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cas clinique
Mots-clés
Cancer du sein et traitement néo-adjuvant – Traitement adjuvant et néo-adjuvant –
Trastuzumab en néo-adjuvant – Critères de réponse au traitement néo-adjuvant
Keywords
Breast cancer and neoadjuvant treatment – Adjuvant and neoadjuvant treatment –
Trastuzumab in neoadjuvant treatment – Response criteria to neoadjuvant treatment
Prise en charge des tumeurs
volumineuses du sein
Management of bulky breast tumors
M. Spielmann*
I
l s’agit d’une patiente de 47 ans, non ménopausée (56 kg pour
1,65 m, taille soutien-gorge : 90 C) et mère de 2 enfants. Sa
mère a eu un cancer du sein à l’âge de 56 ans. La mammographie met en évidence une opacité irrégulière de 32 mm du QSED
et un foyer de microcalcifications de 10 mm dans le QII gauche
classées ACR IV. L’échographie montre une lésion inhomogène
de 30 mm à droite et rien de particulier à gauche. Les résultats
histologiques des 2 sites biopsiés indiquent, à droite, un cancer
canalaire infiltrant de grade SBR II (3,2,2) avec RE : 70 %, RP :
40 % et HER2–, et, à gauche, un cancer canalaire infiltrant de
grade I. Une chimiothérapie néo-adjuvante (3 FEC 100 et 3 Taxotère® 100) est proposée à cette patiente. Après la chimiothérapie
première, la lésion n’était plus palpable, l’échographie montrait un
reliquat de 9 mm et la mammographie, une persistance de microcalcifications. Le traitement chirurgical a ensuite consisté en une
tumorectomie avec curage axillaire à droite et une tumorectomie
avec ganglion sentinelle à gauche. Les résultats histologiques des
pièces opératoires indiquent, à droite un cancer canalaire infiltrant de 10 mm, de grade SBR II (3,2,2) avec RE : 70 %, RP : 40 %
et HER 2–, avec 1 ganglion positif sur 12 et 3 ganglions stérilisés
par la chimiothérapie, et à gauche, un cancer canalaire infiltrant
de bas grade sur 11 mm avec des marges saines et 2 ganglions
sentinelles négatifs.
Quel bilan diagnostique
p r é t h é r a p e u t i q u e   ? la taille de la tumeur, l’extension tumorale locorégionale et le
sein controlatéral. La taille de la tumeur est généralement bien
estimée par la mammographie, notamment lorsque les seins sont
peu denses, la tumeur est nodulaire et bien circonscrite. Dans
le cas des grosses tumeurs du sein, l’échographie sous-estime
fréquemment le volume tumoral. L’extension locale est appréciée
par la mammographie qui permet aussi la détection de micro­
calcifications périphériques ou à distance, et par l’échographie,
particulièrement sensible pour la détection d’une plurifocalité
et/ou d’une multicentricité. L’IRM offre une meilleure sensibilité pour l’évaluation de la taille tumorale et de l’extension
à distance, mais présente aussi un risque non négligeable de
15 % de surestimation et de faux positifs. L’IRM ne doit donc
pas être systématique mais recommandée en cas de cancer
mal évaluable par l’imagerie standard, de carcinome lobulaire
infiltrant, de prédisposition héréditaire et/ou de seins denses.
L’examen clinique et la mammographie sont insuffisants pour
apprécier l’extension ganglionnaire tandis que l’échographie
présente une valeur diagnostique globale de l’ordre de 84 à 92 % :
elle doit donc être réalisée systématiquement et associée à une
ponction si nécessaire. Une évaluation diagnostique complète
du sein controlatéral doit être effectuée avant toute décision
thérapeutique, le risque de cancer controlatéral synchrone étant
de 9 % et augmentant dans certains contextes (prédisposition
héréditaire, femme jeune, carcinome lobulaire invasif). Il s’agit
souvent de cancers de petite taille, infracliniques et de cancers
intracanalaires.
Le bilan sénologique préthérapeutique doit comprendre un
diagnostic histologique (microbiopsies sous échographie pour
les opacités suspectes et macrobiopsies de type Mammotone®
pour les microcalcifications), un bilan tumoral destiné à évaluer
Difficultés histologiques
f a c e à u n e h y p e r p l a s i e * Service d’oncologie médicale et de pathologie mammaire, institut Gustave-Roussy,
Villejuif.
Le diagnostic différentiel entre une hyperplasie canalaire typique
et une hyperplasie canalaire atypique n’est pas toujours facile
à établir, bien qu’il soit pourtant important, s’agissant de deux
La Lettre du Cancérologue • Vol. XVIII - n° 6 - juin 2009 | 309
cas clinique
maladies distinctes avec des mécanismes physiopathologiques
probablement différents. L’hyperplasie canalaire simple est
caractérisée par l’existence de lésions prolifératives épithéliales ductales avec la présence de lumières secondaires et de
“courants” (caractéristiques morphologiques selon l’OMS). Sans
traduction mammographique (microcalcifications très rares), il
existe un risque, estimé entre 2,5 et 4 % à 15 ans, d’évolution
de ces hyperplasies canalaires simples vers un cancer infiltrant.
Il s’agit donc d’une maladie bénigne dans une grande majorité
des cas.
Les hyperplasies canalaires atypiques se présentent différemment,
avec une prolifération intraductale régulière et un aspect rigide
de cellules monomorphes qui partagent un certain nombre de
caractéristiques du carcinome in situ. Ces hyperplasies canalaires
atypiques sont rares (4 % des biopsies bénignes symptomatiques,
mais 31 % des microcalcifications bénignes) et leur diagnostic
est difficile ; il s’agit bien souvent d’un diagnostic histologique
d’exclusion. Elles constituent un facteur de risque relatif (RR)
de 4 à 5 de développer un cancer canalaire invasif, plus élevé si
la patiente est préménopausée (RR = 6) et s’il existe des antécédents de cancer chez les parents du premier degré (RR = 10) [1].
Le délai moyen de développement d’un cancer canalaire invasif
étant de 8,3 ans, on peut considérer cette lésion comme un stade
préinvasif ou comme un facteur de risque de cancer canalaire
in situ.
Le diagnostic différentiel entre ces deux types d’hyperplasie
repose essentiellement sur l’analyse des caractéristiques
morphologiques et, en cas de doute, le marquage des cytokératines 5/6 (marqueurs de progéniteurs) peut apporter une
indication supplémentaire, un marquage positif suggérant une
hyperplasie canalaire simple.
Quelle est la meilleure
méthode d’évaluation
de la réponse à la chimiot h é r a p i e n é o - a d j u v a n t e ? L’évaluation de la réponse tumorale préopératoire à une chimiothérapie néo-adjuvante doit s’appuyer sur le bilan préthérapeutique initial, celle-ci ne pouvant être bien mesurée que si la tumeur
a été bien évaluée au départ. Dans tous les cas, un repérage
de la tumeur (point de tatouage cutané ou repère intratumoral
radio-opaque échovisible introduit sous radioguidage) est recommandé avant le début de la chimiothérapie. Ce repère sera utile
pour le chirurgien et favorisera l’analyse histologique de la pièce
opératoire.
La surveillance radiologique (mammographie, échographie ± IRM)
permet ensuite, en cours de traitement, d’évaluer la réponse tumorale et de rechercher des facteurs prédictifs de réponse. La réponse
tumorale repose sur le bilan conventionnel (clinique, mammographie et échographie ± IRM), et elle est le plus souvent évaluée
à l’aide des critères RECIST. Lorsqu’une tumeur résiduelle est
constatée après une chimiothérapie néo-adjuvante, deux types de
réponse sont observés : soit une régression concentrique avec une
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tumeur résiduelle assez bien évaluable permettant une chirurgie
conservatrice, soit une régression tumorale par fragmentation
qui rend difficile l’évaluation de la réponse au traitement avec,
dans ces cas, une chirurgie conservatrice confrontée à un risque
élevé de berges positives. Mais il faut savoir aussi qu’en cas de
réponse clinique et radiologique complète des lésions histologiques
résiduelles sont notées dans 52 à 63 % des cas. L’IRM apporte
une meilleure corrélation histo-radiologique de la taille d’une
éventuelle tumeur résiduelle que la clinique, la mammographie
et l’échographie, mais sous-estime aussi les effets du traitement
sur la néovascularisation tumorale et indique parfois des lésions
tumorales alors qu’il s’agit de zones de nécrose tumorale à l’origine d’une inflammation locale. D’où l’intérêt, une fois de plus, de
disposer d’une IRM avant et après chimiothérapie pour permettre
une analyse comparative.
Des facteurs radiologiques prédictifs de réponse ont été identifiés
parmi lesquels une masse tumorale circonscrite et unifocale, une
régression concentrique et/ou une IRM après la première cure
ayant montré une diminution du rehaussement constituant des
facteurs prédictifs de bonne réponse. Au contraire, une masse
focale spiculée, une régression par fragmentation et la présence
de microcalcifications diffuses sont associées à une moins bonne
réponse au traitement.
Chimiothérapie
préopératoire et facteurs
prédictifs de réponse
a u t r a i t e m e n t Les méta-analyses de D. Mauri et de J.S. Meiog, menées sur de
vastes populations de patientes atteintes d’un cancer du sein,
n’ont pas mis en évidence de différence d’efficacité (survie globale,
survie sans maladie) entre une chimiothérapie pré- ou postopératoire. Elles ont aussi montré que la chimiothérapie néo-adjuvante permet d’augmenter le taux de conservation mammaire
(supérieur à 50 %) au prix d’une élévation du risque de récidive
locorégionale (2, 3). En termes de pronostic, l’impact de la réponse
histologique est majeur, une réponse histologique complète
constituant un facteur de bon pronostic avec de meilleurs taux de
survie sans rechute comparés à l’ensemble des autres réponses (4).
L’objectif est donc de rechercher la chimiothérapie la plus efficace
en termes de réponse histologique complète. D’autres méthodes
d’évaluation de la réponse ont été proposées, parmi lesquelles
le score anatomopathologique Residual Cancer Burden (RCB) qui
évalue le diamètre tumoral (avant et après traitement néo-adjuvant), la cellularité au sein de la tumeur invasive, la taille de la
plus grande métastase ganglionnaire et le nombre de ganglions
métastatiques (5). Ce score pronostique est particulièrement
intéressant pour identifier les patientes qui ont bénéficié de la
chimiothérapie préopératoire, même en l’absence de réponse
histologique complète.
Les facteurs biologiques prédictifs de bonne réponse à la chimiothérapie néo-adjuvante les plus fréquemment identifiés sont, un
statut RE négatif, un grade histologique élevé, une surexpression
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d’HER2 et un faible volume tumoral (6, 7). L’âge est apparu aussi
comme un facteur prédictif de bonne réponse, notamment dans
l’étude du NSABP-B18 dont les résultats suggèrent des effets
différents de la chimiothérapie néo-adjuvante, avec un bénéfice,
semble-t-il, plus important chez les patientes jeunes que chez les
patientes âgées de plus de 50 ans (8). En outre, la prolifération
semble exercer aussi un impact sur l’efficacité de la chimiothérapie
préopératoire, les tumeurs présentant une prolifération élevée
répondant mieux au traitement (9).
Au vu des différents essais, la chimiothérapie néo-adjuvante la
plus efficace repose sur une association anthracyclines + taxanes
en concomitant ou en séquentiel. Des données relatives aux
patientes dont la tumeur surexprime HER2 avaient démontré
l’intérêt d’associer le trastuzumab à la chimiothérapie avant
chirurgie, en situation néo-adjuvante. Ainsi, l’étude de phase III,
NOAH (NeOAdjuvant Herceptin®), dont les résultats ont été
communiqués lors de la dernière European Breast Cancer Conference, et menée auprès de 228 patientes atteintes d’un cancer
du sein localement avancé surexprimant HER2, a permis de
mettre en évidence, après 3 ans de suivi, un bénéfice significatif
en faveur de l’association trastuzumab + chimiothérapie (versus
chimiothérapie seule) sur le critère principal, la survie sans événement (un événement étant défini par une progression ou une
récidive de la maladie ou un décès). Le trastuzumab a permis de
réduire de moitié le risque de récidive (HR = 0,56 ; p = 0,006),
70 % des patientes traitées par trastuzumab + chimiothérapie
n’ayant pas présenté de récidive (versus 52 % dans le groupe
chimiothérapie). Le taux de réponse histologique complète est
également un critère essentiel en situation néo-adjuvante, car il
est corrélé à la survie sans récidive et à la survie globale. Près de
la moitié des patientes traitées par trastuzumab + chimiothérapie
(43 % versus 23 % ; p = 0,002) ont présenté, après analyse de
la pièce opératoire, une réponse histologique complète, ce qui
témoigne, une nouvelle fois, de l’efficacité de cette association
thérapeutique. Les résultats de cette étude de phase III ont ainsi
confirmé que l’ajout du trastuzumab à la chimiothérapie en
situation néo-adjuvante est intéressant et doit être précoce chez
les patientes dont la tumeur surexprime HER2.
L’expression de la topoisomérase II et de Map-tau malgré
des ­résultats décevants et contradictoires du congrès de San
Antonio 2008 interviendra peut-être dans les années à venir dans
le choix de la chimiothérapie néo-adjuvante.
Hormonothérapie
a d j u v a n t e Différents types d’hormonothérapie peuvent être proposés actuellement aux patientes atteintes d’un cancer du sein surexprimant
les récepteurs hormonaux RE et/ou RP en fonction de leur âge et de
leur statut ménopausique (patientes non ménopausées, patientes
âgées de moins de 50 ans, réglées ou en aménorrhée primaire ou
secondaire, patientes âgées de plus de 50 ans et encore réglées,
patientes ménopausées avec une aménorrhée datant de plus de
1 an). Outre les traitements de suppression ovarienne (ovariectomie, radiothérapie, ces deux techniques tombant un peu en
désuétude au profit des agonistes de la LHRH), l’hormonothérapie
la plus utilisée aujourd’hui chez les patientes préménopausées est
le tamoxifène pendant 5 ans. Des données inattendues de l’étude
coordonnée par M. Gnant (tamoxifène versus tamoxifène + acide
zolédronique versus anastrozole versus anastrozole + acide zolédronique), menée auprès de 1 803 patientes préménopausées atteintes
d’un cancer du sein RE+, ont été présentées lors du dernier congrès
de l’ASCO (10) : cette étude a en effet mis en évidence un bénéfice
significatif en termes de rechutes (locorégionale, à distance, voire
controlatérale) et de survie sans rechute chez toutes les patientes
ayant reçu en adjuvant un traitement complémentaire par acide
zolédronique (HR = 0,64 ; p = 0,011). Les résultats de cette étude
sur la survie globale ne sont pas encore disponibles.
Différents essais portant sur les patientes ménopausées ont évalué
l’efficacité et la tolérance des inhibiteurs de l’aromatase versus
tamoxifène (anastrozole dans l’étude ATAC, létrozole dans l’étude
BIG, et exémestane dans l’étude TEAM). Les résultats de l’étude
ATAC, publiés dans The Lancet en 2005, avaient mis en évidence l’intérêt d’un traitement par anastrozole (versus tamoxifène) pendant
5 ans, avec un bénéfice significatif observé sur la survie sans rechute,
la rechute à distance et le risque de cancer du sein controlatéral (11).
Les résultats actualisés de l’étude BIG, présentés en décembre dernier
au SABC, ont confirmé qu’un traitement de 5 ans par létrozole
(versus tamoxifène) permet une réduction significative du risque de
récidive, et en particulier des récidives à distance. La comparaison
des bras séquentiels au létrozole seul pendant 5 ans ne montre
aucune différence significative entre les 3 bras, mais des résultats
plutôt en faveur d’un traitement continu par l’antiaromatase en
termes d’événements. Les résultats de l’étude TEAM, bien qu’ayant
un suivi encore assez court, semblent eux aussi intéressants. ■
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