Quand initier les bétabloquants en phase aiguë d`un SCA - AP-HM

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Quand initier les bétabloquants en phase aiguë d`un SCA - AP-HM
Quand initier les bétabloquants en phase aiguë d’un SCA ?
Auteurs : Guillaume Schurtz, Gilles Lemesle
Hôpital Cardiologique, Service USIC et Centre Hémodynamique, CHRU LILLE
Correspondance :
Gilles Lemesle
Service USIC et Centre Hémodynamique
Hôpital Cardiologique
Bd du Pr J Leclercq
59037 LILLE CEDEX
Tél : 03 20 44 53 01
Fax : 03 20 44 48 98
Email : [email protected]
Des progrès considérables ont été effectués ces trente dernières années dans le
traitement de l’infarctus du myocarde (IDM). Les bétabloquants ont été les premiers
à démontrer une réduction de la mortalité, les amenant aujourd’hui au plus haut
grade des recommandations dans la prise en charge de l’IDM notamment en cas de
dysfonction ventriculaire gauche.1
L’une des hypothèses dans les années 80 pour initier les bétabloquants très
précocement à la phase aigue était de pouvoir – d’une part réduire la taille de l’IDM
(à une époque où la reperfusion en urgence était loin d’être la règle pour tous) – et
d’autre part de diminuer le risque de troubles du rythme ventriculaires graves. Par
ailleurs, le rôle délétère d’une fréquence cardiaque élevée au moment de la prise en
charge initiale pour un IDM est aujourd’hui clairement démontré amenant là aussi
quelques arguments pour une introduction très rapide de ce traitement.
Néanmoins, l’introduction très rapide (2 premières heures) et par voie intraveineuse
des bétabloquants en phase aigue d’IDM n’est clairement pas dénuée de risque. En
effet, ce type de stratégie expose notamment au risque de voir survenir une
insuffisance cardiaque congestive ou même un choc cardiogénique y compris chez
des patients semblant initialement cliniquement stables. Il faut également noter
qu’une fréquence cardiaque élevée à l’arrivée témoigne le plus souvent d’une
certaine instabilité du patient avec un besoin de compenser la dysfonction
ventriculaire gauche par une tachycardie : réduire la fréquence cardiaque ne doit
donc pas être un objectif en soi lors des premières heures.
Nous proposons de revoir ici rapidement les données disponibles sur l’introduction
des bétabloquants à la phase aigue d’un IDM.
Quelques essais randomisés ont étudié l’intérêt du traitement bétabloquant en phase
aigue d’IDM.2-6 Il est intéressant de noter que la plupart de ces essais traitant de
l’efficacité du traitement bétabloquant dans ce type de situation ont été réalisés avant
l’ère des thérapies de reperfusion (notamment l’angioplastie primaire) et de
l’utilisation majeure des antiagrégants plaquettaires, des statines ou encore des
inhibiteurs du système rénine – angiotensine. Par ailleurs, parmi ces 5 études, une
seule avait un design permettant d’analyser réellement l’impact d’une introduction
précoce et intraveineuse des bétabloquants. En effet, toutes les autres études ont
randomisé les patients en un groupe bétabloquant (incluant une introduction précoce
du traitement) et un groupe placebo pour une durée allant de 7 jours à 3 mois. Les
patients inclus dans le groupe placebo ne recevaient aucun bétabloquant pendant
toute la période de suivi. Ces études ne permettaient donc pas d’analyser avec
précision l’introduction des bétabloquants sur les 24 premières heures.
Pour résumé, les données sont contradictoires mais ces études n’ont clairement pas
retrouvé de bénéfice sur la mortalité à une introduction très précoce des
bétabloquants. L’efficacité du traitement était principalement lié à la réduction des
évènements rythmiques mais au prix d’un sur-risque de choc cardiogénique contre
carrant complètement le bénéfice. Cet élément est d’ailleurs parfaitement retrouvé
dans le plus grand essai randomisé réalisé sur le sujet : l’étude COMMIT.6 Au total,
45852 patients présentant un IDM ont été inclus : 22 923 patients dans le groupe
placebo, 22929 patients dans le groupe métoprolol 15mg IV puis 200mg/j pendant 15
jours. On observait une réduction de 15 à 20% du risque de récidive d’IDM et de
fibrillation ventriculaire dans le groupe traité par métoprolol au cours du suivi.
Cependant, ce bénéfice du traitement bétabloquant était complètement atténué par
un nombre significativement plus élevé de patients développant un état de choc
cardiogénique secondaire à l’administration de métoprolol rendant l’effet sur la
mortalité toute cause complètement nul (Figure 1).
Aucune étude de grande envergure n’a été réalisée depuis COMMIT, notamment
depuis l’avènement de l’angioplastie primaire et des nouvelles thérapies
antiagrégantes et anticoagulantes.
En conclusion, si le bénéfice du traitement bétabloquant est très clair à moyen et
long terme en post IDM, son emploi en phase aigue (pré-hospitalier et 2 premières
heures) n’est pas dénué de risque, notamment chez des patients potentiellement
graves. Les bétabloquants peuvent bien sur être introduit très précocement chez les
patients parfaitement stables et ne présentant aucun signe clinique d’hypotension ou
d’insuffisance cardiaque mais doivent, dans la grande majorité des cas, être différés
afin de permettre une évaluation précise de l’état hémodynamique. Leur place en
pré-hospitalier est ainsi quasi inexistante au regard du rapport bénéfice/risque. La
voie intraveineuse doit par ailleurs rester exceptionnelle et être réservée à quelques
situations bien particulières. Les recommandations européennes suggèrent qu’il est
plus sage d’envisager leur introduction dans les 12 à 24 premières heures mais
après revascularisation coronaire, évaluation clinique et échocardiographique
rigoureuse afin d’initier le traitement en toute sécurité et pouvoir adapter la posologie
de départ à chaque patient.
Références :
1. Steg, G. et al. ESC Guidelines for the management of acute myocardial
infarction in patients presenting with ST-segment elevation. Eur. Heart J. (2012)
2. Hjalmarson, A. et al. The Göteborg metoprolol trial. Effects on mortality and
morbidity in acute myocardial infarction. Circulation 67, 26-32 (1983)
3. Metoprolol in acute myocardial infarction (MIAMI). A randomised placebocontrolled international trial. The MIAMI Trial Research Group. Eur. Heart J. 3, 199226 (1985)
4. Randomised trial of intravenous atenolol among 16 027 cases of suspected acute
myocardial infarction : ISIS-1. First International Study of Infarct Survival
Collaborative Group. Lancet 2, 57-66 (1986)
5. Comparison of invasive and conservative strategies after treatment with
intravenous tissue plasminogen activator in acute myocardial infarction. Results of
the thrombolysis in myocardial infarction (TIMI) phase II trial. The TIMI Study Group.
N. Engl. J. Med 10, 618-27 (1989)
6. Chen, ZM. et al. Early intravenous then oral metoprolol in 45 852 patients with
acute myocardial infarction: randomised placebo- controlled trial ; COMMIT
(ClOpidogrel and Metoprolol in Myocardial Infarction Trial) collaborative group.
Lancet 366, 1622-32
Figure 1 : Résultats de l’étude COMMIT sur la mortalité toute cause.
Figure 2 : Résultats de l’étude COMMIT en fonction de la cause du décès.