T94-4-2226 - Société de Pathologie Exotique

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T94-4-2226 - Société de Pathologie Exotique
S ANTÉ PUBLIQUE
Pathologie mammaire de la jeune fille au Niger :
Résultats d’une campagne de sensibilisation à l’autopalpation
dans une école d’infirmières.
Y. D. Harouna (1)* & J. Rakotomalala (2)
(1) Chirurgie générale et viscérale, Faculté de médecine, Université de Niamey, Niger.
(2) Chirurgie générale et plastique, Coopération française, Hôpital national,BP238,Niamey, République du Niger.
* Adresse pour la correspondance et les tirés à part :Docteur Harouna Yacouba Djimba,Service de chirurgie viscérale, Centre hospitalier, 42328 Roanne, France.
Tél 06 64 91 16 04 ou 04 73 17 80 90. Fax 04 73 28 25 18.Email :[email protected]
Manuscrit n°2226. “Santé publique”.Recu le 8 octobre 2000. Accepté le 18 septembre 2001.
Summary: Diseases of the breast in young women: results of an original mass
screening at the Niamey nursing school.
In order to favour the early diagnosis of breast cancer, the authors used an original method consis ting in teaching nurses about breast tumors and cancer, and especially about self-examination of
the breasts. Subsequently, 73 patients aged under 24 years were admitted to our survey : 90 per
cent had an understanding of risk factors and 97 per cent were practicing self-examination. In 21
cases, consultation was carried out for mastalgia and in 12 cases for esthetic and/or banal inflam matory lesions : 40 patients presented a lump in the breast. Sonography turned out to be a better
method of examination than mammography in those young women presenting breast lesions. Fol lowing surgery, histological examination found that in the majority of cases the tumour was benign
(fibrocyst or adenofibromas). We were surprised by medullary carcinoma in one case.
breast tumor
young woman
self-examination
paraclinic examination
Niger
Sub-Saharan Africa
Résumé :
L’impact d’un cours (théorie et observation pratique) sur la pathologie mammaire dispensé à des
élèves d’une école d’infirmières est analysé. Il a été à l’origine de la consultation de 73 jeunes filles
âgées de 13 à 24 ans; 97 % des patientes ont pris conscience des facteurs de risque du cancer du
sein et 90% pratiquent désormais l’autopalpation de manière régulière; 100% des patientes accor dent désormais une importance à tout symptôme mammaire. Le motif de cette consultation a été
une mastodynie dans 21 cas; une manifestation banale d’esthétique et/ou inflammatoire dans 12
cas et, dans 40 cas, il s’agissait d’une “boule” dans le sein. L’échographie a été très efficace avec
une sensibilité de 90 % alors que la mammographie a été peu contributive. L’analyse histologique
systématique des pièces d’exérèse chirurgicale des 40 tumeurs du sein a révélé qu’il s’agit de
tumeurs bénignes dans l’immense majorité des cas: fibrokyste, adénofibrome. Dans un cas, il s’agis sait d’un carcinome médullaire du sein. Les auteurs insistent sur l’importance et l’efficacité de cette
méthode de sensibilisation et recommandent l’introduction dans les programmes scolaires (collèges,
lycées) de ce cours démonstratif.
Introduction
L
e dépistage précoce est devenu une priorité dans la lutte
pour l’amélioration du pronostic du cancer du sein. La
mammographie utilisée dans les pays développés est coûteuse
et le plus souvent non disponible dans les pays du tiers-monde.
Le manque de moyens diagnostiques et l’indisponibilité de certaines méthodes thérapeutiques font des maladies du sein une
discipline médicale intéressant peu le praticien. D’autres facteurs socioculturels, la non scolarisation de la plupart des
femmes, l’inaccessibilité aux médias et aux journaux posent
d’énormes problèmes aux médecins qui ont en charge les
maladies cancéreuses du sein de la femme dans la plupart des
pays sous-développés, en général, et au Niger, en particulier.
La recherche d’autres méthodes de sensibilisation des femmes
en vue d’une consultation précoce s’impose. Les auteurs rap-
Santé publique
tumeur du sein
jeune fille
autopalpation
examen paraclinique
Niger
Afrique intertropicale
portent leur expérience personnelle à propos de 73 jeunes
filles ayant consulté après un cours théorique et pratique dans
une école d’infirmières à propos des cancers du sein. L’impact de cette méthode est analysé de façon rétrospective, de
même que l’épidémiologie et la clinique des principales maladies du sein de la jeune fille dans notre pays.
Malades et méthodes
A
u début de deux années scolaires consécutives (1997-98
et 1998-99), l’un des auteurs, chargé de cours à l’école des
infirmières, a commencé le programme annuel par la leçon
concernant le cancer du sein dans toutes les classes de 2° année
(infirmières, sages femmes, laborantines, assistantes sociales),
en insistant sur le dépistage précoce par l’autopalpation, l’incitation à la consultation à la moindre anomalie. La leçon
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théorique était appuyée par une observation pratique au chevet d’une patiente et parfois les élèves étaient autorisées à
assister à l’intervention chirurgicale. Toutes les élèves étaient
chargées de sensibiliser les populations sur leur lieu de stage
et leur entourage. Au cours de ces deux années scolaires, nous
avons reçu à notre consultation 103 patientes pour un symptôme mammaire. Il s’agissait de 30 patientes, souvent parentes
(mères, sœurs) ou amies d’élèves, âgées en moyenne de 47
ans et donc exclues de cette étude et 73 patientes jeunes (élèves,
sœurs ou amies), dont l’âge varie entre 13 et 24 ans ; elles
constituent l’objet de cette étude.
Résultats
Fréquence : 60% des filles ont consulté au cours du premier
mois et 80 % dans les six mois qui suivent la leçon.
Effets de la leçon : 97 % des patientes affirment prendre
conscience de la gravité des maladies du sein, 90 % ont pratiqué l’autopalpation pour la première fois après le cours.
Seulement 2 % des patientes avaient entendu parler du cancer du sein avant le cours (une parente proche en a été atteinte)
ou sur le terrain de stage. Vingt-sept pour cent des patientes
ont déclaré n’avoir jamais eu de problème mammaire, 73 %
avaient déjà eu des signes, mais uniquement 0,5 % avaient
consulté un médecin auparavant. Avant le cours, une anomalie quelconque dans le sein n’a inquiété que 2 %, contre 100 %
après le cours. Les patientes ayant consulté avant le cours
l’ont fait en moyenne après un mois d’évolution des symptômes contre trois jours après le cours.
Le motif de consultation : très souvent, la symptomatologie
est polymorphe et la jeune fille consulte pour au moins deux
signes associés. Il s’agissait de douleur unilatérale ou bilatérale, respectivement chez 7 et 5 patientes, de sensation d’une
boule dans le sein dans 54 cas (24 fois à gauche et 30 fois à
droite), de prurit du mamelon dans 5 cas, d’écoulement mamelonnaire dans 7 cas (écoulement séreux dans 4 cas, sérosanguinolent dans 2 cas, lacté dans 1 cas), de volume mammaire
anormal dans 4 cas.
Clinique : l’examen clinique était normal chez 21 patientes
(29%), il s’agissait de simples mastodynies cycliques traitées
médicalement avec succès. Chez deux patientes, il s’agissait
d’une adénopathie axillaire banale confondue avec une “boule”
dans le sein. Trois patientes présentaient des tumeurs phylodes (2 unilatérales et 1 bilatérale) et, chez une patiente, il
s’agissait d’une augmentation du volume des seins par imprégnation hormonale en début de grossesse. Dans 6 cas, la
consultation a été motivée par une galactophorite (5 cas) et une
mastite chez une mère célibataire allaitante. Dans 40 cas (55 %),
il s’agissait d’une tumeur du sein, douloureuse à la palpation
dans 29 cas, mobile sans phénomène de peau d’orange ni de
ganglions axillaires. Une échographie mammaire a été réalisée chez toutes les patientes : le diamètre moyen de la tumeur
était de 1,5 cm, avec des extrêmes de 1 cm et 5,7 cm, de nature
kystique dans 5 cas (12,5 %), tumorale bénigne dans les 35 cas
restants (87,5 %). La mammographie, examen difficile à obtenir (un seul appareil pour tout le pays, coût excessif) a été
obtenue chez 11 patientes, elle a été peu contributive : sans
être formelle, elle a été en faveur d’une tumeur bénigne dans
3 cas (kyste, adénofibrome, lipome); chez 3 autres patientes,
elle a mis en évidence des microcalcifications et, chez 5
patientes, elle était normale.
La conduite thérapeutique a été l’exérèse chirurgicale avec
analyse histologique systématique obligatoire pour les 40
patientes porteuses d’une tumeur du sein. L’analyse histolo-
Bull Soc Pathol Exot, 2001, 94, 4, 332-334
gique des pièces a révélé un cas de cancer médullaire chez une
patiente; dans les autres cas, il s’agissait de tumeurs bénignes
et la corrélation échographie-mammographie-histologie a été
de 98 %. Le suivi moyen a été de 17 mois avec des extrêmes
de 3 mois et 23 mois et demi: une récidive a été observée,
aucune lésion maligne diagnostiquée.
Commentaires
L
e cancer du sein chez la jeune femme voit son incidence
en progression (7, 13) surtout chez la femme noire africaine (2). Le pronostic est toujours réservé, du fait des possibilités diagnostiques et thérapeutiques actuelles dans nos
pays (1, 8, 12). Le cancer du sein constitue une des principales
causes de décès par cancer des jeunes femmes de 15-35 ans (3).
Dans les pays développés, le dépistage de masse utilise l’autopalpation parfaitement maîtrisée et pratiquée par la plupart des femmes, l’examen clinique au moindre signe par le
médecin traitant et au besoin par un spécialiste, la mammographie accessible à toutes (5). Dans la plupart des pays sousdéveloppés, le diagnostic des tumeurs du sein se fait encore
tardivement et le pronostic est grave (12). Affection devenue aujourd’hui un véritable problème de santé publique, le
cancer du sein n’a pas encore retenu l’attention de nos décideurs politiques (10) : l’accès aux médias limité et la non-scolarisation des femmes âgées réduisent les possibilités de
sensibilisation. Pourtant des moyens simples visant des
groupes cibles particuliers (jeunes filles, personnel paramédical appelé à exercer dans les zones rurales) nous ont paru
très efficaces et peu coûteux. Dans les pays comme le nôtre
où, pour des raisons culturelles et/ou religieuses, les thèmes
relatifs à la vie sexuelle sont exceptionnellement traités en
public, l’éducation de la jeune fille sur les bancs de l’école
(celle du collège et du lycée) pourrait être une alternative
dans l’espoir de voir rapidement la sensibilisation en matière
de dépistage devenir une priorité nationale. NZARUBARA, au
Nigeria (10), avait déjà recommandé l’introduction, dans
l’enseignement primaire, des méthodes de sensibilisation en
matière de cancer du sein. Les effets de notre cours sont ceux
relatifs au cours de sémiologie connus chez tout jeune étudiant en médecine. Cet impact psychologique oblige au moins
à prendre conscience du danger des maladies de cette glande
perçue à cet âge comme glande esthétique. Comme l’a dit
NZARUBARA du Nigeria (10), les résultats d’une telle méthode
de sensibilisation sont immédiats : 100 % des filles n’avaient
aucune notion respectivement en matière de facteurs de risque
et de dépistage ; 90 % ont compris et ont maîtrisé la technique de l’autopalpation que toutes pratiquent désormais de
façon régulière. Le dépistage des tumeurs du sein utilise trois
principales méthodes : l’examen clinique, la mammographie
et l’autopalpation. Cette dernière méthode prend donc ici
toute sa valeur, car la mammographie est peu contributive et
l’examen clinique est rarement sollicité (7, 9, 11). L’autopalpation, à condition d’être bien exécutée, est une méthode
diagnostique très efficace comme en témoigne le taux de
tumeur confirmée par l’examen clinique. La pathologie mammaire de l’adolescente est dominée par la mastodynie essentielle (9), les algies souvent mal localisées, cycliques, en rapport
avec les perturbations du statut hormonal non stabilisé à cet
âge. Le principal motif de consultation est la sensation d’une
boule dans le sein (8, 9), dont l’exérèse révèle dans la plupart
des cas un adénofibrome ou une maladie fibro k y s t i q u e .
L’échographie constitue le moyen efficace actuel dans l’évaluation des tumeurs du sein de la jeune femme : localisation,
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Y. D. Harouna & J. Rakotomalala
taille, nature kystique ou pleine (6). DIOP-BA et al. (4) ont
évalué sa sensibilité à 96 %, avec 32 % de faux négatifs et 12 %
de faux positifs dans le diagnostic des lésions cancéreuses. La
mammographie est un examen peu fiable chez la jeune fille
(9): selon MAURER (7), elle aurait une sensibilité de 80 %, avec
28 % de faux négatifs et 8 % de faux positifs ; GILLET et al. (6)
trouvent un taux de faux négatifs équivalents à 15 % et 50 %
plus que chez la femme âgée. Devant une tumeur du sein de
la jeune femme, NEINSTEIN (9) recommande une période d’observation d’au moins deux mois. En cas de persistance ou
d’augmentation de taille, la chirurgie à visée diagnostique s’impose. Les lésions précancéreuses sont rarement retrouvées chez
la jeune fille (8,9) de moins de 20 ans, mais non exceptionnelles : nous avons trouvé des calcifications chez 3 de nos
patientes. Au-delà de 30 ans, une masse persistante, même non
suspecte, doit faire l’objet d’une ponction-biopsie (9), le cancer étant une éventualité diagnostique.
Références bibliographiques
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6.
Conclusions
L
e manque de moyens diagnostiques et thérapeutiques du
cancer du sein explique le pronostic encore effroyable de
cette maladie dans la plupart des pays en voie de développement. Le praticien en exercice dans ces pays se voit obligé de
rechercher des moyens peu onéreux de sensibilisation des
femmes en vue d’une consultation précoce. Actuellement, la
scolarisation de la majorité des jeunes filles nous permet de
nous adresser directement à cette population cible: la leçon dispensée à l’école permet une meilleure compréhension du sein
et de ses maladies.
L’impact positif de cette méthode sur la population paramédicale mérite qu’elle soit divulguée dans les autres écoles
(lycées, université) et plus tard insérée dans le programme
scolaire dès le primaire. Le dépistage précoce du cancer du
sein est la seule garantie d’une amélioration pronostique dans
les pays sous-développés où toute autre méthode thérapeutique
que la chirurgie est incertaine.
Santé publique
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