actualités – emploi et travail
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ACTUALITÉS – EMPLOI ET TRAVAIL MARS 2004 Employés démissionnaires : Clause de non-concurrence Prima Facie valide? À l’heure où plusieurs entreprises se livrent une concurrence extrêmement féroce, il n’est pas rare qu’un employeur perde quelques-uns de ses meilleurs atouts aux mains d’un de ses principaux adversaires commerciaux. Afin de court-circuiter les contre-coups de cette concurrence soudaine et imprévue, l’exemployeur tente parfois d’obtenir une ordonnance d’injonction provisoire ou de sauvegarde visant à limiter (voire interdire) pendant un certain temps la concurrence « déloyale » que lui mène ces employés démissionnaires. Une telle demande de l’ex-employeur est généralement basée sur les obligations légales de loyauté et de confidentialité codifié es à l’article 2088 du Code civil du Québec1 (« C.c.Q. ») et, lorsque applicable, sur des engagements contractuels de confidentialité, de discrétion, de non-sollicitation et de non-concurrence. Un engagement de non-concurrence permet en principe d’interdire ou circonscrire la concurrence d’un ex-employé pendant un certain temps. Pour produire les effets recherchés, cet engagement devra par ailleurs respecter les paramètres légaux énoncés aux articles 2089 et 2095 C.c.Q. MONTRÉAL TORONTO OTTAWA CALGARY VANCOUVER Ces articles prévoient essentiellement qu’une clause de non-concurrence doit être limitée quant au temps, au lieu et au genre de travail - à ce qui est nécessaire pour protéger les intérêts légitimes de l’employeur. Il incombe à l’employeur de prouver qu’une telle clause est valide. Par ailleurs, un employeur ne peut se prévaloir d’une clause de non-concurrence s’il a lui-même résilié le contrat sans motif sérieux ou s’il a autrement donné au salarié un tel motif de résiliation. En pratique, l’efficacité d’une procédure en injonction en cours d’instance dépend essentiellement de la disposition du tribunal à octroyer une mesure provisoire de façon urgente visant à protéger les droits de l’ex-employeur. Or, il n’est pas rare que les tribunaux soient hésitants à le faire même lorsque les exigences des articles 2089 et 2095 C.c.Q. semblent avoir été rencontrées. NEW YORK 1 LONDRES Art. 2088. Le salarié, outre qu’il est tenu d’exécuter son travail avec prudence et diligence, doit agir avec loyauté et ne pas faire usage de l’information à caractère confidentiel qu’il obtient dans l’exécution ou à l’occasion de son travail. HONG KONG Ces obligations survivent pendant un délai raisonnable après cessation du contrat, et survivent en tout temps lorsque l’information réfère à la réputation et la vie privée d’autrui. SYDNEY www.stikeman.com Stikeman Elliott S.E.N.C.R.L., s.r.l. Ubi Soft Divertissements Inc. c. Electronic Arts (Canada) Inc. La récente décision de la Cour d’appel du Québec dans Ubi Soft Divertissements Inc. c. Electronic Arts (Canada) Inc. et al.2 vise précisément une situation de concurrence directe d’ex-employés-clés liés par un engagement de non-concurrence envers leur ex-employeur. Dans cette décision, la Cour d’appel siégeait en révision d’une décision rendue par la Cour supérieure le 9 septembre dernier, refusant d’émettre l’ordonnance de sauvegarde demandée à l’encontre des employés démissionnaires et de leur nouvel employeur. La Cour d’appel a d’abord reconnu que le juge de la Cour supérieure saisit d’une demande d’ordonnance de sauvegarde possède une large discrétion. En cette matière, la Cour d’appel n’interviendra que dans des circonstances exceptionnelles, en cas d’abus, de déni de justice ou encore lorsque la décision de première instance est fondée sur des considérations erronées en droit. Quelles sont donc les circonstances qui ont justifié la Cour d’appel d’intervenir et de casser le jugement de la Cour supérieure en l’instance? n Les faits Ubi Soft et Electronic Arts se livrent une concurrence de tous les instants dans le domaine des jeux vidéos interactifs. Entre le 4 et le 24 juillet 2003, cinq (5) des employés-clés d’Ubi Soft ont tous démissionné de leur emploi pour être embauchés par Electronic Arts dont les dirigeants annonçaient, quelques semaines plus tard, l’ouverture d’un établissement à Montréal. Les cinq (5) employés-clés en question ont participé à la création du jeu vidéo « Tom Clancy: Splinter Cell » qui connut un succès commercial remarquable à travers le monde. Ce jeu vidéo amena une notoriété mondiale à Ubi Soft ainsi qu’aux cinq (5) employés-clés dorénavant connus comme étant les « Splinter Guys ». C’est dans ce contexte qu’Electronic Arts se lança dans une campagne de recrutement agressive et ciblée visant les « Splinter Guys ». Quatre (4) de ces cinq (5) employés-clés étaient liés à Ubi Soft par un contrat de travail comportant une clause de non-concurrence et une clause de confidentialité. Les termes de la clause de non-concurrence en question se lisent comme suit : « Non-concurrence Conscient(e) de la nature de la mission qui lui est confiée, et notamment de la connaissance des forces et des faiblesses de la Société ainsi que de sa politique de marketing que l’exécution du présent contrat lui aura permis de connaître, […] s’interdit, à compter de la cassation du présent contrat, quels qu’en soient l’auteur et la cause, de travailler directement ou indirectement, pour son compte ou pour celui d’un tiers, dans toute entreprise fabriquant ou commercialisant des produits vidéo susceptibles de concurrencer ceux vendus, fabriqués ou développés par la Société ou pour son compte, et ce pendant une durée d’un (1) an sur l’ensemble des territoires du Canada, des Etats-Unis et du Mexique. » (nos soulignés) Une clause de dommages liquidés était également contenue au contrat de travail de ces employés et prévoyait une indemnité compensatoire de six (6) mois de salaire pour tout défaut de se conformer à ces engagements contractuels. 2 2 REJB 2003-48437 (C.A.Q.) STIKEMAN ELLIOTT S.E.N.C.R.L., s.r.l. ACTUALITÉS - EMPLOI ET TRAVAIL - MARS 2004 Le 29 août 2003, un juge de la Cour supérieure du Québec émettait une ordonnance d’injonction provisoire, pour valoir jusqu’au 8 septembre 2003, à l’encontre des cinq (5) employés démissionnaires et de Electronic Arts. Le 9 septembre 2003, alors que les parties se présentaient de nouveau devant la Cour supérieure afin de prolonger cette ordonnance par voie de sauvegarde, plusieurs affidavits contenant de nouveaux éléments de preuve avaient été ajoutés au dossier de la Cour. Le juge de la Cour supérieure saisit du dossier le 9 septembre 2003 a refusé d’émettre l’ordonnance de sauvegarde en énonçant que selon lu i, son collègue saisit de l’affaire le 29 août 2003 n’aurait peut-être pas rendu la même décision s’il avait connu la preuve nouvelle dénoncée dans les affidavits supplémentaires. L’affaire fut portée en appel. L’ordonnance d’injonction recherchée par Ubi Soft visait deux volets principaux : la confidentialité des renseignements obtenus chez Ubi Soft et la non-concurrence. Les cinq (5) employés démissionnaires ont reconnu d’emblée le droit d’Ubi Soft au secret des renseignements confidentiels auxquels ils ont pu avoir accès pendant la durée de leur emploi et ne s’opposaient d’ailleurs pas à ce qu’une ordonnance de sauvegarde soit émise afin d’assurer la confidentialité de ces renseignements. La Cour d’appel a donc rendu une ordonnance de sauvegarde quant à la protection desdits renseignements confidentiels. Le véritable débat concernait la clause de non-concurrence. Au soutien de sa décision, la Cour d’appel a d’abord réitéré le principe voulant qu’il n’appartient pas au juge saisit d’une ordonnance de sauvegarde de se prononcer sur le fond du litige. Ce juge doit plutôt vérifier si la partie qui demande le respect d’un engagement de non-concurrence a une apparence de droit suffisante . La Cour d’appel réitère également le principe voulant que le juge saisit d’une demande d’injonction provisoire ou de sauvegarde doit se contenter de vérifier la validité prima facie d’une clause de non-concurrence quant à sa durée, au territoire visé et aux activités concernées. Une clause de non-concurrence devrait donc s’appliquer dans toute sa rigueur pendant l’instance à moins qu’à sa face même, ladite clause de non-concurrence soit clairement déraisonnable. Dans ce cas ci, la clause précitée interdisait aux employés-clés d’Ubi Soft de travailler en Amérique du Nord pour une entreprise concurrente à la sienne pendant une durée d’un (1) an suivant la fin de leur emploi. Sans se prononcer sur la validité d’une telle clause, la Cour d’appel décida néanmoins qu’elle n’était pas prima facie déraisonnable . Le fondement de la décision de la Cour d’appel réside à notre avis dans le passage suivant : « Dans un monde où la signature d’un contrat veut dire quelque chose, la Cour ne peut fermer les yeux sur une situation où une partie paraît transgressée délibérément et indifféremment à ses engagements contractuels. » À la lumière de cette prémisse et considérant qu’il y avait urgence et qu’il existait une possibilité sérieuse qu’il se produise un état de fait ou de droit auquel le jugement final ne pourrait remédier si les ex-employés-clés d’Ubi Soft devaient continuer à travailler pour Electronic Arts jusqu’à ce que l’affaire soit entendue au mérite en Cour supérieure (possiblement pas avant janvier ou février 2004), la Cour d’appel a donc cassé le jugement rendu par la Cour supérieure le 9 septembre 2003. La Cour d’appel a de fait ordonné aux quatre (4) employés visés par la clause de nonconcurrence de respecter les termes prévus à celle -ci durant l’instance et ce, plus précisément de la façon suivante : ACTUALITÉS - EMPLOI ET TRAVAIL - MARS 2004 STIKEMAN ELLIOTT S.E.N.C.R.L. s.r.l. 3 Groupe Emploi et travail de notre bureau de Montréal « Émet une ordonnance de sauvegarde, pour valoir jusqu’à ce qu’il soit statué par la Cour supérieure sur la demande d’injonction permanente : (…) Jean-François Beaumier [email protected] Jean-Pierre Belhumeur [email protected] Patrick L. Benaroche [email protected] Mireille Bergeron [email protected] Hélène Bussières hbussiè[email protected] Maude Choko [email protected] Patrick Essiminy [email protected] Jean-Marc Fortin [email protected] Nancy Ménard-Cheng [email protected] Antonietta Marro [email protected] Eveline Poirier [email protected] ÉDITEUR Jean-Marc Fortin [email protected] (514) 397-3320 2. enjoignant aux intimés (nom des salariés visés) de ne pas travailler directement ou indirectement, pour leur compte ou pour celui d’un tiers, dans toute entreprise, y compris l’intimée Electronic Arts, fabriquant ou commercialisant des produits vidéo susceptibles de concurrencer ceux vendus, fabriqués ou développés par Ubi Soft ou pour son compte, et ce pendant un an à compter de la cessation de leur emploi pour Ubi Soft, sur l’ensemble des territoires du Canada, des Etats-Unis et du Mexique. » (nos soulignés) Conclusion Il sera intéressant de voir si cette récente décision de la Cour d’appel du Québec aura des répercussions palpables sur les jugements rendus en chambre de pratique dans les différentes Cours supérieures de la province de Québec. Puisqu’en pratique plusieurs mois sont souvent nécessaires afin d’obtenir une audience sur une demande en injonction interlocutoire ou permanente, l’enjeu réel se situe souvent au stade d’une demande d’ordonnance d’injonction provisoire ou de sauvegarde par laquelle la Cour supérieure est amenée à se prononcer sur la demande de l’ex-employeur le jour même ou dans les quelques jours suivant la signification de la procédure en injonction aux employés démissionnaires et à leur nouvel employeur. Une certaine jurisprudence québécoise milite en faveur du principe voulant qu’une clause de non-concurrence dûment conclue entre l’employeur et l’un de ses employés devrait être considérée comme étant prima facie valide à ce stade des procédures, à moins qu’à sa face même, ladite clause ait un caractère clairement déraisonnable quant à sa durée, au territoire visé et aux activités concernées (2089 C.c.Q.). Par ailleurs, certains jugements récents rendus au stade de la demande d’injonction provisoire ou de sauvegarde refusent à l’ex-employeur le droit d’obtenir l’application de la clause de non-concurrence dans toute sa rigueur pendant la durée de l’instance, se limitant par ailleurs à protéger les droits de l’ex-employeur en matière d’utilisation d’information à caractère confidentiel pendant l’instance (2088 C.c.Q.). Or, sous réserves d’une disposition législative dite d’ordre public à laquelle les parties ne peuvent déroger contractuellement, l’ex-employeur n’est-il pas bien fondé d’exiger, pendant l’instance du moins, le respect du principe voulant qu’un engagement contractuel dûment conclu et prima facie valide soit généralement considéré comme étant la loi des parties? C’est du moins ce que semble laisser sous-entendre la Cour d’appel dans cet arrêt. Nous sommes d’avis que la décision de la Cour d’appel du Québec arrive à point et permettra, souhaitons-le, de remettre les pendules à l’heure en matière de demandes d’injonction provisoire ou d’ordonnance de sauvegarde. Ce bulletin est préparé par le groupe Emploi et Travail du bureau de Montréal de Stikeman Elliott S.E.N.C.R.L., s.r.l. Pour toute question additionnelle quant à ce bulletin, n’hésitez pas à communiquer avec Jean-Marc Fortin au (514) 397-3320 ou avec Patrick L. Benaroche au (514) 397-3006 ou à l’adresse de courriel [email protected] ou [email protected]. Ce bulletin ne vise qu'à fournir des renseignements généraux et ne dois pas être considéré comme un avis juridique. © Stikeman Elliott S.E.N.C.R.L., s.r.l.