A l`ANPE - Raconter la vie

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A l`ANPE - Raconter la vie
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En 1990, j’ai passé le concours de conseiller à l’emploi et j’ai rejoint Pôle Emploi –
qui s’appelait alors l’ANPE. Ce métier me donnait alors le sentiment d’être au cœur
de la vie, de l’essentiel : le vécu des demandeurs d’emploi, bien sûr, mais aussi les
entreprises, centres de formation, décisions politiques nationales ou locales.
Rapidement, j’ai pu être force de proposition et m’engager dans des missions
spécifiques. J’ai ainsi travaillé dans la branche « culture spectacle » une douzaine
d’années, d’abord comme référent pour la région Franche Comté (douze ans
environ), puis trois ans à l’ANPE Spectacle de Paris, rue de Malte.
Au fil du temps, j’ai appris à appréhender les artistes, techniciens et salariés des
maisons de production avec humilité et sincérité, c’est-à-dire sans jugement aucun,
au même titre que les travailleurs du bâtiment, de la santé, des services ou de tout
autre secteur. A l’époque, même si la direction nationale de l’ANPE avait décidé de
prendre en compte ces professionnels « particuliers », les préjugés avaient la peau
dure : « Va t’occuper de tes clowns et tes danseuses et laisse-nous travailler ! » Il
est vrai que mes objectifs étaient décalés par rapport à la vocation première de
l’ANPE (qui reste, je l’espère, celle de Pôle Emploi) : faire disparaître le plus grand
nombre des chômeurs de la liste des inscrits. Par définition, en effet, un
intermittent doit être « chômeur à vie » s’il veut conserver son statut.
Je dois à ce public d’avoir développé mes compétences d’écoute, d’empathie,
d’élaboration de projet – autrement dit d’être devenu un vrai professionnel de
l’emploi. Il faut dire que les professionnels du spectacle sont toujours en recherche,
posent des questions, veulent des réponses… Bref, des rencontres passionnantes et
riches !
Après quinze ans auprès de ce public, j’ai voulu mettre mes compétences au service
d’autres demandeurs d’emploi. A ma demande, j’ai donc été détaché sur de
nouvelles missions, d’abord auprès du Conseil Général du Doubs pour accompagner
des bénéficiaires des « minima sociaux », puis sur un partenariat entre Pôle Emploi
et l’Afpa (Association nationale pour la formation professionnelle des adultes).
Durant deux années et demi, j’ai eu le luxe de proposer un suivi, ou plutôt un
accompagnement, à échelle humaine : 70 personnes adhérentes, prises en compte
sur une durée de douze mois, avec la possibilité d’un entretien d’une heure chaque
semaine. Nos obligations consistaient à travailler le projet avec chacune de ces
personnes : reprise d’emploi, formation qualifiante ou création d’entreprise.
Les résultats de cette « plateforme de transition et mobilité professionnelle » ont
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été prodigieux (je pèse mes mots). Au bout de six mois au maximum, les personnes
quittaient ce dispositif prévu pour un an, ce qui nous a permis de suivre 140
personnes par an au lieu de 70. Notre travail était fructueux et reconnu : atteinte
du taux de réussite de 70 % exigé par le cahier des charges, obtention du
financement du Fonds Social Européen, repérage par la Direction générale de
l’Emploi et de la Formation Professionnelle, au ministère, comme l’un des cinq
meilleurs dispositifs de France, louanges de la DIRECCTE (direction du travail) de
Franche Comté, appui aux agences Pôle Emploi de Besançon, pour prendre en
charge des effectifs que les collègues en agence n’étaient plus à même d’assumer.
Pendant deux ans et demi, nous avons fait un travail de valorisation des personnes,
et aidé à faire émerger de réelles compétences, enfouies en elles jusqu’alors. Pour
moi, cette période a été une expérience de vie très positive, et même extrêmement
forte. On peut appeler cela du professionnalisme mais c’est surtout une façon d’être
tout bonnement humaine, dans la vraie écoute et le profond respect. Cette fameuse
dimension humaine, tellement espérée par les usagers (je me refuse toujours à dire
« clients »), et tellement absente de tous les dispositifs publics ou privés.
Il se trouve qu’un nouveau directeur régional de Pôle Emploi est arrivé. Cette
personne, qui ne travaille que sur dossiers, a décidé de mettre fin du jour au
lendemain à notre fameuse plateforme. Avec une exigence simple : l’obligation pour
chaque conseiller (5 en Franche Comté) de réintégrer son agence Pôle Emploi. Je
n’ai même pas été informé de cette décision par le nouveau directeur en question
mais par mon supérieur hiérarchique. Humblement, j’ai demandé à rencontrer le
directeur ne serait-ce qu’un quart d’heure, et je lui ai transmis les bilans éloquents
des années 2011 et 2012. Aucun de mes 5 mails n’a eu de réponse. Parfois, il me
semble que l’égo a bien des odeurs d’égouts... Je respecte profondément le
professionnalisme (gâché par la direction) de mes collègues en agence mais je
considère que la gestion « taylorisée » des demandeurs d’emploi est totalement
incompatible avec l’identité spécifique de chaque personne, avec pour résultat un
travail « ni fait ni à faire ». Et que tout cela procède du mépris pour le genre
humain.
Ne voulant pas réintégrer mon agence Pôle Emploi, j’ai sorti ma dernière carte. A 61
ans, j’ai demandé mon départ à la retraite.
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