de grands murmures de feuilles dans la voilte des arbres, suivis de mouvements de silence, comme s'il n'y avait plus eu du tout de bruit sur la terre" 1). Dans l'esquisse Herfst in het Woud [Le Bois en automne], qu'il publia quelques mois apres dans De Nieuwe Gids 2), Netscher semble s'etre assimile une maniere qui l'avait tant charme chez l'auteur de Cherie. Le procede consistant a faire sentir le silence par l'indication d'un bruit est meme tres frequent. „Il regnait un tel silence dans le bois qu'on entendait craquer une branche morte, ou un oiseau qui remuait dans les feuilles tombees" 3) ou bien „Lorsqu'enfin un affreux vent d'automne agita un moment le bois et fit craquer les branches, fremir les feuilles" 4). Certains passages dans cette nouvelle rappellent singulierement la description de la fork de Fontainebleau dans L'Education sentimentale. Comme Flaubert, Netscher peint les differents arbres dans leurs attitudes caractêristiques. Voici les chenes. „I1 y avait, lisons-nous chez Flaubert, des chenes rugueux, enormes, qui se convulsaient, s'etiraient du sol, s'etreignaient les uns les autres et fermes sur leurs troncs pareils a des torses, se lancaient avec leurs bras nus des appels de desespoir, des mesuggerer la profondeur du silence, le rendait plus perceptible, en mentionnant quelque bruit cause par exemple par une branche qui se cassait lorsqu'un petit oiseau s'y posait" (Ned. Museum, art. cit., 1884, II, p. zoo). Alphonse Daudet lui aussi, avait constate chez Tourgueniev sa manihre particuliêre d'observer et de noter; it en parle dans ses memoires Trente ans a Paris. Paris, Marpon & Flammarion, i888, p. 325: „Tourgueniev a l'adorat et l'ouie", chapitre qui fut traduit par Frank van der Goes dans Nederland, 1884, I, p. 107 sqq. Paul Bourget êgalement consacre quelques pages três int6ressantes a l'esthetique de Tourgueniev (Essais de psychologie contemporaine, II, p. 207-219); les exemples qu'il cite a cet egard, illustrent curieusement ce procedó d'art qu'il rapproche de celui qui êtait familier a Flaubert. Dans tout ceci it n'y avait, comme on sait, rien de nouveau, cf. la dernihre promenade dans Adolphe; mais puisque les auteurs naturalistes attiraient toute l'attention, c'est chez eux que nos auteurs firent ces decouvertes. 1) Edmond de Goncourt, Cherie. Paris, Charpentier, 1884, p. 54. 2) De Nieuwe Gids, 1885, I, p. 229-232. 3) ibid., p. 229. „En het was zOo stil in het woud, dat men een takje hoorde kraken, of een vogel, die in de neergevallen blaeren morrelde". 4) ibid., p. 232. „En toen eindelijk een griezelige herfstwind het woud een oogenblik in beweging bracht, de takken kraken en de blaeren ritselen deed". 52 naces furibondes, comme un groupe de Titans immobilises dans leur colere" 1). Et chez Netscher: „Les chenes peu &eves, trapus, dont les branches s'etirent dans des torsions convulsives, comme les damnes dans l'enfer" 2). La ressemblance des deux passages est frappante, d'autant plus que l'un et l'autre se terminent par une personnification analogue. Qu'on se mefie d'ailleurs de voir dans cette conformite fortuite l'indice que Netscher se flit inspire du passage que nous venons de citer. Il est Bien naturel que deux auteurs, egalement sensibles a l'ext6rieur pittoresque qu'ils se donnent la peine d'observer minutieusement, decouvrent a un objet les memes details caracteristiques 3). Cependant chez lui se distingue aussitOt une particularitê dans la notation du monde exterieur qui sera tout a fait caracteristique des auteurs de 188o, c'est-à-dire une tendance a noter tout ce que percoit leur jusqu'aux plus infimes details. Flaubert, d'un seul trait, peint les bouleaux reveurs et melancoliques. „Puffs venait une file de minces bouleaux inclines dans des attitudes elegiaques" 4). Comparez avec cette phrase la description que Netscher fait des memes arbres avec une surcharge de details et de comparaisons, qui confondent le lecteur. „Et deux ou trois bouleaux perdus au loin, a l'horizon d'un sentier, avaient l'air d'être des objets argentes sur une étagère gigantesque, delicats comme l'ouvrage de cannetille d'un artiste chinois. Leurs troncs un peu courbes avaient les rondeurs souples d'une bête, d'un saumon a 6cailles d'argent, tandis que les petites branches, fines comme une toile d'araignee, re ssemblaient a des fougeres bizarres d'une blancheur petrifiee, au fond de la mer" 5). L'erreur que commet ici l'auteur, c' est qu'au lieu de noter directement ses impressions et ses sensations, it les transforme bizarrement par un curieux travail de l' esprit, toujours en quete des plus singuliers rapprochements. Des qu'il se meta peindre l'exterieur, l'auteur raisonne, reflechit. 1) G. Flaubert, L'Education sentimentale, ed. Conard, p. 466. 2) De Nieuwe Gids, 1885, I, p. 23o. „De lage ineengedrongen eikenstruiken, wier takken zich in krampachtige wringingen uitrekken, als zondaren in het Inferno". 3) Voir la remarque a la page 203 de notre etude (note 1). 4) L'Education sentimentale, p. 466. 5) De Nieuwe Gids, 1885, I, p . 23o. „Een drietal verdwaalde berken, in de verte, op den horizon eens voetspads, schenen zilveren voorwerpen uit eene reuzenétagère, fijn, als kantille-werk eens chineeschen kunstenaars. Hunne stammen met eenige flauwe bochten, bezaten de levende rondingen van een beest, van een zilvergeschubden zalm, terwijl de ragfijne twijgjes aan vreemdsoortige,witversteende varens van den bodem eener zee deden denken". 53 n'arrive pas a eveiller auprês de ses lecteurs des emotions artistiques, ddaut que Van Deyssel a immediatement constate. A l'appui d'exemples frappants it montre comment Netscher a use d' images, sans les avoir profondement vecues, comment dans son art, c'est la raison, qui predomine. „Il n'y a pas de tendresse dans son art, it n'y a pas de larmes si Netscher voit quelque chose, it ne l'observe pas si intensement que les choses vues et celui qui les observe, en soient douloureusement atteints. En etre blesse jusqu'au sang, c'est le sentiment qui fait defaut ici" 1). L'influence du naturalisme francais sur l'oeuvre de Netscher ne s'est pas borne a des suggestions esthetiques. Elle se fait egalement sentir dans la predilection qu'il montre a choisir ses sujets dans la realite basse, peignant, tout comme ses predecesseurs, la prostituee 2), la chanteuse 3), l'ouvrier adonne a la boisson et qui laisse crever sa famille 4). Dans Miss Nelly, qui n'est pas sans rappeler le debut de Nana, it imite fidelement les procedes chers a Zola. „Toutes les tetes tournees vers la scene sous l'impulsion instinctive d'une bande d'hommes qui sentent approcher une femme êtalant sa chair nue" 5). Mais voici qu'il se revêle encore un peintre, notant avec soin les details pittoresques. „Sa petite figure, pleine de taches et de raies de lumiere, et de barres d'ombre" 6), ou bien „Sa bouche ouverte qui chantait, formait un petit trou noir" 7), phrase qui rappelle immediatement telle autre chez Huysmans: „ S a bouche, grande ouverte, quand elle hurlait le dernier vers du refrain, Wait comme un trou noir" 8). Que Netscher ait pris comme mode le 1) L. van Deyssel, Verz. Werken, IV, p. 40. „Er is geen teederheid in zijn kunst; er zijn geen tranen; als hij iets ziet, dan ziet hij het niet zoo hevig en zoo intens, dat en het geziene en de ziener er van bloeden. Dit bloeden is het sentiment, dat hier ontbreekt". 2) Cf. Koosje Bosser dans Uit de Snijkamer, rêcit d'un atroce realisme. 3) Cf. Miss Nelly dans Studies naar het naakt model. 4) Cf. De Kroeg van Leenderts [Le Cabaret de Leenderts], qui rappelle L' Assommoir, ou Marietje Veenders, tous deux dans Studies naar het naakt model. Pour faire ses etudes Netscher avait l'habitude de visiter, le plus souvent avec son ami Arij Prins, les cabarets afin de recueillir des impressions, voir S.-P. Uri, Leven en Werken van Arij Prins [Arij Prins, sa vie et son ceuvre]. Delft, Waltman, 1935, p. 31. 5) De Nieuwe Gids, 1885, II, p. 105. „Alle hoofden naar het tooneel gericht, onder den instinktmatigen drang eener bende mannen, die een vrouw met veel bloot vleesch voelen naderen". 6) ibid., p. 107. „Haar figuurtje, vol vlekken en vegen licht, en strepen schaduw". 7) ibid., 107. „Haar geopende zingende mond vertoonde zich als een donker gaatje". 8) Huysmans, Les Sceurs Vatard, ed. Charpentier, p. 138. Comparez chez Netscher et Huysmans cette scene de cabaret dont l'analogie est frappante: „Kreten braken onder het publiek los, gestamp, geroep, gegil. En nadat zij nog enkele malen in de 54 une chanteuse ou les ballerines, comme dans son Oproer in het Ballet [Rholte des ballerines] 1), cela n'a rien d'etonnant, depuis que Goncourt, Huysmans l'avaient precede dans ce genre. On sait qu'on aimait, A. cette époque, a peindre les clowns, les saltimbanques, etudes qui relevent au fond de la peinture et dont Degas et Forain avaient fourni les premiers modeles 2). La fawn dont ii a cherche, comme ses modeles, a traiter les problemes du milieu et de l'heredite font voir encore comment Netscher retombait dans l'imitation fade et que rien dans son oeuvre ne temoignait d'une conception originale. Dans Stale Waters [Faux dormantes] 3) par exemple, rêcit qu'on saurait comparer en quelque sorte avec Cherie (1884) d'Edmond de Goncourt, nous voyons une jeune fille quitter sa province pour s'etablir a La Haye, oil elle subira l'influence fatale de son ambiance. „En s'y installant, elle etait le portrait vivant de sa mere, gaie, bien portante, de caractere doux; par son peu de contact avec le monde exterieur, par l'ennui qui lui entrait dans le corps a travers tous les pores, par le refoulement de ses instincts naturels, les qualites hereditaires de son pere maladif, silencieux, souffrant, qui avait langui jusqu' au jour de sa mort dans son fauteuil, s'etaient developpes en elle au detriment de celles de la mere" 4). C'est surtout dans la nouvelle Droog Brood [Du lijst van het tooneel had op en neer gedribbeld, wipbillend, wiegheupend, vlijhalzend, met guitige gluurblikjes uit de ooghoeken, glibberende lichtglippen over de rondingen van het satijn en schaduwvegen over armen en gelaat. Zij bracht de toppen harer vingers aan de roode lippen, en wierp toen, dankbaar groetend, den arm met een zwaai vooruit" et „La salle entiere Mira, des acclamations forcenêes coururent et s'inclinant, souriant, envoyant des baisers, elle faisant onduler par le remuement de sa hanche sa robe dont la soie du bas luisait plus eclatante et comme plus neuve que Celle du corsage moins crilment frappee par les feux de la rampe". 1) Dans Studies naar het naakt model, p. 76-119. Lire dans Uri, op. cit., p. 31, le passage oil Prins raconte sa visite chez Netscher, qui avait fait venir un „modele" pour bien preparer cette etude. 3) Cf. Th. de Banville: Les Pauvres Saltimbanques; Flaubert: Les Baladins; Baudelake: Le vieux Saltimbanque (Spleen); Huysmans: Croquis parisiens (Les FoliesBergire et l'Hippodrome); Edmond de Goncourt: les Freres Zemganno. 3) Studies naar het naakt model, p. 265--299. 4) ibid., p. 293-294. „Toen zij to 's-Gravenhage kwam, was zij het beeld harer moeder, vroolijk, opgewekt, gezond en zacht van karakter, maar door de afzondering van de buitenwereld, de loome verveling, die zij door al hare porièn inzoog, en de onderdrukking harer natuurlijke opwellingen, hadden zich de hereditaire eigenschappen van den ziekelijken, stillen, lijdzamen vader, welke met berusting op zijn stoel was weggekwijnd, ten koste van die der moeder gaan ontwikkelen". 55 Pain sec] 1) que le dessein de faire une etude d'un cas d'heredite a ete indeniable. On finit par ne plus nettement saisir le caractere du personnage principal, se modifiant sans cesse sous l'influence d'un continuel changement des circonstances. En ce qui concerne la langue, on en cueillerait des specimens dans n'importe quelle revue medicale. „Elle constituait par sa vie physiologique et psychique un mauvais produit d'un pere epuise au point de vue psychique et d'une mere maladivement emotive" 2). Dans la fusion des qualites hereditaires du pere et de la mere, les facultes intellectuelles de l'enfant avaient ete derangees par le temperament emotif qu'elle avait herite de sa mere" 3). „Aux moments de repos l'element intellectuel du pere avait le dessus, lorsque la force emotive heritee de la mere etait suspendue." 4). Ces phrases qui trahissent clairement la maniere „naturaliste" montrent oil aboutissait un genre qui n'etait que le decalque des modêles; nulle part dans ces lignes on ne sentait vibrer ce frisson humain ou artistique qui est l'effet d'une vision originale. Quelle est enfin, la valeur de Netscher? En premier lieu, c'est lui qui, avec plus d'insistance qu'aucun autre, avait attire rattention sur la litterature francaise, acte dont lui sut (MP. gre Van Deyssel dans son article Over Literatuur [De la Littdrature]: „Si la Hollande finit par s'interesser davantage A. cette formidable litterature, elle le devra surtout A. Netscher" 5). Puis, malgrê ses defauts et ses inegalites, it faut l'honorer d'avoir prepare le nouvel ideal esthetique, qu'il s'etait cree conformement aux principes des naturalistes. „La nouvelle pêriode, les nouveaux sentiments, disait-il, en 1885 deja, exigent une nouvelle originalite. „Pour donner une forme A. cette nouvelle fawn de sentir, nous avons besoin d'autres moyens artistiques, d'une autre „conception", d'autres couleurs, de nouveaux 1) Menschen om ons heen, p. 17o. 2) ibid., p. 170. „Zij vormde met haar physiologisch en psychisch leven een wan- product van een geestelijk uitgeputten vader en van een ziekelijk emotieve moeder". 3) ibid., p. 173-174. „In de samensmelting der hereditaire eigenschappen van den vader en de moeder, werden bij het kind de intellectueele eigenschappen van vaderszijde in wanorde gebracht door het overgeerfde emotieve temperament der moeder". 4) ibid., p. 177, 178. ,,In oogenblikken van rust kreeg het element van vaderszijde de overhand, wanneer de emotieve kracht der moederlijke herediteit buiten werking was gesteld". 5) L. van Deyssel, Verz. Werken, IV, p. 84. „Als Nederland eindelijk in die ontzaglijke literatuur meer belang zal gaan stellen, zal dit grootendeels aan den Heer Netscher to danken zijn". 56 mots, de nouvelles phrases, en un mot, d'un nouveau style. C'est ce que nous devons decouvrir, par la nous devons devenir originaux" 1). La conception artistique qu'il herita des auteurs francais, inaugurera une nouvelle pêriode d'art, a laquelle Van Deyssel et Van Looy donneront un si bel eclat. Eux, les grands peintres de nos paysages, des interieurs, des coins de ville avec leur atmosphere particuliere, se reclament de lui. „Cela me frappait beaucoup, ce petit livre de Netscher, disait Van Deyssel, car j'y decouvris une affinite avec ce que je voulais moi-meme"2). Van Looy, egalement, reconnaissait la nouveaute de cette fawn d'observer et de noter, maniere dont it semble s'inspirer. „J' avais lu quelque chose de Netscher, la description d'un bois; alors je me disais que je saurais en faire autant" 3). Ainsi, a plusiers points de vue Netscher merite d'être nomme comme un precurseur; s'accordant avec Kloos et Van Deyssel a protester contre une litterature tendancieuse et sentimentale, contre ce qu'il denommait lui-meme une „litterature a motifs", ii pretendait y opposer un art clesinteresse, plastique et sensuel oil devait se distinguer, d'une fawn marquee la personnalite de l' artiste, un art tout a fait subjectif enfin qui annonce celui de ses successeurs immediats 4). LODEWI JK VAN DEYSSEL Lodewijk van Deyssel, de son vrai nom Karel Joan Lodewijk Alberdingk Thijm, naquit le 22 septembre 1864 a Hilversum. Il passa sa jeunesse A. Amsterdam, oil son pere J.-A. Alberdingk Thijm (182o-1889) 1) Nederland, 1885, III, p. 86., art. W at wit het naturalisme?, „Om aan die nieuwe wijze van gevoelens beeld to geven, hebben wij andere kunst-hulpmiddelen noodig, andere „conceptie", andere kleuren, nieuwe woorden, nieuwe zinnen, in een woord: een nieuwen kunststijl. En daarnaar moeten wij zoeken, daarin moeten wij oorspronkelijk worden". 2) De Mannen van '8o, p. 19. „Dat trof mij sterk, dat boekje van dien Netscher, want ik voelde verwantschap met wat ik zeif wou. Het was wel niet precies mijn bedoeling, maar het ging toch in dezelfde richting". 3) Cf. J. de Meester, Lets over de literatuur dezer dagen [Quelques observations sur la litterature contemporaine]. Bussum, C.-A.-J. van Dishoeck, 1907, p. 4o. „Welnu ik (Van L.) had wat van Netscher gelezen, een beschrijving van een bosch, toen dacht ik, dat kan ik ook wel". 4) Aussi J. Prinsen J. Lzn. avait tort de pretendre que „Netscher ne se serait pas associe a la bande revolutionnaire des jeunes (zich niet in de dagen der revolutie van '8o aansloot bij de revolutionaire schare der jongeren). Voir De Amsterdammer du 24 nov. 1923, 57 professait l'esthetique et l'histoire de l'art a l'Academie des Beaux Arts 1). De 1875 a 1878 Van Deyssel est a un pensionnat catholique de garcons a Rolduc oil it „devait parler francais" et on ii apprenait a connaitre les chefs-d'oeuvre de la litterature francaise 2). Rentre a Amsterdam, it entre dans une librairie. Les lettres le passionnent 3); dans ses heures de loisir, it lit tout ce qui lui tombe sous la main. „Avec quel plaisir, avoue-t-il, je lisais en cachette, a rage de seize ans, Lidewijde, le roman de „l'oncle Huet" 4). Mais la litterature hollandaise ne lui offrait pas ce qu'il cherchait. „Alors je voguais avec mes pensees et mes appreciations au vaste pays de la litterature etrangere et j'ai vu que tout y etait meilleur que chez nous" 5). C' est ainsi qu'il decouvrit les auteurs francais modernes, les Dumas fits, les Zola, dont it prendra la defense contre les attaques injustes du docteur Nuyens 6). Dans sa revue Onze Wachter [Notre Gardien] 7), celui-ci avait blame chez Hugo et Dumas leur tendance a rehabiliter la fille de joie par un chaste amour, soit pour un homme, soit pour un enfant, au lieu de la rendre sublime par un sentiment profondement 1) Pour plus de details sur Van Deyssel et ses ascendants, voir Bruno-J. Stokvis, Lodewijk van Deyssel. Amsterdam, P. N. van Kampen & Zoon, s.d. (1921), p. 7 sqq. On sait que le professeur Alberdingk Thijm, le pêre de l'auteur, tut un passionnê des lettres francaises, des ecrivains francais it prefêrait, semble-t-il, Moliere, qu'on jouait regulièrement chez lui; on raconte de lui qu'il a traduit Tartuffe a la Gare Centrale en attendant le train. Voir aussi L. van Deyssel, Gedenkschriften [Mdmoires]. Amsterdam, Em. Querido, 1924, p. 168 sqq., art. Een vioolstruik-avond 1881. Ce soir-la on jouait Le Bourgeois Gentilhomme, piece a propos de laquelle Van D. remarque: „Moliére, qui etait alors plus que jamais a l'ordre du jour, grace a la publication a Paris de la volumineuse Bibliographie moliiresque. 2) Autrefois, l'enseignement a Rolduc etait donne en francais; la plupart des livres de classe êtaient des manuels beiges ou francais. 3) Sans aucun doute, le milieu artistique de son pêre a contribue a susciter chez le jeune Van Deyssel l'amour des lettres et des arts, voir P.-H. Ritter Jr., Lodewijk van Deyssel. Baarn, Hollandia Drukkf.rij, 1921, p. 8. 4) L. van Deyssel, Verzamelde Werken [Euvres completes]. Amsterdam, Scheltema & Holkema, 3e ed., IV, p. 125. „Met welk een buitengewoon heimelijk plezier las ik op mijn zestiende, zeventiende jaar, Lidewijde, het boek van oom Huet!" 6) op. cit., p. 126. „Maar toen ben ik op reis gegaan met mijn gedachten en waardeeringen in den verren vreemde, naar de groote wereld der uitheemsche letterkunde, en ik heb gezien, dat alles daar beter was dan ten mijnent". 6) De Dietsche Warande [Le Jardin de Plaisance hollandais], aofit, p. 478-512, art. De Eer der Fransche Meesters [L'Honneur des Maitres franfais]. 7) Onze Wachter [Notre Gardien], 1881, 1, p. 255, art. Victor Hugo als dramatisch dichter [Victor Hugo auteur dramatique]. 58 religieux ou par un grand remords qui purifie 1). La Dame aux Camelias avait a ses yeux tous les defauts d'une femme inconstante, dëpensiere, frivole, a qui s'attachaient toutes les souillures de la ville que Da Costa avait qualifiee dans ses chants de „la Ninive de nos jours" ou bien du „paradis maudit par Dieu" 2). Van Deyssel, age alors de dix-sept ans, attaque vivement l'opinion de Nuyens, qui pretendait bannir de la litterature les sujets qui ne concordaient pas avec ses conceptions morales et religieuses 3). Sa defense de Zola annonce deja l'auteur du fameux Over Literatuur [De la Littdrature] (1886). Ici comme ailleurs, it riposte d'un ton passionne, pathetique presque. Aux reproches que Nuyens avait adresses A. Zola d'avoir voulu „flatter le peuple" par la violence et l'audace de ses peintures, Van Deyssel repond de sa belle maniere: „Oh, monsieur, je vous prie, lisez L' Assommoir, et vous ne direz pas que le peuple, que l'auteur y peint dans ses conditions les plus miserables, y est flatte. Lisez Nana et vous ne pretendrez jamais que la fille de joie y a ete mise sur un piedestal. Oil est-ce que cela arrive, monsieur? Dans la Conquite de Plassans? Dans la Fortune des Rougon? Dans le Ventre de Paris? Non, n'est-ce pas? Partout la societe actuelle a ete decrite dans son 6tat pitoyable avec ses rares caracteres d'une vraie grandeur" 4). Ce que Van Deyssel a apprecie avant tout chez Zola, c'etait son attitude d'observateur desinteresse qui „se bornait a constater ce que font ses personnages, sans approuver ni blamer" 5), attitude qui devait singulierement concorder avec sa mentalite propre. Ce culte du vrai, cette passion de la verite qu'il a du sentir instinctivement en lui, it l'a decouvert et admire pour la premiere fois chez Zola. „D'abord, dira-t-il 1) ibid., p. 280. 2) ibid., p. 265. 3) De meme ii combat les opinions de Schaepman, qui s'est 'nee dans les dêbats; voir sur cette polemique, B.- J. Stokvis, op. cit., p. 21 sqq. 4) De Dietsche Warande, 1881, p. 486. „Och mijnheer, lees L' Assommoir, en ge zult niet meer 'zeggen dat het yolk, dat daar in zijn ellendigsten toestand wordt afgeschilderd, gevleid wordt. Lees Nana en ge zult nooit beweren, dat de slechte vrouw daarin op een piedestal wordt gezet. Waar gebeurt dat, mijnheer? In La Conquete de Plassans? In La Fortune des Rougon? In Le Ventre de Paris? Neen, niet waar ? Overal wordt de hedendaagsche maatschappij in haar deerniswekkende toestand geschilderd, met hare zeer zeldzame groote karakters!" 5) A propos de Pot-Bouille dans De Amsterdammer du 7 mai 1882. „Hij konstateert, wat zijn figuren verrichten, zonder goed of afkeuring . . . . een door en door bestudeerd, rijp overwogen en met diepe overtuiging voorgestaan systeem" (Un systême bien etudiê, mfirement reflêchi et defendu avec une conviction profonde). 59 plus tard, je decouvris Zola, alors que je ne m'eus pas encore decouvert moi-meme." Pour lui Zola incarnait l'idee qui allait dominer le monde, „une nouvelle formule d'art, une philosophie moderne". „Zola, c'est la methode du positivisme appliquee a l'art litteraire" 2). Aussi Van Deyssel s'est tout naturellement ralliê a un courant d'art oil it decouvrit des aspirations intimes, convaincu qu'il fallait les suivre, si l'on ne voulait pas rester en arriere" 3). L'illusion de voir naitre en Hollande un art puissant l'exaltait, le maintenait dans un transport continu. ,Nous desirons relever la Hollande, afin qu'elle soit entrainee par l'elan des peuples. Nous sommes navres d'entendre les strangers parler seulement de 1'Angleterre, de la France et de l'Allemagne, nous voulons creer un eclat qui eblouisse leurs yeux, nous voulons les faire se prosterner devant la splendeur des vapeurs colorees qu'exhale notre pays riche en eaux" 4). Tous les articles qu'il publie alors, Nieuwjaarsdag-ontboezeming [Epanchement du Nouvel An] (1882-83), Nieuw-Holland [La nouvelle Hollande] (1884), Over Literatuur [De la Litterature] (i886), temoignent de sa passion de beaute et d'art. II n'a cesse d'exalter les principes de l'art pour l'art qu'il pretendait etre les seals bons preceptes auxquels toute oeuvre d'art devait obeir. L'auteur qui refusait de subordonner son art a ces principes fondamentaux ne meritait pas le nom d'artiste. Ainsi Victor Hugo etait loin d'être „un artiste du verbe pur". „ Que de partipris, que de preoccupations d'ordre religieux, politique et social" s'ëcriet-il 5). „ J'espere qu'on comprendra que l'art n'est pas du tout une affaire d' amateurs, ni une bagatelle, ni une distraction, ni un divertissement, ni un passe-temps, ni une plaisanterie, mais l'essence de la culture 1) Verz. Werken, IV, p. 193. „Eerst ontdekte ik Zola, toen ik mijn eigen lang nog niet heelemaal gemerkt had". 2) Verz. Opstellen, II, p. 62. „De vleeschwording van een wereldbeheerschende idee, van een nieuwe toegepaste kunst-formule, van een moderne wijsbegeerte"; „Zola, dat is de methode van het pozitivisme, werkende in de literaire kunst". 3) ibid., II, p. 55. „Wij moeten mee in den stroom, niet achter blijven". 4) Verz. Werken, IV, art, Nieuw-Holland [La nouvelle Hollande] (1884), p. 14. „Wij willen Holland hoog opstooten midden in de vaart der volken. Het grieft ons buitenlanders altijd van Engeland, Frankrijk en Duitschland to hooren spreken; wij willen een schittering scheppen, die hun oogen verglanst tot bewondering, wij willen hen doen neerknielen voor de heerlijke kleurendampen uit het waterige land". 5) ibid., IV, p. 9. „Maar Victor Hugo was nog lang niet de kunstenaar van het zuivere woord . . . . Want bij Victor Hugo nog, wat een religieuze en politieksociale bedoelingen ! 6o la plus elevee de l'homme" 1). Van Deyssel lisant Mes Haines (1866) a dii ressentir les memes revoltes que Zola. C'est dans ses enthousiasmes du debut qu'il le considere comme l'auteur qui se rapprochait le plus de l'id6a1 qu'il se faisait de l'artiste de l'art pour l'art. „Zola represente parfaitement quelle est mon idee, quelles sont mes conceptions; c'est quelqu'un qui cultive l'art pour lui-meme et en fait son travail quotidien" 2). Il voit en lui l'artiste pur, qui parvint a „debarrasser le monde d'une couche de conventions, of in de l'observer plus exactement" 3). C'est a cet egard qu'il loue les tendances scientifiques dans le roman moderne, puisque la science fournissait le moyen de mieux connaitre et de comprendre la vie. Plus l'auteur serait renseigne et plus it aurait etudie le monde exterieur, plus it serait a merne de le reproduire objectivement. Mais it s'oppose aux conceptions de Netscher qui pretendait voir dans l'application rigoureuse de la methode scientifique le salut de nos lettres. „Si la litterature naturaliste, riposte-t-il, ne consistait qu'a etudier l'humanite et a noter les phenomenes qui se presentaient dans cette humanite et dans le monde, cette litterature ne serait qu'un inventaire purement scientifique du monde et cesserait ainsi immediatement d'être une litterature" 4). Van Deyssel a três bien compris que Zola n'a jamais 1) Verz. Opst., II, art. Nieuwjaarsdag-ontboezeming, p. 54. „Ik hoop, dat men gewaar worde, hoe de kunst niet, waarachtig niet is een liefhebberij, niet een bijzaak, niet een tijdverdrijf, niet een ontspanning, niet een aardigheid, niet een kleinigheid, maar de kern van 's menschen heerlijkste ontwikkeling moet zijn, etc" 2) Verz. Werken, IV, p. 9. „Zola vertegenwoordigt duidelijk en volledig mijn bedoeling: iemand die de kunst van het woord beoefent alleen om de kunst van het woord te beoefenen en die daarvan zijn eenig en dagelijksch werk heeft gemaakt". 3) Art. Over Literatuur, op. cit., VI, p. 51. „Zola b.v. heeft om haar juister waar te nemen, de waereld van een zekere laag van konventien weten te ontdoen"; cf. Guy de Maupassant, Emile Zola (1883), p. 20. „Il a dechire, creve les conventions du „comme-it-faut" litteraire. Il a eu l'audace du mot propre, du mot cru, revenant en cela aux traditions de la vigoureuse litterature du XVIe siècle". A l'instar de Zola, Van D. se fit un devoir de faire la guerre aux conceptions conventionnelles, condamna en termes vigoureux l'idee de la dêcence dans la litterature, cf. Verz. Werken, IV, p. 96. „Ce qui me repugne dans tout ceci, c'est le malentendu eternel de la dêcence dans l'art . . . . l'idee de la decence est un symptOme puant au fond de la belle critique du XIXe siècle" (En wat in dit alles alleen walgelijk is, dat is het telkens wederkeerende misverstand van de betamelijkheid in de kunst . . . . de gedachte der decensie is een stinkend ziekteverschijnsel onder in de mooye negentiende-eeuwsche kritiek), cf. aussi Zedelijkheidscauserietfe [Petite causerie sue' la moralite], op. cit., p. 161-166. 4) ibid., p. 56. „Wanneer de naturalistische literatuur bestond in het bestudeeren der menschheid en der waereld in het algemeen en het opteekenen der zich in die 6i serieusement eu l'intention de presenter les Rougon-Macquart comme une oeuvre de vulgarisation scientifique. Tout l'appareil scientifique lui servait uniquement de base, et si Netscher avait mal compris ses desseins, c'est que celui-ci avait ete plus prompt a s'enthousiasmer de la theorie develop* dans le Roman experimental que de se rendre compte de la nouveaute de ses principes. Cependant, a un seul point de vue les conceptions d'art que professait Van Deyssel s'ecartaient sensiblement de celles de Zola. A plusieurs reprises, dans ses critiques, celui-ci avait insiste sur la fin morale des oeuvres naturalistes 1). Une pareille conception devait etre en contradiction flagrante avec les principes de l'art pour l'art dont Van Deyssel s'etait peu a peu fait un des plus fervents adeptes. Si pour Zola la description de la realite etait un moyen 2), elle serait pour Van Deyssel une fin en elle-meme; son ideal unique, c'etait de peindre „artistement" le monde reel, sans avoir la moindre pretention d'enseigner ni de moraliser. Des 1881, dans son article De Eer der Fransche Meesters, it avait loue en premier lieu chez Zola ses conceptions esthetiques qui l'avaient amene a decrire les basses classes de la societe; les motifs d'ordre moral qui l'avaient inspire, Van Deyssel les avait estimês d'interet secondaire. Cinq ans aprês, le motif ethique ne trouvait plus aucune grace a ses yeux; pour lui la fin premiere, c'etait l'ceuvre d'art, et ce qu'il appreciait justement chez les naturalistes francais, c'etait la fawn dont ils reproduisaient la realite, sans jugement preconcu, sans intentions d'ordre prive, principes d'art dont it ne s'ecarterait plus jamais 3). „Plus l'artiste menschheid en in die waereld voordoende verschijnselen, dan zou de naturalistische literatuur een zuiver wetenschappelijke inhoudsopgaaf van de waereld zijn en daardoor onmiddellijk ophouden een literatuur to wezen". 1) Cf. la preface de L' Assommoir. „C'est de la morale en action, simplement", et Le Roman experimental, p. 24 . „Nous sommes en un mot, des moralistes experimentateurs . . . . Le jour oil nous tiendrons le mecanisme de cette passion, on pourra la traiter et la rêduire, ou tout au moins la rendre la plus inoffensive possible. Et voila oil se trouvent l'utilite pratique et la haute morale de nos oeuvres naturalistes . . . . Je ne sais pas, je le repete, de travail plus noble ni d'une application plus large. Etre maitre du bien et du mal, regler la vie, regler la societe, resoudre a la longue tous les problemes du socialisme, apporter surtout des bases solides a la justice en resolvant par l'experience les questions de criminalite, n'est-ce pas la, etre les ouvriers les plus utiles et les plus moraux du travail humain?" 2) Cf. Le Roman experimental, p. 229. „Dans un roman, une etude humaine, je blame absolument toute description qui nest pas un etat du milieu qui determine et complete l'homme". 3) De Mannen van '8o, p. 2 1 . „ rai toujours voulu donner l'art pour l'art meme" (1k heb altijd willen geven de kunst om de kunst zelf). 62 observe et penetre la realite d'une fawn nue et vraie en affranchissant sa conscience artistique de l'education que d'autres generations d'artistes y ont imprimees, plus it aidera a achever l'evolution du naturalisme, plus it la portera a son plus haut degre de perfection" 1). Van Deyssel croyait &passer meme ses modeles francais, en observant la realite avec plus de penetration encore, „avec des yeux tout neufs" 2), s'imaginant approcher ainsi d'un ideal ou les naturalistes francais n'avaient pas encore atteint. Aussi se garde-t-il d'imiter leurs exemples et reproche-t-il a Netscher de vouloir introduire ici un art identique a celui que les naturalistes cultivaient depuis 185o, car „vela ne communiquerait aucunement a la Hollande l'impulsion necessaire" 3). Selon Van Deyssel le naturalisme francais etait destine a ceder la place a un nouvel art litteraire, apparent& it est vrai, au naturalisme, mais qui en constituerait pour ainsi dire une phase ulterieure. Il se figurait que, en Hollande precisement, cette litterature nouvelle prendrait un veritable essor, que le naturalisme evoluerait chez nous vers un art des plus raffines. Puisque cette preciosite subtile, a laquelle it aspirait se distinguait avec evidence dans l'oeuvre des Goncourt, it est tout naturel que ces deux auteurs n'aient pas tarde a le seduire et a inspirer son art. Il consacre a l'auteur de Cherie, dans l'ceuvre duquel ii avait decouvert „un monde de stylisation et d'observation" auquel it aspirait depuis longtemps 4), un article enthousiaste et tout a fait caracteristique au point de vue de son evolution et de ses conceptions. A ses yeux Goncourt est l'artiste pur, qui par le travail subtil et comme aiguise de son esprit artistique, savait plus que Balzac ou Flaubert, p6netrer avant dans les nouvelles idees artistiques, sans „les pretentions lourdes d'un Zola de faire de la litterature une affaire d'etat ou du moins une affaire de la societe ou de la rue" 5). C' est de lui qu'il semble avoir herite ce souci d'une forme exquise, du mot 1) V erz. Werken, IV, p. 51. „Hoe meer ontdaan van den schijn, dien vorige kunstenaarsgeslachten er over geworpen hebben, hoe naakter en waarder de kunstenaar de natuur ziet, hoe meer hij het wezen van zijn artistiek bewustzijn weet te abstraheeren van de opvoeding, door vroegere literaturen daaraan gegeven, des te verder vervolgt hij de gang van dat naturalisme, des te nader brengt hij het tot zijn uiterste grenzen". 2) ibid., IV, p. 54. 3) ibid., IV, p. 70, 71. „Dat zal Holland m.i. niet den gewenschten stoot geven". 4) ibid., IV, p. 174. „Omdat ik in hem iets, in zijn werken een observatie- en stijlwereld gevonden heb, daar ik allang naar haakte". 5) ibid., IV, p. 107. „Zonder van de literatuur een staat- of althans een maatschappijen een straatzaak te maken". 63 expressif et pittoresque. Comme lui it tient a l'expression rare, profondement individuelle, au rendu infiniment „artiste", qui constitue a ses yeux la valeur durable et intrinseque de l'oeuvre 1). Par la son oeuvre prend un caractere tout subjectif, repondant d'ailleurs a sa conception du roman qui devait etre „une tranche de vie, intensement vue, rendue individuellement, avec passion, traduite en bonne prose, en prose artiste" 2). Ce qu'il blame dans Goncourt, c'est qu'il n'ait pas recours au „style lyrique", a la „prose rythinee" pour exprimer les nuances poetiques 3), procede d'art oil Van Deyssel lui-meme passera un jour maitre. Chez nous ce fut lui qui le premier porta a un degre de perfection cette prose „cadencee", grace a laquelle it excellait a saisir l'essence poetique du monde ambiant, sachant evoquer des choses du dehors leur ame intime, de sorte qu'elles semblaient ranimees de nouveau, impregnees d'une vie interieure propre. De sa premiere periode datent les deux romans „naturalistes" Een Lie/de [Un Amour] 4), ecrit entre les annees 1881 et 1885, et De Kleine Republiek [La petite Republique] (1886). Le premier, ecrit a de longs intervalles et qui constitute au fond une serie d'impressions, vecues avec passion et rendues avec la plus grande minutie, montre en quelque sorte l'evolution que Van Deyssel a suivie depuis sa dix-septieme annee jusqu'en 1886, date de son article Over Literatuur. Le dernier chapitre d' Een Liefde est déjà. la manifestation evidente de la tendance „impressionniste" ou „sensitiviste" qu'il se mettait en devoir d'introduire en Hollande et qu'il s'imaginait, par une observation p6netrante, aiguisee a outrance, elever a un niveau qui n'avait pas encore ete atteint jusque-la a l'etranger. L'influence de Zola sur son art, durant cette periode de sa vie, a etë incontestable. Sa formule l'incitait a etre deliberement „indecent", a epater le bourgeois par des descriptions hardies et obscenes. „Nous etions excentriques et indecents, disait-il, non pas que nous prenions l'excentrique et l'inconvenant pour la Write, mais parce que l'excentricite et l'inconvenance nous semblaient la plus belle affirmation de notre opinion 1) Voir aussi C.-G.-N. de Vooys, Wording en verwording van letterkundige taal [Naissance et decadence de la langue litteraire]. Groningen,Wolters, 1915, p. 16 (broch . ) . 2) Verz. Werken, IV, p. 1 44 . „Een stuk leven, erg gezien, individueel gezien, met passie gezien en omgezet in goed proza, in proza-kunst". 3) Ce „defaut", it l'attribue avec raison au fait que „moins que l'anglais et le hollandais, la langue francaise se pretait au style rythmique moderne". 4) L. van Deyssel, Een Lie/de [Un Amour]. C.-L. Brinkman, publie en 1887 (2e ed., 1889; 3e ed., 192o). 64 a nous que tout nous etait permis". Le besoin de tout dire, la franchise dans la peinture de la vie sexuelle, il les tient du maitre francais, qui enseignait que tout sujet, meme le plus choquant, valait d'être traite en litterature. L'accent forcement grossier de certains passages, leur place souvent inattendue dans le texte indiquent que Van Deyssel a fait l'etalage de ces immoralites sans veritable inspiration artistique, ne desirant, comme il le reconnaissait plus tard, que de faire triompher sa theorie" 2). Plus Oneralement l'influence du naturalisme francais se fait sentir dans la fawn dont il a concu le roman et ses figures principales. Mathilde, ame tendre, devouee, nee pour aimer, se marie avec un jeune homme qui ne comprendra jamais les epanchements de tendresse et d'amour de sa femme. La vie pour elle sera un enchainemeni de deceptions. En s'identifiant avec son heroine, au point de revivre avec elle ses impressions et ses sensations, ses desirs brillants, ses deceptions cruelles de femme abandonnee qui aime et aspire au bonheur, l'auteur nous a peint un de ces drames êmouvants de la passion inassouvie, qui depuis V oluptd et Adolphe abondent dans la litterature francaise 4). Cette femme, qui voit s'ëvanouir le bonheur dont elle a reve, n'est-elle pas l'image vivante de tant d'heroines tragiques du XIX e siecle et ne suggere-t-elle pas, a certains moments, la figure la plus obsedante d'entre toutes, celle d'Emma Bovary?" 5) 1) Verz. Werken, V, p. 264. „Wij waren excentriek en onvoegzaam, niet omdat wij het excentrieke en het onvoegzame in 't bizonder voor het ware hielden, maar wij1 excentriciteit en onvoegzaamheid ons de duidelijkste affirmatie scheen van ons gevoelen, dat wij Mies mochten zijn". 2) De Mannen van '8o, p. 20. „Om mijn theorie to doen zegevieren, had ik allerlei taken zonder de minste schuchterheid behandeld"; voir la presente etude, p. 40. 3) Il va sans dire que ce roman souleva une tempéte d'indignation et de protestations, cf. De Lantaarn [La Lanterne], 1888, janv., p. 4, oil le roman est considers comme „un succès de la litterature de la bouge et du bordel" (een groote aanwinst voor de kuf- en bordeelliteratuur). 4) C'est surtout depuis l'Education sentimentale, ce roman-modêle de la desillusion (voir E. Maynial, L'Epoque re'aliste. Paris, 1931) que le roman realiste abondera en tragedies de la defaite, toute l'oeuvre naturaliste, celle de Maupassant, de Zola, de Daudet, de Huysmans en est pleine et fecondera, comme nous le verrons au chapitre III, notre roman d'apres 1880. 5) On saurait faire un rapprochement curieux avec Une Vie, concu a la meme époque (1883) oil Jeanne, comme Mathilde mariee a un bourgeois banal et sensuel, se traine de deceptions en deceptions, dont la plus cruelle est sans doute celle d'être abandonne, par son mari pour une femme sans dignite. 65 Le probleme que l'auteur s'est pose des le debut, c'est d'etudier comment tel temperament, sous l'influence de telles circonstances, se dissocie, „se defait". Tout en donnant „1' humble verite", it nous decrif l'existence terne et grise de Mathilde, constate avec l'impassibilite de l'homme de science comment cette vie s'achemine vers sa destinee fatale. Il faut remarquer a la fin du roman cette phrase, evoquant par sa sobriete meme la desolation d'une existence sans espoir. „Rentr6e, vers la fin octobre, a Amsterdam, elle ne se rappelait autre chose de cet &range ete que le faible souvenir d'un reve. Au mois d'avril de l'annee suivante, elle accoucha encore, d'une fille" 1). Ce qui etait nouveau dans le roman, c'etait, pent-etre sous la suggestion du roman naturaliste, l'interet que l'auteur prenait aux descriptions de la nature. „Toute reaction, avait dit Zola, dans son chapitre De la Description 9, est violente, et nous reagissons encore contre la formule abstraite des siecles derniers. La nature est entree dans nos ceuvres d'un élan si impetueux qu'elle les a emplies, noyant parfois l'humanite, submergeant et emportant les personnages au milieu d'une debacle de roches et de grands arbres" 3), et plus loin: „La passion de la nature nous a souvent emport6s, et nous avons donne de mauvais exemples par notre exuberance, par nos griseries du grand air. Rien ne detraque plus siirement une cervelle de poete qu'un coup de soleil. On reve alors toutes sortes de choses folles, on ecrit des ceuvres oil les ruisseaux se mettent a chanter, oil les chenes causent entre eux, oil les roches blanches soupirent comme des poitrines d'une femme a la chaleur de midi. Et ce sont des symphonies de feuillages, des roles donnes aux brins d'herbe, des poemes de clartes et de parfums. S'il y a une excuse possible a de tels &arts, c'est que nous avons reve d'elargir l'humanite et que nous l' avons mise jusque dans les pierres des chemins" 4). Van Deyssel, ame lyrique par excellence, s'assimile facilement cette tendance a peindre la nature, fremissant d'une vie intense, en harmonie avec l'etat d'ame de ses personnages, de sorte qu'il nait une fusion intime, une correspondance etroite entre un etat interieur avec son ambiance 1) Een Liefde, 3e ed., p. 366. „Toen zij einde Oktober weer terug waren in Amsterdam hield zij niets meer over van dien raren zomer buiten dan de slappe herinnering van een droom. In April van het volgend jaar, beviel zij weer, van een dochter". 2) E. Zola, Le Roman experimental, p. 227 sqq. 3) ibid., p. 23o. 4) ibid., p. 231, 232. 5 66 exterieure 1). C'est surtout a la fin du roman, au fameux treizieme chapitre, qui par son lyrisme exuberant rappelle la description du Paradou dans La Faute de l' Abbd Mouret, que Van Deyssel reussit a suggerer par une synthêse grandiose l'extase dont s'enivre le cceur de Mathilde grace a la splendeur de la nature environnante au point qu'elle se sent envahie par la passion la plus violente qu'elle ait jamais eprouvee. Voici comment l'auteur clecrit cet etat d'ame, tout a fait en harmonie avec l'eblouissement d'une nature ensoleillee. „Oh, c'etait une fête de lumieres . . . . la chaleur etait portee A. travers les espaces par une meme exaltation de couleurs chaudes, par une excitation de la vie chaude, et Mathilde, pleine de joie, sentait trembler sa chair sous ses vetements . . . . Qu'etait cet espace d'or lumineux, qui s'etendait la devant elle? . . . . Et ces branches qui toutes se penchaient vers elle? . . . . Elle se trouvait dans une Salle, animee d'une vie singuliere, pleine de choses etranges qui l'exaltaient . . . . elle se sentait soulevee, emportee par cette frenesie de couleurs. Ses regards se troublerent" 2). Ce passage, que par la singularite du vocabulaire impressionniste it serait impossible de traduire, n'evoque-t-il pas la description lyrique du parc oil Serge et Albine cachent leurs amours: „Et le jardin entier s'abima avec le couple, dans un dernier cri de passion. Les troncs se ployerent comme sous un grand vent; les heroes laisserent echapper un sanglot d'ivresse; les fleurs, evanouies, les levres ouvertes, exhalerent leur Arne; le ciel lui-meme, tout embrase d'un coucher d'astre eut des nuages immobiles, des nuages pames, d'ofi tombait un ravissement surhumain. Et c'etait une victoire pour les bêtes, les plantes, les choses, qui avaient voulu l'entree de ces deux enfants dans l'eternite de la vie. Le parc applaudissait formidablement" 3). 1) C'est par la que Van Deyssel se trouve, comme Zola, aux confins du symbolisme. Ainsi que son predecesseur, it aime a animer les objets inanimes, tendance dont se moquait Brunetiere dans Le Roman naturaliste (p. 17), par exemple: „Les couleurs riaient de bon cceur autour d'elle (de kleuren lachten vlak uit om haar heen, op. cit., p. 333) ou bien „les meubles semblaient affaisses comme des betes mortes avec leurs dos lourds et leurs fronts obtus" (die als doode beesten met logge ruggen en stompe voorhoofden daar neergezegen schenen, ibid., p. 293). 2) Een Liefde, 3e ed., p. 336, 337, 338. „O, het was een feest van lichten. En het werd gedragen door alle lagen der ruimte, in een begeestering van heete kleuren, een vervlamming van het heete leven, en Mathilde voelde zich juichend onder haar kleeren beven . . . . Wat was die gouden lichtruimte voor haar uit? En al die takken, die naar haar heen reikten? Zij was in een groote zaal vol vreemd leven, vol rare vervoerende dingen . . . Mathilde voelde zich heffen en zich weer gaan, heengedragen door de kleurenverbijstering. Haar oogen doofden uit". 3) E. Zola, La Faute de l' Abbe Mouret (1875), ed. Flammarion, p. 37o. 67 Seulement l'amour avec lequel l'auteur s'attarde a decrire tous les details, lui fait sacrifier ce qui constitue, a nos yeux, la partie la plus humaine du roman, savoir le conflit tragique qui dechire le cceur de Mathilde. Le drame interieur est noye sous le fastueux decor des evocations impressionnistes auxquelles l'auteur prete toute son attention. Alors que Flaubert se reduit a noter les details les plus caracteristiques, restant par la d'une sobriete toute classique, Van Deyssel note tout ce que son ceil percoit. Son attention tendue au plus haut degre ne laisse echapper aucune particularite pittoresque. On se demande si Mathilde, en proie A. ses emotions, a pu embrasser, en un coup d'oeil, tous les details que l'auteur lui fait remarquer. „Elle entendit tousser dans la rue, pres de la fenetre. D'un air nerveux, Mathilde leva les yeux. C'etait Jozef, tout simplement. Il etait la, devant la porte, coiffe d'un chapeau de soie tout luisant, bien lustre. Il sonna. Son mouchoir, aux bords rouges, s'agitait dans le vent, devant son visage" 1). Voici encore deux exemples recueillis successivement dans Flaubert et Van Deyssel qui illustrent cette fawn d'observer de l'un et de l'autre. Lorsque Charles Bovary rencontra pour la premiere fois sa fiancee future, it „fut surpris de la blancheur de ses ongles". Mathilde, se rem6morant trait pour trait la physionomie de Jozef, description a laquelle l'auteur consacre des pages et des pages, se rappelle „comment a rage de treize ans déjà elle avait admire le grand croissant bleu qui se decouvrait sous son ongle, si l'on repoussait la peau, ainsi que le bout de cet ongle, aussi Blanc qu'un fragment d'une plume d'oie" 2). Le defaut oil tombe sans cesse l'auteur, c'est qu'il s'identifie avec ses personnages au point de substituer sa vision personnelle a celle de ses sujets et qu'il leur fait percevoir des details que des yeux ordinaires ne decouvriraient qu'aprês une observation prolongee et minutieuse. Dans ce premier roman de Van Deyssel entre, outre le lyrisme des descriptions, un autre element qui le rapproche egalement des auteurs francais, c'est la peinture caricaturale de la bourgeoisie. Een Liefde, dans son entier, n'est que la condamnation cruelle de la vie bourgeoise moderne, plate et banale. Jozef, qui sous sa plume devient la personnification de la 1) Een Lie/de, p. 29. „Dan werd gehoest op straat, vlak bij het venster. Schichtig keek Mathilde op. 't Was Jozef, doodeenvoudig. Hij stond met een hoogen, glimmenden, prachtig glad gestreken hoed op voor de deur en schelde. Zijn zakdoek, met een rood randje, wapperde in den wind vOOr zijn gezicht". 2) ibid., p. 48. „Hoe ze op haar dertiende jaar al de groote witte halve maan, die door het wegdeuken van het vel onderaan zijn nagel zichtbaar werd, en de punt van die nagel zoo blank als een stuk ganzeveder had bewonderd". 68 mediocrite humaine, est un nouveau Homais, de qui il tient ses presomptions, son arrogance de rentier bourgeois, ses engouements politiques et scientifiques. „Il etait en toute chose un homme raisonnable et ponctuel, assez 6conome, il est vrai, mais sans donner dans le ridicule. Pour son argent il cherchait des placements stirs, contrOlant avec une exactitude extreme le cours des fonds publics, detachant regulierement ses coupons. A ses heures de loisir il lisait les classiques allemands et toutes sortes de traites sur la physique. Il s'etait abonne a un journal liberal de tendance moderee et a plusieurs revues illustr6es. Des fois il achetait un livre luxueusement relie ou bien souscrivait a une edition qui paraissait par fascicules et qui finirait par constituer un ensemble precieux" 1). Le mepris, l'ironie apre et mordante qu'on voit transparaitre a tout moment, jusque dans l'orthographe de certains mots, rappellent immediatement le procede du createur de Bouvard et de Pecuchet. Par cette caricature du bourgeois satisfait, ridicule avec son air important, avec ses fausses et vaines pretentions Van Deyssel a ajoute a la fameuse galerie des portraits, qui a partir de Joseph Prudhomme (autre Joseph, dont le souvenir n'est pas sans s'imposer) abondent dans la litterature francaise. Deux ans apres Een Liefde, Van Deyssel publie De Kleine Republiek, relation fidêle des annees qu'il a passees au college de Rolduc. Grace a la notation de petits faits caracteristiques et pittoresques, le roman est devenu le journal qu'un interne a conscienscieusement tenu a jour lors de son passage au pensionnat. Seulement ce reportage „pictural" des menus accidents quotidiens n'est plus guere capable de nous interesser de nos jours. Tout y est enregistre avec une attention minutieuse. Voici par exemple, le portrait d'un de ses professeurs. „Dans la classe le professeur, inonde du ref let cuivre de la sonnerie faible qui s6parait les lecons. Le professeur, uniformement gros, le corps noir portant sa figure rougeaude et luisante, avec, au bout des manches noires, les mains luisantes et rougeaudes, les yeux d'un bleu aqueux, la tete et les mains tremblantes, tremblant legerement, sans discontinuer, par suite d'une 1) Een Liefde, p. 64. „Hij was overigens in alles, een redelijk en punctueel man. Hij was wel wat zuinig, maar nooit in 't belachelijke. Hij zorgde goed voor zijn geld, ging met veel nauwkeurigheid den loop der effecten na en knipte geregeld zijn couponnetjes af. Hij las in zijn leege uren Duitsche kiassieken en allerhande werken over natuurkunde. Hij was geabonneerd op een matig-liberale koerant en op verseheiden geillustreerde tijdschriften. Ook kocht hij wel eens een prachtband, of teekende in op een uitgave, die langzaam bij afleveringen verscheen en een kostbaar geheel zon worden". 69 maladie interne; marchant a pas lents, faisant avec ses bras des gestes lents et gras, causant d'une voix grasse, mouillee, lentement, d'un ton saccade" 1). Aucun autre souci ne semble avoir preoccupe l'auteur que de revivre les impressions dont le souvenir lui est reste grave dans la memoire avec une surprenante lucidite. Il n'y a que son ironie, son amour de la caricature qui, de temps en temps, sauvent le genre. En nous resumant nous constatons que l'art de Van Deyssel se rattache a plusieurs points de vue au mouvement litteraire en France. Ce qui l'a attire avant tout chez les auteurs naturalistes, c'etait l'objectivite avec laquelle ils observaient et notaient la realite et qu'il estimait „la faculte eminente, le plus precieux tresor" de son époque 2). Cette tendance, ii en clecouvrait la manifestation la plus evidente chez les naturalistes francais, notamment chez Zola, qui s'en etait fait le defenseur le plus fervent et le plus hardi, s'attachant a l'appliquer dans ses plus rigoureuses consequences. C'est lui qui l'exhortait a servir la Write et la beaute, qui excitait en lui l'enthousiasme sublime pour se faire le defenseur d'un art nouveau, superieur, a ses yeux, a ses modeles. En artiste de l'art pour l'art, it a cherche avant tout sa satisfaction artistique dans la creation d'une belle prose, cadencee et coloree, de sorte que ses essais tiennent Out& de prouesses de virtuose que d'analyses profondes. Seulement on comprend que chez un auteur qui fait si grand cas d'un style hyperindividuel, on cherche en vain des „influences" d'autres styles. Avide de „decouvrir des mots nouveaux", de „forger des phrases inconnues" de „reduire en mille morceaux toutes les trouvailles, toutes les pensees et sensibilites des devanciers pour creer ensuite son oeuvre nouvelle a lui" 3), it s'est mis, Bien consciemment, en garde contre toute action du dehors, 1) De Kleine Republiek, 2e ed., p. 3i. „De professor binnen, koperig besproeid door een zwak klokgelui, dat de lessen scheidde. De professor, gelijk-dik, met boven het zwarte lichaam een vet-glanzend donkerrood hoofd en onder-aan de zwarte mouwen vet-glanzende donkerroode handen, de oogen waterblauw, het hoofd en de handen bibberend, bibberend heel-even al-door, van een inwendige kwaal; zachtgaand, bewegend in dik-kalme armgebaren, met nat-vette stem zeide hij bedaard met scheuten . . . ." 2) Art. Nieuw-Holland, Verz. Werken, IV, p. 7. „Ik bemin de objectiviteit als de uitnemende eigenschap, de grootste schat van onzen tijd". 3) ibid., p. 74. „Nieuwe woorden zoeken - ongekende zinnen smeden, al de vondsten, al de gedachten en gevoeligheden van de taal der voorgangers stuk slaan tot een berg van schitterend gruis en er dan Uw nieuwe, Uw eigen werk van bouwen". 70 Nous n'avons pas la pretention de suivre ici l'auteur dans son evolution. ulterieure. Seulement it est curieux de voir comment, apres ses enthousiasmes des premieres annees, it s'est peu a peu detache d'un mouvement qui commence par avoir tant de prise sur lui. Déjà, a la fin de sa critique a propos de La Terre (1888), quoiqu'elle soit, d'un bout a l'autre, une sorte d'apoth6ose du grand maitre francais, se reconnait l'accent d'une deception indeniable. „ Je distingue déjà nettement, disait-il, deux sentiments divers: une fine et sourde tristesse de n'etre plus tout a fait de cet art, et une terrible incertitude de ne pouvoir jamais faire en son genre quelque chose d'aussi grand" 1). Trois ans plus tard, dans son article De dood van het naturalisme [Le naturalisme est mod] (1891) it declare franchement que „Fart de Zola ne le remplissait plus de cet eblouissant bonheur auroral d'autrefois, ainsi que l'eveillent en nous les decouvertes d'un nouvel art puissant" 2). Son detachement de ses anciens principes 3) s'accompagne d'un en1) Verz. Werken, IV, p. 93, art. La Terre. „Ik onderscheid al vast duidelijk twee sentimenten: een dunne, doffe droefheid dat ik niet meer heelemaal van deze kunst ben, en een ergen twijfel of ik ooit jets in zijn soort zoo groots zou kunnen doen". 2) ibid., V, p. 87. „Dat het mij niet zoo vervult met een verblindend ochtendstondsgeluk, als de ontdekkingen van een nieuwe, beginnende kunst doen". 3) Tout a fait en rapport avec sa conversion artistique est sa critique desapprobatrice de rceuvre de Zola, attitude que J. Prinsen J. Lz. a pris, a tort, pour „une pose absurde" (idiote aanstellerij). „Il me semble maintenant, disait Van Deyssel, que L' Assommoir est, d'une maniere generale, un genre d'art inferieur" (L' Assommoir komt mij nu voor over 't geheel een gering soort kunst to zijn, Verz. Opstellen, XI, p. 237). Le Mlle qui, un jour, avait &eine en lui un ravissement infiniment delicieux, a tel point que „son emotion refoulee fond a tout moment en larmes" (mijn opgekropte ontroering barst telkens in snikken los, Verz. Werken, IV, p. 196), n'êtait plus a son avis qu'un ouvrage „particulierement mauvais" (een bijzonder slecht werk, Verz. Opstellen, XI, p. 328). A propos de Nana, ii ecrit que „l'esprit avec lequel Zola voit la realite, est grossier, d'une laideur revoltante" (De geest waarmee Zola dat ziet, is onaangenaam leelijk, Verz. Opstellen, XI, p. 328). Une autre explication de ces assertions dênigrantes est Celle qu'on peut trouver chez Van Deyssel lui-meme, quand it expose comment sa critique de subjective, d'impressionniste qu'elle etait, etait devenue a cette heure la „froidement analytique", „Le malentendu de mes anciennes appreciations sur Zola a ete que j'ai pris ma pens& qui naissait apres ma lecture pour l'impression directe de ce que j'avais lu. Les pages qui me paraissaient autrefois du „grand art", me semblent maintenant assez mediocres" (Het misverstand in mijn vroegere waardeering van Zola is geweest, dat ik mijn gedachte, die door de lectuur ontstond, voor den directen indruk of afdruk van het gelezene in mijn geest heb gehouden. Plaatsen die mij vroeger „groote kunst" leken, schijnen me nu vrij „ordinair", Verz. Opstellen, XI, p. 237). 71 thousiasme grandissant pour l'ceuvre de Maeterlinck, de Huysmans, de Ruysbroeck, de tous ceux a qui la vie mysterieuse de l'ame importait plus que la realite basse et deprimante du monde ambiant. Il y a dans sa personnalite beaucoup qui explique cette faculte de s'adapter facilement a de nouvelles influences. Esprit toujours en &veil, ressentant un besoin continuel de se renouveler, it s'assimile sans cesse les nouvelles facons de sentir et de comprendre la vie. Ce n'est que dans l'invention de procedes toujours nouveaux que Van Deyssel voit le moyen d'atteindre enfin la perfection. Voici comment it expliquait un jour la permanente et incessante variablite de son étre: „La veritable attitude envers la vie se divise en deux: le stable et l'instable. Celui qui est seulement stable se dessêche; celui qui ne fait que changer, se disperse. Celui-la seul peut a rage de la vieillesse parler de jeunesse qui se rend compte de ses propres transformations, s'operant en harmonie avec celles de la vie ambiante finissant par devenir la confirmation derniêre des pressentiments qu'il entendait chuchoter jadis dans son for interieur" 1). S'assimilant ce que de nouvelles orientations dans l'art lui suggeraient, Van Deyssel suit tout naturellement l'evolution de son époque, designant lui-meme les quatre phases a travers lesquelles elle devait s'accomplir et arriver au point final de son developpement: observation — impression — sensation — extase 2). Par un deplacement des parois, oil evidemment la methode de l'observation objective resterait la meme, l'attention, se detachant du monde materiel, perceptible a nos sens, se porterait desormais sur la vie immaterielle de Fame, qui seule vaudrait d'etre observee et notee. Consickree ainsi, son evolution n'avait rien d'illogique, ni d'imprevu. „De Zola a Maeterlinck, disait-il, n'est pas plus un bond par-dessus le chaos obscur que Maeterlinck ne serait une reaction contre Zola. De Zola a Maeterlinck est une evolution, quoique ce dernier ressemble aussi peu au premier que la blanche fleur du pommier a la grise et rugueuse racine de cet arbre" 3). 1) Verz. Werken, IV, p. 319, art. Van Zola tot Maeterlinck [De Zola ci Maeterlinck]. „De ware levenshouding is in twee deelen to splitsen: het standvastige en het veranderende. Die alleen standvastig is, verdort; die alleen veranderend is, verwaait. En van jeugd in zijn ouderdom kan alleen hij spreken, die zijn eigen veranderingen met die van het leven om hem heen gewaar wordt als de bevrediging van in zijn individueele wezenlijkheid vroeger reeds stamelende voorgevoelens". 2) Verz. Werken, IV, p. 32o. 3) op. cit., p. 319. „Van Zola tot Maeterlinck is evenmin een sprong, over duisteren chaos, als Maeterlinck een reaktie tegen Zola is. Van Zola tot Maeterlinck is een ontwikkeling, al lijkt de tweede ook even weinig op den eersten als de witte appelbloesem op den ruigen grauwen wortel van den boom". 72 Malgre ses nouvelles orientations Van Deyssel n'a jamais renonce a voir en Zola son ancien maitre dont l'exemple inspirait son travail 1). En son honneur it ecrivit en 1902, lors de sa mort, un article fres elogieux Een monument voor Emile Zola [Un monument pour Emile Zola], temoignant de sa gratitude envers l'homme qui lui fut si souvent un exemple. „Aujourd'hui comme autrefois Zola reste pour nous l' artiste a qui nous devons beaucoup et une des figures les plus puissantes du xix e siecle. Ce n'etait pas seulement son art robuste et universel qui m'attirait en lui, mais l'ardeur, le zele avec lequel ii se faisait le defenseur de l'art litteraire et la hardiesse de ses opinions qui, dans ses critiques, accompagnaient l'apparition de ses oeuvres d'art. Nous ne connaissons aucun autre qui ait ecrit avec autant d'energie, de franchise, de passion que lui. C'est comme si nous l'entendions s'ecrier: „N'est-ce donc rien, la passion qui flambe, la passion qui tient le coeur chaud ! C'etait lui qui nous incitait a faire de grands efforts dans l'art" 1). C'est de lui, en effet que Van Deyssel tenait l'amour de la verite, la passion d'un art objectif, desinteresse qui l'entrainaient a suivre le maitre dans ses audaces, a lancer ses anathemes contre la bourgeoisie, „ce vilain abces dans le beau corps de l'humanite" 2), a se faire, comme lui, le champion d'un mouvement nouveau qui va inaugurer une si glorieuse 1) Verz. Opst., VIII, p. 74. „Nu zijn we wijzer geworden, en erkennen wij dat Zola „de eenige" niet is en niet was, maar nu, evenals toen, blijft Zola voor ons de kunstenaar, aan wien wij veel te danken hebben en een der machtigste figuren van de XIXe eeuw. Het was niet alleen zijn krachtige en veelvuldige kunst die ons in Zola aantrok, maar ook zijn ijveren voor de letterkundige kunst en de stout uitgesproken meeningen, waarmee hij in zijne kritieken de verschijningen zijner kunstwerken begeleidde. Wij kenden geen ander, die zoo voortvarend en zoo open schreef, en zoo geestdriftig als hij. Hij was het die ons aanvuurde en ons tot moedig willen, tot groote pogingen in de kunst opstookte". Ces paroles de gratitude envers le venere maitre contrastent etrangement avec la vive indignation que ressentit Van Deyssel au moment ou le bruit se repandait que Zola s'etait presente comme candidat a l'Academie. A ce propos it parla de „crachats brillants" (blinkende fluimen) dont aimaient a s'orner les generaux et les savants, mais, ajoutait-il, „dans la Haute Litterature on ne saurait se compromettre d'une fawn plus ridicule que de se laisser decorer". „Cette decoration ne fait pas tort naturellement a son oeuvre, mais elle souille la personne" (In de Hooge-Literatuur kan men zich moeilijk belachelijker compromitteeren dan door zich te laten dekoreeren. Deze dekoratie tast natuurlijk zijn werk niet aan, zij bezoedelt alleen de persoon), voir De Nieuwe Gids, 1889, I, p. 144, 145, art. Zola gedekoreerd en Akademielid [Zola de'core et membre de l' Academie]. 2) Verz. Werken, IV, p. 96. „De bourgeoisie, een leelijke etterpuist in het mooije lichaam der menschheid". 73 periode dans notre litterature. Zola eveilla en lui la claire conscience de la voie qu'il suivrait; c'est de lui qu'il semble avoir Mrite sa haute icl6e de l'art, son élan, son enthousiasme qui feront de lui un veritable guide, initiant toute une generation a le suivre dans ses heureux et louables efforts. S'inspirant du grand romancier francais, i1 s'est fait un devoir de relever nos lettres au niveau des litteratures etrangeres, tache oil, a plusieurs points de vue, it a grandement reussi. ARI J PRINS (1860-1922) Arij Prins 1) naquit le 19 mars 186o a Schiedam, ou son pere etait directeur d'une stearinerie. B. recut sa premiere instruction dans un pensionnat a Voorburg pres La Haye, ou s'installerent ses parents, des que leur fils eut l'age de suivre l'ecole. L'ayant destine au commerce, son pere l'associa, des sa dix-septieme annee, a sa fabrique. Prins qui consacrait ses heures de loisir a l'etude et aux lettres, debuta par des nouvelles dans le genre de Hildebrand et de Justus van Maurik, recits qui faisaient la joie de la famille 2). Esprit infiniment artiste, plus epris au fond de peinture que de litterature, it s'interessa vivement a la vie intellectuelle et artistique de son époque. L'enthousiasme d'un Van Santen Kolff le gagna. BientOt it sera, comme lui, un des admirateurs fervents de la peinture moderne et lira avec passion les naturalistes francais qui, alors, etaient arriv6es a l'apogee de leur gloire. Il se lia d'amitie avec Netscher, chez qui it rencontra Willem Paap; par eux it connut les jeunes litterateurs qui habitaient Amsterdam, Kloos, van Eeden, Verwey, Erens, auteurs qu'il a frequentes regulierement jusqu'au moment oil, vers la fin de 1885, it quitta la Hollande pour s'etablir a Hambourg. Van Deyssel disait de Prins qu'il etait un connaisseur de choses exquises et rares. „C'etait lui qui de nous autres Auteurs de 188o signalait les beautes dans l'ceuvre tres peu connue du petit groupe des „realistes" 1) Pour plus de details sur la vie, voir S.-P. Uri, Leven en Werken van Arij Prins [Arij Prins, sa vie et son ceuvre]. Delft, Waltman, 1935. Cf. aussi Den Gulden Winckel, 191o, p. 63 et la preface de Herman Robbers a la deuxiême edition de De Heilige Tocht [La Croisade]. Amsterdam, P.-N. van Kampen & Zoon, 1927. L'orthographe Arij (avec ij) est de rigueur, cf. preface citee, p. VI. 2) Entre autres Een Verlovingspartij [Une Fite de fiancailles], parue dans Eigen Haard [Le Foyer] de 1882 (no 19 et 2o). 74 francais qui, dans les lettres francaises, viennent apres Balzac et avant Zola et ses „naturalists", tels que les Champfleury et les Duranty" 1). En effet Prins decouvrit des auteurs qui, a cette époque-la, etaient chez nous vraiment des inconnus, Duranty dont it admirait La Cause du beau Guillaume 2), Stendhal, Henry Becque, Camille Lemonnier, Paul Margueritte (avec les deux derniers it a longtemps ete en correspondance), Ceard, Desprez, Caze 3), le jeune poête francais Paul Robert de Castel, puis Auguste Strindberg et les Russes Dostoievsky, Gogol, Tolstoi, Tourgueniev 4), l'auteur anglais George Moore, voire les Italiens Verga, Capuana, Dossi et l'Espagnol J.-L. Pinto. II ne cesse de blamer dans le lecteur hollandais son manque de gout et son ignorance totale des litteratures etrangeres. D'aprês Prins, on ne connaissait guere ici que Nana et Pot-Bouille, mais on ignorait absolument l'ceuvre d'un Balzac, d'un Tolstoi, d'un Dostoievsky ou d'un Stendhal. „Il semble, disait-il, que nous avons eleve une sorte de muraille chinoise autour de notre pays pour empecher ces auteurs et beaucoup d'autres d'y entrer" 5). 1) L. van Deyssel, In Memoriam Arij Prins [Sur la most d' Arii Prins]. De Gids, 1922, II, p. 504. p. 504. „Prins, een fijnproever, ontdekte plekken in de zeer weinig bekende geschriften der kleine groep Fransche „realisten", Welke zich, na Balzac en vOOr Zola en diens „naturalisten" had voorgedaan en genoemd wordt naar Champfleury en Duranty". 2) Prins possedait, d'apres le catalogue de sa bibliotheque La Cause du beau Guillaume (1862), dont it fit cadeau a van Deyssel, et Les Combats de Francoise du Quesnay (1873), „avec autographe de l'auteur", cf. Uri, op. cit., p. 54. 3) Prins prit une part fres vive au sort douloureux de Caze; pendant la maladie de l'auteur it fit parvenir a sa famille un secours en argent, acte genereux dont E. de Goncourt n'oublie pas de prendre note dans le Journal (tome VII, lettre du 23 mars 1886), oil nous lisons: „Au milieu de l'egoisme, de la crasserie generale de l'humanite, ii y a par-ci par-la chez quelques individus, de beaux mouvements de generosite. Huysmans me contait qu'un Hollandais, d'une maison de commerce de Hambourg, epris du naturalisme, et combattant pour nous dans les journaux de lä-bas — et notez un homme qui ne connaissait pas Robert Caze — lui avait &fit, qu'ayant appris que Robert Caze etait fres malade et que sachant d'autre part qu'il n'etait pas dans une position fortunee, it le priait de s'aboucher avec quelqu'un de la famille, de lui demander quelle somme pouvait lui etre necessaire, s'engageant a envoyer aussitOt sur Paris un cheque de la somme demandee". 4) Il connaissait les Russes probablement par les articles de E.-M. de Vogue dans la Revue des deux Mondes; a propos de ces etudes it entra meme en correspondance avec lui pour lui demander des details. Chez nous Emants avait ecrit sur Tourgueniev, cf. Nederland, 188o, I, p. 107-160 (et J.-E. Sachse; voir bibliographie). 5) Voir De Heilige Tocht, preface, p. XII. „Het schijnt somwijlen alsof we een Chineeschen muur aan de grenzen hebben opgetrokken om deze en vele andere schrijvers buiten ons land to houden". 75 Pour mieux faire connaitre au public hollandais les auteurs realists francais, ii leur consacre une serie d'articles clans l'hebdomadaire De Amsterdammer de 1885, sous le titre De Jonge Naturalisten [Les jeunes naturalistes] 1), en tete de laquelle it cite en epigraphe une phrase curieuse de Duranty, &rite trente ans auparavant dans sa revue de propagande Le Realime: „Plus it trouve de resistance, plus sfirement le realisme sera vainqueur; ou it n'y a aujourd'hui qu'un homme, it en viendra bientOt cent quand le tambour aura battu" 2), paroles qui temoignent de son enthousiasme et de ses espoirs. Ce qu'il admirait chez les naturalistes francais, c'etait la franchise avec laquelle ils peignaient la vie reelle. I1 s'indignait contre ceux qui pretendaient voir dans ces procedes nouveaux une speculation adroite sur les mauvais instincts. Convaincu de la sincerite de leurs intentions, it prend contre la critique malveillante de ses contemporains la defense de leur oeuvre, en louant beaucoup par exemple Autour d'un Clocher de Louis Desprez et les romans de Lemonnier, „ce courageux adversaire des anciens principes perimes" 3). Celui qui avait donne, a son avis, le bel exemple etait Zola. „Lui a l'air d'un geant qui se fraye un chemin a travers des regions sauvages; it ne cherche pas les terrains unis ou l'on marche sans peine, mais c'est aux rockers qu'il s'attaque" 4). Mais beaucoup plus que ne le passionne la hardiesse des nouvelles conceptions d'art, Prins s'emerveille de la beaute des descriptions qu'il clecouvre dans l'oeuvre de ces novateurs. Les pages „sublimes" de Salammb6 ou de Saint Julien l'Hospitalier le remplissent d'enthousiasme 6). Il s'extasie devant les peintures magistrales dans A Rebours, „tantOt d'un realisme poignant, tantOt fantastiques et mysterieux comme les nouvelles de Poe" 6). 1) Il consacre des etudes a Zola (a propos de Germinal, dans De Amsterdammer, 1885, 12 et 19 avril), a Bourget (a propos de Cruelle Enigme, ibid., 17 mai), a Guy de Maupassant (a propos d'Une Vie, ibid., 28 juin), a Huysmans (a propos d'En Menage, ibid., 16 aoilt), a Fevre et Desprez (a propos d' Autour d'un Clocher, ibid., ter few.), a Lemonnier (a propos des Charniers, ibid., 3 mai). Voir aussi S.-P. Uri, op. cit., p. 40-58. 2) De Amsterdammer, ler few., 1885. 3) ibid., 3 mai 1885. 4) ibid., 12 avril 1885. „Zola doet denken aan een reus, die een weg maakt door ongebaande oorden. En hij zoekt niet het vlakke veld, gemakkelijk begaanbaar op; integendeel, het is juist tegen de rotsen, dat hij zich keert". 5) De Nieuwe Gids, 1885, II, pp. 224, 225. 6) ibid., p. 23o. „De meesterlijke schilderingen, nu eens vol realiteit, dan weder phantastisch, geheimzinnig als de novellen van Poe". 76 Huysmans surtout l'eblouissait. La penetration avec laquelle celui-ci evoquait l'apre poesie des quartiers pauvres de Paris 1) exaltait son imagination parce qu'elle convenait a son amour du detail précis et pittoresque. Il ne faisait que loner le don admirable que possedait cet artiste d'exprimer, dans une langue subtile et nerveuse, le monde ambiant. „Les impressions que ressent Huysmans sont merveilleusement exactes, notees dans une langue pittoresque, travaillee, oil chaque mot a son charme, oil chaque membre de phrase prend" 2). Pour la meme raison que Prins s'exaltait devant ces evocations d'un monde colore et sensuel, it s'enthousiasmait de la peinture moderne, oil it croyait discerner, ainsi que dans le realisme francais, une tendance qui correspondait a ses aspirations. Il frequentait regulierement les peintres 3), s'interessant a leur art, les louant d'avoir renonce a la fawn traditionnelle de reproduire la realite. Par rapport a la litterature Prins ne manqua pas de constater un „arriere" sensible. „Pour nous it n'y a pas lieu de nous applaudir, disait-il, maintenant que les peintres se trouvent depuis longtemps deja. dans la bonne voie" 4). Grace au contact regulier avec les peintres et a ''etude qu'il fait des procedes naturalistes, nous voyons se developper et s'accentuer chez lui ses dispositions naturelles. Ses premieres nouvelles, recueillies sous le titre siginificatif Uit het Leven [De la Vie] 5), portent la trace evidente 1) Lire par exemple La Bievre, que Huysmans publie dans la première annêe du Nieuwe Gids, 1885, II, p. 43o sqq. 2) De Amsterdammer, 16 aoilt 1885, art. sur En Ménage. „De indrukken welke hij ontvangt, zijn verbazend juist, en in een schilderachtige, doorwerkte taal, waarin ieder woord pakt, iedere zinsnede klem heeft". 3) Parmi eux it faut nommer De Zwart, Offermans, Breitner, Thêophile de Bock, Zilcken, célèbre aquafortiste, qui decouvrit, avant Jan ten Brink, Manette Salomon; en 1881 it fera la connaissance d' E. de Goncourt; grace a Arij Prins it connaitra Huysmans, voir Ph. Zilcken, Au Jardin du passe. Paris, Alb. Messein, 193o, p. 33 et p. 123. C'est a lui que Prins s'adressa pour 'Illustration de son premier recueil de nouvelles Uit het Leven; puis encore Isaac Israels, Marius Bauer (le fameux peintre du Proche-Orient, qui illustra entre autres Saint Julien L'Hospitalier de Flaubert et Ake'dysse'ril dans la traduction de Van Deyssel, voir Uri, op. cit., p. 89, 9o), Mauve, qui loue beaucoup en Prins „son choix heureux et sain avec un sentiment profond" (zijn innig gezonde greep met een diep gevoel). 4) Voir De Amsterdammer du ler fevrier 1885. „De schilders zijn reeds langs den gezonden weg opgegaan, doch reden tot juichen hebben wij niet". 5) Arij Prins (A. Cooplandt), Uit het Leven, met etsen van Mej. B. van Houten en Ph. Zilcken. 's-Gravenhage, Mouton & Co., (1886), 2e ed. Amsterdam, P.-N. van Kampen & Zoon, 1925. 77 de ses nouvelles ambitions; elles ne pretendent etre que la notation, avec precision et nettete, de la vie reelle environnante, minutieusement observee. Ce qui y frappe immediatement, c'est l'emploi frequent de mots et de termes designant les couleurs 1). Voici la peinture d'un interieur telle qu'on en rencontre a tout moment chez les naturalistes francais. „A la lumiere d'une lampe a petrole sa mere etait en train de moudre le cafe. La lampe a l'abat-j our vert, on, des paysages suisses etaient peints en noir, laissait les angles de la piece dans l'ombre, mais jetait une lumiere crue sur son visage couleur de cuir, aux yeux sans expression, dont le bleu avait ete lane par l'age. Chaque ride, chaque pli etait visible; on distinguait meme quelques poils gris au menton et sur la levre superieure. Devant elle, sur la table verte au bord marron, etait assis un gros chat noir, aux poils luisants. La bête regardait de ses yeux verdatres la main noueuse qui tournait la manivelle, une main devenue calleuse a force de travail" 2). Il se &gage de ce tableau une intimit6, une atmosphere poetique telle que savaient la suggerer un Daudet, un Zola aussi, par exemple dans Therese Raquin, la description d'une chambre. „Un feu clair flambait dans la cheminee jetant de larges clartes jaunes qui dansaient au plafond et sur les murs. La piece etait ainsi eclair6e d'une lueur vive et vacillante; la lampe, posee sur une table, palissait au milieu de cette lueur. Une chaleur douce, des senteurs tiedes se trainaient .. . Au milieu du silence frissonnant, les petillements du foyer jetaient de petits bruits secs" 3). On voit comment Prins s'y montre un peintre, comment dans ses evocations du paysage hollandais ii semble s'inspirer des tenants de 1) Tendance déjà manifeste d'ailleurs dans ses premieres nouvelles, par exemple dans Grootvader Bleys [Le grand-pere Bleys] (1882) oil l'on peut remarquer l'emploi frequent d'adjectifs dêsignant la couleur ou de termes qui semblent avoir ête empruntes au jargon de l'atelier, tels que: vaalgrijs, vaagblauwe vlakken, glimlicht, een droogblauwe kleur, een zware grauwe lucht. 2) Uit het Leven, 2e e d., P . 44, 45 . ,, Bij het licht eener petroleumlamp zat zijne moeder koffie to malen. De lamp met de groene kap, waarop Zwitsersche landschappen in het zwart waren afgebeeld, liet de hoeken van het vertrek in het donker, maar wierp een helder licht op haar leerkleurig gelaat, met oogen zonder uitdrukking, waarvan het blauw door de jaren was verbleekt. Iedere rimpel, iedere plooi was duidelijk zichtbaar; zelfs zag men eenige grijze haren aan de kin en bovenlip. Voor haar, op de groene tafel, met bruinen rand, zat een groote, glimmend zwarte goes. Het dier keek met hare groenachtige oogen naar de beenige hand, die de kruk ronddraaide, vereelt door hard werken". 3) E. Zola, Therese Raquin, ed. Marpon & Flammarion, p. 143. 78 1' „Ecole de la Haye". Voici un tableau „en grisaille" 1) qui rappelle les toiles d'un Apol. „Les corbeaux, amaigris par un hiver rigoureux, prenaient leur vol, avec lenteur, sans forces, au-dessus de la plaine neigeuse, d'un gris terne a cause de la nuit qui tombait, s'abattant un peu plus loin, en croassant . . . . De lourds nuages noirs surgissaient de la mer, pleins de menaces; a l'horizon se d6tachaient avec nettete contre le ciel gris les maisonnettes et les arbres encapuchonnes de neige. Le vent secouait les Brands arbres chenus, et leurs cimes depouillees jetaient sur la route des paquets de neige" 2). Mais ce sont les naturalistes francais qui ont pousse l'auteur vers l'etude de la realite basse; apres eux it s'attache a peindre la vie miserable des valets de ferme, des ouvriers adonnes a la boisson, de la jeune fille qui a ete viol& et abandonnee. Tout comme chez Guy de Maupassant ou Zola, ses paysans sont des etres grossiers et egoistes qui ne cherchent que l'assouvissement de leurs instincts primitifs et brutaux. Le sentiment qui inspire ces nouvelles, c'est le desenchantement et la revolte qu'eprouve l'auteur devant les laideurs et les travers de la nature humaine. Mais c'est aussi la pitie devant la misere sociale qui lui fait evoquer la dure et malheureuse existence du paysan pauvre, qui se tue au travail pour gagner sa vie, ou de ceux qui souffrent d'affreuses maladies. Voici la description saisissante d'un agonisant, d'un realisme poignant qui rappelle les descriptions truculentes de Flaubert, des Goncourt ou de Huysmans, se plaisant a peindre des etres hideux, degatitants, tourmentes par d'atroces douleurs. „Door ne disait rien,regardant son beau-pere dont la tete etait retombee sur l'oreiller gris. Sa bouche &lent& s'ouvrait sans cesse com_ 1) Le „gris" parait predominer ici; Aletrino et Frans Coenen egalement se sentent attires vers la nuance sombre, vers une tonalite atmospherique „en mineur", qui correspondait avec leur pessimisme moral; n'oublions pas que 1' „Ecole de la Haye" etait dedaigneusement qualifiee de I' „Ecole grise" (De Grijze School), par suite de la predilection que les artistes montraient pour la beaute artistique de notre atmosphere humide et brumeuse, qui favorisait les beaux jeux de la lumiêre et des nuances, cf. Kunstgeschiedenis der Nederlanden [Histoire de l'art hollandais]). Utrecht, W. de Haan, 1936, p. 446 (art. de Gerard Brom sur „De Haagsche School"). 2) Uit het Leven, p. 43. „Vermagerd door een strengen winter, verhieven zij hun verzwakte lichamen traag boven de witte vlakte, welke door den vallenden avond een vale kleur kreeg, en streken een eind verder krijschend neer. — Groote donkere wolken kwamen dreigend uit zee opzetten, en aan den horizont teekenden zich de met wit bekleede boomen en huisjes duidelijk tegen de grauwe lucht af. De groote, kale boomen schudden heen en weder, en hunne bladerlooze kruinen wierpen pakken sneeuw op den weg". 79 me s'il se parlait a lui-meme; ses cheveux gris retombaient par endroits sur un visage pale et ride, couleur de parchemin sali. La have lui coulait des coins de la bouche, et ses mains decharnees aux ongles noirs, arrachaient fievreusement des flocons de la mince couverture de laine" 1). Dans ces descriptions et dans beaucoup d'autres se manifestent clairement les tendances naturalistes de l'auteur. Il s'enhardit meme a entamer un roman sur la prostitution et a cl6crire une rue mal famee a Hambourg, peintures d'une au dace inoule, a tel point que Kloos les refusa pour ne pas trop effaroucher les lecteurs du Nieuwe Gids 2). Il n'est pas malaise de se figurer les vives protestations que devaient soulever auprês du public ces peintures de la r6alite oil Prins se montrait un eleve hardi des naturalistes francais. On s'offusquait de ces descriptions ou aucun sourire, aucune larme ne venait adoucir les laideurs et les cruautes de la vie 3). Vosmaer, redacteur en chef du Nederlandsche Spectator, regrettant chez l'auteur sa tendance manifeste au realisme, aurait voulu qu'il donnat „une page moins noire de la vie" 4). Bien qu'il admire son talent d'observation et qu'il appr6cie en lui de ne pas avoir &passe les limites", mënageant ainsi au lecteur le soin d'ecarter ce qui devait le choquer trop par son realisme outré 5), it lui reproche nêanmoins 1) ibid., p. 37. „ Joor zeide niets, en zag zijn grootvader aan, wiens hoofd weer in het grauwe kussen was neergevallen. Zijn ingezonken mond opende zich gedurig, alsof hij in zich zelve sprak, en zijn grijs haar hing bij vlokken over het bleeke, rimpelige gezicht, dat de kleur van vuil perkament had. Uit de mondhoeken liep het speeksel, en zijn magere handen, met zwarte nagels, plukten koortsachtig aan de dunne, wollen deken". 2) Voir Uri, op. cit., p. III. 3) Cf. F.-S. (mit) K(leine)., dans la revue Nederland, 1886, I, p. 36o, oil ce critique attaque furieusement les tendances realistes de l'heure. „La langue de la rue d'un Breero, les vulgaires bigoteries d'un Cats, les grossieretes d'un Visscher sortaient tout naturellement de leur plume". („De straattaal van Breéro, Cats' vrome platheden, Visscher's grofheden vloeiden als dood natuurlijke dingen uit hunne pen). Il va jusqu'a comparer Prins a Jacob Cats, l'auteur du Houwelick [Le Mariage] (1625), qui avait &fit: „Maar ik zal, in voller eer, natuurman als ik ben Wat vuil en smerig is, doen leven door mijn pen". 4) De Nederlandsche Spectator, 4 mars 1884. „Wellicht schenkt de schrijver ons nog wel eens een mindere donkere bladzijde uit het leven". Ces paroles dites a propos d'une de ses nouvelles, semblent avoir suggere a Prins le titre de son recueil Uit het leven qu'il publiera plus tard. 5) ibid. „De schrijver heeft zich weten te houden binnen de perken en den lezer het hyperrealistisch uitpluizen van wat al te zeer stuiten zou, bespaard". 8o de s'etre trop attarde a peindre le revers de la vie, sans qu'une note d'„edification" ni de „delivrance" se fit sentir. Sous la suggestion des conceptions naturalistes le pessimisme en Prins s'est aggrave. Il se reflete entre autres dans sa conception de l'artiste comme un homme qui est impuissant a trouver l'expression de ses reves. Dans son premier roman Een Lie/de [Un Amour], un roman de peintre, qu'il laisse inacheve, le personnage principal Bovij n'est pas sans rappeler la figure de Coriolis dans Manette Salomon ou celle de Claude dans L'o'uvre. II n'est guere impossible que Prins, en creant ce type de l'artiste avec ses espoirs et ses desillusions, a songe quelquefois a lui-meme. Bovij, dit-il, etait „un de ces artistes delicats et nerveux, qui veulent donner quelque chose de nouveau, de moderne, mais qui sont incapables de vaincre tout a fait les difficultes qu'ils se sont suscitees" 1). L'auteur qui de plus en plus le seduit par son „spleen", c'est Huysmans. C'est a travers lui que Prins se decouvre et qu'il prend conscience de lui-meme. „Aucun auteur, disait-il, n'a analyse d'une fawn si juste et si penetrante l'enchainement des petites miseres, qui prennent tant de place dans notre existence. C'est justement parce que ses observations temoignent d'une profonde connaissance du coeur humain, correspondant entierement a ce que nous eprouvons et ressentons nous-memes qu'elles nous touchent si profondement" 2). Cette affinite de gouts et d'idees que Prins savait exister entre lui et Huysmans, l'amena a entrer en correspondance 3) avec l'auteur d'A Rebours. Desireux aussi de le connaitre, ii accepta avec plaisir l'invitation 1) Cite dans Uri, op. cit., p. 103. „Bovij was een dier fijngevoelige nerveuse kunstenaars, die iets nieuws, iets moderns willen geven, maar die onmachtig zijn de groote moeilijkheden, die zij zich zelf hebben gesteld, geheel to overwinnen". M. Uri tend a croire que c'est Huysmans qui lui a servi de modêle, supposition assez hardie, nous semble-t-il, puisque le type de l'artiste manqué que Prins evoque ici etait assez general dans le roman de cette époque pour qu'il puisse l'avoir crêe sans cet exemple. 2) Arij Prins, art. J.-K. Huysmans, De Nieuwe Gids, 1885, p. 222. „Viet een schrijver heeft zoo juist en zoo scherp de aaneenschakeling van kleine misêres (die zulk een plaats in ons leven innemen!) opgemerkt, geanalyseerd en weergegeven. Juist wij 1 zij ne opmerkingen zoo menschkundig zijn, zoo geheel overeenstemmend met hetgeen we zelf ondervinden en gevoelen, treffen ze ons dieper". 3) Cette correspondance qui sera importante, et ne cessera qu'avec la mort de Huysmans, se compose de 234 lettres, dont la premiere est datêe de juillet '85 et la derniêre du ter few. 1907. Voir l'article de P. Valkhoff, Huysmans en Prins [Huysmans et Prins], De Gids, 1937, II, p. 43-63. 81 a venir le voir a Paris, visite 1) qui aura sur son evolution une influence decisive. Prins a a fortement subir le charme de cet esprit original, son aine de douze ans, en qui il decouvrit tant de cotes qui devaient plaire a son imagination artistique. L'un et l'autre avaient les memes gaits, les memes aspirations. Tous deux raffolent de la peinture, du bibelot et des curiosites 2). Huysmans n' aura pas manqué de signaler a Prins les nouvelles orientations dans la peinture moderne, se manifestant dans l'ceuvre d'Odilon Redon, de Felicien Rops, de Gustave Moreau, pour l'art desquels Prins se revela, des son retour et a la grande surprise de ses amis hollandais, un amateur passionne 3). C'est par Huysmans egalement que Prins entre en contact avec ceux qui depuis quelque temps dep. se revoltaient contre les tendances naturalistes. Ainsi il rencontre chez lui Leon Bloy 4), Edmond de Goncourt, Landry, Edouard Dujardin, Hennequin, Lucien Descaves et Paul Margueritte 5), dont les deux derniers figureront entre autres parmi ceux qui vont lancer en 1887 contre Zola et son ecole le retentissant Manifeste 1) La premiere visite a Paris aura lieu dans Fete de 1886, elle sera renouvelee en 1887 et en 1889. En 1888 Huysmans et Prins font ensemble un voyage en A llemagne . 2) La visite au musee de Cluny par exemple fut pour Prins une sorte de revelation. On sait que Gustave Flaubert avait au contraire „la haine du bibelot, jugeant cette manie niaise et puerile". Chez lui, disait Guy de Maupassant, on ne rencontrait aucun de ces objets qu'on nomme „curiosites", „antiquites", ou „objets d'art", Guy de Maupassant, Emile Zola. Paris, Quantin, 1883. 3) Voir Uri, op. cit., p. 104. 4) Par l'intermediaire de Leon Bloy Prins fit la connaissance de Barbey d'Aurevilly; N(andor) de S(olpray) dans la Revue de Hollande, III, p. 113, raconte sa visite chez l'auteur d'Une vieille maitresse. „La rencontre eut lieu un jour d'ete, assez tot dans la matinee. Le maitre, enveloppó d'une longue chemise blanche, etait assis devant son miroir. Ii parachevait sa coiffure. Entre deux coups de peigne, il mordait de superbes cerises, dont le sang retombait sur son plastron, rougi par places. Il ne daigna pas, a l'entree des deux amis, se retourner. Bloy fit les presentations: — C'est un jeune ecrivain hollandais qui admire vos oeuvres . . . . Cela ne m'interesse pas, repond d'Aurevilly. Il y eut un silence penible. On n'entendait que le bruit des noyaux de cerises tombant sur le parquet. Quand l'assiette fut vide, Barley s'adoucit. II s'informa, avec sa grace un peu hautaine, du but de la visite. Il prit méme, dans sa bibliothêque, un exemplaire des Diaboliques et l'offrit au jeune ecrivain un peu trouble, avec la dedicace suivante: A Arij Prins, ecrivain hollandais: le Diable est de tons les pays. Puis il acheva de se coiffer". 6) Prins restera en correspondance avec quelques-uns de ces auteurs, entre autres Paul Margueritte et Leon Bloy; ce dernier, manie a une Danoise, ira le voir quelquefois a Hambourg. 6 82 des Cinq. Au moment ofi Prins fait la connaissance de Huysmans,celui-ci preparait En Rade et venait de publier En Route (1884), roman qui avait fait sensation, puisque l'auteur y avait assez brusquement tournê le dos au naturalisme, evoluant vers ce qu'il appelait lui-meme le naturalisme spiritualiste. Dans une lettre a Prins, it lui avait deja explique ce qui le separait de Zola. „ radmire fort Barbey d'Aurevilly et Villiers de 1' Isle-Adam qui sont pourtant de forcenes romantiques. Ajoutez a cela une difference immense entre les idees de Zola par exemple et les miennes. Lui aime son temps qu'il célèbre—moi je l'execre et pourtant nous arrivons a decrire les memes choses" 1). Sans doute Huysmans aura signale a Prins la nouvelle et etrange beaute qui se degageait de l'ceuvre d'un Villiers de l'Isle-Adam, d'un Baudelaire, d'un Barbey d'Aurevilly 2), d'un Poe surtout, de qui Prins lut avec passion, dans les traductions de Baudelaire, les Contes Extraordinaires. „A personne je ne dois autant qu'a. Huysmans, avouera-t-il un jour a son ami Robbers, c'est lui qui me tenait la-bas (a Hambourg) au courant de la litterature francaise" 3). Sous la suggestion des nouvelles orientations artistiques Prins revire assez promptement; it abandonne son roman Een Lielde, dont it n'acheve que les deux premiers chapitres. Les nouvelles „fantastiques" qu'il publie dans De Nieuwe Gids de 1887 et de 1888, intitulees Fantasie 4), Een Nacht [Une Nuit] 5), Een executie [Une execution] 6), et Vreemde Verschijning [Une etrange Apparition] 7) portent 6videmment la marque 1) Elseviers Maandschrift, 1908, p. 4o. cf. aussi Ld-Bas, Paris, Tresse & Stock, 1891, p. 24. „Au fond, pretendait des Hermes, it y a toujours eu entre moi et les autres realistes une telle difference d'idees qu'un accord peremptoire ne pouvait durer; to exêcres ton temps et eux l'adorent, tout est la". 2) Chose curieuse: dans une lettre a M. P.Valkhoff Prins nomme Barbey et Villiers ses auteurs favoris; voir Uri, op. cit., p. 104, note 3. 3) Elsevier's Maandschrift, 1908, p. 41. „Al die jaren heb ik aan geen mensch zoo veel gehad als aan Huysmans. Terwijl ik, door hem, van de Fransche literatuur op de hoogte bleef". 4) De Nieuwe Gids, 1887, II, p. 2-12. 5) ibid., p. 329-333. 6) ibid., 1889, I, p. 190-193. Cette nouvelle, datee de sept. 1888, figure dans le recueil Een Koning [Un Roi]. Amsterdam, P.-N. van Kampen & Zoon, 2e ed., 1924, p. 131-135. 7) ibid., 1889, II, p. 75-79 (datee d'aoilt). A cette periode appartiennent encore deux esquisses impressionnistes Hamburg I et II, The Commercial Hotel (De Nieuwe Gids, 1888, I, p. 457-459), et Landverhuizers [Les Emigrants], nouvelle datee de juillet 1888 et qu'on a retrouvee parmi la correspondance d'Albert Verwey, Uri, op. cit., p. 114. 83 d'une nouvelle inspiration 1). Comme ses modêles Prins vise par ces histoires frissonnantes a inspirer l'angoisse et le &guilt. A tout moment nous rencontrons dans ces recits des apparitions de spectres, des condors noirs poussant des cris lugubres, des figures hideusement mutilees qui repugnent par leur laideur 2). Voici dans Een Nacht la vision d'une tete „plus horrible qu'une tete de mort, car les orbites n'etaient pas vides et sous une taie on distinguait le bleu terne des prunelles, ou bien dans Vreemde Verschijning l'apparition sinistre 3) d'une tete „grimacant convulsivement, roulant entre les epaules relevees, dansant et sautant comme une balle elastique dans un feu d'etincelles electriques, s'affaissant enfin sur la colonne vertebrale ensanglantee" 4). Les deux esquisses qui closent cette periode, Hamburg I et II, sont des evocations impressionnistes, apparemment concues d'apres les modêles des naturalistes francais. Voici dans la premiere, celle qui Porte pour sous-titre The Commercial Hotel la peinture d'un coin de ville qui rappelle par son coloris telle description des Croquis parisiens de Huysmans. „Le ciel devient pale, comme delay& de nuance souffreteuse et derriere les mats qui s'affinent, la haute cheminee d'une fabrique de l'autre cote de la riviere, vomit des serpents de feu qui, dans un bref éclair infernal, s'eteignent dans la furnee noire" 5). Prins se plait a peindre avant tout les 1) Ce gout du morbide qui va caracteriser l'oeuvre de sa deuxiême periode, celle qu'on est convenu d'appeler sa periode „fantastique" ou „poeienne", se reconnalt déjà dans une de ses premieres nouvelles Grootvader Bleys [Le grand-pere Bleys] qui est de 1882, et oil l'obsession d'un mauvais reve inspire a l'auteur un recit frissonnant. 2) Bien qu'il soit difficile d'indiquer des reminiscences precises, ii y a pourtant quelques curieux rapprochements a faire; ainsi Fantasie rappelle La Chute de la Maison Usher [Fall of the House Usher] de Poe, voir Uri, op. cit., p. 112; l'apparition d'une femme nue dans la plupart de ces contes evoque le souvenir d'Esther dans En Rade; dans Een Nacht le heros prend, comme des Esseintes, du bromure pour se suggerer artificiellement d'apres et troublantes visions. 3) De Nieuwe Gids, 1887, II, p. 332. „Het hoofd was afgrijselijker dan een doodskop, want de oogkassen waren niet ledig en onder een vlies schemerde het blauw der appels". 4) ibid., 1889, II, p. 78. „Het hoofd rolde stuiptrekkend, grijnzend heen en weer tusschen opbultende schouders. Het danste, het sprong op als een veerkrachtige bal, in een electrische vonkengloed, en viel neder op een bloederigen hersenkolom", 5) ibid., 1888, I, p. 458. „De lucht wordt bleek, uitgewasschen, lijdend van tint en achter de masten, die aan fijnheid winnen, vliegen uit de hooge fabrieksschoorsteen aan de overzijde der rivier, serpenten van vuur, die in de zwarte rookwolken met een korte, helsche opflikkering wegsterven, cf. Huysmans, Croquis parisiens (Vue des remparts du Nord-Paris), ed. Crês., p. 105. „A l'horizon, sur le del de 84 milieux etrangement pittoresques dont ses lectures, ses voyages, les toiles des peintres lui suggeraient l'atmosphere particuliere. Dans Vreemde Verschijning par exemple it evoque la petite vine de Soost en Westphalie. Een Executie, evocation truculente des temps barbares, semble avoir ete inspire des tableaux des primitifs. De plus en plus le Moyen-Age commence a le prêoccuper et a exalter son imagination. Pour mieux connaitre sa poesie etrange et son caractêre de passé ii avait entrepris, en 1888, avec Huysmans, un voyage en Thuringe, oil ils visitaient Weimar, Erfurt, Gotha, villes toutes curieuses a ce point de vue. Ce voyage pendant lequel Prins s'est assurement montre le delicat et inlassable guide qu'il etait, a laisse aupres des deux amis d'inoubliables souvenirs 1). Il est certain que, grace a ces nouvelles impressions, s'elabore insensiblement chez Prins l'ideal artistique auquel ii vouera desormais ses loisirs. La decouverte de sa nouvelle mission d'art, en quelque sorte preparee par ses lectures et ses amities litteraires, fut neanmoins pour lui une sorte de revelation. „Tout a coup, disait-il, d'une fawn tout a fait inattendue, un dimanche soir, je vis Sint Margaretha [Sainte Marguerite] devant moi et alors j'etais sir de ne plus echouer" 2). En effet, des lors ii ne s'ecartera plus de la voie dans laquelle ses gouts et ses dispositions l'engageaient. Flaubert, Huysmans, l'avaient initie a cette vie du passe qu'il aimait a evoquer pour fuir les laideurs et les longues cheminees rondes et carrees de briques vomissent dans les nuages des bouillons de suie . . . .", souvenir, fres probablement, des toiles d'un Rafaelli, le peintre „des lugubres parages au triste decor de rails et de fer, de gares et d'usines, d'ateliers et de terrains vagues, aupres des fortifications", cf. Helen Trudgian, L'Evolution des idles esthitiques de J.-K. Huysmans. Paris, Conard, 1934, p. 118, 128 et 129. 1) Huysmans decrira ses impressions dans Le Tout. On trouve un autre souvenir de ce voyage dans la description de la cathedrale au debut de La-Bas. Selon Prins, Huysmans n'avait qu'une seule passion, celle du Moyen-Age. Goethe et Schiller ne l'interessaient guere. „Il ne les connaissait meme pas, je crois. Ce n'etait que pour voir les villes anciennes, pour le Moyen-Age qu'il fit ce voyage" (Hij kende ze niet eens, geloof ik ! Het was alleen om de oude steden zelf, om de Middeleeuwen). Prins et Huysmans visitent aussi Cassel, oil ils admirent la crucifixion de Mathias Griinewald. 2) Lire l'interview que Brusse a eue avec Prins, De Boekzaal [La Cite des livresj, 1907. p. 107. „Tot plotseling, een Zondagavond in Maart '90 staat hem Sint Margareta voor de geest en begint hij to schrijven. Hij wist, dat dit werk niet zou mislukken". Sint Margareta a ete traduit en francais par Georges Khnopff, Revue de Hollande, V, p. ro6 sqq. 85 tristesses d'un monde qu'il avait pris, comme eux, en horreur 1). Les pays orientaux, le passé barbare avec ses cruautes bestiales, ses batailles feroces, ses conflits de races et de religions, serait pour lui, ainsi qu'il le fut pour Flaubert ou Huysmans, un monde mysterieux et fantastique d'une beaute infiniment poetique. Pour peindre cette vie cruelle et sanglante it use de procedes qu'il parait avoir soigneusement etudies chez ses maitres. Dragamomus 2), recit de l'invasion des Barbares, rappelle par revocation des couleurs et des sons celle des Tartares, dans A Rebours, fragment que Prins avait dit beaucoup admirer 3). Voici comment Prins a vu l'approche foudroyante des masses: „Avec un fracas de tonnerre, comme si une avalanche de terre se precipitait de la montagne, abattant les arbres qui couvraient la pente, les Barbares passaient au galop sur leurs morts, etouffant les gemissements de ceux qui etendaient les mains. Il y avait un ebranlement de pas comme d'une horde de cavaliers, approchant avec un tourbillon de bruits qui chassait au loin les oiseaux effrayes" 4). Comparez a ce fragment telle description chez Huysmans: „Tout disparut dans la poussiere des galops, dans la fumee des incendies. Les tenebres se firent et les peuples consternes tremblerent, ecoutant passer, avec un fracas de tonnerre, l'epouvantable trombe. La horde des Huns rasa l'Europe. La plaine, gorg6e de sang, moutonna comme une mer de pourpre, deux cent mile cadavres barrêrent la route, briserent l'elan de cette avalanche qui, deviee, tomba, eclatant en coups de foudre, sur l'Italie oil les villes exterminees flamberent comme 1) Voir Revue de Hollande, III, p. 71. „Parini les auteurs francais, ecrit Prins a M. P. Valkhoff, Flaubert a decidement influence mon oeuvre, peut-titre aussi un peu Hugo". 2) Dans le recueil, intitule Een Koning [Un Roi]. Amsterdam, P.-N. van Kampen & Zoon, 2e ed., 1924, p. 4o-1o9; cette nouvelle aussi a ete traduite par Georges Khnopff, voir Revue de Hollande, III, p. 163, 257. Dans la Revue de Hollande, II, p. 1270 sqq., on trouve La Grande Arme'e,Un Roi, Harold, trois contes traduits du hollandais par Georges Khnopff. 3) Voir De Nieuwe Gids, 1885, II, p. 225. „La facon dont est peinte l'invasion des Huns, fait preuve d'une grande force" (Van groote kracht getuigt de wijze, waarop de inval der Hunnen wordt geschilderd). 4) Een Koning, p. 99. „En met geraas van donder, alsof een aardwal stortte, van of den berg kwam, en boomen nederbrak, die op de hellingen groeiden, de Barbaren over hun dooden heen, en treden stille het gekreun van die de handen hieven. Zij waren nu zooveel, dat het een slinger scheen, die am den berg was gewonden. Er was gedreun van stappen, alsof een horde ruiters kwam, en een storm van geluiden, waardoor verre-weg verschrikt vogelen uit boomen vlogen". 86 des meules" 1). On voit que dans ces evocations du passe les descriptions se ressemblent curieusement: meme choix des mots, meme rythme, meme presentation des faits, des brutalites feroces et cruelles qui font frissonner. Dans Sint-Margareta une femme poursuivie et tuee par un soldat rappelle tel passage dans SalammbO: „Ils suivaient des yeux, dans la campagne, un cavalier galopant aprês un soldat qui courait. Ii parvenait a le saisir par les cheveux, le tenait ainsi quelque temps, puis l'abattait d'un coup de hache" 2). D'autre part Prins semble tenir de l'auteur de SalammbO le souci d'une documentation rigoureuse et methodique. A l'histoire invraisemblable, melodramatique Flaubert avait substitu6 le recit base sur une etude precise et approfondie des documents. Prins aussi notait avec un soin particulier tout ce qui lui semblait necessaire a etre retenu en vue de ses creations. Ainsi il recueillait une foule de details curieux : des descriptions de l'exterieur des personnages, des mots expressifs, des ebauches de ses recits; souvent, ii faisait des dessins a la plume de costumes etc. qu'il avait remarques dans les livres, les musëes ou sur les tableaux 3). Le meme souci qu'il apportait dans sa documentation, il l'observait dans son style, dans le choix des mots, de termes evocateurs et suggestifs. C'est de Flaubert que Prins semble avoir herite „l'horreur de la facilite"; comme lui il construit ses phrases „avec force ratures, avec un souci jaloux de l'epithête, du verbe et de leur place". Tout ce travail de corrections et de remaniements demandait a l'auteur de longs et penibles efforts; elle necessitait un travail de semaines et de mois pour creer quelques pages d'une prose impeccable 4). Dans sa langue, fievreusement ciselee, tout emaillee de neologismes 5), il serait difficile de relever l' em1) A Rebours, ed. Charpentier, p. 5o. On trouve meme un souvenir de la derniêre image chez Prins dans Een Koning, p. 122. „Le vendredi saint les villages aux en- virons de Pesth brillaient comme des meules" (Op Goeden Vrijdag brandden de dorpen om Pesth als hooischelven). 2) SalammbO, ed. Charpentier, p. 176, cf. Prins, Een Koning, p. 125. „En ver achter hem in het veld de vluchtende oude vrouw met een ruiter naast haar. Opeens knielde zij, de armen omhoog smeekend, boven haar het zilver-flikkeren, en weg het gele lichaam in het hooge gras". Lire aussi la description du roi Harold (Een Koning, p. 25) qui rappelle celle du suffête Hannon dans SalammbO (p. 38). 3) Cf. Brusse, art. cit., De Boekzaal, avril 1907. Il est a regretter que les indications, recueillies avec tant de soin et fournissant une riche matiêre d'illustration, se soient perdues. 4) Voir J. Pollmann, De taaltechniek van Arij Prins [La technique linguistique d' Arij Prins]. Publicaties der afd. Ned. aan de Universiteit van Nijmegen, 1925, I, p. 254. 5) ibid , p. 211, 212. Notez l'emploi frequent d'archaismes; comme Huysmans, dans 87 preinte d'un talent precurseur ou contemporain. „C'est comme s'il y avait, disait Van Deyssel, entre le style de Zola et celui de Prins un siecle d'evolution et de developpement" 1). Prins a ete, comme nous l'avons vu, un des representants les plus caracteristiques de son époque. Avec Van Oordt 2), Van Schendel 3), it inaugure chez nous le pretendu neo-romantisme, courant artistique qui se rallie imm6diatement aux tendances qui, depuis une vingtaine d'annees déjà, se manifestaient dans le roman francais 4). Son gout du pittoresque, son amour des paysages lointains et mysterieux, ne de son horreur d'une societe materialiste qui etait la sienne, le rapprochait, comme d'instinct, de l'art de Flaubert et de Huysmans. C'est du dernier notamment qu'il semble tenir le gout d'un coloris violent et eclatant, le souci de traduire dans une langue infiniment travaillee ses impressions toutes personnelles, ainsi que le besoin de fuir le present pour voguer vers des temps meilleurs, impregnes de poêsie et de mystere. FRANS ERENS (1857-1935) Frans Erens, ne en 1857 a Schaesberg (dans le Limbourg hollandais), etudia le droit a Leyde et a Paris. Aprês avoir fini ses etudes, it s'êtablit comme avocat a Amsterdam, oil ii s'etait lie d'amitie avec ceux qui allaient fonder De Nieuwe Gids, organe qu'il a aide a rediger jusqu'a sa mort. A Rebours, Prins aimait a exhumer de vieux mots oublies qu'il emprunte a l'ancien hollandais, a la langue des rhetoriqueurs, p.e. des mots comme couleurs, couverturen, idool, noir, torment, esmerauden, qu'on prendrait a tort pour des gallicismes. 1) L. van Deyssel, Verzamelde Werken, V, p. 105. „Het is of er tusschen den stijl van Zola en dien van Prins een eeuw van verandering en groei is". 2) Adriaan van Oordt (1865-191o), qui se distingue aussi par un style três individuel, a ecrit deux romans qui le firent connaitre comme un grand artiste, Irmenlo (1896) et Warhold (1906), romans historiques oil it evoquait, par ses peintures visionnaires, l'epoque des Germains. 3) Arthur van Schendel, ne en 1874, de nos jours un de nos auteurs les plus connus, debuta par Drogon (1896) (illustre par Bauer), recit qui se passe encore a l'epoque des Croisades et dont s'enthousiasmerent Alphons Diepenbrock (voir De Kroniek, 17 dec. 1896) et aussi Van Deyssel (Verzamelde Werken, VI, p. 12, art. Drogon). En 1907 it ecrit Een Zwerver Verliefd [Le Vagabond amoureux], licit dont l'action se passe en Italie a l'epoque des Hohenstaufen et qui a ete traduit en francais par Louis Pierard, Revue de Hollande, I, pp. 51, 211, 338, 470 sqq. 4) Cf. J. Prinsen J. Lzn., De oude en de Nieuwe historische roman in Nederland [L' ancien et le nouveau roman historique en Hollande). Leyde, Sijthoff, 1929. 88 Erens avait la passion des lettres. Quelque part dans ses mëmoires ii park de sa „lutte interieure", nee d'un conflit entre sa profession d'avocat et sa vocation litteraire 1). Sortant d'une famille distinguee du Limbourg, ii avait l'avantage de trouver facilement le contact avec l'etranger 2). C'etait surtout la France qui le charmait et l'attirait. Dans son journal de voyage il a note un jour: „ Quelqu'un ne avant 187o au sud du Limbourg est oriente sur la France. Car jusqu'a cette annee ce pays imprimait fortement son caractêre sur son ambiance. A nous autres enfants la France inspirait un grand respect, alors que pour la Prusse (qu'on n'appelait jamais l'Allemagne) nous n'avions qu'un parfait mepris. Notre enthousiasme, et c'est le sentiment de bonheur le plus eleve -dans l'homme, etait le plus souvent eveille en entendant parler de la France" 3). Pour faire ses etudes de droit, il s'installe, tres jeune encore, a Paris oil il vit, avec quelques interruptions, de 1878 jusqu'a. 1883. Ce sejour, pendant lequel il fit la connaissance des jeunes auteurs de l'avant-garde en litterature, a eu sur sa formation intellectuelle et artistique une influence decisive. Il park avec enthousiasme de ces annees, „les plus heureuses de sa vie", dans deux articles três interessants 4) auxquels on nous permettra d'emprunter quelques curieux details. Disons d'abord qu'Erens, par intuition, se sentait immediatement attire vers ceux qui avaient commence de s'elever contre les tendances du naturalisme. BientOt il fut un des assidus du Chat Noir oil il assistait aux ardentes disputes litteraires. De ceux qu'il y rencontrait, il nous a trace de savoureux et petillants croquis, entre autres du president Emile Goudeau, d'Armand Masson, poete du fameux sonnet L' Ante des Haricots, des dessinateurs Willette et Henri Riviere. Il y rencontre la femme poke 1) Voir Nieuwe Rotterdammer Courant, Ochtendblad, 7 dec. 1935. 2) Cf. Ad. J. Sassen, De Gemeenschap [La Communaute], IV, p. 428, art. De Limbruger Mr. Frans Erens [Le Limbourgeois M e Frans Erens] oil il pretend avec raison que l'habitant du Limbourg possede, plus que l'homme du Nord, la faculte de s'assimiler l'esprit de l'etranger. 3) Cf. Uit mijn reisdagboek [Pages de mon journal de voyage], De Gids, 1909, III, p. 464. „Iemand vOOr 187o in Zuid-Limburg geboren is aan Frankrijk gewend. Want tot dien tijd drukte dat land zijn stempel met kracht op zijne omgeving. Als kinderen zagen wij met eerbied tegen Frankrijk op en hadden voor Pruisen, dat men toen altijd Pruisen, en niet Duitschland noemde, eene volkomen minachting. Ons enthousiasme, en dit gevoel is het hoogste geluksgevoel van den mensch, kwam meestal in werking, wanneer er over Frankrijk werd gesproken". 4) Uit mijn „Parijsche heugenissen" [Pages de mes „souvenirs parisiens"], De Nieuwe Gids, 1927, II, p. 245-260; Parijsche Heugenissen [Souvenirs parisiens], De Gids, 1927, III, p. 422-443. 89 polonaise Marie Kryzinska, et Leo Trezenick, poete et redacteur en chef de Lutece, puis Ferdinand Icres et d'autres. Par Victor-Emile Michelet, qu'il tient pour un des plus grands ecrivains modernes 9, il apprend a connaitre le jeune Barres gull admire beaucoup et a qui il a consacre plusieurs articles chaleureux 2). C'est a Barres qu'Erens presentera un jour le poete Moreas 3), qui avait dej a. quelque reputation dans plusieurs cercles litteraires, alors que Barres etait encore tout a fait inconnu. Erens assistait souvent aux reunions artistiques de Charles Cros 4), oil l'avait introduit Moreas. Il y voyait entre autres Rollinat 5), qu'avait rendu célèbre a l'age de trente-cinq ans seulement un article d'Albert Wolff dans Le Figaro. „Rollinat emouvait le plus, lorsqu'il declamait des poesies de lui-meme ou de Baudelaire, en s'accompagnant sur le piano. La musique qu'il avait composee dans ce dessein, etait extremement simple. Magnifique etait celle composee pour La Mort des pauvres de Baudelaire. Ainsi il chantait encore d'apres sa propre conception musicale L'Invitation au Voyage" 3). Erens evoque encore les figures de Sapeck et de Jules Jouy, comiques celebres et diseurs de monologues, celle d'Edmond Harancourt qui, dans le Cerde des Hirsutes disait ses poesies scabreuses 6). Il voit quelquefois le vieux monsieur Read, dont la file Mlle Read est la grande confidente 1) Cf. De Gids, I, 1936, p. 17. 2) Erens a ete le premier a attirer l'attention sur Barres dans l'hebdomadaire De Amsterdammer de 1884, ou il lui predit un bel avenir. Il n'est guere impossible qu'Erens, qui le vit souvent a Paris et le loua surtout comme un brillant causeur, ait subi son influence. Plus tard la politique semble l'avoir ecarte de Barres. Une anecdote curieuse, que nous relevons dans les „Souvenirs" d'Erens, dit que le Cercle „Het Servetje" a La Haye ne voulait pas inviter Barres comme conferencier, puisqu'il etait „boulangiste" et „n'avait aucune reputation comme auteur". 3) Dans une reunion chez Marie Kryzinska; sur Moreas Erens nous raconte plusieurs anecdotes; il publie aussi de lui une poesie inedite Viandes de Gargotte que Moreas recita un soir au Chat Noir. 4) Charles Cros, l'auteur fameux du recueil Le Coffret de Santa! qu'Erens tenait de lui comme un precieux souvenir. Il le loue comme un des plus sympathiques Francais qu'il ait jamais rencontres alors. 5) De Nieuwe Gids, art. cit., p. 248, 249. „Ontroerend werkte Rollinat wel het meest, wanneer hij gedichten voordroeg van zichzelf of van Baudelaire en zich daarbij op de piano accompagneerde. De muziek, die hij daarvoor had gecomponeerd, was uiterst eenvoudig. Mooi was die vooral bij Baudelaire's La Mort des pauvres. Zoo zong hij ook naar eigen muzikale opvatting Baudelaire's Invitation au Voyage." Sur Rollinat Erens ecrit dans la feuille d'etudiants Minerva de 1883, oil il loue sa tendance a dire tout sans reticences. 6) Recueillies sous le titre La Legende des textes, signe de son pseudonyme de Chablay. 90 de Barbey d'Aurevilly. Chez Cros ii rencontrait aussi Madame Verlaine; it disait que la compagnie du poête lui-meme etait peu recherchee a cause de ses aventures en Belgique avec son ami Rimbaud. D'ailleurs Erens n'aimait pas ce bourru „entete, ambitieux et rebelle" 1); comme type de boheme it lui prefere de beaucoup le sympathique Gerard de Nerval, „un vrai Francais qui se moque de l'etranger et ne s'interesse qu'a son propre pays" 2). Un j our il rendit visite a Alphonse Daudet, apropos de L' Evangdliste. Il regrette de ne pas avoir rencontre Villiers de 1'Isle-Adam; it avait eu une occasion excellente de le voir, puisque Erens connaissait une dame Riquetti de Mirabeau, cousine germaine de l'auteur. Nombreux et souvent d'un pittoresque tres gai sont ses portraits des professeurs celebres dont it suit les cours a la Sorbonne et au College de France. Parmi eux it loue entre autres Jules Leveille, professeur de droit, Caro et Boissier. Il se montre peu satisfait de Renan, ce gros bonhomme avec ses cours obscurs sur les „inscriptions assyriennes" 3). Taine est, a ses yeux, un assez mauvais orateur qui vaut surtout comme historien et penseur, „un des plus rares ecrivains que le XIX e siecle ait produits" 4). Le contact intime avec le Mouvement symboliste n'est pas sans influencer ses ambitions. En Hollande it se fait le champion des nouvelles idees, sans succes d'ailleurs, puisque Zola etait l'auteur favori. Il n'arrivait pas a persuader a ses amis qu'ils defendaient un art dont „la vigueur s'emoussait". „Moi qui me regardais comme le messager du mouvement le plus recent (celui de Dujardin 5), de Barres, de Rod et d'autres), je me disais quelquefois que l'ignorance des jeunes litterateurs hollandais a regard de l'evolution litteraire en France, etait pour eux un avantage. Si les champions du naturalisme en Hollande s'etaient rendu compte qu'ils ddendaient un art mourant, ils n'auraient pu le faire avec tant d'enthousiasme et d'energie, et maint beau fragment de prose n'aurait pas ete cree 5). 1) De Gids, art. cit., p. 438. „Stijfhoofdig, onwillig, een eerzuchtige". Un moment it a ête question d'une reconciliation entre les deux epoux par l'intermódiaire d'Erens et de Moreas. 2) ibid., p. 438. „Gerard de Nerval, de ware sympathieke bohéme, een echte Franschman, wien het buitenland weinig kan schelen en die zijn belangstelling alleen tot zijn eigen land bepaalt". 3) De Nieuwe Gids, art. cit., p. 255. „Hij had het over Syrische inscripties, waarvan ik zoo goed als niets begreep". 4) ibid., p. 258. 5) Sur Les Hantises de Ed. Dujardin Erens ecrit une critique êlogieuse dans De Nieuwe Gids, 1885, II, p. 149. 4) De Gids, art. cit., p. 425. „Ik die mij beschouwde als de boodschapper der jongste 91 Ainsi, par ses gaits et ses interets, Erens se rëvele parmi les Auteurs de 188o, comme une figure a part. La peinture r6aliste de la vie des instincts et des passions brutales repondait peu a son amour de poesie, a sa soif d'exaltation intërieure, de recueillement, de mysticisme meme. Cet „art du tout-prês", comme il definissait un jour le naturalisme, lui repugnait. „Nous echappons de plus en plus au naturalisme, a son art terre-a-terre du detail, nous aspirons a monter plus haut" 1). Cependant, ses premieres esquisses recueillies sous le titre Dansen en Rhytmen 2) suivent les tendances qui regnent, a ce moment, dans la litterature naturaliste et la peinture. L'influence s'en fait nettement sentir dans le choix de certains sujets. Inspire, semble-t-il, par les peintures de Isaac Israels 3), il se plait a evoquer en des dessins quelquefois crus, d'ofl emane, il est vrai, une rare poesie, les quartiers louches ou pittoresques d'Amsterdam: Nieuwmarkt, Warmoesstraat, Zeedijk, Amstelveld. Voici, par exemple la peinture, tout a fait dans la note impressionniste du jeune Israels, des filles qui dansent. „Elle entrait, la chere fille, avec calme et gravite; elle dansait, dansait, la chere fille, la main frele .et blanche posee doucement sur l'epaule du matelot ivre" ou bien „Entre les files robustes, aux robes noires qui flottent au vent, amples et larges comme des crinolines, tourne dans une large envolee, lagere et fréle, la fille svelte, blanche comme un lis" 4). Il est egalement impressionniste dans ses contes r6gionalistes, parmi lesquels nous signalons le merveilleux recit De Conferentie [La Conference], dont nous citons la fin pittoresque: „Et ils jouaient aux cartes jusqu'a une heure avancee dans la soirée et rentraient dans la nuit, invisibles dans leurs soutanes froufroutantes, tandis que richting, dacht soms, dat de onkunde van de jongere Hollandsche literatoren ten opzichte van de literatuur-evolutie misschien een geluk was. Want waren de jonge strijders voor het naturalisme in Nederland zich ervan bewust geweest, dat zij een stervende richting verdedigden, dan hadden zij dat niet met zoo veel geestdrift en kracht kunnen doen en menig mooi brok literatuur ware niet ontstaan". 1) De Nieuwe Gids, 191o, I, p. 33. „Aan de lagere detail-kunst van het naturalisme ontgroeien we meer en meer; we zoeken hooger to stijgen". 2) F. Erens, Dansen en Rhytmen [Danses et Rythmes]. Amsterdam, Versluys, 1893. 3) Israels ebauche le dessin de la couverture. C'est a lui qu'il dedie l'esquisse Gitanas. 4) Dansen en Rhytmen, p. 7. „Binnen ging de lieve meid, de slanke witte hand ge- spreid op den schouder van den dronken matroos." „Tusschen de vierkante meiden met de donkere rokken, die waaiden breed, als krinolinen wijd, vloog licht en rank, in vollen zwaai en leliewit de slanke meid". 92 les cigares brillaient comme des etoiles rouges sur les routes desertes" 1). Mais dans ses croquis parisiens, Bal Bullier et Le Vendeur de Soleil (ce dernier concu d'aprês Rachilde) 2), ainsi que dans ses poêmes en prose proprement dits: Droom [Reve], Lento, Wind [Vent], Goudzang [Chanson d'or], De Processie [La Procession], State [Silence], it se degage tout a fait des tendances naturalistes. Nacht in de Middeleeuwen [Nuit au Moyen-Age] êvoque l'atmosphere mysterieuse des chateaux forts et des monasteres. Voici les moires qui chantent et disent leurs prieres: „Ils chantent et murmurent leurs prieres devant les mornes autels; leurs chants tombent d'une cadance lourde, heurtee, sous l'impulsion du commandement du rite de fer, parmi les plaintes emphatiques, contre les rudes parois, tandis que sous les rondes colonnes grimacent les dragons pecheurs, les gueules grandes ouvertes, en crispant leurs griffes impuissantes" 3). Berbke, ce touchant recit d'une petite folle qui a des visions de l'audela, evoque le souvenir de Baudelaire 4) ou de Rachilde, ces peintres de pauvres Ames egarees et avides d'infini. A la fin, en quelques lignes d'une sobriete saisissante et qui n'est pas sans rappeler la maniêre de Guy de Maupassant, l'auteur revele un monde de misere. „Et un matin, de bonne heure, les Bens la trouvaient morte sous une haie, au bord de la route" 5). Erens n'a jamais pretendu renier les influences qu'il cubit. „Avec Dansen en Rhytmen, disait-il, je pretendais introduire le rythme dans la prose litteraire. J'ai ete le premier a donner en Hollande des „poemes 1) De Nieuwe Gids, 1889, p. 11. „En zij kaartten tot laat in den avond en gingen in het donker naar huis, onzichtbaar ruischend in hun soutanen, terwijl de sigaren glommen als roode sterren op de eenzame wegen". 2) Le Vendeur de Soleil, evocation poignante „d'apres Rachilde" d'un mendiant miserable devant lequel passe le monde sans entendre les supplications, sans apercevoir son corps hideux; tout a coup, dans un acces de folie, it dire aux passants le soleil, sur quoi on lui donne des sous, en riant de sa sottise. 3) Dansen en Rhytmen, p. 67. „Zij zingen in biddend gebrom voor de zwijgende altaren; hun zangen die vallen in zware, hortende tempo's gestuwd op het commando van den ijzeren ritus, in 't galmend geklaag tegen de forsche wanden, terwijl onder de ronde kolommen grijnzen de zondige draken met ver-wijde monden en krommend machtlooze klauwen". 4) Cf. la fin de Mademoiselle Bistouri. „Seigneur, ayez pitie, ayez pitie des fous et des folles". 5) Dansen en Rhytmen, p. 135. „En op een morgen vroeg vonden de menschen haar dood liggen onder een heg, langs de weg, cf. la fin du Gueux: „Mais quand on vint pour l'interroger, au petit matin, on le trouva mort sur le sol. Quelle surprise !" 93 en prose". Peut-etre ces esquisses ne sont pas des poemes en prose proprement dits, tels que les a cre6s Baudelaire, mais de la prose qui se conforme autant que possible au rythme, plus que ne le fait ordinairement la prose hollandaise. Cette idee, je l'avais emportee de Paris" 1). Tout comme les symbolistes it visait a evoquer un etat d'ame, une emotion poetique, analogue a celle qu'il avait ressentie lui-meme. II s'ecartait de la description impassible, aux contours nets et precis, cherchant a rendre dans un langage emu, suggestif et rythme les sensations intimes de son ame. Aprês ses Dansen en Rhytmen Erens n'a plus rien publie dans ce genre. Des Tors it se consacre a l'etude de ses auteurs favoris, publiant sur eux des articles qui sont l'ceuvre d'une fine et profonde erudition. Dans divers recueils 2) se trouvent reunies ses reflexions et ses pensees qui decelent ses guilts et ses predilections. Ainsi, ce n'etaient ni Flaubert 3), ni Zola 4) qui l'attiraient, mais bien ceux qui aprês Baudelaire inaugurerent une nouvelle fawn de sentir et de comprendre la vie: Huysmans, Barres, Leon Bloy, Adolphe Rette, Mot-6as. Pour lui comme pour Diepenbrock ou Van Deyssel (celui d'apres 189o) le symbolisme etait le moyen d'echapper a la vulgarite, a la bassesse on l'art positiviste menacait de sombrer. 1) Den Gulden Winckel, 1916, p. 169. „Met Dansen en Rhytmen had ik voor doel het rhytme in den proza-stijl te fundeeren. Ik ben de eerste geweest om in 't Nederlandsch „poemes en prose" te geven . . . . misschien zijn die stukjes van D. et R. wel Been eigenlijke „poemes en prose", gelijk Baudelaire die schiep, maar proza, dat zich zooveel mogelijk conformeert aan het rhytme, meer dan het gewoon Hollandsch proza dat doet. Ik had die gedachte van Parijs mede gebracht". 2) Nous citons, parmi plusieurs, Literaire Wandelingen [Promenades Litteraires] (1906), Gangen en Wegen [Routes et sentiers] (1912), Toppen en Hoogten [Cimes et Sommets] (1922), Vertelling en Mymering [Recits et Meditations] (1922), Literaire Overwegingen [Considerations litteraires] (1924), Literaire Meeningen [Opinions littiraires] (1928) . 3) Voir son article sur SalammbO , De Nieuwe Gids, 1925, I, p. 40-48, ou it prononce cette opinion un peu bizarre sur Flaubert. Dans l'ceuvre de Flaubert, dit-il, l'amour a manqué; it eblouit, mais it n'êmeut pas; it se montre trop hostile a l'humanite; sa haine l'a empeche d'arriver a une vision du passe qui embrasse tout, vision ou l'aurait conduit une attitude plus indulgente; son point de vue êtait celui d'un critique, „le poke doit etre libre" (de zanger moet vrij zijn). 4) Cf. Toppen en Hoogten, p. 166. Erens met l'auteur d'A vau l'eau au-dessus de Zola; celui-ci reste „plus brillant", mais A Rebours, Lci-Bas, En Route, Certains „decelent plus de vie interieure; les idees et les figures qui s'y meuvent, ont un terrain plus large de sensations et de diversites" (Zij verraden meer innerlijk Leven en de ideeen en gestalten, die er zich in bewegen, hebben een ruimer terrein van sensaties en verscheidenheid), ibid., p. 167. 94 Sans doute son catholicisme ardent y etait pour beaucoup. L'emotion purement artistique ne lui suffisait pas; il cherchait en meme temps l'ëmotion religieuse, l'extase plutOt, cette sensation divine qu'on ressent en se repliant sur soi-meme, en se prosternant devant le Tres-Haut, sensation d'un ordre bien superieur, a ses yeux, a remotion purement esthetique. Cette tendance, si profonde en lui, explique comment vers la fin de sa vie, il sera de plus en plus attire par l'ceuvre des grands mystiques. Dans une langue harmonieuse et claire il traduisit les Confessions de Saint Augustin (en 1903) 1), Mijn Gevangenissen [Mes Prisons] (1905) de Silvio Pellico, Het Sieraad der Geestelij ke Bruiloft [L'Ornement des Noces spirituelles] (1917) de Ruysbroeck. Les Confessions etaient a ses yeux le genre ou l'auteur penetrait le plus avant en lui-meme. C'est pourquoi il applaudit fort a. UR het Leven van Frank Rozelaar [Pages de la Vie de Frank Rozelaar], espece de journal intime oil Van Deyssel, apres ses engouements naturalistes, avait decouvert son veritable moi. „ Qui aurait pu croire il y a vingt-cinq ans, alors que cet auteur, ennemi de tout recueillement, ne visait qu'a reproduire le beau ref let de la surface des choses, ne suivrait pas la voie de Zola et de Goncourt, mais qu'il entrerait dans le labyrinthe de la mystique" 2). „Moi-meme, disait-il un jour, j'aurais voulu faire quelque chose comme un simple journal, un journal de mon ame, a la maniere d' En Route de Huysmans, oil je me fusse exprime tel que je suis comme individualiste, avec mes sensations particuliêres, ce qui serait plus int6ressant que toutes ces oeuvres de la litterature, qui sont si peu senties" 3). Ainsi par ses gouts, comme par son temperament Erens se distingue de la plupart de ses contemporains. Par son contact kroit avec le groupe des „decadents", il fut ici un des premiers a s'enthousiasmer de leurs tendances. Si par son gout de la description pittoresque, il se 1) La premiere traduction de Saint Augustin qui a ete complete dans notre langue. En outre Erens fait une adaptation de l'Imitatio Christi de Thomas a Kempis (1907). 2) Cf. De Amsterdammer du 2 juillet 1911. ,,Wie had dat vijf-en-twintig jaar geleden kunnen voorspellen, toen deze auteur, wars van alle reflexie, slechts den schoonen weerschijn wou geven van de oppervlakte der dingen? Niet den weg van Zola en Goncourt heeft hij gevolgd, maar hij is binnengegaan het labyrinth der mystiek". 3) Den Gulden Winckel, 1915, p. 71 (interview avec Andre de Ridder). „Indien ik nog genoegzaam krachten kan houden, zou ik nog wel iets willen maken als een eenvoudig dagboek van je eigen ziel gelijk Huysmans' En Route, waarin je werkelijk precies je zoudt uitdrukken gelijk je bent als individualist, met al je eigenaardige sensaties, interessanter dan al die werken van de literatuur, die zoo weinig doorvoeld zijn". 95 rapproche de l'impressionnisme, it se revele par la majeure partie de son oeuvre comme un initiateur d'un art suggestif, eminemment poetique. Sans cesse a la recherche d'une Write, plus essentielle que celle des „faits" et des „documents", it inaugure une orientation nouvelle, celle qu'on discerne en meme temps chez Diepenbrock, Couperus (celui de Extase, de Psyche, de Fidessa), Van Deyssel, art auquel Van Eeden avait prelude par son Kleine Johannes [Le petit Johannes] 1). 1) De Kleine Johannes parait a partir de 1885 dans le Nieuwe Gids, voir la page 24, note 5. CHAPITRE III LE PESSIMISME MORAL Au chapitre precedent nous avons vu comment le realisme francais, par l'audace pittoresque de ses descriptions, avait ete pour les auteurs impressionnistes de chez nous une veritable source d'inspiration.Partant de ces exemples, ils s'attachaient a peindre la vie dans ses manifestations directes, avec le souci predominant d'une expression tout a fait originale. II y a pourtant chez eux, malgre leurs preoccupations essentiellement artistiques, une facon toute nouvelle de sentir et de comprendre la vie, une conception essentiellement materialiste, nee sans doute sous l'influence des iclees positivistes et des theories naturalistes qui ont le dessus en France. L'idee de l'homme domine par ses passions, en lutte perpetuelle avec la fatalitê de son destin, nous l'avons trouvêe dej à dans Een Liefde de Van Deyssel; Mathilde est un etre de chair et de sang, tourmente par ses desirs charnels, pousse par la voix obscure de ses instincts. Arij Prins, dans son ceuvre du debut, fait preuve d'un grand interet pour la vie miserable des ouvriers et des paysans que leur egoisme et leurs ignobles convoitises poussent aux actions les plus clegradantes. Netscher, egalement, est anime des memes preoccupations, tout en calquant ses idees et ses phrases sur le modele de Zola. Il n'y a au fond qu'un Erens ou un Delang 1) qui soient restes en dehors de toute doctrine naturaliste, trop exclusivement preoccupes par le desir hautement artistique de traduire dans une prose savante et rythmee la reaction des impressions et des sensations qu'ils recoivent du dehors. Mais aucun de ces auteurs ne sut atteindre l'ampleur, la grandeur de conception, en un mot le pathetique du roman francais en nous montrant l'homme dans sa 1) Delang, pseudonyme de Jan Hofker, traduisait avec un raffinement extreme ses impressions et ses pensees intimes; ses esquisses, publiees a partir de 1889 dans De Nieuwe Gids, seront recueilles sous le titre Gedachten en Verbeeldingen [Pensees et fantaisies] (1906) avec une preface de L. van Deyssel. 97 lutte infiniment dramatique contre l'avilissement et la cl6gen6rescence ou des forces obscures et implacables le feront sombrer. Or, cette conception d'une destinee fatale qui domine nos actes, nous la voyons se manifester plus expressement dans un groupe d'auteurs tels que Marcellus Emants, Louis Couperus, Aletrino, Frans Coenen, Johan de Meester, qui en se desinteressant des questions d'ordre purement esthetique, se mettaient, apparemment inspires par le roman francais, a etudier l'homme dans ses rapports immediats avec son ambiance, a le voir comme un etre dont le caractere, le temperament, la vie sont determines par diverses „influences" auxquelles it resiste en. vain. L'oeuvre de ce groupe d'auteurs a son accent propre qui immediatement les rapproche des grands romanciers francais contemporains. On distingue dans les deux litteratures, francaise et hollandaise, de cette heure une affinite de ton, une analogie dans la fawn de comprendre et de sentir la vie qui ne laisse pas de surprendre et qui fait supposer que le roman de chez nous s'est amplement nourri des idees et des themes que le roman francais avait abordes. Mais avant d'entrer dans un examen detaill6 des auteurs en question et afin de mieux comprendre l'epanouissement du roman naturaliste en Hollande, resumons les themes et les idees que les romanciers francais ont abordes avec tant de ferveur, quelle etait leur conception de la vie et de l'univers, a quelle philosophie ils obeissaient. Dans la periode allant de 186o a 187o une vague d'intellectualisme se repand sur l'Europe occidentale, qui se manifeste par un irresistible besoin d'examiner objectivement, sans idee preconcue, les causes profondes et eternelles de toute manifestation de la vie, de determiner rationnellement l'origine et les mobiles de nos actes. Surtout la biologie et l'anatomie jouissent d'un grand prestige et determinent une conception toute nouvelle de la vie; les sensations, les idees, les sentiments meme sont studies dans leur correlation avec certaines manifestations physiologiques; les doctrines et les theories des darwiniens et des evolutionnistes trouvent un acces facile, et suscitent partout le plus vif enthousiasme. L'espoir qu'on avait mis jusqu'alors dans la Foi fut transfers sur la Science; on croyait qu'elle allait devoiler tous les mysteres, resoudre toutes les enigmes, fonder sur des bases definitives le bonheur de l'humanite; it se degage des doctrines des utilitaristes ou des evolutionnistes une note essentiellement optimiste; on croyait au progres, on avait foi dans la puissance humaine, une grande confiance dans l'avenir. En France ces idees philosophiques et scientifiques ont ete d'une 7 98 influence profonde sur l'evolution du roman, qui devenait l'analyse tout objective, quasi-scientifique des manifestations de la vie. Le besoin de l'experimentation conduisait Zola et ses disciples a choisir des personnages particulierement soumis a leurs nerfs et a leurs instincts, frisant la brute; ils descendaient dans les bas-fonds sociaux, decrivaient toutes les formes du vice, de la degenerescence, de la nevrose. Ce sont des titres peu complexes, des faibles, des detraques qui obeissent aux instincts brutaux, des creatures sans energie qui subissent passivement la fatalite hereditaire. Le spectacle de la vie remplit l'auteur de degoilt et d'amertume; le monde s'etale devant lui avec toutes ses laideurs et toutes ses bassesses. Malgre l'optimisme de Zola, son oeuvre n'en respira pas moms un pessimisme profond et amer; it nous montre l'homme degrade au rang de l'animal, agite par ses bas instincts et ses appetits „bestiaux", asservi aux lois mecaniques et implacables de la nature. D'ailleurs Yid& d'une necessite fatale et inevitable semblait preoccuper tous les auteurs realistes de la deuxieme moitie du XIXe siècle. Balzac, Flaubert, Goncourt ou Zola presentaient l'homme comme un titre fatalement livre a des forces obscures, gull lui est impossible de vaincre. Aux yeux de Zola l'etre humain est avant tout une creature passive „incapable de reagir contre l'heredit6, souverainement domine par ses humeurs et ses nerfs". La volonte, la raison n'arrivent pas a vaincre les passions qui se manifestent comme des instincts primitifs; ici aucune lutte morale ne donne l'illusion de la liberte humaine; „Zola, disait Lemaitre, supprimait le libre arbitre, la lutte classique entre la volonte et la raison" 1). Au nom du positivisme les auteurs naturalistes nient les affirmations de la morale publique et religieuse; la seule certitude, c'est que tout aboutit a la mort, a l'aneantissement absolu; ii n'existe aucune preuve de survivance apres la mort; l'ame, dont les moindres mouvements relevent d'actes physiques, cesse d'être immortelle. Une etude approfondie des lois biologiques, l'influence des theories darwiniennes et transformistes detruit la prise du surnaturel sur les esprits; la conception des miracles n'est plus admissible; plus la science avance, plus on se perd dans le doute religieux et la mefiance; l'autorite de la Bible et de la religion est ebranlee. L'homme, d'apres les conceptions traditionnelles religieuses le centre de l'univers, perd sous l'influence des doctrines evolutionnistes son rang d'exception, sa souverainete divine. Au lieu d'une hiërarchie bien etablie des especes apparait un monde animal, se transformant sans cesse et soumis aux plus rigoureuses lois de la biologie. 1) Jules Lemaitre, Les Contemporains. Paris, Boivin & Cie., s.d., I, p. 257. 99 De plus „la vie etant un fait physiologique", l'amour perd son caractere divin de l'unite de l'homme et de la femme devant Dieu; les hommes sont des titres de sang et de nerfs plus encore que des Ames; l'amour nest que l'attrait physique qu'exercent l'un sur l'autre les deux sexes. La science aide a renverser les barrieres, a detruire les conventions qui defendaient jusque-la de traiter ouvertement, avec une entiere franchise, les rapports sexuels. Les auteurs francais ayant revendique avant tout le droit d'exprimer sans ambages leurs vues sur ces sujets, it n'est guêre douteux que ces tendances ont ete confirmees et accentuees chez nous par l'exemple de Zola et de ses disciples. Ainsi, malgre l'optimisme prononce des doctrines scientifiques et philosophiques et les perspectives heureuses qu'elles ouvraient sur l'avenir, ii se repand dans les Ames une tendance pessimiste qui, derivant tout naturellement des idees une fois acceptees sur l'univers et sur l'homme, ne tarde pas a se communiques au roman et a l'impregner de son amertume profonde. L'etat d'esprit qui se manifeste ici entre 1870 et 188o n'etait pas sans favoriser la penetration des idees et des conceptions nouvelles. Des le milieu du XIXe siècle certains symptOmes annoncent une attitude spirituelle qui sera generale vers la fin du siecle. Au premier chapitre nous avons cite les noms de ceux qui etaient sur ce point des figures representatives, Jacob Geel, Bakhuizen van den Brink, auxquels se joignent plus tard Van Vloten, Allard Pierson, Busken Huet, Multatuli. Nous avons vu comment Jan ten Brink,Van Santen Kolff, Frans Netscher se sont enthousiasmes devant le roman experimental de Zola, dont its s'etaient empresses de repandre et de propager les tendances scientifiques. Emants, des 1870, s'engoua de Taine qu'il ne cessa d'admirer et dont it se reclame a tout propos dans ses premiers ecrits. „La nouvelle generation de 1880, avait dit P.-D. Chantepie de la Saussaye, restait „thebrale", elle n'etait aucunement mystique, sa conception de la vie etait materialiste comme celle de la generation de 1848 a 1870, qui avait vecu de science, de critique, de doute, d'individualisme, tendance qui ne saurait etre vaincue, d'apres lui, que par la foi plus forte dans la realit6 d'un monde plus haut, et par une vie interieure plus profonde" 1), 1) P.-D. Chantepie de la Saussaye, Het mystieke in onze nieuwste letteren [L'dle'ment mystique dans la littdrature recente]. Handel. en Meded. v. d. Mij. der Ned. Letterk. to Leiden, 1899, p. 57. „Zij (de generatie van 1880) kwijnt aan de erfenis van het vorig geslacht, het geslacht van 1848-1870, dat geleefd heeft bij wetenschap, kritiek, twijfel, individualisme. Overwonnen kon dit slechts worden door een krachtiger geloof aan de werkelijkheid eener hoogere wereld, en door een dieper innerlijk leven". 100 opinion que nous trouvons egalement exprimee chez H.-P.-G. Quack, qui dit dans ses Herinneringen 1): „L'atmosphere oil je grandissais, etait rationaliste; ii n'y etait pas du tout question d'une force mysterieuse qui entourait et penetrant cette vie terrestre" et plus bas „Aux aspirations, aux plaintes, a la melancolie, aux prieres du cceur humain au Dieu vivant, a la soif de la Redemption — se manifestant parfois dans la contemplation et la meditation mystiques — se substituait un examen subtil, mais sec, des ecritures et des sources, une conception intellectuelle, un raisonnement dialectique extremement penetrant et une sorte de satisfaction ou de joie meme qu'on fut debarrasse des chaines des dogmes" 2). Les declarations de cette sorte se trouvent confirmees par les faits. L'examen critique et historique de la Bible, les articles de Scholten et de Kuenen qui attaquaient les dogmes, aboutirent a une nouvelle traduction de la Bible dans la fameuse Leidsche Vertaling [Traduction de Leyde]. Une autre manifestation du recul de la foi en la sup6riorite de revelation chretienne etait fournie par la publication encyclopedique de Kruseman, qui parut entre les annees 1865 et 1884 et on les „principales religions" etaient traitees „sur le pied d'egalite" par des savants de merite (Kuenen, Thiele, Dozy et Kern) 3). En 1856 se fonde une secte a tendances anti-religieuses, celle des Vrijdenkers (Libres-penseurs) qui s'inspiraient des decouvertes de la science et de l'exegese modernes. Its publient un organe special De Dageraad [L' Aurore] , portant la devise: „Magna est veritas et praevalebit". A leur premiere assemblee figuraient sur la table un globe, un telescope, un microscope, symboles de la science comme base de la religion 4). Multatuli (pseudonyme de Eduard Douwes Dekker) fut un de ses plus fervents adeptes et it peut etre considers 1) Herinneringen uit de levensjaren van Mr. H.-P.-G. Quack [Souvenirs de la vie de Me H.-P.-G. Quack] (1834-1913). Amsterdam, Van Kampen & Zoon 1913, p. 22. „Later in Holland was de atmosfeer, waarin ik opwies, rationalistisch getint; van het bewustzijn eener omringing en doordringing van dit aardsche leven door een mysterieuze kracht — geen sprake". 2) ibid., p. 35. „In plaats van de zucht, de klacht, den weemoed, de bede van het menschenhart tot den levenden God, in plaats van een smachtend verlangen naar verlossing — zij 't dan soms in mystieke contemplatie en meditatie — kwam een fijn doch nuchter onderzoek van schriften en bronnen, een intellectueele beschouwing, een uiterst scherpzinnig dialectisch geredeneer, en een soort van tevredenheid, voldaanheid of vreugde, dat men bevrijd was van de boeien der dogmen". 3) Cf. 0. Noordenbos, Het Atheisme in Nederland in de negentiende eeuw [L' Athdisme en Hollande au XIXe siecle]. Rotterdam, W.-L. & J. Brusse, 1931, p. 33. 4) Cf. Jan Romein, De Lage Landen bij de Zee, p. 61 5 , 616. IOI comme le precurseur des idees modernes; par la force et la nouveaute avec laquelle it exprimait ses opinions it eut aux environs de 187o et de 188o une influence enorme sur les esprits. Il haissait les dogmes, enseignait que la croyance aux miracles etait une absurdite, que le monde evoluait d'apres des lois fixes fondamentales. Il ne cessait de recommander l'etude de la physique, de l'histoire naturelle, mais defendait de s'occuper de metaphysique (geen bovennatuurkunde), ne voulant pas creer de nouvelles erreurs. Il mettait les recits de la Bible au meme rang que les legendes mythologiques, le Jahweh des Israelites a celui de Zeus, et exprimerait un jour son doute religieux dans sa fameuse Gebed van den Onwetende [La Priere de l'Ignorant] (1881). Cet etat d'esprit qui, comme on le sait, ne laissa pas d'alarmer vivement les predicateurs 1), trouva facilement acces auprês de la bourgeoisie intellectuelle. Grace a l'amelioration de la presse et a la reforme de l'enseignement secondaire elles se repandent ici Bien vite et elles seront, apres 188o, assez generales. On n'a qu'a feuilleter les premieres livraisons du Nieuwe Gids pour se persuader combien ses articles s'inspirent avant tout de la vie philosophique, scientifique, politique et sociale de l'heure 2). Van Deyssel n'avait pas tort de pretendre qu'aucun des Auteurs dei88o n'avait au fond echappe a l'influence du naturalisme, mot qu'il prend sans doute dans son acception la plus vaste, celle qui designe l'esprit meme du XIX e siêcle, debarrass6 du romantisme et qui comporte une etude objective et impartiale de la realite 3). 1) Ainsi le pasteur Ter Haar, alarme des theories darwiniennes, s'ecria avec horreur „Zou ik van verre u nog bestaan ? Gij ruigbehaarde Baviaan ?" (Serais-tu de mes lointains ancétres, 6, babouin hirsute). 2) Dans la premiere annee de cette revue bimestrielle vouee „aux lettres, a l'art et a la science" (Tweemaandelijksch tijdschrift voor Letteren, Kunst en Wetenschap) on trouve des articles consacres a la politique sociale de la main de M.-C.-L. Lotsy et de Ph. Hack van Outheusden, des articled scientifiques, entre autres une etude de Ch.-M. van Deventer sur la loi de Berthollet et la chimie moderne. Voir pour les details l'etude tres interessante qu'y consacre G. Stuiveling De Nieuwe Gids als geestelijk brandpunt [Le Nouveau Guide comme foyer spirituel]. Amsterdam, N. V. Arbeiderspers, 1935. 3) De Kroniek [La Chronique], 2 e annee, 1896, p. 35. „Il me semble que des auteurs qui se font connaitre entre 188o et 1885 et de ceux qui s'y rattachent immediatement, presque aucun ne soit reste complêtement en dehors de l'influence du naturalisme: Kloos, le poke sublime en ce qui concerne ses vers, en est loin, mais non pas en ce qui concerne sa vie intellectuelle et ses appreciations" (Het komt mij voor dat van de schrijvers, die met 1880—'85 zijn opgedaagd, en van hen, die zich daarbij onmiddellijk aansluiten, nauwelijks een enkele steeds geheel buiten den 102 On comprend que dans la complexite des influences (du roman francais, de la science, de la philosophie) qui agissent sur la naissance et revolution du roman naturaliste chez nous, it est difficile, sinon impossible, de demeler l'action proprement dite du roman naturaliste francais, de mesurer et d'apprecier cette activite dans sa fecondite et dans son apport particuliers. Tout ce qu'on peut dire, c'est que l'activite qu'a exercêe vers la fin du siecle dernier la litterature francaise sur la notre semble l'avoir emporte de beaucoup sur l'inspiration qu'elle pulse dans son ambiance spirituelle immediate. B. serait impossible de relever dans le roman hollandais des indices qui denoteraient, comme c'est le cas dans le roman francais, un rapport etroit avec les tendances scientifiques ou philosophiques que nous voyons se manifester alentour. Quant a sa naissance et a ses origines, notre roman s'oriente exclusivement sur la litterature francaise, qui par son indeniable autorite l'a impregne de son esprit et de ses tendances. Si l'influence des idees scientifiques et philosophiques, si faible soit-elle, s'est fait sentir dans notre roman naturaliste, elle lui est parvenue a travers le roman francais, action qui, it est vrai, n'aurait sans doute pas ete effective, si une transformation totale dans les conceptions n'avait pas particulierement favorise la penetration des nouvelles idees. Nous verrons comment dans l'ceuvre de ceux dont nous abordons l'etude dans ce chapitre, se manifeste un etat d'esprit qui est en tout analogue aux tendances pessimistes qui determinent et caracterisent le roman naturaliste en France. Cette sensibilite propre qui caracterise la litterature francaise et qui la distingue nettement, entre autres, de la sensibilite romantique au debut du siècle, a trouve ici un acces facile aupres d'un petit groupe d'auteurs. Autant que leurs devanciers ils se montreront egalement soucieux des problêmes que soulevaient avec tant de passion les romanciers francais; apres eux, ils abordent les themes de l'heredite et de l'influence du milieu, comme celui de l'amour dans ses rapports avec la physiologie; saisis d'horreur devant le degoiltant spectacle de la vie, ils s'attachent, comme leurs predecesseurs, a peindre le type de la grande misere humaine, victime de ses nerfs ou de ses mauvais instincts. invloed van het naturalisme gebleven is: Kloos, de sublieme dichter, wat zijn verzen aangaat wel, wat zijn overige intellectueele leven en waardeering aangaat, niet). On sait qu'Alphonse Diepenbrock, subissant l'influence des symbolistes, etait chez nous un des premiers a prononcer la „faillite" de la science; it reconnait, avec Novalis et Schopenhauer, la superiorite de la representation intuitive a la representation abstraite, de l'art et de la philosophie a la science", cf. son article Melodie en Gedachte [Melodie et Pensde], De Nieuwe Gids, 1891, I, p. 296 sqq. 103 Au premier chapitre nous avons vu combien la reaction qui s'elevait contre les nouvelles tendances dans le roman naturaliste, etait et restait vive; la franchise dans les peintures realistes, la hardiesse avec laquelle etaient traites les problêmes sexuels, ne laissaient pas de scandaliser l'opinion bourgeoise. D'autre part l'esprit materialiste et le pessimisme amer qui se cl6gageaient du roman naturaliste ne blessaient pas moins le bourgeois dans ses conceptions morales et religieuses. L'ic1.6e de l'homme, victime de ses passions les plus basses revoltait les esprits. Avant tout on clesirait etre console, edifie par ses lectures. D.-C. Nijhoff, qui en 1879 faisait Utrecht une conference sur Zola, regrettait qu'un auteur d'un si grand talent, contribuat a repandre, malgre lui, le mal qu'il depeignait; „ce qu'il y avait de sombre et de terrible dans son ceuvre, n'etait jamais adouci par l'esperance, la con fiance ou reclification" 1). A.-G. van Hamel egalement, reprochait a Zola de ne preter aucune attention aux influences „nobles". „Chez Zola ii n'est aucunement question d'une reaction contre cette fatalite par l'influence des facteurs ideals que l'education et le milieu peuvent offrir en grande quantite. De la vient que dans son ceuvre it ne figure que peu de personnages nobles, et que ces quelques personnages n'exercent presque aucune influence sur ces victimes malheureuses de l'hhedite" 2). L'ann6e suivante G. Valette ecrivait, a propos de Bouvard et Pecuchet: „Est-ce qu'il faut donc perdre courage, alors que deux imbeciles maladroits ne reussissent pas dans la vie. Flaubert n'a vu que la vanite de la lutte, non pas son profit, qui reste, quelque faible qu'il soit" 3). Ainsi, on se trouvait cruellement desoriente devant une litterature 1) Voir De Portefeuille du 29 novembre 1879, „dewijl het sombere en verschrikkelijke in zijn werken nooit verzacht wordt door de hoop, vertrouwen of verheffing". 2) De Gids, 188o, I, p. 356. „Van reactie tegen die fataliteit door inwerking der ideale factoren, welke opvoeding en omgeving in menigte kunnen aanbieden, is bij Zola zoo goed als geen sprake. Vandaar dat er zoo weinig edele personen in zijne werken optreden, en dat die weinigen bijna geen invloed uitoefenen op de ongelukkige slachtoffers der herediteit". 3) Nederlandsche Spectator, 1881, p. i6o. „Zouden we ons dan laten ontmoedigen, omdat een paar onbeholpen sukkels niet vooruitkomen. Flaubert zag slechts de doelloze strijd, niet den buit, den veelal kleinen buit, die liggen blijft". Comparez a ce desaveu l'opinion que prononca, quelques annees plus tard, E.-M. de Vogue sur Flaubert et son ecole (Le Roman russe, Avant propos, p. XXXIV): „Flaubert et ses disciples ont fait le vide absolu dans l'a,me de leurs lecteurs; dans cette ame &vast& it n'y a plus qu'un sentiment, produit fatal du nihilisme: pessimisme". 104 qui representait l'homme comme un etre domino par son milieu 1) et par ses instincts. D'apres les nouvelles conceptions, tout, dans la vie, semblait sans issue, tout y aboutissait a la decheance physique et morale 2). On se revoltait naturellement devant cet esprit de negation, cherchant a se &gager, cofite que cofite, de son action deprimante. Nous avons vu, comment, en 1885, les pasteurs protestants dans une reunion generale avaient unanimement eleve la voix contre ''influence demoralisatrice du naturalisme 3). On sait que, dans des brochures ou du haut de la chaire, l'ceuvre d'Emants et de Couperus etait ouvertement condamnee pour les idees anti-chretiennes qu'elle decelait 4). Ce n'est pas seulement dans les milieux orthodoxes et conservateurs que se faisait sentir la reaction 5); elle etait, surtout a partir de 1900, caracteristique de divers groupes d'auteurs. L'espoir de redonner a l'humanite une nouvelle destinëe, animait fortement l'ceuvre de Frederik van Eeden par exemple, qui ne cessait de s'elever contre les tendances pernicieuses d'une conception fataliste, materialiste de l'univers. Il se rattachait par la aux resistances qui se manifestaient depuis 1890 dans le roman de Paul Bourget, d'Edouard Rod, d'E.-M. de Vogue. „Je hais Zola, disait Van Eeden, bien que je voie en lui un homme puissant, formidable, mais il est hostile a ma volonte" 6). „Par l'observation exacte, par l'analyse subtile, par la force de l'expression on n'est pas encore 1) Dans le roman Graaf Pepoli [Le comte Pepoli] (1860) de Mme Bosboom-Toussaint par exemple le heros finit par triompher de 'Influence desastreuse de son milieu; il s'en degage, surmontant les obstacles, cf. F.-H. Fischer, Studien over het individualisme in Nederland in de 19e eeuw [Etudes sur l'individualisme en Hollande au XIXe siêcle]. Bergen ep Zoom, 1910, p. 121. 2) Pour bien comprendre l'oeuvre destructrice que faisaient sur les Ames ces „romans de la (Waite", nous renvoyons a l'etude que consacre Paul Bourget a l'ceuvre des Goncourt, dans le second volume de ses Essais de Psychologie contemporaine; voir aussi la preface aux Essais oil il indique les causes de cette vision pessimiste de l'univers, qui est caracteristique de son époque et a laquelle il aurait voulu porter remêde. 3) Voir no tre etude, p. 24. 4) Voir Henri van Booven, Louis Couperus. Velsen, Schuyt, 1933, p. 147. 5) Il va sans dire que le genre traditionnel, qui s'inspirait des conceptions chretiennes, n'en persistait pas moins sous la surface, formait un courant sous-jacent; au point de vue de la litterature le roman „bourgeois" etait mort et il ne revivra plus- sans s'etre rajeuni et revigore a l'exemple du roman contemporain moderne. 6) Cite dans G. Kalff Jr., Frederik van Eeden, Psychologie van een Tachtiger [Frederik van Eeden, psychologie d'un Auteur de 188o]. Groningen, Wolters, 1927, p. 81. „Ik haat Zola, wanneer ik tegen hem opzie, een machtig en geweldig mensch, maar vijandelijk aan mij nen wil". 105 grand artiste; peut-titre un grand savant, un psychologue artistique mais pas un artiste, un poete, un homme bon parmi les meilleurs des hommes"1). A lui devait bientOt se joindre le poete Albert Verwey. En 1905, prefacant son nouvel organe De Beweging [Le Mouvement] ii ecrivait que le naturalisme avait survecu a soi-merne depuis dix, seize ans, et que l'impressionnisme avait abouti a un art oil toute fusion profonde de Fame artiste et humaine faisait defaut" 2). Il allait jusqu'a predire un avenir meilleur, mettant toute sa confiance dans „Fhomme, qui de passif etait devenu actif, qui d'un organisme sensuel et nerveux s'etait transmue en un esprit pensant et createur. Ce fait, disait-il, signifie une amelioration magnifique, un renouveau, un gain et une perspective de possibilites, non seulement pour notre art, mais pour toute notre vie" 3). Presque tous ceux qui commencent a ecrire avec le siecle naissant, Carel Scharten, Nico van Suchtelen, Herman Robbers 4), Dirk Coster et Just Havelaar 5), les auteurs socialistes Adama van Scheltema, Henriette 1) Studies, I, p. 127. „Door nauwkeurige waarneming, door fijne zielsontleding, door kracht van uitdrukking is men nog geen groot kunstenaar, misschien een groot geleerde, een artistiek psycholoog, maar geen kunstenaar, geen poeet, geen goed mensch onder de besten der menschen" Comme De Meester, Van Eeden semble plus tard s'enthousiasmer de Romain Rolland, avec qui it correspondait. „Il m'avoua, disait Adrienne Lautere (Le Monde Nouveau, 1920, p.2139) que Romain Rolland l'avait reconciliê avec la litterature francaise". 2) Albert Verwey, Proza [Prose]. Amsterdam, Van Holkema & Warendorf en Em. Querido, 1921, II, p. 48. „Waar iedere diepere eenheid van het dichterlijk en menschelijk weten buiten bleef". 3) Cite dans De Raaf en Griss, Stroomingen en gestalten [Courants et figures]. Rotterdam, Brusse, 1931, p. 500. „De Mensch die tusschen Natuur en Kunst staat is anders geworden. Hij werd van lijdzaam werkdadig, van weergevend voortbrengend, van zin- en zenuworganisme denkende en verbeeldende geest. Dit feit beteekent een prachtige verbetering, een vernieuwing en aanwinst en een vergezicht van mogelijkheden, niet enkel voor onze kunst, maar voor ons heele leven". 4) Robbers (1868-1937) reste dans la tradition „naturaliste" en decrivant dans son Roman van een Gezin [Le Roman d'une Famille] l'histoire d'une famille qui „se &fait". Seulement it se plait a consacrer une large place aux „sentiments sublimes" quand it les decouvre dans l'homme. C'est chez les rêalistes francais qu'il disait avoir trouve l'amour de l'humanite. „Ce que j'aime le plus chez les Francais, chez Balzac surtout, c'est la tendre et chaleureuse humanite, le culte de la femme, la tendresse pour les enfants, mais aussi pour l'homme la faculte de penetrer dans la profondeur de Fame humaine; tout cela je le trouve avec plus d'intensite encore chez certains auteurs hollandais, mais ce sont les Francais qui nous l'ont appris." Voir Revue de Hollande, juillet 1916, p. 72. 5) Ces deux derniers fonderont, en 1921, De Stem [La Voix], revue a tendances ethico-humanitaires. io6 Roland Hoist sont animes du meme optimisme, d'une meme confiance dans l'humanite. L'homme est rehabilite; ii n'est plus l'etre qui obeit a ses instincts, a une volonte obscure; abandonnant son attitude de passivite il se consacre a l' action, a la lutte, au noble effort de „monter", de reconquerir sa liberte. C'etait P.-N. van Eyck, disciple de Verwey, qui dans son introduction a sa revue Leiding resumait admirablement ces tendances nouvelles, en disant: „Nous protestons contre la croyance dans la causalite absolue des phenomenes, contre l'abn6gation et l'inactivite passive de l'esprit humain; nous condamnons leurs consequences, qui se font presque partout sentir de nos fours, l'anarchie, l'arbitraire, la confusion, le desarroi, la dissolution. Partout oil l'homme reussit a s'assujettir le flux passif-causal des phenomenes et a les transformer en un nouvel ordre vivant, conformement a son destin, nous honorons l'esprit dans sa plus haute activite, sa force creatrice" 1). C'est alors qu'on peut dire que la litterature naturaliste, en tant qu'il faut voir en elle une „litterature de la defaite", est morte. Grace a diverses influences, l'esprit de defaitisme est vaincu, le type du heros naturaliste sans foi, sans espoir, pousse parses passions cesse de peupler notre roman, ne survivant que chez quelques rares auteurs. J. Everts Jr., qui dans Uit het leven van een hypochonder [De la vie d'un hypochondre] (1907) semble avoir ete impuissant a rendre vivant le drame du d6saxe, du maniaque hypernerveux, atrabilaire, en a fait, malgre lui, une grotesque parodie. Bien superieur a lui, d'une maitrise incontestable etait J. van Oudshoorn 2). C'est a lui que nous devons deux excellents romans, Willem Mertens Levensspiegel [Miro& de la Vie de Willem Merten] (1914) et Louteringen [Purifications] (1916), oil avec une audace sans pareille l'auteur &voile les mobiles les plus diaboliques des actes humains. Willem Mertens Levensspiegel est la biographie saisissante d'un jeune homme, heriditairement tare, qui dans des aventures scabreuses cherche l'oubli de sa miserable existence; incessamment tourmente par de troublantes hallucinations, ii finit par sombrer dans la Folie (in het Andere). 1) Leiding [Direction], ' ere annee (1930), I, p. 2. „Het geloof in de volstrekte oorzakelijkheid der levensverschijnselen, de daaruit volgende keur- en werkloos lijdelijke verzaking van de menschelijke geest, wijzen wij af; hun gevolgen, de heden ten dage bijna allerwegen waarneembare anarchie of willekeur, verwarring, verslapping of ontbinding, veroordeelen wij. Overal waar de mensch er in slaagt de lijdelijk-oorzakelijke vloed der levensverschijnselen aan zich te onderwerpen en overeenkomstig zijn bestemming tot een levende orde te herscheppen, daar eeren wij de geest in zijn hoogste werkzaamheid, zijn vormkracht". 2) Pseudonyme de J.-K. Feylbrief (ne en 1876). 107 Cette sensation, l'auteur en a suggere la fascinante oppressior_ avec un veritable talent par oil it egale quelquefois l'auteur des Chants de Maldoror. Par son style, sa conception du monde ii se rattache aux auteurs que nous allons traiter dans les chapitres suivants, rappelant notamment Marcellus Emants, de qui ii semble tenir son gout du cas pathologique et sa penetration psychologique. MARCELLUS EMANTS (1848-1923) Ne a Voorburg en 1848, Emants parcourt le lycee de La Haye, fait des etudes de droit a Leyde. De bonne heure déjà it se decouvre un gout irresistible pour les lettres; it se lie avec un petit groupe de litterateurs qui, aux environs de 187o, font autorite, Smit Kleine, Jan ten Brink, Andre Jones, Van Santen Kolff. Sous la redaction de Smit Kleine ils fondent en 187o une petite revue mensuelle Quatuor, „editee par la societe du meme nom" 1). Le periodique, qui n'aura qu'une existence ephemere (187o—'71), n'obeit a aucun programme nettement circonscrit. Ceux qui y collaborent ne visent qu'a. commenter dans ses colonnes les problemes du jour. C'est ainsi qu'on traite celui du roman idealiste et du roman realiste, question qui commencait a passionner les esprits depuis qu'en France se manifestait, a partir de 186o environ, une facon nouvelle de comprendre et de sentir la vie. Emants surtout mene avec passion les debats, sans se declarer ouvertement ni pour l'un ni pour l'autre genre. Tout en appreciant les avantages des deux tendances litt6raires, it hesite a se prononcer d'une fawn categorique; la solution qu'il nous suggere, tient plutOt du compromis. On goiltait fort ici, cette heure-la, le realisme sentimental et humoristique de Dickens et de Thackeray. Emants, dans ses jeunes annees, ne s'ecarte guere des appreciations generales et consacre a Dickens, a l'occasion de sa mort en 187o, un article tres elogieux, ou it dit: „Son but n'etait pas de nous peindre dans sa nudite, jusqu'aux plus infimes details, ce qui est laid et &gallant. Au contraire! Dickens avait compris que le choix du sujet qualifie en premier lieu l'auteur et que la Write dans la reproduction doit etre un merite de second ordre 2). Evidemment it fait ici allusion 1) Quatuor, maandblad uitgegeven door het gezelschap van dien naam. 2) Quatuor, juillet 187o, p. 35. „'t Was zijn doel niet het slechte en afzichtelijke in al zijn naaktheid, tot in de kleinste bijzonderheden getrouw to schilderen — Integendeel ! Dickens begreep, dat de keuze van onderwerp vooreerst den kunstenaar kenmerkt en dat de waarheid der voorstelling zijne tweede verdienste moet zijn". 108 aux tendances qui, depuis Flaubert, se faisaient sentir dans le roman francais et qu'il est loin d'admirer. Dans l'article De Negentiende Eeuw [Le vingtieme siêcle], qui est de 1871 1), it blame sevêrement „le courant realiste qu'on a vu naitre en France et qui ravale l'art a une copie fidele de la nature, qui perd de vue le beau et qui ne cherche sa matiere que dans la platitude et l'immoralite 2), evoquant sous ce rapport le nom de Flaubert, dont les romans ne semblent trouver aucune grace a ses yeux 3). D'autre part le roman idealiste ne semble pas avoir son entiêre sympathie; it reproche a ses auteurs d'être artificiels, et leur conseille de rester plus „naturels". „L'exemple eternel reste la nature, dit-il, heureux celui qui s'en rapproche le plus" 4). Ce qu'il preconise, c'est qu'ils soient idealistes dans le choix de leur sujet. „C'est dire que l'aspiration a ce qui est eleve, a ce qui est beau — tendance qui n'a cesse de se manifester dans la nature — doit etre votre seul precepte; alors vous ne vous ecarterez pas trop de la bonne voie. Mais une fois le sujet choisi, it faut etre realiste dans la peinture" 5). Cependant it se mefie des predictions de ceux qui annoncent la fin de l'art, „maintenant que la gloire de la science est venue"; it va meme 1) Quatuor, 1871, p. 9-13. 2) art. cit., p. 13. „Het realisme verlaagde zich spoedig door het schoone uit het oog te verliezen en zijne stof slechts in platheid en onzedelijkheid te zoeken", ibid. p. 13. 3) ibid., p. 13. „Men denke slechts aan de romans van Flaubert !" (Qu'on se rap- pelle seulement les romans de Flaubert). Plus tard (en 1915), dans une lettre a M. P. Valkhoff, Emants dit admirer beaucoup Madame Bovary qu'il aimerait a nommer „son roman ideal, parce que ce travail etait aussi impersonnel que possible. Je comprends tres bien, qu'une oeuvre parfaitement impersonnelle ne puisse exister .Le createur se revêle dans sa creation. Mais la tendance de l'ecrivain doit aller a faire vivre ses figures aussi objectivement que possible. Cette tendance, je la decouvre dans Flaubert et c'est pourquoi je l'estime fort" (Madame Bovary van Flaubert zou ik mijn ideaal-roman durven noemen, omdat dit werk zo onpersoonlijk mogelijk is. Ik begrijp zeer goed, dat volkomen onpersoonlijk werk ondenkbaar is. De schepper openbaart zich in zijn schepping. Maar het streven van den schrijver moet zijn zo objektief mogelijk zijn personen te laten leven. Dit streven vind ik in Flaubert en daarom stel ik hem hoog". Voir aussi Revue de Hollande, III, p. 68. 4) Een Tweetal Brieven [Deux Lettres], signees Alleh, Quatuor, 1870, p. 42. „Het eeuwig voorbeeld blijft de natuur — gelukkig hij die er het meest nabijkomt". 5) ibid., p. 50. „Wees idealist in de keuze van uw onderwerp, d.i. laat het streven naar hooger, naar schooner, dat in de natuur altijd merkbaar is geweest, laat dit streven uw richtsnoer zijn en gij zult in uwe opvatting niet ver van den goeden weg kunnen afdwalen. Maar begeeft gij u eenmaal aan de uitvoering van het gekozen onderwerp, wees dan realist". 109 jusqu'a prophkiser un art nouveau, inspire des nouvelles tendances scientifiques, tout en se gardant bien de predire le caractere de cet art et de l'epoque qui allait venir, „encore couverte d'un voile impenetrable" 1). Deux ans aprês, dans un article intitule Bergkristal [Cristal de roche] (1872), nous voyons qu'il a sensiblement evolu6 et qu'il se rapproche, dans ses conceptions d'art, des theories de Taine, dont it s'inspire 6videmment pour signaler l'intime rapport qui existe entre l'art et la science. Il est le premier chez nous a reclamer que l'art comme la science ait a se delivrer des „liens embarrassants", des dogmes religieux et de la morale, qui ne font que tyranniser Part et entraver son libre developpement. „Le dogme devait bannir la pensee libre, le mot d'un pretre reprimait la raison qui cherche" 2). Mais un jour le progres, la pensee libre triompheront, un jour la science et l'art prendront la place de la doctrine de l'eglise et du culte exterieur" 3). L'etroitesse d'esprit qu'il decouvre autour de lui le gene et le pousse a decouvrir, hors de nos frontieres, de nouvelles voies. „Dans le cosmopolitisme, dit-il, repose l'avenir que prepareront l'art et la science. La seulement se trouve la force qui finira par maintenir la civilisation, qui detruira les prejuges et la mesquinerie et qui empechera que la force commune ne soit paralysee par la discorde intestine" 4). C'etait sa probite d'artiste intransigeant et consciencieux, revolte par tout ce qui sentait la convention et la fausse rhetorique, qui lui fit prononcer ces opinions toutes modernes, dont la nouveaute et la portee 1) Quatuor, mars 1871, p. 13. „Wij kunnen met zekerheid voorspellen dat ook haar (de kunst) op de nieuwe baan een nieuw leven wacht. Doch wat het karakter dier kunst, wat in het algemeen het kenmerk van dien tijd zal zijn, is nog met een ondoordringbaren sluier bedekt". 2) Spar en Hu1st [Sapin et Houx], 1872, p. 16. „Het dogma moest de vrije gedachte verbannen, het machtwoord eens priesters drong het zoekend verstand terug". 3) ibid., p. 18. „Maar eens zal de vooruitgang, de vrije gedachte triomfeeren, eens zullen wetenschap en kunst de plaats van kerkleer en vormendienst innemen". Il n'est pas impossible que ces idees se soient formes chez lui sous l'influence de Multatuli ou de Heine, l'homme qui a eu, d'apres lui, la plus grande influence sur ses pensêes. (de man, die het meeste invloed heeft gehad op mijn denken, is Heine), voir De Mannen van '8o, p. 139. 4) ibid., p. 57. „In het cosmopolitisme ligt de toekomst, die kunst en wetenschap zullen bereiden. Daarin alleen ligt de kracht, die de beschaafde wereld op den duur zal kunnen in stand houden, die vooroordeel en kleingeestigheid zal vernietigen, en verhinderen zal dat de gezamenlijke kracht door inwendige verdeeldheid vernietigd worde". II0 semblent lui avoir 6chappe a lui-meme 1). Il devait tout naturellement se sentir attire vers un mouvement d'art qui proclamait les principes de verite et de liberte comme les seules directives valables. „Etre vrai" 2), sera desormais la devise dont it ne va plus s'ecarter. En 1877, dans un article intitule Kunst [De l' Art], 3) ii declarait nettement que l'esthetique, „pour arriver a des resultats pratiques", devait s'inspirer des principes et des methodes scientifiques sans l'aide desquels on ne saurait esperer aucun progres de l'art. Il reclame la libert6 de l'artiste en lui recommandant de ne pas se preoccuper des conventions et du gout du public. „L'artiste sera d'autant plus grand et plus libre qu'il n'aura pas a se soucier du public, qu'il travaillera plus pour lui-méme que pour un spectateur imaginaire" 4). En 1879 it avait debute par Een Drietal Novellen [Trois nouvelles] 5) qu'il faisait preceder d'une preface, remarquable au point de vue de ces conceptions d'art, oil it pretend se justifier contre les mauvaises et injustes attaques de „certains cotes". Une de ces nouvelles, Het Avontuur [L' Aventure], destinee a paraitre dans De Banier 6) avait ete refusee, ayant vivement inquiete les redacteurs qui craignaient de perdre comme abonnes a leur revue „les honorables dames administratrices des societes de lecture distinguees" 7). Emants ne s'expliquait pas comment on saurait titre offusque de quelques termes hardis, si la peinture des personnages et des situations le necessitait. „Het Avontuur se fonde sur une esquisse d'aprês nature et, de ce qui etait banal ou plat je n'ai retenu autant que cela m'a paru indispensable pour caracteriser les personnages et les situations. La responsabilite de la platitude ou de l'elevation de 1) De Mannen van '8o, p. 136. „En toen zeiden de menschen tot mijn verbazing: dit is iets nieuws" (A ma grande surprise on qualifiait cet article de quelque chose de nouveau). 2) De Gids, 1889, II, p. 55o (art. Pro Domo), „De artiest moet waar zijn, waar tegenover zichzelven". 3) Voir De Banier, 1877, III, p. 129-145. 4) ibid., p. 144, 145. „Des te grooter en des te vrijer de kunstenaar is, zal hij zich minder om het publiek bekommeren en meer voor zich zelven dan voor een denkbeeldigen toeschouwer werken". 5) Een drietal Novellen, W.-C. de Graaff, Haarlem, 1879. 6) De Banier [La Banniêre], periodique qui se distinguait par ses tendances fort avancees pour l'epoque et dont Emants fut le redacteur, de 1875 a 188o, avec Smit Kleine et Van Santen Kolff. 7) Preface des Trois Nouvelles, p. V. „Het „avontuur" bestemd voor De Banier, teruggenomen om de gemoederen van fatsoenlijke dames, bestuurderen van deftige leesgezelschappen niet te verontrusten". III ces types ou de ces situations incombent peut-etre au public ou se trouve incame cet esprit de l'epoque, et non pas a celui qui lui presente son miroir pour qu'il s'y reconnaisse" 1). La meme annee parut de sa main un article intitule Schoonheid [Le Beau] 2), espece d'apologie de la liberte dans l'art, oil Emants s'exprime avec plus de nettete encore que dans la preface sur le role et la mission du „naturaliste". Pourvu qu'on s'attache a chercher la Write, declare-t-il, it sera permis a l'artiste de choisir librement sa matiere et de la traiter sans fausse honte, sans se soucier des conventions et de l'opinion des pretendus bien-pensants. „Dans l'ceuvre d'art, ce qui est repugnant peut etre decrit comme un „detail n6cessaire" 3). „L'experimentateur qui satisfait dans la pourriture a son gout de l'etude, n'eprouvera au moment oil it fait une decouverte importante, aucune sensation d'horreur. Le plaisir qu'eprouvera l'amateur d'art qui sait apprecier la grandeur puissante de L'Assommoir ne sera aucunement 0,16 par la scene si necessaire de l'ivresse de Coupeau" 4). C'est par amour de la pretendue objectivite qu'il louait avant tout Tourgueniev, a qui it consacre un article bien elogieux 5). Il le mettait meme au dessus de Zola, l'admirant pour son talent d'observer dans ses peintures la plus stricte impartialite „sans qu'on voie percer une note d'antipathie ou de sympathie envers ses personnages". Tourgueniev ëtait d'apres lui l'initiateur de cette litterature qui se propose de penetrer „le scalpel a la main", le plus profondement possible dans la nature humaine 6). Plus expressement encore qu'avant, Emants reclame un art qui s'inspire des memes principes que la science. „L'avenir de la litte1) ibid., p. X. „Het avontuur steunt op een schets naar de natuur, en van het platte en gemeene heb ik slechts zooveel overgehouden, als mij onontbeerlijk scheen voor de karakteristiek van personen en toestanden. De verantwoordelijkheid voor de platheid of verhevenheid dier typen of toestanden komt misschien op het publiek, waarin die tijdgeest belichaamd is, niet op hem die het zijn spiegel voorhoudt". 2) De Banier, 1879, III, p. 381-401. 8) ibid., p. 396. „Het weerzinwekkende kan dus als een noodzakelijk detail in het kunstwerk geduld worden". 4) ibid., p. 390. „De onderzoeker die in verrottende stoffen zijn studielust bevredigt, zal, op het oogenblik dat hij een belangrijke ontdekking doet, geen gevoel van walging bespeuren. De kunstvriend die een machtig werk als L'Assommoir weet to waardeeren, zal op het oogenblik, dat hij er de voile grootheid van beseft, niet in zijn geest gehinderd worden door het bekende en zeer noodzakelijke tooneel van Coupeau's dronkenschap". 5) Nederland, 188o, I, p. 107-160. 6) ibid., p. i6o. 112 ture dependra du concours entre l'art et la science qui progresse de nos jours a pas de geant. L'art doit aller de pair avec la science, s'il ne veut pas etre considers comme une chose de nulle valeur" 1). La methode de l'examen minutieux et impartial des documents et des faits devait tout particulierement convenir a sa passion de l'analyse et de la construction logique. Des lors ii met toute sa foi dans la science ou plutOt dans la methode scientifique. C'est avec une profonde conviction qu'il defendra encore le point de vue de l'objectivite dans l'art, dans un article, intitule Pro Domo 2) oil it expose ses opinions sur le but de l'art et l'attitude de la critique. Sous peine de rester en arriere, l'artiste doit, bien qu'il ne soit pas physiologue, prendre connaissance des resultats que viennent acquerir les recherches des savants; it est oblige de s'approprier tout ce qui peut contribuer a une plus grande solidite de son oeuvre" 3). Il blame l'auteur qui vise a introduire dans son oeuvre des episodes „edifiants", qui tend a faire des concessions a la morale et a se conformer au gout du public. Its tordent le cou a la verite, dit-il, et donnent une image fausse et embellie de la vie 4). Cependant Emants s'eleve contre ceux qui pretendent faire une copie fidele de la realite; it a tres bien compris qu'une peinture objective, dans le sens le plus strict du mot, est impossible; l'artiste ne peut jamais 1) art. cit., p. 109. „In onzen tijd gaat de wetenschappelijke ontwikkeling met reuzenschreden vooruit, en moet dus ook de kunst zich met de wetenschap verzoenen, wil zij niet als een onding veracht worden en bespot". Dans le meme article Emants se defend, sans les nommer, contre ses adversaires qui ont attaquê sa conception de la vie. „Le pessimisme n'est pas, dit-il, une affaire de sentiment, mais de raison, resultat de l'observation et qui trouve son appui dans le raisonnement. Il (le pessimisme) enseigne que dans le monde la souffrance domine et dominera le plaisir, que le monde a un but ou ne mene que la souffrance, et que tout homme vivant doit collaborer, en son domaine, a l'evolution de l'humanite" t Het pessimisme is geen gevoels- maar een verstandszaak, uit waarneming ontsproten en door redeneering gesteund. Het beweert dat in de wereld het leed het genot overheerst en zal blijven overheersen, dat het leven een Joel heeft hetwelk slechts door het lijden te bereiken is en dat ieder, die leeft, op zijn gebied, tot de ontwikkeling van het menschdom medewerken moet, art. cit., p. 148), idees auxquelles it resta toujours fidele et qu'on retrouvera plus tard chez Johan de Meester par exemple. 2) De Gids, 1889, II, p. 527-550. 3) ibid., p. 547. „Ofschoon zelf geen physioloog, moet de artiest, op straffe van bij zijn tijd ten achteren te blijven, kennis nemen van de uitkomsten waartoe het onderzoek de mannen van de wetenschap heeft geleid, en is hij verplicht zich daarvan toe te eigenen al, wat aan zijn werk een grootere hechtheid kan bijzetten". 4) ibid., p. 537. 113 „depouiller" sa personnalite; toute oeuvre d'art Porte les marques visibles du maitre qui la cree. „Nous sommes, dit-il, assujettis a nos representations, et nos representations relevent de notre organisme, tandis que l'image qui se produit n'a pas plus a faire avec la veritable nature que le baton refracte que nous remarquons dans l'eau avec le baton droit que nous y plongeons. C'est que l'artiste ne fait aucun effort pour copier la r6alite" 1). Et d'apres la formule naturaliste it definit l'oeuvre d'art comme „l'effort couronne de succes de l'artiste d'eveiller egalement dans l'esprit du spectateur ou de l'auditeur l'impression qu'il avait revue de la nature" 2). Si d'une part Emants devait, par son dedain inne des conventions et des conceptions traditionnelles, etre singulierement attire par la pretendue impartialite avec laquelle la science et le roman francais avaient aborde les grands problemes de l'humanite, principes qu'il sera tout pret, comme nous le verrons, a faire valoir dans son oeuvre, d'autre part le positivisme de Taine ne manquait pas d'exercer un grand attrait sur cet esprit qui, par sa propre orientation, serait tout dispose a lui emprunter ce que sa doctrine renfermait de nouveau quant a la fawn de voir et de comprendre le monde 3). Deja dans l'article Bergkristal (1872) on a pu remarquer revolution vers une conception de la vie qui s'oppose aux conceptions traditionnelles et qui rêsulte evidemment du besoin d'envisager les problemes de la vie d'un oeil impartial. Le positivisme qui, liber6 des vieilles doctrines spiritualistes, se proposait de comprendre l'homme et d'expliquer sa raison d'être par la voie du fibre examen et de l'etude impartiale des faits, devait tout particulierement seduire un esprit rationaliste, tendant a trouver, par le raisonnement 1) De Banier, 1877, III, p. 133, 134 (art. Kunst). „Het blijkt dat wij niet in staat zijn zuiver objectief datgene na te bootsen wat wij de werkelijkheid noemen en dat dus het realisme streng opgevat niet bestaan kan. Wij zijn aan onze voorstellingen gebonden en die voorstellingen zijn aan ons organisme gebonden, terwijl het beeld, dat zich in ons vormt met de ware natuur der dingen even veel en even weinig te maken heeft als de gebroken stok dien wij in het water aanschouwen met den rechten dien wij erin steken. — De kunstenaar poogt n.l. volstrekt niet de werkelijkheid na te bootsen". 2) ibid., p. 134, 135. „Het kunstwerk is de geslaagde poging van den kunstenaar om den indruk, dien hij van de natuur ontving ook in het brein van den toeschouwer of toehoorder te doen ontstaan". 3) Emants correspondait avec Taine (aussi avec Tourgueniev); Van Santen Kolff, collectionneur d'autographes possedait une lettre de Taine a Emants, une „lettre d'ordre philosophique de quatre pages" (een philosophische, van 4 zijdjes), voir S.-P. Uri, Arij Prins, p. 42. 8 "4 meme la solution des grands problemes de la vie qui le hantaient 1). Il mit a profit les lecons de Taine, qu'il ne cesse d'etudier. Deja dans sa preface aux Drie Novellen il le cite, tenant a se nommer „naturaliste", pour donner son adhesion a ce que Taine attribue a Balzac. „Aux yeux du naturaliste, l'homme n'est point une raison ind6pendante, supêrieure, saine par elle-meme, capable d'atteindre par son seul effort la verite et la vertu, mais une simple force, du meme ordre, recevant des circonstances son degre et sa direction" 2). C'est de lui egalement qu'Emants accepte aisement l'idee que l'homme est le produit fatal de son milieu et de ses dispositions hereditaires, que l'heredite et les circonstances, education, milieu, climat decident de la personnalite, theorie qu'il developpe avec enthousiasme dans son article Pro Domo. Ce qui, dans la philosophie de Taine, l'a tout particulierement retenu, c'est le cote essentiellement pessimiste, la tendance a regarder l'homme comme un etre fatalement abandonne a des forces qu'il n'arrivera jamais a vaincre, qui le predestinaient, par leur fatalite meme, a une fin essentiellement tragique. „L'art, dit-il, s'est debarrasse des preceptes de la convention par une conception plus scientifique de la nature et les anges comme les diables palissent devant la lumiere brillante de la n6cessite" 3). Citant la fameuse phrase „ le vice et la vertu sont des produits comme le vitriol et le sucre", il la fait suivre de toute une explication des theories tainiennes et de leurs consequences. Comme Taine, Emants est convaincu que „toute action humaine est la reaction necessaire de l'individu a 'Influence du monde ambiant" 4). A tout moment de sa vie l'homme reste „le resultat" de la longue serie de ses antecedents et des circonstances oil se developpe son individualite comme „le dernier maillon de la chaine" 5). 1) Emants qui, en 1871 encore, professe dans un petit poeme sa foi dans une puissance superieure et eternelle, semble, evidemment sous la suggestion de ses lectures, s'étre assez brusquement converti a la libre-pensee; dorenavant il cesse de croire a aucun finalisme, rejette toute croyance en un Dieu sauveur, evolution qui par sa rapidite et son imprèvu ne laissa pas de surprendre ses amis memes. 2) Drie Novellen, pref. p. VI; voir ''etude de Taine sur Balzac (1858), Nouveaux Essais de critique et d'histoire, ed. Hachette, p. 48. 3) De Gids, 1889, II, p. 543. „De kunst is door een meer wetenschappelijke natuurbeschouwing aan de voorschriften der conventie ontgroeid en zoowel de engelen als de duivelen verbleeken voor het stralend licht der allesbeheerschende noodzakelij kheid". 4) ibid., p. 545. „Elke menschelijke handeling is de noodzakelijke reactie eener individualiteit op de inwerkingen van de wereld, die haar aangeeft". 5) ibid., p. 545. „De mensch blijft in elk oogenblik zijns levens het resultaat van de "5 Dorenavant l'artiste aura a choisir ce qui est earacteristique de certaine region et de certain moment, de tel pays ou de telle race; il n'aura qu'a etudier les rapports de cause a effet, sans se demander si les consequences d'une action seront bonnes ou mauvaises. L'auteur naturaliste faisait de preference son choix dans les milieux obscurs, sordides, s'attachait a peindre de l'homme le cote vicieux, malsain, convaincu que le mal predomine et &rase tout ce qui est bon, noble, eleve. Une telle conception de la vie n'etait pas sans attirer Emants. Comme Balzac et l'ecole naturaliste aprês lui, il croit a la predominance de l'element „diabolique" dans l'homme, qui l'emporte de beaucoup sur l'element „angelique". Tout le monde, disait-il, peut facilement observer les „diables" dans la rue, les tripots, les bastringues, les salles de justice. De plus, ces types prësentaient l'avantage de se laisser facilement observer et etudier dans leurs reactions immediates mieux que le type „angelique" qui se derobait le plus souvent a l'observation directe et representait en general des types inertes, sans action, sans lutte interieure (les anges passifs). Les naturalistes qui partaient des memes principes pour depeindre des etres „physiquement ou moralement atteints" ont ete sans doute ses inspirateurs. Les prenant en quelque sorte pour exemple, Emants s'attache a etudier des etres cl6sequilibres, des nevropathes, sachant, par une minutieuse et penetrante analyse, decouvrir a nos yeux le trefonds des cceurs. Vu l'importance que Taine attachait a l'etude de cas psychologiques et pathologiques, a laquelle il voue une large place dans son livre De l' Intelligence, il n'est pas impossible que celui-ci lui ait revele sa voie. Un article, intitule Kunst-photographie-physiologie [Art-photographiephysiologie] que publia Emants dans le Nederlandsche Spectator de l'annee 188o, cl6montre assez bien l'interet qu'il attache a la physiologie et a la tendance a ramener les phenomenes mentaux aux troubles physiques ou pathologiques. Pour appuyer ses declarations il cite une phrase curieuse a ce point de vue dans la Physiologie des Passions (2868) du Dr. Ch. Letourneau, celui-la méme qui signala a Zola un grand nombre de specimens curieux de pathologie. „Diit l'animisme et meme le spiritualisme en mourir de chagrin, le rapport entre l'ame ou l'esprit et le corps ne saurait plus se contester a present. Tant vaut l'organe, tant vaut la fonction" 1). „Il y a des cas de maladies, ajoute-t-il, qui nous font lange reeks zijner voorouders en de omstandigheden waaronder de laatste schakel dier reeks, zijn eigen individualiteit, zich heeft ontwikkeld". 1) Ned. Spectator, 188o, p. 121. 116 jeter un regard prof and dans la nature humaine et it finit par conclure: „D'une fawn generale nous pouvons donc dire que la demonstration scientifique ne peut jamais etre la fin de l'oeuvre d'art, puisque par la l'oeuvre d'art telle quelle cesserait d'exister. Condamner pour cette raison la science comme moyen serait degrader l'art a en faire un jouet de niais et l'artiste a un fournisseur de distractions et de divertissements. Son gout du pathologique devait se former et se developper encore par la multitude d'exemples que lui offrait la litterature francaise de l'heure. Nous ignorons s'il connaissait les Goncourt, ces premiers „ecrivains des nerfs" 2) qui n'avaient pas tarde a faire ecole en France. S'il ne tenait point d'eux la sensibilite picturale ni le goiit de l'ecriture artiste, it aurait certainement apprecie chez les auteurs de Germinie Lacerteux l'etude quasiment scientifique du type anormal, du nevropathe, subissant fatalement l'influence de son milieu. Zola, dont les premiers romans Madeleine F drat et Therese Raquin pretendaient etre des monographies de manifestations anormales de la sensibilite, lui ouvrait egalement par ses Rougon-Macquart un vaste champ d'etudes pathologiques, de meme que Paul Bourget — le Bourget des premiers romans — avait excite son admiration par ses habiles et puissantes analyses du cceur humain 3). Sans doute ses etudes et ses lectures ont orients son gout vers le genre pathologique, quoiqu'il soit difficile de dire oil l'auteur a trouve sa veritable inspiration. En general it y a en pareil cas un grand nombre de facteurs qui agissent ensemble, le temperament et la predisposition de l'auteur, de meme que l'ambiance intellectuelle et sociale oil it a grandi 4). Pour Emants on peut dire que c'est surtout son gout de l'analyse patiente et minutieuse, son besoin de comprendre l'homme et les mobiles secrets de ses actes qui, guides par la tendance de l'epoque, l'ont amen a etudier le nevrosê. Voici jusqu'a quel point it semble s'etre inspire des idees et 1) ibid., p. 123. „In het algemeen dus kunnen wij zeggen, dat het wetenschappelijk betoog nooit doel van het kunstwerk kan zijn, omdat daardoor het kunstwerk qua talis ophouden zou te bestaan. Op dezen grond echter de wetenschap als middel te veroordeelen, is een verlagen der kunst tot speelgoed voor de onnoozelen van geest, en een verlagen van den kunstenaar tot leverancier van afleiding en ontspanning". 2) Journal des Goncourt, III, p. 248. 3) E. d'Oliveira Jr., De Mannen van 8o, 2e ed., p. 145. 4) Dans une lettre a M. P. Valkhoff Emants dit qu'il n'avait jamais consciemment imite les auteurs francais mais que des tendances qui lui etaient cher-es, avaient ête renforcees par la lecture de livres strangers inspires par les memes principes, voir Revue de Hollande, III, p. 68. 117 des conceptions de ses precurseurs. „Si l'auteur nous decrit une constitution neurasthenique, it ne peindra pas le milieu comme un decor qui exerce peu d'influence sur le jeu de l' acteur; au contraire it fera sentir que de petits changements dans l'atmosphere, ou les remarques insignifiantes de personnages antipathiques ou sympathiques, des odeurs a peine perceptibles ou des modifications subtiles dans le train-train de taus les j ours provoquent des reactions qui sont d'une violence extraordinaire si on les compare a la fawn dont l'homme normal ressent les memes impressions" 1). L'avantage que voyait Emants dans l'etude des maladies nerveuses 2), l'a incite a peindre dans toute son oeuvre, depuis les Drie Novellen jusqu'a son dernier roman Liefdeleven [Vie d' Amour] (1916) des types aux nerfs infiniment sensibles, d'une volonte mediocre, reagissant du premier coup, avec violence presque, aux plus legêres impressions du dehors. Son oeuvre est devenue a un fres haut degre l'expression sincere et fidele de sa facon de comprendre et de voir l'univers, conception que lui avaient inspiree l'etude et les lectures des philosophes et des romanciers francais qui le devancêrent immediatement.. Si des Drie Novellen it n'y a au fond que le troisieme, intitule Fanny, qui pourrait etre qualifie d'etude pathologique, en tant qu'etude d'un cas nerveux, les deux premiers, Najaarsstormen [Orages d' Automne] et Het Avontuur, n'en m6ritent pas moins d'être signales, puisque, au point de vue des conceptions et du dessin des caractêres, Emants s'est revele comme un veritable novateur dans l'art du roman. Dans Najaarsstormen Emants nous peint l'amour desinteresse d'une femme d'un caractêre noble et sympathique 3), figure qu'il pretend faire contraster avec le 1) De Gids, 1889, p. 545, art. Pro Domo. „Beschrijft hij een zenuwzwak gestel, dan zal hij de omgeving niet als decoratief behandelen, dat op het spel van den acteur weinig invloed uitoefent, maar integendeel doen voelen hoe kleine veranderingen in de atmosfeer, onbeduidende opmerkingen van sympathieke of antipathieke personen, nauwelijks waarneembare geuren en niet beteekenende wijzingen in een dagelijks wederkeerende loop van zaken, reacties in het leven roepen, die verbazend hevig zijn, in verhouding tot de wijze, waarop de normale mensch door dezelfde prikkels wordt aangedaan". 2) A cet êgard ii est curieux de lire son article Pathologie in de literatuur [La Pathologie dans la litte'rature] dans De Gids, 1916, I, p. 492 sqq. comme reponse a l'attaque de Carel Scharten a son roman Liefdeleven dans De Gids, 1915, IV, p. 357, ou celui condamne le genre, n'ayant rien de „generalement humain". Cf. aussi Frans Coenen sur le meme sujet, Groot Nederland, 1917, I, p. 94-103. 3) Il reprendra cette figure de femme, capable d'un amour desinteresse, dans son tres beau roman Inwijding [Initiation]. De meme que dans la nouvelle, l'hêroine porte ici le nom de Tonia. z i8 type aventureux d'une „époque veule, indolente et realiste" 1). Rien de nouveau au fond que le suj et oil it se hasarde, de meme que dans le recit suivant, a traiter le theme audacieux de l'amour coupable. Quant a la langue, Emants n'echappe point encore au style conventionnel, surtout dans les descriptions d'emotions fortes et violentes oil &plait fort le ton quasi emphatique. „La matinee etait a lui et tout le plaisir qu'elle promettait; a lui etait la nature dans ses riches parures d'automne. 0, automne! temps de couleurs! plus que toutes les autres saisons it vous aimait" 2). Het Avontuur qu'il disait, pour se justifier, avoir ecrite „dans une intention sincere", nous presente un sujet quelque peu romantique, mais fres reel et vrai dans l'observation des caracteres; dans la langue it ne s'annonce aucunement comme un novateur, a part quelques faibles efforts de copier fidelement le langage pule, entre autres dans la scene oil le pere, espêce d'ivrogne tyrannique, maltraite sa fille et la couvre de jurons 3). Le troisieme recit intitule Fanny, qui constitue a proprement parler sa premiere etude d'un cas pathologique, evoque l'emouvante histoire d'une femme neurasthenique dont le pere, enferme depuis longtemps dans une maison de sante, porte en lui les germes de sa maladie. Tourmentee par sa sensualite et par ses acces d'angoisse, elle „lutte en vain contre le torrent violent de sentiments qui etreignent sa poitrine comme des pinces de feu et contre les visions menacantes qui l'assaillent" 4). „Elle parlait d'amour, de religion, de cl6sespoir. Le plus souvent on ne distinguait pas la moindre cohesion entre ses paroles qu'elle criait en vociferant 1) Preface, p. XI I. „Van een krachtelooze, gemakzuchtige, nuchtere tijd". 2) op. cit., p. 95. „Hem was de morgen en al het genot dat hij beloofde, hem was de natuur in haar rijken najaarsdos. 0! herfst, tijd van kleuren, boven alle jaargetijden had hij U lief". Voir aussi l'opinion de Van Deyssel sur ces recits, Verz. Werken, IV, p. 279. 3) op. cit., p. 182. Ce n'est que dans ses pieces de theatre, Lilith et Godenschemering [Cre'puscule des Dieux] que se discerne l'originalite dans l'expression et le choix des images qui font d'Emants un veritable novateur. Mais it faut attendre Kloos et Van Deyssel, qui rompront definitivement avec le style conventionnel et inaugureront une nouvelle pêriode d'art. 4) op. cit., p. 299. „Vruchteloos worstelt zij tegen den wilden stroom van gevoelens, die haar borst als met gloeiende tangen samennijpen en tegen de dreigende visioenen die op haar toedringen". Tres souvent Fanny nous rappelle la figure de Lina dans son roman Mejuffrouw Lina [Mademoiselle Lina], egalement tourmentee par ses acces d'angoisse et ses visions. 119 presque, entrecoupêes de sanglots, accompagnees de gestes violents" 1). La facon dont nous sommes informes de sa mort est dans sa sobriete voulue, d'une eloquence atroce, ainsi que la fin de Najaarsstormen. „Engendre maintenant ton batard", s'ecria Wandeiheem et lentement, d'un ton agacant, it ajouta: „Si, du moins, cela t'est encore possible" 2). La valeur de ces recits, au point de vue litteraire, reside avant tout dans la nouveaute des sujets, dans la franchise avec laquelle l'auteur osait aborder le theme de l'amour sexuel, prod& qui ne manquait pas d'alarmer l'opinion publique. C'est a propos des deux pieces de theatre, Lilith et Godenschemering, qu'eclata dans toute sa violence la, bataille de la „moralite", combat oil la personne de Zola tut tout naturellement mise en jeu. Emants, symbolisant dans Lilith l'eternelle volupte et ses chätiments 3), y temoigne d'une conception toute materialiste de la vie, qui devait choquer les croyants. Dans De Gids 4) Charles Boissevain riposte par un article violent, evidemment inspire par sa haine contre les exces du naturalisme. „Monsieur Emants, dit-il, a donne dans un poeme allegorique une representation repugnante de la creation du premier homme, d'une fawn grossiere et irrespectueuse, comme un roman de Zola" 5). Il pretend que dans Lilith, „ce roman experimental dans le paradis", le disciple de Zola etait alle plus loin encore que son maitre; afin d'analyser l'homme physiologique, it avait bafoue la religion, domaine encore respecte par Zola. L'intention d'Emants de chercher un suj et dans l'etat le plus primitif de la vie sentimentale lui semble aussi detestable que la scene revoltante dans L' Assommoir oil Gervaise, sous les yeux de sa fine, passe la nuit avec un homme, pendant que son mari, ivre-mort, est couche dans son lit 6). Boissevain blame avec severite „l'impurete et l'immoralite detestable" de certains traits qu'il trouve en outre 1) op. cit., p. 279. „Zij sprak over liefde, over godsdienst, over wanhoop. Meestal was er niet het minste verband to vinden in de woorden die zij bijna uitschreeuwde, door snikken afgebroken en door een wilde gesticulatie begeleid". 2) ibid., p. 208. „Breng nu je bastaard voort", riep W. uit. Op langzamen sarrenden toon voegde hij erbij: „Als je 't nog mogelijk is". 3) L'idêe mere se trouve dans les deux lignes, bien connues: „Al wie in d'arm der wellust werd geschapen Valt vroeg of laat der wellust weer ten prooi." (Tout homme concu dans les bras de la voluptê, en deviendra tot ou tard la proie). 4) De Gids, 1879, II, p. 422 sqq. Art. lets Nieuws [Quelque chose de nouveau]. 5) art. cit., p. 425. De heer Emants heeft in een allegorische gedicht een weerzinwekkende voorstelling gegeven van de schepping van den eersten mensch, ruw en oneerbiedig als een roman van Zola. 6) ibid., p. 453. 120 superflus pour nous faire mieux connaitre le caractere des personnages. Il condamne la tendance telle qu'elle se manifeste dans ce poeme et les nouvelles d'Emants, donnant „quelque chose de nouveau" qui „enerve et affaiblit". „ Je trouve, conclut-il, le courant moderne dans la litterature, le nouveau style poëtique hollandais dangereux et funestes pour l'art. Ce sont des oeuvres qui laissent une impression penible et qui affaiblissent notre sentiment moral au lieu de le reconforter" 1). Neuf ans apres la publication des Drie Novellen Emants publie son veritable premier roman naturaliste Juffrouw Lina [Mademoiselle Lina] (1888), modele d'ailleurs, pour l'epoque, d'une notation exacte et consciencieuse de la realite ambiante et des progres d'un cas de nervosite pathologique. Comme Fanny, Lina est une nature hypersensible, egalement persecutee par les anxietes, les hallucinations, les cauchemars, se trouvant parfois aux confins de la folie 2). Le roman cependant qui eveilla les plus vifs enthousiasmes, sera Een Nagelaten Bekentenis [La Confession posthume] (1894). C'est le drame d'un nevrose qu'un mariage rate amene a tuer sa femme. Avec une extraordinaire penetration Emants suit pas a pas les phases successives de cette existence, empoisonnee par les quenelles et les soupcons. Il cherche avec un raffinement merveilleux a cl6couvrir les mouvements secrets d'un cur angoisse et tourmente. Les tares hereditaires, l'influence funeste du milieu et de l'education sont les facteurs qui determinent chez Wim Termeer les peripeties du drame interieur. „ Je me prenais et me prends encore pour un degenere dont l'heredite semblait me donner l'explication" 3). Quelque avili qu'il soit, it n'en reste pas moins d'une lucidite remarquable, capable d'analyser et d'expliquer les moindres motifs de ses actes. „Dans les moments de lucidite extreme je voyais se derouler derriere moi mon passé, comme une serie de chainons, soucles 1) ibid., p. 456. Ik vind „de nieuwste richting in de letterkunde", den nieuw Hollandschen dichtstijl gevaarlijk en verwoestend voor de kunst. On sait que Ig loos, age alors de vingt ans, a pris dans le fameux article Lilith en de Gids [Lilith et le Guide] la defense de la piece, en louant „Fabondance des images, d'une expression, d'une beaute frappantes" (een overvloed van fraaie beelden, die keurig en treffend zijn uitgebeeld). 2) Il n'est pas impossible qu'Emants ait etc quelque peu inspire du roman En Rade (1887) de Huysmans, dont it cite en epigraphe: „et la nourriciere du cauchemar et de la peur, l'imagination l'emportait aussitOt . . . ." 3) M. Emants, Een Nagelaten Bekentenis, Holkema & Warendorf, s.d., 2 e ed., p. 84. „Ik hield en houd me voor een degeneratie. In de herediteit meende ik de ver klaring hiervan to vinden." 121 ensemble par la necessite, je commencais a comprendre que ma maladresse, mon manque de courage et de perseverance, ma soif d'emotions, mon penchant pour le „defendu" n'etaient que les fleurs veneneuses de graines dont mes ancetres portaient les germes en eux, germes qu'il lui serait impossible d'extirper, puisqu'ils s'enracinaient dans les vies disparues, anterieures a la sienne" 1). La fatalite pese sur lui comme une implacable necessite. Termeer use de tous les moyens pour fuir l'obsession des pensees qui torturent son esprit. C'est dans le vice, les plaisirs cuisants de la chair, les boissons fortes, les excitants qui lui procurent d'ephemeres sensations suaves, qu'il cherche l'oubli de son malaise, efforts qui sont toutefois inutiles puisque la conscience du neant de son existence ne cesse de l'accabler comme une sombre et horrible menace. On a cru voir dans ce roman, a tort, croyons-nous, une tendance moralisatrice ou educatrice 2), croyant que l'auteur se serait soucie avant tout d'avertir ses contemporains contre les dangers d'une mauvaise education. S'il est vrai qu'on puisse discerner dans certaines exclamations de Termeer un accent de dur reproche a l'adresse de ses parents 3), c'est, nous semble-t-il, moins la volonte d'enseigner ou de „moraliser" qu'un sentiment de revoke contre son destin et l'irritation de sa vie ratee qui lui fait proferer ces ameres paroles. Comment concilier d'ailleurs une pareille assertion avec la conception foncierement pessimiste d'Emants qui refuse de croire dans la corrigibilite de la nature humaine ou mieux encore, avec les paroles decourageantes de Termeer lui-meme. „Deja trop souvent j'ai entendu faire la remarque: un homme qui connait ses defauts, sera a meme de les extirper: helas, ceux qui parlent ainsi, doivent etre denues de toute connaissance de soi-meme" 4) . 1) op. cit., p. 49. „In de glasheldere oogenblikken, dat ik mijn verleden, als een reeks van schakels door de noodzakelijkheid aaneengesmeed, achter me uitgestrekt ontwaarde, begon ik te begrijpen, dat mijn onhandigheid, mijn gebrek aan moed en volharding, mijn behoefte aan emotie, mijn hang naar het verbodene slechts de giftige bloesems waren van zaadkorrels in mijn voorouders ontkiemd. De wortels reikten over ons heen tot in afgesloten levens en daarom zou ik ze nimmer kunnen, uitroeien". 2) W.- C. van Nouhuys, Studien en Kritieken [Etudes et Critiques]. Amsterdam, Van Holkema en Warendorf, 1897, p. 36, 37. 3) Een Nagelaten Bekentenis, p. 37. „Mes parents auraient pu donner un pli plus heureux a mon existence malheureuse, s'ils m'avaient sagement conduit". (Met wat verstandige dwang hadden mijn ouders aan mijn ongelukkig bestaan een betere plooi kunnen geven). 4) op. cit., p. 1o. „Maar al te dikwijls heb ik de opmerking hooren maken: een mensch, die zijn fouten kent, is ook in staat ze uit te roeien. Och, och, wat moeten zij, die zoo spreken, met weinig zelfkennis bedeeld zijn". 122 Les romans qui suivent et dont nous ne citons que Inwijding [Initiation] (IgoI), Waan [V anitd] (1905), Liefdeleven [Vie d' Amour] (1916), sont brodes un peu sur le meme canevas. Le theme constant de ces recits, c'est la melancolie de l'amour finissant, c'est, comme l'a dit avec tant de finesse Teodor de Wyzewa, dans une etude sur Emants 1), „l'agonie de l'amour, la lente ou soudaine desaffection de deux coeurs et les regrets, les remords, les desespoirs qui s'ensuivent" 2). Tout comme dans le roman naturaliste l'auteur fait naitre le drame de la rencontre de deux temperaments disparates qui se heurtent, de la disproportion de deux etats physiques. Presque toutes les figures representent des titres inconstants, extremement irritables et susceptibles, que tourmentent les acces de jalousie, les coleres brusques suivies de moments d'apathie complete. Comme dans N agelaten Bekentenis le contraste des temperaments mene generalement a un conflit qui ne fait que s'exasperer vers le clenoilment tragique. Quelquefois aussi cette gradation n'est guere sensible; la situation a la fin du livre ne differe pas essentiellement de celle du debut. Dans Waan par exemple les sentiments de haine sourde, d'irritation contenue qui empoisonnent la vie des deux epoux finissent par s'adoucir des la naissance d'un enfant, mais la morne et grise monotonie qui marque le train de vie de ces deux titres on tout espoir, toute perspective faut defaut, ne souligne pas moins d'une fawn poignante et obsedante la vanite, le neant, le „a quoi bon" de toute existence. Inwijding est de tous ces romans le plus „humain"; avec une emouvante tendresse l'auteur a su nous retracer le drame interieur d'une femme du peuple en proie a des acces de jalousie, aimant pour la premiere fois de sa vie d'un amour desinteresse un jeune homme de bonne famille qu'elle sait ne pas pouvoir 6pouser. Nous ne parlerons plus que de op Zee [Sur Mer], roman en quelque sorte autobiographique, ou surgissent toutes les idees cheres a l'auteur, sa misanthropie, son &guilt des bassesses et des mesquineries de la vie de tous les jours. Ce recueil de notations personnelles, an perce l'accent d'une cruelle et amere deception, se laisse comparer par certains cotes avec Sur l' eau de Guy de Maupassant. De meme que Maupassant, Satis, personnage central, en qui nous reconnaissons facilement l'auteur luimeme, fuit sur un bateau les laideurs de la vie qu'il abhorre. L'homme, „agregat de penchants auxquels it °bat comme la Pierre tombant d'un 1) T. de Wyzewa, Ecrivains Etrangers (Tore serie), Paris, Perrin, 1896, p. 293 sqq. 2) ibid., p. 295. 123 toit selon les lois de la chute" 1), lui repugne. Il voudrait ne plus aimer, ne plus hair, ne plus desirer, ne plus regretter le passé, ne plus esperer en l'avenir 2), finissant par renier tout, par douter de tout; en cela il ressemble fort a l'auteur de Sur l'eau, avec qui il partage son clegoilt du monde, son nihilisme, lui qui, comme Emants, fuit les horreurs, qui voudrait, comme lui, „ne plus penser, ne plus sentir, vivre comme un brute, dans un pays clair et chaud . . . ." 3). Des naturalistes francais Emants semble avoir 6galement hërite l'amour de la documentation exacte. A l'instar de Flaubert ou de Zola, il mettait un soin meticuleux a reunir les „documents", a noter le detail curieux, l'expression rare. Quant a ses personnages il tenait a choisir un modele „vivant", dont il avait pris l'habitude d'inscrire en manuscrit le vrai nom qu'il ne changeait definitivement que sur les epreuves 4). Ce qu'il blame dans les Auteurs d'avant 188o, entre autres dans Hildebrand (Nicolaas Beets), c'est que celui-ci tenait a creer des types, en „marquant" si peu l'expression de la figure qu'une meme physionomie s'appliquait quelquefois a une cinquantaine d'hommes divers. „Moi je visais toujours a mettre en relief les traits saillants de chacune de mes figures principales" 5). D'apres ces principes rigoureux il cherchait a atteindre dans ses romans la plus grande objectivite, grace a laquelle il reussit a faire de Juffrouw Lina la peinture exacte de la vie des paysans, qu'il etait all6 etudier „sur le terrain". Sa probite d'artiste lui defendait de peindre des situations qu'il ne connaissait pas; il n'aurait entame aucun roman sans s'etre soigneusement documents; aussi, s'avisant un jour d'aborder un roman „socialiste", il renonca a ce projet, s'interdisant de traiter un sujet qu'il se croyait incompetent de traiter. La langue d'Emants est d'une sobrike austere, plutOt seche, sans chaleur. C'est le style du savant soucieux d'analyser et d'exposer avec precision et nettete. II a l'horreur du cliche, de la langue et de la phrase 1) M. Emants, Op Zee, Haagsche Boekhandel, 1899, p. 61. „Een samenstel van neigingen, waaraan hij even zeker gehoorzaamt als de steen die van een dak valt, aan de aantrekkingskracht van de aarde". 2) ibid., p. 4. „En nu niets meer gestreefd, niets meer gewild, niets meer liefgehad, niets meer gehaat !" 3) Guy de Maupassant, Sur l'eau, Paris, Marpon et Flammarion, s.d. (1888), p. 131. 4) Ce qui donnait lieu a la legende qu'il aurait pris toute sa famille pour modele, erreur qu'il tend a refuter dans la preface a son roman Jong Holland [La jeune Hollande]. La Haye, Stemberg, 1881. 5) Pref. cit., p. II. „Steeds streefde ik er naar het karakteristieke in ieder (van de hoofdpersonen) zoo sterk mogelijk to doen gevoelen". 124 conventionnelles. „ J'ai,dit-il, touj ours vise a trouver le mot juste, exact"1). Tout en appreciant chez les Auteurs de 188o l'acharnement avec lequel its faisaient la guerre aux principes perimes et combattaient la fausse rh6torique d'avant 188o, it ne partageait point avec eux leur passion de l'ecriture artiste; nulle part it ne se perd dans les prolixes et minutieuses peintures descriptives auxquelles s'appliquaient les auteurs impressionnistes. Avec ardeur ii s'oppose a la tendance au raffinement artistique. „Le moyen deviendrait alors une fin en elle-meme" 2), declarait-il. II detestait les neologismes; tout embellissement artistique le rebutait, de meme que les 6ternelles descriptions auxquelles ses contemporains s'abandonnaient. Pour sa defense ii se reclamait de Lessing, disant qu'on ne saurait decrire que la vie en action et non pas le tableau, l'action figee 3). Bien que, a ce point de vue, it s'ecarte des Auteurs de 188o, it merite le nom de precurseur, puisque s'inspirant des doctrines et des procedes du naturalisme francais, it est le premier chez nous a les faire valoir dans son oeuvre. Quoiqu'il soit reste un peu dans l'ombre, la passion lui ayant manqué pour defendre les nouveaux principes litteraires avec l'ardeur et l'enthousiasme dont seront animes ceux qui viendront une dizaine d'ann6es apres lui, it n'en sera pas moins une des figures les plus remarquables. C'est lui, que Kloos a qualifie en 1887 le „Jean-Baptiste de nos lettres", qui a inaugure avec Van Santen Kolff et Netscher la periode de renouveau artistique qu'on entrevoyait. Heritant du naturalisme francais d'une part son objectivite impartiale, d'autre part son pessimisme profond et amer, it etait le premier aux environs de 188o a 6crire le grand roman de la misere humaine. Par son oeuvre ce grand clesillusionne annoncait Coenen, Aletrino 4), se ralliant au-dela de l'im1) De Mannen van '8o, p. 138. „Ik heb altijd gestreefd naar het juiste woord". 2) ibid., p. 139. „A un seul egard je ne m'accorde pas du tout avec eux, c'est leur culte exagere du verbe, de l'ecriture artiste, d'oil tout se ramene au ton, au rythme, a la beaute litteraire. Le moyen devient alors la fin en elleméme". (Maar er is toch een opzicht waarin ik heelemaal niet met ze mee kan gaan en dat is de overdreven vereering van een woordkunst, waardoor alles is gereduceerd op klank, rythme en taalschoon. Het middel wordt dan doel). 3) ibid., p. 147. 4) Comparez tel passage dans Dood [La Mort] (De Gids, 189o, I, p. 27), qui rappelle immediatement Aletrino ou Coenen: „Toen begonnen de dagen elkander op to volgen in een grijze, neerdrukkende gelijkvormigheid. 't Was of zij als levenlooze automaten maar door . . . . maar door moesten gaan, tot eindelijk in hun binnenste het afloopende uurwerk stil zou staan. Zoo verschrompelden zij naast elkander 125 pressionnisme a la generation de Johan de Meester et de Robbers, qui tiendront de lui son gout de l'analyse de meme que son amour de l'humanit6 souffrante. LOUIS COUPERUS (1863-1923) Ne a La Haye, Couperus accompagne tout jeune ses parents a Java, oil son pere occupait une haute situation dans la magistrature. De retour en Hollande it suivit a La Haye le lycee, oil it connut entre autres Frans Netscher, qui sera un des ses meilleurs amis. Sous la direction de son professeur Jan ten Brink, qui decouvrit chez lui les dons d'un grand styliste, it prepara apres son baccalaureat le diplOme de professeur de neerlandais dans l'enseignement secondaire. Ayant garde de son sejour dans les climats chauds la nostalgie des pays de grand soleil, gout qui sera en quelque sorte nourri et ravive par les charmantes et poetiques descriptions des paysages italiens de la romanciëre anglaise Ouida, it passera bien des annees a l'etranger, Paris 1), sur la Cote d'Azur et en Italie. „ Je me sens peu Hollandais, dira-t-il un jour, si chere que me soit ma langue, — la plus riche, la plus merveilleuse que je connaisse — et je ne me sentirai jamais un Francais, quoique j'habite la France. Mais je me sens un Italien, c'est bien curieux. Je me regarde comme un Italien qui n'aurait pas vecu en Italie pendant tres longtemps, mais qui, des son retour, aurait su qui ii est et ce qu'il est: un meridional ayant langui dans un climat du nord, humide et froid . . .2). Il adore l'Italie du Moyen Age et de l'Antiquite. „La moindre colonne de l'Empire romain me gonfle le coeur, je suis pret a pleurer; un vieil arc du XIII e siecle me rend réveur, content, silencieux, et Venise avec in een gestadige vervreemding, en toen eindelijk de eene voor immer insliep, was 't den overblijvende te moede, alsof hem te laat de doode last ontviel, die hem belet had van het leven te genieten". 1) C'est lä qu'il connut entre autres l'auteur d'origine polonaise Teodor de Wyzewa, cf. Henri van Booven, Leven en Werken van Louis Couperus [Louis Couperus, sa vie et son ceuvre]. Velsen, Schuyt, 1933, p. 240. De Wyzewa 6crit sur lui dans Ecrivains strangers (le serie). Paris, Perrin, 1896, p. 267 sqq. et dans Le Roman contemporain a l'e'tranger. Paris, Perrin, 190o, p. 263 sqq. 2) Cf. L. Couperus, Van en over mijzelf en anderen [Sur moi et sur d'autres]. Amsterdam, L.-J. Veen, s.d. (1917), p. 4. „Ik voel mij weinig Hollander, hoe innig dierbaar mijn taal mij is — de rijkste, de heerlijkste, die ik ken — en ik zal mij nooit Franschman voelen, al woon ik ook eigenlijk in Frankrijk, maar ik voel mij, heel vreemd, Italiaan; ik voel mij een Italiaan, die heel lang uit zijn land is weg geweest, maar dadelijk bij terugkomst geweten heeft wie en wht hij is: een zuiderling, die gekwijnd heeft in noorderlucht en kilte". 126 Tintoretto, Veronese et Titien, evoquent en moi, dans une feerie, les pales visions qui certainement ont du jadis deployer leurs couleurs etincelantes autour de ma bruyante joie de vivre" 1). Force lors de la Grande Guerre de se rapatrier, it deviendra avec W.-G. van Nouhuys redacteur de la revue Groot-Nederland, fonction qu'il exercera jusqu'a la fin de la guerre, lorsque, journaliste de grand reportage, it entreprendra ses voyages en Extreme-Orient, en Chine, au Japon et aux Indes, dont it publiera au V aderland [La Patrie] les savoureux et brillants souvenirs. Ce qui est Bien curieux, c'est que Couperus se soit tenu a l'ecart des cenacles litteraires de son époque et qu'il ne paraisse point avoir partage les ambitions des Auteurs de 1880. Ce qui excita ses premiers enthousiasmes, ce furent les romans historiques de Madame Bosboom-Toussaint et la poesie de Potgieter, dont l'influence se fait sentir dans ses premieres creations poetiques, ainsi que les poemes orientaux de Leconte de Lisle qui le charmait par sa recherche d'une forme achevee et par sa nostalgie des pays lointains. D'autre part ce fut son professeur Jan ten Brink, dont it louera plus tard le gout distingue et la rare erudition, qui lui revela les pays des civilisations anciennes, la Grece et l'Italie ainsi que le Moyen Age avec ses belles legendes, notamment les cycles d'Arthur et de Charlemagne 2). Cependant, celui qui determina un veritable bouleversement dans ses appreciations litteraires, ce fut son ami Frans Netscher qui, passionne pour la litterature francaise contemporaine, attira son attention sur l'ceuvre des grands naturalistes francais, qu'ils se mirent a lire et a etudier. „Avant d'ecrire, nous avons lu entre autres Zola, Lemonnier, 1) ibid., p. 14, 15. „Maar de minste zuil uit den Romeinschen keizerstijd doet iets in mij zwellen alsof ik moet weenen; een oude boog uit de dertiende eeuw maakt mij droomerig en tevreden stil, en Venetie met Tintoretto, Veronese en Titiaan toovert mij, als met een fee erie, de verbleekte vizioenen terug, die zeker eens kleurschitterden rondom mijn gloeiende vreugde des levens". Nous verrons que cet amour du passé et des pays orientaux, ensoleillês, aura une grande influence sur son oeuvre immense; lire, a cet egard, l'article tres interessant d'Adrienne Lautere dans Le Monde Nouveau, 1922, p. 661 sqq., intitule L' Ame latine de M. Louis Couperus, oil elle fait une analyse de ses romans historiques, dont la scene se trouve dans l'Italie antique. 2) Voir, dans son recueil De Zwaluwen neergestreken [Les Hirondelles qui se perchent], le fragment, intitule De Vonk [L'Etincelle], p. 157 oil it dit son opinion sur Jan ten Brink: „Il parlait beaucoup mieux qu'il n'ecrivait. Dans ses paroles il y avait l'emotion qui etait etrangere a ses ecrits. Il me parlait des beaux livres et de belles choses" (Hij praatte veel mooier dan hij schreef. In zijn gesproken woord was de ontroering, die vreemd aan zijn geschreven woord bleef. Hij vertelde mij van mooie boeken en mooie dingen). 127 Flaubert, Taine, mais Zola en particulier" 1). Ce n'est pas trop s'avancer que de dire que la decouverte de ces auteurs a ete pour Couperus une sorte de revelation. Voici en quels termes affectueux it temoigne de sa gratitude envers Zola et nous rappelle son enthousiasme de jadis. „Avec Netscher je lisais Zola et le monde s'ouvrit devant moi. Car Zola fut le grand et loyal maitre en litterature de notre generation de prosateurs. Nous avons ecrit apres avoir lu et etudie Emile Zola, notre formidable maitre, sans l'exemple de qui — bien qu'il flit cruel et qu'il ne menageat pas les sentiments delicats de notre jeunesse accablee — nous n'aurions jamais connu la Vie dans sa realite, depouillee maintenant de tout ce qui la cache hypocritement, debarrassee de toutes les sensibleries romantiques de l'epoque de nos parents et de nos grands-parents" 2). „Et tous ceux qui se sont mis a ecrire vers cette époque en une prose „plastique", furent les &eves de Zola. C'est ce qu'il ne faut jamais oublier, bien que les voies oil nous sommes engages, fussent toutes differentes, et que nous fussions attires par de plus nobles aspirations pour nous delivrer de la premiere efflorescence et de l'oppression du naturalisme, qui malgre sa fruste cruaute, a ete pour nous un maitre d'art pur dans nos jeunes ann6es, lorsque nous aurions pu nous perdre. Moi, personnellement, je serai du moins plein de reconnaissance envers Zola, tant que j'aurai la plume a la main" 3). Ses doges de l'auteur des Rougon-Macquart ne signifient point que Couperus n'ait montre quelque reserve devant Fart de Zola dont ii 1) L. Couperus, Proza [Prose], Amsterdam, Van Holkema & Warendorf, s.d. II, p. 213. „Maar voor wij schreven, lazen wij o.a. Zola, Lemonnier, Flaubert, Taine, maar vooral Zola". Voir aussi son roman autobiographique Metamorfoze. Amsterdam, L.-J. Veen, s.d. (1897), p. II, 33. 2) Proza, II, p. 214. „Geschreven nadat wij gelezen hadden, vooral gelezen en geleerd van Emile Zola, onzen ontzaglijken Meester, zonder wiens voorlichting, zelfs al was hij wreed en al ontzag hij nooit de te8re gevoeligheden onzer overstelpte jeugd, wij nooit zouden gezien en geweten hebben hoe het leven voor ons menschen is, in realiteit, alle vooze bedekselen geheven, alle romantische sentimentaliteiten der periode onzer ouders en groot-ouders minachtende ter zijde geschoven". $) ibid., p. 214. „En alien wie met ons toen, in die jaren, het beeldend Proza zijn gaan schrijven, waren Zola's leerlingen, vergeten wij dat nooit, welke wegen wij later insloegen, welke andere, idee8lere verschieten ons verder lokten, welke idealen ons hooger toewenkten ons toch to bevrijden van de eerste bloei en beklemming, die van het naturalisme, dat toch, niettegenstaande zijn rulle wreedheid, onze zuiverreine opvoeder is geweest in de jongste jaren, toen wij hadden kunnen verdwalen. Ik, tenminste, persoonlijk, blijf Emile Zola dankbaar, zoo lang de pen mij in de vingers blijft". 1.28 n'admirait ni le realisme cru ni le style. La tendance de Zola a evoquer avec des couleurs hardies les bas-fonds de la societe, ses scenes d'un realisme lourd et grossier n'ont jamais tente cet esprit dandy qui se plaisait a peindre un monde exquis et raffine. La vie miserable des ouvriers, leur decheance morale ne l'a jamais inspire, pas meme a une époque oil le conflit entre les classes s'exasperait et preoccupait tous les esprits. Pas plus que son realisme, it n'aimait le style de Zola, cette langue „lourde et massive". I1 s'est toujours irresistiblement senti attire vers les auteurs qui se distinguaient par la recherche d'une forme infiniment artistique. Lui, veritable gourmet de la langue, goiltait fort les raffinements de pensee et de style dans A Rebours, les evocations bizarres et fantastiques de Poe et de Wilde, se rapprochant par ses gaits et sa culture plutOt des „decadents" de la fin du XIXe siecle que des veritables naturalistes. Ce qui devait tout particulierement seduire cet esprit aristocratique, c'etait la vie mondaine a La Haye, la vie des salons qu'il connaissait de tres pres, et qu'il peuplait de personnages aimant le luxe et le bien-titre, de types sans energie, trop faibles pour resister a cette atmosphere voluptueuse. C'etait encore, comme nous l'avons vu, les pays lointains, les ages recules qui l'attiraient et exaltaient son imagination. Apres ses peintures des appartements somptueux ou exquis, ii s'essaye a evoquer l'age de la decadence romaine 1) avec ses riches et fantastiques decors, avec ses rois qui s'adonnent aux plus frivoles plaisirs. Son gout et ses aspirations de Parnassien le poussent vers l'histoire des Grecs et des Latins, vers les grands drames du passe, inclination qui s'etait cleja, rëvëlee dans certains poemes du debut et qu'il avait composes peut-titre sous l'inspiration des evocations d'un Leconte de Lisle 2). 1) Entre autres dans son tres beau roman De Berg van Licht [La Montagne de Lumiere] (1905, 3 vol.), voir p. 137, 138. 2) Ces poêmes , aux titres expressifs comme Sardanapalus, Leda, Kleopatra, Viviane, Semiramis trahissent déjàa cette nostalgie des pays orientaux, qui explique son admiration pour Leconte de Lisle. Sur l'influence de l'auteur des Poemes Barbares sur Couperus on trouve dans la Hollandsche Revue, 1913, p. 336-344 un article interessant de la main de son ami F. Netscher. Celui-ci montrait comment Couperus imitait quelquefois Leconte de Lisle dans l'emploi des adjectifs et des substantifs qui avaient un coloris exotique; tout comme lui it comparait par exemple une main blanche a une boucle d'albAtre (een albasten gesp); les levres de Viviane ktaient d'un pourpre ambrosiaque (ambrosisch purper). Voici la description fantasmagorique d'un palais oriental qui rappelle singulierement le proced6 de l'auteur des Poemes Antiques. „Puis surgissait du cristal sous l'azur immobile de la mer bleuissante, qui ressemblait a du saphir liquide, un palais d'un bleu etincelant; le trOne êtait de cristallin, et la cour entouree d'arcades etait de cristal" (Dan I29 Ainsi, en ce qui concerne la forme aussi bien que le fond, Couperus s'est montre, des ses debuts, anti-naturaliste. Ni les proc6des artistiques des auteurs impressionnistes, ni l'audace que manifestaient les ecrivains naturalistes dans leurs peintures des scenes triviales, n'ont pu seduire un esprit qui trouvera son unique plaisir a suivre les belles inspirations de son imagination, a evoquer comme nul autre, dans des epopees somptueusement orchestr6es, la vie fantastique et color& de l'antiquite. Il y a dans sa fawn de creer et de composer ses romans un contraste sensible avec le travail intellectuel et litteraire de Zola. Alors que celui-ci compose ses romans, „en savant", d'apres des plans milrement reflechis, a l'aide de fiches soigneusement reunies, Couperus ne cree pour ainsi dire qu' „en transe". Quand ii ecrivait, it se laissait guider par l'intuition et l'inspiration. Toute vie, tout caractere qu'il dresse devant nous, it l'a vecu par la pensee, s'identifiant facilement avec celui ou celle qu'il s'ingenie a d6crire. Ainsi Eline Vere, Frank ou Bertie (dans Noodlot) seront tour a tour Couperus lui-meme; plutOt que de les avoir etudies ou copies objectivement, it les a inventes, crees en harmonic avec son propre moi. Oil residait alors l'attrait qu'exercait sur lui l'oeuvre de Zola et des auteurs naturalistes? Evidemment dans leur fawn de concevoir la vie et l'univers, dans leur croyance en une implacable necessite qui decide de nos actes et de nos mouvements, conception qui l' await (MP. attire chez les tragiques grecs et dont s'inspirent quelques-unes de ses premieres poesies 1). Mais alors que pour les Anciens la fatalite etait une manifestation de la volonte divine qui frappait les mortels de maux terribles, le naturalisme enseignait que les hommes etaient fatalement gouvernês par leurs instincts personnels ou hereditaires, que leurs actes en etaient les consequences immediates et inevitables. Cette philosophic, rejetant toute intervention suprahumaine et attribuant a nos passions primitives un role predominant, d'influence decisive sur nos actes et sur notre avenir, devait tout particulierement seduire l'auteur d' Eline V ere qui, des ses debuts, avait temoigne d'une conception fataliste de la vie. Qu'on lise l'impression vive que fit sur lui Therese Raquin et l'on comprendra a quel point de vue ce roman fut pour lui une sorte de revelation 2). „La figure Tees uit kristal onder het roerloos azuur van 't blauwend meer, dat vloeiend saffier geleek, een flonkerblauw paleis; de troon was van kristallijn, en de hof van zuilen was van louter kristal), exemples que nous avons cites dans l'article de Netscher. 1) Cf. Lent van Vaerzen, p. 65. „ Je languissais d'Amour et pourtant ma Fatalite a voulu que je n'aie jamais aime" (Ik smachtte naar Liefde, en toch mijn Noodlot wilde, dat ik nimmer minnen zou!) 2) L. Couperus, Proza, II, p. 215. „Apres l'avoir trouve un jour que j'etais en9 130 de cette mere, cette merciere, est terrible comme celle de Niobe; la victime, Camille, dans sa nullite bourgeoise est un holocauste aussi fatal que n'importe quelle proie de la Fatalite Antique. Cette tragedie est-elle inferieure a celles qu'inventaient et composaient Eschyle, Euripide et Sophocle? La tragedie du Remords, c'est ainsi qu'on a qualifie ce roman terrible et magnifique; c'est mieux encore; c'est la tragedie de notre Sang et de nos Nerfs; c'est la tragedie de toutes les forces sinistres que nous ne connaissons guere, dont nous sentons a peine l'existence, qui dominent tyranniquement nos corps et nos times comme une unite inseparable jusqu'a ce que nous ne soyons plus que la proie haletante entre les griffes de la Fatalite terrible, qui nous force a desirer la satisfaction d'être enfin delivres, a desirer la Fin, si affreuse qu'elle soit. C'est la tragedie de notre Moi . . . ." 1). Ce qui, apparemment, l'a tout aussita frappe dans le roman, c'est l'idee d'une implacable et dure necessite qui domine d'une fawn rigoureuse le destin de l'homme. D'une fawn plus navrante encore peut-titre que les Anciens, Zola lui avait fait sentir l'eternelle tragedie du sort humain. Ses romans, avec les ecrits philosophiques de Taine, lui faisaient voir un core tout naivement jeune, une oeuvre d'art accablante, bouleversante" (Nadat ik het eenmaal, toen allerjeugdigste lezer, een overstelpend, verbijsterend kunstwerk had gevonden). 1) ibid., p. 215, 216. „De figuur van die moeder, die garen- en bandverkoopster, die „merciere", zij is ontzaglijk als een Niobe; het slachtoffer Camille, hij is in zijn burgerlijke alleronbeduidendstheid, een even fatale offering als welke prooi van het klassieke Noodlot ook. Deze tragedie, is zij iets minder dan wat ook bedachten en dichtten Aischylos, Euripides en Sofokles? De Tragedie der Wroeging heeft men dit verschrikkelijke, prachtige boek genoemd, het is meer dan dit. Het is de tragedie van ons alley Bloed en onze Zenuwen; het is de tragedie van alle de duistere, ons nauwelijks bekende, gewetene machten, die onze lichamen-en-ziel als een onscheidbare uniteit beheerschen, tyrannisch domineeren tot wij niet meer zijn dan de hijgende prooi in de klauwen van het verschrikkelijke Noodlot, dat ons zelve dwingt naar verlossing en voldoening te smachten en eindelijk bevrijd te zijn. hoe ontzettend ook het Einde zij. Het is de tragedie van ons eigen Ik . . . ." Plus d'une fois Couperus s'etait declare un „fataliste", cf. Den Gulden Winckel, 1917, p. 5 oii, dans son interview avec Andre de Ridder, it dit: „Moi aussi je suis fataliste, en une certaine mesure. Je crois bien a une Fatalite inevitable, mais cette croyance ne m'a jamais pese — ma nature êtait naturellement trop gaie, trop legere, trop ensoleillee" (Ik ben zelve ook fatalist, in zekere mate. Ik geloof wel aan een onoverkomelijk noodlot, dat heerscht over onze levens; ik geloof aan de onoverkomelijkheid en de onvermijdelijkheid, maar dat geloof heeft mij nook gedrukt — mijn natuur te natuurlijkerwijs blijmoedig, lichtzinnig en opgeruimd zonnig). 131 cote essentiellement tragique de la vie, savoir la vanite de la lutte de l'homme contre son destin, donnee infiniment dramatique qui des lors n'a cesse de l'obseder et qui laissera des traces profondes dans toute son ceuvre. Ainsi sous l'impression plus ou moins directe des conceptions „deterministes", Couperus ecrira deux romans Eline Vere (1891) et Noodlot (1891), qui seront de cette philosophie les manifestations les plus directes, les plus emouvantes. Eline Vere, analyse subtile d'un cas de nevrose, fut considers du premier coup comme un chef-d'oeuvre. S'inspirant des theories „naturalistes" sur l'influence du milieu et de l'heridite, Couperus etudie les caracteres exclusivement sous ce biais. Eline est l'image vivante de son pere, ayant herite de lui sa faiblesse, son inconstance, ses ambitions spontanees et passageres. Par contre, sa soeur Betsy avait herite de sa mere son esprit d'independance, son caractere imperieux, le desk de se faire obeir en toutes choses, ce qui finit par lui preter un air de hautaine et insupportable superiorite, contrastant singulierement avec la passivit6 d'Eline. Le pere mourut jeune, desespere d'une vie manqu6e. Peu de temps apres, les deux sceurs perdirent leur mere et furent recueillies dans la maison d'une tante riche ou, par suite de l'action clemoralisante d'une vie clesoeuvree et luxueuse, tout concourait a developper en Eline son go-at de la reverie et de l'inaction. En dehors des divertissements ordinaires de son milieu et de son age, qu'elle ne goiltait guëre, elle ne connaissait vraiment qu'un seul plaisir, celui de s'abandonner a la lecture d'ouvrages romanesques 1) qui exaltaient son imagination, evoquant par ce trait le souvenir de cette autre heroine sentimentale a qui l'auteur peut avoir songs, Emma Bovary. Comme celle-ci, elle a la nostalgie d'un monde feerique et comme irreel. „Elle etait saisie d'un desk fou d'aller passer quelque temps dans un de ces châteaux anglais ou comtes et duchesses s'entr'aimaient avec grace et avec courtoisie, se donnant rendez-vous au clair de lune dans un parc seculaire" 2). Elle connait les heures de decouragement et de tristesse, se sent insensiblement glisser vers l'accablement moral et 1) Entre autres les romans de l'auteur anglais Ouida, voir Eline Vere, p. 19. 2) Eline Vere, p. 22. „En Eline voelde zich door een hartstochtelijk verlangen aangegrepen, om to logeeren in een dier oude Engelsche kasteelen, waar graven en hertoginnen elkaar met een hoffelijke etiquette zoo elegant beminden, en elkander rendez-vous gaven in den maneschijn van een eeuwenoud park". Cf. aussi la p. 69, on elle r8ve d'une promenade en gondole dans les canaux de Venise. Passages qu'on saurait comparer a ceux on Emma Bovary, sous l'impression de ses lectures, se livre a des reveries sentimentales. 132 physique, trop faible pour lutter contre ce que nous voudrions appeler „sa Fatalite". Elle se voit, avec une tres grande lucidite, le jouet de forces invincibles et indefinissables dont elle cherche en vain a fuir la cruelle obsession. „Une angoisse mortelle que des forces aveugles ne la contraignissent a descendre la pente qu'elle voulait a tout prix remonter, remonter . . . . alors, la colere, la colere s'emparait d'elle parce qu'elle le sentait nettement et qu'elle ne voulait pas le sentir, parce qu'elle restait trop faible pour virer de bord avec energie et faire face aux forces invisibles" 1). Il n'y a que ses fiancailles avec Otto van Erlevoort, jeune homme serieux et pondere, qui dissipent pour quelques mois ses inquietudes et ses reveries melancoliques, et eveillent en elle l'espoir d'une vie calme et heureuse. C'est dans la same et paisible ambiance d'une maison de campagne que ses nerfs malades retrouvent le repos bienfaisant et qu'elle ressent les plus heureux moments de sa vie, croyant un instant avoir trouve le vrai bonheur. Revenue a La Haye, l'illusion de la vie douce et calme de la province s'evanouit bien vite, surtout sous l'influence des conversations qu'elle a avec son cousin Vincent Vere. Comme consequence des exposes decourageants que ce dernier lui fait sur la fatalit6 et la vanite de nos luttes et de nos espoirs, elle ne tarda guere a decouvrir encore l'horrible 'leant de son existence et a retomber dans un desarroi complet. Ses derniers elans, ses dernieres velleites sont brises par les raisonnements pernicieux que lui tient Vincent, convaincu qu'on ne pouvait faire sa vie, qu'une chose dependait de l'autre, que „toutes les circonstances s'enchainaient depuis le hasard apparemment le moms important jusqu'a la catastrophe definitivement ecrasante. La vie etait une chaine que le Destin forgeait de tous ces hasards et catastrophes . . . . on n'y pouvait rien . . . ." 2). Dans les ameres et cl6courageantes paroles de „ce vagabond melancolique" qui cherchait dans les distractions et les Brands voyages l'oubli 1) Eline Vere, p. 229. „Een doodelijke angst, dat onzichtbare machten haar een hellend pad zouden afjagen, terwijl zij opwaarts wilde, opwaarts.... En toen, een woede, een woede, omdat zij het zoo duidelijk gevoelde en het niet gevoelen wilde en omdat zij te zwak bleef zich krachtig om te wenden en tegen de onzichtbare machten op te dringen". Voir aussi p. 236, 237. „Elle etait plus faible que sa fatalite (Zij was zwakker dan haar noodlot). 2) ibid., p. 216. „Men kon zich zijn leven zoo maar niet maken; het een king af van het andere, alle omstandigheden schakelden zich samen, van het minste schijnbare toevalligheidje af, tot de verpletterendste catastrofe, en het leven was een keten, die het noodlot van al deze toevalligheidjes en catastrofes smeedde . . . . daar was niets aan te doen . . . ." 133 de son malaise, nous reconnaissons aisement l'auteur lui-meme, tout pret a adopter le pessimisme profond que degageait le roman naturaliste. En ecoutant Vincent, discourant avec lui-meme et comme abattu par son noir pessimisme, on dirait entendre Couperus, exposant sa conception de la vie, sous l'impression immediate de ses lectures: „Il n'y avait ni bien ni mal dans le monde, tout etait comme cela devait etre, la consequence d'un enchainement de causes et de raisons; tout avait droit l'existence, personne ne pouvait rien changer ni a ce qui est ni a ce qui sera; personne n'avait de libre arbitre; chacun offrait une constitution, un temperament et ne pouvait agir autrement que selon les exigences de ce temperament, domin6 par le milieu et les circonstances" 1). Tous ces caracteres sont un peu construits d'apres le meme modele. Leur apparente uniformite laisse, comme chez les figures de Zola, l'impression de l'artificiel, quelquefois comme dans Noodlot, de l'invraisemblance. Tous presque representent des etres agissant et reagissant de la meme facon sous l'impression d'on ne sait quelle impulsion fatale a laquelle it leur est impossible de ne pas ober. Par leur manque de volonte et de force morale, ils se ressemblent curieusement comme les membres d'une meme famille. Eline ne resiste point aux propos clecourageants de son cousin; irresistiblement elle sent le morne abattement envahir son ame. Elle rompt avec son fiance et pressent qu'un jour elle sera irrevocablement la victime des forces mysterieuses qui l'ecrasent et l'entrainent vers une fin tragique. D'Eline on trouve l'image fidele dans le portrait de Paul van Raat, modele aussi du type faible, inconstant et nerveux, jouet de ses elans d'artiste. Aussi bien qu'Eline it se rend parfaitement compte de son manque d'energie 2). „ J'ai, dit-il, des acces, des poussees d'energie qui me font supposer que je suis capable de tout faire, mais bientOt ces beaux projets s'evanouissent comme des allumettes qu'on vient de frotter" 3). 1) ibid., p. 92. „Er was geen goed en geen slecht in de wereld; alles was zooals het wezen moest en het gevolg van een aaneenschakeling van oorzaken en redenen; alles had recht van bestaan; niemand kon iets veranderen aan wat was of zijn zou; niemand had een vrijen wil; ieder was een gestel, een temperament en kon niet anders handelen, dan volgens de eischen van dat temperament, overheerscht door omgeving en omstandigheden", voir aussi p. 9. 2) ibid., p. 28. „En hij zuchtte om zijn gemis aan energie om zijn onbeduidende talentjes tot iets hoogers te ontwikkelen" — it se plaignait de son manque d'energie pour dêvelopper ses petits talents mediocres. 3) ibid., p. 29. „Ik heb vlagen, rages en dan meen ik alles te kunnen doen — maar heel gauw branden die mooie plannen uit als afgestoken lucifers". On sait 134 D'aucuns ont cru voir dans Emma Bovary le prototype d'Eline Vere. Il est vrai qu'il y a dans les deux figures des traits analogues qui frappent: leur penchant pour le romanesque, leur aspiration au bonheur, leurs ennuis, leurs desillusions et leur fin tragique. Mais ce parallelisme dans leurs existences ne presente aucun indice, comme le dit avec raison M. W.-H. Staverman 1), qu'Emma Bovary eiit suggere a Couperus les traits essentiels de son heroine. D'ailleurs it y a entre les caracteres des deux femmes une difference sensible qui rejette toute idee d'emprunt. Eline, impuissante a lutter, a saisir et a sauvegarder un bonheur une fois conquis, est un etre passif, apathique; par la elle se distingue essentiellement d'Emma de qui elle ne tient ni la sensualite inextinguible ni l'acharnement a s'accrocher au bonheur, quand une fois elle croit le tenir. Emma, sensuelle, passionnee, saisissant toutes les emotions nouvelles pour chasser ses ennuis, sacrifie tout pour voir la realisation de ses vceux. Elle est d'ailleurs mariee; comme son sort est intimement lie a celui de son mari et de son enfant, sa mort entrainera avec elle les plus terribles consequences. Eline est seule, incomprise des autres; elle desire quitter un monde ou elle s'ennuie, ofi elle se sent malheureuse et abandonnee, alors que les autres se livrent au flirt et aux plaisirs egoistes. C'est l'eternel drame de la solitude morale, oil l'auteur a beaucoup mis de lui-meme, oil nous le reconnaissons avec ses pensees, ses luttes, ses conflits interieurs. Dans son second roman Noodlot [Fatalitd] 2) l'obsession d'une rigoureuse necessite n'est pas moins preclominante que dans Eline Vere. Si dans ce dernier roman on constate chez certains types, chez Paul van Raat entre autres, le retour heureux vers la sante morale, dans Noodlot tous les personnages perissent sous le coup de l'impitoyable Destin. Frank, Eve, sa fiancee, Bertie, l'intrigant sournois et faible, vivent tous les trois sous l'oppressante menace de l'inevitable catastrophe qui, a la que les freres Goncourt ont trace dans la figure d'Anatole Bazoche le modele de l'artiste qui s'emballe vite mais manque absolument de perseverance, type oil l'on reconnait immediatement les Vere, les Paul van Raat, cf. Manette Salomon, ed. Flammarion et Fasquelle, p. 54, 55. ,,Il n'avait pas cette persistance, cette volonte et ce long courage du travail qui tire le talent de l'effort continu d'un accouchement laborieux. Il n'avait que l'entrain de la premiere heure et le premier feu de la chose commencee. Sa nature se refusait a une application soutenue et prolongee". 1) De Nieuwe Taalgids, XI, p. 133 sqq. art. De Roman van twee hystericae [Le roman de deux hysteriques]. 2) L. Couperus, Noodlot. Uitgevers Maatschappij „Elsevier", 1891. Le roman a ete dedie a son ami Frans Netscher. 135 fin, s'abattra sur eux et paralyse, comme d'avance, leurs mouvements. „Moi, je n'y puis rien si je suis ainsi. Je nais sans le demander; j'ai mon cerveau sans le vouloir; je pense, et je pense autrement que je ne voudrais penser, et ainsi je suis projete par la vie, comme une balle, comme une balle . . . ." 9. „Cela devant arriver; c'etait inevitable. Fatalite, fatalite, Oh, le repos de ,l'inertie, rester assis, sans mouvement, sans energie, sans volonte" 2). De telles expressions abondent dans le roman, et l'auteur les met invariablement dans la bouche de ses personnages qui prennent un peu l'air de fantoches agissant sous l'action du meme ressort mysterieux. Taus manquent d'energie et de courage, se sentent ld.ches et veules sous la menace du coup fatal. „Et devant lui it (Frank) voyait se derouler de nouveau la chaine fatale d'evenements constituant chacun un chainon terrible, menant quelquefois a des catastrophes" 3). „Pourquoi lutter contre le sort qui rive aveuglement les chaines, chainon apres chainon" 4), „Il serait absurde de lever le poing contre le fatum, si puissant, si toutpuissant" 5). „L'avenir commencait a menacer, comme une calamite, approchant de jour en jour, d'heure en heure, inevitable, ineluctable" 6). Ces idees et ces declarations, qui foisonnent a travers le roman, rappellent immediatement les idees analogues exprimees par les contemporains, par Emants par exemple dans son Nagelaten Bekentenis, ou bien la philosophie fataliste qui se degage des premiers romans de Zola. A ce point de vue it est curieux de remarquer que l'auteur semble avoir 6crit sous l'impression encore vive de sa lecture de Therese Raquin, dont la donnee generale, le supplice du remords et la description de certains details, notamment celle de l'apparition du masque de mort, semblent lui avoir inspire une partie essentielle de son roman. 1) Noodlot, p. 178. „Maar kan ik er jets aan doen, dat ik zoo ben? Ik word geboren, zonder het te vragen; ik krijg hersens zonder het te willen; ik denk, en ik denk anders dan ik zoil willen denken, en zoo word ik geslingerd door het leven, als een bal, als een bal". 2) ibid., p. 151. „Het moest gebeuren; het was niet te ontloopen. Noodlot, noodlot. 0, de matte rust, te blijven zitten, roerloos, energieloos, willoos. 3) ibid., p. 48. En voor zich zag hij de noodlottige keten der soms oneindigkleine gebeurtenisjes zich opnieuw ontrollen, ieder gebeurtenisje een vreeselijke schakel, soms leidend tot catastrofen. 4) ibid., p. 54. Het was krankzinnig den vuist te ballen tegen het fatum zoo machtig, zoo oppermachtig. 5) ibid., p. 5o. Vechten ? Tegen het lot, dat zijn kettingen blind in elkaar voegt, schakel aan schakel? 6) ibid., p. 47. De toekomst begon te dreigen als een onheil, dat iedren dag, ieder uur, nader en nader kwam, onafwijsbaar, onafwendbaar. 136 Nous n'ignorons pas que l'intrigue dans Noodlot differe essentiellement de celle de Therese Raquin. Bertie, pousse par sa jalousie a empecher le mariage entre Frank et Eve, est tue par Frank dans un acces de colere. Mais quand Frank et Eve sont reunis par le mariage, ils sont persecutes, de meme que Therese et Laurent dans le roman de Zola, par le masque de mort de l'assassine qui les fascine de son horrible regard. „Un de ses yeux etait une tache, sans forme, moitie figee, moitie liquide; l'autre sortait de son orbite, comme une grande opale de tristesse. Autour du cou semblait se fermer un collier violet tres large. Et maintenant qu'ils regardaient fixement ce visage, ii semblait se gonfler toujours dans une recreation horrible d'une chose meconnaissable" 1). „Il arrivait alors un moment oil ils ne pouvaient plus se sentir les mains, oil ils n'osaient plus le faire. L'ombre de Bertie, avec son masque sanglant, violet, se glissait entre eux; ils se detachaient l'un de l'autre et songeaient tous les deux au mort" 2). Ce passage rappelle immediatement la scene dans Therese Raquin oil la victime s'interpose egalement comme un spectre vengeur entre les deux coupables. Apres le meurtre, Frank fait le raisonneur, se disant qu'il aurait pu eviter le coup de la Fatalite, s'il avait su se maitriser; le remords vient le tourmenter comme un supplice. Des lors la vie leur devient impossible, ils se suicident en prenant du poison, denouement qui frise ici le melodrame. „Elle s'affaissa, en se tordant, sur le corps qui gisait au-dessous d'elle, se cachant dans le vetement deboutonne, mourant la . . . ." 3). Pour le present travail it nous semble inutile de suivre l'auteur dans son oeuvre immense. D'abord Couperus n'evolue guere; chez lui aucun de ces revirements spontanes et eclatants que fait voir l'evolution ar1) Noodlot, p. 183. „Het eene oog was een vormloos halfgestolde, half liquide vlak, het andere puilde uit zijn ovale kas, als een groote opaal van treurigheid. Om den hals scheen zich een zeer breede, paarsche halsband to snoeren. En het was, nu wij beiden op dat gelaat staarden, of het zwol, steeds opzwol in een afzichtelijke herschepping van onherkenbaarheid". 2) ibid., p. 195. „En er kwam dan een oogenblik, dat zij elkaar zelfs niet meer zoo konden vasthouden, het niet meer durfden. De schim van Bertie, met zijn violet, bloedend wanhoopsmasker, gleed tusschen hen in; zij lieten elkaar los, en zij dachten beiden aan den doode". 3) ibid., p. 211. „En ze zonk, kronkelend, op het lichaam onder haar neer, wegschuilend in de los geknoopte jas, daar stervend . . . ." Le theme du remords, apparaissant dans le recit comme un spectre affreux qui poursuit l'individu jusqu'a sa mort, a ete repris par Couperus dans son beau roman Van oude menschen, de dingen die voorbijgaan . . . . [De vieilles gens, les choses qui passent .... ] . Amsterdam, L.- J. Veen, s. d. (1906). I-37 tistique de Van Deyssel. On sait qu'apres ses romans sur la vie moderne, Couperus se detourna du present pour se vouer avec passion a l'etude des ages lointains qui, depuis sa jeunesse, l'attiraient d'une fawn irresistible 1). Apres Eline Vere, Noodlot et son beau roman De Kleine Zielen [Les petites Ames] (1901-1903), qui par sa conception se rattache au „roman domestique" de Balzac et de Flaubert, viennent ses romans des rois de l'Antiquite De Berg van Licht [La Montagne de Lumiêre] (1905), Xerxes (1919) et Iskander (1920), oil it 6voque trois grandes periodes classiques avec leurs figures centrales: Heliogabale, le jeune empereur capricieux, mystique, voluptueux qui excite par ses perversites la colere des Romains, qui le tuent miserablement; Xerxes, le roi borne et orgueilleux qui ne concoit pas dans son aveuglement la folie de ses fatales entreprises; Alexandre, le grand conquerant que perdent les vices des pays orientaux qu'il a asservis. Mais rien au fond n'avait change, ni dans son art, ni dans sa conception de la vie et sa vision du monde. L'idee que l'homme n'est que le produit fatal de ses origines et de son milieu 2), obeissant aveuglement a ses instincts et incapable d'intervenir dans sa propre destinee, nous la voyons ressurgir dans ses romans sous toutes les faces. Xerxes, Alexandre, Heiogabale sont tous la proie de leurs mauvaises passions, auxquelles ils succombent, sans force pour leur resister. C'est son androgynie et un gout malsain de se laisser adorer par son peuple qui poussent Heliogabale vers les plaisirs scabreux contre-nature qui lui font trouver une fin miserable dans les Latrines 3). 1) Ce qui prouve qu'avant ses drames modernes it s'est déjà preoccupe des civilisations anciennes, ce sont quelques fragments et poemes recueillis sous le titre De Orchideeen [Les Orchide'es], &lite en 1886, trois ans done avant la publication d'Eline Vere. Il y a quelques fragments curieux, entre autres In het huffs bij den Dom [Dans la maison pres du Dome] et Een Middag bij Vespaziano [Une matinee aupres de Vespaziano] qui sont visiblement inspires sur Petrarque et l'epoque de l'humanisme naissant, cf. Cath. Ypes, Petrarca in de Nederlandsche letterkunde [Pe'trarque dans la litte'rature hollandaise]. Amsterdam, „De Spieghel", 1934, p. 357 sqq. Netscher, dans l'article cite, explique comment Couperus avec Psyche (1898) et ses romans de l'Antiquite (sa troisieme periode) est revenu a sa premiere periode oil se revelait son gait de l'Orient, tendance dominatrice chez lui et interrompue seulement par la periode naturaliste (la deuxieme) oil C. a fait une peinture de la vie reelle de tous les fours. 2) Dans Majesteit [Majeste] (1893) par exemple, Couperus prete son attention au probleme de l'heredite; s'il nous a trace dans la figure d'Othomar l'image vivante de la mere, it n'est pas difficile de reconnaitre dans celle de Berengar les traits du pore. 3) D'apres M. P. Valkhoff Couperus se serait inspire pour le roman De Berg van 138 II serait difficile de decouvrir dans ces epop6es de l'Antiquite des „influences" proprement dites, bien que maintes fois Couperus semble s'etre inspire de ses lectures francaises 1). C'est ainsi que dans Flaubert ii decouvre une tendance analogue a la sienne, qui lui fait voir dans l'auteur de Salammb6 un maitre et un guide. „Flaubert a ete pour moi, comme pour tous ceux qui veulent ecrire un roman historique un grand et bet exemple, non pas en ce qui concerne la psychologie — car nous autres, jeunes auteurs, sommes ailes beaucoup plus loin, et je crois avoir produit dans De Berg van Licht une analyse bien plus delicate et plus complete que Flaubert dans Salammb6 — mais par ce qu'il y a dans son oeuvre de sêrieux, de documents, de vrai et surtout par la forme" 2). Evidemment it ne s'agit pas ici d'une influence directe, consciente.Tout au plus Flaubert, par ses peintures d'un passe feroce et sensuel, decouvre a l'auteur de Majesteit et de De Berg van Licht un monde riche et puissant, vers lequel le poussaient tout naturellement ses gouts romantiques, sa nostalgie des pays lointains et mythologiques 3). Dans toutes nos lettres d'apres 188o, on ne saurait designer aucun auteur qui, a l'egal de Couperus, ait su interpreter d'une fawn si geniale l'idee d'une implacable necessite qui domine notre vie et nos actes. Avec une incomparable maitrise it avait rthissi a préter des formes a une Licht de l' Agonie (1902) de Lombard, modele qu'il depasse d'ailleurs de loin par son talent de visionnaire et ses peintures evocatrices et saisissantes de la Rome de ces jours. Voir son interessant article Couperus en Lombard dans De Gids, 1936, I, p. 357 sqq. Par la hardiesse de certaines descriptions, le roman avait soulevê les plus vives protestations, oil l'on traitait Couperus d'auteur „pervers, immoral, decadent", voir P. Valkhoff, art. cit., p. 37o sqq. 1) Couperus a traduit en hollandais La Tentation de Saint Antoine de Flaubert [De Verzoeking van den Heiligen Antonius]. Amsterdam, L.-J. Veen, 1896, „simple exercice litteraire" d'apres son biographe Henri van Booven; voir son etude p. 138. 2) Den Gulden Winckel, 1917, interview d'Andre de Ridder avec Louis Couperus, p. 20. „Flaubert is voor mij, zooals voor iedereen die een historische roman wil schrijven, een groot, schoon voorbeeld, niet voor wat psychologie betreft — want wij jongeren zijn heel wat verder gekomen, en ik geloof, dat ik in De Berg van Licht heel wat fijner en vollediger psychologie gegeven heb dan Flaubert in Salammb6 — maar qua ernst en documentatie en waarheid en qua vorm vooral". 3) ibid., p. 23. „ J'aime beaucoup le roman historique car j'aime a vivre au passé; je suis ne passetiste, je mourrai passetiste" (Ik houd veel van de historische roman, want ik leef graag in 't verleden. Ik ben passatist geboren, ik zal passatist sterven). Voir aussi le tres interessant article que consacre M. W.- J.-E. Kuiper a l'influence de l'Antiquite sur l'oeuvre de Couperus, De Nieuwe Gids, 1917, I, p. 623, art. Louis Couperus en de Grieksch-Romeinsche Oudheid [Louis Couperus et l'Antiquite gre'co-latinej. 139 philosophie qui, partant de la France, avait lentement penetre dans notre domaine spirituel. Or, une telle conception de la vie qu'encourageait et favorisait particulierement la philosophie schopenhauerienne, si vantee a cette heure, ne devait pas tarder a jeter l'alarme dans certains milieux orthodoxes, calvinistes et catholiques. Les preclicateurs et les pedagogues ne faisaient que s'inquieter vivement d'une tendance qu'ils consideraient comme une influence fatale sur les jeunes times qui leer etaient confiees. C'est a ce point de vue que nous signalons la publication de deux brochures parues peu de temps apres l'apparition d'Eline Vere et de Noodlot, l'une d'un chef d'ecole 1), l'äutre d'un pasteur protestant 2), qui tous deux se sentaient appeles a mettre la jeunesse en garde contre les dangers d'une litterature, dont on voudrait „aneantir l'effet redoutable et paralysant" 3). Dans les idees, qui semblaient se &gager des deux romans, Van Loenen Martinet voyait „un agent pathogene qui se repandait et ruinait le sentiment de la responsabilite et du devoir, l'empire de soi-meme, en un mot la personnalite morale 4)". „On ne s'etonne pas, disait Den Hertog, que l'apparition de ces oeuvres d'art n'eveillent pas seulement des impressions esthetiques, mais encore des effets d'ordre philosophique et moral et que beaucoup qui sont temoin de ces horreurs plient les ailes et commencent a se sentir de nouveau emprisonnes dans les mailles d'un inevitable filet" 5). Ces attaques, qui blament l' oeuvre au point de vue du fond et des idees, ne compromettent en rien l'incontestable superiorite de l'auteur qui nous emerveille encore de nos j ours par la rare souplesse et les beautes rythmiques de sa prose, par le charme prof and et puissant de son style 1) C.-H. den Hertog, Noodlottig determinisme [De'terminisme fatal]. Amsterdam, W. Versluys, 1891. Voordracht naar aanleiding van L. Couperus' Eline Vere en Noodlot (Conference a propos d'Eline Vere et de Noodlot de L. Couperus). 2) J. van Loenen Martinet, Het Fatalisme in onze jongste letterkunde [Le fatalisme dans la litte'rature la plus re'cente]. Haarlem, Tjeenk Willink, 1891. 3) Den Hertog, op. cit., p. 12, „die vleugelverlammende beduchtheden onschadelijk te maken". Staverman aussi (dans l'article cite) et G.-F. Bouman dans Studien [Etudes], C, CI, CIII, s'opposent au fatalisme dans l'o3uvre de Couperus. 4) Van Loenen Martinet, op. cit., p. 14. „een ziektestof, die invreet en het besef van verantwoordelijkheid, het plichtgevoel, de zelfbeheersching, met een woord de zedelijke persoonlijkheid wegvreet". 5) ibid., p. 14. „Doch evenmin kan 't verbazing wekken, dat de verschijning dezer kunstwerken andere dan louter aesthetische indrukken teweegbrengt, maar ook overwegingen van philosophische en moreele aard uitlokt, en dat velen, die van deze verschrikkingen getuige zijn, weer de vleugels laten hangen, en zich opnieuw gevangen beginnen te gevoelen in de mazen van een onontkoombaar net". 140 auquel on ne resiste guere. Lui qui, par sa conception de la vie et du monde, se rattache immediatement aux tendances philosophiques et scientifiques de l'heure, semble avoir dedaigne les pretentions esthetiques de ses contemporains, en restant ainsi en dehors de toute influence immediate. Rien dans son style ne rappelle les procedes artistiques chers aux auteurs naturalistes et impressionnistes. Fidele a lui-meme ii fut un artiste grand et vrai, le plus grand sans doute qu'ait produit chez nous cette fin du XIX e siecle, le plus moderne aussi puisque, se liberant des tendances de son époque, il est si pres de nous, tout vivant et humain 1). AARON ALETRINO (1858-1916) Cet auteur qui, par son gout des etudes pathologiques et la nature de son pessimisme, se rapproche immediatement de Marcellus Emants, se distingue nettement de lui dans son art, oil il se revele un des representants les plus caracteristiques de la litterature d'apres 1880. D'origine juive, comme Hartog et Heijermans, Aletrino etait une nature sensible, naturellement portee a la melancolie, aimant a decrire les sensations deicates, menues et tendres, avec un infini besoin de se livrer aux speculations sur la vie et la mort. A un age relativement bas, il eut conscience de ce que c'est que la souffrance et la solitude morale 2). „Aletrino etait une nature sombre, disait a propos de sa mort en 1916, son ami et compagnon d'etudes Van Eeden, ii etait plein d'une profonde melancolie qui l'accablait" 3). Toute sa vie en effet Aletrino fut tourmente par l'idee de la mort dont l'approche mencante ne cessait de le hanter, obsession d'autant plus cruelle qu'il etait sans aucune foi dans une survie, tuee definitivement en lui, parait-il, par ses etudes des sciences naturelles et de la medecine 4). 1) De Couperus on a traduit en francais ses romans Majesteit [Majeste] et Wereldvrede [Paix universelle] (ed. Pion). Lire aussi dans Le Monde Nouveau, 1922, p. 678 sqq. la traduction d'un fragment du „conte symbolique" Psyche (1898). 2) Nous en retrouvons des accents douloureux dans son roman Zuster Bertha [Sceur Berthe] oil le jeune docteur, en qui nous reconnaissons Aletrino lui-méme, raconte sa jeunesse solitaire et melancolique, son sejour affreux au college, choses qui avaient meme, semble-t-il, echappe a l'attention de son pere. 3) Voir l'article que lui consacre son ami Frederik van Eeden dans De Amsterdammer du 23 et 3o janv. 1916. „Hij zat vol diepe, zware somberheid". 4) Voir Van Eeden, art. cit. „Hij vreesde den dood met een groote, hem nooit verlatende vrees. Hij kon niet gelooven in een voortleven. Zijn medisch natuurwetenschappelijke opleiding had eens voor al dat geloof in hem vermoord". 141 Grace a son excessive emotivite, Aletrino se montrait au plus haut degre sensible a la souffrance de ceux qui vivaient dans la misere ou qui devaient endurer d'affreuses douleurs physiques. Aussi etait-il tout particulierement compatissant a ce que renfermaient de profondement tragique les epopees des grandes miseres sociales et humaines des Goncourt et de Zola, auteurs qu'il lisait et etudiait avec assiduite. „ J'aime beaucoup Zola (jusqu'a Rome), Flaubert, Huysmans, les Goncourt, Guy de Maupassant 1). Il se rangeait, oubliant un peu involontairement Jan ten Brink, Van Santen Kolff, Netscher et Van Deyssel, parmi les premiers enthousiastes qui admiraient Zola. „Les membres de la redaction du Nieuwe Gids ne connaissaient pas encore Zola, lorsqu'ils fondaient leur journal" 2), declaration assez temeraire, parait-il, et que nous ne croyons pas devoir prendre trop a la lettre, pas plus que son assertion que Zola aurait eu sur lui une influence profonde. Tout ce qui est silt-, c'est que le naturalisme francais a excite en lui de tres grands et tres vifs enthousiasmes, la oil ses amis Kloos et Van Eeden se montraient — pour des raisons differentes — tout a fait reserves. D'ailleurs ce ne furent pas avant tout les naturalistes qui eveillerent en lui ses aspirations litteraires. Au moment oil il les connut, il s'etait dej a. revele comme auteur, encourage surtout par l'aimable et chaleureux accueil que ses premieres tentatives avaient trouvees aupres de ses amis Kloos et Van Eeden. A la demande de son interviewer comment lui fut revelee sa vocation litt6raire, il repondit que personne au fond ne l'avait inspire. C'est venu tout seul, disait-il, mais aussi par Van Eeden 3) et les autres tenants du Nieuwe Gids 4). Kloos surtout semble avoir eu sur sa formation litteraire et artistique une influence decisive. „ J'attends beaucoup de toi et de to collaboration au Nieuwe Gids, paroles qui furent d'une grande influence sur mon travail" 5). Mais la litterature etrangere ne cessa d'eveiller son interet et il 1) Lire l'interview qu'eut avec lui E. d'Oliveira Jr., Met Dr. A. Aletrino [Chez le Dr. A. Aletrino], Den Gulden Winckel. 1908, p. 117. 2) ibid., p. 114. „De redactieleden van de Nieuwe Gids kenden de Fransche naturalisten nog niet, toen ze hun tijdschrift oprichtten. Ik behoorde tot de eersten in ons land die Zola lazen. En Zola heeft ook erg veel invloed op mij gehad". 3) Par Van Eeden, Aletrino fit en 1883 la connaissance de Kloos, de Verwey, de Paap et de Frank van der Goes. Il a toujours eu une grande veneration pour Van Eeden qui lui a lu, a lui le premier, son Kleine Johannes. 4) Den Gulden Winckel, 1908, p. 113. 5) Gedenkboek De Nieuwe Gids [Livre d i or du Nouveau Guide], I oct., 1910, p. XXXI. „Ik verwacht heel veel van je en van je medewerking aan de Nieuwe Gids. Dit zeggen is van grooten invloed op mijn werkengeweest". 142 se laissa bientOt entrainer a prendre pour exemple les maitres du naturalisme francais, dont les procedes litteraires ne seront pas sans laisser des traces profondes dans son oeuvre. C'est d'eux qu'il herite le gout des descriptions d'un realisme cru et poignant dont on saurait relever chez lui maint passage d'une analogie frappante avec leurs modeles. Que son inter& f ut presque exclusivement oriente vers le naturalisme francais, nous le savons par un article de sa main, publie en 19oz dans De Twintigste Eeuw [Le vingtieme Siecle]: Hoe een roman wordt geschreven [Comment on, icrit un roman]. Cet article fait preuve d'une connaissance tres etendue de l'oeuvre des naturalistes francais, qui lui fournissaient de precieux exemples sur la conception et la genese de leurs romans. C'est d'eux qu'il tenait sans doute l'habitude de se documenter soigneusement en vue de ses compositions. Notamment l'exemple des Goncourt, qui se plaisaient a noter tout ce qui valait la peine d'être retenu, parait l'avoir frappe et amene a en faire autant. „Moi-meme j'ai pris pendant longtemps des notes pareilles pour m'en servir dans mon oeuvre raire; encore maintenant je ne manque jamais de coucher aussitOt par ecrit tel ou tel evenement qui me frappe fortement et de conserver cela 1). Mais ce qui l'a tout particulierement attire dans l'ceuvre des Goncourt et de Zola, ce sont les subtiles et pen6trantes analyses de cas de maladie nerveuse, c'est la fawn dont ces auteurs s'astreignaient a depeindre des detraques et des clegeneres, a noter minutieusement les phases d'une agonie ou d'une desagregation cerebrale. Leurs romans devaient immediatement eveiller l'interét d'Aletrino, qui lui-meme faisait des etudes speciales de pathologie et de criminologie et qui, comme medecin de l'assistance publique, frequentait journellement les quartiers misereux du Kadijk et de Kattenburg. En raison de ses etudes scientifiques et de sa profession meme, qui le mettait chaque jour en un contact immediat avec la souffrance physique et morale, it devait fort apprecier l'objectivite avec laquelle ces auteurs peignaient les anomalies du corps et de Fame. Ce n'est pas sans raison qu'il louait Germinie Lacerteux comme „une etude remarquable de Paine humaine, telle qu'on n'en trouve que das les romans des naturalistes" 2). Puis son metier, la vie a l'hOpital 1) De Twintigste Eeuw, VIII, I, p. 726. „Ikzelf heb een langen tijd zulke aanteekeningen gehouden en er gebruik van gemaakt, bij het samenstellen van letterkundig werk; nog verzuim ik nooit een invallende gedachte of een gebeurtenis die mij erg treft, dadelijk op te schrijven en te bewaren". 2) op. cit., p. 725. „Germinie Lacerteux, een merkwaardige psychologie, een studie van de menschelijke ziel, zooals men alleen in de boeken van de naturalisten kan vinden". 143 ont grandement influe sur son travail litteraire 1). Plus qu'aucun autre, Aletrino sera capable d'evoquer devant nous la misere des pauvres existences. Ses experiences personnelles, ses lectures, le coudoiement regulier de la misere humaine dans ses manifestations les plus cruelles ont decide de son choix et lui ont inspire presque toutes ses nouvelles, ainsi que ses deux romans Zuster Bertha (1888—'91) et Martha (1893—'95)3). Rappelons du premier de ces deux romans quelques details de sa genese qui, par rapport a notre etude, est extremement curieuse. Concu en 1882 d'apres des souvenirs personnels, il l'abandonne bientOt, ne le reprenant qu'apres la lecture de deux romans francais qui, par l'analogie des milieux oil se deroulait l'action, devaient exciter son interet particulier, savoir Sceur Philomene (1887) d'Edmond de Goncourt et les Amours d'un Interne (1882) de Jules Claretie. Ii apprecie peu le roman de Claretie qu'il dit avoir lu sans aucun plaisir. Par contre le premier a eveille en lui, par la verite dans l'observation et l'exactitude des peintures realistes de la vie a l'hOpital, un vif enthousiasme, a tel point qu'il decida de recommencer son recit, fortement inspire cette fois-ci de son modele. Dans son roman il y a des scenes qui, par leur realisme poignant, en rappellent de singulierement analogues dans celui de Goncourt, celle par exemple de l'operation que fait le professeur devant ses 1)Cf. Den Gulden Winckel, 1908, p. 114. „Le temps que j'ai passe a la clinique a ete d'une grande influence sur mon oeuvre" et p. 116: „Les etudes de medecine m'ont porte cette atteinte. Toujours j'ai ete une nature un peu contemplative, mais c'est justement l'idee qu'il faut mourir qui rend la vie si miserable. Oui, une concentration de miseres. Ce que j'ai pleure la, je vois toujours le cote noir de la vie" (De gasthuistijd is van grooten invloed geweest op mijn literatuur. — De heele studie van de medicijnen heeft me die knauw gegeven. Ik was altijd een beetje contemplatief. Maar juist dat je dood moet, dat maakt 't leven zoo verduiveld ellendig. Ja, een concentratie van ellende. Ik heb daar wat afgehuild. Ik zie altijd de donkere kant van het leven). Sa gaiete bien connue par laquelle .'l savait amuser ses auditeurs etait plutOt „exterieure" et nous n'avons pas besoin de douter de la sincerite de son pessimisme. „Cet auteur des livres les plus tristes et les plus navrants qui aient jamais ete ecrits dans notre langue, disait Van Eeden, etait notre camarade le plus gai, le plus vif, le plus spirituel qu'on puisse se figurer" (Deze sombere schrijver van de meest verdrietige en lugubere boeken, die in onze taal geschreven zijn, was de joligste, levendigste, geestigste kameraad, die men zich denken kan). 2) A. Aletrino, Zuster Bertha [Sceur Bertha]. Amsterdam, W. Versluys, 1891, roman dedie a Martha et Frederik van Eeden. 3) A . Aletrino, Martha. Amsterdam, Scheltema & Holkema's boekhandel, s.d. roman dediê a son ami, le Dr. N. van Rijnberk. I44 etudiants ou la scene lugubre du panier ou l'on depose un cadavre 1). Inspire des procedes de Zola et des Goncourt, it s'attacha, apres eux, a evoquer par des desseins hardis et colorês ce qu'il y a d'infiniment desole et de tragique dans ces douloureuses existences. Voici la description d'un cadavre, repugnant dans son affreuse laideur, peinture d'une impitoyable ferocite telle que notre litterature n'en connaissait encore guere. „Au milieu de la salle vide, paisible, gisait sur la fameuse dalle le cadavre sous un drap d'un blanc douteux. Les pieds seuls, a la peau ridee, seche, aux ongles noirs et difformes en sortaient. Le visage etait decouvert. Ebouriffee et souillee par la salive qui les derniers moments tait sortie de la bouche et qui await forme une croilte dessechee, une barbe crepue, rousse, a taches grises encadrait ses joues creuses et les levres d'un bleu sale" 2). Maintes pages de ses romans ou de ses nouvelles s'inspirent de sa compassion pour le sort des declasses, des dechets de la vie, de son indignation aussi devant les nombreuses iniquites sociales qu'il decouvre autour de lui. Partout se revee une ame douloureusement emue a la vue de toutes les miserables et honteuses existences que nous presente l'humanite. Il y a un accent d'emouvante pitie dans l'esquisse, intitulee Pinksterbloem [Une flew printaniere], oil l'auteur d&rit l'affreuse misere d'une femme du peuple, enceinte, maltraitee par son mari ivrogne et qui se traine par une belle journee de printemps dans la rue pour mendier son pain 3), de meme que dans celle qui s'intitule Herinnering [Souvenir], ou it evoque le sort du prisonnier qui, apres deux ans de reclusion, 1) Quoique nes d'une inspiration bien differente, it y a quelque conformite dans la composition des deux romans qui s'ouvrent tons deux sur une exposition oil l'auteur nous jette au beau milieu de l'action pour remonter apres vers le veritable point de depart d'oil it developpe l'intrigue. Aletrino souligne surtout la solitude morale qui est la sienne, tandis que Goncourt peint objectivement le drame intime de sceur Philomene, victime de sa passion pour un etudiant en medecine, Barnier, de qui Aletrino semble tenir son pessimisme, son idee de „a quoi bon" qui le pousse vers le suicide. 2) A. Aletrino, Novellen. Amsterdam, Scheltema & Holkema, s.d., p. 25, esquisse Uit den Dood [De la Mort] (aofit 1886]. „In het midden van de stille, leége zaal, op den bekenden tafel, lag het lijk onder een groezelig, wit laken. Alleen de voeten staken er uit, met droog geplooid vel en lange, vuile, misvormde nagels. Het gezicht was bloot. Verward en vuil door het speeksel, dat in de laatste oogenblikken uit den mond was geloopen en dat tot een korst was opgedroogd, kroesde een rosse, grijs gevlekte baard om de ingevallen wangen en smoezelig blauwe lippen". 3) ibid., p. 7o. 145 quitte sa cellule dans un etat d'abrutissentent pour ne ressentir aucune joie en recouvrant se liberte 1). Mais ce qui ne cesse de hanter Aletrino, c'est l'idee de la mart. „Tout ce qu'il sentait, tout ce qu'il voyait, tout ce qu'il entendait se dissolvait en une grande idee confuse: la Mort" 2). Elle se presente a lui sous tous les aspects, l'obseclant par ses visions macabres. La face hideuse de l'enfant mort, couche dans sa boite, ou la figure horrible du noye lui suggerent sa fin a lui. „ Je me vois moi-meme, bleu et convulsionne au fond de l'eau oil je m'enlise dans la boue, souffle et &figure, et je suis du regard mon propre cadavre qui se gonfle et monte a la surface, s'accrochant a un chaland, repeche par un marinier qui passe" 3). Ii n'a plus aucune foi -dans la science puisqu'elle est impuissante a soulager les maux, a nous preserver de la fin terrible. Sans foi dans une survie, it se pose la question: „à quoi bon", convaincu que la vie n'est qu'un long calvaire, ne valant pas la peine d'are vecue, conception de vie qui rappelle le pessimisme amer d'un Guy de Maupassant, en qui it se reconnait: „Oh, celui-la est quelquefois si terriblement melancolique. Rarement j'ai lu quelqu'un qui silt ecrire des choses d'unq, si amere melancolie" 4). Autre trait qu'il a de commun avec le naturalisme francais, c'est que ses personnages sont des types livres a leurs sentiments et a leurs instincts, contre lesquels i1 leur est incapable de lutter. Ne voyant plus d'issue a la douleur, degofites d'un monde abject et avili qu'ils desirent quitter, ils glissent irremediablement vers un morne desespoir. Aussi les caracteres qu'il nous presente montrent tres peu de variete; ce sont tous des types faibles, flasques, veules, qui ne raisonnent guere, incapables de reagir ni de lutter. La certitude de se sentir victimes les rend inaptes a l'action, 1) ibid., p. 147. Ce recit oil vibre un coeur noblement indigne, devient a legal de La Fille Elisa un acte de protestation contre le systême rigoureux des prisons. 2) ibid., p. 35. „Tout dans ses pensees finissait par la mort, tout ce qu'il sentait, voyait, entendait se resolvait en une grande idêe confuse: la Mort. Il sentait que cela ne changerait jamais plus" (Alles wat hij dacht eindigde met den dood, alles wat hij voelde, wat hij zag, wat hij hoorde, alles loste zich op in een groot, vaag begrip: dood. Hij voelde dat 't nooit meer anders kon zijn). 3) Novellen, p. 15. Esquisse intitulêe In 't Donkey (nov. 1885). „Ik zie mijzelf blauw en verwrongen onder water liggen, waar ik vastzuig in den modder, bevuild en gehavend en volg mijn eigen lijk, dat opzwelt en naar boven drijft. 't Blijft aan een schuit hangen, opgevischt door een voorbijvarend schipper". 4) Den Gulden Winekel, 1908, p. 117. „Ah, die is soms zoo geweldig melancholisch. Ik heb zelden iemand gelezen, die zulke bitter-melancholieke dingen kon schrijven als Guy". I0 146 les plonge dans l'abattement moral, dont ils n'ont point la force de sortir 1). Its sont paralyses d'avance dans leurs mouvements, convaincus que tout ici-bas ne vaut pas grand'chose, qu'apres cette vie bailie seul le vaste 'leant, conception foncierement pessimiste qui deroutait et choquait le bourgeois autant que les pretendues immoralit6s dans les descriptions. Dans tous ces personnages it n'est pas difficile de reconnaitre l'auteur, homme d'une susceptibilite maladive, naturellement porte aux sombres et melancoliques contemplations. Marthe et Berthe, ce sont tour a tour Aletrino lui-meme, epanchant son spleen, exprimant dans une prose mollement cadencee ses poetiques et melodieuses plaintes qui par leur invariable ton en mineur ne tardent pas a laisser l'impression d'une lourde monotonie. Infiniment sensible aux nuances atmospheriques, aux jeux de la lumiere, aux beautes evanescentes, Aletrino sait decouvrir dans le monde exterieur les accents qui correspondent a son moi intime, choisissant avec un talent remarquable le decor et les images qui refletent et soulignent l'amertume de son ame. La langue musicale, cadencee, evoque a merveille par son rythme lent et trainant 2) les sensations qu'il recoit du dehors, telle l'atmosphere melancolique d'une chambre deserte, des sombres silences de la nuit, d'une journee d'automne 3). I1 a recours a la synesthesie dont it use adroitement quelquefois, marquant les sensations par des couleurs, parlant du „bleu &sir", des „voluptes jaunes", des „passions 1) Cf. Martha, p. 83. „Le sentiment d'une grande desillusion dominait sa vie" (Een groote onvoldaanheid hing over haar leven); Novellen, p. 112. „Abattu, terrassê par la douleur angoissante qui l'envahissait, it frissonna dans la lassitude d'un relachement de ses forces" (Mat geslagen door de benauwende smart, die in hem opdoemde, rilde hij in een moede losvalling van zijn krachten); De Nieuwe Gids, 1893, p.218, fragment intitule Zondagavond [Soirée du dimanche]. „Et laissant retomber sa tete sur la table ii pleurait sans bruit, disant doucement dans ses sanglots la douleur cuisante de la vie" (En neerzakkend met zijn hoofd voorover op de tafel, weende hij luidloos, zachtsnikkend de scherpschrijnende smart van het leven). 2) On peut rejeter toute l'idee d'influence etrangere sur la forme, exceptê peut-etre pour l'usage frequent du participe present que peuvent lui avoir suggere ses lectures francaises, en vue de l'effet musical et trainant de la terminaison, le n et le d se prononcant dans notre langue. 3) Cf. Zondagavond , De Nieuwe Gids, VIII, p. 209, dont l'atmosphere intime se rapproche de Een vervelende Zondag [Un dimanche ennuyeux] de Frans Coenen; cf. aussi Novellen, p. 113. „Dehors tombait sans interruption la pluie invisible, ondulant melancoliquement aux souffles larmoyants du vent" (Buiten daalde de onzichtbare regen gestadig neer, weemoedig voortgezweefd door de weenende waaiingen van den wind). 147 rouges" 1). Les journees successives de la semaine, ayant chacune sa sensation particuliere, il les designe par leur nuance propre. „Les journees passaient avec leurs coloris calme et monotone: les lundis gris dans leur nouveaute, les mardis roses passant doucement, la nuit, aux mercredis incolores, les jeudis d'un blanc uni contrastant avec le jaune des vendredis suivants, enfin les samedis d'un bleu gai se detachant contre les dimanches d'un blanc argente" 2). Grace a l'originalite de son accent et de ses procedes litteraires, Aletrino est devenu un des representants les plus caracteristiques du Mouvement de 1880. Evidemment il a subi l'influence des premiers impressionnistes, de Van Deyssel, d'Arij Prins, de Van Looy qu'il admirait beaucoup 3). Plus que le dernier d'ailleurs il se distingue par l'originalite de l'expression, qui va quelquefois a l'exces et denote la recherche de l'effet litteraire. La langue fourmille de neologismes, souvent savamment combines et d'un effet inattendu, mais trop frkluemment d'un raffinement outré qu'on ne saurait que regretter chez un talent si delicat. Ce manque de sobriëte et de maitrise de soi, qu'il faut peut-etre attribuer a ses origines juives, a fait de son art un des plus curieux specimens que nous ont laisses les efforts litteraires de cette époque. Par son subjectivisme a outrance, son amour d'une forme tout artistique, susceptible de rendre les plus infimes mouvements du cceur humain, Aletrino se distingue nettement des naturalistes et ne se rapproche d'eux que par ses descriptions — peu nombreuses d'ailleurs — d'un realisme audacieux. Se detournant en quelque sorte de ses modeles, de qui il tient l'amour de la peinture objective, Aletrino se preoccupe avant tout de reproduire avec un souci infini de l'art des sensations intimes. Son oeuvre, oil se reflete toute sa vie intime d'homme fortement desillusione, aura un caracthe tout a fait subjectif, image d'une ame douloureusement emue devant le sort de l'humanite, sort qu'il savait sans guerison. Par plusieurs traits, son lyrisme, son besoin d'etaler son moi, sa tendance a voir dans l'ambiance exterieure le miroir refletant son ame desol6e, il se revele comme un auteur purement romantique 4). Ses personnages sont des ames solitaires 1) Zuster Bertha, p. 201. 2) ibid., p. 109. „Maar de dagen kleurden voort, rustig en 't zelfde, Maandagen grijs van nieuwheid, roze Dinsdagen zacht overnachtend naar kleurlooze Woensdagen, Donderdagen egaalwittend tegen de geelvolgende Vrijdagen, eindelijk de vroolijkblauwe Zaterdagen hel opglanzend naar de zilver-witte Zondagen". 3) Voir Den Gulden Winckel, 1908, p. 117. 4) Den Gulden Winckel, 1908, p. 114. „J' aime ce romantisme sentimental" (Ik hou van die sentimenteele romantiek). Son gait du romantique se rêvele d'autre 148 qui se sentent depaysees dans un monde ou ils ne voient que tristesse et desolation, avides de chercher dans la mort l'oubli et la delivrance 1). FRANS COENEN JUNIOR (1866-1936) Frans Coenen, fils du célèbre violoniste Frans Coenen Senior 2), naquit a Amsterdam; apres avoir parcouru le lycee classique a Utrecht, it fit, a Amsterdam, ses etudes de droit, qu'il acheva en 1892 par la soutenance d'une these sur De Fyansche Wet op de verwaarloosde en verlaten kinderen [La loi francaise sur la protection des enfants maltraites et moralement abandowas] (24 juillet 1889). En 1895 it est nomme conservateur du Musee Willet-Holthuysen, fonction qu'il occupera jusqu'en 1933, peu d'annees avant sa mort. Aux environs de 1890 Coenen s'etait lie avec les jeunes gens d'avantgarde qui aiguillaient la litterature vers de nouvelles orientations. La periode la plus heureuse de sa vie, disait son ami Herman Robbers, c'etait celle oil it collaborait a De Kroniek [La Chronique] (1895 - 1907) avec P.-L. Tak, Jan Veth, A. Jones, J. Kalf, Hondius van den Broek 3). En 1892 it debuta par son roman V erveling [Ennui]. Depuis lors it en publiera regulierement jusqu'en 1905, date oil it renonce au roman pour se consacrer au joumalisme et a l'essai 4), genre ou ses dons de critique et de moraliste atteindront leur plus riche deploiement. Coenen a ete un artiste consciencieux, avec un amour fervent de la verite. Il faut louer son impartialite, la clarte et la penetration de son jugement. Personne n'a vu comme lui d'un regard objectif les abus et les defauts de son époque. Il a l'horreur du faux, du conventionnel, de part dans son culte du heros; lire, a cet êgard, sa biographie de Napoleon Napoleons laatste Levensjaren [Les derniêres annees de Napoleon]. Amsterdam, van Holkema & Warendorf, 1916, oil it explique d'un point de vue medical les deboires de Napoleon et son &range resignation dans les dernieres annees de son existence. 1) Dans la tendance a voir dans la mort la seule fin de nos douleurs, idee chêre aussi a Emants, a Coenen, a De Meester, on peut voir l'influence de la philosophie schopenhauerienne. 2) Un de ses elêves les plus celébres a ete Alphons Diepenbrock. 3) Elseviers Maandschrift, 1936, p. 13o. 4) A cote de plusieurs articles, entre autres sur Ibsen et Strindberg, ii a ecrit un essai sur Charles Dickens en de Romantiek [Charles Dickens et le romantisme]. Amsterdam, Ned. Bibl., 1911, et une fres remarquable etude sur De Beweging van '8o [Le mouvement de 1880]. Middelburg, 1924. 149 tout ce qui sentait le dogme. Ce qu'il aimait, c'etait la purete et la spontaneite de la jeunesse; nombreux etaient les jeunes artistes qu'il a encourages et soutenus de ses conseils. Le fond de son caractere etait fait d'une sensibilite extreme, trait qu'accusait encore sa delicatesse physique. C'est a tort qu'on l'a traite de cynique, son cynisme n'etant qu'une facon de defendre son moi, de se mettre a l'abri de toute promiscuite, de toute camaraderie indiscrete. Dans son art Coenen se revele un realiste, avec de fortes tendances a la peinture impressionniste que lui inspirait l'esthaique nouvelle. C'est du roman naturaliste francais qu'il semble tenir son audace, son souci de decrire la vie banale, terre-a-terre 1), tempere cependant par son amour des demi-teintes, des nuances douces. Voici en quelques touches pittoresques la silhouette de la prostituêe qui, dans l'ombre, invite le passant. „La fille etait maintenant debout derriere la porte entr'ouverte, faiblement eclairee par le ref let jaune du reverbere. Johan croyait voir une figure svelte, vétue de rose terne, les manches amples et courtes, avec les touches blanches de ses dentelles; jusqu'h ses oreilles penetra en vibrant, avec un accent qui lui causait une deception penible, la voix rauque qui chuchotait: „Mon petit blond . . . . entre un instant, to ne voudrais pas entrer?" 2) Mais ce qui le relie intimement a ses contemporains et aux conceptions de l'heure, c'est sa fawn d'envisager l'univers et la vie. La philosophie dominante, la science avaient aneanti en lui toute foi dans l'avenir, toute croyance dans la destinee humaine. L'idee qui l'obsede, c'est que tout est vanite, que l'homme, pour echapper a son neant, s'accroche a de vaines illusions. L'homme qui prend conscience de l'inanite de ses pretentions tombe dans l'ennui ou le desespoir, regardant la mort comme le terme heureux de sa misere. Son oeuvre sera l'interpretation fidele de cette philosophie du neant. Il s'en &gage cet accent de profonde amertume qui confine a la haine et n'est pas sans rappeler le pessimisme de Flaubert et de Huysmans. D'apres ses exemples, l'auteur peuple ses romans de desesperes, 1) Cf. E'en vervelende Zondag [Un d-imanche ennuyeux]. 2) E'en Zwakke [Un Faible]. Haarlem, De Erven Loosjes, 1901, 2e ed., p. 133, 134. „De meid stond nu achter de half ,open deur, zwak verlicht in den gelen glimp van de lantaren: een lange figuur in flets rose, met wit van kant aan de mouwen, wijde halve mouwen, geloofde Johan to zien. Maar pijnlijk teleurstellend trilde in zijn ooren de rauwe grof fluisterende stem, die zeide: Blondje . . . . kom 's binnen . . . . kom je niet eens binnen?" 150 de revoltes melancoliques, qui se perdent dans le desespoir et s'abandonnent a l'ineluctable fatalite. Il a pathetiquement evoque la desolation de ces tristes existences, oil la mort seule apparait comrne une delivrance. Qu'on lise ce fragment, que nous extrayons de Een Zwakke, d'oii se degage la meme sensation de desespoir que des romans d'Aletrino ou d'Emants: „Qu'allait-il devenir au milieu de tout cela? Il manquait de courage. Il lui fallait une perspective, une carriere, mais it ne la trouvait pas devant lui. Son coeur se gonflait d'un vague &sir; autour de lui se dressait une realitê dure, brutale, repugnante, n'offrant partout que des deceptions. Il ne pouvait vivre ainsi, et it ne le voulait pas. Il sentait qu'il ne pouvait trouver un appui en lui-meme, sa force de volonte etait trop faible pour tenir ferme, pour ne pas s'engourdir, prise dans le jour pale et glace de ce pays polaire qu'etait sa vie. Son exasperation devenait plus poignante a mesure que sa raison lui disait qu'il n'avait rien a esperer de la marche froide, logique des choses" 1). L'auteur s'identifie facilement avec ce „type de la defaite", oil ii transpose tout son temperament d'homme froisse devant la vanite et les bassesses de la vie. Comme Aletrino, de qui it s'approche egalement au point de vue de l'expression littêraire, ii tend a faire sentir a travers ses heros l'ennui et le desespoir de son ame en detresse. Ses figures, qui toutes sont concues d'apres une vision particuliere de la vie, presentent une uniformite dans leur maniere de penser et d'agir qui fait douter de leur vraisemblance. , Ce que l'auteur a voulu faire, et nous constatons que plusieurs de ses contemporains n'ont pas fait autrement, c'est de suggerer un etat d'ame, une sensation psychique qu'imposaient, presque sans aucune variation, des circonstances identiques: la fatalite du destin, la constitution hereditairement taree, qui minaient un reste de volonte. Mais ne prenant pas le recul necessaire, Coenen n'arrivait pas toujours a se detacher de ses creatures, a les observer d'un regard objectif. A tout moment nous le voyons intervenir dans le recit, imposant sa personnalite 1 ) Een Zwakke, p. 158. „Wat moest hij daarin worden? Hij had geen moed meer. Hij had een uitzicht noodig, een levensloop en hij vond die niet in het leven voor zich uit. Het was in hem een schreiing van verlangen; en de realiteit stond norsch en hard om hem heen, afstootend, met overal teleurstelling. Hij kon zoo niet leven, en hij wilde ook niet. Op zichzelf voelde hij niet te kunnen steunen. Zijn willen was te zwak om stand te houden, niet dood te vriezen in den ijzigen bleeken dag van dat poolland: zijn leven. Zijn verbittering stak scherper, naarmate zijn verstand hem zei, dat hij niets te hopen had van den koelen, logischen gang der dingen". 151 avec ses impressions et ses sensations a lui. Ce manque d'objectivitë devient tout particulierement genant par exemple dans un roman comme In Duisternis [Dans les Tdnebres] (1903) oil le heros, victime de son desoeuvrement et songeant meme au suicide, s'interesse malgre son cl6gotit d'un monde qu'il a pris en horreur, aux evenements les plus banals de la vie. Qu'il soit tombe dans le manierisme, en restant fickle a son criterium d'art, Coenen lui-meme a du le sentir. En outre, un temperament comme le sien devait peu se plaire a la longue dans le genre de l'art descriptif, qui, par ses principes mémes, excluait toute action directe et personnelle sur la vie, morale et sociale, de son époque. Presenter a l'humanite un miroir, cela ne lui suffisait pas. Sa mentalite, son caractere reclamaient un genre oil sa personnalite s'affirmat d'une facon plus expresse, oil son activite de moraliste filt plus directement efficace. Aussi, lorsqu'en 1905 il abandonne le roman pour se donner entierement au journalisme et a la critique, nous retrouvons un Coenen beaucoup plus vrai et plus original que celui des premieres nouvelles. Des lors, libere de tout dogme artistique, il decouvrira sa formule d'art veritable; en lui se refletent, tres personnellement, les evenements de l'heure; il seduit ses lecteurs par la clarte limpide de son style, par la justesse froide, ironique de ses observations, qu'aucune prevention ne troublait. Avant de finir, nous voudrions parler encore de son dernier roman, intitule Onpersoonlijke herinneringen [Memoires im,personnels] 1), que l'auteur achevait juste a la veille de sa mort. Ce qui frappe immediatement dans ce rêcit, c'est que Coenen s'est tout a fait degag6 des tendances naturalistes et impressionnistes qui le preoccupaient a ses debuts. Sans aucune surcharge dans le detail, l'auteur relate avec une touchante et suggestive sobri6te la tragedie de deux existences, qui sombrent miserablement. Louise Diefenbach, riche heritiere, dans sa crainte de rester seule, avait uni son existence a un mauvais sujet, Abraham Le Roy. Son mari ne lui epargnait aucune humiliation; sa mort meme ne lui apportait point de soulagement; elle meurt, quelques annees apres lui, delaissee de tout le monde, seule en face du 'leant de son passé, tout a fait consciente de l'inutilite de sa vie. Rien de plus saisissant que cette description de sa fin tragique: „Personne n'etait aupres d'elle. Longtemps elle avait ete sans connaissance et la petite couturiere qui veillait aupres d'elle n'avait pas vu d'inconvenient a s'eloigner un moment pour se 1) F. Coenen, Onpersoonlijke Herinneringen. Utrecht, Bruna & Zoon, s.d. (1936). 152 faire du cafe a la cuisine . . . . Quand elle remonta dans la chambre mal eclairee, tout etait déjà fini. La brave femme s'effraya beaucoup, lorsqu'elle n'entendit plus la respiration et qu'elle vit a la lumiere de la lampe qu'elle avait soulevee les traits detendus et les yeux mourants" 1). Tout en observant, dans la notation des faits et des dates, la plus scrupuleuse exactitude et en reproduisant avec une rare fidelite l'atmosphere troublante des anciens appartements de la maison aristocratique du Heerengracht, Coenen a su faire de cet emouvant recit de deux „camarades de misere" 2) un merveilleux „roman de la clefaite", oil se distinguent toutes les belles qualites de l'êcrivain, son observation froide, penetrante, mais aussi sa compassion devant la souffrance humaine, qui nulle part n'aboutit a un lyrisme sentimental. Ici it s'est exprime tout entier avec une maitrise sans egale, qui fait de cette oeuvre la plus originale de sa vie et une des plus remarquables de la litterature contemporaine. JOHAN DE MEESTER (186o-1931) Johan de Meester 3), fils de bourgmestre, naquit a Harderwijk, ou it passa sa jeunesse; apres la mort de son pere, sa famille s'etablit a Zeist (pres Utrecht); la it recut chez les freres moraves une education tres orthodoxe qui convenait peu a son esprit 6pris de libert6, rebelle a la rigidite d'une discipline froide et severe. De sa quinzieme a sa dix-septieme annee it suivit encore une autre ecole, oil son professeur de francais, un Suisse, lui donna entre autres a lire les Confessions de Rousseau. Le lyrisme des descriptions, les exaltations devant les beautes de la nature l'enthousiasmerent. Comme pour Rousseau la campagne sera pour lui la grande consolatr i ce; enfant, timide et sauvage, it fuyait sa maison et 1) I1 n'est pas difficile de reconnaitre dans ces deux figures les personnages authentiques d'Abraham Willet, amateur d'art, et de Sandrina-Louisa-Geertruida Holthuysen, derniers habitants de la maison qui constitue aujourd'hui le musee WilletHolthuysen dont Coenen fut le conservateur. 2) op. cit., p. 222. „Er was niemand bij haar. Zij had al lang buiten kennis gelegen en het naaistertje, dat bij haar waakte, had er geen bezwaar in gezien even weg te gaan om zich koffie te zetten Toen zij weer boven kwam in de schemerig verlichte kamer was alles al afgeloopen. Het vrouwtje schrikte hevig, toen zij den adem niet meer hoorde en in de geheven lamp de ontspande trekken en gebroken oogen zag". 2) Voir P. Valkhoff: Le roman moderne hollandais et le realisme franfais. Revue de Hollande, p. 74, 75. '53 ses petits camarades pour errer seul a travers les Bois et les bruyeres de la Veluwe 1). Mais ce qui, dans Rousseau, fera sur lui une inoubliable impression, c'ëtaient les pages de revolte religieuse qui firent naitre en lui le conflit avec son milieu et son education, conflit dont on trouvera, a travers toute son ceuvre, les cl6chirements douloureux. A cote de Rousseau, ce fut Multatuli qui l'enthousiasma 2). Il loue l'auteur du Max Havelaar d'avoir crêe une langue nouvelle, delivree, comme it le disait, de la „redingote", symbole du conventionalisme aristocratique 3). Il l'apprecie surtout comme un philosophe, qui veut laisser a chacun sa liberte de penser, en citant de lui la fameuse phrase: „La vocation de l'homme est d'etre homme", „homme, ajoutait De Meester, aussi dans la vie publique, partout et en tout soi-méme" 4). Rousseau et Multatuli ont ete les premiers a eveiller en lui le desir de s'affranchir d'une education qui men4cait d'etouffer en lui toute independance d'ame et d'esprit. Aux annees qu'il travaille dans un bureau en preparant son examen de receveur de l'enregistrement, it n'en continue pas moins ses lectures, audiant Beaumarchais, Diderot, d'Holbach, Musset, des articles de Caro sur Schopenhauer et Leopardi, puis les moderns, Zola entre autres, dont ii lisait L' Assommoir, qu'il tenait „cache sous un enorme in-folio". Le bureau cependant ne tarda pas a 1) Comme Rousseau, De Meester aimait a lire les A ventures de Robinson Crusoe. Pans sa brochure De Menschenliefde in de werken van Zola [L'humanisme dans I' ceuvre de Zola]. Rotterdam, W.-L. Brusse, 1903, p. 28, it parle longuement de cet amour de la nature, qu'il signalait egalement chez Zola et oil nous trouvons cette phrase curieuse impregnee de la philosophie rousseauienne: „De plus en plus s'est affirmee chez les auteurs la conviction que les villes, telles qu'elles sont a l'heure actuelle, rendent la vie intolerable" ('t Is hoe langer hoe algemeener geworden, het bewustzijn bij de schrijvers, dat de steden, zooals ze nu zijn, het leven maken tot iets onduldbaars). Ce que De Meester aime chez Zola, ce sont les descriptions lyriques du Paradou dans la Faute de l' Abbe Mouret et dans les Evangiles; it s'enthousiasme egalement de la nouvelle Le Bois, oil Zola raconte comment ii recherche le dimanche avec son ami Paul Cezanne les reposantes distractions de la campagne pour oublier les miseres des faubourgs parisiens. 2) Cf. Eigen Haard [Le Foyer], 1920, p. 84-88, W at Multatuli mij geweest is [Ce que Multatuli a ea pour moi]. Des auteurs francais favoris de Multatuli De Meester signale ici La Fontaine, La Rochefoucauld, Rousseau et Bernardin de Saint-Pierre. 2) ibid., p. 88. 4) ibid., p. 88, „De roeping van den mensch is mensch to zijn — ook in het openbaar, overal en in alles zichzelf". 154 perdre tout attrait pour lui; brusquement il interrompt sa carriere d'employe pour se jeter dans le journalisme. Apres avoir collabore pendant quelques annees au Zutphensche Courant 1) il passe, en 1883, a l'hebdomadaire De Amsterdammer, redige alors par De Koo. A Amsterdam il entre en contact avec les Junes (avec Van Deyssel entre autres), dont la superiorite lui fit voir „ce qui manquait a sa formation complete" 2). Cependant son sejour n'y sera que de courte duree; lorsque, grace a Charles Boissevain, il entre au Handelsblad, ce journal l'envoie en qualite de correspondant a Paris, oil il travaillera jusqu'a 1891 3). Les annêes qu'il y passe seront d'une grande influence sur sa vie. Le nouveau milieu social et artistique accentue en lui un pessimisme dont il portait les Bermes en lui et que devaient singulierement nourrir les tendances qui, a ce moment, se manifestaient dans le roman. Sous la suggestion de ses lectures, celles de Balzac et de Zola, il incline facilement aux conceptions morales que ces auteurs professaient dans leur oeuvre. Comme eux il constate que l'homme est victime de ses plus viles passions, que dans la lutte des sentiments, ce sont la violence, l'egoisme, la cupidite qui ont le dessus. „A cette époque, disait-il, je commencais a regarder Paris avec un cynisme croissant. Je me rejouissais quasi sataniquement de cette conception de Paris" 4), et autre part „Dans la vie je vois infiniment de douleur pour tout le monde et beaucoup plus de cruaute que de joie" 5). Ce qu'il appreciait surtout chez les auteurs realistes, c'etait l'impitoyable hardiesse avec laquelle ils s'astreignaient a peindre la vie 1) C'est a cette époque que naissent les nouvelles reunies sous le titre Kleingoed [Broutilles]. Zutphen, Thieme, 1882, oil il imite encore la maniere de Potgieter. 2) E. d'Oliveira Jr., De Jongere Generatie [Les Jeunes]. Amsterdam, Ned. Bibl., 1914, p. 1o. „Ik viel er dadelijk in een milieu van menschen van beteekenis (onder wie ook Van Deyssel), waardoor ik voelde, wat er aan mijn heele vorming ontbrak". 3) La collaboration au Handelsblad ne lui valut aucune satisfaction; il ne lui etait pas permis d'ecrire ce qu'il voulait; on exigeait de lui de petits articles gais et charmants, dans le genre de Van Maurik; aussi, lorsqu'en 1891, Den Hertog publie son attaque contre Couperus, auteur qu'il admirait, il donna sa &mission et passa au Nieuwe Rotterdammer Courant, journal auquel il restera fidelement attaché presque toute sa vie. 4) De Jongere Generatie, p. 12. „En in dien tijd begon ik Parijs onder een hoe langer hoe cynischer wordend algemeen levensinzicht to bekijken. Ik had een zekere satanische vreugde aan die opvatting van Parijs". 5) ibid., p. 23. „Ik zie in het leven voor iedereen veel leed en veel meer wreedheid dan lust". 155 reelle 1), c'etait leur sincere et inlassable effort pour comprendre la vie, pour la „reproduire telle qu'elle est, sans la bichonner avec des roves inutiles" 2). Zola surtout le passionna. Effuvre par exemple le frappait a cause du vaste programme qu'y developpait Sandoz-Zola, se proposant de peindre la vie humaine dans le terrible combat des instincts et des passions. C'est presque en entier que De Meester, applaudissant a ce dessein, cite le fameux passage, oil Zola annonce „son etude nouvelle de l'homme physiologique, le role tout-puissant rendu aux milieux, la vaste nature eternellement en voie de creation, la vie enfin, la vie totale, universelle, qui va d'un bout de l'animalite a l'autre, sans hauts ni bas, sans beaute ni laideur; et les audaces de langage, la conviction que tout doit se dire, qu'il y a des mots abominables necessaires comme des fers rouges . . . ." 3) Mais Zola le touchait moms par ses conceptions puissantes ou par son realisme audacieux que par son amour profond de l'humanite souffrante, cote auquel De Meester etait tout particulierement sensible. ,,Pourquoi je l'aime, ecrira-t-il un jour a M. P. Valkhoff, c'est que je vois en lui un pessimiste plein de piti6 et qui exprimait, en revolt& sa compassion et sa charite, osant voir et dire toutes les laideurs de la vie. Je l'aimais aussi comme democrate, mais surtout comme 1 .6-yoke pessimiste. 1) Dans son article lets over Nevrose in Letteren (voir notre etude p. 32). De Meester loue chez les naturalistes francais l'originalite de l'expression, la fraicheur de leur langue, le soin scrupuleux avec lequel ils rendaient leurs impressions, qualitês qui faisaient justement defaut dans notre litterature d'avant '80. Il cite avec admiration Kloos et Guy de Maupassant, qui avaient condamne la „languecliché", le „gros-à-peu-pros" du style conventionnel. Mais, tout comme Maupassant, De Meester s'oppose a l'ecriture artiste, en citant de lui: „Il n'est point besoin du vocabulaire bizarre, complique, nombreux et chinois qu'on nous impose aujourd'hui sous le nom d'ecriture artiste, pour fixer toutes les nuances de la pensee; mais it faut discerner avec une extreme luciditê toutes les modifications de la valeur d'un mot, suivant la place qu'il occupe . . . . Efforcons-nous d'étre des stylistes excellents, plutOt que des collectionneurs de termes rares". Il est vrai que chez De Meester on chercherait en vain cette recherche d'un style raffine, par lequel se distinguaient la plupart des Auteurs de 1880. 2) J. de Meester, broch. cit., p. 16. „Dit was de drang van het nieuwe weten: 't leven, 't leven begrijpen. Ja, het te nemen zooals het is, niet het ,op te flikken met ijdel gedroom, maar onvermoeid, eerlijk het leven begrijpen". 3) Voir la brochure cit6e, p. 27 et L' ffuvre, I, p. 25o (ed. Charpentier). Il est curieux de remarquer que De Meester ne finit pas la citation; pour des motifs d'ordre esthetique probablement it ne semblait pas souscrire a l'idêal artistique que Zola formulait dans la phrase suivante, qui resume en quelque sorte sa tendance essentielle: „et surtout l'acte sexuel, l'origine et l'achevement continu du monde, tire de la honte ou on le cache, remis dans sa gloire, sous le soleil". 156 Car de la revolte religieuse de Rousseau j'en etais venu a la revoke pessimiste, a l'idee deterministe et pleine de pardon de la „bete humaine" qui furent toutes deux nourries par Zola. Chez Daudet aussi j'avais trouve cette pitie" 1). C'est grace a ses evocations de la misere sociale que Zola eveillait chez De Meester la compassion pour la souffrance humaine, dont nous retrouverons dans toute son oeuvre les accents profotids. Plus que l'horrible realite elle-meme, que De Meester connut de tres pros 2), Femouvaient les peintures saisissantes dans Germinal. Avec ce roman, disait-il, Zola a crie J'accuse au profit de toute une classe d'hommes" 3), impression qui ne s'est jamais effacee en lui et dont on retrouve les echos dans plusieurs de ses premieres nouvelles, ainsi que dans cette curieuse fin de Geertje [Gote], oil nous lisons: „Et quand il entend, de l'autre cote du canal, des hommes qui marchent en chantant vers la salle de reunion, il fredonne avec eux leur chant de liberte" 4). LTEuvre aussi l'avait touché par son accent humain, raison pour laquelle il met ce roman au-dessus de Manette Salomon 5). Zola, disait-il, comprenait parfaitement en Claude sa maniere d'agir, il nous faisait sentir comment Claude, mais non mains Christine devaient souffrir. „ Je n'ai pas voulu insister sur les souffrances de cette femme d'artiste, avec ce qu'il y a encore de chaleureusement humain dans ce roman d'artiste, parce que, malgre l'impassibilite qu'observe ici l'auteur epique, la pitie que montre Zola envers Christine fait admirablement bien sentir comment cet auteur, grand artiste s'il y en a, a 6te en meme temps un homme infiniment bon" 6). 1) Revue de Hollande, III, p. 75. 2) C'est a Charleroi, pendant une grove, que De Meester lit pour la premiere fois Germinal. „L'impression de cette horrible realite, disait-il, n'etait pas plus forte que celle du livre" (de indruk dier schrik'lijke werkelijkheid was niet sterker dan de indruk van het boek), broth. cit., p. 21. 3) Broch. cit., p. 21. „Daarmee heeft hij J'accuse geroepen ten bate van een heels, klasse van menschen". 4) J. de Meester, Geertje. Bussum, Van Dishoeck, 1906, 5e ed., II, p. 240. „En wanneer hij, aan de overzij van het water, mannen hoort, die zingend optrekken naar het lokaal, neuriet hij hun vrijheidslied mee". 5) Voir son etude lets over Nevrose in Letteren, De Nieuwe Gids, 1908, I, p. 529-536, oil il compare Manette Salomon et L.' CEuvre. 6) Broth. cit., p. 35. „Ik heb slechts even het lijden van deze kunstenaarsvrouw willen aanroeren, met wat er verder warm-menschelijks is in dit boek van artiestenleven, omdat het, bij al de neutraliteit van den epischen kunstenaar, door Zola getoonde medelijden met Christine, beter dan iets gevoelen doet, hoe deze schrijver, groot artiest, tevens zoo'n innig goed mensch geweest is". 157 C'est cet amour de l'humanite souffrante qui pretera a toute l'oeuvre de De Meester un meme accent humain. Ses premiers recits ne sont au fond qu'une longue et veh6mente protestation contre la vie. L'auteur s'y revele un homme douloureusement blesse devant les cruautes de l'existence, dissimulant mal ses deceptions, sa rancune, sa haine. A tout moment on le voit intervener dans ses recits, avec ses visions, ses opinions a lui. L'ideal artistique que s'etait fait De Nieuwe Gids ne l'avait jamais tente. Ce qui ne cessait de le preoccuper, c'etaient les problemes d'ordre social et moral. Comprendre la vie, en saisir les manifestations, les impulsions secretes, voila ce qui le poussait a ecrire; c'etait un besoin imperieux de temoigner 2), de „realiser ses meditations sur la vie en en faisant des recits" 3). Le pessimisme auquel l'amenait le spectacle de la vie, rappelle celui d'Emants et de Coenen, avec lesquels d'ailleurs it se sentait apparente 4). Comme eux it est convaincu que la vie ne vaut pas d'être vecue, que tous nos efforts pour atteindre le bonheur doivent necessairement echouer. Evidemment influe comme Emants par les idees schopenhaueriennes, it va jusqu'a pr8cher la fin du monde, voulant que le genre humain cessat de procreer afin de ne pas faire durer le malheur 5). Ni le socialisme, ni 1) Nous en signalons entre autres Zeven Vertellingen [Sept Re'cits]. Amsterdam, S.-L. van Looy, 1889; Deemoed [Humilite']. Amsterdam, S.-L. van Looy, 1901; Over het Leed van den Hartstocht [De la Souffrance de la Passion]. Bussum, Van Dishoeck, 1904; Een Huwelijh [Un Mariage]. Bussum, Van Dishoeck, 1907. 2) Cf. D.-Th. Jaarsma, Karakteristieken [Caractêres littdraires]. Amsterdam, Ned. Bibl., 1927, p. 119, citant De Meester: „Cela ressemble a ce que je voulais, enfant, lorsque je desirais me faire missionnaire pour convertir les paiens: on est prophête parmi les hommes, on va, on peut, on doit têmoigner" (Dat lijkt op wat ik als kind bedoelde, toen ik zendeling wou worden, leeraar voor de heidenen: men is boodschapper onder de menschen, men komt, men kan, men moet getuigen). 3) De Jongere Generatie, p. 21. „Het is altijd geweest: mijn philosophie, mijn levensoverpeinzingen een vorm te geven door er vertellingen van te maken". 4) Ii dedie ses Zeven Vertellingen a Emants, au maitre, „par respect et par admiration", mais aussi comme „têmoignage d'une affinitê d'esprits" (den meester een blijk, ook van geestverwantschap), cf. aussi De Jongere Generatie p. 17. „ Je me sentais apparentè a Emants parmi mes predecesseurs et a Coenen, puisqu'il s'agit pour nous d'humanitê et de comprehension de la vie". (Ik heb aansluiting gevonden bij Emants onder de ouderen, en bij Coenen, dat is juist omdat het ons te doen was om menschelijkheid en levensbegrip). Voir aussi Carel Scharten, De Roeping der Kunst [La Destinie de l' Art], Ned. Bibl., 1907, art.: op den weg naar een nieuwe moraal [En route pour une morale nouvelle]. 5) Voir De Jongere Generatie, p. 14. „Mes livres d'autrefois sont une manifestation de ma philosophie, qui me faisait dire: „Mon Dieu, faut-il qu'il naisse encore des 158 la religion ne sauraient, a ses yeux, conduire l'homme au bonheur. A cause de ses imperfections, l'humanite serait eternellement livree a la souffrance, dont l'inutile et poignante necessite le remplit d'une immense pitie. Ce pessimisme lui inspire les plus emouvants recits, tels que Deemoed [Humiliti], ce beau theme de l'amour desinteresse qu'une soeur de charite eprouve pour une jeune folie atteinte d'un mal incurable, ou bien De Klompjes [Les petits Sabots] 1), histoire saisissante d'un petit garcon que, dans un acces de folle jalousie, noie sa petite soeur. II nous menerait trop loin de traiter par le detail toute son oeuvre du debut. S'inspirant evidemment des tendances qui regnent a cette heure dans le roman, l'auteur se plait a peindre la vie des bas-fonds, comme dans Gezin [La Famille] 1), oil il nous fait la peinture realiste de scenes de cabaret et de kermesse, ou dans Dienstbaren [Esclaves] 1), qui evoque la vie dure et tragique des mariniers. D'une rare audace sont egalement les recits oil il s'attaque, plein de malignite, aux perversites mal dissimulees de la bourgeoisie. Alors sa maniere n'est pas sans rappeler celle de Guy de Maupassant, qu'il est loin d'egaler d'ailleurs; tres souvent ses contes, trop hativement composes, semble-t-il, ne sortent guere de la banalite dont ils s'inspirent 2). Le type que, d'apres le modele du roman francais, il evoque assez souvent dans ses recits, c'est l'homme veule, aboulique, sans foi dans la vie et qui se livre a son pessimisme. C'est le fabricant dans Een Nieuwjaarsmorgen [Un jour de nouvel an] 3), ce „faible passif", „sans autre resistance contre sa clecheance morale que l'incessante activite" 4), „sur les sentiments et les pens6es de qui pesent les souffrances de la vie, enfants? et qui me faisait sentir ce besoin de procreer comme une souffrance" (Mijn boeken van vroeger zijn een uiting van het levensinzicht,dat mij deed zeggen: God, God, moeten er nu nog kindertjes komen ? en dat mij die heele procreatiedrang deed voelen als Teed). Toute sa philosophie se resumait, selon lui, dans les deux vers celebres de Leconte de Lisle: „La nature se rit des souffrances humaines Ne contemplant jamais que sa propre grandeur". 1) Dans Zeven Vertellingen. 2) Tres reussi dans ce genre est le recit intitule: Het Avontuur van David Zangvogel [L'aventure de David Zangvogel] dans Allerlei Menschen [Des gees de toute espêce]. Bussum, Van Dishoeck, 1902, on un brave israelite, veuf depuis quelque temps, arrive sans s'en douter dans une maison close, d'oii il se sauve tout effare, en perdant sa belle canne a pomme d'argent, unique souvenir de sa pauvre femme. 3) Dans Zeven Vertellingen. 4) ibid., p. 11, „Een passieve zwakkeling. Hij ! Met als eenig verweer de rust'looze daad !" . . . . 159 comme une chose ineluctable, pour toujours" 1). C'est dans Een Huwelijk [Un Maniage] Frans Koene, jeune homme riche et gate, avec ses meditations sur la vie, profondement penetre de la misere universelle et de sa propre souffrance en particulier 2). L'auteur le voit comme le produit d'un mariage malheureux et d'une mauvaise education. „De sa mere it avait h6rite, a cote de sa constitution faible, une sensibilite trop delicate, qui avait ete surexcitee par le contact avec la nature grossiere de son pere, de sorte que le sentiment normal et sain s'etait emousse en lui. Gate par sa mere, traite en tout avec indulgence par son pere il avait appris, en jouant, a faire de sa sensibilitel 'humble servante de son 6goisme" 3). C'est encore le journaliste dans Zondagsmorgen [Matinee du dimanche 4), qui, ayant reve d'un bonheur parfait, ne trouve dans son mariage avec une femme artiste que les plus douloureuses deceptions. L'idee surtout qu'avec la naissance d'un enfant son existence se prolongerait dans d'autres vies ne cesse de le tourmenter. „ Jamais it n'avait desire prolon g er dans d'autres sa faible existence pleine de &sirs, ce „struggle" qu'il haissait plus qu'il n'aimait la vie, qui pour ses enfants serait encore plus terrible . . . . Il n'avait pas voulu d'enfants. C'est pourquoi it n'aurait pas du se marier" 5). Ces paroles nous rappellent des idees analogues exprimees dans Manette Salomon, roman qu'il disait admirer beaucoup. L'idee surtout que l'artiste doit rester celibataire, que les soins du ménage et la necessite de gagner sa vie 6) font avorter ses plus nobles efforts semble avoir ete empruntee au passage de Manette Salomon qu'il citerait 1) ibid., p. 9. Het Leed van het Leven drukte op zijn voelen en denken als onafwendbaar, voor altoos". 2) Een Huwelijk, p. 3. Il retrouve des accents de son „mai du siècle" entre autres dans le poeme Aspasia de Leopardi, qu'il cite en allemand et dans La Mer de Richepin. 3) ibid., p. 3. „Van zijn moeder had hij, met een zwak lichaamsgestel, een fijngevoeligheid geerfd, welke door de aanraking met de grove natuur des vaders overprikkeld was geworden, zoodat het gewone, gezonde gevoel aan menigen kant was afgestompt. Door zijn moeder vertroeteld, door zijn vader in alles met toegevendheid behandeld, had hij spelende geleerd van zijn fijngevoeligheid den nederigen dienaar zijner zelfzucht te maken". 4) Dans Over het Leed van den Hartstocht. 6) ibid., p. 28. „Nooit had hij verlangd zijn bestaan nog voort te zetten in anderen, zijn zwak bestaan van verlangen, den struggle dien hij haatte meer dan hij het leven lief had, die wellicht voor zijn kinderen nOg erger zou worden . . . . Hij had geen kinderen gewild. En daarom had hij niet moeten trouwen . . . • 6) ibid., p. 18. 16o un jour: „Selon lui, le celibat etait le seul etat qui laissat a l'artiste sa liberte, ses forces, son cerveau, sa conscience. Il avait encore sur la femme, l'epouse, l'idee que c'etait par elle que se glissaient, chez tant d'artistes, les faiblesses, les complaisances pour la mode, les accommodements avec le gain -et le commerce, les reniements d'aspirations, le triste courage de deserter le desinteressement de leur vocation pour descendre a la production industrielle et baclee, a l'argent que tant de méres de famine font gagner a la honte et a la sueur d'un talent. Et au bout du mariage, it y avait encore la paternite, qui, pour lui, nuisait a l'artiste, le detournait de la production spirituelle" 1). Peu a peu cependant De Meester evolue vers une conception moins fataliste de la vie. „Le fond de mon etre, disait-il, c'est une increclulite absolue, le contraire de la piete, c'est par l'amour de l'humanite seul que je suis arrive a la resignation" 2). D'une negation de la vie, it passe, par l'appreciation de ses valeurs profondes et eternelles, a un optimisme model-6, a une affirmation de la vie. De cette nouvelle croyance temoigne son premier grand roman Geertje [Gote] (1906) 3), ou l'auteur a idealise l'amour qui nait et grandit dans un cceur de femme. En voici brievement le sujet. Geertje, orpheline d'origine protestante, a recu chez ses Brands-parents une education orthodoxe. Lorsqu'elle a vingt ans, elle quitte son village pour s'etablir a Rotterdam comme aide dans le menage de l'imprimeur Heins, qui est marie avec une femme laide et hargneuse, d'humeur maussade. Heins, homme sans scrupules, la seduit, puis, lorsqu'elle se trouve enceinte, l'abandonne mis6rablement. Geertje, en proie a ses angoisses, mais ne cessant pas d'aimer l'homme qui a eveille en elle l'amour, est gen6reusement recueillie dans la maison de Maandag, un bossu bienveillant, esprit humain et large, qui la protege contre les brutalites et les mepris de sa famille. De Meester avait r6ussi d'un coup a faire de cette donnee banale une oeuvre de grande envergure, dont le sujet n'est pas sans rappeler Martha de Bruin de Van Groeningen. Lui-meme, qui avait ete un des premiers a louer ce roman, le surpasse cependant, par son style et par une composition mieux ordonnee. Mais ce qui le distingue de son preclecesseur, 1) Voir son etude lets over Nevrose in Letteren. De Nieuwe Gids, 1908, I, p. 425.; cf. Manette Salomon, ed. Flammarion et Fasquelle, p. 154. 2) De jongere Generatie, p. 23. „Het fond van mijn bestaan is een volstrekt ongeloof, het tegenbeeld van godsdienstigheid, alleen door menschenliefde ben ik gaan berusten". 3) Public dans De Nieuwe Gids, a pdrtir de 1901 (16e annee, p. 2o). 161 c'est que De Meester ne se montre pas toujours „objectif" dans l'analyse du caractere des figures principales. En tendant a faire de Geertje le symbole de l'amour ideal, it ne reussit pas toujours a faire d'elle une creation reelle, vivante. Sa tendance a idealiser ses personnages se manifeste entre autres dans la conception de la figure du bossu Kees Maandag, type tout a fait exceptionnel, capable d'actions infiniment nobles, surhumaines presque 1). Mais s'il s'ecarte, dans la representation de certaines de ses figures, des principes que lui enseignaient ses maitres, par contre dans la langue, oil ii copie le patois rotterdamois, dans la representation de certaines scenes, comme celle oil Geertje se deshabille devant la glace et s'extasie devant la beaute de son corps 2), il se revele un adepte fidele des naturalistes francais. Nous ne parlerons pas ici des romans qu'il concut vers la fin de sa vie. D'une maniere generale, ils n'ouvrent, sur l'evolution de l'auteur, aucune nouvelle perspective. Dans De Zonde in het Deftige Dorp [Le pdchd dans le village aristocratique] (1912), Carmen (1916), Eva [Eve] (1929) et Lie/detrouw [Amour fidele] (1930) se distingue un homme qui d'une part n'a pas fini de s'irriter contre les bassesses et les mensonges de la vie, mais qui d'autre part a appris a se resigner, a decouvrir dans la vie humaine des valeurs essentielles, intangibles qui le reconcilient avec elle. Le roman oil se manifeste le plus curieusement sa vision sur le monde, est sans aucun doute De Zonde in het deftige Dorp, oil it raille le peu d'humanite que montre la famille d'un pasteur calviniste envers la servante, seduite par le fils de la maison. Avec une fine ironie it peint la femme du pasteur qui, enceinte elle-meme, se montre sans indulgence devant l'etat pitoyable de la pauvre fille, a qui elle refuse tout secours materiel ou moral. C'est la honte qui rend ces Bens insensibles a la souffrance humaine et les fait agir contre les beaux preceptes que leur dicte la morale chretienne. Quoique De Meester se rattache par son oeuvre du debut et par son realisme a ceux de sa generation et que son nom evoque naturellement ceux de Coenen, d'Emants, de Van Groeningen, it n'a pas tarde a se 1) Le type du bossu, renfermant dans un corps difforme une gine noble, indulgente envers les fautes d'autrui, rappelant un peu la figure de Quasimodo, nous le retrouvons egalement dans ses romans Eva [Eve] (1929) et Liefdetrouw [Amour fidele] (1930) . 2) Scene qu'on saurait rapprocher de celle oii Manette Salomon adore ses graces de femme nue, peinture oii les Goncourt se sont montrês d'une delicatesse ä laquelle De Meester n'a pas su atteindre. II 162 degager de ses premiers attachements. Comme 'Zola, qui vers la fin de sa vie evoluait vers un optimisme quelque peu naïf, ii mettait toute sa confiance dans la bonte innêe de l'homme, conception qui a donne a son oeuvre un accent tout particulier, et oil nous retrouvons le Rousseau qui a nourri ses premiers reves. CHAPITRE IV LE PESSIMISME SOCIAL A cote du roman „fataliste" dont nous avons etudie, au chapitre precedent, la nature et les rapports avec le roman naturaliste, nous voyons naltre, vers la fin du siecle, une litterature „sociale" qui semble s'inspirer d'une part sur le roman social en France et sur le roman „impressionniste" en Hollande, en leur empruntant a l'un et a l'autre son esprit et ses methodes, qui d'autre part trouve dans les orientations politiques et sociales de l'heure sa source essentielle d'inspiration. Toute litterature sociale nait d'un sentiment de pitie et de rëvolte, que repandent dans les Ames la misere et la clecheance morale des basfonds de la societe. L'auteur vise, par ses oeuvres, a exciter dans les coeurs la compassion et la generosite, s'efforcant de contribuer ainsi a l'amelioration des conditions sociales et au soulagement de la misere universelle. Un rapprochement de la litterature sociale d'avant et d'apres 188o fait voir une difference sensible, non seulement dans les procedes litterakes, mais encore dans les remedes qu'on propose of in d'assurer au peuple un avenir meilleur. Notre litterature sociale d'avant 188o se rapproche immediatement, comme l'a montre M. C.-G.-N. de Vooys 1), des tendances qui se manifestent dans la litterature anglaise de l'epoque. Ce sont Dickens, Kingsley, Carlyle qui, par leurs doctrines humanitaires ou leur evocation des victimes d'une civilisation industrialisee et egoiste, influencent sensiblement les opinions de nos auteurs. Potgieter, Beets, Tollens, Ter Haar, soucieux de faire montre de leurs vertus philanthropiques se plaisent a s'attendrir sur le sort des pauvres, a qui ils apprennent a se resigner et a accepter leur misere comme une necessite instituee 1) C.-G.-N. de Vooys, De sociale roman en de sociale novelle in het midden van de negentiende eeuw {Le roman social et la nouvelle sociale au milieu du XIXe siecle]. Groningen, Wolters, 1912, p. 22. 164 d'En Haut. Potgieter pretendait „fake une peinture des moeurs populaires par lesquelles le peuple serait captive, console, edifie." Ce n'est pas une „copie" qu'il voulait, mais „une description de la realite, animee par l'idealisme de l'artiste qui mettait son honneur a etre un educateur de son peuple" 1). Van Koetsveld, qui etait sans contredit de ces auteurs le plus „revolutionnaire", ne s'ecartait pas sensiblement de l'opinion Onerale en disant: „Faites sentir au pauvre, d'une main douce et d'un cceur interesse votre superiorite, mais seulement votre superiorite morale: en homme son frere, en homme civilise son protecteur, en homme croyant son consolateur et son guide" 2). Tout a fait en harmonie avec ces opinions bourgeoises les ouvriers nous sont depeints comme de braves gens, de moeurs simples et honnetes, craignant Dieu, pleins de respect devant leur maitre qu'ils servent comme cocher, jardinier ou domestique et a qui ils rendent toutes sortes de petits services utiles. Its sont regardes comme des titres inferieurs qui se resignent et s'inclinent devant l'autoritê du bourgeois, devant son rang, sa position sociale, sa superiorite intellectuelle, inferiorite qui se trouve exprimee dans des termes meprisants comme „het mindere yolk" (les basses classes), „de smalle gemeente" (les petites gens) 3). Sans doute it y a chez Cremer (1827-188o) ou Van Koetsveld (18o7-1893) des symptOmes qui annoncent un interet grandissant pour la misere sociale et morale des basses classes, mais ils se montrent encore assez hesitants devant un bouleversement de l'ordre social. Dans la lettre de Jan Stukadoor 4), adressee a tous les ouvriers neerlandais, Cremer nous peint l'ouvrier qui, respectueux de l'ordre etabli, previent ses camarades contre les dangers du communisme et de 1' „Internationale". Van Koets1) op. cit., p. 19. „Potgieter verlangde een „schildering van de toestanden des yolks, waar het er door mogt worden geboeid, getroost, geleerd", niet een kopie dus, maar een werkelijkheidsschildering, bezield door het idealisme van den kunstenaar, die er een eer in stelde, opvoeder van zijn yolk to zijn". 2) Cite dans Am. Saalbom, Het ontwaken van het sociale bewustzijn in de literatuur [Le rdveil de la conscience sociale dans la littdrature]. Amsterdam, H.- J. Paris, 1931, p. 1 44 . ,,Laat den arme met zachte hand en belangstellend hart uw meerderheid gevoelen, ja, maar alleen uw zedelijke meerderheid: als mensch zijn broeder, als beschaafd mensch zijn beschermer, als geloovig mensch zijn trooster en zijn leidsman". 3) Potgieter par exemple condamne expressement les „mesaillances". 4) J.- J. Cremer, Brief aan alle Nederlandsche werklieden, leden en Been leden van de Internationale [Lettre a tous les ouvriers hollandais, membres ou non de l' „Internationale"]. Leeuwarden, 1871. 165 veld est persuade que „le communisme de notre siecle sape la foi religieuse et la vie familiale" 1). Les ouvriers qui en 1872 montrent quelque sympathie avec les grevistes du textile en Twente sont traites d' „incredules modernes" 2). Il convient a l'ouvrier de se resigner, d'accepter sans revoke sa condition inferieure, condition qui est une necessite resultant des ordonnances de Dieu 3). Le regime social d'avant 188o, fortement impregne des principes chretiens, a ainsi quelque chose de fige oil tout est soumis a des lois et a des régles fixes, qu'on craint de renverser. „Toutes les tentatives, dit Saalborn, faites pour ameliorer le sort des pauvres et des deracines, des proletaires et des ivrognes et des criminels incorrigibles restait une oeuvre de .dilettantes, faite sans reflexion, sans orientation sociale" 4). Comme remede social, on préchait d'apres l'exemple de Lamennais, de Victor Hugo ou de George Sand, la bonte, la concorde, la justice, les vertus, tendance qui repondait particulierement aux sentiments chrêtiens du bourgeois, a son besoin d'edifier et de faire oeuvre de charite. L'auteur est encore loin de se solidariser, de fraterniser avec l'ouvrier dans sa lutte contre le capitalisme, de se dire son egal dans sa revolte contre le regime bourgeois, egalement hostile a son art qu'a ses conceptions politiques. L'ouvrier n'est point encore conscient de l'ideal social que lui suggereront vers la fin du siecle la propagande et les manifestations politiques, les pamphlets, les journaux d'opinion, et dans une certaine mesure aussi la littêrature sociale qui, de moralisatrice, edifiante, deviendra, avec un Heijermans par exemple, nettement revoluti onnaire. Ce n'est qu'entre 186o et 187o que les nouvelles ici6es politiques et sociales penetrent dans notre pays et viennent ebranler insensiblement les pr6juges et les conceptions traditionnelles. A cet egard l'epoque de 186o a 1880 doit etre consiclêree comme une époque de transition. C'est depuis 1870 surtout que, grace au developpement industriel et economique, l'antagonisme des classes s'accusait, que l'opposition au regime bourgeois se faisait toujours plus nettement sentir 5). Hommes poli1) Cite dans Saalborn, op. cit., p. 143. „Het Communisme onzer eeuw tast godsdienstig geloof en huiselijk leven aan". 2) ibid., p. 121. 3) ibid., p. 119, citation de S.: „De standen zijn van God verordineerd !" 4) ibid., p. 16o. „Alle pogingen tot verbetering van het lot der armen en ontwortelden, der paupers en onverbeterlijke dronkaards en crimineelen bleef dilettantisch, ondoordacht en onsociaal". 5) Pour plus de details nous renvoyons au livre de Jan Romein De Lage Landen bij de Zee, specialement aux chapitres 24 et 28, intitules Maatschappij en Staat i 66 tiques et ecrivains elevent la voix pour protester contre les abus sociaux que des enquetes ne cessaient de mettre au grand jour. A la Chambre des Deputes on votera, apres un fervent plaidoyer de Van Houten, les lois qui regleront le travail des enfants (1874). Des 186o Multatuli etait venu alarmer l'opinion publique par son Max Havelaar, oil i1 attaque severement les abus et les malhonnetetes que commit aux Indes notre gouvernement liberal envers le peuple indigene. H.-P.-G. Quack, fils d'une famille appauvrie se fait, dans son ouvrage fameux De Socialisten [Les Socialistes], dont le premier volume parait en 1875, le ddenseur des opprimes et l'annonciateur d'une nouvelle societe. Les changements qui s'operent ici dans les opinions ne sont pas sans avoir leur repercussion dans la litterature de l'epoque. Max Havelaar engendre toute une „litterature de protestation", de qualite tres mediocre et tout a fait infhieure, ii est vrai, a l'ceuvre magistrale que nous laissa Multatuli. Cremer ecrivait en 1863 ses Fabriekskinderen [Les Enfantsouvriers], suivi en 1873 de Hanna de Freule [Mademoiselle Hanna]. Keller, dans la meme a,nnee, publia Gederailleerd [DerailMe], pieces que rendent illisibles le caractere melodramatique, la rhetorique conventionnelle et ronflante, mais surtout un manque d'observation exacte et precise. Loin d'être une reflexion exacte de la realite politique, elles s'inspirent le plus souvent d'une philanthropie assez limitee, telle que la goiltait encore fortement cette generation dans l'ceuvre des auteurs anglais 1). Mais ce que cette litterature ne nous fait pas encore voir et ce dont Zola va temoigner dans son oeuvre monumentale, c'est la misere sedert 1848 [Societe et Etat depuis 1848], p. 558 sqq. et De arbeidersbeweging en het socialisme [Le mouvement ouvrier et le socialisme], p. 642 sqq. Notons les faits principaux qui eclairent l'evolution sociale. En 1861 les typographes d'Amsterdam creent une caisse pour offrir aux membres de 1' „aide morale et materielle"; en 1869 on fonde a Amsterdam sous le nom de Nederlandsche Werklieden Verbond [Syndicat ouvrier neerlandais] la section hollandaise de la Premiere Internationale (1864); en 1879 Ferdinand Domela Nieuwenhuis, le grand leader socialiste jusqu'a. 1894, fonde l'organe Recht voor alien [Droll pour tom]; en 1881 differents groupes socialistes s'associent et fondent le Sociaal Democratische Bond [Federation socialiste]; en 1888 Domela Nieuwenhuis fait son entrée dans la Chambre des Deputes; en 1894 on fonde De Sociaal Democratische Arbeiderspartij [Le Parti socialiste democrate] qui sera jusqu'a nos jours le parti avance de l'opposition de gauche. 1) Pourtant Hanna de Freule renferme des elements três revolutionnaires: une grêve, une description des masses ouvrieres, des chansons revolutionnaires, une reunion dans une grange oil l'on revendique certains droits, une augmentation de salaire, etc. 167 humaine dans toutes ses honteuses et revoltantes manifestations, ce sont les evocations de la plus deplorable decheance sociale et morale. L'ceuvre qui evoquera les conflits acharnes et sanglants des classes est loin encore de se produire. L'instinct revolutionnaire et le sentiment de solidarite ne se rêveillaient que vers 1885, dans les grandes vines seulement, sous l'influence aussi d'une crise economique et ravive par les discours enflammes d'un A.-H. Gerhard et d'un Domela Nieuwenhuis. C'est alors qu'eclatent les premieres greves, que nous assistons aux meetings et aux manifestations des masses, evenements qui engendrent un etat d'esprit vraiment revolutionnaire dont s'inspirent les auteurs de cette époque. Ainsi, vers la fin du siècle les nouvelles orientations politiques favorisaient particulierement le developpement du genre social tel que nous le voyons se manifester depuis une dizaine d'annees déjàa, en France. On n'ignore pas que le roman social francais n'est pas ne, en premier lieu, de l'inspiration des nouvelles orientations politiques et sociales. C'etait au fond pour des raisons scientifiques que les Goncourt, avec Germinie Lacerteux (1854) et La Fille Elisa (1876), en etaient venus a s'interesser au type „peuple". Comme le cas pathologique, celui-ci se laissait facilement etudier sur le vif; sa vie mentale, ses reactions sur le milieu echappaient moires difficilement au contrOle des sens et de la raison. „Nous avons commence, disait en 1879 Edmond de Goncourt, par la canaille, parce que la femme et l'homme du peuple, plus rapproches de la nature et de la sauvagerie, sont des creatures simples et peu compliques". Mais puisqu'on ne s'occupait pas de ces existences miserables, sans etre emu ou revoke, un element moral ne devait pas tarder a s'ajouter a ces peintures de la misere. Dans la preface de Germinie Lacerteux les auteurs avaient déjàa, dit: „Aujourd'hui que le roman s'elargit et grandit, qu'il commence a etre la forme serieuse, passionnee, vivante de l'etude litteraire et de l'enquete sociale, qu'il devient, par l'analyse et par la recherche psychologique, l'Histoire morale contemporaine; aujourd'hui que le Roman s'est impose les etudes et les devoirs de la science, it peut en revendiquer les libertes et les franchises". Et plus tard La File Elisa serait, tres manifestement, une oeuvre de protestation contre la „penalite du silence continu", ecrit, comme disait Edmond de Goncourt, dans le méme sentiment de curiosite intellectuelle et de commiseration pour les miseres humaines". „ Que mon livre, conclut-il, efit l'art de parler au cceur et a remotion de nos legislateurs". Apres les Goncourt, Zola viendrait consolider le genre, lui assignant, 168 avec L' Assommoir, une fine morale, point de vue qu'il a precise, comme on sait, dans son Roman experimental 1). Nous n'avons pas a examiner ici jusqu'a quel point Zola a reussi a accomplir sa mission. D'ailleurs on ne saura jamais precisement l'effet qu'ont produit ces epopees sociales sur les lecteurs. Il est certain que Zola a ete passionnement lu, moins d'ailleurs pour les evocations grandioses de la misere sociale que pour les peintures hardies des passions viles et basses. Toutefois ces tableaux de la misere humaine, evoquee dans toute son odieuse horreur, n'ont pas laisse d'impressionner et de charmer vivement un grand nombre d'ecrivains et meme des peintres 2). Si, apres 1885 environ, on voit eclore ici une litterature oil ne figurent que les types des bas-fonds, ouvriers, paysans, ivrognes, mendiants, prostituees, nous devons ces evocations de la decheance universelle aux truculentes peintures des Rougon-Macquart. Ces tableaux puissants des conditions basses et revoltantes oil etait tombe le peuple a profondement emu les jeunes auteurs d'alors. Le grand merite de Zola a ete d'avoir appris a toute une generation d'artistes a voir, a etudier et a noter la realite ambiante avec toute la rigueur impitoyable qu'il mettait a observer autour de lui les faubourgs et la banlieue du Paris de ces fours. Des lors, ses disciples se sont fait un devoir d'evoquer, sans respect aucun des convenances, sans parti-pris d'embellir ni d'adoucir, l'ignoble crudite des moeurs populaires. L'auteur n'est plus le predicateur choque par les trivialites de ce monde, qui par son oeuvre „realiste" cherche a eveiller la compassion de ses lecteurs, tout en faisant appel a leurs sentiments de generosite et de charite. Desormais ii se revele comme un revoke, qui n'entrevoit la realisation de ses reves que dans le renversement brutal du regime bourgeois. La haine de la bourgeoisie, les grandes esperances qui furent eveillees, l'exemple des litthatures etrangeres ont fait qu'on decrit la realite avec beaucoup plus d'audace. Des qu'on n'eut plus a menager l'opinion du bourgeois, on abandonne toute reticence, 1) Le Roman experimental, ed. Charpentier, p. 24. (Cf. dans notre etude la citation a la page 61). Lire aussi sa Lettre a la Jeunesse, op. cit., p. 81, 101. Voir aussi Leon Deffoux, La Publication de L' Assommoir, Paris, ed. des Grands Evenements litteraires, p. 136, et la these de F. Doucet, L'Esthetique d' Emile Zola et son application a la critique. La Haye, 1923. 2) Entre autres Vincent van Gogh; voir Paul Colin, Van Gogh. Paris, Rieder, p. 36. „Et Zola, qu'il venait de decouvrir et lisait avec ferveur, reveillait en lui le besoin de se devouer et de „servir". 169 toute hypocrisie. La vision de la realite y gagne en precision, en acuite; le ton devient plus franc, plus dur, apre, injurieux quelquefois. A l'instar du roman francais, les auteurs peuplent leurs recits d'especes de brutes et d'etres avilis par de longues miseres, sans que semble avoir preside, comme dans le roman --aturaliste, l'idee nettement preconcue d'ëtudier l'individu comme le produit de son milieu, subissant d'une fawn fatale et tragique l'influence de l'ambiance sociale. On se plait a le presenter plutert comme la victime des circonstances de la vie, du milieu oil it grandit que de le voir comme un etre aux prises avec des forces qui cherchent a le cletruire et auxquelles it resiste en vain. En s'orientant presque sans exception sur les idees et les tendances de l'heure, les auteurs en sont arrives a prendre facilement comme archetype de leurs recits l'etre degrade, abruti et vil qui peuple le roman naturaliste. Nous voila donc mis en presence de l'invariable type de l'ouvrier ivrogne, „fort en gueule", vivant dans un etat de misere qui le rend a peine conscient de son abrutissement. L'impression qui se degage de cette litterature est celle de la noire et affreuse misere oil tout finit par l'ecroulement moral et social. D'autre part le roman social de chez nous n'a pu, malgre ses nouvelles pthentions d'ordre moral, se detacher des tendances esthetiques qui predominent en ce moment dans la litterature impressionniste. Malgre leur mepris des doctrines de l'art pour l'art et de l'individualisme effr6ne des Auteurs de 188o, ces romanciers ne se sont jamais entierement degages de la prise de 1' „ecriture artiste" 1). Hartog, Heijermans se rattachent, par leur fawn d'observer et de noter la realite, immediatement a Netscher, a Frans Coenen, a. Van Deyssel, de qui ils semblent avoir herite la passion de dêpeindre un monde pittoresque et colore. Its se revelent, avec les memes defauts et les memes qualites, des peintres habiles, excellant a evoquer l'atmosphere po6tique et intime des coins de la grande ville, des taudis pauvres, des interieurs miserables. Mais aucun n'a su egaler Zola dans la creation de tableaux puissants, ou sont peints les tragiques et sanglants conflits entre le proletariat et le capitalisme, aucun n'a su evoquer la fraternelle solidarite qui anime et exalte les ouvriers dans leurs aspirations vers un ideal commun. Heijermans seul, plus intimement engage dans la lutte sociale de l'heure, se montre 1) I1 va de soi que ces tendances varient d'un temperament a l'autre; chez Henri Hartog, dans les romans de Heijermans s'affirment tres visiblement des pretentions artistiques, alors que chez Van Groeningen elles semblent etre d'ordre secondaire. 170 capable de comprendre et de saisir les sentiments qui agitent Fame des masses, leur optimisme, leur revolte haineuse devant l'injustice sociale. Lui s'ecarte du pessimisme naturaliste en creant le type qui, malgre sa decadence, a foi dans un avenir meilleur, sur de conquerir le bonheur auquel it pretend avoir droit. Pousse par son idealisme, it s'abstient de depeindre, d'apres les conceptions deterministes, l'étre demoralise qui echoue dans la misere. A l'homme „vaincu" it substitue le „conquerant", l'etre triomphant qui aspire a se relever et vit grace a ses espoirs, conception par laquelle it se distingue nettement de ses contemporains. Seulement, en s'identifiant avec ce revoltê intelligent, conscient de son abaissement moral et social, a qui it fait propager les idêes et les opinions qui lui sont cheres, l'auteur ne s'ecarte pas moins de la realite existante que l'auteur naturaliste par son pessimisme preconcu et sa fawn particuliere d'envisager l'univers. Ici, comme plus haut, au chapitre III, en etudiant de plus pros les auteurs individuellement, on ne manquera pas de constater comment tout coin de nature a ete vu a travers un temperament personnel, comment toute individualite impregne cette realite de sa vision a lui, qui donne a l'oeuvre d'art sa marque et sa valeur particulieres. AUGUST P. VAN GROENINGEN (1867-1894) C'est a Rotterdam, vine commercante, sans charme, que Van Groeningen passa sa breve et douloureuse existence. Victime d'un mal incurable, oblige de pourvoir avec ses modestes appointements d'instituteur aux besoins de sa pauvre mere et de lui-meme, cet infortune a physiquement et moralement souffert, plus peut-titre qu'aucun autre de ses contemporains. Ame solitaire s'il en fut, ne connaissant point le reconfortant appui d'une profonde et sincere amitie, it vecut dans la solitude absolue 1), perdu dans son travail et dans ses reveries, a peine connu et apprecie de ses confreres 2). Infiniment susceptible, irritable a 1) Il se developpait en dehors de tout contact avec les societes litteraires jusqu'a ignorer, semble-t-il, l'existence du Nieuwe Gids; dans une lettre a Kloos en 1889 it se plaint de son isolement intellectuel. Voir l'article de H. Gerversman sur Van Groeningen Een Bijdrage tot de genesis van „Tachtig" [Contribution a la genhse de „Quatre-vingts"]. De Nieuwe Gids, 1925, II, p. 517. 2) Apres sa mort, seuls eurent pour lui un acte de generosite P. Tideman, editant et prefacant son recueil de nouvelles Een Nest Menschen [Une niche'e d'hommes], publie en 1895; M. den Hartog dans DeVolksonderwyzer [L'Instituteur] (janv. 1896), I71 l'exces, naturellement incline au pessimisme, it souffrait moins encore peut-titre de la misere sociale qu'il decouvrait autour de lui que du fait de se savoir ignore et meconnu du grand public 1). Le sentiment de son impuissance le jetait dans de mornes et brusques coleres, le deprimait tel point que, dans ses moments de desespoir, allait jusqu'a. detruire ce qu'il venait d'achever apres de longs et penibles efforts 2). Ce sera son amitie avec Netscher qui lui vaudra, a sa vingtieme annee, quelque renommee. Ii n'est pas invraisemblable que ce dernier lui ait conseille d'entrer en correspondance avec la redaction du Nieuwe Gids, le seul organe a cette époque qui efit ete dispose a lui faciliter sa vie d'ecrivain. C'est ainsi qu'en 1888 cette revue publia deux nouvelles de sa main Kindervreugd [Joies enfantines] et Op de Bewaarschool [La Maternelle] 3) et l'annee suivante, deux fragments de son roman Martha de Bruin qu'il avait signes d'un pseudonyme, Willem van Oevere 4). mais surtout Joh. de Meester qui lui a consacre une conference, prononcêe devant un public d'instituteurs qui avaient a peine entendu parler de leur collegue, et dont on trouve le compte-rendu dans Taal en Letteren [Langue et litarature], 1898, p. 305 sqq., art. Aug.-P. van Groeningen en de epiek [Aug.-P. van Groeningen et d'art e'pique], ou it voit en Van Groeningen le Zola de nos lettres. Voir aussi Joh. de Meester, _lets over de literatuur dezer dagen [Propos sur la litterature de ces jours], Bussum, C.-.A.- J. van Dishoeck, 1907 et le fres sympathique article de H. Gerversman dans De Nieuwe Gids, 1925, II, p. 515 sqq., ou l'auteur se fait un devoir de rehabiliter l'auteur de Martha de Bruin, oublie et meconnu. 1) Le fait qu'il trouva, perdu et declaigne, son dernier roman, peu de jours aprês sa publication, dans la boite d'un bouquiniste, le fit affreusement souffrir, de meme que ses vaines dêmarches pour decouvrir un editeur qui flit dispose a publier ses nouvelles. A l'aide de la deuxieme lettre qu'adressait Van Groeningen a Kloos, M. Gerversman a cherchê a faire l'analyse du caractere de Van Groeningen; nous en resumons les traits essentiels: la violence de ses ambitions, son manque de souplesse, la franchise avec laquelle it professait ses opinions; au fond un pessimiste convaincu, mefiant, prét a tout critiques, retire en lui-meme avec un penchant a la contemplation religieuse dont s'inspire sa demiere oeuvre. Voir p. 182 , note I. 2) Voir Gerversman, art. cit., p. 536, note 3, oil it cite de curieuses declarations a ce point de vue de M. den Hartog dans De Volksonderwijzer (janv. 1896) et de Frans Netscher dans De Hollandsche Revue (aoilt, 5896); le dernier nous raconte entre autres comment V. Gr.,decourage, dechira en sa presence quelques esquisses, „stir que vela ne valait pas grand'chose". 3) De Nieuwe Gids, 1888, II, p. 356 et p. 363 (fragments recueillis dans Een Nest Menschen). 4) ibid., 1889, II, p. 254-285 (1 er et 2 e chapitre) et p. 352-392 (3e et 4e chapitre), intitule Op den Naaiwinkel [A l'atelier de couture]. 172 Kloos qui avait commence par louer son originalite et son audace a rompre avec les traditions, ne tarda pas cependant a faire des objections et a combattre des principes litteraires qu'il sentait peu convenir aux siens. L'artiste de l'art pour l'art devait se sentir quelque peu desoriente devant ces peintures impitoyables et nues d'une cruelle et sombre realite, oil l'auteur n'avait eu d'autres pretentions que d'evoquer en toute sincerite, sans aucun raffinement artistique, la misere sociale. Aussi Van Groeningen riposta-t-il vivement lorsque Kloos proposa de supprimer certains fragments de son roman. „Vous m'excuserez, j'espere, si je suis d'un avis contraire. Je vous assure que je rends avec la plus grande sincerite possible ce que j'observe. Si j'y manque, cela constitue un defaut dans mon organisme. Aussi, des que je le constaterai moi-meme, c'en sera fait de mon art" 1). L'antithese qui se fait voir dans les conceptions d'art de l'un et de l'autre, et qui n'etait au fond qu'une affaire de gout et d'appreciations personnelles, ne manqua pas d'amener un malentendu et une brouille entre les deux auteurs. Quelle douloureuse deception devaient causer a Van Groeningen, d'abord la critique de Kloos de son roman Martha de Bruin, ensuite la lettre 2) oti Kloos, en termes prudents, ii est vrai, temoigne de son peu de confiance dans ses aspirations, lettre dont une ame infiniment susceptible comme la sienne et qui supportait mal la meconnaissance de ses talents, devait se sentir cruellement blesse. „ Jusqu'ici, ecrivait Kloos, je n'avais lu de vous que ces scenes epiques picturales, mais voila que vous étes revenu encore avec vos eternelles analyses" 3). Van Groeningen reagit vivement. Dans le quotidien De Amsterdammer du II mars 1890 4) i1 publia un article violent, une sorte de defense at& rake, evidemment inspire par un sentiment d'orgueil blesse, oil it dit tout haut sa foi dans l'avenir de son art qu'il oppose a la „tendance 1) Art. de Gerversman, De Nieuwe Gids, 1925, II, p. 526. „U zal me niet kwalijk nemen, hoop ik, als ik hierin met U verschil. Ik geef op mijn woord zoo eerlijk mogelijk terug, wat ik waarneem. Faal ik daarin, dan wijst dit op een gebrek in mijn organisme. Zoodra ik dat dan ook zeif zal inzien, is het met mijn kunst gedaan". 2) ibid., p. 533. 3) ibid., p. 533. „Ik had tot dusverre niets anders van U gelezen, dan die aanschouwelijke epische tafereelen, en nu kwaamt gij in eens weer met die eeuwige analyse". 4) De Amsterdammer (Dagblad voor Nederland) du 11 mars 189o, p. 3, article intitule Anti-kritiek, zelf-kritiek en nog iets. Naar aanleiding van een kritiek in den Nieuwen Gids over Martha de Bruin [Anti-critique, auto-critique et autre chose. A propos d'une critique dans le Nouveau Guide sur Martha de Bruin]. 173 actuelle". „Autant qu'on puisse dire d'un auteur qu'il peut choisir sa matiere, consciemment, c'est mon cas, parce que je ne saurais ni ne voudrais travailler, etant „nerveux" comme on dit. Moi, je ne vise qu'a dominer la matikre et je sais que j'y parviendrai. La nevrose ne sera pas ma muse" 1). Son etat de sante qui ne faisait que s'aggraver et donner chaque jour de plus grands soucis, ses nombreuses deceptions expliquent en grande partie son echec. A propos de son article dans De Amsterdammer ii eut une correspondance avec Kloos qui, a cause de certains malentendus, lui ecrivit une lettre assez malveillante 2), ce qui, au dire de M. Gerversman, le frappa mortellement dans sa nervosite maladive et contribua peutetre a hater sa fin. „Il n'en pouvait plus, l'artiste etait mort, l'homme suivrait bientOt" 3). Las de lutter, il ne tarda pas a cesser tout travail, convaincu que toute lutte serait vaine, que les forces morales et physiques lui manquaient pour finir la belle et noble tache qu'il concut un jour. Ainsi il mourut en 1894, a l'age de vingt-sept ans déjà, oublie, a peine connu, pleure uniquement de sa pauvre mere qui seule l' await su souffrir 4). La fawn insuffisante dont nous sommes renseignes sur sa formation intellectuelle et artistique ne permet que de deviner comment Van Groeningen a pu reagir aux problemes littêraires de cette heure, quelles ont ete ses preferences, details si importants pour nous afin de determiner les orientations de sa pensee. Par bonheur, sa correspondance, mais surtout son oeuvre, oil il a mal dissimule ses souffrances, ses luttes et ses aspirations, nous fournit a cet egard des indices tout a fait precieux. 1) art. cit., „Voor zoover men van een kunstenaar kan zeggen dat hij zijn stof kan kiezen, zelfbewust, is dat bij mij het geval, omdat ik niet kan, en niet wil werken als ik wat-men-noemt zenuwachtig ben. Mijn streven is: over de stof to heerschen — en ik weet dat me dat gelukken zal. De nevrose zal mijn muse niet zijn". 2) Notammant la fin, oil Kloos dit: „Oui, Monsieur Van Groeningen, une large partie de la societe vous est rest& inconnue. Et de meme que votre Henri de Graaf n'a rien du gentleman qu'il doit representer et n'est qu'un ouvrier vétu d'un complet de confection qui se vante pedantesquement de ses bribes de savoir scolaire, vous ne sauriez comprendre les motifs et les sentiments du Nieuwe Gids" (Ja, mijnheer Van Groeningen, een groot deel der maatschappij is U onbekend gebleven. En evenals uw Henri de Graaf geen grein heeft van den gentleman, dien hij moet voorstellen, maar een werkman is in een heerenpakje, die tevens pedant blagueert met een beetje schoolkennis, evenmin kunt gij de sentimenten en de beweegredenen van de Nieuwe Gids begrijpen). 3) Gerversman, art. cit., De Nieuwe Gids, 1925, II, p. 542. „Hij kon niet meer . . . . De kunstenaar was dood . . . . de mensch zou weldra volgen". 4) ibid., p. 545. 174 En general on peut dire que les circonstances de sa vie, le milieu oil ii grandit, la lutte sociale, qui aux annees oil ii debutait ne faisait que s'accuser, ont forme l'ecrivain. Son ceuvre, ii la dedia aux pauvres, aux humilies, aux desherites avec qui ii avait souffert, a „ce grand amas de misere qui n'a pas de nom, qui s'appelle le peuple" 1). Dans une lettre a Frank van der Goes it a temoigne de sa souffrance morale et sociale. „Tout ce que je sais, c'est que le peuple souffre, souffre beaucoup — et vous pourrez vous imaginer ce que j'ai ressenti. Je ne rougis point de vous avouer que j'ai parfois pleure et jure. Le pauvre peuple, dont j'ai connu et souffert egalement les souffrances" 2). Nul auteur n'etait plus capable que lui peut-titre d'evoquer la misere du peuple d'oil it êtait issu et auquel ii se sentait rattache par tous les liens du sang et de la chair 3). Les principes litteraires que defendaient et propageaient avec zele les Auteurs de 188o, leur recherche d'une forme achevee, d'une expression essentiellement individuelle, ne semblent guere l'avoir preoccupe. Nulle part it ne se montre partisan de leurs doctrines litteraires, ignorant jusqu'a un moment donne leurs aspirations artistiques, et s'y montrant assez refractaire des qu'il les connait 4). Sa langue, nullement etudiee, prend par sa sobriete naturelle une force rare, qui eclaire pathetiquement la realit6 des pauvres et indignes existences qu'il s'attache a depeindre. Sa premiere esquisse Een straat en eene gang [Une rue et une impasse] parut dans le Zondagsblad der Gemeente Rotterdam [Edition du dimanche de la Commune de Rotterdam] des II et 18 juin 1887. C'est le recit d'un realisme déjà tres hardi, oil it evoque la morne desolation d'une rue, enveloppee de brouillard, un jour de fête nationale. L'atmosphere triste 1) ibid., p. 546. „Voor dien grooten naamloozen hoop ellende, die yolk heet", cite dans son deuxiême roman inachevê Henri de Graaff. 2) ibid., p. 546. „Alles wat ik weet is: dat 't yolk lijdt, veel lijdt — en ge zult u kunnen voorstellen wat 'k gevoeld heb. Ik schaam me niet to erkennen dat 'k soms geweend en gevloekt heb. Het arme yolk, wiens lijden ik ook geleden, wiens leed ik ook gekend heb . . . ." 3) A ce point de vue it se rapproche de Henri Hartog (voir p. 183), mort egalement jeune et qui a grandi comme lui dans les milieux pauvres. Contrairement a, plusieurs de leurs contemporains, que leur naissance ou leur profession a tenus eloignes des duretes du sort, ces jeunes gens ont beaucoup souffert, ce qui n'a pas laisse d'influer fortement sur leur caractere et leur art. 4) Cf. son article dans De Amsterdammer du II mars 189o; „Il m'est impossible de me conformer a aucun dogme. Que mon ceuvre soit naturaliste ou non, qu'elle soit rêaliste ou non, ca, m'est egal. En art on fait ce qu'on veut" (Ik kan me aan geen enkel dogma houden. Of mijn werk al of niet naturalistisch, al of niet realistisch is, kan me geen steek schelen. In de kunst doet men nu eenmaal wat men wil). 175 et grise d'un jour d'automne y est merveilleusement rendue; chaque detail frappe par sa precision; rien ne semble avoir echappe a l'acuite de son regard. „ je reponds du caractere objectif du tableau, disait-il, autant qu'un observateur consciencieux peut repondre de l'exactitude de son observation", phrase curieuse qui rappelle un peu „un coin de nature, vu a travers un temperament". C'est surtout dans ses nouvelles, recueillies sous le titre Een Nest Menschen [Une nichee d' hommes] que se revelent son talent d'ecrire, son don de l'observation exacte, mais surtout sa sensibilite, son humanisme. Voici, dans Besmetteltjke Ziekte [La maladie contagieuse], une scene emouvante avec un pere qui voit agoniser son enfant, maudit par sa mere parce que la maladie contagieuse qu'il a gagnee, chassera les clients de sa boutique. „Il laissait jurer et vocif6rer sa femme, bouchait soigneusement toutes les fentes; toute la journee it restait dam la cuisine pour faire des cotrets a allumer le poele et s'il regardait les yeux creux et vitreux, fixes sur ses mains toujours occupees, alors l'espoir et la peur se livraient combat dans son esprit abeti. Il ne se permettait aucun repos et prenait une mauvaise mine. Eveille ii revait, assis sur une chaise, au chevet du lit, et disant d'une voix mouillee de larmes qu'il avait peine a retenir: „Mon pauvre gosse cheri". L'enfant, ne pouvant plus parler, lui caressait alors la figure et les mains" 3). Ce qui frappe dans un pareil fragment, c'est qu'on n'y decouvre aucunement la tendance a peindre, par des procedes familiers aux Auteurs de 188o, le milieu pauvre ou gisait et souffrait le petit enfant. Cette absence de tout raffinement esthetique, largement compensee par son „humanite", le distingue de plusieurs de ses contemporains. Avec quelle retenue dans la description evoquet-ii l'etat pitoyable du petit enfant malade. „On coucha l'enfant dans la cuisine. Un vieux matelas pourri pose sur trois chaises, quelques vete1) Gerversman, art. cit., p. 518, 519. „Voor het objectieve der schilderij sta ik in, voor zoover een waarnemer voor de juistheid zijner waarneming kan instaan". 2) Aug.-P. van Groeningen, Een Nest Menschen, &lite par P. Tideman. Amsterdam, S.-L. van Looy, 1895. 3) Een Nest Menschen, p. 83. „Hij liet zijn vrouw razen en schelden en stopte alle tochtreten zorgvuldig dicht. Den heelen dag zat hij in het keukentje bosjes kachelhout te maken en als hij naar de holle glazige oogjes zag, op z'n bezige handen gericht, dan kampten hoop en vrees in z'n versuft brein. Hij gunde zich geen rust en begon er ellendig uit te zien. Wakende droomde hij, op een stoel voor het bedje gezeten en met een stem, nat van ingehouden tranen zeggend: „Mijn lief klein arm ventje". Het kind, dat niet meer kon praten, streelde hem dan het gelaat en aaide zijn handen". 176 ments pour lui servir d'oreiller, une mince couverture, pleine de trous et usee jusqu'a la corde. La., agitant nerveusement ses petites mains, tremblant de fievre, ii regardait fixement l'etroite bande de ciel gris au-dessus du mur monotone" 1). Quelle rude et touchante sincerite aussi dans l'esquisse Haagsche Leen [Madelon de La Haye], oil it evoque dans une peinture d'un realisme cru le caractere fruste et revolte du peuple avec ses joies et ses haines feroces, sa grossierete repugnante. Tous ces recits que rend vivants une profonde sympathie pour la souffrance humaine, ne laissent pas d'emouvoir par tout ce qu'il y a de sobre, de resserre, de naturel enfin dans la peinture, qualites qui attestaient chez ce jeune homme d'a peine vingt ans un talent remarquable qui promettait beaucoup 2). D'oii vient, se demandera-t-on, que Van Groeningen, &eve en dehors de tout contact avec les cenacles litteraires, ait pu donner dans ce realisme cru, d'une franchise implacable tres souvent, qui ne trouvait son pareil que dans le roman francais de ces jours? Quels furent ses auteurs favoris? Nous l'ignorons. Il n'est pas invraisemblable que Dickens, Hugo, Eugene Sue, qu'il a tres probablement lus, l'aient attire par leurs tendances humanitaires. Mais it n'est aucunement certain qu'il ait connu Zola au moment oil it commencait a ecrire, et que ce soit lui qui lui ait suggere de suivre la voie oil ii s'engageait. Avant l'apparition de son roman Martha de Bruin, qui est de 1889, nous ne possedons de l'auteur 1) ibid., p. 81. „Het kind wend in de keuken gelegd. Een oud, verrot matrasje op Brie stoelen, een paar kleedingstukken voor hoofdkussen, een dun dekentje vol gaten en tot den naad toe versleten. Daar lag het te turen, de handjes zenuwachtig bewegende, schuddend van de koorts, naar het smalle streepje grauwe lucht boven den eentonigen muur". 2) Evidemment la critique contemporaine condamna unanimement les passages on Van Groeningen se montre trop audacieux dans ses peintures realistes. J.-N. van Hall lui refuse tout merite dans ses descriptions realistes, le disant „vulgaire, choquant, degontant, bas" (plat, aanstootelijk, smakeloos, gemeen, De Gids, 189o, I, p. 172). Van Nouhuys dans Letterkundige Opstellen, p. 56, le compare a une servante en train de nettoyer le ruisseau devant la maison (een dienstmeid bezig de goot voor het huis uit te dweilen). En revanche M e van Loghem, qui condamne le roman dans la revue Nederland, se montre plein d'eloges et d'encouragements dans une lettre qu'il lui adresse personnellement (voir l'article de Gerversman, De Nieuwe Gids, 1925, II, p. 53o, 531). Aucun 6diteur n'eut le courage de publier ses nouvelles; un editeur a La Haye lui avoue franchement que le realisme dans la description y formait un obstacle; Nieuwenhuis, rêdacteur du Radicaal Weekblad [Hebdomadaire radical] lui recommanda, pour avoir un succes, de ne pas dire les choses par leur nom, d'être „à demi vrai"; voir art. cit., p. 528. '77 aucun temoignage sur ses predilections litteraires, aucune marque de sympathie a l'egard des auteurs naturalistes. Tout ce qu'on sait de lui, c'est qu'en 1889 ii lisait La Terre dans la traduction et que la meme annee it se mettait a 6tudier le francais sous la direction d'un instituteur de ses amis. Aussi les tendances realistes telles qu'elles se manifestent dans ces r6cits, n'ont pas besoin d'6tre expliquêes par des influences plus ou moins directes du mouvement litteraire qui rëgnait en France. Rien dans ces nouvelles ne revele que l'auteur ait voulu se conformer aux pr6ceptes et aux procedes litteraires chers aux naturalistes francais. Son realisme s'explique tout naturellement, nous semble-t-il, par la fougue de son temperament, par un besoin imperieux de mettre son coeur a nu, par sa passion de verite et de sincerite. Il n'avait pas besoin d'avoir lu Zola pour ecrire ces emouvantes petites esquisses, si vraies, si humaines, dont it trouva aisement l' inspiration dans son moi intime. Neanmoins le fait reste assez remarquable qu'un si jeune artiste, sans relations litteraires proprement dites, sans connaitre les chefs-d'ceuvre naturalistes, ait si heureusement traduit les tendances qui, en ce moment, etaient dans l'air. Dans son roman 2), qu'il finit vers la fin de 1889, it n'y a pas non plus, ni dans la conception des caracteres ni dans les procedes artistiques, d'indices qui prouvent que l'auteur se serait familiarise avec les tendances qui, depuis longtemps déjà, se faisaient valoir dans la litterature francaise. L'invention de sa Martha de Bruin est tout originale et ne rëvele aucun emprunt. C'est le drame intime d'une jeune femme, devote, timide qui s'eprend d'un jeune homme egoiste, Henri de Graaff, type atteint d'hypocondrie, qui la fait cruellement souffrir par ses propos cyniques sur la vie et la religion. L'enfant, ne de cette liaison, „l'enfant du peche", sera frappe de la foudre, accident oil Marthe voit la main d'un Dieu vengeur. Malgre les mauvais traitements qu'elle aura a endurer de la part de son amant, elle continue a l'aimer d'un amour fort et sincere jusqu'a ce que, ecrasee par sa miserable existence, elle se donne la mort, et laisse Henri livre au remords et au desespoir. Ce n'est pas le lieu ici de nous etendre sur les details. Le roman, pris dans son ensemble, renferme maint passage qui temoigne d'un talent original et robuste. Toutefois il presente, malgre ses qualites, de trop 1) Cf. son article dans De Amsterdammer, „C'est la premiere et la derniere fois que j'ai plaide ma cause" (Dit is de eerste en laatste keer, dat ik voor mijzelf heb gesproken). 2) Aug.-P. van Groeningen, Martha de Bruin. Amsterdam, A. ROssing, 1890 (avec preface de P. Tideman). 12 178 graves clefauts de style et surtout de composition pour qu'on puisse qualifier Van Groeningen d'un grand ecrivain. Ce qu'il faut blamer, c'est que ce roman, qui par sa donnee meme pretend etre l'analyse objective d'un conflit passionnel, soit devenu, en partie, une autobiographie. L'auteur, visiblement preoccupe des avatars de son moi intime, se peint, malgre lui, dans le portrait du sombre hypocondriaque Henri de Graaff, en qui il n'est pas difficile de reconnaitre Van Groeningen lui-méme. S'identifiant avec son heros, le dressant devant nous, assailli par les nombreuses questions auxquelles son esprit tourmente s'efforce en vain de trouver une reponse, il nous fait participer, malgre nous, a ce qu'on saurait nommer sa crise intellectuelle. Ainsi il le fait, a un moment donne, s'etendre sur les grands problemes philosophiques qui a cette heure agitent le monde. Sous ce rapport il est tout a fait curieux de relever un fragment 1), intercale en quelque sorte dans le roman, oil Henri de Graaff (c.-h-d. Van Groeningen) s'enthousiasme pour les problemes scientifiques qu'avait souleves Zola dans sa preface de la Fortune des Rougon, notamment ceux du milieu et de l'heredite. Voici comment la lecture des fameuses idees qui servaient de base a la puissante creation des RougonMacquart exaltaient cet esprit, qui s'echauffait si facilement aux vastes et originales conceptions. „A l'age de vingt ans il (Henri) avait lu la preface de la Fortune des Rougons (sic); quelques lignes, autant d'etincelles dans la poudriere de son imagination exaltee, suffirent a exciter son enthousiasme, des phrases telles que: „L'heredite a ses lois comme la pesanteur" et „ Je tacherai de resoudre le double probleme des temperaments et du milieu" 2). Des lors, le probleme des milieux et de l'heredite ne cessa de preoccuper son esprit jusqu'a, determiner la conduite d'Henri, pour qui sa toute 1) Martha de Bruin, p. 194 sqq. A l'exception de l'article public dans De Amsterdammer et de quelques extraits de ses lettres, il n'y a rien au fond que ce fragment qui nous renseigne sur ses interets intellectuels, ses lectures favorites, sur l'orientation de sa pens& en general. 2) ibid., p. 195. Toen, twintig jaar, had hij gelezen de voorrede van „La fortune des Rougons", dat pas uitkwam en enkele regels daarin brachten hem in geestdrift, vonken in het kruithuis van zijn gevoelsleven. „De erfelijkheid heeft haar wetten, als de zwaartekracht". — „Ik zal trachten op to lossen het dubbele vraagstuk van de temperamenten en de omgeving", enz. Il y a dans le texte original de la preface de la Fortune des Rougons: „ Je tacherai de trouver et de suivre, en resolvant la double question des temperaments et des milieux, le fil qui conduit mathematiquement d'un homme a un autre homme", phrase que Van Groeningen interprête donc assez librement. 179 proche parent& sa maitresse, son enfant, deviendront des objets d'etude et d'experimentation. Partout it cherchait a decouvrir des lois generales, „experimentant au petit bonheur dans l'hërëdite, avec ses raisonnements sur le milieu oil elle (Martha) avait grandi, se souvenant aussi de son pere qui, pendant de longues annees, s'etait occupe a ecrire une histoire de la civilisation, s'attachant a expliquer le caractere des peuples par leur milieu. Lui, Henri, desirait vivement decouvrir des lois mathematiques, ainsi par exemple calculer la resultante, etant donne tel temperament, tels facteurs" 1). C'est ainsi qu'il se proposait d'analyser et d'expliquer l'instinct primitif des Germains d'apres leurs grandes epopees: Le Nevelingenlied [Le chant du Nibelung] et Le Saksenspiegel 2). Un instant, it s'eprend de Taine, mettant sa methode „essentiellement latine" au-dessus de la methode „germanique", croyant trouver par l'analyse prudente et minutieuse la solution des grands problemes de l'humanite et de l'esprit. „Pour deduire des lois, it faut avancer sans precipitation; observer, observer toujours, amasser des faits et des faits, puis progresser avec precaution" 3). Grace a la theorie dêterministe croit avoir trouve la clef des grands problemes de la vie, puis hesitant, sceptique, it se demande „si les avantages de l'analyse ne sont pas plutOt de l'apparence que de la realite" 4). Il n'a plus confiance dans les philosophes qui „comme une poule hypnotisee qui se tient debout sur une raie tiree a la craie blanche, regardant fixement l'enchainement de la cause et de l'effet inextricablement embrouille comme le nceud gordien" 5). 1) ibid., p. 194. „Voor Henri was ze een studie-voorwerp waarop hij waarnemingen deed, die hij onder een regel trachtte te brengen, kwakzalverende in herediteit, met zijn redeneeringen van de omgeving waarin ze was grootgebracht, zooals zijn vader lange jaren bezig was geweest een cultuurgeschiedenis te schrijven, waarin het typische der volkeren verklaard werd uit hun milieu. Hij, Henri, begeerde hevig een wiskunstigen regel te vinden, b.v. zoo: gegeven dat temperament, die en die factoren, bereken de uitkomst". 2) De Saksenspiegel, en all. Spiegel der Sachsen [Miroir des Saxons] (+ 1230), recueil de manuscrits en bas-allemand ou moyen-allemand, ou l'auteur, un certain Eike von Repkow (Repkaue), a voulu donner un exposé fidele des lois telles que la tradition les avait etablies dans les pays saxons. 3) Martha de Bruin, p. 204. „Waarnemen, waarnemen, nog eens waarnemen. Feiten verzamelen, altijd maar feiten en dan langzaam vooruit, niet alles op eens, de echt-Latijnsche methode volgens Taine, veel beter dan de Germaansche". 4) ibid., p. 204. „Och, de analise-voordeelen ook al meer schijn dan werkelijkheid". 5) ibid., „Als een gehypnotiseerde kip op 'n krijtstreep staan ze te turen naar de geheimzinnige eindlooze gordiaansch-knooping-in-mekaar-verward-geschakelde keten van oorzaak en gevolg". 18o Henri se passionne pour des doctrines, sauf des dogmes theologiques 1); it aspire, comme son pere, a entreprendre des oeuvres grandioses, a creer „un drame faustien, universel, symbole de l'histoire humaine, au denouement schopenhauerien, d'un noir term" 2), ou bien a „ecrire un traite sur la philosophie de l'histoire a la Buckle, mort jeune, helas ! comme cela arrive a ceux dont la vie est precieuse pour la science"3). Comme son heros Van Groeningen connut les heures des grands transports, fertiles en projets chim6riques. Ainsi ii connut le puissant dessein de creer une espece de legende des siecles, un cycle de romans en dix volumes qui devait s'intituler Van alle Tijden [De toutes les Epoques] et qui pretendait etre „la transmission, la transposition de l'histoire humaine dans l'espace des siecles". „Dans mon plan, dit-il, it y aura quatre volumes (apres le quatrieme) qui peindront les souffrances du peuple. Quand le monde aura retrouve le calme du repos, je vais retracer, sans aucune reserve, la vie du peuple" 4). Aux enthousiasmes frenetiques, aux ambitions fougueuses succedaient infailliblement les heures de desespoir oil l'envahissait l'obsession de son 1) ibid., p. 195. „Hield van dogma's, behalve theologische". 2) ibid., p. 198. „Een groot drama, een Faust-drama, alles-in-een, een drama, symbool van de menschengeschiedenis, met een schopenhauer-stemmingseinde, dof zwart". 3) ibid., p. 232. „Hij was bezig aan een grootsch werk: een tractaat, een essai over de theorie der geschiedenis, zooals Buckle eenigszins gedaan heeft . . . . Want zoo ging het altijd, menschen wier leven kostbaar is voor de wetenschap, sterven jong". 4) art. cit., De Amsterdammer, 11 mars 1890. „ Van alle Tijden, een groot geheel, waarvoor ik ± 10 boeken noodig zal hebben, moet worden de verklanking en verbeelding der menschen-geschiedenis in het ruim der eeuwen. In mijn plan komen 4 deelen voor (na het vierde], die het volkslijden zullen behandelen. Over eenige jaren hoop ik daaraan to beginnen. Als de natie tot rust zal zijn gekomen, dan zal ik geven, zonder terughouding, het leven van le peuple . . . ." (sic). Il est difficile de dire oil Van Gr. aurait trouve l'inspiration de son audacieuse conception; on ne peut, a ce sujet, que former des hypotheses. Johan de Meester, dans son article Aug.-P. van Groeningen en de Epiek [Aug.-P. van Groeningen et l' art e'pique], Taal en Letteren, 1898, p. 318 sqq. signale l'analogie de son dessein avec celui que concut Sandoz (dans L'Euvre) egalement preoccupe „de besognes geantes", nourrissant „le projet d'une genêse de l'Univers en trois phases: la creation, retablie d'apres la science, l'histoire de l'humanite, arrivant a son heure jouer son role dans la chaine des etres, l'avenir, les etres se succedant toujours". Mais Hugo, Leconte de Lisle, meme Coppee eurent des conceptions analogues. Et peindre la vie et la souffrance du peuple, n'aurait-ce pas pu lui etre suggere par la preface des RougonMacquart, qu'il avait lue et etudiee? 181 impuissance, qui le deprimait infiniment. Alors it etait pris d'une haine sourde contre le sort, contre les bourgeois et les conventions qu'il traitait avec un profond mepris. Par la it tenait de Multatuli, en qui ii s'est, plus d'une fois, reconnu. „Dans la figure de Schmoel du Kruissprook [Re'cit de la Crucifixion] ii applaudissait son „anti-ideaal" (la contre-epreuve de son ideal), la personnification de la detestable bourgeoisie, a la figure d'un jaune terne, provenant d'une maladie du foie, a la peau ridee comme du vieux parchemin, l'incarnation de toutes les qualites qui lui 6taient on ne peut plus antipathiques, la soif de gagner de l'argent qui allait jusqu'a l'idolatrie" 1). Le &gait du monde, le mepris du bourgeois et de son prochain, it le resuma dans ce cri final de haine feroce, dont l'atroce sincerite rappelle les accents pathetiques de Multatuli et de Van Deyssel. „Notre peuple pourri, un troupeau d'antiduliviens, oublie par l'histoire dans leur trou perdu; des fossiles vivants, des incarnations de toutes sortes de meprisables vertus traditionnellement hollandaises, des crachoirs pleins de crachats de l'ecceurante muflerie decente de la bourgeoisie hollandaise". Ainsi it s'ingêniait a trouver toutes sortes de mots oil it retrempait sa haine et sa rancune, sa haine morte, lente, sa rancune sournoise" 2). Les lambeaux qu'il nous a laisses de son second roman 3), viennent encore accentuer ce qu'il y 1) Martha de Bruin, p. 204 et p. 196. „In Schmoel uit den Kruissprook van Multatuli herkende hij juichend zijn on-ideaal, dat was de verpersoonlijkte hatelijke bourgeoisie, de incarnatie van de allerlei hem-aller-antipathiekste eigenschappen, de tot wan-god-gebeelde geldverdienerij, vaal geel, leverziekteachtig geel, met rimpels en perkamenthuid". Dans la figure centrale Henri de Graaff, l'incarnation du „demi-genie", on peut reconnaitre Multatuli, comme lui-meme. Il en suggere ridee dans Particle cite ,du Amsterdammer. „Puis le livre entame l'explication de revolution et de la nature du demi-genie; pour etudier ce phenomene je n'avais pas besoin d'aller chercher loin; on le trouve dans Bilderdijk, Multatuli, qui ne different pas au fond, bien que cela semble paradoxal. C'est, malgre le desir, l'impuissance a traduire repoque contemporaine" (Verder maakte het boek een begin met de ontwikkeling, verklaring, van 't wezen van het half-genie; ter bestudeering van dit levensverschijnsel hoefde 'k niet ver van huis te gaan. Men vindt 't in Bilderdijk, Multatuli, die eigenlijk niet verschillen, al lijkt dit een paradox. Het is: een-willen-maar-niet-kunnen-uiten-van-den-ermee-gelijktijdigen-tij d) . 2) ibid., p. 250. „Ons heel bedorven yolk, een troep antidiluviane, door de geschiedenis in haar achter-afje vergeten; levende fossielen, incarnaties van allerlei hatelijke oudhollandse deugden, kwispedoors vol spoegsel van walgelijke hollandschburgermans-fatsoen-ploertigheid. Allerlei woorden zat hij te verzinnen om zijn haat en zijn wrok in te gieten, doode trage haat, geniepige wrok". 3) Son second roman Henri de Graaff aurait ete l'analyse de l'hypocondriaque se repliant sur lui-meme, s'adonnant a de sombres speculations sur la vie et la mort, la maladie et la misere, voir Gerversman, art. cit., p. 546. 182 a d'amer et de desesperê dans ces paroles, ou il vomissait sa bile contre une societe hostile qu'il maudissait. Vers la fin de sa vie, on le voit se revolter de plus en plus contre un monde qui se refuse a le comprendre et finit par l'etouffer. Il n'est pas difficile de decouvrir dans l'amertume irritee de ses paroles, dans les brusques et maladroites sorties de colere, les cruelles deceptions d'un idealiste qui avait nourri trop d'espoirs. L'amour du prochain qui lui inspira ses premieres nouvelles, a insensiblement fait place a un sentiment plus acre, au cynisme, a une haine recuite. Aussi son oeuvre, a tous 6gards l'echo fidele de cette existence nerveusement agitee, laisse-t-elle a la fin l'impression d'une creation d'un esprit desequilibre, concevant les projets les plus fantastiques que lui suggeraient ses lectures hatives et desordonnees et qui par la portaient en eux les germes de l'avortement. Si, a un moment donne, il se passionnait pour Zola, ce n'etait point pour des motifs d'ordre litteraire ni artistique qu'il se sentait attire vers lui. C'etait son amour des systemes, des vastes conceptions originales qui expliquait l'enthousiasme que ce jeune exalte professait pour l'auteur des Rougon-Macquart et qui lui faisaient etudier avec une méme ardeur les doctrines de Taine, de l'historien anglais Buckle et de tant d'autres, enthousiasme qui fut peut-titre aussi spontane que passager 1). Neanmoins ce jeune auteur a ete, a Bien des egards, un precurseur, captant comme par intuition les tendances qui etaient „dans Pair". En plein triomphe de l'impressionnisme il attaque de front les conceptions esthetiques des Auteurs de 188o, devancant par la les critiques violentes de Herman Gorter et d'Adama van Scheltema. Par la hardiesse de ses peintures, ainsi que par son socialisme humanitaire il annonca les tendances de tout a l'heure; il fut le premier chez nous qui, sous l'influence de Zola probablement, concut, avant les Heijermans ou les Querido, le dessein d'evoquer dans une vaste epopee la souffrance et la misere du peuple, epop6e que sa mort prematuree l'a empéche, helas, d'achever. 1) Vers la fin de sa vie Van Groeningen a des aspirations mystiques. Etait-ce un besoin de fuir la realite ? Il ecrira une adaptation de l' Imitation et quelques fragments d'une Jeanne d' Arc. qui ne seront pas edites; voir la-dessus Gerversman, art. cit., p. 547 sqq.; les principales sources qu'il consultait pour cette oeuvre, etaient des historiens allemands: F.-C. Schlosser, Georg Weber et surtout K.-F. Becker (1777-1806), Weltgeschichte far Kinder and Kinderlehrer. C'est dire que tout ce qui etait une source vraiment scientifique aurait ete etranger a sa publication. 183 HENRI HARTOG (1870-1904) Henri Hartog, qui fut instituteur a Schiedam, est mort jeune, apres une breve existence malheureuse, ou it a connu, comme son collegue rotterdamois Van Groeningen, la gene materielle, qui le rendit sensible a la detresse sociale. „ J'ai vu, dit-il, beaucoup de misere; personnellement j'ai eprouvê, sous sa forme aigue et destructrice, la misere du proletariat" 1). Il a violemment attaque les Auteurs de 188o qui ne faisaient que choyer et dorloter leurs douleurs et petits chagrins, ces „victimes de leur moi tourmente, aux sensations maladives, perverses, si peu importantes en comparaison de la misere infiniment plus grande du proletariat sous la domination du capitalisme" 2). I1 leur en veut de manquer d'altruisme, reproche qu'il adresse egalement „aux peintres et aux illustrateurs que ne semblent jamais avoir emus les grandes existences douloureuses du peuple, qui avaient frappe en France les Steinlen, les Willette, les Ibels" 3). Mais s'il blame en eux le manque d'humanite, it admire fort les auteurs Kloos, Van Deyssel, Aletrino, Van Looy, Gorter, Perk, appreciant en eux qu'ils ont 6te les premiers a „creel- une langue vivante", d'avoir appris a toute une generation de jeunes auteurs a voir, a observer avec plus de precision. „Oh, les larmes nous en viennent parfois aux yeux, quand nous nous rappelons cette époque; comment, avec la critique emancipatrice de Multatuli et de Huet, ces sons penetraient jusqu'a nous, dans la solitude et les inquietudes de notre jeunesse de pauvre, alors que nous venions de nous liberer de la tyrannie des maudits cuistres qui avaient tue notre esprit et notre ame" 4). 1) De Jonge Gids [Le Jeune Guide], 1 ere annee (1897), p. 5 42. „Ik heb zelf veel leed gezien, zelf de beroerdheid van het proletarier-zijn in zeer acuten en vernietigenden vorm ondergaan". Hartog avait demeure pendant quinze ans dans une cite ouvriere a Schiedam. 2) ibid., p. 641. „Die hun smarten en smartjes vertroetelen, zelfkwellers, met onbeduidende ziekelijke, perverse sensaties, vergeleken bij de oneindig veel grootere ellende van het proletariaat onder de overheersching van het kapitalisme". 3) ibid., p. 543. „Niet alleen de schrijvers, ook de schilders en illustrators missen het altruistisch element. Hen heeft nooit het groote en monumentale lijdensleven van het yolk bewogen, gelijk het in Frankrijk Steinlen, Willette, Ibels en anderen heeft getroffen". 4) H. Hartog, Een eigenwijs schriffster [Un femme auteur plein de prisomption] (broch.). Rotterdam, W.-L. Brusse, 1903, p. 9. „0-, wij kunnen er nog bijwijlen de tranen van in de oogen krijgen, als wij denken aan dien tijd, hoe tegelijk met de bevrijdende critiek van Multatuli en Huet dit geluid tot ons doordrong, in de eenzaamheid en bangelijkheid van onze arme jeugd, toen wij net aan de tirannie van vervloekte en geest- en zielvermoordende schoolvossen ontkomen waren". 184 Aussi Hartog n'est-il pas rest& contrairement a Van Groeningen, en dehors de ('influence des Auteurs de 1880. En ce qui concerne sa forme et sa technique it s'inspire evidemment des procedes artistiques de ses predecesseurs immediats, au point que Van Deyssel ne manqua pas d'applaudir en lui un de ses adeptes les plus fervents, celui „qui croyait de tout son cceur dans notre Ecriture Artiste et qui y adherait avec une foi inebranlable" 1). Par la nature de son inspiration et de sa sensibilite, l'auteur se rapproche particulierement de Van Groeningen. Ses esquisses, reunies apres sa mort sous le titre suggestif de Sao lelen [Purotins] evoquent la misere sociale dans la banlieue de Rotterdam et frappent par une vision aigue et penetrante. En observateur consciencieux et scrupuleux il s'attache a nous depeindre la vie des bas-fonds dans toute sa revoltante et honteuse bassesse. Dans son amour de l'objectivite stricte ii ne recule pas méme devant les termes les plus choquants, les plus orduriers. Il traite ses sujets avec une hardiesse sans reserve qui touche au cynisme 2). Plus qu'aucun de ses devanciers it a sonde la decheance de ces miserables, ieur abrutissement, leur degoiltante bestialite. Contrairement a Van Hulzen par exemple, it ne decouvre dans ces titres denatures, abetis par des annees de misere, aucune humanite, aucun sentiment noble et eleve. Toutes ces creatures se detestent, se maudissent, se haissent mortellement. Voici l'enfant qui traite sa mere de voleuse, en l'invectivant grossierement. „Elle descendit encore un marche et rapidement, avant qu'elle put descendre tout a fait, it ramassa quelques gros mots qu'il lui cracha a la figure, en lui tenant tete. „Salope, souillon, donne-moi Outfit mes sous, ne touche pas aux sous d'un autre, espece de gueuse" 3). Quelquefois seulement son accent s'adoucit, comme dans Eene Bevalling [Un accouchement], oil it peint la femme du peuple, qui, pouss6e par son instinct maternel, cherche a proteger son nouveau-ne contre ('ambiance demoralisatrice, en l'enveloppant d'amour et de tendresse. Mais chez lui de telles scenes sont rares; en general it n'y a entre les 1) Voir la preface a Sjofelen [Purotins]. Rotterdam, W.-L. & J. Brusse, 1904, p. VIII, „Een die met heeler harte geloofde in onze Woordkunst en haar met onwankelbare trouw bleef aanhangen". 2) Cf. Sjofelen, p. 13, 68, 95, 97. Hartog est, avec Heijermans, le plus typique representant du realisme ,,rosse". 3) Sjofelen, p. 7. „Zij kwam een tree lager, en snel, voor ze beneden kon komen, verzamelde hij een paar scheldzinnen, die hij tegen haar oogen opsarde. „Vuilik, dweil, geef me liever m'n cente, blijf met je pooten van een ander z'n cente, schooier". 185 etres qu'il evoque devant nous que haines feroces, jalousies sauvages, conflits brutaux et exasperes. C'est le mari qui invective et brutalise sa femme, l'amant qui maltraite sa maitresse 1), l'ouvrier qui menace d'assommer sa belle-mere 2). Partout on sent transparaitre sa grande desillusion, son amour du peuple, de ceux qui souffrent des injustices sociales. Buurtleven [Vie des faubourgs], sa derniere esquisse qu'il laissait inachevee et qui promettait d'être son grand roman, n'etait qu'une longue et terrible accusation contre la societe moderne. Voici la femme du peuple, qui dans son desespoir, a vole chez une voisine une montre d'argent et ne fait que se revolter contre ceux qui possedent, les vrais voleurs. „On a beau se battre avec les Bros bonnets. Ces salauds savent faire payer les pauvres. Quand les prisons ëtaient pleines, on en batissait de nouvelles. Qu'est-ce qu'elle lisait hier dans le journal? Oh oui, une femme qui avait vole une paire de bas et un drap de lit . . . . on lui avait donne deux mois. Et ce chameau qui maltraite un ouvrier en lui cassant une jambe, se promene en liberte. Mais ca, ce n'etait pas voler. Voler, ce n'etait pas permis. C'etait permis si l'on s'y prenait de maniere a ne pas etre pence. Ainsi, ce type a la fabrique lorsqu'elle y travaillait. Ce salaud avait depouill6 toute sa famille et avait fui a Londres. Mais depuis longtemps it demeurait encore ici dans le pays, a Scheveningue, dans une belle villa. Et vows croyez qu'ils se mettent en peine pour ca?"3). Par sa vision du monde Hartog se rapproche de Coenen, d'Aletrino, choque comme eux par tant d'abominations, dues a l'universelle misere sociale qui abrutit, qui deshumanise, vision dont toute son oeuvre traduit d'une fawn poignante l'amertume profonde 4). 1) Dans In d'r nieuwe woning [Dans sa nouvelle demeure]. 2) Dans Buurtleven [Vie des faubourgs]. Par ses scenes populaires et son realisme brutal ce dernier rêcit annonce Boefje [Petit Gamin], le livre pittoresque et vivant de l'auteur M.-J. Brusse, originaire comme Hartog de Rotterdam. 3) Sjofelen, p. 261, 262. „Vecht maar tegen de groote lui. Een arm mensch, die wisten de vuilikke wel to vinde. Als de gevangenissen vol waren, dan bouwden ze maar nieuwe. Wat stond 'r gisteren ook weer in de krant. 0, ja, een vrouw, die een paar kousen en een beddelaken had gestolen . . . twee maande. En die beroerling, die een werkman een breuk trapt, liep vrij rond. Dat was ook Been stelen. Stelen mocht je niet. Je mocht 't wel, as je 't maar zoo dee, dat ze je niks konden doen. Z90 as die vent an 't fabriek, dat was nog in haar tijd, die vent had z'n heele familie uitgekleed, was naar Londen gevlucht. Maar hij woonde allang weer hier, op Scheveningen in een groote villa. En denk-ie dat 't die lui wat kan schele". 4) On distingue a peu pros les memes tendances dans l'oeuvre de S.-G. van der Vijgh, auteur qui mourut tres jeune, a l'age de vingt-trois ans (1899) et qui nous a laisse un recueil intitule Waken [Les Travailleurs]. Haarlem, De Erven F. Bohn, 186 GERARD HENDRICUS IGNAAZ VAN HULZEN Van Hulzen, ne a Zwolle en 186o, ne recoit aucune formation speciale qui puisse le preparer a la carriere litteraire. Ebeniste de profession, ii ne se vouera que sur le tard a la litterature, debutant par des esquisses impressionnistes 1) et par des romans qui s'inspirent en majeure partie de la misere des classes populaires 2). Ses debuts font voir qu'il s'est immediatement familiarise avec les tendances qui, a ce moment, regnaient dans le roman, affinite qu'il tend a desavouer, mais qui se revele neanmoins avec evidence dans son 'oeuvre entiere. „Aucun auteur n'a exerce d'influence sur moi, dit-il dans une interview avec Andre de Ridder, et c'est d'autant plus remarquable que j'ai le don de faire mien le style de tout auteur. Lorsque je debutais, je n'avais presque rien lu et malgre cela j'ai ete aussitOt embrigade au Nieuwe Gids. Cependant je n'en avais pas eu sous les yeux une seule ligne, et it me semble que mon ceuvre -- sans parler de sa diversite — ne tient en ce qui concerne le style ou le fond, de l'oeuvre d'aucun auteur de ce periodique" 3). 1900, qui etait le debut d'une oeuvre monumentale, le „roman du travail". Dans ces recits on ne distingue aucune influence ètrangere; l'auteur s'y revele, comme ses contemporains, un artiste du verbe, exaltant dans une prose lyrique et savamment ciselee la vie d'esclave de l'ouvrier; it aime a decrire les sensations qu'eprouvent le debardeur, le paysan, le chauffeur dans une fabrique en accomplissant leur rude tache, comme par exemple dans ce poeme en prose Nachtfeesten [Fetes de la Nuit], oil it analyse le sentiment de volupte physique qu'inspire a l'ouvrier le travail de ses mains. 1) Lire par exemple les esquisses intitulees Een Kamer [Une Chambre], Afvaart [Depart], Bedelen [Mendier] dans De Nieuwe Gids, 1896, p. 384, 489, 492, et I J -kant [Au bord de l' IT, Laatste Litanie [Derniêre Litanie], Amstelveld dans De Nieuwe Gids, 1897, p. 46, 171, 541. 2) A cote de son cycle Van den Zelfkant der samenleving [En mange de la societe], on predominent les themes sociaux, it y a encore ses romans „mondains": Getrouwd [Maras] (1900), In hooge regionen [Dans les hautes regions] (1904), Vrouwenbiecht [La confession d'une femme] (1906), Aan Zee [Au bord de la men] (1907), Liefdes Tusschenspel [Interlude amoureux] (1913). Cette partie de son ceuvre est en general trop „litteraire", trop peu vecue et sans doute infêrieure a son ceuvre „sociale". 3) Den Gulden Winckel, 1915, p. 38. „teen enkele schrijver oefende invloed op me uit, en dat is te opmerkelijker, omdat ik de gave heb me in ieder schrijver in te schrijven. Toen ik begon te schrijven, had ik haast niets gelezen en niettegenstaande dat, ben ik onmiddellijk bij de Nieuwe Gids ingelijfd; ik had nochtans geen regel van de Nieuwe Gids onder oogen gekregen, en 't dunkt me, dat mijn werk — afgescheiden, dat het zoo variabel is — op het werk van niemand anders van de Nieuwe Gids gelijkt, noch wat stiji, noch wat inhoud betreft". 187 Dans une lettre a M. P. Valkhoff 1) ii nie toute influence des auteurs naturalistes francais (il ne savait pas encore les lire, parce que, a ce moment-a, il ne connaissait pas encore le francais). Ce qui seal, d'apres lui, avait determine son art, c'etait la lecon magnifique des Auteurs de 188o qui vous enseignaient „a ecrire votre propre langue, a observer minutieusement les choses qui vous environnent, a les hisser penetrer dans votre ame, a rester toujours individuel" 2). Quoi qu'il pthende nous faire croire de son art et de son originalite, du reste non sans se contredire, il est neanmoins evident qu'au point de vue de la forme comme de ses id6es et de sa vision du monde, son oeuvre se rattache immediatement a celle de ses contemporains et que ce sont eux precisement qui ont oriente son gout et forme son style. Voici, apparemment inspiree des tendances de l'heure, la description tres pittoresque d'un bateau qui part du quai. „Pour la derniere fois le bateau fit voler son signal. Doucement il glissait en arriere, en tremblant, repoussant l'eau qui bouillonnait derriere le gouvernail. Lentement il passait, en ronflant, devant le long debarcadere, tandis que sa coque etait secouee a coups saccades" 3). Partant du principe que la realite vue sous sa vraie lumiere reveille en nous les sensations les plus delicieuses, „puisque toute fiction y fait defaut", il s'attache a noter scrupuleusement le monde reel en choisissant le terme saillant et expressif. Il vise a faire ressentir 1) Cette lettre, datee du 28 juin 1915, est remarquable d'un autre point de vue parce que Van Hulzen y enonce son opinion sur les Francais et leur art; il admire leur „style clair, limpide", „leur art de resumer nettement" (hun zuiver samenvattingsvermogen), leur „tendance a are concrets malgrê leur desir de charmer" (hun konkreetheid, hoezeer ze ook offeren aan de lust om to bekoren). Des auteurs francais il loue surtout Guy de Maupassant, dont il met Une Vie au-dessus de Madame Bovary, malgrê „le respect qu'il a pour le roman de Flaubert". Balzac et Zola sont pour lui des „geants d'energie et de comprehension geniale, bien que Zola se soit trop laissê enliser dans ses theories, comme Tolstoi" (Intusschen blijven Balzac en Zola voor mij reuzen van werkkracht en geniaal inzicht, ook al metselde Zola zich de laatste jaren vast in theorieên, evenals Tolstoi). Ce que Van Hulzen blame dans les Francais, c'est qu'ils sont trop convaincus de leur propre excellence, du „genie francais" pour pouvoir rien apprecier dans une autre race, idee qu'il trouve confirmee dans Remy de Gourmont, Pour la gloire de Belgique. 2) Cite dans la lettre a M. Valkhoff: „Wel heel toevallig de prachtige les: schrijf je eigen taal, bezie de dingen rond je, doorschouw, doorvoel ze, blijf altijd individueel". 3) De Nieuwe Gids, 1896-97, p. 490 (esquisse De Afvaart [Le Depart]). „Voor het laatst liet de boot haar sein vliegen. Zacht trilde zij achteruit, het water wegstuwend, dat opkolkte achter het roer. Lamgzaam raddelde zij voorbij den langen steiger met korte romprillingen". 188 a ses lecteurs les impressions qu'il a eprouvees lui-méme. „Par la pensee, en son imagination, parfois aussi dans la realite, le lecteur doit eprouver, comme par l'intermediaire d'un medium, ce que j'ai ressenti moi-méme. En lisant mes Zwervers on doit avoir la sensation de se trouver parmi eux. Dans Getrouwden le lecteur ne souffrira pas moins de la chaleur que les promeneurs lä-bas, a Buenos-Ayres" 1). La principale source dont s'inspire l'onvre de Van Hulzen a ête la misere et la dech6ance des bas-fonds. Ses esquisses, recueillies sous des titres evocateurs, tels que Zwervers [Vagabonds], dont paraissent deux recueils, en 1899 et en 1907, Cinematograaf [Cinematographe] 2) qui contient les esquisses qu'il compose entre 1897 et 1899, De Ontredderden [Les Desempares] (1911) et son roman De Man uit de slop [L'Homme du cul de sac] (1903), oeuvre qu'il publie sous le titre collectif de Van den Zelfkant der Samenleving [De la Marge de la Societe], denotent clairement ses tendances „populistes". Voici, comment dans le prologue au Cinematograal it indique son dessein. „Decrire la vie publique, en donnant un peu de tout, meant le comique et le tragique, rarement des interieurs, mais surtout — sujet apprecie du. cineaste — une rue avec tout ce qui y remue" 3). C'est ainsi, en vagabondant dans les quartiers pauvres qu'il evoque des tableaux pittoresques de la vie du peuple, des scenes de cabaret et de kermesse ou s'etale la bestialite humaine dans toute sa degoiltante laideur. A peindre cette vie triviale it n'est pas moins audacieux que ses contemporains. „Sur un des bancs se sont affaisses pele-mele, enchevétres comme une pelote, deux garcons et une inconscients de ce qui se passe autour d'eux; surtout la fille au milieu est un tas de chair, se parnant dans ses jupes" 4). Voici un instantane pris dans une bastringue qui rappelle involontairement la 1) Den Gulden Winckel, 1915, p. 37. „Mijn lezers moeten, als door een medium, hetzelfde ondervinden, wat ik heb ondergaan, in gedachten, in verbeeldingen, in werkelijkheid soms ook. Als men mijn Zwervers leest, dan moet men de aandoening ondergaan, dat men er zich midden in bevindt. In Getrouwd krijgt een lezer het zoo warm als die wandelaars daar in Buenos-Ayres". 2) L. van Hulzen, Cinematograaf. Amsterdam, L.-J. Veen, s.d. (1899). 3) ibid., 1 er recueil, p. 6, 7. vertoon hier het openbare leven, en van alles wat, ernst en grap, slechts enkele binnenkijkjes, maar bovenal, geliefkoosd onderwerp voor den cinematograaf, een straat met wat zich er in beweegt". 4) Dans Na Afloop Kermis [Fin de Kermesse], op. cit., p. 14. „Op een ervan (bank) hangen er nog: twee jongens en een meid, slappig in elkaar gekluwd, geheel weg van deze wereld; vooral de meid in 't midden is een klomp zwijmelvleesch in kleeren". 189 maniëre de Frans Erens. „Un matelot et son amie, tournant un peu moins vite, ralentissant leur danse a en faire un galop ordinaire, entrevoyant alors la salle autour d'eux avec tout ce qui y danse, s'amusent, tandis que leurs figures en sueur rayonnent d'un rire lascif" 1). Malgre ses tendances impressionnistes l'oeuvre de Van Hulzen nait evidemment d'une inspiration sociale, en ce sens qu'il cherche a nous emouvoir et a eveiller notre commiseration pour les desempares qu'il nous depeint. L'auteur doit se garder, a ses yeux, d'être le „copiste fidele" ou le „photographe" qui affecte de s'effacer de son oeuvre. „Je ne trouve pas de satisfaction dans le simple „Fart pour l'art", je voudrais sentir „socialement". Je ne suis pas socialiste, mais je me sens tout pres du socialisme. Tout artiste s'eleve contre des normes existantes, invente de nouvelles lois, doit s'efforcer de preparer une morale meilleure" 2). Dans l' epilogue des Zwervers it declare méme, d'une fawn tres nette, etre un auteur social, en reniant ses pretentions esthetiques du debut. „Il y a vingt ans, sous l'impulsion de mes observations, parurent ces quelques tableaux de la decheance morale, de la misere exthieure. Ces esquisses sont pour moi le premier timide effort de formuler mes sentiments et mes pensees qui animaient alors ma vie et mon travail. Ce que je pretendais autrefois, lors de leur premiere apparition, devoir renier, c'est-h-dire que ce travail, Bien que „populiste", efit une tendance sociale, nee seulement d'une inspiration purement artistique, oil tout sentiment humain etait mis a part, je vois qu'il me faut maintenant desavouer cette opinion fausse" 3). 1) Dans Danszaal [Salle de danse], ibid., p. 1o6. „Een matroos en z'n liefie nu even langzamer draaiend, de dans verminderend tot gewonen galop, ook weer halfziende de zaal rondom, met wat er danst, lachen geil in elkaars gezichten die zweeten, verlustigen zich". 2) Den Gulden Winckel, 1915, p. 37. „Met het eenvoudige „Fart pour l'art" bevredig ik mij niet; ik wil sociaal aanvoelen . . . . Een socialist ben ik niet, maar ik voel me zeer dicht bij het socialisme.... Eike artist is opstandig contra de bestaande normen, maakt eigen nieuwe wetten, moet trachten een betere moraal voor te bereiden". 3) Zwervers, I, 14e ed. (1919), p. 179, i80. „Twintig jaar geleden ontstonden onder de drang mijner waarnemingen deze luttele beelden van menschelijke verwording, uiterlijke misere. Deze schetsen beteekenen toch voor mij de eerste, ietwat schuchtere poging om gestalte te geven aan de gevoelens en gedachten, waaronder ik leefde en werkte. Wat ik destijds, bij het eerste verschijnen, meende te moeten ontkennen, ni. dat dit werk, hoewel proletarisch, sociaal zou zijn, enkel dus maar gesproten uit een kunstenaarsdrang met voorbijziening van het meer algemeen menschelijke gevoel en inzicht, deze verkeerde meening moet ik thans terugnemen". 190 Cependant ces sombres et monotones recits de la misere sociale ne decelent pas toujours chez l'auteur une connaissance tres profonde du coeur humain. L'homme nous est peint dans sa vie primitive de paria, non pas d'ailleurs d'apres le prototype naturaliste comme un homme luttant en vain contre les forces fatales qui menacent de le perdre, mais comme un etre qui obeit, malgre sa decheance materielle, aux voix intimes d'une conscience restee noble et pure. A aucun moment nous ne nous sentons profondement emus devant ces douloureuses existences, dont Van Hulzen ne parvient pas, comme Van Groeningen ou Hartog, a ëvoquer la saisissante tragedie interieure. Dans la presentation de tout ce monde de mendiants, de clochards, de vagabonds qui tons ont a peu pres les memes gestes, les memes paroles, il y a un manque d'analyse psychologique et d'observation vraie. Voici, pour illustrer la facilite de son procede 1), un seul exemple. „Ainsi it racontait errait un peu seul dans le monde: sa mere etait morte, son pere, qui de son vivant etait retameur de casseroles, et qui buvait beaucoup, etait mort aussi, suffocant dans le genievre. Il avait encore une sceur; it ne savait pas oil elle trainait, ne voulait pas meme le savoir; elle (la femme a qui il park) comprendrait pourquoi. Les autres etaient morts jeunes de la phtisie . . . . pour guerir it aurait fallu des fortifiants! Lorsqu'on leur avait amene son pere mort, sa soeur avait tout plaque la; tout le fourbi s'etait disperse, lui se trainait dans la rue . . . ." 2). D'autre part ses etudes des bas-fonds ne l'ont pas mene, comme Van Groeningen et Hartog, a une vision amere et cynique de la vie. Avec sa 1) Van Hulzen s'est rêvèle un narrateur habile, inventant facilement ses histoires; it arrivait qu'il travaillait a trois rêcits a la fois; l lui etait impossible d'ecrire ses romans ou ses nouvelles „sur place"; „il faut, disait-il, que je les aie derriere moi. Getrouwd a ete ecrit douze ans apres sa premiere conception. De Man uit de Slop, je l'ai ecrit dans les montagnes, bien que j'aie du aller a Geneve et a Lausanne pour revoir les prisons" (Ik kan nooit ter plaatse zelf de dingen schrijven, ik moet ze achter me hebben liggen. Getrouwd heb ik twaalf jaar na het eerste concept geschreven. De man uit de Slop schreef ik in de bergen; wel moest ik ervoor naar Lausanne, naar Geneve, om de gevangenissen weer te zien), cf. Den Gulden Winckel, art. cit., p. 37. 2) Zwervers, Ier recueil, p. 117. „Zoo vertelde hij, dat hij wel zoowat alleen op de wereld zwierf: zijn moeder dood, zijn vader een ketellapper, die veel dronk, ook al dood, in de jenever gestikt. Een zuster had-ie nog, wist niet waar ze uithing, wou het ook niet weten; ze zou wel begrijpen waarom. De anderen waren jong gestorreve, aan de tering . . . . Om te geneze moest-je versterkende middelen hebbe ! Toen ze zijn vader thuisbrachten, ging zijn zuster er van door, de heele ratjeplan uit elkaar, hij op straat . 191 foi inebranlable dans la bonte innee de la nature humaine, conception qui n'etait pas sans nuire souvent a son objectivite, it tend a embellir ces degeneres, a les ennoblir, a les voir capables de plus d'un acte genereux. Il attribue une grande valeur a l'energie morale de l'homme, a sa volonte de se redresser contre les forces qui menacent de l'ecraser, s'elevant, par la, contre le fatalisme qui se degageait d'une conception deterministe de l'univers. „ Je ne partage nullement, dit-il, l'opinion de beaucoup d'anthropologistes et de psychiAtres qui pretendent que l'homme ne saurait etre que ce qu'il est.... J'admets que je vois l'homme comme un produit de ses dispositions naturelles (son heredite), de son milieu (les circonstances qui agissent sur lui) et de sa connaissance de soi-meme (la conscience de son etat propre et l'action de sa volonte). Tout homme porte en soi, des sa naissance, un melange du bien et du mal; mais it peut se preserver des influences funestes des mauvais instincts; it peut se raidir contre la predestination naturelle, de fawn qu'il n'y succombe pas. Le meme milieu peut, dans certaines circonstances, faire pencher quelqu'un vers „le bien" et dans d'autres cas, le perdre definitivement" 1). C'est en cela qu'il se distingue de ses contemporains, ne se rapprochant d'eux que par son expression litteraire qu'il formait d'apres leurs modeles. Sa commiseration pour le sort des humbles, sa sentimentalite quelque peu vieillotte le rattachent a la mentalite d'avant 188o 2). Ii est rare, comme dans le beau recueil Zwakke Levens [Vies faibles] 3) qui evoque l'existence pitoyable des pauvres tuberculeux aux sanatoriums en Suisse, que sa sympathie s'elargisse en un immense amour de l'humanite. Alors ii merite d'être nomme a cote de De Meester, de Robbers, de Scharten, 1) Den Gulden Winckel, 1915, p. 36. „Ik deel geenszins de meening van vele anthropologen en de psychiaters, die beweren, dat de mensch niets anders zou kunnen zijn dan wat hij is . . . . Ik neem den mensch aan als een product van zijn aanleg (zijn herediteit), van zijn milieu (de omstandigheden, die op hem inwerken), en van zijn zelfkennis (het inzicht van zijn eigen toestand en de actie van zijn wil). leder mensch krijgt gemengd mede het goede en het kwade; maar voor de nadeelen van het kwade instinct kan hij zich hoeden; hij kan zorgen, dat hij zich sterke tegen de natuurlijke voorbestemming, dat hij er niet door ten onder gaat. Eenzelfde milieu kan iemand, onder zekere omstandigheden, totaal ten verderve brengen". 2) Lire, a cet egard, dans Zwervers tier recueil, 4e ed., p. 1o1 sqq.) De Vrouw met Molentjes [La Vieille aux Moulinets] qui caracterise bien son „sentimentalisme humanitaire". 8) Wrakke Levens. Amsterdam, Ned. Bibl. (s.d.). Les esquisses sont datees de 1901 a 1903 et remontent a l'epoque oii, lui-meme poitrinaire, it habitait Leysin. 192 de tous ceux qui, se detachant des tendances de l'art pour Fart, inaugurent une nouvelle periode dans nos lettres, en s'inspirant des mouvements les plus profonds du cceur humain. HERMAN HEI JERMANS JUNIOR (1864-1924) Herman Heijermans Junior naquit a Rotterdam oil il visita le lycee. Son pere, attache comme journaliste au Nieuwe Rotterdamsche Courant [Nouveau Quotidien de Rotterdam] et redacteur en chef du Zondagsblad [Feuille du dimanche] n'aura pas laisse d'encourager son fils qui montra, de bonne heure (MP., du gout pour les lettres. Au lycee, il composa ses premieres esquisses, un peu calquees, sans grande originalite, sur le modele des recits populaires de Justus van Maurik 1). Ayant fait ses classes, il eut une place modeste a la Twentsche Bank, poste qu'il avandonna assez vite pour se lancer dans le commerce, sans y trouver d'ailleurs aucune satisfaction 2). BientOt il quitta Rotterdam, endroit qu'il detestait pour son atmosphere de vine marchande. En 1892 il s'etablit a Amsterdam, ville qui l'attirait surtout comme centre de la vie intellectuelle et artistique 3) . La il s'engagea comme journaliste au Telegraaf. Bienta parurent, sous le titre des Gerritjes [Les petits Gerard] ou Falklandjes [Les petits Falkland] ses premiers feuilletons, qui par leur accent de rude bonhomie gouailleuse et leur verve originale trouverent aussitOt un accueil enthousiaste aupres du public. Ces recits brefs furent d'autant plus goilt6s que Heijermans ne s'ecartait pas sensiblement des tendances traditionnelles. Son oeuvre du debut se rattachait a celle des auteurs d'avant 188o, precisement parce qu'il avait le talent d'êveiller dans les cceurs la compassion et la sympathie par des histoires „humouresques" ou sentimentales. Cependant il se montrait superieur a eux par une analyse plus profonde des situations et des caracteres, par une connaissance plus approfondie du cceur humain, dont il devinait instinctivement les mouvements intimes et caches. C'etait, a tous les points de vue, le genre tres reussi du conte populaire. Avec beaucoup d'art et d'intuition 1) Voir sur Justus van Maurik notre remarque a la page 42, note 4. 2) Cette periode de sa vie lui a inspire un de ses meilleurs drames Ghetto (1898). 3) Pour plus de details sur sa vie, nous renvoyons a l'article de L. Heijermans, De ontwikkelingsjaren van den schrijver Herman Heijermans [Les anne'es de formation de l'auteur Herman Heijermans]. Socialistische Gids [Guide Socialiste], 1 934, P- 769 sqq. 193 psychologique it y evoquait la poesie intime des quartiers juifs et du fatneux „Pijp", oil se concentrait la vie des artistes et des etudiants 1). Parmi ces esquisses 2) it y en a d'infiniment touchantes qui annoncent par le dramatique et la vivacite du dialogue l'auteur futur de Ghetto et de op Hoop van Zegen [La bonne Esperance] (1900). A Amsterdam it ne tarda pas a subir l'influence des „Nieuwe Gidsers", avec qui it partageait l'aversion pour tout ce qui etait parti-pris, cliche, inspiration fausse et banale. Ii leur savait gre d'avoir inaugure une ere nouvelle dans nos lettres en bannissant toute convention morale ou artistique 3). Pour le meme motif it admirait profondement l'auteur du Max Havelaar, de qui it semble avoir herite le mepris des idees et des convictions traditionnelles, l'amour de la verite et de la justice. De meme que Multatuli s'attaquait avec violence dans son roman celebre a certains abus sociaux aux Indes, Heijermans, poursuivant en quelque sorte cette veine, raillerait aprement dans ses pieces de theatre les iniquitës et les injustices que tolerait chez nous le regime bourgeois. Toute sa vie it mena une guerre impitoyable contre les conventions morales et religieuses, qui, a ses yeux, formaient le plus grand obstacle au bonheur humain. Dans ses romans, de meme que dans plusieurs de ses pieces, ii attaque l'intolerance et la rigidite des dogmes. Il depeint avec une poignante acuite le drame conjugal qui nait du conflit des opinions religieuses, se fait mettle le defenseur de l'amour libre, en blamant dans le mariage bourgeois ce qu'il y a de conventionnel et d'inhumain 4). Tout en souscrivant a la 1) On trouve egalement des souvenirs de cette vie de boheme dans sa piece 't Zevende Gebod [Le septame Commandemant] (1899) et dans son roman realiste Kamertjeszonde [Le Pdche dans le garni], surtout chap. VI, Kabotijn-leven [Vie de Cabotins]. . 2) De ces contes, au nombre de 66o, qui constituent 18 volumes, la premiere parut clans le Telegraaf du 15 dec. 1894, la derniere dans le Handelsblad du 2 sept. 1911. 3) Den Gulden Winckel, 1913, p. 162. „Dans mes jeunes annees j'ai vêcu ce qu'on designait comme le mouvement de 188o; alors j'avais une profonde admiration pour Van Deyssel et Kloos" (In mijn eerste levensperiode heb ik wel doorleefd de z.g. Nieuwe-Gids beweging; ik heb in die tijd een ontzaglijke vereering voor Van Deyssel en Kloos gehad); cf. aussi De Nieuwe Gids, Gedenkboek, 1910, p. 295. „Avec enthousiasme je serre la main a ces solides et rudes travailleurs qui nous apprirent a nous autres jeunes a manier les outils selon nos forces et nos dispositions" (Ik druk met graagte de handen van de stevige en sterke arbeiders, die ons jongren leerden de werktuigen to hanteeren naar onze krachten en aanleg). 4) Tout cela lui a valu les reproches les plus durs des soi-disant „bien-pensants" conformistes. Plus qu'en France peut-etre on rencontrera en Hollande, par suite de la diversite de ses sectes et l'esprit d'intolerance qui caracterise les partis, le (frame de l'union mixte oil se heurtent les traditions de deux families. 13 194 these de Rousseau, a qui devant aller sa sympathie, que „l'homme est ne libre et qu'il est partout dans les fers", it voit dans l'intransigeance et l'etroitesse de l'esprit orthodoxe une entrave a la liberte de Fame 1). Toute sa vie it ne cessera de combattre l'intolerance du sectarisme, de s'indigner devant l'inhumanite des dogmes religieux, chretiens ou juifs, qui iniposent a l'homme des devoirs et une conduite tout a fait contraires a ses instincts, a ses passions les plus humaines et les plus nobles. Cette these, qui sera mainte fois reprise dans ses romans et ses pieces de theatre, Heijermans l'a posee et trait& pour la premiere fois dans son roman 'n Jodenstreek? [Le vilain tour d'un Juifi]. Dans ce recit, ne d'un souvenir personnel, it nous depeint le drame d'un jeune couple aspirant au bonheur, qui menace d'être detruit par le fanatisme et l'orthodoxie des parents. Max, en qui nous reconnaissons l'auteur luimeme, se revolte contre les idees reactionnaires de ses beaux-parents et ne recule pas devant la ruse et l'artifice pour emporter de haute lutte le bonheur auquel it pretend avoir droit. Nous voici en presence de l'homme „moderne", emancipe, qui ne juge le monde que selon l'intuition de son coeur, tel que nous le rencontrerons encore plus ou moins idealise dans la figure de Spier de Kamertfeszonde [Le pdchi dans le garni] (1896), de Rafael dans Ghetto, de l'etudiant Bart dans Het Zevende Gebod [Le septieme Commandement]. Ce porte-parole des principales idees de l'auteur, nous le trouvons partout en train de combattre les principes conventionnels de la morale et de la religion, si inhumaines dans l'observation stricte de leurs principes, et dont Heijermans a evoque tout le pathetique poignant et cruel dans son emouvante piece Allerzielen [Le J our des Morts] (1905). Son deuxieme roman Trinette 2) est ne sous l'influence directe du roman impressionniste et naturaliste, auquel i1 se rattache immediatement par les peintures „subjectives" de la realite comme par le caractere et la fawn de traiter le sujet. La donnee, c'est l'histoire d'une jeune file de province qui, attiree par les tentations d'une grande ville (Bruxelles), y mene une vie de plaisir, succombe et finit miserablement a Rotterdam son existence de fille perdue. Cette „progression insensible vers la de1) A ce point de vue it est tres interessant de lire son article au Mercure de France, mars 1894, p. 206 sqq., intitule L'art dramatique en Hollande. 2) H. Heijermans Jr., Trinette. Amsterdam, H.-W.-J. Becht, 1893 (ecrit a Bruxelles, aoilt - sept. 1892). 195 cheance" lui fournit l'heureuse occasion de depeindre par le menu la vie pitoyable des saltimbanques et des cabotins, les scenes grossieres et haut en couleur d'une foire, d'evoquer toutes les horreurs et les abominations de la metropole 1). Mais la n'est pas l'essentiel; ce qui fait vivre ce roman, c'est la revolte de l'auteur devant la misere humaine, c'est sa grande compassion de la femme qui est la victime de sa faiblesse et de ses passions 2). Ce qui est curieux, c'est que Heijermans n'ait nulle part temoigne, comme plusieurs de ses contemporains, d'une inclination profonde pour le naturalisme francais, fait d'autant plus remarquable que son temperament, sa haine des conventions, son gout du realisme violent devraient l'y avoir entraine naturellement. Cependant il se rattache, a plusieurs egards, aux tendances et aux ambitions des naturalists. Comme eux il avait le souci de la documentation exacte, le besoin d'etudier sur place la vie et les mceurs populaires, de connaitre de pres les conditions sociales des ouvriers, des paysans, des pecheurs. Pour sa piece Gluck Au/ (19II), qui evoque la vie et la lutte sociale des mineurs, il travailla une semaine comme „kumbel" dans les mines de Westphalie. A Berlin il sortait la nuit pour visiter les halles, un asile de nuit, scenes qui forment le decor de son roman Duczika, qu'il a laisse inacheve, helas! Dans ses romans Diamantstad [La Cite des diamants] (1898) et Kamertieszonde se distinguent ses qualites d'un peintre qui rend avec une veritable maitrise l'atmosphere intime et poetique des interieurs et des quartiers juifs d'Amsterdam. La facilite avec laquelle ii a adopte les procedes techniques des auteurs impressionnistes n'a rien d'etonnant, si l'on connait la rare faculte qu'il possedait de s'assimiler n'importe quel genre litteraire. Lorsque, en 1894, Lugne-Poe vient a Amsterdam pour y jouer Rosmersholm, Pelleas et Mdisande, L'Ennemi du Peuple, Heijermans subit fortement le charme de son art. Enthousiasm6, il se rend a Paris, cherchant immediatement 1) On pourrait reprocher a l'auteur de ne pas avoir suffisamment observe la couleur locale, malgre son objectivite; ainsi il fait parler a l'ouvrier bruxellois le patois d'Amsterdam, p. ex. „ Jasses, wat be je flauw!" „Maal je om 'm?" L'atmosphere non plus n'est pas caracteristiquement beige et pourrait etre celie de n'importe quelle grande ville. 2) Le theme de la femme, victime de sa faiblesse et de sa situation d'esclave, il i'a mainte fois repris, entre autres dans ses nouvelles Biecht eener schuldige [Confession d'une coupable] (1905), W at niet kon [Ce qui ne se pouvait pas] (1907) et dans son roman Duczika (De Nieuwe Gids, 1912), concu pendant sa periode berlinoise (1905-1912). 196 le contact avec ceux du „Mercure" 1); aux „Mardis" oil it se presente, les adversaires du naturalisme le saluent comme un des leurs. Sous l'impression de son sejour en France ii ecrit dans une prose rythmee quatre „dialogues avec la Mort", recueillies sous le titre de Fleo, ofi, sans aucune originalite, mais avec une singuliere adresse, ii applique les procedes des symbolistes, de Maeterlinck, en premier lieu, s'astreignant, comme lui, a suggerer l'idee d'angoisse hallucinee et de mystere qui enveloppent les figures de ses drames 2). Mais tout cela manquait chez l'auteur de sincerite et de profondeur. C'est le &calque facile qui aboutit ici au manierisme, a la mauvaise rhetorique. Heijermans lui-meme a dl le sentir, son genie le poussait ailleurs. Trinette etait la pour prouver qu'il ne pouvait s'inspirer a la longue de l'irreel et de l'imagination pure. Il n'y avait que la vie reelle avec ses miseres et ses mensonges, ses conflits et ses deceptions qui l'ebranlait et remplissait son coeur d'amertume et de revolte. Aussi ii ne pouvait pas rester indifferent au mouvement socialiste qui, justement dans les annees 1890 a 1895, s'accusait et devait enflammer une ame eprise de liberte et de justice. Avec un veritable enthousiasme il se jette dans la melee. Il y prend nettement part, avec une ardeur d'autant plus forte et spontanee que sa haine du bourgeois trouvait de la satisfaction dans ces nouvelles croyances. Dorenavant it lui sera impossible de s'enfermer dans sa tour d'ivoire; les problemes d'ordre moral et social l'etreigent d'une fawn trop rude; it croit entrevoir les temps heureux oil it n'y aura plus de classes rivales, mais des individus libres unis par la fraternite du travail et de l'amour. „Les idees de bonheur terrestre, les id6es de liberte pour chaque individu se soulevent en un cri desespêre, puissant, effroyable" 3), 1) Dans l'article cite L' Art dramatique en Hollande, qu'il ecrit dans le Mercure sous l'impression des representations de Lugne-Poe, l'auteur resume les rapports entre la France et la Hollande. „C'est surtout de la France, dit-il, que nous est venue une certaine domination, et c'est pour la France que nous gardons toujours et toujours une grande sympathie" (p. 208), en ajoutant ce trait malveillant a l'adresse des Allemands: „Nous n'aimons pas les Allemands, ce peuple dont les commis-voyageurs doux et flatteurs encombrent regulierement nos hotels". Ses rapports avec le Mercure semblent avoir continue quelque temps; l'influence sur Fleo est peut-titre sensible dans le grand nombre de gallicismes qu'on y rencontre. 2) Un procede, evidemment emprunte aux pieces de Maeterlinck, c'etait la repetition des questions et des reponses etonnees pour augmenter l'effet du mystêrieux; on trouve egalement des souvenirs de cette recherche d'un effet dramatique dans De Schoone Slaapster [La Belle au Bois dormant] (1909) et dans Dageraad [L' AuYore] (1916) . 3) Mercure de France, 15 mars 1894, art. cit., p. 206. 197 disait-il en 1894, annee ou, quittant le Telegraaf, it s'etablit a Wijk-aanZee. C'est lä, dans ce petit village au bord de la mer que, apres une des crises les plus violentes, it finit par decouvrir son moi 1). „La., pour la premiere fois, je suis devenu moi-meme; j'ai tout bouleverse en moi; la veritable production n'est venue que lorsque j'eus trouve ma nouvelle et grande conviction" 2). Heijermans rejeta toute influence anterieure, rompit radicalement avec ce qui le rattachait aux Auteurs de 188o, rupture qui n'a ete que partielle et moins grande qu'il n'aimait a le faire croire. Evidemment, sa nouvelle vision du monde demandait une revision, une mise au point de ses conceptions artistiques. Desormais cet adepte fervent des Auteurs de 188o combattra comme un enrage les doctrines de ses anciens maitres qui, a ses yeux, n'etaient que d'habiles et excellents techniciens. Des lors ii renie tout ce qu'il avait produit durant la periode ou it subissait leur influence. Jusqu'aux annees 1894 et 1895 it avoue „n'avoir rien produit qui portat un accent personnel". Ce qui lui repugnait en eux et ce qu'il ne cessait de railler, ce fut leur tendance a exalter leur „moi", a remplir des pages et des pages de leurs sensations et de leurs emotions individuelles". „Ca ne supporte pas le soleil, la realite. Ca sent la serre chaude, c'est affecte. Ce sont des reveries malsaines. Cela forme une bonbonniere de petites emotions, de petites paroles sages, de petites analyses, de petits chagrins. Nous n'avons pas besoin de nous etendre sur leur perfection artistique plus ou moins grande. Elle nous laisse froid. Nous pre-tendons signaler a nos contemporains l'esprit et l'ame en vole de decomposition de tous ces litterateurs qui ne font que nous embeter avec leurs petits amours, leurs petites coleres, leurs petites joies bruyantes, leurs petites passions" 3). 1) C'est la qu'il fonde une revue nouvelle De Jonge Gids [Le Jeune Guide] (18971901), organe combatif et de tendance revolutionnaire, ou parut sous le pseudonyme de Koos Habbema, son roman Kamertjeszonde, roman que refusêrent les editeurs. 2) Den Gulden Winckel, 1913, p. 162. „Daar ben ik eigenlijk voor het eerst mijzelf geworden. Ik heb in mijzelf alles ondersteboven geschopt. Het produceeren is eerst gekomen, nadat ik mijn nieuwe en groote overtuiging had gekregen". 3) De Jonge Gids, II, p. 829, cite dans G. Karsten, Herman Heijermans' Herdenking [En memoire de Herman Heijermans]. Amsterdam, uitg. „De Steenuil", 1934, p. 15, 16. „Het verdraagt geen zonlicht, geen werkelijkheid. Het is broeierig, gemaakt. Het droomt er ziekelijk op los. Het vormt een bonbonniere van aandoeninkjes, wijsheidjes, ontleedinkjes, verdrietjes. Niet over de meerdere of mindere vorm van volmaaktheid hebben wij uit to weiden. Die laat ons koel. Wij wijzen 198 Mais ce a quoi ii devait s'en prendre surtout, c'etait leur „impassibilite" devant la souffrance humaine. Il est un des premiers a condamner en eux leur souci unique de la forme impeccable, artistement travaillee. Il leur reprochait de rester en dehors de la vie reelle, de ne pas comprendre la portee du bouleversement social qui s'accomplissait. Dans une interview il a redit et precise sa conception de l'art. „Si je me rends dans un lieu pareil (de misere), je m'en approche avec un sentiment de revolte, alors je veux faire mon possible pour mettre fin a la misere. D'autre part je m'y rends, debordant de pitie, tandis que les autres ne voient que le beau qui est le laid, la beaute de la misere" 1). Voila ce qui le distingue et le separe des Auteurs de 188o, qui s'inspiraient avant tout de la realite pittoresque sans se montrer apparemment emus de ce que la realite recelait souvent d'infiniment tragique et d'emouvant. „La vie, disait Heijermans dans sa preface a Het Zevende Gebod, est superieure a la litterature." Dans le drame tel qu'il le concevait, il est evident que les desseins d'ordre esthetique cedent le pas a ceux d'ordre moral ou social. Mais dans ses romans, Diamantstad par exemple, il se revele un assez fidele disciple de ses anciens maitres. Lui qui leur reprochait un raffinement ridicule de l'expression litteraire, et le souci apparent d'ecrire pour un public restreint" ne reussit pas a se degager des tendances „impressionnistes". C'est de ses immediats predecesseurs qu'il tient le gout de l'epithete rare, tout a fait expressive. Aussi Van Deyssel fut pret a louer en lui son art d'evoquer par de suggestives peintures la beaute des quartiers pauvres 2), se refusant a voir dans ces evocations de la misere une tendance „morale". „L'impression generale n'est pas que le monde a besoin d'une reforme necessaire et qu'il serait facilement reforme, mais plutOt que le monde est une nuit sans issue, sans espoir" 3). Van Deyssel se trompe; den tijdgenoot wederom met aandruk op den geest, de literatorenziel, de literatorenrotheid van al deze auteurs die ons levenden telkens weer lastig vallen met hun liefdetjes, hun toorntjes, hun juichinkjes, hun passietjes". 1) Den Gulden Winckel, 1913, p. 163. „Wanneer ik naar zoo'n plek ga, dan ga ik er heen met een zeker opstandig gevoel, dan wil ik mijn krachten geven om een eind to maken aan de ellende; aan de andere kant ga ik er heen met een gevoel van diep medelijden voor die menschen. Anderen daarentegen gaan er heen voor het z.g. mooi-leelijk, de schoonheid van de ellende". 2) Tweemaandelijks Tijdschrift [Revue bimestrielle], 1898, II, p. 171-18o, art. Diamantstad. Voir le meme article dans Verzamelde Opstellen, X, p. 21-27. 3) art. cit., p. 26. „Algemeene indruk is niet, dat de wereld noodzakelijk hervorming behoeft en gemakkelijk hervormd zou worden, doch veeleer dat de wereld is een hopelooze en onherstelbare ellende". Voir aussi l'article de Heijermans 199 la tendance y etait, certes; elle y etait meme trop. A tout propos l'auteur intervient pour plaider, pour protester et pour propager les idees qui lui sont cheres, tombant parfois dans la plus banale rhetorique, prenant le ton d'un demagogue qui voudrait convaincre son auditoire. Se solidarisant avec ses „camarades socialistes" dans le grand combat pour la justice et la liberte, ii prkendait titre comme Sera dans De Schoone Slaapster un liberateur, un prophete, annoncant un avenir de bonheur et de Iraternite. L'auteur qui se rendait vraiment compte de sa mission etait a ses yeux, avant tout „un serviteur d'un ideal social". La vision socialiste du monde devait conduire a une forme d'art, a une conception plus nobles, plus elevees" 1). Le socialisme constitue pour lui l'unique et vraie inspiration qui animera cl6sormais son oeuvre. S'il s'est attache a peindre la lutte sociale de l'heure, it ne l'a certainement pas fait sous l'influence de l'auteur de Germinal, comme certains sont encore portes, semble-t-il, a le dire. On a tort, croyons-nous, de vouloir suggerer sous ce rapport le nom de Zola, dont nous n'avons decouvert dans l'ceuvre de Heijermans que de tres vagues indices. Jamais il ne semble avoir ouvertement professe, comme la plupart de ses contemporains, une sympathie particuliere pour le naturalisme francais. Rien ne prouve que Zola ait inspire l'auteur de Diamantstad ou de Ghetto. Si Zola ou les naturalistes l'ont influence — et it est assez certain qu'il les a lus 2) — leur action n'a consiste qu'a encourager un auteur dans un genre auquel nul avant lui ne s'etait essaye avec tant d'audace et oil l'entrainaient facilement sa rude bonhomie, son gout du realisme „rosse", qui contrastaient curieusement avec sa sensibilite enfantine. Les descriptions hardies, sans voiles, des conditions miserables oil vivait le peuple etaient le moyen le plus efficace de faire penetrer dans les ames la revolte et l'indignation. Avec une brutalite qui Een Anti-Kritiek [Une Anti-Critique], De Jonge Gids, II, p. 5o, oil it riposte avec violence aux remarques de son juge et condamne severement les tendances de l'art pour Part. 1) Nieuwe Gids Gedenkboek, 191o, p. 295. „Dat een waarachtig ontwaakt auteur \TO& alles een gemeenschapsdienaar behoort to zijn en dat de socialistische wereldbeschouwing naar een hoogere opvatting en 'n hoogere kunstvorm voeren moet". 2) Une indication que Zola n'etait pas pour lui un etranger, nous la trouvons dans un fragment, intitule Bordeelschets [Esquisse de bordel], paru dans De Jonge Gids, 1897, p. 54-58, oil une des filles, appelee Nana, a qui l'auteur fait parler francais, rappelle le roman du meme nom. Dans Kamertjeszonde, 20e ed., p. 45, quelques lignes suggerent que Heijermans a lu La Terre. Alfred Spier, le personnage principal, avec qui s'est identifie l'auteur, demande a son amie si elle connait ce roman. 200 va quelquefois au cynisme, Heijermans peint la realite basse, se hasarde a aborder les themes les plus audacieux, ne recule point devant les termes les plus choquants. Certains passages, dans Diamantstad ou dans Kamertfeszonde ne semblent avoir ête ecrits dans un autre dessein que de blesser le bourgeois dans ses opinions les plus sacrees. Sa haine de la bourgeoisie, de ses conventions morales et religieuses semble lui avoir dicte les expressions les plus grossieres, comme sa compassion devant l'e'tre opprime, humili6 lui a inspire des pages infiniment emouvantes, d'une tendresse sans egale. II y avait surtout les circonstances politiques et sociales qui formaient l'homme et l'ecrivain. C'etait la grande misere du peuple qui le poussait a devoiler ce qu'il y avait de profondement tragique et d'emouvant dans la vie des pecheurs, des paysans, des petits marchands juifs. Mieux que personne ce revolte savait peindre l'ame qui souffre sous les coups de l'injustice, qui bait le mensonge et aspire a l'independance. D'une facon saisissante il nous depeint l'homme qui, ecrase sous le poids d'une faute ou d'un crime, ne voit plus d'issue et se delivre de son angoisse par la confession, dans un immense besoin d'être compris et pardonne. En cela il tient des Russes, d'un Tolstoi ou d'un Dostoievski. Sonja, dans De Opgaande Zon [Le Soleil levant] (1908), avouant son crime devant son pere, n'est pas sans nous rappeler la scene de la confession dans Crime et Chdtiment. Heijermans s'est fait l'apOtre des desherites, des opprimes. Il prechait la tolerance, attaquait l'inhumaine rigidite du dogmatisme religieux, juif ou chretien, ce qui lui valait l'animosite de tous les croyants 1). Son oeuvre de propagande est morte, mais il emeut toujours par sa vision dramatique de la realite. Sans etre influence par Zola, il se rapproche de lui, plus que ses precurseurs, par son „humanite", par son amour du prochain, par 1) Dans certaines villes on defend jusqu'a nos jours par exemple la representation d' Allerzielen [Le Jour des Morts] (1905), oil Heijermans a severement attaque l'inhumanite de l'Eglise, en opposant a la figure du cure Bronk, en qui s'incarne l'intransigeance dogmatique, celle du cure Nansen, homme genereux qui, pour sauver la vie a une jeune femme malheureuse, ne craint pas de desobeir aux devoirs que lui prescrivent ses fonctions sacerdotales. Les catholiques n'ont peut-etre pas tort de se montrer indignes, puisque H. a fait du cure Nansen une creation asset invraisemblable (cf. G. Karsten, op. cit., p. 55). D'ailleurs H. ne reculait pas devant une mutilation volontaire de la realite pour l'adapter a sa vision particuliere ou a la demonstration d'une idee, afin d'aboutir par la a un effet plus dramatique. 201 la mission sociale et morale qu'il se fait un devoir d'accomplir, en faisant appel a nos plus nobles sentiments. En vieillissant it lui est impossible de croire a la realisation de ses reves d'antan d'un bonheur commun. Contrairement a Zola qui, vers la fin de sa vie, s'affermit dans sa foi, quelque peu naive, dans un avenir meilleur, Heijermans, persuade de la perversion fonciere de la nature humaine, se resigne, renonce aux beaux espoirs de sa jeunesse. Cet idealiste impenitent, douloureusement desabusë, n'a demande, comme tant d'auteurs „realistes", qu'a fuir les revoltantes bassesses de la vie quotidienne. C'est dans l'amour de ses deux enfants qu'il finit par trouver de delicieuses consolations. Dans ces jeunes ames il decouvre des sentiments d'une serenite, d'une purete rare qui lui inspirent, les dernieres annees avant sa mort, ces deux chefs-d'oeuvre, dont le dernier resta inacheve, Droomkoninkje [Le petit roi des reves] (1924) et Vuurvlindertje [Le petit phalene ] (1925), oil it analyse avec infiniment d'amour et de tendresse l'ame d'un enfant reveur et intelligent. Ainsi a plus d'un point de vue, par son gout de la description impressionniste, par ses idees 6mancipatrices et revolutionnaires, sa sensibilite a la souffrance sociale, Heijermans se rattache aux tendances de son époque. Son ceuvre est en rapport avec le naturalisme finissant oil le roman, s'ëcartant de sa conception „scientifique", s'êtait assigne, avec les Quatre Evangiles, un dessein nettement moral, evoluant, sous la suggestion des nouvelles orientations politiques, vers le roman a tendances humanitaires et sociales. Seulement chez un auteur de sa trempe, dont l'admiration va indifferemment a tous les Brands esprits de l'epoque, un Multatuli, un Van Deyssel, un Verlaine, un Ibsen, un Hauptmann, on chercherait en vain des correspondances ou des „influences". Son ceuvre, qui s'explique evidemment en partie par l'ambiance artistique et sociale, recut du genie qui la cr6a, son empreinte essentielle, sa marque tout individuelle, indelebile. CONCLUSION Maintenant que nous sommes arrive au terme de notre etude, it s'agit de resumer quels ont ete les resultats de nos recherches, a quelles observations aboutit en general la comparaison des deux litteratures que nous avons etudiees. Ce qui, chez les naturalistes francais, avait tout d'abord enthousiasme nos auteurs, c'etait leur incontestable probite artistique, c'etait l'audace avec laquelle ces auteurs professaient et defendaient leurs principes litteraires. Zola surtout eveillait les sympathies. Ce „briseur d'idoles" avait, plus radicalement que personae, fait table rase de tout ce qui formait obstacle au libre epanouissement de l'art. Par son attitude courageuse it s'imposait a tous et exercait, a un moment donne, un attrait magique sur les jeunes artistes hollandais. On se reclamait de lui dans les querelles litteraires. Son nom etait mis en avant dans les polemiques de l'heure et it est indeniable que sa signification pour la naissance de l'idee de la liberte dans l'art &passe de beaucoup celle d'un Flaubert ou d'un Baudelaire 1). Alors, s'inspirant de ses modeles, l'auteur hollandais se cree un ideal artistique tout a fait conforme a celui de ses maitres. A l'instar de ses modeles il vise a. atteindre a la pretendue impassibilite, a noter la realite telle qu'elle se presentait a ses yeux. Son attitude etait celle d'un desinteressement total qui lui permettait d'arriver a une expression pure, immediate; aucune preoccupation d'ordre social, moral ou religieux n'y preside, puisqu'elle menacerait de troubler la nettete de l'impression revue, Sa conception du roman soi-disant „impersonnel" demande qu'il 1) Il est stir qu'en 1885, alors que fut fonde le Nieuwe Gids, on ignorait les idees sur l'art de Flaubert et de Baudelaire; on admirait l'ceuvre de Flaubert; Kloos par exemple parle avec enthousiasme du romancier rouennais, mais de Baudelaire on ne savait rien; Paap le nomme dans un article dans la revue De Nederlandsche Spectator, 1881, p. 151 sqq.; Erens le signale en 1883, mais son „influence" date de beaucoup plus tard. Cf. Paul de Smaele, Baudelaire, het Baudelairisme, hun nawerking in de Nederlandsche Letterkunde [Baudelaire, le Baudelairisme, leur influence SUr la litte'rature hollandaise], Brussel, 1934. 203 ne mette rien de lui-meme dans son oeuvre, qu'il renonce a intervenir dans la trame du recit par des reflexions personnelles. Pour des raisons esthetiques, it lui repugne de gagner les sympathies de ses lecteurs, de faire naitre par un habile arrangement de sa matiere, le sourire ou les larmes, de speculer adroitement sur les sentiments nobles et genereux, tendances Bien familieres a la generation d'avant 188o, qui par la s'etait attire le mepris des Auteurs de l'art pour l'art. Or, le genre d'art oil ces principes devaient avoir la plus grande chance d'être appliques avec succes, serait evidemment une litterature d'oa toute possibilite d'intervention personnelle filt exclue, c'est-h-dire dans la litterature dite impressionniste, un art qui par son essence etait tout voisin de la peinture contemporaine. La fonction nouvelle de la langue, celle qu'avaient inauguree les Gautier, les Goncourt, les Huysmans, serait de transmettre d'une facon directe les impressions revues du dehors. Ce n'est plus la phrase, recipient des idees et vehicuie des pensees, qui compte; dorenavant c'est le mot qui prevaut, image, symbole de l'exterieur pittoresque, evoquant sons, lignes et couleurs. Le besoin cependant d'imposer leur personnalite predisposait les auteurs hollandais a vouer une attention particuliere a une interpretation toute subjective de la realite. Its tendaient a donner a leur oeuvre un accent, une empreinte tout individuelle. La transcription minutieuse de la realite qui constituait le point de depart, ne tarda pas a devenir la notation infiniment subtile de la vision personnelle. Une technique des plus raffinees s'imposait pour exprimer le tres rare, la note individuelle la plus secrete, technique qui ne tarda pas a devenir une maniere, une nouvelle rhetorique. Appliquee a l'exces, elle tendait a devenir un art qui ne serait accessible qu'a. une elite d'inities. Par cette recherche d'une originalite marquee, leur art se rattache a l'„6criture artiste" que cultivaient les Goncourt et Huysmans, maitres incontestes, qui pour cette raison susciterent aupres de nos auteurs les plus grands enthousiasmes et n'ont pas manqué de les inspirer 1). Noter consciencieusement les plus 1) Pour prouver combien ii est souvent difficile de designer avec quelque fondement la source d'une inspiration probable, nous rappelons au lecteur la comparaison que nous avons faite entre la description des chènes dans Hoist in het Woud de Netscher et une page analogue dans L'Education sentimentale (voir p. 51). Avec autant de raison cependant nous aurions pu la rapprocher d'un passage que nous empruntons a Manette Salomon (1867), public deux ans avant L'Education sentimentale et singuliêrement correspondante a la phrase citêe de Flaubert: „Il y avait des chenes rugueux, enormes, qui se convulsaient, s'etiraient du sol, s'etreignaient les uns les autres et fermes sur leurs troncs pareils a des torses, se lancaient 204 infimes details, rendre, avec un soin particulier, leurs multiples sensations, s'attacher a saisir l'atmosphere poetique de l'exterieur, voila ce que devint' a peu pres, l'unique et l'essentielle preoccupation des „artistes purs". Ces assoiffes de beaute ne se montraient sensibles, semblait-il, qu'au dehors pittoresque qu'ils etudiaient et notaient avec une attention toute particuliere, avec un clevouement presque religieux. C'etaient en quelque sorte des titres jeunes, des primitifs que ravissait la richesse, la surabondance de la nature environnante. La vie banale de tous les jours les exaltait et elle etait rendue avec une sincerite quasi „scientifique", qui cependant, dans son essence, tenait plus d'une renaissance vitale que d'une etude objective de la realite. Leur frenesie a creer ne les mettait point en garde contre les erreurs dont beaucoup de Francais, obeissant a de longues traditions, ont su se preserver. Alors que l'auteur francais, d'une maniere generale, ne reproduisait pas plus le decor qu'il n'etait strictement necessaire pour situer ses personnages, le Hollandais, par suite de son. emotivite „visuelle", ne cherchait qu'a eblouir par ses peintures somptueuses 1). La phrase souffrirait de cette intemperance; elle a quelque chose de touffu, d'embrouille qui pese et fatigue la oil l'on voudrait la clarte, la precision qui caracterise la prose de Flaubert et de Guy de Maupassant, ou de Kloos et de Couperus chez nous. Les vices de ces raffinements et de cette manie de peindre ne tarderent pas a se faire sentir. Plus qu'a l'homme et a sa vie interieure, l'interét des artistes-peintres allait au decor, a l'ambiance immediate. IN n'arrivaient pas, comme s'y entendait parfaitement l'auteur naturaliste francais, a rendre poignant le conflit de l'homme avec son milieu. IN ne avec leurs bras nus des appels de desespoir, des menaces furibondes, comme un groupe de Titans immobilises dans leur colere". Les Goncourt evoquent le paysage en ces termes: „A voir la torsion de leurs branches noires sur le ciel, la convulsion de leurs forces, le desespoir de leurs bras, le tourment qui les sillonne du haut en bras, l'air de colere titanesque qui a fait donner a l'un de ces geants furieux du bois le nom qu'ils meritent tous: le Rageur. Manette Salomon, ed. Flammarion et Fasquelle, p. 315. On comprendra notre scrupule a tirer des conclusions de ce parallêle.Comme on ne saurait admettre que Flaubert efit imite les Goncourt, it faut aboutir a cette conclusion que, d'une maniere generale, les auteurs se sont accoutumes a observer et a noter le monde ambiant avec une si grande precision que les traits saillants des memes objets frappent les sens et les coeurs d'une meme maniere. 1) H. Padberg dans De Mooie Taal [La belle Langue], 's-Hertogenbosch, Malmberg, 1924, et W. Kramer, dans son Inleiding tot de Stilistiek [Introduction a la Stylistique], Groningen, Wolters, 1935, ont releve les merveilleux effets qu'ont su atteindre ces „artistes du verbe", notamment le peintre-ecrivain Jac. van Looy. 205 visaient pas, comme les Francais, a scruter les coins et recoins d'une ame, of in d'y dêcouvrir les mobiles secrets qui poussent les individus aux actions tragiques, ineluctables. Hs se revelaient avant tout comme des peintres et non pas comme des psychologues ni comme des moralistes. L'auteur francais, plus grand psychologue, meilleur connaisseur du cceur humain, tenait a clevoiler les inquietudes, les angoisses d'une ame aux prises avec son ambiance; pint& que de nous eblouir, it nous emeut et nous saisit par sa force dramatique; it est, disons-le, plus humain, stir d'empoigner, encore a l'heure actuelle, un grand nombre de lecteurs. Beaucoup plus que les „artistes purs", les romanciers dont nous avons parle au chapitre III, se sont interesses aux problemes philosophiques et scientifiques de leur époque. La preoccupation des grandes questions de la vie que remuait le roman naturaliste, n'impliquait point d'ailleurs l'abandon des preoccupations esthetiques qui demeuraient pour ainsi dire primordiales. L'ambition de bien peindre, l'amour de l'epithete rare et expressive primait, chez la plupart de ces auteurs, toutes les autres questions. Coenen, Aletrino ne se montrent pas moins soucieux de l'ecriture artiste que Frans Erens ou Van Deyssel; ils egalent leurs pred6cesseurs immediats dans l'observation et la notation consciencieuses de la realite ext6rieure; comme eux ils transcrivent, avec une attention scrupuleuse, les impressions qu'ils recoivent du dehors. Par leur amour du menu trait, du detail frappant, des touches fines et delicates, ils se revelent comme des representants non moins typiques de la Kleinmalerei, si caracteristique de notre art du XIXe siecle et aussi familier aux artistes de l'art pour l'art qu'au realisme humanitaire et sentimental d'avant 1880. Ce qui donne cependant a l'art de ces romanciers son accent propre, sa marque distinctive, c'est le ton d'un profond et amer pessimisme qui se degage de leur oeuvre; nous avons vu, dans notre introduction au. chapitre III, que ce pessimisme, fruit des theories et des doctrines positivistes, se rattachait par son caractere propre, aux tendances du roman naturaliste. L'infiltration de ces idees dans notre pays fait naitre ici, comme en France, une litterature de la „Maite"; dans notre roman s'introduit le type du degenere, du nevrose, sans idealisme, conscient de son desenchantement, hante par le cauchemar d'une implacable fatalite. Cependant un rapprochement des deux litteratures fait voir des divergences sensibles. La chose qui nous frappe le plus, si l'on compare les deux courants litteraires, c'est que, d'une facon generale, le roman francais donne l'illusion d'une plus grande objectivit6 que la notre. Par 206 reaction surtout contre certains exces de l'ecole romantique, le romancier naturaliste, a eu, a un tres haut degre, le respect du „document". Son ambition de connaitre la verite pure, de se familiariser aussi intimement que possible avec sa matiere, l'amenait souvent a faire de serieuses etudes preparatoires, avant qu'il commencat a construire, avec l'appui des materiaux soigneusement rassembles, son ceuvre d'art. Evidemment le romancier hollandais n'avait pas, comme le naturaliste francais, le souci de subordonner son roman a des tendances scientifiques. A une ou deux exceptions pres, ii ne possedait pas ce gout de la documentation exacte et etendue a laquelle se substituait chez lui, grace a sa memoire visuelle, l'amour des nombreux details pittoresques. L'auteur hollandais ne tendait pas, comme l'auteur francais, a suivre pas a pas les etapes d'une degenerescence, a en expliquer scientifiquement l'evolution, mais A preferait depeindre la vie intime d'une ame, transcrire les plus infimes reactions qu'elle ressent aux impressions du dehors. D'autre part son individualisme effrene l'amenait a creer des figures toutes subjectives, auxquelles it pretait ses nerfs, sa sensibilite, son desenchantement a lui. A Pinstar de l'auteur romantique it tenait a affirmer dans son ceuvre son manque de foi, sa mortelle „fatigue de vivre", a projeter son moi dans le monde, a le conquerir par son orgueil blesse. Faute d' imagination it se trouvait souvent impuissant a evoquer des figures en dehors de lui-meme ou du moins en dehors d'un certain type a qui ii s'imaginait etre etroitement apparente. Son besoin de se replier sur son moi, de concentrer toute son attention sur sa vie interieure faisait que souvent son oeuvre ne sortait pas du „journal intime". Le roman, sous sa plume, ne serait que l'enchainement d'une serie d'etats d'ame, oil tout le dramatique se trouvait dans une gradation, un crescendo allant vers un &tat de paroxysme ou vers un denouement fatal. Alors que les naturalistes francais, taus romanciers de race, nous presentent des figures qui agissent, se heurtent et se bousculent, qui constituent, dans leur ensemble, un monde de types vivants, agites d'obscures passions, la litterature hollandaise de cette époque ne presente que l'uniforme et invariable type du nevros6, s'absorbant dans son desespoir, incapable de s'affirmer par des actes. C'est cette passivite, cette impuissance a se redresser contre son desarroi moral, cette absence de lutte qui fait de ce „heros" une figure mievre, anemique, contrastant singulierement avec celle d'une Emma Bovary par exemple, qui soutient jusqu'a la fin sa lutte tragique et desesper6e contre le noir destin. Nous touchons ici au point essentiel qui explique, a nos yeux, l'incon- 207 testable superiorite du roman naturaliste francais au nOtre, qui explique de meme son succes et sa duree. D'une maniere generale le Francais, par des dispositions naturelles et a la suite de deux ou trois siecles de production classique depuis l' Astrie jusqu'h Dominique, se revele, plus que le Hollandais, comme un passionne de l'analyse psychologique. Ce qui constitue sa valeur, c'est son ambition de scruter le trefonds du coeur humain, de se pencher avec un grand amour sur la vie douloureuse des autres. Il a le don de s'exterioriser, de sortir de son moi, de creer objectivement des caracteres et de leur insuffler de la vie, aptitude difficile a acquerir, meme si des exemples et des preceptes fameux sont la, pour guider le debutant. Les Auteurs de 188o dont nous parlons ici, furent sans aucun doute de grandes et subtiles intelligences, de tres habiles artistes, ils ne furent pas des grands auteurs. Les figures qu'ils creent sont savamment reflechies, concues d'apres un modele, un scheme convenu. Its ne savent pas, comme les Balzac ou les Flaubert, se mettre dans la peau de leurs personnages, vivre de l'existence des figures que leur imagination creait. Its auraient ete impuissants a beneficier des beaux preceptes d'un Flaubert qui n'avait cesse de repeter que l'auteur doit se renoncer a lui-meme, abdiquer sa personnalit6 d'homme, ne pas faire transparaitre dans son oeuvre ses emotions intimes. A l'exception d'un Emants par exemple, its ne savaient pas atteindre cette heureuse objectivite que pretendaient observer ceux qui avaient ete, a tant d'egards, leurs maitres. Leur impuissance a prendre du recul, leur ambition d'etaler leur moi, expliquent leur echec, leurs insucces aupres du public. Au lieu de nous mettre en presence d'hommes qui luttent et se demenent contre la fatalite du destin ou la tyrannie de leurs instincts, ils ne font que suggerer, tres habilement et avec beaucoup d'art parfois, des etats d'ame, des sensations intimes, sans parvenir d'ailleurs a insuffler au recit le mouvement, la tension qui empoigne le lecteur. Celui-ci reste confondu, desabuse devant ces „vaincus du sort", sans resistance morale, sans foi, resumant leur vision du monde dans un sinistre et deprimant „a, quoi bon". L'impression genërale qui se degage de cette litterature „naturaliste" est Celle d'une accablante et morne monotonie, impression a laquelle ajoutent les amples peintures detaillees, le manierisme fatigant de l'„ecriture artiste". Presentee sous cette forme, cette litterature n'a p.0 durer; elle n'a jamais captive la masse des lecteurs, rebutant meme le lecteur intelligent et avise. Les auteurs qui ont trouve dans la misere sociale leur principale source 20 8 d'inspiration ne s'ecartent pas non plus essentiellement, en ce qui concerne leurs ambitions artistiques, des auteurs de l'art pour l'art. A premiere vue leur souci principal ne semble pas se distinguer sensiblement de celui de leurs preclëcesseurs immediats, consistant a faire une peinture toute subjective de l'exterieur pittoresque, en notant soigneusement les plus infimes details. Quanta la forme, le roman social herite du roman impressionniste son style, son vocabulaire, ses procedes artistiques. L'influence du roman francais est, a cet egard, de nulie importance; c'est tout au plus si, par ses descriptions realistes, it a incite nos auteurs a s'attaquer avec la meme franchise aux peintures hardies des bas-fonds. Cependant, leur vision personnelle de la vie, leur maniere particuliere d'envisager l'univers, nouvellement orientee sous l'impression des evenements politiques, ne manque pas d'avoir sa repercussion sur leur oeuvre. Leur regard se porte exclusivement sur la realite „basse", sur les miserabies conditions sociales ou vivent les classes populaires. IN aiment decrire les interieurs sordides, les quartiers pauvres, la promiscuite des logements, non pas pour des fins purement artistiques, mais pour faire oeuvre de protestation, pour &ever la voix contre les abus sociaux que tolere le regime bourgeois. Aux jouissances esthetiques des auteurs de l'art pour l'art se substitue une tendance nettement moralisatrice, telle que nous la constatons dans les Quatre Evangiles. A l'attitude „passive" des auteurs naturalistes qui, sans foi dans un avenir meilleur, observent l'effort inutile de l'humanit6, s'oppose leur attitude „active", militante, nee de la conscience que leurs peintures realistes peuvent contribuer creer un nouvel ordre social qui garantira le bonheur et la liberte de l'individu. Ce n'est pas qu'ils se revelent comme des optimistes nettement declares; la vie de la realite, la revelation des multiples abus, mis au grand jour par des enquétes sociales ou morales, suffit a faire naitre un pessimisme qui les inspire et feconde leur art. Ici encore l'auteur impose sa personnalite. A chaque page transparait son indignation, sa haine, sa revoke, sa compassion aussi devant la souffrance humaine, sentiments qui communiquent quelquefois a l' 'oeuvre de Van Groeningen ou de Hartog un accent infiniment emouvant. Dans notre introduction au chapitre IV, nous avons vu que l'evolution du roman social en Hollande s'est accomplie dans d'autres circonstances qu'en France, que son caractere et ses tendances se distinguent nettement du roman social francais. Le role qu'avait assume, des sa naissance, le roman social tel que le concurent les Goncourt et Zola, êtait avant tout d'ordre 209 scientifique, en empruntant a la science ses mëthodes et ses desseins. Le souci que montre l'auteur francais a s'effacer de son ceuvx e le preserve du defaut, si familier au roman hollandais, de souligner et d'accentuer la tendance morale qui revet quelquefois, chez un Heijermans par exemple, un caractere d'une lourde et irritante importunit6. C'est a peine qu'on clemele dans notre litterature sociale l'ambition d'etudier „scientifiquement", a grand renfort de documents, l'influence qu'exerce le milieu sur l'individu. De plus, l'interet que montre l'auteur hollandais pour l'homme et ses conflits dramatiques avec un milieu hostile est tout a fait d'ordre secondaire. Le gout de la description „artiste", qui ne cesse de prevaloir, explique le desinteressement du drame humain sans lequel it est difficile de concevoir le roman francais. L'homme qu'on se plait a depeindre est invariablement le meme type: c'est le „rate" social, reduit a un kat d'affreuse misere, c'est le vagabond, le mendiant, le clochard, l'ouvrier sans travail et adonne a la boisson, en somme le type qui, sans etre conscient de sa decheance, ne songe pas meme a se relever et a se raidir contre sa detresse. En ce qui concern le fond, it est impossible de croire que notre litterature sociale ait pris son veritable essor sous la suggestion immediate des grandes epopees sociales de Zola ou de tel autre auteur naturaliste. On ne saurait etablir entre elles de rapprochements precis; ce qui n'empeche que l'exemple de la litterature naturaliste francaise, feconde en sujets „populistes", n'ait pas laisse d'agir plus ou mains consciemment sur nos auteurs, d'autant plus que le reveil social chez nous en ces annees favorisait particulierement la penetration et l'extension des tendances nouvelles. Cependant, les auteurs qu'a produits cette periode ate:rake ne nous apparaissent pas de taille a etre compares a Zola par exemple; aucun n'a su l'ëgaler dans ses evocations magistrales des masses ou ses tableaux puissants de la misere humaine. Tous ont paru egalement impuissants construire une oeuvre monumentale qui se rapproche de la sienne. Van Groeningen qui, s'inspirant de son exemple, concut l'idee de faire le „drame du peuple", manquait de vigueur et d'equilibre pour achever sa conception grandiose. Hartog eveillait des espoirs, mais, s'engouant des methodes des „ecrivains artistes", it s'empetra dans de facheuses tentatives impressionnistes. Le plus grand assurement d'entre eux, Herman Heijermans, ne s'est pas ddendu toujours de meler dans son oeuvre trop de son moi, de verser dans la propagande politique ou la satire sociale 1) 1) Plus tard seulement Israel Querido, grand visionnaire et talent epique, reussira 14 210 Toute l'originalite de ces auteurs reside avant tout dans les peintures pittoresques, colorees des milieux qui les choquent par leur misere. Toutefois on demele dans leur ceuvre des accents qui annoncent indeniablement le retour a une litterature plus „humaine". Avec plus d'attention et d'amour que les impressionnistes, ils se sont penches sur la souffrance morale et sociale du prochain, sur l'eternelle tragedie de l'homme dans son conflit avec un milieu hostile. C'est par la qu'ils se rapprochent de Zola, de son „humanite", source ou le roman bourgeois d'aprës 190o, celui de De Meester et de Robbers par exemple, trouvera encore une si heureuse inspiration. A plus d'un point de vue done, l'exemple de la litterature naturaliste en France a ete pour plusieurs de nos auteurs d'un veritable et tres heureux profit. Son action etait avant tout ceuvre de suggestion, d'inspiration; nous lui devons qu'il a prepare, puis accelere et dirige, aux environs de 188o, ''expansion litteraire et artistique qui s'annoncait. Par ses traits les plus marques le mouvement de 188o se rattache, a beaucoup de points de vue, au courant litteraire contemporain en France. On dit de certaines idees qu'elles sont „dans ''air". Le Mouvement de 188o presente, a cet egard, un exemple frappant de la fawn dont, grace a une communaute inconsciente d'esprits et d'aspirations, pouvait naitre dans notre pays un art qui, par ses tendances particulieres, serait tout a fait voisin de la litterature francaise de l'heure. Nous nous sommes efforce de montrer comment les auteurs auxquels nous avons assigne une place dans notre etude, se sont, en vertu d'une predisposition intime, assimile tel trait, tel etat d'esprit particuliers de la litterature etrangere, comment, sous 'Influence de coincidences fortuites, on a vu se &former une tendance, modifiee et adapt& aux besoins intimes des consciences individuelles. C'est ainsi que tel element qu'on ne comprenait pas, etait rejet6, que tel autre correspondant a une mentalite existante, etait assimile et cultive a l'exces. Plus d'un auteur aussi, par suite d'une evoa evoquer par les truculentes descriptions de son epopee De Jordaan (c'est le nom d'un vieux quartier d'Amsterdam) la vie dramatique et passionnee des classes populaires, roman par lequel it semble egaler l'auteur des Rougon-Macquart. Helas, son intemperance artistique, son ambition d'eblouir, sa virtuosite verbale, defauts qu'il faut peut-etre attribuer a ses origines juives, ne lui ont valu qu'une trop ephemere reputation. De Jordaan a ête traduit en francais par Andriês de Rosa et Georges Rageot; voir aussi ''article de Henri Barbusse dans Les Nouvelles litte'raires, du 15 act. 1932, Isaac Querido, poête et guide. 211 lution particuliere de son esprit, due souvent a des suggestions du dehors, s'est degage d'une influence qui, au debut, paraissait avoir tant de prise sur lui. Nous esp6rons avoir contribue a faire mieux comprendre ce tumultueux et complexe Mouvement de 1880, oil tant d'aspirations se rencontraient et se heurtaient, oil tout bouillonnait, fermentait et preparait le large epanouissement auquel nous assistons plus tard, mais dont l'esprit et les tendances ne se concoivent guere sans evoquer les noms illustres des grands maitres du realisme francais, ceux de Flaubert, des Goncourt, de Huysmans et surtout de Zola. Nous ne nous sommes point dissimule les difficultes qui se presentaient dans une etude pareille; tres souvent nous avons constate combien it est delicat de se prononcer nettement sur une matiere oil tant d'imponderabies, d'ordre spirituel aussi bien que materiel, caches a jamais, decident de la naissance de l'ceuvre d'art. 14* BIBLIOGRAPHIE LISTE DES PRINCIPAUX OUVRAGES, REVUES, ARTICLES CONSULTES OU CITES. A. Etudes generales, ouvrages de critique, brochures. C.-S. 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Adama van Scheltema (C.-S.), 41, 105, Bisschop (R.), 16. 182. Bloy (Leon), 81, 93. Alberdingk Thijm (J.-A.), 56, 57. Bock (Theophile de), 76. Aletrino (Aaron), 27, 32, 78, 97, 124, Boeken (Hein), 39. 140-148, 150, 183, 185, 205. Boersma (K.-H.), 21. Artz (D.-A.-C.), 15, 16. &game, 36. Apol (Louis), 78. Boissevain (Charles), 119, 154. Augustin (Saint), 94. Boissier (Gaston), 90. Booven (Henri van), 104, 125, 138. Bosboom (J.), 16. B Bosboom-Toussaint (A .-H.-G.), 104, 126. Bakhuizen van den Brink (R.-C.), 2, 5, Bouman (G.-F.), 139. Bourget (Paul), 34, 51, 75, 104, 116. 99. Balzac (H. de), IO, 12, 24, 26, 42, 62, 74, Braak (Menno ter), 40, 41. 98, 105, 114, 115, 137, 154, 187, 207. Bredero (Gerbrand Adriaensz.), 79. Banville (Theodore de), 54. Breitner (G.-H.), 16, 18, 76. Barbey d' Aurevilly, 19, 20, 81, 82, go. Brink (Jan ten), 6, 7, 8, 10, II, 12, 13, Barbusse (Henri), 210. 41, 43, 76, 99, 107, 125, 126, 141. Barres (Maurice), 25, 34, 37, 38, 89, 90, Brom (Gerard), 15, 20, 48, 78. Brunetiere (Ferdinand), 24, 66. 93. Baudelaire (Charles), 20, 36, 37, 38, 54, Brusse (M.-J.), 84, 86_185. 82, 89, 92, 93, 202. Buckle (Henry-Thomas), 180, 182. Bauer (M.-A.-J.), 16, 18, 76, 87. Busken Huet (Conrad), 5, 7, 8, 9, io, 28, Beaumarchais, 153. 57, 99, 183. Becker (K.-F.), 182. Becque (Henry), 74. C Beets (Nicolaas), 163. Beer (Taco-H. de), 7. Capuana (Luigi), 74. Berger (Lya), 2. Caro (E.-M.), 90, 153. Berlage Kz. (H.-P.), 38. Carlyle, 163. Bernard (Claude), 42, 43. Castel (Paul Robert de), 74. Bernardin de Saint-Pierre, 153. Cats (Jacob), 79. Bijvanck (C.-W.-G.), 37. Caze (Robert), 74. 222 Ce'ard (Henry), 74. Cervantes, 19. Cezanne (Paul), 153. Champfleury, 74. Chantepie de la Saussaye (P.-D.), 99. Charasson (Henriette), 38. Chateleux (Engelbert de), 48. Claretie (Jules), 143. Coenen Jr. (Frans), 37, 38, 78, 97, 117, 124, 146, 148-152, 157, 162, 169, 185, 205. Coenen Sr. (Frans), 148. Colin (Paul), 168. Cooplandt (A .) (pseud. de Arij Prins), 76. Coppee (Francois), 180. Corot (J.-B.), 16. Costa (Isadc da), 58. Coster (Dirk), 27, 105. Couperus (Louis), 12, 27, 34, 35, 41, 95, 97, 104, 124, 125-140,154, 204. Courbet (Gustave), 16, 17. Cremer (J.-J.), 164, 166. Gros (Charles), 89, 90. 169, 181, 183, 184, 193, 198, 201, 205. Diaz, i6. Dickens (Charles), 8, 107, 148, 163, 176. Diderot, 153. Diepenbrock (Alphons), 36, 37, 38, 87, 93, 95, 102, 148. Domela Nieuwenhuis (F.), 166, 167. Doorenbos (Willem), 24. Dossi (C.), 74. Dostolevski, 74, 200. Doucet (F.), 168. Dozy (R.), Ioo. Drost (Aernout), 5. Droz (Gustave), 15. Ducot (Louise) (pseud. de Jacques Treve), 39. Dujardin (Edouard), 25, 34, 81, 90. Dumas fils (Alexandre) 57. Dumesnil (Rene), 3, 7. Dupre (Julien), 16. Duranty, (Philippe), 74, 75. E D Dante, 19, 22. Darwin, 44. Daubigny (C.-F.), 16. Daudet (Alphonse), 10, 27, 38, 51, 64, 77, 90, 156. Debussy (Claude), 36. Deffoux (Leon), 168. Degas (Edgar), 54. Dekker (G.), 30, 39. Delang (pseud. de Jan Hofker), 96, Delavigne (Casimir), 5. Derkinderen (A. J.), 37. Descaves (Lucien), 81. Desprez (Louis), 43, 74, 75. Deventer (Ch.-M. van), 26, IoI. Deyssel (Lodewijk van), 3, 5, 12, 13, 14, 15, 22, 25, 26, 29, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 40, 43, 45, 46, 47, 48, 53, 55, 56-73, 74, 76, 87, 93, 94, 95, 96, 1o1, 118, 137, 141, 147, 154, Eckhart, 36. Eeden (Frederik van), 24, 25, 30 , 33, 34, 73, 95, 104, 105, 140, 141, 143. Eeden (Martha van), 143. Eggeman, 27. Eliot (George), 24. Emants (Marcellus), 7, 10, II, 17, 20, 74, 97, 99, 104, 107-125, 135, 140, 150, 157, 162, 207. Erens (Frans), 19, 27, 33, 34, 36, 39, 73, 87-95, 96, 189, 202, 205. Eschyle, 130. Euripide, 130. Everts Jr. (J.), Io6. Eyck (P.-N. van), 106. F Feuillet (Octave), 9. Fevre (Henri), 75. Feydeau (Ernest), 8. Fischer (F.-H.), 104. Flaubert (Gustave), 2, 6, 7, 8, 10, II, 12, 223 15, 19, 20, 27, 30, 31, 41, 42, 46, 48, 51, 52, 54, 62, 67, 76, 78, 81, 84, 85, 86, 87, 93, 98, 103, 108, 123, 127, 137, 138, 141, 149, 187, 202, 203, 204, 207, 211. Forain (J.-L.), 54. Fort (Paul), 39. France (Anatole), 37. Francesco (Dr.), II. Franck (Cesar), 36. Froehner (Wilhelm), 7. Fromentin (Eugene), 17, 18. 6 Gallas (K.-R.), I. Gautier (Theophile), 203. Geel (Jacob), 2, 5, 99. Gerhard (A.-H.), 167. Gerversman (H.), 170, 171, 172, 173, 175, 176, 181, 182. Gide (Andre), 36. Goes (Frank van der), 13, 51, 141, 174. Goethe, 21, 84. Gogh (Vincent van), 18, 168. Gogol, 74. Goncourt (Edmond de), 16, 29, 45, 50, 51, 54, 74, 76, 81, 94, 143, 167. Goncourt (les), 2, 18, 20, 22, 27, 30, 31, 32, 37, 42, 48, 62, 78, 98, 104, 116, 134, 141, 142, 144, 161, 203, 204, 208, 211. Gorter (Herman), 30, 39, 40, 182, 183. Goudeau (Emile), 88. Gourmont (Remy de), 36, 187. Griss (J.-J.), 105. Groeningen (August-P. van), 160, 162, 169, 17o-182, 183, 184, 190, 208, 209. Granewald (Mathias), 84. H Haar (Bernard ter), 101, 163. Habbema (Koos) (pseud. de H. Heijermans Jr.), 197. Hack van Outheusden (Ph.), I0 1. Hall (J.-N. van), 27, 176. Hamel (A.-G. van), II, 23, 103. Harancourt (Edmond), 89. Hartog (Henri), 26, 140, 169, 174, 183-185, 190, 208, 209. Hartog (M. den), 170, 171. Hauptmann (Gerhart), 201. Havelaar (Just), 39, 105. Heine, 109. Heijermans Jr. (Herman), 26, 36, 41, 140, 165, 169, 182, 184, 192-201, 209. Heijermans (L.), 192. Hennequin (Emile), 81. Hennique (Leon), 27. Hertog (C.-H. den), 139, 154. Hildebrand (pseud. de Nic. Beets), 6, 73, 123. Holbach (d'), 153. Hondius van den Broek, 148. Hooft (Pieter Czn.), 5. Horace, 19. Houten (S. van), 166. Houten (Mlle B. van), 76. Huet (Ge'de'on), 8. Hugenholtz (P.-H.), 24. Hugo (Victor), 19, 20, 57, 59, 85, 165, 176, 180. Hulzen (Gerard van), 184, 186-192. Huysmans (J.-K.), 2, 16, 19, 20, 22, 27, 30, 31, 32, 34, 35, 36, 42, 49, 50, 53, 54, 64, 7 1 , 74, 75, 76 , 78, 8o, 81, 82, 83, 84, 85, 86, 87, 93, 94, 120, 141, 149, 203, 211. I Ibels (Henri-Gaspard), 183. Ibsen (Hendrik), 36, 148, 201. Icres (Ferdinand), 89. Ising (A.-H.-L.), 24. Israels (Isadc), 18, 19, 20, 76, 91. Israels (Joseph), 16, 17, 41. J Jaarsma (D.-Th.), 157. 224 Jolles (Andrei), 38, 107, 148. Jongkind (J.-B.), 16. Jouy (Jules), 89. K Kaemmerer (F.-H.), 15. Ka lf (Jan), 38, 148. Ka lff Jr. (G.), 104. Karsten (G.), 197, 200. Keats, 30, 39. Keller (Gerard), 166. Kempis (Thomas a), 39, 94. Kern, 100. Khnopff (Georges), 84, 8 5Kingsley (Charles), 163. Klikspaan (pseud. de Joh. Kneppelhout), 6. Kloos (Willem), 19, 21, 22, 29, 30, 32, 39, 48, 5 6, 73, 79, ICI, 102, 118, 120, 124, 141, 155, 170, 171, 172, 173, 183, 193, 202, 204. Kock (Paul de), 7. Koetsveld (C.-E. van), 8, 164. Koo (J. de), 154. Kramer (W.), 204. Kruseman (Jan), 17, 100. Kryzinska (Marie), 89. Kuenen (A.), Ioo. Kuiper (W.-J.-E.), 138. L Laffan (May), 28. La Fontaine, 153. Laforgue (Jules), 25. Lamennais, 165. Landry, 8i. Larbaud (Valery), 41. La Rochefoucauld, 153. Lautere (Adrienne), 105, 126. Le Blond (Maurice), 13. Le Blond-Zola (Denise), 13. Leconte de Lisle, 126, 128, 158, 180. Lemaitre (Jules), 98. Lemonnier (Camille), 35, 46, 74, 75, 126. Lennep (Jacob van), 8. Leopardi,i9, 153, 159 Lepine (S.- V.-E.), 16. Lessing ,124. Letourneau (Charles), 115. Leveille (Jules), go. Lievre (Pierre), 31. Loenen Martinet (J. van), 139. Loghem (M.-G.-L. van), 176. Lombard, 138. Loon (H. van), 2, 41. Looy (Jacobus van), 56, 147, 183, 204. Lotsy (M.-C.-L.), 38, rm. Lucas (Dr. Prosper), 44. Lugne-Poe, 36, 195, 196. M Maeterlinck (Maurice), 3 , 35, 36, 71, 196. Mahler (Gustave), 36. Mallarmd (Stephane), 34, 36, 37, 39. Maygueritte (Paul), 42, 45, 74, 81. Maris (Jacob), 15, 16, 18. Marmontel, 1. Martino (Pierre), 44. Masson (Armand), 88. Maupassant (Guy de), 19, 20, 27, 28, 3o, 31, 32, 48, 6o, 64, 75, 78, 81, 122, 141, 145, 155, 158, 187, 204. Maurik (Justus van), 4 2, 44, 73, 154, 192 Mauve (A.), 16, 17, 76. Maynial (Edouard), 64. Meester (Johan de), 16, 32, 56, 97, 105, 112, 125, 152-162, 171, 180, 191, 210. Mesdag (T.), 17. Meulen (F.-P. ter), 17. Michelet (Victor-Emile), 89. Millet (J.-F.), 16. Mistral (Frederic) 39. Moliere, 57. Moore (George), 42, 44, 74. More'as (Jean), 89, 9o, 93. Moreau (Gustave), 81. Multatuli (pseud. de Eduard Douwes Dekker), 5, 45, 99, 100, 109, 153, 166, 181, 183, 193, 201. Musset (Alfred de), 153. 225 N Q Nerval (Gerard de), 39, 90. Netscher (Frans), 10, 12, 13, 14, 16, 24, Quack (H.-P.-G.), Ioo, 166. Querido (Israel), 4, 124, 161, 182, 209, 210. 26, 32, 41-56, 60, 61, 62, 93, 96, 99, 124, 125, 126, 128, 134, 137, 141, 169, 171, 203. Neuhuys (Albert), 16. Nieuwenhuis, 176. Nijhoff (D.-C.), 8, 103. Nolthenius, 37. Noordenbos (O.), I, Ioo. Nouhuys (W.-G. van), 48, 121, 126, 176 Novalis, 36, 102. Nuyens (Dr. W.-J.-F.), 57, 58. 0 Offermans (T.-L.-G.), 76. Ohm (pseud. de H.-L. Berckenhoff), 23. Oliveira Jr. (E. d'), 42, 116, IV, 154. Oordt (Adriaan van), 87. Oudshoorn (J. van), Oujda, 125, 131. P Paap (Willem), 40, 73, 141, 202. Padberg (H.), 204. Paschal (Leon), 24. Pe'ladan, 36. Pellico (Silvio), 94Perk (Jacques), 30, 36, 39, 183. Pe'trarque, 137. Pie'rard (Louis), 87. Pierson (Allard), 20, 99. Pinard (Ernest), 6. Pinto (J.-L.), 74. Platen (von), 21. Poe (E.-A.), 38, 75, 82, 83, 128. Pollmann (J.), 86. Potgieter (E.-J.), 2, 5, 126, 154, 163, 164. Priem (G.-H.), 27. Prins (Arij), 14, 16, 19, 21, 27, 32, 42, 53, 54, 73-8 7, 96, 147. Prinsen J. Lz. (J.), 56, 70, 87. Puvis de Chavannes, 37. R Raaf (K.-H. de), 105. Rachilde, 38, 92. Rageot (Georges), 210. Read (Charles), 89. Read (Mlle), 89. Redon (Odilon), 81. Renan (Ernest), 10, 90. Repkow (Eike von), 179. Retie (Adolphe), 38, 93. Richepin (Jean), 159. Ridder (Andre de), 94, 130, 138, 186. Rijnberk (Dr. N. van), 143. Rimbaud (Arthur), go. Riquetti de Mirabeau, 90. Ritter Jr. (P.-H.), 57. Rivare (Henri), 88. Robbers (Herman), 73, 82, 105, 125, 148, 191, 210. Rod (Edouard), 34, 90, 104. Roelofs Sr. (W.), 16. Roland Hoist (Henriette), io6. Roland Hoist (R.-N.), 41. Rolland (Romain), 105. Rollinat (Maurice), 89. Romein (Jan), 1, ioo, 165. Rops (Filicien), 81. Rosa (Andras de), 210. Rousseau (J.-J.), I, 152, 153, 156, 162, 194. Ruckert (F.), 21. Ruysbroeck, 36, 37, 39, 7 1 , 94. Ruysdael (Jacob-Isaac), 6. S Saalborn (Am.), 164, 165. Sabatier (Pierre), 18. Sachse (J.-E.), 27, 74. Salverda de Grave (J.-J.), 10. 226 Sand (George), 9, 165. Santen Kolff (J.-J. van), 9, 10, II, 13, 14, 15, 16, 17, 20, 37, 41, 43, 73, 99, 107, 110, 113, 124, 141. Sapeck, 89. Schaepman, 58. Scharten (Carel), 40, 105, 117, 157, IgI. Schendel (Arthur van), 87. Schiller, 21, 84. Schlosser (F.-C.), 182. Scholten (J.-H.), Too. Schopenhauer, 102, 153. Schwob (Marcel), 37, 38. Shakespeare, 22. Shelley, 22, 25, 30, 39. Smaele (Paul de), 202. Smit Kleine (F.-S.), 8, 79, 107, II0. Solpray (Nandor de), 81. Sophocle, 22, 130. Spencer, 44. Staverman (W.-H.), 134, 139. Steinlen (Th.-A.), 183. Stellwagen (A.-D.), 41. Stendhal, 41, 74. Stokvis (Benno-J.), 57, 58. Strindberg, 42, 74, 148. Stuiveling (G.), Ica. Suchtelen (N. van), 105. Sue (Eugene), 176. T Taine (Hippolyte), 10, 20, go, 99, 109, 113, 114, 115, 127, 130, 179, 182. Tak (P.-L.), 38, 148. Thackeray, 24, 107. Thiele, Too. Tideman (P.), 170, 177. Tielrooy (J.-B.), 8, 9, 10. Tintoretto, 126. Titien, 126. Tollens (H.), 163. Tolstoi, 24, 74, 187, 200. Toorop (J.-Th.), 16. Tourgue'niev, 50, 51, 74, III, 113. Tre'zenik (Leo), (pseud. de Leon Epinette), 89. Troyon (C.), i6. Trudgian (Helen), 50, 84. U Uri (S.-P.), 14, 19, 20, 53, 54, 73, 75, 76, 79, 8o, 81, 82, 83, 113. V Valette (G.), 10, II, 103. Valk (M.-W. van der), 19. Valkhoff (P.), 13, 16, 27, 38, 8o, 82, 85, 108, 113, 116, 137, 138, 152, 155, 187. Veldeke (Henric van), T. Verga (Giovanni), 28, 42, 44, 74. Verlaine (Paul), 16, 36, 37, 39, 201. Verlaine (Mme), 90. Veronese, 126. Verwey (Albert), 36, 40, 45, 47, 73, 82, 105, 106, 141. Veth (Jan), 38, 148. Vijgh (S.-G. van der), 185. Villiers de l'Isle Adam, 34, 38, 82, 90. Viotta (Henri), 37. Visscher (Roemer), 79. Vloten (Joh. van), 99. Vogue (E.-M. de), 74, 103, 104. Voltaire, I, To. Vondel (Joost van den), 39. Vosmaer (Carel), 79. Vosmeer de Spie (p seud. de Maurit Wagenvoort), 38. Vooys (C.-G.-N. de), 20, 63, 163. Vries (Matthijs de), 5. W Wagenvoort (Maurits), 26, 37, 38. Wagner (Richard), 36, 37. Weber (Georg), 182. Weissenbruch (J.), 16. Wilde (Oscar), 128. Willette, (Adolphe-Leon) 88, 183. Winkler Prins (Jacob), 39. Wolff (Albert), 19, 89. Wolfgang van der Mey (H.), 24, 50. Wyzewa (Tdodor de), 34, 122, 125. 227 Y Ypes (Cath.), 137. Z Zilcken (C.-L. Philippe), 15, 16, 18, 20, 39, 76- Zola (Emile), 2, 3, 8, 9, 10, II, 12, 13, 14, 15, 18, 22, 23, 24, 26, 27, 28, 31, 35, 38, 42, 43, 44, 45, 4 6, 48, 49, 53, 57, 58, 59, bo, 61, 62, 63, 64, 65, 66, 69, 70, 71, 72, 73, 74, 75, 77, 78, 81, 82, 87, 90, 93, 94, 96, 98, 99, 103, 104, III, 115, 116, 19, 123, 126, 127, 128, 129, 130, 133, 135, 136, 141, 142, 144, 153, 154, 155, 156, 161, 162, 166, 167, 168, 169, 171, 177, 178, 182, 187, 199, 200, 202, 208, 210, 211. Zwart (W.-H.-P.-J. de), 18, 76. 200992_028 graa055reve01 Le revel' litteraire en hollande et le naturalisme francais [1880-1900] fill1111111111111111111111110111111111111111111111111111111111111111111111111111111111111111111111111111111111111111111111111111111111111111111111111111111111111111111111111111111111111111111111111/1 11111111111111111111111111111111111111111111111111111111111.111111111111111111111111111111111111111111111111/11111111111