Dossier pédagogique

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Dossier pédagogique
EXPOSITION
« Les mauvais perdants de la science »
Dossier pédagogique
Réalisation : Julien Destatte sous la direction du Professeur Robert Halleux
Dossier pédagogique complémentaire à l'exposition sur les
"Mauvais perdants de la Science"
Préambule
Ce dossier pédagogique a pour ambition de donner quelques pistes aux professeurs qui iront
voir l'exposition "Les mauvais perdants de la Science" pour un prolongement et d'éventuels
débats en classe. Pour chaque thème, en plus d'une reproduction des panneaux tels qu'ils ont
pu les voir à l'exposition, plusieurs extraits significatifs de documents-sources d'auteurs clés
sont ainsi rassemblés. En outre, quelques pistes bibliographiques sont ajoutées.
Pour toutes questions spécifiques pour le développement d'aspects pédagogiques ou
scientifiques des thèmes présenté à l'exposition, les professeurs peuvent contacter le Centre
d'Histoire des Sciences et Techniques de l'Université de Liège, auteur du présent document
([email protected]).
Réalisation du dossier : Julien Destatte sous la direction du professeur Robert Halleux.
Centre d'Histoire des Sciences et des Techniques de l'Université de Liège
Dossier pédagogique dans le cadre de l'exposition "Les mauvais perdants de la Science"
1
Les mauvais perdants de la science
1.
On dit que la science avance. Mais il arrive aussi qu’elle
recule, qu’elle se trompe, qu’elle devienne folle et perverse.
C’est qu’elle est faite par des hommes et pour des hommes,
qui peuvent être victimes ou complices d’idéologies ou de
systèmes politiques.
La science fonctionne par controverses et par débats, où il y
a nécessairement des gagnants et des perdants. Parmi les
perdants, certains s’inclinent devant l’évidence. D’autres,
accrochés à une idéologie, n’hésitent pas à recourir à la
force pour défendre des idées périmées.
Jusqu’au XIXe siècle, l’Eglise catholique et orthodoxe a
refusé les idées de Galilée et poursuivi ses défenseurs.
Lorsqu’elle l’a réhabilité au XXe siècle, c’était pour lui
imputer la responsabilité de son procès.
Les créationnistes catholiques, protestants, orthodoxes et
musulmans refusent aujourd’hui encore le darwinisme et
l’évolution pour maintenir une vision statique du monde et
de la société.
Lionello Spada,
Saint Dominique brûlant des livres hérétiques.
(Bologne, XVIIe s.), coll. CHST.
Lyssenko, le biologiste favori de Staline, a nié la génétique
au nom du marxisme et envoyé en Sibérie la brillante école
soviétique de généticiens.
L’Allemagne nazie a chassé de la physique les éléments juifs
- la relativité et les quanta -, elle a mené au crime une biologie eugéniste ; elle a entièrement réécrit la préhistoire.
Quatre cas dramatiques démontrent ainsi par l’absurde
que l’esprit critique et la méthode scientifique sont notre
meilleure arme contre tous les totalitarismes et tous les
intégrismes, et que « science sans conscience n’est que
ruine de l’âme ».
Une exposition conçue et réalisée par le Centre d’Histoire
des Sciences et des Techniques de l’Université de Liège.
Coordination : Professeur Robert Halleux, avec l’assistance
de Geneviève Xhayet et Julien Destatte.
« Beaucoup d'entre eux, qui s'étaient adonnés à la curiosité,
rassemblèrent des livres et les brûlèrent en public ».
(Actes des Apôtres, XIX, V, 19.) Page de titre de l'index
des livres prohibés, 1758, coll. CHST.
Conception graphique : Thierry Mozdziej.
Les organisateurs remercient : le Service public de Wallonie,
la DGO6, les Bibliothèques de l’Université de Liège,
le CARCOB, les Archives de l'Evêché de Liège.
Les SA brûlent les livres juifs. Berlin 1933,
coll. CHST.
Première Partie :
Galilée, éternel hérétique
Les ennemis de Galilée jusqu'au XXe siècle
Justus Sustermons, portrait de Galilée, vers 1637.
Florence, Uffizi, cliché CHST.
3
Non, Galilée,
la terre ne DOIT pas tourner
2.
Pendant quinze siècles, les Européens ont cru la Terre
immobile au centre du monde, avec les planètes, dont le
Soleil, tournant autour d’elle. C’est le système de Ptolémée
(IIe s.). Il convenait bien à la philosophie d’Aristote,
qui structurait les universités, et à l’Eglise catholique, qui
privilégiait la lecture littérale des Ecritures Saintes (Josué
arrêtant le Soleil).
En 1543, le chanoine polonais Nicolas Copernic publia son
traité Des révolutions des orbes célestes qui met le Soleil au
centre du Monde. Une préface astucieuse présentait
l’ouvrage comme un simple modèle pour les calculs.
On eut soixante ans de paix.
A mesure que les Coperniciens accumulaient les
arguments, l’Eglise préparait la contre-attaque. En 1616,
le système de Copernic est déclaré faux et contraire à
l’Ecriture et son livre est mis à l’Index des livres défendus.
En 1632, Galilée, professeur à Padoue, publie le Dialogo
« Dialogue sur les deux principaux systèmes du monde »,
où il défend avec une ironie mordante le système de
Copernic. Traîné devant l’Inquisition, menacé de torture,
Galilée abjure le 22 juin 1633 et est condamné à la
résidence surveillée.
Lunette de Galilée. Florence Istituto e Museo di Storia
della Scienza, cliché CHST.
Les hommes qui ont condamné Galilée n’étaient ni incompétents, ni malhonnêtes. Ils devaient défendre la tradition,
l’Eglise et l’Université. En face d’eux, un marginal audacieux,
des idées pleines de promesses, mais peu étayées de
preuves.
Frontispice et page de titre du Dialogo, coll. Ulg, cliché CHST.
Justus Sustermons, portrait de Galilée, vers 1637.
Florence, Uffizi, cliché CHST.
4
Deux siècles
sous une chape de plomb
3.
Dès la condamnation de Galilée, le nonce (ambassadeur du
Vatican) de Bruxelles écrivit aux universités de Louvain et
de Douai. Le nonce de Cologne et de Liège fit imprimer un
placard daté du 20 septembre 1633. Dans les Pays-Bas du
Sud, les études astronomiques furent paralysées. Godefroid
Wendelen, curé de Herck-la-Ville et ami de Kepler, nota ses
découvertes en langage codé. René-François de Sluse,
quoique premier ministre de la principauté, n’osait pas
s’affirmer copernicien.
En 1691, un professeur de Louvain, Martin Van Velden,
développa une thèse favorable à Copernic. Menacé de
révocation, il dut se soumettre au terme d’un long procès.
Notification de la condamnation de Galilée
dans les Pays-Bas.
Archives vaticanes, cliché CHST.
Jusqu’à la Révolution, les élèves de l’Université de Louvain
et du Grand Séminaire de Liège durent apprendre le
système de Tycho Brahé (le Soleil tourne autour de la Terre,
les Planètes autour du Soleil).
Parallèlement, la France et les pays protestants, où
l’Inquisition n’avait aucun pouvoir, connaissaient un
développement prodigieux de l’astronomie.
En 1765, l’astronome Jérôme de Lalande se trouvant à
Rome demanda que l’on retranche de l’index le livre de
Galilée. Il essuya un refus. En 1820, le Père Anfossi, maître
du Sacré Palais refusa de publier le tome II des Eléments
d’optique et d’astronomie de l’astronome Joseph Settele,
professeur à l’Archigymnase romain.
Portrait de René-François de Sluse (1622-1685).
Musée de Visé.
C’est seulement en 1822 que le cardinal inquisiteur général
autorisa l’impression et la publication des œuvres traitant
du mouvement de la Terre et l’immobilité du Soleil « selon
l’opinion commune des astronomes modernes ». Les titres
des livres de Copernic, de Kepler et de Galilée disparurent
de l’index des livres prohibés en 1835.
Le Dialogo à l'index des livres prohibés, 1758,
coll. CHST.
Eclipse de soleil selon le système de Tycho Braché.
Cours de l'Université de Louvain, XVIIIe s.
B Ulg, manuscrits, cliché CHST.
5
Ah, si elle ne tournait pas...
4.
Au XIXe siècle, les savants catholiques étaient coincés entre
les progrès spectaculaires de la science et le rigorisme doctrinal de l’Eglise, renforcé par le dogme de l’infaillibilité pontificale proclamé en 1870. Le pape Léon XIII, dans son encyclique Providentissimus deus, affirmait « le vrai ne peut
contredire le vrai » et appelait à un dialogue entre foi et
science. Ce fut un dialogue de sourds.
En 1877, le Jésuite Ignace Carbonnelle (1829-1899) fondait
la Société Scientifique de Bruxelles qui publiait des Annales,
puis en 1877 la célèbre Revue des questions scientifiques. Il y
est souvent question de Galilée. Le professeur Dominique
Lambert (FUNDP) a bien montré :
- sous l’angle astronomique, la revue est superficiellement
copernicienne, tout en affirmant que la physique et
l’astronomie ne peuvent rien nous dire sur le mouvement
réel de la terre. C’est l’interprétation nominaliste de Duhem,
relayée par Philippe Gilbert, professeur à Louvain, Paul
Mansion, professeur à Gand et Constantin le Paige, recteur
à Liège ;
- sous l’angle historique : elle disculpe le pape (infaillible
donc pas impliqué), met en cause les fonctionnaires trop
zélés, le mauvais caractère de Galilée, la faiblesse de ses arguments, loue la prudence de l’Eglise.
Sur le procès Van Velden, Georges Monchamp (1856-1907),
vicaire général de Liège (1898), polémique avec Armand
Stevart, professeur à l’Université de Liège, et présente le
procès comme une simple question de discipline universitaire.
Les pièces de la controverse,
Bibliothèque CHST.
6
Des excuses tardives et hypocrites
5.
En 1979, à l’occasion du centenaire de la naissance
d’Einstein, Jean-Paul II demanda que des savants et des historiens reprennent l’examen du cas Galilée en vue d’établir
avec objectivité les faits et les torts de chaque partie. Une
commission constituée à cet effet en 1980 par le secrétariat
pontifical pour les non-croyants publie en 1984 une documentation complète.
En 1989, devant l’Université de Pise, ville natale de Galilée,
Jean-Paul II déclare « Son oeuvre scientifique présentée à
l’origine est à présent reconnue comme une étape essentielle de la méthodologie de la recherche et en général sur
le chemin de la connaissance du monde de la nature ».
Portrait du Pape Jean Paul II.
Mais le 31 octobre 1992, devant l’Académie pontificale des
Sciences, il renvoie dos à dos accusateurs et accusé en se
fondant sur deux arguments.
L’argument épistémologique : « D’abord, comme la plupart
de ses adversaires, Galilée ne fait pas de distinction entre ce
qu’est l’approche scientifique des phénomènes naturels et
la réflexion sur la nature, d’ordre philosophique, qu’elle appelle généralement. C’est pourquoi il a refusé la suggestion
qui lui était faite de présenter comme une hypothèse le système de Copernic, tant qu’il n’était pas confirmé par des
preuves irréfutables. C’était pourtant là une exigence de la
méthode expérimentale dont il fut le génial initiateur ».
L’argument pastoral : « En vertu de sa mission propre,
l’Eglise a le devoir d’être attentive aux incidences pastorales
de sa parole. Qu’il soit clair, avant tout, que cette parole doit
correspondre à la vérité. Mais il s’agit de savoir comment
prendre en considération une donnée scientifique nouvelle
quand elle semble contredire des vérités de foi. Le jugement pastoral que demandait la théorie copernicienne était
difficile à porter dans la mesure où le géocentrisme semblait faire partie de l’enseignement lui-même de l’Ecriture. Il
aurait fallu tout ensemble vaincre des habitudes de pensée
et inventer une pédagogie capable d’éclairer le peuple de
Dieu. Disons, d’une manière générale, que le pasteur doit se
montrer prêt à une authentique audace, évitant le double
écueil de l’attitude timorée et du jugement précipité, qui
l’un et l’autre peuvent faire beaucoup de mal ».
Robert Fleury : Galilée devant l'Inquisition,
Musée du Louvre, cliché CHST.
La pseudo réhabilitation de Galilée en 1992.
7
Première partie
Galileo Galilei, modeste mathématicien et astronome italien du XVIe, va être à l'origine d'une
longue controverse qui ébranlera l'Église dans son rapport avec la Science. Dans le cadre de
l'exposition, nous nous sommes attardés à la réception de l'affaire Galilée dans nos régions à
l'époque, mais aussi à la façon dont l'Église tardera à reconnaître ses fautes dans ce procès et
fera preuve de mauvaise foi, imputant la responsabilité de son procès à l'attitude de Galilée,
au contexte ou aux péripatéticiens et niant son rôle dans l'occultation de la Science.
Deux documents sont ici proposés pour être vus avec les élèves en complément de
l'exposition.
Le premier, assez célèbre, est l'acte d'abjuration qu'a dû prononcer Galilée. Le second est un
texte de la fin du XIXe siècle d'un érudit catholique, Philippe Gilbert, qui illustre la façon
dont l'affaire Galilée est perçue et justifiée dans certains milieux intellectuels catholique à
cette époque.
Quelques pistes bibliographiques pour aller plus loin :
AUBERT (R.), Galilei, dans, AUBERT (R.) dir., Dictionnaire d'histoire et de géographie
ecclésiastiques, t.19, Paris, 1981.
DUROSELLE (J.-B.) et JARRY (E.), Histoire de l'Église depuis les origines jusqu'à nos jours, t. 18,
Tournai, 1960.
GRANEY (C.M.), The telescope against copernicus : star observations by riccioli supporting a
geocentric universe, Journal of the history of astronomy, t. 41, 2010.
HALLEUX (R.), VANDERSMISSEN (J.)..., dir., Histoire des sciences en Belgique 1815-2000,
Bruxelles, 2001.
OPSOMER (C.), dir., Copernic, Galilée et la Belgique. Leur réception et leurs historiens. Actes de la
journée d'étude du 08/02/1992, Bruxelles, 1995.
RUSSO (F.), Art. L'affaire Galilée, dans, 2000 ans de Christianisme, Paris, 1976.
Centre d'Histoire des Sciences et des Techniques de l'Université de Liège
Dossier pédagogique dans le cadre de l'exposition "Les mauvais perdants de la Science"
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Deuxième Partie :
L'homme descend du singe,
mais pas moi
150 ans de créationnisme
Charles Darwin caricaturé en singe
par Pierre Duhem, coll. CHST.
12
Qui a peur de Darwin ?
6.
Pendant des millénaires, les trois religions du Livre,
Judaïsme, Christianisme, Islam ont affirmé que le monde
avait été créé par Dieu tel qu’il est aujourd’hui. Un monde
ordonné, reflet d’une société ordonnée où chacun a sa
place, maîtres et esclaves.
Dès le XVIIe siècle, l’anatomie comparée des animaux,
l’étude des fossiles, les exceptions aux classifications zoologiques amènent à l’idée que les espèces évoluent. JeanBaptiste Lamarck (1809) introduit la notion d’évolution et
l’hérédité des caractères acquis (la girafe tend le cou pour
brouter les feuilles des arbres, les petits naîtront avec un
long cou).
En 1859, Charles Darwin (1809-1882) publie L’origine des
espèces « Les individus qui naissent de chaque espèce étant
beaucoup plus nombreux que ceux qui peuvent survivre,
il en résulte une lutte incessante pour l’existence (...) en
suite de laquelle tout individu qui (...) aura varié d’une manière si légère que ce soit, mais avantageuse pour lui, aura
plus de chance se survivre à ses concurrents et de se trouver ainsi naturellement conservé ou sélecté. Cette variété
ainsi épargnée tendra, en vertu du principe énergique de
l’hérédité, à transmettre à ses descendants la force modifiée
et nouvelle ».
Buste de Charles Darwin, coll. CHST.
La théorie de l’évolution contredit le récit biblique puisque
les espèces dérivent les unes des autres, y compris
l’homme. Elle rejoint les découvertes de l’assyriologie
et de la philologie orientale qui mettent en cause le récit
biblique.
La théorie de la survie du plus apte dérive de Malthus et
reflète les conflits de l’Angleterre victorienne. Elle s’adapte
au marxisme (triomphe du prolétariat), au libéralisme
sauvage (triomphe de l’entrepreneur), au colonialisme
(domination des peuples évolués), au racisme (race supérieure). C’est typiquement une idéologie de la Révolution
Industrielle. Elle contredit la vision chrétienne du « aimez
vous les uns les autres ».
Charles Darwin caricaturé en singe
par Pierre Duhem, coll. CHST.
Aujourd’hui, le progrès de la biologie, de la paléontologie,
de la géologie rendent incontestable le fait que les espèces
vivantes, dont l’homme, sont le résultat d’une évolution
entièrement commandée par des forces naturelles, même
si les mécanismes de ce processus ne sont pas tous entièrement élucidés.
Buste de Charles Darwin au fronton (triangulaire)
de l'Institut de Zoologie.
Il dirige vers l'Evêché un regard de défi. Cliché CHST.
13
L’Eglise catholique et Darwin :
de l’anathème à l’hypocrisie
7.
Dès 1860, l’Origine des espèces fut condamnée par les évêques allemands. En 1870, le concile de Vatican I prévoyait
d’ériger en dogme l’idée de descendance de toute
l’humanité à partir d’un couple unique, mais le Concile fut
heureusement interrompu. En Belgique, la Société scientifique de Bruxelles devient une tribune antidarwinienne dans
sa Revue des questions scientifiques. Une attitude plus ouverte, fondée sur une lecture allégorique de la Bible, s’esquisse
dans les Congrès Scientifiques Internationaux des Catholiques, et amorce une réflexion théologique à partir de
l’évolution. Victor van Tricht, un jésuite du collège Saint-Servais, affirme que « l’Ecriture Sainte n’a pas pour objet de
nous donner des leçons d’histoire naturelle ». En 1909,
l’Université catholique de Louvain envoie à Cambridge,
pour le cinquantenaire de Darwin, le géologue Henri de
Dorlodot.
Le 23 octobre 1996, Jean-Paul II affirme « Les connaissances
scientifiques accumulées depuis cinquante ans conduisent
à reconnaître dans la théorie de l’évolution plus qu’une
hypothèse. Il est en effet remarquable que cette théorie se
soit progressivement imposée à l’esprit des chercheurs à la
suite d’une série de découvertes faites dans diverses disciplines du savoir. La convergence, nullement recherchée ou
provoquée, des résultats de travaux menés indépendamment les uns des autres constitue par elle-même un argument significatif en faveur de cette théorie ».
Mais du 1er au 3 septembre 2006, Benoît XVI réunit à
Castelgandolfo un séminaire intitulé « L’échelle de Darwin
et l’échelle de Jacob » confrontant évolutionnisme et créationnisme. Dans les actes publiés en 2007, le Pape rejette à
la fois « un créationnisme qui exclut catégoriquement la
science, et une théorie de l’évolution qui dissimule ses propres faiblesses et ne veut pas voir les questions qui se
posent au-delà des capacités méthodologiques de la
science naturelle ». Ce qui laisse ouverte la porte à une
évolution pilotée d’En Haut...
Caricature du positiviste Emile Littré,
auteur du Dictionnaire et Darwinien, en singe
L'ouvrage fondamental d'Henry de Dorlodot,
catholique darwinien.
Benoit XVI ou la reprise en main sournoise.
14
Du créationnisme brut au dessein
intelligent. Un projet politique
8.
Collection d'autocollants américains
pour pare-brise automobiles
(le poisson est l'emblème des Créationnistes).
On appelle créationnisme un ensemble de courants qui ont
pour point commun de postuler une intervention directe
de Dieu dans la création des espèces. Ils apparaissent au
grand jour en 1925 lors du procès dit « du singe » où un enseignant de Dayton en Ohio fut condamné pour avoir enseigné la théorie de l’évolution à ses élèves.
On distingue plusieurs courants.
- Ceux qui partagent une lecture littérale de la Genèse : le
monde a été créé en 6 jours de 24 heures, il y a 4, 10 ou
20.000 ans (Young Earth Creationists). On les trouve chez les
Evangélistes et dans la Fraternité Saint Pie X (Lefebvristes).
Le Déluge sert à expliquer les fossiles.
- Ceux qui interprètent métaphoriquement les jours bibliques comme des périodes longues pour s’accorder avec les
données géologiques (Old Earth Creationists).
- Ceux qui acceptent une certaine évolution mais affirment
que celle-ci est l’œuvre d’une intelligence supérieure
(Intelligent Design) et pas de processus naturels. Estimant
que « seul un Etre supérieur peut être responsable des
formes de vie complexes apparues sur Terre ».
Le créationnisme est solidaire des partis conservateurs. En
Grèce, la dictature des colonels interdisait d’enseigner la
théorie de l’Evolution, et aujourd’hui l’Eglise orthodoxe
oblige à en faire un cours à option en fin d’année ; en Pologne, le vice-ministre de l’Education Miroslaw Olzechowski
(Ligue des familles polonaise) a déclaré que l’évolution est
un mensonge ; en Italie, Letizia Moratti, ministre de
l’enseignement et de la recherche de Berlusconi, a proposé
un décret (rejeté) visant à supprimer l’Evolution des programmes ; aux USA, trois candidats républicains ne
croyaient pas à l’évolution ; George Bush était favorable à
un double enseignement de l’Intelligent Design et de
l’évolution ; vingt états américains sur cinquante sont
concernés par des aménagements de programme en faveur
de l’Intelligent Design.
Créationnistes et patriotes.
Intelligent Design.
La lutte continue...
Autocollants darwiniens.
15
Le créationnisme musulman
9.
En matière de science, les ambitions conquérantes de
l’Islam reposent sur deux bases : les Arabes ont tout
inventé ; toutes les vérités scientifiques sont déjà dans le
Coran. Or, le Coran affirme que Dieu a créé le monde et tout
ce qu’il contient en six jours. Pourtant, dès le XIVe siècle,
le philosophe Ibn Khaldoun développait l’idée d’une progression au sein du monde vivant.
En 2007, des dizaines de milliers d’écoles et de bibliothèques d’Europe ont reçu gratuitement un luxueux ouvrage
illustré intitulé Atlas de la création. L’auteur est Adnan Oktar,
qui utilise le surnom d’Harun Yahya et qui serait le fer de
lance du Bilim Arastirma Vakfi ou BAV (signifiant Fondation
pour la recherche et la science) et que l’on peut définir
comme un mouvement créationniste scientifique. Il s’agit
d’une organisation née au début des années 1990 en
Turquie, à un moment où plusieurs groupes de fondamentalistes religieux sont formés dans ce pays. C’est une entreprise aux moyens considérables.
L’idée fondamentale de l’ouvrage est que « les espèces n’ont
jamais changé ». A preuve, « les fossiles sont identiques aux
espèces actuelles ». Et pour illustrer cela, plus de 540 pages,
soit 70 % du livre, mettent en regard de superbes photos de
fossiles et des espèces végétales ou animales actuelles.
Comme les partisans de l’Intelligent Design, Harun Yahya tire
argument de la complexité du vivant qui « n’a pu apparaître
par hasard » et ne peut donc être que de source divine.
L’auteur fait alors un amalgame entre le darwinisme, la lutte
pour la survie, le matérialisme et une série d’idéologies,
comme le nazisme et le communisme ou les terroristes du
11 septembre. Il en arrive à la conclusion que « quelle que
soit l’idéologie qu’ils épousent, ceux qui perpétuent la terreur dans le monde sont en réalité des darwinistes ».
Crevette fossile et crevette vivante :
pas de changement selon Harun Yahya.
Pas de formes intermédiaires, simplement des espèces
disparues selon Harun Yahya.
En Belgique, la ministre de l’Enseignement de l’époque,
Marie Arena envoya une circulaire à tous les établissements
scolaires pour « mettre en garde l’ensemble des équipes
éducatives contre les valeurs véhiculées dans le document ».
Conférence à Istanbul du 4 avril 1998 sur « l'Effondrement de la théorie de l'Evolution »
avec l'appui de l'Institute for Creation Research (USA).
Les attentats du 11 septembre sont le fait
des darwiniens selon Harun Haya.
16
Deuxième partie
La théorie de l'évolution de Charles Darwin va bouleverser l'idée établie jusque-là et défendue
par les religions monothéistes concernant l'origine divine de l'être humain.
Afin de prolonger ce qui a été vu à l'exposition en classe, voici quatre documents qu'il est
intéressant de voir et d'analyser avec des élèves du secondaire supérieur :
- Le premier est le récit de la création qui vient de l'Ancien Testament et qui est ici
dans sa traduction œcuménique (a priori la plus consensuelle). Il a donc été le document de
référence concernant l'origine du monde, de l'espèce humaine, mais aussi de toute la vie
animale et végétale pendant plus de deux millénaires. Aujourd'hui, il n'y a qu'une minorité de
créationnistes qui en font une lecture littérale et prétendent que les choses se sont
effectivement déroulées comme ça, mais il sert toujours de référence pour un certain nombre
de créationnistes comme c'est expliqué dans l'exposition.
- A la fin du XIXe siècle, l'Église catholique décide d'organiser plusieurs "Congrès
scientifiques internationaux" qui réunissent des scientifiques catholiques de différents pays
qui viennent présenter les résultats de leurs recherches concernant différents sujets
scientifiques. Le deuxième document est un extrait d'un texte publié par un Père, appartenant
à la congrégation de la Sainte-Croix. Il reflète une opinion vue dans différents textes
catholiques publiés à l'époque et montre qu'alors, une frange de l'Église Catholique n'a pas
peur de s'affirmer ouvertement en faveur de la théorie de l'évolution.
- Le troisième document contraste avec le précédent. Il s'agit d'un extrait de discours
de Benoît XVI prononcé assez récemment. En tant que préfet de la Congrégation pour la
doctrine de la foi pendant 24 ans et puis comme Pape, la parole de Joseph Ratzinger, qui est
d'abord un théologien, peut refléter la position officielle de l'Église au sujet du créationnisme.
Son discours est dans un style assez complexe (surement que les élèves auront besoin d'aide
ou d'un dictionnaire pour bien en saisir toutes les nuances), mais en substance, il illustre la
volonté de l'Église de ne pas lâcher prise concernant le débat sur l'évolution. Dans l'extrait qui
est proposé, Benoît XVI semble porter le débat création/évolution à un débat philosophique
ou spirituel au lieu de l'axer sur une seule question scientifique. Et en plaçant l'enjeu à ce
niveau-là, il place la foi et Dieu au centre et comme dit dans l'exposition, il entretient l'idée
d'une évolution pilotée "d'en haut", autrement dit, il semble soutenir le courant de l'Intelligent
Design, assez populaire actuellement chez les créationnistes.
- Le quatrième document est un peu plus long, mais nettement moins compliqué à lire
comme il s'agit ici d'un texte à visées pédagogiques. C'est un extrait de l'Atlas de la Création,
présenté dans l'exposition. Cet ouvrage est un livre de propagande pour "la foi et l'Islam"
opposée selon un amalgame aux "matérialistes et aux darwiniens". Dans l'extrait on retrouve
quelques arguments présents dans le livre et visant à démonter la théorie de l'évolution et à
démontrer l'existence de Dieu. Il s'agit d'un texte dont les arguments pourraient être
confrontés par un professeur de sciences à la théorie de l'évolution telle que vue en classe et à
la méthode scientifique étudiée dans nos écoles.
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Quelques pistes bibliographiques pour aller plus loin :
ARNOULD (J.), Dieu versus Darwin, Les créationnistes vont-ils triompher de la Science ?, Paris,
2007.
CONRY (Yv.), De Darwin au darwinisme : science et idéologie, Congrès international pour le
centenaire de la mort de Darwin, Paris, 1983.
HALLEUX (R.), VANDERMISSEN (J.)..., dir., Histoire des sciences en Belgique 1815-2000,
Bruxelles, 2001.
LENGAGNE (G.), Les dangers du créationnisme dans l'éducation, Rapport de la Commission de la
culture, de la science et de l'éducation du Conseil de l'Europe, Strasbourg, 2007.
NEUMBERS (R.L.), The Creationists, From Scientific Creationism to Intelligent Design, Cambridge
Masachusetts - Londres, 2006.
TORT (P.), Dictionnaire du darwinisme et de l'évolution, Paris, 1996.
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Troisième Partie :
Les chromosomes ne sont pas
prolétariens
Lyssenko, biologiste de Staline
Portrait de Staline, coll. privée.
24
Le marxisme
entre Lamarck et Mendel
10.
En 1865, le moine morave Gregor Mendel avait formulé les
lois de l’hérédité. En 1912, Thomas Hunt Morgan expliquait
le transfert des caractères héréditaires par des particules,
les gènes, supportés par des chromosomes. La génétique
était née.
Dès les années 1930, ce n’était plus une science purement
académique. Elle constituait la base théorique pour la sélection végétale et animale, la production des semences, la
culture des plantes. Elle était étroitement liée aux pratiques
agricoles.
Après la Révolution d’Octobre, l’URSS entama un programme formidable de modernisation de son agriculture fondée
sur la recherche génétique grâce surtout à Nicolas Ivanovich Vavilov, biologiste de renommée internationale, fondateur de l’Académie Lénine des sciences agronomiques et de
l’Institut pansoviétique de culture des plantes et membre
du Comité Central du Parti.
Statue de Marx et Engels dans un parc à Berlin,
cliché Jan Vandersmissen.
Mais la génétique est postérieure à l’œuvre des pères du
marxisme. Marx et Engels ont été enthousiasmés par
Darwin, mais ils expliquent la transformation des espèces
comme Lamarck par l’hérédité des caractères acquis (si un
homme fait de la musculation toute sa vie, ses enfants
auront de gros muscles). Selon eux, c’est donc l’influence
du milieu extérieur qui détermine les changements des
espèces.
La génétique est donc suspecte et dès les années 1930 les
néo-lamarckiens soviétiques attaquent la génétique au
nom du marxisme.
L'Académie Lénine des Sciences Agricoles, cliché CHST.
Portrait de Jean Baptiste Lamarck, coll. CHST.
Photo de N. I. Vavilov, cliché CHST.
25
Lyssenko, biologiste prolétarien
11.
Lyssenko a construit une biologie fausse, étayée
d’expériences truquées, catastrophique dans ses applications mais compatible avec une lecture littérale de Marx et
Engels.
Lyssenko se fait connaître en 1929 en voulant généraliser à
l’agriculture soviétique la méthode de « vernalisation » mise
au point par le grand agronome Mitchourine. La vernalisation est une technique agricole consistant à avancer ou
retarder le cycle d’une espèce végétale en exposant ses
semences au froid ou à la chaleur. C’est une méthode que
l’on utilise par exemple en plantant certaines céréales à la
mi-automne afin de les récolter durant l’été en sachant que
le froid aura un effet bénéfique. Lyssenko va vouloir aller
plus loin et va affirmer que la vernalisation permet de transformer des espèces et d’augmenter considérablement le
rendement des récoltes. En pratique, on humidifiait les
grains sous abri pendant plusieurs jours en les remuant
sans cesse et en les maintenant dans des conditions déterminées de température et d’humidité. Mais, cette préparation des grains en doublera le coût, en fera pourrir bon
nombre et une partie des récoltes seront gâchées.
Ilia Machkov : Pains soviétiques,
Musée des Beaux Arts de Stalingrad.
En 1935, en faisant une comparaison avec les humains, il
affirme que le fait que les plantes cultivées s’autofécondent
entraîne une dégénérescence. Il propose donc d’une part
de créer des « graines d’élite » et d’autre part il fait appliquer à grande échelle (environ 800.000 fermiers collectifs)
une procédure complexe pour éviter les autofécondations
(les fermiers devaient retirer les pollens de chaque épi de
blé avec une petite pince). L’opération, aussi inutile que
coûteuse, sera abandonnée quelques années plus tard.
En 1939, le gouvernement soviétique veut pouvoir exploiter des céréales en Sibérie et cherche donc une méthode
permettant de résister aux grands froids. Lyssenko va
ordonner de planter des espèces non résistantes au gel sur
du chaume, le tout sur un sol non labouré « afin d’en préserver la fertilité ». La méthode va être utilisée sur des milliers
de kilomètres carrés et se soldera par un échec, les rendements seront extrêmement bas et des récoltes complètes
seront parfois détruites par le gel.
Trofim Denissovich Lyssenko (1898-1976),
cliché CHST.
Expériences de pollinisation dans un kolkhoze,
cliché CHST.
26
Grandeur et décadence
d’un imposteur
12.
Mauvais perdant en science, Lyssenko va recourir au politique pour s’imposer, avec la protection de Staline puis de
Krouchtchev. Il déclare la guerre à la génétique classique,
incompatible avec le matérialisme dialectique, affirmant
que l’on peut modifier la nature des plantes dans une direction déterminée à l’avance en agissant sur l’environnement.
En 1937, devant le Comité Central du Parti, Staline dénonce
la « vague métaphysique antidarwiniste qui nous arrive des
rivages de la génétique bourgeoise ». En 1938, Lyssenko
devient président de l’Académie Lénine des Sciences agronomiques. Le 6 août 1940, des policiers du NKVD arrêtèrent
Vavilov et ses collaborateurs. Condamné à mort le 9 juillet
1941, il mourut en prison de mauvais traitements le 26 janvier 1943. Le 31 juillet 1948, alors que la génétique connaissait un développement exceptionnel à l’étranger, une session de l’Académie Lénine des Sciences agronomiques, qu’il
avait remplie de ses partisans, dénonce la théorie chromosomique de l’hérédité, comme réactionnaire, idéaliste et
bourgeoise. Il s’ensuivit une vague de licenciements et de
fermetures de laboratoires.
Portrait de Staline, coll. privée.
Dans les années 1961-1962, le retard de la biologie soviétique, notamment en biologie moléculaire, déclenche des attaques contre Lyssenko à l’Académie des Sciences. Le 14 octobre 1964, Krouchtchev démissionne. Les 1er et 2 janvier
1965, Lyssenko est relevé de son poste de directeur de
l’Institut de génétique de l’Académie des Sciences et une
délégation de l’Académie déposa une gerbe à Brno à la
statue de Mendel.
Le grand gagnant, Grégor Mendel,
coll. CHST.
Pioti Sokolov Skalia : Staline et Molotov à l'exposition agricole de l'URSS, 1939.
Musée d'histoire contemporaine, Moscou.
27
Biologie prolétarienne
contre génétique bourgeoise
13.
Georges Politzer a bien dit que le marxisme était une méthode, pas un dogme.
Dans le contexte de la guerre froide vers 1945, bon nombre
d’intellectuels de gauche en Occident ont méconnu ce principe et se sont engagés à fond pour Lyssenko.
Louis Aragon écrit dans Europe en octobre 1948 « C’est le
caractère bourgeois (sociologique) de la science qui empêche en fait la création d’une biologie pure, scientifique, qui
empêche les savants de la bourgeoisie de faire certaines
découvertes dont ils ne peuvent, pour des raisons sociologiques, accepter le principe de base.
C’est pourquoi, aux yeux de Lyssenko, des mitchouriniens,
des kolkhoziens et sovkhoziens de l’URSS, du Parti Bolchévique et son Comité Central et de Staline, la victoire de Lyssenko est effectivement une victoire de la science, une victoire scientifique, le refus le plus éclatant de politiser les
chromosomes ».
Francis Cohen renchérit dans La nouvelle critique, novembre
1949 « En tout état de cause, Lyssenko a présenté sa thèse
devant le peuple soviétique entier, qui l’a approuvée, quelle
plus haute garantie pourrait-on exiger que celle-là, associée
à celle de Staline, la plus haute autorité scientifique du
monde entier ».
Louis Aragon, cliché CHST.
En revanche, Jean Brachet (1909-1988), professeur à l’ULB
et membre du Parti Communiste Belge, un des pionniers de
la biologie moléculaire, refuse d’écrire un article favorable
sur Lyssenko et se fait exclure du Parti en 1948. De même, le
généticien britannique John Haldane (1892-1964), membre
du Parti Communiste britannique, déclare « La génétique
est ma profession et si elle est attaquée je la défendrai ».
Jean Brachet (à droite), cliché CHST.
28
Troisième partie
Afin d'atteindre les hautes sphères du pouvoir en U.R.S.S., l'agronome Trofim
Lyssenko se posa au cours des années 1930 comme réformateur marxiste de la biologie. A ce
titre, il développa et imposa des théories scientifiques calquées sur l'idéologie du régime. Il va
être particulièrement actif dans les domaines de l'agriculture et de la génétique en y
développant des théories opposées à la pensée scientifique de son temps (qu'il qualifiera de
« bourgeoise »). En plaçant les oppositions idéologiques de l'époque au cœur de la pensée
scientifique, et en utilisant les dérives totalitaires du régime soviétique comme outil pour
imposer ses conceptions, Lyssenko nous offre un magnifique exemple des dérives d'une
science assujettie à la politique.
L'Exposition se consacre d'une part, à décrire et expliquer l'action désastreuse de
Lyssenko et d'autre part, à montrer la réception des théories de Lyssenko en Occident. Les
documents présentés ci-dessous illustrent ces deux aspects autour d'un moment clé qui est en
1948, celui de l'organisation d'une session extraordinaire de l'Académie Lénine pour trancher
entre "la génétique classique" et le "modèle mitchourinien" et qui va aboutir à des purges
parmi un grand nombre de scientifiques soviétiques désormais considérés comme indésirables
pour le régime.
Le premier document reprend un extrait du texte de conclusion prononcé par Lyssenko
lors de cette session et qui sera le déclencheur de cette grande purge. Le deuxième document,
donne des extraits d'un article d'une professeure française communiste qui, selon les
informations dont elle dispose, semble assez favorable aux thèses de Lyssenko et à ce qui se
passe en URSS.
Quelques pistes bibliographiques pour aller plus loin :
BUICAN (D.), Lyssenko et le lyssenkisme, Paris, 1988.
BUICAN (D.), L'évolution et les théories évolutionnistes, Paris, 1997.
COURTOIS (St.), WERTH (N.)..., Livre noir du communisme, Crimes, terreur et répression, Paris,
1997.
KOTEK (J. et D.), L'affaire Lyssenko, Bruxelles, 1986, p. 31.
MEDVEDEV (J.), Grandeur et chute de Lyssenko, Paris, 1971.
ROBRIEUX (Ph.), Histoire intérieure du parti communiste, De la libération à l'avènement de
Georges Marchais, 1945-1972, t.II, Paris, 1981.
Centre d'Histoire des Sciences et des Techniques de l'Université de Liège
Dossier pédagogique dans le cadre de l'exposition "Les mauvais perdants de la Science"
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Centre d'Histoire des Sciences et des Techniques de l'Université de Liège
Dossier pédagogique dans le cadre de l'exposition "Les mauvais perdants de la Science"
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Centre d'Histoire des Sciences et des Techniques de l'Université de Liège
Dossier pédagogique dans le cadre de l'exposition "Les mauvais perdants de la Science"
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Centre d'Histoire des Sciences et des Techniques de l'Université de Liège
Dossier pédagogique dans le cadre de l'exposition "Les mauvais perdants de la Science"
32
Quatrième Partie :
Une science pour les bons Aryens
Les perversions du savoir sous le IIIe Reich
Portrait d'Adolf Hitler en frontispice de l'édition de Mein Kampf de 1942.
33
Le racisme,
une biologie sans fondements
14.
Le concept de race s’emploie en zoologie depuis l’Antiquité.
Pour l’homme, il y a une seule race, la race humaine. Dans
Mein Kampf (mon combat), Adolf Hitler se fonde sur un faux
concept de race, hérité du XIXe siècle, pour assigner à
l’Allemagne la mission de dominer le monde. Selon lui,
l’espèce humaine compte plusieurs races de valeur inégale.
Au sommet de l’échelle trône la race aryenne, ou indo-européenne, à laquelle appartiennent les peuples nordiques et
germaniques. Les Aryens ont notamment une taille élevée,
un teint pâle, des cheveux blonds et des yeux bleus. En bas
de l’échelle, les Tsiganes, les Noirs et les Juifs.
Citons Mein Kampf :
« L’homme n’a qu’un droit sacré et ce droit est en même
temps le plus saint des devoirs, c’est de veiller à ce que son
sang reste pur, pour que la conservation de ce qu’il y a de
meilleur dans l’humanité rende possible un développement
plus parfait de ces êtres privilégiés.
Un état raciste doit donc, avant tout, faire sortir le mariage
de l’abaissement où l’a plongé une continuelle adultération
de la race et lui rendre la sainteté d’une institution, destinée
à créer des êtres à l’image du Seigneur et non des monstres
qui tiennent le milieu entre l’homme et le singe ».
Exemplaire de Mein Kampf distribué à tous les
fonctionnaires allemands,
coll. privée.
« La même âme et le même esprit peuvent-ils habiter dans des corps si différents ? »
Brochure de propagande, coll. CHST.
34
De l’eugénisme à la Shoah
15.
Hitler écrit dans Mein Kampf (p. 23) « L’Etat raciste,
conscient de cette vérité, ne croira pas que sa tâche éducatrice se borne à faire entrer dans les cerveaux la science à
coups de pompe ; il s’attachera à obtenir, par un élevage
approprié, des corps foncièrement sains. La culture des facultés intellectuelles ne viendra qu’en seconde ligne ».
Ceci implique une double tâche, la sélection et
l’élimination. La sélection est l’affaire de l’eugénisme. En utilisant les ressources de la génétique, par la sélection et la
reproduction de ces spécimens, on peut créer des êtres racialement « purs ». L’eugénisme [de eu (bien) et genos (race)
en grec] se développe au XIXe siècle, à partir des idées de
Darwin sur la compétition et la survie des plus forts et des
meilleurs. Sous le IIIe Reich, des généticiens nazis (tel Fritz
Lenz, 1887-1976) entreprennent de favoriser la reproduction des meilleurs spécimens de la race aryenne.
En pratique :
1. La généralisation des cours d’eugénisme à l’école afin de
sensibiliser les enfants à « l’importance d’améliorer la race
allemande ».
2. La création de « centres de reproduction » (Lebensborn)
pour Aryens. Hommes et femmes sélectionnés par le
Régime doivent s’y reproduire et créer « une race parfaite ».
Sous l’occupation allemande, un tel « centre » est notamment créé dans la province de Liège, au château de Wégimont.
L’élimination des races « inférieures » se fait de trois manières.
« Un malade héréditaire coûte jusqu'à 60 ans
50.000 marks en moyenne. Voulez-vous
le supporter ? »
Affiche de propagande, coll. CHST.
1. L’interdiction de mariages entre Juifs et Allemands (loi
pour la protection du sang et de l’honneur allemands du 15
septembre 1935).
2. La stérilisation (puis l’euthanasie) des sujets héréditairement malades ou déficients comme les handicapés et les
malades mentaux.
3. L’élimination massive des Juifs et des Tsiganes dans les
camps de la mort.
Cours d'eugénisme : l'instituteur mesure les bons Aryens,
cliché CHST.
Château de Wégimont, vue ancienne,
cliché CHST.
35
L’Ahnenerbe,
entre les champs de fouille
et les laboratoires des camps
de la mort
16.
Depuis le XIXe siècle, on sait que le latin, le grec, le sanskrit,
les langues germaniques, scandinaves, slaves, ont une
structure commune et appartiennent à la même famille :
les langues indo-européennes, ou indogermaniques qui
remontent probablement à une même langue mère. C’est
une question purement linguistique, qui n’a rien à voir avec
la race.
Identifiant langue et race, les nazis cherchent les traces des
Aryens et créent en 1935 un organisme : l’Ahnenerbe ou Société pour la recherche et l’enseignement sur l’héritage ancestral, qui dépend d’Heinrich Himmler.
Les recherches s’orientent dans deux directions, historique
et biologique.
En histoire :
- retrouver la trace des premiers Aryens dans les fouilles, de
la Bretagne à l’Asie Centrale,
- récrire l’histoire des territoires anciennement occupés par
des Germains, la Belgique, la Lotharingie, la Bourgogne.
En biologie :
- étudier les caractéristiques physiques des races : les SS du
Front de l’Est approvisionnent l’université de Strasbourg en
têtes de Juifs et de communistes,
- d’étudier les limites de la résistance humaine par les expériences atroces réalisées dans les camps.
« Le garde » d'Arno Breker. Modèle du guerrier
indo européen avec glaive romain
et bouclier grec, cliché CHST.
Les spécialistes de l'Ahnenerbe mesurent un « nez juif » au pied à coulisse, cliché CHST.
36
Physique « allemande »
contre physique « enjuivée »
17.
De 1901 à 1933, 23 prix Nobel sur 71 furent attribués à des
Allemands. Beaucoup de professeurs étaient d’origine juive.
A partir de 1933, ils perdaient leur poste et devaient s’exiler.
En 1934, l’illustre mathématicien David Hilbert disait au ministre que depuis le départ des Juifs l’institut de mathématique de Göttingen n’existait plus.
Comme en art, où la vente de Lucerne (1939) liquide les
œuvres d’« Art dégénéré », les nazis veulent aussi débarrasser la science de ses éléments étrangers. L’objectif est de
créer une science « radicalement pure » faite par des savants « bons aryens ». De là notamment naît, dans les
années 1930, l’idée d’une « physique allemande ». Ses
concepteurs sont deux anciens prix Nobel allemands,
acquis au nazisme, les physiciens Philipp Lenard (18621947) et Johannes Stark (1874-1954). « La science, comme
toute œuvre humaine, affirment-ils, est raciale et conditionnée par le sang ».
Leur mouvement prend pour cibles des physiciens juifs,
particulièrement Albert Einstein. Pour ce faire, ils discréditent publiquement leurs adversaires, tentent d’imposer leur
théorie dans les écoles et font nommer aux postes importants des professeurs d’universités de leur tendance. La
Deutsche Physik s’attaque aussi aux travaux de ses adversaires. Elle oppose la physique expérimentale classique aux
principes de la physique « théorique », défendue notamment par Einstein, refusant la relativité et les quanta.
Portrait de Johannes Stark, cliché CHST.
Bientôt cependant, la Deutsche Physik montre ses limites.
La Deuxième Guerre Mondiale révèle combien la nouvelle
physique est nécessaire pour la bombe atomique. Laissés
libres, les physiciens allemands restés au pays étaient sur le
point d’atteindre leur objectif et avaient construit une pile
nucléaire mais c’est aux Etats-Unis que l’équipe d’Albert
Einstein parvient, grâce à la physique théorique, à mettre
en place la bombe atomique.
Fusée V2 conçue pour ogive nucléaire, fonds Théo Pirard, coll. CHST.
Portrait de Philipp Lenard, coll. CHST.
37
Quatrième partie
Afin d'asseoir leur pouvoir, les nazis vont élaborer une idéologie reposant sur des théories
scientifiques erronées dans le but de justifier leurs crimes. L'exposition s'attarde sur trois
disciplines scientifiques qui vont être bafouées par les nazis dans ce cadre : la biologie (avec
le développement de l'Eugénisme et du concept de race), l'histoire (avec l'Ahnenerbe et la
réécriture de l'histoire de l'humanité) et la physique (avec la création de la Deutsche Physik).
Le fil conducteur de ces perversions était de démontrer la validité du concept de race,
l'existence d'une race aryenne, la supériorité de celle-ci sur les autres et la nécessité de
supprimer les "races inférieures" pour le bien être de l'humanité. Ce cheminement aboutira
bien entendu à la Shoah et toute l'horreur qui l'accompagne.
Deux documents sont présentés ici : le premier est un extrait de Mein Kampf, l'ouvrage
idéologique d'Adolf Hitler, qui concerne l'eugénisme et dont parle l'exposition. Le deuxième,
est tiré de l'introduction à l'ouvrage Deutsche Physik du physicien Philip Lenard et dévoile la
politique menée à l'égard des scientifiques d'origine juive dans l'Allemagne du IIIe Reich.
BEREZ (T.M.) et WEISS (S.F.), The Nazi symbiosis : politics and human genetics at the Kaiser Wilhelm
Institute, Endeavour, t. 28, 2004.
BOUDENOT J.-C., Histoire de la Physique et des Physiciens de Thalès au boson de Higgs; Paris, 2001.
GUÉROUT S., Science et politique sous le Troisième Reich; Paris, 1992.
MOATTI A., Einstein, un siècle contre lui; Paris, 2007.
OLFF-NATHAN J. (dir.), La Science sous le Troisième Reich; Paris, 1993.
PHAN-NGOC T., Le terreau allemand de la physique du 20ème siècle et la "Deutsche Physik" de
Philipp Lenard, 1936-1937, sous la dir. de, HALLEUX R., Mémoire présenté dans le cadre du
programme du troisième cycle d'histoire des sciences et des techniques à l'Université de Liège, Liège.
PICHOT A., La Société pure, de Darwin à Hitler; Paris, 2000.
PRINGLE H., Opération Ahnenerbe, Comment Himmler mit la pseudo-science au service de la solution
finale; Paris, 2007.
Centre d'Histoire des Sciences et des Techniques de l'Université de Liège
Dossier pédagogique dans le cadre de l'exposition "Les mauvais perdants de la Science"
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Centre d'Histoire des Sciences et des Techniques de l'Université de Liège
Dossier pédagogique dans le cadre de l'exposition "Les mauvais perdants de la Science"
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Centre d'Histoire des Sciences et des Techniques de l'Université de Liège
Dossier pédagogique dans le cadre de l'exposition "Les mauvais perdants de la Science"
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Centre d'Histoire des Sciences et des Techniques de l'Université de Liège
Dossier pédagogique dans le cadre de l'exposition "Les mauvais perdants de la Science"
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Centre d'Histoire des Sciences et des Techniques de l'Université de Liège
Dossier pédagogique dans le cadre de l'exposition "Les mauvais perdants de la Science"
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Centre d'Histoire des Sciences et des Techniques de l'Université de Liège
Dossier pédagogique dans le cadre de l'exposition "Les mauvais perdants de la Science"
43
Conclusion :
18.
Qui sont les mauvais perdants ?
Les mauvais perdants de la science,
ce sont les dogmes et leurs défenseurs.
Miguel de Unamuno (1864-1936), recteur de l’Université
de Salamanque, chassé par les fascistes et mort de chagrin,
disait : « La vraie science nous apprend à douter
et à être ignorants ».
Portrait de Miguel de Unamuno (1864-1936),
coll. CHST.
44
Table des matières
Préambule ............................................................................................................................................... 1
Première partie ....................................................................................................................................... 3
Document 1.1 : Abjuration de Galilée extrait de BARRAL M.J.-A., dans ARAGO F. (dir.), Astronomie
populaire, t.3, Paris-Leipzig, 1856, p. 29-30. ....................................................................................... 9
Document 1.2 : GILBERT P., Les véritables causes du procès de Galilée, dans, JAUGEV M. J.-B. (dir.),
La Controverse, Revue des objections et des réponses en matière de religion, t.3, Paris, 1882, p. 4245. ...................................................................................................................................................... 10
Deuxième partie .................................................................................................................................... 12
Document 2.1 : La Genèse, Le Pentateuque, Ancien Testament (VIIe siècle avant J.-C.) .....................
La Création (selon la traduction œcuménique de la Bible) ............................................................... 19
Document 2.2 : Extrait du texte du Révérend Père Zahm, de la Congrégation de la Sainte-Croix .......
"Evolution et téléologie", 4e Congrès Scientifique International des Catholiques, Fribourg août
1897 - Section Antrhopologie............................................................................................................ 20
Document 2.3 : Extrait d'un texte du Pape Benoît XVI, alors cardinal Ratzinger, tenu le 27
novembre 1999 à la Sorbonne à Paris. Repris de l'ouvrage de Christoph Schönborn, cardinal
autrichien, actuellement archevêque de Vienne : Création et évolution, une journée de réflexion
avec Benoît XVI (p.19-25, paru à Paris en 2009). .............................................................................. 21
Document 2.4 : Extrait de l'Atlas de la Création, de Harun Yahya, p.854-856, paru à Istanbul en
2007. .................................................................................................................................................. 22
Troisième partie .................................................................................................................................... 24
Document 3.1 : Extrait de la conclusion de la session spéciale de l'Académie Lénine des Sciences
agronomiques de 1948 prononcée par Lyssenko. Revue Europe, Numéro spécial : Une discussion
scientifique en URSS, octobre 1948, p. 150-153................................................................................ 30
Document 3.2 : Extrait d'un article de Jeanne Lévy, professeur à la Faculté de Médecine de Paris,
L'oeuvre de Lyssenko et l'évolution de la Génétique, parue dans la Revue "La Pensée" en 1948
(Revue du rationalisme moderne, n°21, Paris). ................................................................................. 32
Quatrième partie ................................................................................................................................... 33
Document 4.1 : Extrait d'une traduction française de Mein Kampf, écrit par Adolf Hitler entre 1924
et 1925 pendant sa détention à la prison de Landsberg. .................................................................. 39
Document 4.2 : Extrait de la préface de l'ouvrage Deutsche Physik, écrite par Philip Lenard à
Heidelber en 1936 (Reprise de l'ouvrage de MOATI A., Einstein, un siècle contre lui, Paris, 2007, p.
269-274). ........................................................................................................................................... 42
Conclusion.............................................................................................................................................44
Table des matières ................................................................................................................................ 45
Centre d'Histoire des Sciences et des Techniques de l'Université de Liège
Dossier pédagogique dans le cadre de l'exposition "Les mauvais perdants de la Science"
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