Modélisation de la cinétique du CA 125 sous chimiothérapie
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Modélisation de la cinétique du CA 125 sous chimiothérapie
abc de mémoire d’interne Ann Biol Clin 2004, 62 : 99-102 Modélisation de la cinétique du CA 125 sous chimiothérapie Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 78.47.27.170 le 08/02/2017. G. Carcenac A. Georges L. Bordenave Service de médecine nucléaire, Hôpital du Haut-Lévêque, CHU de Bordeaux, avenue de Magellan, 33600 Pessac [email protected] Résumé. Le CA 125 est un marqueur sérique tumoral dont la concentration sérique est augmentée dans les tumeurs épithéliales ovariennes nonmucineuses. Ce marqueur est peu sensible et peu spécifique et n’est pas utilisé lors du diagnostic. Des études cinétiques peuvent être réalisées lors du suivi des patientes en cours de chimiothérapie. Ce travail recense 75 patientes ayant bénéficié d’une chirurgie cytoréductrice puis d’une chimiothérapie de première ligne. Les variations du CA 125 sérique durant la chimiothérapie ont été étudiées : calcul des pentes de décroissance, de la courbe de régression monoexponentielle, et des demi-vies d’élimination. Une recherche de persistance tumorale est effectuée par scanner et/ou second regard chirurgical lors d’un bilan post-chimiothérapeutique. Si la pente est supérieure à – 0,0156 (demi-vie supérieure à 44,43 jours), la recherche d’une persistance tumorale est positive ; si la pente est inférieure à – 0,0340 (demi-vie inférieure à 20,39 jours), la recherche est négative. À partir de cette étude, une représentation graphique individualisée des variations du CA 125 pendant la chimiothérapie est proposée. Son exploitation pourrait, en association avec les facteurs pronostiques classiques, contribuer à améliorer la prise en charge des patientes. Mots clés : cancer ovarien, CA 125, variation cinétique, pente, demi-vie Summary. CA 125 is a tumoral marker that may be elevated in non-mucinous epithelial ovarian tumours but is neither sensitive nor specific enough to be used as a diagnostic tool. However, CA 125 serum concentration variations can be used for monitoring chemotherapy efficiency. This study concerns 75 patients who underwent surgical cytoreduction followed by a first-line chemotherapy during which CA 125 serum variations were studied by calculation of mono-exponential regression curve slopes and half-lives. Persistence of tumour residues was evaluated by tomodensitometry and/or second look surgery during a post-chemotherapy check-up. A slope > – 0,0156 (half-life > 44,43 d) was a perfect predictor of a persistent tumour; conversely, a slope < – 0,0340 (half-life < 20,39 d) reliably predicted the absence of detectable tumour. We propose a personalised graphic representation of CA 125 variations to follow-up chemotherapy. Its exploitation, in association with classical prognostic factors, could improve patients monitoring. Article reçu le 17 décembre 2002, accepté le 12 août 2003 Key words: ovarian cancer, CA 125, kinetic variation, slope, half-life Le CA 125 est le marqueur tumoral sérique dosé en première intention au cours des tumeurs épithéliales ovariennes. Il est augmenté dans les tumeurs non-mucineuses. Il manque de sensibilité (notamment dans les tumeurs peu avancées) et de spécificité (il est augmenté dans d’autres pathologies tumorales ou bénignes telles que le kyste ovarien, le fibrome utérin, l’endométriose, l’altération du périAnn Biol Clin, vol. 62, n° 1, janvier-février 2004 toine et plus généralement l’altération des séreuses...). Le seuil de discrimination est 35 U/mL [1]. Ces tumeurs sont caractérisées par des signes cliniques peu marqués. Elles sont souvent diagnostiquées à un stade avancé et sont alors associées à un pronostic sombre. Des facteurs pronostiques sont retrouvés par tous les auteurs : résultat de la chirurgie initiale, stade FIGO et grade histo99 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 78.47.27.170 le 08/02/2017. de mémoire d’interne logique. Les données liées au CA 125 ne sont pas reconnues comme facteurs pronostiques indiscutables [2]. La prise en charge de ces tumeurs associe chirurgie, chimiothérapie et éventuellement radiothérapie. Pour rechercher une persistance tumorale, un bilan postchimiothérapeutique (examen clinique, scanner thoracoabdomino-pelvien et dosage du CA 125) est effectué et, pour certaines équipes, un second regard chirurgical (second look) peut être réalisé [3]. De par son manque de sensibilité et de spécificité, le CA 125 ne peut être utilisé pour le diagnostic mais il présente un intérêt pour le suivi des patientes. L’efficacité à court terme des traitements utilisés peut être appréciée en évaluant la baisse du CA 125 par le calcul de paramètres cinétiques [4]. Une étude rétrospective a été réalisée pour évaluer les variations cinétiques du CA 125 en cours de chimiothérapie de première ligne. Puis, une corrélation a été recherchée entre un paramètre cinétique de variation du CA 125 : la pente de décroissance ou la demi-vie apparente (demi-vie sous chimiothérapie), et les résultats de la recherche d’une persistance tumorale à court terme. Matériel et méthodes Patientes Les patientes incluses dans cette étude ont été traitées pour tumeur ovarienne maligne non-mucineuse entre 1995 et 2001. Elles ont bénéficié d’une chirurgie cytoréductrice suivie d’une chimiothérapie (6 cycles à base de sels de platine) au cours de laquelle au moins 3 dosages de CA 125 ont été effectués. Les patientes n’ayant pas bénéficié de chirurgie, celles ayant reçu un traitement intercurrent et celles dont la concentration de base a été mesurée moins de 3 semaines après la chirurgie abdominale (augmentation du CA 125 par altération péritonéale) [5] ont été exclues. L’étude porte sur 75 patientes. Paramètres Dans chaque dossier clinique, différents paramètres ont été relevés : la date de l’intervention chirurgicale, la date des cures de chimiothérapie, et, concernant le CA 125, les dates de réalisation des dosages, techniques utilisées et concentrations de CA 125 mesurées. Les concentrations sont mesurées avant chaque cure, et pour chaque patiente, avec la même trousse de dosage. Ont été utilisées les trousses Elsa-CA 125 II® (Cis bio International, Gif/Yvette) et Irma-mat® CA 125 II (Byc-Sangtec Diagnostica, GmbH Co.KG, Dietzenbach) qui font appel à des méthodes immunoradiométriques et la trousse Ovca® (TosohBioscience®,Saran)quiutiliseuneréactionimmunoenzymologique. Avec la trousse Elsa CA 125 II®, les coefficients de variation (CV) inter-essais sont respectivement 100 de 4,2 %, 3,3 % et 3,2 % pour des sérums de concentration moyenne 47 U/mL, 144 U/mL et 440 U/mL. Avec la trousse Irma-mat® CA 125 II, les CV inter-essais sont de 4,8 %, 7,7 % et 6,1 % pour des sérums de concentration moyenne 44 U/mL, 98 U/mL et 309 U/mL. Enfin, avec la trousse Ovca®, les CV inter-essais sont 4,7 %, 5,2 % et 4,9 % pour des concentrations moyennes respectivement de 21,5 U/mL, 102,5 U/mL et 657,6 U/mL. Tous les sérums sont dosés purs et dilués au demi en première intention et au-delà si nécessaire. La persistance tumorale a été objectivée par les résultats de la chirurgie de second regard et/ou par l’imagerie lors du bilan postchimiothérapeutique. Calcul des paramètres cinétiques Pour chaque patiente, au moins 3 concentrations de CA 125 ont été prises en compte. La première concentration de CA 125 utilisée est celle correspondant à la première cure de chimiothérapie (valeur de base). Pour le calcul de la pente de décroissance et de la demi-vie apparente, ont été prises en compte les valeurs de CA 125 supérieures à 15 U/mL (en deçà, on ne différencie pas productions physiologique et tumorale [1]). Si en cours de chimiothérapie, les concentrations de CA 125 se stabilisent (population tumorale résistante), seules les concentrations de la partie décroissante sont prises en compte. Le logiciel Excel® établit la courbe de régression monoexponentielle en calculant l’équation de la courbe des moindres carrés : y = a epx, avec : y : taux de CA 125 (U/mL), x : nombre de jours après le début de la chimiothérapie, p : pente de la courbe de régression, a : point d’intersection de la courbe avec l’axe des y. La demi-vie d’élimination apparente est calculée par la formule : t 1/2 = ln 2/ (- p). Le coefficient de corrélation r est calculé par le logiciel Excel®. Résultats Données liées au CA 125 Pour chaque patiente, 3 à 6 concentrations de CA 125 ont été prises en compte (médiane = 3 ; moyenne = 3,74) pour le calcul de la pente, de la demi-vie apparente et du coefficient de corrélation r. Les valeurs des pentes de décroissance vont de – 0,0922 à 0,0028. Si la valeur absolue de r (|r|) est supérieure à 0,75, nous considérons que la corrélation est satisfaisante. Pour 2 patientes, |r| est inférieur à 0,75 ; dans ces cas, (pente = + 0,00001, r = 0,47 ; pente = 0,0028, r = 0,63), les taux de CA 125 ne diminuent pas après chimiothérapie ce qui traduit vraisemblablement une résistance tumorale ; la corrélation monoexponentielle n’est alors pas satisfaisante, ce qui explique que |r| soit faible. Ann Biol Clin, vol. 62, n° 1, janvier-février 2004 Bilan post-chimiothérapeutique Une persistance tumorale a été trouvée chez 44 patientes (58,7 %) : pour 9 d’entre elles, le second regard chirurgical était positif, pour 19 d’entre elles, le scanner était positif, pour 9 d’entre elles, le second regard chirurgical et le scanner étaient positifs, et pour 7 d’entre elles le second regard chirurgical était positif alors que le scanner était négatif. Chez 31 patientes (41,3 %), il n’a pas été trouvé de persistance tumorale : pour 11 d’entre elles, le scanner était négatif, pour 10 d’entre elles le second regard chirurgical était négatif et pour 10 d’entre elles le second regard chirurgical et le scanner étaient négatifs. Classification des résultats de la recherche de persistance tumorale selon la pente de la droite de régression ou la demi-vie de décroissance Les 75 patientes peuvent être classées en 3 catégories selon la valeur de la pente (figure 1) ou de la demi-vie (données non montrées) : – pour 14 patientes (18,7 %), la pente est supérieure à – 0,0156 (demi-vie supérieure à 44,43 jours). On retrouve une persistance tumorale. La moyenne des valeurs de pentes est – 0,0073 et l’écart-type est 0,0051 ; – pour 22 patientes (29,3 %), la pente est inférieure à – 0,0340 (demi-vie inférieure à 20,39 jours). On ne retrouve pas de persistance tumorale. La moyenne des valeurs des pentes est – 0,0533 et l’écart-type est 0,0153 ; – pour 39 patientes (52 %), la pente est entre – 0,0340 et – 0,0156 (demi-vie entre 20,39 et 44,43 jours). On retrouve ou non, selon les cas, une persistance tumorale. La moyenne des valeurs des pentes est – 0,0254 et l’écarttype est 0,0050. L’analyse des variances montre une différence significative entre les valeurs des pentes de chaque groupe (p < 0,0001) ; le test a posteriori (PLSP de Fischer) montre que chaque groupe est différent des 2 autres (p < 0,0001). Discussion Comparaison avec les données bibliographiques De nombreux auteurs ont rapporté les variations cinétiques du CA 125 sous chimiothérapie [5]. Les valeurs de demi-vies publiées sont du même ordre de grandeur que celles de cette étude mais les méthodologies étant différentes, les résultats obtenus sont difficiles à comparer. mono-exponentielle, on calcule une demi-vie apparente ; pour une décroissance bi-exponentielle, on calcule deux demi-vies apparentes. La prise en compte d’une seconde exponentielle est mieux corrélée à l’efficacité des traitements mis en œuvre. Les auteurs conseillent de rechercher systématiquement une seconde exponentielle [6]. Le caractère rétrospectif de ce travail n’a permis de relever qu’un nombre limité de valeurs de CA 125 dans la plupart des cas (le plus souvent 3), ce qui rend impossible la recherche systématique d’une seconde exponentielle. Proposition d’une nouvelle représentation graphique Au vu des résultats, nous proposons une représentation individualisée des variations du CA 125 en cours de chimiothérapie (figure 2). Chaque concentration est portée sur un graphique avec en abscisse le nombre de jours après le début de la chimiothérapie et en ordonnée les concentrations du CA 125 sur une échelle logarithmique. Ce graphique est partagé en trois zones délimitées par des droites tracées à partir du taux de base, selon les pentes correspondant aux valeurs extrêmes retrouvées par ce travail : une zone Persistance (située au-dessus d’une droite dont la pente est la plus élevée retrouvée dans ce travail), une zone Disparition (située en-dessous de la droite dont la pente est la plus faible retrouvée dans ce travail) et une zone grise située entre les zones Persistance et Disparition. Si durant la période de chimiothérapie, la droite de régression se situe dans la zone Disparition, on suggère que la persistance tumorale est peu probable. Si la droite de régression se situe dans la zone Persistance, on suggère que 0,01 0 Pente de la droite de régression Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 78.47.27.170 le 08/02/2017. Cinétique du CA 125 - 0,01 - 0,02 - 0,03 - 0,04 - 0,05 - 0,06 - 0,07 - 0,08 - 0,09 - 0,1 Le modèle de décroissance mono-exponentielle est-il toujours approprié ? Des auteurs remettent en cause l’hypothèse d’une variation systématiquement mono-exponentielle du CA 125 pour une tumeur chimiosensible : pour une décroissance Ann Biol Clin, vol. 62, n° 1, janvier-février 2004 Persistance tumorale Absence de persistance tumorale Figure 1. Valeurs des pentes de décroissance et persistance tumorale. 101 de mémoire d’interne Limites du travail Cette étude présente des limites. Les concentrations sériques de CA 125 peuvent être artificiellement modifiées dans certaines circonstances : des altérations des capacités d’épuration de l’organisme augmentent les concentrations de CA 125, des transfusions sanguines provoquent une hémodilution qui diminue les concentrations du marqueur. Ces données (insuffisance hépatique ou rénale, transfusions) n’ont pas été relevées. Enfin, le caractère rétrospectif de cette étude n’a pas permis de relever une concentration de CA 125 lors de chaque cure. L’exploitation que nous avons faite ne s’applique qu’aux patientes traitées par chirurgie puis chimiothérapie pour lesquelles les concentrations de CA 125 restent supérieures à 15 U/mL au cours d’au moins 3 dosages et pour lesquelles le délai entre la chirurgie et la mesure de la concentration de base est d’au moins 3 semaines. La zone Zone Persistance Zone grise Conclusion Ce travail confirme l’intérêt à déterminer les variations cinétiques du CA 125 dans le suivi des tumeurs ovariennes non-mucineuses. Ces paramètres pourraient être utilisés pour le suivi des patientes en association avec les facteurs pronostiques classiques. Remerciements. Nous remercions les professeurs Caudry, Dallay et Hocké, les docteurs Brun et Trouette (CHU de Bordeaux) ainsi que les docteurs Floquet et Wafflart (Institut Bergonié, Bordeaux) pour nous avoir permis d’accéder aux archives de leur service. 1. Dubois JB, Grenier J. Marqueurs Tumoraux. Montpellier : Editions Espaces, 1996. 2. Lhomme C, Paytier P. Facteurs pronostiques et chimiothérapie de première ligne des adénocarcinomes ovariens. Encycl Méd Chir Gynécologie 2000 ; 3 : 630 J10. 3. Dauplat G, Guastalla A. Cancer de l’ovaire. Paris : Arnette Blacwell, 1996. Zone Disparition 0 40 80 120 Nombre de jours après le début de la chimiothérapie Figure 2. Représentation graphique individualisée des variations du CA 125 sous chimiothérapie. 102 grise pourrait être réduite par des prélèvements plus fréquents et donc une incertitude sur le calcul de la pente moins grande. D’autres travaux sont à prévoir pour envisager l’élargissement des applications à d’autres patientes : celles qui n’ont pu bénéficier d’une chirurgie initiale et celles dont la concentration de base est mesurée trop tôt par rapport à la chirurgie empêchant ainsi la prise en compte de la première concentration pour le calcul des paramètres cinétiques (par exemple en calculant les paramètres à partir de la seconde concentration). Enfin, les pentes mesurées sont expérimentales et modifiables au vu de nouveaux résultats. Références Taux de CA 125 (U/mL) Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 78.47.27.170 le 08/02/2017. la persistance tumorale est très probable. À partir de cette représentation, des applications sont envisageables : si après les premières cures, la droite de régression se situe dans la zone Persistance, on aurait une résistance de la tumeur aux traitements mis en œuvre et une alternative thérapeutique pourrait être envisagée. 4. Bast RC Jr, Xu FJ, Yu YH, et al. CA 125 : the past and the future. Int J Biol Markers 1998 ; 13 : 179-87. 5. Bidart JM, Thuillier F, Augereau C, et al. Kinetics of serum tumor marker concentrations and usefulness in clinical monitoring. Clin Chem 1999 ; 45 : 1695-707. 6. Riedinger JM, Eche N, Basuyau JP, et al. Interprétation des cinétiques du CA 125 sous chimiothérapie de première ligne des cancers de l’ovaire : aspects méthodologiques et profils caractéristiques. Ann Biol Clin 2002 ; 60 : 183-91. Ann Biol Clin, vol. 62, n° 1, janvier-février 2004