td obligation 2012 - FSJP - Université Cheikh Anta Diop de Dakar

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td obligation 2012 - FSJP - Université Cheikh Anta Diop de Dakar
Université Cheikh Anta Diop de Dakar
Faculté des Sciences Juridiques et Politiques
Licence II Droit – Semestre III
Droit des obligations – Contrat
Année académique 2011-2012
Cours magistral Professeur Mayatta Ndiaye MBAYE
Travaux dirigés
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Université Cheikh Anta Diop de Dakar Cours magistral du Professeur Mayata Ndiaye Mbaye
Faculté des Sciences Juridiques et Politiques
Licence II Droit – Semestre III
Droit des obligations – Contrat
Année académique 2011-2012
Séance n° 1
Thème : Théorie générale du contrat
Sous-thème : l’autonomie de la volonté
Dissertation : l’autonomie de la volonté en droit des contrats
Bibliographie :
Ouvrages et articles
- Chazal J.-P., L’autonomie de la volonté et la « libre recherche scientifique », RDC, 2004/3,
621.
- Gounot E., Le principe de l’autonomie de la volonté en droit privé français. Contribution à
l’étude critique de l’individualisme juridique, thèse, Dijon, 1912.
- Jamin C., Plaidoyer pour le solidarisme contractuel, Mélanges Ghestin, 2001, p. 441 et s.
- Lequette Y., Bilan des solidarismes contractuels, Mélanges Paul Didier, 2008, p. 247 et s.
- Mazeaud D., Loyauté, solidarité, fraternité, la nouvelle devise contractuelle ?, Mélanges
François Terré, 1999, p. 603 et s.
- Ranouil V., L’autonomie de la volonté, naissance et évolution d’un concept, PUF, 1980.
- Richard D., Le contrat déstabilisé (de l’autonomie de la volonté au dirigisme contractuel),
JCP. 1979, I, 2952.
- Terré-Fornacciari D., L’autonomie de la volonté, Rev. des sc. mor. Et pol., 1995, 255.
Documents :
Document n° 1
Sacco R., Liberté contractuelle, volonté contractuelle, RIDC 4-2007, pp. 744-747.
R.I.D.C. 4-2007
LIBERTÉ CONTRACTUELLE, VOLONTÉ
CONTRACTUELLE
1. De l’autonomie à la volonté
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Dans la philosophie spontanée et implicite de toute époque, la règle de droit qui naît comme
conséquence de tel ou tel acte juridique est une petite loi capable de régir, dans une occasion
ou un petit nombre d’occasions, le comportement d’un sujet ou d’un petit nombre de sujets.
En fait foi la définition de la loi comme d’une communis rei publicae sponsio (D. I, III,1), et,
réciproquement, la vision de la convention comme d’un acte qui tient lieu de loi à ceux qui
l’ont faite (Code Nap., art. 1134). La conception de Hans Kelsen, qui voit l’ordre juridique
comme un système à marches successives, nous offre une vision raffinée de cette symétrie
entre la règle étatique et la règle individuelle.Le pouvoir de créer la norme privée a un nom :
autonomie. Cette expression se rapporte, littéralement, à la situation de celui à qui il
appartient d’établir les règles qui le concernent. On ne connaît pas de systèmes de droit où il
n’existerait aucune autonomie des sujets. L’instrument de l’autonomie est l’acte. Qui veut le
respect de la personne humaine veut l’autonomie. Il la veut à la condition que l’exercice de
l’autonomie ne nuise pas aux tiers. L’autonomie nous permet de constituer, par la célébration
du mariage, une famille. L’autonomie multiplie l’importance de la propriété, en vertu du
pouvoir de tester. L’autonomie permet de satisfaire ses propres besoins et nécessités, en les
graduant conformément à des priorités subjectives et des préférences personnelles. On
pourvoit à ces besoins par des échanges, qui, pris dans leur ensemble, constituent le « trafic »
juridique à l’oeuvre dans la société. Le droit encourage et protège ce trafic, car l’acte du
particulier, qui poursuit l’avantage individuel, ne peut pas produire en même temps un
avantage pour la société (l’acheteur achète à celui qui vend au meilleur prix, et c’est celui qui
adopte, dans la production, le procédé le plus économique,
qui vend au meilleur prix ; le vendeur aliène à celui qui lui offre le prix le plus élevé, et c’est
celui qui va tirer du bien l’utilité la plus grande qui offre la mise la plus élevée). La première
raison de la protection de l’autonomie se trouve dans la fonction sociale que remplit la volonté
individuelle. Le respect de l’autonomie a un sens, car il n’est autre chose que le respect de la
volonté individuelle. Si le « trafic » consistait en déclarations toutes affectées d’erreurs, toutes
détachées de volontés correspondantes, toutes créées par des comportements involontaires,
alors il vaudrait mieux leur refuser toute reconnaissance. Le droit français (ainsi que le droit
de tous les pays libéraux) place sur le devant de la scène l’autonomie, notamment le contrat.
Puisque le contrat est vu, à juste titre, comme l’expression de l’autonomie, et que l’autonomie
est le pouvoir de la volonté, il s’en suit que la volonté (ou mieux la rencontre de deux
volontés) est le contrat.
2. Limite de l’autonomie, limite du pouvoir de la volonté
Les atteintes au principe de la volonté peuvent avoir deux origines. D’un côté, l’autonomie
peut être mise en cause. Faut-il assurer la protection du droit à un contrat qui va à l’encontre
de la règle morale, des intérêts de la collectivité, de l’idéologie qu’exprime le pouvoir
politique, de la justice ? D’un autre côté, même là où l’autonomie règne sans problèmes, il
faut examiner l’hypothèse de la déclaration contractuelle (pleinement permise à ceux qui l’ont
voulue librement, consciemment et sans erreur) émise sans volonté. Ici, le problème consiste à
décider si, pour le droit, la déclaration qui est en conflit avec la volonté réelle est efficace ou
non.
Le problème de la limite de l’autonomie n’a rien à voir avec le problème du conflit entre
volonté déclarée et volonté interne. La littérature oublie souvent cette distinction. Si le
problème est celui de la limite de l’autonomie, le cœur est prêt à nous donner toutes les
explications nécessaires. Des limites sont imposées à
l’omnipotence de la volonté, car à partir du XIXe siècle le droit renonce à l’inspiration
individualiste et libérale, le droit entre dans une phase de socialisation, le juriste se soucie du
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bien commun et du principe de justice. D’ailleurs, le thème de notre essai n’est pas l’étendue
de l’autonomie. Notre thème est le mécanisme prévu pour exercer le pouvoir autonome. Si
nous voulons l’autonomie, nous voulons le pouvoir de la volonté. Cela suffit-il pour dire que
la volonté est toujours et sans réserve l’unique moyen pour l’exercice de notre pouvoir ? Cela
suffit-il pour conclure en faveur de l’équation biunivoque « volonté = exercice de l’autonomie
contractuelle » ?
Document n° 2
Terré F., Ph. Simler., Y. Lequette., Droit civil, Les obligations, Dalloz, 10e éd., 2009, pp. 43-47.
C. L’avènement d’un « monde contractuel meilleur »
41. Le solidarisme. Tout en posant à l’article 1134 le principe de la force obligatoire des
conventions, les rédacteurs du Code civil avaient tempéré celui-ci en précisant dans son
alinéa 3 qu’ « elles (les conventions) doivent être exécutées de bonne foi ». Mais durant fort
longtemps, jurisprudence et doctrine ne portèrent qu’une attention très limitée à cette
disposition. Néanmoins, dès l’entre-deux- guères, un auteur, René Demogue, avait pris appui
sur celle-ci pour développer une autre conception du contrat. Selon lui, le contrat serait non
le résultat d’une tension entre des intérêts antagonistes mais « une petite société où chacun
doit travailler dans un but commun qui est la somme des buts individuels poursuivis (par les
contractants), absolument comme la société civile ou commerciale ». On a ironisé sur cette
analyse en s’étonnant qu’à une époque où le mariage s’était peut-être transformé en
contrat, d’aucuns aient rêvé de transformer le contrat en mariage. Mais la critique n’a pas
suffi à désamorcer cette vision quelque peu idyllique de la vie contractuelle. Se réclamant du
« solidarisme contractuel », tout un courant de pensée contemporain soutient que le
contrat « devient un haut lieu de sociabilité et d’amitié où chacune des parties tache de
rendre toute justice à l’autre ». « Loyauté, solidarité, fraternité », telle serait la « nouvelle
devise contractuelle ». En vertu de celle-ci, on assisterait au « dépassement d’une
conception (…) individualiste et antagoniste du contrat où chacun veillait à la défense de ses
propres intérêts ». Ce serait à chaque contractant de prendre en considération les intérêts
de son partenaire, et même, pourquoi pas, de les « privilégier ». Quoi de plus naturel, au
demeurant, puisque la référence à la bonne foi commanderait « d’aimer (son contractant)
comme un frère », cette « aspiration fraternelle » se déployant dans le droit des contrats en
un « souci d’altérité et de générosité apte à rendre l’humain vraiment humain ». Serait ainsi
ouverte une troisième voie « à mi-chemin entre une conception dirigiste et une vision
purement libérale du contrat », laquelle aurait d’ailleurs elle-même tendance à se
dédoubler, certains auteurs privilégiant une approche plutôt morale du contrat, d’autres une
approche plutôt sociale.
42. Approche critique. On ne peut s’empêcher de penser qu’il y là une certaine confusion
des genres. Contracter, ce n’est pas entrer en religion, ni même communier dans l’amour de
l’humanité, c’est essayer de « faire ses affaires ». En voulant que tous les contrats soient
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traités sur le modèle du contrat de société, Demogue assimilait deux types d’opérations
irréductibles l’une à l’autre, et dont la doctrine a depuis clairement mis en évidence les
différences, le contrat-échange et le contrat-organisation.
« Les contrats-échange ont pour objet une permutation au terme de laquelle le bien A se
trouve entre les mains de B et le bien de B entre les mains de A ». Le modèle en est la vente.
« Les contrats-organisation instituent une coopération entre A et B lesquelles mettent en
commun des choses qui jusque-là leur étaient propres et les emploient à une activité
conjointe ». Le modèle en est la société. « Le premier type de contrat établit entre les parties
un jeu à somme nulle, en ceci que l’un des contractants gagne nécessairement ce que l’autre
perd ; les intérêts des contractants y sont donc très largement divergents, même s’ils
peuvent ponctuellement converger. Le deuxième type de contrat, au contraire, crée entre
les parties les conditions d’un jeu de coopération où les deux parties peuvent gagner ou
perdre conjointement ; leurs intérêts sont donc structurellement convergents, même si cela
n’exclut pas des situations de divergences », par exemple entre minoritaires et majoritaires.
Obéissant à deux logiques différentes, ces deux catégories de contrats ne sauraient relever
de la même philosophie. Alors que le contrat-échange est le produit d’une rencontre de
volontés qui constate la conjonction circonstancielle d’intérêts différents voire opposés, le
contrat-organisation prend sa source dans un concours de consentements poursuivant un
objectif commun.
Prétendre que l’individualisme et ses corollaires, notamment l’idée que chaque homme
doit veiller par priorité à la défense de ses intérêts, seraient supplantés dans la première
catégorie de contrat par la solidarité ou la fraternité qui uniraient naturellement tous les
membres du genre humain ne témoigne pas d’une connaissance approfondie des ressorts de
l’âme humaine. Le droit des contrats doit être conçu en fonction de l’homme tel qu’il est et
non tel qu’on voudrait qu’il fût ; il n’a, au reste, pas pour objet la perfectibilité de l’être
humain laquelle relève de la morale.
Produit d’un rapport de force, les contrats-échange offrent un terreau qui n’est guère
favorable à l’épanouissement de la solidarité, de la fraternité et de l’amitié dont certains
voudraient faire les ressorts de la vie contractuelle. Si l’on peut concevoir d’ « imposer à
l’individu contractant un certain dépassement de son individualisme foncier, et donc un
effort de rapprochement vers le partenaire contractuel », on ne saurait raisonnablement
aller au-delà et exiger de lui « un altruisme négateur de ses propres intérêts ou même plus
simplement un dévouement chronique et illimité ». Aussi bien les vertus évangéliques de
patience, d’indulgence et d’oubli de soi restent-elles étrangères au monde du contrat. Il est
vrai que certaines des dispositions qui ont pour objet la lutte contre les exclusions prêchent
l’allongement des délais de paiement ou même imposent à des créanciers l’abandon de
leurs créances. Mais c’est là sacrifier le contrat à des considérations qui lui sont totalement
étrangères et dont la logique profonde pourrait bien avoir, à terme, pour conséquence non
la diminution des exclus mais leur multiplication.
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Plutôt que de tabler sur une hypothétique solidarité humaine, il convient donc de
conserver comme pierre angulaire du droit des contrats le fait que les hommes portent, très
naturellement, dans leur grande majorité, plus d’attention à leurs propres intérêts qu’à ceux
d’autrui. Cela conduit à privilégier la mise en œuvre de procédures contractuelles qui
favorisent une rencontre équilibrée des volontés et par là même une certaine justice
contractuelle. Aussi bien, à vouloir organiser le contrat sur une base quelque peu utopique,
risque-t-on fort non d’ouvrir une troisième voie mais de retourner à un dirigisme
particulièrement rigide. En effet, dès lors que la rigueur morale attendue des contractants ne
sera pas également partagée par ceux-ci, il ne restera plus qu’à la leur imposer. Et plus
l’approche sera irréaliste, plus la dose de contrainte nécessaire pour y parvenir sera forte. A
défaut d’une telle contrainte, la régression de la protection risque d’être importante dès lors
qu’auront disparu, au nom du solidarisme, les procédures qui permettaient à chacun de
veiller à la défense de ses intérêts. L’évolution des règles qui gouvernent la détermination du
prix en fournit un bon exemple.
Seule différence par rapport au dirigisme antérieur, la contrainte imposée aux contractants
est, dans cette conception, le fruit de l’intervention non plus du législateur mais du juge.
Celui-ci devient, en effet, « l’artisan de la justice contractuelle et cette mission lui donne, à
l’égard du contrat, un pouvoir d’intervention au sens quasiment procédural du terme,
comme si, de tiers, le juge devenait partie au contrat ». En d’autres termes, ce n’est plus,
comme dans la conception antérieure, le législateur mais le juge qui sait mieux que les
parties ce qui est bon pour elles.
Il a été objecté à cette présentation qu’elle ne rendrait pas justice au solidarisme
contractuel, car celui-ci se proposerait non « d’affirmer une quelconque fraternité de nature
sentimentale » mais de dénoncer le fait que la « philosophie contractualiste » serait
« purement et simplement une tromperie lorsque les parties ne sont pas de force égale ». La
remarque montre qu’il existe au sein de l’école solidariste, deux courants, l’un d’inspiration
morale, l’autre d’inspiration sociale. Défendu par M. Jamin, le courant d’inspiration sociale
ramène, en fait de troisième voie, à une critique très datée, puisqu’elle a été développée dès
le milieu du XIXe siècle ; on peut, en effet, la résumer à un mot près par la formule de
Lacordaire : « Entre le fort et le faible, c’est la liberté qui asservit, le juge (et non plus la loi)
qui affranchit ». Aux défauts clairement identifiés s’en ajoute un autre : l’arbitraire du juge.
Est-ce vraiment là un progrès ?
Tant qu’à vouloir esquisser une troisième voie sans tomber dans la présentation
sentimentale que cultivent la plupart des partisans du solidarisme contractuel, il a été
suggéré que celle-ci pourrait être recherchée dans l’idée que la force obligatoire du contrat
procède moins de l’engagement du promettant que de l’attente raisonnable du destinataire
de la promesse. La force obligatoire du contrat reposerait non plus sur la confiance du
créancier dans la parole donnée librement par son débiteur mais dans l’attente que pouvait
légitimement nourrir le créancier, lors de la conclusion des contrats, eu égard à la situation
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patrimoniale du débiteur. Partant, en cas de stipulations excessives, le juge pourrait libérer
le débiteur, le créancier ne pouvant légitimement espérer que son débiteur s’exécute pour
la totalité.
Document n° 3
Fabre-Magnan M., Les obligations, PUF, Thèmis, 2004, pp. 56-58.
1- L’explication par la toute puissance de la volonté : l’autonomie de la volonté
Classiquement, la réponse à la question de la force obligatoire du contrat est recherchée du
côté du débiteur, de celui qui s’engage, et l’explication proposée est la théorie de
l’autonomie de la volonté. Dire que la volonté est autonome signifie qu’elle peut se donner à
elle-même sa propre loi (du grec autonomos, composé de auto, soi-même, et nomos, la
règle, équivalent du latin lex). L’hétéronomie impose au contraire que la loi soit imposée de
l’extérieur. La théorie de l’autonomie de la volonté explique donc la force obligatoire du
contrat par la toute puissance de la volonté qui peut se donner à elle-même sa propre loi et
aussi par la même se contraindre. L’individu est obligé parce qu’il l’a voulu et il n’est obligé
que dans la mesure où il l’a voulu. On trouve trace de cette explication dans l’article 1134 du
Code civil selon lequel si les conventions légalement formées « tiennent lieu de loi », c’est
seulement à « ceux qui les ont faites », suggérant ainsi que la force obligatoire du contrat
vient de la volonté propre des parties s’étant données cette loi. Cette idée se retrouve dans
plusieurs adages classiques tels que « Tu patere legem quam ipse fecisti » (subis les
conséquences de la loi que tu as toi-même faite). La justification de la toute puissance ainsi
donnée à la volonté réside en outre dans l’idée selon laquelle le contrat ne peut qu’être
juste s’il est laissé à la libre détermination des parties. C’est le sens de la célèbre expression
de Fouillée, juriste du XIXe siècle : « Qui dit contractuel, dit juste. »
Mais, cette explication ne suffit pas à rendre compte de la force obligatoire du contrat.
Historiquement tout d’abord, la théorie de l’autonomie de la volonté n’est apparue qu’au
XIXe siècle, et ce dans la doctrine internationaliste. On en trouve aussi souvent trace dans les
travaux de Kant, bien que cette filiation soit aujourd’hui discutée. Quoi qu’il en soit, de
nombreux contrats étaient obligatoires dès le droit romain, bien avant donc que l’explication
de l’autonomie de la volonté ne soit proposée.
L’argument de la toute puissance de l’autonomie de la volonté est aussi souvent écarté au
motif que si la volonté était toute-puissante, elle devrait pouvoir se lier mais aussi se délier :
la volonté passée de s’engager ne devrait en effet pas prévaloir sur la volonté présente de ne
pas exécuter. En d’autres termes, si seule la volonté individuelle se donnait sa propre loi, elle
devrait pouvoir se désengager aussi facilement qu’elle s’était engagée. La justification de la
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force obligatoire du contrat ne pourrait donc pas résider dans la seule volonté de celui qui
s’oblige.
Enfin d’un point de vue philosophique, il n’est pas nécessaire de passer par la toute
puissance de la volonté, fût-elle subordonnée à la raison comme chez Kant, pour expliquer la
liberté. Il faudrait sans doute au contraire pouvoir d’abord être certain de l’existence de la
liberté pour apprécier s’il est possible de pouvoir.
Le Conseil constitutionnel a jugé à plusieurs reprises qu’il n’existe aucun principe à valeur
constitutionnelle dit de l’ « autonomie de la volonté ». Cette position est sage, dans la
mesure où, n’étant pas un principe juridique de droit positif, il était impossible de lui
reconnaître une quelconque valeur positive et, en particulier, une valeur constitutionnelle.
Le principe de l’autonomie de la volonté n’est qu’une des explications philosophiques
possibles de la liberté contractuelle et surtout de la force obligatoire du contrat. Pour la
même raison et contrairement à ce que le Conseil constitutionnel a affirmé dans quelques
décisions plus anciennes, l’autonomie de la volonté ne peut être incluse dans les principes
fondamentaux du régime des obligations civiles et commerciales visés par l’article 34 de la
Constitution.
La doctrine semble aujourd’hui s’accorder pour rejeter la théorie de l’autonomie de la
volonté qu’elle avait longtemps unanimement admise. Il ne faudrait pas cependant passer à
un autre extrême. Le rôle de la volonté demeure de l’essence du contrat et son critère le
plus sûr : le contrat est en effet le mode volontaire de souscription d’obligation. C’est la
particularité même (et certes le paradoxe) de la liberté contractuelle, d’être une liberté de
se lier et donc d’abandonner une partie de sa liberté. Le droit des contrats demeure
imprégné de cette volonté des parties, qui est par exemple le guide de l’interprétation des
contrats : à la différence de certains droits étrangers, c’est ainsi la recherche de la commune
intention des parties qui sera déterminante plus encore que les termes exprimés dans le
contrat.
Il est vrai cependant que le seul examen de la volonté de celui qui s’oblige ne suffit pas à
expliquer pourquoi il ne peut se délier. En d’autres termes, la volonté est une condition
nécessaire mais non suffisante de la force obligatoire du contrat. Il faut alors au moins
prendre en considération le destinataire de la parole donnée.
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Université Cheikh Anta Diop de Dakar
Cours magistral du Professeur Mayata Ndiaye Mbaye
Faculté des Sciences Juridiques et Politiques
Licence II Droit – Semestre III
Droit des obligations – Contrat
Année académique 2011-2012
Séance n° 2
Thème : la période précontractuelle
Sous-thème : les avant-contrats
Pour les groupes du mardi
Dissertation : l’avant-contrat en droit positif sénégalais
Pour les groupes du mercredi
Commentaire de l’arrêt de la Cour suprême n° 79 du 16 juillet 2008, Aliou Bathily c/ Abdoul
Diallo
Cour suprême (ex. Cour de cassation) du Sénégal
Arrêt n° 79 du 16 juillet 2008
Aliou Bathily c/ Abdoul Diallo
La Cour
Après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Vu la loi organique n° 92-25 du 30 mai 1992 sur la Cour de cassation ;
Attendu, selon l’arrêt confirmatif attaqué, que par jugement du 28 mars 2001, le tribunal
régional de Dakar, après avoir rejeté la demande de résolution du contrat de vente conclu
entre Aliou Bathily et Abdoul Diallo et constaté que ce dernier s’est libéré du prix convenu, a
ordonné la perfection du contrat sous astreinte de 15000 F par jour de retard ; Sur le
premier moyen pris de la violation des dispositions des articles 323, 382 et 383 du Code des
Obligations Civiles et Commerciales, en ce que le juge d’appel a confirmé la perfection de la
vente sur la base uniquement d’un acte sous seing privé n’ayant pas date certaine, passé
entre le défendeur au pourvoi et El hadji Mamadou Sall qui, ne disposant pas d’une
procuration notariée, n’a jamais justifié être son mandataire, alors que, s’agissant d’un titre
foncier, les transactions portant sur l’immeuble dont la perfection de la vente était
recherchée, sont régies par un formalisme rigoureux fixé par les règles visées au moyen ;
Vu les articles 323, 382 et 383 du Code des Obligations Civiles et Commerciales, ensemble
l’article 258 du même Code ;
Attendu qu’en vertu de ces textes d’ordre public, la vente et la promesse synallagmatique de
vente d’un immeuble immatriculé, ainsi que la procuration donnée pour conclure de tels
actes doivent, à peine de nullité absolue, être passées par devant notaire ;
Attendu que, pour confirmer le jugement entrepris, qui a ordonné la perfection de la vente
d’un immeuble objet du TF n° 19916/DG sur la base d’un acte sous seing privé, l’arrêt retient
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« que l’appelant principal bien que représenté par un conseil, n’a versé au dossier, à part
l’acte d’appel, aucune autre pièce pour soutenir sa demande tendant à l’infirmation de la
décision attaquée ; que l’attitude de l’appelant laisse supposer qu’il n’a pas de moyens
sérieux à opposer aux arguments retenus par les premiers juges » ;
Qu’en se déterminant ainsi, alors que la vente porte sur un immeuble immatriculé, la cour
d’Appel a violé les textes susvisés ;
Par ces motifs,
Et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les deuxième et troisième moyens :
Casse et annule…
Bibliographie :
Ouvrages et revues :
Boyer L., Les promesses synallagmatiques de vente : contribution à l’étude des avantcontrats, RTDCiv 1949, 1 et s.
Chauvin P., Quelle sanction en cas de violation d’un pacte de préférence, RIDA 8-9/ 2006
- Mazeaud D., Mystères et paradoxes de la période précontractuelle, in Etudes offertes à
Jacques Ghestin, LGDJ, 2001, 637.
- Mestre J., La période précontractuelle et la formation du contrat, Les Petites Affiches, 5 mai
2000, 7.
- Mousseron P., Conduite des négociations contractuelles et responsabilité civile délictuelle,
RTD com., 1998, 243.
- Schmidt-Szalewski J.,
1- La période précontractuelle en droit français, RIDC 2-1990, pp. 545-566.
2- La sanction de la faute précontractuelle, RTD civ., 1974, 46.
Voirin P., Le pacte de préférence, JCP 1954, I, 1192.
Documents
Document n° 1
Dispositions légales :
Article 79 du Code des obligations civiles et commerciales
Contrat entre présents
Les parties doivent échanger leurs consentements sur toutes les stipulations du contrat.
Toutefois, le contrat est réputé conclu dès que les parties se sont mises d’accord sur les
points essentiels, notamment sur la nature et l’objet des prestations promises.
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Article 318 du Code des obligations civiles et commerciales
Définition du droit de préemption
Quelle qu’en soit la source, le droit de préemption donne à une personne la faculté de se
porter acquéreur d’un bien de préférence à toute autre.
Ce droit peut s’exercer dans toute espèce de vente.
Article 319 du Code des obligations civiles et commerciales
Droit de préemption conventionnel
Le droit de préemption d’origine conventionnelle résulte du pacte de préférence. Ce pacte
est soumis aux règles des promesses de vente.
Article 320 du Code des obligations civiles et commerciales
Effet quant au promettant
Le promettant est tenu de faire connaître au bénéficiaire sa décision d’aliéner et les
conditions du contrat qu’il projette de passer avec un tiers.
Article 321 du Code des obligations civiles et commerciales
Diverses sortes de promesses de vente
Le contrat de vente peut être précédé d’une promesse de vente, synallagmatique ou
unilatérale.
Article 322 du Code des obligations civiles et commerciales
Promesse synallagmatique
La promesse synallagmatique est celle par laquelle les deux parties sont d’accord, le
vendeur pour vendre, l’acheteur pour acheter une chose déterminée pour un prix fixé.
Article 323 du Code des obligations civiles et commerciales
Effets
La promesse synallagmatique est une vente parfaite lorsque le contrat peut être passé
librement. Dans le cas contraire, elle oblige les parties à parfaire le contrat en accomplissant
les formalités nécessaires à sa formation.
Article 324 du Code des obligations civiles et commerciales
Promesse unilatérale de vente
La promesse de vente est unilatérale lorsque le bénéficiaire de l’offre n’assume aucune
obligation d’acheter, alors que le promettant est tenu de l’obligation de vendre.
Article 325 du Code des obligations civiles et commerciales
Effets
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Lorsque toutes les conditions nécessaires à la formation de la vente sont fixées dans le
contrat, la promesse de vente engage le vendeur et fait naître l’option au profit de
l’acheteur.
La promesse de vente est parfaite dès l’échange des consentements et la vente est conclue
au moment où l’acquéreur lève l’option.
Article 326 du Code des obligations civiles et commerciales
Violation de la promesse de vente
Si, malgré sa promesse, le promettant a vendu la chose à un tiers, le bénéficiaire peut lui
réclamer des dommages et intérêts ; il ne peut poursuivre l’annulation du contrat contre le
tiers acquéreur que s’il établit la mauvaise foi de ce dernier au moment de l’acquisition.
Article 327 du Code des obligations civiles et commerciales
Promesse unilatérale d’achat, définition
La promesse d’achat est une convention par laquelle une personne s’engage à acheter une
chose si le vendeur consent à la vendre.
Article 328 du Code des obligations civiles et commerciales
Effets
Le promettant est lié par l’acceptation du vendeur si toutes les conditions de la vente sont
fixées dans le contrat.
La vente est conclue lorsque le vendeur fait connaître son adhésion à vendre la chose.
Article 382 Code des obligations civiles et commerciales
Avant-contrat
L’acte par lequel les parties s’engagent, l’une à céder, l’autre à acquérir un droit sur
l’immeuble, est une promesse synallagmatique de contrat
Elle oblige l’une et l’autre partie à parfaire le contrat en faisant procéder à l’inscription du
transfert du droit à la conservation de la propriété foncière
Article 383 Code des obligations civiles et commerciales
Conditions de forme
Le contrat doit à peine, de nullité absolue, être passé par devant un notaire territorialement
compétent sauf dispositions législatives ou réglementaires contraires.
Document n° 2
Terré F., Ph. Simler., Lequette Y., Droit civil, Les obligations, 10e éd., 2009, pp. 194-197.
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187 b) La « punctation ». Lorsque la négociation est longue et délicate, les intéressés
éprouvent parfois le besoin de marquer une pause et de dresser le bilan des points sur
lesquels ils sont d’ores et déjà d’accord. La terminologie employée pour désigner cette
pratique est flottante. Certains utilisent le terme allemand de « punctation », d’autres
préfèrent parler d’accord de principe. Mais au-delà de cette diversité sémantique, les
problèmes juridiques sont les mêmes.
1) Le contrat se formant alors par étapes, par couches successives, quel est le seuil qui
sépare les pourparlers de la conclusion du contrat ? En d’autres termes, , quand le point de
non-retour est-il atteint ?
2) A supposer que l’accord de principe ne vaille pas conclusion du contrat définitif, quels
sont les effets qui en découlent ?
188 Seuil à partir duquel le contrat est réputé conclu. A la différence de certaines
codifications étrangères plus tardives – Code civil allemand (BGB), Code des obligations
suisse – le Code civil français n’énonce, en la matière, aucune directive générale. C’est donc
à la jurisprudence qu’est revenu, ici encore, le soin de poser les principes. Elle l’a fait en
s’inspirant de la philosophie volontariste qui anime notre droit, ainsi que des dispositions
propres à certains contrats, notamment l’article 1583 du Code civil relatif à la vente. Le
contrat est réputé formé dès qu’il y a accord sur les éléments essentiels.
Encore faut-il préciser exactement la portée de cette proposition. En principe suffisant,
l’accord sur les éléments essentiels ne le sera plus si les parties ont entendu subordonner la
conclusion de leur contrat à une rencontre de volontés sur tel ou tel point accessoire :
modalités de paiement, garantie de paiement. De secondaire, celui-ci devient alors essentiel
par la seule volonté des parties. La position de la haute juridiction est, au demeurant,
excellemment formulée dans un arrêt du 14 janvier 1987 : « La vente est parfaite entre les
parties dès qu’on est convenu de la chose et du prix et le défaut d’accord définitif sur les
éléments accessoires de la vente, à moins que les parties aient entendu retarder la
formation du contrat jusqu’à la fixation de ces modalités ».
La solution ainsi consacrée diffère de celle de certains droits étrangers. Selon l’article 154
du BGB : « Tant que les parties ne sont pas tombées d’accord sur tous les points d’un contrat
qui, ne fût-ce que d’après la déclaration de l’une seulement d’entre elles, devaient être
l’objet de la convention, le contrat dans le doute n’est pas conclu. L’entente des parties sur
quelques points particuliers ne suffit pas à les lier, même lorsqu’elle a été suivi d’un projet
rédigé par écrit ». Quant à l’article 2 du Code des obligations suisse, il dispose : « Si les
parties se sont mises d’accord sur tous les ponts essentiels, elles sont présumées avoir
entendu s’obliger définitivement, encore qu’elles aient réservé certains points secondaires ;
A défaut d’accord sur ces points secondaires, le juge les règle en tenant compte de la nature
de l’affaire ».
C’est dire que la position du droit français est intermédiaire entre celles des droits
allemand et suisse. L’absence d’accord sur les points accessoires, obstacle à la conclusion du
contrat en droit allemand mais non en droit suisse, ne le sera en droit français que si les
parties ont entendu retarder la formation du contrat jusqu’à la fixation de ces modalités.
D’une souplesse plus grande, la position française laisse aux juges du fond une certaine
liberté puisque ceux-ci apprécient souverainement, sous réserve du contrôle de
13
dénaturation, l’intention des parties. Aussi bien ne saurait-on trop insister sur la nécessité
pour celles-ci de préciser exactement la portée de leur accord. Ainsi est-il recommandé aux
négociateurs qui ne veulent pas risquer d’être engagés de qualifier leur accord récapitulatif
de simple projet. Inversement, ceux qui souhaitent que le processus contractuel aille jusqu’à
son terme devront indiquer que les points secondaires non réglés seront résolus par
application des règles supplétives de volonté ou encore par un tiers sur la désignation
duquel ils s’accordent ou dont ils confient la désignation aux magistrats. En revanche, un
accord par lequel les parties qualifieraient d’essentiels certains éléments du contrat et
rejetteraient dans le domaine de l’accessoire tous les autres éléments, y compris ceux qui
sont traditionnellement qualifiés d’essentiels, ne saurait valoir conclusion du contrat
définitif.
189 Effets secondaires. Lorsque l’accord de principe ne vaut pas conclusion du contrat
définitif, il n’est pas pour autant dépourvu de tout effet juridique.
Tout d’abord, en fixant par écrit les éléments d’un accord partiel, les intéressés s’obligent à
poursuivre loyalement les négociations en vue de parvenir à la conclusion du contrat
projeté. La « punctation » n’est qu’une étape dans le processus d’élaboration du contrat et
le refus de poursuivre les négociations équivaudrait à une rupture fautive des pourparlers.
Ce n’est pas à dire pour autant que ces pourparlers devront aboutir nécessairement à la
conclusion du contrat ; les parties se sont simplement engagées à ne pas remettre en cause
certains acquis de la négociation et à poursuivre les négociations de bonne foi pour
compléter l’accord partiel. Au cas où il ne serait pas satisfait à cette obligation de moyens,
des dommages-intérêts pourraient être dus.
Ensuite, et à supposer le contrat définitif ultérieurement conclu, l’accord de principe peut
conserver un intérêt dans la mesure où, jouant en quelque sorte le rôle de travaux
préparatoires, il permet d’éclairer la volonté réelle des parties. Dans la pratique, il est
fréquent que les grands contrats comportent un préambule qui règle le sort et la portée des
documents précontractuels.
Document n° 3
Gautier P.-Y., Rebondissement dans le feuilleton du pacte de préférence : un deuxième arrêt,
connexe à celui de la Chambre mixte, Recueil Dalloz, 2006, pp. 2510-2512.
VENTE
Rebondissement dans le feuilleton du pacte de préférence : un deuxième arrêt, connexe à
celui de la chambre mixte.
SOMMAIRE DE LA DECISION
L’acquéreur de la parcelle litigieuse étant censé connaître l’existence du pacte de préférence
en raison de l’opposabilité aux tiers des actes de donation-partage qui ont été publiés à la
conservation des hypothèques, une cour d’appel peut décider que l’acquéreur a commis une
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faute de négligence en omettant de s’informer précisément des obligations mises à la charge
de son vendeur.
Cour de cassation, 1ére civ. 11 juil. 2006
La COUR : Donne acte aux consorts P...de leur reprise d’instance an tant qu’héritiers de
Daurice P..., décédé le 25 septembre 2003 ; - Attendu qu’une donation-partage du 18
décembre 1957, contenant un pacte de préférence a attribué à Adèle A...un bien immobilier
situé à Haapiti ; Qu’une donation-partage du 7 août a attribué à M. Ruini A..., une parcelle
dépendant du bien mobilier ; que, par acte reçu le 3 décembre 1985 par M. S..., notaire, M.
A... a vendu la parcelle à la SCI E... ;
Sur le premier moyen ;- Attendu que MS... et la SCI E... font grief à l’arrêt attaqué (CA
Papeete, 13 février 2003) d’avoir dit que le pacte de préférence n’a pas été respecté à l’égard
de Daurice P... et de les avoir déclarés avec M. A... responsable de ce préjudice et tenus de le
réparer in solidum, alors, selon le moyen, qu’ils soutenaient dans leurs conclusions d’appel
que la SCI, conjointement avec MA...avait offert à Mme P... d’exercer son droit de préférence
par lettre recommandée du 7 août 1987 et qu’en estimant néanmoins que ce droit avait été
méconnu et qu’en préjudice en résultait, au seul motif que cette offre n’avait pas notifiée le 3
décembre 1985, sans expliquer en quoi l’offre qui lui avait été adressée ultérieurement ne lui
permettait pas d’acquérir la parcelle litigieuse par préférence à la SCI E..., qui y avait ainsi
consenti expressément, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des
articles 1134, 1147 et 1382 du code civil ;
Mais attendu qu’en décidant que M. A... avait violé le pacte de préférence à l’égard de
Daurice P...pour avoir omis de lui proposer la vente projetée, la cour d’appel a légalement
justifié sa décision ;
Sur le deuxième moyen : - Attendu que M.S... et la SCI E... font encore grief à l’arrêt
attaqué d’avoir déclaré M. S... responsable du préjudice subi par Daurice P... du fait de la
violation du pacte de préférence et tenu, in solidum avec M. A... et la SCI E..., de la réparer,
alors selon le moyen, que l’obligation pour le débiteur d’un pacte de préférence de ne pas
vendre à autrui le bien qui en est l’objet relève de l’obligation d’exécuter de bonne foi ses
obligations contractuelles, de sorte que nul ne peut voir sa responsabilité engagée pour ne
pas lui avoir rappelé ce principe, et qu’en estimant néanmoins que M. S... avait commis une
faute en ne rappelant pas à M. A... qu’il devait éxécuter de bonne foi le pacte de préférence
dont il se savait débiteur, la cour a violé les articles 1134, 1147 et 1382 du code civil ;
Mais attendu que, tenu de conseiller les parties et d’assurer l’efficacité des actes dressés, le
notaire ayant connaissance d’un pacte de préférence doit, préalablement à l’authentification
d’un acte de vente, veiller au respect des droits du bénéficiaire du pacte et, le cas échéant,
refuser d’authentifier la vente conclue en violation de ce pacte, qu’en l’espèce, la cour d’appel
a décidé à bon droit que M.S... avait engagé sa responsabilité, en n’ayant pas, d’une part en sa
qualité de professionnel du droit et des transactions immobilières, incité M. A... et la SCI E...à
respecter les droits des bénéficiaires du pacte, d’autre part, fait référence au pacte de
préférence dans l’acte de vente, tout en ayant mentionné le second acte de donation-partage
qu’il avait lui- même authentifié ; que le moyen n’est pas fondé ;
Sur le troisième moyen, pris en ses deux branches :- Attendu que M. S... et la SCI E... font
grief à l’arrêt attaqué d’avoir déclaré la SCI E... responsable du préjudice subi par Daurice P...
du fait de la violation du pacte de préférence et tenu, in solidum avec M. S... et M. A... de le
réparer , alors selon le moyen : 1- qu’un pacte de préférence, qui s’analyse en une promesse
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de vente conditionnelle n’est pas une restriction au droit de disposer soumise à la publicité
obligatoire, de sorte que sa publication ne suffit pas à établir la connaissance qu’en auraient
les tiers, et qu’en estimant néanmoins qu’en raison de la publication du pacte de préférence
stipulé dans les donations-partages de 1957 et 1985, la SCI. E... était censée en avoir
connaissance et qu’elle avait donc commis une faute en achetant le terrain qui en constituaient
l’objet, la cour d’appel a violé les articles 28-2 et 37-1 du décret du 4 janvier 1955, ensemble
l’article 1382 du code civil ; 2- que l’acquéreur, serait-il un professionnel de l’immobilier,
n’est pas tenu de s’informer de l’existence des droits de préférence dont son vendeur pourrait
être débiteur et qu’en retenant la responsabilité de la SCI E... au seul motif qu’elle était
prétendument tenue de s’informer des obligations dont pouvait être tenu son vendeur, la cour
d’appel a violé les articles 1147 et 1382 du code civil ;
Mais attendu qu’ayant précédemment retenu que la SCI E... était censé connaître
l’existence du pacte de préférence en raison de l’opposabilité aux tiers des actes de donationpartage qui avaient été publiés à la conservation des hypothèques, la cour d’appel a pu décider
que la SCI E... avait commis une faute de négligence en omettant de s’informer précisément
des obligations mise à la charge de son vendeur ; que le moyen, qui est sans portée en sa
première branche et qui manque en fait en sa seconde, ne peut être accueilli ;
Par ces motifs, rejette (...).
Note de Pierre-Yves Gautier
Professeur à l’Université Panthéon-Assas (Paris II)
1-Mais pourquoi les pourvois n’ont-ils pas été pas été joints ? C’est la question que se pose
le lecteur de l’arrêt ci-dessus : mêmes faits, mêmes parties, même procédure, c’est bien la
même affaire que celle qui a donné lieu à la décision spectaculaire rendue par la chambre
mixte, quelques semaines plus tôt. Le trouble repose dans la réponse du troisième moyen.
On se souvient qu’une donation-partage sur un immeuble, contenant un pacte de préférence,
avait fait l’objet d’une publicité foncière ; puis, de nombreuses années après, l’ayant cause
avait lui-même transmis le bien pour partie à un nouvel attributaire, l’acte rappelant
l’existence de l’avant-contrat et ayant lui-même fait à son tour l’objet d’une publicité. Quatre
mois plus tard, le propriétaire vend la chose à un tiers, une SCI, par acte authentique, sans
l’avoir au préalable proposée au bénéficiaire.
Celui-ci assigne le débiteur de la préférence et le tiers, afin d’obtenir l’exécution forcée du
pacte, c‘est è dire sa substitution à l’acheteur ; il réclame subsidiairement des dommages et
intérêts aux mêmes parties, ainsi qu’au notaire, qui avait instrumenté la deuxième donationpartage et l’acte de vente, pour la faute commise par lui de n’avoir pas mis en garde les
parties, du fait du pacte dont tout le monde avait connaissance par la publicité foncière et
d’avoir ainsi collaboré à la méconnaissance de ses droits.
Les juges du fond, semble t-il dans un même arrêt, déboutent le bénéficiaire de sa demande
d’exécution forcée, mais accueillent sa réclamation pécuniaire en retenant le principe de
l’obligation des trois défendeurs à l’indemniser.
Deux pourvois sont alors formés : l’un par le bénéficiaire, l’autre par le notaire et le tiersacquéreur.
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Les instances auraient raisonnablement dû être jointes, à la fois parce que les pourvois ont
été formés contre le même arrêt et que les questions juridiques sont étroitement liées. Pour
une raison qu’on ignore, elles ne l’ont pas été : une chambre mixte a été désignée pour
connaître du pourvoi du bénéficiaire, c’est l’arrêt du 26 mai ; et celui des défendeurs vient de
faire l’objet de l’arrêt du 11 juillet.
2- On connaît la solution adoptée par la Chambre mixte : spectaculaire revirement de
jurisprudence sur la possibilité théorique d’annuler l’acte conclu avec le tiers et de lui
substituer le bénéficiaire, mais exigence supplémentaire de la preuve de ce que le premier ait
eu « connaissance de l’intention » du second de faire valoir son droit, de sorte que cette
double preuve psychologique étant pratiquement impossible à rapporter, pas d’exécution en
nature.
Mais l’affaire ne s’arrête pas là et se poursuit avec l’arrêt du 11 juillet, deuxième épisode :
- La responsabilité contractuelle du propriétaire est retenue par la décision qui approuve les
juges du fond de l’avoir tenu pour obligé in solidum avec les deux autres d’indemniser le
bénéficiaire. C’est logique, dès lors que l’exécution a été écartée, même si on peut le
regretter : il faut bien que le fautif répare d’une manière ou d’une autre, ici, en argent. Mais,
en même temps, c’est un retour à la case départ, c’est-à-dire l’article 1142 du code civil.
En examinant ce moyen, l’arrêt nous fournit une indication de fait précieuse : deux ans
après la vente, le propriétaire et la SCI auraient finalement offert au bénéficiaire d’exercer sa
préférence. Il confirme également qu’au jour de la vente aucune notification du projet n’avait
eu lieu auprès du bénéficiaire.
- La responsabilité civile du notaire est également retenue, car connaissant le pacte et alors
qu’il est un professionnel, il n’aurait pas dû authentifier la vente avec le tiers et, au contraire
des droits du bénéficiaire, de nature à mettre en péril l’efficacité de la vente. Là encore, c’est
assez classique.
- Il reste la situation du tiers, qui se plaint d’avoir été tenu pour coresponsable ; voici ce que la
première Chambre civile lui répond, en rejetant son pourvoi : la société « était censée
connaître l’existence du pacte de préférence en raison de l’opposabilité aux tiers des actes de
donation-partage qui avaient été publiés à la conservation des hypothèques... (de sorte que)
la SCI avait commis une faute de négligence en omettant de s’informer précisément des
obligations mises à la charge du vendeur ».
L’arrêt écarte à cet effet à juste titre la distinction subtile, relative à l’effet de la publicité
d’un pacte de préférence, selon qu’elle est obligatoire ou facultative.
C’est sur le cas du tiers acquéreur seulement qu’on formulera quelques observations puisque
c’est lui qui constitue la barrière ayant entravé l’exécution forcée, selon l’arrêt du 26 mai.
C’est sa responsabilité, les détails livrés par l’arrêt du 11 juillet et la façon dont son
obligation de réparation se trouve énoncé par celui-ci, qui mettent en effet mal à l’aise et vont
conduire à poser à nouveau la question de l’exécution en nature.
3- La cour de cassation relève clairement que le tiers était au courant ou en tout ca censé
l’être, du fait de la publicité foncière et qu’il aurait dû se montrer plus curieux (« omettant de
s’informer précisément des obligations mises à la charge de son vendeur »).
17
C’est plus qu’une négligence, mais s’apparente à de la mauvaise foi : le tiers ne pouvait
ignorer le pacte, énoncé dans pas moins de deux actes ayant fait l’objet d’une publicité, le
second étant en outre rappelé dans la vente ; il s’est pourtant gardé de s’en enquérir plus avant
auprès du propriétaire. Rappelons la définition de la mauvaise foi : « s’agissant de priver
l’intéressé du bénéfice de l’ignorance ou de l’apparence, attitude de celui qui se prévaut
d’une situation juridique dont il connaît (ou devrait) connaître les vices ou le caractère
illusoire ». Ici, cela y ressemble beaucoup.
D’autant plus que l’acheteur n’était pas un particulier, une personne physique, un
consommateur, mais une société civile immobilière, a priori professionnelle elle aussi :
l’adoption de cette forme sociale repose sur des mobiles économiques de rentabilité, de profit
ou d’économie, notamment aux fins d’opérations immobilières.
L’acquéreur était ainsi tenu d’un devoir de s’informer : quand le contractant pourrait avoir
accès facilement à l’information et qu’il ne peut s’abriter derrière une ignorance légitime,
c’est en effet à lui de « prendre les informations convenables ». Ce qui vaut dans les rapports
inter partes qu’avec les tiers auxquels son comportement peut causer un dommage.
On se remémore le Discours préliminaire de Portalis : « un homme qui traite avec un autre
homme doit être attentif et sage ; il doit veiller à son intérêt, prendre les informations
convenables et ne pas négliger ca qui est utile ». Ce qui vaut par a priori pour une personne
morale, professionnelle et familière, par son secteur d’activité même, de la publicité foncière,
ainsi que des avant-contrats.
4- Pourquoi, dans ces conditions, ne pas déclarer l’acte inopposable au bénéficiaire, de la
même façon que par exemple, en matière de fraude paulienne ?
Rien n’empêcherait ainsi la substitution du bénéficiaire pour sanctionner en nature la
responsabilité du tiers acquéreur. Les deux arrêts se sont contentés du principe d’une
indemnisation pécuniaire, que l’acheteur a néanmoins trouvé trop lourd, puisqu’il a formé un
pourvoi, alors qu’il a tout de même échappé au transfert forcé de la chose.
5- Il ne reste plus guère, si l’on combine les arrêts des 26 mai et 11 juillet, que la condition
assez artificielle de la « connaissance par le tiers de l’intention » du bénéficiaire de se
prévaloir de son droit. Cependant, dans la note précédente, on avait tenté de démontrer que
cette preuve manque de pertinence, pour la raison qu’au moment de la vente le bénéficiaire
n’a aucune « intention » particulière, tout simplement parce qu’il n’a pas été informé, le projet
de vente ne lui ayant pas été notifié.
Pour avoir une intention, il faut être au courant de la décision du propriétaire de vendre –
c’est un pacte, pas une promesse, on n’est pas sûr qu’il se déterminera à céder son bien, ni à
quel moment. En l’espèce, l’arrêt du 11 juillet précise nettement que le bénéficiaire n’était pas
au courant, le projet ni la vente ne lui ayant été notifiés.
Pourtant, l’acte aurait, par exemple pu contenir une condition suspensive de la non-levée de
l’option par le bénéficiaire, clause qu’on rencontre assez fréquemment en technique
contractuelle, notamment dans le droit de la distribution. Ce n’est que deux ans après que les
intéressés semblent avoir voulu se rattraper, en lui notifiant (ce qui est assez curieux) l’offre
de vente.
6- A moins qu’on interprète la condition posée par la Chambre mixte comme l’intention du
bénéficiaire non pas d’acheter, mais seulement de conserver son droit, à l’aveuglette, c’est-à18
dire de faire savoir périodiquement au propriétaire qu’il n’entend pas perdre son option, alors
même qu’il ignore complètement si son cocontractant entend garder la chose ou la céder.
Son inaction se verrait alors sanctionnée par une déchéance sans texte, ce qui serait un
renversement de l’ordre naturel des choses, s’apparentant à une sorte d’obligation
d’interruption périodique de la prescription. Le titulaire d’un droit d’option subordonné à la
décision d’autrui n’a rien d’autre à entreprendre que d’attendre que celui-ci fasse connaître ce
qu’il a finalement arrêté.
Rappelons, par comparaison, que le droit du bénéficiaire d’un pacte de préférence n’est pas
prescriptible, tant que son débiteur ne l’a pas informé de sa décision de vendre, au surplus,
l’on sait que la même Cour de cassation considère que l’avant-contrat reste valable, ne fût-il
enfermé dans aucun délai.
7- Cette exigence de diligence à la charge du bénéficiaire constituerait une contrainte très
mal commode (notification à une date anniversaire ?) et une condition que ni la loi, ni la
logique, ni la justice contractuelle n’imposent ; en outre, une telle manifestation de volonté ne
peut être pratiquement adressée qu’au propriétaire, puisque c’est lui seul que connaît le
bénéficiaire et pas aux tiers du monde entier, acquéreurs potentiels de la chose. Sauf bien
entendu si le bénéficiaire a eu vent du projet et connaît ou pressent l’identité du ou des
possibles acheteurs, ce qui ne semble pas avoir été ici le cas.
La « connaissance » par l’acquéreur de l’intention du bénéficiaire est de ce fait une preuve
impossible : si le propriétaire a mis la lettre recommandée annuelle du bénéficiaire dans un
tiroir ou à la corbeille, qu’en saura le tiers ?
De toute façon, cela ne tient pas : connaissant le pacte, le tiers devrait se montrer plus
curieux, on tourne en rond. Il faut donc le marteler : tant « l’intention » du bénéficiaire que sa
« connaissance » par le tiers supposent la notification préalable au premier par le propriétaire,
soit du projet d’acte, soit de la vente conclue sous condition suspensive, soit tout simplement
de sa décision de principe de céder son bien.
8- Mis bout à bout, les deux arrêts manquent un peu de réalisme et risquent d’être
cruellement ressentis par tous les bénéficiaires de pactes, dans l’immense secteur couvert par
ceux-ci, de l’immobilier aux sociétés civiles et commerciales, en passant par le monde de la
culture et du spectacle, ou de la distribution.
Ces décisions créent, en effet, une certaine insécurité pour les bénéficiaires de toutes sortes,
qui ne doivent s’attendre au mieux, en cas de violation du pacte, qu’à recevoir des dommages
intérêts. Et, corrélativement, les propriétaires et tiers complices savent qu’ils pourront ainsi
s’en sortir par une allocation en argent, sans remise en cause des actes conclus en violation du
pacte, même si en l’espèce ils ont trouvé que c’est déjà trop.
L’exécution en nature est autant affaire de morale et de sécurité que d’analyse économique
du droit.
Bis repetita placent : il est souhaitable de tirer toutes les conséquences de la nouvelle
position adoptée par la Cour de cassation sur la substitution d’acquéreur.
19
Université Cheikh Anta Diop de Dakar
Faculté des Sciences Juridiques et Politiques
Cours magistral
Professeur Mayatta Ndiaye MBAYE
Licence II Droit – Semestre III
Droit des obligations – Contrat
Année académique 2011-2012
Séance n° 3
Thème : La formation du contrat
Sous-thème : Les vices du consentement
Nature épreuve : Cas pratique
Pour les groupes du mardi
Cas n° 1
Monsieur Barry, agriculteur devenu manœuvre a, en date du 1er janvier 2011, conclu
une promesse de vente immobilière avec Monsieur Gaye, agent immobilier et
marchand de biens. Le prix de vente de l’immeuble, d’une superficie de 300m2 située
à Tivaoune Peulh dans la banlieue dakaroise, sera fixé à un million (1 000 000) de
Fcfa. Avant la perfection de la vente consistant en l'inscription du transfert du droit à
la Conservation de la propriété foncière, Monsieur Barry se rend compte que la
valeur de l’immeuble dépasse de loin le prix fixé dans le contrat car l’Etat avait, à son
insu, décidé de viabiliser la zone pour en faire un centre d’affaire.
Monsieur Barry veut demander la nullité du contrat. A l’appui de sa demande, il
soutient avoir été victime d’une réticence dolosive car Monsieur Gaye ne lui aurait
pas révélé la valeur réelle du bien qu’il vendait ; valeur que Monsieur Gaye,
professionnel en la matière, ne pouvait ignorer au moment de la conclusion de la
promesse.
Cas n° 2
Demba, promoteur immobilier se porte acquéreur de tous les appartements d’un
immeuble vétuste afin de reconstruire un ensemble de bureaux. Deux propriétaires,
Aly - lui-même marchand de biens – et Ndéw - retraitée de 80 ans - refusent pourtant
de vendre. Voulant absolument conclure l’opération, Demba se rend chez Ndéw et la
menace d’une expulsion fantaisiste. Il prétend que, propriétaire du reste de
l’immeuble il peut lui couper l’eau et l’électricité et qu’elle devra passer le reste de
ses jours à l’hôpital. Ndéw résiste, mais Démba insiste et après trois heures, Ndéw
cède et signe un acte de vente de son appartement au profit de Demba.
Demba se rend ensuite chez Aly pour le menacer également de poursuites mais ce
dernier, plus habile, l’éconduit. Voyant que la force n’a aucun effet sur Aly, Demba
20
lui fait une dernière offre plus avantageuse avant de prendre congé. Le lendemain
Aly rappelle Demba et lui annonce son accord pour la vente ; le contrat est signé
dans la journée.
Toutefois, le soir même Aly trouve dans sa boite aux lettres une offre de vente 30 %
supérieure à celle de Demba.
1° Ndéw peut-elle revenir sur son engagement si elle le souhaite?
2° Aly peut-il faire de même?
Pour les groupes du mercredi
Monsieur DIALLO, comptable de profession, a été embauché par une grande
société de la place dans le cadre d’un contrat à durée déterminée.
Estimant que sa situation financière était assurée (il touche un salaire de 500 000
Fcfa avec une voiture de fonction), Monsieur DIALLO fait un emprunt immobilier
auprès de sa banque pour acheter une maison. Deux ans après, le contrat arrive à
terme, l’employeur lui propose un renouvellement mais avec des conditions moins
avantageuses.
Dans le nouveau contrat, le salaire de Monsieur DIALLO a été diminué à hauteur
de 100 000 Fcfa et sa voiture de fonction retirée.
Malgré, cette situation désavantageuse, Monsieur
renouvellement compte tenu de son endettement.
DIALLO
accepte
le
Aujourd’hui il réalise son erreur d’autant plus qu’il a appris que la société était au
courant de sa situation financière au moment du renouvellement et qu’elle a
manifestement profité de la situation. Que peut-elle faire ?
Par ailleurs, suite à la lecture d’une annonce aperçue dans un journal, Monsieur
Diallo se décida à partir en vacance avec sa famille. L’annonce ayant donné lieu à la
conclusion du contrat, était rédigée de la manière suivante : "Loue cinq cent mille
(500 000) Fcfa chalet tout confort à Toubacouta, pour la période du 15 au 22
décembre". Cependant quelle ne fut pas sa surprise lorsqu’il arriva sur les lieux.
Aucun radiateur n’était installé dans le chalet. Rapidement il se rendit compte de
l’impossibilité d’y installer un quelconque matériel électrique, faute de prise de
courant. Désemparé par l’idée de passer une semaine sans pouvoir travailler sur son
ordinateur portable encore moins profiter de l’eau du robinet, Monsieur Diallo, son
épouse et leurs six (6) enfants se virent dans l’obligation de quitter les lieux le jour
même de leur arrivée. Avertissant le propriétaire de leur retour prématuré, ce dernier
exige tout de même le paiement des cinq cent mille (500 000) Fcfa. Monsieur Diallo
veut opposer au propriétaire du chalet la nullité du contrat.
Sur le chemin du retour, Monsieur Diallo qui racontait à ses enfants son expérience
au concours d’agrégation du CAMES section droit, se voit arrêté par un policier de la
21
circulation. Ce dernier avait entre ses mains des livres bleus sur lesquels étaient
mentionnés « Code général des impôts ». Après les vérifications d’usage par l’agent,
Monsieur Diallo pris le soin, avant de partir, de lui demander de lui vendre les livres.
Croyant avoir fait une excellente affaire, il se précipita à payer les cent cinquante
mille (150 000) Fcfa à son cocontractant. A Rufisque, grande sera la surprise de Mme
Diallo en constatant que son mari venait de dépenser une telle somme pour acheter
des codes guinéens. Monsieur Diallo qui pensait avoir acheté, avec une marge de
50%, une œuvre du législateur sénégalais veut demander l’annulation du contrat.
Bibliographie :
Ouvrages et articles :
Georges Vivien, De l'erreur déterminante et substantielle, RTD Civ. 1992 p. 305
Jean-François Renucci, L'identité du cocontractant, RTD Com. 1993 p. 441
Dimitri Houtcieff, Contribution à l'étude de l'intuitus personae, RTD Civ. 2003 p. 3
Documents
Document n° 1
Dispositions légales :
ARTICLE 61 COCC Enumération des vices du consentement
Il n'y a point de consentement valable si le consentement n'a été donné que par
erreur, s'il a été surpris par dol ou extorqué par violence.
ARTICLE 62 COCC
L'erreur
Il n'y a nullité lorsque la volonté de l'un des contractants a été déterminée par une
erreur.
Ce fait est établi lorsque l'autre contractant a pu connaître le motif déterminant
pour lequel le contrat a été conclu.
L'erreur de droit est vice du consentement dans les mêmes conditions que l'erreur
de fait.
ARTICLE 63 COCC
Le dol
Le dol est une tromperie provoquée par des manœuvres que l'un des contractants a
pratiquées à l'encontre de l'autre pour l'amener à donner son consentement.
Il y a dol également lorsque ces manœuvres exercées par un tiers contre l'une des
parties ont été connues de l'autre.
22
ARTICLE 64 COCC
La violence
La violence est cause de nullité lorsqu'elle inspire à un contractant une crainte telle
que cette personne donne malgré elle son consentement. N'est pas considérée comme
violence la menace d'user légitimement d'un droit.
Document n° 2
Cour de cassation1re chambre civile Cassation partielle3 avril 2002N° 00-12.508
(extrait)
Attendu que la société IFT a commandé un matériel informatique auprès de la société
EGT, puis a conclu un contrat de location financière avec la société SFET, bailleresse ;
que le matériel s'étant révélé incompatible avec le logiciel dont la société IFT était
équipée, celle-ci n'a plus réglé les loyers ;
Sur le premier moyen du pourvoi principal de la société SFET et le moyen unique du
pourvoi provoqué de la société EGT, qui sont identiques :
Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt d'avoir prononcé la nullité du contrat de vente
conclu entre la société EGT et la société SFET, représentée par la société IFT, alors,
selon le moyen, que l'acquéreur qui a en vue une utilisation bien précise du matériel
qu'il achète a le devoir d'informer le fournisseur de ce matériel de l'utilisation qu'il
entend en faire ;
qu'en déchargeant la société IFT, qui avait en vue l'exploitation commune du logiciel
de traitement de texte dont elle était dotée et du matériel objet de la vente, de son
devoir de collaboration avec le fournisseur, pour des raisons tirées de ce que cette
société n'avait aucune compétence en matière informatique et de ce que sa société
mère avait acheté un matériel de même nature qui s'était révélé compatible,
cependant que l'incompétence supposée de la société IFT justifiait d'autant plus
qu'elle se renseigne sur l'utilisation qu'elle pouvait faire du matériel qu'elle
choisissait et qu'il est constant que le matériel acquis par sa société mère était d'un
modèle différent de celui acquis par la société IFT, la cour d'appel, qui a estimé que la
société IFT pouvait légitimement se prévaloir d'un vice du consentement , a violé
l'article 1110 du Code civil ;
Mais attendu que la cour d'appel a exactement retenu que le vendeur professionnel
d'un matériel informatique est tenu d'une obligation de renseignement et de conseil
envers un client dépourvu de toute compétence en la matière ; qu'elle a constaté que
la société EGT ne rapportait pas la preuve qu'elle avait fourni à la société IFT, sans
compétence en matière informatique, la documentation ou les informations faisant
23
état de l'incompatibilité du matériel fourni et du logiciel dont l'acquéreur était
équipé, ni qu'elle ait attiré l'attention de celui-ci sur cette incompatibilité ; qu'en l'état
de ses constatations et énonciations, elle a pu décider que seul le manquement du
fournisseur à son obligation de renseignement et de conseil était à l'origine de
l'erreur commise par l'acquéreur, incompétent en la matière ; que, dès lors, le moyen
n'est pas fondé ;
Document 3 :
Soraya Amrani Mekki, Professeur à l'Université de Paris X – Nanterre et Bénédicte
Fauvarque-Cosson, Professeur à l'Université Panthéon-Assas (Paris II), Droit des contrats
(des extraits), octobre 2006 - septembre 2007, Recueil Dalloz 2007 p. 2966.
L'erreur-obstacle : quand l'inexcusable chasse l'erreur-obstacle
L'erreur-obstacle est généralement analysée comme une absence de consentement.
Elle se distingue de l'erreur vice du consentement qui renvoie à la qualité de celuici (V. égal. sur le fondement de l'absence de consentement, Paris, 30 nov. 2006, JCP
2007. II. 10069, note H. Kenfack : l'illettrisme permet d'annuler une promesse de
vente conclue alors que la partie pensait conclure un pacte de préférence). Sa
qualification est cependant délicate comme le révèle l'arrêt rendu par la troisième
Chambre civile de la Cour de cassation du 4 juillet 2007 (Civ. 3e, 4 juill. 2007, n° 0615.881, D. 2007. AJ. 2102 ; RLDC, sept. 2007, n° 2647).
Un marchand de biens vend en 2003 un immeuble à une SCI pour le prix de 457 347
euros, prix indiqué à la fois sur la promesse de vente datant de juillet 2003 et sur
l'acte notarié établi un mois plus tard. Le vendeur demande par la suite la nullité du
contrat invoquant une « erreur sur le prix résultant d'une conversion erronée du prix de
francs en euros » réalisée par la secrétaire notariale. Les juges du fond donnent gain de
cause au marchand de biens sur le fondement de l'erreur vice du consentement en
considérant que l'erreur commise est excusable. Si la Cour de cassation confirme le
fondement de l'erreur sur la substance, elle juge l'erreur inexcusable car « tous les
actes portaient le prix identique de 457 347 euros et (alors qu')il entre dans la compétence
d'un marchand de biens, professionnel de la vente, de savoir déterminer et contrôler la
conversion d'un prix négocié en francs, en euros, la cour d'appel a violé le texte susvisé ».
L'erreur commise à l'occasion d'une conversion n'est pas un cas isolé (V. par ex. Com.
22 nov. 2005, inédit, n° 04-10.434) : « (...) M. X..., homme d'affaires habitué à des
opérations boursières, ne pouvait sérieusement soutenir avoir commis une erreur sur le libellé
de la monnaie entre francs et euros », mais son fondement reste délicat. Il est difficile de
la qualifier d'erreur sur les qualités substantielles car elle est purement matérielle et
24
réside dans une mauvaise conversion des francs en euros. Elle s'apparente bien plus
à une erreur-obstacle, error in corpore sur l'identité de la chose.
Il est vrai que, sur cette question, les arrêts ne sont pas toujours d'une grande clarté
(V. not. Com. 14 janv. 1969 « que cette erreur portant sur la substance même de la
prestation promise par la blanchisserie à sa cocontractante, savoir l'unité monétaire employée
pour mesurer le prix, le tribunal a pu décider que le consentement (de ladite blanchisserie) a
été vicié à sa base par une erreur fondamentale », RTD civ. 1969. 556, obs. Y. Loussouarn ;
D. 1970. Jur. 458, note A. Pédamon). Pourtant, la conversion erronée est à l'origine
d'une vente portant sur un prix sur lequel les parties n'ont pu se mettre d'accord
(comp. Orléans, 13 mai 2004, RTD civ. 2005. 589, obs. J. Mestre et B. Fages ; CCE
2004, n° 144, obs. P. Stoffel-Munck ; JCP E 2005. 1060, obs. M. Vivant, N. MalletPoujol et J.-M. Bruguière : « Que force est de constater qu'il n'y a pas eu d'échange de
consentement sur la prestation monétaire, l'acheteur entendant donner 10 979 francs et le
vendeur recevoir 10 979 euros pour le même produit ; que les deux parties ne se sont donc pas
entendues sur le prix, de sorte que le contrat de vente ne s'est pas formé »), en sorte que
l'erreur-obstacle aurait pu être envisagée (V. aussi pour une simple erreur
typographique, TGI Pau, 7 janv. 1982, JCP 1983. II. 19999, note Coïret).
En refusant, en l'espèce, de la consacrer au profit du fondement de l'erreur sur la
substance, la Cour de cassation pourrait renforcer l'idée selon laquelle l'erreurobstacle ne serait pas foncièrement différente de l'erreur vice du consentement (en
ce sens, C. Larroumet, Les obligations. Le contrat, 1re partie Conditions de formation,
Economica, 2007, n° 321 s., p. 285 s.).
Surtout, concrètement, la qualification d'erreur sur la substance permet de
sanctionner le caractère grossier du comportement du vendeur. Un minimum de
vérification lui aurait, en l'espèce, permis de rectifier cette erreur purement matérielle
(comp., Civ. 1re, 4 juill. 1995, D. 1997. Jur. 206, note A.-M. Luciani, et 1996. Somm. 11,
obs. G. Paisant ; RTD com. 1996. 315, obs. B. Bouloc : à propos d'une erreur
d'étiquetage à l'origine d'un prix insuffisant mais qui ne peut être qualifié de prix
dérisoire). Or, le fondement de l'erreur-obstacle aurait entraîné l'exclusion de toute
erreur inexcusable (en ce sens, TGI Paris, 26 juin 1979, D. 1980. IR. 263, obs. J. Ghestin
; V. égal., F. Terré, P. Simler et Y. Lequette, Droit des obligations, 9e éd., Dalloz, 2005,
n° 223, p. 231). D'une certaine manière, pour pouvoir invoquer le caractère
inexcusable de l'erreur, il fallait échapper au fondement de l'erreur-obstacle.
Autrement
dit,
l'inexcusable
a
chassé,
en
amont,
l'erreur-obstacle.
Le caractère inexcusable de l'erreur est en outre apprécié de manière particulièrement
rigoureuse par la Cour de cassation afin d'assurer la sécurité des transactions et la
sanction des comportements imprudents. Habituellement, elle opère un contrôle in
concreto en tenant compte de la qualité des parties, de leur âge, de l'objet du contrat,
des circonstances lors de sa conclusion (J. Ghestin, La formation du contrat, op. cit., n°
523 s., p. 484 s. ; F. Terré, P. Simler et Y. Lequette, op. cit., n° 223, p. 230 ; B. Fages,
Droit des obligations, LGDJ, coll. Manuel, 2007, n° 115, p. 98). Elle en vient ainsi à
distinguer la situation des novices, profanes et des « sachants » par expérience ou par
25
profession. Lorsqu'il est question d'une erreur commise par le vendeur, elle a
souvent tendance à se montrer plus exigeante, ce que confirme l'appréciation
singulière de l'erreur inexcusable en l'espèce. En effet, la cour d'appel ne s'était pas
arrêtée à la qualité de marchand de biens du vendeur, soulignant que ce statut
n'avait été choisi que pour des raisons fiscales. Elle relevait également que l'erreur «
résultait d'une mauvaise conversion effectuée par la secrétaire notariale [et] qu'il ne pouvait
être reproché une faute de négligence à Mme X à raison de la confiance accordée au notaire ».
La Cour de cassation, au contraire, censure les juges du fond, au motif « qu'il entre
dans la compétence d'un marchand de biens, professionnel de la vente, de savoir déterminer et
contrôler la conversion d'un prix négocié en francs, en euros » (comp. même rigueur, Com.
22 nov. 2005, préc.). La solution doit être approuvée à cet égard car il serait bien
difficile de prendre en considération les motivations et les intentions de chaque
contractant.
b - Le dol
Bien mal acquis profite parfois...
L'arrêt Baldus du 3 mai 2000 avait fait couler beaucoup d'encre en refusant de
prononcer la nullité d'un contrat au motif que l'acheteur n'était pas tenu d'informer le
vendeur de la valeur des photographies qu'il lui avait vendues (Bull. civ. I, n° 131 ; D.
2002. Somm. 928, obs. O. Tournafond ; RTD civ. 2000. 566, obs. J. Mestre et B. Fages
; JCP 2000. I. 272, n° 1 s., obs. G. Loiseau ; ibid. 2001. II. 10510, note C. Jamin ;
Defrénois 2000. 1110, obs. D. Mazeaud ; V. égal. pour la valeur d'actions cédées à la
charge des associés, Com. 12 mai 2004, JCP 2004. I. 173, obs. A. Constantin). Pour une
partie de la doctrine, cette décision est empreinte de réalisme. Elle récompense celui
qui par ses efforts et ses connaissances a obtenu une information qu'il refuse de
communiquer sans contrepartie (V. B. Rudden, Le juste et l'inefficace, pour un nondevoir de renseignement, RTD civ. 1985. 91 s.). Pour d'autres, la « chasse aux pigeons
est ouverte » (en ce sens, D. Mazeaud, obs. préc.).
Jusqu'à présent, on pouvait douter de sa portée. Un arrêt rendu par la troisième
Chambre civile de la Cour de cassation le 17 janvier 2007, (FS-P+B), réitère le principe
posé en usant d'une formule bien plus générale (Civ. 3e, 17 janv. 2007, n° 06-10.442,
Bull. civ. III, n° 5 ; D. 2007. Jur. 1051, note D. Mazeaud, et Jur. 1054, note P. StoffelMunck ; AJDI 2007. 416, obs. S. Bigot de la Touanne ; RTD civ. 2007. 335, obs. J.
Mestre et B. Fages ; RDC 2007-3, p. 703 s., obs. Y.-M. Laithier ; JCP 2007. II. 10042,
note C. Jamin ; Defrénois 2007. 443, obs. E. Savaux ; CCC, mai 2007, n° 117, obs. L.
Leveneur ; Dr. et patr. 2007. 83 s., obs. L. Aynès et P. Stoffel-Munck, qui approuvent
l'arrêt considéré comme cohérent et opportun).
Une promesse de vente immobilière est conclue entre un acquéreur, agent
immobilier et marchand de biens, et un vendeur, agriculteur devenu manoeuvre,
26
dont l'épouse était en incapacité totale de travail. Le vendeur soutient avoir été
victime d'une réticence dolosive car l'acheteur ne lui aurait pas révélé la valeur réelle
du bien qu'il vendait. Il demande de ce fait la nullité du contrat. Les juges du fond lui
donnent gain de cause aux motifs que le vendeur « ne pouvait lui-même connaître la
valeur de son pavillon » et que le silence gardé par l'acquéreur « constituait un
manquement au devoir de loyauté qui s'impose à tout contractant et caractérisait une
réticence dolosive déterminante du consentement au sens de l'article 1116 du code civil ».
Cette décision est cassée par la Cour de cassation aux motifs que « l'acquéreur, même
professionnel, n'est pas tenu d'une obligation d'information au profit du vendeur sur la
valeur du bien acquis ».
A plusieurs égards, l'arrêt rendu par la troisième Chambre civile a une portée bien
plus large que son prédécesseur Baldus.
Tout d'abord, la situation personnelle du vendeur aurait pu inciter à la clémence. Il
s'agit d'un agriculteur devenu manutentionnaire, en difficultés financières et devant
assurer la charge d'une épouse en incapacité de travail. Ces données économiques,
sociales, culturelles et financières auraient pu être prises en compte pour déterminer
si le vendeur avait réellement les moyens de se procurer seul l'information sur la
valeur de son bien, en fournissant un effort raisonnable. En effet, l'argument
récurrent est le coût de l'information qui ne devrait pas profiter à autrui (P. StoffelMunck, obs. préc.). Mais encore faut-il que le cocontractant ait la possibilité de se
procurer seul l'information. Cet agriculteur « reconverti » en manutentionnaire à
temps partiel n'avait pas réellement le choix (pour une autre appréciation, V. Y.-M.
Laithier, obs. préc., spéc. p. 704). D'ailleurs, il se trouvait en toute confiance face à cet
agent immobilier avec lequel il avait déjà conclu un certain nombre de contrats. Il est
même précisé que le vendeur s'était déplacé dans son agence pour la signature de la
promesse. Ce « professionnel » agissait, du moins en apparence, dans le cadre de ses
fonctions ! En outre, contrairement à l'affaire Baldus, l'acheteur a participé à la
négociation du prix. Il a de cette manière, en partie, contribué à sa détermination.
Enfin, alors que l'arrêt du 3 mai 2000 avait au moins le mérite de rendre une solution
circonstanciée (l'utilisation de l'imparfait en atteste, en ce sens, G. Loiseau, obs. préc.
ss. Civ. 1re, 3 mai 2000), l'arrêt de 2007 use d'une formule très générale excluant en
amont toute prise en considération de la singularité des différents cas litigieux.
Cette solution d'une certaine manière réduit également l'intérêt de la réticence
dolosive. Lorsque l'erreur provoquée par la réticence d'une information portera sur
la valeur, le vendeur ne pourra s'en prévaloir. A contrario, si elle provoque une erreur
sur la substance, la réticence dolosive est envisageable mais devient alors sans intérêt
car il suffit de se fonder sur les dispositions de l'article 1110 du code civil. Cela amène
à s'interroger d'ailleurs sur la nature de l'erreur commise en l'espèce. N'était-ce pas
davantage une erreur sur la valeur conséquence d'une première erreur sur les
qualités substantielles ?
Quoi qu'il en soit, la portée de l'arrêt ne doit pas non plus être exagérée car il est
27
question de l'erreur du vendeur et non de celle de l'acheteur. L'erreur sur la valeur de
ce dernier en raison du défaut d'information du vendeur reste donc envisageable.
Cette différence de traitement témoignerait de nouveau du sacrifice imposé au
vendeur en matière de vices du consentement . De plus, seul le contrat de vente est
visé ce qui permettrait un cantonnement de la jurisprudence à ce contrat spécial.
Quels que soient les moyens mis en oeuvre pour limiter la portée de cette décision,
elle manifeste un certain recul du devoir de loyauté (V. égal., Com. 27 mars 2007, JCP
2007. II. 10119, note Y.-M. Serinet ; V. cep., Com. 10 juill. 2007, publié au Bulletin ; D.
2007. AJ. 1955, obs. X. Delpech : « si la règle selon laquelle les conventions doivent être
exécutées de bonne foi permet au juge de sanctionner l'usage déloyal d'une prérogative
contractuelle, elle ne l'autorise pas à porter atteinte à la substance même des droits et
obligations légalement convenus entre les parties »).
La solution pourrait résider à l'avenir dans l'utilisation d'un autre fondement mieux à
même de protéger les victimes de ce type de comportement : le vice de faiblesse (V.
égal le moyen offert par l'art. 4.109 du droit européen des contrats). Ce vice désigne «
la particulière vulnérabilité de certains contractants profanes - du fait de leur âge, de la
maladie, ou d'un état de nécessité - qui altère leurs perceptions et favorise les incitations et le
harcèlement contractuels par des personnes peu scrupuleuses, ne permet ni la reconnaissance
d'un dol ni celle d'une violence » (C. Aubert de Vincelles, Altération du consentement et
efficacité des sanctions contractuelles, Dalloz, 2002, n° 438, p. 343 ; dans le même esprit,
la lésion qualifiée proposée par M. G. Chantepie, La lésion, Préf. G. Viney, LGDJ,
2007, spéc. n° 686 s., p. 434 s.).
A ce titre, on peut citer un arrêt original rendu par la deuxième Chambre civile de la
Cour de cassation le 5 octobre 2006 à propos d'une convention d'honoraires conclue
entre un avocat et son client (Civ. 2e, 5 oct. 2006, n° 04-11.179, D. 2007. Jur. 2215, note
G. Raoul-Cormeil ; CCC, févr. 2007, n° 44, obs. L. Leveneur). La Cour de cassation a
jugé que « la salariée était dans l'incapacité de mesurer les inexactitudes du relevé des
prestations de l'avocat annexé à la convention ; que les circonstances de la signature de la
convention permettent d'estimer que le consentement de Mme X n'a pas été libre ; qu'elle se
trouvait dans un état de moindre résistance en raison du besoin qu'elle avait de percevoir
rapidement les dommages et intérêts qui lui étaient dus compte tenu de son état de
surendettement et qu'elle se trouvait dans un état de faiblesse psychologique, attesté par les
pièces médicales produites ; que cet état de faiblesse implicitement reconnu par M. Y lorsque
celui-ci fait part des angoisses de sa cliente, n'étaient pas de nature à permettre à la
demanderesse de s'opposer aux prétentions de son avocat, compte tenu de la différence des
personnalités en présence ; Qu'ainsi, lors de la signature de la convention d'honoraires, le
consentement de Mme X était altéré ; Que par ces constatations et énonciations, caractérisant
le vice du consentement , l'ordonnance se trouve légalement justifiée ». Cet arrêt se
présente comme une illustration topique des avantages que peut offrir un
raisonnement fondé sur l'idée d'un nouveau vice du consentement , vice de
faiblesse qui n'est ni un cas de dol ni un cas de violence.
28
A l'égard de la réticence dolosive, si aux dires de certains, « la messe est dite » (P.
Stoffel-Munck, note préc. ), prions pour qu'un miracle se produise et que la Cour de
cassation en revienne soit à une conception plus loyale des relations contractuelles
sous l'angle de la réticence dolosive, soit à l'utilisation plus fréquente de certains
expédients, tel le vice de faiblesse.
Document 4
Erreur - Jacques GHESTIN - Yves-Marie SERINET - septembre 2006 (des extraits)
Dalloz.fr
b. - L'erreur indirecte sur l'objet d'une prestation
172. Elle porte sur l'aptitude de l'objet à remplir l'usage auquel celui qui s'est trompé
le destinait, ou elle résulte d'une erreur de droit.
1° - L'erreur sur l'aptitude de l'objet
173. Parfois le juge ne se borne pas à constater l'absence de telle ou telle qualité. Il
observe que l'objet n'était pas apte à réaliser la fin poursuivie par la victime de
l'erreur. Inversement, la nullité est écartée en relevant que l'objet vendu était apte à
sa destination (Cass. req. 1er mars 1876, DP 1877. 1. 155, S. 1876. 1. 318 : rejet de
l'erreur sur le constat que la carrière de pierres dont l'exploitation avait été cédée était
réellement une carrière de pierres lithographiques ; Cass. com. 8 déc. 1998, no 9616.160
: pose d'un équipement de carrosserie isotherme et d'un hayon élévateur
n'affectant pas l'utilisation du véhicule dont l'état d'usure restait normal nonobstant
une réduction de la charge utile que l'acheteur n'avait pu ignorer).
174. De fréquentes applications de ce type d'erreurs se rencontrent en matière de
ventes d'animaux (Cass. req. 1er mars 1899, S. 1899. 1. 221, pour la vente d'une vache
inapte au travail ; Cass. civ. 27 avr. 1953, D. 1953. 440, pour un cheval de trait trop
âgé ; Cass. 1re civ. 24 avr. 1985, Bull. civ. I, no 127, pour la vente d'une jument atteinte
d'une maladie infectieuse très grave qui la rendait impropre à tout usage de
poulinière ou de cheval de course auquel elle était destinée ; CA Poitiers, 6 janv. 1998,
JCP 1999. IV. 2182 : vente d'un cheval atteint de leucémie ; Cass. 1re civ. 5 févr. 2002,
Bull. civ. I, no 38, JCP 2003. II. 10175, note Ch. Lièvremont, les acquéreurs découvrant
l'état de gestation de la jument postérieurement à la vente alors qu'ils avaient eu
l'intention d'acquérir une pouliche de course et non une jument de reproduction).
175. On en trouve également dans les ventes de matériels ou de machines (T. civ.
Caen, 6 mars 1957, D. 1957, somm. 86, pour une erreur sur le poids d'une scie
portative rendant impossible ou au moins plus pénible l'utilisation de l'engin.
29
Erreur de droit
190. Bien que, de façon générale, l'erreur de droit soit assimilée à l'erreur de fait,
certaines décisions refusent d'annuler le contrat en imposant deux séries de limites à
sa prise en considération.
191. Il en va ainsi, en premier lieu, lorsque l'une des parties fait état d'une mauvaise
compréhension des conséquences juridiques de son engagement. Depuis longtemps,
la Cour de cassation considère qu'un acte juridique ne saurait être annulé pour cause
d'erreur de droit pour la seule raison que son auteur l'aurait accompli dans
l'ignorance des conséquences qui devraient en découler inéluctablement aux termes
d'une disposition impérative de la loi, mais sans que sa méprise ait porté, soit sur les
qualités substantielles de la chose, soit sur la cause juridique de cette opération (Cass.
civ. 22 févr. 1943, Gaz. Pal. 1943. 1. 225, S. 1943. 1. 55, DA 1943. 49, JCP 1944. II. 2649,
note R. Houin : censure de la décision annulant un cautionnement donné par une
femme mariée avec l'autorisation de son mari, qui avait ignoré que, en application
des anc. art. 1409 et 1419 c. civ., il obligeait ainsi lui-même et la communauté, et non
seulement sa femme). Elle a notamment statué en ce sens à l'égard d'options exercées
en matière de sécurité sociale (Cass. 2e civ. 2 nov. 1966, Bull. civ. II, no 885 ; Cass. 2e
civ. 17 mai 1962, Bull. civ. II, no 452 ; V. cep. Cass. 2e civ. 4 juin 1964, Bull. civ. II,
no 450 ; Cass. soc. 20 mai 1969, Bull. civ. V, no 345 ; adde : Cass. 1re civ. 21 juin 1960,
Bull. civ. I, no 339, qui admettent l'annulation parce que des renseignements inexacts
ou incomplets avaient été donnés par l'organisme de sécurité sociale). De même, la
prétendue méprise d'un salarié sur la portée de sa démission faisant suite à une
décision d'invalidité prise par la sécurité sociale n'a pas été retenue parce qu'elle a été
jugée non plausible (Cass. soc. 28 juin 2001, no 99-44.139
). Cette limitation du jeu
de l'erreur de droit a depuis été reprise et explicitée. C'est ainsi qu'il a été jugé que
« si l'erreur de droit peut justifier l'annulation d'un acte juridique pour vice du
consentement ou défaut de cause, elle ne prive pas d'efficacité les dispositions
légales qui produisent leurs effets en dehors de toute manifestation de volonté de la
part de celui qui se prévaut de leur ignorance » (Cass. 1re civ. 4 nov. 1975, D. 1977.
105, note J. Ghestin : une veuve commune en biens, déchue de la faculté de renoncer
à la communauté en vertu de l'art. 1457 anc. c. civ., ne peut échapper aux
conséquences inconnues d'elle que la loi attache à son inaction). Plus récemment, la
Cour de cassation a censuré, pour violation de l'article 1110 du code civil, un
jugement qui, pour annuler le contrat de prêt conclu par un consommateur en vue de
l'acquisition d'un véhicule volé un an plus tard, avait retenu l'erreur de droit
commise par l'emprunteur qui ignorait la survie du contrat de prêt en cas de
disparition du véhicule, alors qu'une telle erreur ne revêt aucun caractère substantiel
de nature à vicier son consentement et à entraîner la nullité du prêt (Cass. 1re civ.
14 juin 1989, Bull. civ. I, no 240, D. 1989, somm. 338, obs. J.-L. Aubert, RTD civ. 1989.
742, obs. J. Mestre). La distinction s'avère parfois subtile (J. FLOUR, J.-L. AUBERT et
E. SAVAUX, t. 2, no 200 ; Ph. MALINVAUD, op. cit., no 170). Elle n'est pas toujours
parfaitement respectée. Dans le droit du cautionnement (V. supra, no 169), le désir de
se montrer indulgent envers des cautions particulièrement dignes de protection a pu
conduire à admettre la nullité en retenant que la méprise avait porté « non sur les
conséquences, mais sur la substance même de l'engagement » (Cass. 1re civ. 25 mai
30
1964, Bull. civ. I, no 269, D. 1964. 626, RTD civ. 1965. 109, obs. J. Chevallier ; adde :
CA Paris, 18 janv. 1978, JCP 1980. II. 19318, note Ph. Simler ; Cass. 1re civ. 4 juill. 1979,
D. 1979, IR 536, Gaz. Pal. 1979. 2, somm. 484 ; CA Paris, 27 mars 1987, D. 1987,
somm. 446, obs. L. Aynès ; CA Versailles, 23 juin 1995, RJDA 1995, no 1319 ;
CA Grenoble, 20 févr. 1996, JCP 1997. I. 3991, obs. Ph. Simler ; et les références citées
par Ph. SIMLER, op. cit. [supra, no 20], no 134). Pour des raisons voisines, la nullité
d'un acte de délégation a pareillement été retenue au motif que le délégué, non
professionnel, n'avait pas été informé par ses cocontractants des conséquences de son
engagement, de sorte que sa renonciation aux dispositions protectrices d'ordre public
du maître de l'ouvrage (CCH, art. L. 231-2 et s., textes relatifs au règlement du prix
dans les contrats de construction de maison individuelle) qu'implique l'acte de
délégation n'avait pas été faite en connaissance de cause alors que « cette
renonciation touchait à la substance même du contrat » (Cass. com. 28 févr. 2006,
no 04-11.057
).
192. En second lieu, la Cour de cassation refuse que l'erreur de droit puisse trouver sa
source dans une jurisprudence défavorable. Depuis longtemps, elle pose en règle que
« l'erreur de droit consécutive à une diversité de jurisprudence et à une controverse
établie ne saurait être une cause de nullité de la convention » (Cass. soc. 24 oct. 1946,
D. 1947. 72 ; Cass. soc. 5 déc. 1952, Bull. civ. IV, no 890 ; adde : J. BOULANGER, note
sous Cass. civ. 26 oct. 1943, D. 1946. 303). Le fondement de cette solution peut être
recherché dans les principes qui régissent l'interprétation de la loi par la Cour de
cassation. En effet, c'est généralement en faisant état d'un arrêt rendu
postérieurement au contrat par cette juridiction que l'une des parties invoque une
erreur de droit. Or, selon la Cour de cassation, on ne peut déduire une telle
conséquence « d'une décision judiciaire dont l'effet est nécessairement limité aux
parties qui l'ont obtenue » (Cass. soc. 8 déc. 1966, Bull. civ. IV, no 937, qui concerne
l'erreur du solvens dans la répétition de l'indu, mais qui rappelle un principe de
portée générale ; adde, en matière de répétition de l'indu : Cass. soc. 20 juin 1966,
Bull. civ. IV, no 624, D. 1967. 264, note A. Rouiller, RTD civ. 1967. 150, obs.
J. Chevallier, RTD civ. 1967. 202, obs. P. Hébraud ; Cass. soc. 20 juin 1966, Bull.
civ. IV, no 625 ; Cass. soc. 6 oct. 1971, Bull. civ. V, no 545 ; Cass. soc. 24 mai 1973,
D. 1974. 365, note crit. J. Ghestin). Il n'en reste pas moins que la Cour de cassation a
pour mission d'unifier l'interprétation de la loi, et qu'elle fait connaître le sens que
celle-ci avait dès l'origine. Celui qui lui a donné une autre interprétation a donc bien
fait une erreur de droit. La solution s'explique sans doute par le souci d'atténuer les
conséquences de l'effet rétroactif de l'interprétation jurisprudentielle (J. GHESTIN et
G. GOUBEAUX, avec le concours de M. FABRE-MAGNAN, op. cit. [ supra, no 2],
no 518), ainsi que d'éventuels revirements (pour les discussions relatives à cette
question, V. N. MOLFESSIS [sous la dir. de], Les revirements de jurisprudence,
Rapport remis à M. le premier président G. CANIVET le 30 nov. 2004, 2005, Litec).
Les conventions passées en l'état du droit antérieur à l'intervention de la Cour de
cassation ne peuvent être remises en question en fonction de l'interprétation retenue
par celle-ci, dès l'instant du moins que les parties connaissaient l'existence de la
controverse. De ce point de vue, l'atténuation traditionnelle à la prise en compte de
l'erreur de droit fait écho à une jurisprudence postérieure d'après laquelle
« l'interprétation jurisprudentielle d'une même norme à un moment donné ne peut
31
être différente selon l'époque des faits considérés et nul ne peut se prévaloir d'un
droit acquis à une jurisprudence figée » (Cass. 1re civ. 9 oct. 2001, Bull. civ. I, no 157,
D. 2001. 3470, rapp. P. Sargos,
note D. Thouvenin
, RTD civ. 2002. 176, obs.
R. Libchaber
; adde, déjà : Cass. 1re civ. 21 mars 2000, Bull. civ. I, no 97, D. 2000.
593, note Ch. Atias , RTD civ. 2000. 666, obs. N. Molfessis
). Psychologiquement,
on peut cependant contester qu'il ne puisse y avoir, en de telles circonstances, une
erreur de droit déterminante du consentement (rappr. supra, no 118, la jurisprudence
refusant de reconnaître qu'une erreur puisse naître de la déclaration d'illégalité d'une
clause type d'un contrat intervenue postérieurement à la formation de celui-ci).
Toujours est-il que la Cour régulatrice formule aujourd'hui d'une manière très
générale cette limite quand elle censure, au visa des articles 1304, 1109 et 1110 du
code civil, une Cour d'appel qui fait courir le délai pour agir en nullité relative en
raison de l'illicéité de la clause de rémunération d'un contrat d'édition du jour du
jugement rendu dans une affaire semblable aux motifs que « ne pouvait être
invoquée comme cause d'une erreur de droit susceptible de justifier la nullité d'un
contrat, une décision judiciaire rendue, entre d'autres parties » (Cass. 1re civ. 27 juin
2006, no 05-13.337
). C'est donc le caractère relatif de l'autorité de la chose jugée qui
est avancé comme une justification de la solution.
Document 5
Frédérique Cohet-cordey, La violence, les sectes et le contrat de vente d'immeuble,
AJDI 1999 p. 1013
La violence est très certainement le vice du consentement à propos duquel les
juges ont eu le moins souvent l'occasion de s'exprimer, alors qu'il est, avec ses cinq
articles (art. 1111 à 1115 du Code civil), le plus réglementé de tous. Il est
traditionnellement défini comme le fait de susciter ou d'exploiter un sentiment de
crainte afin de contraindre une personne à donner son consentement (1). A la
différence du dol, avec lequel on le compare fréquemment, le vice de violence ne
conduit pas la victime à se tromper, son consentement n'est pas atteint dans son
élément d'intelligence, mais dans son élément de liberté, dans sa dimension volitive
et non pas réflexive (2). L'acte est conclu sous l'empire de la crainte (3). Ce n'est
donc pas la violence en elle-même qui est prise en considération par le droit de la
formation des contrats (4). Elle n'est pas sanctionnée en tant que telle, mais
uniquement au regard de la crainte qu'elle a inspirée. La nullité qui vient frapper le
contrat sanctionne moins un comportement illicite, contraire au droit, qu'elle ne
protège la victime. Aussi devra-t-elle être demandée en justice par la victime dans un
délai de cinq ans à compter du jour où la violence a cessé. Le régime de la nullité de
protection qui sanctionne ce vice explique que dans un arrêt de la troisième chambre
civile de la Cour de cassation en date du 13 janvier 1999, Sté Jojema c/ Mme BossePlatière (v. ci-après p. 1035) l'action en nullité d'un contrat de vente portant sur un
bien immeuble ait pu être reçue par les tribunaux plus de cinq ans après la
conclusion de l'acte, mais à peine trois ans après que les violences eurent cessé.
Le cas particulier ayant donné lieu à cette décision concerne une catégorie de
violence hélas tout à fait actuelle : celle qui résulte de l'emprise exercée par les sectes
32
sur la personne de leurs membres. Les manipulations mentales auxquelles
aboutissent les techniques parfois employées par les membres de ces organisations
sont source d'abus qui constituent un danger pour les personnes contre lequel il
convient de les protéger. Mais quels sont les instruments de cette protection ? Le
garde des Sceaux déclarait, en 1986, que les moyens à mettre en oeuvre pour lutter
contre les dérives sectaires étaient d'ores et déjà présents dans « l'arsenal juridique
existant (5)
».
La Cour de cassation ne dément pas cette affirmation dans la décision qu'elle a
rendue le 13 janvier 1999 (6), puisqu'elle s'appuie sur la théorie des vices du
consentement pour anéantir un contrat de vente d'un bien immeuble consenti par sa
propriétaire à une société civile immobilière dont les associés et le gérant étaient
membres de la communauté à laquelle elle avait adhéré (contrat qui dissimulait une
donation consentie sous la violence - la propriétaire victime ayant reversé en espèces
une somme d'argent correspondant au montant principal du prix de vente de
l'immeuble
stipulé
dans
l'acte
notarié).
Dans le cas d'espèce, l'immeuble était investi par certains membres de ladite
communauté depuis 1972. A partir de cette date jusqu'au mois de novembre 1987, la
venderesse avait été l'objet de violences physiques et morales jugées viciantes du
consentement au sens des articles 1111 et 1112 du Code civil, c'est-à-dire « de nature
à faire impression sur une personne raisonnable » et à « inspirer la crainte d'exposer
sa personne ou sa fortune à un mal considérable et présent ». Pour établir le caractère
déterminant de ces violences sur le consentement de la victime, les juges du fond ont
relevé que l'intéressée était, au moment des faits, vulnérable car séparée de son
époux et ayant à sa charge ses enfants, et que cette vulnérabilité l'avait conduite à
conclure
l'acte
de
vente
litigieux.
En mettant en avant ces éléments de fait, la Cour de cassation rappelle que le
comportement du cocontractant victime joue un rôle de premier plan dans
l'appréciation de l'existence du vice de violence. Le comportement de l'autre partie
étant secondaire, il suffit, mais il est toutefois nécessaire, que la crainte exercée ait
inspiré une crainte suffisamment contraignante dans l'esprit de la victime.
La crainte inspirée
Le consentement se trouve atteint par le vice de violence lorsqu'il n'est donné qu'en
raison de la crainte ressentie par la victime, crainte résultant de la menace d'un mal
plus grand (7) ayant conduit la victime à donner son accord à la conclusion du
contrat tout en sachant qu'il ne lui est pas favorable (8).Cette crainte doit donc avoir
été déterminante de son consentement et avoir été contemporaine de la formation du
contrat.
Ces deux caractères de l'élément psychologique de la violence sont contestés par la
société,
acquéreur
dans
cette
affaire.
Il est tout d'abord reproché aux juges du fond de s'être contentés d'avoir affirmé que
33
la victime avait subi des violences physiques et morales sans préciser en quoi la
violence exercée avait déterminé le consentement de la victime à l'acte litigieux.
La victime était en l'espèce soumise à la surveillance des membres de la communauté
à laquelle elle appartenait et subissait, ainsi que ses enfants, des humiliations
psychologiques et physiques, sous forme, entre autres, de punitions et de menaces de
damnation éternelle. La discipline du groupe auquel elle appartenait, dirigée par
l'auteur d'une thèse relative à « la terreur comme système de domination », était
fondée sur une aliénation psychologique provoquée, sur une soumission sans
condition pendant la présence dans le groupe et même ultérieurement. Un
ébranlement affectif en est résulté, la rendant particulièrement sensible aux menaces
dirigées
à
son
encontre
et
à
celle
de
ses
enfants (9).
Le constat d'une telle situation a permis à la Cour de cassation d'en déduire que le
consentement de la victime, rendue vulnérable en raison des agissements relevés,
avait été déterminé par ces derniers. La violence vient exploiter la faiblesse d'autrui,
faiblesse qui peut être toute relative mais qui doit avoir influencé le consentement
(10). La vulnérabilité ici observée semble avoir un rôle à remplir relativement à
l'appréciation de la condition de la personne pouvant caractériser la gravité de la
contrainte inspirée (11). Elle apparaît comme étant une unité de mesure de la
gravité de la menace et de l'existence de la violence en tant que vice du
consentement . Quand la cuirasse d'une personne tombe et que l'on dirige une épée
sur une partie du corps découvert, l'exploitation de cette faiblesse révélée face à la
menace exercée constitue une violence au sens des articles 1111 et suivants du Code
civil (12). La vulnérabilité provoquée par des manipulations physiques et
psychologiques des membres d'une communauté met le contractant dans une
situation d'« incapacité » en ce sens que le consentement qu'il est alors susceptible
d'exprimer ne peut permettre la formation d'un contrat valable dès lors que ce
contrat s'inscrit dans le giron de ces manipulations ; elles seules déterminent son
consentement.
Dans le même sens, il a été jugé que la personne qui avait cédé à la menace d'être
laissée sans soin de la part de l'acquéreur en acceptant de vendre son bien
moyennant un prix symbolique converti en bail à nourriture avait succombé au vice
de
violence (13).
Plus proche encore de la décision commentée, des juges ont pu admettre qu'une
même violence exercée sur deux époux pouvait être viciante du consentement de l'un
mais non de l'autre en raison de la plus grande vulnérabilité de l'un d'eux (14). La
crainte suscitée par les violences exercées sera donc plus ou moins grave suivant la
condition
de
la
victime.
Si, selon Portalis, « l'office de la loi est de nous protéger contre la fraude d'autrui,
mais non pas de nous dispenser de faire usage de notre propre raison (15) »,
l'exigence générale de loyauté et d'honnêteté qui s'impose en matière contractuelle
comme en d'autres oblige à prendre en considération des comportements consistant à
34
exploiter la faiblesse d'autrui (16). « Il est juste de protéger aussi les plus faibles et
les
plustimides (17).
»
De longue date, les juges (18) considèrent que l'appréciation du caractère
déterminant de la violence doit se faire in concreto, eu égard « à l'âge, au sexe et à la
condition des personnes » selon l'article 1112, alinéa 2, du Code civil, et non par
référence à une « personne raisonnable » visée à l'alinéa 1 du même article. Telle est
bien la conception retenue dans l'arrêt qui nous est soumis ; conception subjective
qui, au-delà de la cause (la crainte exercée), s'intéresse à l'effet de la menace. Elle doit
avoir atteint son but : troubler le consentement. Mais la crainte ne doit toutefois
déboucher sur l'annulation du contrat que dans la mesure où la victime est excusable
(19).
Nul
doute
qu'elle
l'était
en
l'espèce.
Le pourvoi reproche également aux juges de la cour d'appel de ne pas avoir
caractérisé l'actualité de la crainte inspirée. Les éléments de contrainte relevés étant
pour l'essentiel postérieurs à la formation du contrat. Or, si le danger doit être
imminent (l'article 1112 du Code civil utilise le terme « présent »), il n'a pas à être
actuel.
Il suffit que la crainte soit réelle au moment de la formation du contrat, quel que soit
le moment de réalisation potentiel de la menace ; instant qui est nécessairement futur
(20).
Afin de vicier le consentement de la personne qui en souffre, la crainte inspirée doit
résulter d'une crainte exercée. Un lien de causalité certain unit ces deux éléments
dans le cadre du vice de violence (21).
La crainte exercée
La crainte exercée correspond à la menace à l'origine de laquelle se trouve la crainte
inspirée, à « tous les comportements qui contraignent un contractant à contracter
(22)
».
La crainte avait en l'espèce été exercée par les membres et le dirigeant de la secte et
non par la société cocontractante au profit de laquelle la convention litigieuse a été
conclue. Mais l'on sait que l'origine du mal importe peu en la matière. Il peut résulter
d'un comportement humain, qui n'est pas nécessairement celui du cocontractant
(23) ou des circonstances (24).
Cette crainte ainsi exercée, menaçant le contractant « dans sa personne ou sa fortune
» (25), est purement objective. Le cocontractant de la victime ne doit pas
nécessairement être de mauvaise foi pour que la contrainte exercée soit viciante du
consentement, ni tirer profit de l'opération conclue (26). Toutefois, en cas d'état de
nécessité, la jurisprudence semble exiger que le cocontractant ait profité des
circonstances pour stipuler des conditions abusivement favorables pour lui. La
35
situation de détresse ne suffit pas, il faut aussi une exploitation de celle-ci, donc un
élément intentionnel (27).
La crainte exercée doit exister, être contemporaine de la formation du contrat et être
illégitime.
Le pourvoi critiquait les juges de fond pour avoir retenu, afin de caractériser la
crainte exercée, des éléments sporadiques, vagues et très espacés dans le temps, ou
précis mais postérieurs à la formation de la convention en cause. En d'autres termes,
il leur est reproché de ne pas avoir établi de lien temporel direct entre les pratiques
relevées et l'expression du consentement.
La Cour de cassation rejette cette argumentation en considérant que les juges
pouvaient se fonder sur des éléments d'appréciation postérieurs à la date de
formation du contrat afin de caractériser l'existence d'une crainte exercée au moment
de l'échange des consentements qui, en l'espèce, résultait plus d'une ambiance
générale de contrainte, de soumission, que d'un acte isolé de contrainte.
S'il est ainsi admis que les juges peuvent se référer à des éléments postérieurs à la
formation du contrat, c'est uniquement afin d'apprécier la psychologie de la victime
étroitement dépendante de son environnement lorsque celui-ci s'est maintenu audelà de la formation du contrat.
L'illégitimité de la violence n'a pas,
caractère indispensable à l'admission
moyens employés (violence physique
constitue le moyen de se procurer
quant à elle, été contestée en l'espèce. Ce
du vice de violence (28) résultait ici des
et morale) et du but poursuivi (la menace
un avantage indu, excessif, abusif) (29).
Un telle violence constitue un délit civil, un comportement moralement fautif et
socialement dangereux (30), qui justifie, comme en l'espèce, la mise en cause de la
responsabilité précontractuelle du contractant qui en est l'auteur ou qui en bénéficie,
sur le fondement de l'article 1382 du Code civil, et sa condamnation à verser des
dommages-intérêts compensatoires à la victime.
La liberté de croyance trouve ainsi sa nécessaire limite dans les moyens employés et
le but recherché. Le vice de violence, pris en compte bien plus largement que les
autres, parce que le trouble causé par la violence est considéré par le législateur
comme particulièrement dangereux, apparaît alors comme un instrument efficace de
lutte contre des pratiques de manipulations pouvant se développer au sein de
certaines organisations à caractère sectaire.
36
(1) J. Ghestin, Traité de droit civil. Les obligations, la formation du contrat, LGDJ, 3e
éd. 1993, n° 579 ; v. aussi : A. Breton, La Notion de violence en tant que vice du
consentement , thèse Caen 1925 ; R. Demogue, La violence comme vice du
consentement , RTD civ. 1914, p. 435.
(2) Fr. Terré, Ph. Simler et Y. Lequette, Droit civil. Les obligations, Dalloz, 6e éd. 1996,
n°
233.
(3)
v.
en
ce
sens
A.
Rieg,
Répertoire
Dalloz
:
violence,
n°
1.
(4) Contrairement à ce que laisse entendre un jugement du tribunal de grande
instance de Nantes en date du 6 janvier 1956 (Gaz. Pal. 1956, I, p. 61), qui annula une
convention collective sur le fondement de l'article 1111 du Code civil en raison du
fait qu'elle avait été signée par les représentants patronaux sous la menace de
violences physiques de la part de milliers d'ouvriers, en relevant que « le droit tout
entier a pour but d'atténuer les tendances de l'homme à la violence considérée
comme
une
régression
elle-même
antisociale
».
(5) Circulaire du 29 février 1996 relative à la lutte contre les atteintes aux personnes et
aux biens commises dans le cadre des mouvements à caractère sectaire, JO 5 mars
1996,
p.
3409.
(6)JCP
G
1999,
I,
143
obs.
G.
Loiseau.
(7) v. notamment : Demante et Colmet de Santere, Cours analytique de Code civil, I,
n° 26 ; E. Gaudemet, Théorie générale des obligations, p. 70.
(8) A la différence du dol pour lequel la dernière jurisprudence exige des
manoeuvres ayant eu pour but de provoquer une erreur dans l'esprit de la victime.
Pour une appréciation critique de cette solution, v. P. Chauvel, Le dol, l'erreur et la
contrainte,
D.
1997,
jur.
p.
20 .
(9) L'article 1113 du Code civil précise que « la violence est une cause de nullité du
contrat, non seulement lorsqu'elle a été exercée sur la partie contractante, mais encore
lorsqu'elle l'a été sur son époux ou sur son épouse, sur ses descendants ou ses
ascendants » ; v., par exemple, TC Albi 11 juillet 1985, Gaz. Pal. 1985, 2, jur. p. 588,
note D. J. P. ; CA Lyon 19 septembre 1990, D. 1991, jur. p. 250, note F. Ruellan ; CA
Paris 13 mai 1996, C. Conc. Cons. éd. Techniques 1996, n° 178, note G. Raymond ;
Cass. crim. 22 janvier 1997, D. Aff. 1997, n° 1, chron. p. 503.
(10) v. CA Paris 17 septembre 1982, D. 1982, inf. rap. p. 525 : la cour d'appel refuse
d'annuler une transaction pour vice de violence, considérant que le simple fait que la
prétendue victime ait été soignée pour dépression nerveuse ne permet pas de penser
qu'elle ait accepté de signer l'accord sous l'effet d'une pression morale contraignante
ou dans un état de santé mentale tel que son comportement s'en serait trouvé vicié.
37
(11) Cette vulnérabilité ne doit toutefois pas être confondue avec celle devant être
constatée par les juges qui retiennent l'infraction d'abus de faiblesse de l'article L.
122-8 du Code de la consommation. Ces derniers relèvent les circonstances qui ont
pu rendre les personnes démarchées particulièrement vulnérables afin de caractériser
le délit d'abus de faiblesse. L'abus de faiblesse peut être induit d'éléments tels que
l'âge, le mode de vie, la nature, les quantités de produits acquis, le prix élevé. Mais
les circonstances doivent révéler que les victimes n'étaient pas en mesure d'apprécier
la portée des engagements qu'elles prenaient. Rien de tel n'est exigé pour la violence.
Le vice sera constitué alors même que la victime était tout à fait en mesure
d'apprécier la portée de son engagement (v., en ce sens, rép. min. JO déb. AN 29 mars
1993,
p.
1136).
(12)
v.
CA
Paris
17
septembre
1982,
préc.
(13) Cass. 3e civ. 19 février 1969, Bull. cass. III, n° 119 ; v. dans le même sens Req. 19
juin
1877,
S.
1878,
1,
271
;
D.
1978,
1,
160.
(14) Cass. comm. 28 mai 1991, Bull. cass. IV, n° 180, p. 128 ; Defrénois 1991, n° 82, p.
1120, obs. L. Aynes ; Defrénois 1992, art. 35212, n° 13, p. 318, obs. J.-L. Aubert ; D.
1992, p. 166, note P. Morvan ; RTD civ. 1992, p. 85, obs. Jacques Mestre .
(15) 15. Discours préliminaire, in Naissance du Code civil, préface de F. Ewald,
Flammarion,
1989,
p.
82.
(16) cf. Jourdain, La bonne foi, Travaux de l'association Henri Capitant, tome XLIII
1992,
Rapport
français
n°
121.
(17) Domat, Les Lois civiles dans leur ordre naturel, Livre I, titre XVIII, section 2.
(18) v. notamment : Req. 19 juin 1877, DP 1878,1, 160 ; Req. 27 janvier 1919, S. 1920, 1,
198 ; CA Paris 2 décembre 1952, Gaz. Pal. 1953, 1, p. 320 concl. Combaldieu.
(19) v. N. Dejean de La Batie, Appréciation in abstracto et appréciation in concreto en
droit
civil
français,
LGDJ,
1965,
n°
212,
288
et
407.
Là où le comportement du sujet soumis à des devoirs ou à des obligations juridiques
spécifiques est apprécié in abstracto (cas du professionnel face au consommateur),
l'appréciation du sujet bénéficiaire d'une protection juridique est effectuée in
concreto ; v. par exemple Cass. comm. 27 mai 1997, arrêt n° 1350. La Cour de
cassation approuve les juges du fond d'avoir écarté le vice de violence en raison de
l'expérience professionnelle des plaignants et des circonstances qui ont entouré la
signature
de
l'acte.
(20)
v.
A.
Rieg,
Répertoire
Dalloz
:
violence
n°
6.
(21) Certaines décisions se contentent toutefois d'une crainte inspirée sans contrainte
38
exercée, faisant de la violence une crainte déterminante ou une simple exploitation
de la faiblesse d'autrui, ce qu'elle n'est pas seulement, en application des articles 1111
et suivants du Code civil ; v. en ce sens B. Petit et les références citées in J.-Cl. fasc. 4,
art.
1111
à
1115,
n°
5.
Lorsqu'une personne se sent menacée alors qu'il n'y a aucune raison objective à cela,
on ne peut admettre qu'une seule cause d'anéantissement du contrat conclu dans ces
conditions : l'absence de lucidité au sens de l'article 489 du Code civil.
(22) v. A. Benabent, Droit civil. Les obligations, Montchretien, 1997, n° 91.
(23)
Art.
1111
du
Code
civil
en
ce
sens.
(24) Une doctrine minoritaire conteste toutefois le fait que l'état de nécessité puisse
être à l'origine d'une violence au sens des articles 1111 et suivants du Code civil ; v.
Ch. Larroumet, Droit civil, tome III : Les obligations, Economica, 3e éd. 1996, n° 371 ;
Ph. Malaurie et L. Aynes, Droit civil. Les obligations, Cujas, 7e éd. 1997, n° 422.
(25)
(26)
Art.
Cass.
1112,
civ.
26
al.
juillet
1,
1949,
du
Gaz.
Code
Pal.
civil.
1949,
2,
363.
(27) v. CA Paris 17 septembre 1982, D. 1982, inf. rap. p. 528 ; CA Aix-en-Provence 19
février 1988, RTD civ. 1989, p. 535, obs. J. Mestre ; Cass. soc. 5 juillet 1965, Bull. cass.
V, n° 545 ; Cass. comm. 20 mai 1980, Bull. cass. IV, n° 212 ; Cass. 1re civ. 22 avril 1986,
JCP G 1986, IV, p. 181 ; Cass. 1re civ. 25 mai 1989, Bull. cass. I, n° 212, p. 142 ; Cass.
comm. 21 février 1995, Bull. cass. IV, n° 50. A propos d'un sauvetage en mer, v. Req.
27
avril
1887,
D.
1888,
1,
263
;
S.
1888,
1,
372.
L'élément intentionnel est également réintroduit dans l'hypothèse de menace
résultant de l'abus de l'usage d'un droit. Un tel abus suppose l'intention de son
auteur
de
profiter
d'une
situation
donnée.
(28) La Cour de cassation censure les décisions dans lesquelles les juges n'auraient
pas caractérisé cette illégitimité ; v. par exemple Cass. comm. 20 mai 1980, Bull. cass.
IV, n° 212 ; Cass. comm. 21 février 1995, JCP E 1995, pan. 461.
(29) On considère classiquement que la crainte exercée est illégitime soit en ellemême, en raison des moyens employés, soit dans son but. Ainsi, la menace d'exercer
une voie de droit n'entraîne pas la nullité du contrat ni la seule crainte révérencielle
envers
les
ascendants,
selon
l'article
1114
du
Code
civil.
(30)
B.
Petit,
J.-Cl.
fasc.
4,
n°
3.
39
Université Cheikh Anta Diop de Dakar
Cours magistral du Professeur Mayata Ndiaye
Mbaye
Faculté des Sciences Juridiques et Politiques
Licence II Droit – Semestre III
Droit des obligations – Contrat
Année académique 2011-2012
Séance n° 4
Thème : la formation du contrat
Sous-thème : les contrats par correspondance
Pour les groupes du mardi
Dissertation : la formation du contrat par correspondance
Pour les groupes du mercredi
Cas pratiques :
Cas n° 1 :
Modou, un jeune sénégalais de 17 ans installé à Ziguinchor, décide d’’investir en décembre
2002 dans l’immobilier. Son frère qui réside à Dakar le met en rapport avec un promoteur
immobilier. Les pourparlers se font avec ce dernier par correspondance. Le promoteur par le
biais de ces échanges électroniques lui fait une offre concernant un certain nombre de terrains.
Après mûre réflexion, Modou répond à l’offre le 10 janvier 2003, la veille de son
anniversaire. Toutefois, le promoteur n’a pu lire ce message d’acception que quelques jours
plus tard. Les parents de Modou estimant que ce dernier n’est pas apte à négocier lui-même ce
genre de transaction, décident de saisir la justice pour annuler ce contrat pour cause de
minorité.
Cette action a t-elle des chances d’aboutir ?
Cas n° 2 :
Abdou, commerçant de profession, en consultant son journal découvre une offre
intéressante de vente de marchandises d’un grand fournisseur. Il décide d’entrer en
pourparlers avec l’offrant qui réside à Thiès par courrier électronique.
Après un échange par correspondance sur les modalités du contrat, Abdou décide de
répondre favorablement le 05 mars 2012 à l’offre. A la date du 10 mars, l’offrant après avoir
reçu la réponse, décide de livrer les marchandises. Mais au cours de cette livraison, le
véhicule devant acheminer les marchandises tombe en panne occasionnant la détérioration des
marchandises constitué essentiellement de produits périssables.
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A partir de quel moment le contrat s’est il formé ? Qui doit supporter la charge de la
réparation du préjudice ?
Bibliographie :
Ouvrages et revues :
-L. Grynbaum, contrats entre absents : les charmes evanescents de la théorie de l’émission de
l’acceptation, D. 2003, p. 1706.
-E. Grimaux, la détermination de la date de conclusion du contrat par voie électronique,
communication, commerce électronique 2004, chron. n° 10.
-F. Chabas, contrat par correspondance : date de formation, in RTD Civ., p. 849 et s.
Documents
Document n° 1
Dispositions légales :
Article 80 du Code des obligations civiles et commerciales
Contrat entre absents, l’offre
Sauf volonté contraire, l’offre lie le pollicitant dès lors qu’elle précise les éléments
principaux du contrat proposé.
L’incapacité ultérieure ou le décès du pollicitant rendent l’offre caduque. Le pollicitant peut
rétracter l’offre tant qu’elle n’a pas été acceptée. Cependant, lorsqu’un délai a été fixé pour
l’acceptation ou que ce délai a été fixé pour l’acceptation ou que ce délai résulte des
circonstances, la révocation de l’offre ne peut intervenir avant qu’il soit expiré.
Article 81 du Code des obligations civiles et commerciales
Contrat entre absent, l'acceptation
Sauf dans les contrats conclus en considération de la personne, l’acceptation pure et simple
forme le contrat.
L’acceptation peut être tacite, sous réserve d’un mode déterminé d’acceptation imposé par
le pollicitant.
Le silence vaut acceptation lorsque les relations d’affaires existant entre les parties les
dispensent de toute autre manifestation de volonté.
Article 82 du Code des obligations civiles et commerciales
Entre absent, le contrat se forme comme entre personnes présentes au moment et au lieu de
l’acceptation.
Cependant, si l’offre est acceptée tacitement, le contrat se forme au moment ou
l’acceptation tacite est réputée être intervenue.
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Document n° 2
Seriaux A., Droit des obligations, 2e éd., P.U.F, pp. 50 à 54
La rencontre de l’offre et de l’acceptation
1-Le moment de la rencontre
Tout contrat est en soit un accord des volontés : une convention. C’est dire l’importance de
déterminer avec précision le moment où cet accord se réalise. Nombre des questions capitales
en dépendent : la date du contrat ; la loi qui lui est applicable ; l’obligation pour les parties
d’exécuter à l’avenir scrupuleusement leur convention ; etc.
De prime abord, la difficulté qu’il peut y avoir à fixer le moment de la rencontre des volontés
n’est guère perceptible : le plus souvent, les cocontractants sont en présence l’un de l’autre et
l’acceptation de l’un est, aussitôt exprimée, connu de l’autre. Elle prend en revanche tout son
relief dans les contrats par correspondance, c’est-à-dire plus généralement chaque fois que les
cocontractants, éloignés physiquement l’un de l’autre, utilisent entre eux des moyens de
communication qui demandent du temps (lettres, télégrammes, actes extrajudiciaires, etc.). Un
décalage apparait alors nécessairement entre le moment de l’acceptation et celui ou le
pollicitant en prend connaissance. D’autres hypothèses sont d’ailleurs envisageables. Ainsi :
un contrat est passé par téléphone ; mais la ligne est coupée au moment même où
l’acceptation est émise, si bien que le pollicitant n’en a pas connaissance. Dans tous ces cas,
quand les volontés de l’acceptant et du pollicitant sont elles censées s’être rencontrées ? Estce lors de la formulation de l’acceptation, ou est –il nécessaire que le pollicitant prenne
connaissance de cette acceptation ?
La question a été discutée. Pour certains, le contrat doit être considéré comme formé dès
l’acceptation du destinataire de l’offre ou, pour plus de sûreté, dès l’émission de cette
acceptation( le cachet de la poste faisant foi, par exemple). Ce sont les théories dites de la
déclaration( ou de l’émission de l’acceptation). Pour d’autres, au contraire, la réciprocité des
consentements impose que le pollicitant ne soit point lié avant d’être informé ou, au moins,
avant d’avoir reçu des nouvelles de l’acceptation, même s’il n’a pas eu le temps d’en prendre
effectivement connaissance. Ce sont les théories dites de l’information(ou de la reception de
l’acceptation).
Par delà ces clivages, il est aisé de discerner deux sensibilités juridiques opposées. Avec les
théories de la déclaration, l’accent est mis sur la rapidité des transactions. Le pollicitant, en
faisant une offre, prend le risque qu’elle soit acceptée sans qu’il le sache et ce même à la
dernière minute du délai de maintien de l’offre. L’acceptation, quant à lui, se lui une fois pour
toutes par son acceptation, sans pouvoir escompter revenir sur son consentement par
l’expédition d’un télégramme ou par une communication téléphonique annulant l’acceptation
avant sa réception par le pollicitant. En contrepartie, il gagnera un temps préciaux, qui lui
permettra parfois de devancer d’autres destinataires de la même offre, moins prompts à se
décider, sans être à la merci de hasards malencontreux dans la distribution du courrier. Que
l’on songe par exemple, aux relations commerciales : l’achat pour revendre aussitôt est une
activité essentielle au commerce. Or le transfert de propriété est lié par notre code civil (art.
1589) à la formation du contrat… Les partisans des théories de l’information donnent au
contraire la primauté à la sécurité des transactions. Ainsi pour un auteur, << l’irrévocabilité
d’une volonté est un effet trop grave pour admettre la hâte ou la précipitation, et on a le droit
d’hésiter ou de se reprendre tant que le consentement n’est pas complètement échangé : il
n’ya de concordance entre les deux oui que lorsque chacun sait que l’autre l’a dit>>. Dans les
relations purement civiles, de telles observations sont loins d’être négligeables. C’est ainsi en
42
matière de donations, acte civil par excellence, l’art.932 cc se rattache ostensiblement à la
théorie de la réception effective de l’acceptation par le pollicitant(donateur) en exigent que le
donataire lui ait notifié son acceptation( rappr. Pour les notifications par voie postale : art.668
et s. NCPC).
Aussi est- il bien délicat d’établir en la matière d’une règle générale. Tout dépendra
finalement de la nature du contrat, des circonstances qui entourent sa formation, de son objet,
de l’intention des cocontractants, etc. On comprend que notre jurisprudence se soit longtemps
borné à décider que « dans les conventions qui se lient par correspondance, la fixation du
moment où le contrat est devenu parfait entre les parties est généralement une question de fait
dont la solution dépend des circonstances de la cause. ( civ, 06 août 1867 DP 1868.1.25). Aux
juges du fond de statuer souverainement dans chaque cas( com. 07 janv 1959 bull civ.iii n 10).
Pourtant, influencée sans doute par des auteurs qui réclamaient au moins une règle supplétive
de volonté, la cour de cassation se serait plus récemment prononcée en faveur de la théorie de
l’émission de l’acceptation, tout en autorisant d’ailleurs une volonté contraire des futurs
cocontractants( com. 07 janv 1981 bull civ IV, n 14, RTD.civ 1981.849, obs. F. Chabas ;
grands arrêts n 82). Qu’il nous soit cependant permis de demeurer sceptiques ! D’abord
l’examen de la décision montre que, bien davantage qu’on ne l’a dit, la cour s’est réfugiée
derrière la volonté perceptible des parties aux contrats : « faute de stipulation contraire, l’acte
du 10 juin 1975 était destiné à devenir parfait », commence par affirmer la cour de cassation.
Le ton, les motifs utilisés marquent le souci de se référer aux termes même de cette
convention, non d’une autre. En outre même si l’on admet que la Cour a entendu poser une
règle générale, il reste que c’est la chambre commerciale qui a statué : il n’est pas dis que les
autres chambres de la Cour de cassation soient aussi sensibles qu’elle a l’impératif
commercial de rapidité des transactions. Elles risqueront dès lors soit de poser à leur tour des
principes opposés à ceux de la chambre commerciale, soit de maintenir plus prudemment
l’idée qu’il s’agit d’une question de fait variable au gré des espèces. Cela s’est déjà vu et
parait même souhaitable à moins que le législateur ne se décide à promulguer lui-même une
règle uniforme, supplétive de volonté et plus aisément connaissable que ne l’est une norme
d’origine prétorienne.
2-Le lieu de la rencontre
C’est en des termes analogues que se pose aussi la question du lieu de la rencontre de l’offre
et de l’acceptation. Ici encore, elle prend tout son importance dans les contrats passés entre
personnes situées en des lieux éloignés l’un de l’autre (exemple : contrats passés par
téléphone) ; mais elle pourrait tout aussi bien concerner des cocontractants placés l’un à côté
de l’autre : la proximité des lieux, aussi grande soit-elle, n’est jamais – la matière y fait
obstacle- une identité de lieux.
La détermination du lieu de l’échange des consentements est utile en plusieurs circonstances.
Elle permet tout d’abord dans les contrats internationaux de décider, ç défaut de choix
spontané des parties, quelle est la loi applicable au contrat. C’est en effet, fréquemment la loi
du lieu de formation du contrat qui est retenu. Par ailleurs notre droit judiciaire admit
longtemps que le tribunal compétent pour trancher les litiges en matière contractuelle pouvait
être celui du lieu de formation du contrat (voir. Art 59 al 3 ; et 420 ancien CPC) Si cette
solution a été en principe abandonnée dans le Nouveau code de procédure civile, elle a
cependant été maintenue, en faveur du seul salarié, dans les litiges concernant le contrat de
travail.
A nouveau la doctrine s’est divisée. Le désaccord a non seulement porté sur le choix du lieu(
lieu de l’émission de l’acceptation ou lieu de sa réception par le pollicitant), mais aussi sur le
point de savoir si ce choix dépendait ou non de la question préalable de la détermination du
moment de l’échange des consentements : aux thèses monistes du début du siècle,
s’opposèrent bientôt les partisans du dualisme, voire du plus complet éclectisme ( Flour43
Aubert). La Cour de cassation* quant à elle, n’a jamais caché sa faveur pour une conception
unitaire du moment et lieu de formation du contrat. « Dans les conventions qui se lient par
correspondance, la fixation du moment et en conséquence du lieu où le contrat est devenu
parfait est généralement une question de fait dont la solution dépend des circonstances de la
cause » a-t-elle fréquemment décidé. Il faut, pensons nous, l’en approuver. Aucun contrat ne
se forme dans l’abstrait : l’échange des consentements est lié à un acte humain précis, situé
dans le temps et dans l’espace. Le bon sens impose une fois le choix fixé sur tel acte(
émission de l’acceptation ou réception de celle-ci, peu importe), celui-ci serve simultanément
à former le contrat et à le localiser. L’observation vaut même pour les contrats passés par
téléphone : si l’on admet par exemple que le contrat est formé dès l’émission de l’acceptation,
c’est logiquement au lieu où se trouve l’acceptant que le contrat s’est formé. Qu’une telle
localisation paraisse bien fragile compte tenu du fait que l’acceptation peut être émise de
n’importe quel endroit, c’est là une toute autre considération, qui suggère seulement
d’appliquer d’autres critères de rattachement, tel, par exemple le lieu d’exécution de la
prestation principale. C’est d’ailleurs vers cette solution que s’est progressivement tourné le
droit contemporain ( V. art. 46, NCPC ; art, 5-1 Conv. De Bruxelles du 27 Sept 1968 ; art. 4,
Conv. De Rome du 19 Juin 1980.).
Document n° 3
Serge Gaudet et Robert P. Kouri ; Chronique de droit civil, contrat entre non présents et
contrats entre absents : y a-t-il une différence ?
I. Le processus d'accord de volontés dans les contrats entre non présents lorsque les parties
utilisent un ou des moyens de communication qui ne sont pas instantanés
Afin de bien comprendre la position qu'a adoptée en cette matière la jurisprudence
québécoise, il est utile de se rappeler les diverses solutions qu'a élaborées la doctrine.
A) Solutions doctrinales
La doctrine se divise en deux camps principaux qui s'opposent sur la notion même de ce que
constitue un véritable «accord» de volontés.
Chacun de ces camps se divise au sujet de deux solutions, la deuxième solution étant une
atténuation de la première pour des raisons d'ordre pratique. Il y a donc quatre possibilités en
tout mais qui doivent être étudiées par paires
L'accord de volonté comme coexistence de deux volontés
Pour les tenants de cette première école, l'accord de volonté n'est rien de plus que la simple
coexistence de deux volontés portant sur le même objet. Les personnes dont émanent ces
volontés n'ont pas à connaître la volonté de l'autre: pour qu'il y ait «accord» de leur volonté
respective, il faut mais il suffit que celles-ci portent au même moment sur la même chose.
Dans ce cas, le contrat se sera formé au moment et à l'endroit où l'acceptant manifeste, en
l'extériorisant, sa volonté d'accepter. On l'appelle donc la théorie de la déclaration.
Cette théorie n'est pas sans séduire, car elle se base tout simplement sur une application
littérale de la description classique4 du processus de l'accord de volonté dans le cas des
contrats entre présents: dès l'acceptation, le contrat est conclu puisqu'il y a dès lors accord de
volonté. Elle comporte néanmoins deux faiblesses.
La première concerne le droit de la preuve: la théorie de la déclaration met l'offrant à la merci
de l'acceptant en ce qui concerne la preuve de la conclusion du contrat. En effet, il est fort
possible qu'après avoir manifesté son intention d'accepter (par exemple, en écrivant qu'il
accepte l'offre), l'acceptant change d'idée et désire ne plus être lié par le contrat. Il n'aura qu'à
détruire le papier sur lequel il avait extériorisé son acceptation pour que l'offrant ne sache
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jamais que le contrat était bel et bien conclu. Pour rétablir un certain équilibre entre les
contractants, il faut apporter une modification à la théorie de la déclaration. De façon à ce que
l'offrant puisse obtenir lui aussi une preuve de la conclusion du contrat, posons que le contrat
ne sera parfait que lorsque l'acceptant se dessaisira de son acceptation en l'expédiant, par
quelque moyen que ce soit, à l'offrant. Ainsi, l'offrant, tôt ou tard, devant normalement
recevoir la preuve de la manifestation de volonté de l'acceptant, ce dernier ne pourra que
difficilement nier celle-ci. C'est la théorie de l'expédition5. Ce qu'il faut noter, c'est que cette
dernière théorie, tout en étant différente de celle de la déclaration, lui ressemble sur un point
fondamental: elle aussi partage la conception d'un «accord» de volonté comme n'étant que la
simple coexistence de deux volontés portant sur le même objet. En effet, avec la théorie de
l'expédition, le contrat sera conclu avant que l'offrant sache que son offre a été acceptée.
C'est là la deuxième faiblesse de la théorie de la déclaration, qui est donc aussi celle de la
théorie de l'expédition,: elle conçoit l'accord de volontés comme ne nécessitant nullement une
rencontre de volontés.
L'on peut ainsi être lié par un contrat sans savoir que son offre a été acceptée. Peut-on alors
parler d'un «accord» de volontés? Comme l'a justement remarqué Gaudemet:
«Ce qui importe, c'est de savoir ce que les parties entendent par concours de volontés
produisant des effets juridiques. Nous venons de voir que ce n'est pas le concours
métaphysique de deux volontés dont l'une ignore l'autre, c'est le concours conscient de deux
volontés qui, réciproquement, se connaissent».
C'est cette seconde critique, beaucoup plus fondamentale, qui a amené certains à proposer une
autre thèse.
ii) L'accord de volontés comme étant la rencontre de deux volontés. Pour les auteurs qui ont
formulé cette autre théorie, le processus de l'accord de volontés dont dépend la formation du
contrat ne peut se concevoir autrement que par une véritable rencontre de volontés: la simple
coexistence de deux volontés n'est pas suffisante: pour qu'il y ait «accord» de volontés, ces
dernières doivent se rencontrer en un lieu et à un moment donnés et le contrat ne saurait être
considéré conclu avant que cette rencontre n'ait eu lieu. En conséquence, le contrat ne sera
parfait qu'au lieu et au moment où l'offrant prendra connaissance de l'acceptation: c'est la
théorie de l'information7.
A l'instar de la théorie de la déclaration, celle de l'information met également l'un des
contractants à la merci de l'autre. Alors que pour les raisons déjà mentionnées, la théorie de la
déclaration met l'offrant à la merci de l'acceptant, celle de l'information renverse les rôles. En
effet, puisque le contrat ne sera pas conclu tant que l'offrant n'aura pas pris connaissance de
l'acceptation, le pollicitant ayant changé d'idée quant à l'opportunité de conclure l'entente
n'aura qu'à éviter de prendre connaissance de l'acceptation pour que le contrat ne puisse naître.
Par exemple, il n'ouvrira pas la lettre que l'acceptant a postée ou il refusera d'écouter les
messages qu'aurait pu laisser sur son répondeur l'acceptant. Et même s'il le faisait, la preuve
de ce fait demeurerait toujours pour le moins problématique.
Encore une fois, ces considérations de preuve obligent à apporter à la théorie de l'information
une atténuation de façon à remettre sur un pied d'égalité nos deux contractants. Présumons
donc que l'offrant prend connaissance de l'acceptation dès qu'il a la possibilité d'en prendre
connaissance, c'est à dire dès qu'il l'aura reçue. La théorie de la réception décide donc que le
contrat est conclu au lieu et au moment où l'offrant a reçu l'acceptation, puisque celui-ci est
alors présumé en avoir dès lors pris connaissance8 Ce qu'il faut noter c'est que, tout comme
les tenants des théories de l'expédition et de la déclaration partagent la même notion de
l'«accord de volontés» comme étant une simple coexistence de celles-ci, ceux des théories de
la réception et de l'information, au contraire, estiment que le contrat n'est conclu que lorsque
l'offrant a eu une connaissance, réelle ou présumée, de l'acceptation. Plus qu'une coexistence
de volontés, il y a dans ce dernier cas, une véritable rencontre de volontés.
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Les partisans de l'accord de volontés comme simple coexistence n'ont pas manqué de critiquer
ceux qui prétendent que la rencontre de volontés est la condition sine qua non de la
conclusion du contrat. Selon eux, lorsque les contractants ne sont pas en présence l'un de
l'autre, il est impossible qu'il y ait véritablement «rencontre» de volontés. En effet, lorsque
l'offrant apprend que l'acceptant a accepté, l'acceptant, lui, ne sait pas que l'offrant sait qu'il a
accepté... et ainsi de suite ad infinitum.
Il n'y aura donc, dans ces cas, jamais de véritable rencontre de deux volontés qui se
connaissent mutuellement9.
Cet argument, malgré son élégance, ne nous convainc pas. En effet, il y a tout un monde de
différence entre l'incertitude de l'offrant qui ne sait pas si son offre a été acceptée et celle de
l'acceptant qui, bien que n'étant pas certain que son acceptation est connue de l'offrant, a
néanmoins toutes les raisons de croire que celle-ci le sera tôt ou tard.
En d'autres termes, la conclusion du contrat ne saurait constituer une surprise pour l'acceptant,
alors que pour l'offrant, elle demeure intrinsèquement imprévue puisqu'il ne sait pas si
l'acceptant acceptera10.
Aussi, la critique de la régression à l'infini n'est pas valable puisqu'elle ne tient pas compte de
la différence de nature qui sépare l'ignorance de l'offrant de celle de l'acceptant. Dans le
premier cas, l'offrant ignore l'existence même de la volonté de l'acceptant, alors que
l'acceptant, conscient de la volonté de l'offrant et, évidemment, de la sienne propre, a une
connaissance personnelle de ces deux volontés.
Décider que le contrat ne sera conclu que lorsque l'offrant aura connu (ou du moins qu'il aura
reçu) l'acceptation, c'est uniquement faire en sorte que le contrat ne soit définitivement conclu
qu'au moment où l'offrant aura lui aussi le bénéfice de connaître les deux volontés qui,
ensemble, vont faire naître le contrat.
On le voit bien: la théorie de l'information, et sa version pragmatique, la théorie de la
réception, mettent ainsi sur un pied d'égalité l'offrant et l'acceptant à propos de ce qui compte
vraiment: la connaissance de l'existence des deux volontés créatrices du contrat. Ce n'est donc
qu'à compter de ce moment que l'on peut parler de la rencontre de deux volontés qui se
connaissent.
Le choix est donc simple: pratiquement l'on optera soit pour la théorie de l'expédition si notre
conception de l'accord de volontés n'en fait que deux volontés qui coexistent ou soit pour la
théorie de la réception, si l'on conçoit plutôt celui-ci comme une rencontre de volontés11.
C'est cette dernière thèse que nous retenons et c'est celle, à notre avis, qu'a retenue la
jurisprudence québécoise, tel que nous le verrons dans la prochaine section.
B) La solution jurisprudentielle: la théorie de la réception
Le choix de la théorie de la réception par nos tribunaux ne s'est pas fait sans difficultés. Trois
périodes sont à distinguer La première époque: l'exigence de la communication de
l'acceptation Après quelques faux départs12, la jurisprudence québécoise opte pour l'exigence
de la communication de l'acceptation à l'offrant.
Toutefois, les juges Hall et Bossé différaient d'avis. Ce dernier, écrivant au nom des deux, fait
mention de la doctrine divisée en France, mais ajoute que, selon lui, la théorie de l'expédition
est plus conforme aux intérêts du commerce, la preuve en étant que «la jurisprudence en
Angleterre et aux Etats-Unis, les deux plus grands pays commerciaux du monde, est
maintenant fixée en ce sens»
Document n° 4
ARTICLE DE LA REVUE JURIDIQUE THÉMIS
La Revue juridique Thémis / volume 29 - numéro 2
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La formation des contrats par télécopieur
Vincent Gautrais
Le droit français
La jurisprudence française en matière de contrat entre non-présents est pour le moins
sinueuse et changeante quant à la détermination du moment et du lieu de conclusion du
contrat. Cette imprécision découle en partie de l'absence de mention législative spécifique,
donnant lieu à un large débat doctrinal à ce sujet. Les dispositions du Code civil pertinentes en
l'espèce se limitent à l'article 1108 qui qualifie de condition essentielle à la validité d'un
contrat «le consentement de la partie qui s'oblige». Cette rédaction fut largement critiquée,
niant la nécessité d'une double volonté des parties pour qu'un contrat soit conclu,
conformément à «l'aspect le plus élémentaire de l'autonomie de la volonté». Face à l'absence
de texte, la jurisprudence aura donc une importance toute particulière dans l'élaboration de
solutions susceptibles de résoudre les difficultés soulevées par de tels contrats. Pourtant, la
Cour de cassation ne prend pas parti d'une façon claire, et son choix sur la notion de
consentement est mal défini. Ainsi, si une étude de l'état de la doctrine sur cette question du
lieu et du moment de formation d'un contrat s'impose, il sera pertinent de s'arrêter
préalablement sur ce que la jurisprudence a établi en la matière. Enfin, nous nous attacherons
plus particulièrement aux contrats instantanés conclus à distance, se rapprochant ainsi aux
contrats par télécopieur qui nous intéressent.
1. Les solutions jurisprudentielles
La jurisprudence française en la matière fut fréquemment une source de critique de la
part de la doctrine. Sa qualité première sur cette question précise de la localisation dans le
temps et l'espace des contrats conclus entre non-présents n'est certainement pas celle de la
clarté ou de la simplicité. Il est, en effet, difficile, malgré les conseils du professeur Ghestin
qui préconise la nécessité d'une règle prédéfinie [64], de prévoir quelle solution pourra être
apportée à un cas donné. Cet imbroglio provient très certainement d'un principe établi depuis
le XIXe siècle par la jurisprudence, selon lequel, en l'absence de stipulation expresse, la
théorie juridique choisie pour répondre à la question qui nous intéresse, doit être dictée par les
faits de l'affaire traitée. L'on peut prendre pour exemple la vieille décision de la Chambre des
requêtes du 6 août 1867 affirmant que: dans les conventions qui se lient par correspondance,
la fixation du moment où le contrat est devenu parfait entre les parties est généralement une
question de fait dont la solution dépend des circonstances de la cause.
Il semble néanmoins que la jurisprudence contemporaine soit en mesure de nous apporter de
nouvelles données. D'abord, cette incohérence apparente qui découle d'une telle approche
factuelle ne paraît pas si désordonnée que cela. Malaurie, à ce propos, prétend que les
décisions répondent à une logique indéniable (a). Aussi, l'approche factuelle ne semble plus
devoir être prise en compte par la Cour de cassation qui, dans une décision de 1981, présente
une position tranchée (b).
a) État de la jurisprudence „ un désordre organisé selon Malaurie L'absence de cohérence, qui
devrait logiquement découler d'une approche factuelle de la jurisprudence, fut remise en cause
par Malaurie qui, lors d'une décision de la Cour de cassation sur le sujet, va déterminer que
les juges agissaient en accord avec le bon sens et la permanence de vue. À ce propos, il
déclare que la haute cour, mue sans doute par des considérations d'équité, distingue selon la
question pratique qui est en cause et fournit alors des réponses qui ont une remarquable
constance de fait.
Ainsi, prétend-il: lorsqu'il s'agit d'apprécier la validité d'une révocation de l'acceptation
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ou de l'offre, [...], la réception de l'acceptation est en fait (sinon en droit) l'élément unique et
décisif de la détermination du moment de la formation du contrat; au contraire, lorsqu'il s'agit
de fixer la compétence territoriale d'un tribunal, l'émission de l'acceptation redevient l'élément
unique et décisif de la détermination du lieu de la formation du contrat.
En ce qui concerne la détermination du moment de conclusion d'un contrat, il est,
selon Malaurie, de jurisprudence classique de faire reculer «jusqu'à la réception de
l'acceptation le moment à partir duquel une acceptation ou une offre deviennent irrévocables».
Il convient pourtant de faire une sous- distinction: en effet, et malgré l'uniformité constatée
par Malaurie, la jurisprudence semble devoir distinguer trois situations auxquelles
s'appliquent des solutions distinctes. Il y a d'abord la rétractation de l'acceptation où des
considérations d'ordre pratique incitent à en admettre l'efficacité lors de la réception par
l'offrant. Cette solution, sans être unanime, sera assez nettement consacrée dans une série de
jugements établis par des juges du fond. Ensuite, s'agissant de la révocation de l'offre, la
jurisprudence estime majoritairement que l'offrant ne peut être engagé sans être prévenu par
l'acceptation.
Il semble donc que dans ce cas précis, il faille retarder la conclusion du contrat à sa
réception par l'offrant. Par contre, en ce qui concerne la caducité de l'offre, la jurisprudence
opte majoritairement pour la théorie de l'expédition, et non de la réception. Nous voyons donc
que la jurisprudence n'est pas strictement identique à ce que dessine Malaurie. Ce dernier
préconise la thèse de la réception se fondant sur des arguments de différents ordres: d'ordre
factuel tout d'abord, à savoir que «le commerçant qui a lancé des offres ne peut être obligé
envers ses correspondants avant d'avoir été informé de leur acceptation». D'ordre technique
ensuite, selon lequel «plus une institution produit d'effets, plus sévères sont ses conditions
d'existence».
En ce qui concerne la localisation dans l'espace d'un contrat, la majorité des arrêts font
application de la théorie de l'expédition. La règle de droit semble relativement stable à ce
sujet.
Néanmoins, la réalité de la jurisprudence sur ce point nous oblige à atténuer les vertus de cette
classification. Si les décisions relatives au lieu de formation des contrats entre non-présents
sont effectivement quasi-unanimes pour consacrer la théorie de l'expédition, la question du
moment de la conclusion n'est pas uniformément consacrée par la jurisprudence française. Il
convient selon nous de limiter la présentation prônée par Malaurie aux seuls cas portant sur la
révocation où, en effet, la théorie de la réception est très généralement admise. Par contre, la
théorie de l'émission fut bien souvent choisie pour des problèmes de caducité de l'offre, voire
de rétractation de l'acceptation, restreignant, par conséquent, la perfection de sa classification.
b) La décision de la Cour de cassation du 7 janvier 1981
Après avoir tenté d'organiser la jurisprudence française sur le point épineux du
moment et du lieu de formation du contrat entre non-présents, la solution proposée par la
Cour de cassation en 1981, paraît chargée d'abstraction, tranchant sans restriction pour la
théorie de l'émission. Elle déclare en effet que «faute de stipulation contraire», un acte «était
destiné à devenir parfait, non par la réception [par le pollicitant] de l'acceptation [du
bénéficiaire de l'offre], mais par l'émission [par celui-ci] de cette acceptation». Cet arrêt
important met fin à l'incertitude antérieure. Dès lors, est consacré le fondement selon lequel le
contrat est réputé formé par l'expédition de la lettre d'acceptation, et non au moment et au lieu
de sa réception par son destinataire. Comme le fait remarquer Chabas dans des observations
relatives à ce même arrêt, «en se retranchant derrière l'appréciation souveraine du juge du
fond, la Cour de cassation ne nous avait pas toujours habitué à une telle fermeté». Aussi, l'on
peut s'interroger sur la portée réelle de cette décision qui, en l'espèce, statue spécifiquement
sur un problème de caducité. Il s'agit donc de savoir si la solution qu'elle met de l'avant, la
théorie de l'émission, devra s'appliquer à l'ensemble des questions portant sur le moment et le
48
lieu de formation des contrats entre non-présents. L'absence d'atténuation semblerait nous
l'indiquer, même si cela irait à l'encontre d'une jurisprudence bien établie, notamment en
matière de révocation de l'offre et de rétractation de l'acceptation. Relativement à la
compatibilité entre la classification de Malaurie et la présente décision, il faudra conclure,
comme mentionné précédemment, que l'avis tranché de la Cour de cassation réduit à néant
l'ampleur de la classification proposée. La question reste de savoir si une telle extension est
souhaitable. Cela aurait l'avantage de poser, au plan interne, une règle unique; ce qui serait un
facteur évident de simplification. Selon Ghestin, l'essentiel est obtenu, c'est-à-dire d'être
parvenu à ce que la chambre commerciale ait posé une règle supplétive.
2. L'état de la doctrine
En premier lieu, il faut constater que la doctrine contemporaine française va procéder
selon une approche distincte de celle de ses prédécesseurs. En effet, la localisation dans le
temps et l'espace des contrats donna lieu généralement à des développements basés sur la
justification d'un système déterminé; celui de l'émission ou de la réception. Des auteurs du
XIXe siècle ont voulu se servir de certains textes particuliers pour en tirer des conséquences
générales. La doctrine contemporaine s'accorde à considérer que ces tentatives exégétiques ne
sont pas juridiquement acceptables. Au contraire, il apparaît que les auteurs préconisent la
considération des faits et circonstances de l'espèce afin de déterminer la théorie juridique à
envisager (a). Face à cette approche factuelle, la doctrine va privilégier les circonstances qui
peuvent motiver un système de droit, théories de l'émission ou de la réception, plutôt qu'un
autre (b). Enfin, et toujours selon le même désir d'être en adéquation avec les faits, un
consensus général va admettre qu'il ne faut pas tenir compte des théories extrêmes (c).
a) L'analyse factuelle
On ne peut nier que bon nombre d'auteurs sont en faveur, soit de la théorie de la
réception, soit de celle de l'émission. Ceci n'empêche pas, et ce, sans contradiction, que la
doctrine opte généralement aujourd'hui pour une approche très pragmatique, choisissant l'une
des deux théories selon les circonstances du contrat. En effet, établir une position dogmatique,
sans recourir à la volonté des parties, ou aux circonstances de l'affaire, ne pourra jamais être,
pour les auteurs, une solution satisfaisante. La solution reposerait donc sur les seuls
cocontractants, qui, s'ils n'ont rien stipulés expressément, comme c'est souvent le cas, feront
l'objet d'une étude par les juges. Ces derniers tenteront ainsi d'extirper, dans les faits et
circonstances du contentieux, ce qu'implicitement les parties ont voulu dire. La complexité de
la situation française relativement à ce problème précis de la localisation dans l'espace et le
temps des contrats conclus entre non-présents, provient, selon nous, de sa trop grande
ambition. Il ressort en effet, de la lecture des auteurs contemporains, un désir manifeste de
s'accorder avec les circonstances de l'affaire traitée. Face à cette volonté, on aperçoit une
tendance à distinguer les problèmes à régler afin d'effectuer une meilleure adéquation entre le
droit et les faits.
I) La distinction entre le droit et les faits
Cette distinction, suscitée par les professeurs Mazeaud, va très vite occuper une place
importante dans la doctrine. Selon eux, si la jurisprudence est si chaotique, c'est qu'une
confusion est faite par les juges entre deux questions distinctes. «La première, qui est une
question de fait, consiste à déterminer le moment où l'acceptation est donnée. La seconde
pose, au contraire, un problème de droit: le contrat se forme-t-il par la seule acceptation ou
par la connaissance qu'a le pollicitant de l'acceptation de son offre?» La pertinence de cette
allégation ne fait pas néanmoins, l'unanimité. Il en est en effet, tel le professeur Aubert qui
considère au contraire, que la localisation d'un contrat n'est que simple question de fait. Selon
lui, il est erroné de prétendre que la question sur la définition de l'acceptation, en tant que
49
simple coexistence des volontés ou bien connaissance par l'offrant de la volonté de
l'acceptant, pose un problème strictement juridique. Il déclare à ce sujet que: la localisation du
contrat dans le temps et l'espace est en effet une pure question de fait, et ce serait faire preuve
d'arbitraire que de prétendre poser des principes de solution rigide pour ces deux ordres de
questions.
Les circonstances pesant largement sur cette interrogation, le droit n'est pas en mesure,
selon lui, de régler à lui seul, en respectant la réalité des volontés des parties, la question de
l'existence du consentement. Cette approche, plus intellectuelle que réaliste, porte le problème
dans des sphères très abstraites, se basant sur le fait qu'à partir du moment où le contrat est
conclu à distance, la réalité du consentement devient invérifiable. «Il n'y a pas de rencontre
métaphysiquement incontestable des volontés». Le professeur Ghestin énonce, dans le même
ordre d'idées, que rien ne permet de savoir si, au moment de l'acceptation, l'auteur de l'offre
persiste dans sa volonté initiale. Il ne sert à rien sur ce plan de reporter la formation du contrat
au moment où il est informé de l'acceptation, car à ce moment l'auteur de cette dernière peut
lui même avoir changé d'avis. Par contre, et la différence est sensible, cette impossibilité de
déterminer avec assurance la volonté des parties incite Ghestin à croire en la pertinence d'une
solution prédéfinie.
II) L'approche dualiste
Dans ce même souci de faire concorder le droit avec les circonstances de l'espèce, une
idée largement répandue va amener à distinguer la question de la localisation dans le temps de
celle relative au lieu de conclusion du contrat. Une telle conception amène, en principe, à
distinguer deux situations: tout d'abord lorsqu'il faut apprécier la validité d'une révocation de
l'acceptation ou de l'offre, c'est-à-dire le moment, et ensuite lorsqu'il faut apprécier le lieu de
formation du contrat. Cette distinction qui est très peu utilisée dans les autres pays[90], a
l'avantage de s'approcher davantage, malgré une plus grande complexité, de l'intention des
parties. Rabut affirme à ce propos que: cette dualité peut gêner les esprits imbus de pure
logique qui préfèrent analyser les éléments de formation du contrat pour déduire de leur
réunion le moment et par conséquent le lieu de formation du contrat. Il faut un réel effort pour
ne pas se laisser envoûter par la séduction d'une méthode purement logique et conserver le
souci constant de résoudre chaque difficulté (mais non chaque espèce ce qui serait la négation
de toute sécurité juridique) en fonctions d'éléments concrets et des exigences de la vie sociale.
Si ce point de vue se défend par sa pertinence, il ne fait pourtant pas l'unanimité.
Certains auteurs estiment que l'approche moniste est plus adéquate: une seule et même
solution prévalant pour les questions de la localisation dans le temps et dans l'espace des
contrats entre non-présents.
b) Les motivations à prendre en compte
Plutôt que de déterminer arbitrairement une solution juridique sur le problème de la
localisation dans le temps et l'espace des contrats entre non-présents, la doctrine préfère
analyser les motifs qui permettent de choisir une théorie plutôt qu'une autre. Certains auteurs
réclament qu'il faudrait attribuer les risques du contrat à l'une des parties, et tout
particulièrement, à celle qui en a pris l'initiative. Cette option viendrait donc à admettre la
thèse de l'émission lorsqu'il y a échange de télécopies et la thèse de la réception lorsque c'est
le sollicité qui aura décidé d'utiliser ce moyen. Mais, cette position est dépendante des
circonstances et il peut arriver que, dans certains cas, il en aille autrement pour effectuer une
répartition équitable des risques. Ces développements, relatifs aux intérêts en jeu, prennent
leur source dans la thèse de Sallé de La Marnierre qui axe son attention sur l'analyse des
risques, et, corollairement, sur le caractère insaisissable du concours des volontés dans les
contrats entre non- présents. Par conséquent, les théories classiques sont inopérantes à
expliquer à elles seules les solutions choisies par les tribunaux. La présentation est
50
intéressante même si l'on peut douter de «l'intention systématisée» des parties, c'est-à-dire de
leur acquiescement délibéré à une répartition des risques préalablement déterminée en
fonction de la théorie choisie. Cette répartition des risques, comme moyen de déterminer le
moment de formation du contrat, fut vivement critiquée. Il semble en effet quelque peu
artificiel de répartir ainsi les risques, alors que la volonté des parties peut être tout autre.
Aussi, la répartition des risques n'est jamais affectée à une seule partie. En effet, favoriser la
théorie de l'émission pour que l'offrant supporte les risques, c'est-à-dire d'être lié sans le
savoir, conduit à priver l'acceptant du droit de rétracter son acceptation jusqu'à la réception.
c) Le rejet des théories extrêmes
Enfin, la doctrine moderne va témoigner un rejet unanime envers deux théories
juridiques qui se distinguent par les difficultés d'application que toutes deux entraînent. Cela
concerne en premier lieu la théorie de la déclaration qui peut se définir comme étant le
système qui avance le moment de formation du contrat dès que la manifestation de l'acceptant
se matérialise, c'est-à-dire le moment où il la signe. Cette théorie pose des problèmes de
preuve flagrants, tout en laissant planer un doute sur l'effectivité de l'envoi du message par
l'acceptant au destinataire qu'est l'offrant. En second lieu, il existe la théorie de l'information
qui prend en compte, quant à elle, le moment où l'offrant a effectivement eu connaissance de
la volonté de l'acceptant. Deux objections pratiques s'opposent là encore à cette solution:
l'offrant peut retarder selon sa seule volonté le moment de formation du contrat. Qui plus est,
il lui devient pratiquement impossible de prouver le moment exact de la connaissance de
l'acceptation.
3. Les contrats instantanés
Face aux conclusions qui nous sont données par la Cour de cassation, ainsi que les
commentaires qui en sont faits par la doctrine, on peut s'interroger sur la solution à apporter
dans le cas d'un contrat conclu par le truchement d'un télécopieur. Les précédents
développements portant de manière plus générale sur les contrats entre non-présents
s'imposent sans aucun doute étant donné le peu, voire l'absence, de jurisprudence spécifique
sur ce mode de communication. Il convient néanmoins de s'intéresser aux modes instantanés
de transfert d'informations, en s'appuyant notamment sur les contrats par téléphone qui
donnèrent lieu à des contentieux, et d'en dégager des conséquences sur le thème qui retient
notre attention. Le cas des contrats par téléphone est d'autant plus pertinent qu'on assimile
souvent les transferts d'informations par télécopieur à des communications téléphoniques, les
appareils émetteur et récepteur étant de surcroît directement liés au réseau téléphonique.
Les contrats par téléphone ne posent pas de difficulté quant à la détermination du
moment de leur formation. En effet, le consentement est transmis de façon instantanée, si bien
que certains auteurs, comme Ghestin, considèrent que concernant le moment de conclusion du
contrat, un tel accord s'effectue entre personnes présentes. La même idée fut choisie par
Josserand. Cette théorie est loin de faire l'unanimité; les professeurs Mazeaud, par exemple, le
considérant au contraire comme un contrat entre non-présents. D'autres, enfin, estiment que le
contrat par téléphone satisfait aux deux en même temps. Par contre, il est admis unanimement
qu'une éventuelle confirmation écrite ne remettrait pas en cause le fait que la convention soit
parfaite dès le moment de l'accord téléphonique.
Quant à la localisation géographique de la formation du contrat, la jurisprudence
considère généralement que celui-ci se forme au lieu où se trouve l'acceptant, et ce suivant
deux cheminements intellectuels: soit que les juges considèrent que l'accord conclu par
téléphone intervient entre présents, se fondant sur une fiction par laquelle la partie qui a pris
l'initiative de la communication s'est déplacée au domicile de l'acceptant pour y conclure un
contrat de vive voix, soit qu'ils se basent sur les solutions applicables aux contrats entre nonprésents c'est-à-dire, en ce qui concerne la localisation des contrats dans l'espace, l'endroit où
51
est exprimée la volonté d'accepter l'offre. Ainsi, quelle que soit la façon d'appréhender le
contrat par téléphone, la thèse de l'émission semble prévaloir.
Ce qui distingue en droit français la question de la localisation dans l'espace et dans le
temps des contrats par télécopieur, est une relative imprécision quant à la réponse à y
apporter. Si la doctrine témoigne, à l'instar des décisions anciennes de la Cour de cassation,
d'une volonté marquée de ne point prendre fait et cause pour une théorie plutôt qu'une autre,
la jurisprudence nous paraît davantage tranchée. D'abord, il existe la solution récente
présentée le 7 janvier 1981 par la Cour de cassation qui préconise, sans atténuation apparente,
la théorie de l'émission. Ensuite, la jurisprudence plus spécifique relative aux contrats par
téléphone, avance une même position qui semble pertinente en l'espèce étant donné les
similitudes techniques. Même si le droit civil ne consacre pas la règle du stare decisis si chère
aux juristes de common law, la portée de cette jurisprudence nous semble sinon contraignante,
au moins persuasive, et un changement de tendance qui pourrait notamment être insufflé par
les dispositions de la Convention de Vienne constituerait sans aucun doute une évolution
sensible du droit positif.
Document n° 5
Arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de Cassation du 7 janvier 1981
sur
le
moyen
unique
:
attendu qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaque (paris, 27 avril 1979) que, par acte du
10 juin 1975, la société l'aigle distribution (société l'aigle) s'est engagée a acheter pendant
trois ans a la société mazout service comase (société comase), une certaine quantité de
carburant; qu'une clause de l'acte prévoyait : la présente convention n'entrera en vigueur
qu'après sa signature par le représentant habilite de la société comase qui disposera a cet effet
d'un délai de trente jours a compter de la signature du client. passe ce délai, les parties
deviendront
libres
de
tout
engagement;
attendu qu'il est reproche a la cour d'appel d'avoir condamne la société l'aigle a payer des
dommages et intérêts a la société comase en réparation du préjudice a elle cause par la
résiliation aux torts de ladite société l'aigle de la convention susvisée en retenant que la
société comase avait accepte celle-ci dans le délai prévu, alors, selon le pourvoi, que celui qui
réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver, que la société comase devait donc
apporter la preuve qu'elle avait fait connaitre son acceptation a la société l'aigle distribution
avant le 10 juillet 1975, qu'en fondant sa décision sur la seule considération qu'était versée
aux débats une lettre de la société comase, datée du 3 juillet 1975, que la société l'aigle
distribution ne pouvait pas lui être parvenue postérieurement au 10 juillet, la cour d'appel a
renverse la charge de la preuve, qu'il appartenait a la seule société comase de prouver que la
lettre était parvenue avant la date limite et non a la société l'aigle distribution d'apporter la
preuve du contraire, qu'en ne recherchant pas par ailleurs si la lettre était parvenue avant le 10
juillet a la société destinataire, la cour a prive sa décision de base légale;
mais attendu que, faute de stipulation contraire, l'acte du 10 juin 1975 était destine a devenir
parfait, non pas par la réception par la société l'aigle de l'acceptation de la société comase,
52
mais par l'émission par celle-ci de cette acceptation; que le moyen, qui soutient le contraire,
est
dépourvu
de
fondement;
Par
ces
motifs
:
rejette le pourvoi forme contre l'arrêt rendu le 27 avril 1979 par la cour d'appel de Paris.
53
Université Cheikh Anta Diop de Dakar
Cours magistral du Professeur Mayata Ndiaye Mbaye
Faculté des Sciences Juridiques et Politiques
Licence II Droit – Semestre III
Droit des obligations – Contrat
Année académique 2011-2012
Séance n° 5
Thème : L’exécution du contrat
Sous-thème : les groupes de contrats
Exercice : commentaire d’arrêt
Bibliographie :
1- Voir les ouvrages généraux relatifs au droit des obligations
2- Ouvrages spéciaux et articles
- Jean-Baptiste Seube, « L’indivisibilité et les actes juridiques », Litec, 1999, n° 66.
- Amrani-Mekki, Soraya, « Indivisibilité et ensembles contractuels ; l’anéantissement “en
cascade” des contrats », Defrenois 2002, 355.
- Sébastien PELLÉ, La notion d'interdépendance contractuelle. Contribution à l'étude des
ensembles de contrats, RTD civ., 2007, p. 833 ;
- J. Mestre, obs. in RTD civ. 1997, p. 116 « la dimension économique » dans les groupes de
contrats.
Groupes de Mardi
La cour,
Arrêt du 15 février 2011
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 9 avril 2009), que la société Blue Spirit
France devenue B & B Blue Spirit, qui anime un réseau de franchise dans le secteur de la
bijouterie et que dirigeait M. X..., a conclu un contrat de franchise, le 20 mars 2001, avec M.
et Mme Y... agissant en leur nom et pour la société Edem ; que le 5 octobre 2001, la Banque
populaire Côte d'Azur (la BPCA) a consenti à la société Edem un prêt de 1 280 000 francs
(195 134, 74 euros) dont M. et Mme Y... se sont rendus cautions dans la limite de 234 161,
69 euros chacun, puis un second prêt de 4 800 euros dont Mme Y... s'est rendue caution à
concurrence de 5 800 euros ; qu'enfin, la BPCA a ouvert dans ses livres un compte-courant à
la société Edem ; que par jugements des 6 décembre 2002 et 10 octobre 2003, le tribunal de
commerce d'Antibes a annulé les contrats de franchise ; que la société Edem ainsi que M. et
Mme Y... ont assigné la banque en annulation des prêts et des engagements de caution et
54
subsidiairement
Sur
en
le
responsabilité
premier
moyen
;
:
Attendu que M. et Mme Y... et la société Edem reprochent à l'arrêt d'avoir dit n'y avoir
nullité du prêt consenti à la société Edem, d'avoir en conséquence rejeté leurs demandes et
de les avoir condamnés au paiement de diverses sommes, alors, selon le moyen, que la
nullité d'un contrat de franchise entraîne nécessairement celle du contrat de prêt conclu afin
de permettre sa mise en œuvre, en raison de l'interdépendance existant entre les deux
contrats au regard de l'économie générale de l'opération ; qu'en constatant que le contrat
de franchise signé par la société Edem avec la société Blue Spirit France et les contrats de
prêt consentis par la BPCA, participaient d'une même opération économique, ce qui suffisait
à démontrer que la nullité du premier devait entraîner la nullité des seconds, quand bien
même les conventions n'auraient pas mutuellement fait référence l'une à l'autre, la cour, qui
a refusé de prononcer la nullité des contrats de prêt au motif inopérant que les conventions
comportaient des obligations distinctes pouvant être exécutées indépendamment les unes
des autres, n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations au regard de
l'article
1134
du
code
civil
;
Mais attendu qu'après avoir relevé que la partie qui invoque l'indissociabilité de deux
contrats doit démontrer l'existence d'une indivisibilité entre les conventions, et que le fait
que celles-ci participent d'une même opération économique ne suffit pas à lui seul à
caractériser l'indivisibilité des contrats, l'arrêt constate dans l'exercice de son pouvoir
souverain que les contrats de franchise et de prêt n'ont pas été conclus entre les mêmes
parties, que les contrats de prêt ne comportent aucune référence aux contrats de franchise,
de même que ces derniers ne contiennent aucune mention relative à des demandes de prêt,
ni aucune condition suspensive d'obtention de prêts, que chacune des conventions
comporte des obligations distinctes pouvant être exécutées indépendamment les unes des
autres, enfin qu'aucun élément ne permet de constater que les parties ont voulu lier le sort
des contrats de prêt à celui des contrats de franchise ; qu'en l'état de ces appréciations et
constatations, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas
fondé.
PAR
CES
MOTIFS
:
REJETTE le pourvoi
Groupes du Mercredi
12 juillet 2011
La cour,
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Caen, 12 mai 2010), que la société S. a conclu le 28
septembre 1994 avec la société P., aux droits de laquelle vient la société C. proximité France,
un contrat de franchise d'une durée de sept ans, pour l'exploitation d'un supermarché sous
l'enseigne Sh. ainsi qu'un contrat d'approvisionnement d'une durée de cinq ans ; que la
société S. ayant, le 29 mars 1999, notifié le non renouvellement du contrat
55
d'approvisionnement et déposé en octobre 1999 l'enseigne Sh., a mis en œuvre la procédure
arbitrale contractuellement prévue ; que la sentence arbitrale a été annulée par la cour
d'appel qui a statué en application de l'article 1485 du code de procédure civile ;
Attendu que la société P. fait grief à l'arrêt de l'avoir déboutée de toutes ses demandes
relatives à la violation par la société S. d'un contrat de franchise, alors, selon le moyen :
1°/ que deux contrats ne forment un tout indivisible que lorsque l'exécution de l'un devient
impossible sans l'exécution de l'autre ; qu'il résulte des constatations de l'arrêt que le
contrat de franchise n'imposait au franchisé qu'une obligation d'assortiment minimum ;
qu'en revanche, il ne contenait aucune mention du caractère obligatoire de l'exécution d'un
contrat d'approvisionnement ; que dès lors, en retenant pour considérer que les contrats de
franchise et d'approvisionnement étaient indivisibles, que la stratégie de la société P. était
de conditionner l'exécution du contrat de franchise à celle du contrat d'approvisionnement,
la cour d'appel a dénaturé ledit contrat de franchise et, partant, violé l'article 1134 du code
civil ;
2°/ que la cour d'appel, qui n'a pas recherché, comme elle y était invitée, si le contrat de
franchise n'était pas exécutable en l'absence du contrat d'approvisionnement, a privé son
arrêt de base légale au regard de l'article 1134 du code civil ;
Mais attendu que l'arrêt constate que les deux contrats ont été signés le même jour entre
les mêmes parties ; qu'il relève que la société P. propose des tarifs de vente à la fois en
qualité de fournisseur et de franchiseur ; qu'il retient qu'aux termes des contrats de
franchise et d'approvisionnement, d'une part, le contrôle par le franchiseur de la publicité
suppose que les produits distribués par le franchisé lui soient fournis par le franchiseur ou
une société qu'il contrôle et, d'autre part, les commandes pour l'assortiment général du
magasin doivent être effectuées auprès du fournisseur agréé par le franchiseur ; qu'en l'état
de ces constatations et appréciations, exemptes de dénaturation, c'est dans l'exercice de son
pouvoir souverain que la cour d'appel a retenu, sans avoir à faire la recherche dès lors
inopérante visée par la seconde branche, l'intention commune des parties de rendre leurs
conventions indivisibles ; que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi
Document n° 1
RTD Civ. 2002, p. 96.
Jacques Mestre, Doyen de la Faculté de droit et de science politique d'Aix-Marseille
Bertrand Fages, Professeur à l'Université Paris-Val-de-Marne (Paris XII)
Les groupes de contrats
Même s'il tend à s'effacer derrière les notions d'indivisibilité ou d'interdépendance, qui
constituent incontestablement ici de nouvelles grilles juridiques de lecture, le phénomène
des groupes de contrats n'en continue pas moins d'alimenter le contentieux. Et ceci, il est
frappant de le constater, dans tous les domaines de la vie contractuelle. Ainsi pourra-t-on
brièvement signaler, en droit des assurances, cet arrêt de la première chambre civile du 3
juillet 2001 qui, non seulement, témoigne de l'existence d'un groupe formé par quatre
polices d'assurances, mais encore censure pour dénaturation un arrêt de cour d'appel qui
n'avait pas tenu compte de l'indivisibilité qui résultait, entre deux d'entre elles, d'un renvoi
56
opéré en texte dactylographié, de façon
façon claire et précise, par les conditions particulières de
l'une des polices (en l'occurrence, une police « sécurité conducteur » qui stipulait que « le
présent contrat a pour objet de garantir les conducteurs de l'ensemble des véhicules
garantis par le contrat
rat n° 333000477318 », lequel avait été antérieurement résilié). Où l'on
voit que la Cour de cassation, qui n'a pas hésité dans le passé à approuver la mise à l'écart de
certaines clauses de divisibilité, pourtant claires et précises, au motif qu'elles contrariaient
con
re
l'économie générale du groupe (Civ. 1 , 15 févr. 2000, RTD civ. 2000.325 ), sait encore
utiliser le grief de dénaturation lorsqu'il s'agit de sanctionner le refus d'application par les
tribunaux
des
clauses
d'indivisibilité.
fois ci plus artistique..., une mention particulière doit être
Dans un tout autre domaine, cette fois-ci
décernée à un arrêt de la première chambre civile du 3 avril 2001 qui illustre
l'interdépendance, en matière d'édition de chansons, entre les contrats conclus par le
compositeur (M. Polnareff) et le parolier (M. Dabadie), tous deux « coauteurs pour
l'exploitation d'œuvres communes qui, à la fois par leur nature et par la volonté des parties,
étaient indivisibles, paroles et musique étant indissociables ». En l'occurrence, la cour
d'appel « en a déduit à bon droit que la résiliation des contrats conclus par M. Polnareff
devait entraîner ceux conclus par son coauteur, M. Dabadie ». Cette solution est conforme à
l'article L. 113-2
2 du code de la propriété intellectuelle et au principe de copropriété des
coauteurs sur l'œuvre de collaboration. Ajoutons que du point de vue du droit commun des
contrats, une telle résiliation en chaîne n'a pas non plus de quoi surprenante. On connaît la
chanson.
Un autre concert, si l'on ose dire, était au
au centre d'un troisième arrêt rendu par la chambre
commerciale le 12 juin 2001 : celui existant entre deux sociétés, ayant la même gérante, afin
de réaliser une opération unique. En l'espèce, une société Minnesota avait cédé à des époux
Millet le droit au bail portant sur un local commercial destiné à une activité de confection et
les avait autorisés à entrer dans les lieux le jour même. Concomitamment, une société
Quinte Floche avait vendu à Mme Millet un certain nombre de vêtements destinés à être
revenduss dans le local dont le bail lui avait été cédé. Ces deux sociétés avaient une
dénommée Mme Groc comme gérante. Et quatre mois après la conclusion de ces deux
contrats, un jugement définitif du tribunal de commerce annulait la cession du bail
commercial. Au
u vu de ces éléments, une cour d'appel (Toulouse, 2e ch., 2e sect., 7 mai 1998)
prononça alors la résolution de la vente. Elle est aujourd'hui approuvée par la Cour de
cassation : « en l'état de ces constatations d'où il résulte un concert entre les sociétés
Minnesota et Quinte Floche pour réaliser une opération unique,
unique, la cour d'appel a pu en
déduire que les deux contrats étaient indépendants et que l'annulation de la cession du droit
au bail entraînait la résolution de la vente des marchandises ». Là encore, un tel recours à
l'interdépendance des contrats n'est pas
pas nouveau et ce n'est pas non plus la première fois
que des juges la déduisent de l'action de deux sociétés agissant de concert (V. notamment
Com. 28 mai 1996, RTD civ. 1996.908). Tout au plus fera-t-on
fera on remarquer, dans cette affaire,
que la motivation de laa cour d'appel n'était pas des plus étoffées, ce qui est regrettable en
présence de contrats qui auraient pu fort bien être considérés comme objectivement
indépendants (V. sur cette exigence d'une motivation « pertinente », Ph. le Tourneau et L.
Cadiet, Droit
oit de la responsabilité et des contrats, Dalloz, 2000, n° 926). Peut-être
Peut
cela
explique-t-il,
il, d'ailleurs, que les deux contrats litigieux n'aient pas connu ici le même sort :
l'annulation de l'un ayant seulement entraîné la résolution de l'autre (V. sur cette
c
«
57
dissymétrie des sanctions », J.-B. Seube, L'indivisibilité et les actes juridiques, Litec, 1999,
préf.
M.
Cabrillac,
n°
370
et
s.).
Dernier groupe de contrats à figurer parmi ce rapide tour d'horizon : celui regroupant
l'ensemble des prestations contractuelles fournies par une agence matrimoniale. Dans un
arrêt du 20 mars 2001, en effet, la chambre criminelle a approuvé une cour d'appel d'avoir
considéré que « l'offre de rencontres en vue de la réalisation d'un mariage ou d'une union
stable comprend nécessairement l'ensemble des prestations fournies par le professionnel »,
et en particulier le contrat d'analyse « graphomorphopsychologique » proposé au client.
Résultat : ce contrat est également soumis à la loi n° 89-421 du 23 juin 1989 et à
l'interdiction qui est faite à l'agence, sous peine d'une contravention de 5e classe, de recevoir
un paiement avant l'expiration du délai de renonciation de 7 jours.
Document n° 2
RTD Civ. 2007, p. 833.
Sébastien PELLÉ, La notion d'interdépendance contractuelle. Contribution à l'étude des
ensembles de contrats.
On imagine que l'épistémologue qui étudiera un jour, avec le recul dont nous manquons, les
thème récurrents de la pensée juridique française à la fin du 20e et au début du 21e siècle,
sera frappé par la récurrence du thème des ensembles contractuels, plus largement, des
opérations contractuelles complexes, plus largement encore, de la dialectique de l'un et du
multiple dans la littérature juridique consacrée aux contrats (V. pour un exemple topique :
J.-M. Marmayou, L'unité et la pluralité contractuelle entre les mêmes parties (méthode de
distinction), préface J. Mestre, PUAM, 2002). Peut-être alors certaines constantes des
théories juridiques apparaîtront-elles, disons qu'on verra peut-être que le discours
juridique, quel qu'en soit l'objet, présente des caractéristiques communes, au moins à
l'intérieur
d'un
même
système
ou
d'une
même
culture.
Par exemple, les difficultés pratiques, même importantes, ont tendance à ne pas avoir de
commune mesure avec les constructions doctrinales... Le risque d'anéantissement en
cascade des contrats interdépendants est, aux yeux de M. Pellé, le point de départ des
efforts théoriques visant à appréhender le phénomène d'imbrication des relations
contractuelles. Or, si grave que soit ce risque, ni la consultation des revues de jurisprudence,
ni le recours aux bases de données, ni le peu que nous savons de la pratique contentieuse
(dont nous ne sommes tout de même pas complètement ignorant, n'en déplaise à
d'aucuns...) ne nous convainc que le contentieux de l'anéantissement en cascade soit le pain
quotidien du juge ! Si M. Pellé était parti de la question des actions directes dans les
groupes de contrats, qui a fait couler tant d'encre, on observerait que, même une fois la
question évacuée du contentieux, le foisonnement théorique est loin d'avoir cessé. Ce n'est
pas seulement parce que la théorie juridique a une propension à se nourrir d'elle-même, ce
que les praticiens reprochent (ils n'ont pas toujours tort) aux faiseurs de systèmes.
A la vérité, la pensée civiliste rencontre surtout un certain nombre de « buttoirs » lorsque,
comme elle le fait avec insistance en ce domaine, elle essaye de ne pas emprisonner la
technique juridique dans ses catégories, certes vénérables, éprouvées par l'usage, mais qui
ne supportent la « courbure » que jusqu'à un certain point et ne se laissent pas facilement
réinventer. La thèse de M. Pellé en est révélatrice. Il montre l'insuffisance de toutes les
58
tentatives d'explications plus ou moins « classiques », telles que la connexité, la condition,
l'indivisibilité. Il montre bien sûr l'insuffisance de la théorie de la cause. Mais il montre aussi
à quel point la pensée juridique française répugne à la méthode de la « table rase » (ce qui
conduirait à se demander si la pensée juridique française ne serait pas, au fond, « anticartésienne », mais cela nous conduirait trop loin). Autrement dit, une fois inventoriées les
insuffisances des explications existantes, la doctrine civiliste préfère, plutôt que d'en
inventer une entièrement nouvelle, en réinventer une ancienne : rien ne se crée, tout se
transforme, et l'économie du contrat devient le nouveau paradigme de la théorie de la
cause. Quant au régime juridique dont la notion d'interdépendance va se trouver dotée, la
tendance à ne pas vouloir perdre le bénéfice des techniques éprouvées se traduit, après
apaisement des turbulences, par le choix de la solution qui violente le moins l'effet relatif du
contrat et utilise plutôt son opposabilité, d'où l'abandon des actions de « nature
nécessairement
contractuelle
»
dans
les
groupes
de
contrats.
Enfin, M. Pellé est un auteur tout à fait significatif du courant de pensée qui privilégie une
conception avant tout téléologique, finaliste, opératoire, des théories juridiques et des
notions auxquelles elles donnent naissance : la qualité principale d'une notion juridique est
sa conformité à l'usage auquel on la destine (n° 561, conclusion de la thèse). Ce que l'on
attend d'un énoncé juridique diront ceux qui n'aiment pas les juristes, ce n'est pas que « ce
soit vrai », mais que « cela marche ». On reconnaît un bon énoncé juridique à ceci
répondront ceux qui aiment les juristes : cela marche, dont cela a suffisamment de chances
d'être vrai pour qu'on y souscrive, jusqu'au prochain ajustement de l'énoncé...
Document n° 3
Recueil Dalloz 2011, p. 566.
Groupes de contrats : liberté contractuelle et réalité économique
Denis Mazeaud, Professeur à l'Université Panthéon-Assas (Paris II)
1- L'appartenance d'un contrat à un groupe produit, en droit positif, des effets sur sa
validité, son efficacité et sa pérennité (1). Pour l'essentiel, l'existence d'un groupe de
contrats translatifs de propriété se traduit par un effet attractif, qui emporte une identité
de nature des actions exercées en son sein (2), tandis que celle d'un groupe de contrats
économiquement interdépendants emporte un effet extinctif, en ce sens que la disparition
d'un
des
contrats
rejaillit
sur
la
pérennité
de
l'autre
(3).
2 - Si on s'en tient au seul effet extinctif du groupe de contrats , on sait qu'au terme d'une
séquence jurisprudentielle, désormais solidement établie, il est acquis que lorsque deux
contrats sont économiquement interdépendants, dans la mesure où ils poursuivent le
même but et n'ont aucun sens, ni aucun intérêt, indépendamment l'un de l'autre, la
résiliation de l'un des contrats entraîne la caducité de l'autre et libère le débiteur des
obligations que ce dernier contrat avait engendrées (4). En clair, la disparition d'un des
contrats du groupe provoque celle de l'autre contrat et un tiers au contrat initialement
résilié peut donc voir son propre contrat disparaître par ricochet, si l'on peut dire, solution
qui va à l'encontre de l'idée classique « que chaque contrat noué avec un contractant
différent
constitue
un
organisme
autonome
»
(5).
59
3 - Une telle solution perturbe fatalement le tracé des frontières contractuelles, tel qu'il est
traditionnellement envisagé. En effet, les suites de la résiliation d'un des contrats
interdépendants vont se propager au-delà du cercle étroit de ceux qui l'ont conclu ;
concrètement, l'extinction d'un des contrats va bouleverser les prévisions d'un tiers, partie
à un autre contrat, parce que la raison d'être de son contrat, son intérêt, reposaient sur
l'existence, l'exécution et la pérennité du premier contrat, désormais disparu. Et ce tiers va
finalement supporter le risque de la résiliation d'un contrat auquel il n'était pas, par
hypothèse, partie. Raison pour laquelle, pour se prémunir contre un tel risque, la stipulation
d'une clause de divisibilité permet, a priori, en modifiant la répartition des risques,
d'assurer la sécurité du tiers au contrat résilié, dont le contrat, dans lequel la clause a été
stipulée, continuera de produire ses effets en dépit du lien d'interdépendance économique
qui
l'unissait
au
contrat
résilié.
C'est sur la portée d'une telle clause que l'arrêt rendu par la première chambre civile de la
Cour de cassation, le 28 octobre 2010 (6), présente, peut-être, un intérêt.
4 - Pour financer un contrat de prestations informatiques, un particulier a conclu un contrat
de location financière. Au cours de l'exécution de ces contrats, le prestataire informatique a
fait l'objet d'une procédure collective et a cessé de payer ses obligations. Son cocontractant
a arrêté, à son tour, de payer les obligations souscrites en faveur de la société de location
financière, qui a agi en paiement des loyers ; reconventionnellement, le locataire a
demandé la nullité du contrat de financement pour absence de cause, en clair en raison de
la
résiliation
du
contrat
financé.
Les juges du fond ont favorablement accueilli l'action en paiement de la société de location
financière. Le pourvoi formé contre leur décision s'articulait autour de l'idée que le contrat
financé et le contrat de financement formaient un ensemble contractuel indivisible et que
les clauses qui, dans le contrat de financement, emportaient la divisibilité des deux
contrats, étaient dépourvues d'effet parce qu'elles étaient en contradiction avec l'économie
générale de l'opération en vue de laquelle les contrats avaient été conclus.
La première chambre civile a rejeté le pourvoi au motif que de l'examen des clauses du
contrat de location financière la cour d'appel avait « souverainement déduit que la
commune intention des parties avait été de rendre divisibles les deux conventions, de sorte
que la disparition de l'une ne pouvait priver de cause les obligations nées de l'autre ».
5 - L'arrêt invite à apprécier la portée de la liberté contractuelle quand elle se déploie dans
un groupe de contrats économiquement interdépendants et de la sécurité juridique des
membres d'un tel groupe lorsque l'un des contrats qui le compose est anéanti. Dans ce
double perspectif, après l'appréciation de la force de la clause de divisibilité (I), on
reviendra sur la question classique du critère de l'indivisibilité contractuelle, en vue de
déterminer son régime en l'absence de clause (II) de divisibilité.
I - La force de la clause de divisibilité
6 - L'arrêt commenté paraît exprimer un retour en force de la liberté contractuelle et, du
même coup, de la sécurité du tiers au contrat financé et résilié, via la reconnaissance de
60
l'efficacité de clauses stipulées dans le contrat de financement qui emportent la divisibilité
des contrats du groupe, en dépit de la contradiction qu'elles emportent avec l'économie
générale de l'opération qu'incarnaient précisément ces contrats interdépendants.
En effet, jusqu'alors, la Cour de cassation avait rendu plusieurs arrêts dans lesquels elle
faisait très clairement primer la réalité économique sur la liberté contractuelle dans le
contexte d'un groupe de contrats économiquement interdépendants, composé notamment
d'un contrat d'entreprise financé par un contrat de crédit-bail ou de location financière. La
clause, dont l'effet était de faire reposer exclusivement les risques de la résiliation du
contrat d'entreprise sur le maître de l'ouvrage, et d'exclure leur prise en charge par
l'établissement financier, avait été privée d'effet au moins à deux reprises par la Cour de
cassation, parce qu'elle était en contradiction avec l'économie générale de l'opération dont
le
groupe
de
contrats
constituait
le
support
(7).
Ainsi, dans l'arrêt rendu le 24 avril 2007, la chambre commerciale, pour censurer la décision
des juges du fond qui avait donné effet à une clause de divisibilité, avait affirmé qu'« en se
déterminant ainsi, sans rechercher s'il existait une indivisibilité » entre les contrats du
groupe « au regard de l'économie générale de l'opération pour laquelle ces deux contrats
avaient été conclus et si, en conséquence, le texte de la clause n'était pas en contradiction
avec la finalité de cette opération, telle que résultant de la commune intention des parties »,
la
cour
n'avait
pas
donné
de
base
légale
à
sa
décision.
7 - Alors qu'au regard de ces arrêts rendus par la chambre commerciale il semblait donc
qu'une clause de divisibilité, bien que claire et précise, était dépourvue d'effet lorsqu'elle
avait été stipulée en contradiction avec l'économie générale de l'opération qu'exprimait
l'interdépendance économique des contrats du groupe, la première chambre civile de la
Cour de cassation paraît beaucoup plus favorable à la liberté contractuelle et soucieuse de
la sécurité du tiers au contrat d'entreprise résilié, partie au contrat de financement. En
effet, elle donne son aval à la cour d'appel qui avait souverainement déduit de l'analyse des
clauses du contrat de location financière que, dans la commune intention des parties, les
contrats,
quoiqu'économiquement
interdépendants,
étaient
divisibles.
8 - Si l'examen de la jurisprudence de la chambre commerciale sur ce point particulier avait
permis à deux orfèvres du droit des contrats d'affirmer que « l'indivisibilité conventionnelle
tacite peut l'emporter sur la clause de divisibilité expresse » (8), l'analyse de l'arrêt rendu
par la première chambre civile donne plutôt à penser que désormais la liberté contractuelle
peut déployer ses ailes dans le contexte spécifique des groupes de contrats
économiquement interdépendants. En effet, en l'espèce, aucune clause de divisibilité
expresse n'avait été stipulée dans le contrat de financement. Les juges du fond avaient
induit la commune intention des parties de clauses qui prévoyaient le régime des recours
exercés contre le fournisseur, qui façonnaient la responsabilité du loueur et qui
déterminaient l'influence de l'inexécution temporaire du contrat d'entreprise sur le
quantum des obligations engendrées par le contrat de financement à la charge du locataire.
Tant et si bien que si la divisibilité peut procéder de simples clauses qui l'expriment
simplement tacitement, elle devrait logiquement et nécessairement résulter, désormais,
d'une
clause
de
divisibilité
expresse.
61
Autrement dit, il semble possible d'analyser cet arrêt comme constituant un revirement de
jurisprudence, à moins qu'il constitue le ferment d'une divergence entre la chambre
commerciale et la première chambre civile de la Cour de cassation sur le point précis de la
vitalité d'une clause de divisibilité stipulée au sein d'un groupe de contrats
économiquement interdépendants. La chambre commerciale paraît sensible à la réalité
économique que traduit l'interdépendance des contrats et qu'incarne leur indivisibilité,
tandis que la première chambre civile semble plus respectueuse de la liberté contractuelle
et soucieuse de l'intérêt du contractant, partie au contrat de financement et tiers au
contrat financé et résilié. La vitalité des clauses expresses ou tacites de divisibilité offre, en
effet, à ce dernier la possibilité de gérer au plus près la répartition des risques inhérents à la
résiliation du contrat financé, au mieux de ses intérêts légitimes.
II - Le régime de l'indivisibilité contractuelle en l'absence de clause
9 - Comme la plupart des autres arrêts rendus sur l'indivisibilité des contrats, l'arrêt
commenté invite à réfléchir sur le support conceptuel de cette théorie et précisément sur le
point de savoir si la cause peut être celui-ci. La première chambre civile affirme, en effet,
que la cour d'appel avait souverainement déduit de l'analyse de la commune intention des
parties que les conventions étaient divisibles, « de sorte que la disparition de l'une ne
pouvait
priver
de
cause
les
obligations
de
l'autre
».
Ce n'est pas, loin s'en faut, la première fois que la cause est convoquée dans la motivation
(9) ou le visa (10) des arrêts de la Cour de cassation rendus sur l'indivisibilité contractuelle.
Pourtant, la doctrine reste assez partagée. Plusieurs auteurs considèrent que cette notion
est « au cœur de la solution » (11). Ainsi, MM. Terré, Lequette et Simler affirment que « la
cause est alors sous-jacente à la notion d'indivisibilité ou d'interdépendance (...) » (12).
Quant à M. Bénabent, il écrit que, si « l'anéantissement d'un des contrats ne permet pas de
maintenir l'autre », c'est parce que « les contrats interdépendants se servent mutuellement
de cause » (13). D'autres, au contraire, dans le sillage de M. Ghestin, dénient à la cause le
moindre
rôle
dans
ce
domaine
(14).
Même si l'arrêt commenté semble bien, comme la lettre de sa motivation l'indique, fonder
l'indivisibilité sur l'idée que chaque contrat indivisible constitue la raison d'être, la cause de
l'autre contrat avec lequel il constitue un groupe, et que, par conséquent, sauf clause
contraire, la disparition de l'un emporte celle de l'autre qui devient alors privé de cause lors
de son exécution, on n'alimentera pas la controverse doctrinale qui semble quelque peu
figée. Sauf à préciser, tout de même, que si la Cour de cassation décide désormais que la
résiliation d'un des contrats du groupe emporte la caducité de l'autre (15), c'est bien parce
que la cause est « au cœur de la solution », pour reprendre une nouvelle fois à notre
compte
l'expression
très
juste
de
Rémy
Libchaber.
10 - Si en doctrine, donc, s'affrontent les partisans de la conception subjective, selon
lesquels l'interdépendance économique qui unit plusieurs contrats ne peut se prolonger par
une indivisibilité juridique qu'à la condition que la volonté des parties à cet ensemble
contractuel se soit manifestée expressément ou tacitement en ce sens (16), et les tenants
de la conception objective, pour lesquels le critère de l'indivisibilité réside dans le seul
constat de l'unité de but économique poursuivi par les contrats du groupe (17), la Cour de
cassation, dans les arrêts qu'elle a rendus sur ce point, est animée par des considérations
62
beaucoup
plus
pragmatiques.
En effet, à l'examen de sa jurisprudence, il semble bien qu'elle mêle les différents critères
proposés en doctrine pour encadrer l'effet extinctif du groupe de contrat et protéger, en
l'absence de toute clause emportant la divisibilité des contrats du groupe, les intérêts
légitimes du tiers au contrat initial résilié qui pourrait voir ses intérêts légitimes bouleversés
par
la
caducité
du
contrat
auquel
il
est
partie.
11 - Sauf à se tromper, la Cour de cassation paraît désormais opérer une distinction selon
que le contractant susceptible de voir le contrat qu'il a conclu affecté par l'effet extinctif du
groupe de contrats est partie à tous les contrats du groupe, ou au seul contrat menacé de
caducité du fait de la résiliation du contrat qui en constituait la cause (18). Dans le premier
cas de figure, lorsqu'il a conclu l'ensemble des contrats du groupe, il est présumé informé
de l'interdépendance des contrats et du risque qui en résulte (19) ; dans le second, en
revanche, lorsqu'il n'a pas conclu le contrat dont la résiliation risque de provoquer la
caducité de celui auquel il est partie, il est légitime d'exiger que le contractant qui prétend
être libéré de ses obligations en invoquant la caducité du contrat apporte la preuve que son
partenaire avait été informé de l'interdépendance des deux contrats (20).
Document n° 4
Recueil Dalloz 2000, p. 363.
L'effet extinctif du groupe de contrats
Denis Mazeaud, Professeur à l'Université de Paris II
On a sans doute, à la suite des spectaculaires revers qu'elle a essuyés, enterré un peu vite
la théorie des groupes de contrats. Même si, à la suite de l'arrêt Besse, l'existence d'un
groupe ne permet plus de soumettre à une identité de régime juridique contractuel les
parties aux différents contrats qui le composent, en dépit du dessein économique unique
poursuivi par ceux-ci, il n'en reste pas moins que l'anéantissement d'un contrat exerce
parfois une influence sur la vitalité des autres conventions avec lesquelles il forme un
ensemble
contractuel.
Ainsi, pour l'ensemble formé d'un prêt et d'une vente, si la Cour de cassation, lorsqu'elle
applique le droit commun, n'admet que très exceptionnellement, en raison d'un respect
révérenciel pour la théorie de la cause, que l'anéantissement de la vente puisse emporter
la disparition du prêt destiné à la financer (en ce sens, V. Cass. 1re civ., 1er juill. 1997, D.
1998, Somm. p. 110, obs. D. Mazeaud et Jur. p. 32, note L. Aynès ; Defrénois 1997, p. 1251,
note L. Aynès), elle se montre autrement plus accueillante pour une telle solution quand
elle
statue
sur
le
fondement
de
l'art.
L.
312-12
c.
consom.
Par ailleurs, ces dernières années, la jurisprudence a, dans des hypothèses variées, conféré
un effet extinctif au groupe de contrats. Ainsi, les juges du fond et la Cour de cassation ont
décidé qu'en raison de l'indivisibilité existant entre un contrat de location d'un matériel
informatique et un contrat de maintenance (CA Paris, 19 mars 1993, RTD civ. 1995, p. 363,
obs. J. Mestr), l'anéantissement d'un contrat de l'ensemble précipitait dans sa chute le
groupe
dans
son
entier.
63
La Chambre commerciale de la Cour de cassation, par un arrêt du 15 juin 1999, a rendu une
solution identique à propos d'un groupe de contrats constitué par un contrat de régie
publicitaire et un contrat de crédit-bail de matériel. Des pharmaciens avaient conclu avec
une société de télécommunication, un contrat de régie publicitaire en vertu duquel des
messages d'information et de publicité seraient diffusés dans leurs officines. De plus, les
pharmaciens avaient conclu avec une société de crédit-bail, un contrat en vue de se
procurer le matériel nécessaire à la réception des messages. A la suite de la mise en
liquidation judiciaire de la société de télécommunication, les pharmaciens, confrontés à
l'inexécution des obligations souscrites par celle-ci, avaient interrompu l'exécution des
obligations qui les liaient à la société de crédit-bail. Assignés en paiement par cette
dernière, les pharmaciens furent libérés de tous leurs engagements contractuels par les
juges du fond qui prononcèrent la résiliation des différents contrats composant le groupe
contractuel. La société de crédit-bail se prévalait, dans son pourvoi, de l'autonomie des
contrats qu'elle avait conclus par rapport aux contrats de location de matériel passés entre
ses cocontractants, les pharmaciens, et la société de télécommunication. La Chambre
commerciale a rejeté ce pourvoi car les juges du fond avaient déduit de leurs constatations
suffisamment d'éléments leur permettant de déduire un lien d'« indivisibilité » entre les
différents contrats conclus par les pharmaciens tant avec la société de télécommunication
qu'avec
la
société
de
crédit-bail.
Cet arrêt, comme la jurisprudence qui l'a précédé, invite nécessairement à réfléchir sur les
conditions dans lesquelles l'anéantissement d'un contrat de l'ensemble rejaillit-il sur le
groupe au point de l'entraîner dans sa chute ? Sur ce point, c'est-à-dire, au fond sur les
critères de l'indivisibilité (sur cette notion, V. J.-B. Seube, op. cit.), les opinions divergent en
doctrine. Pour Laurent Aynès (eod. loc.), « parce que chaque contrat noué avec un
contractant différent constitue un organisme autonome », et en dépit de l'unicité de
l'opération économique dont il constitue le support avec les autres contrats qui composent
le groupe, l'indivisibilité entre ces contrats repose nécessairement sur « la volonté des
parties : leur participation consciente et volontaire à une opération d'ensemble ». Dans
cette conception, l'effet extinctif du groupe de contrat est irréductiblement lié à
l'expression de la volonté, expresse ou tacite, des parties au contrat anéanti « de lier le sort
de celui-ci au sort de tous les autres contrats de l'ensemble ».
Dans une perception plus objective du contrat, dans laquelle le rôle de la volonté est plus
atténué, on reconnaîtra à l'existence d'un groupe de contrats un effet extinctif
indépendant de la volonté des parties aux contrats qui le composent. Dès lors, on admettra
qu'il suffit de constater objectivement que des contrats sont économiquement
indissociables, et il en ira ainsi lorsque l'un des contrats du groupe n'aura été conclu qu'en
contemplation de l'existence d'autres contrats, pour que l'anéantissement de l'un
provoque la disparition du groupe. Au fond, l'interdépendance économique des contrats
composant un groupe doit l'emporter sur l'autonomie juridique de chaque contrat
considéré
isolément.
Sur cette question des critères de l'indivisibilité et de la portée de l'effet extinctif du groupe
de contrats, il faut bien concéder que l'examen attentif de la jurisprudence précitée ne
permet pas de trancher nettement en faveur de l'une ou l'autre de ces conceptions.
Certains arrêts s'attachent plus ou moins explicitement à la volonté des parties (Cass. com.,
64
4 avr. 1995, préc.), alors que d'autres privilégient le seul lien économique des contrats qui
composent le groupe. Ainsi, dans l'arrêt commenté, la Chambre commerciale de la Cour
C
de
cassation paraît s'être fondée sur un critère d'ordre objectif et économique pour assigner
aux contrats du groupe un destin juridique commun. Pour critiquer la solution des juges du
fond, la société de crédit-bail
bail soutenait que « la volonté des parties
parties était de conclure une
convention de crédit-bail
bail parfaitement autonome par rapport au but recherché par ailleurs
par le locataire et qui n'était pas précisé ». Ce faisant, elle prétendait donc que les contrats
de régie publicitaire et de crédit-bail
crédit
ne pouvaient donc pas, faute de volonté exprimée en
ce sens, constituer un groupe de contrats soumis à un régime juridique unique.
L'indivisibilité des contrats était exclue faute de volonté des contractants de consacrer
juridiquement
leur
interdépendance
éco
économique.
Or, si la Chambre commerciale a rejeté leur pourvoi, c'est parce que les différents contrats
avaient été « signés dans le même temps, pour une durée identique » et parce que « les
contrats de crédit-bail,
bail, dont le coût [...] était calqué sur celui des redevances versées (en
exécution du contrat de régie publicitaire), n'ont été conclus qu'en
qu'en considération de la
gratuité de l'accès au réseau télématique » engendrée par le contrat de régie publicitaire.
Aussi, peut-on
on légitimement déduire de cet arrêt
arrêt que la Cour de cassation fait reposer
l'indivisibilité des contrats sur un critère purement objectif et économique. Mieux encore,
elle semble se fonder sur la notion de cause entendue pragmatiquement comme le but
contractuel commun aux parties, l'intérêt
l'intérêt poursuivi par les contractants au stade de la
conclusion des contrats en question. Solution qui vient renforcer « la dimension
économique » (J. Mestre, obs. in RTD civ. 1997, p. 116) de la cause et qui contribue au
remarquable mouvement jurisprudentiel de
d rénovation de ce concept.
65
TRAVAUX DIRIGES DROIT DES OBLIGATIONS
Séance n° 6
THEME : L’EXECUTION DU CONTRAT
SOUS -THEME : LA MODIFICATION DU CONTRAT
EXERCICES : COMMENTAIRES DE DECISIONS
1er sujet : Cour de cassation, 03 octobre 2006 /Recueil Dalloz 2007, Jurisprudence p. 765
LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt déféré (CA Angers, 27 janvier 2004), que la Société française
de fournitures pour installation et maintenances techniques (société Soffimat), est convenue le
9 décembre 1997 avec la société Besnier Mayenne, devenue Laitière de Mayenne, d'installer une
centrale électrique de cogénération à Mayenne en s'engageant à la fournir en énergie thermique
pour les besoins de son site industriel ; qu'elle a créé à cette fin la société Mayennecogen, qui a passé
avec la société Laitière de Mayenne le 15 mars 1999, un contrat de vente de chaleur, modifié par un
avenant du 14 avril 2000 ; que le démarrage de la centrale n'ayant jamais eu lieu, la société Laitière
de Mayenne a dénoncé l'inexécution par les sociétés Soffimat et Mayennecogen de leurs obligations
contractuelles et les a assignées en résolution des contrats à leurs torts et en indemnisation de son
préjudice ;
Sur le premier moyen : - Attendu que les sociétés Mayennecogen et Soffimat reprochent à l'arrêt
d'avoir prononcé la résolution du contrat à leurs torts et de les avoir condamnées in solidum à payer
à la société Laiterie de Mayenne une somme de 35 000 euros à titre de dommages-intérêts, outre
celle de 1 000 euros et 2 500 euros pour frais irrépétibles, alors selon le moyen :
1 / que les articles 3 et 15 du contrat du 15 mars 1999 obligeaient les parties à se rencontrer «
sur l'initiative de l'une des parties, en cas d'événement majeur affectant leurs obligations respectives
au terme du présent accord d'une façon telle que l'équilibre économique et financier qui prévalait
lors de sa signature s'en trouve gravement modifié à son détriment » et à « examiner ensemble les
moyens d'adapter le contrat aux évolutions constatées dans les facteurs économiques, techniques ou
de réglementation et ce dans le but de préserver leurs intérêts réciproques » ; que si ces clauses
n'obligent certes pas chaque partie à accepter n'importe quelle modification proposée par l'autre
partie, elles mettent cependant à leur charge, en cas de bouleversement de l'équilibre économique
du contrat en raison d'un événement extérieur aux parties, une obligation de renégocier loyalement ;
qu'en l'espèce, la société Mayennecogen soulignait que la hausse vertigineuse et constante du prix
du gaz naturel intervenue depuis la signature du contrat du 15 mars 1999 (+ 87 % entre avril 1999 et
janvier 2001) avait bouleversé l'équilibre dudit contrat et que son exécution, tant dans les conditions
tarifaires initiales que dans celles prévues par l'avenant n° 1 du 14 avril 2000, constituait pour elle
une opération ruineuse et pourrait la conduire à engager sa responsabilité pour revente à perte ;
qu'il résulte de l'arrêt que la société Mayennecogen avait formulé plusieurs propositions de révision
du contrat auprès de la société Laitière de Mayenne, laquelle les avait toutes refusées sans pour
autant faire de contre-proposition ; qu'en se bornant, pour juger que la responsabilité de l'échec de
66
la procédure de rencontre et d'adaptation ne pouvait être imputée à la société Laitière de Mayenne,
à affirmer que les clauses de rencontre et d'adaptation ne l'obligeaient pas à accepter les
modifications du contrat proposées par l'autre partie et que le fait, pour cette société « d'avoir
refusé d'accepter la révision substantielle du prix du contrat avant même sa mise à exécution, alors
qu'un avenant sur le prix venait d'être signé par les parties, ne saurait caractériser une faute de sa
part », sans rechercher si elle n'avait pas manqué à son obligation de tout mettre en oeuvre pour
parvenir à un accord préservant aussi les intérêts de la société Mayennecogen et notamment si ses
multiples refus étaient légitimes, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de
l'article 1134 du code civil ;
2 / que la société Mayennecogen expliquait que l'avenant du 14 avril 2000 n'avait pas permis de
rétablir l'équilibre économique en vigueur lors de la conclusion du contrat du 15 mars 1999 car la
société Laitière de Mayenne avait exigé, en contrepartie de la réduction de la durée du
fonctionnement, une baisse corrélative du prix de la vapeur ; qu'en se fondant sur l'existence dudit
avenant pour dire non fautifs les refus postérieurs de la société Laitière de Mayenne de modifier le
prix de la vapeur, sans relever que cet avenant avait permis de rétablir l'équilibre économique des
prestations, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 du code civil;
3 / que les articles 3 et 15 du contrat du 15 mars 1999, qui mettent à la charge des parties, en
cas de bouleversement de l'équilibre économique du contrat en raison d'un événement extérieur aux
parties, une obligation particulière de renégocier loyalement, n'exigent pas que cet événement ait
été imprévisible mais seulement qu'il n'ait pas été effectivement prévu ; que les parties au contrat du
15 mars 1999 avaient choisi d'indexer le prix de vente de la vapeur sur l'indice du fuel et non sur le
prix du gaz, et n'avaient donc pas prévu l'augmentation du prix du gaz ; qu'en refusant à la société
Mayennecogen le droit de se prévaloir de cette augmentation, prétexte pris de ce que « l'évolution
des cours du gaz naturel est un événement tout à fait prévisible, qui aurait normalement dû être pris
en compte », la cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil ;
Mais attendu qu'après avoir relevé que pour justifier l'inexécution des obligations mises à sa
charge par la convention qu'elle a signée le 15 mars 1999, la société Mayennecogen invoque
l'augmentation importante des tarifs de gaz naturel, ayant entraîné une modification substantielle de
l'économie globale du projet envisagé, l'arrêt retient, par une appréciation souveraine de la portée
des stipulations liant les parties, que l'article 3 intitulé « clause de rencontre », obligeant les parties à
se rencontrer dans tous les cas une fois l'an « en cas d'événement majeur affectant leurs obligations
respectives au terme du présent accord d'une façon telle que l'équilibre économique et financier qui
prévalait lors de la signature s'en trouve gravement modifié à son détriment », n'oblige en aucune
façon le cocontractant à accepter les modifications de contrat proposées par l'autre partie en cas de
survenance d'un tel événement et que de même l'article 15 du contrat intitulé « adaptation et
transfert du contrat » selon lequel les parties ont convenu d'examiner ensemble les moyens
d'adapter le contrat aux évolutions dans les facteurs économiques, techniques ou de réglementation
afin de préserver leurs intérêts réciproques n'oblige nullement les parties à réviser le contrat mais en
autorise seulement la possibilité ; qu'il en déduit que la responsabilité de l'échec de la procédure de
rencontre et d'adaptation ne peut être imputée à la société Laitière de Mayenne en l'absence de
comportement abusif de sa part et que le seul fait, pour la société Laitière de Mayenne, d'avoir
refusé d'accepter la révision substantielle du prix du contrat avant même sa mise à exécution, tandis
qu'un avenant sur le prix venait d'être signé par les parties, ne saurait caractériser une faute de sa
67
part, quel que soit le déséquilibre économique allégué par la société Mayennecogen qui doit
supporter les conséquences de son imprévision dans le choix d'un indice fondant la clause
d'indexation ; qu'ainsi la cour d'appel a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est fondé en
aucune de ses branches ;
Et sur le second moyen : - Attendu que les sociétés Mayennecogen et Soffimat font encore le
même reproche à l'arrêt, alors, selon le moyen :
1 / qu'une société immatriculée au registre du commerce est dotée d'une personnalité morale
propre, même lorsqu'elle est filiale d'une autre société ; qu'en l'espèce il résulte de l'arrêt que le
contrat du 15 mars 1999 et l'avenant du 14 mai 2000 avaient été conclus par la société Laitière de
Mayenne avec la seule société Mayennecogen ; que la cour d'appel, pour prononcer la résolution du
contrat et de son avenant aux torts des sociétés Soffimat et Mayennecogen et les condamner in
solidum à payer à la société Laitière de Mayenne des dommages-intérêts pour inexécution du
contrat, s'est bornée à relever que les deux sociétés avaient le même dirigeant, le même siège et la
même ligne téléphonique, que la société mère avait servi d'intermédiaire pour envoyer les
propositions d'avenant au contrat, et avait échangé des courriers avec l'Apave, GDF et la société
Laitière de Mayenne ; qu'en se déterminant par de tels motifs, impropres à établir que sous
l'apparence de sociétés distinctes il n'existait qu'une personne morale, ou que les patrimoines de ces
sociétés étaient confondus, ou encore que la société Soffimat avait eu un comportement fautif en
laissant croire qu'elle prenait part à l'engagement de sa filiale ou en donnant à celle-ci une fausse
apparence de solvabilité, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de
l'article L. 210-6 du code de commerce et des articles 1147, 1165 et 1842 du code civil ;
2 / qu'en l'absence de confusion des patrimoines, une société mère ne peut être condamnée à
supporter les conséquences de l'inexécution d'un contrat conclu par sa filiale que si elle s'est
immiscée dans l'exécution dudit contrat, ce qui suppose la prise de décisions relatives à ce contrat
aux lieu et place de sa filiale ; qu'en se bornant, pour condamner la société Soffimat à supporter les
conséquences de l'inexécution de contrat conclu exclusivement par la société Mayennecogen,
devenue sa filiale, à relever que les sociétés avaient le même dirigeant, le même siège et la même
ligne téléphonique, que la société-mère avait servi d'intermédiaire pour envoyer les propositions
d'avenant au contrat, et avait échangé des courriers avec l'Apave, GDF et la société Laitière de
Mayenne, la cour d'appel n'a pas caractérisé l'immixtion de la société Soffimat dans l'exécution du
contrat conclu par la société Mayennecogen et a privé sa décision de base légale au regard de
l'article L. 210-6 du code de commerce et des articles 1147, 1165 et 1842 du code civil ;
3 / que la société Soffimat expliquait que si elle avait eu des relations avec certaines des sociétés
impliquées dans le projet de réalisation de la centrale de cogénération, c'était parce qu'elle devait
fournir à la société Mayennecogen les éléments lui permettant de réaliser la centrale (moteur,
chaudière de récupération...) ; qu'en se fondant sur les courriers échangés par la société Soffimat
avec l'Apave, GDF et la société Laitière de Mayenne pour en déduire l'existence d'une immixtion de
la première dans l'exécution du contrat du 15 mars 1999 signé par la seule société Mayennecogen,
sans rechercher si ces courriers ne révélaient pas seulement l'intervention d'un fournisseur, la cour
d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 210-6 du code de commerce et des
articles 1147, 1165 et 1842 du code civil ;
68
4 / que les juges du fond sont tenus de motiver leur décision et ne peuvent statuer par voie de
pure affirmation ; qu'en retenant à l'appui de sa décision une prétendue absence d'autonomie de la
société Mayennecogen dans sa gestion, sans préciser de quel élément elle la déduisait, la cour
d'appel a violé l'article 455 du nouveau code de procédure civile ;
Mais attendu qu'ayant relevé que la société Soffimat était l'initiatrice du projet, qu'elle s'était
substitué à sa filiale pour traiter en ses lieu et place la révision de la convention et qu'elle avait pris à
son compte l'opération commerciale, la cour d'appel, qui a caractérisé l'immixtion de la société mère
dans l'exécution du contrat conclu par sa filiale, a ainsi légalement justifié sa décision ; que le moyen,
inopérant comme critiquant des motifs surabondant dans sa première branche, n'est pas fondé pour
le surplus ;
Par ces motifs, rejette le pourvoi [...].
2e SUJET
Cass, Com. 3 novembre 1992/Arrêt Huard (RTD CIV 1993.124 ; JCP 1993 II. 22614)
Sur le moyen unique, pris en ses trois branches :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 31 mai 1990), que, le 2 octobre 1970, la Société française des
pétroles BP (société BP) a conclu avec M. X... un contrat de distributeur agréé, pour une durée de 15
années, prenant effet le 25 mars 1971 ; que, par avenant du 14 octobre 1981, le contrat a été
prorogé jusqu'au 31 décembre 1988 ; qu'en 1983, les prix de vente des produits pétroliers au détail
ont été libérés ; que M. X..., se plaignant de ce que, en dépit de l'engagement de la société BP de
l'intégrer dans son réseau, cette dernière ne lui a pas donné les moyens de pratiquer des prix
concurrentiels, l'a assignée en paiement de dommages-intérêts ;
Attendu que la société BP reproche à l'arrêt d'avoir accueilli cette demande à concurrence de 150
000 francs, alors, selon le pourvoi, d'une part, que, dans son préambule, l'accord de distributeur
agréé du 2 octobre 1970 prévoyait que la société BP devrait faire bénéficier M. X... de diverses aides
" dans les limites d'une rentabilité acceptable " ; qu'en jugeant dès lors que la société BP était
contractuellement tenue d'intégrer M. X... dans son réseau en lui assurant une rentabilité
acceptable, la cour d'appel a dénaturé cette clause stipulée au profit de la société pétrolière et non à
celui de son distributeur agréé, en violation de l'article 1134 du Code civil ; alors, d'autre part, que
nul ne peut se voir imputer une faute contractuelle de nature à engager sa responsabilité sans que
soit établie l'existence d'une inexécution de ses obligations contenues dans le contrat ; qu'en ne
retenant à l'encontre de la société BP que le seul grief de n'avoir pas recherché un accord de
coopération commerciale avec son distributeur agréé, M. X..., la cour d'appel n'a relevé à son
encontre aucune violation de ses obligations contractuelles et ne pouvait dès lors juger qu'elle avait
commis une faute contractuelle dont elle devait réparer les conséquences dommageables, en
violation de l'article 1147 du Code civil ; et alors, enfin, que nul ne peut être tenu pour responsable
du préjudice subi par son cocontractant lorsque ce préjudice trouve sa source dans une cause
étrangère qui ne peut lui être imputée ; qu'en jugeant dès lors que la société BP devait être tenue
pour contractuellement responsable du préjudice invoqué par M. X..., préjudice tenant aux difficultés
consécutives à l'impossibilité pour ce dernier de faire face à la concurrence, après avoir pourtant
69
constaté qu'elle était néanmoins tenue, en raison de la politique des prix en matière de carburants,
de lui vendre ceux-ci au prix qu'elle pratiquait effectivement, la cour d'appel n'a pas tiré les
conséquences légales de ses constatations de fait, en violation des articles 1147 et 1148 du Code
civil ;
Mais attendu, en premier lieu, que l'arrêt ne dit pas que la société BP était tenue d'intégrer M. X...
dans son réseau " en lui assurant une rentabilité acceptable " ;
Attendu, en second lieu, qu'ayant relevé que le contrat contenait une clause d'approvisionnement
exclusif, que M. X... avait effectué des travaux d'aménagement dans la station-service, et que " le prix
de vente appliqué par la société BP à ses distributeurs agréés était, pour le supercarburant et
l'essence, supérieur à celui auquel elle vendait ces mêmes produits au consommateur final par
l'intermédiaire de ses mandataires ", l'arrêt retient que la société BP, qui s'était engagée à maintenir
dans son réseau M. X..., lequel n'était pas obligé de renoncer à son statut de distributeur agréé
résultant du contrat en cours d'exécution pour devenir mandataire comme elle le lui proposait, n'est
pas fondée à soutenir qu'elle ne pouvait, dans le cadre du contrat de distributeur agréé,
approvisionner M. X... à un prix inférieur au tarif " pompiste de marque ", sans enfreindre la
réglementation, puisqu'il lui appartenait d'établir un accord de coopération commerciale entrant "
dans le cadre des exceptions d'alignement ou de pénétration protectrice d'un détaillant qui ont
toujours été admises " ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations, d'où il résultait l'absence
de tout cas de force majeure, la cour d'appel a pu décider qu'en privant M. X... des moyens de
pratiquer des prix concurrentiels, la société BP n'avait pas exécuté le contrat de bonne foi ;
D'où il suit que le moyen, qui manque en fait dans sa première branche, est mal fondé pour le
surplus ;
PAR CES MOTIFS, REJETTE le pourvoi
DOCUMENTS :
Document n° 1 :
Cass. Com. 29 juin 2010 (n°09-67369)
LA COUR (…) :
Attendu, selon l’arrêt attaqué, que la société d’Exploitation de chauffage (société SEC) a fait assigner en référé la
société Soffimat, avec laquelle elle avait conclu le 24 décembre 1998 un contrat d’une durée de 12 ans ou 43 488
heures portant sur la maintenance de deux moteurs d’une centrale de production de co-génération moyennant une
redevance forfaitaire annuelle, aux fins qu’il lui soit ordonné, sous astreinte, de réaliser, à compter du 2 octobre
2008, les travaux de maintenance prévus contractuellement et notamment, la visite des 30 000 heures des
moteurs ;
Sur le premier moyen, pris en sa première branche :
Vu les articles 1131 du code civil et 873, alinéa 2 du code de procédure civile ;
Attendu que pour retenir que l’obligation de la société Soffimat de satisfaire à l’obligation de révision des
moteurs n’était pas sérieusement contestable et confirmer la décision ayant ordonné à la société Soffimat de
réaliser à compter du 2 octobre 2008, les travaux de maintenance prévus et, notamment, la visite des 30 000
heures des moteurs et d’en justifier par l’envoi journalier d’un rapport d’intervention, le tout sous astreinte de 20
000 euros par jour de retard, et ce pendant 30 jours à compter du 6 octobre 2008, l’arrêt relève qu’il n’est pas
allégué que le contrat était dépourvu de cause à la date de sa signature, que l’article 12 du contrat invoqué par la
société Soffimat au soutien de sa prétention fondée sur la caducité du contrat est relatif aux conditions de
reconduction de ce dernier au-delà de son terme et non pendant les douze années de son exécution et que la force
70
majeure ne saurait résulter de la rupture d’équilibre entre les obligations des parties tenant au prétendu refus de
la société SEC de renégocier les modalités du contrat ;
Attendu qu’en statuant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si l’évolution des circonstances
économiques et notamment l’augmentation du coût des matières premières et des métaux depuis 2006 et leur
incidence sur celui des pièces de rechange, n’avait pas eu pour effet, compte tenu du montant de la redevance
payée par la société SEC, de déséquilibrer l’économie générale du contrat tel que voulu par les parties lors de sa
signature en décembre 1998 et de priver de toute contrepartie réelle l’engagement souscrit par la société
Soffimat, ce qui était de nature à rendre sérieusement contestable l’obligation dont la société SEC sollicitait
l’exécution, la cour d’appel a privé sa décision de base légale ;
Et sur le second moyen :
Vu les articles 564 et 566 du code de procédure civile ;
Attendu que pour déclarer irrecevable la demande d’expertise sollicitée par la société Soffimat, l’arrêt retient
qu’il s’agit d’une demande nouvelle formée en cause d’appel, sans lien avec les demandes dont le premier juge
était saisi ;
Attendu qu’en statuant ainsi alors que cette demande était destinée à analyser l’économie générale du contrat et
tendait par voie de conséquence aux mêmes fins que la défense soumise au premier juge dès lors qu’elle avait
pour objet d’établir que l’obligation, dont l’exécution était sollicitée, était sérieusement contestable, compte tenu
du bouleversement de l’économie du contrat entre 1998 et 2008, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 27 mars 2009, entre les parties, par la cour
d’appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt
et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Paris, autrement composée ;
Document n° 2 : EXTRAIT DE MATHILDE BOUTONNET, L'obligation de renégocier le contrat au
nom de la lutte contre les gaz à effet de serre
Recueil Dalloz 2008, Jurisprudence p. 1120
Dans un arrêt du 26 septembre 2007, la Cour d'appel de Nancy montre de manière inattendue
comment les futures difficultés écologiques pourraient exercer une influence sur le droit des
contrats. Il faut dire que, en l'espèce, le contrat n'était pas sans conséquence sur la protection de
l'environnement. Il s'agissait d'un contrat de fourniture d'énergie conclu en 1999 : la société
Novacarb, productrice de carbonate et de bicarbonate à partir de vapeur d'eau, se fournit auprès de
la société Socoma. Celle-ci lui met à disposition un système de « cogénération » que le client utilise
librement. La mésentente entre les parties surgit à la suite de l'entrée en vigueur de la loi n° 2004237 du 18 mars 2004 et de l'ordonnance n° 2004-330 du 15 avril 2004 qui instituent le système
d'échange de quotas de gaz à effet de serre selon lequel les entreprises concernées se voient affecter
par une autorité administrative un nombre de quotas, c'est-à-dire « une unité de compte
représentative de l'émission de l'équivalent d'une tonne de dioxyde de carbone », cessibles en cas de
reliquats. A l'inverse, l'exploitant qui ne dispose pas de quotas en nombre suffisant doit en racheter
et peut être sanctionné pénalement. En l'espèce, le fournisseur a justement pu céder ses reliquats.
Or, selon le client, puisque le contrat le rend débiteur des coûts liés à la mise en oeuvre d'une
nouvelle législation, il devrait aussi être créditeur de ces bénéfices. A défaut, il y aurait déséquilibre
du contrat.
Courant 2005, les deux parties ont tenté de le renégocier, mais n'y sont pas parvenues. La
société Novacarb a alors assigné en justice son fournisseur. Le 26 juin 2006, le Tribunal de commerce
de Nancy a rejeté la demande de révision du contrat en rappelant sa force obligatoire. C'est
71
pourquoi, en appel, la société Novacarb a uniquement fait valoir « l'interprétation du contrat par
adjonction » alors que l'intimé arguait de son impossible révision judiciaire.
Confrontée à la question de la possible interprétation ou révision du contrat en cas de
déséquilibre contractuel non prévisible, la Cour d'appel de Nancy a rendu un arrêt avant dire droit le
26 septembre 2007. Sur le fondement des articles 1134, alinéa 3, et 1135 du code civil, elle impose la
renégociation du contrat et se réserve le droit de contrôler son échec. Pour soutenir sa solution, elle
impose de « corriger le déséquilibre contractuel », et cela, non seulement en raison d'une « atteinte
inéquitable aux intérêts particuliers », mais aussi « dans l'intérêt général de la réduction des
émissions de gaz à effet de serre ». Ainsi, au-delà de l'aspect technique de la solution (I), c'est sa
justification téléologique qui suscite la réflexion (II) […]
Document n° 3 : EXTRAIT DE DENIS MAZEAUD, Du nouveau sur l'obligation de renégocier
Recueil Dalloz 2004, Jurisprudence p. 1754
1. Lentement, mais sûrement, précisément tous les six ans, la Cour de cassation rappelle à tous les
observateurs de la planète contractuelle que, si elle n'est toujours pas disposée à faire sauter le «
canal de Craponne », elle concède cependant l'existence d'une mince ouverture dans le monument
jurisprudentiel, édifié en 1876 (2), sous la forme de la reconnaissance d'une obligation de renégocier
(3) les contrats devenus profondément déséquilibrés. Mais l'intérêt du nouvel arrêt rendu, le 16 mars
2004, par la première Chambre civile ne se réduit pas à la simple réaffirmation d'une solution émise
naguère par la Chambre commerciale ; la Cour profite, en effet, de l'occasion pour apporter des
précisions fondamentales sur le domaine de cette obligation, fondée sur l'exigence de bonne foi.
2. Aux termes d'un contrat de sous-concession, une société avait obtenu, pour une durée de dix
ans, l'exploitation d'un restaurant à caractère social et d'entreprises et devait, en contrepartie, verser
un loyer annuel au concessionnaire initial, une association, et une redevance au concédant, une
commune. A mi-parcours contractuel, cette société, invoquant un bouleversement de l'équilibre
contractuel, demanda au juge de prononcer la résiliation du contrat, qu'elle avait cessé d'exécuter.
Demande qui fut écartée par la cour d'appel qui, tout au contraire, la condamna pour rupture
unilatérale à payer diverses sommes à ses partenaires. Jouant alors son va-tout, la société forma un
très audacieux pourvoi dans lequel elle reprochait aux juges du fond de ne pas avoir donné de base
légale à leur décision, au regard des articles 1134 et 1147 du code civil. Selon elle, puisque « les
parties sont tenues d'exécuter loyalement la convention en veillant à ce que son économie générale
ne soit pas manifestement déséquilibrée », la cour d'appel aurait dû rechercher « si, en raison des
contraintes économiques particulières résultant du rôle joué par (le concédant) dans la détermination
des conditions d'exploitation de la concession, et notamment dans la fixation du prix des repas, (ses
cocontractants) n'avaient pas le devoir de mettre la société (...) en mesure d'exécuter son contrat
dans des conditions qui ne soient pas manifestement excessives pour elle et d'accepter de
reconsidérer les conditions de la convention dès lors que, dans son économie générale, un
déséquilibre manifeste était apparu ». En clair, l'inégalité contractuelle, qui se traduisait par le
pouvoir détenu par un des contractants de fixer unilatéralement les modalités d'exécution du
72
contrat, emportait, au nom du devoir de bonne foi et à la charge des contractants du demandeur au
pourvoi, une obligation de renégocier ce contrat-cadre de dépendance manifestement déséquilibré.
3. La première chambre civile de la Cour de cassation n'a pas succombé aux charmes de ce
pourvoi, que même les plus fervents partisans du solidarisme contractuel (4) éprouveraient quelques
difficultés à cautionner. Pour le rejeter, elle affirme que les juges du fond avaient relevé que la
société, qui l'avait formé, « mettait en cause le déséquilibre financier existant dès la conclusion du
contrat et non le refus injustifié de la commune et de l'association de prendre en compte une
modification imprévue des circonstances économiques et ainsi de renégocier les modalités du soustraité au mépris de leur obligation de loyauté et d'exécution de bonne foi ». Puis, la Cour, pour
marquer un peu plus encore son approbation de la solution émise par la cour d'appel, et donner par
la même occasion une sorte de petite leçon de morale contractuelle, souligne que celle-ci avait
ajouté que la société « ne pouvait fonder son retrait brutal et unilatéral sur le déséquilibre structurel
du contrat que, par sa négligence ou son imprudence, elle n'avait pas su apprécier ».
4. A une époque où les réactions du législateur et du juge contre le déséquilibre contractuel se
multiplient et alimentent le débat entre les zélateurs de la liberté contractuelle et les adeptes de la
théorie du solidarisme, l'arrêt commenté constitue, nous semble-t-il, une intéressante source de
réflexions, dans la mesure où, au moins implicitement, il trace, à travers la question spécifique de la
portée de l'obligation de renégocier, la frontière entre ce qui relève de la liberté et de la
responsabilité des contractants dans le processus contractuel et ce que ceux-ci sont en droit
d'attendre du devoir de bonne foi que notre droit positif a sensiblement réactivé depuis une
trentaine d'années. A juste titre, pensons-nous, la Cour de cassation rappelle, en définitive, que
l'équilibre des stipulations et des prestations contractuelles est, en principe, l'affaire des
contractants, meilleurs juges de leurs propres intérêts, qui, parce qu'ils le déterminent librement,
doivent ensuite en assumer la responsabilité. En somme, le déséquilibre est, sauf s'il procède d'un
abus de puissance inacceptable et s'il se traduit par un excès inadmissible, la rançon de la liberté.
Néanmoins, la Cour concède, c'est bien le moins, que lorsqu'un profond déséquilibre économique
survient pendant l'exécution du contrat et qu'il procède d'un changement imprévisible et brutal des
circonstances qui ont présidé à la conclusion du contrat, le devoir de bonne foi prend alors le relais et
contraint les contractants à faire preuve d'un minimum de solidarité.
5. Sans forcer exagérément le trait, ni solliciter excessivement cet arrêt, il semble bien que c'est
cette stimulante leçon de politique contractuelle que la première Chambre civile a entendu donner, à
cette occasion, en réaffirmant, fort opportunément, le principe de l'obligation de renégocier (I) et en
en déterminant, avec précision, le domaine (II) […]
Document n° 4 : Civ. 6 mars 1876, (D. 76. 1. 193, note Giboulot), De Galliffet c. Commune de
Pélissanne
ARRÊT
La Cour ; - Sur le deuxième moyen : - Attendu qu'il résulte des déclarations de l'arrêt attaqué que les
travaux qu'il prescrit doivent être exécutés dans l'intérêt des parties, afin, d'une part, de mesurer la
quantité d'eau que les hoirs de Galliffet doivent livrer aux arrosants, et, d'autre part, de remédier à
73
des abus de jouissance commis par ceux-ci ; - Que la moitié de la dépense totale mise à la charge de
chacune des parties représente donc, dans l'appréciation souveraine de la cour d'appel, le montant
des frais qui incombent à cette partie pour l'exécution de ses obligations personnelles, et non une
portion des frais dont est tenu son adversaire ; - D'où il suit qu'en faisant masse de toutes les
dépenses nécessaires pour rétablir respectivement les parties dans leurs droits et en les condamnant
à payer ces dépenses par égale portion, la cour d'Aix n'a commis aucun excès de pouvoir, et n'a violé
ni l'article 1134, ni l'article 1135 du Code civil ; - Rejette ce moyen ;
Mais, sur le premier moyen du pourvoi : - Vu l'article 1134 du Code civil ; - Attendu que la disposition
de cet article n'étant que la reproduction des anciens principes constamment suivis en matière
d'obligations conventionnelles, la circonstance que les contrats dont l'exécution donne lieu au litige
sont antérieurs à la promulgation du Code civil ne saurait être, dans l'espèce, un obstacle à
l'application dudit article ; - Attendu que la règle qu'il consacre est générale, absolue, et régit les
contrats dont l'exécution s'étend à des époques successives de même qu'à ceux de toute autre
nature ; - Que, dans aucun cas, il n'appartient aux tribunaux, quelque équitable que puisse leur
paraître leur décision, de prendre en considération le temps et les circonstances pour modifier les
conventions des parties et substituer des clauses nouvelles à celles qui ont été librement acceptées
par les contractants ; - Qu'en décidant le contraire et en élevant à 30 centimes de 1834 à 1874, puis à
60 centimes à partir de 1874, la redevance d'arrosage, fixée à 3 sols par les conventions de 1560 et
1567, sous prétexte que cette redevance n'était plus en rapport avec les frais d'entretien du canal de
Craponne, l'arrêt attaqué a formellement violé l'article 1134 ci-dessus visé ; - Par ces motifs, casse...
Observations
1 " Tête de pont jetée dans le futur " (Carbonnier, Flexible droit, 6e éd., p. 175 ; H. Lécuyer, " Le
contrat, acte de prévision ", Mélanges Terré, 1999, p. 643), le contrat subit les " meurtrissures du
temps ". Lorsque son exécution est échelonnée et que les obligations qui en découlent ont été
exclusivement fixées en considération des circonstances contemporaines de sa conclusion, les parties
sont exposées à un aléa : la transformation du contexte économique, politique, monétaire ou social
peut rompre l'équilibre initial des prestations. Est-il alors possible au cocontractant désavantagé
d'obtenir la révision du contrat ? C'est tout le problème de l'imprévision contractuelle. La jurispru
dence y a apporté au XIXe siècle une réponse tranchée (I), qui est à l'époque présente marquée tout
à la fois par la place de plus en plus grande faite aux contrats à long terme et par l'instabilité
chronique des données économiques et monétaires, l'objet de très vives contestations (II).
I. - Le refus de la révision pour imprévision
2 Aucune affaire n'est, en la matière, plus significative que celle du Canal de Craponne. Les
conventions litigieuses passées en 1560 et 1567 avaient pour objet la fourniture d'eau destinée à
alimenter des canaux d'irrigation dans la plaine d'Arles, moyennant une redevance de 3 sols par
carteirade (190 ares). Au cours du XIXe siècle, l'entreprise qui exploitait le canal, faisant état de la
baisse de la valeur de la monnaie et de la hausse du coût de la main-d'œuvre, demanda un
relèvement de la taxe qui n'était plus en rapport avec les frais d'entretien. La cour d'Aix ayant élevé
cette redevance à 60 centimes, sa décision fut cassée. Aucune considération de temps ou d'équité ne
peut, en effet, selon la Cour de cassation, permettre au juge de modifier la convention des parties ;
l'article 1134 du Code civil, texte général et absolu, l'impose. La loi du contrat est une " loi d'airain "
qui s'impose au juge comme aux parties.
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La solution n'était pas sans précédent. À l'occasion des contrats de remplacement militaire rendus
plus onéreux par la survenance de la guerre de Crimée, la Cour de cassation avait déjà censuré les
décisions des cours d'appel, qui avaient admis leur résiliation (Civ. 9 janv. 1856, 3 arrêts, DP 56. 1. 33
; 11 mars 1856, DP 56. 1. 100). La période d'inflation consécutive à la première guerre mondiale fut
l'occasion pour la Cour de cassation de réaffirmer la solution dans les domaines les plus divers : bail à
cheptel (Civ. 6 juin 1921, D. 1921. 1. 73, rapp. A. Colin, S. 1921. 1. 193, note Hugueney ; 30 mai 1922,
D. 1922. 1. 69, S. 1922. 1. 289, note Hugueney, mais V. depuis L. du 4 juin 1941 modifiant l'art. 1826
C. civ.), livraison périodique de charbon à prix fixe (Civ. 14 nov. 1933, Gaz. Pal. 1934. 1. 58), prix de
série rendu insuffisant du fait d'une augmentation des salaires (Com. 18 janv. 1950, D. 1950. 227).
Depuis, la Cour de cassation réaffirme régulièrement son refus d'admettre les révisions pour
imprévision lorsque l'occasion s'en présente (V. par ex. : Com. 18 déc. 1979, Bull. Civ. IV, no 339, RTD
civ. 1980.180, obs. G. Cornu). Mieux, lorsque certains arrêts récents ont pu être interprétés, en
raison de leur ambiguïté, comme le signe annonciateur d'une évolution devant conduire à la
consécration de la révision pour imprévision (Civ. 1re, 16 mars 2004, 1754, note. D. Mazeaud, RDC
2004. 642, obs. D. Mazeaud), les hauts magistrats sont immédiatement intervenus pour dénoncer le
caractère erroné d'une telle interprétation (Renaud-Payen, note JCP E 2004. 737), ce qui a déclenché
une guerre picrocholine au sein de la doctrine (J. Ghestin, " L'interprétation d'un arrêt de la Cour de
cassation ", D. 2004. 2239 ; A. Bénadent, " Dalloz ou Dallas ? ", D. 2005. 852).
En dépit de son ancienneté et de sa constance, cette jurisprudence ne devait pas être suivie par la
juridiction administrative. Dans l'arrêt Gaz de Bordeaux, le Conseil d'État consacre, en effet, au
contraire, la théorie de l'imprévision. Constatant qu'une hausse imprévisible du charbon avait
bouleversé l'économie du contrat de concession, la haute juridiction reconnaît au concessionnaire un
droit à indemnité contre l'autorité concédante (CE 30 mars 1916, D. 1916. 3. 25, S. 1916. 3. 17, GAJA,
16e éd., no 31). Encore faut-il que le bouleversement du contrat soit dû à un événement imprévisible,
extérieur aux parties contractantes et qu'il ne présente qu'un caractère temporaire ; si le
déséquilibre est définitif, il y a lieu de résilier le contrat (CE 9 déc. 1932, Cie des Tramways de
Cherbourg, D. 1933. 3. 17, concl. Josse, note Pelloux ; 14 juin 2000, Commune de Staffelfelden, Lebon,
p. 227, BJCP 2000. 435, concl. Bergeal).
La diversité des points de vue atteste, s'il en était besoin, la difficulté du problème à résoudre. En
faveur de la solution retenue par la Cour de cassation, on a fait valoir que l'hypothèse n'est pas
réductible à l'un des cas de figure qui aurait permis de ne pas exécuter le contrat ou éventuellement
de le rééquilibrer. De fait, il n'y a pas force majeure car l'exécution des prestations est certes
devenue difficile mais non impossible ; il n'y a pas non plus lésion, car le déséquilibre ne prend pas sa
source dans une inégalité initiale des prestations, mais dans un bouleversement extérieur et
postérieur à la conclusion du contrat. Néanmoins, les moyens techniques susceptibles de fonder une
révision du contrat ne font pas totalement défaut. On aurait pu invoquer l'idée selon laquelle la
théorie de la cause ne doit pas jouer seulement au moment de la formation du contrat, mais aussi
lors de son exécution. Partant, une certaine équivalence devrait être maintenue entre les prestations
des contractants. Il aurait pu encore être fait appel à la règle qui veut que les conventions soient
exécutées de bonne foi (art. 1134, al. 3) ; n'est-ce pas en effet la méconnaître que d'exiger la stricte
exécution d'un contrat alors que le changement des circonstances rend écrasante la charge de l'un et
dérisoire la prestation de l'autre ? (rappr. la position de la jurisprudence allemande, Rieg, Le rôle de
la volonté dans l'acte juridique en droit civil français et allemand, 1961, nos 43, 147, 526 et 533). De
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même, la possibilité d'une révision aurait pu être déduite de l'article 1135 du Code civil qui dispose
que " les conventions obligent non seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les suites
que l'équité, l'usage ou la loi donnent à l'obligation d'après sa nature ". Mais, on l'a vu, la haute
juridiction récuse dans l'arrêt ci-dessus reproduit toute référence à l'équité. Enfin, il aurait toujours
été possible de sous-entendre dans tout contrat de longue durée une clause particulière, dite clause
rebus sic stantibus, en vertu de laquelle le consentement est subordonné à la persistance de l'état de
fait qui existait au jour où il a été exprimé. Sans doute eût-on objecté que cette interprétation est
divinatoire, les parties n'ayant pas envisagé la situation qui est à l'origine de la difficulté. Mais elle ne
l'est pas plus que la découverte qu'a faite la jurisprudence de certaines obligations dans certains
contrats (V. par ex. infra, no 276, pour l'obligation de sécurité dans le contrat de transport)..
4 Dès lors, on peut affirmer que, si la jurisprudence a refusé de s'engager sur la voie de la révision
pour imprévision, c'est par un choix délibéré (Marty et Raynaud, Les obligations, t. I, no 250 ;
Carbonnier, t. 4, no 144 ; Flour, Aubert et Savaux, Les obligations, vol. I, nos 404 et s. ; Terré, Simler et
Lequette, Les obligations, no 441). Celui-ci s'explique principalement par des raisons juridiques ainsi
que par des raisons économiques. Raisons juridiques : les tribunaux ont craint, d'une part, que les
contractants de mauvaise foi ne cherchent à se dérober à leurs engagements, d'autre part, que
l'arbitraire du juge, favorisant l'instabilité du contrat, ne se retourne contre la sécurité juridique.
Raisons économiques : la révision du contrat est certes souvent le seul moyen d'éviter la ruine d'une
des parties et par là l'inexécution du contrat. C'est d'ailleurs pour éviter l'interruption du service
public que la jurisprudence administrative a initialement fait place à la révision pour imprévision.
Selon la formule d'Hauriou, la rigidité du service public est assurée par la flexibilité du contrat. Mais
admettre la révision dans un cas, c'est risquer de mettre le cocontractant dans l'impossibilité
d'exécuter les obligations assumées par lui dans d'autres contrats et par là même provoquer un
déséquilibre généralisé " par un jeu de réactions en chaîne impossibles à limiter et même à prévoir "
(Flour, Aubert et Savaux, Les obligations, vol. 1, no 413). Or le juge est mal placé pour apprécier si sa
décision, particulière par définition, sera au regard de l'économie nationale, bonne ou mauvaise.
D'où son refus de procéder à la révision. C'est au législateur, mieux armé pour apprécier les
conséquences économiques de tel ou tel choix, d'intervenir ponctuellement, lorsque l'injustice
contractuelle est particulièrement criante et qu'une catégorie importante de personnes risque d'être
ruinée. Tel a été le cas notamment à la suite des deux guerres mondiales (sur ces interventions, V.
Carbonnier, t. 4, no 145 ; Flour et Aubert, Les obligations, vol. 1, nos 421 et s. ; Terré, Simler et
Lequette, Les obligations, no 443 ; dans un domaine voisin, le refus jurisprudentiel de réduire le
montant des clauses pénales insérées dans le contrat a été brisé par le législateur, V. infra, no 166).
Au-delà de ces lois de circonstance, le législateur met parfois en place des systèmes de révision
permanents mais limités à un domaine étroit. Ainsi en va-t-il du droit des successions et des
libéralités avec la loi du 3 juillet 1971 prévoyant la réévaluation de la soulte due par un copartageant,
lorsque " par suite des circonstances économiques, la valeur du bien mis dans son lot a augmenté ou
diminué d'un quart depuis le partage " (art. 833-1 C. civ.) ou celle du 4 juillet 1984 " permettant la
révision des charges et conditions apposées à certaines libéralités " (art. 900-2 et s. C. civ. ; sur ces
lois, V. Terré et Lequette, Les successions, Les libéralités, 3e éd., nos 331-1 et s. et 934).
II. - La critique de la solution
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5 Reprise par la quasi-totalité de la doctrine civiliste, cette argumentation n'emporte pourtant pas
totalement la conviction. L'exemple du droit comparé montre en effet que, très largement admise au
XIXe siècle dans les autres pays d'Europe, cette position a été abandonnée depuis lors, tantôt à la
suite d'une évolution jurisprudentielle (Grande-Bretagne, Allemagne, Espagne, Suisse), tantôt du fait
d'une intervention du législateur (Italie, Grèce, Portugal) (Schindler-Viguie, La notion de juste prix en
droit positif français, thèse Paris II, 1992, p. 317 et s.). Or en aucun de ces pays, l'admission de la
révision pour imprévision n'a, semble-t-il, engendré l'insécurité redoutée (R. David, " L'imprévision
dans les droits européens ", Mélanges Jauffret, 1974, p. 211 et s. ; Les contrats en droit anglais, 2e
éd., no 432, p. 316 ; D. Tallon, " La révision du contrat pour imprévision au regard des enseignements
récents du droit comparé ", Mélanges Sayag, 1997, p. 403). La multiplication des contrats conclus
pour une longue durée, soit que la complexité de la tâche à accomplir appelle d'importants délais
d'exécution, soit encore que l'insécurité grandissante du monde environnant incite à s'assurer par
des accords durables un approvisionnement en matières premières ou en énergie, milite également
en faveur d'une évolution de la jurisprudence (Ghestin et Billiau, Le prix dans les contrats de longue
durée, 1990, nos 127 et s., p. 168 et s.).
Certes, instruits par l'expérience, les cocontractants s'efforcent de parer aux conséquences
désastreuses de l'instabilité économique ou monétaire au moyen de clauses conventionnelles
d'adaptation (R. Fabre, " Les clauses d'adaptation dans les contrats ", RTD civ. 1983. 1 ; M. Fontaine, "
Les contrats internationaux à long terme ", Études Houin, 1985, p. 263 ; Ph. Fouchard, " L'adaptation
des contrats à la conjoncture économique ", Rev. arb. 1979. 67 ; Jarrosson, " Les clauses de
renégociation, de conciliation et de médiation ", in Les principales clauses des contrats conclus entre
les professionnels, 1990, p. 141). Celle-ci peut être automatique : clause monétaire indexant le prix à
payer sur la valeur de tel produit ou de tel service (sur la validité de ces clauses, infra, no 246), clause
du client le plus favorisé qui permet l'alignement des conditions du contrat sur celles plus favorables
qui seraient dans l'avenir consenties à un tiers, clause de l'offre concurrente qui permet à une partie,
en faisant valoir auprès de son partenaire la proposition plus favorable reçue d'un tiers, d'obtenir soit
l'alignement sur celle-ci, soit la suspension ou la résiliation du contrat (Droit et pratique du commerce
international, 1978, p. 186 et s.). Il peut également avoir été convenu de renégocier le contrat au cas
où des données nouvelles se feraient jour. Tel est l'objet de la clause de hardship qui permet à l'une
ou l'autre des parties de demander un " réaménagement du contrat qui les lie si un changement
intervenu dans les données initiales au regard desquelles elles s'étaient engagées vient à modifier
l'équilibre de ce contrat au point de faire subir à l'une d'elles une rigueur ("hardship") injuste " (V. B.
Oppetit, " L'adaptation des contrats internationaux aux changements de circonstances : la clause de
hardship ", JDI 1974. 794 et s. ; V. aussi Droit et pratique du commerce international 1976, p. 7 et s.).
Quant à la clause de force majeure qui a pour objet principal de suspendre l'exécution du contrat en
cas d'impossibilité d'exécution, elle peut également conduire à une renégociation du contrat lorsque
cette situation se prolonge (Ph. Kahn, " Force majeure et contrats internationaux de longue durée ",
JDI 1975. 467 et s. ; V. aussi Droit et pratique du commerce international, 1979. 470 et s.).
Mais on a fait valoir que, plutôt que d'inviter les parties à insérer elles-mêmes dans leur contrat des
clauses destinées à répudier les solutions actuelles de notre droit, il serait préférable de renverser le
principe et d'admettre la révision pour imprévision ? Qu'en est-il, en effet, du bien-fondé d'une règle
supplétive que les particuliers sont encouragés à écarter dans tous les cas (R. David, art. préc.,
Mélanges Jauffret, p. 229) ? À cela, il est aisé de répondre que l'absence de révision pour imprévision
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est préférable en ce qu'elle est une puissante incitation à l'adoption de clauses qui apportent une
réponse sur mesure aux difficultés nées de l'instabilité économique et monétaire.
On est alors en présence d'une règle supplétive qui remplit une fonction répulsive (C. Pérès, La règle
supplétive, thèse Paris I, éd. 2004, no 588, p. 571).
Un moyen terme consisterait, comme le préconisent certains, à mettre à la charge des parties une
obligation de négocier afin d'adapter le contrat au changement des circonstances. Le juge
interviendrait alors simplement afin de vérifier si le refus de négocier ne constitue pas un
manquement à l'exigence de bonne foi susceptible d'être sanctionné sur le terrain de la
responsabilité contractuelle (Y. Picod, " L'exigence de bonne foi dans l'exécution du contrat ", in Le
juge et l'exécution du contrat, 1993, p. 68 et s. ; comp. D. Tallon, art. préc., Mélanges Sayag, p. 414 ;
M.-E. Pancrazi-Tian, La protection judiciaire du lien contractuel, 1996, nos 450 et s., p. 361 ; L. Aynès, "
Le devoir de renégocier ", RJ com. 1999. 11 et s.).
C'est en ce sens que s'oriente l'avant-projet de réforme du droit des obligations (voir art. 1135-2 et
1135-3 ; P. Catala, " La renégociation des contrats ", Mélanges Paul Didier, 2008, p. 91). Encore
faudrait-il pour que le mécanisme soit pleinement efficace que le juge exerce, en la matière, un réel
contrôle. Tel n'est pas le cas, pour l'heure, de celui qui est exercé lorsqu'une clause de hardship est
stipulée, en sorte que l'obligation qui est ainsi contractée se transforme en une obligation purement
potestative (Civ. 1re, 3 oct.2006, D. 2007.765, note D. Mazeaud).
La Cour de cassation pourrait au demeurant découvrir des raisons de modifier sa position et de faire
disparaître l'une des plus célèbres distorsions entre le droit civil et le droit administratif dans
l'infléchissement de la jurisprudence du Conseil d'État. En admettant que le concessionnaire peut,
alors même que la concession a pris fin, faire jouer à son profit la théorie de l'imprévision comme
élément de règlement de la situation définitive (CE 12 mars 1976, AJDA 1976. 528 et 552, concl.
Labetoulle), celui-ci ne fait plus reposer l'admission de la révision pour imprévision sur la seule idée
de continuité du service public, mais aussi sur le droit du contractant à un certain équilibre financier
(Laubadère, Vénézia et Gaudemet, Droit administratif, t. I, 10e éd., no 1076).
6 L'accroissement des pouvoirs du juge, en matière de détermination du prix, qui résulte des arrêts
rendus par l'Assemblée plénière le 1er décembre 1995 (supra, nos 152-155), crée, au reste, un
contexte favorable à une consécration de la révision pour imprévision. Mettant en avant une
obligation de bonne foi réactivée par une conception solidariste des contrats, un courant doctrinal
très actif milite pour l'admission d'une révision judiciaire des contrats dès lors que leur exécution
risque, en raison de leur déséquilibre, d'emporter la ruine d'un des contractants (C. Jamin, " Révision
et intangibilité du contrat ou la double philosophie de l'art. 1134 C. civ. ", Dr. et patr. 1998. 46 ; C.
Thibierge-Guelfucci, Libres propos sur la transformation du contrat, RTD civ. 1997. 380 ; D. Mazeaud,
obs. Defrénois 1999. 373 ; L. Grynbaum, Le contrat contingent, thèse Paris II, 1998 ; L. Fin-Langer,
L'équilibre contractuel, thèse Orléans, 2000. Pour une critique, V. Y. Lequette, " Bilan des solidarismes
contractuels ", Mélanges Paul Didier, 2008, p. 247 et s., sp. p. 272). Certaines décisions récentes ont
pu être comprises comme un premier pas dans cette direction. Dans le fameux arrêt Huard, la Cour
de cassation a, en effet, approuvé la cour de Paris d'avoir considéré qu'en cas de changement de
circonstances exposant un distributeur à une concurrence renforcée, le fournisseur était contraint
par l'exigence de bonne foi de négocier avec celui-ci un accord de coopération commerciale afin de
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lui permettre de s'aligner sur ses concurrents (Com. 3 nov. 1992, JCP 1993. II. 22614, note Virassamy,
CCC 1993, no 45, RTD civ. 1993. 124, obs. Mestre). Et plus récemment, elle a censuré les juges du
fond qui avaient refusé la révision de son contrat à un agent commercial qui se plaignait de la
concurrence à laquelle il se trouvait confronté de la part de centrales d'achat qui se fournissaient
auprès de ses mandants (Com. 24 nov. 1998, Defrénois 1999. 371, obs. D. Mazeaud, RTD civ. 1999.
98, obs. Mestre). Certes, dans l'un et l'autre cas, le problème posé n'était pas, à proprement parler,
celui de l'impré vision, puisque loin d'être dues à des événements fortuits, les situations justifiant
l'aménagement du prix avaient été le fait de l'un des contractants. Il n'en reste pas moins que ces
décisions " ouvrent directement sur une exigence de renégociation du prix " (Molfessis, " Les
exigences relatives au prix en droit des contrats ", LPA, 5 mai 2000, no 90, p. 54, no 29). Quant à
certaines cours d'appel, elles n'ont pas hésité, dans deux décisions remarquées à inviter les parties à
renégocier leur contrat de bonne foi (Paris, 28 sept. 1976, JCP 1976. II. 18810, note J. Robert, Rev.
arb. 1977. 341. et chron. B. Oppetit, p. 315 ; Nancy, 26 sept. 2007, D. 2008. 1120, note. M.
Bouttonnet, JCP 2008. II. 10091, note M. Lemoureux).
Principes du droit européen du contrat (art. 2-117) et principes Unidroit (art. 6-21 à 23) donnent au
juge le pouvoir soit de résoudre soit de modifier le contrat. Mais ils soulignent le caractère
exceptionnel de l'action qui n'est ouverte que si l'exécution est excessivement onéreuse pour l'une
des parties. Les textes insistent sur le premier devoir des parties qui est de parvenir à un accord
amiable. La Convention de Vienne sur la vente internationale de marchandises paraît, en revanche,
exclure la révision pour imprévision (art. 79).
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