le reveil litteraire en hollande et le naturalisme francais

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DR J. DE GRAAF
LE REVEIL LITTERAIRE
EN HOLLANDE
ET
LE NATURALISME
FRANCAIS
(1880-1900)
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LE REVEIL LITTERAIRE EN HOLLANDE
ET LE NATURALISME FRANCAIS
[1880-1900]
LE REVEIL LITTERAIRE EN HOLLANDE
ET LE NATURALISME FRANCAIS
[1880-1900]
PAR
J. DE GRAAF
DOCTEUR-ES-LETTRES
MCMXXXVIII
AMSTERDAM - H. J. PARIS
PARIS - A. NIZET & M. BASTARD
TABLE DES MATIÉRES
I
INTRODUCTION ...
CHAPITRE I — L'ACCUEIL FAIT AU NATURALISME FRANCAIS EN HOLLANDE. ANTIPATHIES ET SYMPATHIES,
PREMIERS ENTHOUSIASMES ...
Reaction aux premiers romans rêalistes (Flaubert); l'attitude de Conrad
Busken Huet; Jan ten Brink; Jean- Jacques van Santen Kolff; les peintres
de 1' „Ecole de la Haye" et la litterature francaise contemporaine, leur
influence sur les Auteurs de 188o, les partisans de l'art pour l'art (Kloos et
Van Deyssel) et le naturalisme francais; protestations, pour des raisons
morales, contre la litterature naturaliste; le role des traductions dans
la diffusion des idees et des conceptions artistiques.
5
29
CHAPITRE II — L'IMPRESSIONNISME ..
Observations geiV rales. L'enthousiasme que professent les Auteurs de i88o
pour les conceptions d'art qui rêgnent en France; creation d'un ideal artistique analogue a celui des romanciers francais; leur influence sur l'expression litteraire („ecriture artiste") et la reproduction de la realite;
l'art descriptif, ses excês et ses reactions; evolution vers l'art du rove;
influence du symbolisme.
FRANS NETSCHER 41 - LODEWIJK VAN DEYSSEL 56 - ARIJ PRINS 73 FRANS ERENS 87
CHAPITRE III — LE PESSIMISME MORAL .
96
Observations generales. Les idees philosophiques de l'heure et le pessimisme de la litterature naturaliste; kat d'esprit qui favorise la
penetration des nouvelles idees, la litterature de la „defaite" et les protestations qu 'elle soulève, orientation vers une litterature a tendances
ethico-humanitaires.
MARCELLUS EMANTS 107 - LOUIS COUPERUS 125 - A. ALETRINO 140
- FRANS COENEN Jr . 148 — JOHAN DE MEESTER 152.
CHAPITRE IV — LE PESSIMISME SOCIAL .
. 163
Observations generales. La litterature sociale d'avant 188o; orientation
vers de nouvelles idees politiques et sociales; evolution du roman social
en France, ses origines scientifiques; naissance et caractêre de la litterature sociale d'apres i880.
AUG. P. VAN GROENINGEN 170 - HENRI HARTOG 183 - GERARD VAN
HULZEN 186 - HERMAN HEIJERMANS Jr. 192.
CONCLUSION .
BIBLIOGRAPHIE. .
INDEX DES NOMS PROPRES . 202
. 212
22I
INTRODUCTION
A partir du XIIe siècle, depuis la traduction du Roman d'Endas par
Henric van Veldeke jusqu'a nos jours, nous relevons dans la litterature
neerlandaise les traces d'une influence presque continue que les lettres
francaises exercent sur ses productions. Cette action spirituelle, si feconde
quelquefois, n'a pas toujours ete de meme nature; d'age en age son
caractere et son intensite ont sensiblement change.
Jusqu'au XIXe siècle, elle se manifeste, d'une maniere generale,
sous la forme de traductions et d'imitations, oil l'auteur hollandais
adaptait, supprimait ou attenuait d'apres ses gaits personnels ou les
conventions de l'heure. Il ne s'agissait aucunement d'une influence
esth6tique proprement dite, en ce sens que l'exemple de la littêrature
francaise aurait contribue a activer ou a modifier l'evolution de nos
lettres. L'art litteraire chez nous au XVII e siecle avait, comme la litterature francaise de cette époque, puise ses belles inspirations dans les
oeuvres de l'Antiquite et de la Renaissance italienne. L'influence francaise
ne s'y fait pas plus sentir qu'au XVIII e siecle, oil elle est egalement
dominee par d'autres influences, allemandes et anglaises. Les idees des
philosophes francais sont ici meme passionnement combattues; en 1764
les Etats de Frise defendent la publication d'une traduction du Traitd
de la tolerance de Voltaire; en 1768 une traduction du Belisaire de Marmontel provoque, aupres des predicateurs, les plus vives protestations.
Ce n'est que vers la fin du siecle que les idees philosophiques de la France,
celles de Rousseau en premier lieu, eveillent ici d'assez grandes sympathies, sans que toutefois elles laissent de traces profondes dans la vie
artistique et litteraire du temps 1). Au cours du XIXe siecle, qui etait
presque entiêrement, comme le XVIII e siecle, une periode de decadence,
1) Voir a ce sujet l'article de K.-R. Gallas: Les vecherches sur les Rapports littdraires
entre la France et la Hollande, R. C. L., 1927, p. 316-335 et l'article de 0. Noordenbos, De Verlichting. Rationalisme en Sentimentaliteit [Le siècle des „lumiêres",
rationalisme et sentimentalisme] dans Jan Romein, De Lage Landen bij de Zee [Les
Pays-Bas au bond de la Merl Utrecht, W. de Haan, 1934, p. 483 sqq.
I
2
nous ne remarquons guêre non plus aupres, de nos auteurs cette attention
„receptive" pour ainsi dire qui trahit une communaute de vues et d'idees.
L'aspect qu'offre notre vie litteraire par exemple a l'epoque du romantisme n'est que le pale ref let des grands evenements qui se manifestent
hors de nos frontieres. Aux environs de 183o seulement nous assistons,
avec Potgieter, Bakhuizen van den Brink, Jacob Geel a une renovation,
de breve duree d'ailleurs, qui trouve ses inspirations avant tout dans
notre passe glorieux du XVII e siecle 1).
Il faut attendre jusqu'aux annees 1875, 188o pour voir naitre pour
la litterature francaise contemporaine une sympathie grandissante qui,
evidemment, etait l'indice d'aspirations communes. L'intransigeance
avec laquelle les naturalistes francais professaient leurs principes enthousiasmait nos auteurs, tout desireux de se debarrasser des entraves
qui s'opposaient a une libre expansion de l'art. Zola contribuait, plus
que les autres auteurs naturalistes, a l'emancipation artistique de cette
époque. Son mepris des conventions, la hardiesse de ses theories seduisaient particulierement nos auteurs au point qu'ils ne tardaient pas a
s'en assimiler les directives et a les appliquer dans leurs oeuvres. Aussi,
la question qui dans notre travail s'imposait tout d'abord a l'attention,
c'etait de savoir comment les premieres manifestations naturalistes en
France etaient accueillies dans notre pays, comment certains auteurs
ou critiques ont reagi aux nouvelles tendances a l'etranger, reaction qui
etait souvent déjà l'indice d'une orientation nouvelle (chap. I).
L'influence proprement dite de la littêrature naturaliste sur la notre
se fera sentir, comme nous le verrons, sur le fond et sur la forme.
Le souci que montraient les romanciers francais a peindre par le menu
la vie des apparences, la description minutieuse des petits faits, une
fawn tres personnelle d'observer, plaisaient a nos auteurs qui decouvraient dans ces tendances leurs plus anciennes traditions, celles qui
exaltaient le rendu exact et pittoresque de l'exterieur. L'art intensifie
des Flaubert, des Goncourt, des Huysmans portait nos auteurs a faire
la guerre au vague a-peu-pres, au terme conventionnel, au verbiage
moralisateur dont les generations precedentes n'avaient su se debarrasser.
C'est par ces modeles que ceux qu'on designe comme les „Auteurs de
188o" prenaient conscience de leurs facultes artistiques, qu'ils developperaient jusqu'a un raffinement extreme. Les exces ofi devait necessairement tomber leur „ecriture artiste" ne doivent pas nous faire oublier
1) Voir, pour plus de details, l'article de Lya Berger et de H. van Loon: La litterature hollandaise depuis 1830. Le Monde Nouveau, 192o. p, 2544-2553.
3
les avantages essentiels et durables dont , beneficiera la litterature hollandaise de cette époque, en tendant a s'assimiler des valeurs sans lesquelles un art nouveau n'aurait pu se produire (chap. II).
L'action qui s'est fait sentir sur le fond a un caractere double. Le
pessimisme du roman naturaliste ne tarda pas a se communiquer A.
notre roman et a l'impregner de ses amertumes et de ses revoltes. A son
exemple nous voyons notre roman se peupler de nevropathes, de degeneres, de revoltes melancoliques qui se noient dans le desespoir et se
sentent abandonnes a des forces aveugles qui les poussent vers une
destinee fatale. Nourrie de ce fatalisme qui accompagnait les conceptions
philosophiques de l'heure, la litterature revele un esprit de negation, de
desenchantement, de spleen qui la retie au roman francais contemporain
et au-dela, malgre ses origines diverses, au pessimisme des romantiques
(chap. III).
A cote de ce pessimisme moral nous reconnaissons un pessimisme social,
evidemment inspire des drames de la grande misere humaine qui abondent dans la litterature francaise de ces jours. L' ambiance politique et
sociale ne manquait pas d'aggraver cette tendance. L'etude des conditions
sociales miserables, le besoin que, grace au socialisme naissant, on
ressentait d'y porter remede, engendra une litterature sociale, oeuvre de
protestation et de compassion plutOt que d'espoir et de confiance dans
un avenir meilleur (chap. IV).
C'est ainsi qu'on voit se degager les grandes lignes que nous avons
suivies dans l'êtude des phenomenes litteraires qui sont le suj et de la
presente these. Nous ne nous dissimulons point le caractere quelque peu
arbitraire que prend une division pareille; sans doute it y aura des lecteurs
qui s'etonneront de voir figurer dans tel chapitre tel auteur que, pour
d'autres raisons, ils s'attendraient a trouver ailleurs. Comme le naturalisme atteint ici son apogee entre les annees 188o et 1900, nous nous
sommes borne a n'etudier que les auteurs qui, nes aux environs de 1860,
commencent a ecrire vers 1885, tout en suivant, au besoin, leur developpement au-dela. de 1900.
On peut dire qu'apres cette date, comme en France 1), la litterature
de chez nous avait perdu son caractere nettement „naturaliste"; lentement elle evoluait vers de nouvelles orientations. L'evolution ZolaMaeterlinck, caracteristique d'un Van Deyssel, s'opere ici avec une rapidite surprenante et est, sans aucun doute, une des causes pour laquelle
le naturalisme, qui cl6buta ici au moment oil la reaction se faisait deja
1) Cf. R. Dumesnil, Le Rdalisme. Paris, J. de Gigord, 1936, passim.
4
sentir ailleurs, n'a jamais pu avoir la riche eclosion qu'elle eut en France.
L'ceuvre des auteurs d'apres 190o, meme de ceux dont les productions
se rattachent par leurs conceptions au roman naturaliste, trahit un esprit
nouveau qui s'oppose manifestement au nihilisme deprimant de la fin
du siecle dernier.
Ce qui, dans la presente etude, devait tout particulierement nous interesser, c'etait de savoir de quelle nature etait l'influence que la litterature
francaise a exercee sur chacun des auteurs qui occupent une place dans
notre travail, en quelle mesure elle les a inspires, jusqu'a quel point elle a
feconde leur art. En comparant la litterature francaise et la litterature
hollandaise de la fin du XIXe siecle, nous aurons a nous demander
pourquoi tels traits particuliers au naturalisme francais, concordant avec
notre caractêre particulier, etaient assimiles, pourquoi tels autres, hostiles
au temperament individuel ou national, etaient plus ou moins inconsciemment rejetes. Se rattachant d'une part intimement aux tendances qui
regnaient vers la fin du siecle dernier dans le roman realiste et naturaliste et France, notre litterature s'en ecarte d'autre part, en se decouvrant,
sous la suggestion des reactions qui se produisaient ailleurs, de nouvelles
voies qui repondaient davantage aux besoins du moment ou d'une mentalite individuelle.
CHAPITRE PREMIER
L'ACCUEIL FAIT AU NATURALISME FRANCAIS
EN HOLLANDE
ANTIPATHIES ET SYMPATHIES — PREMIERS ENTHOUSIASMES
En jetant un coup d'ceil sur la critique qui, depuis la publication de
Madame Bovary (1857) fut consacree, dans nos revues et nos journaux,
a l'ceuvre des auteurs realistes et naturalistes francais, on est frappe
des nombreuses et violentes protestations contre une litterature qui,
pretendait-on, etait un art de perversite, ne visant qu'a peindre le cote
trivial et terre-a-terre de l'existence. Les descriptions, d'une hardiesse
inouie, etaient peu propres a „elever et a reconforter l'hme" 1). On etait
de l'avis d'un Potgieter 2) disant que le pretendu „gout de copier la
vie quotidienne" ne saurait produire un art pur, si l'ceuvre n'etait en
1) Le fait suivant marque assez bien combien peu on appreciait, a cette époque,
les indecences de langue et d'expression; le professeur Matthijs de Vries, critiquant,
en 1843, une edition nouvelle du W arenar de Hooft, refusa de reconnaitre a nos
auteurs du XVII e siècle toute grandeur artistique, justement a cause de la trivialite
de leurs expressions, opinion que Bakhuizen van den Brink, dans Studien en Schetsen
[Etudes et Esquisses], III, p. 308, se hata de combattre, en rappelant au professeur
les paroles que Delavigne adressa a la Comedie francaise:
„La Moralite ! eh morbleu ! la morale en alarmes
Doit-elle, a tout propos, crier, prendre les armes ?"
Mais de telles voix furent rares et ne trouvêrent aucun echo.
2) E.-J. Potgieter (1808-1875), l'auteur du Rijksmuseum [Le Musee de l' Etat],
oeuvre qui s'inspire de notre passé glorieux; avec Jacob Geel (1784-1862), Aernout
Drost, (1810-183 4), R.-C. Bakhuizen van den Brink (1810-1865), it represente
un groupe d'auteurs qui aux environs de 1830 et 1840 s'efforcaient de renouveler
la vie litteraire de ce temps; le premier janvier 1837 it fonde, avec Bakhuizen van
den Brink, la revue De Gids [Le Guide], qui pour la couleur de sa couverture et
son caractêre autoritaire fut denommê De Blauwe Beul [Le Bourreau bleu]. Par
son esprit critique it annonce Busken Huet, Multatuli, Kloos, Van Deyssel.
6
merne temps inspiree d'un sentiment d'idealisme qui lui pretait sa
veritable valeur 1).
Aussi, a l'apparition des premiers romans realistes en France, la
critique „bourgeoise" cria au scandale et ne trouva pas de termes assez
reprobateurs pour condamner ces nouvelles tendances. Les romans d'un
Flaubert Madame Bovary, Salammbli, L' Education sentimentale souleverent ici d'energiques protestations. Ainsi Jan ten Brink (1834-1901),
critique qui jouissait alors d'une grande autorite, s'indigna devant
les descriptions dêgoiltantes et triviales dans Salammb6. „Nous avons
seulement choisi les passages qui nous semblaient rester dans les limites
de l'art; des que le realisme retombait dans les trivialites et les platitudes,
nous les avons passees sous silence" 2). Les realistes ne comprenaient pas,
a ses yeux, le veritable but de l'art. Leur preoccupation essentielle etait
de reproduire de la realite les cotes malsains et repugnants. Bien qu'il
appreciat en Flaubert son talent extraordinaire de l'observation et de
l'analyse, ii finissait par conclure que Madame Bovary, „ce monstre
inspirant l'horreur", laissait „une impression de deception et qui blessait
notre sentiment moral" 3). Il reprochait a Flaubert de ne pas se soucier
des aspirations nobles du cceur humain; ses personnages n'etaient que
des titres grossiers et denatures. Dans les manifestations les plus elevees
du sentiment moral et religieux it ne voyait que la matiere, le systeme
nerveux ou le temperament. „Il se contente d'observer patiemment les
maladies les plus affreuses et de les examiner au microscope; si son
malade succombe a la fin, ii emporte encore le cadavre pour le mener
en triomphe a l'autopsie" 4).
1) De Gids, 1841, I, p. 442-460, article: De Kopijeerlust van het Dagelijksche Leven'
ecrit a propos de la Camera Obscura de Hildebrand et des Studententypen [Types
d' Etudiants] de Klikspaan (pseud. de Johannes Kneppelhout).
2) De Nederlandsche Spectator [Le Spectateur Neerlandais], 1863, p. 151. „We
kozen alleen die regelen uit, welke ons nog binnen de grenzen der kunst schenen te
vallen; zoo spoedig het realisme tot platheden en afschuwelijkheden afdaalde, zijn
we stilzwijgend voorbijgetreden".
3) ibid., p. 139. „De eindindruk van Flaubert's eersten roman was, spijt het buitengewone talent van waarneming en analyse, teleurstellend en beleedigend voor
het zedelijk gevoel", paroles qui rappellent le passage dans le requisitoire prononce
par le substitut Pinard, ou celui-ci blame Madame Bovary d'etre „une offense a la
morale publique et a la morale religieuse" (ed. Charpentier, p. 393).
4) ibid., 1870, p. 135. Art. Een nederlaag van het letterkundig realisme [Un dchec du
realisme litte'raire]. „Hij getroost zich de afzichtelijkste ziekteverschijnselen met
geduld waar te nemen en mikroskopisch te onderzoeken om eindelijk, zoo zijn
patient bezwijkt, het lijk in triumf ter sektie weg te slepen". La critique de Ten
7
L'impression deconcertante que suscita ici Madame Bovary se laisse
bien juger par la brochure que publia Taco-H. de Beer a propos du roman
Lidewijde de Busken Huet, portant le titre significatif: Madame Bovary
in Holland, Kunstmiskenning [Madame Bovary en Hollande, Meconnaissance de l' art] 1). Pour ce roman „contagieux", que nous trouvons de
nos j ours assez inoffensif, Huet meritait, d' apres De Beer, autant de blame
que Paul de Kock ou Flaubert. Au point de vue moral it estime que
Madame Bovary est meme superieur au roman de Huet, puisque „le
charme qui s'en &gage nous tient plus eloigne du mal" 2). D'apres lui
Lidewijde est un roman qui ne devait etre nomme, ni lu, ni discute dans
une honnete societe. La lecture devait en etre interdite a toute honnete
femme; aucun mari aimant sa femme ne devait exposer ses sentiments
delicats a des scenes si choquantes" 3).
Ce jugement partial et rancunier, que lui inspiraient evidemment les
prejuges de l'heure, &lake particulierement a quel point la critique
s'alarmait devant les audaces de la nouvelle ecole. Wine ceux qu'on
est convenu d'appeler les precurseurs du prêtendu mouvement de 188o
se montraient pleins de reserve-. Emants, a ses debuts, blamait les tendances dans le roman moderne, qui rabaissaient l' art a une „copie fidele
de la nature"; on „semblait chercher de preference sa matiere dans
des platitudes et les immoralites, temoin les romans de FlauBrink rappelle celle qu'on lisait a cette époque dans les revues et journaux francais et it n'est pas impossible que ses opinions s'en inspirent; cf. Paulin-Linayrac
dans Le Constitutionnel: „Les ecrivains se servent de leur plume comme d'un scalpel
et ne voient plus dans la vie qu'un amphitheatre de dissection" (cite dans Rene
Dumesnil, Gustave Flaubert. Paris, Desclee de Brouwer & Cie, 1932, p. 23o). De
meme que Froehner dans la Revue contemporaine Ten Brink met en doute le caractere scientifique de SalammbO. „L' oeuvre prise en entier temoigne d'un savoir
superficiel, d'une ignorance des principes elementaires de la science classique, d'une
grande audace, mais non pas d'une connaissauce profonde" (het gantsche werk
getuigt van een oppervlakkige kennis, van een struikelen in de eerste beginselen
der klassieke wetenschap, van een stout wagen, maar niet van een grondig weten),
Ned. Spect., 1863, p. 140.
1) Taco-H. de Beer, Madame Bovary in Holland, Kunstmiskenning. Bolsward,
B. Cuperus Az., 1868 (broch.).
2) op. cit., p. 17. „De bevalligheid die het omgeeft, doet ons minder denken aan
het kwaad".
3) ibid., p. 17. „Een boek dat in een fatsoenlijk gezelschap niet genoemd, gelezen
of besproken mag worden; een roman waarvan de lezing aan elke beschaafde vrouw
moet worden ontzegd — geen man, die zijn vrouw liefheeft, zal haar fijn gevoel
aan zulke schokkende tooneelen wagen".
8
bert" 1). A celui-ci il preferait de beaucoup Charles Dickens, dont il
avait loue, dans un article tres chaleureux, le realisme humanitaire 2).
Busken Huet 3), lui aussi, semble hesiter et se ranger du cote de la
critique traditionnelle; encore qu'il montre quelque sympathie pour la
litt6rature realiste, il n'a jamais apprecie la franchise brutale avec
laquelle les Francais semblaient prendre plaisir a decrire la realite basse.
Nana, a ses yeux, etait un ouvrage „immoral" et „sans gaiete aucune".
„Il y a des scenes qui plaisent dans la peinture, mais qui, dans la litterature, nous repugnent" 4). II s'opposait a ce que les romans de Zola
1) Quatuor, 1871, p. 13. „Dat de kunst verlaagde tot een getrouwe kopie der
natuur . . . . het verlaagde zich spoedig door het schoone uit het oog te verliezen
en zijne stof slechts in platheid en onzedelijkheid te zoeken. Men denke slechts
aan de romans van Flaubert."
2) Quatuor, 187o, p. 35. A cette époque l'auteur anglais jouissait d'une veritable
popularite; certains critiques, Jan ten Brink, Smit Kleine, le recommandaient
comme un modêle a suivre, en l'opposant a l'exemple funeste de Zola; lire aussi
le compte-rendu d'une conference sur Zola, prononcee en 1870 par D.-C. Nijhoff,
oil celui-ci disait: „Dickens ouvrait des abimes pleins de crimes et de brutalites,
mais au fond il laissait l'espoir; il causait des blessures, mais y mettait aussi un
baume" (Dickens opende afgronden vol misdaden en ruwheden, maar op de bodem
bleef de hoop; hij sloeg wonden, maar gaf ook balsem), De Portefeuille, 29. II, 1879.
3) Conrad Busken Huet (1826-1886), qui descend d'une famille de refugies
francais, devient pasteur wallon comme son pere; sa critique de la Bible
amêne entre lui et sa communaute un conflit qui finit par sa demission (1862); il
s'engage comme journaliste au „Oprechte Haarlemmer Courant"; puis, aprês sa
brouille avec la redaction du Gids, il va aux Indes (1868), oil il sera redacteur du.
„ Java-Bode". En 1876 il se rapatrie, mais se trouvant ici tout a fait depayse, il s'etablit a Paris, oil il meurt en 1886. Son fils fut l'eminent romaniste Gedeon Huet.
De son oeuvre capitale nous citons Het Land van Rembrand [Le pays de Rembrandt] (1884), glorification de notre XVII e siècle, et ses critiques recueillies sous
le titre de Literarische Fantasien en Kritieken [Fantaisies et Critiques litte'raires] en
25 volumes. Voir sur lui l'excellente etude de J.-B. Tielrooy, Conrad Busken Huet
et la litte'rature francaise (these de Sorbonne) Paris, Champion, 1923.
4) Nederland, 1885, I, p. 516. „Er zijn tooneelen, die in de schilderkunst behagen,
in de letteren tegenstaan". Cf. ses jugements a propos de quelques romans „audacieux" hollandais, De Lotgevallen van Klaasje Zevenster [Les Aventures de Klaasje
Zevenster] (1865) de Jacob van Lennep (voir Litt. Fant., XV, p. 31 sqq.) et Fantasie
en Waarheid [Fantaisie et Ve'ritd] (1863) de C.-E. van Koetsveld. D'a pres Huet,
ce dernier egale Feydeau ou Flaubert dans la peinture de la realite brutale. Les
scenes les plus osees dans F anny ou dansMadame B ovary , dit-il, ne sont pas plus hardies
que celles oil Zeewij, figure principale dans la nouvelle Schijn bedriegt [Les Apparences sont trompeuses], se montre en toilette de nuit. Huet regrette qu'un des
meilleurs auteurs contemporains aime mieux decrire de telles scenes que „de
vouer ses talents a l'edification de l'homme, ce qui est pourtant le but le plus
eleve de l'art" (dan zijn talenten te wijden aan de verheffende stichting van den
mensch, wat toch het meest verheven doel der kunst is), Litt. Fant., II, p. 69.
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fussent mis entre les mains des jeunes gens. Son oeuvre ne saurait etre
appreciee, a ses yeux, par ceux qui s'occupaient d'etudes scientifiques.
Ceux qui regardaient la lecture comme un passe-temps, ne sauraient
trouver aucun plaisir a le lire; s'il ne les irritait pas, il devait les ennuyer" 1). Ces reserves, auxquelles s'adjoignent celles qu'il fait sur le
style de Zola, qu'il dit pesant, „touchant avant tout nos sens et n'allant
nullement a l'esprit ni a l'ame" 2), n'empechent pas qu'il loue en Zola
sa „grandeur", sa probite d'artiste. L' Assommoir est d'apres lui, les
hardiesses mises a part, un chef-d'oeuvre de composition 3). „Zola a un
talent enorme et travaille avec une exactitude exemplaire de conscience
litteraire" 4).
Si son enthousiasme l'a amene a composer, d'apres l'exemple des
Rougon-Macquart, ses deux romans Josephine (1878) et Robert Bruce's
leerjaren [Les amides d'apprentissage de Robert Bruce] (1898), c'est une
question que nous n'avons pas a discuter ici 5). Tout ce qu'on saurait
dire, c'est que cette influence doit s'etre bornee a une activite assez
superficielle, tout „exterieure"; a sa langue, abstraite, entierement
adaptee aux speculations de la penstie, manquent prkisement ce pittoresque, cette plasticite qui font des naturalistes les vrais peintres de la
realite. Meme dans son roman Lidewijde oil, sous la suggestion, semblet-il, du roman francais de Feuillet et de George Sand, il s'enhardit a.
traiter le theme de la femme adultere, et a peindre quelques scenes
„audacieuses", Huet ne s'est jamais laisse gagner a la description brutale
de la vie terre-a-terre; il n'a cesse d'observer dans sa langue une chastete,
une delicatesse de gout qui frappent, des qu'on la compare aux procedes
des naturalistes francais 6).
1) Huet, Litt. /ant., XXV, p. 173. „Deze laatsten kunnen in Zola's schilderingen
geen behagen scheppen. — Waar hij hen niet ergert, moet hij hen vervelen" (oct.
1873).
2) ibid., XXIII, p. 174. „De schrijver spreekt ook wel tot onzen geest of ons gemoed,
maar vOOr alles tot onze zintuigen".
3) ibid., p. 176. „Doch binnen de grenzen van dat voorbehouden is L' Assommoir
een goede daad en een meesterwerk van zamenstelling". D'autre part Huet a fres
bien compris dans Zola son „romantisme", puis sa tendance a symboliser et son
talent a decrire des masses (voir son etude sur Germinal, Litt. /ant., XXI,
p. 182-184).
4) ibid., p. 176. ,,Hij bezit een kolossaal talent en werkt met eene voorbeeldige
nauwgezetheid van litterarisch geweten".
5) Voir, a ce propos, Joh. Tielrooy, Conrad Busken Huet et la litterature franfaise.
Paris, Champion, 1923, p. 188.
I) Déjà en 1877 Van Santen Kolff remarquait avec justesse que dans Lidewijde
10
C'est dans certains milieux litteraires de La Haye, alors le centre de
la vie intellectuelle et artistique en Hollande, qu'on voit naitre, depuis
1875, un interet grandissant pour l'ceuvre de Zola et des tendances
nouvelles qui se manifestent dans la litterature francaise de ces jours.
Nous citons, sous ce rapport, trois noms, ceux de Jan ten Brink, de
J.-J. van Santen Kolff et de Marcellus Emants 1). Que Jan ten Brink,
aprês ses remarques severes sur l'ceuvre de Flaubert, se montre tout
d'un coup engoue du roman naturaliste 2) ne laisse pas, au premier abord,
de nous surprendre. Ce qui, dans l'ceuvre de Zola, &eine son enthousiasme, c'est le problême de la science dans le roman, enthousiasme qui
ne tardera pas a faire de lui un tenant fervent du „roman scientifique".
Il paraitra de sa main, sur Zola, et son ecole, quelques articles, dont le
premier, intitule De jongste romantische school in Frankrijk [La jeune
ecole romantique en France], est publie dans la revue Nederland de 1876 3),
ou it etudie Zola en rapport avec Balzac, Flaubert et Daudet. Un article
sur le meme sujet, qu'il n'achêve pas, parait vers la fin de 1876 dans
l'hebdomadaire De Liberaal [Le Liberal]. L'annee suivante it entame
dans Nederland 4) une etude sur Zola et le naturalisme, etude qu'il ne
finit pas non plus, mais qui paraitra definitivement, en 1879, intitulee
Emile Zola, Letterkundige Studie [Emile Zola, etude litteraire] 5). La nous
it n'y avait aucune correspondance entre le fond et la forme; Huet faisait parler
a ses personnages une langue conventionnelle, peu convenant aux scenes „realistes" qu'il decrivait. „Seulement par une langue grossiere et sensuelle, plongee dans
la volupte, saisie sur le vif, it aurait attrape ici la tonalite juste" (Alleen met grofzinnelijke, in wellust zwelgende, op het leven betrapte taal ware hier de rechte toon
getroffen geweest, De Banier, 1877, II, note a la page 362). Joh. Tielrooy voit dans
la langue de Huet des reminiscences de Taine, de Renan et de Voltaire; voir la
discussion, qu'il a, a ce sujet, avec J.- J. Salverda de Grave, De Nieuwe Taalgids
[La nouvelle Revue de linguistique], XXI, p. 1-18 et p. 175-181, art. Taal en
Compositie bij Busken Huet [Langue et composition chez Busken Huet].
1) Voir sur cet auteur le chapitre que nous lui consacrons a la page 107 sqq. de
notre etude.
2) Ce fut, au dire de Netscher „le coup de foudre". Au printemps de 1875 Ten
Brink decouvrit La Fortune des Rougon; ravi, it se hata de se rendre a son club,
au Cercle „de Witte", oil se trouvaient ses amis (parmi lesquels Van Santen
Koiff) pour leur dire la nouvelle de sa trouvaille Voir De Hollandsche Revue,
1902, p. 63 5
3) Nederland, 1876, I, p. 3-43.
4) ibid., 1877, II, p. 11 3- 1 44; P. 24 1-2 72 ; P. 391-425; III, p. 270-298.
5) Dr Jan ten Brink, Emile Zola, Letterkundige Studie, Nijmegen, Blomhert &
Timmerman, 1879. A la suite de cette etude nous voyons paraitre deux articles
critiques, l'un de la main de G. Valette: Zola's Kunstleer en Werken [La conception
II
l'entendons raisonner dans le jargon des naturalistes, exaltant le progres
des sciences et les perspectives qu'elles ouvrent au roman. „L'êtude de
l'homme et de la nature, dit-il, dans un sens rigoureusement scientifique,
occupe mille tetes et mille cceurs" 1), et plus loin „Nous voulons nous
approcher d'un pas, d'un demi-pas au besoin, de la vent& nous voulons
savoir — voila notre ideal" 2). Ce qu'il lone dans Zola, c'est son souci
de ne rien ecrire sans la plus scrupuleuse preparation, de baser son oeuvre
sur un fond de documentation riche et consciencieuse 3).
Ainsi Ten Brink ne voyait dans le naturalisme qu'une litterature
„scientifique", se preoccupant d'une fawn heureuse des problemes que
se posait la science de l'heure. B. lui etait impossible d'y voir, comme
Emants on Van Santen Kolff, un courant litteraire qui part d'une esthetique toute nouvelle. La franchise avec laquelle les auteurs naturalistes,
plus hardiment encore que Flaubert, pretendaient nous peindre la vie
reelle, meme la plus banale, ne cessait de l'inquieter. Aussi a-t-il
prononce sur Zola et son art des opinions vagues et souvent contrad'art et l'ceuvre de Zola], De Banier, 188o, I, p. 150-177, l'autre de la main de
A.-G. van Hamel, Over Zola [Sur Zola] dans De Gids, 1880, I, p. 326 sqq. Tous les
deux se montrent beaucoup plus reserves dans leur admiration que Ten Brink.
Valette qualifie Zola d'un auteur qui „tantOt force l'admiration, tantOt suscite le
degofit (die beurtelings waardeering afdwingt en weerzin wekt, art. cit., p. 177).
Van Hamel lui reproche son manque d'idealisme, puisqu'il ne prete aucune attention aux „facteurs ideals" (ideale factoren), qui ne sont point du tout „surnaturels",
mais „profondement humains", tels que „l'amour, la pitie, l'honneur, le repentir"
(liefde, medelijden, eergevoel, berouw), art. cit., p. 356.
1) op. cit., p. 4. „De studie van mensch en natuur houdt duizenden hoofden en
harten bezig".
2) op. cit., p. 5. „Wij willen een schrede, een halve schrede desnoods nader komen
aan de Waarheid, wij willen weten — ziedaar ons ideaal".
3) Son enthousiasme fut tel qu'il dressa, lorsque le huitieme volume des RougonMacquart eut paru, une genealogie des deux branches de la famille, quelque peu
semblable a celle qui va paraitre peu aprês en tete d'Une page d' Amour (1878).
Aussi enthousiaste que lui se montre le Dr. Francesco dans De Banier, 1880, I,
p. 54-62, dans son article Zola en Daudet [Zola et Daudet], oil it glorifie le „roman
experimental", „le seul roman d'importance", le „roman base sur les resultats
de la science qui n'a d'autre pretention artistique que de trouver l'expression juste
pour la verite sans le clinquant d'un idealisme faux" (de roman, die op de uitkomsten der wetenschap gebouwd is, en geen andere artistieke pretentie heeft, dan
voor de waarheid der zaak de juiste uitdrukking to vinden, zonder idealiseerend
klatergoud, art. cit., p. 55). Zola est d'aprês lui la sincerite personnifiee, la franchise
a outrance" (Zola is de verpersoonlijkte oprechtheid, de vrijmoedigheid a outrance,
ibid., p. 56).
I2
dictoires 1). S'il lone chez l'auteur des Rougon-Macquart sa rare energie,
sa conviction inebranlable, au point qu'il le qualifie d'un „Hercule
litteraire" et le range a cote de Dante, de Raphael, de Michel
Ange, de Shakespeare, de Wagner meme, it se voit d'autre part
oblige de blamer en lui son manque d'idealisme. „Zola ne se soucie guere,
dit-il, de l'impression finale, morale ou esthetique, it ne desire que d'être
vrai 2)", defaut qu'il reproche 6galement a Baizac ou a Flaubert. Les
realistes francais, Baizac, Flaubert, Zola, ne sont jamais sincerement
preoccupes du choix de leur sujet 3). Its pretendent pouvoir tout decrire;
tout sujet leur semble propre a etre traite, pourvu qu'il soit etudie a
fond, ce qui constitue, d'apres lui, le cote faible de l'ecole naturaliste,
qui pechait contre touter les exigences de l'esthetique. „La verite seule
ne pouvait etre le but unique de l' art; les naturalistes oublient que la
fin de tout art est „la beaute" 4). Se revelant donc, a un certain point
de vue, un „moderne", Ten Brink ne s'ecartait point, d'autre part, des
anciens dogmes litteraires. Son incapacite artistique ne lui permettait
pas d'apprecier l'oeuvre d'art a sa juste valeur, defaut qui lui valut, de
la part d'un Van Deyssel, les plus cruelles ironies 5). Cependant, la chose
dont la generation suivante devait lui savoir gre — et elle n'y a pas
manqué 6) —, c' est d'avoir fait connaitre ici l'auteur qui, plus qu'aucun
autre, a inspire et feconde les prosateurs qui vont venir. C'est lui qui, le
premier, a appele l' attention sur une litterature dont la nOtre va si
prodigieusement beneficier.
A coke de Ten Brink, mais superieur a lui et incontestablement plus
1) A propos du second roman du cycle, La Cure, Ten Brink en vint a se prononcer
ainsi: „une etude excellente au point de vue physiologique et psychologique"
(een uitstekende studie uit physiologisch en psychologisch oogpunt, op. cit., p. 35);
„un recit bizarre" (een zonderling verhaal, ibid., p. 42); „un livre peu ragoiitant"
(een weinig verkwikkelijk boek, ibid., p. 45); une oeuvre d'art complêtement manquee (een volkomen mislukt kunstwerk, ibid., p. 46).
2) op. cit , p. 33: „Zola bekommert zich niet om den moralen of aesthetischen
eindindruk — hij streeft alleen naar waarheid."
3) ibid., p. 32.
4) op. cit., p. 31. „De waarheid alleen is niet het einddoel van den kunstenaar.
Zij vergeten, dat alle kunst als hoogste doel de schoonheid huldigt."
5) Voir art. Nieuw Holland [La Hollande nouvelle], Verz. Werken, IV, p. 20; de
meme sa critique acerbe a propos d'une nouvelle de Jan ten Brink: Jan Starter
en zifn wi ll [J ean Starter et sa femme], ibid., V, P. 74-77.
6) On sait que Couperus et Netscher, les eleves de Ten Brink au lycee a La Haye,
se sont montres pleins de reconnaissance au souvenir de leur maitre. Voici
les paroles que lui adresse Netscher dans De Hollandsche Revue, 1902, p. 634. „Et
13
artiste, il faut rummer son ami Jean-Jacques van Santen Kolff 1), qui
lui aussi etait, au dire de son neveu Frans Netscher, „un des premiers
enthousiastes". Esprit fres ouvert aux nouvelles orientations, il etait,
plus encore par ses paroles que par ses ecrits, un vrai animateur. Zola le
passionne; a tout propos il lui ecrivait de longues lettres, surtout pour
s'informer de details qui concernent la composition de son oeuvre 2).
Toute nouvelle apparition d'un volume des Rougon-Macquart lui causait
une joie profonde. Lorsque La Bete humaine va paraitre, il ecrit a Zola:
„ Je suis fres heureux que la date du 15 novembre commence a poindre
a l'horizon, car le debut d'une nouvelle oeuvre de votre plume est toujours un grand, un delicieux evenement pour moi" 3). Ses efforts pour
faire connaitre le romancier francais en Hollande, lui valurent les com-
s'il y a une chose dont nous honorons la memoire de notre ancien maitre Jan ten
Brink, ce sont bien les efforts qu'il faisait pour nous initier dans l'art de Zola et a
nous en faire decouvrir les beautes". (En wanneer er eèn ding is, waarvoor we
onzen ouden leermeester Jan ten Brink, meer dan voor iets anders, dankbaar
herdenken, dan is 't voor de pogingen, die hij heeft aangewend, om ons en zijn
andere leerlingen in de kunst van Zola in te wij den en er ons de schoonheden
van te ontdekken). Lire aussi sa brochure Lastertongen [Mauvaises langues]. Amsterdam, Warendorf, 1890, oil Netscher defend Ten Brink contre les attaques de
Van Deyssel et de Frank van der Goes.
1) Jean-Jacques van Santen Kolff (1848-1896), collaborateur du Banier, ecrit
plusieurs articles sur les tendances dans l'art moderne, la littêrature, la peinture
et la musique. Depuis 1882 il demeure en Allemagne, d'abord a Dresde, ensuite
a Berlin, oii il est mort. Peintre lui-meme et musicien de talent, il defend la peinture
de 1' „Ecole de La Haye" et la musique de Wagner, chez qui il fait, a Wahnfried,
de frequents sejours. Pour plus de details nous renvoyons a l'article interessant
de M. P. Valkhoff dans le Haagsch Maandblad [Revue mensuelle de La Haye], 1929,
p. 399 sqq. Emile Zola en Jac. van Santen Kolff, voir aussi son article Over het realisme in de Nederlandsche Letterkunde na 187o [Du re'alisme dans les lettres ne'erlandaises apses 1870], De Nieuwe Taalgids, XXIII, p. 161-179 et Emile Zola et la litterature neerlandaise dans les Melanges Baldensperger, Paris, Champion, 1930.
2) „Vos questions, ecrivait un jour Zola, s'accumulent a tel point qu'elles m'epouvantent" (voir De Nieuwe Gids, [Le Nouveau Guide] 1931, I, p. 538). La conespondance de Zola avec Kolff, datee du io mars 188o au 12 aoilt 1895, est actuellement conservee aux archives municipales a La Haye; elle offre surtout une
valeur documentaire, puisqu'on y trouve une foule de notices que reunissait Kolff
sur la genêse du cycle des Rougon-Macquart. On en retrouve des fragments dans
la Correspondance de Zola (ed. Charpentier, 1908), dans De Nieuwe Gids, 1931, I,
p. 69-72, p. 178-189, p. 266-278, p. 406-411, p. 532-540, et dans l'edition
Bernouard, publiee sous les auspices de Maurice Le Blond et de Mme Le Blond-Zola.
3) Voir P. Valkhoff, Haagsch Maandblad, 1929, p. 399.
14
pliments du maitre 1). En Allemagne it etait l'intermediaire entre Zola
et les auteurs de ce pays; it ne cessait de lui traduire les articles desapprobateurs, les railleries qu'on debitait sur son compte, se faisant
ainsi le compilateur zele, le greffier du Zolaisme.
La valeur de Kolff comme „precurseur" du Mouvement de 188o, c' est
sans doute d'avoir signale aux jeunes les belles qualites artistiques que
possedait rceuvre des auteurs naturalistes 2). Dans une lettre, non datee,
de la fin de 1884, Van Santen Kolff ecrit a Arij Prins, a propos de Germinal
qui, en ce moment, etait en train de paraitre dans le Gil Blas. „Tout est
merveilleux par la peinture et tres interessant par le sujet meme.
„L'entree en matiere" est, comme toujours, extremement belle, tres
pittoresque de dessin et en outre de couleur; ces premieres histoires qui
traitent du travail des mineurs hors des mines et a l'interieur, sont diablement difficiles a lire, a cause des nombreux termes techniques qu'on
ne trouve pas meme dans un dictionnaire ordinaire . . . . On est touché
de pitie devant la misere de ces pauvres qui livrent „un struggle for
life" comme des forcats. Mais vous pensez que le peintre Zola a parfaitement reussi a reproduire cette vie sous terre ou vacillaient les mysterieuses et pales lumieres des lampes 3). Plus tot déjà, en 1877, dans un
article tres chaleureux sur la peinture moderne 4), it avait signale la
concordance frappante entre l'art pictural et l'art litteraire. Citant
1) Dans la lettre datee du 23 few. 1885. „ Je vous remercie de vos efforts pour
me populariser en Hollande".
2) La correspondance de Van Santen Kolff avec Netscher et Van Deyssel fait voir
comment ils discutaient les evenements litteraires de ces jours et se tenaient au
courant de ce qui etait publie a Paris et dans les revues etrangéres, comment aussi
ils entraient en relation avec divers auteurs; cet interet pour tout ce qui se passe
a l'etranger et specialement a Paris illustre bien le caractêre cosmopolite du mouvement qui allait naitre, cf. Uri, Arij Prins. Delft, Waltman, 1935,p. 42-44.
3) „Alles is prachtig van schildering, dat kun je denken, en ook door het sujet zeer
interessant. De „entrée en matiêre" is weer, zooals altijd, buitengewoon mooi,
zeer pittoresk in teekening en kleur bovendien; die eerste histories, die het werken
buiten en voornamelijk in de mijn behandelen, zijn duivelsch lastig om te lezen,
door al de technische termen, die in een gewoon lexicon niet eens volledig te vinden
zijn . . . . Men wordt van diep medelijden doordrongen met die stakkers, die een
„struggle for life" als dwangarbeiders voeren. Dat 't leven onder den grond, in de
eeuwige duisternis, met geheimzinnig-flauwe, doffe lantaarnlichtjes, enz., enz., den
schilder Zola vrijwel gelukt is, kun je begrijpen ! ! !", cf. S.-P. Uri, op. cit., p. 41, 42.
4) De Banier [La Banniere], 1877, I, p. 222, 249 sqq., art. Over de nieuwste richting
in onze schilderkunst naar aanleiding der jongste tentoonstelling te Amsterdam [Des nouvelles tendances dans notre art pictural a propos de la derniere exposition a Amsterdam].
I5
Flaubert, Daudet, Zola, Gustave Droz ii constate avec joie que toutes
les manifestations de l'art montraient une tendance três forte vers „la
verite dans la peinture de la vie, de la nature et de l'homme, tels qu'ils
sont" 1). Il se rejouit que le nombre des oeuvres realistes augmente toujours; selon lui, on n'aurait pas a s'affliger de ce phenomene, fortifie
qu'il etait par la conviction que dans toute oeuvre d'art il resterait un
brin d'idealisme pour la proteger contre la chute dans le trivial absolu,
dans la copie fidele de tout ce qui est detestable 2). Bien qu'il se montre
ici un ennemi des exces, craignant les effets desastreux d'une litterature
sans aucun idealisme, it applaudit neanmoins dans la litterature comme
dans la peinture, a la reaction heureuse contre tout ce qu'il y a dans l'art
de faux et de conventionnel. Sans prendre activement part a la grande
renovation qu'il pressent, it aide a le preparer par ses conseils suggestifs
et son enthousiasme. Intuitivement it a compris que c'est a la source
seule de la Write et de la libert6 que devait aller se rajeunir notre litterature pour sortir de l'impasse ofi elle se trouvait. C'est la peinture et
la litterature francaises de l'heure, comme Kolff n'avait cesse de le suggerer
a ses contemporains, qui devaient pousser notre litterature vers une
orientation nouvelle 3).
En effet, le Mouvement de 188o, ou Out& son expression litteraire,
ne se concoit guere sans une etude de l'art pictural qui l'accompagne et
de ses aspirations essentielles auxquelles l'art de 188o semble devoir
autant qu'au naturalisme francais.
En 187o, plusieurs peintres hollandais qui travaillent a Paris 4), se
voyant exposés aux inconvenients de la guerre, s'etaient rapatries. Its
s'installerent a La Haye, ou s'etaient reunis quelques confreres, attires
1) art. cit., p. 356. „Alle kunsttakken en richtingen in onze dagen worden bezield
door een machtigen drang naar natuur en waarheid, naar eenvoud in het schilderen
van het leven, de natuur en den mensch, zooals zij zijn".
2) ibid., p. 361. „Gesterkt als wij zijn door de overtuiging, dat er in alle waarachtige
kunst altijd een voldoende sprank van weldadige idealiteit zal overblijven, om
haar to bewaren voor een bedroevend vervallen in het absoluut lage, gemeene,
wanstaltige, mismaakte, kortom tot vuil „realisme", tot een photographisch getrouwe afspiegeling der afzichtelijke, naakte werkelijkheid".
3) Maintenant que nous sommes mieux renseignes, grace a la belle etude que M. G.
Brom a consacree aux auteurs et peintres de cette époque dans ses Hollandsche
schrijvers en schilders in de vorige eeuw [Auteurs et peintres hollandais au siècle
dernier]. Rotterdam, W.-L. & J. Brusse, 1927, nous voyons comment Van Santen
Kolff a vu juste et a entrevu l'art qui allait venir.
4) Jacob Maris, Artz, Kaemmerer entre autres. Voir Revue de Hollande, III, p. 581
(reponse de Zilcken a l'enquéte sur l'influence de l'esprit francais en Hollande).
16
sans doute par les environs, la fora, les paturages, les dunes, la plage de
Scheveningue, qui avaient deja si souvent inspire les Brands paysagistes
du XVII e siècle 1). Weissenbruch, Bosboom y demeuraient déjà, Joseph
Israels, „le patriarche de la peinture hollandaise", s'y kablit en 1869;
Mauve, Bisschop, Artz, les deux Neuhuys y vivront de 1870 a 1875,
Roelofs viendra un peu plus tard, Breitner et Toorop arriveront en 18802).
Plusieurs d'entre eux avaient travaille en France, en un contact direct
avec leurs collegues francais; les freres Maris avaient fait des etudes a
Paris et a Bruxelles; J.-B. Jongkind 3), sous l'influence de Daubigny et de
Lepine, s'etait fait un des pionniers de l'impressionnisme. A quel point
nos artistes se passionnaient pour la peinture francaise, c'est ce que
prouve une lettre de Bilders (1838-1865), ecrite pendant un sejour a
Paris. „ Je viens de voir des peintures plus belles que tout ce que je ne
revais; j 'y trouve les aspirations de mon cceur, ce qui ne m'arrive jamais
pour les peintures de chez nous. Troyon, Courbet, Diaz, Dupre m'ont
fait une impression immense. Me voila bon Francais, bon Hollandais
aussi, puisque les Francais d'aujourd'hui sont les freres de nos vieux
maitres" 4). Marius Bauer, disait Zilcken 5), prenait l'express pour Paris,
quand it se sentait „las, &courage, languissant", et que le travail n'allait
pas; it y restait deux, trois jours „pour recommencer a travailler, rafraichi, imbibe de multiples impressions d'art" 6). La peinture hollandaise
n'est pas sans subir l'influence de ce contact intime 7). Les maitres de
1) A Ruysdael entre autres.
2) Its formeront, ce qu'on appellera plus tard en peinture l'„Ecole de la Haye".
M. P. Valkhoff suppose qu'on doit cette denomination a Van Santen Kolff,
voir De Nieuwe Taalgids, XXIII, p. 170.
3) J.-B. Jongkind, 1819-1891; Edmond de Goncourt, dans le Journal, V, 17 juin
1882, ecrit sur lui: „Une chose me frappe dans ce salon, c'est l'influence de Jongkindt. Tout le paysage qui a une valeur, a l'heure qu'il est, descend de ce peintre,
lui emprunte ces ciels, ses atmospheres, ses terrains. Cela saute aux yeux et n'est
dit par personne".
4) Revue de Hollande, III, p. 583.
5) Ph. Zilcken, célèbre aquafortiste, ami de Netscher et de Prins, connait personnellement Edmond de Goncourt et Huysmans, recoit ici, en 1894, Paul Verlaine; on trouve maint souvenir de cette époque dans son livre interessant Au
Jardin du Passe Paris, Messein, 193o.
6) Revue de Hollande, III, p. 581.
7) Cf. Zilcken, Revue de Hollande, III, p. 583. „ Jacob Maris a subi incontestablement l'influence de Millet, de Corot, de Daubigny". Johan de Meester, dans la
Revue de Hollande, IV, p. 768 &fit: „L'ecole de La Haye s'est inspiree de Barbizon;
les Maris ont etudie a Paris, Jozef Israels a voulu y faire des sejours jusqu'aux
17
Barbizon et de Fontainebleau contribuerent grandement a reveler aux
artistes hollandais les splendeurs de la nature. Ceux-ci s'etaient facilement
assimile les conceptions d'art qu'y professaient les peintres dits impressionnistes, dont l'idêal consistait a chercher avant tout l'atmosphêre,
la lumiere, la couleur, la nuance qu'ils s'attachaient a reproduire d'une
fawn immediate et toute personnelle. On ne souffrait plus que la vision
de l'artiste fit troublee ou modifiee par des conceptions conventionnelles
qui deformeraient la notation exacte de l'impression revue. Déjà l'ecole
realiste de Courbet, proscrivant de la peinture les sujets mythologiques
et religieux, historiques et anecdotiques, avait desire reproduire les
choses telles qu'elles sont, sans pretendre les embellir par le travail de
l'esprit. Il en resultait que l'artiste n'avait plus a se soucier du choix
de son sujet; tout valait d'être reproduit et pouvait inspirer le vrai
artiste 1).
Déjà en 1874, F.-P. ter Meulen, peintre lui-meme et grand admirateur
de Mauve, avait publie dans De Gids 2) un article, interessant a ce point
de vue, intitule De Maatstaf der Kunst [Le Critdrium d'art], s'inspirant
evidemment des nouvelles idees qui se faissaient jour. D'apres lui la valeur
de l'o2uvre d'art ne dêpendait aucunement du sujet, mais de la fawn
dont it etait reproduit. Plus tard, en 1879, it reprendra la defense de
ses theories, dans un article Kunstwaarde [Valeur artistique] 3), oil it
montre la faussete de la conception qui pretend chercher dans le sujet
la „pensee de l'artiste". A une époque oil les peintres „realistes" etaient
encore dedaigneusement qualifies de „copistes de la nature", ces idees
temoignaient déjà d'une vue três hardie et moderne 4).
A cote de lui Van Santen Kolff prit, dans De Banier 5), la defense des
nouveaux maitres. I1 park avec enthousiasme de la nouvelle ecole,
louant beaucoup la fawn „plus moderne" de voir et d'observer, condernieres annees de sa vie, pour y prendre „un bain de printemps"; Mesdag,
homme courageux et entreprenant plus que grand artiste, ne fut tranquille qu'aprês
s'étre conquis une place au Luxembourg".
'
1) Lorsqu'en 1850, Josef Israes avait peint une vieille femme laide, Jan Kruseman lui conseilla de ne pas peindre des types degoiltants parce que vela corrompait le gofit.
2) De Gids, 1874, I, p. 502-514.
3) De Gids, 1879, I, p. 85-98, article inspire peut-étre par Fromentin, Les maitres
d'autrefois (traduit en 1877).
4) Beaucoup plus tard, en 1889, Emants soutiendra les memes idees dans son
article Pro Domo (De Gids, 1898, II, p. 527 sqq.).
3) De Banier, 1877, I, p. 222 sqq.
2
IS
sistant en une vision plus directe, plus consciencieuse de la nature. I1
reproche aux partisans de l'ancienne ecole de „se cramponner a la convention" et „de rester les esclaves de la tradition et de la routine", de
se mefier de la tendance „moderne" ou „realiste". Les peintres realistes,
dit-il, sont vrais dans le sens le plus large du mot, ils sont sans pretentions,
ils cherchent avant tout la vërite et la beaute, sans are esclaves de la
mode" 1).
B. est meme curieux de voir comment nos peintres, s'enthousiasmant
pour une tendance litteraire qui correspondait singulierement avec leurs
ambitions a eux, y decouvrent de nouvelles inspirations. „Dans ces
temps recules dep., temoigne un des leurs, Ph. Zilcken, mes maitres et
mes amis, les Maris, Breitner, De Zwart, Isaac Israels, Bauer et presque
tous les jeunes peintres lisaient avec passion Zola et Salammb6, tandis
que Manette Salomon 2) trainait sur les divans des ateliers" 3). „Personnellement, ajoutait-il, je sais que les Goncourt, Zola, les livres de Fromentin contribuerent a orienter mes pensees en art" 4), et ailleurs „La
lecture des oeuvres des Goncourt a certainement influence considerablement mon developpement general. Aussi it est certain que si, en 1883,
je suis parti pour peindre en Algerie, c'est a la lecture de leurs descriptions
suggestives d'un Orient peu connu que je fis ce voyage a la recherche
de la lumiere, voyage qui a ete un des tout premiers voyages d'etudes en
Orient entrepris par un peintre hollandais" 5).
De meme que Van Gogh subit, pendant sa „periode hollandaise",
l'influence de Zola qui lui re- yea la grandeur de la terre et des paysans 6),
Isaac Israels (1865-1934), sous l'impression de Germinal, s'installe a
Charleroi (1884-1885) pour y peindre les milieux pauvres des ouvriers.
Ce dernier surtout s'est montre un passionne de la litterature francaise
1) ibid., p. 249. Onze „realistische" (sic) schilder is in zijn kunst „waarachtig" in
den vollen zin van het woord; (p 251) „geen modedienaars".
2) Les peintres gofitaient ce roman des Goncourt, qui y ridiculisent les critiques
officiels et dófendent une critique „impressionniste" qui „renonce aux rêgles, aux
opinions conventionnelles, aux recettes, aux formules qui permettaient de juger
automatiquement", qui „n'ecoute que le gout individuel de l'artiste". cf. Pierre
Sabatier, L'Esthe'tique des Goncourt. Paris, Hachette, 192o, p. 537.
3) Revue de Hollande, III, p. 581.
4) ibid., III, p. 581.
5) ibid., I, p. 65.
6) Encore pendant son sejour a Arles Van Gogh ecrira un jour a son frêre Theo:
„Je viens de relire Au Bonheur des Dames de Zola, et je le trouve de plus en plus
beau". Mercure de France, IX (1893), p. 116.
19
contemporaine. Francois Erens, son ami personnel, vante son amour
des lettres et sa connaissance des grandes litteratures. Dans sa seizieme
annee, nous raconte-t-il, cet „enfant prodige" lisait Dante et Leopardi
dans l'original; ii entendait et parlait plusieurs langues, parmi lesquelles
le russe; ii recitait Horace en latin, citait de memoire des phrases entiêres
de Cervantes; „sa bibliotheque se composait des oeuvres les plus raffinees
de pokes et de prosateurs" 1).
Ayant debute par des toiles qui traitent de la vie militaire 2), Israels
se fera bientOt le peintre d'Amsterdam, dont il evoqua avec un rare
talent les quartiers louches (Zeedijk) avec ses bars, ses dancings, ses filles.
Il montre une extreme sensibilite a „l'atmosphere", trait qu'il retrouvait
et admirait chez Huysmans et dont il park dans une lettre a Arij Prins.
„Avec Valk 3) j'ai decouvert dernierement les beautes qu'Amsterdam
revele la nuit. C' est curieux comment ces effets qu'on a déjà si souvent
remarques, prennent soudain du relief dans toute leur grandeur. Dans
En Ménage je lisais quelque chose de pareil, lorsque Andre ressent tout
a coup la sensation exacte de son quartier . . . ." 4) .
Dans la meme lettre, qui temoigne d'une singuliere correspondance
entre lui et l'auteur des Sours Vatard, it park de son enthousiasme
grandissant devant l'oeuvre recente de Huysmans, qu'il regarde comme
„le plus sympathique" des auteurs francais contemporains. „En Rade
m'a ecrase. Quel visionnaire! s'ecrie-t-il. Huysmans m'a vraiment gate,
it ne m'est guere possible de lire autre chose . . . . Une Vie de Guy de
Maupassant me paraissait, l'autre jour, banal. On n'y trouve aucune
vision particuliere de la nature. Le titre seul est beau, le reste du grog
de Flaubert.... J'ai essaye aussi de lire L'Ensorcele'e de Barbey d'Aurevilly, mais it m'etait impossible d'en continuer la lecture, de meme que
celle de Notre Dame de Paris de Hugo. Bon Dieu, comme ce romantisme
1) F. Erens, Hollandsche schilders van dezen tijd [Peintres hollandais contemporains]
(Isaac Israes). Amsterdam, Elsevier, 1912, p. 8. „Zijn bibliotheek bestond uit de
meest geraffineerde werken van dichters en prozaschrijvers".
2) Son Militaire Begrafenis [L'Enterrement Militaire] attira, au salon des Champs
Elysees ( ± 1883) l'attention generale, entre autres celle d'Albert Wolff, le célèbre
critique d'art au Figaro.
3) Valk est l'aquafortiste Maurits van der Valk, fort lie aussi avec Willem Kloos.
4) Lettre datee de mars 1887, citee dans S.-P. Uri, Arij Prins, p. 29. „Met Valk
heb ik laatst de schoonheden ontdekt van Amsterdam bij nacht". Curieus dat
effekten die men al zoo dikwijls gezien heeft, ineens in al hun grootheid als 't ware
gereleveerd kunnen worden. Ik las in En Menage iets dergelijks, als Andre plots
de juiste sensatie krijgt van het karakter van zijn quartier".
20
est perime. L'epoque de la Chanson de Roland m'attire plus que celle
d'avant '3o" 1).
Des assertations de cette sorte montrent clairement, comment a cette
époque les ambitions des peintres et des litterateurs vont parallelement.
Van Santen Kolff avait ete le premier, en citant sous ce rapport les
noms des ecrivains francais, a signaler l'affinite qui existait entre les
deux arts 2). C'est sous cette double activite de la peinture et de la litterature francaise contemporaines, a laquelle it faudra, pour certains, ajouter
celle d'un Taine 3), que nous voyons naitre ici, avant 188o déj une
mentalite particulierement propre a favoriser la penetration des nouvelles
conceptions artistiques que professaient les auteurs naturalistes en
France.
C'est a partir de 188o surtout que les auteurs francais trouvent ici des
sympathies toujours plus grandes. Nour verrons, a la maniere dont chacun
des auteurs reagissait individuellement, comment les nouvelles idees
etaient accueillies ici avec faveur et inspiraient nos auteurs. Les artistes
de l'art pour Part decouvraient dans le realisme et le naturalisme
1) Citêe dans la meme lettre, cf. S.-P. Uri, op. cit., pp. 107, „Overdonderend
soms En Rade. Wat een visionnair ! .... Huysmans heeft me eigenlijk verwend,
ik kan weinig anders meer lezen.... Une Vie van Guy de Maupassant leek me
laatst ordinair. Welke particuliere vision van de natuur zit daar nu in? De titel
is mooi, de rest grog van Flaubert. Ik heb ook L'Ensorcelie van Barbey d' Aurevilly
trachten te lezen, maar kon 't evenmin doorzetten als mijn plan Notre Dame de
Paris van Hugo te lezen. Goede hemel, wat is die romantiek voorbij ! Ik voel voor
den tijd van de Chanson de Roland meer als voor '3o". Zilcken aussi avait remarque
le „modernisme" chez Isra els, qui „aimait alors a repeter „le moderne, it n'y a
que ca", tout en citant d'autres phrases de Goncourt ou de Baudelaire". Revue de
Hollande, III, p. 581.
2) Cette communaute d'aspirations n'a pas manqué d'amener ici, comme en
France, une fraternisation entre peintres et litterateurs qui ne cessent de s'encourager
et de s'admirer. Voir G. Brom, op. cit., p. 95 sqq.
1) Voir, dans notre chapitre sur Emants, l'influence de Taine sur ses conceptions
d'art.
4) Avant 188o personne, au cours du XIXe siècle, ne s'est exprime ici en faveur
des principes de l'art pour l'art; les premiers qui les defendent avec zêle, ont ete
les Auteurs de 188o sous l'influence des litteratures etrangéres. Allard Pierson
(1831-1896), professeur d'esthetique, d'histoire de l'art et de langues modernes
a Amsterdam, qu'on a cite comme un precurseur (e.a. C.-G.-N. de Vooys, Verzamelde Opstellen, p. 234) ne s'est cependant jamais fait le defenseur convaincu de
ces principes. Dans sa brochure De beteekenis der kunst voor het zedelijk leven [Le
sens de Part pour la vie morale], Haarlem, Kruseman, 1862, it s'est exprime, a cet
egard, avec nettete. A ses yeux l'art ne devait etre jamais une copie de la nature;
2I
francais des tendances qui ripondaient singuliêrement a leurs propres
aspirations. Ce que les Auteurs de 188o appreciaient surtout dans le
naturalisme francais, c'etait une reaction contre les exces du romantisme
et un retour aux principes qui seules, croyait-on, pouvaient etre la base
d'un art vigoureux et sain. Willem Kloos par exemple 1), le pionnier du
mouvement de 188o, a ressenti, malgr6 ses sympathies pour la litterature
anglaise du debut du siècle et des grands pokes allemands, Schiller,
Goethe, Von Platen, Ruckert une sympathie asset grande pour les
nouvelles tendances dans la litterature francaise puisqu'elles constituaient a ses yeux une „reaction heureuse et naturelle contre le subjectivisme
insipide et le vague de la vision conventionnelle, qui ne s'appuie sur
aucune base solide de realite physique ni psychique" 2). A propos des
premieres tentatives realistes d'Arij Prins et de la prose epique qui, avec
cet auteur, avait fait son entrée dans nos lettres, it constata que les
auteurs realistes aspiraient a un ideal artistique, analogue a celui que
s'etaient cree les pokes. „Et nous agissons de meme. Nous laissons agir
sur nous la realite de nos visions et de nos passions, qui constituent notre
realite a nous, sans les entraves de la tradition ou des modeles, et nous
tachons de les reproduire en des termes equivalents. C'est en ceci que
nous nous approchons des naturalistes et que nous nous rangeons de
leur cote contre les autres" 3). C'est dans la methode de l'observation
exacte et de la reproduction fidele des impressions et des sentiments
qu'il voit le salut de nos lettres et le moyen de les &ever au rang des
litteratures etrangeres. La definition que la poesie devait etre „la reit devait avoir une fin qui n'êtait pas confinee en elle-méme; l'art avait une signification profonde pour la vie morale; seulement „qu'un bon genie nous preserve
que la tendance morale d'une oeuvre d'art en determine jamais la valeur artistique" (een goede genius beware ons er voor, dat de zedelijke strekking van een
kunstgewrocht ooit de waarde ervan zou mogen bepalen, p. 15o), voir K.-H. Boersma, Allard Pierson. La Haye, Nijhoff, 1924, p. 418.
1) Willem Kloos, ne en 1859, est un de nos plus grands poêtes et un critique celêbre,
dont les etudes litteraires ont ete recueillies dans Veertien Jaar Literatuur-Geschiedenis [Quatorze ans d'histoire litteraire, 188o-1894].
2) De Nieuwe Gids, 1902, I, p. 55o. „Een gezonde, rechtmatige reactie van de
natuur tegen het zinloos-subjectieve, het vaag-geziene, want op geen enkelen,
psychischen noch physischen ondergrond van hechte realiteiten steunend".
3) Kloos, Veertien Jaar Litt. Gesch., I, p. 180. „En dat doen ook wij. Wij laten
de werkelijkheid onzer visioenen en hartstochten, die onze werkelijkheid is, op
ons werken, zonder belemmering van traditie of modellen en wij trachten ze te
beelden en te zeggen, in de woorden, waartoe zij zich vormen. Hierin komen wij
overeen met de naturalisten en hierin staan wij met hen, tegenover alle anderen."
22
production minutieusement exacte des mouvements de Fame" 1), montre
clairement la voie que Kloos indiquait; toujours il s'est oppose aux images
vagues et imprecises dont usaient les litterateurs d'avant '8o 2).
Cependant la conception etroite du naturalisme, qui se bornait exclusivement a la description de certains milieux sociaux, de „la vie de
jour-en-j our" 3) devait deplaire au poete pour qui ne valait au fond que
la vie intime et mysterieuse de Fame. Il reprochait a l'auteur des RougonMacquarl de ne pas avoir compris qu'il y avait a cote d'une realite
„materielle" une realite „psychique" qui toutes les deux meritaient
d'être observees et representees 4). Selon Kloos il etait impossible a Zola,
par suite de ses dispositions particulieres et de sa connaissance mediocre
de l'art humain en son entier, de comprendre le sens vrai de „naturaliste" que Kloos desirait accepter dans le sens le plus large, le plus profond. „Tout art pur de toutes les generations, disait-il, filt-il de Shelley
ou de Shakespeare, de Dante ou de Sophocle, etait naturaliste, c'est-hdire base sur la nature, sur ce qui est veritablement" 5).
Van Deyssel 6), lui aussi a vu dans le naturalisme un mouvement
litteraire qui obeissait aux principes fondamentaux de l'art. Sa nature
„artiste" qui aspirait a la liberte et a la verite dans Fart, devait etre
skluite par l'objectivite quasi scientifique avec laquelle les naturalistes
francais etudiaient le monde ambiant. Zola, les Goncourt, Huysmans
seront pour lui les grands maitres chez qui il admirait le devouement
desinteresse avec lequel its tendaient a saisir la vie dans toutes ses
manifestations directes, conception d'art qui, au commencement, l'a
passionnement emu. Van Deyssel ne resta pas seul dans son enthousiasme.
Plus qu'aucun autre il a su eveiller la sympathie pour une litterature
1) op. cit., preface, p. 4. „Poezie is de haarfijn-preciese weergave der bewegingen
van de ziel".
2) Binnengedachten [Pensdes du for intdrieur]. De Nieuwe Gids, 1925, I, p. 49. „'k
ontweek steeds, wat vaag-vreemd is" et De Nieuwe Gids, mai, 1932, I, p. 562. „Ik
wil altijd alleen haarfijn-precies uitdrukken, wat er in mij leeft — ik houd niet van
vage h-peu-prês — en wat ik dan waarachtig sterk voel".
3) De Nieuwe Gids, mai, 1902, p. 553. „Maar zij (het naturalisme) zoekt to veel
in het „la vie de jour-en-jour" van 't gros der menschen".
4) ibid., nov., 1902, p. 184.
5) ibid., nov., 1902, p. 553. „Alle zuivere kunst van alle geslachten, 't zij Shelley
of Shakespeare, 't zij Sophokles of Dante, is „naturalistisch", d.i. op-de-natuur,
op-het-waarlijk-zijnde gebouwd". Plus tard, a propos de la mort de Zola, Kloos
lui a rendu hommage dans un poême, intitule Zola's Dood [La Mont de Zola],
oil il glorifie sa puissance visionnaire. Vo'r De Nieuwe Gids, 1902, p. 147.
9 Voir notre etude speciale sur Van Deyssel, p. 56-73.
23
qui faisait entrevoir un nouvel ideal artistique plus &eve, que n'avaient
jamais atteint ici les generations precedentes. BientOt it se forma autour
de lui un groupe de jeunes litterateurs, tous admirateurs passionnes de
la litterature francaise contemporaine, et qui ne tarda pas, comme nous
le verrons aux chapitres suivants, a s'inspirer des nouveaux maitres.
A l'enthousiasme des „jeunes" s'opposait la mdiance et le dedain de
la critique conventionnelle. Voici ce qu'Olim 1), dans le N ederlandsche
Spectator de 188o, ecrivit a propos de L'Assommoir: „Ce livre en est presque
a sa centieme edition; du point de vue d'un art qui doit edifier et reconforter Fame, ce roman peut passer pour le plus degofitant — j e ne
dis pas le plus immoral — de la litterature mondiale. L'Assommoir,
traduit dans notre langue maternelle, ferait reculer le lecteur le plus
hardi. Puis Zola est un passionne, qui ne se soucie que de ce qui est sale
et laid; l'interet du pretendu experimentateur scientifique sent trop le
bordel, c'est souvent la soif scientifique de la lubricite. L'odeur des femmes l'enivre; du moms it semble vouloir en griser ses lecteurs. Celui qui
ne sent pas que Zola, en cleshabillant une femme — et aucune de ses
femmes n'echappe a ce procede artistique, pourvu qu'elle ait bonne
mine et que cela vaille la peine ! — kale une voluptê bestiale, est un
eunuque" 2).
Les revues et les journaux de cette époque abondent en critiques que
la haine et l'indignation semblent dicter. „Il etait rare, disait alors A.-G.
van Hamel, qu'une critique ponderee et impartiale se fit entendre des
qu'il s'agissait des produits litteraires de Zola" 3). On cria au scandale,
on couvrit l'auteur des Rougon-Macquart des plus sottes invectives, le
1) Pseudonyme de H.-L. Berckenhoff.
2) De Nedeylandsche Spectator, 188o, p. 81. „Dit boek heeft nu bijna zoo drukken
beleefd. Uit het oogpunt eener verheffende, veredelende kunst, uit het oogpunt
van den goeden smaak, kan het wellicht doorgaan voor het onverkwikkelijkste
boek — ik zeg niet het onzedelijkste ! — der wereldliteratuur. L'Assommoir in
onze moedertaal zou den onverschrokkendste doen terugdeinzen. — Ook is hij
(Zola) niet vrij van hartstocht. Behalve dat het leelijke, het vieze hem aantrekt,
riekt de hem toegedichte belangstelling van een wetenschappelijk onderzoeker
naar het bordeel; het is vaak de wetenschappelijke dorst der geilheid. L'odeur des
femmes maakt hem dronken; hij tracht er althans den lezer mee to bedwelmen.
Wie niet gevoelt, dat Zola bij het ontkleeden der vrouw — en geen zijner vrouwen
ontsnapt aan die kunstbewerking, mits zij er goed uitzien en het de moeite loont!
— wie niet gevoelt, dat hij daarbij een beestachtige wulpschheid ten toon spreidt,
is een eunuch".
3) De Gids, 188o, I, p. 326. „Het was zelden, dat een onpartijdige en kalme kritiek
aan het woord kwam, waar het de letterkundige produkten van Zola gold".
24
traitant de „genie malsain", „d'un dilettante de l'egoilt qui remise le
torchon gras" 1) . Ising, jugeant L'euvre dit qu'il avait ferme le livre
avec un soupir de soulagement. Comme Brunetiere en France,il reproche
a Zola des digressions obscenes et son intention manifeste de speculer
sur le gout du public 2). W. Doorenbos, le professeur au lycee moderne
a Amsterdam qui avait tant d'influence sur les jeunes, blamait fort la
tendance des naturalistes qui „preferent vous introduire dans le monde
des obscenites et qui ne voient dans la nature que des saletes" 3).
Les predicateurs, de leur cote, ne se lassaient pas de mettre leurs
auditeurs en garde contre une litterature oil ils croyaient voir une menace
pour les traditionnelles conceptions chretiennes. Leur inquietude fut telle
qu'ils se reunirent, en 1886, a Amsterdam of in d'y discuter, dans une
assemblee publique, le probleme du naturalisme dans la litterature. , Le
pasteur P.-H. Hugenholtz attaqua vigoureusement les exces oil tombait
le naturalisme et dont l'influence ne pouvait etre que funeste sur les
jeunes Ames. Il reprocha aux naturalistes leur partialite, leur dessein
delibere de ne peindre que la „bete humaine". A eux it preferait des
auteurs comme Balzac, Thackeray, George Eliot et Tolstoi, êgalement
des naturalistes, mais dont l'ceuvre exercait sur l'homme une action
edifiante et regeneratrice 4).
1) Wolfgang (pseud. de H. Wolfgang van der Mey) dans De Portefeuille, 1879,
p. 279. „Een riool-dilettant, die de verheven poetslap zwaait".
2) A.-H.-L. Ising, De Nederlandsche Spectator, 1886, p. 161, 163. A propos de La
Terre parait dans le Ned. Spect., 1887, p. 173 la satire suivante: „Epitaphe. Ci-git
l'auteur de La Terre; it a offense l'humanite, la nature, l'art et a amene la chute
de son propre naturalisme. La boue de la terre lui profita. Que la terre lui soit
legêre "(Grafschrift. Hier ligt de schrijver van La Terre. Hij heeft het menschdom,
de natuur, de kunst beleedigd en zijn eigen naturalisme ten val gebracht. Het
slijk der aarde was hem gewin. Que la Terre lui soit legêre).
3) De Portefeuille, 9. 4, 1881. „De naturalisten, die u het liefst voeren in vuiligheden en in de natuur alleen vuil kunnen zien".
4) Nous verrons comment Frans Netscher attaque furieusement „ce naturalisme
a la feuille de vigne", voir De Nieuwe Gids, 1886, II, p. 35o. „Des qu'on blesse le
sentiment moral de quelques theologiens, riposte-t-il, on est traite de pornographe
et le naturalisme devient une tendance dangereuse" (Zoodra gij het zedelijkheidsgevoel van eenige theologen kwetst, zijt gij pornograaf en wordt het naturalisme
een gevaarlijke kunstrichting).
5) Frederik van Eeden (186o-1932) fait des etudes de medecine, s'interessant
plus specialement a des questions d'ordre psychologique. Il sera, en 1885, un des
fondateurs du Nieuwe Gids. En 1887 it publie son premier roman qui l'a
rendu. cOlêbre, De Kleine Johannes [Le petit Johannes], (traduit du hollandais par
Leon Paschal, Revue de Hollande, V, pp. 209, 307, 411), espêce d'autobiographie oil la
25
De la part d'un Frederik van Eeden aussi, on pouvait s'attendre a
une vive resistance contre un courant artistique qui repondait si peu a
son besoin d'une litterature qui elevat et edifiat Fame. Nature profondement ethique, il ne cessa de blamer dans le naturalisme ce qu'il y
avait de clegofitant et de trivial. Ce qu'il critiquait surtout, c'etait l'analyse par le menu de nos sensations physiques, notamment celles qui
touchaient a la vie sexuelle 1). Il compare le naturaliste au botaniste
qui cueille le nenuphar blanc pour savoir comment ii est enracine dans
la vase et nourri par la terre noire. Aussi condamne-t-il Een Liefde [Un
Amour] de Van Deyssel „pataugeant, lui aussi, dans les miseres de notre
existence physique" et „gachant ses talents" en les consacrant a la description de choses qu'il valait mieux ne pas decrire. „Alors je ris, helas!
— comme un paysan qui voit arriver un roi dans sa ferme, le voit accrocher la couronne d'or a une branche, mettre le manteau d'hermine
sur la barriêre, et qui le voit bécher et transporter du fumier dans une
brouette, trimant maladroitement jusqu'a ce que ses mains royales sont
sales et que ses bas de soie sont crottes et qu'il finit par demander au
paysan d'une voix hesitante, en suant sur un travail auquel il n'est pas
fait: „C' est Bien fait, comme cela?" 2)
figure principale, Windekind, symbolyse les aspirations êlevees d'une ame poetique
qui abhorre un monde egoiste et materiel. Admirateur de Shelley, cette „figure
juvenile et lumineuse", qu'il oppose a la sombre figure meridionale qui attire tous
les regards sur lui (Studies, I, p. 37), Van Eeden ne se lasse pas de combattre ce
qui est banal et vulgaire. En 1897, il fonde la colonie Walden oil il espére rêaliser
son ideal d'une societe oil l'on vit en communaute de biens et d'idees, experience
qui lui a valu d'amêres deceptions. En 1922 il s'est converti au catholicisme. Il
est tout naturel que van Eeden se soit senti attire vers l'art du reve. Dans De
Nieuwe Gids, 1890, I, p. 86 sqq., il consacre un article Decadenten [Les De'cadents]
aux nouvelles tendances litteraires en France, analysant l'art de Laforgue, de
Banes et de Dujardin (repris dans Studies, I, p. 105-138).
1) De Nieuwe Gids, 1887, II, p. 61 sqq., art. Over het naturalisme [Sur le naturalisme], etude reprise dans Studies, I, p. 32-37.
2) Studies [Etudes], I, p. 35. En dan lach ik, helaas! — als een boer die een koning
ziet komen op zijn erf en hem de gouden kroon ziet hangen aan een boomtak en
den hermelijnen mantel over een hek, — en hem ziet spitten en mestkruien, —
zwoegend en onhandig, tot zijn koninklijke handen vuil en zijn zijden kousen be.
morst zijn, en hij, zweetend van het ongewone werk, dan nog een weinig angstvallig
naar den boer opziet, vragend: „Is het zoo goed ?" Lire aussi son etude Woordkunst
[L'Ecriture artiste], Studies, IV, p. 313, 365 sqq., oil il attaque chez Van Deyssel
son amour d'une forme parfaite qui aboutit a un art sans „humanite", cf. p. 376.
„ Je n'aime pas la littêrature, ni l'art, ni la poezie — j'aime les hommes" (Ik houd
niet van literatuur, ik houd ook niet van kunst, ik houd niet van poezie — maar
ik houd van menschen).
26
Cependant cette repugnance a l'endroit des inconvenances littëraires 1),
n'a pas sensiblement entrave, nous semble-t-il, la penetration des nouvelles conceptions d'art. C'est tout au plus qu'on constate chez plusieurs
de nos auteurs une tendance a adoucir, a temperer, du peut-titre a leur
besoin de poetiser une realite que les naturalistes aimaient a representer
dans sa vulgarite 1). Mais, en general, les principes litteraires que
leur suggeraient les exemples strangers leur commandaient de ne point
ceder aux exigences des conventions. Netscher, Van Deyssel, Hartog, Heijermans paraissaient volontairement blesser le bourgeois dans ses
opinions consacrees; ils se refusaient a faire des concessions a la morale
pour plaire a un public que, au fond, ils detestaient. „L' art n'a rien a
voir avec la vertu, disait Maurits Wagenvoort, pas meme avec „les
bonnes moeurs". L'artiste demande seulement ce que dit et fait la vie,
c'est-a.-dire la verite. Dans l'art tout est moral, pourvu que ce soit de
l'art.... Les passions ne se soucient pas de nos conceptions de morale
perimees" 2).
De ces audaces, Zola etait plus ou moms directement responsable.
Par l'intransigeance de ses conceptions artistiques, par la hardiesse avec
laquelle il les mettait en pratique, il eveillait les grands enthousiasmes;
c'etait lui qui preoccupait et revoltait les esprits. „Zola, disait Ch.-M.
van Deventer, etait le romancier francais qui nous interessait, qui nous
preoccupait; quoique sachant que Zola adorait Balzac, c'est Zola qui etait
lu et discute et, non pas Balzac" 3), ainsi que le prouve tel temoignage de
1) Cette repugnance se fait voir par exemple dans les traductions des romans de
Zola, oil certaines expressions indêcentes sont remarquablement adoucies, cf.
L' Assommoir, p. 17, et De Kroeg, Nijmegen, Cohen, s.d., p. 19 sqq. „Ces gueux
d'enfants, ma parole! Ca a de la suie au derriere" et la traduction hollandaise:
„Het is waarachtig of die kinderen zich met roet besmeren;" „m'allongeait des
coups de pieds dans les reins et „sloeg mij om een niemandalletje"; „il en avait
assez de to carcasse" et „hij had genoeg van je"; „l'eau pissait par-dessous sa robe"
et „het water stroomde onder haar japon uit", etc.
2) Vosmeer de Spie (pseud. de M. Wagenvoort), Een Passie [Line Passion]. Amsterdam, D. Buys Dz., s.d. (1891), preface, p. IV, V. „De kunst heeft met deugdzaamheid, zelfs met „goede zeden", niets to maken. De artiest vraagt alleen wat
het leven, dat is de waarheid, zegt en doet. In de kunst is alles zedelijk, mits het
kunst zij. De hartstochten storen zich niet aan onze gekunstelde welvoegelijkheidsbegrippen". Wagenvoort attaque furieusement les editeurs, ces „paladins de la moralite", qui par egard pour l'opinion publique, refusêrent de publier son roman,
3) De Gids, 1896, II, p. 432. „Balzac was voor mijn tijdgenooten en mij geen man
om wie wij dachten. Zola was de Fransche romanschrijvcr die ons bezighield, en
al wisten wij, dat Zola zelf Balzac aanbad, Zola was het die gelezen werd, overdacht
en besproken, en niet Balzac".
27
Frans Erens, qui le premier se grit a defendre l'art des symbolistes. „ Je
defendais a Amsterdam le bon droit de la nouvelle tendance, mais j'etais
peu ecoute, puisque l'art de Zola dominait seul" 1).
Il nous reste a dire un mot des traductions. D'une maniere generale
on peut dire que la plupart des auteurs realistes et naturalistes n'ont
pas ete traduits en hollandais. On ne trouve, avant 190o, aucune traduction de Flaubert 2), ni des Goncourt, ni de Huysmans. Celui-ci 6crivait
un jour a son ami Arij Prins: „Nous autres „ecrivains artistes" sommes
intraduisibles; it en est de mon oeuvre, transposee dans une langue
etrangere, comme de la tienne" 3). De Guy de Maupassant on traduit un
ou deux des contes 4), de Hennique son premier roman La Ddvoude
(1878) 5). Ce sont Daudet et Zola qui ont ete les plus traduits, ce dernier
tres souvent sous les titres les plus attrayants 6). Et ceux qui le lisaient,
1) De Gids, 1927, III, p. 425. „Ik betoogde in Amsterdam het goed recht van de
jongste richting (het symbolisme), maar vond dikwijls weinig gehoor, omdat de
kunst van Zola nog de alleen-heerschende was" Il est vrai que Flaubert, Guy de
Maupassant, les Goncourt, Huysmans ne gagnêrent pas moins les sympathies,
quoiqu'on ecrivit beaucoup moins sur eux. Sur Flaubert, qui etait sans contredit
beaucoup admire, parait en 1890 seulement (De Gids, 1890, II, p. 37-70) un
article de la main de J.-E. Sachse, oil it compare entre autres Aletrino et Flaubert
(tous deux medecins); la meme annee, du meme auteur, un article sur Guy de
Maupassant (De Gids, 1890, II, p. 412-461). Les Goncourt et Huysmans, três
applaudis par les „ecrivains artistes", eurent par le raffinement de leur style, une
três grande influence sur notre prose litteraire d'aprês 1880.
2) Flaubert a ete traduit pour la premiere fois en 1896 par Louis Couperus, qui
rendit des fragments de La Tentation de saint Antoine. Dirk Coster traduisit en.
1906 Saint Julien l'Hospitalier [De legende van St. Julien den herbergzame]. Rotterdam, Boogaerdt, 1906. De Madame Bovary parut une traduction de G.-H. Priem,
Amsterdam, Veldt, 1904 (nouv. ed. 1910).
3) Cf. P. Valkhoff, Het Fransche Boek [Le livre francais], sept. 1933, p. 11. „Wij
woordkunstenaars zijn onvertaalbaar, 't is met mijn werk in een andere taal
overgebracht net als met dat van jou".
4) Entre autres De Stoelenmatster [La Rempailleuse] dans le Nieuws van den Dag
du 6 janv. 1884. Dans De Gids, 188o, IV, p. 346 et p. 473 on trouve de la main
de J.-N. van Hall des adaptations de deux poêmes de Guy de Maupassant: Nuit
de neige ['s Nachts in de sneeuw] et Les flies sauvages [Ganzenvlucht]. On sait que
Van Hall sera plus tard celui qui dans De Gids attaquera avec acharnement les
nouvelles tendances, qualifiant entre autres Sapho de Daudet d'une „epopee de
la debauche" (dit epos van de ontucht), voir De Gids, 1884, III, p. 178.
5) Eggeman, Michelle Jeoffrin naar den naturalistischen roman La Divouie van
Leon Hennique. 's-Gravenhage, Susan, 1880.
6)Cf. Au bonheur des dames est traduit sous le titre In het paradijs der vrouwen;
L' Assommoir par De drinkebroers en de hroeg; La De'bdcle par Laatste Stuiptrekking.
28
etaient plus friands de scandale que capables de comprendre sa grandeur.
Toutes caracteristiques que soient ces traductions comme indice d'une
orientation nouvelle, elles n'ont aucunement joue un role sensible dans
la diffusion des nouvelles idees et conceptions artistiques. Aussi nous
n'y preterons pas longuement attention, puisqu'elles sont Out& l'effet,
l'accompagnement d'un nouvel interet que d'en etre la cause. Les Auteurs
de 188o, sans aucune exception, lisaient les auteurs francais dans l'original. Leurs idees penetthent ici par la voie directe, sans l'intermêdiaire
des traductions, qui d'ailleurs, comme nous ra yons vu, etaient assez
mal faites et sans aucune responsabilite litteraire.
Deux choses, dans la litterature francaise contemporaine, ont attire
nos auteurs, d'abord la fawn particuliere dont les auteurs naturalistes
observaient et notaient l'exterieur; puis comment, d'un point de vue
moral et social ils envisageaient l'homme et l'univers. Puisque, pour
l'Auteur de 188o le souci d'une forme impeccable, infiniment travaillee
predominait a toute preoccupation qui n'etait pas d'ordre purement
artistique, nous avons cm devoir etudier d'abord ceux des auteurs qui,
sous l'inspiration des modêles strangers, s'assimilerent un nouvel art
d'êcrire, adapt& a une vision tout a fait renouvelee de la realite.
Huet dit en 1885, dans son article sur Germinal, comment, pour chaque nouveau
volume de Zola, on commande ici 2000 exemplaires d'avance (Litt. Fant., XXI,
p. 182); J.-M. Meulenhoff, libraire et editeur a Amsterdam, dit egalement, dans
une interview (Morks-Magazijn, oct. 1935, p. 509) que, a la publication, on lui
commandait, de chaque nouveau roman de Zola, 2000 a 2500 exemplaires. (Van
een nieuw werk van Zola werden er mij 2000 a 2500 bij uitgaaf besteld).
Comme indice d'une orientation nouvelle nous signalons encore Realistische Schetsen
[Esquisses rialistes]. Utrecht, J.-L. Beyers, 1883, „un essai de traduction" (eene
proeve van vertaling), dedie par un auteur inconnu au „célèbre auteur et grand
connaisseur d'hommes" (aan den gevierden schrijver en grooten menschenkenner)
Giovanni Verga. Le recueil contient quatre nouvelles de Verga Nedda, De Wolvin,
Eergevoel, Gramigna's Minnares (trad. de Nedda, La Lupa, Cavalleria rusticana et
l' Amante di Gramigna), un conte de Guy de Maupassant Een Fransche boerenmeid
(trad. d'Une Fille de ferme) que nous avons admire pour le rendu exact de la „couleur", et une nouvelle de la romanciere May Laffan Flitters, Flarden en de Raadsman
(trad. de Flitters, Flarden and the Counsellor), recit emouvant qui evoque la vie
du peuple a Dublin.
CHAPITRE II
L'IMPRESSIONNISME
Une etude, meme superficielle, de notre „prose de 188o" suffit pour
qu'on se fasse une idee du soin exquis, du raffinement particulier avec
lesquels les Auteurs de 188o s'astreignaient a rendre les impressions et
les sensations qu'ils recevaient du dehors. La langue de ces „ecrivains
artistes" (woordkunstenaars), comme Van Deyssel et ses confreres tenaient a s'appeler 1), devait etre, comme pour les poêtes contemporains,
„l'equivalent irreprochable, infiniment exact et consciencieux des
mouvements les plus &eves, les plus beaux et les plus vivement sentis
dans Fame humaine de l' artiste" 2). Presque aucun de ces ecrivains n'a
echappe a cette „ecriture artiste", qui, cultivee et developpee chez nous
a outrance, a imprime a la litterature dite de 188o sa marque toute
particuliere 3).
Ce qui, chez leurs preclecesseurs, devait irriter les Auteurs de 188o,
c'etait leur style conventionnel, l'emploi du lieu commun, du cliche,
auxquels ils cherchaient a substituer une expression originale et vigoureuse. C'est avec une rare energie que Kloos, Van Deyssel et d'autres
combattirent la fausse rhetorique, la vision surannee et stereotype, qui
depuis le XVII e siecle semblait avoir enleve a notre langue toute fralcheur,
toute spontaneite. Il n'est guêre etonnant que les litteratures etrangeres,
plus fecondes en oeuvres d'art que la notre, captivent les jeunes de 188o,
auteurs pleins de talent, et infiniment plus „artistes" que leurs devan1) L. van Deyssel, Verzamelde Werken [ Euvres completes], V, p. 255.
2) W. Kloos, Nieuwe Literatuur-geschiedenis, III, p. 179 „het onverbeterlijke en
eenig-exacte, het gewetensvolle equivalent van de hoogste en schoonste en meest
gevoelde bewegingen in des kunstenaars menschelijke ziel".
3) Cf. Edmond de Goncourt, preface des Freres Zemganno (1879) . . . . it (le rêalisme)
est venu au monde aussi, lui, pour &fink, dans de 1' „ecriture artiste, ce qui est
eleve, ce qui est joli, ce qui sent bon . . . .
90
..i
ciers immediats. Les poetes Jacques Perk, Willem Kloos, Frederik van
Eeden, Herman Gorter s'inspirent de la poesie de Shelley et de Keats 1),
des Allemands aussi. Les prosateurs se passionnent pour la litterature
francaise contemporaine dont la beaute plastique et la hardiesse des
descriptions ne cessaient de les charmer.
Le fait que le Hollandais s'est toujours plu a rendre minutieusement
la vie de tous les j ours explique sans doute pourquoi le naturalisme
francais, en tant qu'art descriptif, a particulierement flatte nos auteurs.
Dans cette description de l'exterieur qu'inaugurerent les Flaubert, les
Goncourt, les Huysmans, nous n'avorts fait que redecouvrir nos traditions.
On concoit aisement que la renovation litteraire d'apres 188o debutat
par cet art impressionniste qui repondait singulierement a notre amour
du detail précis et pittoresque, trait qui distingue toute notre litterature,
depuis l'epoque classique jusqu'au „menu" realisme du XIX e siecle.
Ce que les Auteurs de 188o appreciaient avant tout chez les realistes
et naturalistes francais, c'etait la precision avec laquelle ils observaient
et reproduisaient le monde exterieur, c'etait le soin meticuleux avec
lequel ils recherchaient l'equivalent unique et infiniment exact. Its
semblaient prendre A. cceur les lecons de Flaubert et de ses disciples.
fl Quelle que soft la chose qu'on veut dire, ecrivait Guy de Maupassant,
it n'y a qu'un mot pour l'exprimer, qu'un verbe pour l'animer et qu'un
adjectif pour la qualifier. Il faut donc chercher, jusqua ce qu'on les
ait decouverts, ce mot, ce verbe et cet adjectif, et ne jamais avoir recours
a des supercheries, meme heureuses, a des clowneries de langage pour
6viter la difficulte" 2). S'inspirant de leurs exemples, les auteurs impressionnistes s'attachaient a observer et a noter avec une attention
minutieuse le monde environnant; tout demandait une etude consciencieuse, desint6ressee; les choses les plus banales valaient d'être reproduites avec une extreme precision. Cet art de la description charmait
d'autant plus nos auteurs qu'ils croyaient y realiser un ideal plus eleve
que n'avaient atteint les generations precklentes. Pour rendre aussi
directement que possible leurs impressions, ils bannissaient de leur art
tout ce qui 6tait imagination et fantaisie. Toute preoccupation particuHere, d'ordre moral ou religieux, devait alterer et falsifier l'image que
l'auteur se formait du monde ambiant. „L'imagination, disait Zola,
1) Cf. G. Dekker, Die invloed van Keats en Shelley in Nederland gedurende die negentiende eeu [L'influence de Keats et de Shelley en Hollande pendant le XIX e siecle].
Groningen, Wolters, 1926.
2) Guy de Maupassant, Pierre et Jean. Paris, Conard, 1929, preface, p. XXV.
31
n'est plus la qualitê maitresse du romancier" 1) et ailleurs. „Elle a ete
remplacee par le sens du reel. Le sens du reel, c'est de sentir la nature et
de la rendre telle qu'elle est" 2).
Mais grace a une sensibilite particuliere rceuvre de tout artiste recoit
une empreinte tout individuelle, irreductible qui en constitue la beaute
essentielle. „Chaque veil, disait encore Zola, a sa vision particuliere" 3).
Le plus important etait moins la chose vue que la maniere dont elle
etait rendue. D'un art objectif, impassible qu'il pretendait etre a ses
debuts, l'impressionnisme tendait a devenir un art tout a fait subjectif.
Le but unique de l'auteur semblait étre la recherche d'un style ou
s'affirmat d'une facon tres marquee la personnalite de l'artiste.
Seulement la recherche de l'equivalent le plus exact faisait naitre un
raffinement extraordinaire des moyens d'expression. Alors que l'amour
d'une construction claire, precise, harmonieuse defendait en general au
Francais d'avoir recours a l' „epiphete rare" 4), le Hollandais cultivait
et raffinait a l'exces la soi-disant „ecriture artiste". Le vocabulaire traditionnel ne suffisait plus a traduire la multitude des impressions; les
auteurs en venaient a inventer de nouveaux procedes pour les exprimer
avec plus de precision et de finesse; les neologismes, la synesthesie, la
rime interieure, la prose rythm6e, l' alliteration leur furent de precieux
moyens a transcrire leurs sensations les plus subtiles. C'est par cette
recherche constante d'un style savamment travaille, hyper-individuel
que l'art de nos auteurs impressionnistes se rapproche singulierement de
celui d'un Huysmans ou des Goncourt. „Goncourt, disait Van Deyssel,
1) E. Zola, Le Roman experimental, p. 205.
2) ibid., p. 208.
3) ibid., p. 208.
4) On sait comment Flaubert, Guy de Maupassant, Zola reprochaient aux Goncourt
et a Huysmans „leur abus du mot rare", cf. Guy de Maupassant, preface de Pierre
et Jean, p. XXV, „Il n'est point besoin du vocabulaire bizarre, complique, nombreux et chinois qu'on nous impose aujourd'hui sous le nom d'ecriture artiste,
pour fixer toutes les nuances de la pens& . . . . Ayons moins de noms, de verbes
et d'adjectifs aux sens presque insaisissables, mais plus de phrases differentes,
diversement construites, ingenieusement coupees, pleines de sonorites et de rythmes
savants. Efforcons-nous d'etre des stylistes excellents plutOt que des collectionneurs de termes rares". D'ailleurs les Francais condamnent gen eralement cette
maniere, cf., Pierre Lievre, dans son article L'Evolution de la langue et du style
(Eugene M )ntfort, Vingt-cinq ans de litte'rature franfaise, I, p. 354). „La langue
se corrompt a un moment donne et l'on peut assurer que les fauteurs de cette
corruption sont les Goncourt".
32
a inaugure l'art de l'observation fine et penetrante des choses du dehors"9.
Netscher, Prins, Aletrino n'ont jamais cesse d' admirer les raffinements
avec lesquels Huysmans et les Goncourt reproduisaient le monde ambiant. Johan de Meester, egalement grand admirateur des Goncourt, et
fervent defenseur des principes de 188o, a consacre aux deux freres un
article tres interessant 2), qui illustre curieusement comment les Auteurs
hollandais de cette époque se sont inspires des modeles strangers. C'est
avec un veritable enthousiasme qu'il applaudit a leur recherche nerveuse
du mot, du mot plastique par excellence, du mot saillant 3), approuvant
les paroles de l'ecrivain stranger dans La Faustin: „La langue francaise
me fait l'effet d'une espece d'instrument dans lequel les inventeurs
auraient bonnassement cherche la clarte, la logique, le gros a peu pres de
la definition, et it se trouve que cet instrument est, a l'heure actuelle,
manie par les Bens les plus nerveux, les plus sensitifs, les plus chercheurs
de la notation des sensations indescriptibles, les moms susceptibles de
se satisfaire du gros a peu prês de leurs bien portants devanciers" 4).
Seulement nous verrons comment les Hollandais depasseront leurs
modeles; leur manque de discipline, leur exuberance, le zele avec lequel
ils s'appliquaient a noter consciencieusement les plus infimes details
les entrainaient aux descriptions lourdes, touffues, interminables, defaut
dont ils ne se debarrasseraient guêre. Kloos etait un des premiers a s'Oever
contre l'art „difforme, mort-ne" de ces „dresseurs d'inventaires et de
catalogues". II reprochait a ces „realistes" de ne pas savoir faire un
choix, ce choix heureux et genial auquel on reconnait l'oeuvre d'art 5).
Par la it ne faisait que repeter ce qu'un Guy de Maupassant avait
dej a. dit avant lui: „Le realiste, s'il est un artiste, cherchera, non
1) L. van Deyssel, Verzamelde Werken, IV, p. 187.
2) Article intituló _lets over Nevrose in Letteren [Propos sur la Nevrose dans la Litt"rature]. De Nieuwe Gids, 1908, I, pp. no, 203, 423, 529 sqq.
3) ibid., p. 112. „Het nerveuse zoeken naar het wOOrd, naar het bij uitnemendheid
beeldende, frappant juiste woord".
4) ibid., p. 113; cf. La Faustin, ed. Flammarion et Fasquelle, p. 133.
5) Voir De Nieuwe Gids, 1897, p. 626. „Ils ne choisissent pas avec la sfirete
prompte d'un choix genial, ce qui determine pour toujours l'oeuvre d'art. IN observent avec precision, et notent beaucoup, mais ils ne sont pas artistes; ainsi ils ne
voient ni ne donnent la seule chose uniquement necessaire, ce qui eleverait leur
travail a la hauteur de l'oeuvre d'art". (Zij kiezen niet datgene met plotselingzekeren, genialen greep, wat het kunstwerk voor altijd maakt. Zij kijk en nauwlettend
en noteeren veel ook, maar zij zijn geen artiest, en zien dus niet en geven niet het
eenig-noodige, wat hun werk zou waken tot echte kunst).
33
pas a nous montrer la photographie banale de la vie, mais a nous en
donner la vision plus complete, plus saisissante, plus probante que la
realite meme. Raconter tout serait impossible, car il faudrait alors un
volume au moins par journee, pour 6numerer les multitudes d'incidents
insignifiants qui emplissent notre existence. Un choix s'impose donc —
ce qui est une premiere atteinte a la theorie de toute la verite . . . . Voila
pourquoi l'artiste, ayant choisi son theme, ne prendra dans cette vie
encombree de hasards et de futilites que les details caracteristiques utiles
a son sujet, et il rejettera tout le reste, tout l'a-cote" 1).
Cependant la recherche d'un art infiniment subtil, susceptible de
rendre les plus infimes sensations faisait que l' art impressionniste ne
tarda pas a aboutir a une nouvelle rhetorique oil toute inspiration humaine semblait etre etouffee. Depuis que l'observation et la notation
du monde ambiant reclamait toute l' attention de l'artiste, il semblait
lui sacrifier l'etude de la vie intime, avec ses tourments, ses luttes, son
besoin et ses aspirations d'infini. Tout comme en France on cherchait
ici a se delivrer de l'oppression d'un art auquel l'ame manquait, qui
effrayait par son vide, ses apparences fausses. En 1891, a propos du
deuxieme roman de Van Deyssel, De Kleine Republiek, Van Eeden avait,
pour des motifs ethiques, condamne une litterature oil ii voyait une
exaltation d'une jouissance egoiste et sensuelle 2). ,,Vous, amoureux du
Verbe, adorant vos propres levres, vous avez fait de votre Ame divine,
en la vendant, l'esclave de vos yeux, de vos oreilles, de votre bouche,
de votre nez, de votre peau" 3). La lecture du roman de Van Deyssel
le remplit d'une haine „lourde, briilante". „Celui qui erige des temples
pour adorer le Verbe, en y sacrifiant toute son energie, tout son corps,
toute son Arne — il commet de l'idolatrie, c'est un mêchant homme" 4).
A cote de lui, il y avait Frans Erens qui, par son contact immediat
avec les auteurs symbolistes, fut un des premiers a signaler a ses amis
hollandais les beautes d'un art intime, plein de poesie et de mystere.
L'un et l'autre saluaient avec joie les tendances nouvelles, tout en
1) Voir preface de Pierre et Jean, p. XIV.
2) Dans un article, intitule Woordkunst [Ecriture artiste], voir Studies, IV,
p. 292-379.
3) art. cit., p. 378. „Gij, verliefde van het woord, minnaar van uw eigen lippen,
Gij hebt uw Goddelijke ziel tot slaaf verkocht aan uw oogen, uw ooren, uw mond,
uw neus, uw huid".
4) ibid., p. 373. „Die tempelen bouwt voor het Woord en het aanbidt — wie daaraan offert zijn gansche levenskracht, zijn geheele lichaam en zijn geheele ziel —
die pleegt afgoderij, die is een slecht mensch".
3
34
s'inspirant, semble-t-il, de l'art de ces „decadents", auxquels ils consacrent, dans les premieres livraisons du Nieuwe Gids, d'enthousiastes
articles 1).
L'aversion de la realite „basse", la soif des sensations poetiques favorisait particulierement l'accueil d'une tendance oil l'on ecoutait, avec le
meme devouement que les impressionnistes avaient mis a etudier le
monde exterieur, les voix secretes, chuchotantes de la vie interieure.
A cet egard it est curieux de signaler l'essai que Maurice Barres, par l'intermediaire de Frans Erens, publia dans un des premiers numeros du
Nieuwe Gids, sous le titre L'Esthdtique de demain: l' Art suggestif 2). Dans
cet article, qui est en partie un violent requisitoire contre les auteurs
naturalistes, Barres se fait le defenseur des jeunes, d'un Edouard Rod,
d'un Paul Bourget, d'un Huysmans, de ceux qui, selon lui, s'etaient
„installes dans le domaine de l'idee". „Les nouveaux venus, disait-il,
s'attachent a reflechir sur les choses, a &passer la simple notation des
faits; ils s'acheminent a la metaphysique". „Un mouvement tournant,
le plus curieux de ce siecle, peut etre pressenti. De ces negations accumulees eclOt une fleur de mysticisme" 3).
Méme Van Deyssel, qui avait, avec tant d'enthousiasme, applaudi au
naturalisme francais, ne tarde pas a se convertir et a se &gager de ses
premieres influences. En plein triomphe de l'impressionnisme, it 6crit
son fameux article De Gedachte [La Pensde] (1888) qui marque sa repugnance de ce qu'il qualifiait d'un „art sensuel, qui ne peignait que des
obscenites" 4). „Ce qui manque aux poetes et aux prosateurs modernes,
dit-il, c'est la pensee. S'ils sont lyriques, ils ne donnent que des sensations,
s'ils sont epiques, ils ne decrivent que la vie primitive, bestiale, et non
seulement la vie bestiale, mais la bestialite repugnante" 5).
1) F. van Eeden, art. Decadenten [Les Dicadents] (Laforgue, Dujardin et Barres),
De Nieuwe Gids, 1890, I, p. 86; voir aussi ses Studies, I, p. 105-138; dans De
Nieuwe Gids, 1885, II, p. 149, Erens consacre un article aux Hantises de Dujardin,
parle en meme temps de Mallarme, de Wyzewa, de Villiers de l' Isle Adam.
2) De Nieuwe Gids, 1885-'86, I, p. 141-146. Cet art suggestif, qu'annoncait
Maurice Barres dans son article, nous le retrouvons chez plusieurs auteurs de cette
époque, d'une fawn três prononcee meme dans les romans de Couperus, Eline V ere et
Noodlot [Fatalite], oil la fatalite est plutOt suggêree que decr.te, cf. Van Deyssel,
Over Louis Couperus [Sur Louis Couperus), Verz. Werken, IV, p. 323, „omdat de
auteur de aanwezigheid dier Fataliteit niet beschreef, maar het gevoel er van
ongemerkt verwekte".
3) art. cit., p. 143.
4) L. van Deyssel, Verz. Werken, IV, p. 159, „deze zinnelijke en walgelijkhedenbeschrijvende kunst".
5) ibid., p. 159. „Aan die dichters en prozatoren dus ontbreekt de gedachte. Schrij-
35
Il est evident qu'aux ivresses de la premiere heure devait succeder une
periode de recueillement, de desenchantement. On se rend compte du
peu de benefice qu'apporta pour Fame un art qui plaisait avant tout
aux sens. C'est alors que l'influence d'un Huysmans ou celle d'un Maeterlinck se font sentir. Avec autant d'enthousiasme qu'il avait salue trois
ans auparavant La Terre, Van Deyssel applaudit maintenant a La-Bas
(1891). „Ce livre de Huysmans est plein d'une force grandiose et suggestive et d'un inter& immediat. — Grand Dieu! ce Moyen-Age ! Oui, il
faut que j'y aille aussi. C'est mon pays. „Depuis quatre siecles le monde
n'a fait que &choir" dit Huysmans. Parfaitement; c'est ce que je souligne
d'un trait rouge" 1). Quelques annees plus tard, en 1895, parait de sa
main le fameux article Van Zola tot Maeterlinck [De Zola a Maeterlinck],
oil it analyse avec beaucoup de penetration l'evolution: observation —
impression — sensation — extase". „La Sensation, dit-il, s'ecarte par
son essence de l'Observation. Elle se distingue par le &placement des
parois et la decoloration de la vie perceptible a nos sens et nous introduit
experimentalement, positivement et materiellement dans la realite de
l'au-dela, dans le Tres-Haut, qui ne nous etait apparue jusqu'ici que
comme une vie imaginaire". „Et c'est pourquoi celui qui a parle pour
la premiere fois de la Sensation — oh, sans le savoir, mais d'une voix
fremissant d'espoir — a ouvert les portes lumineuses du bonheur a
l'humanit6 accablee de nos fours" 2). C'est alors que Van Deyssel peut
ecrire que les romans de Zola n'avaient plus rien a faire avec la vie
spirituelle de cette époque, qu'il salue avec enthousiasme Extaze (1892)
de Couperus et La Faute de Madame Charvet (1895) de Camille Lemonyen zij lyriek, dan geven ze niets dan stemmingen, schrijven zij epiek, dan geven
ze alleen het dierlijke-leven, en niet alleen het dierlijke, maar alleen het laagdierlijke".
1) Verz. Werken, V, p. 104. „Vol grandioos suggestive kracht en akuut interessant
is het boek van Huysmans. Groote God, die Middeleeuwen ! Ja, ik moet er ook
na toe. Dat is mijn land. „Depuis quatre siêcles le monde n'a fait que dechoir",
zegt Huysmans. Precies. Daar zet ik een rooye streep onder".
1) ibid., IV, p. 32o, 321. De Sensatie verschilt in wezen van de Observatie,
Zij kenmerkt zich door de verschuiving der wanden en het verschieten
der kleuren van het zintuigelijk waarneembare leven en voert ons experimenteel, positief en materieel in het andere leven, de realiteit van het hoogereleven, dat ons zoo lang alleen eene verbeeldings-voorstelling had geleken". „En
daarom heeft hij, die het eerst van Sensatie heeft gesproken, — och, zonder het
to weten, maar met hoop-bevende stem — de lichte gelukspoorten opengezet voor
de duistere menschheid dezer tijden".
36
vier, „ce travailleur admirable qui a su s'assimiler si completement cette
nouvelle fawn de sentir et de comprendre la vie" 1).
Avec Huysmans, le theatre de Maeterlinck, ainsi que l'ceuvre des
mystiques romantiques allemands (Novalis, Eckhart) commencent a
attirer l'attention. En 1894, le theatre de L'Euvre, sous la direction de
Lugne-Poe, joue a Amsterdam des pieces d' Ibsen et de Maeterlinck
(Rosmersholm, L'Ennemi du Peuple, Pelleas et Melisande). Heijermans,
sous le coup de son enthousiasme, part pour Paris oil it visite les „Mardis",
sejour qui lui inspire son Fleo. Maeterlinck lui-meme, comme le jeune
Andre Gide dans ses Cahiers d' Andre Walter (1891), s'inspire des themes
du romantisme allemand 2), apres s'etre passionne pour l'ceuvre de
Ruysbroeck, dont it traduit en 1891 Die chierheit der gheesteleker brulocht
[L'Ornement des Noces Spirituelles] 3). Chez nous Diepenbrock 4) et Van
Deyssel, qui depuis 1890 se sont lies d'une amitie profonde 5), s'inspirent
des mysterieuses beautes qu'ils decouvrent dans Novalis, dans BOhme
1) ibid., II, p. 331. „Het blijft uiterst veel genoegen doen, dat deze voormalige
uitmuntende naturalistische werker zich in deze andere levensvoeling zoo door
en door heeft weten in to dringen".
2) Il publie en 1895 les Disciples a Sais et les Fragments de Novalis.
3) Qu'Erens traduira plus tard (1917) en hollandais moderne (Het Sieraad der
Geestelijke Bruiloft).
4) Alphons Diepenbrock (1862-1921) fait a Amsterdam de brillantes etudes de
langues classiques; it se consacre surtout a la musique qui est sa passion, pour
devenir un de nos plus celêbres compositeurs; a ses debuts it subit les influences
de Wagner, de Cesar Franck, de Mahler, de Debussy; ii met en musique certaines
poesies de Perk, de Verwey, de Novalis, de Verlaine et de Baudelaire; ses essais
qu'il publie entre 1891 et 1911 dans diverses revues (dans De Nieuwe Gids et De
Kroniek) sur des sujets d'ordre divers (musique, litterature, peinture), se trouvent
reunies dans un recueil posthume Ommegangen [Processions], Amsterdam, Van
Munster's Uitg. Mij., s.d. Nous y signalons l'article qu'il a ecrit en 1892 a propos
du Latin mystique de Remy de Gourmont (avec preface de J.-K. Huysmans), qui
est un document curieux sur sa mentalite spirituelle. Lire aussi dans De Nieuwe
Gids, 1891-'92, I, p. 291 sqq. son article Melodie en Gedachte [La Melodie et la
Pensle] qu'il intitule De Muziek in de intellectueele evolutie [La Musique dans
l'evolution intellectuelle], avec, en epigraphe, une citation de Mallarme. „ Je crois
que la poesie est faite pour le faste et les pompes supremes d'une societe constituee
oil aurait sa place la gloire dont les gens semblent avoir perdu la notion".
5) Cf. L. van Deyssel, In Memoriam Dr. Alphons Diepenbrock, Persoonlijke herinneringen [En mdmoire de Alphons Diepenbrock, Souvenirs personnels]. De Nieuwe
Gids, 1921, I, p. 749. „Nous avions plusieurs sympathies litteraires communes.
Ainsi pour Novalis, pour Verlaine et encore pour Peladan". (Wij hadden verschillende gemeenschappelijke literaire sympathieen. Zoo voor Novalis, voor Verlaine,
en ook voor Madan).
37
et Ruysbroeck. Diepenbrock, grand musicien, qui est un des premiers
chez nous a applaudir et a defendre l'art de Wagner 1), s'enthousiasme
encore pour les nouvelles tendances en peinture (Puvis de Chavannes,
Derkinderen) et en litterature. Ii admire profondement l'oeuvre de
Baudelaire, de Verlaine, de Mallarme, de Huysmans, de Remy de Gourmont, de Villiers de l' Isle Adam. II accueille avec joie la premier roman
d'Arthur van Schendel, Drogon 2), qu'il considere comme un des premiers
symptOmes heureux d'une nouvelle orientation.
En 1892, W. G. C. Bijvanck avait recueilli dans Un Hollandais a Paris
en 1891 3) ses aimables, mais peu profondes causeries avec les auteurs
symbolistes Moreas, Verlaine, Mallarme, Maurice Barres, Marcel Schwob
et d'autres. Meme Maurits Wagenvoort, que pour son mepris des conventions et sa peinture realiste de la passion 4) on a pris generalement
1) Voir Ommegangen, p. 19, oil it loue Henri Viotta d'avoir „introduit dans notre
pays l'art plein de lumihre de Wagner" (hij, die de heerlijkheid van Wagner's kunst
heeft gebracht in ons land). On sait que Van Santen Kolff, avec Nolthenius et
Viotta, merite d'être nomme comme un des pionniers du wagnerisme dans notre
pays; it passe quelque temps chez le maitre a Wahnfried; dans plusieurs revues
hollandaises et allemandes it consacre des articles h son art; lire entre autres De
Nibelungen-Repetities to Bayreuth in Juli en Augustus 1875 [Les Rdpetitions des
Nibelungen a Bayreuth en juillet et aoiit 1875]. De Banier, 1876, I, p. 97-148,
p. 229-280; II, p. 166-187; III, p. 174-198, p. 213-291.
2) Voir De Kroniek, 27 dec. 1896, Diepenbrock loue cette oeuvre parce que l'auteur
s'est liberó du „principe que Goncourt formulait par le mot d'ordre de l'epithete
rare"; l'epithete rare ne doit etre que le moyen d'arriver a un but plus eleve, et
la description pour la description est le signe evident de la decadence de la litterature (dit boekje vrij van het beginsel, dat de Goncourt formuleerde met het
wachtwoord „l'epithete rare"; l'epithete rare moet nooit anders zijn dan middel
tot een hooger doel, en de beschrijving om de beschrijving is het onmiskenbare
teeken van verval der literatuur); l'idee, dit D., est plus elevee que la sensation,
parce que la premiere comporte naturellement la deuxiême et non pas inversement
(de idee is hooger dan de sensatie, omdat de eerste vanzelf de tweede in zich
bevat en niet omgekeerd). Voir a propos de cet article, qui se trouve imprime
en preface a la 2e edition de Drogon (1935), F. Coenen, Groot Nederland, 1935, p. 109.
3) W.-C.-G. Bijvanck, Un Hollandais a Paris en 1891, Sensations de litterature et
d'art, avec une preface d'Anatole France. Paris, Perrin & Cie, 1892.
4) Voir son roman Een Passie (1893). On trouve dans ce roman, peut-etre sous
l'influence des prc-, cedes symbolistes, un emploi frequent de la synesthesie, cf. Kleine
Studies, p. 233, oil it dit (en 189o): „La musique, la peinture et la litterature se
rapprochent,- dans leurs manifestations, de plus en plus et l'on sent qu'il y aura
un temps qui verra naitre un nouvel art: celui qui sera la fusion de ces trois arts
ensemble" (De muziek, de schilderkunst en de literatuur naderen in hare uitingen
elkaar meer en meer en men kan gevoelen, dat er een tijd zal komen, die eene nieuwe
kunst zal zien ontstaan: zij die de vereeniging zal zijn van deze drie kunsten tezamen).
38
pour un auteur naturaliste, se revele dans ses Kleine Studies [Petites Etudes]
(1892) 1) un grand admirateur de Maurice Barres et des tendances nouvelles. „Une chose est certaine, dit-il, c'est que les j ours du naturalisme
sont comptes et que ceux qui debutent en ce moment dans la litterature
n'ont aucune envie de le sauver en y pretant leurs jeunes forces" 2), et
plus loin „Aujourd'hui les hommes en ont joliment assez de la conception
naturaliste de la vie et on voit déjà se manifester chez eux la seule
reaction possible: la reconnaissance de ce que Maurice Barres appelle
l'Inconscient et que nous pouvons aussi bien etiqueter par le mot: TouteConscience (het albewustzijn) 3). Dans une lettre a M. P. Valkhoff (clatee
du I er juillet 1915) Wagenvoort ne renie point son admiration qu'il eut
autrefois pour les naturalistes, mais souligne que Barres seul l'a influence 4). „Lui (Zola) et Daudet, dit-il, ont certainement contribue a ma
premiere formation; j'aurais tort envers moi-meme, je crois, de reconnaitre que quelque auteur a ete assez puissant pour me captiver tellement
qu'on saurait retrouver de lui certaines traces dans mon oeuvre. Pourtant
it faut, ajoute-t-il, que je fasse une exception pour Maurice Barres" 5).
Que les poetes et les prosateurs de la „decadence" suscitent ici bien
des enthousiasmes, c'est ce que prouvent les premieres livraisons d'une
revue nouvellement fondee, De Kroniek [La Chronique] (1895), sous la
direction de P.-L. Tak, qui s'assura la collaboration des modernes 6).
Outre des articles sur le symbolisme, sur la nouvelle peinture on trouve,
en feuilleton, des traductions de Rachilde 7), de Poe, de Villiers, de
Marcel Schwob, de Baudelaire, de Gerard de Nerval, de Rette.
1) Vosmeer de Spie, Kleine Studies. Amsterdam, D. Buys Dz., 1892.
2) ibid., p. 128. „Maar dit is zeker: de dagen van het naturalisme zijn geteld en
zij wier litterair leven nu begint, gevoelen geen neiging het, door er hunne jonge
krachten aan te leenen, te redden".
3) ibid., p. 133, „dat de menschen van harte genoeg hebben van de materialistische
levensbeschouwing en dat in hen reeds de eenig-mogelijke reactie werkt: de erkenning van wat Maurice Barres l'Inconscient noemt en wij met het woord albewustzijn even duidelijk etiketteeren".
4) Voir dans Kleine Studies, p. 105 sqq., son excellente etude sur La Bete humaine.
5) „Hij en Daudet hebben zeker een deel gehad in mijn eerste vorming, ofschoon
ik mijzelf onrecht zou doen, geloof ik, door te erkennen, dat eenig schrijver krachtig
genoeg geweest is om mij zoo onder zijn ban te brengen, dat van hem bepaalde
sporen in mijn werk zouden zijn aan te wijzen. Ik moet echter een uitzondering
maken voor Maurice Barres".
6) Parmi lesquels nous citons P.-L. Tak, Diepenbrock, Jan Kalf, Jan Veth, H.-P.
Berlage Kz., Andre Jolles, Frans Coenen Jr., M.-C.-L. Lotsy.
7) Voir sur Rachilde: Henriette Charasson, Revue de Hollande, IV, p. 977 sqq.
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Hein Boeken (1861-1933), vieil ami de Kloos et createur d'une poesie
suggestive, curieusement originale, correspond avec Mallarme, Paul Fort,
Frederic Mistral et la poftesse Jacques Treve (pseud. de Louise Ducot).
Verlaine aussi suscita bien des enthousiasmes. Kloos dit, a propos de
Sagesse et Amour et des Romances sans Paroles que „c'est le maitre que
personne n'egale" 1). C'est en 1892, sur l'invitation des jeunes qu'il vient
en notre pays faire quelques conferences, sej our dont on lit dans ses
Quinze fours en Hollande les pittoresques souvenirs 2).
Le symbolisme devait eveiller ici des resonances d'autant plus vives
qu'il repondait a un autre trait „national", non moms profond que
l'amour du detail pittoresque, c'est-h-dire un besoin d'intimit6, de recueillement, la soif de sensations poetiques, de nuances 3), de mystere,
qu'accentuait encore la reaction a une époque foncierement materialiste.
„Pour nous autres Hollandais, disait Erens, la vie intime et profonde
est le veritable terrain oil fleurissent nos lettres . . . . Ce qui fait notre
gloire, c'est la simplicite 4), qu'Erens croit discerner dans l'oeuvre de
Ruysbroeck, de Thomas a Kempis, de Vondel aussi 5).
Bien que sa partialite le rende injuste envers notre production realiste
qui s'inspire d'une observation precise des menus faits, Erens a raison
de voir la une des plus curieuses exigences de notre esprit. Ce besoin
de reve, de meditation, de repliement sur soi-meme n'etait pas sans
entraver l'epanouissement du naturalisme, qui, ne l'oublions pas, prit
naissance ici au moment se manifestent en France les premieres reactions vives contre ces tendances. Le symbolisme naissant en a accelere la
fin, l'a cktourne de sa mission initiale, comme it parait en avoir reduit,
adouci les exces. L'horreur des bassesses, des trivialites de la vie quoti1) W. Kloos, Veertien Jaar Literatuur-Geschiedenis, II, p. 231. „Verlaine is de
Meester, en nevens hem niet 6en".
2)Voir aussi Ph. Zilcken, Au Jardin du passe. Paris, Messein, 193o, p. 97 sqq.
3) L'auteur de 188o est particuliêrement sensible aux nuances atmosphêriques, ce
qui explique l'explosion de la „poesie de la nature" a laquelle nous assistons ici
(cf. la poesie de Jacques Perk, de Winkler Prins, de Herman Gorter), de meme
que l'influence qu'ont exercee sur cette poesie les pokes „naturalistes" anglais,
Shelley et Keats, cf. G. Dekker, op. cit.
4) De Amsterdammer du 2 juillet 1911. „De innerlijke levensdiepte is voor ons
Hollanders dan ook het ware terrein, waarop onze letterkunde zich het best beweegt . . . . Onze glorie is de eenvoud van Ruysbroeck, Thomas a Kempis, van
Vondel". Cf. aussi Just Havelaar, De Gids, 1916, II, p. 243-28o, art. Holland
[La Hollande j, ou it s'essaye a faire une analyse de notre genie artistique.
5) Dans notre etude sur Erens on peut lire comment lui le premier subit le charme
de la nouvelle poesie symboliste.
40
dienne explique que nous ayons rejete, consciemment ou non, le soidisant realisme „rosse", dont nous voyons dans la litterature francaise
les exemples truculents. La „rosserie" etait, dans le naturalisme hollandais, un element auquel la mentalite de nos auteurs semblait nettement
hostile. Its n'admiraient la licence du langage qu'en tant qu'elle etait
l'effet d'une attitude artistique. Si certains auteurs, s'inspirant des principes naturalistes, se sont hasardes a meler dans leurs recits des expressions triviales, choquantes, ils s'y sont pris en tout premier lieu pour ne
pas desobeir a un mot d'ordre; au fond leur sentiment esthetique ne
faisait que s'effaroucher devant l'indecence crue, a laquelle semblaient
se complaire les romanciers francais 1).
Par suite du pedantisme et de l'obscurite oil tombaient plusieurs de
ses partisans, la litterature impressionniste devait provoquer les plus
vives reactions. On protestait contre un art qui mutilait notre langue;
ce a quoi on voulait revenir, c'etait une langue plus naturelle, plus „humaine", intelligible a toes. Carel Scharten par exemple critiquait severement ce qu'il appelait la „decadence du style descriptif", meprisant de
tout son coeur ce „culte du verbe" qui aboutissait d'apres lui a une
meconnaissance de la langue meme 2). Albert Verwey 3), egalement,
reprochait a ses contemporains leur exclusivisme; a leur ideal, celui de
l'auteur de l'art pour l'art, it oppose le sien, plus humain et plus social.
A ses cotes se range Willem Paap, un des fondateurs du Nieuwe Gids,
dont le roman Vincent Haman (1898) est une satire violente contre la
corruption de la langue litteraire, qui avait cesse d'être l'expression vraie
d'une inspiration artistique 4).
Les circonstances politiques n'etaient pas, semble-t-il, sans influencer
cette evolution; ce sont surtout les auteurs socialistes, Herman Gorter 5),
1) Ainsi Van Deyssel en vient a supprimer dans la deuxiême edition de son roman
Een Liefde[Un A mour] (1889) les expressions triviales, non pas que, comme certains
l'ont cru, it abdique devant l'opinion publique, mais parce qu 'elles ne lui ,,semblaient pas etre conformes a un bon gout litteraire" (ze leken mij niet in overeenstemming met 'n goeden literairen smaak, cf. De mannen van '8o, p. 20).
2) Cf. De Gids, 1904, IV, p. 544.
3) Voir encore, sur lui, la page 105 de notre etude.
4) Cf. Menno ter Braak, dans sa preface a la 3e edition de Vincent Haman. Amsterdam, Em. Querido, 1936, p. 15.
5) Herman Gorter, le célèbre poête de Mei [Mai], ecrit son requisitoire trés partial
contre les Auteurs de 188o dans un article Kritiek op de Literaire Beweging van
188o in Holland [Critique sur le mouvement litteraire de i88o en Hollande]. DeNieuwe
Tijd, 3e annee, pp. 168, 603 sqq.
41
Adama van Scheltema 1), R. N. Roland Hoist 2) qu'on entend faire les
plus violentes objections contre l'individualisme outré des Auteurs de
l'art pour l'art; ce qu'ils blamaient chez eux, c'ëtait leur tendance „bourgeoise" a exalter leurs sensations individuelles, a glorifier leur moi au
lieu de consacrer leurs talents a une litterature en fonction d'une societe
nouvelle. Malgrê cette defense d'un art anti-individualiste, les auteurs
de cette époque sacrifiaient difficilement un style qu'ils cultivaient a
l'exces. Meme Heijermans, Querido, qui avaient le plus vigoureusement
attaque la doctrine de l'art pour l'art, n'ont pu se degager d'une tendance
esthetique qui parait les avoir seduits au plus haut point. Ce n'est que
dans les annees d'apres-guerre, a l'epoque de la pretendue „objectivite
nouvelle" 3), que semble se clore definitivement une periode d'art, foncierement nationale 4), it est vrai, mais dont les origines profondes
remontent a Flaubert et a l'ecole litteraire venue apres lui.
FRANS NETSCHER (1864-1923)
Un auteur chez qui l'influence du naturalisme francais se fait le plus
nettement sentir, dans son oeuvre comme dans ses conceptions artistiques, a ete Frans Netscher 5). Ne en 1864 a La Haye, it y fit ses etudes
au lycee classique ou it connut, outre son ami Louis Couperus, les professeurs Jan ten Brink en A.-D. Stellwagen, qui eveillerent en lui le gout
des lettres. Mais celui qui a eu sur sa formation litteraire une influence
decisive, c'a ete son oncle J.- J. van Santen Kolff. A la suite d'une dis1) C.-S. Adama van Scheltema, De grondslagen eener nieuwe poezie [Les bases d'une
poe'sie nouvelle] avec son sous-titre significatif Proeve tot een maatschappelijke
kunstleer tegenover het naturalisme en anarchisme, de tachtigers en hun decadenten
[Essai d'une doctrine litteraire a l'oppose du naturalisme et de l'anarchisme, des
.Auteurs de 188o et de leurs de'cadents]. Rotterdam, W.-L. & J. Brusse, 1907.
2) R.-N. Roland Holst, Over kunst en kunstenaars [Sur l'art et les artistes]. Amsterdam, Meulenhoff, 1923; voir surtout l'article sur, Jozef Israels (ecrit en 1909).
3) Un de ses plus curieux representants, l'auteur Menno ter Braak, a attaque,
sous la suggestion de Larbaud par exemple, mais surtout de Stendhal (Souvenirs
d'Egotisme) la „manie stupide de la description" (de beschrijvings-stupiditeit), oil
it voit „un complexe d'inferiorite pictural" (dat schilderen met woorden is een
picturaal minderwaardigheidscomplex), cf. Forum, 1932, p. 671 sqq., art. Het
Schrijverspalet [La palette de l'ecrivain].
4) Contrairement a ce que pretend H. van Loon dans son article Is de beweging
van '8o een nationale beweging geweest? [Le mouvement de '8o a-t-il dtd un mouvement
national?), Ons Tijdschrift [Notre Revue], 1912, pp. 89-108, oil l'auteur croit
discerner dans l'individualisme effrene des Auteurs de 188o et leur attitude antireligieuse un caractere et des origines anti-nationaux.
5) Pour la biographie et la bibliographie voir Den Gulden Winckel, 1913, p. 16.
42
cussion sur la valeur de l'ceuvre de Zola que sa mere eut un jour avec
son frere, Netscher fut amene a lire cet auteur „detestable", lecture
que sa mere lui avait deconseillee. „Ainsi, c'est un peu par hasard,
disait-il, que je decouvris l'auteur qui exprimait ce que j'avais inconsciemment senti en moi". „Aprês, je lus successivement Flaubert,
Balzac, les Goncourt, Huysmans, et tout le groupe de Medan" 1).
Ses etudes finies, Netscher fut nomme stenographe a la Chambre des
Deputes (Tweede Kamer), et joua a La Haye un certain role dans un
club litteraire „Het Vlondertje" (Le Ponceau), oil se retrouvaient egalement les peintres et litterateurs qui etaient membres du „Spectatorclub". Vers la fin de 1884 it apprend a connaitre Arij Prins qui, lui aussi,
s'interessait vivement au mouvement litteraire en France. L'enthousiasme que professait Netscher pour l'ceuvre des naturalistes 3), joint a
son mepris de la litterature hollandaise contemporaine 4), l'amena a se
faire ici le champion des principes et des conceptions d'art que defendaient les auteurs naturalistes. Ainsi parurent de sa main dans diverses
revues plusieurs articles 5), tous consacres au naturalisme et a ses re1) E. d'Oliveira Jr. De Mannen van '8o aan het woord [Propos des Hommes de 1880],
Amsterdam, Ned. Bibl., s.d., p. Ioo, IoI. „Toevallig vond ik zoo den schrijver, die
uitte wat ik onbewust in mij had . . . Van zelf kwam ik toen op Flaubert, Balzac,
de Goncourt's, Huysmans en de heele cênicle van Medan."
2) op. cit., p. rm.
3) Netscher ne tarde pas a entrer en correspondance avec Zola; quelques-unes des
lettres que lui envoya Zola, ont ete publiees dans De Nieuwe Gids, 1931, I, p. 69 sqq.
Il correspondait aussi avec George Moore, lisait beaucoup Claude Bernard dont
it disait: „Voila notre homme". (De Mannen van '8o, p. 107, Ik las vooral Claude
Bernard. Dat was onze man). Plus tard, en i888, pendant un sejour a Paris, Netscher apprendra a connaitre personnellement Zola, Paul Margueritte et Huysmans
(voir son analyse de caractêre sur Zola dans De Hollandsche Revue, 1902, p. 634 sqq.).
4) Voir dans De Nieuwe Gids, 1886, I, p. 329 sqq. sa critique violente sur Justus
van Maurik (1846-1904), auteur d'histoires sentimentales ou humoristiques, qui
lui avaient valu une immense popularite,
5) Cf. Paul Margueritte: Een proeve van naturalistische kritiek [Un essai de critique
naturaliste] dans De Amsterdammer du II oct. 1885; Cherie dans Nederlandsch
Museum, 1884, II, p. 69-112; that wil het naturalisme? [Que vent le naturalisme fl
dans Nederland, 1885, II, p. 433-462; III, p. 63-98; Het naturalisme in Engeland
[Le naturalisme en Angleterre] (George Moore) dans De Gids, 1886, I, p. 71-91;
Het Daghet uyt den Oosten [L'aube d'une ere nouvelle] dans De Nieuwe Gids, 1886,
II, p. 332-360; Een Zweedsche Naturalist [Un naturaliste sue'dois] (Strindberg)
dans De Portefeuille, 1885/6, p. 330, et dans sa critique sur De Malavoglia's,
traduction d'aprês le naturiste G. Verga, Utrecht, van J.-L. Beij ers, 1885, voir
De Amsterdammer du 20 et du 27 dec. 1885.
43
presentants, visant a la plus large diffusion des nouvelles theories litteraires. Continuant ainsi, en quelque sorte, l'ceuvre de Jan ten Brink
et de Van Santen Kolff, Netscher ne manqua aucune occasion de professer
sa foi dans le naturalisme, a ses yeux „la litterature de notre age scientifique" 1). C'est surtout dans l'article W at wil het naturalisme ? [Que veut
le naturalisme .P ] qu'il se fait le fervent ddenseur des idees de Zola, copiant
et citant des passages entiers dans le Roman experimental et les Lettres
a la Jeunesse. D'un ton assez pedantesque 2) ii ne fait que glorifier a
tort et a travers la superiorite du roman experimental. Ses arguments
et ses raisonnements sont ceux de Zola, appuyes encore de nombreuses
citations empruntees a L'Introduction a l' Etude de la mddecine experimentale de Claude Bernard et a L'Evolution du naturalisme de Louis
Desprez. Meme par ses appreciations les plus subjectives it ne s'ecarte
nullement des vues personnelles de son grand predecesseur. Quand
celui-ci dit que le reve du physiologiste et du medecin experimentateur
est aussi son reve a lui, qu'il applique a l'etude naturelle et sociale de
l'homme la methode experimentale, qu'il veut etre le maitre des phenomerles, des elements intellectuels et personnels, pour pouvoir les diriger,
qu'il veut apprendre a etre maitre du bien et du mal, regler la vie et la
societe, apporter des bases solides a la justice en resolvant par l'experience
les questions de criminalite, Netscher developpe, suivant de fres pres
son exemple, un programme analogue, finissant comme Zola, par s'exclamer: „ Je ne connais presque pas de tache plus elevee" 3).
S'inspirant des methodes de Zola, Netscher croit avoir decouvert la
voie ou devaient s'engager les lettres hollandaises, „si elles ne voulaient
pas rester en arriere dans la lutte du progres logique" 4). Notre roman,
1) Nederland, 1885, II, p. 435, „de letterkunde van onze wetenschappelijke eeuw".
2) Voici sa maniere, dont Van Deyssel s'est moque dans son article Over Literatuur.
„Comment la methode du naturaliste se joint a celle du savant sera clair par
l'exemple suivant. Arretons-nous un moment a la methode mathematique du
physicien. Supposons que d'un objet lui fit donne etc." (Hoe de methode van den
naturalist zich aansluit op die van den geleerde kan duidelijk worden uit het volgende voorbeeld. Laten wij even stilstaan bij de wiskundige leerwijze van den
natuurkundige. Veronderstel, dat hem van een voorwerp gegeven ware etc., art. cit.,
P . 451)
3) Ned., 1885, II, p. 457. „Ik ken bijna geen verhevener taak", cf. E. Zola, Le
Roman Experimental, p. 24. „ Je ne sais pas, je le repête, de travail plus noble."
4) Ned., 1885, II, p. 435. „den weg die ook weldra de Hollandsche letteren zouden
moeten inslaan, wilden zij niet in den strijd des logischen vooruitgangs een der
achterblijvers worden".
44
dit-il, dans un article Het daghet uyt den Oosten, a besoin d'une formule
nouvelle. Dans les circonstances actuelles le naturalisme est une question
vitale pour le roman hollandais. Cette tendance artistique presente en
ce moment la formule du roman qui se conforme le mieux aux orientations
de l'epoque" 1). D'apres lui, l'auteur doit mettre a profit les resultats de
la science; il lui faut etudier Darwin, Spencer, de meme que le travail
sur l'heredite de Prosper Lucas 2). Ainsi Justus van Maurik ne trouvait
aucune grace a ses yeux, seulement parce qu'il ignorait totalement la
methode de l'observation et de l'experimentation. „Il compte parmi ces
realistes puritains dont l'art n'est qu'un art hybride, l'art a la feuille
de vigne. Nos pasteurs hollandais nous ont (MP. assez embetes avec leurs
digressions abstraites et ennuyeuses sur la vertu, la pike, le devoir,
l'amour, sans qu'ils visent, par l'etude et l'analyse, a peindre la realite
de la vie sous l'influence de tous les facteurs qui la composent" 3).
L'engouement des methodes et des principes naturalistes 4) l'amene
a les admettre comme base de la critique d'art litteraire. D'apres lui
celle-ci serait dorenavant une oeuvre d'analyse, la recherche du rapport
1) De Nieuwe Gids, 1886, II, p. 346. „Onze roman heeft een nieuwe formule noodig.
In de gegeven omstandigheden is het naturalisme een levensquestie voor den.
Nederlandschen roman. Deze kunstrichting verkondigt op dit oogenblik de romanformule, die het best in overeenstemming met de tijdsverschijnselen gebracht is".
2) Dr. Prosper Lucas, Traitd philosophique et physiologique de l'He'reditd, 1850;
voir aussi P. Martino, Le naturalisme francais. Paris, A. Colin, 1923, p. 39, 40.
3) De Nieuwe Gids, 1886, I, p. 341, 342. „De methode der waarneming en der
proefondervindelijke leerwijze waren hem volslagen onbekend. Hij behoort tot de
puriteinsche realisten, zijn kunst is bastaardkunst, het realisme met een vijgeblaadje.
Onze hollandsche dominees hebben lang genoeg gewouweld en gefemeld, lamlendige
predikaties gehouden over allerlei afgetrokken thema's van deugd, godsvrucht,
plicht, liefde, enz.; zij beoogen niet door bestudeering en analyse de realiteit van
het leven onder de invloed van al zijn samenstellende faktoren of to maken".
4) A plusieurs reprises Zola a su gre a Netscher de la propagande qu'il faisait en
Hollande en faveur du naturalisme. En 1884 il lui fait hommage d'un exemplaire
de Germinal, en le remerciant de ce qu'il avait fait en Hollande „pour la defense
de ses oeuvres" (lettre du 5 mars 1884). Le 25 septembre 1885 il lui &fit: „Je vous
suis três reconnaissant des efforts que vous faites pour plaid.er ma cause devant
vos compatriotes. Je vous sais três brave, je suis certain de votre triomphe. Vous
aurez en Hollande la place de Verga en Italie et de George Moore en Angleterre.
Partout la victoire sera avec la verite". Le t er dêcembre 1885 Zola le prie de lui
envoyer quelques notes breves sur le naturalisme en Hollande, afin qu'il puisse
s'en servir dans la preface qu'il allait ecrire au roman La Femme du Cabotin de
Moore. Le 2 janvier 1886 Zola &fit: „Vous verrez certainement le mouvement
grandir chez vous et vous en serez un des soldats victorieux". Voir pour plus de
details De Nieuwe Gids, 1931, I, p. 69-72.
45
entre l'oeuvre d'art et l'auteur, la recherche de l'influence de la race,
du temps 1) et du milieu sur les produits de certains artistes. „Le critique,
disait-il, dans „un essai de critique naturaliste" sur Paul Margueritte 2),
doit se mettre au point de vue de l'homme de science, juger avec l'impartialite du savant; l'ceuvre d'un auteur doit etre consideree comme
„le corps sur lequel it faut faire une vivisection; retroussez vos manches
et plongez-y le scalpel" 3). Il pretend que le \critique, pour juger l'oeuvre
d'art, se mette lui-meme hors de cause, qu'il ne fasse pas valoir ses sentiments et ses opinions personnels qu'il apprecie avec la meme impassibilite
que l'auteur naturaliste met a ecrire ses romans 4). Ces assertions, que
lui dictent evidemment ses sympathies nouvelles, lui ont valu les severes,
mais justes reproches de Van Deyssel et d'Albert Verwey. Ce dernier,
pretendant avec raison que la critique etait precisement une question
de gait personnel, qu'elle ne visait qu'a „decrire aussi exactement que
possible les impressions qu'une oeuvre d'art fait sur nous" 5), lui conseille
d'etudier le chapitre de Zola sur l'Expression personnelle dans son Roman
experimental et notamment la phrase: „Un grand romancier est, de nos
jours, celui qui a le sens du reel et qui exprime avec originalitê la nature
en la faisant vivante de sa vie propre" 6). C'est justement faute d'individualites, telles que Multatuli ou Zola, disait Verwey, que la critique
et l'art de notre pays se trouvent dans un 6tat si deplorable.
La meme annee Van Deyssel lance contre Netscher sa critique im1) Netscher dit: „de invloed van het ras, de tijd en de omgeving", confondant,
semble-t-il, l'influence du moment, c'est-h-dire l'influence du passé litteraire sur
le present avec celle du temps, milieu historique.
2) De Amsterdammer, le i i octobre 1885, art. Cherie.
3) art. cit., „Het werk van den schrijver moet worden beschouwd als het lichaam,
waarop gij een vivisectie gaat uitoefenen; stroop Uw mouwen op en zet het ontleedmes er in".
4) Dans son article Cherie (Ned. Museum, 1884, II, p. 76) Netscher dit entre autres
de Zola et de ses partisans qu'ils tiennent rigoureusement a une relation neutre
des faits, que ce sont les defenseurs d'un style „impersonnel" (de strenge handhavers
eener onzijdige verhaling der feiten, van een onpersoonlijke stip); a la page 'or
du meme article, it se corrige cependant, en louant chez Edmond de Goncourt „cette
methode de peindre par laquelle chaque auteur imprime a son oeuvre le cachet de
sa personnalite" (ieder drukt het stempel zijner persoonlijkheid in zijn beschrijving af).
6) De Amsterdammer, le 18 octobre 1885. „Kritiek is juist een kwestie van persoonlijke smaak, en niets anders dan zoo nauwkeurig mogelijk de indrukken to
beschrijven, die een kunstwerk op ons maakt".
6) Voir Zola, Le Roman experimental, p, 219.
46
pitoyable et mordante Over Literatuur [Sur la litterature] 1), on il lui
done toute originalite et lui conteste le droit de se poser en reformateur
des lettres hollandaises, tout cela sur le ton hautain et moqueur qu'on
lui connait: „Vous, potache ridicule de l'ecole francaise, qui vous hissez
sur un tas de livres of in de paraitre aussi grand que le maitre, vous,
cornac hollandais du naturalisme francais", „Vous, remacheur des chiques
de Zola", „Vous, fils bossu de Camille Lemonnier, qui mettez les calecons
uses de Flaubert, vous voudriez commander en maitre dans notre litterature?" 2), et plus loin „Fi, mon fr6rot, toi, tu as goilte en cachette au
pot de confitures du tonton Zola, car toute to figure en est barbouillee.
Et que tu sens mauvais, tu as sans doute encore ose te faufiler sous les
jupes de la tante Lemonnier". „Et que tu es sale! Mechant bambin!
Ah, Seigneur, que tu me causes de chagrin, que tu es un souillon!" 3)
Ce qui amena Van Deyssel surtout a son attaque violente contre un
auteur de qui il avait, deux ans auparavant, apprecie les talents en
termes enthousiastes, ce fut l'interpretation fausse que Netscher donnait
des conceptions artistiques de Zola, la trop grande importance qu'il
attachait au cas „scientifique", au lieu de faire ressortir les qualites
essentiellement artistiques que renfermait l'ceuvre de Zola. Ce que, a ses
yeux, Netscher avait totalement perdu de vue, c'etait ce que Zola avait
nomme „la part de l'invention", l'element qui prete a l'ceuvre d'art sa
valeur artistique, son accent propre, irreductible.
Autant que nous sachions, Netscher n'a jamais cherche A. se justifier
ou a se defendre contre cette critique foudroyante d' un des maitres du
Mouvement de 1880. Plus tard il a manifesto meme sa satisfaction a
propos de l'article de Van Deyssel 4). En tout cas il parait etre certain
1) L. van Deyssel, Verzamelde Werken, IV, p. 34-89.
2) ibid., p. 68. „Gij dwaze schooljongen van de fransche school, die op een
boekenstapel gaat staan om zoo groot te toonen als de meester, gij, hollandsche
kornak van het fransche naturalisme". „Gij, herkauwer van Zolaas tabakspruimen,
gebocheld zoontje van Camille Lemonnier, die U kleedt met Flauberts versleten
onderbroeken, gij zoudt in onze literatuur zoo'n beetje de baas komen spelen ?"
3) ibid., p. 83, 84. „Foei, broertje, foei, broertje ! je hebt te diep gekeken in de
confiturenpot van oome Zola, want je heele gezichtje zit er nog vol van. En wat is
er een vreemd luchtje aan je ! Je hebt zeker weft onder de rokken van tante Lemonnier gekropen! En wat zie je er slordig uit! Stout broertje, och Heer, wat doe-je
m'n 'n displezier, wat bee-je'n 'n morspot !"
4) Cf. De Mannen van '8o, p. 102. „I1 (Van Deyssel) ecrivit contre moi cette violente
attaque — une des plus belles choses qu'il ait jamais faite." (Hij schreef dien geweldigen aanval tegen me — 66n van de mooiste dingen, die hij ooit gemaakt
heeft.
47
qu'apres ces remontrances Netscher a cessê sa propagande des methodes
„naturalistes" et renonce a une tache dont it s'acquittait avec trop de
zele. Il semble que les reproches de Verwey et de Van Deyssel n'ont pas
manqué d'ebranler sa confiance dans rinfaillibilite du „systeme". En
1886 it ecrit a la fin de son article Het Daghet uyt den Oosten: „La critique
doit titre une oeuvre d'art; la critique litteraire une serie d'impressions
que la lecture de quelque ceuvre d'art a faites sur nine d'un autre
artiste, les impressions d'une impression. Elle releve du lyrique; elle n'est
ni critique, ni eclaircissement, mais une serie d'impressions artistement
reproduites" 1). On voit comment Netscher a evolue, comment d'un
defenseur zele des theories naturalistes et de leur pretendue „impassibilite", it devint, evidemment sous la suggestion des conceptions de ses
confreres, un fervent partisan de l'individualisme et de la subjectivite
dans l'art.
Comme vulgarisateur et defenseur des procedes naturalistes it a manqué
sa mission, justement parce qu'on s'opposait a ce qu'il y avait d'artificiel,
de dogmatique, de presomptueux dans ses tendances. Ses premieres
exaltations, son manque d'experience l'ont empeche de voir quelles
etaient, dans le naturalisme, les valeurs essentielles qui devaient raj eunir
et feconder notre art, valeurs que l'artiste en lui, intuitivement, ne tardera
pas a cl6couvrir et a s'assimiler.
Apres avoir constate A. quel point Netscher s'est revele un partisan
z61.6 des principes que defendait l'auteur du Roman experimental, nous
verrons que dans son ceuvre l'art des „naturalistes" a egalement laiss6
des traces sensibles. Ses recueils de nouvelles, aux titres significatifs,
comme les Studies naar het naakt model, Menschen om ons, Uit de snijkamer 2), dont les premieres apparurent dans Nederland (1884) 3 ), attirerent
immediatement l'attention par l'accent nouveau qu'on remarquait dans
1) De Nieuwe Gids, 1886, 1 r, p. 36o. „De kritiek moet een kunstwerk zijn; de
literaire kritiek een aaneenschakeling van medegedeelde indrukken, welke de
lektuur van eenig kunstwerk op de ziel van een mede-artiest gemaakt heeft: de impressies van een impressie. Zij wordt het onderdeel van de lyriek: noch beoordeeling,
noch voorlichting, maar een reeks van artistiek weergegeven impressies".
2) Studies naar het naakt model [Etudes d'aprês le nu]. La Haye, Mouton & Cie,
1886; Menschen om ons [Des Bens autour de nous]. La Haye, W.-A. Morel, 1888;
Uit de snijkamer [De la sane de dissection]. Haarlem, Vincent Loosjes, 1904.
3) Nederland, 1884, II, p. 70. Studien in onze Tweede Kamer [Etudes dans notre
Chambre des Deputes], signees H. van den Berg, pseudonyme qu'il avait pris sur
l'avis de Jan ten Brink, pour „ne pas avoir d'histoires avec MM. les Deputes".
48
l'observation et la notation du monde exterieur. Van Deyssel etait le
premier a saluer avec joie cette prose qui „se distinguait par une vision
toute neuve et tres personnelle" 2). Il est vrai qu'en comparant cette
maniêre d'ecrire a celle qui etait familiere a la generation d'avant 188o,
on est frappe du pittoresque et de l'audace des descriptions, oil sans
aucun doute l'auteur s'est inspire de ses modeles. Son vocabulaire est
visiblement emprunte a la langue des auteurs naturalistes, qu'il semble
avoir etudiee avec soin. Ainsi on rencontre souvent les mots vlek (tache)
et vlekken (tacker), termes que lui ont evidemment suggeres la langue
des naturalistes 3), par exemple: une tache d'ombre froide (een koude
vlek schaduw), une tache criarde dans la masse sombre (een schreeuwende
vlek in de donkere massa), une tache de lumiere crue (een vlek rauw licht).
Puis, tres frequent chez lui est l' emploi du terme vomit', si familier chez
Zola ou Maupassant, dans des phrases telles que: une cheminee vomissant
de lourdes et noires nuees de fumee (een schoorsteen dikke, zwarte
rookwolken brakend); devant elle le grand portail gothique, vomissant
1) Voir De Amsterdammer du 12 octobre 1884 „dat zich onderscheidde door een
geheel nieuwe en zeer persoonlijke vizie", voir aussi W. Moos, Veertien Jaar Literatuur-Geschiedenis, I, p. 192.
2) Déjà dans le „Zondagsblad, behoorende bij het Rotterdamsch Nieuwsblad" du
4 mars 1883, du 26 oct. et du 2 nov. 1884 on trouve, de sa main, des traductions
de fragments de l'oeuvre de Zola, intitulees Een Schilderij [Un tableau] et Eene
Idylle der Hallen [Une Idylle des Halles]. Dans ses Letterkundige Opstellen [Essais
litteraires], p. 185, W.-G. van Nouhuys fait un rapprochement entre le style de
Netscher et celui de Zola, se servant, a cet effet, d'une traduction qu'un professeur beige, Engeibert de Chateleux, avait faite d'un passage dans De Val van een
minister [La Chute d'un ministre], la description d'une scene de la Chambre des
Deputes que nous faisons suivre: „Le soleil donnait dans la salle de deliberation
de la Seconde Chambre. Le ventilateur laissait penetrer les rayons qui glissaient
obliquement. La lumiere, comme une pluie d'or blond, tombait. Les cadres dores
des bancs s'eveillaient, brillaient; a gauche, le vert fonce des garnitures se reposait
gaiment dans la lumiere; la partie droite de la salle commencait a poindre dans
une teinte plus sombre . . . . C'etait une demi-heure avant l'ouverture de la séance;
la Chambre etait completement vide. Et sous les bancs, le tapis pressait( ?) sa couleur par toutes les ouvertures; it se deroulait entre la table des ministres et des
bureaux comme une tache carrêe, sanglante, sous le ventilateur; son rouge eclatant
flamboyait dans les perspectives des bancs verts. Il faisait tranquille dans la
salle, frais, gai, clair. Les murs blancs, d'un style pseudo-classique, brillaient . . . ."
3) Les Goncourt, Flaubert aussi, faisaient déjà un emploi tres frequent des mots
comme touche, clartd, tache, cf. la description de la foret de Fontainebleau dans
Manette Salomon (1867) et L'Education sentimentale (1869). Certainement nos
auteurs ont suivi leur exemple. Tres probablement aussi, comme le montre
M. G. Brom dans ses Hollandsche schrijvers en schilders, ils empruntent certains
termes au vocabulaire des peintres.
49
de temps en temps quelque rare visiteuse de l'eglise (voor haar werd
door de groote gothische deur nu en dan een enkele kerkgangster uitgebraakt).
D'autres gallicismes, souvent três vilains, sont a relever: de dijk, die
zich in de verte ging verliezen (la digue qui allait se perdre au lointain);
een stuks leven (une tranche de vie); eenige suffe gedachten in haar hersens ronddolend (roulant dans son cerveau quelques mornes pensees);
een straat, die zich voor hen ontrolde (une rue qui se deroulait devant
eux); het uitblusschende hemelgrijs (le gris du ciel, s'eteignant); alle
muren wasemden kalmte, stilte uit (tons les murs suaient le calme,
le silence); nu rumineerde zij eenigen tijd huiselijke omstandigheden
(maintenant elle ruminait pendant quelque temps de petites circonstances domestiques), exemples qu'on saurait facilement multiplier
encore.
C'est surtout dans la peinture des sensations charnelles que Netscher
imite visiblement Zola ou Huysmans. „Elle etait de petite taille, large
d'epaules et de hanches, toujours bouclee dans le corset, fraiche et
appetissante comme une jeune femme qui, apres son premier accouchement, montre la pleine saveur de sa chair" 1). Ainsi ii echappe de sa
plume des expressions grossieres, trahissant souvent chez lui un manque
de gout total. „Il tourna la tete vers la fenetre, et avala encore a la derobee ses formes delicieuses" 2) ou „Et tout son corps gonflant d'une
sante savoureuse, remplissait son corset etroit" 3). Ces exemples et tant
d'autres tel que: „Et quand, apres l'accomplissement de ses 6treintes
nocturnes, it se mettait a cote d'elle et tombait dans le sommeil lourd
du male, elle se sentait soulagee comme la femelle" 4), montrent d'une
fawn claire comment Netscher calquait ses phrases sur le modele de
1) cf. Studies naar het naakt model, p. 219. „Zij was klein van gestalte, breed van
schouders en heupen, altijd strak in het corset gesloten, frisch en smakelijk als een
jonge vrouw die na haar eerste bevalling tot de voile bloei van haar vleesch gekomen is".
2) ibid., p. 295. „Hij keerde het hoofd naar het venster, en at in stilte met zijn
oogen haar vormen weer op".
3) ibid., p. 273. „En haar heele lichaam, gezwollen van een saprijke gezondheid,
vulde haar nauw gesloten corset", cf. Huysmans, Les Sours Vatard. Paris, Cres,
1928, p. 17. „Madame Voblat, une bombance de chairs mal retenue par les douves
d'un corset".
4) Uit de Snijkamer, p. 49. „En wanneer hij, na het voleindigen zijner nachtelijke
omhelzingen, zich onmiddellijk naast haar legde, en in den zwaren slaap van
het vermoeide mannetjes-beest viel, voelde ze zich verlicht als een wijfje".
4
50
ses maitres, effort que, malgre leur hardiesse, on ne saurait guêre apprecier 1).
Mais bien souvent it a largement beneficie de leurs exemples. Dans
son oeuvre on peut relever des passages qui charment encore maintenant
par une vision originale, tel le portrait d'une vieille marchande juive,
la mere Rachel, que Netscher a trace avec la precision d'un peintre.
„Elle etait rongee par le temps comme une vieille batisse. Sa peau avait
la couleur de cuivre patine ou d'une olive pourrie, ratatinee. Sa bouche
avec les lêvres minces, large, ridee, edentee, etait comme une fente dans
du vieux cuir. Le nez etait pointu, sortait du visage, plante entre deux
petits yeux percants, enfonc6s, avec une expression rus6e, semitique. Ses
longs doigts noueux, aux ongles durs et crasseux, ne cessaient d'entasser
les pommes ou les prunes qui avaient roule en bas" 2).
C'est surtout dans la reproduction de coins de la nature que l'influence
des naturalistes francais se fait sentir dans l'art de Netscher. Celui-ci,
dans son article sur Cherie, s'etait montre ravi de la fawn dont Goncourt
notait et reproduisait la nature environnante, et tout specialement la
fawn dont it faisait ressortir le silence en y opposant le bruit, l'animation 3). Il se plait meme a traduire un passage, qui l'a, a cet egard, tout
1) Aussi n'est-il pas etonnant que la critique bourgeoise s'alarmat de ces indecences, cf. l'article que Wolfgang (pseudonyme de H.-W. van der Mey) ecrivit a
propos des Studies: „Alors un poête fit, en la personne de Frans Netscher, son
entrée dans nos lettres et la Hollande etait envahie par la puanteur du naturalisme
francais . . . . cette branche poussera et transformera, ce qu'a Dieu ne plaise, notre
patrie en un tas de fumier. Pataugeant dans la crotte, ils viennent, impregnes
de puanteur, empester le temple de l'art." (Nu stond een dichter op in den persoon
van Frans Netscher en stonk het Fransche naturalisme Nederland binnen . . . .
Ook deze twijg zal groeien en, zoo God het niet verhoedt, het Vaderland in een
mestvaalt herscheppen. In de mest rondploeterend komen zij doortrokken van den
stank, den tempel der kunst verpesten).
2) Menschen om ons, p. 223. „Als een oud huis was zij door regen en wind verteerd.
Haar vel had de kleur van vuil koper, of van een verschrompelde, zieke olijf. Haar
mond was breed, gerimpeld, zonder tanden en met smalle lippen, en geleek een
scheur in oud leer. De neus was spits, boog uit het gelaat vooruit en stond tusschen
twee diepe inliggende, scherpe oogjes, met een sluwe, semietische uitdrukking.
Haar knokkige, lange vingers, met groezelige, harde nagels, waren voortdurend
bezig de appelen of pruimen, die van de stapeltjes afvielen, weer op to tassen".
Huysmans, lui aussi, se plait a dresser devant nous de ces „dechets de la societe",
a peindre „une vieille bique de cinquante ans", cf. le portrait d'une balayeuse
dans En Ménage, ed. Charpentier, p. 18. Voir Helen Trudgian, L'Evolution des idles
esthe'tiques de J.-K. Huysmans. Paris, Conard, 1934.
3) Le meme procede, N etscher l'avait remarque chez Tourguêniev qui „voulant
51
particuliêrement frappe, la peinture d'une allee. „Par terre, tout le long
de Vallee, se voyaient des raies de soleil sur l'ombre du chemin, et a
droite et a gauche, parmi les eclaircies de la futaie, de gais sautillements
de lumiere apres les blancheurs des bouleaux, apres les mousses tigrees
des h8tres. En cette allee ii s'elevait aussi par instants de grands murmures
de feuilles dans la voilte des arbres, suivis de mouvements de silence,
comme s'il n'y avait plus eu du tout de bruit sur la terre" 1).
Dans l'esquisse Herfst in het Woud [Le Bois en automne], qu'il publia
quelques mois apres dans De Nieuwe Gids 2), Netscher semble s'etre
assimile une maniere qui l'avait tant charme chez l'auteur de Cherie.
Le procede consistant a faire sentir le silence par l'indication d'un bruit
est meme tres frequent. „Il regnait un tel silence dans le bois qu'on
entendait craquer une branche morte, ou un oiseau qui remuait dans les
feuilles tombees" 3) ou bien „Lorsqu'enfin un affreux vent d'automne
agita un moment le bois et fit craquer les branches, fremir les feuilles" 4).
Certains passages dans cette nouvelle rappellent singulierement la
description de la fork de Fontainebleau dans L'Education sentimentale.
Comme Flaubert, Netscher peint les differents arbres dans leurs attitudes
caractêristiques. Voici les chenes. „I1 y avait, lisons-nous chez Flaubert,
des chenes rugueux, enormes, qui se convulsaient, s'etiraient du sol,
s'etreignaient les uns les autres et fermes sur leurs troncs pareils a des
torses, se lancaient avec leurs bras nus des appels de desespoir, des mesuggerer la profondeur du silence, le rendait plus perceptible, en mentionnant
quelque bruit cause par exemple par une branche qui se cassait lorsqu'un petit
oiseau s'y posait" (Ned. Museum, art. cit., 1884, II, p. zoo). Alphonse Daudet lui
aussi, avait constate chez Tourgueniev sa manihre particuliêre d'observer et de
noter; it en parle dans ses memoires Trente ans a Paris. Paris, Marpon & Flammarion, i888, p. 325: „Tourgueniev a l'adorat et l'ouie", chapitre qui fut traduit
par Frank van der Goes dans Nederland, 1884, I, p. 107 sqq. Paul Bourget êgalement consacre quelques pages três int6ressantes a l'esthetique de Tourgueniev
(Essais de psychologie contemporaine, II, p. 207-219); les exemples qu'il cite a
cet egard, illustrent curieusement ce procedó d'art qu'il rapproche de celui qui
êtait familier a Flaubert. Dans tout ceci it n'y avait, comme on sait, rien de nouveau, cf. la dernihre promenade dans Adolphe; mais puisque les auteurs naturalistes
attiraient toute l'attention, c'est chez eux que nos auteurs firent ces decouvertes.
1) Edmond de Goncourt, Cherie. Paris, Charpentier, 1884, p. 54.
2) De Nieuwe Gids, 1885, I, p. 229-232.
3) ibid., p. 229. „En het was zOo stil in het woud, dat men een takje hoorde kraken,
of een vogel, die in de neergevallen blaeren morrelde".
4) ibid., p. 232. „En toen eindelijk een griezelige herfstwind het woud een oogenblik
in beweging bracht, de takken kraken en de blaeren ritselen deed".
52
naces furibondes, comme un groupe de Titans immobilises dans leur
colere" 1). Et chez Netscher: „Les chenes peu &eves, trapus, dont les
branches s'etirent dans des torsions convulsives, comme les damnes
dans l'enfer" 2). La ressemblance des deux passages est frappante,
d'autant plus que l'un et l'autre se terminent par une personnification
analogue. Qu'on se mefie d'ailleurs de voir dans cette conformite fortuite
l'indice que Netscher se flit inspire du passage que nous venons de
citer. Il est Bien naturel que deux auteurs, egalement sensibles a l'ext6rieur pittoresque qu'ils se donnent la peine d'observer minutieusement,
decouvrent a un objet les memes details caracteristiques 3).
Cependant chez lui se distingue aussitOt une particularitê dans la
notation du monde exterieur qui sera tout a fait caracteristique des
auteurs de 188o, c'est-à-dire une tendance a noter tout ce que percoit
leur jusqu'aux plus infimes details. Flaubert, d'un seul trait, peint
les bouleaux reveurs et melancoliques. „Puffs venait une file de minces
bouleaux inclines dans des attitudes elegiaques" 4). Comparez avec cette
phrase la description que Netscher fait des memes arbres avec une
surcharge de details et de comparaisons, qui confondent le lecteur. „Et
deux ou trois bouleaux perdus au loin, a l'horizon d'un sentier, avaient
l'air d'être des objets argentes sur une étagère gigantesque, delicats
comme l'ouvrage de cannetille d'un artiste chinois. Leurs troncs un peu
courbes avaient les rondeurs souples d'une bête, d'un saumon a 6cailles
d'argent, tandis que les petites branches, fines comme une toile d'araignee,
re ssemblaient a des fougeres bizarres d'une blancheur petrifiee, au fond
de la mer" 5).
L'erreur que commet ici l'auteur, c' est qu'au lieu de noter directement
ses impressions et ses sensations, it les transforme bizarrement par un
curieux travail de l' esprit, toujours en quete des plus singuliers rapprochements. Des qu'il se meta peindre l'exterieur, l'auteur raisonne, reflechit.
1) G. Flaubert, L'Education sentimentale, ed. Conard, p. 466.
2) De Nieuwe Gids, 1885, I, p. 23o. „De lage ineengedrongen eikenstruiken, wier
takken zich in krampachtige wringingen uitrekken, als zondaren in het Inferno".
3) Voir la remarque a la page 203 de notre etude (note 1).
4) L'Education sentimentale, p. 466.
5) De Nieuwe Gids, 1885, I, p . 23o. „Een drietal verdwaalde berken, in de verte,
op den horizon eens voetspads, schenen zilveren voorwerpen uit eene reuzenétagère, fijn, als kantille-werk eens chineeschen kunstenaars. Hunne stammen
met eenige flauwe bochten, bezaten de levende rondingen van een beest, van een
zilvergeschubden zalm, terwijl de ragfijne twijgjes aan vreemdsoortige,witversteende
varens van den bodem eener zee deden denken".
53
n'arrive pas a eveiller auprês de ses lecteurs des emotions artistiques,
ddaut que Van Deyssel a immediatement constate. A l'appui d'exemples
frappants it montre comment Netscher a use d' images, sans les avoir profondement vecues, comment dans son art, c'est la raison, qui predomine.
„Il n'y a pas de tendresse dans son art, it n'y a pas de larmes si
Netscher voit quelque chose, it ne l'observe pas si intensement que les
choses vues et celui qui les observe, en soient douloureusement atteints.
En etre blesse jusqu'au sang, c'est le sentiment qui fait defaut ici" 1).
L'influence du naturalisme francais sur l'oeuvre de Netscher ne s'est
pas borne a des suggestions esthetiques. Elle se fait egalement sentir
dans la predilection qu'il montre a choisir ses sujets dans la realite basse,
peignant, tout comme ses predecesseurs, la prostituee 2), la chanteuse 3),
l'ouvrier adonne a la boisson et qui laisse crever sa famille 4). Dans
Miss Nelly, qui n'est pas sans rappeler le debut de Nana, it imite
fidelement les procedes chers a Zola. „Toutes les tetes tournees vers la
scene sous l'impulsion instinctive d'une bande d'hommes qui sentent
approcher une femme êtalant sa chair nue" 5). Mais voici qu'il se revêle
encore un peintre, notant avec soin les details pittoresques. „Sa petite
figure, pleine de taches et de raies de lumiere, et de barres d'ombre" 6),
ou bien „Sa bouche ouverte qui chantait, formait un petit trou noir" 7),
phrase qui rappelle immediatement telle autre chez Huysmans: „ S a
bouche, grande ouverte, quand elle hurlait le dernier vers du refrain,
Wait comme un trou noir" 8). Que Netscher ait pris comme mode le
1) L. van Deyssel, Verz. Werken, IV, p. 40. „Er is geen teederheid in zijn kunst;
er zijn geen tranen; als hij iets ziet, dan ziet hij het niet zoo hevig en zoo intens,
dat en het geziene en de ziener er van bloeden. Dit bloeden is het sentiment, dat
hier ontbreekt".
2) Cf. Koosje Bosser dans Uit de Snijkamer, rêcit d'un atroce realisme.
3) Cf. Miss Nelly dans Studies naar het naakt model.
4) Cf. De Kroeg van Leenderts [Le Cabaret de Leenderts], qui rappelle L' Assommoir,
ou Marietje Veenders, tous deux dans Studies naar het naakt model. Pour faire ses
etudes Netscher avait l'habitude de visiter, le plus souvent avec son ami Arij
Prins, les cabarets afin de recueillir des impressions, voir S.-P. Uri, Leven en Werken
van Arij Prins [Arij Prins, sa vie et son ceuvre]. Delft, Waltman, 1935, p. 31.
5) De Nieuwe Gids, 1885, II, p. 105. „Alle hoofden naar het tooneel gericht, onder
den instinktmatigen drang eener bende mannen, die een vrouw met veel bloot
vleesch voelen naderen".
6) ibid., p. 107. „Haar figuurtje, vol vlekken en vegen licht, en strepen schaduw".
7) ibid., 107. „Haar geopende zingende mond vertoonde zich als een donker gaatje".
8) Huysmans, Les Sceurs Vatard, ed. Charpentier, p. 138. Comparez chez Netscher
et Huysmans cette scene de cabaret dont l'analogie est frappante: „Kreten braken
onder het publiek los, gestamp, geroep, gegil. En nadat zij nog enkele malen in de
54
une chanteuse ou les ballerines, comme dans son Oproer in het Ballet
[Rholte des ballerines] 1), cela n'a rien d'etonnant, depuis que Goncourt,
Huysmans l'avaient precede dans ce genre. On sait qu'on aimait, A. cette
époque, a peindre les clowns, les saltimbanques, etudes qui relevent au
fond de la peinture et dont Degas et Forain avaient fourni les premiers
modeles 2).
La fawn dont ii a cherche, comme ses modeles, a traiter les problemes
du milieu et de l'heredite font voir encore comment Netscher retombait
dans l'imitation fade et que rien dans son oeuvre ne temoignait d'une
conception originale. Dans Stale Waters [Faux dormantes] 3) par exemple,
rêcit qu'on saurait comparer en quelque sorte avec Cherie (1884) d'Edmond de Goncourt, nous voyons une jeune fille quitter sa province pour
s'etablir a La Haye, oil elle subira l'influence fatale de son ambiance.
„En s'y installant, elle etait le portrait vivant de sa mere, gaie, bien
portante, de caractere doux; par son peu de contact avec le monde exterieur, par l'ennui qui lui entrait dans le corps a travers tous les pores, par
le refoulement de ses instincts naturels, les qualites hereditaires de son
pere maladif, silencieux, souffrant, qui avait langui jusqu' au jour de sa
mort dans son fauteuil, s'etaient developpes en elle au detriment de
celles de la mere" 4). C'est surtout dans la nouvelle Droog Brood [Du
lijst van het tooneel had op en neer gedribbeld, wipbillend, wiegheupend, vlijhalzend,
met guitige gluurblikjes uit de ooghoeken, glibberende lichtglippen over de rondingen van het satijn en schaduwvegen over armen en gelaat. Zij bracht de toppen
harer vingers aan de roode lippen, en wierp toen, dankbaar groetend, den arm met
een zwaai vooruit" et „La salle entiere Mira, des acclamations forcenêes coururent
et s'inclinant, souriant, envoyant des baisers, elle faisant onduler par le remuement
de sa hanche sa robe dont la soie du bas luisait plus eclatante et comme plus neuve
que Celle du corsage moins crilment frappee par les feux de la rampe".
1) Dans Studies naar het naakt model, p. 76-119. Lire dans Uri, op. cit., p. 31, le
passage oil Prins raconte sa visite chez Netscher, qui avait fait venir un „modele"
pour bien preparer cette etude.
3) Cf. Th. de Banville: Les Pauvres Saltimbanques; Flaubert: Les Baladins; Baudelake: Le vieux Saltimbanque (Spleen); Huysmans: Croquis parisiens (Les FoliesBergire et l'Hippodrome); Edmond de Goncourt: les Freres Zemganno.
3) Studies naar het naakt model, p. 265--299.
4) ibid., p. 293-294. „Toen zij to 's-Gravenhage kwam, was zij het beeld harer
moeder, vroolijk, opgewekt, gezond en zacht van karakter, maar door de afzondering van de buitenwereld, de loome verveling, die zij door al hare porièn inzoog,
en de onderdrukking harer natuurlijke opwellingen, hadden zich de hereditaire
eigenschappen van den ziekelijken, stillen, lijdzamen vader, welke met berusting
op zijn stoel was weggekwijnd, ten koste van die der moeder gaan ontwikkelen".
55
Pain sec] 1) que le dessein de faire une etude d'un cas d'heredite a
ete indeniable. On finit par ne plus nettement saisir le caractere du personnage principal, se modifiant sans cesse sous l'influence d'un continuel
changement des circonstances.
En ce qui concerne la langue, on en cueillerait des specimens dans
n'importe quelle revue medicale. „Elle constituait par sa vie physiologique et psychique un mauvais produit d'un pere epuise au point de
vue psychique et d'une mere maladivement emotive" 2). Dans la fusion
des qualites hereditaires du pere et de la mere, les facultes intellectuelles
de l'enfant avaient ete derangees par le temperament emotif qu'elle avait
herite de sa mere" 3). „Aux moments de repos l'element intellectuel du
pere avait le dessus, lorsque la force emotive heritee de la mere etait
suspendue." 4). Ces phrases qui trahissent clairement la maniere „naturaliste" montrent oil aboutissait un genre qui n'etait que le decalque
des modêles; nulle part dans ces lignes on ne sentait vibrer ce frisson
humain ou artistique qui est l'effet d'une vision originale.
Quelle est enfin, la valeur de Netscher? En premier lieu, c'est lui
qui, avec plus d'insistance qu'aucun autre, avait attire rattention sur la
litterature francaise, acte dont lui sut (MP. gre Van Deyssel dans son
article Over Literatuur [De la Littdrature]: „Si la Hollande finit par s'interesser davantage A. cette formidable litterature, elle le devra surtout A. Netscher" 5). Puis, malgrê ses defauts et ses inegalites, it faut l'honorer d'avoir
prepare le nouvel ideal esthetique, qu'il s'etait cree conformement aux
principes des naturalistes. „La nouvelle pêriode, les nouveaux sentiments,
disait-il, en 1885 deja, exigent une nouvelle originalite. „Pour donner une
forme A. cette nouvelle fawn de sentir, nous avons besoin d'autres moyens
artistiques, d'une autre „conception", d'autres couleurs, de nouveaux
1) Menschen om ons heen, p. 17o.
2) ibid., p. 170. „Zij vormde met haar physiologisch en psychisch leven een wan-
product van een geestelijk uitgeputten vader en van een ziekelijk emotieve moeder".
3) ibid., p. 173-174. „In de samensmelting der hereditaire eigenschappen van den
vader en de moeder, werden bij het kind de intellectueele eigenschappen van vaderszijde in wanorde gebracht door het overgeerfde emotieve temperament der
moeder".
4) ibid., p. 177, 178. ,,In oogenblikken van rust kreeg het element van vaderszijde
de overhand, wanneer de emotieve kracht der moederlijke herediteit buiten werking
was gesteld".
5) L. van Deyssel, Verz. Werken, IV, p. 84. „Als Nederland eindelijk in die ontzaglijke literatuur meer belang zal gaan stellen, zal dit grootendeels aan den Heer
Netscher to danken zijn".
56
mots, de nouvelles phrases, en un mot, d'un nouveau style. C'est ce que
nous devons decouvrir, par la nous devons devenir originaux" 1). La
conception artistique qu'il herita des auteurs francais, inaugurera une
nouvelle pêriode d'art, a laquelle Van Deyssel et Van Looy donneront
un si bel eclat. Eux, les grands peintres de nos paysages, des interieurs,
des coins de ville avec leur atmosphere particuliere, se reclament de lui.
„Cela me frappait beaucoup, ce petit livre de Netscher, disait Van
Deyssel, car j'y decouvris une affinite avec ce que je voulais moi-meme"2).
Van Looy, egalement, reconnaissait la nouveaute de cette fawn d'observer et de noter, maniere dont it semble s'inspirer. „J' avais lu quelque
chose de Netscher, la description d'un bois; alors je me disais que je
saurais en faire autant" 3).
Ainsi, a plusiers points de vue Netscher merite d'être nomme comme
un precurseur; s'accordant avec Kloos et Van Deyssel a protester contre
une litterature tendancieuse et sentimentale, contre ce qu'il denommait
lui-meme une „litterature a motifs", ii pretendait y opposer un art
clesinteresse, plastique et sensuel oil devait se distinguer, d'une fawn
marquee la personnalite de l' artiste, un art tout a fait subjectif enfin
qui annonce celui de ses successeurs immediats 4).
LODEWI JK VAN DEYSSEL
Lodewijk van Deyssel, de son vrai nom Karel Joan Lodewijk Alberdingk Thijm, naquit le 22 septembre 1864 a Hilversum. Il passa sa jeunesse A. Amsterdam, oil son pere J.-A. Alberdingk Thijm (182o-1889)
1) Nederland, 1885, III, p. 86., art. W at wit het naturalisme?, „Om aan die nieuwe
wijze van gevoelens beeld to geven, hebben wij andere kunst-hulpmiddelen noodig,
andere „conceptie", andere kleuren, nieuwe woorden, nieuwe zinnen, in een woord:
een nieuwen kunststijl. En daarnaar moeten wij zoeken, daarin moeten wij oorspronkelijk worden".
2) De Mannen van '8o, p. 19. „Dat trof mij sterk, dat boekje van dien Netscher,
want ik voelde verwantschap met wat ik zeif wou. Het was wel niet precies mijn
bedoeling, maar het ging toch in dezelfde richting".
3) Cf. J. de Meester, Lets over de literatuur dezer dagen [Quelques observations sur la
litterature contemporaine]. Bussum, C.-A.-J. van Dishoeck, 1907, p. 4o. „Welnu ik
(Van L.) had wat van Netscher gelezen, een beschrijving van een bosch, toen dacht
ik, dat kan ik ook wel".
4) Aussi J. Prinsen J. Lzn. avait tort de pretendre que „Netscher ne se serait pas
associe a la bande revolutionnaire des jeunes (zich niet in de dagen der revolutie
van '8o aansloot bij de revolutionaire schare der jongeren). Voir De Amsterdammer du 24 nov. 1923,
57
professait l'esthetique et l'histoire de l'art a l'Academie des Beaux
Arts 1). De 1875 a 1878 Van Deyssel est a un pensionnat catholique de
garcons a Rolduc oil it „devait parler francais" et on ii apprenait a connaitre les chefs-d'oeuvre de la litterature francaise 2). Rentre a Amsterdam, it entre dans une librairie. Les lettres le passionnent 3); dans ses
heures de loisir, it lit tout ce qui lui tombe sous la main. „Avec quel
plaisir, avoue-t-il, je lisais en cachette, a rage de seize ans, Lidewijde,
le roman de „l'oncle Huet" 4).
Mais la litterature hollandaise ne lui offrait pas ce qu'il cherchait.
„Alors je voguais avec mes pensees et mes appreciations au vaste pays
de la litterature etrangere et j'ai vu que tout y etait meilleur que chez
nous" 5). C' est ainsi qu'il decouvrit les auteurs francais modernes, les
Dumas fits, les Zola, dont it prendra la defense contre les attaques injustes
du docteur Nuyens 6). Dans sa revue Onze Wachter [Notre Gardien] 7),
celui-ci avait blame chez Hugo et Dumas leur tendance a rehabiliter
la fille de joie par un chaste amour, soit pour un homme, soit pour un
enfant, au lieu de la rendre sublime par un sentiment profondement
1) Pour plus de details sur Van Deyssel et ses ascendants, voir Bruno-J. Stokvis,
Lodewijk van Deyssel. Amsterdam, P. N. van Kampen & Zoon, s.d. (1921), p. 7 sqq.
On sait que le professeur Alberdingk Thijm, le pêre de l'auteur, tut un passionnê
des lettres francaises, des ecrivains francais it prefêrait, semble-t-il, Moliere, qu'on
jouait regulièrement chez lui; on raconte de lui qu'il a traduit Tartuffe a la Gare
Centrale en attendant le train. Voir aussi L. van Deyssel, Gedenkschriften [Mdmoires]. Amsterdam, Em. Querido, 1924, p. 168 sqq., art. Een vioolstruik-avond 1881.
Ce soir-la on jouait Le Bourgeois Gentilhomme, piece a propos de laquelle Van D.
remarque: „Moliére, qui etait alors plus que jamais a l'ordre du jour, grace a la
publication a Paris de la volumineuse Bibliographie moliiresque.
2) Autrefois, l'enseignement a Rolduc etait donne en francais; la plupart des
livres de classe êtaient des manuels beiges ou francais.
3) Sans aucun doute, le milieu artistique de son pêre a contribue a susciter chez
le jeune Van Deyssel l'amour des lettres et des arts, voir P.-H. Ritter Jr., Lodewijk
van Deyssel. Baarn, Hollandia Drukkf.rij, 1921, p. 8.
4) L. van Deyssel, Verzamelde Werken [Euvres completes]. Amsterdam, Scheltema
& Holkema, 3e ed., IV, p. 125. „Met welk een buitengewoon heimelijk plezier
las ik op mijn zestiende, zeventiende jaar, Lidewijde, het boek van oom Huet!"
6) op. cit., p. 126. „Maar toen ben ik op reis gegaan met mijn gedachten en waardeeringen in den verren vreemde, naar de groote wereld der uitheemsche letterkunde, en ik heb gezien, dat alles daar beter was dan ten mijnent".
6) De Dietsche Warande [Le Jardin de Plaisance hollandais], aofit, p. 478-512,
art. De Eer der Fransche Meesters [L'Honneur des Maitres franfais].
7) Onze Wachter [Notre Gardien], 1881, 1, p. 255, art. Victor Hugo als dramatisch
dichter [Victor Hugo auteur dramatique].
58
religieux ou par un grand remords qui purifie 1). La Dame aux Camelias
avait a ses yeux tous les defauts d'une femme inconstante, dëpensiere,
frivole, a qui s'attachaient toutes les souillures de la ville que Da Costa
avait qualifiee dans ses chants de „la Ninive de nos jours" ou bien du
„paradis maudit par Dieu" 2).
Van Deyssel, age alors de dix-sept ans, attaque vivement l'opinion de
Nuyens, qui pretendait bannir de la litterature les sujets qui ne concordaient pas avec ses conceptions morales et religieuses 3). Sa defense de
Zola annonce deja l'auteur du fameux Over Literatuur [De la Littdrature]
(1886). Ici comme ailleurs, it riposte d'un ton passionne, pathetique
presque. Aux reproches que Nuyens avait adresses A. Zola d'avoir voulu
„flatter le peuple" par la violence et l'audace de ses peintures, Van Deyssel repond de sa belle maniere: „Oh, monsieur, je vous prie, lisez L' Assommoir, et vous ne direz pas que le peuple, que l'auteur y peint dans
ses conditions les plus miserables, y est flatte. Lisez Nana et vous ne
pretendrez jamais que la fille de joie y a ete mise sur un piedestal.
Oil est-ce que cela arrive, monsieur? Dans la Conquite de Plassans?
Dans la Fortune des Rougon? Dans le Ventre de Paris? Non, n'est-ce pas?
Partout la societe actuelle a ete decrite dans son 6tat pitoyable avec
ses rares caracteres d'une vraie grandeur" 4).
Ce que Van Deyssel a apprecie avant tout chez Zola, c'etait son
attitude d'observateur desinteresse qui „se bornait a constater ce que
font ses personnages, sans approuver ni blamer" 5), attitude qui devait
singulierement concorder avec sa mentalite propre. Ce culte du vrai,
cette passion de la verite qu'il a du sentir instinctivement en lui, it l'a
decouvert et admire pour la premiere fois chez Zola. „D'abord, dira-t-il
1) ibid., p. 280.
2) ibid., p. 265.
3) De meme ii combat les opinions de Schaepman, qui s'est 'nee dans les dêbats;
voir sur cette polemique, B.- J. Stokvis, op. cit., p. 21 sqq.
4) De Dietsche Warande, 1881, p. 486. „Och mijnheer, lees L' Assommoir, en ge zult
niet meer 'zeggen dat het yolk, dat daar in zijn ellendigsten toestand wordt afgeschilderd, gevleid wordt. Lees Nana en ge zult nooit beweren, dat de slechte
vrouw daarin op een piedestal wordt gezet. Waar gebeurt dat, mijnheer? In La
Conquete de Plassans? In La Fortune des Rougon? In Le Ventre de Paris? Neen, niet
waar ? Overal wordt de hedendaagsche maatschappij in haar deerniswekkende
toestand geschilderd, met hare zeer zeldzame groote karakters!"
5) A propos de Pot-Bouille dans De Amsterdammer du 7 mai 1882. „Hij konstateert,
wat zijn figuren verrichten, zonder goed of afkeuring . . . . een door en door bestudeerd, rijp overwogen en met diepe overtuiging voorgestaan systeem" (Un
systême bien etudiê, mfirement reflêchi et defendu avec une conviction profonde).
59
plus tard, je decouvris Zola, alors que je ne m'eus pas encore decouvert
moi-meme." Pour lui Zola incarnait l'idee qui allait dominer le monde,
„une nouvelle formule d'art, une philosophie moderne". „Zola, c'est la
methode du positivisme appliquee a l'art litteraire" 2).
Aussi Van Deyssel s'est tout naturellement ralliê a un courant d'art
oil it decouvrit des aspirations intimes, convaincu qu'il fallait les suivre,
si l'on ne voulait pas rester en arriere" 3). L'illusion de voir naitre en
Hollande un art puissant l'exaltait, le maintenait dans un transport
continu. ,Nous desirons relever la Hollande, afin qu'elle soit entrainee
par l'elan des peuples. Nous sommes navres d'entendre les strangers
parler seulement de 1'Angleterre, de la France et de l'Allemagne, nous
voulons creer un eclat qui eblouisse leurs yeux, nous voulons les faire
se prosterner devant la splendeur des vapeurs colorees qu'exhale notre
pays riche en eaux" 4).
Tous les articles qu'il publie alors, Nieuwjaarsdag-ontboezeming [Epanchement du Nouvel An] (1882-83), Nieuw-Holland [La nouvelle Hollande]
(1884), Over Literatuur [De la Litterature] (i886), temoignent de sa
passion de beaute et d'art. II n'a cesse d'exalter les principes de l'art
pour l'art qu'il pretendait etre les seals bons preceptes auxquels toute
oeuvre d'art devait obeir. L'auteur qui refusait de subordonner son art
a ces principes fondamentaux ne meritait pas le nom d'artiste. Ainsi
Victor Hugo etait loin d'être „un artiste du verbe pur". „ Que de partipris, que de preoccupations d'ordre religieux, politique et social" s'ëcriet-il 5). „ J'espere qu'on comprendra que l'art n'est pas du tout une
affaire d' amateurs, ni une bagatelle, ni une distraction, ni un divertissement, ni un passe-temps, ni une plaisanterie, mais l'essence de la culture
1) Verz. Werken, IV, p. 193. „Eerst ontdekte ik Zola, toen ik mijn eigen lang
nog niet heelemaal gemerkt had".
2) Verz. Opstellen, II, p. 62. „De vleeschwording van een wereldbeheerschende
idee, van een nieuwe toegepaste kunst-formule, van een moderne wijsbegeerte";
„Zola, dat is de methode van het pozitivisme, werkende in de literaire kunst".
3) ibid., II, p. 55. „Wij moeten mee in den stroom, niet achter blijven".
4) Verz. Werken, IV, art, Nieuw-Holland [La nouvelle Hollande] (1884), p. 14. „Wij
willen Holland hoog opstooten midden in de vaart der volken. Het grieft ons buitenlanders altijd van Engeland, Frankrijk en Duitschland to hooren spreken; wij
willen een schittering scheppen, die hun oogen verglanst tot bewondering, wij willen
hen doen neerknielen voor de heerlijke kleurendampen uit het waterige land".
5) ibid., IV, p. 9. „Maar Victor Hugo was nog lang niet de kunstenaar van het
zuivere woord . . . . Want bij Victor Hugo nog, wat een religieuze en politieksociale bedoelingen !
6o
la plus elevee de l'homme" 1). Van Deyssel lisant Mes Haines (1866) a
dii ressentir les memes revoltes que Zola. C'est dans ses enthousiasmes
du debut qu'il le considere comme l'auteur qui se rapprochait le plus
de l'id6a1 qu'il se faisait de l'artiste de l'art pour l'art. „Zola represente
parfaitement quelle est mon idee, quelles sont mes conceptions; c'est
quelqu'un qui cultive l'art pour lui-meme et en fait son travail quotidien" 2). Il voit en lui l'artiste pur, qui parvint a „debarrasser le monde
d'une couche de conventions, of in de l'observer plus exactement" 3).
C'est a cet egard qu'il loue les tendances scientifiques dans le roman
moderne, puisque la science fournissait le moyen de mieux connaitre et
de comprendre la vie. Plus l'auteur serait renseigne et plus it aurait etudie
le monde exterieur, plus it serait a merne de le reproduire objectivement.
Mais it s'oppose aux conceptions de Netscher qui pretendait voir dans
l'application rigoureuse de la methode scientifique le salut de nos lettres.
„Si la litterature naturaliste, riposte-t-il, ne consistait qu'a etudier
l'humanite et a noter les phenomenes qui se presentaient dans cette
humanite et dans le monde, cette litterature ne serait qu'un inventaire
purement scientifique du monde et cesserait ainsi immediatement d'être
une litterature" 4). Van Deyssel a três bien compris que Zola n'a jamais
1) Verz. Opst., II, art. Nieuwjaarsdag-ontboezeming, p. 54. „Ik hoop, dat men gewaar
worde, hoe de kunst niet, waarachtig niet is een liefhebberij, niet een bijzaak, niet
een tijdverdrijf, niet een ontspanning, niet een aardigheid, niet een kleinigheid,
maar de kern van 's menschen heerlijkste ontwikkeling moet zijn, etc"
2) Verz. Werken, IV, p. 9. „Zola vertegenwoordigt duidelijk en volledig mijn bedoeling: iemand die de kunst van het woord beoefent alleen om de kunst van het
woord te beoefenen en die daarvan zijn eenig en dagelijksch werk heeft gemaakt".
3) Art. Over Literatuur, op. cit., VI, p. 51. „Zola b.v. heeft om haar juister waar te
nemen, de waereld van een zekere laag van konventien weten te ontdoen"; cf. Guy
de Maupassant, Emile Zola (1883), p. 20. „Il a dechire, creve les conventions du
„comme-it-faut" litteraire. Il a eu l'audace du mot propre, du mot cru, revenant
en cela aux traditions de la vigoureuse litterature du XVIe siècle". A l'instar de
Zola, Van D. se fit un devoir de faire la guerre aux conceptions conventionnelles,
condamna en termes vigoureux l'idee de la dêcence dans la litterature, cf. Verz.
Werken, IV, p. 96. „Ce qui me repugne dans tout ceci, c'est le malentendu eternel
de la dêcence dans l'art . . . . l'idee de la decence est un symptOme puant au fond
de la belle critique du XIXe siècle" (En wat in dit alles alleen walgelijk is, dat is
het telkens wederkeerende misverstand van de betamelijkheid in de kunst . . . .
de gedachte der decensie is een stinkend ziekteverschijnsel onder in de mooye
negentiende-eeuwsche kritiek), cf. aussi Zedelijkheidscauserietfe [Petite causerie sue'
la moralite], op. cit., p. 161-166.
4) ibid., p. 56. „Wanneer de naturalistische literatuur bestond in het bestudeeren
der menschheid en der waereld in het algemeen en het opteekenen der zich in die
6i
serieusement eu l'intention de presenter les Rougon-Macquart comme une
oeuvre de vulgarisation scientifique. Tout l'appareil scientifique lui
servait uniquement de base, et si Netscher avait mal compris ses desseins,
c'est que celui-ci avait ete plus prompt a s'enthousiasmer de la theorie
develop* dans le Roman experimental que de se rendre compte de la
nouveaute de ses principes.
Cependant, a un seul point de vue les conceptions d'art que professait
Van Deyssel s'ecartaient sensiblement de celles de Zola. A plusieurs
reprises, dans ses critiques, celui-ci avait insiste sur la fin morale des
oeuvres naturalistes 1). Une pareille conception devait etre en contradiction flagrante avec les principes de l'art pour l'art dont Van Deyssel
s'etait peu a peu fait un des plus fervents adeptes. Si pour Zola la description de la realite etait un moyen 2), elle serait pour Van Deyssel une
fin en elle-meme; son ideal unique, c'etait de peindre „artistement" le
monde reel, sans avoir la moindre pretention d'enseigner ni de moraliser.
Des 1881, dans son article De Eer der Fransche Meesters, it avait loue
en premier lieu chez Zola ses conceptions esthetiques qui l'avaient
amene a decrire les basses classes de la societe; les motifs d'ordre moral
qui l'avaient inspire, Van Deyssel les avait estimês d'interet secondaire.
Cinq ans aprês, le motif ethique ne trouvait plus aucune grace a ses
yeux; pour lui la fin premiere, c'etait l'ceuvre d'art, et ce qu'il appreciait
justement chez les naturalistes francais, c'etait la fawn dont ils reproduisaient la realite, sans jugement preconcu, sans intentions d'ordre
prive, principes d'art dont it ne s'ecarterait plus jamais 3). „Plus l'artiste
menschheid en in die waereld voordoende verschijnselen, dan zou de naturalistische literatuur een zuiver wetenschappelijke inhoudsopgaaf van de waereld zijn
en daardoor onmiddellijk ophouden een literatuur to wezen".
1) Cf. la preface de L' Assommoir. „C'est de la morale en action, simplement", et
Le Roman experimental, p. 24 . „Nous sommes en un mot, des moralistes experimentateurs . . . . Le jour oil nous tiendrons le mecanisme de cette passion, on
pourra la traiter et la rêduire, ou tout au moins la rendre la plus inoffensive possible.
Et voila oil se trouvent l'utilite pratique et la haute morale de nos oeuvres naturalistes . . . . Je ne sais pas, je le repete, de travail plus noble ni d'une application
plus large. Etre maitre du bien et du mal, regler la vie, regler la societe, resoudre
a la longue tous les problemes du socialisme, apporter surtout des bases solides
a la justice en resolvant par l'experience les questions de criminalite, n'est-ce pas
la, etre les ouvriers les plus utiles et les plus moraux du travail humain?"
2) Cf. Le Roman experimental, p. 229. „Dans un roman, une etude humaine, je
blame absolument toute description qui nest pas un etat du milieu qui determine
et complete l'homme".
3) De Mannen van '8o, p. 2 1 . „ rai toujours voulu donner l'art pour l'art meme"
(1k heb altijd willen geven de kunst om de kunst zelf).
62
observe et penetre la realite d'une fawn nue et vraie en affranchissant
sa conscience artistique de l'education que d'autres generations d'artistes
y ont imprimees, plus it aidera a achever l'evolution du naturalisme,
plus it la portera a son plus haut degre de perfection" 1).
Van Deyssel croyait &passer meme ses modeles francais, en observant
la realite avec plus de penetration encore, „avec des yeux tout neufs" 2),
s'imaginant approcher ainsi d'un ideal ou les naturalistes francais n'avaient pas encore atteint. Aussi se garde-t-il d'imiter leurs exemples et
reproche-t-il a Netscher de vouloir introduire ici un art identique a celui
que les naturalistes cultivaient depuis 185o, car „vela ne communiquerait
aucunement a la Hollande l'impulsion necessaire" 3). Selon Van Deyssel
le naturalisme francais etait destine a ceder la place a un nouvel art
litteraire, apparent& it est vrai, au naturalisme, mais qui en constituerait
pour ainsi dire une phase ulterieure. Il se figurait que, en Hollande
precisement, cette litterature nouvelle prendrait un veritable essor, que
le naturalisme evoluerait chez nous vers un art des plus raffines. Puisque
cette preciosite subtile, a laquelle it aspirait se distinguait avec evidence
dans l'oeuvre des Goncourt, it est tout naturel que ces deux auteurs
n'aient pas tarde a le seduire et a inspirer son art. Il consacre a l'auteur
de Cherie, dans l'ceuvre duquel ii avait decouvert „un monde de stylisation et d'observation" auquel it aspirait depuis longtemps 4), un article
enthousiaste et tout a fait caracteristique au point de vue de son evolution
et de ses conceptions. A ses yeux Goncourt est l'artiste pur, qui par le
travail subtil et comme aiguise de son esprit artistique, savait plus que
Balzac ou Flaubert, p6netrer avant dans les nouvelles idees artistiques,
sans „les pretentions lourdes d'un Zola de faire de la litterature une
affaire d'etat ou du moins une affaire de la societe ou de la rue" 5). C' est
de lui qu'il semble avoir herite ce souci d'une forme exquise, du mot
1) V erz. Werken, IV, p. 51. „Hoe meer ontdaan van den schijn, dien vorige kunstenaarsgeslachten er over geworpen hebben, hoe naakter en waarder de kunstenaar
de natuur ziet, hoe meer hij het wezen van zijn artistiek bewustzijn weet te abstraheeren van de opvoeding, door vroegere literaturen daaraan gegeven, des te verder
vervolgt hij de gang van dat naturalisme, des te nader brengt hij het tot zijn uiterste
grenzen".
2) ibid., IV, p. 54.
3) ibid., IV, p. 70, 71. „Dat zal Holland m.i. niet den gewenschten stoot geven".
4) ibid., IV, p. 174. „Omdat ik in hem iets, in zijn werken een observatie- en stijlwereld gevonden heb, daar ik allang naar haakte".
5) ibid., IV, p. 107. „Zonder van de literatuur een staat- of althans een maatschappijen een straatzaak te maken".
63
expressif et pittoresque. Comme lui it tient a l'expression rare, profondement individuelle, au rendu infiniment „artiste", qui constitue a ses
yeux la valeur durable et intrinseque de l'oeuvre 1). Par la son oeuvre
prend un caractere tout subjectif, repondant d'ailleurs a sa conception
du roman qui devait etre „une tranche de vie, intensement vue, rendue
individuellement, avec passion, traduite en bonne prose, en prose artiste" 2). Ce qu'il blame dans Goncourt, c'est qu'il n'ait pas recours au
„style lyrique", a la „prose rythinee" pour exprimer les nuances poetiques 3), procede d'art oil Van Deyssel lui-meme passera un jour maitre.
Chez nous ce fut lui qui le premier porta a un degre de perfection
cette prose „cadencee", grace a laquelle it excellait a saisir l'essence
poetique du monde ambiant, sachant evoquer des choses du dehors
leur ame intime, de sorte qu'elles semblaient ranimees de nouveau, impregnees d'une vie interieure propre.
De sa premiere periode datent les deux romans „naturalistes" Een
Lie/de [Un Amour] 4), ecrit entre les annees 1881 et 1885, et De Kleine
Republiek [La petite Republique] (1886). Le premier, ecrit a de longs intervalles et qui constitute au fond une serie d'impressions, vecues avec
passion et rendues avec la plus grande minutie, montre en quelque sorte
l'evolution que Van Deyssel a suivie depuis sa dix-septieme annee
jusqu'en 1886, date de son article Over Literatuur. Le dernier chapitre d' Een Liefde est déjà. la manifestation evidente de la tendance
„impressionniste" ou „sensitiviste" qu'il se mettait en devoir d'introduire
en Hollande et qu'il s'imaginait, par une observation p6netrante, aiguisee
a outrance, elever a un niveau qui n'avait pas encore ete atteint jusque-la
a l'etranger.
L'influence de Zola sur son art, durant cette periode de sa vie, a etë
incontestable. Sa formule l'incitait a etre deliberement „indecent", a
epater le bourgeois par des descriptions hardies et obscenes. „Nous etions
excentriques et indecents, disait-il, non pas que nous prenions l'excentrique et l'inconvenant pour la Write, mais parce que l'excentricite et
l'inconvenance nous semblaient la plus belle affirmation de notre opinion
1) Voir aussi C.-G.-N. de Vooys, Wording en verwording van letterkundige taal
[Naissance et decadence de la langue litteraire]. Groningen,Wolters, 1915, p. 16 (broch . ) .
2) Verz. Werken, IV, p. 1 44 . „Een stuk leven, erg gezien, individueel gezien, met
passie gezien en omgezet in goed proza, in proza-kunst".
3) Ce „defaut", it l'attribue avec raison au fait que „moins que l'anglais et le
hollandais, la langue francaise se pretait au style rythmique moderne".
4) L. van Deyssel, Een Lie/de [Un Amour]. C.-L. Brinkman, publie en 1887 (2e
ed., 1889; 3e ed., 192o).
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a nous que tout nous etait permis". Le besoin de tout dire, la franchise
dans la peinture de la vie sexuelle, il les tient du maitre francais, qui
enseignait que tout sujet, meme le plus choquant, valait d'être traite
en litterature. L'accent forcement grossier de certains passages, leur
place souvent inattendue dans le texte indiquent que Van Deyssel a fait
l'etalage de ces immoralites sans veritable inspiration artistique, ne desirant, comme il le reconnaissait plus tard, que de faire triompher sa
theorie" 2).
Plus Oneralement l'influence du naturalisme francais se fait sentir
dans la fawn dont il a concu le roman et ses figures principales. Mathilde,
ame tendre, devouee, nee pour aimer, se marie avec un jeune homme
qui ne comprendra jamais les epanchements de tendresse et d'amour de
sa femme. La vie pour elle sera un enchainemeni de deceptions. En s'identifiant avec son heroine, au point de revivre avec elle ses impressions
et ses sensations, ses desirs brillants, ses deceptions cruelles de femme
abandonnee qui aime et aspire au bonheur, l'auteur nous a peint un de
ces drames êmouvants de la passion inassouvie, qui depuis V oluptd et
Adolphe abondent dans la litterature francaise 4). Cette femme, qui
voit s'ëvanouir le bonheur dont elle a reve, n'est-elle pas l'image vivante
de tant d'heroines tragiques du XIX e siecle et ne suggere-t-elle pas,
a certains moments, la figure la plus obsedante d'entre toutes, celle
d'Emma Bovary?" 5)
1) Verz. Werken, V, p. 264. „Wij waren excentriek en onvoegzaam, niet omdat wij
het excentrieke en het onvoegzame in 't bizonder voor het ware hielden, maar wij1
excentriciteit en onvoegzaamheid ons de duidelijkste affirmatie scheen van ons
gevoelen, dat wij Mies mochten zijn".
2) De Mannen van '8o, p. 20. „Om mijn theorie to doen zegevieren, had ik allerlei
taken zonder de minste schuchterheid behandeld"; voir la presente etude, p. 40.
3) Il va sans dire que ce roman souleva une tempéte d'indignation et de protestations, cf. De Lantaarn [La Lanterne], 1888, janv., p. 4, oil le roman est considers comme „un succès de la litterature de la bouge et du bordel" (een groote
aanwinst voor de kuf- en bordeelliteratuur).
4) C'est surtout depuis l'Education sentimentale, ce roman-modêle de la desillusion
(voir E. Maynial, L'Epoque re'aliste. Paris, 1931) que le roman realiste abondera
en tragedies de la defaite, toute l'oeuvre naturaliste, celle de Maupassant, de Zola,
de Daudet, de Huysmans en est pleine et fecondera, comme nous le verrons au
chapitre III, notre roman d'apres 1880.
5) On saurait faire un rapprochement curieux avec Une Vie, concu a la meme
époque (1883) oil Jeanne, comme Mathilde mariee a un bourgeois banal et sensuel,
se traine de deceptions en deceptions, dont la plus cruelle est sans doute celle
d'être abandonne, par son mari pour une femme sans dignite.
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Le probleme que l'auteur s'est pose des le debut, c'est d'etudier comment tel temperament, sous l'influence de telles circonstances, se dissocie, „se defait". Tout en donnant „1' humble verite", it nous decrif l'existence terne et grise de Mathilde, constate avec l'impassibilite de l'homme
de science comment cette vie s'achemine vers sa destinee fatale. Il faut
remarquer a la fin du roman cette phrase, evoquant par sa sobriete meme
la desolation d'une existence sans espoir. „Rentr6e, vers la fin octobre,
a Amsterdam, elle ne se rappelait autre chose de cet &range ete que le
faible souvenir d'un reve. Au mois d'avril de l'annee suivante, elle
accoucha encore, d'une fille" 1).
Ce qui etait nouveau dans le roman, c'etait, pent-etre sous la suggestion du roman naturaliste, l'interet que l'auteur prenait aux descriptions
de la nature. „Toute reaction, avait dit Zola, dans son chapitre De la
Description 9, est violente, et nous reagissons encore contre la formule
abstraite des siecles derniers. La nature est entree dans nos ceuvres d'un
élan si impetueux qu'elle les a emplies, noyant parfois l'humanite, submergeant et emportant les personnages au milieu d'une debacle de roches
et de grands arbres" 3), et plus loin: „La passion de la nature nous a
souvent emport6s, et nous avons donne de mauvais exemples par notre
exuberance, par nos griseries du grand air. Rien ne detraque plus siirement une cervelle de poete qu'un coup de soleil. On reve alors toutes
sortes de choses folles, on ecrit des ceuvres oil les ruisseaux se mettent
a chanter, oil les chenes causent entre eux, oil les roches blanches soupirent comme des poitrines d'une femme a la chaleur de midi. Et ce
sont des symphonies de feuillages, des roles donnes aux brins d'herbe,
des poemes de clartes et de parfums. S'il y a une excuse possible a de
tels &arts, c'est que nous avons reve d'elargir l'humanite et que nous
l' avons mise jusque dans les pierres des chemins" 4).
Van Deyssel, ame lyrique par excellence, s'assimile facilement cette
tendance a peindre la nature, fremissant d'une vie intense, en harmonie
avec l'etat d'ame de ses personnages, de sorte qu'il nait une fusion intime,
une correspondance etroite entre un etat interieur avec son ambiance
1) Een Liefde, 3e ed., p. 366. „Toen zij einde Oktober weer terug waren in Amsterdam hield zij niets meer over van dien raren zomer buiten dan de slappe herinnering
van een droom. In April van het volgend jaar, beviel zij weer, van een dochter".
2) E. Zola, Le Roman experimental, p. 227 sqq.
3) ibid., p. 23o.
4) ibid., p. 231, 232.
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exterieure 1). C'est surtout a la fin du roman, au fameux treizieme
chapitre, qui par son lyrisme exuberant rappelle la description du Paradou
dans La Faute de l' Abbd Mouret, que Van Deyssel reussit a suggerer par
une synthêse grandiose l'extase dont s'enivre le cceur de Mathilde grace a
la splendeur de la nature environnante au point qu'elle se sent envahie
par la passion la plus violente qu'elle ait jamais eprouvee. Voici comment
l'auteur clecrit cet etat d'ame, tout a fait en harmonie avec l'eblouissement
d'une nature ensoleillee. „Oh, c'etait une fête de lumieres . . . . la chaleur
etait portee A. travers les espaces par une meme exaltation de couleurs
chaudes, par une excitation de la vie chaude, et Mathilde, pleine de joie,
sentait trembler sa chair sous ses vetements . . . . Qu'etait cet espace d'or
lumineux, qui s'etendait la devant elle? . . . . Et ces branches qui toutes
se penchaient vers elle? . . . . Elle se trouvait dans une Salle, animee d'une
vie singuliere, pleine de choses etranges qui l'exaltaient . . . . elle se
sentait soulevee, emportee par cette frenesie de couleurs. Ses regards
se troublerent" 2). Ce passage, que par la singularite du vocabulaire impressionniste it serait impossible de traduire, n'evoque-t-il pas la description lyrique du parc oil Serge et Albine cachent leurs amours: „Et
le jardin entier s'abima avec le couple, dans un dernier cri de passion.
Les troncs se ployerent comme sous un grand vent; les heroes laisserent
echapper un sanglot d'ivresse; les fleurs, evanouies, les levres ouvertes,
exhalerent leur Arne; le ciel lui-meme, tout embrase d'un coucher d'astre
eut des nuages immobiles, des nuages pames, d'ofi tombait un ravissement surhumain. Et c'etait une victoire pour les bêtes, les plantes, les
choses, qui avaient voulu l'entree de ces deux enfants dans l'eternite
de la vie. Le parc applaudissait formidablement" 3).
1) C'est par la que Van Deyssel se trouve, comme Zola, aux confins du symbolisme. Ainsi que son predecesseur, it aime a animer les objets inanimes, tendance
dont se moquait Brunetiere dans Le Roman naturaliste (p. 17), par exemple: „Les
couleurs riaient de bon cceur autour d'elle (de kleuren lachten vlak uit om haar
heen, op. cit., p. 333) ou bien „les meubles semblaient affaisses comme des betes
mortes avec leurs dos lourds et leurs fronts obtus" (die als doode beesten met
logge ruggen en stompe voorhoofden daar neergezegen schenen, ibid., p. 293).
2) Een Liefde, 3e ed., p. 336, 337, 338. „O, het was een feest van lichten. En
het werd gedragen door alle lagen der ruimte, in een begeestering van heete
kleuren, een vervlamming van het heete leven, en Mathilde voelde zich juichend
onder haar kleeren beven . . . . Wat was die gouden lichtruimte voor haar uit?
En al die takken, die naar haar heen reikten? Zij was in een groote zaal vol vreemd
leven, vol rare vervoerende dingen . . . Mathilde voelde zich heffen en zich weer
gaan, heengedragen door de kleurenverbijstering. Haar oogen doofden uit".
3) E. Zola, La Faute de l' Abbe Mouret (1875), ed. Flammarion, p. 37o.
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Seulement l'amour avec lequel l'auteur s'attarde a decrire tous les
details, lui fait sacrifier ce qui constitue, a nos yeux, la partie la plus
humaine du roman, savoir le conflit tragique qui dechire le cceur de
Mathilde. Le drame interieur est noye sous le fastueux decor des evocations impressionnistes auxquelles l'auteur prete toute son attention. Alors
que Flaubert se reduit a noter les details les plus caracteristiques, restant
par la d'une sobriete toute classique, Van Deyssel note tout ce que son
ceil percoit. Son attention tendue au plus haut degre ne laisse echapper
aucune particularite pittoresque. On se demande si Mathilde, en proie
A. ses emotions, a pu embrasser, en un coup d'oeil, tous les details que
l'auteur lui fait remarquer. „Elle entendit tousser dans la rue, pres de la
fenetre. D'un air nerveux, Mathilde leva les yeux. C'etait Jozef, tout
simplement. Il etait la, devant la porte, coiffe d'un chapeau de soie tout
luisant, bien lustre. Il sonna. Son mouchoir, aux bords rouges, s'agitait
dans le vent, devant son visage" 1). Voici encore deux exemples recueillis
successivement dans Flaubert et Van Deyssel qui illustrent cette fawn
d'observer de l'un et de l'autre. Lorsque Charles Bovary rencontra pour
la premiere fois sa fiancee future, it „fut surpris de la blancheur de ses
ongles". Mathilde, se rem6morant trait pour trait la physionomie de
Jozef, description a laquelle l'auteur consacre des pages et des pages, se
rappelle „comment a rage de treize ans déjà elle avait admire le grand
croissant bleu qui se decouvrait sous son ongle, si l'on repoussait la peau,
ainsi que le bout de cet ongle, aussi Blanc qu'un fragment d'une plume
d'oie" 2). Le defaut oil tombe sans cesse l'auteur, c'est qu'il s'identifie
avec ses personnages au point de substituer sa vision personnelle a celle
de ses sujets et qu'il leur fait percevoir des details que des yeux ordinaires
ne decouvriraient qu'aprês une observation prolongee et minutieuse.
Dans ce premier roman de Van Deyssel entre, outre le lyrisme des
descriptions, un autre element qui le rapproche egalement des auteurs
francais, c'est la peinture caricaturale de la bourgeoisie. Een Liefde, dans
son entier, n'est que la condamnation cruelle de la vie bourgeoise moderne,
plate et banale. Jozef, qui sous sa plume devient la personnification de la
1) Een Lie/de, p. 29. „Dan werd gehoest op straat, vlak bij het venster. Schichtig
keek Mathilde op. 't Was Jozef, doodeenvoudig. Hij stond met een hoogen, glimmenden, prachtig glad gestreken hoed op voor de deur en schelde. Zijn zakdoek,
met een rood randje, wapperde in den wind vOOr zijn gezicht".
2) ibid., p. 48. „Hoe ze op haar dertiende jaar al de groote witte halve maan,
die door het wegdeuken van het vel onderaan zijn nagel zichtbaar werd, en de
punt van die nagel zoo blank als een stuk ganzeveder had bewonderd".
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mediocrite humaine, est un nouveau Homais, de qui il tient ses presomptions, son arrogance de rentier bourgeois, ses engouements politiques et
scientifiques. „Il etait en toute chose un homme raisonnable et ponctuel,
assez 6conome, il est vrai, mais sans donner dans le ridicule. Pour son
argent il cherchait des placements stirs, contrOlant avec une exactitude
extreme le cours des fonds publics, detachant regulierement ses coupons.
A ses heures de loisir il lisait les classiques allemands et toutes sortes de
traites sur la physique. Il s'etait abonne a un journal liberal de tendance
moderee et a plusieurs revues illustr6es. Des fois il achetait un livre luxueusement relie ou bien souscrivait a une edition qui paraissait par fascicules et qui finirait par constituer un ensemble precieux" 1). Le mepris,
l'ironie apre et mordante qu'on voit transparaitre a tout moment, jusque
dans l'orthographe de certains mots, rappellent immediatement le procede
du createur de Bouvard et de Pecuchet. Par cette caricature du bourgeois
satisfait, ridicule avec son air important, avec ses fausses et vaines pretentions Van Deyssel a ajoute a la fameuse galerie des portraits, qui a
partir de Joseph Prudhomme (autre Joseph, dont le souvenir n'est pas
sans s'imposer) abondent dans la litterature francaise.
Deux ans apres Een Liefde, Van Deyssel publie De Kleine Republiek,
relation fidêle des annees qu'il a passees au college de Rolduc. Grace a la
notation de petits faits caracteristiques et pittoresques, le roman est
devenu le journal qu'un interne a conscienscieusement tenu a jour lors
de son passage au pensionnat. Seulement ce reportage „pictural" des
menus accidents quotidiens n'est plus guere capable de nous interesser
de nos jours. Tout y est enregistre avec une attention minutieuse. Voici
par exemple, le portrait d'un de ses professeurs. „Dans la classe le professeur, inonde du ref let cuivre de la sonnerie faible qui s6parait les
lecons. Le professeur, uniformement gros, le corps noir portant sa figure
rougeaude et luisante, avec, au bout des manches noires, les mains
luisantes et rougeaudes, les yeux d'un bleu aqueux, la tete et les mains
tremblantes, tremblant legerement, sans discontinuer, par suite d'une
1) Een Liefde, p. 64. „Hij was overigens in alles, een redelijk en punctueel man.
Hij was wel wat zuinig, maar nooit in 't belachelijke. Hij zorgde goed voor zijn
geld, ging met veel nauwkeurigheid den loop der effecten na en knipte geregeld
zijn couponnetjes af. Hij las in zijn leege uren Duitsche kiassieken en allerhande
werken over natuurkunde. Hij was geabonneerd op een matig-liberale koerant en
op verseheiden geillustreerde tijdschriften. Ook kocht hij wel eens een prachtband,
of teekende in op een uitgave, die langzaam bij afleveringen verscheen en een
kostbaar geheel zon worden".
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maladie interne; marchant a pas lents, faisant avec ses bras des gestes
lents et gras, causant d'une voix grasse, mouillee, lentement, d'un ton
saccade" 1).
Aucun autre souci ne semble avoir preoccupe l'auteur que de revivre
les impressions dont le souvenir lui est reste grave dans la memoire avec
une surprenante lucidite. Il n'y a que son ironie, son amour de la caricature qui, de temps en temps, sauvent le genre.
En nous resumant nous constatons que l'art de Van Deyssel se rattache
a plusieurs points de vue au mouvement litteraire en France. Ce qui l'a
attire avant tout chez les auteurs naturalistes, c'etait l'objectivite avec
laquelle ils observaient et notaient la realite et qu'il estimait „la faculte
eminente, le plus precieux tresor" de son époque 2). Cette tendance, ii
en clecouvrait la manifestation la plus evidente chez les naturalistes francais, notamment chez Zola, qui s'en etait fait le defenseur le plus fervent
et le plus hardi, s'attachant a l'appliquer dans ses plus rigoureuses consequences. C'est lui qui l'exhortait a servir la Write et la beaute, qui
excitait en lui l'enthousiasme sublime pour se faire le defenseur d'un
art nouveau, superieur, a ses yeux, a ses modeles. En artiste de l'art
pour l'art, it a cherche avant tout sa satisfaction artistique dans la creation
d'une belle prose, cadencee et coloree, de sorte que ses essais tiennent
Out& de prouesses de virtuose que d'analyses profondes. Seulement
on comprend que chez un auteur qui fait si grand cas d'un style hyperindividuel, on cherche en vain des „influences" d'autres styles. Avide de
„decouvrir des mots nouveaux", de „forger des phrases inconnues" de
„reduire en mille morceaux toutes les trouvailles, toutes les pensees et
sensibilites des devanciers pour creer ensuite son oeuvre nouvelle a lui" 3),
it s'est mis, Bien consciemment, en garde contre toute action du dehors,
1) De Kleine Republiek, 2e ed., p. 3i. „De professor binnen, koperig besproeid door
een zwak klokgelui, dat de lessen scheidde. De professor, gelijk-dik, met boven
het zwarte lichaam een vet-glanzend donkerrood hoofd en onder-aan de zwarte
mouwen vet-glanzende donkerroode handen, de oogen waterblauw, het hoofd en
de handen bibberend, bibberend heel-even al-door, van een inwendige kwaal;
zachtgaand, bewegend in dik-kalme armgebaren, met nat-vette stem zeide hij
bedaard met scheuten . . . ."
2) Art. Nieuw-Holland, Verz. Werken, IV, p. 7. „Ik bemin de objectiviteit als de
uitnemende eigenschap, de grootste schat van onzen tijd".
3) ibid., p. 74. „Nieuwe woorden zoeken - ongekende zinnen smeden, al de vondsten, al de gedachten en gevoeligheden van de taal der voorgangers stuk slaan tot
een berg van schitterend gruis en er dan Uw nieuwe, Uw eigen werk van bouwen".
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Nous n'avons pas la pretention de suivre ici l'auteur dans son evolution.
ulterieure. Seulement it est curieux de voir comment, apres ses enthousiasmes des premieres annees, it s'est peu a peu detache d'un mouvement
qui commence par avoir tant de prise sur lui. Déjà, a la fin de sa critique
a propos de La Terre (1888), quoiqu'elle soit, d'un bout a l'autre, une
sorte d'apoth6ose du grand maitre francais, se reconnait l'accent d'une
deception indeniable. „ Je distingue déjà nettement, disait-il, deux sentiments divers: une fine et sourde tristesse de n'etre plus tout a fait de
cet art, et une terrible incertitude de ne pouvoir jamais faire en son genre
quelque chose d'aussi grand" 1). Trois ans plus tard, dans son article
De dood van het naturalisme [Le naturalisme est mod] (1891) it declare
franchement que „Fart de Zola ne le remplissait plus de cet eblouissant
bonheur auroral d'autrefois, ainsi que l'eveillent en nous les decouvertes
d'un nouvel art puissant" 2).
Son detachement de ses anciens principes 3) s'accompagne d'un en1) Verz. Werken, IV, p. 93, art. La Terre. „Ik onderscheid al vast duidelijk twee
sentimenten: een dunne, doffe droefheid dat ik niet meer heelemaal van deze kunst
ben, en een ergen twijfel of ik ooit jets in zijn soort zoo groots zou kunnen doen".
2) ibid., V, p. 87. „Dat het mij niet zoo vervult met een verblindend ochtendstondsgeluk, als de ontdekkingen van een nieuwe, beginnende kunst doen".
3) Tout a fait en rapport avec sa conversion artistique est sa critique desapprobatrice de rceuvre de Zola, attitude que J. Prinsen J. Lz. a pris, a tort, pour „une
pose absurde" (idiote aanstellerij). „Il me semble maintenant, disait Van Deyssel,
que L' Assommoir est, d'une maniere generale, un genre d'art inferieur" (L' Assommoir komt mij nu voor over 't geheel een gering soort kunst to zijn, Verz. Opstellen, XI, p. 237). Le Mlle qui, un jour, avait &eine en lui un ravissement infiniment delicieux, a tel point que „son emotion refoulee fond a tout moment en
larmes" (mijn opgekropte ontroering barst telkens in snikken los, Verz. Werken,
IV, p. 196), n'êtait plus a son avis qu'un ouvrage „particulierement mauvais"
(een bijzonder slecht werk, Verz. Opstellen, XI, p. 328). A propos de Nana, ii ecrit
que „l'esprit avec lequel Zola voit la realite, est grossier, d'une laideur revoltante"
(De geest waarmee Zola dat ziet, is onaangenaam leelijk, Verz. Opstellen, XI,
p. 328). Une autre explication de ces assertions dênigrantes est Celle qu'on peut
trouver chez Van Deyssel lui-meme, quand it expose comment sa critique de
subjective, d'impressionniste qu'elle etait, etait devenue a cette heure la „froidement analytique", „Le malentendu de mes anciennes appreciations sur Zola a ete
que j'ai pris ma pens& qui naissait apres ma lecture pour l'impression directe de
ce que j'avais lu. Les pages qui me paraissaient autrefois du „grand art", me
semblent maintenant assez mediocres" (Het misverstand in mijn vroegere waardeering van Zola is geweest, dat ik mijn gedachte, die door de lectuur ontstond,
voor den directen indruk of afdruk van het gelezene in mijn geest heb gehouden.
Plaatsen die mij vroeger „groote kunst" leken, schijnen me nu vrij „ordinair",
Verz. Opstellen, XI, p. 237).
71
thousiasme grandissant pour l'ceuvre de Maeterlinck, de Huysmans,
de Ruysbroeck, de tous ceux a qui la vie mysterieuse de l'ame importait
plus que la realite basse et deprimante du monde ambiant. Il y a dans
sa personnalite beaucoup qui explique cette faculte de s'adapter facilement a de nouvelles influences. Esprit toujours en &veil, ressentant un
besoin continuel de se renouveler, it s'assimile sans cesse les nouvelles
facons de sentir et de comprendre la vie. Ce n'est que dans l'invention
de procedes toujours nouveaux que Van Deyssel voit le moyen d'atteindre
enfin la perfection. Voici comment it expliquait un jour la permanente
et incessante variablite de son étre: „La veritable attitude envers la vie
se divise en deux: le stable et l'instable. Celui qui est seulement
stable se dessêche; celui qui ne fait que changer, se disperse. Celui-la
seul peut a rage de la vieillesse parler de jeunesse qui se rend compte de
ses propres transformations, s'operant en harmonie avec celles de la vie
ambiante finissant par devenir la confirmation derniêre des pressentiments qu'il entendait chuchoter jadis dans son for interieur" 1).
S'assimilant ce que de nouvelles orientations dans l'art lui suggeraient,
Van Deyssel suit tout naturellement l'evolution de son époque, designant
lui-meme les quatre phases a travers lesquelles elle devait s'accomplir
et arriver au point final de son developpement: observation — impression
— sensation — extase 2). Par un deplacement des parois, oil evidemment
la methode de l'observation objective resterait la meme, l'attention, se
detachant du monde materiel, perceptible a nos sens, se porterait desormais sur la vie immaterielle de Fame, qui seule vaudrait d'etre observee
et notee. Consickree ainsi, son evolution n'avait rien d'illogique, ni
d'imprevu. „De Zola a Maeterlinck, disait-il, n'est pas plus un bond
par-dessus le chaos obscur que Maeterlinck ne serait une reaction contre
Zola. De Zola a Maeterlinck est une evolution, quoique ce dernier ressemble aussi peu au premier que la blanche fleur du pommier a la grise
et rugueuse racine de cet arbre" 3).
1) Verz. Werken, IV, p. 319, art. Van Zola tot Maeterlinck [De Zola ci Maeterlinck].
„De ware levenshouding is in twee deelen to splitsen: het standvastige en het
veranderende. Die alleen standvastig is, verdort; die alleen veranderend is, verwaait. En van jeugd in zijn ouderdom kan alleen hij spreken, die zijn eigen veranderingen met die van het leven om hem heen gewaar wordt als de bevrediging
van in zijn individueele wezenlijkheid vroeger reeds stamelende voorgevoelens".
2) Verz. Werken, IV, p. 32o.
3) op. cit., p. 319. „Van Zola tot Maeterlinck is evenmin een sprong, over duisteren
chaos, als Maeterlinck een reaktie tegen Zola is. Van Zola tot Maeterlinck is een
ontwikkeling, al lijkt de tweede ook even weinig op den eersten als de witte appelbloesem op den ruigen grauwen wortel van den boom".
72
Malgre ses nouvelles orientations Van Deyssel n'a jamais renonce a
voir en Zola son ancien maitre dont l'exemple inspirait son travail 1).
En son honneur it ecrivit en 1902, lors de sa mort, un article fres elogieux
Een monument voor Emile Zola [Un monument pour Emile Zola], temoignant de sa gratitude envers l'homme qui lui fut si souvent un exemple.
„Aujourd'hui comme autrefois Zola reste pour nous l' artiste a qui nous
devons beaucoup et une des figures les plus puissantes du xix e siecle.
Ce n'etait pas seulement son art robuste et universel qui m'attirait en
lui, mais l'ardeur, le zele avec lequel ii se faisait le defenseur de l'art
litteraire et la hardiesse de ses opinions qui, dans ses critiques, accompagnaient l'apparition de ses oeuvres d'art. Nous ne connaissons aucun
autre qui ait ecrit avec autant d'energie, de franchise, de passion que lui.
C'est comme si nous l'entendions s'ecrier: „N'est-ce donc rien, la passion
qui flambe, la passion qui tient le coeur chaud ! C'etait lui qui nous
incitait a faire de grands efforts dans l'art" 1).
C'est de lui, en effet que Van Deyssel tenait l'amour de la verite, la
passion d'un art objectif, desinteresse qui l'entrainaient a suivre le maitre
dans ses audaces, a lancer ses anathemes contre la bourgeoisie, „ce vilain
abces dans le beau corps de l'humanite" 2), a se faire, comme lui, le
champion d'un mouvement nouveau qui va inaugurer une si glorieuse
1) Verz. Opst., VIII, p. 74. „Nu zijn we wijzer geworden, en erkennen wij dat Zola
„de eenige" niet is en niet was, maar nu, evenals toen, blijft Zola voor ons de
kunstenaar, aan wien wij veel te danken hebben en een der machtigste figuren
van de XIXe eeuw. Het was niet alleen zijn krachtige en veelvuldige kunst die
ons in Zola aantrok, maar ook zijn ijveren voor de letterkundige kunst en de stout
uitgesproken meeningen, waarmee hij in zijne kritieken de verschijningen zijner
kunstwerken begeleidde. Wij kenden geen ander, die zoo voortvarend en zoo open
schreef, en zoo geestdriftig als hij. Hij was het die ons aanvuurde en ons tot
moedig willen, tot groote pogingen in de kunst opstookte". Ces paroles de gratitude
envers le venere maitre contrastent etrangement avec la vive indignation que
ressentit Van Deyssel au moment ou le bruit se repandait que Zola s'etait presente comme candidat a l'Academie. A ce propos it parla de „crachats brillants"
(blinkende fluimen) dont aimaient a s'orner les generaux et les savants, mais,
ajoutait-il, „dans la Haute Litterature on ne saurait se compromettre d'une fawn
plus ridicule que de se laisser decorer". „Cette decoration ne fait pas tort naturellement a son oeuvre, mais elle souille la personne" (In de Hooge-Literatuur kan men
zich moeilijk belachelijker compromitteeren dan door zich te laten dekoreeren.
Deze dekoratie tast natuurlijk zijn werk niet aan, zij bezoedelt alleen de persoon),
voir De Nieuwe Gids, 1889, I, p. 144, 145, art. Zola gedekoreerd en Akademielid
[Zola de'core et membre de l' Academie].
2) Verz. Werken, IV, p. 96. „De bourgeoisie, een leelijke etterpuist in het mooije
lichaam der menschheid".
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periode dans notre litterature. Zola eveilla en lui la claire conscience de
la voie qu'il suivrait; c'est de lui qu'il semble avoir Mrite sa haute
icl6e de l'art, son élan, son enthousiasme qui feront de lui un veritable
guide, initiant toute une generation a le suivre dans ses heureux et louables efforts. S'inspirant du grand romancier francais, i1 s'est fait un
devoir de relever nos lettres au niveau des litteratures etrangeres, tache
oil, a plusieurs points de vue, it a grandement reussi.
ARI J PRINS (1860-1922)
Arij Prins 1) naquit le 19 mars 186o a Schiedam, ou son pere etait
directeur d'une stearinerie. B. recut sa premiere instruction dans un
pensionnat a Voorburg pres La Haye, ou s'installerent ses parents, des
que leur fils eut l'age de suivre l'ecole. L'ayant destine au commerce,
son pere l'associa, des sa dix-septieme annee, a sa fabrique. Prins qui
consacrait ses heures de loisir a l'etude et aux lettres, debuta par des
nouvelles dans le genre de Hildebrand et de Justus van Maurik, recits
qui faisaient la joie de la famille 2).
Esprit infiniment artiste, plus epris au fond de peinture que de litterature, it s'interessa vivement a la vie intellectuelle et artistique de son
époque. L'enthousiasme d'un Van Santen Kolff le gagna. BientOt it sera,
comme lui, un des admirateurs fervents de la peinture moderne et lira
avec passion les naturalistes francais qui, alors, etaient arriv6es a l'apogee
de leur gloire. Il se lia d'amitie avec Netscher, chez qui it rencontra
Willem Paap; par eux it connut les jeunes litterateurs qui habitaient
Amsterdam, Kloos, van Eeden, Verwey, Erens, auteurs qu'il a frequentes
regulierement jusqu'au moment oil, vers la fin de 1885, it quitta la Hollande pour s'etablir a Hambourg.
Van Deyssel disait de Prins qu'il etait un connaisseur de choses exquises
et rares. „C'etait lui qui de nous autres Auteurs de 188o signalait les
beautes dans l'ceuvre tres peu connue du petit groupe des „realistes"
1) Pour plus de details sur la vie, voir S.-P. Uri, Leven en Werken van Arij Prins
[Arij Prins, sa vie et son ceuvre]. Delft, Waltman, 1935. Cf. aussi Den Gulden
Winckel, 191o, p. 63 et la preface de Herman Robbers a la deuxiême edition de
De Heilige Tocht [La Croisade]. Amsterdam, P.-N. van Kampen & Zoon, 1927.
L'orthographe Arij (avec ij) est de rigueur, cf. preface citee, p. VI.
2) Entre autres Een Verlovingspartij [Une Fite de fiancailles], parue dans Eigen
Haard [Le Foyer] de 1882 (no 19 et 2o).
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francais qui, dans les lettres francaises, viennent apres Balzac et avant
Zola et ses „naturalists", tels que les Champfleury et les Duranty" 1).
En effet Prins decouvrit des auteurs qui, a cette époque-la, etaient
chez nous vraiment des inconnus, Duranty dont it admirait La Cause du
beau Guillaume 2), Stendhal, Henry Becque, Camille Lemonnier, Paul
Margueritte (avec les deux derniers it a longtemps ete en correspondance),
Ceard, Desprez, Caze 3), le jeune poête francais Paul Robert de Castel,
puis Auguste Strindberg et les Russes Dostoievsky, Gogol, Tolstoi,
Tourgueniev 4), l'auteur anglais George Moore, voire les Italiens Verga,
Capuana, Dossi et l'Espagnol J.-L. Pinto. II ne cesse de blamer dans le
lecteur hollandais son manque de gout et son ignorance totale des litteratures etrangeres. D'aprês Prins, on ne connaissait guere ici que Nana
et Pot-Bouille, mais on ignorait absolument l'ceuvre d'un Balzac, d'un
Tolstoi, d'un Dostoievsky ou d'un Stendhal. „Il semble, disait-il, que
nous avons eleve une sorte de muraille chinoise autour de notre pays
pour empecher ces auteurs et beaucoup d'autres d'y entrer" 5).
1) L. van Deyssel, In Memoriam Arij Prins [Sur la most d' Arii Prins]. De Gids,
1922, II, p. 504. p. 504. „Prins, een fijnproever, ontdekte plekken in de zeer weinig
bekende geschriften der kleine groep Fransche „realisten", Welke zich, na Balzac
en vOOr Zola en diens „naturalisten" had voorgedaan en genoemd wordt naar
Champfleury en Duranty".
2) Prins possedait, d'apres le catalogue de sa bibliotheque La Cause du beau Guillaume (1862), dont it fit cadeau a van Deyssel, et Les Combats de Francoise du Quesnay
(1873), „avec autographe de l'auteur", cf. Uri, op. cit., p. 54.
3) Prins prit une part fres vive au sort douloureux de Caze; pendant la maladie
de l'auteur it fit parvenir a sa famille un secours en argent, acte genereux dont
E. de Goncourt n'oublie pas de prendre note dans le Journal (tome VII, lettre
du 23 mars 1886), oil nous lisons: „Au milieu de l'egoisme, de la crasserie generale
de l'humanite, ii y a par-ci par-la chez quelques individus, de beaux mouvements
de generosite. Huysmans me contait qu'un Hollandais, d'une maison de commerce
de Hambourg, epris du naturalisme, et combattant pour nous dans les journaux
de lä-bas — et notez un homme qui ne connaissait pas Robert Caze — lui avait
&fit, qu'ayant appris que Robert Caze etait fres malade et que sachant d'autre
part qu'il n'etait pas dans une position fortunee, it le priait de s'aboucher avec
quelqu'un de la famille, de lui demander quelle somme pouvait lui etre necessaire,
s'engageant a envoyer aussitOt sur Paris un cheque de la somme demandee".
4) Il connaissait les Russes probablement par les articles de E.-M. de Vogue dans
la Revue des deux Mondes; a propos de ces etudes it entra meme en correspondance
avec lui pour lui demander des details. Chez nous Emants avait ecrit sur Tourgueniev, cf. Nederland, 188o, I, p. 107-160 (et J.-E. Sachse; voir bibliographie).
5) Voir De Heilige Tocht, preface, p. XII. „Het schijnt somwijlen alsof we een
Chineeschen muur aan de grenzen hebben opgetrokken om deze en vele andere
schrijvers buiten ons land to houden".
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Pour mieux faire connaitre au public hollandais les auteurs realists
francais, ii leur consacre une serie d'articles clans l'hebdomadaire De
Amsterdammer de 1885, sous le titre De Jonge Naturalisten [Les jeunes
naturalistes] 1), en tete de laquelle it cite en epigraphe une phrase curieuse
de Duranty, &rite trente ans auparavant dans sa revue de propagande
Le Realime: „Plus it trouve de resistance, plus sfirement le realisme
sera vainqueur; ou it n'y a aujourd'hui qu'un homme, it en viendra
bientOt cent quand le tambour aura battu" 2), paroles qui temoignent
de son enthousiasme et de ses espoirs.
Ce qu'il admirait chez les naturalistes francais, c'etait la franchise
avec laquelle ils peignaient la vie reelle. I1 s'indignait contre ceux qui
pretendaient voir dans ces procedes nouveaux une speculation adroite
sur les mauvais instincts. Convaincu de la sincerite de leurs intentions,
it prend contre la critique malveillante de ses contemporains la defense
de leur oeuvre, en louant beaucoup par exemple Autour d'un Clocher
de Louis Desprez et les romans de Lemonnier, „ce courageux adversaire
des anciens principes perimes" 3). Celui qui avait donne, a son avis, le
bel exemple etait Zola. „Lui a l'air d'un geant qui se fraye un chemin
a travers des regions sauvages; it ne cherche pas les terrains unis ou
l'on marche sans peine, mais c'est aux rockers qu'il s'attaque" 4). Mais
beaucoup plus que ne le passionne la hardiesse des nouvelles conceptions
d'art, Prins s'emerveille de la beaute des descriptions qu'il clecouvre
dans l'oeuvre de ces novateurs. Les pages „sublimes" de Salammb6 ou
de Saint Julien l'Hospitalier le remplissent d'enthousiasme 6). Il s'extasie
devant les peintures magistrales dans A Rebours, „tantOt d'un realisme
poignant, tantOt fantastiques et mysterieux comme les nouvelles de
Poe" 6).
1) Il consacre des etudes a Zola (a propos de Germinal, dans De Amsterdammer,
1885, 12 et 19 avril), a Bourget (a propos de Cruelle Enigme, ibid., 17 mai), a Guy
de Maupassant (a propos d'Une Vie, ibid., 28 juin), a Huysmans (a propos d'En
Menage, ibid., 16 aoilt), a Fevre et Desprez (a propos d' Autour d'un Clocher, ibid.,
ter few.), a Lemonnier (a propos des Charniers, ibid., 3 mai). Voir aussi S.-P. Uri,
op. cit., p. 40-58.
2) De Amsterdammer, ler few., 1885.
3) ibid., 3 mai 1885.
4) ibid., 12 avril 1885. „Zola doet denken aan een reus, die een weg maakt door
ongebaande oorden. En hij zoekt niet het vlakke veld, gemakkelijk begaanbaar
op; integendeel, het is juist tegen de rotsen, dat hij zich keert".
5) De Nieuwe Gids, 1885, II, pp. 224, 225.
6) ibid., p. 23o. „De meesterlijke schilderingen, nu eens vol realiteit, dan weder
phantastisch, geheimzinnig als de novellen van Poe".
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Huysmans surtout l'eblouissait. La penetration avec laquelle celui-ci
evoquait l'apre poesie des quartiers pauvres de Paris 1) exaltait son imagination parce qu'elle convenait a son amour du detail précis et pittoresque. Il ne faisait que loner le don admirable que possedait cet artiste
d'exprimer, dans une langue subtile et nerveuse, le monde ambiant.
„Les impressions que ressent Huysmans sont merveilleusement exactes,
notees dans une langue pittoresque, travaillee, oil chaque mot a son
charme, oil chaque membre de phrase prend" 2).
Pour la meme raison que Prins s'exaltait devant ces evocations d'un
monde colore et sensuel, it s'enthousiasmait de la peinture moderne, oil
it croyait discerner, ainsi que dans le realisme francais, une tendance
qui correspondait a ses aspirations. Il frequentait regulierement les
peintres 3), s'interessant a leur art, les louant d'avoir renonce a la fawn
traditionnelle de reproduire la realite. Par rapport a la litterature Prins
ne manqua pas de constater un „arriere" sensible. „Pour nous it n'y
a pas lieu de nous applaudir, disait-il, maintenant que les peintres se
trouvent depuis longtemps deja. dans la bonne voie" 4).
Grace au contact regulier avec les peintres et a ''etude qu'il fait des
procedes naturalistes, nous voyons se developper et s'accentuer chez lui
ses dispositions naturelles. Ses premieres nouvelles, recueillies sous le
titre siginificatif Uit het Leven [De la Vie] 5), portent la trace evidente
1) Lire par exemple La Bievre, que Huysmans publie dans la première annêe du
Nieuwe Gids, 1885, II, p. 43o sqq.
2) De Amsterdammer, 16 aoilt 1885, art. sur En Ménage. „De indrukken welke hij
ontvangt, zijn verbazend juist, en in een schilderachtige, doorwerkte taal, waarin
ieder woord pakt, iedere zinsnede klem heeft".
3) Parmi eux it faut nommer De Zwart, Offermans, Breitner, Thêophile de Bock,
Zilcken, célèbre aquafortiste, qui decouvrit, avant Jan ten Brink, Manette
Salomon; en 1881 it fera la connaissance d' E. de Goncourt; grace a Arij Prins it connaitra Huysmans, voir Ph. Zilcken, Au Jardin du passe. Paris, Alb. Messein, 193o,
p. 33 et p. 123. C'est a lui que Prins s'adressa pour 'Illustration de son premier
recueil de nouvelles Uit het Leven; puis encore Isaac Israels, Marius Bauer (le
fameux peintre du Proche-Orient, qui illustra entre autres Saint Julien L'Hospitalier de Flaubert et Ake'dysse'ril dans la traduction de Van Deyssel, voir Uri,
op. cit., p. 89, 9o), Mauve, qui loue beaucoup en Prins „son choix heureux et sain
avec un sentiment profond" (zijn innig gezonde greep met een diep gevoel).
4) Voir De Amsterdammer du ler fevrier 1885. „De schilders zijn reeds langs den
gezonden weg opgegaan, doch reden tot juichen hebben wij niet".
5) Arij Prins (A. Cooplandt), Uit het Leven, met etsen van Mej. B. van Houten
en Ph. Zilcken. 's-Gravenhage, Mouton & Co., (1886), 2e ed. Amsterdam, P.-N.
van Kampen & Zoon, 1925.
77
de ses nouvelles ambitions; elles ne pretendent etre que la notation, avec
precision et nettete, de la vie reelle environnante, minutieusement observee.
Ce qui y frappe immediatement, c'est l'emploi frequent de mots et de
termes designant les couleurs 1). Voici la peinture d'un interieur telle
qu'on en rencontre a tout moment chez les naturalistes francais. „A la
lumiere d'une lampe a petrole sa mere etait en train de moudre le cafe.
La lampe a l'abat-j our vert, on, des paysages suisses etaient peints en
noir, laissait les angles de la piece dans l'ombre, mais jetait une lumiere
crue sur son visage couleur de cuir, aux yeux sans expression, dont le
bleu avait ete lane par l'age. Chaque ride, chaque pli etait visible; on
distinguait meme quelques poils gris au menton et sur la levre superieure.
Devant elle, sur la table verte au bord marron, etait assis un gros chat
noir, aux poils luisants. La bête regardait de ses yeux verdatres la main
noueuse qui tournait la manivelle, une main devenue calleuse a force
de travail" 2). Il se &gage de ce tableau une intimit6, une atmosphere
poetique telle que savaient la suggerer un Daudet, un Zola aussi, par
exemple dans Therese Raquin, la description d'une chambre. „Un feu
clair flambait dans la cheminee jetant de larges clartes jaunes qui dansaient au plafond et sur les murs. La piece etait ainsi eclair6e d'une lueur
vive et vacillante; la lampe, posee sur une table, palissait au milieu de
cette lueur. Une chaleur douce, des senteurs tiedes se trainaient .. .
Au milieu du silence frissonnant, les petillements du foyer jetaient
de petits bruits secs" 3).
On voit comment Prins s'y montre un peintre, comment dans ses
evocations du paysage hollandais ii semble s'inspirer des tenants de
1) Tendance déjà manifeste d'ailleurs dans ses premieres nouvelles, par exemple
dans Grootvader Bleys [Le grand-pere Bleys] (1882) oil l'on peut remarquer l'emploi
frequent d'adjectifs dêsignant la couleur ou de termes qui semblent avoir ête
empruntes au jargon de l'atelier, tels que: vaalgrijs, vaagblauwe vlakken, glimlicht, een droogblauwe kleur, een zware grauwe lucht.
2) Uit het Leven, 2e e d., P . 44, 45 . ,, Bij het licht eener petroleumlamp zat zijne
moeder koffie to malen. De lamp met de groene kap, waarop Zwitsersche landschappen in het zwart waren afgebeeld, liet de hoeken van het vertrek in het donker,
maar wierp een helder licht op haar leerkleurig gelaat, met oogen zonder uitdrukking, waarvan het blauw door de jaren was verbleekt. Iedere rimpel, iedere plooi
was duidelijk zichtbaar; zelfs zag men eenige grijze haren aan de kin en bovenlip.
Voor haar, op de groene tafel, met bruinen rand, zat een groote, glimmend zwarte
goes. Het dier keek met hare groenachtige oogen naar de beenige hand, die de
kruk ronddraaide, vereelt door hard werken".
3) E. Zola, Therese Raquin, ed. Marpon & Flammarion, p. 143.
78
1' „Ecole de la Haye". Voici un tableau „en grisaille" 1) qui rappelle les
toiles d'un Apol. „Les corbeaux, amaigris par un hiver rigoureux, prenaient leur vol, avec lenteur, sans forces, au-dessus de la plaine neigeuse,
d'un gris terne a cause de la nuit qui tombait, s'abattant un peu plus
loin, en croassant . . . . De lourds nuages noirs surgissaient de la mer,
pleins de menaces; a l'horizon se d6tachaient avec nettete contre le ciel
gris les maisonnettes et les arbres encapuchonnes de neige. Le vent
secouait les Brands arbres chenus, et leurs cimes depouillees jetaient sur
la route des paquets de neige" 2).
Mais ce sont les naturalistes francais qui ont pousse l'auteur vers
l'etude de la realite basse; apres eux it s'attache a peindre la vie miserable
des valets de ferme, des ouvriers adonnes a la boisson, de la jeune fille
qui a ete viol& et abandonnee. Tout comme chez Guy de Maupassant
ou Zola, ses paysans sont des etres grossiers et egoistes qui ne cherchent
que l'assouvissement de leurs instincts primitifs et brutaux. Le sentiment
qui inspire ces nouvelles, c'est le desenchantement et la revolte qu'eprouve
l'auteur devant les laideurs et les travers de la nature humaine. Mais
c'est aussi la pitie devant la misere sociale qui lui fait evoquer la dure et
malheureuse existence du paysan pauvre, qui se tue au travail pour gagner
sa vie, ou de ceux qui souffrent d'affreuses maladies. Voici la description
saisissante d'un agonisant, d'un realisme poignant qui rappelle les descriptions truculentes de Flaubert, des Goncourt ou de Huysmans,
se plaisant a peindre des etres hideux, degatitants, tourmentes par
d'atroces douleurs. „Door ne disait rien,regardant son beau-pere dont la tete
etait retombee sur l'oreiller gris. Sa bouche &lent& s'ouvrait sans cesse com_
1) Le „gris" parait predominer ici; Aletrino et Frans Coenen egalement se sentent
attires vers la nuance sombre, vers une tonalite atmospherique „en mineur", qui
correspondait avec leur pessimisme moral; n'oublions pas que 1' „Ecole de la
Haye" etait dedaigneusement qualifiee de I' „Ecole grise" (De Grijze School),
par suite de la predilection que les artistes montraient pour la beaute artistique
de notre atmosphere humide et brumeuse, qui favorisait les beaux jeux de la
lumiêre et des nuances, cf. Kunstgeschiedenis der Nederlanden [Histoire de l'art
hollandais]). Utrecht, W. de Haan, 1936, p. 446 (art. de Gerard Brom sur „De
Haagsche School").
2) Uit het Leven, p. 43. „Vermagerd door een strengen winter, verhieven zij hun
verzwakte lichamen traag boven de witte vlakte, welke door den vallenden avond
een vale kleur kreeg, en streken een eind verder krijschend neer. — Groote donkere
wolken kwamen dreigend uit zee opzetten, en aan den horizont teekenden zich
de met wit bekleede boomen en huisjes duidelijk tegen de grauwe lucht af. De
groote, kale boomen schudden heen en weder, en hunne bladerlooze kruinen wierpen
pakken sneeuw op den weg".
79
me s'il se parlait a lui-meme; ses cheveux gris retombaient par endroits sur
un visage pale et ride, couleur de parchemin sali. La have lui coulait des
coins de la bouche, et ses mains decharnees aux ongles noirs, arrachaient
fievreusement des flocons de la mince couverture de laine" 1). Dans ces descriptions et dans beaucoup d'autres se manifestent clairement les tendances
naturalistes de l'auteur. Il s'enhardit meme a entamer un roman sur la
prostitution et a cl6crire une rue mal famee a Hambourg, peintures d'une
au dace inoule, a tel point que Kloos les refusa pour ne pas trop effaroucher les lecteurs du Nieuwe Gids 2).
Il n'est pas malaise de se figurer les vives protestations que devaient
soulever auprês du public ces peintures de la r6alite oil Prins se montrait
un eleve hardi des naturalistes francais. On s'offusquait de ces descriptions ou aucun sourire, aucune larme ne venait adoucir les laideurs et
les cruautes de la vie 3). Vosmaer, redacteur en chef du Nederlandsche
Spectator, regrettant chez l'auteur sa tendance manifeste au realisme,
aurait voulu qu'il donnat „une page moins noire de la vie" 4). Bien qu'il
admire son talent d'observation et qu'il appr6cie en lui de ne pas avoir
&passe les limites", mënageant ainsi au lecteur le soin d'ecarter ce qui
devait le choquer trop par son realisme outré 5), it lui reproche nêanmoins
1) ibid., p. 37. „ Joor zeide niets, en zag zijn grootvader aan, wiens hoofd weer
in het grauwe kussen was neergevallen. Zijn ingezonken mond opende zich gedurig,
alsof hij in zich zelve sprak, en zijn grijs haar hing bij vlokken over het bleeke,
rimpelige gezicht, dat de kleur van vuil perkament had. Uit de mondhoeken liep
het speeksel, en zijn magere handen, met zwarte nagels, plukten koortsachtig aan
de dunne, wollen deken".
2) Voir Uri, op. cit., p. III.
3) Cf. F.-S. (mit) K(leine)., dans la revue Nederland, 1886, I, p. 36o, oil ce critique attaque furieusement les tendances realistes de l'heure. „La langue de la
rue d'un Breero, les vulgaires bigoteries d'un Cats, les grossieretes d'un Visscher
sortaient tout naturellement de leur plume". („De straattaal van Breéro, Cats'
vrome platheden, Visscher's grofheden vloeiden als dood natuurlijke dingen uit
hunne pen). Il va jusqu'a comparer Prins a Jacob Cats, l'auteur du Houwelick
[Le Mariage] (1625), qui avait &fit:
„Maar ik zal, in voller eer, natuurman als ik ben
Wat vuil en smerig is, doen leven door mijn pen".
4) De Nederlandsche Spectator, 4 mars 1884. „Wellicht schenkt de schrijver ons
nog wel eens een mindere donkere bladzijde uit het leven". Ces paroles dites a propos
d'une de ses nouvelles, semblent avoir suggere a Prins le titre de son recueil Uit
het leven qu'il publiera plus tard.
5) ibid. „De schrijver heeft zich weten te houden binnen de perken en den lezer
het hyperrealistisch uitpluizen van wat al te zeer stuiten zou, bespaard".
8o
de s'etre trop attarde a peindre le revers de la vie, sans qu'une note d'„edification" ni de „delivrance" se fit sentir.
Sous la suggestion des conceptions naturalistes le pessimisme en Prins
s'est aggrave. Il se reflete entre autres dans sa conception de l'artiste
comme un homme qui est impuissant a trouver l'expression de ses reves.
Dans son premier roman Een Lie/de [Un Amour], un roman de peintre,
qu'il laisse inacheve, le personnage principal Bovij n'est pas sans rappeler la figure de Coriolis dans Manette Salomon ou celle de Claude dans
L'o'uvre. II n'est guere impossible que Prins, en creant ce type de l'artiste
avec ses espoirs et ses desillusions, a songe quelquefois a lui-meme. Bovij,
dit-il, etait „un de ces artistes delicats et nerveux, qui veulent donner
quelque chose de nouveau, de moderne, mais qui sont incapables de
vaincre tout a fait les difficultes qu'ils se sont suscitees" 1).
L'auteur qui de plus en plus le seduit par son „spleen", c'est Huysmans. C'est a travers lui que Prins se decouvre et qu'il prend conscience
de lui-meme. „Aucun auteur, disait-il, n'a analyse d'une fawn si juste
et si penetrante l'enchainement des petites miseres, qui prennent tant
de place dans notre existence. C'est justement parce que ses observations
temoignent d'une profonde connaissance du coeur humain, correspondant
entierement a ce que nous eprouvons et ressentons nous-memes qu'elles
nous touchent si profondement" 2).
Cette affinite de gouts et d'idees que Prins savait exister entre lui et
Huysmans, l'amena a entrer en correspondance 3) avec l'auteur d'A Rebours. Desireux aussi de le connaitre, ii accepta avec plaisir l'invitation
1) Cite dans Uri, op. cit., p. 103. „Bovij was een dier fijngevoelige nerveuse kunstenaars, die iets nieuws, iets moderns willen geven, maar die onmachtig zijn de groote
moeilijkheden, die zij zich zelf hebben gesteld, geheel to overwinnen". M. Uri tend
a croire que c'est Huysmans qui lui a servi de modêle, supposition assez hardie,
nous semble-t-il, puisque le type de l'artiste manqué que Prins evoque ici etait
assez general dans le roman de cette époque pour qu'il puisse l'avoir crêe
sans cet exemple.
2) Arij Prins, art. J.-K. Huysmans, De Nieuwe Gids, 1885, p. 222. „Viet een schrijver heeft zoo juist en zoo scherp de aaneenschakeling van kleine misêres (die zulk
een plaats in ons leven innemen!) opgemerkt, geanalyseerd en weergegeven. Juist
wij 1 zij ne opmerkingen zoo menschkundig zijn, zoo geheel overeenstemmend met
hetgeen we zelf ondervinden en gevoelen, treffen ze ons dieper".
3) Cette correspondance qui sera importante, et ne cessera qu'avec la mort de
Huysmans, se compose de 234 lettres, dont la premiere est datêe de juillet '85 et
la derniêre du ter few. 1907. Voir l'article de P. Valkhoff, Huysmans en Prins
[Huysmans et Prins], De Gids, 1937, II, p. 43-63.
81
a venir le voir a Paris, visite 1) qui aura sur son evolution une influence
decisive. Prins a a fortement subir le charme de cet esprit original,
son aine de douze ans, en qui il decouvrit tant de cotes qui devaient
plaire a son imagination artistique. L'un et l'autre avaient les memes
gaits, les memes aspirations. Tous deux raffolent de la peinture, du bibelot
et des curiosites 2). Huysmans n' aura pas manqué de signaler a Prins
les nouvelles orientations dans la peinture moderne, se manifestant dans
l'ceuvre d'Odilon Redon, de Felicien Rops, de Gustave Moreau, pour
l'art desquels Prins se revela, des son retour et a la grande surprise de
ses amis hollandais, un amateur passionne 3).
C'est par Huysmans egalement que Prins entre en contact avec ceux
qui depuis quelque temps dep. se revoltaient contre les tendances naturalistes. Ainsi il rencontre chez lui Leon Bloy 4), Edmond de Goncourt,
Landry, Edouard Dujardin, Hennequin, Lucien Descaves et Paul Margueritte 5), dont les deux derniers figureront entre autres parmi ceux
qui vont lancer en 1887 contre Zola et son ecole le retentissant Manifeste
1) La premiere visite a Paris aura lieu dans Fete de 1886, elle sera renouvelee
en 1887 et en 1889. En 1888 Huysmans et Prins font ensemble un voyage en
A llemagne .
2) La visite au musee de Cluny par exemple fut pour Prins une sorte de revelation.
On sait que Gustave Flaubert avait au contraire „la haine du bibelot, jugeant
cette manie niaise et puerile". Chez lui, disait Guy de Maupassant, on ne rencontrait aucun de ces objets qu'on nomme „curiosites", „antiquites", ou „objets
d'art", Guy de Maupassant, Emile Zola. Paris, Quantin, 1883.
3) Voir Uri, op. cit., p. 104.
4) Par l'intermediaire de Leon Bloy Prins fit la connaissance de Barbey d'Aurevilly;
N(andor) de S(olpray) dans la Revue de Hollande, III, p. 113, raconte sa visite chez
l'auteur d'Une vieille maitresse. „La rencontre eut lieu un jour d'ete, assez tot dans
la matinee. Le maitre, enveloppó d'une longue chemise blanche, etait assis devant
son miroir. Ii parachevait sa coiffure. Entre deux coups de peigne, il mordait de
superbes cerises, dont le sang retombait sur son plastron, rougi par places. Il ne
daigna pas, a l'entree des deux amis, se retourner. Bloy fit les presentations: — C'est
un jeune ecrivain hollandais qui admire vos oeuvres . . . . Cela ne m'interesse pas,
repond d'Aurevilly. Il y eut un silence penible. On n'entendait que le bruit des
noyaux de cerises tombant sur le parquet. Quand l'assiette fut vide, Barley s'adoucit. II s'informa, avec sa grace un peu hautaine, du but de la visite. Il prit méme,
dans sa bibliothêque, un exemplaire des Diaboliques et l'offrit au jeune ecrivain
un peu trouble, avec la dedicace suivante: A Arij Prins, ecrivain hollandais:
le Diable est de tons les pays. Puis il acheva de se coiffer".
6) Prins restera en correspondance avec quelques-uns de ces auteurs, entre autres
Paul Margueritte et Leon Bloy; ce dernier, manie a une Danoise, ira le voir quelquefois a Hambourg.
6
82
des Cinq. Au moment ofi Prins fait la connaissance de Huysmans,celui-ci
preparait En Rade et venait de publier En Route (1884), roman qui avait
fait sensation, puisque l'auteur y avait assez brusquement tournê le
dos au naturalisme, evoluant vers ce qu'il appelait lui-meme le naturalisme spiritualiste. Dans une lettre a Prins, it lui avait deja explique ce
qui le separait de Zola. „ radmire fort Barbey d'Aurevilly et Villiers de
1' Isle-Adam qui sont pourtant de forcenes romantiques. Ajoutez a cela
une difference immense entre les idees de Zola par exemple et les miennes.
Lui aime son temps qu'il célèbre—moi je l'execre et pourtant nous arrivons
a decrire les memes choses" 1). Sans doute Huysmans aura signale a
Prins la nouvelle et etrange beaute qui se degageait de l'ceuvre d'un
Villiers de l'Isle-Adam, d'un Baudelaire, d'un Barbey d'Aurevilly 2), d'un
Poe surtout, de qui Prins lut avec passion, dans les traductions de Baudelaire, les Contes Extraordinaires. „A personne je ne dois autant qu'a. Huysmans, avouera-t-il un jour a son ami Robbers, c'est lui qui me tenait
la-bas (a Hambourg) au courant de la litterature francaise" 3).
Sous la suggestion des nouvelles orientations artistiques Prins revire
assez promptement; it abandonne son roman Een Lielde, dont it n'acheve
que les deux premiers chapitres. Les nouvelles „fantastiques" qu'il
publie dans De Nieuwe Gids de 1887 et de 1888, intitulees Fantasie 4),
Een Nacht [Une Nuit] 5), Een executie [Une execution] 6), et Vreemde
Verschijning [Une etrange Apparition] 7) portent 6videmment la marque
1) Elseviers Maandschrift, 1908, p. 4o. cf. aussi Ld-Bas, Paris, Tresse & Stock,
1891, p. 24. „Au fond, pretendait des Hermes, it y a toujours eu entre moi et les
autres realistes une telle difference d'idees qu'un accord peremptoire ne pouvait
durer; to exêcres ton temps et eux l'adorent, tout est la".
2) Chose curieuse: dans une lettre a M. P.Valkhoff Prins nomme Barbey et Villiers
ses auteurs favoris; voir Uri, op. cit., p. 104, note 3.
3) Elsevier's Maandschrift, 1908, p. 41. „Al die jaren heb ik aan geen mensch zoo
veel gehad als aan Huysmans. Terwijl ik, door hem, van de Fransche literatuur op
de hoogte bleef".
4) De Nieuwe Gids, 1887, II, p. 2-12.
5) ibid., p. 329-333.
6) ibid., 1889, I, p. 190-193. Cette nouvelle, datee de sept. 1888, figure dans le
recueil Een Koning [Un Roi]. Amsterdam, P.-N. van Kampen & Zoon, 2e ed.,
1924, p. 131-135.
7) ibid., 1889, II, p. 75-79 (datee d'aoilt). A cette periode appartiennent encore
deux esquisses impressionnistes Hamburg I et II, The Commercial Hotel (De Nieuwe
Gids, 1888, I, p. 457-459), et Landverhuizers [Les Emigrants], nouvelle datee de
juillet 1888 et qu'on a retrouvee parmi la correspondance d'Albert Verwey, Uri,
op. cit., p. 114.
83
d'une nouvelle inspiration 1). Comme ses modêles Prins vise par ces
histoires frissonnantes a inspirer l'angoisse et le &guilt. A tout moment
nous rencontrons dans ces recits des apparitions de spectres, des condors
noirs poussant des cris lugubres, des figures hideusement mutilees qui
repugnent par leur laideur 2). Voici dans Een Nacht la vision d'une tete
„plus horrible qu'une tete de mort, car les orbites n'etaient pas vides et
sous une taie on distinguait le bleu terne des prunelles, ou bien dans
Vreemde Verschijning l'apparition sinistre 3) d'une tete „grimacant convulsivement, roulant entre les epaules relevees, dansant et sautant
comme une balle elastique dans un feu d'etincelles electriques, s'affaissant
enfin sur la colonne vertebrale ensanglantee" 4).
Les deux esquisses qui closent cette periode, Hamburg I et II, sont des
evocations impressionnistes, apparemment concues d'apres les modêles
des naturalistes francais. Voici dans la premiere, celle qui Porte pour
sous-titre The Commercial Hotel la peinture d'un coin de ville qui rappelle
par son coloris telle description des Croquis parisiens de Huysmans. „Le
ciel devient pale, comme delay& de nuance souffreteuse et derriere les
mats qui s'affinent, la haute cheminee d'une fabrique de l'autre cote de la
riviere, vomit des serpents de feu qui, dans un bref éclair infernal, s'eteignent dans la furnee noire" 5). Prins se plait a peindre avant tout les
1) Ce gout du morbide qui va caracteriser l'oeuvre de sa deuxiême periode, celle
qu'on est convenu d'appeler sa periode „fantastique" ou „poeienne", se reconnalt
déjà dans une de ses premieres nouvelles Grootvader Bleys [Le grand-pere Bleys]
qui est de 1882, et oil l'obsession d'un mauvais reve inspire a l'auteur un recit
frissonnant.
2) Bien qu'il soit difficile d'indiquer des reminiscences precises, ii y a pourtant
quelques curieux rapprochements a faire; ainsi Fantasie rappelle La Chute de la
Maison Usher [Fall of the House Usher] de Poe, voir Uri, op. cit., p. 112; l'apparition
d'une femme nue dans la plupart de ces contes evoque le souvenir d'Esther dans
En Rade; dans Een Nacht le heros prend, comme des Esseintes, du bromure pour
se suggerer artificiellement d'apres et troublantes visions.
3) De Nieuwe Gids, 1887, II, p. 332. „Het hoofd was afgrijselijker dan een doodskop, want de oogkassen waren niet ledig en onder een vlies schemerde het blauw
der appels".
4) ibid., 1889, II, p. 78. „Het hoofd rolde stuiptrekkend, grijnzend heen en weer
tusschen opbultende schouders. Het danste, het sprong op als een veerkrachtige
bal, in een electrische vonkengloed, en viel neder op een bloederigen hersenkolom",
5) ibid., 1888, I, p. 458. „De lucht wordt bleek, uitgewasschen, lijdend van tint
en achter de masten, die aan fijnheid winnen, vliegen uit de hooge fabrieksschoorsteen aan de overzijde der rivier, serpenten van vuur, die in de zwarte rookwolken
met een korte, helsche opflikkering wegsterven, cf. Huysmans, Croquis parisiens
(Vue des remparts du Nord-Paris), ed. Crês., p. 105. „A l'horizon, sur le del de
84
milieux etrangement pittoresques dont ses lectures, ses voyages, les toiles
des peintres lui suggeraient l'atmosphere particuliere. Dans Vreemde
Verschijning par exemple it evoque la petite vine de Soost en Westphalie.
Een Executie, evocation truculente des temps barbares, semble avoir ete
inspire des tableaux des primitifs.
De plus en plus le Moyen-Age commence a le prêoccuper et a exalter
son imagination. Pour mieux connaitre sa poesie etrange et son caractêre
de passé ii avait entrepris, en 1888, avec Huysmans, un voyage en Thuringe,
oil ils visitaient Weimar, Erfurt, Gotha, villes toutes curieuses a ce point
de vue. Ce voyage pendant lequel Prins s'est assurement montre le
delicat et inlassable guide qu'il etait, a laisse aupres des deux amis
d'inoubliables souvenirs 1). Il est certain que, grace a ces nouvelles impressions, s'elabore insensiblement chez Prins l'ideal artistique auquel
ii vouera desormais ses loisirs. La decouverte de sa nouvelle mission
d'art, en quelque sorte preparee par ses lectures et ses amities litteraires,
fut neanmoins pour lui une sorte de revelation. „Tout a coup, disait-il,
d'une fawn tout a fait inattendue, un dimanche soir, je vis Sint Margaretha [Sainte Marguerite] devant moi et alors j'etais sir de ne plus
echouer" 2).
En effet, des lors ii ne s'ecartera plus de la voie dans laquelle ses gouts
et ses dispositions l'engageaient. Flaubert, Huysmans, l'avaient initie
a cette vie du passe qu'il aimait a evoquer pour fuir les laideurs et les
longues cheminees rondes et carrees de briques vomissent dans les nuages des
bouillons de suie . . . .", souvenir, fres probablement, des toiles d'un Rafaelli, le
peintre „des lugubres parages au triste decor de rails et de fer, de gares et d'usines,
d'ateliers et de terrains vagues, aupres des fortifications", cf. Helen Trudgian,
L'Evolution des idles esthitiques de J.-K. Huysmans. Paris, Conard, 1934, p. 118,
128 et 129.
1) Huysmans decrira ses impressions dans Le Tout. On trouve un autre souvenir
de ce voyage dans la description de la cathedrale au debut de La-Bas. Selon Prins,
Huysmans n'avait qu'une seule passion, celle du Moyen-Age. Goethe et Schiller
ne l'interessaient guere. „Il ne les connaissait meme pas, je crois. Ce n'etait que pour
voir les villes anciennes, pour le Moyen-Age qu'il fit ce voyage" (Hij kende ze niet
eens, geloof ik ! Het was alleen om de oude steden zelf, om de Middeleeuwen).
Prins et Huysmans visitent aussi Cassel, oil ils admirent la crucifixion de Mathias
Griinewald.
2) Lire l'interview que Brusse a eue avec Prins, De Boekzaal [La Cite des livresj,
1907. p. 107. „Tot plotseling, een Zondagavond in Maart '90 staat hem Sint Margareta voor de geest en begint hij to schrijven. Hij wist, dat dit werk niet zou
mislukken". Sint Margareta a ete traduit en francais par Georges Khnopff, Revue
de Hollande, V, p. ro6 sqq.
85
tristesses d'un monde qu'il avait pris, comme eux, en horreur 1). Les
pays orientaux, le passé barbare avec ses cruautes bestiales, ses batailles
feroces, ses conflits de races et de religions, serait pour lui, ainsi qu'il
le fut pour Flaubert ou Huysmans, un monde mysterieux et fantastique
d'une beaute infiniment poetique. Pour peindre cette vie cruelle et
sanglante it use de procedes qu'il parait avoir soigneusement etudies
chez ses maitres. Dragamomus 2), recit de l'invasion des Barbares, rappelle par revocation des couleurs et des sons celle des Tartares, dans
A Rebours, fragment que Prins avait dit beaucoup admirer 3). Voici
comment Prins a vu l'approche foudroyante des masses: „Avec un fracas
de tonnerre, comme si une avalanche de terre se precipitait de la montagne, abattant les arbres qui couvraient la pente, les Barbares passaient
au galop sur leurs morts, etouffant les gemissements de ceux qui etendaient les mains. Il y avait un ebranlement de pas comme d'une horde
de cavaliers, approchant avec un tourbillon de bruits qui chassait au
loin les oiseaux effrayes" 4). Comparez a ce fragment telle description
chez Huysmans: „Tout disparut dans la poussiere des galops, dans la
fumee des incendies. Les tenebres se firent et les peuples consternes
tremblerent, ecoutant passer, avec un fracas de tonnerre, l'epouvantable
trombe. La horde des Huns rasa l'Europe. La plaine, gorg6e de sang,
moutonna comme une mer de pourpre, deux cent mile cadavres barrêrent
la route, briserent l'elan de cette avalanche qui, deviee, tomba, eclatant
en coups de foudre, sur l'Italie oil les villes exterminees flamberent comme
1) Voir Revue de Hollande, III, p. 71. „Parini les auteurs francais, ecrit Prins a
M. P. Valkhoff, Flaubert a decidement influence mon oeuvre, peut-titre aussi un
peu Hugo".
2) Dans le recueil, intitule Een Koning [Un Roi]. Amsterdam, P.-N. van
Kampen & Zoon, 2e ed., 1924, p. 4o-1o9; cette nouvelle aussi a ete traduite
par Georges Khnopff, voir Revue de Hollande, III, p. 163, 257. Dans la Revue
de Hollande, II, p. 1270 sqq., on trouve La Grande Arme'e,Un Roi, Harold, trois
contes traduits du hollandais par Georges Khnopff.
3) Voir De Nieuwe Gids, 1885, II, p. 225. „La facon dont est peinte l'invasion
des Huns, fait preuve d'une grande force" (Van groote kracht getuigt de wijze,
waarop de inval der Hunnen wordt geschilderd).
4) Een Koning, p. 99. „En met geraas van donder, alsof een aardwal stortte, van
of den berg kwam, en boomen nederbrak, die op de hellingen groeiden, de Barbaren
over hun dooden heen, en treden stille het gekreun van die de handen hieven. Zij
waren nu zooveel, dat het een slinger scheen, die am den berg was gewonden. Er
was gedreun van stappen, alsof een horde ruiters kwam, en een storm van geluiden, waardoor verre-weg verschrikt vogelen uit boomen vlogen".
86
des meules" 1). On voit que dans ces evocations du passe les descriptions
se ressemblent curieusement: meme choix des mots, meme rythme, meme
presentation des faits, des brutalites feroces et cruelles qui font frissonner.
Dans Sint-Margareta une femme poursuivie et tuee par un soldat rappelle tel passage dans SalammbO: „Ils suivaient des yeux, dans la campagne, un cavalier galopant aprês un soldat qui courait. Ii parvenait a
le saisir par les cheveux, le tenait ainsi quelque temps, puis l'abattait
d'un coup de hache" 2).
D'autre part Prins semble tenir de l'auteur de SalammbO le souci d'une
documentation rigoureuse et methodique. A l'histoire invraisemblable,
melodramatique Flaubert avait substitu6 le recit base sur une etude
precise et approfondie des documents. Prins aussi notait avec un soin
particulier tout ce qui lui semblait necessaire a etre retenu en vue de
ses creations. Ainsi il recueillait une foule de details curieux : des descriptions de l'exterieur des personnages, des mots expressifs, des ebauches
de ses recits; souvent, ii faisait des dessins a la plume de costumes etc.
qu'il avait remarques dans les livres, les musëes ou sur les tableaux 3).
Le meme souci qu'il apportait dans sa documentation, il l'observait dans
son style, dans le choix des mots, de termes evocateurs et suggestifs. C'est
de Flaubert que Prins semble avoir herite „l'horreur de la facilite";
comme lui il construit ses phrases „avec force ratures, avec un souci
jaloux de l'epithête, du verbe et de leur place". Tout ce travail de corrections et de remaniements demandait a l'auteur de longs et penibles
efforts; elle necessitait un travail de semaines et de mois pour creer
quelques pages d'une prose impeccable 4). Dans sa langue, fievreusement
ciselee, tout emaillee de neologismes 5), il serait difficile de relever l' em1) A Rebours, ed. Charpentier, p. 5o. On trouve meme un souvenir de la derniêre
image chez Prins dans Een Koning, p. 122. „Le vendredi saint les villages aux en-
virons de Pesth brillaient comme des meules" (Op Goeden Vrijdag brandden de
dorpen om Pesth als hooischelven).
2) SalammbO, ed. Charpentier, p. 176, cf. Prins, Een Koning, p. 125. „En ver achter
hem in het veld de vluchtende oude vrouw met een ruiter naast haar. Opeens
knielde zij, de armen omhoog smeekend, boven haar het zilver-flikkeren, en weg
het gele lichaam in het hooge gras". Lire aussi la description du roi Harold (Een
Koning, p. 25) qui rappelle celle du suffête Hannon dans SalammbO (p. 38).
3) Cf. Brusse, art. cit., De Boekzaal, avril 1907. Il est a regretter que les indications,
recueillies avec tant de soin et fournissant une riche matiêre d'illustration, se
soient perdues.
4) Voir J. Pollmann, De taaltechniek van Arij Prins [La technique linguistique d' Arij
Prins]. Publicaties der afd. Ned. aan de Universiteit van Nijmegen, 1925, I, p. 254.
5) ibid , p. 211, 212. Notez l'emploi frequent d'archaismes; comme Huysmans, dans
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preinte d'un talent precurseur ou contemporain. „C'est comme s'il y
avait, disait Van Deyssel, entre le style de Zola et celui de Prins un
siecle d'evolution et de developpement" 1).
Prins a ete, comme nous l'avons vu, un des representants les plus caracteristiques de son époque. Avec Van Oordt 2), Van Schendel 3), it inaugure
chez nous le pretendu neo-romantisme, courant artistique qui se rallie
imm6diatement aux tendances qui, depuis une vingtaine d'annees déjà,
se manifestaient dans le roman francais 4). Son gout du pittoresque, son
amour des paysages lointains et mysterieux, ne de son horreur d'une
societe materialiste qui etait la sienne, le rapprochait, comme d'instinct,
de l'art de Flaubert et de Huysmans. C'est du dernier notamment qu'il
semble tenir le gout d'un coloris violent et eclatant, le souci de traduire
dans une langue infiniment travaillee ses impressions toutes personnelles,
ainsi que le besoin de fuir le present pour voguer vers des temps meilleurs,
impregnes de poêsie et de mystere.
FRANS ERENS (1857-1935)
Frans Erens, ne en 1857 a Schaesberg (dans le Limbourg hollandais),
etudia le droit a Leyde et a Paris. Aprês avoir fini ses etudes, it s'êtablit
comme avocat a Amsterdam, oil ii s'etait lie d'amitie avec ceux qui
allaient fonder De Nieuwe Gids, organe qu'il a aide a rediger jusqu'a
sa mort.
A Rebours, Prins aimait a exhumer de vieux mots oublies qu'il emprunte a l'ancien
hollandais, a la langue des rhetoriqueurs, p.e. des mots comme couleurs, couverturen,
idool, noir, torment, esmerauden, qu'on prendrait a tort pour des gallicismes.
1) L. van Deyssel, Verzamelde Werken, V, p. 105. „Het is of er tusschen den stijl
van Zola en dien van Prins een eeuw van verandering en groei is".
2) Adriaan van Oordt (1865-191o), qui se distingue aussi par un style três individuel, a ecrit deux romans qui le firent connaitre comme un grand artiste, Irmenlo
(1896) et Warhold (1906), romans historiques oil it evoquait, par ses peintures
visionnaires, l'epoque des Germains.
3) Arthur van Schendel, ne en 1874, de nos jours un de nos auteurs les plus connus,
debuta par Drogon (1896) (illustre par Bauer), recit qui se passe encore a l'epoque
des Croisades et dont s'enthousiasmerent Alphons Diepenbrock (voir De Kroniek,
17 dec. 1896) et aussi Van Deyssel (Verzamelde Werken, VI, p. 12, art. Drogon).
En 1907 it ecrit Een Zwerver Verliefd [Le Vagabond amoureux], licit dont l'action
se passe en Italie a l'epoque des Hohenstaufen et qui a ete traduit en francais
par Louis Pierard, Revue de Hollande, I, pp. 51, 211, 338, 470 sqq.
4) Cf. J. Prinsen J. Lzn., De oude en de Nieuwe historische roman in Nederland
[L' ancien et le nouveau roman historique en Hollande). Leyde, Sijthoff, 1929.
88
Erens avait la passion des lettres. Quelque part dans ses mëmoires ii
park de sa „lutte interieure", nee d'un conflit entre sa profession d'avocat
et sa vocation litteraire 1). Sortant d'une famille distinguee du Limbourg,
ii avait l'avantage de trouver facilement le contact avec l'etranger 2).
C'etait surtout la France qui le charmait et l'attirait. Dans son journal
de voyage il a note un jour: „ Quelqu'un ne avant 187o au sud du Limbourg est oriente sur la France. Car jusqu'a cette annee ce pays imprimait
fortement son caractêre sur son ambiance. A nous autres enfants la
France inspirait un grand respect, alors que pour la Prusse (qu'on n'appelait jamais l'Allemagne) nous n'avions qu'un parfait mepris. Notre
enthousiasme, et c'est le sentiment de bonheur le plus eleve -dans
l'homme, etait le plus souvent eveille en entendant parler de la France" 3).
Pour faire ses etudes de droit, il s'installe, tres jeune encore, a Paris
oil il vit, avec quelques interruptions, de 1878 jusqu'a. 1883. Ce sejour,
pendant lequel il fit la connaissance des jeunes auteurs de l'avant-garde
en litterature, a eu sur sa formation intellectuelle et artistique une
influence decisive. Il park avec enthousiasme de ces annees, „les plus
heureuses de sa vie", dans deux articles três interessants 4) auxquels on
nous permettra d'emprunter quelques curieux details. Disons d'abord
qu'Erens, par intuition, se sentait immediatement attire vers ceux qui
avaient commence de s'elever contre les tendances du naturalisme.
BientOt il fut un des assidus du Chat Noir oil il assistait aux ardentes
disputes litteraires. De ceux qu'il y rencontrait, il nous a trace de savoureux et petillants croquis, entre autres du president Emile Goudeau,
d'Armand Masson, poete du fameux sonnet L' Ante des Haricots, des
dessinateurs Willette et Henri Riviere. Il y rencontre la femme poke
1) Voir Nieuwe Rotterdammer Courant, Ochtendblad, 7 dec. 1935.
2) Cf. Ad. J. Sassen, De Gemeenschap [La Communaute], IV, p. 428, art. De Limbruger Mr. Frans Erens [Le Limbourgeois M e Frans Erens] oil il pretend avec
raison que l'habitant du Limbourg possede, plus que l'homme du Nord, la faculte
de s'assimiler l'esprit de l'etranger.
3) Cf. Uit mijn reisdagboek [Pages de mon journal de voyage], De Gids, 1909, III,
p. 464. „Iemand vOOr 187o in Zuid-Limburg geboren is aan Frankrijk gewend.
Want tot dien tijd drukte dat land zijn stempel met kracht op zijne omgeving.
Als kinderen zagen wij met eerbied tegen Frankrijk op en hadden voor Pruisen,
dat men toen altijd Pruisen, en niet Duitschland noemde, eene volkomen minachting. Ons enthousiasme, en dit gevoel is het hoogste geluksgevoel van den
mensch, kwam meestal in werking, wanneer er over Frankrijk werd gesproken".
4) Uit mijn „Parijsche heugenissen" [Pages de mes „souvenirs parisiens"], De
Nieuwe Gids, 1927, II, p. 245-260; Parijsche Heugenissen [Souvenirs parisiens],
De Gids, 1927, III, p. 422-443.
89
polonaise Marie Kryzinska, et Leo Trezenick, poete et redacteur en chef
de Lutece, puis Ferdinand Icres et d'autres. Par Victor-Emile Michelet,
qu'il tient pour un des plus grands ecrivains modernes 9, il apprend a
connaitre le jeune Barres gull admire beaucoup et a qui il a consacre
plusieurs articles chaleureux 2). C'est a Barres qu'Erens presentera un
jour le poete Moreas 3), qui avait dej a. quelque reputation dans plusieurs
cercles litteraires, alors que Barres etait encore tout a fait inconnu.
Erens assistait souvent aux reunions artistiques de Charles Cros 4), oil
l'avait introduit Moreas. Il y voyait entre autres Rollinat 5), qu'avait rendu
célèbre a l'age de trente-cinq ans seulement un article d'Albert Wolff
dans Le Figaro. „Rollinat emouvait le plus, lorsqu'il declamait des poesies
de lui-meme ou de Baudelaire, en s'accompagnant sur le piano. La musique qu'il avait composee dans ce dessein, etait extremement simple.
Magnifique etait celle composee pour La Mort des pauvres de Baudelaire.
Ainsi il chantait encore d'apres sa propre conception musicale L'Invitation au Voyage" 3).
Erens evoque encore les figures de Sapeck et de Jules Jouy, comiques
celebres et diseurs de monologues, celle d'Edmond Harancourt qui, dans
le Cerde des Hirsutes disait ses poesies scabreuses 6). Il voit quelquefois le
vieux monsieur Read, dont la file Mlle Read est la grande confidente
1) Cf. De Gids, I, 1936, p. 17.
2) Erens a ete le premier a attirer l'attention sur Barres dans l'hebdomadaire
De Amsterdammer de 1884, ou il lui predit un bel avenir. Il n'est guere impossible
qu'Erens, qui le vit souvent a Paris et le loua surtout comme un brillant causeur,
ait subi son influence. Plus tard la politique semble l'avoir ecarte de Barres. Une
anecdote curieuse, que nous relevons dans les „Souvenirs" d'Erens, dit que le
Cercle „Het Servetje" a La Haye ne voulait pas inviter Barres comme conferencier,
puisqu'il etait „boulangiste" et „n'avait aucune reputation comme auteur".
3) Dans une reunion chez Marie Kryzinska; sur Moreas Erens nous raconte plusieurs
anecdotes; il publie aussi de lui une poesie inedite Viandes de Gargotte que Moreas
recita un soir au Chat Noir.
4) Charles Cros, l'auteur fameux du recueil Le Coffret de Santa! qu'Erens tenait
de lui comme un precieux souvenir. Il le loue comme un des plus sympathiques
Francais qu'il ait jamais rencontres alors.
5) De Nieuwe Gids, art. cit., p. 248, 249. „Ontroerend werkte Rollinat wel het meest,
wanneer hij gedichten voordroeg van zichzelf of van Baudelaire en zich daarbij
op de piano accompagneerde. De muziek, die hij daarvoor had gecomponeerd, was
uiterst eenvoudig. Mooi was die vooral bij Baudelaire's La Mort des pauvres. Zoo
zong hij ook naar eigen muzikale opvatting Baudelaire's Invitation au Voyage."
Sur Rollinat Erens ecrit dans la feuille d'etudiants Minerva de 1883, oil il loue sa
tendance a dire tout sans reticences.
6) Recueillies sous le titre La Legende des textes, signe de son pseudonyme de Chablay.
90
de Barbey d'Aurevilly. Chez Cros ii rencontrait aussi Madame Verlaine;
it disait que la compagnie du poête lui-meme etait peu recherchee a cause
de ses aventures en Belgique avec son ami Rimbaud. D'ailleurs Erens
n'aimait pas ce bourru „entete, ambitieux et rebelle" 1); comme type de
boheme it lui prefere de beaucoup le sympathique Gerard de Nerval, „un
vrai Francais qui se moque de l'etranger et ne s'interesse qu'a son propre
pays" 2). Un j our il rendit visite a Alphonse Daudet, apropos de L' Evangdliste. Il regrette de ne pas avoir rencontre Villiers de 1'Isle-Adam; it
avait eu une occasion excellente de le voir, puisque Erens connaissait
une dame Riquetti de Mirabeau, cousine germaine de l'auteur.
Nombreux et souvent d'un pittoresque tres gai sont ses portraits des
professeurs celebres dont it suit les cours a la Sorbonne et au College
de France. Parmi eux it loue entre autres Jules Leveille, professeur de
droit, Caro et Boissier. Il se montre peu satisfait de Renan, ce gros bonhomme avec ses cours obscurs sur les „inscriptions assyriennes" 3). Taine
est, a ses yeux, un assez mauvais orateur qui vaut surtout comme historien
et penseur, „un des plus rares ecrivains que le XIX e siecle ait produits" 4).
Le contact intime avec le Mouvement symboliste n'est pas sans influencer ses ambitions. En Hollande it se fait le champion des nouvelles
idees, sans succes d'ailleurs, puisque Zola etait l'auteur favori. Il n'arrivait pas a persuader a ses amis qu'ils defendaient un art dont „la vigueur
s'emoussait". „Moi qui me regardais comme le messager du mouvement
le plus recent (celui de Dujardin 5), de Barres, de Rod et d'autres), je
me disais quelquefois que l'ignorance des jeunes litterateurs hollandais
a regard de l'evolution litteraire en France, etait pour eux un avantage.
Si les champions du naturalisme en Hollande s'etaient rendu compte
qu'ils ddendaient un art mourant, ils n'auraient pu le faire avec tant
d'enthousiasme et d'energie, et maint beau fragment de prose n'aurait
pas ete cree 5).
1) De Gids, art. cit., p. 438. „Stijfhoofdig, onwillig, een eerzuchtige". Un moment
it a ête question d'une reconciliation entre les deux epoux par l'intermódiaire d'Erens
et de Moreas.
2) ibid., p. 438. „Gerard de Nerval, de ware sympathieke bohéme, een echte
Franschman, wien het buitenland weinig kan schelen en die zijn belangstelling
alleen tot zijn eigen land bepaalt".
3) De Nieuwe Gids, art. cit., p. 255. „Hij had het over Syrische inscripties, waarvan
ik zoo goed als niets begreep".
4) ibid., p. 258.
5) Sur Les Hantises de Ed. Dujardin Erens ecrit une critique êlogieuse dans De
Nieuwe Gids, 1885, II, p. 149.
4) De Gids, art. cit., p. 425. „Ik die mij beschouwde als de boodschapper der jongste
91
Ainsi, par ses gaits et ses interets, Erens se rëvele parmi les Auteurs
de 188o, comme une figure a part. La peinture r6aliste de la vie des instincts et des passions brutales repondait peu a son amour de poesie, a sa
soif d'exaltation intërieure, de recueillement, de mysticisme meme. Cet
„art du tout-prês", comme il definissait un jour le naturalisme, lui repugnait. „Nous echappons de plus en plus au naturalisme, a son art
terre-a-terre du detail, nous aspirons a monter plus haut" 1). Cependant,
ses premieres esquisses recueillies sous le titre Dansen en Rhytmen 2)
suivent les tendances qui regnent, a ce moment, dans la litterature naturaliste et la peinture. L'influence s'en fait nettement sentir dans le
choix de certains sujets. Inspire, semble-t-il, par les peintures de Isaac
Israels 3), il se plait a evoquer en des dessins quelquefois crus, d'ofl emane,
il est vrai, une rare poesie, les quartiers louches ou pittoresques d'Amsterdam: Nieuwmarkt, Warmoesstraat, Zeedijk, Amstelveld. Voici, par
exemple la peinture, tout a fait dans la note impressionniste du jeune
Israels, des filles qui dansent. „Elle entrait, la chere fille, avec calme et
gravite; elle dansait, dansait, la chere fille, la main frele .et blanche
posee doucement sur l'epaule du matelot ivre" ou bien „Entre les files
robustes, aux robes noires qui flottent au vent, amples et larges comme
des crinolines, tourne dans une large envolee, lagere et fréle, la fille
svelte, blanche comme un lis" 4). Il est egalement impressionniste dans
ses contes r6gionalistes, parmi lesquels nous signalons le merveilleux recit
De Conferentie [La Conference], dont nous citons la fin pittoresque: „Et ils
jouaient aux cartes jusqu'a une heure avancee dans la soirée et rentraient
dans la nuit, invisibles dans leurs soutanes froufroutantes, tandis que
richting, dacht soms, dat de onkunde van de jongere Hollandsche literatoren ten
opzichte van de literatuur-evolutie misschien een geluk was. Want waren de jonge
strijders voor het naturalisme in Nederland zich ervan bewust geweest, dat zij een
stervende richting verdedigden, dan hadden zij dat niet met zoo veel geestdrift
en kracht kunnen doen en menig mooi brok literatuur ware niet ontstaan".
1) De Nieuwe Gids, 191o, I, p. 33. „Aan de lagere detail-kunst van het naturalisme
ontgroeien we meer en meer; we zoeken hooger to stijgen".
2) F. Erens, Dansen en Rhytmen [Danses et Rythmes]. Amsterdam, Versluys, 1893.
3) Israels ebauche le dessin de la couverture. C'est a lui qu'il dedie l'esquisse
Gitanas.
4) Dansen en Rhytmen, p. 7. „Binnen ging de lieve meid, de slanke witte hand ge-
spreid op den schouder van den dronken matroos." „Tusschen de vierkante meiden
met de donkere rokken, die waaiden breed, als krinolinen wijd, vloog licht en rank,
in vollen zwaai en leliewit de slanke meid".
92
les cigares brillaient comme des etoiles rouges sur les routes desertes" 1).
Mais dans ses croquis parisiens, Bal Bullier et Le Vendeur de Soleil
(ce dernier concu d'aprês Rachilde) 2), ainsi que dans ses poêmes en prose
proprement dits: Droom [Reve], Lento, Wind [Vent], Goudzang [Chanson
d'or], De Processie [La Procession], State [Silence], it se degage tout a
fait des tendances naturalistes. Nacht in de Middeleeuwen [Nuit au
Moyen-Age] êvoque l'atmosphere mysterieuse des chateaux forts et des
monasteres. Voici les moires qui chantent et disent leurs prieres: „Ils
chantent et murmurent leurs prieres devant les mornes autels; leurs
chants tombent d'une cadance lourde, heurtee, sous l'impulsion du
commandement du rite de fer, parmi les plaintes emphatiques, contre
les rudes parois, tandis que sous les rondes colonnes grimacent les dragons
pecheurs, les gueules grandes ouvertes, en crispant leurs griffes impuissantes" 3).
Berbke, ce touchant recit d'une petite folle qui a des visions de l'audela, evoque le souvenir de Baudelaire 4) ou de Rachilde, ces peintres
de pauvres Ames egarees et avides d'infini. A la fin, en quelques lignes
d'une sobriete saisissante et qui n'est pas sans rappeler la maniêre de
Guy de Maupassant, l'auteur revele un monde de misere. „Et un matin,
de bonne heure, les Bens la trouvaient morte sous une haie, au bord de
la route" 5).
Erens n'a jamais pretendu renier les influences qu'il cubit. „Avec
Dansen en Rhytmen, disait-il, je pretendais introduire le rythme dans
la prose litteraire. J'ai ete le premier a donner en Hollande des „poemes
1) De Nieuwe Gids, 1889, p. 11. „En zij kaartten tot laat in den avond en gingen
in het donker naar huis, onzichtbaar ruischend in hun soutanen, terwijl de sigaren
glommen als roode sterren op de eenzame wegen".
2) Le Vendeur de Soleil, evocation poignante „d'apres Rachilde" d'un mendiant
miserable devant lequel passe le monde sans entendre les supplications, sans apercevoir son corps hideux; tout a coup, dans un acces de folie, it dire aux passants
le soleil, sur quoi on lui donne des sous, en riant de sa sottise.
3) Dansen en Rhytmen, p. 67. „Zij zingen in biddend gebrom voor de zwijgende
altaren; hun zangen die vallen in zware, hortende tempo's gestuwd op het commando
van den ijzeren ritus, in 't galmend geklaag tegen de forsche wanden, terwijl onder
de ronde kolommen grijnzen de zondige draken met ver-wijde monden en krommend
machtlooze klauwen".
4) Cf. la fin de Mademoiselle Bistouri. „Seigneur, ayez pitie, ayez pitie des fous
et des folles".
5) Dansen en Rhytmen, p. 135. „En op een morgen vroeg vonden de menschen
haar dood liggen onder een heg, langs de weg, cf. la fin du Gueux: „Mais quand on
vint pour l'interroger, au petit matin, on le trouva mort sur le sol. Quelle surprise !"
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en prose". Peut-etre ces esquisses ne sont pas des poemes en prose proprement dits, tels que les a cre6s Baudelaire, mais de la prose qui se conforme
autant que possible au rythme, plus que ne le fait ordinairement la prose
hollandaise. Cette idee, je l'avais emportee de Paris" 1). Tout comme les
symbolistes it visait a evoquer un etat d'ame, une emotion poetique,
analogue a celle qu'il avait ressentie lui-meme. II s'ecartait de la description impassible, aux contours nets et precis, cherchant a rendre
dans un langage emu, suggestif et rythme les sensations intimes de
son ame.
Aprês ses Dansen en Rhytmen Erens n'a plus rien publie dans ce genre.
Des Tors it se consacre a l'etude de ses auteurs favoris, publiant sur eux
des articles qui sont l'ceuvre d'une fine et profonde erudition. Dans divers
recueils 2) se trouvent reunies ses reflexions et ses pensees qui decelent
ses guilts et ses predilections. Ainsi, ce n'etaient ni Flaubert 3), ni Zola 4)
qui l'attiraient, mais bien ceux qui aprês Baudelaire inaugurerent une
nouvelle fawn de sentir et de comprendre la vie: Huysmans, Barres,
Leon Bloy, Adolphe Rette, Mot-6as. Pour lui comme pour Diepenbrock
ou Van Deyssel (celui d'apres 189o) le symbolisme etait le moyen d'echapper a la vulgarite, a la bassesse on l'art positiviste menacait de sombrer.
1) Den Gulden Winckel, 1916, p. 169. „Met Dansen en Rhytmen had ik voor doel
het rhytme in den proza-stijl te fundeeren. Ik ben de eerste geweest om in 't Nederlandsch „poemes en prose" te geven . . . . misschien zijn die stukjes van D. et R.
wel Been eigenlijke „poemes en prose", gelijk Baudelaire die schiep, maar proza, dat
zich zooveel mogelijk conformeert aan het rhytme, meer dan het gewoon Hollandsch
proza dat doet. Ik had die gedachte van Parijs mede gebracht".
2) Nous citons, parmi plusieurs, Literaire Wandelingen [Promenades Litteraires]
(1906), Gangen en Wegen [Routes et sentiers] (1912), Toppen en Hoogten [Cimes et
Sommets] (1922), Vertelling en Mymering [Recits et Meditations] (1922), Literaire
Overwegingen [Considerations litteraires] (1924), Literaire Meeningen [Opinions
littiraires] (1928) .
3) Voir son article sur SalammbO , De Nieuwe Gids, 1925, I, p. 40-48, ou it prononce
cette opinion un peu bizarre sur Flaubert. Dans l'ceuvre de Flaubert, dit-il, l'amour
a manqué; it eblouit, mais it n'êmeut pas; it se montre trop hostile a l'humanite;
sa haine l'a empeche d'arriver a une vision du passe qui embrasse tout, vision
ou l'aurait conduit une attitude plus indulgente; son point de vue êtait celui d'un
critique, „le poke doit etre libre" (de zanger moet vrij zijn).
4) Cf. Toppen en Hoogten, p. 166. Erens met l'auteur d'A vau l'eau au-dessus de
Zola; celui-ci reste „plus brillant", mais A Rebours, Lci-Bas, En Route, Certains
„decelent plus de vie interieure; les idees et les figures qui s'y meuvent, ont un terrain
plus large de sensations et de diversites" (Zij verraden meer innerlijk Leven en de
ideeen en gestalten, die er zich in bewegen, hebben een ruimer terrein van sensaties en verscheidenheid), ibid., p. 167.
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Sans doute son catholicisme ardent y etait pour beaucoup. L'emotion
purement artistique ne lui suffisait pas; il cherchait en meme temps
l'ëmotion religieuse, l'extase plutOt, cette sensation divine qu'on ressent
en se repliant sur soi-meme, en se prosternant devant le Tres-Haut,
sensation d'un ordre bien superieur, a ses yeux, a remotion purement
esthetique. Cette tendance, si profonde en lui, explique comment vers
la fin de sa vie, il sera de plus en plus attire par l'ceuvre des grands
mystiques. Dans une langue harmonieuse et claire il traduisit les Confessions de Saint Augustin (en 1903) 1), Mijn Gevangenissen [Mes Prisons]
(1905) de Silvio Pellico, Het Sieraad der Geestelij ke Bruiloft [L'Ornement
des Noces spirituelles] (1917) de Ruysbroeck.
Les Confessions etaient a ses yeux le genre ou l'auteur penetrait le
plus avant en lui-meme. C'est pourquoi il applaudit fort a. UR het Leven
van Frank Rozelaar [Pages de la Vie de Frank Rozelaar], espece de journal
intime oil Van Deyssel, apres ses engouements naturalistes, avait decouvert son veritable moi. „ Qui aurait pu croire il y a vingt-cinq ans, alors
que cet auteur, ennemi de tout recueillement, ne visait qu'a reproduire
le beau ref let de la surface des choses, ne suivrait pas la voie de Zola
et de Goncourt, mais qu'il entrerait dans le labyrinthe de la mystique" 2).
„Moi-meme, disait-il un jour, j'aurais voulu faire quelque chose comme
un simple journal, un journal de mon ame, a la maniere d' En Route
de Huysmans, oil je me fusse exprime tel que je suis comme individualiste,
avec mes sensations particuliêres, ce qui serait plus int6ressant que toutes
ces oeuvres de la litterature, qui sont si peu senties" 3).
Ainsi par ses gouts, comme par son temperament Erens se distingue
de la plupart de ses contemporains. Par son contact kroit avec le
groupe des „decadents", il fut ici un des premiers a s'enthousiasmer
de leurs tendances. Si par son gout de la description pittoresque, il se
1) La premiere traduction de Saint Augustin qui a ete complete dans notre langue.
En outre Erens fait une adaptation de l'Imitatio Christi de Thomas a Kempis (1907).
2) Cf. De Amsterdammer du 2 juillet 1911. ,,Wie had dat vijf-en-twintig jaar geleden
kunnen voorspellen, toen deze auteur, wars van alle reflexie, slechts den schoonen
weerschijn wou geven van de oppervlakte der dingen? Niet den weg van Zola en
Goncourt heeft hij gevolgd, maar hij is binnengegaan het labyrinth der mystiek".
3) Den Gulden Winckel, 1915, p. 71 (interview avec Andre de Ridder). „Indien ik
nog genoegzaam krachten kan houden, zou ik nog wel iets willen maken als een
eenvoudig dagboek van je eigen ziel gelijk Huysmans' En Route, waarin je werkelijk precies je zoudt uitdrukken gelijk je bent als individualist, met al je eigenaardige sensaties, interessanter dan al die werken van de literatuur, die zoo weinig
doorvoeld zijn".
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rapproche de l'impressionnisme, it se revele par la majeure partie de son
oeuvre comme un initiateur d'un art suggestif, eminemment poetique.
Sans cesse a la recherche d'une Write, plus essentielle que celle des „faits"
et des „documents", it inaugure une orientation nouvelle, celle qu'on
discerne en meme temps chez Diepenbrock, Couperus (celui de Extase,
de Psyche, de Fidessa), Van Deyssel, art auquel Van Eeden avait prelude
par son Kleine Johannes [Le petit Johannes] 1).
1) De Kleine Johannes parait a partir de 1885 dans le Nieuwe Gids, voir la page 24,
note 5.
CHAPITRE III
LE PESSIMISME MORAL
Au chapitre precedent nous avons vu comment le realisme francais,
par l'audace pittoresque de ses descriptions, avait ete pour les auteurs
impressionnistes de chez nous une veritable source d'inspiration.Partant
de ces exemples, ils s'attachaient a peindre la vie dans ses manifestations
directes, avec le souci predominant d'une expression tout a fait originale.
II y a pourtant chez eux, malgre leurs preoccupations essentiellement
artistiques, une facon toute nouvelle de sentir et de comprendre la vie,
une conception essentiellement materialiste, nee sans doute sous l'influence des iclees positivistes et des theories naturalistes qui ont le
dessus en France. L'idee de l'homme domine par ses passions, en lutte
perpetuelle avec la fatalitê de son destin, nous l'avons trouvêe dej à dans
Een Liefde de Van Deyssel; Mathilde est un etre de chair et de sang,
tourmente par ses desirs charnels, pousse par la voix obscure de ses
instincts. Arij Prins, dans son ceuvre du debut, fait preuve d'un grand
interet pour la vie miserable des ouvriers et des paysans que leur egoisme
et leurs ignobles convoitises poussent aux actions les plus clegradantes.
Netscher, egalement, est anime des memes preoccupations, tout en
calquant ses idees et ses phrases sur le modele de Zola. Il n'y a au fond
qu'un Erens ou un Delang 1) qui soient restes en dehors de toute doctrine
naturaliste, trop exclusivement preoccupes par le desir hautement
artistique de traduire dans une prose savante et rythmee la reaction
des impressions et des sensations qu'ils recoivent du dehors. Mais aucun
de ces auteurs ne sut atteindre l'ampleur, la grandeur de conception, en un
mot le pathetique du roman francais en nous montrant l'homme dans sa
1) Delang, pseudonyme de Jan Hofker, traduisait avec un raffinement extreme ses
impressions et ses pensees intimes; ses esquisses, publiees a partir de 1889 dans De
Nieuwe Gids, seront recueilles sous le titre Gedachten en Verbeeldingen [Pensees et
fantaisies] (1906) avec une preface de L. van Deyssel.
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lutte infiniment dramatique contre l'avilissement et la cl6gen6rescence
ou des forces obscures et implacables le feront sombrer.
Or, cette conception d'une destinee fatale qui domine nos actes, nous
la voyons se manifester plus expressement dans un groupe d'auteurs
tels que Marcellus Emants, Louis Couperus, Aletrino, Frans Coenen,
Johan de Meester, qui en se desinteressant des questions d'ordre purement esthetique, se mettaient, apparemment inspires par le roman
francais, a etudier l'homme dans ses rapports immediats avec son ambiance, a le voir comme un etre dont le caractere, le temperament, la
vie sont determines par diverses „influences" auxquelles it resiste en.
vain. L'oeuvre de ce groupe d'auteurs a son accent propre qui immediatement les rapproche des grands romanciers francais contemporains.
On distingue dans les deux litteratures, francaise et hollandaise, de
cette heure une affinite de ton, une analogie dans la fawn de comprendre
et de sentir la vie qui ne laisse pas de surprendre et qui fait supposer
que le roman de chez nous s'est amplement nourri des idees et des themes
que le roman francais avait abordes.
Mais avant d'entrer dans un examen detaill6 des auteurs en question
et afin de mieux comprendre l'epanouissement du roman naturaliste
en Hollande, resumons les themes et les idees que les romanciers francais
ont abordes avec tant de ferveur, quelle etait leur conception de la vie
et de l'univers, a quelle philosophie ils obeissaient.
Dans la periode allant de 186o a 187o une vague d'intellectualisme se
repand sur l'Europe occidentale, qui se manifeste par un irresistible
besoin d'examiner objectivement, sans idee preconcue, les causes profondes et eternelles de toute manifestation de la vie, de determiner
rationnellement l'origine et les mobiles de nos actes. Surtout la biologie
et l'anatomie jouissent d'un grand prestige et determinent une conception toute nouvelle de la vie; les sensations, les idees, les sentiments
meme sont studies dans leur correlation avec certaines manifestations
physiologiques; les doctrines et les theories des darwiniens et des evolutionnistes trouvent un acces facile, et suscitent partout le plus vif enthousiasme. L'espoir qu'on avait mis jusqu'alors dans la Foi fut transfers
sur la Science; on croyait qu'elle allait devoiler tous les mysteres, resoudre
toutes les enigmes, fonder sur des bases definitives le bonheur de l'humanite; it se degage des doctrines des utilitaristes ou des evolutionnistes
une note essentiellement optimiste; on croyait au progres, on avait foi
dans la puissance humaine, une grande confiance dans l'avenir.
En France ces idees philosophiques et scientifiques ont ete d'une
7
98
influence profonde sur l'evolution du roman, qui devenait l'analyse
tout objective, quasi-scientifique des manifestations de la vie. Le besoin
de l'experimentation conduisait Zola et ses disciples a choisir des personnages particulierement soumis a leurs nerfs et a leurs instincts, frisant
la brute; ils descendaient dans les bas-fonds sociaux, decrivaient toutes
les formes du vice, de la degenerescence, de la nevrose. Ce sont des
titres peu complexes, des faibles, des detraques qui obeissent aux instincts
brutaux, des creatures sans energie qui subissent passivement la fatalite
hereditaire. Le spectacle de la vie remplit l'auteur de degoilt et d'amertume; le monde s'etale devant lui avec toutes ses laideurs et toutes ses
bassesses. Malgre l'optimisme de Zola, son oeuvre n'en respira pas
moms un pessimisme profond et amer; it nous montre l'homme degrade
au rang de l'animal, agite par ses bas instincts et ses appetits „bestiaux",
asservi aux lois mecaniques et implacables de la nature. D'ailleurs Yid&
d'une necessite fatale et inevitable semblait preoccuper tous les auteurs
realistes de la deuxieme moitie du XIXe siècle. Balzac, Flaubert, Goncourt ou Zola presentaient l'homme comme un titre fatalement livre a
des forces obscures, gull lui est impossible de vaincre. Aux yeux de
Zola l'etre humain est avant tout une creature passive „incapable de
reagir contre l'heredit6, souverainement domine par ses humeurs et ses
nerfs". La volonte, la raison n'arrivent pas a vaincre les passions qui se
manifestent comme des instincts primitifs; ici aucune lutte morale ne
donne l'illusion de la liberte humaine; „Zola, disait Lemaitre, supprimait
le libre arbitre, la lutte classique entre la volonte et la raison" 1).
Au nom du positivisme les auteurs naturalistes nient les affirmations
de la morale publique et religieuse; la seule certitude, c'est que tout
aboutit a la mort, a l'aneantissement absolu; ii n'existe aucune preuve
de survivance apres la mort; l'ame, dont les moindres mouvements
relevent d'actes physiques, cesse d'être immortelle. Une etude approfondie des lois biologiques, l'influence des theories darwiniennes et
transformistes detruit la prise du surnaturel sur les esprits; la conception
des miracles n'est plus admissible; plus la science avance, plus on se perd
dans le doute religieux et la mefiance; l'autorite de la Bible et de la
religion est ebranlee. L'homme, d'apres les conceptions traditionnelles
religieuses le centre de l'univers, perd sous l'influence des doctrines
evolutionnistes son rang d'exception, sa souverainete divine. Au lieu d'une
hiërarchie bien etablie des especes apparait un monde animal, se transformant sans cesse et soumis aux plus rigoureuses lois de la biologie.
1) Jules Lemaitre, Les Contemporains. Paris, Boivin & Cie., s.d., I, p. 257.
99
De plus „la vie etant un fait physiologique", l'amour perd son caractere divin de l'unite de l'homme et de la femme devant Dieu; les hommes
sont des titres de sang et de nerfs plus encore que des Ames; l'amour nest
que l'attrait physique qu'exercent l'un sur l'autre les deux sexes. La
science aide a renverser les barrieres, a detruire les conventions qui
defendaient jusque-la de traiter ouvertement, avec une entiere franchise,
les rapports sexuels. Les auteurs francais ayant revendique avant tout
le droit d'exprimer sans ambages leurs vues sur ces sujets, it n'est guêre
douteux que ces tendances ont ete confirmees et accentuees chez nous
par l'exemple de Zola et de ses disciples. Ainsi, malgre l'optimisme
prononce des doctrines scientifiques et philosophiques et les perspectives
heureuses qu'elles ouvraient sur l'avenir, ii se repand dans les Ames
une tendance pessimiste qui, derivant tout naturellement des idees une
fois acceptees sur l'univers et sur l'homme, ne tarde pas a se communiques au roman et a l'impregner de son amertume profonde.
L'etat d'esprit qui se manifeste ici entre 1870 et 188o n'etait pas sans
favoriser la penetration des idees et des conceptions nouvelles. Des le
milieu du XIXe siècle certains symptOmes annoncent une attitude
spirituelle qui sera generale vers la fin du siecle. Au premier chapitre
nous avons cite les noms de ceux qui etaient sur ce point des figures
representatives, Jacob Geel, Bakhuizen van den Brink, auxquels se
joignent plus tard Van Vloten, Allard Pierson, Busken Huet, Multatuli.
Nous avons vu comment Jan ten Brink,Van Santen Kolff, Frans Netscher
se sont enthousiasmes devant le roman experimental de Zola, dont its
s'etaient empresses de repandre et de propager les tendances scientifiques. Emants, des 1870, s'engoua de Taine qu'il ne cessa d'admirer et
dont it se reclame a tout propos dans ses premiers ecrits. „La nouvelle
generation de 1880, avait dit P.-D. Chantepie de la Saussaye, restait
„thebrale", elle n'etait aucunement mystique, sa conception de la vie
etait materialiste comme celle de la generation de 1848 a 1870, qui avait
vecu de science, de critique, de doute, d'individualisme, tendance qui
ne saurait etre vaincue, d'apres lui, que par la foi plus forte dans la
realit6 d'un monde plus haut, et par une vie interieure plus profonde" 1),
1) P.-D. Chantepie de la Saussaye, Het mystieke in onze nieuwste letteren [L'dle'ment
mystique dans la littdrature recente]. Handel. en Meded. v. d. Mij. der Ned. Letterk.
to Leiden, 1899, p. 57. „Zij (de generatie van 1880) kwijnt aan de erfenis van het
vorig geslacht, het geslacht van 1848-1870, dat geleefd heeft bij wetenschap,
kritiek, twijfel, individualisme. Overwonnen kon dit slechts worden door een
krachtiger geloof aan de werkelijkheid eener hoogere wereld, en door een dieper
innerlijk leven".
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opinion que nous trouvons egalement exprimee chez H.-P.-G. Quack,
qui dit dans ses Herinneringen 1): „L'atmosphere oil je grandissais, etait
rationaliste; ii n'y etait pas du tout question d'une force mysterieuse qui
entourait et penetrant cette vie terrestre" et plus bas „Aux aspirations,
aux plaintes, a la melancolie, aux prieres du cceur humain au Dieu
vivant, a la soif de la Redemption — se manifestant parfois dans la
contemplation et la meditation mystiques — se substituait un examen
subtil, mais sec, des ecritures et des sources, une conception intellectuelle,
un raisonnement dialectique extremement penetrant et une sorte de
satisfaction ou de joie meme qu'on fut debarrasse des chaines des
dogmes" 2).
Les declarations de cette sorte se trouvent confirmees par les faits.
L'examen critique et historique de la Bible, les articles de Scholten et
de Kuenen qui attaquaient les dogmes, aboutirent a une nouvelle traduction de la Bible dans la fameuse Leidsche Vertaling [Traduction de
Leyde]. Une autre manifestation du recul de la foi en la sup6riorite de
revelation chretienne etait fournie par la publication encyclopedique de
Kruseman, qui parut entre les annees 1865 et 1884 et on les „principales
religions" etaient traitees „sur le pied d'egalite" par des savants de
merite (Kuenen, Thiele, Dozy et Kern) 3). En 1856 se fonde une secte a
tendances anti-religieuses, celle des Vrijdenkers (Libres-penseurs) qui
s'inspiraient des decouvertes de la science et de l'exegese modernes. Its
publient un organe special De Dageraad [L' Aurore] , portant la devise:
„Magna est veritas et praevalebit". A leur premiere assemblee figuraient
sur la table un globe, un telescope, un microscope, symboles de la science
comme base de la religion 4). Multatuli (pseudonyme de Eduard Douwes
Dekker) fut un de ses plus fervents adeptes et it peut etre considers
1) Herinneringen uit de levensjaren van Mr. H.-P.-G. Quack [Souvenirs de la vie
de Me H.-P.-G. Quack] (1834-1913). Amsterdam, Van Kampen & Zoon 1913,
p. 22. „Later in Holland was de atmosfeer, waarin ik opwies, rationalistisch getint;
van het bewustzijn eener omringing en doordringing van dit aardsche leven door
een mysterieuze kracht — geen sprake".
2) ibid., p. 35. „In plaats van de zucht, de klacht, den weemoed, de bede van het
menschenhart tot den levenden God, in plaats van een smachtend verlangen naar
verlossing — zij 't dan soms in mystieke contemplatie en meditatie — kwam een
fijn doch nuchter onderzoek van schriften en bronnen, een intellectueele beschouwing, een uiterst scherpzinnig dialectisch geredeneer, en een soort van tevredenheid, voldaanheid of vreugde, dat men bevrijd was van de boeien der dogmen".
3) Cf. 0. Noordenbos, Het Atheisme in Nederland in de negentiende eeuw [L' Athdisme
en Hollande au XIXe siecle]. Rotterdam, W.-L. & J. Brusse, 1931, p. 33.
4) Cf. Jan Romein, De Lage Landen bij de Zee, p. 61 5 , 616.
IOI
comme le precurseur des idees modernes; par la force et la nouveaute
avec laquelle it exprimait ses opinions it eut aux environs de 187o et de
188o une influence enorme sur les esprits. Il haissait les dogmes, enseignait
que la croyance aux miracles etait une absurdite, que le monde evoluait
d'apres des lois fixes fondamentales. Il ne cessait de recommander
l'etude de la physique, de l'histoire naturelle, mais defendait de s'occuper
de metaphysique (geen bovennatuurkunde), ne voulant pas creer de
nouvelles erreurs. Il mettait les recits de la Bible au meme rang que les
legendes mythologiques, le Jahweh des Israelites a celui de Zeus, et exprimerait un jour son doute religieux dans sa fameuse Gebed van den
Onwetende [La Priere de l'Ignorant] (1881).
Cet etat d'esprit qui, comme on le sait, ne laissa pas d'alarmer vivement les predicateurs 1), trouva facilement acces auprês de la bourgeoisie
intellectuelle. Grace a l'amelioration de la presse et a la reforme de l'enseignement secondaire elles se repandent ici Bien vite et elles seront, apres
188o, assez generales. On n'a qu'a feuilleter les premieres livraisons du
Nieuwe Gids pour se persuader combien ses articles s'inspirent avant
tout de la vie philosophique, scientifique, politique et sociale de l'heure 2).
Van Deyssel n'avait pas tort de pretendre qu'aucun des Auteurs dei88o
n'avait au fond echappe a l'influence du naturalisme, mot qu'il prend
sans doute dans son acception la plus vaste, celle qui designe l'esprit
meme du XIX e siêcle, debarrass6 du romantisme et qui comporte une
etude objective et impartiale de la realite 3).
1) Ainsi le pasteur Ter Haar, alarme des theories darwiniennes, s'ecria avec horreur
„Zou ik van verre u nog bestaan ? Gij ruigbehaarde Baviaan ?" (Serais-tu de mes
lointains ancétres, 6, babouin hirsute).
2) Dans la premiere annee de cette revue bimestrielle vouee „aux lettres, a l'art
et a la science" (Tweemaandelijksch tijdschrift voor Letteren, Kunst en Wetenschap) on trouve des articles consacres a la politique sociale de la main de M.-C.-L.
Lotsy et de Ph. Hack van Outheusden, des articled scientifiques, entre autres une
etude de Ch.-M. van Deventer sur la loi de Berthollet et la chimie moderne. Voir
pour les details l'etude tres interessante qu'y consacre G. Stuiveling De Nieuwe
Gids als geestelijk brandpunt [Le Nouveau Guide comme foyer spirituel]. Amsterdam,
N. V. Arbeiderspers, 1935.
3) De Kroniek [La Chronique], 2 e annee, 1896, p. 35. „Il me semble que des auteurs
qui se font connaitre entre 188o et 1885 et de ceux qui s'y rattachent immediatement, presque aucun ne soit reste complêtement en dehors de l'influence du
naturalisme: Kloos, le poke sublime en ce qui concerne ses vers, en est loin, mais
non pas en ce qui concerne sa vie intellectuelle et ses appreciations" (Het komt
mij voor dat van de schrijvers, die met 1880—'85 zijn opgedaagd, en van hen, die
zich daarbij onmiddellijk aansluiten, nauwelijks een enkele steeds geheel buiten den
102
On comprend que dans la complexite des influences (du roman francais, de la science, de la philosophie) qui agissent sur la naissance et
revolution du roman naturaliste chez nous, it est difficile, sinon impossible, de demeler l'action proprement dite du roman naturaliste
francais, de mesurer et d'apprecier cette activite dans sa fecondite et
dans son apport particuliers. Tout ce qu'on peut dire, c'est que l'activite
qu'a exercêe vers la fin du siecle dernier la litterature francaise sur la
notre semble l'avoir emporte de beaucoup sur l'inspiration qu'elle pulse
dans son ambiance spirituelle immediate. B. serait impossible de relever
dans le roman hollandais des indices qui denoteraient, comme c'est le
cas dans le roman francais, un rapport etroit avec les tendances scientifiques ou philosophiques que nous voyons se manifester alentour. Quant
a sa naissance et a ses origines, notre roman s'oriente exclusivement sur
la litterature francaise, qui par son indeniable autorite l'a impregne de
son esprit et de ses tendances. Si l'influence des idees scientifiques et
philosophiques, si faible soit-elle, s'est fait sentir dans notre roman
naturaliste, elle lui est parvenue a travers le roman francais, action qui,
it est vrai, n'aurait sans doute pas ete effective, si une transformation
totale dans les conceptions n'avait pas particulierement favorise la penetration des nouvelles idees. Nous verrons comment dans l'ceuvre de ceux
dont nous abordons l'etude dans ce chapitre, se manifeste un etat d'esprit
qui est en tout analogue aux tendances pessimistes qui determinent et
caracterisent le roman naturaliste en France. Cette sensibilite propre
qui caracterise la litterature francaise et qui la distingue nettement,
entre autres, de la sensibilite romantique au debut du siècle, a trouve
ici un acces facile aupres d'un petit groupe d'auteurs. Autant que leurs
devanciers ils se montreront egalement soucieux des problêmes que
soulevaient avec tant de passion les romanciers francais; apres eux,
ils abordent les themes de l'heredite et de l'influence du milieu, comme
celui de l'amour dans ses rapports avec la physiologie; saisis d'horreur
devant le degoiltant spectacle de la vie, ils s'attachent, comme leurs
predecesseurs, a peindre le type de la grande misere humaine, victime
de ses nerfs ou de ses mauvais instincts.
invloed van het naturalisme gebleven is: Kloos, de sublieme dichter, wat zijn verzen
aangaat wel, wat zijn overige intellectueele leven en waardeering aangaat, niet).
On sait qu'Alphonse Diepenbrock, subissant l'influence des symbolistes, etait chez
nous un des premiers a prononcer la „faillite" de la science; it reconnait, avec
Novalis et Schopenhauer, la superiorite de la representation intuitive a la representation abstraite, de l'art et de la philosophie a la science", cf. son article Melodie
en Gedachte [Melodie et Pensde], De Nieuwe Gids, 1891, I, p. 296 sqq.
103
Au premier chapitre nous avons vu combien la reaction qui s'elevait
contre les nouvelles tendances dans le roman naturaliste, etait et restait
vive; la franchise dans les peintures realistes, la hardiesse avec laquelle
etaient traites les problêmes sexuels, ne laissaient pas de scandaliser
l'opinion bourgeoise.
D'autre part l'esprit materialiste et le pessimisme amer qui se cl6gageaient du roman naturaliste ne blessaient pas moins le bourgeois dans ses
conceptions morales et religieuses. L'ic1.6e de l'homme, victime de ses passions les plus basses revoltait les esprits. Avant tout on clesirait etre
console, edifie par ses lectures. D.-C. Nijhoff, qui en 1879 faisait
Utrecht une conference sur Zola, regrettait qu'un auteur d'un si grand
talent, contribuat a repandre, malgre lui, le mal qu'il depeignait; „ce
qu'il y avait de sombre et de terrible dans son ceuvre, n'etait jamais
adouci par l'esperance, la con fiance ou reclification" 1). A.-G. van Hamel egalement, reprochait a Zola de ne preter aucune attention aux
influences „nobles". „Chez Zola ii n'est aucunement question d'une
reaction contre cette fatalite par l'influence des facteurs ideals que
l'education et le milieu peuvent offrir en grande quantite. De la vient
que dans son ceuvre it ne figure que peu de personnages nobles, et que
ces quelques personnages n'exercent presque aucune influence sur ces
victimes malheureuses de l'hhedite" 2). L'ann6e suivante G. Valette
ecrivait, a propos de Bouvard et Pecuchet: „Est-ce qu'il faut donc
perdre courage, alors que deux imbeciles maladroits ne reussissent pas
dans la vie. Flaubert n'a vu que la vanite de la lutte, non pas son profit,
qui reste, quelque faible qu'il soit" 3).
Ainsi, on se trouvait cruellement desoriente devant une litterature
1) Voir De Portefeuille du 29 novembre 1879, „dewijl het sombere en verschrikkelijke in zijn werken nooit verzacht wordt door de hoop, vertrouwen of verheffing".
2) De Gids, 188o, I, p. 356. „Van reactie tegen die fataliteit door inwerking der
ideale factoren, welke opvoeding en omgeving in menigte kunnen aanbieden, is
bij Zola zoo goed als geen sprake. Vandaar dat er zoo weinig edele personen in
zijne werken optreden, en dat die weinigen bijna geen invloed uitoefenen op de
ongelukkige slachtoffers der herediteit".
3) Nederlandsche Spectator, 1881, p. i6o. „Zouden we ons dan laten ontmoedigen,
omdat een paar onbeholpen sukkels niet vooruitkomen. Flaubert zag slechts de
doelloze strijd, niet den buit, den veelal kleinen buit, die liggen blijft". Comparez
a ce desaveu l'opinion que prononca, quelques annees plus tard, E.-M. de Vogue
sur Flaubert et son ecole (Le Roman russe, Avant propos, p. XXXIV): „Flaubert et
ses disciples ont fait le vide absolu dans l'a,me de leurs lecteurs; dans cette ame
&vast& it n'y a plus qu'un sentiment, produit fatal du nihilisme: pessimisme".
104
qui representait l'homme comme un etre domino par son milieu 1) et par
ses instincts. D'apres les nouvelles conceptions, tout, dans la vie,
semblait sans issue, tout y aboutissait a la decheance physique et morale 2). On se revoltait naturellement devant cet esprit de negation,
cherchant a se &gager, cofite que cofite, de son action deprimante.
Nous avons vu, comment, en 1885, les pasteurs protestants dans une
reunion generale avaient unanimement eleve la voix contre ''influence
demoralisatrice du naturalisme 3). On sait que, dans des brochures ou
du haut de la chaire, l'ceuvre d'Emants et de Couperus etait ouvertement condamnee pour les idees anti-chretiennes qu'elle decelait 4).
Ce n'est pas seulement dans les milieux orthodoxes et conservateurs que
se faisait sentir la reaction 5); elle etait, surtout a partir de 1900, caracteristique de divers groupes d'auteurs. L'espoir de redonner a l'humanite une nouvelle destinëe, animait fortement l'ceuvre de Frederik
van Eeden par exemple, qui ne cessait de s'elever contre les tendances
pernicieuses d'une conception fataliste, materialiste de l'univers. Il se
rattachait par la aux resistances qui se manifestaient depuis 1890 dans
le roman de Paul Bourget, d'Edouard Rod, d'E.-M. de Vogue. „Je hais
Zola, disait Van Eeden, bien que je voie en lui un homme puissant,
formidable, mais il est hostile a ma volonte" 6). „Par l'observation exacte,
par l'analyse subtile, par la force de l'expression on n'est pas encore
1) Dans le roman Graaf Pepoli [Le comte Pepoli] (1860) de Mme Bosboom-Toussaint
par exemple le heros finit par triompher de 'Influence desastreuse de son milieu;
il s'en degage, surmontant les obstacles, cf. F.-H. Fischer, Studien over het individualisme in Nederland in de 19e eeuw [Etudes sur l'individualisme en Hollande au
XIXe siêcle]. Bergen ep Zoom, 1910, p. 121.
2) Pour bien comprendre l'oeuvre destructrice que faisaient sur les Ames ces „romans
de la (Waite", nous renvoyons a l'etude que consacre Paul Bourget a l'ceuvre des
Goncourt, dans le second volume de ses Essais de Psychologie contemporaine; voir
aussi la preface aux Essais oil il indique les causes de cette vision pessimiste de
l'univers, qui est caracteristique de son époque et a laquelle il aurait voulu porter
remêde.
3) Voir no tre etude, p. 24.
4) Voir Henri van Booven, Louis Couperus. Velsen, Schuyt, 1933, p. 147.
5) Il va sans dire que le genre traditionnel, qui s'inspirait des conceptions chretiennes, n'en persistait pas moins sous la surface, formait un courant sous-jacent;
au point de vue de la litterature le roman „bourgeois" etait mort et il ne revivra
plus- sans s'etre rajeuni et revigore a l'exemple du roman contemporain moderne.
6) Cite dans G. Kalff Jr., Frederik van Eeden, Psychologie van een Tachtiger [Frederik
van Eeden, psychologie d'un Auteur de 188o]. Groningen, Wolters, 1927, p. 81. „Ik
haat Zola, wanneer ik tegen hem opzie, een machtig en geweldig mensch, maar
vijandelijk aan mij nen wil".
105
grand artiste; peut-titre un grand savant, un psychologue artistique mais
pas un artiste, un poete, un homme bon parmi les meilleurs des hommes"1).
A lui devait bientOt se joindre le poete Albert Verwey. En 1905, prefacant son nouvel organe De Beweging [Le Mouvement] ii ecrivait que
le naturalisme avait survecu a soi-merne depuis dix, seize ans, et que
l'impressionnisme avait abouti a un art oil toute fusion profonde de
Fame artiste et humaine faisait defaut" 2). Il allait jusqu'a predire un
avenir meilleur, mettant toute sa confiance dans „Fhomme, qui de
passif etait devenu actif, qui d'un organisme sensuel et nerveux s'etait
transmue en un esprit pensant et createur. Ce fait, disait-il, signifie une
amelioration magnifique, un renouveau, un gain et une perspective de
possibilites, non seulement pour notre art, mais pour toute notre vie" 3).
Presque tous ceux qui commencent a ecrire avec le siecle naissant, Carel
Scharten, Nico van Suchtelen, Herman Robbers 4), Dirk Coster et Just
Havelaar 5), les auteurs socialistes Adama van Scheltema, Henriette
1) Studies, I, p. 127. „Door nauwkeurige waarneming, door fijne zielsontleding,
door kracht van uitdrukking is men nog geen groot kunstenaar, misschien een
groot geleerde, een artistiek psycholoog, maar geen kunstenaar, geen poeet, geen
goed mensch onder de besten der menschen" Comme De Meester, Van Eeden
semble plus tard s'enthousiasmer de Romain Rolland, avec qui it correspondait.
„Il m'avoua, disait Adrienne Lautere (Le Monde Nouveau, 1920, p.2139) que Romain
Rolland l'avait reconciliê avec la litterature francaise".
2) Albert Verwey, Proza [Prose]. Amsterdam, Van Holkema & Warendorf en
Em. Querido, 1921, II, p. 48. „Waar iedere diepere eenheid van het dichterlijk en
menschelijk weten buiten bleef".
3) Cite dans De Raaf en Griss, Stroomingen en gestalten [Courants et figures]. Rotterdam, Brusse, 1931, p. 500. „De Mensch die tusschen Natuur en Kunst staat is
anders geworden. Hij werd van lijdzaam werkdadig, van weergevend voortbrengend,
van zin- en zenuworganisme denkende en verbeeldende geest. Dit feit beteekent
een prachtige verbetering, een vernieuwing en aanwinst en een vergezicht van
mogelijkheden, niet enkel voor onze kunst, maar voor ons heele leven".
4) Robbers (1868-1937) reste dans la tradition „naturaliste" en decrivant dans
son Roman van een Gezin [Le Roman d'une Famille] l'histoire d'une famille qui „se
&fait". Seulement it se plait a consacrer une large place aux „sentiments sublimes" quand it les decouvre dans l'homme. C'est chez les rêalistes francais qu'il
disait avoir trouve l'amour de l'humanite. „Ce que j'aime le plus chez les Francais,
chez Balzac surtout, c'est la tendre et chaleureuse humanite, le culte de la femme,
la tendresse pour les enfants, mais aussi pour l'homme la faculte de penetrer dans
la profondeur de Fame humaine; tout cela je le trouve avec plus d'intensite encore
chez certains auteurs hollandais, mais ce sont les Francais qui nous l'ont appris."
Voir Revue de Hollande, juillet 1916, p. 72.
5) Ces deux derniers fonderont, en 1921, De Stem [La Voix], revue a tendances
ethico-humanitaires.
io6
Roland Hoist sont animes du meme optimisme, d'une meme confiance
dans l'humanite. L'homme est rehabilite; ii n'est plus l'etre qui obeit a
ses instincts, a une volonte obscure; abandonnant son attitude de passivite il se consacre a l' action, a la lutte, au noble effort de „monter", de
reconquerir sa liberte. C'etait P.-N. van Eyck, disciple de Verwey, qui
dans son introduction a sa revue Leiding resumait admirablement ces
tendances nouvelles, en disant: „Nous protestons contre la croyance
dans la causalite absolue des phenomenes, contre l'abn6gation et l'inactivite passive de l'esprit humain; nous condamnons leurs consequences,
qui se font presque partout sentir de nos fours, l'anarchie, l'arbitraire,
la confusion, le desarroi, la dissolution. Partout oil l'homme reussit a
s'assujettir le flux passif-causal des phenomenes et a les transformer en
un nouvel ordre vivant, conformement a son destin, nous honorons
l'esprit dans sa plus haute activite, sa force creatrice" 1).
C'est alors qu'on peut dire que la litterature naturaliste, en tant qu'il
faut voir en elle une „litterature de la defaite", est morte. Grace a diverses
influences, l'esprit de defaitisme est vaincu, le type du heros naturaliste
sans foi, sans espoir, pousse parses passions cesse de peupler notre roman,
ne survivant que chez quelques rares auteurs. J. Everts Jr., qui dans
Uit het leven van een hypochonder [De la vie d'un hypochondre] (1907)
semble avoir ete impuissant a rendre vivant le drame du d6saxe, du
maniaque hypernerveux, atrabilaire, en a fait, malgre lui, une grotesque
parodie. Bien superieur a lui, d'une maitrise incontestable etait J. van
Oudshoorn 2). C'est a lui que nous devons deux excellents romans,
Willem Mertens Levensspiegel [Miro& de la Vie de Willem Merten] (1914)
et Louteringen [Purifications] (1916), oil avec une audace sans pareille
l'auteur &voile les mobiles les plus diaboliques des actes humains.
Willem Mertens Levensspiegel est la biographie saisissante d'un jeune
homme, heriditairement tare, qui dans des aventures scabreuses cherche
l'oubli de sa miserable existence; incessamment tourmente par de troublantes hallucinations, ii finit par sombrer dans la Folie (in het Andere).
1) Leiding [Direction], ' ere annee (1930), I, p. 2. „Het geloof in de volstrekte oorzakelijkheid der levensverschijnselen, de daaruit volgende keur- en werkloos
lijdelijke verzaking van de menschelijke geest, wijzen wij af; hun gevolgen, de heden
ten dage bijna allerwegen waarneembare anarchie of willekeur, verwarring, verslapping of ontbinding, veroordeelen wij. Overal waar de mensch er in slaagt de
lijdelijk-oorzakelijke vloed der levensverschijnselen aan zich te onderwerpen en
overeenkomstig zijn bestemming tot een levende orde te herscheppen, daar eeren
wij de geest in zijn hoogste werkzaamheid, zijn vormkracht".
2) Pseudonyme de J.-K. Feylbrief (ne en 1876).
107
Cette sensation, l'auteur en a suggere la fascinante oppressior_ avec un
veritable talent par oil it egale quelquefois l'auteur des Chants de Maldoror. Par son style, sa conception du monde ii se rattache aux auteurs
que nous allons traiter dans les chapitres suivants, rappelant notamment
Marcellus Emants, de qui ii semble tenir son gout du cas pathologique
et sa penetration psychologique.
MARCELLUS EMANTS (1848-1923)
Ne a Voorburg en 1848, Emants parcourt le lycee de La Haye, fait
des etudes de droit a Leyde. De bonne heure déjà it se decouvre un gout
irresistible pour les lettres; it se lie avec un petit groupe de litterateurs
qui, aux environs de 187o, font autorite, Smit Kleine, Jan ten Brink,
Andre Jones, Van Santen Kolff. Sous la redaction de Smit Kleine ils
fondent en 187o une petite revue mensuelle Quatuor, „editee par la
societe du meme nom" 1). Le periodique, qui n'aura qu'une existence
ephemere (187o—'71), n'obeit a aucun programme nettement circonscrit.
Ceux qui y collaborent ne visent qu'a. commenter dans ses colonnes les
problemes du jour. C'est ainsi qu'on traite celui du roman idealiste et
du roman realiste, question qui commencait a passionner les esprits
depuis qu'en France se manifestait, a partir de 186o environ, une facon
nouvelle de comprendre et de sentir la vie. Emants surtout mene avec
passion les debats, sans se declarer ouvertement ni pour l'un ni pour
l'autre genre. Tout en appreciant les avantages des deux tendances
litt6raires, it hesite a se prononcer d'une fawn categorique; la solution
qu'il nous suggere, tient plutOt du compromis. On goiltait fort ici,
cette heure-la, le realisme sentimental et humoristique de Dickens et
de Thackeray. Emants, dans ses jeunes annees, ne s'ecarte guere des
appreciations generales et consacre a Dickens, a l'occasion de sa mort
en 187o, un article tres elogieux, ou it dit: „Son but n'etait pas de nous
peindre dans sa nudite, jusqu'aux plus infimes details, ce qui est laid
et &gallant. Au contraire! Dickens avait compris que le choix du sujet
qualifie en premier lieu l'auteur et que la Write dans la reproduction
doit etre un merite de second ordre 2). Evidemment it fait ici allusion
1) Quatuor, maandblad uitgegeven door het gezelschap van dien naam.
2) Quatuor, juillet 187o, p. 35. „'t Was zijn doel niet het slechte en afzichtelijke in
al zijn naaktheid, tot in de kleinste bijzonderheden getrouw to schilderen — Integendeel ! Dickens begreep, dat de keuze van onderwerp vooreerst den kunstenaar
kenmerkt en dat de waarheid der voorstelling zijne tweede verdienste moet zijn".
108
aux tendances qui, depuis Flaubert, se faisaient sentir dans le roman
francais et qu'il est loin d'admirer. Dans l'article De Negentiende Eeuw
[Le vingtieme siêcle], qui est de 1871 1), it blame sevêrement „le courant
realiste qu'on a vu naitre en France et qui ravale l'art a une copie fidele
de la nature, qui perd de vue le beau et qui ne cherche sa matiere que
dans la platitude et l'immoralite 2), evoquant sous ce rapport le nom de
Flaubert, dont les romans ne semblent trouver aucune grace a ses yeux 3).
D'autre part le roman idealiste ne semble pas avoir son entiêre sympathie; it reproche a ses auteurs d'être artificiels, et leur conseille de
rester plus „naturels". „L'exemple eternel reste la nature, dit-il, heureux
celui qui s'en rapproche le plus" 4). Ce qu'il preconise, c'est qu'ils soient
idealistes dans le choix de leur sujet. „C'est dire que l'aspiration a ce
qui est eleve, a ce qui est beau — tendance qui n'a cesse de se manifester
dans la nature — doit etre votre seul precepte; alors vous ne vous ecarterez pas trop de la bonne voie. Mais une fois le sujet choisi, it faut etre
realiste dans la peinture" 5).
Cependant it se mefie des predictions de ceux qui annoncent la fin
de l'art, „maintenant que la gloire de la science est venue"; it va meme
1) Quatuor, 1871, p. 9-13.
2) art. cit., p. 13. „Het realisme verlaagde zich spoedig door het schoone uit het
oog te verliezen en zijne stof slechts in platheid en onzedelijkheid te zoeken",
ibid. p. 13.
3) ibid., p. 13. „Men denke slechts aan de romans van Flaubert !" (Qu'on se rap-
pelle seulement les romans de Flaubert). Plus tard (en 1915), dans une lettre a
M. P. Valkhoff, Emants dit admirer beaucoup Madame Bovary qu'il aimerait a
nommer „son roman ideal, parce que ce travail etait aussi impersonnel que possible.
Je comprends tres bien, qu'une oeuvre parfaitement impersonnelle ne puisse
exister .Le createur se revêle dans sa creation. Mais la tendance de l'ecrivain doit
aller a faire vivre ses figures aussi objectivement que possible. Cette tendance, je
la decouvre dans Flaubert et c'est pourquoi je l'estime fort" (Madame Bovary van
Flaubert zou ik mijn ideaal-roman durven noemen, omdat dit werk zo onpersoonlijk mogelijk is. Ik begrijp zeer goed, dat volkomen onpersoonlijk werk ondenkbaar
is. De schepper openbaart zich in zijn schepping. Maar het streven van den schrijver
moet zijn zo objektief mogelijk zijn personen te laten leven. Dit streven vind ik
in Flaubert en daarom stel ik hem hoog". Voir aussi Revue de Hollande, III, p. 68.
4) Een Tweetal Brieven [Deux Lettres], signees Alleh, Quatuor, 1870, p. 42. „Het
eeuwig voorbeeld blijft de natuur — gelukkig hij die er het meest nabijkomt".
5) ibid., p. 50. „Wees idealist in de keuze van uw onderwerp, d.i. laat het streven
naar hooger, naar schooner, dat in de natuur altijd merkbaar is geweest, laat dit
streven uw richtsnoer zijn en gij zult in uwe opvatting niet ver van den goeden weg
kunnen afdwalen. Maar begeeft gij u eenmaal aan de uitvoering van het gekozen
onderwerp, wees dan realist".
109
jusqu'a prophkiser un art nouveau, inspire des nouvelles tendances
scientifiques, tout en se gardant bien de predire le caractere de cet
art et de l'epoque qui allait venir, „encore couverte d'un voile impenetrable" 1).
Deux ans aprês, dans un article intitule Bergkristal [Cristal de roche]
(1872), nous voyons qu'il a sensiblement evolu6 et qu'il se rapproche,
dans ses conceptions d'art, des theories de Taine, dont it s'inspire 6videmment pour signaler l'intime rapport qui existe entre l'art et la science.
Il est le premier chez nous a reclamer que l'art comme la science ait a
se delivrer des „liens embarrassants", des dogmes religieux et de la
morale, qui ne font que tyranniser Part et entraver son libre developpement. „Le dogme devait bannir la pensee libre, le mot d'un pretre
reprimait la raison qui cherche" 2). Mais un jour le progres, la pensee
libre triompheront, un jour la science et l'art prendront la place de la
doctrine de l'eglise et du culte exterieur" 3). L'etroitesse d'esprit qu'il
decouvre autour de lui le gene et le pousse a decouvrir, hors de nos
frontieres, de nouvelles voies. „Dans le cosmopolitisme, dit-il, repose
l'avenir que prepareront l'art et la science. La seulement se trouve la
force qui finira par maintenir la civilisation, qui detruira les prejuges
et la mesquinerie et qui empechera que la force commune ne soit paralysee par la discorde intestine" 4).
C'etait sa probite d'artiste intransigeant et consciencieux, revolte par
tout ce qui sentait la convention et la fausse rhetorique, qui lui fit
prononcer ces opinions toutes modernes, dont la nouveaute et la portee
1) Quatuor, mars 1871, p. 13. „Wij kunnen met zekerheid voorspellen dat ook haar
(de kunst) op de nieuwe baan een nieuw leven wacht. Doch wat het karakter dier
kunst, wat in het algemeen het kenmerk van dien tijd zal zijn, is nog met een ondoordringbaren sluier bedekt".
2) Spar en Hu1st [Sapin et Houx], 1872, p. 16. „Het dogma moest de vrije gedachte
verbannen, het machtwoord eens priesters drong het zoekend verstand terug".
3) ibid., p. 18. „Maar eens zal de vooruitgang, de vrije gedachte triomfeeren, eens
zullen wetenschap en kunst de plaats van kerkleer en vormendienst innemen".
Il n'est pas impossible que ces idees se soient formes chez lui sous l'influence de
Multatuli ou de Heine, l'homme qui a eu, d'apres lui, la plus grande influence sur
ses pensêes. (de man, die het meeste invloed heeft gehad op mijn denken, is Heine),
voir De Mannen van '8o, p. 139.
4) ibid., p. 57. „In het cosmopolitisme ligt de toekomst, die kunst en wetenschap
zullen bereiden. Daarin alleen ligt de kracht, die de beschaafde wereld op den
duur zal kunnen in stand houden, die vooroordeel en kleingeestigheid zal vernietigen, en verhinderen zal dat de gezamenlijke kracht door inwendige verdeeldheid
vernietigd worde".
II0
semblent lui avoir 6chappe a lui-meme 1). Il devait tout naturellement
se sentir attire vers un mouvement d'art qui proclamait les principes
de verite et de liberte comme les seules directives valables. „Etre vrai" 2),
sera desormais la devise dont it ne va plus s'ecarter. En 1877, dans un
article intitule Kunst [De l' Art], 3) ii declarait nettement que l'esthetique,
„pour arriver a des resultats pratiques", devait s'inspirer des principes
et des methodes scientifiques sans l'aide desquels on ne saurait esperer
aucun progres de l'art. Il reclame la libert6 de l'artiste en lui recommandant de ne pas se preoccuper des conventions et du gout du public.
„L'artiste sera d'autant plus grand et plus libre qu'il n'aura pas a se
soucier du public, qu'il travaillera plus pour lui-méme que pour un
spectateur imaginaire" 4).
En 1879 it avait debute par Een Drietal Novellen [Trois nouvelles] 5)
qu'il faisait preceder d'une preface, remarquable au point de vue de
ces conceptions d'art, oil it pretend se justifier contre les mauvaises et
injustes attaques de „certains cotes". Une de ces nouvelles, Het Avontuur
[L' Aventure], destinee a paraitre dans De Banier 6) avait ete refusee,
ayant vivement inquiete les redacteurs qui craignaient de perdre comme
abonnes a leur revue „les honorables dames administratrices des societes
de lecture distinguees" 7). Emants ne s'expliquait pas comment on
saurait titre offusque de quelques termes hardis, si la peinture des personnages et des situations le necessitait. „Het Avontuur se fonde sur une
esquisse d'aprês nature et, de ce qui etait banal ou plat je n'ai retenu
autant que cela m'a paru indispensable pour caracteriser les personnages
et les situations. La responsabilite de la platitude ou de l'elevation de
1) De Mannen van '8o, p. 136. „En toen zeiden de menschen tot mijn verbazing:
dit is iets nieuws" (A ma grande surprise on qualifiait cet article de quelque chose
de nouveau).
2) De Gids, 1889, II, p. 55o (art. Pro Domo), „De artiest moet waar zijn, waar
tegenover zichzelven".
3) Voir De Banier, 1877, III, p. 129-145.
4) ibid., p. 144, 145. „Des te grooter en des te vrijer de kunstenaar is, zal hij zich
minder om het publiek bekommeren en meer voor zich zelven dan voor een denkbeeldigen toeschouwer werken".
5) Een drietal Novellen, W.-C. de Graaff, Haarlem, 1879.
6) De Banier [La Banniêre], periodique qui se distinguait par ses tendances fort
avancees pour l'epoque et dont Emants fut le redacteur, de 1875 a 188o, avec
Smit Kleine et Van Santen Kolff.
7) Preface des Trois Nouvelles, p. V. „Het „avontuur" bestemd voor De Banier,
teruggenomen om de gemoederen van fatsoenlijke dames, bestuurderen van
deftige leesgezelschappen niet te verontrusten".
III
ces types ou de ces situations incombent peut-etre au public ou se trouve
incame cet esprit de l'epoque, et non pas a celui qui lui presente son
miroir pour qu'il s'y reconnaisse" 1). La meme annee parut de sa main
un article intitule Schoonheid [Le Beau] 2), espece d'apologie de la
liberte dans l'art, oil Emants s'exprime avec plus de nettete encore que
dans la preface sur le role et la mission du „naturaliste". Pourvu qu'on
s'attache a chercher la Write, declare-t-il, it sera permis a l'artiste de
choisir librement sa matiere et de la traiter sans fausse honte, sans se
soucier des conventions et de l'opinion des pretendus bien-pensants.
„Dans l'ceuvre d'art, ce qui est repugnant peut etre decrit comme un
„detail n6cessaire" 3). „L'experimentateur qui satisfait dans la pourriture
a son gout de l'etude, n'eprouvera au moment oil it fait une decouverte
importante, aucune sensation d'horreur. Le plaisir qu'eprouvera l'amateur d'art qui sait apprecier la grandeur puissante de L'Assommoir ne
sera aucunement 0,16 par la scene si necessaire de l'ivresse de Coupeau" 4).
C'est par amour de la pretendue objectivite qu'il louait avant tout
Tourgueniev, a qui it consacre un article bien elogieux 5). Il le mettait
meme au dessus de Zola, l'admirant pour son talent d'observer dans ses
peintures la plus stricte impartialite „sans qu'on voie percer une note
d'antipathie ou de sympathie envers ses personnages". Tourgueniev
ëtait d'apres lui l'initiateur de cette litterature qui se propose de penetrer
„le scalpel a la main", le plus profondement possible dans la nature
humaine 6). Plus expressement encore qu'avant, Emants reclame un art
qui s'inspire des memes principes que la science. „L'avenir de la litte1) ibid., p. X. „Het avontuur steunt op een schets naar de natuur, en van het
platte en gemeene heb ik slechts zooveel overgehouden, als mij onontbeerlijk
scheen voor de karakteristiek van personen en toestanden. De verantwoordelijkheid voor de platheid of verhevenheid dier typen of toestanden komt misschien
op het publiek, waarin die tijdgeest belichaamd is, niet op hem die het zijn spiegel
voorhoudt".
2) De Banier, 1879, III, p. 381-401.
8) ibid., p. 396. „Het weerzinwekkende kan dus als een noodzakelijk detail in het
kunstwerk geduld worden".
4) ibid., p. 390. „De onderzoeker die in verrottende stoffen zijn studielust bevredigt, zal, op het oogenblik dat hij een belangrijke ontdekking doet, geen gevoel
van walging bespeuren. De kunstvriend die een machtig werk als L'Assommoir
weet to waardeeren, zal op het oogenblik, dat hij er de voile grootheid van beseft,
niet in zijn geest gehinderd worden door het bekende en zeer noodzakelijke tooneel
van Coupeau's dronkenschap".
5) Nederland, 188o, I, p. 107-160.
6) ibid., p. i6o.
112
ture dependra du concours entre l'art et la science qui progresse de
nos jours a pas de geant. L'art doit aller de pair avec la science, s'il ne
veut pas etre considers comme une chose de nulle valeur" 1).
La methode de l'examen minutieux et impartial des documents et
des faits devait tout particulierement convenir a sa passion de l'analyse
et de la construction logique. Des lors ii met toute sa foi dans la science
ou plutOt dans la methode scientifique. C'est avec une profonde conviction qu'il defendra encore le point de vue de l'objectivite dans l'art,
dans un article, intitule Pro Domo 2) oil it expose ses opinions sur le but
de l'art et l'attitude de la critique. Sous peine de rester en arriere, l'artiste
doit, bien qu'il ne soit pas physiologue, prendre connaissance des resultats que viennent acquerir les recherches des savants; it est oblige de
s'approprier tout ce qui peut contribuer a une plus grande solidite de
son oeuvre" 3). Il blame l'auteur qui vise a introduire dans son oeuvre
des episodes „edifiants", qui tend a faire des concessions a la morale et
a se conformer au gout du public. Its tordent le cou a la verite, dit-il,
et donnent une image fausse et embellie de la vie 4).
Cependant Emants s'eleve contre ceux qui pretendent faire une copie
fidele de la realite; it a tres bien compris qu'une peinture objective, dans
le sens le plus strict du mot, est impossible; l'artiste ne peut jamais
1) art. cit., p. 109. „In onzen tijd gaat de wetenschappelijke ontwikkeling met
reuzenschreden vooruit, en moet dus ook de kunst zich met de wetenschap verzoenen, wil zij niet als een onding veracht worden en bespot". Dans le meme
article Emants se defend, sans les nommer, contre ses adversaires qui ont attaquê
sa conception de la vie. „Le pessimisme n'est pas, dit-il, une affaire de sentiment,
mais de raison, resultat de l'observation et qui trouve son appui dans le raisonnement. Il (le pessimisme) enseigne que dans le monde la souffrance domine et dominera le plaisir, que le monde a un but ou ne mene que la souffrance, et que tout
homme vivant doit collaborer, en son domaine, a l'evolution de l'humanite"
t Het pessimisme is geen gevoels- maar een verstandszaak, uit waarneming ontsproten en door redeneering gesteund. Het beweert dat in de wereld het leed het
genot overheerst en zal blijven overheersen, dat het leven een Joel heeft hetwelk
slechts door het lijden te bereiken is en dat ieder, die leeft, op zijn gebied, tot de
ontwikkeling van het menschdom medewerken moet, art. cit., p. 148), idees auxquelles it resta toujours fidele et qu'on retrouvera plus tard chez Johan de Meester
par exemple.
2) De Gids, 1889, II, p. 527-550.
3) ibid., p. 547. „Ofschoon zelf geen physioloog, moet de artiest, op straffe van
bij zijn tijd ten achteren te blijven, kennis nemen van de uitkomsten waartoe het
onderzoek de mannen van de wetenschap heeft geleid, en is hij verplicht zich daarvan toe te eigenen al, wat aan zijn werk een grootere hechtheid kan bijzetten".
4) ibid., p. 537.
113
„depouiller" sa personnalite; toute oeuvre d'art Porte les marques
visibles du maitre qui la cree. „Nous sommes, dit-il, assujettis a nos representations, et nos representations relevent de notre organisme, tandis
que l'image qui se produit n'a pas plus a faire avec la veritable nature
que le baton refracte que nous remarquons dans l'eau avec le baton
droit que nous y plongeons. C'est que l'artiste ne fait aucun effort pour
copier la r6alite" 1). Et d'apres la formule naturaliste it definit l'oeuvre
d'art comme „l'effort couronne de succes de l'artiste d'eveiller egalement dans l'esprit du spectateur ou de l'auditeur l'impression qu'il
avait revue de la nature" 2).
Si d'une part Emants devait, par son dedain inne des conventions et
des conceptions traditionnelles, etre singulierement attire par la pretendue impartialite avec laquelle la science et le roman francais avaient
aborde les grands problemes de l'humanite, principes qu'il sera tout
pret, comme nous le verrons, a faire valoir dans son oeuvre, d'autre part
le positivisme de Taine ne manquait pas d'exercer un grand attrait sur
cet esprit qui, par sa propre orientation, serait tout dispose a lui emprunter
ce que sa doctrine renfermait de nouveau quant a la fawn de voir et
de comprendre le monde 3). Deja dans l'article Bergkristal (1872) on a
pu remarquer revolution vers une conception de la vie qui s'oppose
aux conceptions traditionnelles et qui rêsulte evidemment du besoin
d'envisager les problemes de la vie d'un oeil impartial. Le positivisme
qui, liber6 des vieilles doctrines spiritualistes, se proposait de comprendre l'homme et d'expliquer sa raison d'être par la voie du fibre examen et de l'etude impartiale des faits, devait tout particulierement
seduire un esprit rationaliste, tendant a trouver, par le raisonnement
1) De Banier, 1877, III, p. 133, 134 (art. Kunst). „Het blijkt dat wij niet in staat
zijn zuiver objectief datgene na te bootsen wat wij de werkelijkheid noemen en
dat dus het realisme streng opgevat niet bestaan kan. Wij zijn aan onze voorstellingen gebonden en die voorstellingen zijn aan ons organisme gebonden, terwijl
het beeld, dat zich in ons vormt met de ware natuur der dingen even veel en even
weinig te maken heeft als de gebroken stok dien wij in het water aanschouwen
met den rechten dien wij erin steken. — De kunstenaar poogt n.l. volstrekt niet
de werkelijkheid na te bootsen".
2) ibid., p. 134, 135. „Het kunstwerk is de geslaagde poging van den kunstenaar
om den indruk, dien hij van de natuur ontving ook in het brein van den toeschouwer of toehoorder te doen ontstaan".
3) Emants correspondait avec Taine (aussi avec Tourgueniev); Van Santen Kolff,
collectionneur d'autographes possedait une lettre de Taine a Emants, une „lettre
d'ordre philosophique de quatre pages" (een philosophische, van 4 zijdjes), voir
S.-P. Uri, Arij Prins, p. 42.
8
"4
meme la solution des grands problemes de la vie qui le hantaient 1).
Il mit a profit les lecons de Taine, qu'il ne cesse d'etudier. Deja dans
sa preface aux Drie Novellen il le cite, tenant a se nommer „naturaliste",
pour donner son adhesion a ce que Taine attribue a Balzac. „Aux yeux
du naturaliste, l'homme n'est point une raison ind6pendante, supêrieure,
saine par elle-meme, capable d'atteindre par son seul effort la verite
et la vertu, mais une simple force, du meme ordre, recevant des circonstances son degre et sa direction" 2). C'est de lui egalement qu'Emants
accepte aisement l'idee que l'homme est le produit fatal de son milieu
et de ses dispositions hereditaires, que l'heredite et les circonstances,
education, milieu, climat decident de la personnalite, theorie qu'il developpe avec enthousiasme dans son article Pro Domo. Ce qui, dans la
philosophie de Taine, l'a tout particulierement retenu, c'est le cote essentiellement pessimiste, la tendance a regarder l'homme comme un etre
fatalement abandonne a des forces qu'il n'arrivera jamais a vaincre,
qui le predestinaient, par leur fatalite meme, a une fin essentiellement
tragique. „L'art, dit-il, s'est debarrasse des preceptes de la convention
par une conception plus scientifique de la nature et les anges comme les
diables palissent devant la lumiere brillante de la n6cessite" 3). Citant
la fameuse phrase „ le vice et la vertu sont des produits comme le vitriol
et le sucre", il la fait suivre de toute une explication des theories tainiennes et de leurs consequences. Comme Taine, Emants est convaincu que
„toute action humaine est la reaction necessaire de l'individu a 'Influence
du monde ambiant" 4). A tout moment de sa vie l'homme reste „le
resultat" de la longue serie de ses antecedents et des circonstances oil
se developpe son individualite comme „le dernier maillon de la chaine" 5).
1) Emants qui, en 1871 encore, professe dans un petit poeme sa foi dans une puissance superieure et eternelle, semble, evidemment sous la suggestion de ses lectures,
s'étre assez brusquement converti a la libre-pensee; dorenavant il cesse de croire
a aucun finalisme, rejette toute croyance en un Dieu sauveur, evolution qui par sa
rapidite et son imprèvu ne laissa pas de surprendre ses amis memes.
2) Drie Novellen, pref. p. VI; voir ''etude de Taine sur Balzac (1858), Nouveaux
Essais de critique et d'histoire, ed. Hachette, p. 48.
3) De Gids, 1889, II, p. 543. „De kunst is door een meer wetenschappelijke natuurbeschouwing aan de voorschriften der conventie ontgroeid en zoowel de engelen
als de duivelen verbleeken voor het stralend licht der allesbeheerschende noodzakelij kheid".
4) ibid., p. 545. „Elke menschelijke handeling is de noodzakelijke reactie eener
individualiteit op de inwerkingen van de wereld, die haar aangeeft".
5) ibid., p. 545. „De mensch blijft in elk oogenblik zijns levens het resultaat van de
"5
Dorenavant l'artiste aura a choisir ce qui est earacteristique de certaine
region et de certain moment, de tel pays ou de telle race; il n'aura qu'a
etudier les rapports de cause a effet, sans se demander si les consequences
d'une action seront bonnes ou mauvaises.
L'auteur naturaliste faisait de preference son choix dans les milieux
obscurs, sordides, s'attachait a peindre de l'homme le cote vicieux,
malsain, convaincu que le mal predomine et &rase tout ce qui est bon,
noble, eleve. Une telle conception de la vie n'etait pas sans attirer Emants.
Comme Balzac et l'ecole naturaliste aprês lui, il croit a la predominance
de l'element „diabolique" dans l'homme, qui l'emporte de beaucoup
sur l'element „angelique". Tout le monde, disait-il, peut facilement
observer les „diables" dans la rue, les tripots, les bastringues, les salles
de justice. De plus, ces types prësentaient l'avantage de se laisser
facilement observer et etudier dans leurs reactions immediates mieux
que le type „angelique" qui se derobait le plus souvent a l'observation
directe et representait en general des types inertes, sans action, sans
lutte interieure (les anges passifs). Les naturalistes qui partaient des
memes principes pour depeindre des etres „physiquement ou moralement atteints" ont ete sans doute ses inspirateurs. Les prenant en quelque
sorte pour exemple, Emants s'attache a etudier des etres cl6sequilibres,
des nevropathes, sachant, par une minutieuse et penetrante analyse,
decouvrir a nos yeux le trefonds des cceurs.
Vu l'importance que Taine attachait a l'etude de cas psychologiques
et pathologiques, a laquelle il voue une large place dans son livre De
l' Intelligence, il n'est pas impossible que celui-ci lui ait revele sa voie.
Un article, intitule Kunst-photographie-physiologie [Art-photographiephysiologie] que publia Emants dans le Nederlandsche Spectator de l'annee
188o, cl6montre assez bien l'interet qu'il attache a la physiologie et a
la tendance a ramener les phenomenes mentaux aux troubles physiques
ou pathologiques. Pour appuyer ses declarations il cite une phrase curieuse a ce point de vue dans la Physiologie des Passions (2868) du Dr.
Ch. Letourneau, celui-la méme qui signala a Zola un grand nombre de
specimens curieux de pathologie. „Diit l'animisme et meme le spiritualisme en mourir de chagrin, le rapport entre l'ame ou l'esprit et le corps
ne saurait plus se contester a present. Tant vaut l'organe, tant vaut
la fonction" 1). „Il y a des cas de maladies, ajoute-t-il, qui nous font
lange reeks zijner voorouders en de omstandigheden waaronder de laatste schakel
dier reeks, zijn eigen individualiteit, zich heeft ontwikkeld".
1) Ned. Spectator, 188o, p. 121.
116
jeter un regard prof and dans la nature humaine et it finit par conclure:
„D'une fawn generale nous pouvons donc dire que la demonstration
scientifique ne peut jamais etre la fin de l'oeuvre d'art, puisque par la
l'oeuvre d'art telle quelle cesserait d'exister. Condamner pour cette raison
la science comme moyen serait degrader l'art a en faire un jouet de niais
et l'artiste a un fournisseur de distractions et de divertissements. Son
gout du pathologique devait se former et se developper encore par la
multitude d'exemples que lui offrait la litterature francaise de l'heure.
Nous ignorons s'il connaissait les Goncourt, ces premiers „ecrivains des
nerfs" 2) qui n'avaient pas tarde a faire ecole en France. S'il ne tenait
point d'eux la sensibilite picturale ni le goiit de l'ecriture artiste, it
aurait certainement apprecie chez les auteurs de Germinie Lacerteux
l'etude quasiment scientifique du type anormal, du nevropathe, subissant
fatalement l'influence de son milieu. Zola, dont les premiers romans
Madeleine F drat et Therese Raquin pretendaient etre des monographies
de manifestations anormales de la sensibilite, lui ouvrait egalement par
ses Rougon-Macquart un vaste champ d'etudes pathologiques, de meme
que Paul Bourget — le Bourget des premiers romans — avait excite
son admiration par ses habiles et puissantes analyses du cceur humain 3).
Sans doute ses etudes et ses lectures ont orients son gout vers le genre
pathologique, quoiqu'il soit difficile de dire oil l'auteur a trouve sa veritable inspiration. En general it y a en pareil cas un grand nombre de
facteurs qui agissent ensemble, le temperament et la predisposition de
l'auteur, de meme que l'ambiance intellectuelle et sociale oil it a grandi 4).
Pour Emants on peut dire que c'est surtout son gout de l'analyse patiente
et minutieuse, son besoin de comprendre l'homme et les mobiles secrets
de ses actes qui, guides par la tendance de l'epoque, l'ont amen a etudier
le nevrosê. Voici jusqu'a quel point it semble s'etre inspire des idees et
1) ibid., p. 123. „In het algemeen dus kunnen wij zeggen, dat het wetenschappelijk
betoog nooit doel van het kunstwerk kan zijn, omdat daardoor het kunstwerk
qua talis ophouden zou te bestaan. Op dezen grond echter de wetenschap als middel
te veroordeelen, is een verlagen der kunst tot speelgoed voor de onnoozelen van
geest, en een verlagen van den kunstenaar tot leverancier van afleiding en ontspanning".
2) Journal des Goncourt, III, p. 248.
3) E. d'Oliveira Jr., De Mannen van 8o, 2e ed., p. 145.
4) Dans une lettre a M. P. Valkhoff Emants dit qu'il n'avait jamais consciemment
imite les auteurs francais mais que des tendances qui lui etaient cher-es, avaient
ête renforcees par la lecture de livres strangers inspires par les memes principes,
voir Revue de Hollande, III, p. 68.
117
des conceptions de ses precurseurs. „Si l'auteur nous decrit une constitution neurasthenique, it ne peindra pas le milieu comme un decor qui
exerce peu d'influence sur le jeu de l' acteur; au contraire it fera sentir que
de petits changements dans l'atmosphere, ou les remarques insignifiantes
de personnages antipathiques ou sympathiques, des odeurs a peine perceptibles ou des modifications subtiles dans le train-train de taus les j ours provoquent des reactions qui sont d'une violence extraordinaire si on les compare a la fawn dont l'homme normal ressent les memes impressions" 1).
L'avantage que voyait Emants dans l'etude des maladies nerveuses 2),
l'a incite a peindre dans toute son oeuvre, depuis les Drie Novellen
jusqu'a son dernier roman Liefdeleven [Vie d' Amour] (1916) des types
aux nerfs infiniment sensibles, d'une volonte mediocre, reagissant du
premier coup, avec violence presque, aux plus legêres impressions du
dehors. Son oeuvre est devenue a un fres haut degre l'expression sincere
et fidele de sa facon de comprendre et de voir l'univers, conception que
lui avaient inspiree l'etude et les lectures des philosophes et des romanciers francais qui le devancêrent immediatement..
Si des Drie Novellen it n'y a au fond que le troisieme, intitule Fanny,
qui pourrait etre qualifie d'etude pathologique, en tant qu'etude d'un
cas nerveux, les deux premiers, Najaarsstormen [Orages d' Automne] et
Het Avontuur, n'en m6ritent pas moins d'être signales, puisque, au point
de vue des conceptions et du dessin des caractêres, Emants s'est revele
comme un veritable novateur dans l'art du roman. Dans Najaarsstormen
Emants nous peint l'amour desinteresse d'une femme d'un caractêre
noble et sympathique 3), figure qu'il pretend faire contraster avec le
1) De Gids, 1889, p. 545, art. Pro Domo. „Beschrijft hij een zenuwzwak gestel,
dan zal hij de omgeving niet als decoratief behandelen, dat op het spel van den
acteur weinig invloed uitoefent, maar integendeel doen voelen hoe kleine veranderingen in de atmosfeer, onbeduidende opmerkingen van sympathieke of antipathieke personen, nauwelijks waarneembare geuren en niet beteekenende wijzingen
in een dagelijks wederkeerende loop van zaken, reacties in het leven roepen, die
verbazend hevig zijn, in verhouding tot de wijze, waarop de normale mensch door
dezelfde prikkels wordt aangedaan".
2) A cet êgard ii est curieux de lire son article Pathologie in de literatuur [La Pathologie dans la litte'rature] dans De Gids, 1916, I, p. 492 sqq. comme reponse a l'attaque
de Carel Scharten a son roman Liefdeleven dans De Gids, 1915, IV, p. 357, ou celui
condamne le genre, n'ayant rien de „generalement humain". Cf. aussi Frans
Coenen sur le meme sujet, Groot Nederland, 1917, I, p. 94-103.
3) Il reprendra cette figure de femme, capable d'un amour desinteresse, dans son
tres beau roman Inwijding [Initiation]. De meme que dans la nouvelle, l'hêroine
porte ici le nom de Tonia.
z i8
type aventureux d'une „époque veule, indolente et realiste" 1). Rien
de nouveau au fond que le suj et oil it se hasarde, de meme que dans le
recit suivant, a traiter le theme audacieux de l'amour coupable. Quant
a la langue, Emants n'echappe point encore au style conventionnel,
surtout dans les descriptions d'emotions fortes et violentes oil &plait
fort le ton quasi emphatique. „La matinee etait a lui et tout le plaisir
qu'elle promettait; a lui etait la nature dans ses riches parures d'automne.
0, automne! temps de couleurs! plus que toutes les autres saisons it
vous aimait" 2).
Het Avontuur qu'il disait, pour se justifier, avoir ecrite „dans une
intention sincere", nous presente un sujet quelque peu romantique,
mais fres reel et vrai dans l'observation des caracteres; dans la langue
it ne s'annonce aucunement comme un novateur, a part quelques faibles
efforts de copier fidelement le langage pule, entre autres dans la scene
oil le pere, espêce d'ivrogne tyrannique, maltraite sa fille et la couvre
de jurons 3).
Le troisieme recit intitule Fanny, qui constitue a proprement parler
sa premiere etude d'un cas pathologique, evoque l'emouvante histoire
d'une femme neurasthenique dont le pere, enferme depuis longtemps
dans une maison de sante, porte en lui les germes de sa maladie. Tourmentee par sa sensualite et par ses acces d'angoisse, elle „lutte en vain contre le torrent violent de sentiments qui etreignent sa poitrine comme des
pinces de feu et contre les visions menacantes qui l'assaillent" 4). „Elle
parlait d'amour, de religion, de cl6sespoir. Le plus souvent on ne distinguait pas la moindre cohesion entre ses paroles qu'elle criait en vociferant
1) Preface, p. XI I. „Van een krachtelooze, gemakzuchtige, nuchtere tijd".
2) op. cit., p. 95. „Hem was de morgen en al het genot dat hij beloofde, hem was
de natuur in haar rijken najaarsdos. 0! herfst, tijd van kleuren, boven alle jaargetijden had hij U lief". Voir aussi l'opinion de Van Deyssel sur ces recits, Verz.
Werken, IV, p. 279.
3) op. cit., p. 182. Ce n'est que dans ses pieces de theatre, Lilith et Godenschemering
[Cre'puscule des Dieux] que se discerne l'originalite dans l'expression et le choix
des images qui font d'Emants un veritable novateur. Mais it faut attendre Kloos
et Van Deyssel, qui rompront definitivement avec le style conventionnel et inaugureront une nouvelle pêriode d'art.
4) op. cit., p. 299. „Vruchteloos worstelt zij tegen den wilden stroom van gevoelens,
die haar borst als met gloeiende tangen samennijpen en tegen de dreigende visioenen
die op haar toedringen". Tres souvent Fanny nous rappelle la figure de Lina dans
son roman Mejuffrouw Lina [Mademoiselle Lina], egalement tourmentee par ses
acces d'angoisse et ses visions.
119
presque, entrecoupêes de sanglots, accompagnees de gestes violents" 1).
La facon dont nous sommes informes de sa mort est dans sa sobriete
voulue, d'une eloquence atroce, ainsi que la fin de Najaarsstormen. „Engendre maintenant ton batard", s'ecria Wandeiheem et lentement, d'un
ton agacant, it ajouta: „Si, du moins, cela t'est encore possible" 2).
La valeur de ces recits, au point de vue litteraire, reside avant tout
dans la nouveaute des sujets, dans la franchise avec laquelle l'auteur
osait aborder le theme de l'amour sexuel, prod& qui ne manquait
pas d'alarmer l'opinion publique. C'est a propos des deux pieces de
theatre, Lilith et Godenschemering, qu'eclata dans toute sa violence la,
bataille de la „moralite", combat oil la personne de Zola tut tout naturellement mise en jeu. Emants, symbolisant dans Lilith l'eternelle volupte
et ses chätiments 3), y temoigne d'une conception toute materialiste de
la vie, qui devait choquer les croyants. Dans De Gids 4) Charles Boissevain riposte par un article violent, evidemment inspire par sa haine
contre les exces du naturalisme. „Monsieur Emants, dit-il, a donne dans
un poeme allegorique une representation repugnante de la creation du
premier homme, d'une fawn grossiere et irrespectueuse, comme un roman
de Zola" 5). Il pretend que dans Lilith, „ce roman experimental dans le
paradis", le disciple de Zola etait alle plus loin encore que son maitre; afin
d'analyser l'homme physiologique, it avait bafoue la religion, domaine
encore respecte par Zola. L'intention d'Emants de chercher un suj et dans
l'etat le plus primitif de la vie sentimentale lui semble aussi detestable
que la scene revoltante dans L' Assommoir oil Gervaise, sous les yeux de sa
fine, passe la nuit avec un homme, pendant que son mari, ivre-mort,
est couche dans son lit 6). Boissevain blame avec severite „l'impurete
et l'immoralite detestable" de certains traits qu'il trouve en outre
1) op. cit., p. 279. „Zij sprak over liefde, over godsdienst, over wanhoop. Meestal
was er niet het minste verband to vinden in de woorden die zij bijna uitschreeuwde,
door snikken afgebroken en door een wilde gesticulatie begeleid".
2) ibid., p. 208. „Breng nu je bastaard voort", riep W. uit. Op langzamen sarrenden toon voegde hij erbij: „Als je 't nog mogelijk is".
3) L'idêe mere se trouve dans les deux lignes, bien connues:
„Al wie in d'arm der wellust werd geschapen
Valt vroeg of laat der wellust weer ten prooi."
(Tout homme concu dans les bras de la voluptê, en deviendra tot ou tard la proie).
4) De Gids, 1879, II, p. 422 sqq. Art. lets Nieuws [Quelque chose de nouveau].
5) art. cit., p. 425. De heer Emants heeft in een allegorische gedicht een weerzinwekkende voorstelling gegeven van de schepping van den eersten mensch, ruw
en oneerbiedig als een roman van Zola.
6) ibid., p. 453.
120
superflus pour nous faire mieux connaitre le caractere des personnages.
Il condamne la tendance telle qu'elle se manifeste dans ce poeme et les
nouvelles d'Emants, donnant „quelque chose de nouveau" qui „enerve
et affaiblit". „ Je trouve, conclut-il, le courant moderne dans la litterature, le nouveau style poëtique hollandais dangereux et funestes pour
l'art. Ce sont des oeuvres qui laissent une impression penible et qui
affaiblissent notre sentiment moral au lieu de le reconforter" 1).
Neuf ans apres la publication des Drie Novellen Emants publie son
veritable premier roman naturaliste Juffrouw Lina [Mademoiselle Lina]
(1888), modele d'ailleurs, pour l'epoque, d'une notation exacte et consciencieuse de la realite ambiante et des progres d'un cas de nervosite
pathologique. Comme Fanny, Lina est une nature hypersensible, egalement persecutee par les anxietes, les hallucinations, les cauchemars,
se trouvant parfois aux confins de la folie 2).
Le roman cependant qui eveilla les plus vifs enthousiasmes, sera
Een Nagelaten Bekentenis [La Confession posthume] (1894). C'est le drame
d'un nevrose qu'un mariage rate amene a tuer sa femme. Avec une
extraordinaire penetration Emants suit pas a pas les phases successives
de cette existence, empoisonnee par les quenelles et les soupcons. Il
cherche avec un raffinement merveilleux a cl6couvrir les mouvements
secrets d'un cur angoisse et tourmente. Les tares hereditaires, l'influence funeste du milieu et de l'education sont les facteurs qui determinent chez Wim Termeer les peripeties du drame interieur. „ Je me prenais
et me prends encore pour un degenere dont l'heredite semblait me
donner l'explication" 3). Quelque avili qu'il soit, it n'en reste pas moins
d'une lucidite remarquable, capable d'analyser et d'expliquer les moindres motifs de ses actes. „Dans les moments de lucidite extreme je voyais
se derouler derriere moi mon passé, comme une serie de chainons, soucles
1) ibid., p. 456. Ik vind „de nieuwste richting in de letterkunde", den nieuw
Hollandschen dichtstijl gevaarlijk en verwoestend voor de kunst. On sait que
Ig loos, age alors de vingt ans, a pris dans le fameux article Lilith en de Gids [Lilith
et le Guide] la defense de la piece, en louant „Fabondance des images, d'une expression, d'une beaute frappantes" (een overvloed van fraaie beelden, die keurig
en treffend zijn uitgebeeld).
2) Il n'est pas impossible qu'Emants ait etc quelque peu inspire du roman En
Rade (1887) de Huysmans, dont it cite en epigraphe: „et la nourriciere du cauchemar et de la peur, l'imagination l'emportait aussitOt . . . ."
3) M. Emants, Een Nagelaten Bekentenis, Holkema & Warendorf, s.d., 2 e ed., p.
84. „Ik hield en houd me voor een degeneratie. In de herediteit meende ik de ver klaring hiervan to vinden."
121
ensemble par la necessite, je commencais a comprendre que ma maladresse, mon manque de courage et de perseverance, ma soif d'emotions,
mon penchant pour le „defendu" n'etaient que les fleurs veneneuses de
graines dont mes ancetres portaient les germes en eux, germes qu'il lui
serait impossible d'extirper, puisqu'ils s'enracinaient dans les vies disparues, anterieures a la sienne" 1). La fatalite pese sur lui comme une
implacable necessite. Termeer use de tous les moyens pour fuir l'obsession des pensees qui torturent son esprit. C'est dans le vice, les plaisirs
cuisants de la chair, les boissons fortes, les excitants qui lui procurent
d'ephemeres sensations suaves, qu'il cherche l'oubli de son malaise,
efforts qui sont toutefois inutiles puisque la conscience du neant de son
existence ne cesse de l'accabler comme une sombre et horrible menace.
On a cru voir dans ce roman, a tort, croyons-nous, une tendance
moralisatrice ou educatrice 2), croyant que l'auteur se serait soucie avant
tout d'avertir ses contemporains contre les dangers d'une mauvaise
education. S'il est vrai qu'on puisse discerner dans certaines exclamations
de Termeer un accent de dur reproche a l'adresse de ses parents 3),
c'est, nous semble-t-il, moins la volonte d'enseigner ou de „moraliser"
qu'un sentiment de revoke contre son destin et l'irritation de sa vie
ratee qui lui fait proferer ces ameres paroles. Comment concilier d'ailleurs
une pareille assertion avec la conception foncierement pessimiste d'Emants
qui refuse de croire dans la corrigibilite de la nature humaine ou mieux
encore, avec les paroles decourageantes de Termeer lui-meme. „Deja
trop souvent j'ai entendu faire la remarque: un homme qui connait ses
defauts, sera a meme de les extirper: helas, ceux qui parlent ainsi, doivent
etre denues de toute connaissance de soi-meme" 4) .
1) op. cit., p. 49. „In de glasheldere oogenblikken, dat ik mijn verleden, als een
reeks van schakels door de noodzakelijkheid aaneengesmeed, achter me uitgestrekt
ontwaarde, begon ik te begrijpen, dat mijn onhandigheid, mijn gebrek aan moed
en volharding, mijn behoefte aan emotie, mijn hang naar het verbodene slechts
de giftige bloesems waren van zaadkorrels in mijn voorouders ontkiemd. De wortels
reikten over ons heen tot in afgesloten levens en daarom zou ik ze nimmer kunnen,
uitroeien".
2) W.- C. van Nouhuys, Studien en Kritieken [Etudes et Critiques]. Amsterdam,
Van Holkema en Warendorf, 1897, p. 36, 37.
3) Een Nagelaten Bekentenis, p. 37. „Mes parents auraient pu donner un pli plus
heureux a mon existence malheureuse, s'ils m'avaient sagement conduit". (Met wat
verstandige dwang hadden mijn ouders aan mijn ongelukkig bestaan een betere
plooi kunnen geven).
4) op. cit., p. 1o. „Maar al te dikwijls heb ik de opmerking hooren maken: een
mensch, die zijn fouten kent, is ook in staat ze uit te roeien. Och, och, wat moeten
zij, die zoo spreken, met weinig zelfkennis bedeeld zijn".
122
Les romans qui suivent et dont nous ne citons que Inwijding [Initiation] (IgoI), Waan [V anitd] (1905), Liefdeleven [Vie d' Amour] (1916),
sont brodes un peu sur le meme canevas. Le theme constant de ces
recits, c'est la melancolie de l'amour finissant, c'est, comme l'a dit
avec tant de finesse Teodor de Wyzewa, dans une etude sur Emants 1),
„l'agonie de l'amour, la lente ou soudaine desaffection de deux coeurs
et les regrets, les remords, les desespoirs qui s'ensuivent" 2). Tout comme
dans le roman naturaliste l'auteur fait naitre le drame de la rencontre
de deux temperaments disparates qui se heurtent, de la disproportion
de deux etats physiques. Presque toutes les figures representent des titres
inconstants, extremement irritables et susceptibles, que tourmentent les
acces de jalousie, les coleres brusques suivies de moments d'apathie
complete. Comme dans N agelaten Bekentenis le contraste des temperaments mene generalement a un conflit qui ne fait que s'exasperer vers
le clenoilment tragique. Quelquefois aussi cette gradation n'est guere
sensible; la situation a la fin du livre ne differe pas essentiellement de
celle du debut. Dans Waan par exemple les sentiments de haine sourde,
d'irritation contenue qui empoisonnent la vie des deux epoux finissent
par s'adoucir des la naissance d'un enfant, mais la morne et grise monotonie qui marque le train de vie de ces deux titres on tout espoir, toute
perspective faut defaut, ne souligne pas moins d'une fawn poignante
et obsedante la vanite, le neant, le „a quoi bon" de toute existence.
Inwijding est de tous ces romans le plus „humain"; avec une emouvante
tendresse l'auteur a su nous retracer le drame interieur d'une femme du
peuple en proie a des acces de jalousie, aimant pour la premiere fois de
sa vie d'un amour desinteresse un jeune homme de bonne famille qu'elle
sait ne pas pouvoir 6pouser.
Nous ne parlerons plus que de op Zee [Sur Mer], roman en quelque sorte
autobiographique, ou surgissent toutes les idees cheres a l'auteur, sa misanthropie, son &guilt des bassesses et des mesquineries de la vie de tous
les jours. Ce recueil de notations personnelles, an perce l'accent d'une
cruelle et amere deception, se laisse comparer par certains cotes avec
Sur l' eau de Guy de Maupassant. De meme que Maupassant, Satis,
personnage central, en qui nous reconnaissons facilement l'auteur luimeme, fuit sur un bateau les laideurs de la vie qu'il abhorre. L'homme,
„agregat de penchants auxquels it °bat comme la Pierre tombant d'un
1) T. de Wyzewa, Ecrivains Etrangers (Tore serie), Paris, Perrin, 1896, p. 293 sqq.
2) ibid., p. 295.
123
toit selon les lois de la chute" 1), lui repugne. Il voudrait ne plus aimer,
ne plus hair, ne plus desirer, ne plus regretter le passé, ne plus esperer
en l'avenir 2), finissant par renier tout, par douter de tout; en cela
il ressemble fort a l'auteur de Sur l'eau, avec qui il partage son clegoilt
du monde, son nihilisme, lui qui, comme Emants, fuit les horreurs, qui
voudrait, comme lui, „ne plus penser, ne plus sentir, vivre comme un
brute, dans un pays clair et chaud . . . ." 3).
Des naturalistes francais Emants semble avoir 6galement hërite l'amour
de la documentation exacte. A l'instar de Flaubert ou de Zola, il mettait
un soin meticuleux a reunir les „documents", a noter le detail curieux,
l'expression rare. Quant a ses personnages il tenait a choisir un modele
„vivant", dont il avait pris l'habitude d'inscrire en manuscrit le vrai
nom qu'il ne changeait definitivement que sur les epreuves 4). Ce qu'il
blame dans les Auteurs d'avant 188o, entre autres dans Hildebrand
(Nicolaas Beets), c'est que celui-ci tenait a creer des types, en „marquant"
si peu l'expression de la figure qu'une meme physionomie s'appliquait
quelquefois a une cinquantaine d'hommes divers. „Moi je visais toujours
a mettre en relief les traits saillants de chacune de mes figures principales" 5). D'apres ces principes rigoureux il cherchait a atteindre dans
ses romans la plus grande objectivite, grace a laquelle il reussit a faire
de Juffrouw Lina la peinture exacte de la vie des paysans, qu'il etait all6
etudier „sur le terrain". Sa probite d'artiste lui defendait de peindre
des situations qu'il ne connaissait pas; il n'aurait entame aucun roman
sans s'etre soigneusement documents; aussi, s'avisant un jour d'aborder
un roman „socialiste", il renonca a ce projet, s'interdisant de traiter un
sujet qu'il se croyait incompetent de traiter.
La langue d'Emants est d'une sobrike austere, plutOt seche, sans
chaleur. C'est le style du savant soucieux d'analyser et d'exposer avec
precision et nettete. II a l'horreur du cliche, de la langue et de la phrase
1) M. Emants, Op Zee, Haagsche Boekhandel, 1899, p. 61. „Een samenstel van
neigingen, waaraan hij even zeker gehoorzaamt als de steen die van een dak valt,
aan de aantrekkingskracht van de aarde".
2) ibid., p. 4. „En nu niets meer gestreefd, niets meer gewild, niets meer liefgehad,
niets meer gehaat !"
3) Guy de Maupassant, Sur l'eau, Paris, Marpon et Flammarion, s.d. (1888), p. 131.
4) Ce qui donnait lieu a la legende qu'il aurait pris toute sa famille pour modele,
erreur qu'il tend a refuter dans la preface a son roman Jong Holland [La jeune
Hollande]. La Haye, Stemberg, 1881.
5) Pref. cit., p. II. „Steeds streefde ik er naar het karakteristieke in ieder (van de
hoofdpersonen) zoo sterk mogelijk to doen gevoelen".
124
conventionnelles. „ J'ai,dit-il, touj ours vise a trouver le mot juste, exact"1).
Tout en appreciant chez les Auteurs de 188o l'acharnement avec lequel
its faisaient la guerre aux principes perimes et combattaient la fausse
rh6torique d'avant 188o, it ne partageait point avec eux leur passion
de l'ecriture artiste; nulle part it ne se perd dans les prolixes et minutieuses peintures descriptives auxquelles s'appliquaient les auteurs impressionnistes. Avec ardeur ii s'oppose a la tendance au raffinement
artistique. „Le moyen deviendrait alors une fin en elle-meme" 2), declarait-il. II detestait les neologismes; tout embellissement artistique le
rebutait, de meme que les 6ternelles descriptions auxquelles ses contemporains s'abandonnaient. Pour sa defense ii se reclamait de Lessing,
disant qu'on ne saurait decrire que la vie en action et non pas le tableau,
l'action figee 3).
Bien que, a ce point de vue, it s'ecarte des Auteurs de 188o, it merite
le nom de precurseur, puisque s'inspirant des doctrines et des procedes du naturalisme francais, it est le premier chez nous a les faire
valoir dans son oeuvre. Quoiqu'il soit reste un peu dans l'ombre, la passion
lui ayant manqué pour defendre les nouveaux principes litteraires avec
l'ardeur et l'enthousiasme dont seront animes ceux qui viendront une
dizaine d'ann6es apres lui, it n'en sera pas moins une des figures les plus
remarquables. C'est lui, que Kloos a qualifie en 1887 le „Jean-Baptiste
de nos lettres", qui a inaugure avec Van Santen Kolff et Netscher la
periode de renouveau artistique qu'on entrevoyait. Heritant du naturalisme francais d'une part son objectivite impartiale, d'autre part son
pessimisme profond et amer, it etait le premier aux environs de 188o a
6crire le grand roman de la misere humaine. Par son oeuvre ce grand
clesillusionne annoncait Coenen, Aletrino 4), se ralliant au-dela de l'im1) De Mannen van '8o, p. 138. „Ik heb altijd gestreefd naar het juiste woord".
2) ibid., p. 139. „A un seul egard je ne m'accorde pas du tout avec eux, c'est leur
culte exagere du verbe, de l'ecriture artiste, d'oil tout se ramene au ton, au
rythme, a la beaute litteraire. Le moyen devient alors la fin en elleméme". (Maar
er is toch een opzicht waarin ik heelemaal niet met ze mee kan gaan en dat is de
overdreven vereering van een woordkunst, waardoor alles is gereduceerd op klank,
rythme en taalschoon. Het middel wordt dan doel).
3) ibid., p. 147.
4) Comparez tel passage dans Dood [La Mort] (De Gids, 189o, I, p. 27), qui rappelle
immediatement Aletrino ou Coenen: „Toen begonnen de dagen elkander op to
volgen in een grijze, neerdrukkende gelijkvormigheid. 't Was of zij als levenlooze
automaten maar door . . . . maar door moesten gaan, tot eindelijk in hun binnenste
het afloopende uurwerk stil zou staan. Zoo verschrompelden zij naast elkander
125
pressionnisme a la generation de Johan de Meester et de Robbers, qui
tiendront de lui son gout de l'analyse de meme que son amour de l'humanit6 souffrante.
LOUIS COUPERUS (1863-1923)
Ne a La Haye, Couperus accompagne tout jeune ses parents a Java,
oil son pere occupait une haute situation dans la magistrature. De retour
en Hollande it suivit a La Haye le lycee, oil it connut entre autres Frans
Netscher, qui sera un des ses meilleurs amis. Sous la direction de son
professeur Jan ten Brink, qui decouvrit chez lui les dons d'un grand styliste, it prepara apres son baccalaureat le diplOme de professeur de
neerlandais dans l'enseignement secondaire.
Ayant garde de son sejour dans les climats chauds la nostalgie des
pays de grand soleil, gout qui sera en quelque sorte nourri et ravive par
les charmantes et poetiques descriptions des paysages italiens de la
romanciëre anglaise Ouida, it passera bien des annees a l'etranger,
Paris 1), sur la Cote d'Azur et en Italie. „ Je me sens peu Hollandais,
dira-t-il un jour, si chere que me soit ma langue, — la plus riche, la plus
merveilleuse que je connaisse — et je ne me sentirai jamais un Francais,
quoique j'habite la France. Mais je me sens un Italien, c'est bien curieux.
Je me regarde comme un Italien qui n'aurait pas vecu en Italie pendant
tres longtemps, mais qui, des son retour, aurait su qui ii est et ce qu'il est:
un meridional ayant langui dans un climat du nord, humide et froid . . .2).
Il adore l'Italie du Moyen Age et de l'Antiquite. „La moindre colonne
de l'Empire romain me gonfle le coeur, je suis pret a pleurer; un vieil
arc du XIII e siecle me rend réveur, content, silencieux, et Venise avec
in een gestadige vervreemding, en toen eindelijk de eene voor immer insliep, was
't den overblijvende te moede, alsof hem te laat de doode last ontviel, die hem belet
had van het leven te genieten".
1) C'est lä qu'il connut entre autres l'auteur d'origine polonaise Teodor de Wyzewa,
cf. Henri van Booven, Leven en Werken van Louis Couperus [Louis Couperus, sa vie
et son ceuvre]. Velsen, Schuyt, 1933, p. 240. De Wyzewa 6crit sur lui dans Ecrivains
strangers (le serie). Paris, Perrin, 1896, p. 267 sqq. et dans Le Roman contemporain a l'e'tranger. Paris, Perrin, 190o, p. 263 sqq.
2) Cf. L. Couperus, Van en over mijzelf en anderen [Sur moi et sur d'autres]. Amsterdam, L.-J. Veen, s.d. (1917), p. 4. „Ik voel mij weinig Hollander, hoe innig
dierbaar mijn taal mij is — de rijkste, de heerlijkste, die ik ken — en ik zal mij
nooit Franschman voelen, al woon ik ook eigenlijk in Frankrijk, maar ik voel mij,
heel vreemd, Italiaan; ik voel mij een Italiaan, die heel lang uit zijn land is weg
geweest, maar dadelijk bij terugkomst geweten heeft wie en wht hij is: een zuiderling, die gekwijnd heeft in noorderlucht en kilte".
126
Tintoretto, Veronese et Titien, evoquent en moi, dans une feerie, les
pales visions qui certainement ont du jadis deployer leurs couleurs
etincelantes autour de ma bruyante joie de vivre" 1). Force lors de la
Grande Guerre de se rapatrier, it deviendra avec W.-G. van Nouhuys
redacteur de la revue Groot-Nederland, fonction qu'il exercera jusqu'a la
fin de la guerre, lorsque, journaliste de grand reportage, it entreprendra
ses voyages en Extreme-Orient, en Chine, au Japon et aux Indes, dont
it publiera au V aderland [La Patrie] les savoureux et brillants souvenirs.
Ce qui est Bien curieux, c'est que Couperus se soit tenu a l'ecart des
cenacles litteraires de son époque et qu'il ne paraisse point avoir partage les
ambitions des Auteurs de 1880. Ce qui excita ses premiers enthousiasmes,
ce furent les romans historiques de Madame Bosboom-Toussaint et la poesie
de Potgieter, dont l'influence se fait sentir dans ses premieres creations
poetiques, ainsi que les poemes orientaux de Leconte de Lisle qui le charmait par sa recherche d'une forme achevee et par sa nostalgie des pays lointains. D'autre part ce fut son professeur Jan ten Brink, dont it louera plus
tard le gout distingue et la rare erudition, qui lui revela les pays des
civilisations anciennes, la Grece et l'Italie ainsi que le Moyen Age avec ses
belles legendes, notamment les cycles d'Arthur et de Charlemagne 2).
Cependant, celui qui determina un veritable bouleversement dans ses
appreciations litteraires, ce fut son ami Frans Netscher qui, passionne
pour la litterature francaise contemporaine, attira son attention sur
l'ceuvre des grands naturalistes francais, qu'ils se mirent a lire et a
etudier. „Avant d'ecrire, nous avons lu entre autres Zola, Lemonnier,
1) ibid., p. 14, 15. „Maar de minste zuil uit den Romeinschen keizerstijd doet iets
in mij zwellen alsof ik moet weenen; een oude boog uit de dertiende eeuw maakt
mij droomerig en tevreden stil, en Venetie met Tintoretto, Veronese en Titiaan
toovert mij, als met een fee erie, de verbleekte vizioenen terug, die zeker eens kleurschitterden rondom mijn gloeiende vreugde des levens". Nous verrons que cet
amour du passé et des pays orientaux, ensoleillês, aura une grande influence sur
son oeuvre immense; lire, a cet egard, l'article tres interessant d'Adrienne Lautere
dans Le Monde Nouveau, 1922, p. 661 sqq., intitule L' Ame latine de M. Louis
Couperus, oil elle fait une analyse de ses romans historiques, dont la scene se trouve
dans l'Italie antique.
2) Voir, dans son recueil De Zwaluwen neergestreken [Les Hirondelles qui se perchent],
le fragment, intitule De Vonk [L'Etincelle], p. 157 oil it dit son opinion sur Jan
ten Brink: „Il parlait beaucoup mieux qu'il n'ecrivait. Dans ses paroles il y avait
l'emotion qui etait etrangere a ses ecrits. Il me parlait des beaux livres et de belles
choses" (Hij praatte veel mooier dan hij schreef. In zijn gesproken woord was de
ontroering, die vreemd aan zijn geschreven woord bleef. Hij vertelde mij van
mooie boeken en mooie dingen).
127
Flaubert, Taine, mais Zola en particulier" 1). Ce n'est pas trop s'avancer
que de dire que la decouverte de ces auteurs a ete pour Couperus une
sorte de revelation. Voici en quels termes affectueux it temoigne de sa
gratitude envers Zola et nous rappelle son enthousiasme de jadis. „Avec
Netscher je lisais Zola et le monde s'ouvrit devant moi. Car Zola fut le
grand et loyal maitre en litterature de notre generation de prosateurs.
Nous avons ecrit apres avoir lu et etudie Emile Zola, notre formidable
maitre, sans l'exemple de qui — bien qu'il flit cruel et qu'il ne menageat
pas les sentiments delicats de notre jeunesse accablee — nous n'aurions
jamais connu la Vie dans sa realite, depouillee maintenant de tout ce
qui la cache hypocritement, debarrassee de toutes les sensibleries romantiques de l'epoque de nos parents et de nos grands-parents" 2). „Et tous
ceux qui se sont mis a ecrire vers cette époque en une prose „plastique",
furent les &eves de Zola. C'est ce qu'il ne faut jamais oublier, bien que
les voies oil nous sommes engages, fussent toutes differentes, et que
nous fussions attires par de plus nobles aspirations pour nous delivrer
de la premiere efflorescence et de l'oppression du naturalisme, qui malgre
sa fruste cruaute, a ete pour nous un maitre d'art pur dans nos jeunes
ann6es, lorsque nous aurions pu nous perdre. Moi, personnellement, je
serai du moins plein de reconnaissance envers Zola, tant que j'aurai la
plume a la main" 3).
Ses doges de l'auteur des Rougon-Macquart ne signifient point que
Couperus n'ait montre quelque reserve devant Fart de Zola dont ii
1) L. Couperus, Proza [Prose], Amsterdam, Van Holkema & Warendorf, s.d. II,
p. 213. „Maar voor wij schreven, lazen wij o.a. Zola, Lemonnier, Flaubert,
Taine, maar vooral Zola". Voir aussi son roman autobiographique Metamorfoze.
Amsterdam, L.-J. Veen, s.d. (1897), p. II, 33.
2) Proza, II, p. 214. „Geschreven nadat wij gelezen hadden, vooral gelezen en
geleerd van Emile Zola, onzen ontzaglijken Meester, zonder wiens voorlichting,
zelfs al was hij wreed en al ontzag hij nooit de te8re gevoeligheden onzer overstelpte jeugd, wij nooit zouden gezien en geweten hebben hoe het leven voor ons
menschen is, in realiteit, alle vooze bedekselen geheven, alle romantische sentimentaliteiten der periode onzer ouders en groot-ouders minachtende ter zijde
geschoven".
$) ibid., p. 214. „En alien wie met ons toen, in die jaren, het beeldend Proza
zijn gaan schrijven, waren Zola's leerlingen, vergeten wij dat nooit, welke wegen
wij later insloegen, welke andere, idee8lere verschieten ons verder lokten, welke
idealen ons hooger toewenkten ons toch to bevrijden van de eerste bloei en beklemming, die van het naturalisme, dat toch, niettegenstaande zijn rulle wreedheid, onze zuiverreine opvoeder is geweest in de jongste jaren, toen wij hadden
kunnen verdwalen. Ik, tenminste, persoonlijk, blijf Emile Zola dankbaar, zoo lang
de pen mij in de vingers blijft".
1.28
n'admirait ni le realisme cru ni le style. La tendance de Zola a evoquer
avec des couleurs hardies les bas-fonds de la societe, ses scenes d'un realisme lourd et grossier n'ont jamais tente cet esprit dandy qui se plaisait
a peindre un monde exquis et raffine. La vie miserable des ouvriers,
leur decheance morale ne l'a jamais inspire, pas meme a une époque oil
le conflit entre les classes s'exasperait et preoccupait tous les esprits.
Pas plus que son realisme, it n'aimait le style de Zola, cette langue
„lourde et massive". I1 s'est toujours irresistiblement senti attire vers
les auteurs qui se distinguaient par la recherche d'une forme infiniment
artistique. Lui, veritable gourmet de la langue, goiltait fort les raffinements de pensee et de style dans A Rebours, les evocations bizarres
et fantastiques de Poe et de Wilde, se rapprochant par ses gaits et sa
culture plutOt des „decadents" de la fin du XIXe siecle que des veritables
naturalistes. Ce qui devait tout particulierement seduire cet esprit
aristocratique, c'etait la vie mondaine a La Haye, la vie des salons
qu'il connaissait de tres pres, et qu'il peuplait de personnages aimant
le luxe et le bien-titre, de types sans energie, trop faibles pour resister a
cette atmosphere voluptueuse. C'etait encore, comme nous l'avons vu,
les pays lointains, les ages recules qui l'attiraient et exaltaient son imagination. Apres ses peintures des appartements somptueux ou exquis, ii
s'essaye a evoquer l'age de la decadence romaine 1) avec ses riches et
fantastiques decors, avec ses rois qui s'adonnent aux plus frivoles plaisirs.
Son gout et ses aspirations de Parnassien le poussent vers l'histoire des
Grecs et des Latins, vers les grands drames du passe, inclination qui
s'etait cleja, rëvëlee dans certains poemes du debut et qu'il avait composes
peut-titre sous l'inspiration des evocations d'un Leconte de Lisle 2).
1) Entre autres dans son tres beau roman De Berg van Licht [La Montagne de Lumiere] (1905, 3 vol.), voir p. 137, 138.
2) Ces poêmes , aux titres expressifs comme Sardanapalus, Leda, Kleopatra, Viviane,
Semiramis trahissent déjàa cette nostalgie des pays orientaux, qui explique son
admiration pour Leconte de Lisle. Sur l'influence de l'auteur des Poemes Barbares
sur Couperus on trouve dans la Hollandsche Revue, 1913, p. 336-344 un article interessant de la main de son ami F. Netscher. Celui-ci montrait comment Couperus
imitait quelquefois Leconte de Lisle dans l'emploi des adjectifs et des substantifs
qui avaient un coloris exotique; tout comme lui it comparait par exemple une
main blanche a une boucle d'albAtre (een albasten gesp); les levres de Viviane
ktaient d'un pourpre ambrosiaque (ambrosisch purper). Voici la description fantasmagorique d'un palais oriental qui rappelle singulierement le proced6 de l'auteur
des Poemes Antiques. „Puis surgissait du cristal sous l'azur immobile de la mer
bleuissante, qui ressemblait a du saphir liquide, un palais d'un bleu etincelant;
le trOne êtait de cristallin, et la cour entouree d'arcades etait de cristal" (Dan
I29
Ainsi, en ce qui concerne la forme aussi bien que le fond, Couperus
s'est montre, des ses debuts, anti-naturaliste. Ni les proc6des artistiques
des auteurs impressionnistes, ni l'audace que manifestaient les ecrivains
naturalistes dans leurs peintures des scenes triviales, n'ont pu seduire
un esprit qui trouvera son unique plaisir a suivre les belles inspirations
de son imagination, a evoquer comme nul autre, dans des epopees somptueusement orchestr6es, la vie fantastique et color& de l'antiquite. Il y a
dans sa fawn de creer et de composer ses romans un contraste sensible
avec le travail intellectuel et litteraire de Zola. Alors que celui-ci compose
ses romans, „en savant", d'apres des plans milrement reflechis, a l'aide
de fiches soigneusement reunies, Couperus ne cree pour ainsi dire qu' „en
transe". Quand ii ecrivait, it se laissait guider par l'intuition et l'inspiration. Toute vie, tout caractere qu'il dresse devant nous, it l'a vecu par
la pensee, s'identifiant facilement avec celui ou celle qu'il s'ingenie a
d6crire. Ainsi Eline Vere, Frank ou Bertie (dans Noodlot) seront tour a
tour Couperus lui-meme; plutOt que de les avoir etudies ou copies objectivement, it les a inventes, crees en harmonic avec son propre moi.
Oil residait alors l'attrait qu'exercait sur lui l'oeuvre de Zola et des
auteurs naturalistes? Evidemment dans leur fawn de concevoir la vie et
l'univers, dans leur croyance en une implacable necessite qui decide de
nos actes et de nos mouvements, conception qui l' await (MP. attire chez
les tragiques grecs et dont s'inspirent quelques-unes de ses premieres
poesies 1). Mais alors que pour les Anciens la fatalite etait une manifestation de la volonte divine qui frappait les mortels de maux terribles,
le naturalisme enseignait que les hommes etaient fatalement gouvernês
par leurs instincts personnels ou hereditaires, que leurs actes en etaient
les consequences immediates et inevitables. Cette philosophic, rejetant
toute intervention suprahumaine et attribuant a nos passions primitives
un role predominant, d'influence decisive sur nos actes et sur notre avenir,
devait tout particulierement seduire l'auteur d' Eline V ere qui, des ses
debuts, avait temoigne d'une conception fataliste de la vie. Qu'on lise
l'impression vive que fit sur lui Therese Raquin et l'on comprendra a quel
point de vue ce roman fut pour lui une sorte de revelation 2). „La figure
Tees uit kristal onder het roerloos azuur van 't blauwend meer, dat vloeiend saffier
geleek, een flonkerblauw paleis; de troon was van kristallijn, en de hof van zuilen
was van louter kristal), exemples que nous avons cites dans l'article de Netscher.
1) Cf. Lent van Vaerzen, p. 65. „ Je languissais d'Amour et pourtant ma Fatalite
a voulu que je n'aie jamais aime" (Ik smachtte naar Liefde, en toch mijn Noodlot wilde, dat ik nimmer minnen zou!)
2) L. Couperus, Proza, II, p. 215. „Apres l'avoir trouve un jour que j'etais en9
130
de cette mere, cette merciere, est terrible comme celle de Niobe; la victime,
Camille, dans sa nullite bourgeoise est un holocauste aussi fatal que
n'importe quelle proie de la Fatalite Antique. Cette tragedie est-elle
inferieure a celles qu'inventaient et composaient Eschyle, Euripide et
Sophocle? La tragedie du Remords, c'est ainsi qu'on a qualifie ce roman
terrible et magnifique; c'est mieux encore; c'est la tragedie de notre
Sang et de nos Nerfs; c'est la tragedie de toutes les forces sinistres que
nous ne connaissons guere, dont nous sentons a peine l'existence, qui
dominent tyranniquement nos corps et nos times comme une unite inseparable jusqu'a ce que nous ne soyons plus que la proie haletante entre
les griffes de la Fatalite terrible, qui nous force a desirer la satisfaction
d'être enfin delivres, a desirer la Fin, si affreuse qu'elle soit. C'est la
tragedie de notre Moi . . . ." 1).
Ce qui, apparemment, l'a tout aussita frappe dans le roman, c'est
l'idee d'une implacable et dure necessite qui domine d'une fawn rigoureuse le destin de l'homme. D'une fawn plus navrante encore peut-titre que
les Anciens, Zola lui avait fait sentir l'eternelle tragedie du sort humain.
Ses romans, avec les ecrits philosophiques de Taine, lui faisaient voir un
core tout naivement jeune, une oeuvre d'art accablante, bouleversante" (Nadat
ik het eenmaal, toen allerjeugdigste lezer, een overstelpend, verbijsterend kunstwerk had gevonden).
1) ibid., p. 215, 216. „De figuur van die moeder, die garen- en bandverkoopster,
die „merciere", zij is ontzaglijk als een Niobe; het slachtoffer Camille, hij is in zijn
burgerlijke alleronbeduidendstheid, een even fatale offering als welke prooi van
het klassieke Noodlot ook. Deze tragedie, is zij iets minder dan wat ook bedachten
en dichtten Aischylos, Euripides en Sofokles? De Tragedie der Wroeging heeft
men dit verschrikkelijke, prachtige boek genoemd, het is meer dan dit. Het is de
tragedie van ons alley Bloed en onze Zenuwen; het is de tragedie van alle de duistere,
ons nauwelijks bekende, gewetene machten, die onze lichamen-en-ziel als een onscheidbare uniteit beheerschen, tyrannisch domineeren tot wij niet meer zijn dan
de hijgende prooi in de klauwen van het verschrikkelijke Noodlot, dat ons zelve
dwingt naar verlossing en voldoening te smachten en eindelijk bevrijd te zijn.
hoe ontzettend ook het Einde zij. Het is de tragedie van ons eigen Ik . . . ."
Plus d'une fois Couperus s'etait declare un „fataliste", cf. Den Gulden Winckel,
1917, p. 5 oii, dans son interview avec Andre de Ridder, it dit: „Moi aussi je suis
fataliste, en une certaine mesure. Je crois bien a une Fatalite inevitable, mais cette
croyance ne m'a jamais pese — ma nature êtait naturellement trop gaie, trop
legere, trop ensoleillee" (Ik ben zelve ook fatalist, in zekere mate. Ik geloof wel
aan een onoverkomelijk noodlot, dat heerscht over onze levens; ik geloof aan de
onoverkomelijkheid en de onvermijdelijkheid, maar dat geloof heeft mij nook
gedrukt — mijn natuur te natuurlijkerwijs blijmoedig, lichtzinnig en opgeruimd
zonnig).
131
cote essentiellement tragique de la vie, savoir la vanite de la lutte de
l'homme contre son destin, donnee infiniment dramatique qui des lors
n'a cesse de l'obseder et qui laissera des traces profondes dans toute
son ceuvre.
Ainsi sous l'impression plus ou moins directe des conceptions „deterministes", Couperus ecrira deux romans Eline Vere (1891) et Noodlot
(1891), qui seront de cette philosophie les manifestations les plus directes,
les plus emouvantes. Eline Vere, analyse subtile d'un cas de nevrose,
fut considers du premier coup comme un chef-d'oeuvre. S'inspirant des
theories „naturalistes" sur l'influence du milieu et de l'heridite, Couperus
etudie les caracteres exclusivement sous ce biais. Eline est l'image vivante
de son pere, ayant herite de lui sa faiblesse, son inconstance, ses ambitions spontanees et passageres. Par contre, sa soeur Betsy avait herite
de sa mere son esprit d'independance, son caractere imperieux, le desk
de se faire obeir en toutes choses, ce qui finit par lui preter un air de
hautaine et insupportable superiorite, contrastant singulierement avec
la passivit6 d'Eline. Le pere mourut jeune, desespere d'une vie manqu6e.
Peu de temps apres, les deux sceurs perdirent leur mere et furent recueillies dans la maison d'une tante riche ou, par suite de l'action clemoralisante d'une vie clesoeuvree et luxueuse, tout concourait a developper
en Eline son go-at de la reverie et de l'inaction.
En dehors des divertissements ordinaires de son milieu et de son age,
qu'elle ne goiltait guëre, elle ne connaissait vraiment qu'un seul plaisir,
celui de s'abandonner a la lecture d'ouvrages romanesques 1) qui exaltaient son imagination, evoquant par ce trait le souvenir de cette autre
heroine sentimentale a qui l'auteur peut avoir songs, Emma Bovary.
Comme celle-ci, elle a la nostalgie d'un monde feerique et comme irreel.
„Elle etait saisie d'un desk fou d'aller passer quelque temps dans un
de ces châteaux anglais ou comtes et duchesses s'entr'aimaient avec
grace et avec courtoisie, se donnant rendez-vous au clair de lune dans
un parc seculaire" 2). Elle connait les heures de decouragement et de
tristesse, se sent insensiblement glisser vers l'accablement moral et
1) Entre autres les romans de l'auteur anglais Ouida, voir Eline Vere, p. 19.
2) Eline Vere, p. 22. „En Eline voelde zich door een hartstochtelijk verlangen aangegrepen, om to logeeren in een dier oude Engelsche kasteelen, waar graven en
hertoginnen elkaar met een hoffelijke etiquette zoo elegant beminden, en elkander
rendez-vous gaven in den maneschijn van een eeuwenoud park". Cf. aussi la p. 69,
on elle r8ve d'une promenade en gondole dans les canaux de Venise. Passages
qu'on saurait comparer a ceux on Emma Bovary, sous l'impression de ses lectures,
se livre a des reveries sentimentales.
132
physique, trop faible pour lutter contre ce que nous voudrions appeler
„sa Fatalite". Elle se voit, avec une tres grande lucidite, le jouet de
forces invincibles et indefinissables dont elle cherche en vain a fuir la
cruelle obsession. „Une angoisse mortelle que des forces aveugles ne la
contraignissent a descendre la pente qu'elle voulait a tout prix remonter,
remonter . . . . alors, la colere, la colere s'emparait d'elle parce qu'elle
le sentait nettement et qu'elle ne voulait pas le sentir, parce qu'elle
restait trop faible pour virer de bord avec energie et faire face aux
forces invisibles" 1). Il n'y a que ses fiancailles avec Otto van Erlevoort,
jeune homme serieux et pondere, qui dissipent pour quelques mois ses
inquietudes et ses reveries melancoliques, et eveillent en elle l'espoir
d'une vie calme et heureuse. C'est dans la same et paisible ambiance
d'une maison de campagne que ses nerfs malades retrouvent le repos
bienfaisant et qu'elle ressent les plus heureux moments de sa vie, croyant
un instant avoir trouve le vrai bonheur.
Revenue a La Haye, l'illusion de la vie douce et calme de la province
s'evanouit bien vite, surtout sous l'influence des conversations qu'elle
a avec son cousin Vincent Vere. Comme consequence des exposes decourageants que ce dernier lui fait sur la fatalit6 et la vanite de nos luttes
et de nos espoirs, elle ne tarda guere a decouvrir encore l'horrible 'leant
de son existence et a retomber dans un desarroi complet. Ses derniers
elans, ses dernieres velleites sont brises par les raisonnements pernicieux
que lui tient Vincent, convaincu qu'on ne pouvait faire sa vie, qu'une
chose dependait de l'autre, que „toutes les circonstances s'enchainaient
depuis le hasard apparemment le moms important jusqu'a la catastrophe
definitivement ecrasante. La vie etait une chaine que le Destin forgeait
de tous ces hasards et catastrophes . . . . on n'y pouvait rien . . . ." 2).
Dans les ameres et cl6courageantes paroles de „ce vagabond melancolique" qui cherchait dans les distractions et les Brands voyages l'oubli
1) Eline Vere, p. 229. „Een doodelijke angst, dat onzichtbare machten haar een
hellend pad zouden afjagen, terwijl zij opwaarts wilde, opwaarts.... En toen,
een woede, een woede, omdat zij het zoo duidelijk gevoelde en het niet gevoelen
wilde en omdat zij te zwak bleef zich krachtig om te wenden en tegen de onzichtbare
machten op te dringen". Voir aussi p. 236, 237. „Elle etait plus faible que sa fatalite (Zij was zwakker dan haar noodlot).
2) ibid., p. 216. „Men kon zich zijn leven zoo maar niet maken; het een king af
van het andere, alle omstandigheden schakelden zich samen, van het minste schijnbare toevalligheidje af, tot de verpletterendste catastrofe, en het leven was een
keten, die het noodlot van al deze toevalligheidjes en catastrofes smeedde . . . .
daar was niets aan te doen . . . ."
133
de son malaise, nous reconnaissons aisement l'auteur lui-meme, tout pret
a adopter le pessimisme profond que degageait le roman naturaliste. En
ecoutant Vincent, discourant avec lui-meme et comme abattu par son
noir pessimisme, on dirait entendre Couperus, exposant sa conception
de la vie, sous l'impression immediate de ses lectures: „Il n'y avait ni
bien ni mal dans le monde, tout etait comme cela devait etre, la consequence d'un enchainement de causes et de raisons; tout avait droit
l'existence, personne ne pouvait rien changer ni a ce qui est ni a ce qui
sera; personne n'avait de libre arbitre; chacun offrait une constitution,
un temperament et ne pouvait agir autrement que selon les exigences de
ce temperament, domin6 par le milieu et les circonstances" 1).
Tous ces caracteres sont un peu construits d'apres le meme modele.
Leur apparente uniformite laisse, comme chez les figures de Zola, l'impression de l'artificiel, quelquefois comme dans Noodlot, de l'invraisemblance. Tous presque representent des etres agissant et reagissant de la
meme facon sous l'impression d'on ne sait quelle impulsion fatale a
laquelle it leur est impossible de ne pas ober. Par leur manque de volonte
et de force morale, ils se ressemblent curieusement comme les membres
d'une meme famille. Eline ne resiste point aux propos clecourageants de
son cousin; irresistiblement elle sent le morne abattement envahir son
ame. Elle rompt avec son fiance et pressent qu'un jour elle sera irrevocablement la victime des forces mysterieuses qui l'ecrasent et l'entrainent
vers une fin tragique. D'Eline on trouve l'image fidele dans le portrait
de Paul van Raat, modele aussi du type faible, inconstant et nerveux,
jouet de ses elans d'artiste. Aussi bien qu'Eline it se rend parfaitement
compte de son manque d'energie 2). „ J'ai, dit-il, des acces, des poussees
d'energie qui me font supposer que je suis capable de tout faire, mais
bientOt ces beaux projets s'evanouissent comme des allumettes qu'on
vient de frotter" 3).
1) ibid., p. 92. „Er was geen goed en geen slecht in de wereld; alles was zooals
het wezen moest en het gevolg van een aaneenschakeling van oorzaken en redenen;
alles had recht van bestaan; niemand kon iets veranderen aan wat was of zijn zou;
niemand had een vrijen wil; ieder was een gestel, een temperament en kon niet
anders handelen, dan volgens de eischen van dat temperament, overheerscht door
omgeving en omstandigheden", voir aussi p. 9.
2) ibid., p. 28. „En hij zuchtte om zijn gemis aan energie om zijn onbeduidende
talentjes tot iets hoogers te ontwikkelen" — it se plaignait de son manque d'energie
pour dêvelopper ses petits talents mediocres.
3) ibid., p. 29. „Ik heb vlagen, rages en dan meen ik alles te kunnen doen —
maar heel gauw branden die mooie plannen uit als afgestoken lucifers". On sait
134
D'aucuns ont cru voir dans Emma Bovary le prototype d'Eline Vere.
Il est vrai qu'il y a dans les deux figures des traits analogues qui frappent:
leur penchant pour le romanesque, leur aspiration au bonheur, leurs
ennuis, leurs desillusions et leur fin tragique. Mais ce parallelisme dans
leurs existences ne presente aucun indice, comme le dit avec raison
M. W.-H. Staverman 1), qu'Emma Bovary eiit suggere a Couperus les
traits essentiels de son heroine. D'ailleurs it y a entre les caracteres des
deux femmes une difference sensible qui rejette toute idee d'emprunt.
Eline, impuissante a lutter, a saisir et a sauvegarder un bonheur une
fois conquis, est un etre passif, apathique; par la elle se distingue essentiellement d'Emma de qui elle ne tient ni la sensualite inextinguible ni
l'acharnement a s'accrocher au bonheur, quand une fois elle croit le
tenir. Emma, sensuelle, passionnee, saisissant toutes les emotions nouvelles pour chasser ses ennuis, sacrifie tout pour voir la realisation de
ses vceux. Elle est d'ailleurs mariee; comme son sort est intimement lie
a celui de son mari et de son enfant, sa mort entrainera avec elle les plus
terribles consequences. Eline est seule, incomprise des autres; elle desire
quitter un monde ou elle s'ennuie, ofi elle se sent malheureuse et abandonnee, alors que les autres se livrent au flirt et aux plaisirs egoistes.
C'est l'eternel drame de la solitude morale, oil l'auteur a beaucoup mis
de lui-meme, oil nous le reconnaissons avec ses pensees, ses luttes, ses
conflits interieurs.
Dans son second roman Noodlot [Fatalitd] 2) l'obsession d'une rigoureuse necessite n'est pas moins preclominante que dans Eline Vere. Si
dans ce dernier roman on constate chez certains types, chez Paul van
Raat entre autres, le retour heureux vers la sante morale, dans Noodlot
tous les personnages perissent sous le coup de l'impitoyable Destin.
Frank, Eve, sa fiancee, Bertie, l'intrigant sournois et faible, vivent tous
les trois sous l'oppressante menace de l'inevitable catastrophe qui, a la
que les freres Goncourt ont trace dans la figure d'Anatole Bazoche le modele de
l'artiste qui s'emballe vite mais manque absolument de perseverance, type oil l'on
reconnait immediatement les Vere, les Paul van Raat, cf. Manette Salomon, ed.
Flammarion et Fasquelle, p. 54, 55. ,,Il n'avait pas cette persistance, cette volonte
et ce long courage du travail qui tire le talent de l'effort continu d'un accouchement
laborieux. Il n'avait que l'entrain de la premiere heure et le premier feu de la chose
commencee. Sa nature se refusait a une application soutenue et prolongee".
1) De Nieuwe Taalgids, XI, p. 133 sqq. art. De Roman van twee hystericae [Le
roman de deux hysteriques].
2) L. Couperus, Noodlot. Uitgevers Maatschappij „Elsevier", 1891. Le roman a ete
dedie a son ami Frans Netscher.
135
fin, s'abattra sur eux et paralyse, comme d'avance, leurs mouvements.
„Moi, je n'y puis rien si je suis ainsi. Je nais sans le demander; j'ai mon
cerveau sans le vouloir; je pense, et je pense autrement que je ne voudrais
penser, et ainsi je suis projete par la vie, comme une balle, comme une
balle . . . ." 9. „Cela devant arriver; c'etait inevitable. Fatalite, fatalite,
Oh, le repos de ,l'inertie, rester assis, sans mouvement, sans energie, sans
volonte" 2). De telles expressions abondent dans le roman, et l'auteur
les met invariablement dans la bouche de ses personnages qui prennent
un peu l'air de fantoches agissant sous l'action du meme ressort mysterieux. Taus manquent d'energie et de courage, se sentent ld.ches et veules
sous la menace du coup fatal. „Et devant lui it (Frank) voyait se derouler
de nouveau la chaine fatale d'evenements constituant chacun un chainon
terrible, menant quelquefois a des catastrophes" 3). „Pourquoi lutter
contre le sort qui rive aveuglement les chaines, chainon apres chainon" 4),
„Il serait absurde de lever le poing contre le fatum, si puissant, si toutpuissant" 5). „L'avenir commencait a menacer, comme une calamite,
approchant de jour en jour, d'heure en heure, inevitable, ineluctable" 6).
Ces idees et ces declarations, qui foisonnent a travers le roman, rappellent
immediatement les idees analogues exprimees par les contemporains, par
Emants par exemple dans son Nagelaten Bekentenis, ou bien la philosophie fataliste qui se degage des premiers romans de Zola. A ce point
de vue it est curieux de remarquer que l'auteur semble avoir 6crit sous
l'impression encore vive de sa lecture de Therese Raquin, dont la donnee
generale, le supplice du remords et la description de certains details,
notamment celle de l'apparition du masque de mort, semblent lui avoir
inspire une partie essentielle de son roman.
1) Noodlot, p. 178. „Maar kan ik er jets aan doen, dat ik zoo ben? Ik word geboren,
zonder het te vragen; ik krijg hersens zonder het te willen; ik denk, en ik denk
anders dan ik zoil willen denken, en zoo word ik geslingerd door het leven, als een
bal, als een bal".
2) ibid., p. 151. „Het moest gebeuren; het was niet te ontloopen. Noodlot, noodlot. 0, de matte rust, te blijven zitten, roerloos, energieloos, willoos.
3) ibid., p. 48. En voor zich zag hij de noodlottige keten der soms oneindigkleine gebeurtenisjes zich opnieuw ontrollen, ieder gebeurtenisje een vreeselijke
schakel, soms leidend tot catastrofen.
4) ibid., p. 54. Het was krankzinnig den vuist te ballen tegen het fatum zoo machtig,
zoo oppermachtig.
5) ibid., p. 5o. Vechten ? Tegen het lot, dat zijn kettingen blind in elkaar voegt,
schakel aan schakel?
6) ibid., p. 47. De toekomst begon te dreigen als een onheil, dat iedren dag, ieder
uur, nader en nader kwam, onafwijsbaar, onafwendbaar.
136
Nous n'ignorons pas que l'intrigue dans Noodlot differe essentiellement
de celle de Therese Raquin. Bertie, pousse par sa jalousie a empecher le
mariage entre Frank et Eve, est tue par Frank dans un acces de colere.
Mais quand Frank et Eve sont reunis par le mariage, ils sont persecutes,
de meme que Therese et Laurent dans le roman de Zola, par le masque
de mort de l'assassine qui les fascine de son horrible regard. „Un de ses
yeux etait une tache, sans forme, moitie figee, moitie liquide; l'autre
sortait de son orbite, comme une grande opale de tristesse. Autour du
cou semblait se fermer un collier violet tres large. Et maintenant qu'ils
regardaient fixement ce visage, ii semblait se gonfler toujours dans une
recreation horrible d'une chose meconnaissable" 1). „Il arrivait alors un
moment oil ils ne pouvaient plus se sentir les mains, oil ils n'osaient plus
le faire. L'ombre de Bertie, avec son masque sanglant, violet, se glissait
entre eux; ils se detachaient l'un de l'autre et songeaient tous les deux
au mort" 2). Ce passage rappelle immediatement la scene dans Therese
Raquin oil la victime s'interpose egalement comme un spectre vengeur
entre les deux coupables. Apres le meurtre, Frank fait le raisonneur, se
disant qu'il aurait pu eviter le coup de la Fatalite, s'il avait su se maitriser;
le remords vient le tourmenter comme un supplice. Des lors la vie leur
devient impossible, ils se suicident en prenant du poison, denouement
qui frise ici le melodrame. „Elle s'affaissa, en se tordant, sur le corps
qui gisait au-dessous d'elle, se cachant dans le vetement deboutonne,
mourant la . . . ." 3).
Pour le present travail it nous semble inutile de suivre l'auteur dans
son oeuvre immense. D'abord Couperus n'evolue guere; chez lui aucun
de ces revirements spontanes et eclatants que fait voir l'evolution ar1) Noodlot, p. 183. „Het eene oog was een vormloos halfgestolde, half liquide vlak,
het andere puilde uit zijn ovale kas, als een groote opaal van treurigheid. Om den
hals scheen zich een zeer breede, paarsche halsband to snoeren. En het was, nu wij
beiden op dat gelaat staarden, of het zwol, steeds opzwol in een afzichtelijke herschepping van onherkenbaarheid".
2) ibid., p. 195. „En er kwam dan een oogenblik, dat zij elkaar zelfs niet meer
zoo konden vasthouden, het niet meer durfden. De schim van Bertie, met zijn
violet, bloedend wanhoopsmasker, gleed tusschen hen in; zij lieten elkaar los, en
zij dachten beiden aan den doode".
3) ibid., p. 211. „En ze zonk, kronkelend, op het lichaam onder haar neer, wegschuilend in de los geknoopte jas, daar stervend . . . ." Le theme du remords,
apparaissant dans le recit comme un spectre affreux qui poursuit l'individu jusqu'a
sa mort, a ete repris par Couperus dans son beau roman Van oude menschen, de
dingen die voorbijgaan . . . . [De vieilles gens, les choses qui passent .... ] . Amsterdam, L.- J. Veen, s. d. (1906).
I-37
tistique de Van Deyssel. On sait qu'apres ses romans sur la vie
moderne, Couperus se detourna du present pour se vouer avec passion
a l'etude des ages lointains qui, depuis sa jeunesse, l'attiraient d'une
fawn irresistible 1). Apres Eline Vere, Noodlot et son beau roman De
Kleine Zielen [Les petites Ames] (1901-1903), qui par sa conception se
rattache au „roman domestique" de Balzac et de Flaubert, viennent ses
romans des rois de l'Antiquite De Berg van Licht [La Montagne de Lumiêre] (1905), Xerxes (1919) et Iskander (1920), oil it 6voque trois grandes
periodes classiques avec leurs figures centrales: Heliogabale, le jeune
empereur capricieux, mystique, voluptueux qui excite par ses perversites
la colere des Romains, qui le tuent miserablement; Xerxes, le roi borne
et orgueilleux qui ne concoit pas dans son aveuglement la folie de ses
fatales entreprises; Alexandre, le grand conquerant que perdent les vices
des pays orientaux qu'il a asservis.
Mais rien au fond n'avait change, ni dans son art, ni dans sa conception
de la vie et sa vision du monde. L'idee que l'homme n'est que le produit
fatal de ses origines et de son milieu 2), obeissant aveuglement a ses
instincts et incapable d'intervenir dans sa propre destinee, nous la
voyons ressurgir dans ses romans sous toutes les faces. Xerxes, Alexandre,
Heiogabale sont tous la proie de leurs mauvaises passions, auxquelles
ils succombent, sans force pour leur resister. C'est son androgynie et un
gout malsain de se laisser adorer par son peuple qui poussent Heliogabale
vers les plaisirs scabreux contre-nature qui lui font trouver une fin miserable dans les Latrines 3).
1) Ce qui prouve qu'avant ses drames modernes it s'est déjà preoccupe des civilisations anciennes, ce sont quelques fragments et poemes recueillis sous le titre
De Orchideeen [Les Orchide'es], &lite en 1886, trois ans done avant la publication
d'Eline Vere. Il y a quelques fragments curieux, entre autres In het huffs bij den
Dom [Dans la maison pres du Dome] et Een Middag bij Vespaziano [Une matinee
aupres de Vespaziano] qui sont visiblement inspires sur Petrarque et l'epoque de
l'humanisme naissant, cf. Cath. Ypes, Petrarca in de Nederlandsche letterkunde
[Pe'trarque dans la litte'rature hollandaise]. Amsterdam, „De Spieghel", 1934,
p. 357 sqq. Netscher, dans l'article cite, explique comment Couperus avec Psyche
(1898) et ses romans de l'Antiquite (sa troisieme periode) est revenu a sa premiere
periode oil se revelait son gait de l'Orient, tendance dominatrice chez lui et interrompue seulement par la periode naturaliste (la deuxieme) oil C. a fait une peinture de la vie reelle de tous les fours.
2) Dans Majesteit [Majeste] (1893) par exemple, Couperus prete son attention au
probleme de l'heredite; s'il nous a trace dans la figure d'Othomar l'image vivante de
la mere, it n'est pas difficile de reconnaitre dans celle de Berengar les traits du pore.
3) D'apres M. P. Valkhoff Couperus se serait inspire pour le roman De Berg van
138
II serait difficile de decouvrir dans ces epop6es de l'Antiquite des
„influences" proprement dites, bien que maintes fois Couperus semble
s'etre inspire de ses lectures francaises 1). C'est ainsi que dans Flaubert
ii decouvre une tendance analogue a la sienne, qui lui fait voir dans
l'auteur de Salammb6 un maitre et un guide. „Flaubert a ete pour moi,
comme pour tous ceux qui veulent ecrire un roman historique un grand
et bet exemple, non pas en ce qui concerne la psychologie — car nous
autres, jeunes auteurs, sommes ailes beaucoup plus loin, et je crois avoir
produit dans De Berg van Licht une analyse bien plus delicate et plus
complete que Flaubert dans Salammb6 — mais par ce qu'il y a dans son
oeuvre de sêrieux, de documents, de vrai et surtout par la forme" 2).
Evidemment it ne s'agit pas ici d'une influence directe, consciente.Tout
au plus Flaubert, par ses peintures d'un passe feroce et sensuel, decouvre
a l'auteur de Majesteit et de De Berg van Licht un monde riche et puissant,
vers lequel le poussaient tout naturellement ses gouts romantiques, sa
nostalgie des pays lointains et mythologiques 3).
Dans toutes nos lettres d'apres 188o, on ne saurait designer aucun
auteur qui, a l'egal de Couperus, ait su interpreter d'une fawn si geniale
l'idee d'une implacable necessite qui domine notre vie et nos actes.
Avec une incomparable maitrise it avait rthissi a préter des formes a une
Licht de l' Agonie (1902) de Lombard, modele qu'il depasse d'ailleurs de loin par
son talent de visionnaire et ses peintures evocatrices et saisissantes de la Rome
de ces jours. Voir son interessant article Couperus en Lombard dans De Gids, 1936,
I, p. 357 sqq. Par la hardiesse de certaines descriptions, le roman avait soulevê les
plus vives protestations, oil l'on traitait Couperus d'auteur „pervers, immoral,
decadent", voir P. Valkhoff, art. cit., p. 37o sqq.
1) Couperus a traduit en hollandais La Tentation de Saint Antoine de Flaubert
[De Verzoeking van den Heiligen Antonius]. Amsterdam, L.-J. Veen, 1896, „simple
exercice litteraire" d'apres son biographe Henri van Booven; voir son etude p. 138.
2) Den Gulden Winckel, 1917, interview d'Andre de Ridder avec Louis Couperus,
p. 20. „Flaubert is voor mij, zooals voor iedereen die een historische roman wil
schrijven, een groot, schoon voorbeeld, niet voor wat psychologie betreft — want
wij jongeren zijn heel wat verder gekomen, en ik geloof, dat ik in De Berg van
Licht heel wat fijner en vollediger psychologie gegeven heb dan Flaubert in Salammb6 — maar qua ernst en documentatie en waarheid en qua vorm vooral".
3) ibid., p. 23. „ J'aime beaucoup le roman historique car j'aime a vivre au
passé; je suis ne passetiste, je mourrai passetiste" (Ik houd veel van de historische roman, want ik leef graag in 't verleden. Ik ben passatist geboren, ik
zal passatist sterven). Voir aussi le tres interessant article que consacre M.
W.- J.-E. Kuiper a l'influence de l'Antiquite sur l'oeuvre de Couperus, De Nieuwe
Gids, 1917, I, p. 623, art. Louis Couperus en de Grieksch-Romeinsche Oudheid [Louis
Couperus et l'Antiquite gre'co-latinej.
139
philosophie qui, partant de la France, avait lentement penetre dans
notre domaine spirituel. Or, une telle conception de la vie qu'encourageait
et favorisait particulierement la philosophie schopenhauerienne, si vantee
a cette heure, ne devait pas tarder a jeter l'alarme dans certains milieux
orthodoxes, calvinistes et catholiques. Les preclicateurs et les pedagogues
ne faisaient que s'inquieter vivement d'une tendance qu'ils consideraient
comme une influence fatale sur les jeunes times qui leer etaient confiees.
C'est a ce point de vue que nous signalons la publication de deux
brochures parues peu de temps apres l'apparition d'Eline Vere et de
Noodlot, l'une d'un chef d'ecole 1), l'äutre d'un pasteur protestant 2), qui
tous deux se sentaient appeles a mettre la jeunesse en garde contre les dangers d'une litterature, dont on voudrait „aneantir l'effet redoutable et paralysant" 3). Dans les idees, qui semblaient se &gager des deux romans,
Van Loenen Martinet voyait „un agent pathogene qui se repandait et
ruinait le sentiment de la responsabilite et du devoir, l'empire de soi-meme,
en un mot la personnalite morale 4)". „On ne s'etonne pas, disait Den Hertog, que l'apparition de ces oeuvres d'art n'eveillent pas seulement des impressions esthetiques, mais encore des effets d'ordre philosophique et
moral et que beaucoup qui sont temoin de ces horreurs plient les ailes
et commencent a se sentir de nouveau emprisonnes dans les mailles d'un
inevitable filet" 5).
Ces attaques, qui blament l' oeuvre au point de vue du fond et des
idees, ne compromettent en rien l'incontestable superiorite de l'auteur
qui nous emerveille encore de nos j ours par la rare souplesse et les beautes
rythmiques de sa prose, par le charme prof and et puissant de son style
1) C.-H. den Hertog, Noodlottig determinisme [De'terminisme fatal]. Amsterdam,
W. Versluys, 1891. Voordracht naar aanleiding van L. Couperus' Eline Vere en
Noodlot (Conference a propos d'Eline Vere et de Noodlot de L. Couperus).
2) J. van Loenen Martinet, Het Fatalisme in onze jongste letterkunde [Le fatalisme
dans la litte'rature la plus re'cente]. Haarlem, Tjeenk Willink, 1891.
3) Den Hertog, op. cit., p. 12, „die vleugelverlammende beduchtheden onschadelijk
te maken". Staverman aussi (dans l'article cite) et G.-F. Bouman dans Studien
[Etudes], C, CI, CIII, s'opposent au fatalisme dans l'o3uvre de Couperus.
4) Van Loenen Martinet, op. cit., p. 14. „een ziektestof, die invreet en het besef
van verantwoordelijkheid, het plichtgevoel, de zelfbeheersching, met een woord
de zedelijke persoonlijkheid wegvreet".
5) ibid., p. 14. „Doch evenmin kan 't verbazing wekken, dat de verschijning
dezer kunstwerken andere dan louter aesthetische indrukken teweegbrengt, maar
ook overwegingen van philosophische en moreele aard uitlokt, en dat velen, die
van deze verschrikkingen getuige zijn, weer de vleugels laten hangen, en zich opnieuw gevangen beginnen te gevoelen in de mazen van een onontkoombaar net".
140
auquel on ne resiste guere. Lui qui, par sa conception de la vie et du monde,
se rattache immediatement aux tendances philosophiques et scientifiques de l'heure, semble avoir dedaigne les pretentions esthetiques de
ses contemporains, en restant ainsi en dehors de toute influence immediate.
Rien dans son style ne rappelle les procedes artistiques chers aux auteurs
naturalistes et impressionnistes. Fidele a lui-meme ii fut un artiste grand
et vrai, le plus grand sans doute qu'ait produit chez nous cette fin du
XIX e siecle, le plus moderne aussi puisque, se liberant des tendances de
son époque, il est si pres de nous, tout vivant et humain 1).
AARON ALETRINO (1858-1916)
Cet auteur qui, par son gout des etudes pathologiques et la nature de
son pessimisme, se rapproche immediatement de Marcellus Emants,
se distingue nettement de lui dans son art, oil il se revele un des representants les plus caracteristiques de la litterature d'apres 1880.
D'origine juive, comme Hartog et Heijermans, Aletrino etait une
nature sensible, naturellement portee a la melancolie, aimant a decrire
les sensations deicates, menues et tendres, avec un infini besoin de se
livrer aux speculations sur la vie et la mort. A un age relativement
bas, il eut conscience de ce que c'est que la souffrance et la solitude
morale 2). „Aletrino etait une nature sombre, disait a propos de sa mort
en 1916, son ami et compagnon d'etudes Van Eeden, ii etait plein d'une
profonde melancolie qui l'accablait" 3). Toute sa vie en effet Aletrino
fut tourmente par l'idee de la mort dont l'approche mencante ne cessait
de le hanter, obsession d'autant plus cruelle qu'il etait sans aucune foi
dans une survie, tuee definitivement en lui, parait-il, par ses etudes des
sciences naturelles et de la medecine 4).
1) De Couperus on a traduit en francais ses romans Majesteit [Majeste] et Wereldvrede [Paix universelle] (ed. Pion). Lire aussi dans Le Monde Nouveau, 1922, p.
678 sqq. la traduction d'un fragment du „conte symbolique" Psyche (1898).
2) Nous en retrouvons des accents douloureux dans son roman Zuster Bertha
[Sceur Berthe] oil le jeune docteur, en qui nous reconnaissons Aletrino lui-méme,
raconte sa jeunesse solitaire et melancolique, son sejour affreux au college, choses
qui avaient meme, semble-t-il, echappe a l'attention de son pere.
3) Voir l'article que lui consacre son ami Frederik van Eeden dans De Amsterdammer du 23 et 3o janv. 1916. „Hij zat vol diepe, zware somberheid".
4) Voir Van Eeden, art. cit. „Hij vreesde den dood met een groote, hem nooit verlatende vrees. Hij kon niet gelooven in een voortleven. Zijn medisch natuurwetenschappelijke opleiding had eens voor al dat geloof in hem vermoord".
141
Grace a son excessive emotivite, Aletrino se montrait au plus haut
degre sensible a la souffrance de ceux qui vivaient dans la misere ou qui
devaient endurer d'affreuses douleurs physiques. Aussi etait-il tout
particulierement compatissant a ce que renfermaient de profondement
tragique les epopees des grandes miseres sociales et humaines des Goncourt et de Zola, auteurs qu'il lisait et etudiait avec assiduite. „ J'aime
beaucoup Zola (jusqu'a Rome), Flaubert, Huysmans, les Goncourt, Guy
de Maupassant 1). Il se rangeait, oubliant un peu involontairement Jan
ten Brink, Van Santen Kolff, Netscher et Van Deyssel, parmi les premiers
enthousiastes qui admiraient Zola. „Les membres de la redaction du
Nieuwe Gids ne connaissaient pas encore Zola, lorsqu'ils fondaient leur
journal" 2), declaration assez temeraire, parait-il, et que nous ne croyons
pas devoir prendre trop a la lettre, pas plus que son assertion que Zola
aurait eu sur lui une influence profonde. Tout ce qui est silt-, c'est que
le naturalisme francais a excite en lui de tres grands et tres vifs enthousiasmes, la oil ses amis Kloos et Van Eeden se montraient — pour des
raisons differentes — tout a fait reserves.
D'ailleurs ce ne furent pas avant tout les naturalistes qui eveillerent
en lui ses aspirations litteraires. Au moment oil il les connut, il s'etait
dej a. revele comme auteur, encourage surtout par l'aimable et chaleureux
accueil que ses premieres tentatives avaient trouvees aupres de ses amis
Kloos et Van Eeden. A la demande de son interviewer comment lui fut
revelee sa vocation litt6raire, il repondit que personne au fond ne l'avait
inspire. C'est venu tout seul, disait-il, mais aussi par Van Eeden 3) et
les autres tenants du Nieuwe Gids 4). Kloos surtout semble avoir eu sur
sa formation litteraire et artistique une influence decisive. „ J'attends
beaucoup de toi et de to collaboration au Nieuwe Gids, paroles qui
furent d'une grande influence sur mon travail" 5).
Mais la litterature etrangere ne cessa d'eveiller son interet et il
1) Lire l'interview qu'eut avec lui E. d'Oliveira Jr., Met Dr. A. Aletrino [Chez
le Dr. A. Aletrino], Den Gulden Winckel. 1908, p. 117.
2) ibid., p. 114. „De redactieleden van de Nieuwe Gids kenden de Fransche naturalisten nog niet, toen ze hun tijdschrift oprichtten. Ik behoorde tot de eersten in
ons land die Zola lazen. En Zola heeft ook erg veel invloed op mij gehad".
3) Par Van Eeden, Aletrino fit en 1883 la connaissance de Kloos, de Verwey, de
Paap et de Frank van der Goes. Il a toujours eu une grande veneration pour Van
Eeden qui lui a lu, a lui le premier, son Kleine Johannes.
4) Den Gulden Winckel, 1908, p. 113.
5) Gedenkboek De Nieuwe Gids [Livre d i or du Nouveau Guide], I oct., 1910, p. XXXI.
„Ik verwacht heel veel van je en van je medewerking aan de Nieuwe Gids. Dit
zeggen is van grooten invloed op mijn werkengeweest".
142
se laissa bientOt entrainer a prendre pour exemple les maitres du naturalisme francais, dont les procedes litteraires ne seront pas sans laisser
des traces profondes dans son oeuvre. C'est d'eux qu'il herite le gout
des descriptions d'un realisme cru et poignant dont on saurait relever
chez lui maint passage d'une analogie frappante avec leurs modeles.
Que son inter& f ut presque exclusivement oriente vers le naturalisme
francais, nous le savons par un article de sa main, publie en 19oz dans
De Twintigste Eeuw [Le vingtieme Siecle]: Hoe een roman wordt geschreven
[Comment on, icrit un roman]. Cet article fait preuve d'une connaissance
tres etendue de l'oeuvre des naturalistes francais, qui lui fournissaient
de precieux exemples sur la conception et la genese de leurs romans.
C'est d'eux qu'il tenait sans doute l'habitude de se documenter soigneusement en vue de ses compositions. Notamment l'exemple des Goncourt,
qui se plaisaient a noter tout ce qui valait la peine d'être retenu, parait
l'avoir frappe et amene a en faire autant. „Moi-meme j'ai pris pendant
longtemps des notes pareilles pour m'en servir dans mon oeuvre
raire; encore maintenant je ne manque jamais de coucher aussitOt par
ecrit tel ou tel evenement qui me frappe fortement et de conserver cela 1).
Mais ce qui l'a tout particulierement attire dans l'ceuvre des Goncourt
et de Zola, ce sont les subtiles et pen6trantes analyses de cas de maladie
nerveuse, c'est la fawn dont ces auteurs s'astreignaient a depeindre
des detraques et des clegeneres, a noter minutieusement les phases d'une
agonie ou d'une desagregation cerebrale. Leurs romans devaient immediatement eveiller l'interét d'Aletrino, qui lui-meme faisait des etudes
speciales de pathologie et de criminologie et qui, comme medecin de
l'assistance publique, frequentait journellement les quartiers misereux
du Kadijk et de Kattenburg. En raison de ses etudes scientifiques et de
sa profession meme, qui le mettait chaque jour en un contact immediat
avec la souffrance physique et morale, it devait fort apprecier l'objectivite avec laquelle ces auteurs peignaient les anomalies du corps et de
Fame. Ce n'est pas sans raison qu'il louait Germinie Lacerteux comme
„une etude remarquable de Paine humaine, telle qu'on n'en trouve que
das les romans des naturalistes" 2). Puis son metier, la vie a l'hOpital
1) De Twintigste Eeuw, VIII, I, p. 726. „Ikzelf heb een langen tijd zulke aanteekeningen gehouden en er gebruik van gemaakt, bij het samenstellen van letterkundig
werk; nog verzuim ik nooit een invallende gedachte of een gebeurtenis die mij erg
treft, dadelijk op te schrijven en te bewaren".
2) op. cit., p. 725. „Germinie Lacerteux, een merkwaardige psychologie, een studie
van de menschelijke ziel, zooals men alleen in de boeken van de naturalisten kan
vinden".
143
ont grandement influe sur son travail litteraire 1). Plus qu'aucun autre,
Aletrino sera capable d'evoquer devant nous la misere des pauvres
existences. Ses experiences personnelles, ses lectures, le coudoiement
regulier de la misere humaine dans ses manifestations les plus cruelles ont
decide de son choix et lui ont inspire presque toutes ses nouvelles, ainsi
que ses deux romans Zuster Bertha (1888—'91) et Martha (1893—'95)3).
Rappelons du premier de ces deux romans quelques details de sa
genese qui, par rapport a notre etude, est extremement curieuse. Concu
en 1882 d'apres des souvenirs personnels, il l'abandonne bientOt, ne le
reprenant qu'apres la lecture de deux romans francais qui, par l'analogie
des milieux oil se deroulait l'action, devaient exciter son interet particulier, savoir Sceur Philomene (1887) d'Edmond de Goncourt et les
Amours d'un Interne (1882) de Jules Claretie. Ii apprecie peu le roman
de Claretie qu'il dit avoir lu sans aucun plaisir. Par contre le premier
a eveille en lui, par la verite dans l'observation et l'exactitude des peintures realistes de la vie a l'hOpital, un vif enthousiasme, a tel point qu'il
decida de recommencer son recit, fortement inspire cette fois-ci de son
modele. Dans son roman il y a des scenes qui, par leur realisme poignant,
en rappellent de singulierement analogues dans celui de Goncourt,
celle par exemple de l'operation que fait le professeur devant ses
1)Cf. Den Gulden Winckel, 1908, p. 114. „Le temps que j'ai passe a la clinique a ete
d'une grande influence sur mon oeuvre" et p. 116: „Les etudes de medecine m'ont
porte cette atteinte. Toujours j'ai ete une nature un peu contemplative, mais c'est
justement l'idee qu'il faut mourir qui rend la vie si miserable. Oui, une concentration de miseres. Ce que j'ai pleure la, je vois toujours le cote noir de la vie" (De
gasthuistijd is van grooten invloed geweest op mijn literatuur. — De heele studie
van de medicijnen heeft me die knauw gegeven. Ik was altijd een beetje contemplatief. Maar juist dat je dood moet, dat maakt 't leven zoo verduiveld ellendig.
Ja, een concentratie van ellende. Ik heb daar wat afgehuild. Ik zie altijd de donkere
kant van het leven). Sa gaiete bien connue par laquelle .'l savait amuser ses auditeurs etait plutOt „exterieure" et nous n'avons pas besoin de douter de la sincerite de son pessimisme. „Cet auteur des livres les plus tristes et les plus navrants
qui aient jamais ete ecrits dans notre langue, disait Van Eeden, etait notre camarade le plus gai, le plus vif, le plus spirituel qu'on puisse se figurer" (Deze sombere
schrijver van de meest verdrietige en lugubere boeken, die in onze taal geschreven
zijn, was de joligste, levendigste, geestigste kameraad, die men zich denken kan).
2) A. Aletrino, Zuster Bertha [Sceur Bertha]. Amsterdam, W. Versluys, 1891,
roman dedie a Martha et Frederik van Eeden.
3) A . Aletrino, Martha. Amsterdam, Scheltema & Holkema's boekhandel, s.d.
roman dediê a son ami, le Dr. N. van Rijnberk.
I44
etudiants ou la scene lugubre du panier ou l'on depose un cadavre 1).
Inspire des procedes de Zola et des Goncourt, it s'attacha, apres eux,
a evoquer par des desseins hardis et colorês ce qu'il y a d'infiniment
desole et de tragique dans ces douloureuses existences. Voici la description d'un cadavre, repugnant dans son affreuse laideur, peinture d'une
impitoyable ferocite telle que notre litterature n'en connaissait encore
guere. „Au milieu de la salle vide, paisible, gisait sur la fameuse dalle
le cadavre sous un drap d'un blanc douteux. Les pieds seuls, a la peau
ridee, seche, aux ongles noirs et difformes en sortaient. Le visage etait
decouvert. Ebouriffee et souillee par la salive qui les derniers moments
tait sortie de la bouche et qui await forme une croilte dessechee, une
barbe crepue, rousse, a taches grises encadrait ses joues creuses et les
levres d'un bleu sale" 2).
Maintes pages de ses romans ou de ses nouvelles s'inspirent de sa
compassion pour le sort des declasses, des dechets de la vie, de son indignation aussi devant les nombreuses iniquites sociales qu'il decouvre
autour de lui. Partout se revee une ame douloureusement emue a la
vue de toutes les miserables et honteuses existences que nous presente
l'humanite. Il y a un accent d'emouvante pitie dans l'esquisse, intitulee
Pinksterbloem [Une flew printaniere], oil l'auteur d&rit l'affreuse misere d'une femme du peuple, enceinte, maltraitee par son mari ivrogne
et qui se traine par une belle journee de printemps dans la rue pour mendier son pain 3), de meme que dans celle qui s'intitule Herinnering [Souvenir], ou it evoque le sort du prisonnier qui, apres deux ans de reclusion,
1) Quoique nes d'une inspiration bien differente, it y a quelque conformite dans
la composition des deux romans qui s'ouvrent tons deux sur une exposition oil
l'auteur nous jette au beau milieu de l'action pour remonter apres vers le veritable
point de depart d'oil it developpe l'intrigue. Aletrino souligne surtout la solitude
morale qui est la sienne, tandis que Goncourt peint objectivement le drame intime
de sceur Philomene, victime de sa passion pour un etudiant en medecine, Barnier, de qui Aletrino semble tenir son pessimisme, son idee de „a quoi bon" qui le
pousse vers le suicide.
2) A. Aletrino, Novellen. Amsterdam, Scheltema & Holkema, s.d., p. 25, esquisse
Uit den Dood [De la Mort] (aofit 1886]. „In het midden van de stille, leége zaal,
op den bekenden tafel, lag het lijk onder een groezelig, wit laken. Alleen de voeten
staken er uit, met droog geplooid vel en lange, vuile, misvormde nagels. Het gezicht
was bloot. Verward en vuil door het speeksel, dat in de laatste oogenblikken uit
den mond was geloopen en dat tot een korst was opgedroogd, kroesde een rosse,
grijs gevlekte baard om de ingevallen wangen en smoezelig blauwe lippen".
3) ibid.,
p. 7o.
145
quitte sa cellule dans un etat d'abrutissentent pour ne ressentir aucune
joie en recouvrant se liberte 1).
Mais ce qui ne cesse de hanter Aletrino, c'est l'idee de la mart. „Tout
ce qu'il sentait, tout ce qu'il voyait, tout ce qu'il entendait se dissolvait
en une grande idee confuse: la Mort" 2). Elle se presente a lui sous tous les
aspects, l'obseclant par ses visions macabres. La face hideuse de l'enfant
mort, couche dans sa boite, ou la figure horrible du noye lui suggerent
sa fin a lui. „ Je me vois moi-meme, bleu et convulsionne au fond de l'eau
oil je m'enlise dans la boue, souffle et &figure, et je suis du regard mon
propre cadavre qui se gonfle et monte a la surface, s'accrochant a un
chaland, repeche par un marinier qui passe" 3). Ii n'a plus aucune foi
-dans la science puisqu'elle est impuissante a soulager les maux, a nous
preserver de la fin terrible. Sans foi dans une survie, it se pose la question:
„à quoi bon", convaincu que la vie n'est qu'un long calvaire, ne valant
pas la peine d'are vecue, conception de vie qui rappelle le pessimisme
amer d'un Guy de Maupassant, en qui it se reconnait: „Oh, celui-la est
quelquefois si terriblement melancolique. Rarement j'ai lu quelqu'un
qui silt ecrire des choses d'unq, si amere melancolie" 4).
Autre trait qu'il a de commun avec le naturalisme francais, c'est que
ses personnages sont des types livres a leurs sentiments et a leurs instincts, contre lesquels i1 leur est incapable de lutter. Ne voyant plus
d'issue a la douleur, degofites d'un monde abject et avili qu'ils desirent
quitter, ils glissent irremediablement vers un morne desespoir. Aussi les
caracteres qu'il nous presente montrent tres peu de variete; ce sont tous des
types faibles, flasques, veules, qui ne raisonnent guere, incapables de reagir
ni de lutter. La certitude de se sentir victimes les rend inaptes a l'action,
1) ibid., p. 147. Ce recit oil vibre un coeur noblement indigne, devient a legal de
La Fille Elisa un acte de protestation contre le systême rigoureux des prisons.
2) ibid., p. 35. „Tout dans ses pensees finissait par la mort, tout ce qu'il sentait,
voyait, entendait se resolvait en une grande idêe confuse: la Mort. Il sentait que
cela ne changerait jamais plus" (Alles wat hij dacht eindigde met den dood, alles
wat hij voelde, wat hij zag, wat hij hoorde, alles loste zich op in een groot, vaag
begrip: dood. Hij voelde dat 't nooit meer anders kon zijn).
3) Novellen, p. 15. Esquisse intitulêe In 't Donkey (nov. 1885). „Ik zie mijzelf blauw
en verwrongen onder water liggen, waar ik vastzuig in den modder, bevuild en
gehavend en volg mijn eigen lijk, dat opzwelt en naar boven drijft. 't Blijft aan
een schuit hangen, opgevischt door een voorbijvarend schipper".
4) Den Gulden Winekel, 1908, p. 117. „Ah, die is soms zoo geweldig melancholisch.
Ik heb zelden iemand gelezen, die zulke bitter-melancholieke dingen kon schrijven
als Guy".
I0
146
les plonge dans l'abattement moral, dont ils n'ont point la force de
sortir 1). Its sont paralyses d'avance dans leurs mouvements, convaincus
que tout ici-bas ne vaut pas grand'chose, qu'apres cette vie bailie
seul le vaste 'leant, conception foncierement pessimiste qui deroutait
et choquait le bourgeois autant que les pretendues immoralit6s dans les
descriptions.
Dans tous ces personnages it n'est pas difficile de reconnaitre l'auteur,
homme d'une susceptibilite maladive, naturellement porte aux sombres
et melancoliques contemplations. Marthe et Berthe, ce sont tour a tour
Aletrino lui-meme, epanchant son spleen, exprimant dans une prose
mollement cadencee ses poetiques et melodieuses plaintes qui par leur
invariable ton en mineur ne tardent pas a laisser l'impression d'une
lourde monotonie.
Infiniment sensible aux nuances atmospheriques, aux jeux de la lumiere,
aux beautes evanescentes, Aletrino sait decouvrir dans le monde exterieur
les accents qui correspondent a son moi intime, choisissant avec un
talent remarquable le decor et les images qui refletent et soulignent
l'amertume de son ame. La langue musicale, cadencee, evoque a merveille
par son rythme lent et trainant 2) les sensations qu'il recoit du dehors,
telle l'atmosphere melancolique d'une chambre deserte, des sombres
silences de la nuit, d'une journee d'automne 3). I1 a recours a la synesthesie dont it use adroitement quelquefois, marquant les sensations par
des couleurs, parlant du „bleu &sir", des „voluptes jaunes", des „passions
1) Cf. Martha, p. 83. „Le sentiment d'une grande desillusion dominait sa vie"
(Een groote onvoldaanheid hing over haar leven); Novellen, p. 112. „Abattu, terrassê par la douleur angoissante qui l'envahissait, it frissonna dans la lassitude
d'un relachement de ses forces" (Mat geslagen door de benauwende smart, die in
hem opdoemde, rilde hij in een moede losvalling van zijn krachten); De Nieuwe
Gids, 1893, p.218, fragment intitule Zondagavond [Soirée du dimanche]. „Et laissant
retomber sa tete sur la table ii pleurait sans bruit, disant doucement dans ses sanglots la douleur cuisante de la vie" (En neerzakkend met zijn hoofd voorover op de
tafel, weende hij luidloos, zachtsnikkend de scherpschrijnende smart van het leven).
2) On peut rejeter toute l'idee d'influence etrangere sur la forme, exceptê peut-etre
pour l'usage frequent du participe present que peuvent lui avoir suggere ses lectures francaises, en vue de l'effet musical et trainant de la terminaison, le n et
le d se prononcant dans notre langue.
3) Cf. Zondagavond , De Nieuwe Gids, VIII, p. 209, dont l'atmosphere intime se
rapproche de Een vervelende Zondag [Un dimanche ennuyeux] de Frans Coenen;
cf. aussi Novellen, p. 113. „Dehors tombait sans interruption la pluie invisible,
ondulant melancoliquement aux souffles larmoyants du vent" (Buiten daalde de
onzichtbare regen gestadig neer, weemoedig voortgezweefd door de weenende
waaiingen van den wind).
147
rouges" 1). Les journees successives de la semaine, ayant chacune sa
sensation particuliere, il les designe par leur nuance propre. „Les journees
passaient avec leurs coloris calme et monotone: les lundis gris dans leur
nouveaute, les mardis roses passant doucement, la nuit, aux mercredis
incolores, les jeudis d'un blanc uni contrastant avec le jaune des vendredis suivants, enfin les samedis d'un bleu gai se detachant contre les
dimanches d'un blanc argente" 2).
Grace a l'originalite de son accent et de ses procedes litteraires, Aletrino
est devenu un des representants les plus caracteristiques du Mouvement
de 1880. Evidemment il a subi l'influence des premiers impressionnistes,
de Van Deyssel, d'Arij Prins, de Van Looy qu'il admirait beaucoup 3).
Plus que le dernier d'ailleurs il se distingue par l'originalite de l'expression,
qui va quelquefois a l'exces et denote la recherche de l'effet litteraire.
La langue fourmille de neologismes, souvent savamment combines et d'un
effet inattendu, mais trop frkluemment d'un raffinement outré qu'on
ne saurait que regretter chez un talent si delicat. Ce manque de sobriëte
et de maitrise de soi, qu'il faut peut-etre attribuer a ses origines juives,
a fait de son art un des plus curieux specimens que nous ont laisses les
efforts litteraires de cette époque. Par son subjectivisme a outrance, son
amour d'une forme tout artistique, susceptible de rendre les plus infimes
mouvements du cceur humain, Aletrino se distingue nettement des
naturalistes et ne se rapproche d'eux que par ses descriptions — peu
nombreuses d'ailleurs — d'un realisme audacieux. Se detournant en
quelque sorte de ses modeles, de qui il tient l'amour de la peinture objective, Aletrino se preoccupe avant tout de reproduire avec un souci
infini de l'art des sensations intimes. Son oeuvre, oil se reflete toute sa
vie intime d'homme fortement desillusione, aura un caracthe tout a
fait subjectif, image d'une ame douloureusement emue devant le sort
de l'humanite, sort qu'il savait sans guerison. Par plusieurs traits, son
lyrisme, son besoin d'etaler son moi, sa tendance a voir dans l'ambiance
exterieure le miroir refletant son ame desol6e, il se revele comme un
auteur purement romantique 4). Ses personnages sont des ames solitaires
1) Zuster Bertha, p. 201.
2) ibid., p. 109. „Maar de dagen kleurden voort, rustig en 't zelfde, Maandagen
grijs van nieuwheid, roze Dinsdagen zacht overnachtend naar kleurlooze Woensdagen, Donderdagen egaalwittend tegen de geelvolgende Vrijdagen, eindelijk de
vroolijkblauwe Zaterdagen hel opglanzend naar de zilver-witte Zondagen".
3) Voir Den Gulden Winckel, 1908, p. 117.
4) Den Gulden Winckel, 1908, p. 114. „J' aime ce romantisme sentimental" (Ik
hou van die sentimenteele romantiek). Son gait du romantique se rêvele d'autre
148
qui se sentent depaysees dans un monde ou ils ne voient que tristesse
et desolation, avides de chercher dans la mort l'oubli et la delivrance 1).
FRANS COENEN JUNIOR (1866-1936)
Frans Coenen, fils du célèbre violoniste Frans Coenen Senior 2), naquit
a Amsterdam; apres avoir parcouru le lycee classique a Utrecht, it fit, a
Amsterdam, ses etudes de droit, qu'il acheva en 1892 par la soutenance
d'une these sur De Fyansche Wet op de verwaarloosde en verlaten kinderen [La loi francaise sur la protection des enfants maltraites et moralement abandowas] (24 juillet 1889). En 1895 it est nomme conservateur du
Musee Willet-Holthuysen, fonction qu'il occupera jusqu'en 1933, peu
d'annees avant sa mort.
Aux environs de 1890 Coenen s'etait lie avec les jeunes gens d'avantgarde qui aiguillaient la litterature vers de nouvelles orientations. La
periode la plus heureuse de sa vie, disait son ami Herman Robbers,
c'etait celle oil it collaborait a De Kroniek [La Chronique] (1895 - 1907)
avec P.-L. Tak, Jan Veth, A. Jones, J. Kalf, Hondius van den Broek 3).
En 1892 it debuta par son roman V erveling [Ennui]. Depuis lors it en publiera regulierement jusqu'en 1905, date oil it renonce au roman pour
se consacrer au joumalisme et a l'essai 4), genre ou ses dons de critique
et de moraliste atteindront leur plus riche deploiement.
Coenen a ete un artiste consciencieux, avec un amour fervent de la
verite. Il faut louer son impartialite, la clarte et la penetration de son
jugement. Personne n'a vu comme lui d'un regard objectif les abus et
les defauts de son époque. Il a l'horreur du faux, du conventionnel, de
part dans son culte du heros; lire, a cet êgard, sa biographie de Napoleon Napoleons
laatste Levensjaren [Les derniêres annees de Napoleon]. Amsterdam, van Holkema &
Warendorf, 1916, oil it explique d'un point de vue medical les deboires de Napoleon
et son &range resignation dans les dernieres annees de son existence.
1) Dans la tendance a voir dans la mort la seule fin de nos douleurs, idee chêre
aussi a Emants, a Coenen, a De Meester, on peut voir l'influence de la philosophie
schopenhauerienne.
2) Un de ses elêves les plus celébres a ete Alphons Diepenbrock.
3) Elseviers Maandschrift, 1936, p. 13o.
4) A cote de plusieurs articles, entre autres sur Ibsen et Strindberg, ii a ecrit un
essai sur Charles Dickens en de Romantiek [Charles Dickens et le romantisme]. Amsterdam, Ned. Bibl., 1911, et une fres remarquable etude sur De Beweging van '8o
[Le mouvement de 1880]. Middelburg, 1924.
149
tout ce qui sentait le dogme. Ce qu'il aimait, c'etait la purete et la spontaneite de la jeunesse; nombreux etaient les jeunes artistes qu'il a encourages et soutenus de ses conseils. Le fond de son caractere etait fait
d'une sensibilite extreme, trait qu'accusait encore sa delicatesse physique. C'est a tort qu'on l'a traite de cynique, son cynisme n'etant qu'une
facon de defendre son moi, de se mettre a l'abri de toute promiscuite,
de toute camaraderie indiscrete.
Dans son art Coenen se revele un realiste, avec de fortes tendances a
la peinture impressionniste que lui inspirait l'esthaique nouvelle. C'est
du roman naturaliste francais qu'il semble tenir son audace, son souci
de decrire la vie banale, terre-a-terre 1), tempere cependant par son
amour des demi-teintes, des nuances douces. Voici en quelques touches
pittoresques la silhouette de la prostituêe qui, dans l'ombre, invite le
passant. „La fille etait maintenant debout derriere la porte entr'ouverte,
faiblement eclairee par le ref let jaune du reverbere. Johan croyait voir
une figure svelte, vétue de rose terne, les manches amples et courtes,
avec les touches blanches de ses dentelles; jusqu'h ses oreilles penetra
en vibrant, avec un accent qui lui causait une deception penible, la voix
rauque qui chuchotait: „Mon petit blond . . . . entre un instant, to ne
voudrais pas entrer?" 2)
Mais ce qui le relie intimement a ses contemporains et aux conceptions
de l'heure, c'est sa fawn d'envisager l'univers et la vie. La philosophie
dominante, la science avaient aneanti en lui toute foi dans l'avenir,
toute croyance dans la destinee humaine. L'idee qui l'obsede, c'est que
tout est vanite, que l'homme, pour echapper a son neant, s'accroche a
de vaines illusions. L'homme qui prend conscience de l'inanite de ses
pretentions tombe dans l'ennui ou le desespoir, regardant la mort comme
le terme heureux de sa misere.
Son oeuvre sera l'interpretation fidele de cette philosophie du neant.
Il s'en &gage cet accent de profonde amertume qui confine a la haine
et n'est pas sans rappeler le pessimisme de Flaubert et de Huysmans. D'apres ses exemples, l'auteur peuple ses romans de desesperes,
1) Cf. E'en vervelende Zondag [Un d-imanche ennuyeux].
2) E'en Zwakke [Un Faible]. Haarlem, De Erven Loosjes, 1901, 2e ed., p. 133, 134.
„De meid stond nu achter de half ,open deur, zwak verlicht in den gelen glimp
van de lantaren: een lange figuur in flets rose, met wit van kant aan de mouwen,
wijde halve mouwen, geloofde Johan to zien. Maar pijnlijk teleurstellend trilde
in zijn ooren de rauwe grof fluisterende stem, die zeide: Blondje . . . . kom 's binnen . . . . kom je niet eens binnen?"
150
de revoltes melancoliques, qui se perdent dans le desespoir et s'abandonnent a l'ineluctable fatalite. Il a pathetiquement evoque la desolation de ces tristes existences, oil la mort seule apparait comrne une
delivrance. Qu'on lise ce fragment, que nous extrayons de Een Zwakke,
d'oii se degage la meme sensation de desespoir que des romans d'Aletrino
ou d'Emants: „Qu'allait-il devenir au milieu de tout cela? Il manquait
de courage. Il lui fallait une perspective, une carriere, mais it ne la trouvait pas devant lui. Son coeur se gonflait d'un vague &sir; autour de
lui se dressait une realitê dure, brutale, repugnante, n'offrant partout que
des deceptions. Il ne pouvait vivre ainsi, et it ne le voulait pas. Il sentait
qu'il ne pouvait trouver un appui en lui-meme, sa force de volonte
etait trop faible pour tenir ferme, pour ne pas s'engourdir, prise dans
le jour pale et glace de ce pays polaire qu'etait sa vie. Son exasperation
devenait plus poignante a mesure que sa raison lui disait qu'il n'avait
rien a esperer de la marche froide, logique des choses" 1).
L'auteur s'identifie facilement avec ce „type de la defaite", oil ii
transpose tout son temperament d'homme froisse devant la vanite et
les bassesses de la vie. Comme Aletrino, de qui it s'approche egalement
au point de vue de l'expression littêraire, ii tend a faire sentir a travers
ses heros l'ennui et le desespoir de son ame en detresse. Ses figures, qui
toutes sont concues d'apres une vision particuliere de la vie, presentent
une uniformite dans leur maniere de penser et d'agir qui fait douter de
leur vraisemblance.
,
Ce que l'auteur a voulu faire, et nous constatons que plusieurs de
ses contemporains n'ont pas fait autrement, c'est de suggerer un etat
d'ame, une sensation psychique qu'imposaient, presque sans aucune
variation, des circonstances identiques: la fatalite du destin, la constitution hereditairement taree, qui minaient un reste de volonte. Mais
ne prenant pas le recul necessaire, Coenen n'arrivait pas toujours a se
detacher de ses creatures, a les observer d'un regard objectif. A tout
moment nous le voyons intervenir dans le recit, imposant sa personnalite
1 ) Een Zwakke, p. 158. „Wat moest hij daarin worden? Hij had geen moed meer.
Hij had een uitzicht noodig, een levensloop en hij vond die niet in het leven voor
zich uit. Het was in hem een schreiing van verlangen; en de realiteit stond norsch
en hard om hem heen, afstootend, met overal teleurstelling. Hij kon zoo niet leven,
en hij wilde ook niet. Op zichzelf voelde hij niet te kunnen steunen. Zijn willen
was te zwak om stand te houden, niet dood te vriezen in den ijzigen bleeken dag
van dat poolland: zijn leven. Zijn verbittering stak scherper, naarmate zijn verstand
hem zei, dat hij niets te hopen had van den koelen, logischen gang der dingen".
151
avec ses impressions et ses sensations a lui. Ce manque d'objectivitë
devient tout particulierement genant par exemple dans un roman comme
In Duisternis [Dans les Tdnebres] (1903) oil le heros, victime de son desoeuvrement et songeant meme au suicide, s'interesse malgre son cl6gotit
d'un monde qu'il a pris en horreur, aux evenements les plus banals
de la vie.
Qu'il soit tombe dans le manierisme, en restant fickle a son criterium
d'art, Coenen lui-meme a du le sentir. En outre, un temperament comme
le sien devait peu se plaire a la longue dans le genre de l'art descriptif,
qui, par ses principes mémes, excluait toute action directe et personnelle
sur la vie, morale et sociale, de son époque. Presenter a l'humanite un
miroir, cela ne lui suffisait pas. Sa mentalite, son caractere reclamaient
un genre oil sa personnalite s'affirmat d'une facon plus expresse, oil son
activite de moraliste filt plus directement efficace. Aussi, lorsqu'en
1905 il abandonne le roman pour se donner entierement au journalisme
et a la critique, nous retrouvons un Coenen beaucoup plus vrai et plus
original que celui des premieres nouvelles. Des lors, libere de tout dogme
artistique, il decouvrira sa formule d'art veritable; en lui se refletent,
tres personnellement, les evenements de l'heure; il seduit ses lecteurs
par la clarte limpide de son style, par la justesse froide, ironique de ses
observations, qu'aucune prevention ne troublait.
Avant de finir, nous voudrions parler encore de son dernier roman,
intitule Onpersoonlijke herinneringen [Memoires im,personnels] 1), que
l'auteur achevait juste a la veille de sa mort. Ce qui frappe immediatement dans ce rêcit, c'est que Coenen s'est tout a fait degag6 des tendances
naturalistes et impressionnistes qui le preoccupaient a ses debuts. Sans
aucune surcharge dans le detail, l'auteur relate avec une touchante et
suggestive sobri6te la tragedie de deux existences, qui sombrent miserablement. Louise Diefenbach, riche heritiere, dans sa crainte de rester
seule, avait uni son existence a un mauvais sujet, Abraham Le Roy.
Son mari ne lui epargnait aucune humiliation; sa mort meme ne lui
apportait point de soulagement; elle meurt, quelques annees apres lui,
delaissee de tout le monde, seule en face du 'leant de son passé, tout a
fait consciente de l'inutilite de sa vie. Rien de plus saisissant que cette
description de sa fin tragique: „Personne n'etait aupres d'elle. Longtemps
elle avait ete sans connaissance et la petite couturiere qui veillait aupres
d'elle n'avait pas vu d'inconvenient a s'eloigner un moment pour se
1) F. Coenen, Onpersoonlijke Herinneringen. Utrecht, Bruna & Zoon, s.d. (1936).
152
faire du cafe a la cuisine . . . . Quand elle remonta dans la chambre mal
eclairee, tout etait déjà fini. La brave femme s'effraya beaucoup, lorsqu'elle n'entendit plus la respiration et qu'elle vit a la lumiere de la lampe
qu'elle avait soulevee les traits detendus et les yeux mourants" 1).
Tout en observant, dans la notation des faits et des dates, la plus scrupuleuse exactitude et en reproduisant avec une rare fidelite l'atmosphere
troublante des anciens appartements de la maison aristocratique du
Heerengracht, Coenen a su faire de cet emouvant recit de deux „camarades de misere" 2) un merveilleux „roman de la clefaite", oil se distinguent toutes les belles qualites de l'êcrivain, son observation froide,
penetrante, mais aussi sa compassion devant la souffrance humaine, qui
nulle part n'aboutit a un lyrisme sentimental. Ici it s'est exprime tout
entier avec une maitrise sans egale, qui fait de cette oeuvre la plus originale de sa vie et une des plus remarquables de la litterature contemporaine.
JOHAN DE MEESTER (186o-1931)
Johan de Meester 3), fils de bourgmestre, naquit a Harderwijk, ou it
passa sa jeunesse; apres la mort de son pere, sa famille s'etablit a Zeist
(pres Utrecht); la it recut chez les freres moraves une education tres
orthodoxe qui convenait peu a son esprit 6pris de libert6, rebelle a la
rigidite d'une discipline froide et severe. De sa quinzieme a sa dix-septieme annee it suivit encore une autre ecole, oil son professeur de francais,
un Suisse, lui donna entre autres a lire les Confessions de Rousseau. Le
lyrisme des descriptions, les exaltations devant les beautes de la nature
l'enthousiasmerent. Comme pour Rousseau la campagne sera pour lui
la grande consolatr i ce; enfant, timide et sauvage, it fuyait sa maison et
1) I1 n'est pas difficile de reconnaitre dans ces deux figures les personnages authentiques d'Abraham Willet, amateur d'art, et de Sandrina-Louisa-Geertruida Holthuysen, derniers habitants de la maison qui constitue aujourd'hui le musee WilletHolthuysen dont Coenen fut le conservateur.
2) op. cit., p. 222. „Er was niemand bij haar. Zij had al lang buiten kennis gelegen
en het naaistertje, dat bij haar waakte, had er geen bezwaar in gezien even weg te
gaan om zich koffie te zetten Toen zij weer boven kwam in de schemerig
verlichte kamer was alles al afgeloopen. Het vrouwtje schrikte hevig, toen zij den
adem niet meer hoorde en in de geheven lamp de ontspande trekken en gebroken
oogen zag".
2) Voir P. Valkhoff: Le roman moderne hollandais et le realisme franfais. Revue de
Hollande,
p. 74, 75.
'53
ses petits camarades pour errer seul a travers les Bois et les bruyeres
de la Veluwe 1).
Mais ce qui, dans Rousseau, fera sur lui une inoubliable impression,
c'ëtaient les pages de revolte religieuse qui firent naitre en lui le conflit
avec son milieu et son education, conflit dont on trouvera, a travers
toute son ceuvre, les cl6chirements douloureux.
A cote de Rousseau, ce fut Multatuli qui l'enthousiasma 2). Il loue
l'auteur du Max Havelaar d'avoir crêe une langue nouvelle, delivree,
comme it le disait, de la „redingote", symbole du conventionalisme
aristocratique 3). Il l'apprecie surtout comme un philosophe, qui veut
laisser a chacun sa liberte de penser, en citant de lui la fameuse phrase:
„La vocation de l'homme est d'etre homme", „homme, ajoutait De
Meester, aussi dans la vie publique, partout et en tout soi-méme" 4).
Rousseau et Multatuli ont ete les premiers a eveiller en lui le desir
de s'affranchir d'une education qui men4cait d'etouffer en lui toute
independance d'ame et d'esprit. Aux annees qu'il travaille dans un
bureau en preparant son examen de receveur de l'enregistrement, it n'en
continue pas moins ses lectures, audiant Beaumarchais, Diderot, d'Holbach, Musset, des articles de Caro sur Schopenhauer et Leopardi, puis
les moderns, Zola entre autres, dont ii lisait L' Assommoir, qu'il tenait
„cache sous un enorme in-folio". Le bureau cependant ne tarda pas a
1) Comme Rousseau, De Meester aimait a lire les A ventures de Robinson Crusoe.
Pans sa brochure De Menschenliefde in de werken van Zola [L'humanisme dans
I' ceuvre de Zola]. Rotterdam, W.-L. Brusse, 1903, p. 28, it parle longuement de cet
amour de la nature, qu'il signalait egalement chez Zola et oil nous trouvons cette
phrase curieuse impregnee de la philosophie rousseauienne: „De plus en plus s'est
affirmee chez les auteurs la conviction que les villes, telles qu'elles sont a l'heure
actuelle, rendent la vie intolerable" ('t Is hoe langer hoe algemeener geworden,
het bewustzijn bij de schrijvers, dat de steden, zooals ze nu zijn, het leven maken
tot iets onduldbaars). Ce que De Meester aime chez Zola, ce sont les descriptions
lyriques du Paradou dans la Faute de l' Abbe Mouret et dans les Evangiles; it s'enthousiasme egalement de la nouvelle Le Bois, oil Zola raconte comment ii recherche
le dimanche avec son ami Paul Cezanne les reposantes distractions de la campagne pour oublier les miseres des faubourgs parisiens.
2) Cf. Eigen Haard [Le Foyer], 1920, p. 84-88, W at Multatuli mij geweest is
[Ce que Multatuli a ea pour moi]. Des auteurs francais favoris de Multatuli De
Meester signale ici La Fontaine, La Rochefoucauld, Rousseau et Bernardin de
Saint-Pierre.
2) ibid., p. 88.
4) ibid., p. 88, „De roeping van den mensch is mensch to zijn — ook in het openbaar, overal en in alles zichzelf".
154
perdre tout attrait pour lui; brusquement il interrompt sa carriere d'employe pour se jeter dans le journalisme. Apres avoir collabore pendant
quelques annees au Zutphensche Courant 1) il passe, en 1883, a l'hebdomadaire De Amsterdammer, redige alors par De Koo. A Amsterdam il
entre en contact avec les Junes (avec Van Deyssel entre autres), dont
la superiorite lui fit voir „ce qui manquait a sa formation complete" 2).
Cependant son sejour n'y sera que de courte duree; lorsque, grace a
Charles Boissevain, il entre au Handelsblad, ce journal l'envoie en qualite
de correspondant a Paris, oil il travaillera jusqu'a 1891 3).
Les annêes qu'il y passe seront d'une grande influence sur sa vie. Le
nouveau milieu social et artistique accentue en lui un pessimisme dont
il portait les Bermes en lui et que devaient singulierement nourrir les
tendances qui, a ce moment, se manifestaient dans le roman. Sous la
suggestion de ses lectures, celles de Balzac et de Zola, il incline facilement
aux conceptions morales que ces auteurs professaient dans leur oeuvre.
Comme eux il constate que l'homme est victime de ses plus viles passions,
que dans la lutte des sentiments, ce sont la violence, l'egoisme, la cupidite
qui ont le dessus. „A cette époque, disait-il, je commencais a regarder
Paris avec un cynisme croissant. Je me rejouissais quasi sataniquement
de cette conception de Paris" 4), et autre part „Dans la vie je vois infiniment de douleur pour tout le monde et beaucoup plus de cruaute que
de joie" 5).
Ce qu'il appreciait surtout chez les auteurs realistes, c'etait l'impitoyable hardiesse avec laquelle ils s'astreignaient a peindre la vie
1) C'est a cette époque que naissent les nouvelles reunies sous le titre Kleingoed
[Broutilles]. Zutphen, Thieme, 1882, oil il imite encore la maniere de Potgieter.
2) E. d'Oliveira Jr., De Jongere Generatie [Les Jeunes]. Amsterdam, Ned. Bibl.,
1914, p. 1o. „Ik viel er dadelijk in een milieu van menschen van beteekenis (onder
wie ook Van Deyssel), waardoor ik voelde, wat er aan mijn heele vorming ontbrak".
3) La collaboration au Handelsblad ne lui valut aucune satisfaction; il ne lui etait
pas permis d'ecrire ce qu'il voulait; on exigeait de lui de petits articles gais et
charmants, dans le genre de Van Maurik; aussi, lorsqu'en 1891, Den Hertog publie
son attaque contre Couperus, auteur qu'il admirait, il donna sa &mission et passa
au Nieuwe Rotterdammer Courant, journal auquel il restera fidelement attaché
presque toute sa vie.
4) De Jongere Generatie, p. 12. „En in dien tijd begon ik Parijs onder een hoe
langer hoe cynischer wordend algemeen levensinzicht to bekijken. Ik had een
zekere satanische vreugde aan die opvatting van Parijs".
5) ibid., p. 23. „Ik zie in het leven voor iedereen veel leed en veel meer wreedheid
dan lust".
155
reelle 1), c'etait leur sincere et inlassable effort pour comprendre la vie,
pour la „reproduire telle qu'elle est, sans la bichonner avec des roves
inutiles" 2).
Zola surtout le passionna. Effuvre par exemple le frappait a cause
du vaste programme qu'y developpait Sandoz-Zola, se proposant de
peindre la vie humaine dans le terrible combat des instincts et des
passions. C'est presque en entier que De Meester, applaudissant a ce
dessein, cite le fameux passage, oil Zola annonce „son etude nouvelle
de l'homme physiologique, le role tout-puissant rendu aux milieux, la
vaste nature eternellement en voie de creation, la vie enfin, la vie totale,
universelle, qui va d'un bout de l'animalite a l'autre, sans hauts ni bas,
sans beaute ni laideur; et les audaces de langage, la conviction que tout
doit se dire, qu'il y a des mots abominables necessaires comme des fers
rouges . . . ." 3) Mais Zola le touchait moms par ses conceptions puissantes
ou par son realisme audacieux que par son amour profond de l'humanite
souffrante, cote auquel De Meester etait tout particulierement sensible.
,,Pourquoi je l'aime, ecrira-t-il un jour a M. P. Valkhoff, c'est que je vois
en lui un pessimiste plein de piti6 et qui exprimait, en revolt& sa compassion et sa charite, osant voir et dire toutes les laideurs de la vie. Je
l'aimais aussi comme democrate, mais surtout comme 1 .6-yoke pessimiste.
1) Dans son article lets over Nevrose in Letteren (voir notre etude p. 32). De
Meester loue chez les naturalistes francais l'originalite de l'expression, la fraicheur
de leur langue, le soin scrupuleux avec lequel ils rendaient leurs impressions,
qualitês qui faisaient justement defaut dans notre litterature d'avant '80. Il cite
avec admiration Kloos et Guy de Maupassant, qui avaient condamne la „languecliché", le „gros-à-peu-pros" du style conventionnel. Mais, tout comme Maupassant,
De Meester s'oppose a l'ecriture artiste, en citant de lui: „Il n'est point besoin du
vocabulaire bizarre, complique, nombreux et chinois qu'on nous impose aujourd'hui
sous le nom d'ecriture artiste, pour fixer toutes les nuances de la pensee; mais it
faut discerner avec une extreme luciditê toutes les modifications de la valeur d'un
mot, suivant la place qu'il occupe . . . . Efforcons-nous d'étre des stylistes excellents,
plutOt que des collectionneurs de termes rares". Il est vrai que chez De Meester
on chercherait en vain cette recherche d'un style raffine, par lequel se distinguaient
la plupart des Auteurs de 1880.
2) J. de Meester, broch. cit., p. 16. „Dit was de drang van het nieuwe weten: 't
leven, 't leven begrijpen. Ja, het te nemen zooals het is, niet het ,op te flikken met
ijdel gedroom, maar onvermoeid, eerlijk het leven begrijpen".
3) Voir la brochure cit6e, p. 27 et L' ffuvre, I, p. 25o (ed. Charpentier). Il est curieux de remarquer que De Meester ne finit pas la citation; pour des motifs d'ordre
esthetique probablement it ne semblait pas souscrire a l'idêal artistique que Zola
formulait dans la phrase suivante, qui resume en quelque sorte sa tendance essentielle: „et surtout l'acte sexuel, l'origine et l'achevement continu du monde, tire
de la honte ou on le cache, remis dans sa gloire, sous le soleil".
156
Car de la revolte religieuse de Rousseau j'en etais venu a la revoke pessimiste, a l'idee deterministe et pleine de pardon de la „bete humaine" qui
furent toutes deux nourries par Zola. Chez Daudet aussi j'avais trouve
cette pitie" 1).
C'est grace a ses evocations de la misere sociale que Zola eveillait
chez De Meester la compassion pour la souffrance humaine, dont nous
retrouverons dans toute son oeuvre les accents profotids. Plus que
l'horrible realite elle-meme, que De Meester connut de tres pros 2),
Femouvaient les peintures saisissantes dans Germinal. Avec ce roman,
disait-il, Zola a crie J'accuse au profit de toute une classe d'hommes" 3),
impression qui ne s'est jamais effacee en lui et dont on retrouve les
echos dans plusieurs de ses premieres nouvelles, ainsi que dans cette
curieuse fin de Geertje [Gote], oil nous lisons: „Et quand il entend, de l'autre
cote du canal, des hommes qui marchent en chantant vers la salle de
reunion, il fredonne avec eux leur chant de liberte" 4).
LTEuvre aussi l'avait touché par son accent humain, raison pour
laquelle il met ce roman au-dessus de Manette Salomon 5). Zola, disait-il,
comprenait parfaitement en Claude sa maniere d'agir, il nous faisait
sentir comment Claude, mais non mains Christine devaient souffrir.
„ Je n'ai pas voulu insister sur les souffrances de cette femme d'artiste,
avec ce qu'il y a encore de chaleureusement humain dans ce roman
d'artiste, parce que, malgre l'impassibilite qu'observe ici l'auteur epique,
la pitie que montre Zola envers Christine fait admirablement bien sentir
comment cet auteur, grand artiste s'il y en a, a 6te en meme temps un
homme infiniment bon" 6).
1) Revue de Hollande, III, p. 75.
2) C'est a Charleroi, pendant une grove, que De Meester lit pour la premiere fois
Germinal. „L'impression de cette horrible realite, disait-il, n'etait pas plus forte
que celle du livre" (de indruk dier schrik'lijke werkelijkheid was niet sterker dan
de indruk van het boek), broth. cit., p. 21.
3) Broch. cit., p. 21. „Daarmee heeft hij J'accuse geroepen ten bate van een heels,
klasse van menschen".
4) J. de Meester, Geertje. Bussum, Van Dishoeck, 1906, 5e ed., II, p. 240. „En
wanneer hij, aan de overzij van het water, mannen hoort, die zingend optrekken
naar het lokaal, neuriet hij hun vrijheidslied mee".
5) Voir son etude lets over Nevrose in Letteren, De Nieuwe Gids, 1908, I, p. 529-536,
oil il compare Manette Salomon et L.' CEuvre.
6) Broth. cit., p. 35. „Ik heb slechts even het lijden van deze kunstenaarsvrouw
willen aanroeren, met wat er verder warm-menschelijks is in dit boek van artiestenleven, omdat het, bij al de neutraliteit van den epischen kunstenaar, door Zola
getoonde medelijden met Christine, beter dan iets gevoelen doet, hoe deze schrijver,
groot artiest, tevens zoo'n innig goed mensch geweest is".
157
C'est cet amour de l'humanite souffrante qui pretera a toute l'oeuvre
de De Meester un meme accent humain. Ses premiers recits ne sont au
fond qu'une longue et veh6mente protestation contre la vie. L'auteur s'y
revele un homme douloureusement blesse devant les cruautes de l'existence, dissimulant mal ses deceptions, sa rancune, sa haine. A tout moment on le voit intervener dans ses recits, avec ses visions, ses opinions
a lui. L'ideal artistique que s'etait fait De Nieuwe Gids ne l'avait jamais
tente. Ce qui ne cessait de le preoccuper, c'etaient les problemes d'ordre
social et moral. Comprendre la vie, en saisir les manifestations, les
impulsions secretes, voila ce qui le poussait a ecrire; c'etait un besoin
imperieux de temoigner 2), de „realiser ses meditations sur la vie en
en faisant des recits" 3).
Le pessimisme auquel l'amenait le spectacle de la vie, rappelle celui
d'Emants et de Coenen, avec lesquels d'ailleurs it se sentait apparente 4).
Comme eux it est convaincu que la vie ne vaut pas d'être vecue, que tous
nos efforts pour atteindre le bonheur doivent necessairement echouer.
Evidemment influe comme Emants par les idees schopenhaueriennes, it
va jusqu'a pr8cher la fin du monde, voulant que le genre humain cessat
de procreer afin de ne pas faire durer le malheur 5). Ni le socialisme, ni
1) Nous en signalons entre autres Zeven Vertellingen [Sept Re'cits]. Amsterdam,
S.-L. van Looy, 1889; Deemoed [Humilite']. Amsterdam, S.-L. van Looy, 1901;
Over het Leed van den Hartstocht [De la Souffrance de la Passion]. Bussum, Van
Dishoeck, 1904; Een Huwelijh [Un Mariage]. Bussum, Van Dishoeck, 1907.
2) Cf. D.-Th. Jaarsma, Karakteristieken [Caractêres littdraires]. Amsterdam, Ned.
Bibl., 1927, p. 119, citant De Meester: „Cela ressemble a ce que je voulais, enfant,
lorsque je desirais me faire missionnaire pour convertir les paiens: on est prophête
parmi les hommes, on va, on peut, on doit têmoigner" (Dat lijkt op wat ik als
kind bedoelde, toen ik zendeling wou worden, leeraar voor de heidenen: men is
boodschapper onder de menschen, men komt, men kan, men moet getuigen).
3) De Jongere Generatie, p. 21. „Het is altijd geweest: mijn philosophie, mijn levensoverpeinzingen een vorm te geven door er vertellingen van te maken".
4) Ii dedie ses Zeven Vertellingen a Emants, au maitre, „par respect et par admiration", mais aussi comme „têmoignage d'une affinitê d'esprits" (den meester een
blijk, ook van geestverwantschap), cf. aussi De Jongere Generatie p. 17. „ Je me
sentais apparentè a Emants parmi mes predecesseurs et a Coenen, puisqu'il s'agit
pour nous d'humanitê et de comprehension de la vie". (Ik heb aansluiting gevonden
bij Emants onder de ouderen, en bij Coenen, dat is juist omdat het ons te doen
was om menschelijkheid en levensbegrip). Voir aussi Carel Scharten, De Roeping
der Kunst [La Destinie de l' Art], Ned. Bibl., 1907, art.: op den weg naar een nieuwe
moraal [En route pour une morale nouvelle].
5) Voir De Jongere Generatie, p. 14. „Mes livres d'autrefois sont une manifestation
de ma philosophie, qui me faisait dire: „Mon Dieu, faut-il qu'il naisse encore des
158
la religion ne sauraient, a ses yeux, conduire l'homme au bonheur. A
cause de ses imperfections, l'humanite serait eternellement livree a la
souffrance, dont l'inutile et poignante necessite le remplit d'une immense
pitie. Ce pessimisme lui inspire les plus emouvants recits, tels que Deemoed [Humiliti], ce beau theme de l'amour desinteresse qu'une soeur
de charite eprouve pour une jeune folie atteinte d'un mal incurable, ou
bien De Klompjes [Les petits Sabots] 1), histoire saisissante d'un petit
garcon que, dans un acces de folle jalousie, noie sa petite soeur.
II nous menerait trop loin de traiter par le detail toute son oeuvre
du debut. S'inspirant evidemment des tendances qui regnent a cette
heure dans le roman, l'auteur se plait a peindre la vie des bas-fonds,
comme dans Gezin [La Famille] 1), oil il nous fait la peinture realiste
de scenes de cabaret et de kermesse, ou dans Dienstbaren [Esclaves] 1),
qui evoque la vie dure et tragique des mariniers. D'une rare audace
sont egalement les recits oil il s'attaque, plein de malignite, aux perversites mal dissimulees de la bourgeoisie. Alors sa maniere n'est pas sans
rappeler celle de Guy de Maupassant, qu'il est loin d'egaler d'ailleurs;
tres souvent ses contes, trop hativement composes, semble-t-il, ne sortent
guere de la banalite dont ils s'inspirent 2).
Le type que, d'apres le modele du roman francais, il evoque assez
souvent dans ses recits, c'est l'homme veule, aboulique, sans foi dans
la vie et qui se livre a son pessimisme. C'est le fabricant dans Een Nieuwjaarsmorgen [Un jour de nouvel an] 3), ce „faible passif", „sans autre
resistance contre sa clecheance morale que l'incessante activite" 4), „sur
les sentiments et les pens6es de qui pesent les souffrances de la vie,
enfants? et qui me faisait sentir ce besoin de procreer comme une souffrance"
(Mijn boeken van vroeger zijn een uiting van het levensinzicht,dat mij deed zeggen:
God, God, moeten er nu nog kindertjes komen ? en dat mij die heele procreatiedrang deed voelen als Teed). Toute sa philosophie se resumait, selon lui, dans les
deux vers celebres de Leconte de Lisle:
„La nature se rit des souffrances humaines
Ne contemplant jamais que sa propre grandeur".
1) Dans Zeven Vertellingen.
2) Tres reussi dans ce genre est le recit intitule: Het Avontuur van David Zangvogel
[L'aventure de David Zangvogel] dans Allerlei Menschen [Des gees de toute espêce].
Bussum, Van Dishoeck, 1902, on un brave israelite, veuf depuis quelque temps,
arrive sans s'en douter dans une maison close, d'oii il se sauve tout effare, en
perdant sa belle canne a pomme d'argent, unique souvenir de sa pauvre femme.
3) Dans Zeven Vertellingen.
4) ibid., p. 11, „Een passieve zwakkeling. Hij ! Met als eenig verweer de rust'looze
daad !" . . . .
159
comme une chose ineluctable, pour toujours" 1). C'est dans Een Huwelijk
[Un Maniage] Frans Koene, jeune homme riche et gate, avec ses meditations sur la vie, profondement penetre de la misere universelle et de
sa propre souffrance en particulier 2). L'auteur le voit comme le produit
d'un mariage malheureux et d'une mauvaise education. „De sa mere it
avait h6rite, a cote de sa constitution faible, une sensibilite trop delicate,
qui avait ete surexcitee par le contact avec la nature grossiere de son
pere, de sorte que le sentiment normal et sain s'etait emousse en lui.
Gate par sa mere, traite en tout avec indulgence par son pere il avait
appris, en jouant, a faire de sa sensibilitel 'humble servante de son
6goisme" 3).
C'est encore le journaliste dans Zondagsmorgen [Matinee du dimanche 4),
qui, ayant reve d'un bonheur parfait, ne trouve dans son mariage avec
une femme artiste que les plus douloureuses deceptions. L'idee surtout
qu'avec la naissance d'un enfant son existence se prolongerait dans
d'autres vies ne cesse de le tourmenter. „ Jamais it n'avait desire prolon g er dans d'autres sa faible existence pleine de &sirs, ce „struggle"
qu'il haissait plus qu'il n'aimait la vie, qui pour ses enfants serait encore
plus terrible . . . . Il n'avait pas voulu d'enfants. C'est pourquoi it n'aurait
pas du se marier" 5). Ces paroles nous rappellent des idees analogues
exprimees dans Manette Salomon, roman qu'il disait admirer beaucoup.
L'idee surtout que l'artiste doit rester celibataire, que les soins du ménage
et la necessite de gagner sa vie 6) font avorter ses plus nobles efforts
semble avoir ete empruntee au passage de Manette Salomon qu'il citerait
1) ibid., p. 9. Het Leed van het Leven drukte op zijn voelen en denken als onafwendbaar, voor altoos".
2) Een Huwelijk, p. 3. Il retrouve des accents de son „mai du siècle" entre autres
dans le poeme Aspasia de Leopardi, qu'il cite en allemand et dans La Mer de
Richepin.
3) ibid., p. 3. „Van zijn moeder had hij, met een zwak lichaamsgestel, een fijngevoeligheid geerfd, welke door de aanraking met de grove natuur des vaders
overprikkeld was geworden, zoodat het gewone, gezonde gevoel aan menigen kant
was afgestompt. Door zijn moeder vertroeteld, door zijn vader in alles met toegevendheid behandeld, had hij spelende geleerd van zijn fijngevoeligheid den
nederigen dienaar zijner zelfzucht te maken".
4) Dans Over het Leed van den Hartstocht.
6) ibid., p. 28. „Nooit had hij verlangd zijn bestaan nog voort te zetten in anderen,
zijn zwak bestaan van verlangen, den struggle dien hij haatte meer dan hij het
leven lief had, die wellicht voor zijn kinderen nOg erger zou worden . . . . Hij had
geen kinderen gewild. En daarom had hij niet moeten trouwen . . . •
6) ibid., p. 18.
16o
un jour: „Selon lui, le celibat etait le seul etat qui laissat a l'artiste
sa liberte, ses forces, son cerveau, sa conscience. Il avait encore sur la
femme, l'epouse, l'idee que c'etait par elle que se glissaient, chez tant
d'artistes, les faiblesses, les complaisances pour la mode, les accommodements avec le gain -et le commerce, les reniements d'aspirations, le triste
courage de deserter le desinteressement de leur vocation pour descendre
a la production industrielle et baclee, a l'argent que tant de méres de
famine font gagner a la honte et a la sueur d'un talent. Et au bout du
mariage, it y avait encore la paternite, qui, pour lui, nuisait a l'artiste,
le detournait de la production spirituelle" 1).
Peu a peu cependant De Meester evolue vers une conception moins
fataliste de la vie. „Le fond de mon etre, disait-il, c'est une increclulite
absolue, le contraire de la piete, c'est par l'amour de l'humanite seul que
je suis arrive a la resignation" 2). D'une negation de la vie, it passe, par
l'appreciation de ses valeurs profondes et eternelles, a un optimisme
model-6, a une affirmation de la vie.
De cette nouvelle croyance temoigne son premier grand roman Geertje
[Gote] (1906) 3), ou l'auteur a idealise l'amour qui nait et grandit dans
un cceur de femme. En voici brievement le sujet. Geertje, orpheline
d'origine protestante, a recu chez ses Brands-parents une education
orthodoxe. Lorsqu'elle a vingt ans, elle quitte son village pour s'etablir
a Rotterdam comme aide dans le menage de l'imprimeur Heins, qui est
marie avec une femme laide et hargneuse, d'humeur maussade. Heins,
homme sans scrupules, la seduit, puis, lorsqu'elle se trouve enceinte,
l'abandonne mis6rablement. Geertje, en proie a ses angoisses, mais ne
cessant pas d'aimer l'homme qui a eveille en elle l'amour, est gen6reusement recueillie dans la maison de Maandag, un bossu bienveillant, esprit
humain et large, qui la protege contre les brutalites et les mepris de sa
famille.
De Meester avait r6ussi d'un coup a faire de cette donnee banale une
oeuvre de grande envergure, dont le sujet n'est pas sans rappeler Martha
de Bruin de Van Groeningen. Lui-meme, qui avait ete un des premiers
a louer ce roman, le surpasse cependant, par son style et par une composition mieux ordonnee. Mais ce qui le distingue de son preclecesseur,
1) Voir son etude lets over Nevrose in Letteren. De Nieuwe Gids, 1908, I, p. 425.;
cf. Manette Salomon, ed. Flammarion et Fasquelle, p. 154.
2) De jongere Generatie, p. 23. „Het fond van mijn bestaan is een volstrekt ongeloof,
het tegenbeeld van godsdienstigheid, alleen door menschenliefde ben ik gaan
berusten".
3) Public dans De Nieuwe Gids, a pdrtir de 1901 (16e annee, p. 2o).
161
c'est que De Meester ne se montre pas toujours „objectif" dans l'analyse
du caractere des figures principales. En tendant a faire de Geertje le
symbole de l'amour ideal, it ne reussit pas toujours a faire d'elle une
creation reelle, vivante. Sa tendance a idealiser ses personnages se manifeste entre autres dans la conception de la figure du bossu Kees Maandag,
type tout a fait exceptionnel, capable d'actions infiniment nobles,
surhumaines presque 1).
Mais s'il s'ecarte, dans la representation de certaines de ses figures, des
principes que lui enseignaient ses maitres, par contre dans la langue, oil ii
copie le patois rotterdamois, dans la representation de certaines scenes,
comme celle oil Geertje se deshabille devant la glace et s'extasie devant la
beaute de son corps 2), il se revele un adepte fidele des naturalistes francais.
Nous ne parlerons pas ici des romans qu'il concut vers la fin de sa vie.
D'une maniere generale, ils n'ouvrent, sur l'evolution de l'auteur, aucune
nouvelle perspective. Dans De Zonde in het Deftige Dorp [Le pdchd dans
le village aristocratique] (1912), Carmen (1916), Eva [Eve] (1929) et Lie/detrouw [Amour fidele] (1930) se distingue un homme qui d'une part n'a pas
fini de s'irriter contre les bassesses et les mensonges de la vie, mais qui
d'autre part a appris a se resigner, a decouvrir dans la vie humaine
des valeurs essentielles, intangibles qui le reconcilient avec elle.
Le roman oil se manifeste le plus curieusement sa vision sur le monde,
est sans aucun doute De Zonde in het deftige Dorp, oil it raille le peu d'humanite que montre la famille d'un pasteur calviniste envers la servante,
seduite par le fils de la maison. Avec une fine ironie it peint la femme du
pasteur qui, enceinte elle-meme, se montre sans indulgence devant l'etat
pitoyable de la pauvre fille, a qui elle refuse tout secours materiel ou
moral. C'est la honte qui rend ces Bens insensibles a la souffrance humaine
et les fait agir contre les beaux preceptes que leur dicte la morale
chretienne.
Quoique De Meester se rattache par son oeuvre du debut et par son
realisme a ceux de sa generation et que son nom evoque naturellement
ceux de Coenen, d'Emants, de Van Groeningen, it n'a pas tarde a se
1) Le type du bossu, renfermant dans un corps difforme une gine noble, indulgente
envers les fautes d'autrui, rappelant un peu la figure de Quasimodo, nous le retrouvons egalement dans ses romans Eva [Eve] (1929) et Liefdetrouw [Amour
fidele] (1930) .
2) Scene qu'on saurait rapprocher de celle oii Manette Salomon adore ses graces de
femme nue, peinture oii les Goncourt se sont montrês d'une delicatesse ä laquelle
De Meester n'a pas su atteindre.
II
162
degager de ses premiers attachements. Comme 'Zola, qui vers la fin de
sa vie evoluait vers un optimisme quelque peu naïf, ii mettait toute sa
confiance dans la bonte innêe de l'homme, conception qui a donne a
son oeuvre un accent tout particulier, et oil nous retrouvons le Rousseau qui a nourri ses premiers reves.
CHAPITRE IV
LE PESSIMISME SOCIAL
A cote du roman „fataliste" dont nous avons etudie, au chapitre
precedent, la nature et les rapports avec le roman naturaliste, nous
voyons naltre, vers la fin du siecle, une litterature „sociale" qui semble
s'inspirer d'une part sur le roman social en France et sur le roman „impressionniste" en Hollande, en leur empruntant a l'un et a l'autre son
esprit et ses methodes, qui d'autre part trouve dans les orientations
politiques et sociales de l'heure sa source essentielle d'inspiration.
Toute litterature sociale nait d'un sentiment de pitie et de rëvolte,
que repandent dans les Ames la misere et la clecheance morale des basfonds de la societe. L'auteur vise, par ses oeuvres, a exciter dans les
coeurs la compassion et la generosite, s'efforcant de contribuer ainsi a
l'amelioration des conditions sociales et au soulagement de la misere
universelle.
Un rapprochement de la litterature sociale d'avant et d'apres 188o
fait voir une difference sensible, non seulement dans les procedes litterakes, mais encore dans les remedes qu'on propose of in d'assurer au
peuple un avenir meilleur. Notre litterature sociale d'avant 188o se rapproche immediatement, comme l'a montre M. C.-G.-N. de Vooys 1), des
tendances qui se manifestent dans la litterature anglaise de l'epoque. Ce
sont Dickens, Kingsley, Carlyle qui, par leurs doctrines humanitaires ou
leur evocation des victimes d'une civilisation industrialisee et egoiste,
influencent sensiblement les opinions de nos auteurs. Potgieter, Beets,
Tollens, Ter Haar, soucieux de faire montre de leurs vertus philanthropiques se plaisent a s'attendrir sur le sort des pauvres, a qui ils apprennent
a se resigner et a accepter leur misere comme une necessite instituee
1) C.-G.-N. de Vooys, De sociale roman en de sociale novelle in het midden van de
negentiende eeuw {Le roman social et la nouvelle sociale au milieu du XIXe siecle].
Groningen, Wolters, 1912, p. 22.
164
d'En Haut. Potgieter pretendait „fake une peinture des moeurs populaires par lesquelles le peuple serait captive, console, edifie." Ce n'est pas
une „copie" qu'il voulait, mais „une description de la realite, animee
par l'idealisme de l'artiste qui mettait son honneur a etre un educateur
de son peuple" 1). Van Koetsveld, qui etait sans contredit de ces auteurs
le plus „revolutionnaire", ne s'ecartait pas sensiblement de l'opinion
Onerale en disant: „Faites sentir au pauvre, d'une main douce et d'un
cceur interesse votre superiorite, mais seulement votre superiorite morale:
en homme son frere, en homme civilise son protecteur, en homme croyant
son consolateur et son guide" 2).
Tout a fait en harmonie avec ces opinions bourgeoises les ouvriers
nous sont depeints comme de braves gens, de moeurs simples et honnetes,
craignant Dieu, pleins de respect devant leur maitre qu'ils servent comme
cocher, jardinier ou domestique et a qui ils rendent toutes sortes de
petits services utiles. Its sont regardes comme des titres inferieurs qui se
resignent et s'inclinent devant l'autoritê du bourgeois, devant son rang,
sa position sociale, sa superiorite intellectuelle, inferiorite qui se trouve
exprimee dans des termes meprisants comme „het mindere yolk" (les
basses classes), „de smalle gemeente" (les petites gens) 3). Sans doute
it y a chez Cremer (1827-188o) ou Van Koetsveld (18o7-1893) des
symptOmes qui annoncent un interet grandissant pour la misere sociale
et morale des basses classes, mais ils se montrent encore assez hesitants
devant un bouleversement de l'ordre social. Dans la lettre de Jan Stukadoor 4), adressee a tous les ouvriers neerlandais, Cremer nous peint
l'ouvrier qui, respectueux de l'ordre etabli, previent ses camarades
contre les dangers du communisme et de 1' „Internationale". Van Koets1) op. cit., p. 19. „Potgieter verlangde een „schildering van de toestanden des yolks,
waar het er door mogt worden geboeid, getroost, geleerd", niet een kopie dus,
maar een werkelijkheidsschildering, bezield door het idealisme van den kunstenaar,
die er een eer in stelde, opvoeder van zijn yolk to zijn".
2) Cite dans Am. Saalbom, Het ontwaken van het sociale bewustzijn in de literatuur
[Le rdveil de la conscience sociale dans la littdrature]. Amsterdam, H.- J. Paris, 1931,
p. 1 44 . ,,Laat den arme met zachte hand en belangstellend hart uw meerderheid
gevoelen, ja, maar alleen uw zedelijke meerderheid: als mensch zijn broeder, als
beschaafd mensch zijn beschermer, als geloovig mensch zijn trooster en zijn leidsman".
3) Potgieter par exemple condamne expressement les „mesaillances".
4) J.- J. Cremer, Brief aan alle Nederlandsche werklieden, leden en Been leden van
de Internationale [Lettre a tous les ouvriers hollandais, membres ou non de l' „Internationale"]. Leeuwarden, 1871.
165
veld est persuade que „le communisme de notre siecle sape la foi religieuse et la vie familiale" 1). Les ouvriers qui en 1872 montrent quelque
sympathie avec les grevistes du textile en Twente sont traites d' „incredules modernes" 2). Il convient a l'ouvrier de se resigner, d'accepter sans
revoke sa condition inferieure, condition qui est une necessite resultant
des ordonnances de Dieu 3).
Le regime social d'avant 188o, fortement impregne des principes
chretiens, a ainsi quelque chose de fige oil tout est soumis a des lois et
a des régles fixes, qu'on craint de renverser. „Toutes les tentatives, dit
Saalborn, faites pour ameliorer le sort des pauvres et des deracines, des
proletaires et des ivrognes et des criminels incorrigibles restait une
oeuvre de .dilettantes, faite sans reflexion, sans orientation sociale" 4).
Comme remede social, on préchait d'apres l'exemple de Lamennais, de
Victor Hugo ou de George Sand, la bonte, la concorde, la justice, les
vertus, tendance qui repondait particulierement aux sentiments chrêtiens
du bourgeois, a son besoin d'edifier et de faire oeuvre de charite. L'auteur
est encore loin de se solidariser, de fraterniser avec l'ouvrier dans sa
lutte contre le capitalisme, de se dire son egal dans sa revolte contre le
regime bourgeois, egalement hostile a son art qu'a ses conceptions politiques. L'ouvrier n'est point encore conscient de l'ideal social que lui
suggereront vers la fin du siecle la propagande et les manifestations
politiques, les pamphlets, les journaux d'opinion, et dans une certaine
mesure aussi la littêrature sociale qui, de moralisatrice, edifiante, deviendra, avec un Heijermans par exemple, nettement revoluti onnaire.
Ce n'est qu'entre 186o et 187o que les nouvelles ici6es politiques et
sociales penetrent dans notre pays et viennent ebranler insensiblement
les pr6juges et les conceptions traditionnelles. A cet egard l'epoque de
186o a 1880 doit etre consiclêree comme une époque de transition. C'est
depuis 1870 surtout que, grace au developpement industriel et economique, l'antagonisme des classes s'accusait, que l'opposition au regime
bourgeois se faisait toujours plus nettement sentir 5). Hommes poli1) Cite dans Saalborn, op. cit., p. 143. „Het Communisme onzer eeuw tast godsdienstig geloof en huiselijk leven aan".
2) ibid., p. 121.
3) ibid., p. 119, citation de S.: „De standen zijn van God verordineerd !"
4) ibid., p. 16o. „Alle pogingen tot verbetering van het lot der armen en ontwortelden, der paupers en onverbeterlijke dronkaards en crimineelen bleef dilettantisch, ondoordacht en onsociaal".
5) Pour plus de details nous renvoyons au livre de Jan Romein De Lage Landen
bij de Zee, specialement aux chapitres 24 et 28, intitules Maatschappij en Staat
i 66
tiques et ecrivains elevent la voix pour protester contre les abus sociaux
que des enquetes ne cessaient de mettre au grand jour. A la Chambre
des Deputes on votera, apres un fervent plaidoyer de Van Houten, les lois
qui regleront le travail des enfants (1874). Des 186o Multatuli etait venu
alarmer l'opinion publique par son Max Havelaar, oil i1 attaque severement les abus et les malhonnetetes que commit aux Indes notre gouvernement liberal envers le peuple indigene. H.-P.-G. Quack, fils d'une famille
appauvrie se fait, dans son ouvrage fameux De Socialisten [Les Socialistes], dont le premier volume parait en 1875, le ddenseur des opprimes
et l'annonciateur d'une nouvelle societe.
Les changements qui s'operent ici dans les opinions ne sont pas sans
avoir leur repercussion dans la litterature de l'epoque. Max Havelaar
engendre toute une „litterature de protestation", de qualite tres mediocre
et tout a fait infhieure, ii est vrai, a l'ceuvre magistrale que nous laissa
Multatuli. Cremer ecrivait en 1863 ses Fabriekskinderen [Les Enfantsouvriers], suivi en 1873 de Hanna de Freule [Mademoiselle Hanna].
Keller, dans la meme a,nnee, publia Gederailleerd [DerailMe], pieces que
rendent illisibles le caractere melodramatique, la rhetorique conventionnelle et ronflante, mais surtout un manque d'observation exacte et
precise. Loin d'être une reflexion exacte de la realite politique, elles s'inspirent le plus souvent d'une philanthropie assez limitee, telle que la
goiltait encore fortement cette generation dans l'ceuvre des auteurs
anglais 1). Mais ce que cette litterature ne nous fait pas encore voir et
ce dont Zola va temoigner dans son oeuvre monumentale, c'est la misere
sedert 1848 [Societe et Etat depuis 1848], p. 558 sqq. et De arbeidersbeweging en het
socialisme [Le mouvement ouvrier et le socialisme], p. 642 sqq. Notons les faits
principaux qui eclairent l'evolution sociale. En 1861 les typographes d'Amsterdam
creent une caisse pour offrir aux membres de 1' „aide morale et materielle"; en
1869 on fonde a Amsterdam sous le nom de Nederlandsche Werklieden Verbond
[Syndicat ouvrier neerlandais] la section hollandaise de la Premiere Internationale
(1864); en 1879 Ferdinand Domela Nieuwenhuis, le grand leader socialiste jusqu'a.
1894, fonde l'organe Recht voor alien [Droll pour tom]; en 1881 differents groupes
socialistes s'associent et fondent le Sociaal Democratische Bond [Federation socialiste]; en 1888 Domela Nieuwenhuis fait son entrée dans la Chambre des Deputes;
en 1894 on fonde De Sociaal Democratische Arbeiderspartij [Le Parti socialiste
democrate] qui sera jusqu'a nos jours le parti avance de l'opposition de gauche.
1) Pourtant Hanna de Freule renferme des elements três revolutionnaires: une
grêve, une description des masses ouvrieres, des chansons revolutionnaires, une
reunion dans une grange oil l'on revendique certains droits, une augmentation
de salaire, etc.
167
humaine dans toutes ses honteuses et revoltantes manifestations, ce sont
les evocations de la plus deplorable decheance sociale et morale. L'ceuvre
qui evoquera les conflits acharnes et sanglants des classes est loin encore
de se produire. L'instinct revolutionnaire et le sentiment de solidarite
ne se rêveillaient que vers 1885, dans les grandes vines seulement, sous
l'influence aussi d'une crise economique et ravive par les discours enflammes d'un A.-H. Gerhard et d'un Domela Nieuwenhuis. C'est alors
qu'eclatent les premieres greves, que nous assistons aux meetings et aux
manifestations des masses, evenements qui engendrent un etat d'esprit
vraiment revolutionnaire dont s'inspirent les auteurs de cette époque.
Ainsi, vers la fin du siècle les nouvelles orientations politiques favorisaient
particulierement le developpement du genre social tel que nous le voyons
se manifester depuis une dizaine d'annees déjàa, en France.
On n'ignore pas que le roman social francais n'est pas ne, en premier
lieu, de l'inspiration des nouvelles orientations politiques et sociales.
C'etait au fond pour des raisons scientifiques que les Goncourt, avec
Germinie Lacerteux (1854) et La Fille Elisa (1876), en etaient venus a
s'interesser au type „peuple". Comme le cas pathologique, celui-ci se
laissait facilement etudier sur le vif; sa vie mentale, ses reactions sur le
milieu echappaient moires difficilement au contrOle des sens et de la raison.
„Nous avons commence, disait en 1879 Edmond de Goncourt, par la
canaille, parce que la femme et l'homme du peuple, plus rapproches de
la nature et de la sauvagerie, sont des creatures simples et peu compliques".
Mais puisqu'on ne s'occupait pas de ces existences miserables, sans
etre emu ou revoke, un element moral ne devait pas tarder a s'ajouter
a ces peintures de la misere. Dans la preface de Germinie Lacerteux les
auteurs avaient déjàa, dit: „Aujourd'hui que le roman s'elargit et grandit,
qu'il commence a etre la forme serieuse, passionnee, vivante de l'etude
litteraire et de l'enquete sociale, qu'il devient, par l'analyse et par la
recherche psychologique, l'Histoire morale contemporaine; aujourd'hui
que le Roman s'est impose les etudes et les devoirs de la science, it peut en
revendiquer les libertes et les franchises". Et plus tard La File Elisa
serait, tres manifestement, une oeuvre de protestation contre la „penalite
du silence continu", ecrit, comme disait Edmond de Goncourt, dans le
méme sentiment de curiosite intellectuelle et de commiseration pour les
miseres humaines". „ Que mon livre, conclut-il, efit l'art de parler au
cceur et a remotion de nos legislateurs".
Apres les Goncourt, Zola viendrait consolider le genre, lui assignant,
168
avec L' Assommoir, une fine morale, point de vue qu'il a precise, comme
on sait, dans son Roman experimental 1).
Nous n'avons pas a examiner ici jusqu'a quel point Zola a reussi a
accomplir sa mission. D'ailleurs on ne saura jamais precisement l'effet
qu'ont produit ces epopees sociales sur les lecteurs. Il est certain que Zola
a ete passionnement lu, moins d'ailleurs pour les evocations grandioses
de la misere sociale que pour les peintures hardies des passions viles et
basses.
Toutefois ces tableaux de la misere humaine, evoquee dans toute son
odieuse horreur, n'ont pas laisse d'impressionner et de charmer vivement
un grand nombre d'ecrivains et meme des peintres 2). Si, apres 1885 environ, on voit eclore ici une litterature oil ne figurent que les types des
bas-fonds, ouvriers, paysans, ivrognes, mendiants, prostituees, nous
devons ces evocations de la decheance universelle aux truculentes peintures des Rougon-Macquart. Ces tableaux puissants des conditions
basses et revoltantes oil etait tombe le peuple a profondement emu les
jeunes auteurs d'alors. Le grand merite de Zola a ete d'avoir appris a
toute une generation d'artistes a voir, a etudier et a noter la realite
ambiante avec toute la rigueur impitoyable qu'il mettait a observer
autour de lui les faubourgs et la banlieue du Paris de ces fours. Des lors,
ses disciples se sont fait un devoir d'evoquer, sans respect aucun des
convenances, sans parti-pris d'embellir ni d'adoucir, l'ignoble crudite
des moeurs populaires. L'auteur n'est plus le predicateur choque par
les trivialites de ce monde, qui par son oeuvre „realiste" cherche a
eveiller la compassion de ses lecteurs, tout en faisant appel a leurs sentiments de generosite et de charite. Desormais ii se revele comme un revoke,
qui n'entrevoit la realisation de ses reves que dans le renversement
brutal du regime bourgeois. La haine de la bourgeoisie, les grandes
esperances qui furent eveillees, l'exemple des litthatures etrangeres ont
fait qu'on decrit la realite avec beaucoup plus d'audace. Des qu'on n'eut
plus a menager l'opinion du bourgeois, on abandonne toute reticence,
1) Le Roman experimental, ed. Charpentier, p. 24. (Cf. dans notre etude la citation
a la page 61). Lire aussi sa Lettre a la Jeunesse, op. cit., p. 81, 101. Voir aussi
Leon Deffoux, La Publication de L' Assommoir, Paris, ed. des Grands Evenements
litteraires, p. 136, et la these de F. Doucet, L'Esthetique d' Emile Zola et son application a la critique. La Haye, 1923.
2) Entre autres Vincent van Gogh; voir Paul Colin, Van Gogh. Paris, Rieder, p. 36.
„Et Zola, qu'il venait de decouvrir et lisait avec ferveur, reveillait en lui le besoin
de se devouer et de „servir".
169
toute hypocrisie. La vision de la realite y gagne en precision, en acuite;
le ton devient plus franc, plus dur, apre, injurieux quelquefois.
A l'instar du roman francais, les auteurs peuplent leurs recits d'especes
de brutes et d'etres avilis par de longues miseres, sans que semble avoir
preside, comme dans le roman --aturaliste, l'idee nettement preconcue
d'ëtudier l'individu comme le produit de son milieu, subissant d'une
fawn fatale et tragique l'influence de l'ambiance sociale. On se plait a
le presenter plutert comme la victime des circonstances de la vie, du
milieu oil it grandit que de le voir comme un etre aux prises avec des
forces qui cherchent a le cletruire et auxquelles it resiste en vain.
En s'orientant presque sans exception sur les idees et les tendances de
l'heure, les auteurs en sont arrives a prendre facilement comme archetype
de leurs recits l'etre degrade, abruti et vil qui peuple le roman naturaliste.
Nous voila donc mis en presence de l'invariable type de l'ouvrier ivrogne,
„fort en gueule", vivant dans un etat de misere qui le rend a peine conscient
de son abrutissement. L'impression qui se degage de cette litterature
est celle de la noire et affreuse misere oil tout finit par l'ecroulement
moral et social.
D'autre part le roman social de chez nous n'a pu, malgre ses nouvelles
pthentions d'ordre moral, se detacher des tendances esthetiques qui predominent en ce moment dans la litterature impressionniste. Malgre leur
mepris des doctrines de l'art pour l'art et de l'individualisme effr6ne des
Auteurs de 188o, ces romanciers ne se sont jamais entierement degages
de la prise de 1' „ecriture artiste" 1). Hartog, Heijermans se rattachent,
par leur fawn d'observer et de noter la realite, immediatement a Netscher, a Frans Coenen, a. Van Deyssel, de qui ils semblent avoir
herite la passion de dêpeindre un monde pittoresque et colore. Its se
revelent, avec les memes defauts et les memes qualites, des peintres
habiles, excellant a evoquer l'atmosphere po6tique et intime des coins
de la grande ville, des taudis pauvres, des interieurs miserables. Mais
aucun n'a su egaler Zola dans la creation de tableaux puissants, ou sont
peints les tragiques et sanglants conflits entre le proletariat et le capitalisme, aucun n'a su evoquer la fraternelle solidarite qui anime et exalte
les ouvriers dans leurs aspirations vers un ideal commun. Heijermans
seul, plus intimement engage dans la lutte sociale de l'heure, se montre
1) I1 va de soi que ces tendances varient d'un temperament a l'autre; chez Henri
Hartog, dans les romans de Heijermans s'affirment tres visiblement des pretentions artistiques, alors que chez Van Groeningen elles semblent etre d'ordre secondaire.
170
capable de comprendre et de saisir les sentiments qui agitent Fame des
masses, leur optimisme, leur revolte haineuse devant l'injustice sociale.
Lui s'ecarte du pessimisme naturaliste en creant le type qui, malgre sa
decadence, a foi dans un avenir meilleur, sur de conquerir le bonheur
auquel it pretend avoir droit. Pousse par son idealisme, it s'abstient de
depeindre, d'apres les conceptions deterministes, l'étre demoralise qui
echoue dans la misere. A l'homme „vaincu" it substitue le „conquerant",
l'etre triomphant qui aspire a se relever et vit grace a ses espoirs, conception par laquelle it se distingue nettement de ses contemporains. Seulement, en s'identifiant avec ce revoltê intelligent, conscient de son abaissement moral et social, a qui it fait propager les idêes et les opinions qui
lui sont cheres, l'auteur ne s'ecarte pas moins de la realite existante que
l'auteur naturaliste par son pessimisme preconcu et sa fawn particuliere
d'envisager l'univers. Ici, comme plus haut, au chapitre III, en etudiant
de plus pros les auteurs individuellement, on ne manquera pas de constater comment tout coin de nature a ete vu a travers un temperament
personnel, comment toute individualite impregne cette realite de sa vision
a lui, qui donne a l'oeuvre d'art sa marque et sa valeur particulieres.
AUGUST P. VAN GROENINGEN (1867-1894)
C'est a Rotterdam, vine commercante, sans charme, que Van Groeningen passa sa breve et douloureuse existence. Victime d'un mal incurable, oblige de pourvoir avec ses modestes appointements d'instituteur aux besoins de sa pauvre mere et de lui-meme, cet infortune a
physiquement et moralement souffert, plus peut-titre qu'aucun autre de
ses contemporains. Ame solitaire s'il en fut, ne connaissant point le
reconfortant appui d'une profonde et sincere amitie, it vecut dans la
solitude absolue 1), perdu dans son travail et dans ses reveries, a peine
connu et apprecie de ses confreres 2). Infiniment susceptible, irritable a
1) Il se developpait en dehors de tout contact avec les societes litteraires jusqu'a
ignorer, semble-t-il, l'existence du Nieuwe Gids; dans une lettre a Kloos en 1889
it se plaint de son isolement intellectuel. Voir l'article de H. Gerversman sur Van
Groeningen Een Bijdrage tot de genesis van „Tachtig" [Contribution a la genhse de
„Quatre-vingts"]. De Nieuwe Gids, 1925, II, p. 517.
2) Apres sa mort, seuls eurent pour lui un acte de generosite P. Tideman, editant
et prefacant son recueil de nouvelles Een Nest Menschen [Une niche'e d'hommes],
publie en 1895; M. den Hartog dans DeVolksonderwyzer [L'Instituteur] (janv. 1896),
I71
l'exces, naturellement incline au pessimisme, it souffrait moins encore
peut-titre de la misere sociale qu'il decouvrait autour de lui que du fait
de se savoir ignore et meconnu du grand public 1). Le sentiment de son
impuissance le jetait dans de mornes et brusques coleres, le deprimait
tel point que, dans ses moments de desespoir, allait jusqu'a. detruire ce
qu'il venait d'achever apres de longs et penibles efforts 2).
Ce sera son amitie avec Netscher qui lui vaudra, a sa vingtieme annee,
quelque renommee. Ii n'est pas invraisemblable que ce dernier lui ait conseille d'entrer en correspondance avec la redaction du Nieuwe Gids, le seul
organe a cette époque qui efit ete dispose a lui faciliter sa vie d'ecrivain.
C'est ainsi qu'en 1888 cette revue publia deux nouvelles de sa main
Kindervreugd [Joies enfantines] et Op de Bewaarschool [La Maternelle] 3)
et l'annee suivante, deux fragments de son roman Martha de Bruin qu'il
avait signes d'un pseudonyme, Willem van Oevere 4).
mais surtout Joh. de Meester qui lui a consacre une conference, prononcêe devant
un public d'instituteurs qui avaient a peine entendu parler de leur collegue, et dont
on trouve le compte-rendu dans Taal en Letteren [Langue et litarature], 1898,
p. 305 sqq., art. Aug.-P. van Groeningen en de epiek [Aug.-P. van Groeningen et
d'art e'pique], ou it voit en Van Groeningen le Zola de nos lettres. Voir aussi Joh.
de Meester, _lets over de literatuur dezer dagen [Propos sur la litterature de
ces jours], Bussum, C.-.A.- J. van Dishoeck, 1907 et le fres sympathique article de
H. Gerversman dans De Nieuwe Gids, 1925, II, p. 515 sqq., ou l'auteur se fait
un devoir de rehabiliter l'auteur de Martha de Bruin, oublie et meconnu.
1) Le fait qu'il trouva, perdu et declaigne, son dernier roman, peu de jours aprês
sa publication, dans la boite d'un bouquiniste, le fit affreusement souffrir, de meme
que ses vaines dêmarches pour decouvrir un editeur qui flit dispose a publier ses
nouvelles. A l'aide de la deuxieme lettre qu'adressait Van Groeningen a Kloos,
M. Gerversman a cherchê a faire l'analyse du caractere de Van Groeningen; nous
en resumons les traits essentiels: la violence de ses ambitions, son manque de
souplesse, la franchise avec laquelle it professait ses opinions; au fond un pessimiste
convaincu, mefiant, prét a tout critiques, retire en lui-meme avec un penchant
a la contemplation religieuse dont s'inspire sa demiere oeuvre. Voir p. 182 , note I.
2) Voir Gerversman, art. cit., p. 536, note 3, oil it cite de curieuses declarations a
ce point de vue de M. den Hartog dans De Volksonderwijzer (janv. 1896) et de
Frans Netscher dans De Hollandsche Revue (aoilt, 5896); le dernier nous raconte
entre autres comment V. Gr.,decourage, dechira en sa presence quelques esquisses,
„stir que vela ne valait pas grand'chose".
3) De Nieuwe Gids, 1888, II, p. 356 et p. 363 (fragments recueillis dans Een Nest
Menschen).
4) ibid., 1889, II, p. 254-285 (1 er et 2 e chapitre) et p. 352-392 (3e et 4e chapitre),
intitule Op den Naaiwinkel [A l'atelier de couture].
172
Kloos qui avait commence par louer son originalite et son audace a
rompre avec les traditions, ne tarda pas cependant a faire des objections
et a combattre des principes litteraires qu'il sentait peu convenir aux
siens. L'artiste de l'art pour l'art devait se sentir quelque peu desoriente
devant ces peintures impitoyables et nues d'une cruelle et sombre realite,
oil l'auteur n'avait eu d'autres pretentions que d'evoquer en toute sincerite, sans aucun raffinement artistique, la misere sociale. Aussi Van
Groeningen riposta-t-il vivement lorsque Kloos proposa de supprimer certains fragments de son roman. „Vous m'excuserez, j'espere, si je suis d'un
avis contraire. Je vous assure que je rends avec la plus grande sincerite
possible ce que j'observe. Si j'y manque, cela constitue un defaut dans
mon organisme. Aussi, des que je le constaterai moi-meme, c'en sera
fait de mon art" 1).
L'antithese qui se fait voir dans les conceptions d'art de l'un et de
l'autre, et qui n'etait au fond qu'une affaire de gout et d'appreciations
personnelles, ne manqua pas d'amener un malentendu et une brouille
entre les deux auteurs. Quelle douloureuse deception devaient causer a
Van Groeningen, d'abord la critique de Kloos de son roman Martha de
Bruin, ensuite la lettre 2) oti Kloos, en termes prudents, ii est vrai,
temoigne de son peu de confiance dans ses aspirations, lettre dont une
ame infiniment susceptible comme la sienne et qui supportait mal la meconnaissance de ses talents, devait se sentir cruellement blesse. „ Jusqu'ici,
ecrivait Kloos, je n'avais lu de vous que ces scenes epiques picturales,
mais voila que vous étes revenu encore avec vos eternelles analyses" 3).
Van Groeningen reagit vivement. Dans le quotidien De Amsterdammer
du II mars 1890 4) i1 publia un article violent, une sorte de defense at&
rake, evidemment inspire par un sentiment d'orgueil blesse, oil it dit
tout haut sa foi dans l'avenir de son art qu'il oppose a la „tendance
1) Art. de Gerversman, De Nieuwe Gids, 1925, II, p. 526. „U zal me niet kwalijk
nemen, hoop ik, als ik hierin met U verschil. Ik geef op mijn woord zoo eerlijk
mogelijk terug, wat ik waarneem. Faal ik daarin, dan wijst dit op een gebrek in
mijn organisme. Zoodra ik dat dan ook zeif zal inzien, is het met mijn kunst gedaan".
2) ibid., p. 533.
3) ibid., p. 533. „Ik had tot dusverre niets anders van U gelezen, dan die aanschouwelijke epische tafereelen, en nu kwaamt gij in eens weer met die eeuwige
analyse".
4) De Amsterdammer (Dagblad voor Nederland) du 11 mars 189o, p. 3, article
intitule Anti-kritiek, zelf-kritiek en nog iets. Naar aanleiding van een kritiek in den
Nieuwen Gids over Martha de Bruin [Anti-critique, auto-critique et autre chose.
A propos d'une critique dans le Nouveau Guide sur Martha de Bruin].
173
actuelle". „Autant qu'on puisse dire d'un auteur qu'il peut choisir sa
matiere, consciemment, c'est mon cas, parce que je ne saurais ni ne voudrais travailler, etant „nerveux" comme on dit. Moi, je ne vise qu'a
dominer la matikre et je sais que j'y parviendrai. La nevrose ne sera
pas ma muse" 1).
Son etat de sante qui ne faisait que s'aggraver et donner chaque jour
de plus grands soucis, ses nombreuses deceptions expliquent en grande
partie son echec. A propos de son article dans De Amsterdammer ii eut
une correspondance avec Kloos qui, a cause de certains malentendus, lui
ecrivit une lettre assez malveillante 2), ce qui, au dire de M. Gerversman,
le frappa mortellement dans sa nervosite maladive et contribua peutetre a hater sa fin. „Il n'en pouvait plus, l'artiste etait mort, l'homme
suivrait bientOt" 3). Las de lutter, il ne tarda pas a cesser tout travail,
convaincu que toute lutte serait vaine, que les forces morales et physiques
lui manquaient pour finir la belle et noble tache qu'il concut un jour.
Ainsi il mourut en 1894, a l'age de vingt-sept ans déjà, oublie, a peine
connu, pleure uniquement de sa pauvre mere qui seule l' await su souffrir 4).
La fawn insuffisante dont nous sommes renseignes sur sa formation
intellectuelle et artistique ne permet que de deviner comment Van
Groeningen a pu reagir aux problemes littêraires de cette heure, quelles
ont ete ses preferences, details si importants pour nous afin de determiner
les orientations de sa pensee. Par bonheur, sa correspondance, mais
surtout son oeuvre, oil il a mal dissimule ses souffrances, ses luttes et
ses aspirations, nous fournit a cet egard des indices tout a fait precieux.
1) art. cit., „Voor zoover men van een kunstenaar kan zeggen dat hij zijn stof
kan kiezen, zelfbewust, is dat bij mij het geval, omdat ik niet kan, en niet wil
werken als ik wat-men-noemt zenuwachtig ben. Mijn streven is: over de stof to
heerschen — en ik weet dat me dat gelukken zal. De nevrose zal mijn muse niet zijn".
2) Notammant la fin, oil Kloos dit: „Oui, Monsieur Van Groeningen, une large
partie de la societe vous est rest& inconnue. Et de meme que votre Henri de
Graaf n'a rien du gentleman qu'il doit representer et n'est qu'un ouvrier vétu d'un
complet de confection qui se vante pedantesquement de ses bribes de savoir scolaire, vous ne sauriez comprendre les motifs et les sentiments du Nieuwe Gids"
(Ja, mijnheer Van Groeningen, een groot deel der maatschappij is U onbekend
gebleven. En evenals uw Henri de Graaf geen grein heeft van den gentleman, dien
hij moet voorstellen, maar een werkman is in een heerenpakje, die tevens pedant
blagueert met een beetje schoolkennis, evenmin kunt gij de sentimenten en de
beweegredenen van de Nieuwe Gids begrijpen).
3) Gerversman, art. cit., De Nieuwe Gids, 1925, II, p. 542. „Hij kon niet meer . . . .
De kunstenaar was dood . . . . de mensch zou weldra volgen".
4) ibid., p. 545.
174
En general on peut dire que les circonstances de sa vie, le milieu oil
ii grandit, la lutte sociale, qui aux annees oil ii debutait ne faisait que
s'accuser, ont forme l'ecrivain. Son ceuvre, ii la dedia aux pauvres, aux
humilies, aux desherites avec qui ii avait souffert, a „ce grand amas de
misere qui n'a pas de nom, qui s'appelle le peuple" 1). Dans une lettre
a Frank van der Goes it a temoigne de sa souffrance morale et sociale.
„Tout ce que je sais, c'est que le peuple souffre, souffre beaucoup — et
vous pourrez vous imaginer ce que j'ai ressenti. Je ne rougis point de
vous avouer que j'ai parfois pleure et jure. Le pauvre peuple, dont j'ai
connu et souffert egalement les souffrances" 2). Nul auteur n'etait plus
capable que lui peut-titre d'evoquer la misere du peuple d'oil it êtait issu
et auquel ii se sentait rattache par tous les liens du sang et de la chair 3).
Les principes litteraires que defendaient et propageaient avec zele les
Auteurs de 188o, leur recherche d'une forme achevee, d'une expression
essentiellement individuelle, ne semblent guere l'avoir preoccupe. Nulle
part it ne se montre partisan de leurs doctrines litteraires, ignorant
jusqu'a un moment donne leurs aspirations artistiques, et s'y montrant
assez refractaire des qu'il les connait 4). Sa langue, nullement etudiee,
prend par sa sobriete naturelle une force rare, qui eclaire pathetiquement
la realit6 des pauvres et indignes existences qu'il s'attache a depeindre.
Sa premiere esquisse Een straat en eene gang [Une rue et une impasse]
parut dans le Zondagsblad der Gemeente Rotterdam [Edition du dimanche
de la Commune de Rotterdam] des II et 18 juin 1887. C'est le recit d'un
realisme déjà tres hardi, oil it evoque la morne desolation d'une rue,
enveloppee de brouillard, un jour de fête nationale. L'atmosphere triste
1) ibid., p. 546. „Voor dien grooten naamloozen hoop ellende, die yolk heet", cite
dans son deuxiême roman inachevê Henri de Graaff.
2) ibid., p. 546. „Alles wat ik weet is: dat 't yolk lijdt, veel lijdt — en ge zult u
kunnen voorstellen wat 'k gevoeld heb. Ik schaam me niet to erkennen dat 'k soms
geweend en gevloekt heb. Het arme yolk, wiens lijden ik ook geleden, wiens leed
ik ook gekend heb . . . ."
3) A ce point de vue it se rapproche de Henri Hartog (voir p. 183), mort egalement
jeune et qui a grandi comme lui dans les milieux pauvres. Contrairement a, plusieurs
de leurs contemporains, que leur naissance ou leur profession a tenus eloignes des
duretes du sort, ces jeunes gens ont beaucoup souffert, ce qui n'a pas laisse d'influer
fortement sur leur caractere et leur art.
4) Cf. son article dans De Amsterdammer du II mars 189o; „Il m'est impossible de
me conformer a aucun dogme. Que mon ceuvre soit naturaliste ou non, qu'elle
soit rêaliste ou non, ca, m'est egal. En art on fait ce qu'on veut" (Ik kan me aan
geen enkel dogma houden. Of mijn werk al of niet naturalistisch, al of niet realistisch is, kan me geen steek schelen. In de kunst doet men nu eenmaal wat men wil).
175
et grise d'un jour d'automne y est merveilleusement rendue; chaque
detail frappe par sa precision; rien ne semble avoir echappe a l'acuite
de son regard. „ je reponds du caractere objectif du tableau, disait-il,
autant qu'un observateur consciencieux peut repondre de l'exactitude
de son observation", phrase curieuse qui rappelle un peu „un coin de
nature, vu a travers un temperament".
C'est surtout dans ses nouvelles, recueillies sous le titre Een Nest Menschen [Une nichee d' hommes] que se revelent son talent d'ecrire, son don
de l'observation exacte, mais surtout sa sensibilite, son humanisme.
Voici, dans Besmetteltjke Ziekte [La maladie contagieuse], une scene emouvante avec un pere qui voit agoniser son enfant, maudit par sa mere parce
que la maladie contagieuse qu'il a gagnee, chassera les clients de sa
boutique. „Il laissait jurer et vocif6rer sa femme, bouchait soigneusement
toutes les fentes; toute la journee it restait dam la cuisine pour faire des
cotrets a allumer le poele et s'il regardait les yeux creux et vitreux, fixes
sur ses mains toujours occupees, alors l'espoir et la peur se livraient
combat dans son esprit abeti. Il ne se permettait aucun repos et prenait
une mauvaise mine. Eveille ii revait, assis sur une chaise, au chevet du
lit, et disant d'une voix mouillee de larmes qu'il avait peine a retenir:
„Mon pauvre gosse cheri". L'enfant, ne pouvant plus parler, lui caressait
alors la figure et les mains" 3). Ce qui frappe dans un pareil fragment,
c'est qu'on n'y decouvre aucunement la tendance a peindre, par des
procedes familiers aux Auteurs de 188o, le milieu pauvre ou gisait et
souffrait le petit enfant. Cette absence de tout raffinement esthetique,
largement compensee par son „humanite", le distingue de plusieurs
de ses contemporains. Avec quelle retenue dans la description evoquet-ii l'etat pitoyable du petit enfant malade. „On coucha l'enfant dans la
cuisine. Un vieux matelas pourri pose sur trois chaises, quelques vete1) Gerversman, art. cit., p. 518, 519. „Voor het objectieve der schilderij sta ik in,
voor zoover een waarnemer voor de juistheid zijner waarneming kan instaan".
2) Aug.-P. van Groeningen, Een Nest Menschen, &lite par P. Tideman. Amsterdam,
S.-L. van Looy, 1895.
3) Een Nest Menschen, p. 83. „Hij liet zijn vrouw razen en schelden en stopte alle
tochtreten zorgvuldig dicht. Den heelen dag zat hij in het keukentje bosjes kachelhout te maken en als hij naar de holle glazige oogjes zag, op z'n bezige handen
gericht, dan kampten hoop en vrees in z'n versuft brein. Hij gunde zich geen rust
en begon er ellendig uit te zien. Wakende droomde hij, op een stoel voor het bedje
gezeten en met een stem, nat van ingehouden tranen zeggend: „Mijn lief klein
arm ventje". Het kind, dat niet meer kon praten, streelde hem dan het gelaat
en aaide zijn handen".
176
ments pour lui servir d'oreiller, une mince couverture, pleine de trous
et usee jusqu'a la corde. La., agitant nerveusement ses petites mains,
tremblant de fievre, ii regardait fixement l'etroite bande de ciel gris
au-dessus du mur monotone" 1).
Quelle rude et touchante sincerite aussi dans l'esquisse Haagsche Leen
[Madelon de La Haye], oil it evoque dans une peinture d'un realisme cru
le caractere fruste et revolte du peuple avec ses joies et ses haines feroces,
sa grossierete repugnante. Tous ces recits que rend vivants une profonde
sympathie pour la souffrance humaine, ne laissent pas d'emouvoir par
tout ce qu'il y a de sobre, de resserre, de naturel enfin dans la peinture,
qualites qui attestaient chez ce jeune homme d'a peine vingt ans un
talent remarquable qui promettait beaucoup 2).
D'oii vient, se demandera-t-on, que Van Groeningen, &eve en dehors
de tout contact avec les cenacles litteraires, ait pu donner dans ce realisme cru, d'une franchise implacable tres souvent, qui ne trouvait son
pareil que dans le roman francais de ces jours? Quels furent ses auteurs
favoris? Nous l'ignorons. Il n'est pas invraisemblable que Dickens, Hugo,
Eugene Sue, qu'il a tres probablement lus, l'aient attire par leurs tendances humanitaires. Mais it n'est aucunement certain qu'il ait connu
Zola au moment oil it commencait a ecrire, et que ce soit lui qui lui ait
suggere de suivre la voie oil ii s'engageait. Avant l'apparition de son
roman Martha de Bruin, qui est de 1889, nous ne possedons de l'auteur
1) ibid., p. 81. „Het kind wend in de keuken gelegd. Een oud, verrot matrasje op
Brie stoelen, een paar kleedingstukken voor hoofdkussen, een dun dekentje vol
gaten en tot den naad toe versleten. Daar lag het te turen, de handjes zenuwachtig
bewegende, schuddend van de koorts, naar het smalle streepje grauwe lucht boven
den eentonigen muur".
2) Evidemment la critique contemporaine condamna unanimement les passages
on Van Groeningen se montre trop audacieux dans ses peintures realistes. J.-N.
van Hall lui refuse tout merite dans ses descriptions realistes, le disant „vulgaire,
choquant, degontant, bas" (plat, aanstootelijk, smakeloos, gemeen, De Gids, 189o,
I, p. 172). Van Nouhuys dans Letterkundige Opstellen, p. 56, le compare a une
servante en train de nettoyer le ruisseau devant la maison (een dienstmeid bezig
de goot voor het huis uit te dweilen). En revanche M e van Loghem, qui condamne
le roman dans la revue Nederland, se montre plein d'eloges et d'encouragements
dans une lettre qu'il lui adresse personnellement (voir l'article de Gerversman, De
Nieuwe Gids, 1925, II, p. 53o, 531). Aucun 6diteur n'eut le courage de publier ses
nouvelles; un editeur a La Haye lui avoue franchement que le realisme dans la
description y formait un obstacle; Nieuwenhuis, rêdacteur du Radicaal Weekblad
[Hebdomadaire radical] lui recommanda, pour avoir un succes, de ne pas dire les
choses par leur nom, d'être „à demi vrai"; voir art. cit., p. 528.
'77
aucun temoignage sur ses predilections litteraires, aucune marque de
sympathie a l'egard des auteurs naturalistes. Tout ce qu'on sait de lui,
c'est qu'en 1889 ii lisait La Terre dans la traduction et que la meme annee
it se mettait a 6tudier le francais sous la direction d'un instituteur de
ses amis. Aussi les tendances realistes telles qu'elles se manifestent dans
ces r6cits, n'ont pas besoin d'6tre expliquêes par des influences plus ou
moins directes du mouvement litteraire qui rëgnait en France. Rien dans
ces nouvelles ne revele que l'auteur ait voulu se conformer aux pr6ceptes
et aux procedes litteraires chers aux naturalistes francais. Son realisme
s'explique tout naturellement, nous semble-t-il, par la fougue de son
temperament, par un besoin imperieux de mettre son coeur a nu, par sa
passion de verite et de sincerite. Il n'avait pas besoin d'avoir lu Zola
pour ecrire ces emouvantes petites esquisses, si vraies, si humaines, dont
it trouva aisement l' inspiration dans son moi intime. Neanmoins le fait
reste assez remarquable qu'un si jeune artiste, sans relations litteraires
proprement dites, sans connaitre les chefs-d'ceuvre naturalistes, ait si
heureusement traduit les tendances qui, en ce moment, etaient dans l'air.
Dans son roman 2), qu'il finit vers la fin de 1889, it n'y a pas non plus,
ni dans la conception des caracteres ni dans les procedes artistiques,
d'indices qui prouvent que l'auteur se serait familiarise avec les tendances
qui, depuis longtemps déjà, se faisaient valoir dans la litterature francaise. L'invention de sa Martha de Bruin est tout originale et ne rëvele
aucun emprunt. C'est le drame intime d'une jeune femme, devote, timide
qui s'eprend d'un jeune homme egoiste, Henri de Graaff, type atteint
d'hypocondrie, qui la fait cruellement souffrir par ses propos cyniques
sur la vie et la religion. L'enfant, ne de cette liaison, „l'enfant du peche",
sera frappe de la foudre, accident oil Marthe voit la main d'un Dieu
vengeur. Malgre les mauvais traitements qu'elle aura a endurer de la
part de son amant, elle continue a l'aimer d'un amour fort et sincere
jusqu'a ce que, ecrasee par sa miserable existence, elle se donne la mort,
et laisse Henri livre au remords et au desespoir.
Ce n'est pas le lieu ici de nous etendre sur les details. Le roman, pris
dans son ensemble, renferme maint passage qui temoigne d'un talent
original et robuste. Toutefois il presente, malgre ses qualites, de trop
1) Cf. son article dans De Amsterdammer, „C'est la premiere et la derniere fois
que j'ai plaide ma cause" (Dit is de eerste en laatste keer, dat ik voor mijzelf heb
gesproken).
2) Aug.-P. van Groeningen, Martha de Bruin. Amsterdam, A. ROssing, 1890 (avec
preface de P. Tideman).
12
178
graves clefauts de style et surtout de composition pour qu'on puisse
qualifier Van Groeningen d'un grand ecrivain. Ce qu'il faut blamer, c'est
que ce roman, qui par sa donnee meme pretend etre l'analyse objective d'un
conflit passionnel, soit devenu, en partie, une autobiographie. L'auteur,
visiblement preoccupe des avatars de son moi intime, se peint, malgre
lui, dans le portrait du sombre hypocondriaque Henri de Graaff, en qui
il n'est pas difficile de reconnaitre Van Groeningen lui-méme. S'identifiant
avec son heros, le dressant devant nous, assailli par les nombreuses
questions auxquelles son esprit tourmente s'efforce en vain de trouver
une reponse, il nous fait participer, malgre nous, a ce qu'on saurait
nommer sa crise intellectuelle. Ainsi il le fait, a un moment donne,
s'etendre sur les grands problemes philosophiques qui a cette heure
agitent le monde. Sous ce rapport il est tout a fait curieux de relever un
fragment 1), intercale en quelque sorte dans le roman, oil Henri de Graaff
(c.-h-d. Van Groeningen) s'enthousiasme pour les problemes scientifiques
qu'avait souleves Zola dans sa preface de la Fortune des Rougon, notamment ceux du milieu et de l'heredite. Voici comment la lecture des
fameuses idees qui servaient de base a la puissante creation des RougonMacquart exaltaient cet esprit, qui s'echauffait si facilement aux vastes
et originales conceptions. „A l'age de vingt ans il (Henri) avait lu la
preface de la Fortune des Rougons (sic); quelques lignes, autant d'etincelles
dans la poudriere de son imagination exaltee, suffirent a exciter son
enthousiasme, des phrases telles que: „L'heredite a ses lois comme la
pesanteur" et „ Je tacherai de resoudre le double probleme des temperaments et du milieu" 2).
Des lors, le probleme des milieux et de l'heredite ne cessa de preoccuper
son esprit jusqu'a, determiner la conduite d'Henri, pour qui sa toute
1) Martha de Bruin, p. 194 sqq. A l'exception de l'article public dans De Amsterdammer et de quelques extraits de ses lettres, il n'y a rien au fond que ce fragment
qui nous renseigne sur ses interets intellectuels, ses lectures favorites, sur l'orientation de sa pens& en general.
2) ibid., p. 195. Toen, twintig jaar, had hij gelezen de voorrede van „La fortune
des Rougons", dat pas uitkwam en enkele regels daarin brachten hem in geestdrift, vonken in het kruithuis van zijn gevoelsleven. „De erfelijkheid heeft haar
wetten, als de zwaartekracht". — „Ik zal trachten op to lossen het dubbele vraagstuk van de temperamenten en de omgeving", enz. Il y a dans le texte original
de la preface de la Fortune des Rougons: „ Je tacherai de trouver et de suivre, en
resolvant la double question des temperaments et des milieux, le fil qui conduit
mathematiquement d'un homme a un autre homme", phrase que Van Groeningen
interprête donc assez librement.
179
proche parent& sa maitresse, son enfant, deviendront des objets d'etude
et d'experimentation. Partout it cherchait a decouvrir des lois generales,
„experimentant au petit bonheur dans l'hërëdite, avec ses raisonnements
sur le milieu oil elle (Martha) avait grandi, se souvenant aussi de son
pere qui, pendant de longues annees, s'etait occupe a ecrire une histoire
de la civilisation, s'attachant a expliquer le caractere des peuples par
leur milieu. Lui, Henri, desirait vivement decouvrir des lois mathematiques, ainsi par exemple calculer la resultante, etant donne tel temperament, tels facteurs" 1). C'est ainsi qu'il se proposait d'analyser et d'expliquer l'instinct primitif des Germains d'apres leurs grandes epopees:
Le Nevelingenlied [Le chant du Nibelung] et Le Saksenspiegel 2).
Un instant, it s'eprend de Taine, mettant sa methode „essentiellement
latine" au-dessus de la methode „germanique", croyant trouver par
l'analyse prudente et minutieuse la solution des grands problemes de
l'humanite et de l'esprit. „Pour deduire des lois, it faut avancer sans
precipitation; observer, observer toujours, amasser des faits et des faits,
puis progresser avec precaution" 3). Grace a la theorie dêterministe
croit avoir trouve la clef des grands problemes de la vie, puis hesitant,
sceptique, it se demande „si les avantages de l'analyse ne sont pas plutOt
de l'apparence que de la realite" 4). Il n'a plus confiance dans les philosophes qui „comme une poule hypnotisee qui se tient debout sur une
raie tiree a la craie blanche, regardant fixement l'enchainement de la
cause et de l'effet inextricablement embrouille comme le nceud gordien" 5).
1) ibid., p. 194. „Voor Henri was ze een studie-voorwerp waarop hij waarnemingen
deed, die hij onder een regel trachtte te brengen, kwakzalverende in herediteit,
met zijn redeneeringen van de omgeving waarin ze was grootgebracht, zooals
zijn vader lange jaren bezig was geweest een cultuurgeschiedenis te schrijven,
waarin het typische der volkeren verklaard werd uit hun milieu. Hij, Henri, begeerde hevig een wiskunstigen regel te vinden, b.v. zoo: gegeven dat temperament,
die en die factoren, bereken de uitkomst".
2) De Saksenspiegel, en all. Spiegel der Sachsen [Miroir des Saxons] (+ 1230),
recueil de manuscrits en bas-allemand ou moyen-allemand, ou l'auteur, un certain
Eike von Repkow (Repkaue), a voulu donner un exposé fidele des lois telles que
la tradition les avait etablies dans les pays saxons.
3) Martha de Bruin, p. 204. „Waarnemen, waarnemen, nog eens waarnemen.
Feiten verzamelen, altijd maar feiten en dan langzaam vooruit, niet alles op eens,
de echt-Latijnsche methode volgens Taine, veel beter dan de Germaansche".
4) ibid., p. 204. „Och, de analise-voordeelen ook al meer schijn dan werkelijkheid".
5) ibid., „Als een gehypnotiseerde kip op 'n krijtstreep staan ze te turen naar de
geheimzinnige eindlooze gordiaansch-knooping-in-mekaar-verward-geschakelde keten van oorzaak en gevolg".
18o
Henri se passionne pour des doctrines, sauf des dogmes theologiques 1); it aspire, comme son pere, a entreprendre des oeuvres grandioses,
a creer „un drame faustien, universel, symbole de l'histoire humaine,
au denouement schopenhauerien, d'un noir term" 2), ou bien a „ecrire
un traite sur la philosophie de l'histoire a la Buckle, mort jeune, helas !
comme cela arrive a ceux dont la vie est precieuse pour la science"3).
Comme son heros Van Groeningen connut les heures des grands transports,
fertiles en projets chim6riques. Ainsi ii connut le puissant dessein de creer
une espece de legende des siecles, un cycle de romans en dix volumes qui
devait s'intituler Van alle Tijden [De toutes les Epoques] et qui pretendait
etre „la transmission, la transposition de l'histoire humaine dans l'espace
des siecles". „Dans mon plan, dit-il, it y aura quatre volumes (apres le
quatrieme) qui peindront les souffrances du peuple. Quand le monde
aura retrouve le calme du repos, je vais retracer, sans aucune reserve,
la vie du peuple" 4).
Aux enthousiasmes frenetiques, aux ambitions fougueuses succedaient
infailliblement les heures de desespoir oil l'envahissait l'obsession de son
1) ibid., p. 195. „Hield van dogma's, behalve theologische".
2) ibid., p. 198. „Een groot drama, een Faust-drama, alles-in-een, een drama,
symbool van de menschengeschiedenis, met een schopenhauer-stemmingseinde,
dof zwart".
3) ibid., p. 232. „Hij was bezig aan een grootsch werk: een tractaat, een essai over
de theorie der geschiedenis, zooals Buckle eenigszins gedaan heeft . . . . Want
zoo ging het altijd, menschen wier leven kostbaar is voor de wetenschap, sterven
jong".
4) art. cit., De Amsterdammer, 11 mars 1890. „ Van alle Tijden, een groot geheel,
waarvoor ik ± 10 boeken noodig zal hebben, moet worden de verklanking en verbeelding der menschen-geschiedenis in het ruim der eeuwen. In mijn plan komen
4 deelen voor (na het vierde], die het volkslijden zullen behandelen. Over eenige
jaren hoop ik daaraan to beginnen. Als de natie tot rust zal zijn gekomen, dan zal
ik geven, zonder terughouding, het leven van le peuple . . . ." (sic). Il est difficile de
dire oil Van Gr. aurait trouve l'inspiration de son audacieuse conception; on ne
peut, a ce sujet, que former des hypotheses. Johan de Meester, dans son article
Aug.-P. van Groeningen en de Epiek [Aug.-P. van Groeningen et l' art e'pique], Taal en
Letteren, 1898, p. 318 sqq. signale l'analogie de son dessein avec celui que concut
Sandoz (dans L'Euvre) egalement preoccupe „de besognes geantes", nourrissant
„le projet d'une genêse de l'Univers en trois phases: la creation, retablie d'apres
la science, l'histoire de l'humanite, arrivant a son heure jouer son role dans la chaine
des etres, l'avenir, les etres se succedant toujours". Mais Hugo, Leconte de Lisle,
meme Coppee eurent des conceptions analogues. Et peindre la vie et la souffrance
du peuple, n'aurait-ce pas pu lui etre suggere par la preface des RougonMacquart, qu'il avait lue et etudiee?
181
impuissance, qui le deprimait infiniment. Alors it etait pris d'une haine
sourde contre le sort, contre les bourgeois et les conventions qu'il traitait
avec un profond mepris. Par la it tenait de Multatuli, en qui ii
s'est, plus d'une fois, reconnu. „Dans la figure de Schmoel du Kruissprook [Re'cit de la Crucifixion] ii applaudissait son „anti-ideaal"
(la contre-epreuve de son ideal), la personnification de la detestable
bourgeoisie, a la figure d'un jaune terne, provenant d'une maladie du
foie, a la peau ridee comme du vieux parchemin, l'incarnation de toutes
les qualites qui lui 6taient on ne peut plus antipathiques, la soif de
gagner de l'argent qui allait jusqu'a l'idolatrie" 1). Le &gait du monde,
le mepris du bourgeois et de son prochain, it le resuma dans ce cri final
de haine feroce, dont l'atroce sincerite rappelle les accents pathetiques
de Multatuli et de Van Deyssel. „Notre peuple pourri, un troupeau
d'antiduliviens, oublie par l'histoire dans leur trou perdu; des fossiles
vivants, des incarnations de toutes sortes de meprisables vertus traditionnellement hollandaises, des crachoirs pleins de crachats de l'ecceurante muflerie decente de la bourgeoisie hollandaise". Ainsi it s'ingêniait
a trouver toutes sortes de mots oil it retrempait sa haine et sa rancune,
sa haine morte, lente, sa rancune sournoise" 2). Les lambeaux qu'il nous
a laisses de son second roman 3), viennent encore accentuer ce qu'il y
1) Martha de Bruin, p. 204 et p. 196. „In Schmoel uit den Kruissprook van Multatuli herkende hij juichend zijn on-ideaal, dat was de verpersoonlijkte hatelijke
bourgeoisie, de incarnatie van de allerlei hem-aller-antipathiekste eigenschappen,
de tot wan-god-gebeelde geldverdienerij, vaal geel, leverziekteachtig geel, met
rimpels en perkamenthuid". Dans la figure centrale Henri de Graaff, l'incarnation
du „demi-genie", on peut reconnaitre Multatuli, comme lui-meme. Il en suggere ridee dans Particle cite ,du Amsterdammer. „Puis le livre entame l'explication
de revolution et de la nature du demi-genie; pour etudier ce phenomene je n'avais
pas besoin d'aller chercher loin; on le trouve dans Bilderdijk, Multatuli, qui ne
different pas au fond, bien que cela semble paradoxal. C'est, malgre le desir, l'impuissance a traduire repoque contemporaine" (Verder maakte het boek een begin
met de ontwikkeling, verklaring, van 't wezen van het half-genie; ter bestudeering
van dit levensverschijnsel hoefde 'k niet ver van huis te gaan. Men vindt 't in
Bilderdijk, Multatuli, die eigenlijk niet verschillen, al lijkt dit een paradox. Het
is: een-willen-maar-niet-kunnen-uiten-van-den-ermee-gelijktijdigen-tij d) .
2) ibid., p. 250. „Ons heel bedorven yolk, een troep antidiluviane, door de geschiedenis in haar achter-afje vergeten; levende fossielen, incarnaties van allerlei
hatelijke oudhollandse deugden, kwispedoors vol spoegsel van walgelijke hollandschburgermans-fatsoen-ploertigheid. Allerlei woorden zat hij te verzinnen om zijn
haat en zijn wrok in te gieten, doode trage haat, geniepige wrok".
3) Son second roman Henri de Graaff aurait ete l'analyse de l'hypocondriaque se
repliant sur lui-meme, s'adonnant a de sombres speculations sur la vie et la mort,
la maladie et la misere, voir Gerversman, art. cit., p. 546.
182
a d'amer et de desesperê dans ces paroles, ou il vomissait sa bile contre
une societe hostile qu'il maudissait.
Vers la fin de sa vie, on le voit se revolter de plus en plus contre un
monde qui se refuse a le comprendre et finit par l'etouffer. Il n'est pas
difficile de decouvrir dans l'amertume irritee de ses paroles, dans les
brusques et maladroites sorties de colere, les cruelles deceptions d'un
idealiste qui avait nourri trop d'espoirs. L'amour du prochain qui lui
inspira ses premieres nouvelles, a insensiblement fait place a un sentiment
plus acre, au cynisme, a une haine recuite. Aussi son oeuvre, a tous
6gards l'echo fidele de cette existence nerveusement agitee, laisse-t-elle
a la fin l'impression d'une creation d'un esprit desequilibre, concevant
les projets les plus fantastiques que lui suggeraient ses lectures hatives
et desordonnees et qui par la portaient en eux les germes de l'avortement.
Si, a un moment donne, il se passionnait pour Zola, ce n'etait point
pour des motifs d'ordre litteraire ni artistique qu'il se sentait attire vers
lui. C'etait son amour des systemes, des vastes conceptions originales qui
expliquait l'enthousiasme que ce jeune exalte professait pour l'auteur
des Rougon-Macquart et qui lui faisaient etudier avec une méme ardeur
les doctrines de Taine, de l'historien anglais Buckle et de tant d'autres,
enthousiasme qui fut peut-titre aussi spontane que passager 1).
Neanmoins ce jeune auteur a ete, a Bien des egards, un precurseur,
captant comme par intuition les tendances qui etaient „dans Pair". En
plein triomphe de l'impressionnisme il attaque de front les conceptions
esthetiques des Auteurs de 188o, devancant par la les critiques violentes
de Herman Gorter et d'Adama van Scheltema. Par la hardiesse de ses
peintures, ainsi que par son socialisme humanitaire il annonca les tendances de tout a l'heure; il fut le premier chez nous qui, sous l'influence
de Zola probablement, concut, avant les Heijermans ou les Querido, le
dessein d'evoquer dans une vaste epopee la souffrance et la misere du
peuple, epop6e que sa mort prematuree l'a empéche, helas, d'achever.
1) Vers la fin de sa vie Van Groeningen a des aspirations mystiques. Etait-ce un
besoin de fuir la realite ? Il ecrira une adaptation de l' Imitation et quelques fragments d'une Jeanne d' Arc. qui ne seront pas edites; voir la-dessus Gerversman,
art. cit., p. 547 sqq.; les principales sources qu'il consultait pour cette oeuvre,
etaient des historiens allemands: F.-C. Schlosser, Georg Weber et surtout K.-F.
Becker (1777-1806), Weltgeschichte far Kinder and Kinderlehrer. C'est dire que
tout ce qui etait une source vraiment scientifique aurait ete etranger a sa publication.
183
HENRI HARTOG (1870-1904)
Henri Hartog, qui fut instituteur a Schiedam, est mort jeune, apres une
breve existence malheureuse, ou it a connu, comme son collegue rotterdamois Van Groeningen, la gene materielle, qui le rendit sensible a la detresse
sociale. „ J'ai vu, dit-il, beaucoup de misere; personnellement j'ai eprouvê,
sous sa forme aigue et destructrice, la misere du proletariat" 1).
Il a violemment attaque les Auteurs de 188o qui ne faisaient que
choyer et dorloter leurs douleurs et petits chagrins, ces „victimes de leur
moi tourmente, aux sensations maladives, perverses, si peu importantes
en comparaison de la misere infiniment plus grande du proletariat sous
la domination du capitalisme" 2). I1 leur en veut de manquer d'altruisme,
reproche qu'il adresse egalement „aux peintres et aux illustrateurs que
ne semblent jamais avoir emus les grandes existences douloureuses du
peuple, qui avaient frappe en France les Steinlen, les Willette, les Ibels" 3).
Mais s'il blame en eux le manque d'humanite, it admire fort les auteurs
Kloos, Van Deyssel, Aletrino, Van Looy, Gorter, Perk, appreciant en
eux qu'ils ont 6te les premiers a „creel- une langue vivante", d'avoir
appris a toute une generation de jeunes auteurs a voir, a observer avec
plus de precision. „Oh, les larmes nous en viennent parfois aux yeux,
quand nous nous rappelons cette époque; comment, avec la critique
emancipatrice de Multatuli et de Huet, ces sons penetraient jusqu'a
nous, dans la solitude et les inquietudes de notre jeunesse de pauvre,
alors que nous venions de nous liberer de la tyrannie des maudits cuistres
qui avaient tue notre esprit et notre ame" 4).
1) De Jonge Gids [Le Jeune Guide], 1 ere annee (1897), p. 5 42. „Ik heb zelf veel
leed gezien, zelf de beroerdheid van het proletarier-zijn in zeer acuten en vernietigenden vorm ondergaan". Hartog avait demeure pendant quinze ans dans
une cite ouvriere a Schiedam.
2) ibid., p. 641. „Die hun smarten en smartjes vertroetelen, zelfkwellers, met
onbeduidende ziekelijke, perverse sensaties, vergeleken bij de oneindig veel grootere
ellende van het proletariaat onder de overheersching van het kapitalisme".
3) ibid., p. 543. „Niet alleen de schrijvers, ook de schilders en illustrators missen
het altruistisch element. Hen heeft nooit het groote en monumentale lijdensleven
van het yolk bewogen, gelijk het in Frankrijk Steinlen, Willette, Ibels en anderen
heeft getroffen".
4) H. Hartog, Een eigenwijs schriffster [Un femme auteur plein de prisomption]
(broch.). Rotterdam, W.-L. Brusse, 1903, p. 9. „0-, wij kunnen er nog bijwijlen de
tranen van in de oogen krijgen, als wij denken aan dien tijd, hoe tegelijk met de
bevrijdende critiek van Multatuli en Huet dit geluid tot ons doordrong, in de eenzaamheid en bangelijkheid van onze arme jeugd, toen wij net aan de tirannie van
vervloekte en geest- en zielvermoordende schoolvossen ontkomen waren".
184
Aussi Hartog n'est-il pas rest& contrairement a Van Groeningen, en
dehors de ('influence des Auteurs de 1880. En ce qui concerne sa forme
et sa technique it s'inspire evidemment des procedes artistiques de ses
predecesseurs immediats, au point que Van Deyssel ne manqua pas
d'applaudir en lui un de ses adeptes les plus fervents, celui „qui croyait
de tout son cceur dans notre Ecriture Artiste et qui y adherait avec une
foi inebranlable" 1).
Par la nature de son inspiration et de sa sensibilite, l'auteur se rapproche
particulierement de Van Groeningen. Ses esquisses, reunies apres sa mort
sous le titre suggestif de Sao lelen [Purotins] evoquent la misere sociale
dans la banlieue de Rotterdam et frappent par une vision aigue et
penetrante. En observateur consciencieux et scrupuleux il s'attache a
nous depeindre la vie des bas-fonds dans toute sa revoltante et honteuse
bassesse. Dans son amour de l'objectivite stricte ii ne recule pas méme
devant les termes les plus choquants, les plus orduriers. Il traite ses
sujets avec une hardiesse sans reserve qui touche au cynisme 2). Plus
qu'aucun de ses devanciers it a sonde la decheance de ces miserables,
ieur abrutissement, leur degoiltante bestialite. Contrairement a Van
Hulzen par exemple, it ne decouvre dans ces titres denatures, abetis
par des annees de misere, aucune humanite, aucun sentiment noble et
eleve. Toutes ces creatures se detestent, se maudissent, se haissent mortellement. Voici l'enfant qui traite sa mere de voleuse, en l'invectivant
grossierement. „Elle descendit encore un marche et rapidement, avant
qu'elle put descendre tout a fait, it ramassa quelques gros mots qu'il
lui cracha a la figure, en lui tenant tete. „Salope, souillon, donne-moi
Outfit mes sous, ne touche pas aux sous d'un autre, espece de gueuse" 3).
Quelquefois seulement son accent s'adoucit, comme dans Eene Bevalling [Un accouchement], oil it peint la femme du peuple, qui, pouss6e
par son instinct maternel, cherche a proteger son nouveau-ne contre
('ambiance demoralisatrice, en l'enveloppant d'amour et de tendresse.
Mais chez lui de telles scenes sont rares; en general it n'y a entre les
1) Voir la preface a Sjofelen [Purotins]. Rotterdam, W.-L. & J. Brusse, 1904,
p. VIII, „Een die met heeler harte geloofde in onze Woordkunst en haar met
onwankelbare trouw bleef aanhangen".
2) Cf. Sjofelen, p. 13, 68, 95, 97. Hartog est, avec Heijermans, le plus typique
representant du realisme ,,rosse".
3) Sjofelen, p. 7. „Zij kwam een tree lager, en snel, voor ze beneden kon komen,
verzamelde hij een paar scheldzinnen, die hij tegen haar oogen opsarde. „Vuilik,
dweil, geef me liever m'n cente, blijf met je pooten van een ander z'n cente,
schooier".
185
etres qu'il evoque devant nous que haines feroces, jalousies sauvages,
conflits brutaux et exasperes. C'est le mari qui invective et brutalise
sa femme, l'amant qui maltraite sa maitresse 1), l'ouvrier qui menace
d'assommer sa belle-mere 2). Partout on sent transparaitre sa grande
desillusion, son amour du peuple, de ceux qui souffrent des injustices
sociales. Buurtleven [Vie des faubourgs], sa derniere esquisse qu'il laissait
inachevee et qui promettait d'être son grand roman, n'etait qu'une
longue et terrible accusation contre la societe moderne. Voici la femme
du peuple, qui dans son desespoir, a vole chez une voisine une montre
d'argent et ne fait que se revolter contre ceux qui possedent, les vrais
voleurs. „On a beau se battre avec les Bros bonnets. Ces salauds savent
faire payer les pauvres. Quand les prisons ëtaient pleines, on en batissait
de nouvelles. Qu'est-ce qu'elle lisait hier dans le journal? Oh oui, une
femme qui avait vole une paire de bas et un drap de lit . . . . on lui avait
donne deux mois. Et ce chameau qui maltraite un ouvrier en lui cassant
une jambe, se promene en liberte. Mais ca, ce n'etait pas voler. Voler, ce
n'etait pas permis. C'etait permis si l'on s'y prenait de maniere a ne
pas etre pence. Ainsi, ce type a la fabrique lorsqu'elle y travaillait. Ce
salaud avait depouill6 toute sa famille et avait fui a Londres. Mais
depuis longtemps it demeurait encore ici dans le pays, a Scheveningue,
dans une belle villa. Et vows croyez qu'ils se mettent en peine pour ca?"3).
Par sa vision du monde Hartog se rapproche de Coenen, d'Aletrino,
choque comme eux par tant d'abominations, dues a l'universelle misere
sociale qui abrutit, qui deshumanise, vision dont toute son oeuvre traduit
d'une fawn poignante l'amertume profonde 4).
1) Dans In d'r nieuwe woning [Dans sa nouvelle demeure].
2) Dans Buurtleven [Vie des faubourgs]. Par ses scenes populaires et son realisme
brutal ce dernier rêcit annonce Boefje [Petit Gamin], le livre pittoresque et vivant
de l'auteur M.-J. Brusse, originaire comme Hartog de Rotterdam.
3) Sjofelen, p. 261, 262. „Vecht maar tegen de groote lui. Een arm mensch, die
wisten de vuilikke wel to vinde. Als de gevangenissen vol waren, dan bouwden
ze maar nieuwe. Wat stond 'r gisteren ook weer in de krant. 0, ja, een vrouw, die
een paar kousen en een beddelaken had gestolen . . . twee maande. En die beroerling, die een werkman een breuk trapt, liep vrij rond. Dat was ook Been stelen.
Stelen mocht je niet. Je mocht 't wel, as je 't maar zoo dee, dat ze je niks konden
doen. Z90 as die vent an 't fabriek, dat was nog in haar tijd, die vent had z'n
heele familie uitgekleed, was naar Londen gevlucht. Maar hij woonde allang weer
hier, op Scheveningen in een groote villa. En denk-ie dat 't die lui wat kan schele".
4) On distingue a peu pros les memes tendances dans l'oeuvre de S.-G. van der
Vijgh, auteur qui mourut tres jeune, a l'age de vingt-trois ans (1899) et qui nous
a laisse un recueil intitule Waken [Les Travailleurs]. Haarlem, De Erven F. Bohn,
186
GERARD HENDRICUS IGNAAZ VAN HULZEN
Van Hulzen, ne a Zwolle en 186o, ne recoit aucune formation speciale
qui puisse le preparer a la carriere litteraire. Ebeniste de profession, ii
ne se vouera que sur le tard a la litterature, debutant par des esquisses
impressionnistes 1) et par des romans qui s'inspirent en majeure partie
de la misere des classes populaires 2).
Ses debuts font voir qu'il s'est immediatement familiarise avec les
tendances qui, a ce moment, regnaient dans le roman, affinite qu'il tend
a desavouer, mais qui se revele neanmoins avec evidence dans son 'oeuvre
entiere. „Aucun auteur n'a exerce d'influence sur moi, dit-il dans une
interview avec Andre de Ridder, et c'est d'autant plus remarquable
que j'ai le don de faire mien le style de tout auteur. Lorsque je debutais,
je n'avais presque rien lu et malgre cela j'ai ete aussitOt embrigade au
Nieuwe Gids. Cependant je n'en avais pas eu sous les yeux une seule
ligne, et it me semble que mon ceuvre -- sans parler de sa diversite —
ne tient en ce qui concerne le style ou le fond, de l'oeuvre d'aucun auteur
de ce periodique" 3).
1900, qui etait le debut d'une oeuvre monumentale, le „roman du travail". Dans
ces recits on ne distingue aucune influence ètrangere; l'auteur s'y revele, comme
ses contemporains, un artiste du verbe, exaltant dans une prose lyrique et savamment ciselee la vie d'esclave de l'ouvrier; it aime a decrire les sensations qu'eprouvent le debardeur, le paysan, le chauffeur dans une fabrique en accomplissant
leur rude tache, comme par exemple dans ce poeme en prose Nachtfeesten [Fetes
de la Nuit], oil it analyse le sentiment de volupte physique qu'inspire a l'ouvrier
le travail de ses mains.
1) Lire par exemple les esquisses intitulees Een Kamer [Une Chambre], Afvaart
[Depart], Bedelen [Mendier] dans De Nieuwe Gids, 1896, p. 384, 489, 492, et I J -kant
[Au bord de l' IT, Laatste Litanie [Derniêre Litanie], Amstelveld dans De Nieuwe
Gids, 1897, p. 46, 171, 541.
2) A cote de son cycle Van den Zelfkant der samenleving [En mange de la societe],
on predominent les themes sociaux, it y a encore ses romans „mondains": Getrouwd
[Maras] (1900), In hooge regionen [Dans les hautes regions] (1904), Vrouwenbiecht
[La confession d'une femme] (1906), Aan Zee [Au bord de la men] (1907), Liefdes
Tusschenspel [Interlude amoureux] (1913). Cette partie de son ceuvre est en general
trop „litteraire", trop peu vecue et sans doute infêrieure a son ceuvre „sociale".
3) Den Gulden Winckel, 1915, p. 38. „teen enkele schrijver oefende invloed op me
uit, en dat is te opmerkelijker, omdat ik de gave heb me in ieder schrijver in te
schrijven. Toen ik begon te schrijven, had ik haast niets gelezen en niettegenstaande
dat, ben ik onmiddellijk bij de Nieuwe Gids ingelijfd; ik had nochtans geen regel
van de Nieuwe Gids onder oogen gekregen, en 't dunkt me, dat mijn werk —
afgescheiden, dat het zoo variabel is — op het werk van niemand anders van de
Nieuwe Gids gelijkt, noch wat stiji, noch wat inhoud betreft".
187
Dans une lettre a M. P. Valkhoff 1) ii nie toute influence des auteurs
naturalistes francais (il ne savait pas encore les lire, parce que, a ce
moment-a, il ne connaissait pas encore le francais). Ce qui seal, d'apres
lui, avait determine son art, c'etait la lecon magnifique des Auteurs de
188o qui vous enseignaient „a ecrire votre propre langue, a observer
minutieusement les choses qui vous environnent, a les hisser penetrer
dans votre ame, a rester toujours individuel" 2).
Quoi qu'il pthende nous faire croire de son art et de son originalite,
du reste non sans se contredire, il est neanmoins evident qu'au point de
vue de la forme comme de ses id6es et de sa vision du monde, son oeuvre
se rattache immediatement a celle de ses contemporains et que ce sont
eux precisement qui ont oriente son gout et forme son style. Voici,
apparemment inspiree des tendances de l'heure, la description tres pittoresque d'un bateau qui part du quai. „Pour la derniere fois le bateau fit
voler son signal. Doucement il glissait en arriere, en tremblant, repoussant
l'eau qui bouillonnait derriere le gouvernail. Lentement il passait, en
ronflant, devant le long debarcadere, tandis que sa coque etait secouee
a coups saccades" 3). Partant du principe que la realite vue sous sa vraie
lumiere reveille en nous les sensations les plus delicieuses, „puisque toute
fiction y fait defaut", il s'attache a noter scrupuleusement le monde
reel en choisissant le terme saillant et expressif. Il vise a faire ressentir
1) Cette lettre, datee du 28 juin 1915, est remarquable d'un autre point de vue
parce que Van Hulzen y enonce son opinion sur les Francais et leur art; il admire
leur „style clair, limpide", „leur art de resumer nettement" (hun zuiver samenvattingsvermogen), leur „tendance a are concrets malgrê leur desir de charmer"
(hun konkreetheid, hoezeer ze ook offeren aan de lust om to bekoren). Des auteurs
francais il loue surtout Guy de Maupassant, dont il met Une Vie au-dessus de
Madame Bovary, malgrê „le respect qu'il a pour le roman de Flaubert". Balzac
et Zola sont pour lui des „geants d'energie et de comprehension geniale, bien que
Zola se soit trop laissê enliser dans ses theories, comme Tolstoi" (Intusschen blijven
Balzac en Zola voor mij reuzen van werkkracht en geniaal inzicht, ook al metselde
Zola zich de laatste jaren vast in theorieên, evenals Tolstoi). Ce que Van Hulzen
blame dans les Francais, c'est qu'ils sont trop convaincus de leur propre excellence,
du „genie francais" pour pouvoir rien apprecier dans une autre race, idee qu'il
trouve confirmee dans Remy de Gourmont, Pour la gloire de Belgique.
2) Cite dans la lettre a M. Valkhoff: „Wel heel toevallig de prachtige les: schrijf
je eigen taal, bezie de dingen rond je, doorschouw, doorvoel ze, blijf altijd individueel".
3) De Nieuwe Gids, 1896-97, p. 490 (esquisse De Afvaart [Le Depart]). „Voor
het laatst liet de boot haar sein vliegen. Zacht trilde zij achteruit, het water wegstuwend, dat opkolkte achter het roer. Lamgzaam raddelde zij voorbij den langen
steiger met korte romprillingen".
188
a ses lecteurs les impressions qu'il a eprouvees lui-méme. „Par la pensee,
en son imagination, parfois aussi dans la realite, le lecteur doit eprouver,
comme par l'intermediaire d'un medium, ce que j'ai ressenti moi-méme.
En lisant mes Zwervers on doit avoir la sensation de se trouver parmi eux.
Dans Getrouwden le lecteur ne souffrira pas moins de la chaleur que les
promeneurs lä-bas, a Buenos-Ayres" 1).
La principale source dont s'inspire l'onvre de Van Hulzen a ête la
misere et la dech6ance des bas-fonds. Ses esquisses, recueillies sous des
titres evocateurs, tels que Zwervers [Vagabonds], dont paraissent deux
recueils, en 1899 et en 1907, Cinematograaf [Cinematographe] 2) qui contient les esquisses qu'il compose entre 1897 et 1899, De Ontredderden
[Les Desempares] (1911) et son roman De Man uit de slop [L'Homme du
cul de sac] (1903), oeuvre qu'il publie sous le titre collectif de Van den
Zelfkant der Samenleving [De la Marge de la Societe], denotent clairement
ses tendances „populistes".
Voici, comment dans le prologue au Cinematograal it indique son dessein.
„Decrire la vie publique, en donnant un peu de tout, meant le comique
et le tragique, rarement des interieurs, mais surtout — sujet apprecie du.
cineaste — une rue avec tout ce qui y remue" 3). C'est ainsi, en vagabondant dans les quartiers pauvres qu'il evoque des tableaux pittoresques
de la vie du peuple, des scenes de cabaret et de kermesse ou s'etale la
bestialite humaine dans toute sa degoiltante laideur. A peindre cette vie
triviale it n'est pas moins audacieux que ses contemporains. „Sur un des
bancs se sont affaisses pele-mele, enchevétres comme une pelote, deux
garcons et une inconscients de ce qui se passe autour d'eux; surtout
la fille au milieu est un tas de chair, se parnant dans ses jupes" 4). Voici
un instantane pris dans une bastringue qui rappelle involontairement la
1) Den Gulden Winckel, 1915, p. 37. „Mijn lezers moeten, als door een medium,
hetzelfde ondervinden, wat ik heb ondergaan, in gedachten, in verbeeldingen, in
werkelijkheid soms ook. Als men mijn Zwervers leest, dan moet men de aandoening
ondergaan, dat men er zich midden in bevindt. In Getrouwd krijgt een lezer het zoo
warm als die wandelaars daar in Buenos-Ayres".
2) L. van Hulzen, Cinematograaf. Amsterdam, L.-J. Veen, s.d. (1899).
3) ibid., 1 er recueil, p. 6, 7. vertoon hier het openbare leven, en van alles wat,
ernst en grap, slechts enkele binnenkijkjes, maar bovenal, geliefkoosd onderwerp
voor den cinematograaf, een straat met wat zich er in beweegt".
4) Dans Na Afloop Kermis [Fin de Kermesse], op. cit., p. 14. „Op een ervan (bank)
hangen er nog: twee jongens en een meid, slappig in elkaar gekluwd, geheel weg
van deze wereld; vooral de meid in 't midden is een klomp zwijmelvleesch in
kleeren".
189
maniëre de Frans Erens. „Un matelot et son amie, tournant un peu
moins vite, ralentissant leur danse a en faire un galop ordinaire, entrevoyant alors la salle autour d'eux avec tout ce qui y danse, s'amusent,
tandis que leurs figures en sueur rayonnent d'un rire lascif" 1).
Malgre ses tendances impressionnistes l'oeuvre de Van Hulzen nait
evidemment d'une inspiration sociale, en ce sens qu'il cherche a nous
emouvoir et a eveiller notre commiseration pour les desempares qu'il
nous depeint. L'auteur doit se garder, a ses yeux, d'être le „copiste fidele"
ou le „photographe" qui affecte de s'effacer de son oeuvre. „Je ne trouve
pas de satisfaction dans le simple „Fart pour l'art", je voudrais sentir
„socialement". Je ne suis pas socialiste, mais je me sens tout pres du
socialisme. Tout artiste s'eleve contre des normes existantes, invente de
nouvelles lois, doit s'efforcer de preparer une morale meilleure" 2). Dans
l' epilogue des Zwervers it declare méme, d'une fawn tres nette, etre un
auteur social, en reniant ses pretentions esthetiques du debut. „Il y a
vingt ans, sous l'impulsion de mes observations, parurent ces quelques
tableaux de la decheance morale, de la misere exthieure. Ces esquisses
sont pour moi le premier timide effort de formuler mes sentiments et
mes pensees qui animaient alors ma vie et mon travail. Ce que je pretendais autrefois, lors de leur premiere apparition, devoir renier, c'est-h-dire
que ce travail, Bien que „populiste", efit une tendance sociale, nee seulement d'une inspiration purement artistique, oil tout sentiment humain
etait mis a part, je vois qu'il me faut maintenant desavouer cette opinion
fausse" 3).
1) Dans Danszaal [Salle de danse], ibid., p. 1o6. „Een matroos en z'n liefie nu even
langzamer draaiend, de dans verminderend tot gewonen galop, ook weer halfziende de zaal rondom, met wat er danst, lachen geil in elkaars gezichten die
zweeten, verlustigen zich".
2) Den Gulden Winckel, 1915, p. 37. „Met het eenvoudige „Fart pour l'art" bevredig
ik mij niet; ik wil sociaal aanvoelen . . . . Een socialist ben ik niet, maar ik voel
me zeer dicht bij het socialisme.... Eike artist is opstandig contra de bestaande
normen, maakt eigen nieuwe wetten, moet trachten een betere moraal voor te
bereiden".
3) Zwervers, I, 14e ed. (1919), p. 179, i80. „Twintig jaar geleden ontstonden onder
de drang mijner waarnemingen deze luttele beelden van menschelijke verwording,
uiterlijke misere. Deze schetsen beteekenen toch voor mij de eerste, ietwat schuchtere poging om gestalte te geven aan de gevoelens en gedachten, waaronder ik
leefde en werkte. Wat ik destijds, bij het eerste verschijnen, meende te moeten
ontkennen, ni. dat dit werk, hoewel proletarisch, sociaal zou zijn, enkel dus maar
gesproten uit een kunstenaarsdrang met voorbijziening van het meer algemeen
menschelijke gevoel en inzicht, deze verkeerde meening moet ik thans terugnemen".
190
Cependant ces sombres et monotones recits de la misere sociale ne
decelent pas toujours chez l'auteur une connaissance tres profonde du
coeur humain. L'homme nous est peint dans sa vie primitive de paria,
non pas d'ailleurs d'apres le prototype naturaliste comme un homme
luttant en vain contre les forces fatales qui menacent de le perdre, mais
comme un etre qui obeit, malgre sa decheance materielle, aux voix
intimes d'une conscience restee noble et pure. A aucun moment nous ne
nous sentons profondement emus devant ces douloureuses existences,
dont Van Hulzen ne parvient pas, comme Van Groeningen ou Hartog,
a ëvoquer la saisissante tragedie interieure. Dans la presentation de tout
ce monde de mendiants, de clochards, de vagabonds qui tons ont a peu
pres les memes gestes, les memes paroles, il y a un manque d'analyse
psychologique et d'observation vraie. Voici, pour illustrer la facilite de
son procede 1), un seul exemple. „Ainsi it racontait errait un peu
seul dans le monde: sa mere etait morte, son pere, qui de son vivant
etait retameur de casseroles, et qui buvait beaucoup, etait mort aussi,
suffocant dans le genievre. Il avait encore une sceur; it ne savait pas oil
elle trainait, ne voulait pas meme le savoir; elle (la femme a qui il park)
comprendrait pourquoi. Les autres etaient morts jeunes de la phtisie . . . .
pour guerir it aurait fallu des fortifiants! Lorsqu'on leur avait amene
son pere mort, sa soeur avait tout plaque la; tout le fourbi s'etait disperse,
lui se trainait dans la rue . . . ." 2).
D'autre part ses etudes des bas-fonds ne l'ont pas mene, comme Van
Groeningen et Hartog, a une vision amere et cynique de la vie. Avec sa
1) Van Hulzen s'est rêvèle un narrateur habile, inventant facilement ses histoires;
it arrivait qu'il travaillait a trois rêcits a la fois; l lui etait impossible d'ecrire ses
romans ou ses nouvelles „sur place"; „il faut, disait-il, que je les aie derriere moi.
Getrouwd a ete ecrit douze ans apres sa premiere conception. De Man uit de Slop,
je l'ai ecrit dans les montagnes, bien que j'aie du aller a Geneve et a Lausanne pour
revoir les prisons" (Ik kan nooit ter plaatse zelf de dingen schrijven, ik moet ze
achter me hebben liggen. Getrouwd heb ik twaalf jaar na het eerste concept geschreven. De man uit de Slop schreef ik in de bergen; wel moest ik ervoor naar
Lausanne, naar Geneve, om de gevangenissen weer te zien), cf. Den Gulden Winckel,
art. cit., p. 37.
2) Zwervers, Ier recueil, p. 117. „Zoo vertelde hij, dat hij wel zoowat alleen op de
wereld zwierf: zijn moeder dood, zijn vader een ketellapper, die veel dronk, ook
al dood, in de jenever gestikt. Een zuster had-ie nog, wist niet waar ze uithing,
wou het ook niet weten; ze zou wel begrijpen waarom. De anderen waren jong
gestorreve, aan de tering . . . . Om te geneze moest-je versterkende middelen
hebbe ! Toen ze zijn vader thuisbrachten, ging zijn zuster er van door, de heele
ratjeplan uit elkaar, hij op straat
.
191
foi inebranlable dans la bonte innee de la nature humaine, conception
qui n'etait pas sans nuire souvent a son objectivite, it tend a embellir
ces degeneres, a les ennoblir, a les voir capables de plus d'un acte genereux.
Il attribue une grande valeur a l'energie morale de l'homme, a sa volonte
de se redresser contre les forces qui menacent de l'ecraser, s'elevant, par
la, contre le fatalisme qui se degageait d'une conception deterministe
de l'univers. „ Je ne partage nullement, dit-il, l'opinion de beaucoup
d'anthropologistes et de psychiAtres qui pretendent que l'homme ne
saurait etre que ce qu'il est.... J'admets que je vois l'homme comme
un produit de ses dispositions naturelles (son heredite), de son milieu
(les circonstances qui agissent sur lui) et de sa connaissance de soi-meme
(la conscience de son etat propre et l'action de sa volonte). Tout homme
porte en soi, des sa naissance, un melange du bien et du mal; mais it
peut se preserver des influences funestes des mauvais instincts; it peut
se raidir contre la predestination naturelle, de fawn qu'il n'y succombe
pas. Le meme milieu peut, dans certaines circonstances, faire pencher
quelqu'un vers „le bien" et dans d'autres cas, le perdre definitivement" 1).
C'est en cela qu'il se distingue de ses contemporains, ne se rapprochant
d'eux que par son expression litteraire qu'il formait d'apres leurs modeles.
Sa commiseration pour le sort des humbles, sa sentimentalite quelque
peu vieillotte le rattachent a la mentalite d'avant 188o 2). Ii est rare,
comme dans le beau recueil Zwakke Levens [Vies faibles] 3) qui evoque
l'existence pitoyable des pauvres tuberculeux aux sanatoriums en Suisse,
que sa sympathie s'elargisse en un immense amour de l'humanite. Alors
ii merite d'être nomme a cote de De Meester, de Robbers, de Scharten,
1) Den Gulden Winckel, 1915, p. 36. „Ik deel geenszins de meening van vele anthropologen en de psychiaters, die beweren, dat de mensch niets anders zou kunnen
zijn dan wat hij is . . . . Ik neem den mensch aan als een product van zijn aanleg
(zijn herediteit), van zijn milieu (de omstandigheden, die op hem inwerken), en
van zijn zelfkennis (het inzicht van zijn eigen toestand en de actie van zijn wil).
leder mensch krijgt gemengd mede het goede en het kwade; maar voor de nadeelen
van het kwade instinct kan hij zich hoeden; hij kan zorgen, dat hij zich sterke
tegen de natuurlijke voorbestemming, dat hij er niet door ten onder gaat. Eenzelfde milieu kan iemand, onder zekere omstandigheden, totaal ten verderve
brengen".
2) Lire, a cet egard, dans Zwervers tier recueil, 4e ed., p. 1o1 sqq.) De Vrouw met
Molentjes [La Vieille aux Moulinets] qui caracterise bien son „sentimentalisme
humanitaire".
8) Wrakke Levens. Amsterdam, Ned. Bibl. (s.d.). Les esquisses sont datees de
1901 a 1903 et remontent a l'epoque oii, lui-meme poitrinaire, it habitait Leysin.
192
de tous ceux qui, se detachant des tendances de l'art pour Fart, inaugurent une nouvelle periode dans nos lettres, en s'inspirant des mouvements les plus profonds du cceur humain.
HERMAN HEI JERMANS JUNIOR (1864-1924)
Herman Heijermans Junior naquit a Rotterdam oil il visita le lycee.
Son pere, attache comme journaliste au Nieuwe Rotterdamsche Courant
[Nouveau Quotidien de Rotterdam] et redacteur en chef du Zondagsblad
[Feuille du dimanche] n'aura pas laisse d'encourager son fils qui montra,
de bonne heure (MP., du gout pour les lettres. Au lycee, il composa ses
premieres esquisses, un peu calquees, sans grande originalite, sur le
modele des recits populaires de Justus van Maurik 1). Ayant fait ses
classes, il eut une place modeste a la Twentsche Bank, poste qu'il avandonna assez vite pour se lancer dans le commerce, sans y trouver d'ailleurs aucune satisfaction 2). BientOt il quitta Rotterdam, endroit qu'il
detestait pour son atmosphere de vine marchande. En 1892 il s'etablit a
Amsterdam, ville qui l'attirait surtout comme centre de la vie intellectuelle et artistique 3) . La il s'engagea comme journaliste au Telegraaf.
Bienta parurent, sous le titre des Gerritjes [Les petits Gerard] ou Falklandjes [Les petits Falkland] ses premiers feuilletons, qui par leur accent
de rude bonhomie gouailleuse et leur verve originale trouverent aussitOt
un accueil enthousiaste aupres du public. Ces recits brefs furent d'autant
plus goilt6s que Heijermans ne s'ecartait pas sensiblement des tendances
traditionnelles. Son oeuvre du debut se rattachait a celle des auteurs
d'avant 188o, precisement parce qu'il avait le talent d'êveiller dans les
cceurs la compassion et la sympathie par des histoires „humouresques"
ou sentimentales. Cependant il se montrait superieur a eux par une
analyse plus profonde des situations et des caracteres, par une connaissance plus approfondie du cceur humain, dont il devinait instinctivement
les mouvements intimes et caches. C'etait, a tous les points de vue, le
genre tres reussi du conte populaire. Avec beaucoup d'art et d'intuition
1) Voir sur Justus van Maurik notre remarque a la page 42, note 4.
2) Cette periode de sa vie lui a inspire un de ses meilleurs drames Ghetto (1898).
3) Pour plus de details sur sa vie, nous renvoyons a l'article de L. Heijermans,
De ontwikkelingsjaren van den schrijver Herman Heijermans [Les anne'es de formation
de l'auteur Herman Heijermans]. Socialistische Gids [Guide Socialiste], 1 934, P-
769 sqq.
193
psychologique it y evoquait la poesie intime des quartiers juifs et du
fatneux „Pijp", oil se concentrait la vie des artistes et des etudiants 1).
Parmi ces esquisses 2) it y en a d'infiniment touchantes qui annoncent
par le dramatique et la vivacite du dialogue l'auteur futur de Ghetto
et de op Hoop van Zegen [La bonne Esperance] (1900).
A Amsterdam it ne tarda pas a subir l'influence des „Nieuwe Gidsers",
avec qui it partageait l'aversion pour tout ce qui etait parti-pris, cliche,
inspiration fausse et banale. Ii leur savait gre d'avoir inaugure une ere
nouvelle dans nos lettres en bannissant toute convention morale ou
artistique 3). Pour le meme motif it admirait profondement l'auteur du
Max Havelaar, de qui it semble avoir herite le mepris des idees et des
convictions traditionnelles, l'amour de la verite et de la justice. De meme
que Multatuli s'attaquait avec violence dans son roman celebre a certains
abus sociaux aux Indes, Heijermans, poursuivant en quelque sorte cette
veine, raillerait aprement dans ses pieces de theatre les iniquitës et les
injustices que tolerait chez nous le regime bourgeois. Toute sa vie it
mena une guerre impitoyable contre les conventions morales et religieuses, qui, a ses yeux, formaient le plus grand obstacle au bonheur humain.
Dans ses romans, de meme que dans plusieurs de ses pieces, ii attaque
l'intolerance et la rigidite des dogmes. Il depeint avec une poignante
acuite le drame conjugal qui nait du conflit des opinions religieuses, se
fait mettle le defenseur de l'amour libre, en blamant dans le mariage bourgeois ce qu'il y a de conventionnel et d'inhumain 4). Tout en souscrivant a la
1) On trouve egalement des souvenirs de cette vie de boheme dans sa piece 't Zevende
Gebod [Le septame Commandemant] (1899) et dans son roman realiste Kamertjeszonde [Le Pdche dans le garni], surtout chap. VI, Kabotijn-leven [Vie de Cabotins].
. 2) De ces contes, au nombre de 66o, qui constituent 18 volumes, la premiere parut
clans le Telegraaf du 15 dec. 1894, la derniere dans le Handelsblad du 2 sept. 1911.
3) Den Gulden Winckel, 1913, p. 162. „Dans mes jeunes annees j'ai vêcu ce qu'on
designait comme le mouvement de 188o; alors j'avais une profonde admiration
pour Van Deyssel et Kloos" (In mijn eerste levensperiode heb ik wel doorleefd
de z.g. Nieuwe-Gids beweging; ik heb in die tijd een ontzaglijke vereering voor
Van Deyssel en Kloos gehad); cf. aussi De Nieuwe Gids, Gedenkboek, 1910, p. 295.
„Avec enthousiasme je serre la main a ces solides et rudes travailleurs qui nous
apprirent a nous autres jeunes a manier les outils selon nos forces et nos dispositions" (Ik druk met graagte de handen van de stevige en sterke arbeiders, die
ons jongren leerden de werktuigen to hanteeren naar onze krachten en aanleg).
4) Tout cela lui a valu les reproches les plus durs des soi-disant „bien-pensants"
conformistes. Plus qu'en France peut-etre on rencontrera en Hollande, par suite
de la diversite de ses sectes et l'esprit d'intolerance qui caracterise les partis, le
(frame de l'union mixte oil se heurtent les traditions de deux families.
13
194
these de Rousseau, a qui devant aller sa sympathie, que „l'homme est
ne libre et qu'il est partout dans les fers", it voit dans l'intransigeance
et l'etroitesse de l'esprit orthodoxe une entrave a la liberte de Fame 1).
Toute sa vie it ne cessera de combattre l'intolerance du sectarisme,
de s'indigner devant l'inhumanite des dogmes religieux, chretiens ou
juifs, qui iniposent a l'homme des devoirs et une conduite tout a fait
contraires a ses instincts, a ses passions les plus humaines et les plus
nobles.
Cette these, qui sera mainte fois reprise dans ses romans et ses pieces
de theatre, Heijermans l'a posee et trait& pour la premiere fois dans
son roman 'n Jodenstreek? [Le vilain tour d'un Juifi]. Dans ce recit,
ne d'un souvenir personnel, it nous depeint le drame d'un jeune couple
aspirant au bonheur, qui menace d'être detruit par le fanatisme et
l'orthodoxie des parents. Max, en qui nous reconnaissons l'auteur luimeme, se revolte contre les idees reactionnaires de ses beaux-parents
et ne recule pas devant la ruse et l'artifice pour emporter de haute
lutte le bonheur auquel it pretend avoir droit. Nous voici en presence
de l'homme „moderne", emancipe, qui ne juge le monde que selon l'intuition de son coeur, tel que nous le rencontrerons encore plus ou moins
idealise dans la figure de Spier de Kamertfeszonde [Le pdchi dans le garni]
(1896), de Rafael dans Ghetto, de l'etudiant Bart dans Het Zevende Gebod
[Le septieme Commandement]. Ce porte-parole des principales idees de
l'auteur, nous le trouvons partout en train de combattre les principes
conventionnels de la morale et de la religion, si inhumaines dans l'observation stricte de leurs principes, et dont Heijermans a evoque tout le
pathetique poignant et cruel dans son emouvante piece Allerzielen
[Le J our des Morts] (1905).
Son deuxieme roman Trinette 2) est ne sous l'influence directe du roman
impressionniste et naturaliste, auquel i1 se rattache immediatement par
les peintures „subjectives" de la realite comme par le caractere et la
fawn de traiter le sujet. La donnee, c'est l'histoire d'une jeune file de
province qui, attiree par les tentations d'une grande ville (Bruxelles),
y mene une vie de plaisir, succombe et finit miserablement a Rotterdam
son existence de fille perdue. Cette „progression insensible vers la de1) A ce point de vue it est tres interessant de lire son article au Mercure de France,
mars 1894, p. 206 sqq., intitule L'art dramatique en Hollande.
2) H. Heijermans Jr., Trinette. Amsterdam, H.-W.-J. Becht, 1893 (ecrit a Bruxelles,
aoilt - sept. 1892).
195
cheance" lui fournit l'heureuse occasion de depeindre par le menu la
vie pitoyable des saltimbanques et des cabotins, les scenes grossieres et
haut en couleur d'une foire, d'evoquer toutes les horreurs et les abominations de la metropole 1). Mais la n'est pas l'essentiel; ce qui fait vivre
ce roman, c'est la revolte de l'auteur devant la misere humaine, c'est sa
grande compassion de la femme qui est la victime de sa faiblesse et de
ses passions 2).
Ce qui est curieux, c'est que Heijermans n'ait nulle part temoigne,
comme plusieurs de ses contemporains, d'une inclination profonde
pour le naturalisme francais, fait d'autant plus remarquable que son
temperament, sa haine des conventions, son gout du realisme violent
devraient l'y avoir entraine naturellement. Cependant il se rattache, a plusieurs egards, aux tendances et aux ambitions des naturalists. Comme
eux il avait le souci de la documentation exacte, le besoin d'etudier
sur place la vie et les mceurs populaires, de connaitre de pres les
conditions sociales des ouvriers, des paysans, des pecheurs. Pour sa
piece Gluck Au/ (19II), qui evoque la vie et la lutte sociale des mineurs,
il travailla une semaine comme „kumbel" dans les mines de Westphalie.
A Berlin il sortait la nuit pour visiter les halles, un asile de nuit, scenes
qui forment le decor de son roman Duczika, qu'il a laisse inacheve, helas!
Dans ses romans Diamantstad [La Cite des diamants] (1898) et Kamertieszonde se distinguent ses qualites d'un peintre qui rend avec une veritable
maitrise l'atmosphere intime et poetique des interieurs et des quartiers
juifs d'Amsterdam.
La facilite avec laquelle ii a adopte les procedes techniques des auteurs
impressionnistes n'a rien d'etonnant, si l'on connait la rare faculte qu'il
possedait de s'assimiler n'importe quel genre litteraire. Lorsque, en 1894,
Lugne-Poe vient a Amsterdam pour y jouer Rosmersholm, Pelleas et
Mdisande, L'Ennemi du Peuple, Heijermans subit fortement le charme
de son art. Enthousiasm6, il se rend a Paris, cherchant immediatement
1) On pourrait reprocher a l'auteur de ne pas avoir suffisamment observe la couleur
locale, malgre son objectivite; ainsi il fait parler a l'ouvrier bruxellois le patois
d'Amsterdam, p. ex. „ Jasses, wat be je flauw!" „Maal je om 'm?" L'atmosphere
non plus n'est pas caracteristiquement beige et pourrait etre celie de n'importe
quelle grande ville.
2) Le theme de la femme, victime de sa faiblesse et de sa situation d'esclave, il
i'a mainte fois repris, entre autres dans ses nouvelles Biecht eener schuldige [Confession d'une coupable] (1905), W at niet kon [Ce qui ne se pouvait pas] (1907) et dans
son roman Duczika (De Nieuwe Gids, 1912), concu pendant sa periode berlinoise
(1905-1912).
196
le contact avec ceux du „Mercure" 1); aux „Mardis" oil it se presente,
les adversaires du naturalisme le saluent comme un des leurs.
Sous l'impression de son sejour en France ii ecrit dans une prose rythmee
quatre „dialogues avec la Mort", recueillies sous le titre de Fleo, ofi,
sans aucune originalite, mais avec une singuliere adresse, ii applique les
procedes des symbolistes, de Maeterlinck, en premier lieu, s'astreignant,
comme lui, a suggerer l'idee d'angoisse hallucinee et de mystere qui
enveloppent les figures de ses drames 2). Mais tout cela manquait chez
l'auteur de sincerite et de profondeur. C'est le &calque facile qui aboutit
ici au manierisme, a la mauvaise rhetorique.
Heijermans lui-meme a dl le sentir, son genie le poussait ailleurs.
Trinette etait la pour prouver qu'il ne pouvait s'inspirer a la longue de
l'irreel et de l'imagination pure. Il n'y avait que la vie reelle avec ses
miseres et ses mensonges, ses conflits et ses deceptions qui l'ebranlait
et remplissait son coeur d'amertume et de revolte. Aussi ii ne pouvait pas
rester indifferent au mouvement socialiste qui, justement dans les annees
1890 a 1895, s'accusait et devait enflammer une ame eprise de liberte
et de justice. Avec un veritable enthousiasme il se jette dans la melee.
Il y prend nettement part, avec une ardeur d'autant plus forte et spontanee
que sa haine du bourgeois trouvait de la satisfaction dans ces nouvelles
croyances. Dorenavant it lui sera impossible de s'enfermer dans sa tour
d'ivoire; les problemes d'ordre moral et social l'etreigent d'une fawn
trop rude; it croit entrevoir les temps heureux oil it n'y aura plus de
classes rivales, mais des individus libres unis par la fraternite du travail
et de l'amour. „Les idees de bonheur terrestre, les id6es de liberte pour
chaque individu se soulevent en un cri desespêre, puissant, effroyable" 3),
1) Dans l'article cite L' Art dramatique en Hollande, qu'il ecrit dans le Mercure
sous l'impression des representations de Lugne-Poe, l'auteur resume les rapports
entre la France et la Hollande. „C'est surtout de la France, dit-il, que nous est
venue une certaine domination, et c'est pour la France que nous gardons toujours
et toujours une grande sympathie" (p. 208), en ajoutant ce trait malveillant a
l'adresse des Allemands: „Nous n'aimons pas les Allemands, ce peuple dont les
commis-voyageurs doux et flatteurs encombrent regulierement nos hotels". Ses
rapports avec le Mercure semblent avoir continue quelque temps; l'influence sur
Fleo est peut-titre sensible dans le grand nombre de gallicismes qu'on y rencontre.
2) Un procede, evidemment emprunte aux pieces de Maeterlinck, c'etait la repetition des questions et des reponses etonnees pour augmenter l'effet du mystêrieux;
on trouve egalement des souvenirs de cette recherche d'un effet dramatique dans
De Schoone Slaapster [La Belle au Bois dormant] (1909) et dans Dageraad [L' AuYore] (1916) .
3) Mercure de France, 15 mars 1894, art. cit., p. 206.
197
disait-il en 1894, annee ou, quittant le Telegraaf, it s'etablit a Wijk-aanZee. C'est lä, dans ce petit village au bord de la mer que, apres une des
crises les plus violentes, it finit par decouvrir son moi 1). „La., pour la
premiere fois, je suis devenu moi-meme; j'ai tout bouleverse en moi;
la veritable production n'est venue que lorsque j'eus trouve ma nouvelle
et grande conviction" 2). Heijermans rejeta toute influence anterieure,
rompit radicalement avec ce qui le rattachait aux Auteurs de 188o,
rupture qui n'a ete que partielle et moins grande qu'il n'aimait a le
faire croire.
Evidemment, sa nouvelle vision du monde demandait une revision,
une mise au point de ses conceptions artistiques. Desormais cet adepte
fervent des Auteurs de 188o combattra comme un enrage les doctrines
de ses anciens maitres qui, a ses yeux, n'etaient que d'habiles et excellents
techniciens. Des lors ii renie tout ce qu'il avait produit durant la periode
ou it subissait leur influence. Jusqu'aux annees 1894 et 1895 it avoue
„n'avoir rien produit qui portat un accent personnel". Ce qui lui repugnait
en eux et ce qu'il ne cessait de railler, ce fut leur tendance a exalter leur
„moi", a remplir des pages et des pages de leurs sensations et de leurs
emotions individuelles". „Ca ne supporte pas le soleil, la realite. Ca sent
la serre chaude, c'est affecte. Ce sont des reveries malsaines. Cela forme
une bonbonniere de petites emotions, de petites paroles sages, de petites
analyses, de petits chagrins. Nous n'avons pas besoin de nous etendre
sur leur perfection artistique plus ou moins grande. Elle nous laisse
froid. Nous pre-tendons signaler a nos contemporains l'esprit et l'ame en
vole de decomposition de tous ces litterateurs qui ne font que nous
embeter avec leurs petits amours, leurs petites coleres, leurs petites
joies bruyantes, leurs petites passions" 3).
1) C'est la qu'il fonde une revue nouvelle De Jonge Gids [Le Jeune Guide] (18971901), organe combatif et de tendance revolutionnaire, ou parut sous le pseudonyme de Koos Habbema, son roman Kamertjeszonde, roman que refusêrent les
editeurs.
2) Den Gulden Winckel, 1913, p. 162. „Daar ben ik eigenlijk voor het eerst mijzelf
geworden. Ik heb in mijzelf alles ondersteboven geschopt. Het produceeren is
eerst gekomen, nadat ik mijn nieuwe en groote overtuiging had gekregen".
3) De Jonge Gids, II, p. 829, cite dans G. Karsten, Herman Heijermans' Herdenking
[En memoire de Herman Heijermans]. Amsterdam, uitg. „De Steenuil", 1934,
p. 15, 16. „Het verdraagt geen zonlicht, geen werkelijkheid. Het is broeierig,
gemaakt. Het droomt er ziekelijk op los. Het vormt een bonbonniere van aandoeninkjes, wijsheidjes, ontleedinkjes, verdrietjes. Niet over de meerdere of mindere
vorm van volmaaktheid hebben wij uit to weiden. Die laat ons koel. Wij wijzen
198
Mais ce a quoi ii devait s'en prendre surtout, c'etait leur „impassibilite"
devant la souffrance humaine. Il est un des premiers a condamner en
eux leur souci unique de la forme impeccable, artistement travaillee. Il
leur reprochait de rester en dehors de la vie reelle, de ne pas comprendre
la portee du bouleversement social qui s'accomplissait. Dans une interview
il a redit et precise sa conception de l'art. „Si je me rends dans un lieu
pareil (de misere), je m'en approche avec un sentiment de revolte, alors
je veux faire mon possible pour mettre fin a la misere. D'autre part je
m'y rends, debordant de pitie, tandis que les autres ne voient que le
beau qui est le laid, la beaute de la misere" 1). Voila ce qui le distingue
et le separe des Auteurs de 188o, qui s'inspiraient avant tout de la realite
pittoresque sans se montrer apparemment emus de ce que la realite recelait souvent d'infiniment tragique et d'emouvant. „La vie, disait Heijermans dans sa preface a Het Zevende Gebod, est superieure a la litterature."
Dans le drame tel qu'il le concevait, il est evident que les desseins
d'ordre esthetique cedent le pas a ceux d'ordre moral ou social. Mais dans
ses romans, Diamantstad par exemple, il se revele un assez fidele disciple
de ses anciens maitres. Lui qui leur reprochait un raffinement ridicule
de l'expression litteraire, et le souci apparent d'ecrire pour un public
restreint" ne reussit pas a se degager des tendances „impressionnistes".
C'est de ses immediats predecesseurs qu'il tient le gout de l'epithete
rare, tout a fait expressive. Aussi Van Deyssel fut pret a louer en lui
son art d'evoquer par de suggestives peintures la beaute des quartiers
pauvres 2), se refusant a voir dans ces evocations de la misere une tendance
„morale". „L'impression generale n'est pas que le monde a besoin d'une
reforme necessaire et qu'il serait facilement reforme, mais plutOt que le
monde est une nuit sans issue, sans espoir" 3). Van Deyssel se trompe;
den tijdgenoot wederom met aandruk op den geest, de literatorenziel, de literatorenrotheid van al deze auteurs die ons levenden telkens weer lastig vallen met hun
liefdetjes, hun toorntjes, hun juichinkjes, hun passietjes".
1) Den Gulden Winckel, 1913, p. 163. „Wanneer ik naar zoo'n plek ga, dan ga ik
er heen met een zeker opstandig gevoel, dan wil ik mijn krachten geven om een
eind to maken aan de ellende; aan de andere kant ga ik er heen met een gevoel
van diep medelijden voor die menschen. Anderen daarentegen gaan er heen voor
het z.g. mooi-leelijk, de schoonheid van de ellende".
2) Tweemaandelijks Tijdschrift [Revue bimestrielle], 1898, II, p. 171-18o, art.
Diamantstad. Voir le meme article dans Verzamelde Opstellen, X, p. 21-27.
3) art. cit., p. 26. „Algemeene indruk is niet, dat de wereld noodzakelijk hervorming behoeft en gemakkelijk hervormd zou worden, doch veeleer dat de wereld
is een hopelooze en onherstelbare ellende". Voir aussi l'article de Heijermans
199
la tendance y etait, certes; elle y etait meme trop. A tout propos l'auteur
intervient pour plaider, pour protester et pour propager les idees qui lui
sont cheres, tombant parfois dans la plus banale rhetorique, prenant le
ton d'un demagogue qui voudrait convaincre son auditoire. Se solidarisant
avec ses „camarades socialistes" dans le grand combat pour la justice
et la liberte, ii prkendait titre comme Sera dans De Schoone Slaapster
un liberateur, un prophete, annoncant un avenir de bonheur et de Iraternite. L'auteur qui se rendait vraiment compte de sa mission etait a
ses yeux, avant tout „un serviteur d'un ideal social". La vision socialiste
du monde devait conduire a une forme d'art, a une conception plus
nobles, plus elevees" 1). Le socialisme constitue pour lui l'unique et vraie
inspiration qui animera cl6sormais son oeuvre. S'il s'est attache a peindre
la lutte sociale de l'heure, it ne l'a certainement pas fait sous l'influence
de l'auteur de Germinal, comme certains sont encore portes, semble-t-il,
a le dire. On a tort, croyons-nous, de vouloir suggerer sous ce rapport
le nom de Zola, dont nous n'avons decouvert dans l'ceuvre de Heijermans
que de tres vagues indices. Jamais il ne semble avoir ouvertement professe, comme la plupart de ses contemporains, une sympathie particuliere
pour le naturalisme francais. Rien ne prouve que Zola ait inspire l'auteur
de Diamantstad ou de Ghetto. Si Zola ou les naturalistes l'ont influence
— et it est assez certain qu'il les a lus 2) — leur action n'a consiste qu'a
encourager un auteur dans un genre auquel nul avant lui ne s'etait
essaye avec tant d'audace et oil l'entrainaient facilement sa rude bonhomie,
son gout du realisme „rosse", qui contrastaient curieusement avec sa sensibilite enfantine. Les descriptions hardies, sans voiles, des conditions
miserables oil vivait le peuple etaient le moyen le plus efficace de faire
penetrer dans les ames la revolte et l'indignation. Avec une brutalite qui
Een Anti-Kritiek [Une Anti-Critique], De Jonge Gids, II, p. 5o, oil it riposte avec
violence aux remarques de son juge et condamne severement les tendances de
l'art pour Part.
1) Nieuwe Gids Gedenkboek, 191o, p. 295. „Dat een waarachtig ontwaakt auteur
\TO& alles een gemeenschapsdienaar behoort to zijn en dat de socialistische wereldbeschouwing naar een hoogere opvatting en 'n hoogere kunstvorm voeren moet".
2) Une indication que Zola n'etait pas pour lui un etranger, nous la trouvons
dans un fragment, intitule Bordeelschets [Esquisse de bordel], paru dans De Jonge
Gids, 1897, p. 54-58, oil une des filles, appelee Nana, a qui l'auteur fait parler
francais, rappelle le roman du meme nom. Dans Kamertjeszonde, 20e ed., p. 45,
quelques lignes suggerent que Heijermans a lu La Terre. Alfred Spier, le personnage
principal, avec qui s'est identifie l'auteur, demande a son amie si elle connait ce
roman.
200
va quelquefois au cynisme, Heijermans peint la realite basse, se hasarde
a aborder les themes les plus audacieux, ne recule point devant les
termes les plus choquants. Certains passages, dans Diamantstad ou
dans Kamertfeszonde ne semblent avoir ête ecrits dans un autre dessein
que de blesser le bourgeois dans ses opinions les plus sacrees. Sa haine de
la bourgeoisie, de ses conventions morales et religieuses semble lui avoir
dicte les expressions les plus grossieres, comme sa compassion devant
l'e'tre opprime, humili6 lui a inspire des pages infiniment emouvantes,
d'une tendresse sans egale.
II y avait surtout les circonstances politiques et sociales qui formaient
l'homme et l'ecrivain. C'etait la grande misere du peuple qui le poussait
a devoiler ce qu'il y avait de profondement tragique et d'emouvant dans
la vie des pecheurs, des paysans, des petits marchands juifs. Mieux que
personne ce revolte savait peindre l'ame qui souffre sous les coups de
l'injustice, qui bait le mensonge et aspire a l'independance. D'une facon
saisissante il nous depeint l'homme qui, ecrase sous le poids d'une faute
ou d'un crime, ne voit plus d'issue et se delivre de son angoisse par la
confession, dans un immense besoin d'être compris et pardonne. En cela
il tient des Russes, d'un Tolstoi ou d'un Dostoievski. Sonja, dans De
Opgaande Zon [Le Soleil levant] (1908), avouant son crime devant son
pere, n'est pas sans nous rappeler la scene de la confession dans Crime
et Chdtiment.
Heijermans s'est fait l'apOtre des desherites, des opprimes. Il prechait
la tolerance, attaquait l'inhumaine rigidite du dogmatisme religieux, juif
ou chretien, ce qui lui valait l'animosite de tous les croyants 1). Son oeuvre
de propagande est morte, mais il emeut toujours par sa vision dramatique
de la realite. Sans etre influence par Zola, il se rapproche de lui, plus que
ses precurseurs, par son „humanite", par son amour du prochain, par
1) Dans certaines villes on defend jusqu'a nos jours par exemple la representation
d' Allerzielen [Le Jour des Morts] (1905), oil Heijermans a severement attaque
l'inhumanite de l'Eglise, en opposant a la figure du cure Bronk, en qui s'incarne
l'intransigeance dogmatique, celle du cure Nansen, homme genereux qui, pour
sauver la vie a une jeune femme malheureuse, ne craint pas de desobeir aux
devoirs que lui prescrivent ses fonctions sacerdotales. Les catholiques n'ont
peut-etre pas tort de se montrer indignes, puisque H. a fait du cure Nansen
une creation asset invraisemblable (cf. G. Karsten, op. cit., p. 55). D'ailleurs H.
ne reculait pas devant une mutilation volontaire de la realite pour l'adapter a sa
vision particuliere ou a la demonstration d'une idee, afin d'aboutir par la a un
effet plus dramatique.
201
la mission sociale et morale qu'il se fait un devoir d'accomplir, en faisant
appel a nos plus nobles sentiments.
En vieillissant it lui est impossible de croire a la realisation de ses
reves d'antan d'un bonheur commun. Contrairement a Zola qui, vers la
fin de sa vie, s'affermit dans sa foi, quelque peu naive, dans un avenir
meilleur, Heijermans, persuade de la perversion fonciere de la nature
humaine, se resigne, renonce aux beaux espoirs de sa jeunesse. Cet idealiste impenitent, douloureusement desabusë, n'a demande, comme tant
d'auteurs „realistes", qu'a fuir les revoltantes bassesses de la vie quotidienne. C'est dans l'amour de ses deux enfants qu'il finit par trouver de
delicieuses consolations. Dans ces jeunes ames il decouvre des sentiments
d'une serenite, d'une purete rare qui lui inspirent, les dernieres annees
avant sa mort, ces deux chefs-d'oeuvre, dont le dernier resta inacheve,
Droomkoninkje [Le petit roi des reves] (1924) et Vuurvlindertje [Le petit
phalene ] (1925), oil it analyse avec infiniment d'amour et de tendresse
l'ame d'un enfant reveur et intelligent.
Ainsi a plus d'un point de vue, par son gout de la description impressionniste, par ses idees 6mancipatrices et revolutionnaires, sa sensibilite
a la souffrance sociale, Heijermans se rattache aux tendances de son époque.
Son ceuvre est en rapport avec le naturalisme finissant oil le roman,
s'ëcartant de sa conception „scientifique", s'êtait assigne, avec les Quatre
Evangiles, un dessein nettement moral, evoluant, sous la suggestion des
nouvelles orientations politiques, vers le roman a tendances humanitaires
et sociales. Seulement chez un auteur de sa trempe, dont l'admiration
va indifferemment a tous les Brands esprits de l'epoque, un Multatuli,
un Van Deyssel, un Verlaine, un Ibsen, un Hauptmann, on chercherait
en vain des correspondances ou des „influences". Son ceuvre, qui s'explique
evidemment en partie par l'ambiance artistique et sociale, recut du genie
qui la cr6a, son empreinte essentielle, sa marque tout individuelle,
indelebile.
CONCLUSION
Maintenant que nous sommes arrive au terme de notre etude, it s'agit
de resumer quels ont ete les resultats de nos recherches, a quelles observations aboutit en general la comparaison des deux litteratures que nous
avons etudiees.
Ce qui, chez les naturalistes francais, avait tout d'abord enthousiasme
nos auteurs, c'etait leur incontestable probite artistique, c'etait l'audace
avec laquelle ces auteurs professaient et defendaient leurs principes
litteraires. Zola surtout eveillait les sympathies. Ce „briseur d'idoles"
avait, plus radicalement que personae, fait table rase de tout ce qui
formait obstacle au libre epanouissement de l'art. Par son attitude
courageuse it s'imposait a tous et exercait, a un moment donne, un attrait
magique sur les jeunes artistes hollandais. On se reclamait de lui dans
les querelles litteraires. Son nom etait mis en avant dans les polemiques
de l'heure et it est indeniable que sa signification pour la naissance de
l'idee de la liberte dans l'art &passe de beaucoup celle d'un Flaubert
ou d'un Baudelaire 1).
Alors, s'inspirant de ses modeles, l'auteur hollandais se cree un ideal
artistique tout a fait conforme a celui de ses maitres. A l'instar de ses
modeles il vise a. atteindre a la pretendue impassibilite, a noter la realite
telle qu'elle se presentait a ses yeux. Son attitude etait celle d'un desinteressement total qui lui permettait d'arriver a une expression pure,
immediate; aucune preoccupation d'ordre social, moral ou religieux n'y
preside, puisqu'elle menacerait de troubler la nettete de l'impression
revue, Sa conception du roman soi-disant „impersonnel" demande qu'il
1) Il est stir qu'en 1885, alors que fut fonde le Nieuwe Gids, on ignorait les idees
sur l'art de Flaubert et de Baudelaire; on admirait l'ceuvre de Flaubert; Kloos par
exemple parle avec enthousiasme du romancier rouennais, mais de Baudelaire
on ne savait rien; Paap le nomme dans un article dans la revue De Nederlandsche
Spectator, 1881, p. 151 sqq.; Erens le signale en 1883, mais son „influence" date
de beaucoup plus tard. Cf. Paul de Smaele, Baudelaire, het Baudelairisme, hun
nawerking in de Nederlandsche Letterkunde [Baudelaire, le Baudelairisme, leur
influence SUr la litte'rature hollandaise], Brussel, 1934.
203
ne mette rien de lui-meme dans son oeuvre, qu'il renonce a intervenir
dans la trame du recit par des reflexions personnelles. Pour des raisons
esthetiques, it lui repugne de gagner les sympathies de ses lecteurs, de
faire naitre par un habile arrangement de sa matiere, le sourire ou les
larmes, de speculer adroitement sur les sentiments nobles et genereux,
tendances Bien familieres a la generation d'avant 188o, qui par la s'etait
attire le mepris des Auteurs de l'art pour l'art.
Or, le genre d'art oil ces principes devaient avoir la plus grande chance
d'être appliques avec succes, serait evidemment une litterature d'oa
toute possibilite d'intervention personnelle filt exclue, c'est-h-dire dans
la litterature dite impressionniste, un art qui par son essence etait tout
voisin de la peinture contemporaine. La fonction nouvelle de la langue,
celle qu'avaient inauguree les Gautier, les Goncourt, les Huysmans,
serait de transmettre d'une facon directe les impressions revues du dehors.
Ce n'est plus la phrase, recipient des idees et vehicuie des pensees, qui
compte; dorenavant c'est le mot qui prevaut, image, symbole de l'exterieur pittoresque, evoquant sons, lignes et couleurs.
Le besoin cependant d'imposer leur personnalite predisposait les
auteurs hollandais a vouer une attention particuliere a une interpretation
toute subjective de la realite. Its tendaient a donner a leur oeuvre un
accent, une empreinte tout individuelle. La transcription minutieuse de
la realite qui constituait le point de depart, ne tarda pas a devenir la
notation infiniment subtile de la vision personnelle. Une technique des
plus raffinees s'imposait pour exprimer le tres rare, la note individuelle
la plus secrete, technique qui ne tarda pas a devenir une maniere, une
nouvelle rhetorique. Appliquee a l'exces, elle tendait a devenir un art
qui ne serait accessible qu'a. une elite d'inities. Par cette recherche d'une
originalite marquee, leur art se rattache a l'„6criture artiste" que cultivaient les Goncourt et Huysmans, maitres incontestes, qui pour cette
raison susciterent aupres de nos auteurs les plus grands enthousiasmes
et n'ont pas manqué de les inspirer 1). Noter consciencieusement les plus
1) Pour prouver combien ii est souvent difficile de designer avec quelque fondement
la source d'une inspiration probable, nous rappelons au lecteur la comparaison
que nous avons faite entre la description des chènes dans Hoist in het Woud de
Netscher et une page analogue dans L'Education sentimentale (voir p. 51).
Avec autant de raison cependant nous aurions pu la rapprocher d'un passage que
nous empruntons a Manette Salomon (1867), public deux ans avant L'Education
sentimentale et singuliêrement correspondante a la phrase citêe de Flaubert: „Il y
avait des chenes rugueux, enormes, qui se convulsaient, s'etiraient du sol, s'etreignaient les uns les autres et fermes sur leurs troncs pareils a des torses, se lancaient
204
infimes details, rendre, avec un soin particulier, leurs multiples sensations,
s'attacher a saisir l'atmosphere poetique de l'exterieur, voila ce que devint'
a peu pres, l'unique et l'essentielle preoccupation des „artistes purs".
Ces assoiffes de beaute ne se montraient sensibles, semblait-il, qu'au
dehors pittoresque qu'ils etudiaient et notaient avec une attention toute
particuliere, avec un clevouement presque religieux. C'etaient en quelque
sorte des titres jeunes, des primitifs que ravissait la richesse, la surabondance de la nature environnante. La vie banale de tous les jours les exaltait et elle etait rendue avec une sincerite quasi „scientifique", qui cependant, dans son essence, tenait plus d'une renaissance vitale que d'une
etude objective de la realite. Leur frenesie a creer ne les mettait point en
garde contre les erreurs dont beaucoup de Francais, obeissant a de longues
traditions, ont su se preserver. Alors que l'auteur francais, d'une maniere
generale, ne reproduisait pas plus le decor qu'il n'etait strictement
necessaire pour situer ses personnages, le Hollandais, par suite de son.
emotivite „visuelle", ne cherchait qu'a eblouir par ses peintures somptueuses 1). La phrase souffrirait de cette intemperance; elle a quelque
chose de touffu, d'embrouille qui pese et fatigue la oil l'on voudrait la
clarte, la precision qui caracterise la prose de Flaubert et de Guy de
Maupassant, ou de Kloos et de Couperus chez nous.
Les vices de ces raffinements et de cette manie de peindre ne tarderent
pas a se faire sentir. Plus qu'a l'homme et a sa vie interieure, l'interét
des artistes-peintres allait au decor, a l'ambiance immediate. IN n'arrivaient pas, comme s'y entendait parfaitement l'auteur naturaliste francais, a rendre poignant le conflit de l'homme avec son milieu. IN ne
avec leurs bras nus des appels de desespoir, des menaces furibondes, comme un
groupe de Titans immobilises dans leur colere".
Les Goncourt evoquent le paysage en ces termes: „A voir la torsion de leurs branches
noires sur le ciel, la convulsion de leurs forces, le desespoir de leurs bras, le tourment qui les sillonne du haut en bras, l'air de colere titanesque qui a fait donner
a l'un de ces geants furieux du bois le nom qu'ils meritent tous: le Rageur. Manette
Salomon, ed. Flammarion et Fasquelle, p. 315.
On comprendra notre scrupule a tirer des conclusions de ce parallêle.Comme on ne
saurait admettre que Flaubert efit imite les Goncourt, it faut aboutir a cette conclusion que, d'une maniere generale, les auteurs se sont accoutumes a observer et
a noter le monde ambiant avec une si grande precision que les traits saillants des
memes objets frappent les sens et les coeurs d'une meme maniere.
1) H. Padberg dans De Mooie Taal [La belle Langue], 's-Hertogenbosch, Malmberg,
1924, et W. Kramer, dans son Inleiding tot de Stilistiek [Introduction a la Stylistique],
Groningen, Wolters, 1935, ont releve les merveilleux effets qu'ont su atteindre ces
„artistes du verbe", notamment le peintre-ecrivain Jac. van Looy.
205
visaient pas, comme les Francais, a scruter les coins et recoins d'une
ame, of in d'y dêcouvrir les mobiles secrets qui poussent les individus
aux actions tragiques, ineluctables. Hs se revelaient avant tout comme
des peintres et non pas comme des psychologues ni comme des moralistes. L'auteur francais, plus grand psychologue, meilleur connaisseur
du cceur humain, tenait a clevoiler les inquietudes, les angoisses d'une
ame aux prises avec son ambiance; pint& que de nous eblouir, it nous
emeut et nous saisit par sa force dramatique; it est, disons-le, plus humain,
stir d'empoigner, encore a l'heure actuelle, un grand nombre de lecteurs.
Beaucoup plus que les „artistes purs", les romanciers dont nous avons
parle au chapitre III, se sont interesses aux problemes philosophiques et
scientifiques de leur époque. La preoccupation des grandes questions de
la vie que remuait le roman naturaliste, n'impliquait point d'ailleurs
l'abandon des preoccupations esthetiques qui demeuraient pour ainsi dire
primordiales. L'ambition de bien peindre, l'amour de l'epithete rare et
expressive primait, chez la plupart de ces auteurs, toutes les autres
questions. Coenen, Aletrino ne se montrent pas moins soucieux de l'ecriture artiste que Frans Erens ou Van Deyssel; ils egalent leurs pred6cesseurs immediats dans l'observation et la notation consciencieuses de la
realite ext6rieure; comme eux ils transcrivent, avec une attention
scrupuleuse, les impressions qu'ils recoivent du dehors. Par leur amour
du menu trait, du detail frappant, des touches fines et delicates, ils se
revelent comme des representants non moins typiques de la Kleinmalerei,
si caracteristique de notre art du XIXe siecle et aussi familier aux artistes
de l'art pour l'art qu'au realisme humanitaire et sentimental d'avant 1880.
Ce qui donne cependant a l'art de ces romanciers son accent propre,
sa marque distinctive, c'est le ton d'un profond et amer pessimisme qui
se degage de leur oeuvre; nous avons vu, dans notre introduction au.
chapitre III, que ce pessimisme, fruit des theories et des doctrines positivistes, se rattachait par son caractere propre, aux tendances du roman
naturaliste. L'infiltration de ces idees dans notre pays fait naitre ici,
comme en France, une litterature de la „Maite"; dans notre roman
s'introduit le type du degenere, du nevrose, sans idealisme, conscient de
son desenchantement, hante par le cauchemar d'une implacable fatalite.
Cependant un rapprochement des deux litteratures fait voir des divergences sensibles. La chose qui nous frappe le plus, si l'on compare les
deux courants litteraires, c'est que, d'une facon generale, le roman
francais donne l'illusion d'une plus grande objectivit6 que la notre. Par
206
reaction surtout contre certains exces de l'ecole romantique, le romancier naturaliste, a eu, a un tres haut degre, le respect du „document".
Son ambition de connaitre la verite pure, de se familiariser aussi intimement que possible avec sa matiere, l'amenait souvent a faire de
serieuses etudes preparatoires, avant qu'il commencat a construire, avec
l'appui des materiaux soigneusement rassembles, son ceuvre d'art. Evidemment le romancier hollandais n'avait pas, comme le naturaliste
francais, le souci de subordonner son roman a des tendances scientifiques. A une ou deux exceptions pres, ii ne possedait pas ce gout de la
documentation exacte et etendue a laquelle se substituait chez lui, grace
a sa memoire visuelle, l'amour des nombreux details pittoresques.
L'auteur hollandais ne tendait pas, comme l'auteur francais, a suivre
pas a pas les etapes d'une degenerescence, a en expliquer scientifiquement
l'evolution, mais A preferait depeindre la vie intime d'une ame, transcrire
les plus infimes reactions qu'elle ressent aux impressions du dehors.
D'autre part son individualisme effrene l'amenait a creer des figures
toutes subjectives, auxquelles it pretait ses nerfs, sa sensibilite, son desenchantement a lui. A Pinstar de l'auteur romantique it tenait a affirmer
dans son ceuvre son manque de foi, sa mortelle „fatigue de vivre", a projeter son moi dans le monde, a le conquerir par son orgueil blesse. Faute
d' imagination it se trouvait souvent impuissant a evoquer des figures
en dehors de lui-meme ou du moins en dehors d'un certain type a qui ii
s'imaginait etre etroitement apparente. Son besoin de se replier sur son
moi, de concentrer toute son attention sur sa vie interieure faisait que
souvent son oeuvre ne sortait pas du „journal intime". Le roman, sous
sa plume, ne serait que l'enchainement d'une serie d'etats d'ame, oil
tout le dramatique se trouvait dans une gradation, un crescendo allant
vers un &tat de paroxysme ou vers un denouement fatal. Alors que les
naturalistes francais, taus romanciers de race, nous presentent des
figures qui agissent, se heurtent et se bousculent, qui constituent, dans
leur ensemble, un monde de types vivants, agites d'obscures passions,
la litterature hollandaise de cette époque ne presente que l'uniforme et
invariable type du nevros6, s'absorbant dans son desespoir, incapable
de s'affirmer par des actes. C'est cette passivite, cette impuissance a se
redresser contre son desarroi moral, cette absence de lutte qui fait de ce
„heros" une figure mievre, anemique, contrastant singulierement avec
celle d'une Emma Bovary par exemple, qui soutient jusqu'a la fin sa
lutte tragique et desesper6e contre le noir destin.
Nous touchons ici au point essentiel qui explique, a nos yeux, l'incon-
207
testable superiorite du roman naturaliste francais au nOtre, qui explique
de meme son succes et sa duree. D'une maniere generale le Francais,
par des dispositions naturelles et a la suite de deux ou trois siecles de
production classique depuis l' Astrie jusqu'h Dominique, se revele, plus
que le Hollandais, comme un passionne de l'analyse psychologique. Ce
qui constitue sa valeur, c'est son ambition de scruter le trefonds du coeur
humain, de se pencher avec un grand amour sur la vie douloureuse des
autres. Il a le don de s'exterioriser, de sortir de son moi, de creer objectivement des caracteres et de leur insuffler de la vie, aptitude difficile a
acquerir, meme si des exemples et des preceptes fameux sont la, pour
guider le debutant.
Les Auteurs de 188o dont nous parlons ici, furent sans aucun doute
de grandes et subtiles intelligences, de tres habiles artistes, ils ne furent
pas des grands auteurs. Les figures qu'ils creent sont savamment reflechies, concues d'apres un modele, un scheme convenu. Its ne savent pas,
comme les Balzac ou les Flaubert, se mettre dans la peau de leurs personnages, vivre de l'existence des figures que leur imagination creait.
Its auraient ete impuissants a beneficier des beaux preceptes d'un Flaubert qui n'avait cesse de repeter que l'auteur doit se renoncer a lui-meme,
abdiquer sa personnalit6 d'homme, ne pas faire transparaitre dans son
oeuvre ses emotions intimes. A l'exception d'un Emants par exemple,
its ne savaient pas atteindre cette heureuse objectivite que pretendaient
observer ceux qui avaient ete, a tant d'egards, leurs maitres. Leur impuissance a prendre du recul, leur ambition d'etaler leur moi, expliquent
leur echec, leurs insucces aupres du public. Au lieu de nous mettre en
presence d'hommes qui luttent et se demenent contre la fatalite du destin
ou la tyrannie de leurs instincts, ils ne font que suggerer, tres habilement
et avec beaucoup d'art parfois, des etats d'ame, des sensations intimes,
sans parvenir d'ailleurs a insuffler au recit le mouvement, la tension qui
empoigne le lecteur. Celui-ci reste confondu, desabuse devant ces „vaincus
du sort", sans resistance morale, sans foi, resumant leur vision du monde
dans un sinistre et deprimant „a, quoi bon". L'impression genërale qui
se degage de cette litterature „naturaliste" est Celle d'une accablante et
morne monotonie, impression a laquelle ajoutent les amples peintures
detaillees, le manierisme fatigant de l'„ecriture artiste". Presentee sous
cette forme, cette litterature n'a p.0 durer; elle n'a jamais captive la
masse des lecteurs, rebutant meme le lecteur intelligent et avise.
Les auteurs qui ont trouve dans la misere sociale leur principale source
20 8
d'inspiration ne s'ecartent pas non plus essentiellement, en ce qui
concerne leurs ambitions artistiques, des auteurs de l'art pour l'art. A
premiere vue leur souci principal ne semble pas se distinguer sensiblement
de celui de leurs preclëcesseurs immediats, consistant a faire une peinture
toute subjective de l'exterieur pittoresque, en notant soigneusement les
plus infimes details.
Quanta la forme, le roman social herite du roman impressionniste
son style, son vocabulaire, ses procedes artistiques. L'influence du roman
francais est, a cet egard, de nulie importance; c'est tout au plus si,
par ses descriptions realistes, it a incite nos auteurs a s'attaquer avec la
meme franchise aux peintures hardies des bas-fonds.
Cependant, leur vision personnelle de la vie, leur maniere particuliere
d'envisager l'univers, nouvellement orientee sous l'impression des evenements politiques, ne manque pas d'avoir sa repercussion sur leur oeuvre.
Leur regard se porte exclusivement sur la realite „basse", sur les miserabies conditions sociales ou vivent les classes populaires. IN aiment
decrire les interieurs sordides, les quartiers pauvres, la promiscuite des
logements, non pas pour des fins purement artistiques, mais pour faire
oeuvre de protestation, pour &ever la voix contre les abus sociaux que
tolere le regime bourgeois. Aux jouissances esthetiques des auteurs de
l'art pour l'art se substitue une tendance nettement moralisatrice, telle
que nous la constatons dans les Quatre Evangiles. A l'attitude „passive"
des auteurs naturalistes qui, sans foi dans un avenir meilleur, observent
l'effort inutile de l'humanit6, s'oppose leur attitude „active", militante,
nee de la conscience que leurs peintures realistes peuvent contribuer
creer un nouvel ordre social qui garantira le bonheur et la liberte de l'individu. Ce n'est pas qu'ils se revelent comme des optimistes nettement
declares; la vie de la realite, la revelation des multiples abus, mis au grand
jour par des enquétes sociales ou morales, suffit a faire naitre un pessimisme qui les inspire et feconde leur art.
Ici encore l'auteur impose sa personnalite. A chaque page transparait
son indignation, sa haine, sa revoke, sa compassion aussi devant la
souffrance humaine, sentiments qui communiquent quelquefois a l' 'oeuvre
de Van Groeningen ou de Hartog un accent infiniment emouvant. Dans
notre introduction au chapitre IV, nous avons vu que l'evolution du roman
social en Hollande s'est accomplie dans d'autres circonstances qu'en
France, que son caractere et ses tendances se distinguent nettement du
roman social francais. Le role qu'avait assume, des sa naissance, le roman
social tel que le concurent les Goncourt et Zola, êtait avant tout d'ordre
209
scientifique, en empruntant a la science ses mëthodes et ses desseins.
Le souci que montre l'auteur francais a s'effacer de son ceuvx e le preserve
du defaut, si familier au roman hollandais, de souligner et d'accentuer
la tendance morale qui revet quelquefois, chez un Heijermans par exemple, un caractere d'une lourde et irritante importunit6. C'est a peine
qu'on clemele dans notre litterature sociale l'ambition d'etudier „scientifiquement", a grand renfort de documents, l'influence qu'exerce le
milieu sur l'individu. De plus, l'interet que montre l'auteur hollandais
pour l'homme et ses conflits dramatiques avec un milieu hostile est tout
a fait d'ordre secondaire. Le gout de la description „artiste", qui ne cesse
de prevaloir, explique le desinteressement du drame humain sans lequel
it est difficile de concevoir le roman francais. L'homme qu'on se plait
a depeindre est invariablement le meme type: c'est le „rate" social, reduit
a un kat d'affreuse misere, c'est le vagabond, le mendiant, le clochard,
l'ouvrier sans travail et adonne a la boisson, en somme le type qui, sans
etre conscient de sa decheance, ne songe pas meme a se relever et a se
raidir contre sa detresse. En ce qui concern le fond, it est impossible de
croire que notre litterature sociale ait pris son veritable essor sous la
suggestion immediate des grandes epopees sociales de Zola ou de tel
autre auteur naturaliste. On ne saurait etablir entre elles de rapprochements precis; ce qui n'empeche que l'exemple de la litterature naturaliste
francaise, feconde en sujets „populistes", n'ait pas laisse d'agir plus
ou mains consciemment sur nos auteurs, d'autant plus que le reveil social chez nous en ces annees favorisait particulierement la penetration et
l'extension des tendances nouvelles.
Cependant, les auteurs qu'a produits cette periode ate:rake ne nous
apparaissent pas de taille a etre compares a Zola par exemple; aucun
n'a su l'ëgaler dans ses evocations magistrales des masses ou ses tableaux
puissants de la misere humaine. Tous ont paru egalement impuissants
construire une oeuvre monumentale qui se rapproche de la sienne. Van
Groeningen qui, s'inspirant de son exemple, concut l'idee de faire le „drame
du peuple", manquait de vigueur et d'equilibre pour achever sa conception grandiose. Hartog eveillait des espoirs, mais, s'engouant des
methodes des „ecrivains artistes", it s'empetra dans de facheuses tentatives impressionnistes. Le plus grand assurement d'entre eux, Herman
Heijermans, ne s'est pas ddendu toujours de meler dans son oeuvre trop
de son moi, de verser dans la propagande politique ou la satire sociale 1)
1) Plus tard seulement Israel Querido, grand visionnaire et talent epique, reussira
14
210
Toute l'originalite de ces auteurs reside avant tout dans les peintures
pittoresques, colorees des milieux qui les choquent par leur misere.
Toutefois on demele dans leur ceuvre des accents qui annoncent indeniablement le retour a une litterature plus „humaine". Avec plus d'attention et d'amour que les impressionnistes, ils se sont penches sur la souffrance morale et sociale du prochain, sur l'eternelle tragedie de l'homme
dans son conflit avec un milieu hostile. C'est par la qu'ils se rapprochent
de Zola, de son „humanite", source ou le roman bourgeois d'aprës 190o,
celui de De Meester et de Robbers par exemple, trouvera encore une
si heureuse inspiration.
A plus d'un point de vue done, l'exemple de la litterature naturaliste
en France a ete pour plusieurs de nos auteurs d'un veritable et tres
heureux profit. Son action etait avant tout ceuvre de suggestion, d'inspiration; nous lui devons qu'il a prepare, puis accelere et dirige, aux environs de 188o, ''expansion litteraire et artistique qui s'annoncait. Par
ses traits les plus marques le mouvement de 188o se rattache, a beaucoup
de points de vue, au courant litteraire contemporain en France.
On dit de certaines idees qu'elles sont „dans ''air". Le Mouvement de
188o presente, a cet egard, un exemple frappant de la fawn dont, grace a
une communaute inconsciente d'esprits et d'aspirations, pouvait naitre
dans notre pays un art qui, par ses tendances particulieres, serait tout
a fait voisin de la litterature francaise de l'heure. Nous nous sommes
efforce de montrer comment les auteurs auxquels nous avons assigne
une place dans notre etude, se sont, en vertu d'une predisposition intime,
assimile tel trait, tel etat d'esprit particuliers de la litterature etrangere,
comment, sous 'Influence de coincidences fortuites, on a vu se &former
une tendance, modifiee et adapt& aux besoins intimes des consciences
individuelles. C'est ainsi que tel element qu'on ne comprenait pas, etait
rejet6, que tel autre correspondant a une mentalite existante, etait
assimile et cultive a l'exces. Plus d'un auteur aussi, par suite d'une evoa evoquer par les truculentes descriptions de son epopee De Jordaan (c'est le nom
d'un vieux quartier d'Amsterdam) la vie dramatique et passionnee des classes
populaires, roman par lequel it semble egaler l'auteur des Rougon-Macquart.
Helas, son intemperance artistique, son ambition d'eblouir, sa virtuosite verbale,
defauts qu'il faut peut-etre attribuer a ses origines juives, ne lui ont valu qu'une
trop ephemere reputation. De Jordaan a ête traduit en francais par Andriês de
Rosa et Georges Rageot; voir aussi ''article de Henri Barbusse dans Les Nouvelles
litte'raires, du 15 act. 1932, Isaac Querido, poête et guide.
211
lution particuliere de son esprit, due souvent a des suggestions du
dehors, s'est degage d'une influence qui, au debut, paraissait avoir tant
de prise sur lui.
Nous esp6rons avoir contribue a faire mieux comprendre ce tumultueux
et complexe Mouvement de 1880, oil tant d'aspirations se rencontraient
et se heurtaient, oil tout bouillonnait, fermentait et preparait le large
epanouissement auquel nous assistons plus tard, mais dont l'esprit et
les tendances ne se concoivent guere sans evoquer les noms illustres des
grands maitres du realisme francais, ceux de Flaubert, des Goncourt,
de Huysmans et surtout de Zola.
Nous ne nous sommes point dissimule les difficultes qui se presentaient
dans une etude pareille; tres souvent nous avons constate combien it est
delicat de se prononcer nettement sur une matiere oil tant d'imponderabies, d'ordre spirituel aussi bien que materiel, caches a jamais, decident
de la naissance de l'ceuvre d'art.
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219
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INDEX DES NOMS PROPRES
Les chiffres en caracteres gras renvoient aux passages spe'cialement
consacre's aux auteurs de'signds.
A
Bilderdijk (Willem), 181.
Bilders (J.-W.), 16.
Adama van Scheltema (C.-S.), 41, 105,
Bisschop (R.), 16.
182.
Bloy (Leon), 81, 93.
Alberdingk Thijm (J.-A.), 56, 57.
Bock (Theophile de), 76.
Aletrino (Aaron), 27, 32, 78, 97, 124,
Boeken (Hein), 39.
140-148, 150, 183, 185, 205. Boersma (K.-H.), 21.
Artz (D.-A.-C.), 15, 16.
&game, 36.
Apol (Louis), 78.
Boissevain (Charles), 119, 154.
Augustin (Saint), 94.
Boissier (Gaston), 90.
Booven (Henri van), 104, 125, 138.
Bosboom (J.), 16.
B
Bosboom-Toussaint (A .-H.-G.), 104, 126.
Bakhuizen van den Brink (R.-C.), 2, 5, Bouman (G.-F.), 139.
Bourget (Paul), 34, 51, 75, 104, 116.
99.
Balzac (H. de), IO, 12, 24, 26, 42, 62, 74,
Braak (Menno ter), 40, 41.
98, 105, 114, 115, 137, 154, 187, 207. Bredero (Gerbrand Adriaensz.), 79.
Banville (Theodore de), 54.
Breitner (G.-H.), 16, 18, 76.
Barbey d' Aurevilly, 19, 20, 81, 82, go. Brink (Jan ten), 6, 7, 8, 10, II, 12, 13,
Barbusse (Henri), 210.
41, 43, 76, 99, 107, 125, 126, 141.
Barres (Maurice), 25, 34, 37, 38, 89, 90, Brom (Gerard), 15, 20, 48, 78.
Brunetiere (Ferdinand), 24, 66.
93.
Baudelaire (Charles), 20, 36, 37, 38, 54, Brusse (M.-J.), 84, 86_185.
82, 89, 92, 93, 202.
Buckle (Henry-Thomas), 180, 182.
Bauer (M.-A.-J.), 16, 18, 76, 87.
Busken Huet (Conrad), 5, 7, 8, 9, io, 28,
Beaumarchais, 153.
57, 99, 183.
Becker (K.-F.), 182.
Becque (Henry), 74.
C
Beets (Nicolaas), 163.
Beer (Taco-H. de), 7. Capuana (Luigi), 74.
Berger (Lya), 2.
Caro (E.-M.), 90, 153.
Berlage Kz. (H.-P.), 38.
Carlyle, 163.
Bernard (Claude), 42, 43.
Castel (Paul Robert de), 74.
Bernardin de Saint-Pierre, 153.
Cats (Jacob), 79.
Bijvanck (C.-W.-G.), 37.
Caze (Robert), 74.
222
Ce'ard (Henry), 74.
Cervantes, 19.
Cezanne (Paul), 153.
Champfleury, 74.
Chantepie de la Saussaye (P.-D.), 99.
Charasson (Henriette), 38.
Chateleux (Engelbert de), 48.
Claretie (Jules), 143.
Coenen Jr. (Frans), 37, 38, 78, 97, 117,
124, 146, 148-152, 157, 162, 169,
185, 205.
Coenen Sr. (Frans), 148.
Colin (Paul), 168.
Cooplandt (A .) (pseud. de Arij Prins), 76.
Coppee (Francois), 180.
Corot (J.-B.), 16.
Costa (Isadc da), 58.
Coster (Dirk), 27, 105.
Couperus (Louis), 12, 27, 34, 35, 41, 95,
97, 104, 124, 125-140,154, 204.
Courbet (Gustave), 16, 17.
Cremer (J.-J.), 164, 166.
Gros (Charles), 89, 90.
169, 181, 183, 184, 193, 198, 201,
205.
Diaz, i6.
Dickens (Charles), 8, 107, 148, 163, 176.
Diderot, 153.
Diepenbrock (Alphons), 36, 37, 38, 87,
93, 95, 102, 148.
Domela Nieuwenhuis (F.), 166, 167.
Doorenbos (Willem), 24.
Dossi (C.), 74.
Dostolevski, 74, 200.
Doucet (F.), 168.
Dozy (R.), Ioo.
Drost (Aernout), 5.
Droz (Gustave), 15.
Ducot (Louise) (pseud. de Jacques Treve),
39.
Dujardin (Edouard), 25, 34, 81, 90.
Dumas fils (Alexandre) 57.
Dumesnil (Rene), 3, 7.
Dupre (Julien), 16.
Duranty, (Philippe), 74, 75.
E
D
Dante, 19, 22.
Darwin, 44.
Daubigny (C.-F.), 16.
Daudet (Alphonse), 10, 27, 38, 51, 64,
77, 90, 156.
Debussy (Claude), 36.
Deffoux (Leon), 168.
Degas (Edgar), 54.
Dekker (G.), 30, 39.
Delang (pseud. de Jan Hofker), 96,
Delavigne (Casimir), 5.
Derkinderen (A. J.), 37.
Descaves (Lucien), 81.
Desprez (Louis), 43, 74, 75.
Deventer (Ch.-M. van), 26, IoI.
Deyssel (Lodewijk van), 3, 5, 12, 13, 14,
15, 22, 25, 26, 29, 31, 32, 33, 34,
35, 36, 40, 43, 45, 46, 47, 48, 53,
55, 56-73, 74, 76, 87, 93, 94, 95,
96, 1o1, 118, 137, 141, 147, 154,
Eckhart, 36.
Eeden (Frederik van), 24, 25, 30 , 33, 34,
73, 95, 104, 105, 140, 141, 143.
Eeden (Martha van), 143.
Eggeman, 27.
Eliot (George), 24.
Emants (Marcellus), 7, 10, II, 17, 20,
74, 97, 99, 104, 107-125, 135, 140,
150, 157, 162, 207.
Erens (Frans), 19, 27, 33, 34, 36, 39,
73, 87-95, 96, 189, 202, 205.
Eschyle, 130.
Euripide, 130.
Everts Jr. (J.), Io6.
Eyck (P.-N. van), 106.
F
Feuillet (Octave), 9.
Fevre (Henri), 75.
Feydeau (Ernest), 8.
Fischer (F.-H.), 104.
Flaubert (Gustave), 2, 6, 7, 8, 10, II, 12,
223
15, 19, 20, 27, 30, 31, 41, 42, 46,
48, 51, 52, 54, 62, 67, 76, 78, 81,
84, 85, 86, 87, 93, 98, 103, 108, 123,
127, 137, 138, 141, 149, 187, 202,
203, 204, 207, 211.
Forain (J.-L.), 54.
Fort (Paul), 39.
France (Anatole), 37.
Francesco (Dr.), II.
Franck (Cesar), 36.
Froehner (Wilhelm), 7.
Fromentin (Eugene), 17, 18.
6
Gallas (K.-R.), I.
Gautier (Theophile), 203.
Geel (Jacob), 2, 5, 99.
Gerhard (A.-H.), 167.
Gerversman (H.), 170, 171, 172, 173, 175,
176, 181, 182.
Gide (Andre), 36.
Goes (Frank van der), 13, 51, 141, 174.
Goethe, 21, 84.
Gogh (Vincent van), 18, 168.
Gogol, 74.
Goncourt (Edmond de), 16, 29, 45, 50, 51,
54, 74, 76, 81, 94, 143, 167.
Goncourt (les), 2, 18, 20, 22, 27, 30, 31,
32, 37, 42, 48, 62, 78, 98, 104,
116, 134, 141, 142, 144, 161, 203,
204, 208, 211.
Gorter (Herman), 30, 39, 40, 182, 183.
Goudeau (Emile), 88.
Gourmont (Remy de), 36, 187.
Griss (J.-J.), 105.
Groeningen (August-P. van), 160, 162,
169, 17o-182, 183, 184, 190, 208,
209.
Granewald (Mathias), 84.
H
Haar (Bernard ter), 101, 163.
Habbema (Koos) (pseud. de H. Heijermans Jr.), 197.
Hack van Outheusden (Ph.), I0 1.
Hall (J.-N. van), 27, 176.
Hamel (A.-G. van), II, 23, 103.
Harancourt (Edmond), 89.
Hartog (Henri), 26, 140, 169, 174,
183-185, 190, 208, 209.
Hartog (M. den), 170, 171.
Hauptmann (Gerhart), 201.
Havelaar (Just), 39, 105.
Heine, 109.
Heijermans Jr. (Herman), 26, 36, 41,
140, 165, 169, 182, 184, 192-201,
209.
Heijermans (L.), 192.
Hennequin (Emile), 81.
Hennique (Leon), 27.
Hertog (C.-H. den), 139, 154.
Hildebrand (pseud. de Nic. Beets), 6,
73, 123.
Holbach (d'), 153.
Hondius van den Broek, 148.
Hooft (Pieter Czn.), 5.
Horace, 19.
Houten (S. van), 166.
Houten (Mlle B. van), 76.
Huet (Ge'de'on), 8.
Hugenholtz (P.-H.), 24.
Hugo (Victor), 19, 20, 57, 59, 85, 165,
176, 180.
Hulzen (Gerard van), 184, 186-192.
Huysmans (J.-K.), 2, 16, 19, 20, 22, 27,
30, 31, 32, 34, 35, 36, 42, 49, 50,
53, 54, 64, 7 1 , 74, 75, 76 , 78, 8o,
81, 82, 83, 84, 85, 86, 87, 93, 94,
120, 141, 149, 203, 211.
I
Ibels (Henri-Gaspard), 183.
Ibsen (Hendrik), 36, 148, 201.
Icres (Ferdinand), 89.
Ising (A.-H.-L.), 24.
Israels (Isadc), 18, 19, 20, 76, 91.
Israels (Joseph), 16, 17, 41.
J
Jaarsma (D.-Th.), 157.
224
Jolles (Andrei), 38, 107, 148.
Jongkind (J.-B.), 16.
Jouy (Jules), 89.
K
Kaemmerer (F.-H.), 15.
Ka lf (Jan), 38, 148.
Ka lff Jr. (G.), 104.
Karsten (G.), 197, 200.
Keats, 30, 39.
Keller (Gerard), 166.
Kempis (Thomas a), 39, 94.
Kern, 100.
Khnopff (Georges), 84, 8 5Kingsley (Charles), 163.
Klikspaan (pseud. de Joh. Kneppelhout), 6.
Kloos (Willem), 19, 21, 22, 29, 30, 32,
39, 48, 5 6, 73, 79, ICI, 102, 118,
120, 124, 141, 155, 170, 171, 172,
173, 183, 193, 202, 204.
Kock (Paul de), 7.
Koetsveld (C.-E. van), 8, 164.
Koo (J. de), 154.
Kramer (W.), 204.
Kruseman (Jan), 17, 100.
Kryzinska (Marie), 89.
Kuenen (A.), Ioo.
Kuiper (W.-J.-E.), 138.
L
Laffan (May), 28.
La Fontaine, 153.
Laforgue (Jules), 25.
Lamennais, 165.
Landry, 8i.
Larbaud (Valery), 41.
La Rochefoucauld, 153.
Lautere (Adrienne), 105, 126.
Le Blond (Maurice), 13.
Le Blond-Zola (Denise), 13.
Leconte de Lisle, 126, 128, 158, 180.
Lemaitre (Jules), 98.
Lemonnier (Camille), 35, 46, 74, 75, 126.
Lennep (Jacob van), 8.
Leopardi,i9, 153, 159
Lepine (S.- V.-E.), 16.
Lessing ,124.
Letourneau (Charles), 115.
Leveille (Jules), go.
Lievre (Pierre), 31.
Loenen Martinet (J. van), 139.
Loghem (M.-G.-L. van), 176.
Lombard, 138.
Loon (H. van), 2, 41.
Looy (Jacobus van), 56, 147, 183, 204.
Lotsy (M.-C.-L.), 38, rm.
Lucas (Dr. Prosper), 44.
Lugne-Poe, 36, 195, 196.
M
Maeterlinck (Maurice), 3 , 35, 36, 71, 196.
Mahler (Gustave), 36.
Mallarmd (Stephane), 34, 36, 37, 39.
Maygueritte (Paul), 42, 45, 74, 81.
Maris (Jacob), 15, 16, 18.
Marmontel, 1.
Martino (Pierre), 44.
Masson (Armand), 88.
Maupassant (Guy de), 19, 20, 27, 28, 3o,
31, 32, 48, 6o, 64, 75, 78, 81, 122,
141, 145, 155, 158, 187, 204.
Maurik (Justus van), 4 2, 44, 73, 154, 192
Mauve (A.), 16, 17, 76.
Maynial (Edouard), 64.
Meester (Johan de), 16, 32, 56, 97, 105,
112, 125, 152-162, 171, 180, 191,
210.
Mesdag (T.), 17.
Meulen (F.-P. ter), 17.
Michelet (Victor-Emile), 89.
Millet (J.-F.), 16.
Mistral (Frederic) 39.
Moliere, 57.
Moore (George), 42, 44, 74.
More'as (Jean), 89, 9o, 93.
Moreau (Gustave), 81.
Multatuli (pseud. de Eduard Douwes
Dekker), 5, 45, 99, 100, 109, 153,
166, 181, 183, 193, 201.
Musset (Alfred de), 153.
225
N
Q
Nerval (Gerard de), 39, 90.
Netscher (Frans), 10, 12, 13, 14, 16, 24,
Quack (H.-P.-G.), Ioo, 166.
Querido (Israel), 4, 124, 161, 182, 209,
210.
26, 32, 41-56, 60, 61, 62, 93, 96, 99,
124, 125, 126, 128, 134, 137, 141,
169, 171, 203.
Neuhuys (Albert), 16.
Nieuwenhuis, 176.
Nijhoff (D.-C.), 8, 103.
Nolthenius, 37.
Noordenbos (O.), I, Ioo.
Nouhuys (W.-G. van), 48, 121, 126, 176
Novalis, 36, 102.
Nuyens (Dr. W.-J.-F.), 57, 58.
0
Offermans (T.-L.-G.), 76.
Ohm (pseud. de H.-L. Berckenhoff), 23.
Oliveira Jr. (E. d'), 42, 116, IV, 154.
Oordt (Adriaan van), 87.
Oudshoorn (J. van),
Oujda, 125, 131.
P
Paap (Willem), 40, 73, 141, 202.
Padberg (H.), 204.
Paschal (Leon), 24.
Pe'ladan, 36.
Pellico (Silvio), 94Perk (Jacques), 30, 36, 39, 183.
Pe'trarque, 137.
Pie'rard (Louis), 87.
Pierson (Allard), 20, 99.
Pinard (Ernest), 6.
Pinto (J.-L.), 74.
Platen (von), 21.
Poe (E.-A.), 38, 75, 82, 83, 128.
Pollmann (J.), 86.
Potgieter (E.-J.), 2, 5, 126, 154, 163, 164.
Priem (G.-H.), 27.
Prins (Arij), 14, 16, 19, 21, 27, 32, 42,
53, 54, 73-8 7, 96, 147.
Prinsen J. Lz. (J.), 56, 70, 87.
Puvis de Chavannes, 37.
R
Raaf (K.-H. de), 105.
Rachilde, 38, 92.
Rageot (Georges), 210.
Read (Charles), 89.
Read (Mlle), 89.
Redon (Odilon), 81.
Renan (Ernest), 10, 90.
Repkow (Eike von), 179.
Retie (Adolphe), 38, 93.
Richepin (Jean), 159.
Ridder (Andre de), 94, 130, 138, 186.
Rijnberk (Dr. N. van), 143.
Rimbaud (Arthur), go.
Riquetti de Mirabeau, 90.
Ritter Jr. (P.-H.), 57.
Rivare (Henri), 88.
Robbers (Herman), 73, 82, 105, 125, 148,
191, 210.
Rod (Edouard), 34, 90, 104.
Roelofs Sr. (W.), 16.
Roland Hoist (Henriette), io6.
Roland Hoist (R.-N.), 41.
Rolland (Romain), 105.
Rollinat (Maurice), 89.
Romein (Jan), 1, ioo, 165.
Rops (Filicien), 81.
Rosa (Andras de), 210.
Rousseau (J.-J.), I, 152, 153, 156, 162,
194.
Ruckert (F.), 21.
Ruysbroeck, 36, 37, 39, 7 1 , 94.
Ruysdael (Jacob-Isaac), 6.
S
Saalborn (Am.), 164, 165.
Sabatier (Pierre), 18.
Sachse (J.-E.), 27, 74.
Salverda de Grave (J.-J.), 10.
226
Sand (George), 9, 165.
Santen Kolff (J.-J. van), 9, 10, II, 13,
14, 15, 16, 17, 20, 37, 41, 43, 73,
99, 107, 110, 113, 124, 141.
Sapeck, 89.
Schaepman, 58.
Scharten (Carel), 40, 105, 117, 157, IgI.
Schendel (Arthur van), 87.
Schiller, 21, 84.
Schlosser (F.-C.), 182.
Scholten (J.-H.), Too.
Schopenhauer, 102, 153.
Schwob (Marcel), 37, 38.
Shakespeare, 22.
Shelley, 22, 25, 30, 39.
Smaele (Paul de), 202.
Smit Kleine (F.-S.), 8, 79, 107, II0.
Solpray (Nandor de), 81.
Sophocle, 22, 130.
Spencer, 44.
Staverman (W.-H.), 134, 139.
Steinlen (Th.-A.), 183.
Stellwagen (A.-D.), 41.
Stendhal, 41, 74.
Stokvis (Benno-J.), 57, 58.
Strindberg, 42, 74, 148.
Stuiveling (G.), Ica.
Suchtelen (N. van), 105.
Sue (Eugene), 176.
T
Taine (Hippolyte), 10, 20, go, 99, 109,
113, 114, 115, 127, 130, 179, 182.
Tak (P.-L.), 38, 148.
Thackeray, 24, 107.
Thiele, Too.
Tideman (P.), 170, 177.
Tielrooy (J.-B.), 8, 9, 10.
Tintoretto, 126.
Titien, 126.
Tollens (H.), 163.
Tolstoi, 24, 74, 187, 200.
Toorop (J.-Th.), 16.
Tourgue'niev, 50, 51, 74, III, 113.
Tre'zenik (Leo), (pseud. de Leon Epinette), 89.
Troyon (C.), i6.
Trudgian (Helen), 50, 84.
U
Uri (S.-P.), 14, 19, 20, 53, 54, 73, 75,
76, 79, 8o, 81, 82, 83, 113.
V
Valette (G.), 10, II, 103.
Valk (M.-W. van der), 19.
Valkhoff (P.), 13, 16, 27, 38, 8o, 82, 85,
108, 113, 116, 137, 138, 152, 155,
187.
Veldeke (Henric van), T.
Verga (Giovanni), 28, 42, 44, 74.
Verlaine (Paul), 16, 36, 37, 39, 201.
Verlaine (Mme), 90.
Veronese, 126.
Verwey (Albert), 36, 40, 45, 47, 73, 82,
105, 106, 141.
Veth (Jan), 38, 148.
Vijgh (S.-G. van der), 185.
Villiers de l'Isle Adam, 34, 38, 82, 90.
Viotta (Henri), 37.
Visscher (Roemer), 79.
Vloten (Joh. van), 99.
Vogue (E.-M. de), 74, 103, 104.
Voltaire, I, To.
Vondel (Joost van den), 39.
Vosmaer (Carel), 79.
Vosmeer de Spie (p seud. de Maurit
Wagenvoort), 38.
Vooys (C.-G.-N. de), 20, 63, 163.
Vries (Matthijs de), 5.
W
Wagenvoort (Maurits), 26, 37, 38.
Wagner (Richard), 36, 37.
Weber (Georg), 182.
Weissenbruch (J.), 16.
Wilde (Oscar), 128.
Willette, (Adolphe-Leon) 88, 183.
Winkler Prins (Jacob), 39.
Wolff (Albert), 19, 89.
Wolfgang van der Mey (H.), 24, 50.
Wyzewa (Tdodor de), 34, 122, 125.
227
Y
Ypes (Cath.), 137.
Z
Zilcken (C.-L. Philippe), 15, 16, 18, 20,
39, 76-
Zola (Emile), 2, 3, 8, 9, 10, II, 12, 13,
14, 15, 18, 22, 23, 24, 26, 27, 28,
31, 35, 38, 42, 43, 44, 45, 4 6, 48,
49, 53, 57, 58, 59, bo, 61, 62, 63,
64, 65, 66, 69, 70, 71, 72, 73, 74,
75, 77, 78, 81, 82, 87, 90, 93, 94,
96, 98, 99, 103, 104, III, 115, 116,
19, 123, 126, 127, 128, 129, 130,
133, 135, 136, 141, 142, 144,
153, 154, 155, 156, 161, 162, 166,
167, 168, 169, 171, 177, 178, 182,
187, 199, 200, 202, 208, 210, 211.
Zwart (W.-H.-P.-J. de), 18, 76.
200992_028
graa055reve01
Le revel' litteraire en hollande et le naturalisme francais [1880-1900]
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