Égalité de traitement pour les homo, bi et transsexuels : les grandes

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Égalité de traitement pour les homo, bi et transsexuels : les grandes
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Égalité de traitement pour
les homo, bi et transsexuels :
les grandes orientations de l’Union européenne
en matière de justice et affaires intérieures
Un document directif de l’ILGA-Europe
(IE doc. 6/2001/FR)
Novembre 2001
Écrit pour le Conseil exécutif de l’ILGA-Europe par Mark Bell, de la faculté de droit de
l’université de Leicester.
Le présent document directif est publié avec l’aide de la Communauté européenne, dans le
cadre de son action « l’Union européenne contre la discrimination ». Son contenu ne reflète
pas nécessairement les positions ou les vues de la Commission européenne, qui n’est pas
responsable de l’utilisation éventuellement faite des informations figurant dans le texte.
ILGA-Europe enjoys consultative status with the Council of Europe and is a member of the Platform of European Social NGOs.
ILGA-Europe receives financial support from the Stonewall Lobby Group (UK).
2
1.
Introduction
Ces dernières années, l’Union européenne s’est engagée beaucoup plus loin dans la défense
de l’égalité de traitement pour toutes les personnes, quelle que soit leur orientation sexuelle.
En 1999, le Traité d’Amsterdam modifiait le Traité instituant la Communauté européenne et
donnait au Conseil de nouvelles prérogatives lui permettant de « prendre les mesures
nécessaires en vue de combattre toute discrimination fondée sur le sexe, la race ou l’origine
ethnique, la religion ou les convictions, un handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle »1. Le
Conseil n’a pas tardé à faire valoir ces nouvelles compétences pour adopter, en novembre
2000, la directive cadre en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail.2
Il y est demandé aux États membres d’interdire, en matière d’emploi, toute discrimination
fondée sur la religion ou les convictions, un handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle. Ensuite,
le principe de l’égalité de traitement, quelle que soit l’orientation sexuelle de chacun, a été
une nouvelle fois affirmé dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne,
adoptée en décembre 2000.3 On peut y lire à l’article 21.1 qu’est interdite « toute
discrimination fondée notamment sur … l’orientation sexuelle ».
Le droit communautaire considère la discrimination à l’égard des transsexuels comme une
forme de discrimination sexuelle. Le principe en a été établi en 1996 dans l’affaire P. c. S. et
Cornwall County Council par la Cour de justice, qui a jugé qu’un licenciement motivé par un
changement de sexe constituait une discrimination fondée sur le sexe.4 L’ILGA-Europe a
plaidé pour l’ajout de « l’identité sexuelle » (gender identity) dans les dispositions de la
Charte relatives à la non-discrimination, de manière à protéger les transsexuels plus
explicitement et plus complètement. L’expression n’apparaît pas dans le texte final de la
Charte, mais l’on peut penser que la discrimination sexuelle visée à l’article 21.1 couvre le
cas des transsexuels. Cela étant entendu, nous parlerons dans le présent texte de la
discrimination fondée sur l’identité sexuelle chaque fois que nous nous intéresserons de
manière spécifique aux transsexuels.
Il ressort de l’expérience du droit et de la politique communautaires en matière de
discrimination sexuelle que, si les lois antidiscriminatoires sont un élément essentiel de toute
stratégie d’égalité des chances, on ne peut s’en remettre à ces seules lois pour garantir un
traitement égal dans la pratique.5 Elles doivent être accompagnées de mesures conçues pour
intégrer à tous les domaines d’intérêt général ce principe d’égalité, et il faut en tout cas éviter
que les autres instruments d’intervention ne sapent ou ne contredisent les objectifs poursuivis
avec les lois antidiscriminatoires. Cette approche transversale – qui veut l’intégration de la
perspective d’égalité à tous les niveaux législatifs et décisionnels – est souvent appelée
« mainstreaming ». Au niveau le plus élémentaire, cela veut dire qu’il faut prendre le principe
d’égalité en compte quelle que soit la matière traitée et à tous les stades de l’élaboration, de
l’exécution et de l’évaluation des politiques.
L’ILGA-Europe croit que le principe de « mainstreaming » doit aussi s’appliquer à la
discrimination à l’égard des lesbiennes, des gays, des bi et des trans. Il convient donc de
revoir toutes les orientations de l’Union européenne à la lumière de leur impact sur ces
1
Article 13 du Traité instituant la Communauté européenne.
Directive 2000/78/CE du 27 novembre 2000 portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de
traitement en matière d’emploi et de travail, [2000] JO L303/16.
3
[2000] JO C364/01.
4
Affaire C-13/94, P. c. S. et Cornwall County Council [1996] Rec. I-2143.
5
Commission, « Intégrer l’égalité des chances entre les femmes et les hommes dans l’ensemble des politiques et
actions communautaires », COM (1996) 67, 21 février 1996, 2.
2
3
différentes catégories de personnes. On notera – et c’est encourageant – que la Commission a
d’ores et déjà pris l’habitude d’évaluer toute nouvelle proposition d’ordre législatif à l’aune
de la Charte des droits fondamentaux.6 Du point de vue des homo, bi et transsexuels, cela
suppose qu’aucune initiative législative ne soit entachée de discrimination fondée sur
l’identité ou l’orientation sexuelle. Et c’est pour voir de quelle manière elles affectent les
minorités sexuelles que nous passerons en revue plus loin les grandes orientations de l’Union
européenne en matière de justice et d’affaires intérieures. Nous chercherons à identifier les
domaines du droit communautaire où cette discrimination existe actuellement et doit
disparaître. Nous essaierons aussi de voir comment l’Union européenne peut agir pour
apporter une contribution active à la promotion de l’égalité de traitement.
Avec la présente note, nous voulons sensibiliser tant les décideurs européens et nationaux que
les associations lesbiennes, gay, bisexuelles et transsexuelles et autres organisations de
défense des droits de l’homme. Les orientations de l’Union européenne en matière de justice
et d’affaires intérieures relèvent d’un cadre juridique très complexe. Pour ceux qui
connaissent mal ce dossier, la lecture de l’annexe 1 (en anglais), qui traite en général du
pouvoir réglementaire de l’Union européenne dans ce domaine, devrait être utile. Dans les
chapitres qui suivent, on détaillera la question pour voir en quoi homosexuels, bisexuels et
transsexuels sont concernés. On commencera par un examen général du volet « justice », pour
ensuite s’attarder plus longuement sur la problématique de l’immigration et du droit d’asile.
2.
Justice
Nous sommes à un moment clé de la définition et du développement du rôle que l’Union
européenne est appelée à jouer dans le domaine de la justice et des affaires intérieures. Dans
les conclusions du Conseil européen de Tampere, on peut lire qu’il faut établir « un véritable
espace de justice » en Europe et « agir de concert, dans toute l’Union, en matière de lutte
contre la criminalité ».7 Aussi bien « l’amont » que « l’aval » du droit et de la politique
pénaux sont examinés sous ces titres. D’une part, il est prévu des mesures visant à dissuader
et prévenir la criminalité, telles une coopération renforcée entre les polices européennes et
l’harmonisation de certains aspects du droit pénal ; d’autre part, il est question de mesures
visant à traiter les conséquences de l’infraction, tant sur le plan d’une coopération plus
efficace entre les autorités judiciaires que d’une meilleure protection des droits des victimes.
Trop souvent, le droit pénal sert à réprimer les minorités sexuelles.8 En 1993, le code pénal
irlandais interdisait encore tout rapport sexuel entre hommes, même adultes et consentants.9
Par ailleurs, les lois pénales de plusieurs États membres de l’Union et États candidats à
l’adhésion contiennent à ce jour des éléments discriminatoires. Ainsi, en Autriche, la majorité
sexuelle est fixée à 18 ans pour les rapports homosexuels masculins, alors qu’elle n’est que de
6
Ainsi, le quatrième considérant de la proposition de directive relative à des normes minimales pour l’accueil
des demandeurs d’asile (COM (2001) 181, 28) ou le septième considérant de la proposition de directive relative
au statut de réfugié (COM (2001) 510, version provisoire, 12 septembre 2001, 41).
7
Conclusions du Conseil européen de Tampere, 15-16 octobre 1999, Bulletin – U.E., 10-1999.
8
On en trouvera nombre d’exemples dans ILGA-Europe, « Discrimination against lesbian, gay and bisexual
persons in Europe », rapport présenté à la Commission des questions juridiques et des droits de l’homme de
l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, 16 février 2000. Disponible à l’adresse : http://www.ilgaeurope.org.
9
K. Rose, « Irlande » dans ILGA-Europe (éd.), Égaux en droits – les homosexuel/les dans le dialogue civil et
social (Bruxelles : ILGA-Europe, 1998) 68.
4
14 ans pour les rapports hétérosexuels.10 Cette inégalité se retrouve aussi en Bulgarie, en
Hongrie, en Roumanie et à Chypre.11 La Commission européenne des droits de l’homme a
pourtant estimé en 1997 que pareille distinction était contraire à la Convention européenne
des droits de l’homme.12 Sur le plan pénal, la discrimination ne se limite pas à cette question
de la majorité sexuelle. C’est ainsi qu’en 2000, concernant le Royaume-Uni, l’interdit pesant
sur toute activité sexuelle – même consensuelle et en privé – impliquant plus de deux hommes
a été jugé incompatible avec la Convention des droits de l’homme.13
Homosexuels, bisexuels et transsexuels sont encore concernés par le droit pénal dans la
mesure où ils sont la cible d’agressions homophobes ou « transphobes ».14 En témoigne
l’enquête menée auprès de 600 gays et lesbiennes suédois en 1996, dont il ressort que 23%
des personnes interrogées avaient été victimes d’agressions inspirées par l’intolérance (« hate
crimes »).15 D’autres recherches conduites en Irlande en 1995 ont fait apparaître que 25% et
79% des personnes interrogées avaient été respectivement physiquement et verbalement
agressées à cause de leur orientation sexuelle.16 Cette catégorie d’agressions va de l’insulte et
de la brimade au meurtre, comme dans le cas des trois personnes tuées par une bombe dans un
pub londonien de Soho, en 1999. Par ailleurs, sachant le traitement discriminatoire que la loi
ou l’application de la loi leur réserve souvent, les homosexuels, bisexuels et transsexuels ont
des rapports difficiles avec les représentants de l’ordre. Ils sont plus exposés que d’autres à
certaines agressions, mais hésitent davantage à porter plainte. Ainsi, un transsexuel ne le fera
pas s’il doit pour cela produire une carte d’identité qui indique un sexe non conforme à son
identité sexuelle. Le fait que la justice ne soit pas systématiquement saisie fait que beaucoup
d’agressions restent impunies et que les agresseurs se sentent autorisés à en commettre de
nouvelles.
Il faut absolument que l’Union européenne tire les enseignements du traitement réservé aux
homosexuels, bisexuels et transsexuels dans les législations pénales nationales au moment de
concevoir un nouveau corpus de droit pénal européen. Les premiers signes ne sont guère
encourageants.
i) Les homosexuels, bisexuels et transsexuels comme sujets de droit pénal
L’article 21.1 de la Charte des droits fondamentaux interdisant toute discrimination fondée
sur le sexe ou l’orientation sexuelle, il est inadmissible que l’Union européenne se dote de
nouveaux instruments juridiques pénaux y donnant lieu. C’est un domaine où la vigilance est
de rigueur, car le caractère discriminatoire d’une disposition pénale découle parfois non de sa
définition, mais de son application. Une infraction apparemment neutre, qui s’applique de la
même manière à tous les comportements sexuels, n’est parfois réprimée que si elle est le fait
10
K. Krickler, « Autriche » dans ILGA-Europe (éd.), Égaux en droits – les homosexuel/les dans le dialogue civil
et social (Bruxelles: ILGA-Europe, 1998) 36.
11
Voir ILGA-Europe (éd.), Equality for lesbians and gay men – a relevant issue in the accession process
(Bruxelles: ILGA-Europe, 2001), chapitres 1, 2, 5 et 10. La Roumanie et Chypre sont en train de prendre des
décisions qui pourraient mener à l’abrogation de ces lois.
12
Sutherland c. Royaume-Uni [1997], rapports de la Commission européenne des droits de l’homme,
supplément, CD 22.
13
ADT c. Royaume-Uni [2001] 31 EHRR 33.
14
Voir sur ce point, ILGA-Europe, « Discrimination against lesbian, gay and bisexual persons in Europe »,
rapport présenté à la Commission des questions juridiques et des droits de l’homme de l’Assemblée
parlementaire du Conseil de l’Europe, 16 février 2000.
15
B. Skolander, « Suède » dans ILGA-Europe (éd.), Égaux en droits – les homosexuel/les dans le dialogue civil
et social (Bruxelles : ILGA-Europe, 1998) 101.
16
GLEN and NEXUS Research Cooperative, Poverty - lesbians and gay men. The economic and social effects of
discrimination (Dublin: Combat Poverty Agency, 1995) 78.
5
de deux femmes ou de deux hommes, ou nettement plus lourdement. C’est ainsi qu’au
Royaume-Uni, tout contact sexuel en public est passible de sanctions pénales, mais la police
ne s’inquiète de faire respecter la loi que quand les partenaires sont de même sexe. Qui plus
est, dans les rares cas où des personnes ont été poursuivies pour des attouchements
hétérosexuels, ceux-ci ont été considérés comme des atteintes relativement bénignes à l’ordre
public et n’ont été punis que légèrement (par exemple, une petite amende), tandis que les
attouchements homosexuels ont été jugés comme des faits de délinquance sexuelle et punis en
conséquence de sanctions lourdes allant jusqu’à l’emprisonnement.17
Le risque que l’Union européenne adopte sans le vouloir des mesures susceptibles de
donner lieu à discrimination dans leur application a été récemment illustré par une proposition
de décision-cadre relative à la lutte contre l’exploitation sexuelle des enfants et la
pédopornographie.18 L’ILGA-Europe souscrit entièrement à cette cause, mais la proposition
contenait des termes larges et vagues qui pouvaient la faire aller bien au-delà de l’exploitation
sexuelle des enfants. Plus précisément, dans la version anglaise du texte, on se proposait de
punir ceux qui pousseraient une personne âgée de moins de 18 ans à se livrer à un
comportement sexuel par « inducement ».19 Nulle part, ce terme n’était défini ou expliqué ; le
dictionnaire définit « inducement » comme simplement « a thing that persuades or leads
someone to do something » (quelque chose qui persuade quelqu’un de faire quelque chose ou
l’amène à le faire).20 En outre, les auteurs de la proposition avaient ignoré le fait que, dans
beaucoup d’États membres, l’âge de la majorité sexuelle était bien inférieur à 18 ans et
n’avaient pas fait de distinction claire entre une persuasion légitime et une contrainte non
légitime. Enfin, leur texte était rédigé de telle manière que des rapports sexuels entre deux
jeunes de moins de 18 ans, proposés par l’un et acceptés par l’autre, pouvaient devenir un
délit. De prime abord, un garçon ou une fille de 16 ans qui aurait « incité » quelqu’un de 17
ans à avoir avec lui ou elle des rapports sexuels consensuels se serait rendu coupable d’une
infraction pénale.
C’est ce genre d’instrument législatif qui présente pour l’avenir un réel danger d’effet
discriminatoire dans son application. La police et la justice n’appliqueront peut-être pas ces
lois quand seront concernés des comportements sexuels adolescents considérés comme
« normaux », mais l’histoire montre que les homosexuels peuvent en pâtir quand des policiers
ou des juges, par préjugé ou par ignorance, voient dans des rapports intimes entre individus
du même sexe un plus grand « risque » pour le développement de la personne. Les
homosexuels, bisexuels et transsexuels appartenant à une minorité ethnique sont encore plus
vulnérables, puisqu’ils sont exposés à la fois à l’homophobie et au racisme présents dans les
institutions policière et judiciaire.
Il est encourageant de voir que la décision-cadre a été modifiée à la suite, notamment,
d’interventions de l’ILGA-Europe. Le mot « inducement » a disparu du texte et n’est
dorénavant interdit que tout ce qui est « coercion, force or threats » (contrainte, force ou
menace).21 Néanmoins, cet exemple prouve la nécessité d’une prudence bien plus grande dans
l’élaboration du droit pénal communautaire. Il en ressort en particulier qu’une consultation
plus en amont de groupes tels que l’ILGA-Europe aurait permis à la Commission de se rendre
17
Voir sur ce point, R. Wintemute, « Sexual orientation discrimination » dans C. McCrudden et G. Chambers
(éd.), Individual rights and the law in Britain (Oxford: Clarendon Press, 1994) 500-501.
18
COM (2000) 854 final/2.
19
Article 2.b).i). (NDT : Là où la version anglaise parle de faire usage de « inducement or coercion, violence or
threats », la version française ne parle que de faire usage « de la force, de violences ou de menaces »)
20
J Pearsall (éd.), The Concise Oxford Dictionary (10ème édition, Oxford: OUP, 1999) 722.
21
Art 2.c.i, Conseil de l’UE, « Note from the Presidency to the Working Party on Substantive Criminal Law »
réf. 11311/01, Bruxelles, 30 juillet 2001.
6
compte plus tôt des effets potentiellement discriminatoires de sa proposition. Un
« mainstreaming » efficace suppose des mécanismes bien établis de consultation et de
participation des organisations concernées au tout début de l’élaboration des politiques. À cet
égard, l’ILGA-Europe se félicite de l’accent mis sur la transparence et la consultation dans le
Livre blanc de la Commission sur la gouvernance européenne22 et souligne qu’il faut
continuer à renforcer les procédures de consultation si l’on veut une véritable intégration du
concept d’égalité partout.
ii) Les homosexuels, bisexuels et transsexuels comme victimes
C’est une excellente chose que l’Union mette un tel accent sur la protection des victimes dans
sa politique en matière de justice. En effet, le Conseil a déjà adopté une décision-cadre
relative au statut des victimes dans le cadre de procédures pénales.23 On y trouve une série de
dispositions sur les droits des victimes à l’information, à la protection et à l’indemnisation. À
l’article 2, il est fait obligation aux États membres de veiller « à ce que les victimes
particulièrement vulnérables bénéficient d’un traitement spécifique répondant au mieux à leur
situation » ; il y est aussi fait référence au devoir de « garantir aux victimes un traitement
dûment respectueux de leur dignité personnelle pendant la procédure ». Au-delà de ces
déclarations vagues, rien dans ce texte n’évoque toute la diversité des victimes. Au RoyaumeUni, l’enquête sur l’affaire Stephen Lawrence a révélé l’existence d’un racisme institutionnel
dans la police londonienne, qui fait que les agressions racistes sont poursuivies avec moins de
vigueur et que les parents des victimes sont parfois traités sans aucuns égards. Il existe un
danger similaire de voir les agressions homophobes considérées comme moins prioritaires par
les services de police.
Les victimes homosexuelles, bisexuelles et transsexuelles (et leurs familles) rencontrent aussi
d’autres formes de discrimination. Après l’attentat de Soho, il est apparu que le Criminal
Injuries Compensation Fund (fonds d’indemnisation des victimes) ne versait certaines
indemnisations qu’aux couples mariés. En l’occurrence, la décision-cadre représente une
occasion manquée pour l’Union européenne d’expliciter l’importance qu’il y a à traiter toutes
les victimes de la même manière à tous les stades de la procédure pénale. C’est comme cela
qu’en Irlande, la Charte des victimes impose expressément à la Garda Síochána (la police)
d’accorder la même attention à toute enquête, quels que soient certains éléments tels que le
sexe, l’origine ethnique ou l’orientation sexuelle de la victime.24
Il est un autre domaine où l’Union européenne pourrait apporter une contribution utile : la
lutte contre les agressions inspirées par l’intolérance (« hate crimes »). En 1996, l’Union
européenne a adopté une action commune contre le racisme, qui visait à renforcer la
coopération judiciaire pour combattre certains comportements tels l’incitation à la haine
raciale, la diffusion de documents à caractère raciste ou la participation à des organisations
racistes.25 Même s’il est difficile d’évaluer l’incidence de ce genre d’initiative, la
Commission26 et le Conseil27 ont marqué leur souhait de poursuivre l’action en adoptant une
décision-cadre relative aux délits racistes, qui porterait plus particulièrement sur les
22
Commission, « Gouvernance européenne – Livre blanc » COM (2001) 428, 10.
[2001] JO L82/1.
24
Department of Justice, Equality and Law Reform, « Victims Charter and guide to the criminal justice system »
(1999), p. 7. Disponible à l’adresse : http://www.irlgov.ie/justice/publications/projdev/victimscharter.pdf.
25
Action commune concernant l’action contre le racisme et la xénophobie, [1996] JO L185/5.
26
Commission, « Créer une société de l'information plus sûre en renforçant la sécurité des infrastructures de
l'information et en luttant contre la cybercriminalité » COM (2000) 890, 15.
27
Communiqué de presse, Conseil Éducation / Jeunesse, 2349ème réunion du Conseil, Bruxelles 28 mai 2001,
n° 8536/01 (Presse 179).
23
7
documents à caractère raciste diffusés sur Internet.28 La compétence de l’Union européenne
en la matière ne peut faire de doute puisque l’article 29 du Traité sur l’Union européenne dit
que cette action est un des objectifs essentiels de l’Union dans le domaine de la justice.
S’agissant du racisme, l’article 29 du Traité sur l’Union européenne est à lire en conjonction
avec l’article 13 du Traité instituant la Communauté européenne. Malheureusement, les autres
motifs de discrimination énumérés à l’article 13 – sexe, religion ou convictions, âge, handicap
et orientation sexuelle – ne figurent pas explicitement à l’article 29. De par leur nature, les
agressions s’expliquant par l’intolérance visent divers groupes vulnérables de la société, qui
ne se limitent pas aux minorités ethniques. À long terme, il semblerait sage de modifier
l’article 29 pour y inclure une référence expresse à la lutte contre tous les actes de violence
haineux commis pour l’un des motifs énumérés à l’article 13.
Il n’en reste pas moins que l’article 29 énonce un principe général, qui est « d’offrir aux
citoyens un niveau élevé de protection » et de prévenir « la criminalité, organisée ou autre ».
Rien n’empêche que les agressions motivées par l’homophobie, la « transphobie » ou
l’étroitesse d’esprit en matière de normes sexuelles ne tombent dans ce cadre. Cela permettrait
de mettre en place des mesures encourageant de manière générale les instances policières et
judiciaires à coopérer pour combattre l’intolérance et les actes de violence qui en découlent.
Un domaine où il semble que les polices européennes pourraient utilement travailler ensemble
est celui du recensement des agressions commises contre les minorités sexuelles.29 Il serait
plus productif encore de réfléchir à une décision-cadre qui fixe une définition commune de ce
type d’agression, ainsi que des sanctions minimales. L’article 31.e) du Traité sur l’Union
européenne permet à l’Union d’adopter « des mesures instaurant des règles minimales
relatives aux éléments constitutifs des infractions pénales et aux sanctions applicables dans les
domaines de la criminalité organisée, du terrorisme et du trafic de drogue ». Parfois, les
agressions qui nous intéressent ici sont commises de manière organisée, en particulier par des
groupes d’extrême droite, auquel cas l’article 31.e) s’applique. De toute façon, il serait bon,
une fois de plus, que les futures modifications du Traité sur l’Union précisent que l’Union a le
pouvoir d’adopter des sanctions minimales dans le domaine ici étudié.
3.
Immigration
Tant au niveau national qu’au niveau européen, les lois relatives à l’immigration
reconnaissent aux migrants le droit à être rejoints par certains membres de leur famille.
Cependant, pour être considéré comme membre de la famille, la qualité de conjoint marié est
souvent une condition nécessaire. Il en résulte de grands obstacles à la circulation des familles
formées par des homosexuels, bisexuels ou transsexuels, beaucoup d’États membres
continuant de refuser d’ouvrir le mariage aux couples homosexuels ou de se doter de cadres
juridiques alternatifs reconnaissant les diverses formes de famille possibles. L’ILGA-Europe
a toujours défendu le principe d’égalité juridique totale pour les homo, bi et transsexuels, y
compris s’agissant du droit à se marier et à fonder une famille. Dans le même temps, nous ne
pensons pas que le droit fondamental à avoir une vie de famille doive être tributaire de la
décision de se marier ou de contracter une autre forme d’union légalement sanctionnée.
L’existence d’une famille ne découle pas du statut qui lui est conféré par un cadre juridique
quelconque, mais bien des liens affectifs et sociaux que des personnes nouent entre elles. Les
28
Le 28 novembre 2001, la Commission a proposé une décision-cadre sur le rapprochement des législations
pénales relatives aux infractions racistes : communiqué de presse de la Commission IP/01/1680.
29
Le 26 septembre 2000, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a invité les États membres à prendre
des « mesures positives » pour combattre les attitudes d’homophobie dans la police ; Situation des lesbiennes et
des gays dans les États membres du Conseil de l’Europe, recommandation 1474 (2000).
8
lois doivent refléter et respecter la diversité des rapports familiaux existant aujourd’hui et le
droit au regroupement familial doit donc s’étendre aussi bien aux familles fondées sur le
mariage ou une autre forme d’union juridiquement reconnue que celles fondées uniquement
sur l’existence d’une relation stable.
Jusque récemment, les couples homosexuels n’avaient accès au mariage dans aucun pays.
Toutefois, ces dernières années, les pays européens ont été de plus en plus nombreux à
organiser pour eux une forme ou une autre de reconnaissance juridique. Ce sont les Pays-Bas
qui sont allés le plus loin, puisque les couples homosexuels peuvent y contracter mariage
depuis le 1er avril 200130 ; la Belgique envisage actuellement de faire de même. Dans
plusieurs autres pays, la loi prévoit un statut qui confère aux couples intéressés presque tous
les droits attachés au mariage (« registered partnership ») ; c’est le cas du Danemark (1989),
de la Suède (1995), des Pays-Bas (1998) et de la Finlande (2001).31 Ailleurs encore, il existe
une loi reconnaissant les couples homosexuels et leur donnant certains droits, qui restent
cependant bien en deçà de ceux associés au mariage, comme en France,32 en Belgique,33 en
Allemagne,34 au Portugal35 et dans certaines régions d’Espagne.36 On notera enfin que
certains pouvoirs locaux ont mis en place une procédure d’enregistrement qui, la plupart du
temps, n’entraîne aucun droit nouveau.37
En matière d’immigration, les transsexuels peuvent connaître toutes sortes de problèmes dans
l’exercice de leurs droits :
• Voyager peut être difficile lorsqu’il est impossible de modifier le sexe assigné à la
naissance et inscrit sur des documents tels que passeport, carte d’identité, etc. ;
• Si la loi du pays ne reconnaît pas pleinement le changement de sexe, un transsexuel
hétérosexuel risque de ne pouvoir se marier, car son union serait considérée en droit
comme une union homosexuelle ;
• Même là où le mariage est possible et légal dans l’État d’origine, il peut ne pas l’être
dans l’État de destination ;
• La non-reconnaissance des couples non mariés peut provoquer des difficultés
supplémentaires pour le regroupant qui veut faire venir des enfants qu’il élève mais
dont il n’est pas parent biologique ;
• Les lois nationales peuvent exiger d’un transsexuel qu’il divorce de son conjoint au
moment de l’opération. Même si les deux ex-conjoints et leurs enfants se considèrent
toujours comme formant une famille, la loi ne les considère plus comme tels.
30
Loi du 21 décembre 2000 (Staatsblad 2001, n° 9) sur l’ouverture du mariage aux couples homosexuels : voir
K. Waaldijk, « Latest news about same-sex marriage in the Netherlands (and what it implies for foreigners) »,
http://ruljis.leidenuniv.nl/user/cwaaldij/www/NHR/news.htm.
31
La nouvelle loi finlandaise devrait entrer en viguer au printemps 2002 : Euroletter, n° 93, novembre 2001,
http://www.steff.suite.dk/eurolet.htm. Voir aussi R. Wintemute et M. Andenæs (éd.), Legal recognition of same
sex partnerships – a study of national, European and international law (Oxford: Hart, 2001). Et S. Jensen, « La
reconnaissance des préférences sexuelles : le modèle scandinave » in D. Borrillo (éd.), Homosexualités et droit
(Paris: PUF, 1998).
32
Voir D. Borrillo, « Le Pacte civil de solidarité : une reconnaissance timide des unions de même sexe » (2001)
3 Aktuelle Juristische Praxis 299.
33
Voir O. de Schutter et A. Weyembergh, « Statutory cohabitation under Belgian law: a step towards same-sex
marriage? » in R. Wintemute et M. Andenæs (éd.), Legal recognition of same sex partnerships – a study of
national, European and international law (Oxford: Hart, 2001).
34
Euroletter n° 84, novembre 2000 : http://www.steff.suite.dk/eurolet.htm.
35
Euroletter n° 88, mai 2001, ibid.
36
F. Salas, « The stable unions law in Catalonia » in R. Wintemute et M. Andenæs (éd.), Legal recognition of
same sex partnerships – a study of national, European and international law (Oxford: Hart, 2001).
37
Ce genre de registre existe à Londres depuis 2001.
9
Voici un exemple d’obstacle rencontré par les transsexuels : en 2000, les autorités irlandaises
ont refusé un permis de séjour à Nicholas Krivenko, transsexuel russe post-opératoire et
conjoint d’une Allemande travaillant en Irlande. Les autorités russes avaient pourtant modifié
son acte de naissance et le couple s’était marié en Irlande. On ne connaît pas encore l’issue du
recours introduit contre la décision des services d’immigration ; on en retiendra les difficultés
que peuvent rencontrer les transsexuels et leur famille en matière d’immigration.38
Comme il est dit plus haut, les problèmes que connaissent les homosexuels, bisexuels et
transsexuels en matière d’immigration sont liés à la définition souvent restreinte de la famille
donnée dans les textes. Ainsi, l’article 10.1 du règlement 1612/68 relatif à la libre circulation
des travailleurs dans l’Union européenne39 confère au migrant le droit de faire venir son
« conjoint ». En 1986, il a été demandé à la Cour de justice d’interpréter le sens du mot
« conjoint » dans l’affaire État néerlandais c. Reed40. Un ressortissant britannique avait
accepté une offre d’emploi aux Pays-Bas. Sa compagne, à laquelle il n’était pas marié, s’était
installée avec lui mais, ne trouvant pas de travail, avait demandé aux autorités néerlandaises
un permis de séjour en tant que cohabitant. La Cour a rejeté l’argument selon lequel un
cohabitant non marié peut être considéré comme relevant de la catégorie des « conjoints » :
« Le législateur communautaire aurait utilisé le mot ‘conjoint’ pour désigner un conjoint
au sens du droit de la famille. Lorsque, à l’appui d’une interprétation dynamique, il est
fait appel à l’évolution intervenue dans les conceptions sociale et juridique, il serait
nécessaire qu’une pareille évolution puisse être constatée dans l’ensemble de la
Communauté et ne pourrait pas uniquement reposer sur l’évolution sociale et juridique
dans un seul État membre ou quelques États membres seulement. [...] Dans la
Communauté actuelle, on ne pourrait guère parler d’un consensus sur l’éventuelle
assimilation de partenaires non mariés aux époux. »41
Certes, cet arrêt laisse entendre que la Cour pourrait se montrer plus souple à l’avenir, mais le
fait est que rien n’a encore changé. En mai 2001, elle a dû interpréter une disposition du
règlement du personnel de la Communauté européenne. Un fonctionnaire homosexuel suédois
attaché au Conseil des ministres et lié à un autre homme par un contrat d’union civile avait
introduit un recours contre le non-versement d’une allocation de foyer normalement due aux
« fonctionnaires mariés ». La Cour a conclu que, le contrat d’union civile étant différent en
droit du mariage, « de telles circonstances ne permettent pas au juge communautaire
d’interpréter le statut de telle sorte que soient assimilées au mariage des situations légales qui
en sont distinctes ».42
Cette interprétation restrictive de la Cour influe par ailleurs sur les positions adoptées par les
juridictions nationales. C’est ainsi qu’au Royaume-Uni, dans l’affaire McCollum c. Secretary
of State for the Home Department, concernant un Irlandais de Londres, qui n’avait pu obtenir
de permis de séjour pour son compagnon brésilien43, la Haute Cour de justice a débouté le
demandeur, qui avait fondé son argumentation sur le règlement 1612/68, au motif que le
règlement ne pouvait être interprété comme signifiant que deux personnes engagées dans une
38
Voir aussi S. Whittle, « European citizenship and Trans families: can they co-exist? », exposé prononcé à une
conférence CERSGOSIG intitulée « Sexual orientation, gender identity and fundamental rights », Turin, 9-10
mars 2001.
39
[1968] JO Éd. spéc. (II)475.
40
Affaire 59/85 [1986] Rec. 1283.
41
Ibid. par. 10-11.
42
Affaire C-122/99P et C-125/99P, D et Suède c. Conseil, arrêt du 31 mai 2001, par. 37.
43
[2001] All ER 154.
10
relation homosexuelle devaient être traitées comme des conjoints ou comme constituant une
famille.44
Qui plus est, l’absence de reconnaissance des couples non mariés pose des difficultés
supplémentaires pour les autres membres de la famille, à savoir les enfants et autres personnes
à charge. Si quelqu’un ne peut rejoindre son compagnon ou sa compagne dans un autre pays,
la situation des personnes à charge du couple dépendra de la mesure dans laquelle la loi
reconnaît le regroupant comme parent. Si le regroupant est le parent biologique ou le tuteur
légal des enfants ou s’il est apparenté par le sang aux personnes à charge en question, il
pourra les faire venir, mais l’autre parent peut ne pas recevoir de permis de séjour. Dans la
situation inverse, les enfants et personnes à charge risquent de ne pas pouvoir suivre le
migrant. S’agissant d’enfants, on peut arguer que cela est contraire à la Convention des
Nations Unies relative aux droits de l’enfant, dont l’article 9.1 énonce que « les États parties
veillent à ce que l’enfant ne soit pas séparé de ses parents contre leur gré ». Qui plus est, la
Convention oblige les États à :
« […] respecter les droits qui sont énoncés dans la présente Convention et à les garantir
à tout enfant relevant de leur juridiction, sans distinction aucune, indépendamment de
toute considération de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion
politique ou autre de l’enfant ou de ses parents ou représentants légaux, de leur origine
nationale, ethnique ou sociale, de leur situation de fortune, de leur incapacité, de leur
naissance ou de toute autre situation ».45
L’ILGA-Europe appelle aussi l’attention sur la résolution adoptée en 1992 par le Parlement
européen sur une Charte européenne des droits de l’enfant, laquelle interdit toute
discrimination envers un enfant au motif, notamment, de l’orientation sexuelle de l’un ou des
deux de ses parents.46
44
Ibid., par. 19.
Article 2, italiques ajoutés.
46
[1992] JO C241/67, par. 8(5).
45
11
i) Droit communautaire et couples formés par des homosexuels, bisexuels et transsexuels
Comme on a commencé à l’expliquer plus haut, les couples formés par des homosexuels,
bisexuels ou transsexuels jouissent d’une reconnaissance juridique très diverse selon les États
membres de l’Union européenne. Lorsqu’il est question d’immigration, il faut encore prendre
en compte la nationalité des intéressés pour voir quel est le régime juridique qui s’applique.
Le tableau ci-après indique les différentes combinaisons possibles et le régime qui s’applique
au niveau de l’Union européenne.47 Dans un souci de clarté, on part du point de vue que le
migrant s’installe ailleurs pour des raisons liées au travail.
Mariés
Ressortissant
non UE +
Ressortissant
non UE
Art. 4 du
Règlement
projet de
1612/6851
directive sur
le
regroupement
familial50
Règlement
1612/68
Projet de
directive sur
le
regroupement
familial
Règlement
1612/68
Règlement
1612/68
Projet de
directive sur
le
regroupement
familial
Règlement
1612/68
Règlement
1612/68
Projet de
directive sur
le
regroupement
familial
Règlement
1612/68
Règlement
1612/68
Projet de
directive sur
le
regroupement
familial
Ressortissant
du pays +
Ressortissant
non UE
Droit à la
libre
circulation
garanti aux
citoyens de
l’Union,
notamment
par l’article
18 du TCE
Contrat
Idem
d’union civile
Autre forme Idem
de
cohabitation
juridiquement
reconnue
Cohabitation Idem
non reconnue
juridiquement
47
Ressortissant
UE +
Ressortissant
non UE
Ressortissant
du pays48 +
Ressortissant
UE
Art. 4 du
projet de
directive sur
le
regroupement
familial
Art. 4 du
projet de
directive sur
le
regroupement
familial
Art. 4 du
projet de
directive sur
le
regroupement
familial
Ressortissant
UE +
Ressortissant
UE49
L’idée de ce tableau vient d’un exposé présenté par Kees Waaldijk au séminaire Lesbians and Gay Men and
the European Union (Vienne, 24 juin 2001).
48
C.à.d. quelqu’un qui réside dans le pays dont il a la nationalité et souhaite faire venir quelqu’un qui est
ressortissant d’un autre pays membre de l’UE (ou, dans la colonne suivante, d’un pays non membre de l’UE).
49
Ici, les deux intéressés sont ressortissants d’un pays membre de l’Union européenne et s’installent dans un
autre pays membre de l’UE, dont ils ne sont pas ressortissants.
50
COM (1999) 638 ; proposition modifiée COM (2000) 624.
51
[1968] JO Éd. spéc. (II)475.
12
Comme on le voit, le règlement 1612/68 est l’instrument juridique qui s’applique le plus
souvent. De plus, bien que le projet de directive sur le regroupement familial vaille pour les
citoyens de l’Union résidant dans le pays dont ils ont la nationalité et qui souhaitent faire
venir un ressortissant d’un pays tiers, l’article 4 précise que le ressortissant du pays tiers sera
considéré comme membre de la famille s’il correspond à la définition qui en est donnée dans
le règlement 1612/68.52 Il s’ensuit la coexistence de deux régimes juridiques : l’un pour les
couples constitués au moins d’un citoyen de l’Union, indépendamment de la nationalité du
partenaire et l’autre pour les ressortissants de pays tiers, dont le partenaire est aussi d’un pays
tiers.
ii) Droits des citoyens de l’Union
Le règlement 1612/68 est inacceptable en l’état car il est construit sur une définition de la
famille qui exclut les personnes non mariées. On retrouve cette notion centrale du « conjoint »
dans les instruments communautaires régissant la libre circulation des étudiants,53 des
retraités54 et des personnes ayant d’autres moyens de subsistance.55 Même si la Cour de
justice peut décider un jour d’interpréter différemment le terme « conjoint », elle ne semble
pas encline à le faire pour l’instant. Cela va à l’encontre de plusieurs dispositions de la Charte
des droits fondamentaux. Tout d’abord, l’article 21.1 interdit la discrimination fondée sur le
sexe ou l’orientation sexuelle. S’en tenir à une définition de la famille qui exclut beaucoup de
couples constitués d’homosexuels ou de transsexuels revient à bafouer ce principe. Ensuite, il
est énoncé à l’article 7 que « toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale,
de son domicile et de ses communications ». Si certaines familles se voient de fait dénier le
droit à la libre circulation, un droit pourtant fondamental garanti aux citoyens de l’Union,
alors l’article 7 n’est pas respecté.
Cette non-reconnaissance constitue aussi un obstacle à la liberté de circulation que l’article 39
du Traité instituant la Communauté européenne rend illégal. Dans Bosman, la Cour a
considéré que « des dispositions qui empêchent ou dissuadent un ressortissant d’un État
membre de quitter son pays d’origine pour exercer son droit à la libre circulation constituent,
dès lors, des entraves à cette liberté même si elles s’appliquent indépendamment de la
nationalité des travailleurs concernés ».56 Manifestement, on peut faire la même analyse
s’agissant de la situation des homosexuels, bisexuels et transsexuels. Nul ne niera qu’une
personne qui ne peut faire venir sa compagne ou son compagnon et ses enfants est ainsi
empêchée ou dissuadée d’exercer son droit de circuler librement.57
Dans Bosman, la Cour a jugé que ces entraves étaient justifiées si elles visaient « un objectif
légitime compatible avec le traité et se justifiaient par des raisons impérieuses d’intérêt
général. Mais encore faudrait-il, en pareil cas, que l’application desdites règles soit propre à
garantir la réalisation de l’objectif en cause et n’aille pas au-delà de ce qui est nécessaire pour
atteindre cet objectif. »58 L’ILGA-Europe ne croit pas que des limitations discriminatoires à la
libre circulation des familles formées par les homosexuels, bisexuels et transsexuels servent
une quelconque fin légitime. Cela est particulièrement vrai à la lumière des engagements
52
COM (1999) 638 ; proposition modifiée, COM (2000) 624.
Article 1, Directive 93/96/CEE, [1993] JO L317/59.
54
Article 1.2, Directive 90/365/CEE, [1990] JO L180/28.
55
Article 1.2, Directive 90/364/CEE, [1990] JO L180/26.
56
Affaire C-415/93, Bosman [1995] Rec. I-4921, 5069.
57
COM (2001) 257, 4.
58
Ibid., 5071.
53
13
inscrits dans la Charte et allant dans le sens du respect de la vie familiale et du principe de
non-discrimination.
Il va de soi que l’absence de cadre juridique reconnaissant les familles qui nous intéressent ici
pose pour certains pays des difficultés dans l’application des instruments juridiques relatifs à
l’immigration. Les États peuvent craindre que certains prétendent être dans une relation de
couple de façon à contourner les règles normales d’immigration. Même si on peut y voir un
souci légitime justifiant une certaine restriction de la liberté de circulation, il est exagéré
d’exclure d’office autant de familles. Une méthode plus souple consisterait à accepter les
candidats au regroupement moyennant la preuve d’une relation durable. C’est bien ce qui se
fait en Belgique et au Royaume-Uni depuis 1997.59
De plus, dans nombre d’États de l’Union, il existe déjà des formules alternatives permettant
aux couples non mariés de s’enregistrer (bien qu’avec des effets juridiques très divers) et de
faire état de liens familiaux. Il est essentiel à cet égard que le principe de la « reconnaissance
mutuelle » – principe bien établi dans les règles communautaires relatives au marché intérieur
et à la libre circulation – soit élargi aux diverses formes de cohabitation reconnues dans les
États membres.
iii) Réviser le règlement 1612/68
Le 23 mai 2001, la Commission a présenté une proposition visant à substituer aux
dispositions du règlement 1612/68 relatives au regroupement familial un acte unique relatif à
la libre circulation des citoyens de l’Union et des membres de leur famille, qu’ils se déplacent
pour des raisons liées au travail ou autres.60 L’article 2.2 définit le « membre de la famille »
comme :
a) le conjoint ;
b) le partenaire non marié, si la législation de l’État membre d’accueil assimile la
situation des couples non mariés à celle des couples mariés et dans le respect des
conditions prévues par cette législation ;
c) les descendants directs et ceux du conjoint ou du partenaire non marié prévu au
point b) ;
d) les ascendants directs et ceux du conjoint ou du partenaire non marié prévu au point
b).
Cette proposition est très décevante car elle ne représente qu’une mince amélioration par
rapport à la situation actuelle. Certes, les conjoints sont couverts et, surtout, à l’article 4 du
projet de directive, il est enjoint aux États membres de « mettre en œuvre » la directive sans
faire de discrimination fondée notamment sur l’orientation sexuelle, ce qui suppose que l’on
réserve un traitement égal aux couples homosexuels et hétérosexuels et offre un argument
solide en faveur de la reconnaissance mutuelle des couples homosexuels mariés dans toute
l’Union aux fins de la libre circulation.
59
Belgique: Ministère de l’Intérieur, « Droit de séjour et cohabitation » (circulaire du 30 septembre 1997),
Moniteur Belge du 14-11-97, C-97/00771, pp. 30333-30336; UK: Immigration Directorates’ Instructions,
« Common-law and same sex relationships (unmarried partners) » chapitre 8, section 7, avril 2001. Voir
http://www.ind.homeoffice.gov.uk/default.asp?PageId=1023.
60
COM (2001) 257.
14
En revanche, ce projet de directive n’entraînerait de droits supplémentaires pour les couples
non mariés que dans la mesure où l’État où ils s’installent « assimile la situation des couples
non mariés à celle des couples mariés », et sous réserve de toute autre condition posée par le
droit interne de cet État. La règle est donc bien vague et il est difficile de savoir exactement
quels sont les États qui répondent actuellement à ce critère. Sans doute a-t-on voulu ainsi
couvrir des pays comme le Danemark, la Suède ou les Pays-Bas, mais qu’en est-il de la
France ou de l’Allemagne, où des droits plus limités sont associés au statut de cohabitant
légal ?
La directive proposée introduirait une nouvelle forme de discrimination fondée sur la
nationalité entre les citoyens de l’Union, ce qui est contraire à l’article 12 du Traité instituant
la Communauté européenne et à l’article 21.2 de la Charte des droits fondamentaux. Un
homosexuel italien pourrait s’installer en Suède avec son compagnon, que celui-ci soit ou non
citoyen de l’Union ; en revanche, un homosexuel suédois n’aurait pas cette même possibilité
en Italie (indépendamment de la nationalité de son compagnon). Par ailleurs, la formule
proposée n’aiderait pas un couple formé pour une part d’un transsexuel, comme dans le cas de
M. et Mme Krivenko, évoqués plus haut. Leur mariage n’étant pas reconnu par les autorités
irlandaises, ils devraient présenter leur demande en tant que couple non marié, ce qui est vain
en Irlande, pays qui n’assimile pas les couples non mariés aux couples mariés.
Les familles fondées par les homosexuels, les bisexuels et les transsexuels continuent donc de
voir leur dignité bafouée et leur droit fondamental à la protection de la vie familiale violé. Les
obstacles actuels à leur libre circulation ne feront que perdurer. Une réforme réelle du
règlement 1612/68 doit comporter une redéfinition radicale de la famille pour prendre en
compte celles qui ne sont pas fondées sur le mariage.
iv) Droits des ressortissants de pays tiers
Les couples composés de deux ressortissants de pays tiers se trouvent dans une situation plus
précaire encore. Au contraire de beaucoup de citoyens de l’Union, les ressortissants de pays
tiers n’ont qu’une possibilité très limitée de faire valoir pour eux-mêmes, et non en tant que
membre de la famille, certains droits de circulation dans l’Union. De plus, rares sont les pays
européens dont la législation interne en matière d’immigration prévoit le droit de
regroupement familial pour les couples non mariés. Dans un rapport rendu public en 2000,
l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a conclu que :
« Les politiques d'immigration de la plupart des États membres sont nettement
discriminatoires à l’égard des couples homosexuels, parfois confrontés à la douloureuse
expérience de la séparation ou de l’expulsion, quand l’un des deux partenaires n’est pas
citoyen du pays. Seuls la Belgique, le Danemark, la Finlande, l’Allemagne, l’Islande,
les Pays-Bas, la Norvège, la Suède et le Royaume-Uni ont reconnu les relations
homosexuelles dans le cadre de l’immigration. »61
Les couples de non-citoyens de l’Union rencontrent un obstacle supplémentaire du fait que
beaucoup de systèmes juridiques non européens sont moins enclins à reconnaître les couples
formés par des homosexuels ou des transsexuels et qu’il leur est donc plus malaisé d’obtenir
une quelconque reconnaissance légale dans le pays d’origine.
61
Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, « Rapport de la Commission des migrations, des réfugiés et
de la démographie sur la situation des gays et des lesbiennes et de leurs partenaires en matière d’asile et
d’immigration dans les États membres du Conseil de l’Europe » [Vermot-Mangold], doc. 8654, 25 février 2000,
par. 9.
15
Il n’en reste pas moins que le droit au respect de la vie familiale inscrit dans la Charte ne se
limite pas aux citoyens de l’Union, mais s’étend à toutes les personnes couvertes par son
champ d’application.62 L’Union européenne se doit donc de respecter ce droit s’agissant des
ressortissants de pays tiers et de sa politique d’immigration. Qui plus est, la nouvelle politique
communautaire en la matière repose notamment sur un élément présenté comme essentiel : le
traitement équitable et la meilleure intégration des migrants de pays tiers.63 Dans son exposé
des motifs concernant la proposition de directive relative au droit au regroupement familial, la
Commission avance que « le regroupement familial est un moyen nécessaire pour réussir
l’intégration des ressortissants de pays tiers qui résident légalement dans les États
membres ».64 Cet argument est vrai quelle que soit l’orientation ou l’identité sexuelle des
membres de la famille. La force des liens familiaux n’est pas tributaire des délimitations
juridiques de la notion de famille ; les familles sont plutôt le produit de liens affectifs
indépendants de leur (in)visibilité en droit. Au Royaume-Uni, en 1999, la Chambre des lords
a fait sien cet argument lorsqu’elle a eu à se prononcer sur la question de savoir si 18 ans de
relation de couple entre deux hommes faisaient de ceux-ci une famille aux fins de la loi
relative aux successions :
« Les traits marquants d’une relation affective sont essentiellement un certain degré de
dépendance mutuelle, la vie commune, la tendresse et l’amour, l’attachement et l’appui
réciproques. S’agissant de couples juridiquement reconnus, ces traits sont présumés,
même s’ils n’existent bien entendu pas toujours, comme les tribunaux de la famille et
les tribunaux pénaux ne le savent que trop bien. Dans les relations affectives de facto,
ces traits, s’ils sont avérés, sont susceptibles d’être assimilés à des rapports
familiaux. »65
v) La directive sur le regroupement familial
Si elle est adoptée, le projet de directive relative au regroupement familial régira les droits des
ressortissants de pays tiers.66 En 1999, la Commission avait d’abord proposé une définition de
la famille similaire à celle adoptée dans la proposition visant à modifier le règlement 1612/68.
Les membres de la famille du regroupant étaient définis comme étant :
« a) le conjoint du regroupant, ou le partenaire non marié qui a une relation durable avec
le regroupant, si la législation de l’État membre concerné assimile la situation des
couples non mariés à celle des couples mariés … »67
Un bon nombre des critiques faites à la proposition relative aux citoyens de l’Union valent
aussi pour la présente initiative. Les droits ainsi accordés varieraient grandement selon l’État
concerné. Par exemple, un homosexuel brésilien dont le compagnon est aussi brésilien n’aura
pas le droit de faire venir ce dernier s’il vit en Italie, pays qui n’a pas de loi nationale
reconnaissant les couples homosexuels, mais pourra le faire aux Pays-Bas, qui reconnaissent
les couples homosexuels non mariés et ont ouvert le mariage aux homosexuels. Il est
inacceptable et contraire à la garantie universelle inscrite dans la Charte que le droit à la vie
de famille soit différent selon l’État membre concerné.
62
Voir aussi S. Peers, « Immigration, asylum and the European Union Charter of Fundamental Rights » (2001) 3
European Journal of Migration and Law 141, 146.
63
Commission, « Communication relative à la politique communautaire en matière d’immigration »,
COM (2000) 757, 19.
64
COM (1999) 638, 3.
65
Lord Slynn, Fitzpatrick c. Sterling Housing Association [1999] 4 All ER 705.
66
On notera que ceci ne vaut pas pour le Danemark, l’Irlande et le Royaume-Uni.
67
Article 5.1, COM (1999) 638.
16
En dépit des limites de cette proposition, qui ne va pas bien loin dans la reconnaissance des
couples non mariés, la controverse a déjà été vive au sein du Conseil, qui n’avait toujours pas
su se mettre d’accord sur la directive au moment de rédiger le présent texte. Dans les
dernières versions en date du projet, il est proposé de faire de l’admission des couples mariés
une simple option ouverte aux États membres.68 Au moment de statuer sur une demande
émanant d’un regroupant non marié, les États devraient considérer les éléments suivants
comme prouvant l’existence de rapports familiaux : d’éventuels enfants communs, une
cohabitation antérieure, un contrat d’union civile et autres moyens de preuve fiables.69 Cela
montre qu’il est bel et bien possible pour les États membres de trouver un mécanisme
permettant de juger du bien-fondé de ce genre de demande. On ne voit pas pourquoi il ne
pourrait servir pour l’admission de partenaires de citoyens de l’Union, ou pourquoi les États
devraient avoir la liberté d’adopter ou de ne pas adopter ce mécanisme. Si l’admission du
partenaire non marié d’un regroupant ne demeure qu’une option dans le cas des ressortissants
de pays tiers, l’Union européenne fige de fait les familles dans une hiérarchie nettement
défavorable aux homosexuels, bisexuels et transsexuels, qui n’ont droit qu’à une priorité
moindre et à un statut juridique beaucoup plus faible. Ce maintien de la discrimination va à
l’encontre des principes inscrits dans la Charte des droits fondamentaux.
vi) Autres instruments juridiques
En intégrant la dimension de traitement égal dans tous les instruments existants (le principe
du « mainstreaming »), on fait en sorte que même des politiques apparemment sans lien avec
cette problématique soient « bétonnées » contre la discrimination. S’agissant d’immigration,
la plupart des questions intéressant les homosexuels, bisexuels et transsexuels touchent peutêtre au regroupement familial, mais il en est d’autres encore à ne pas négliger. Ainsi, en 2000,
la France a présenté une proposition de directive relative à l’aide à l’entrée irrégulière.70 Cette
initiative vise à punir ceux qui facilitent l’immigration clandestine. Toutefois, l’article 4 de ce
projet exonère de sanctions pénales notamment ceux qui aident « leur conjoint ou la personne
qui vit notoirement en situation maritale » avec eux. Certes, cette formulation prête le flanc à
la critique (puisque, par exemple, les partenaires non cohabitants sont oubliés), mais elle
témoigne de la nécessité de prendre pleinement en compte le principe d’égalité dans tous les
aspects de la réglementation relative à l’immigration.
4.
Droit d’asile
L’un des principaux objectifs poursuivis par l’Union européenne avec sa politique de droit
d’asile est d’éviter les demandes d’asile à répétition dans les États membres.71 Ces demandes
à répétition s’expliquent en grande partie par la disparité des lois nationales actuelles en la
matière. Cela est particulièrement vrai pour ce qui concerne l’acceptation de la persécution
fondée sur l’orientation sexuelle comme motif d’octroi du droit d’asile. En 2000, le Conseil
de l’Europe a publié un rapport dont il ressortait que, sur les 15 États membres de l’Union
européenne, 10 reconnaissaient en théorie ou en pratique que ce genre de persécution pouvait
68
Conseil de l’Union, « Note from the Presidency to Permanent Representatives Committee », réf. 10842/01,
Bruxelles, 12 juillet 2001.
69
Ibid., 2.
70
Initiative de la République française en vue de l’adoption de la directive du Conseil visant à définir l’aide à
l’entrée, à la circulation et aux séjours irréguliers, [2000] JO C253/1.
71
Commission, « Vers une procédure d’asile commune et un statut uniforme, valable dans toute l’Union, pour
les personnes qui se voient accorder l’asile », COM (2000) 755, 7.
17
constituer un motif d’octroi du statut de réfugié ou d’une forme subsidiaire de protection
permettant à l’intéressé de rester dans le pays où il a présenté sa requête.72
Si l’on considère la politique d’asile dans une perspective homo, bi et transsexuelle, il faut
examiner tous les aspects du processus d’octroi du droit d’asile. Il faut aussi se souvenir que
nous ne nous intéressons pas seulement à ceux qui demandent l’asile à cause de leur
orientation ou leur identité sexuelle, mais aussi à ceux qui ont été persécutés pour d’autres
raisons, mais peuvent avoir des besoins particuliers parce qu’ils sont homosexuels, bisexuels
ou transsexuels. On discernera ici cinq domaines d’analyse particuliers : modalités de
délivrance des visas, motifs d’octroi du statut de réfugié, procédures de décision, conditions
d’accueil pour les demandeurs et leur famille.
i) Modalités de délivrance des visas
Stricto sensu, la délivrance des visas relève des lois relatives à l’immigration. Cependant,
l’obligation faite aux ressortissants d’un pays d’obtenir un visa est souvent liée à la possibilité
qu’ils déposent une demande d’asile. Cela veut dire que les ressortissants de ce pays ne
pourront entrer légalement sur le territoire de l’Union qu’en ayant d’abord demandé et obtenu
un titre officiel de voyage. (En revanche, les ressortissants d’autres États peuvent se rendre
dans l’Union et y voyager pendant trois mois sans autorisation préalable.) Le lien entre visa et
droit d’asile réside dans le fait que l’obligation d’avoir un visa permet aux États membres de
l’Union de contrôler plus étroitement les mouvements migratoires (non clandestins) en
provenance de l’État concerné. Mais, en pratique, cela peut représenter un obstacle majeur
pour les demandeurs d’asile potentiels qui voudraient exercer leur droit à demander l’asile
dans l’Union européenne.73
L’ILGA-Europe est notamment inquiète de constater que l’obligation de visa a été imposée à
des États où les persécutions fondées sur l’orientation ou l’identité sexuelle sont avérées et
que, par conséquent, la politique communautaire en la matière risque d’empêcher des
homosexuels, bisexuels ou transsexuels ressortissants de ces États de fuir légitimement ces
persécutions et de chercher refuge dans l’Union européenne. L’exemple le plus flagrant en est
peut-être l’Afghanistan.74 Il est de toute évidence très difficile pour des Afghans de faire une
demande de visa ; or, on dispose aussi de preuves abondantes de violations courantes des
droits de l’homme, dont des mesures touchant les minorités sexuelles. Les rapports du HCR
confirment que l’homosexualité a été réprimée par la loi, qui criminalise les rapports sexuels
consensuels entre homme ; en 1998, cinq hommes convaincus d’homosexualité ont été
condamnés à mort, le moyen choisi pour l’exécution de la sentence étant l’écrasement par un
mur qu’on fait s’écrouler sur le condamné.75
72
Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, « Rapport de la Commission des migrations, des réfugiés et
de la démographie sur la situation des gays et des lesbiennes et de leurs partenaires en matière d’asile et
d’immigration dans les États membres du Conseil de l’Europe » [Vermot-Mangold], doc. 8654, 25 février 2000,
par. 7. Les États concernés sont : l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, le Danemark, la Finlande, la Grèce,
l’Irlande, les Pays-Bas, le Royaume-Uni et la Suède.
73
L’article 18 de la Charte des droits fondamentaux réaffirme le droit d’asile.
74
Règlement 574/1999/CE du Conseil du 12 mars 1999 déterminant les pays tiers dont les ressortissants doivent
être munis d’un visa lors du franchissement des frontières extérieures des États membres; [1999] JO L72/2,
annexe 1; règlement 539/2001/CE du Conseil du 15 mars 2001 fixant la liste des pays tiers dont les ressortissants
sont soumis à l’obligation de visa pour franchir les frontières extérieures des États membres et la liste de ceux
dont les ressortissants sont exemptés de cette obligation, [2001] JO L81/1, annexe 1.
75
HCR, « Update to the background paper on refugees and asylum seekers from Afghanistan » [Fiche de mise à
jour du dossier sur les réfugiés et les demandeurs d’asile en provenance d’Afghanistan], Centre de recherche et
de documentation, Genève, janvier 1999, p. 18. Disponible à : http://www.unhcr.ch/cgi-bin/texis/vtx/rsd
(chercher sous « Afghanistan »).
18
Par ailleurs, en mai 2001, le Conseil de l’Union européenne s’est déclaré préoccupé par « les
menaces et les agressions verbales visant les minorités en Namibie » : « les déclarations
officielles contre les minorités, notamment contre les homosexuels, ainsi que les déclarations
de nature xénophobe, sont inacceptables et constituent des indices inquiétants d’une montée
de l’intolérance ».76 Et pourtant, les États Schengen (dont le Royaume-Uni et l’Irlande ne font
pas partie) exigent un visa des Namibiens pour entrer sur leur territoire.77
Très clairement, divers facteurs sont à prendre en considération pour déterminer s’il faut ou
non exiger un visa, mais le principe du « mainstreaming » suppose que la problématique de
l’égalité de traitement soit un des ces facteurs et que les règles en matière de visas soient
revues au regard de leur impact sur les minorités exposées à la persécution.
ii) Motifs d’octroi du statut de réfugié
La persistance des persécutions infligées aux minorités sexuelles est avérée dans de
nombreuses parties du monde. Dans un rapport de 2000, l’Assemblée parlementaire du
Conseil de l’Europe notait que dans une quarantaine de pays à travers le monde, les relations
homosexuelles, qu’il s’agisse d’hommes ou de femmes, demeuraient illégales, tandis que dans
une quarantaine d’autres pays, c’étaient les rapports sexuels entre hommes qui l’étaient
encore.78
En l’occurrence, le principal obstacle juridique aux demandes d’asile consiste en l’absence de
toute référence explicite à l’orientation ou à l’identité sexuelle dans les grands instruments
juridiques internationaux, dont la Convention de Genève. L’article 1.A.2, tel que modifié par
le Protocole de 1967, définit le réfugié comme toute personne qui :
« craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa
nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques,
se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte,
ne veut se réclamer de la protection de ce pays… »
Au vu de cette clause, c’est naturellement l’expression « certain groupe social » qui est
devenue le mécanisme le plus approprié pour traiter des persécutions motivées par l’identité
ou l’orientation sexuelle des victimes. On peut à cet égard tracer un parallèle avec les
demandes d’asile fondées sur les persécutions subies par les femmes et on se référera à l’arrêt
rendu au Royaume-Uni par la Chambre des lords dans l’affaire R. c. Immigration Appeal
Tribunal et une autre partie pour le compte de Shah.79 L’affaire concernait deux Pakistanaises
séparées de leur mari, qui craignaient des voies de fait de leur mari ou de quelqu’un d’autre si
elles venaient à être renvoyées au Pakistan. On retiendra que pour la Chambre des lords, étant
donné « la discrimination institutionnalisée exercée de manière avérée par la police, les
76
Déclaration de la présidence au nom de l’Union européenne sur les droits de l’homme en Namibie, 7900/01
(Presse 155), Bruxelles, 2 mai 2001. Voir aussi la résolution du Parlement européen sur les droits des personnes
homosexuelles en Namibie, 5 avril 2001, B5-0264,0274, 0282 et 0300/2001.
77
Règlement 539/2001/CE du Conseil du 15 mars 2001 fixant la liste des pays tiers dont les ressortissants sont
soumis à l’obligation de visa pour franchir les frontières extérieures des États membres et la liste de ceux dont
les ressortissants sont exemptés de cette obligation, [2001] JO L81/1, annexe 1.
78
Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, « Rapport de la Commission des migrations, des réfugiés et
de la démographie sur la situation des gays et des lesbiennes et de leurs partenaires en matière d’asile et
d’immigration dans les États membres du Conseil de l’Europe » [Vermot-Mangold], doc. 8654, 25 février 2000,
par. 30.
79
Affaire jointe avec Islam et une autre partie c. Secretary of State for the Home Department [1999] 2 All ER
545 HL.
19
tribunaux et instances juridiques et les organes centraux de l’État à l’égard des femmes », il
faut considérer les femmes pakistanaises comme « un groupe social particulier » au sens de la
Convention de Genève.80 De plus, trois des juges ont admis que, dans certaines circonstances,
les homosexuels constituaient aussi un groupe social.81
L’affaire Pour le compte de Shah met en lumière un problème supplémentaire posé par les
demandes d’asile motivées par l’orientation ou l’identité sexuelle. Parfois, la persécution
relève clairement d’une action de l’État, mais elle peut aussi être surtout le fait de la société et
d’un harcèlement largement répandu des minorités sexuelles, l’État ne pouvant ou ne voulant
rien faire. Ainsi, l’affaire R. (sur la requête de Ragman) c. Special Adjudicator,82 concernait
un homosexuel roumain qui avait demandé l’asile au Royaume-Uni. Alors que ce jeune
homme était en dernière année d’études de gymnastique, il avait vu son homosexualité
divulguée à tous les étudiants par le directeur de l’université, qui lui a signifié qu’on ne le
laisserait pas devenir professeur de gymnastique à cause de son orientation sexuelle. Après cet
incident, il n’a plus pu quitter son domicile sans se faire insulter. Le juge a estimé que « la
Roumanie était un pays dans lequel les homosexuels sont encore en butte à l’hostilité générale
et aux préjugés de la part des autorités et de l’opinion publique en général »83, mais cela n’a
pas empêché le Tribunal administratif de conclure que « l’hostilité et les préjugés auxquels les
homosexuels sont généralement exposés en Roumanie, aussi violents et cruels soient-ils, ne
sont pas d’une nature ou d’une ampleur telles qu’on puisse les qualifier de persécution ».84 On
en retiendra combien il importe pour les homosexuels, bisexuels ou transsexuels demandeurs
d’asile que la loi prévoie expressément la possibilité de déposer une requête lorsque l’origine
des persécutions est à chercher dans des protagonistes autres que l’État.85
Proposition de la Commission concernant les normes minimales relatives à la procédure
d’octroi et de retrait du statut de réfugié
À la lumière de ce qui précède, la récente proposition de directive concernant les normes
minimales relatives à la procédure d’octroi et de retrait du statut de réfugié est, généralement
parlant, la bienvenue.86 La définition donnée des motifs d’octroi s’inspire de la Convention de
Genève de 1951,87 mais le texte précise aussi la notion de groupe social. À l’article 12.4, on
peut lire que « la notion de groupe social recouvre les groupes pouvant se définir en fonction
de certaines caractéristiques essentielles, comme l’orientation sexuelle, l’âge ou le sexe… ». Il
est aussi spécifié qu’il « est indifférent que la persécution provienne de l’État, de partis ou
organisations contrôlant celui-ci ou d’acteurs non étatiques dans les cas où l’État ne peut pas
ou ne veut pas accorder une protection effective ».88 Enfin, la persécution est définie comme
80
Lord Hoffman, p. 566.
Lord Steyn (p. 557), Lord Hoffman (p. 563) et Lord Millet (p.574). Dans une affaire postérieure qui concernait
une demande d’asile déposée par un homosexuel indien, le gouvernement a reconnu que les homosexuels
pouvaient constituer un groupe social particulier si l’on suivait l’arrêt rendu dans Shah: Jain c. Secretary of State
for the Home Department [2000] Imm AR 76.
82
[2000] All ER 1634.
83
Ibid., par. 10.
84
Ibid., par. 23.
85
Le même problème s’est posé dans l’affaire Jain c. Secretary of State for the Home Department [2000] Imm
AR 76.
86
Commission, « Proposition de directive du Conseil concernant les normes minimales relatives aux conditions
que doivent remplir les ressortissants des pays tiers et les apatrides pour pouvoir prétendre au statut de réfugié ou
de personne qui, pour d'autres raisons, a besoin d'une protection internationale, et relatives au contenu de ces
statuts » COM (2001) 510, 12 septembre 2001.
87
Article 5.1.
88
Article 9.1.
81
20
comprenant les actes discriminatoires, les lois discriminatoires et l’application discriminatoire
des lois.89
L’ILGA-Europe fait sienne l’approche large adoptée par la Commission. Nous croyons
toutefois que la proposition doit être améliorée sur plusieurs points, en particulier pour ce qui
concerne une mention expresse des personnes exposées à la persécution du fait de leur
identité sexuelle.90 Nous suivrons de près les travaux relatifs à ce texte au Conseil de manière
à en préserver intégralement les aspects positifs.
iii) Procédures de décision
Même quand la loi admet les persécutions fondées sur l’orientation ou l’identité sexuelle
comme motif d’octroi du statut de réfugié, il importe de réfléchir aux procédures d’examen
des requêtes individuelles. Amnesty International a mis en lumière certains obstacles bien
spécifiques que rencontrent les demandeurs homosexuels, bisexuels ou transsexuels.
Premièrement, il peut leur être malaisé de fournir des « preuves attestant ce qu’ils ont subi ».91
Cela est rendu encore plus complexe par le manque d’information sur la situation des
minorités sexuelles dans certains pays. L’expérience de la Suède, pays ouvert aux demandes
de protection motivées par l’orientation ou l’identité sexuelle, montre que les exigences
relatives à la preuve de la persécution font que peu de demandes d’asile aboutissent.92 En
témoigne aussi l’expérience du Danemark, où sur 94 demandes soumises entre 1990 et 2001,
seules 10 ont abouti.93 On notera aussi que sur les 10 demandeurs dont le dossier a abouti, un
seul a reçu le plein statut de « réfugié » au sens de la Convention et que les neuf autres ont
bénéficié de formes subsidiaires de protection.
Deuxièmement, il importe d’être très attentif au respect de la confidentialité.94 Ce genre de
demande d’asile peut amener les requérants à dévoiler des aspects intimes de leur vie privée,
qu’il ne faut pas divulguer à d’autres membres de la famille, à des voisins ou aux autorités de
l’État d’origine. On se souviendra à cet égard que la proposition de la Commission relative à
des normes minimales concernant la procédure d’octroi et de retrait du statut de réfugié dans
les États membres ne traitait que de la confidentialité en rapport avec les autorités du pays
d’origine.95
En matière de droit d’asile, l’Union européenne s’est aussi dotée de toute une série de
procédures visant soit à décourager purement et simplement les demandes, soit à traiter
certains dossiers de manière accélérée.
a) la Convention de Dublin
Comme on l’a dit déjà plus haut, l’un des premiers objectifs poursuivis par l’Union
européenne en matière d’asile est d’empêcher qu’une personne ne présente des demandes
89
Article 11.1.
Voir aussi la note de position de l’ILGA-Europe 1/2002 relative à la proposition de la Commission (bientôt
disponible) : http://www.ilga-europe.org.
91
Amnesty International, « Torture – Identité sexuelle et persécutions » (ÉFAI, 2001) 44.
92
B. Skolander, « Suède » in ILGA-Europe, Égaux en droits – les homosexuel/les dans le dialogue civil et social
(Bruxelles : ILGA-Europe, 1998) 101.
93
S. Laursen, « Evidence of human rights violations against sexual minorities from cases at the Danish Refugee
Appeals Board », rapport non publié établi à l’intention du Haut Commissaire des Nations Unies aux droits de
l’homme, 17 juin 2001.
94
Ibid., 50.
95
Article 15, COM (2000) 578.
90
21
d’asile dans plus d’un État membre. C’est à cette fin que la Convention de Dublin de 1997
fixe les règles permettant de déterminer l’État membre qui aura à traiter la demande.96 Ce
système est très complexe, mais le principe général est que le premier pays de destination du
demandeur est celui qui examinera la requête. Un pays peut donc rejeter une demande comme
étant irrecevable si un autre État membre est responsable au vu des dispositions de la
Convention. Cela pose toutefois d’immenses problèmes pour les demandes d’asile fondées sur
l’orientation ou l’identité sexuelle dans la mesure où leur sort dépendra de la question de
savoir si la législation nationale prend en compte ce genre de persécution. La définition d’un
groupe social et l’admission des demandes d’asile fondées sur des persécutions par des
protagonistes autres que l’État variant d’un pays à l’autre, il demeure essentiel que certains
demandeurs puissent présenter leur requête là où la législation nationale leur est la plus
favorable.97 Et pourtant, la Convention de Dublin ignore ce problème.
L’ILGA-Europe ne critiquerait pas autant la Convention de Dublin si la proposition de la
Commission relative à des normes minimales concernant le statut de réfugié était adoptée
avec les modifications que nous suggérons,98 mais il faut encore que soit garantie l’uniformité
d’interprétation et d’application des motifs d’octroi du statut.
b) Demandes manifestement infondées – pays d’origine sûr
De plus en plus, l’Union européenne permet que certains dossiers soient traités dans le cadre
d’une procédure accélérée lorsque la demande est réputée manifestement non fondée. Ainsi,
dans la proposition de la Commission relative à l’octroi et au retrait du statut de réfugié, une
demande est considérée infondée si le candidat à l’asile vient « d’un pays d’origine sûr ».99
L’ILGA-Europe croit toutefois qu’il y a un danger à supposer quelque pays que ce soit
« sûr ». Les violations des droits fondamentaux des groupes les moins visibles – dont ceux qui
nous intéressent ici – risquent d’être méconnues ou sous-estimées.
c) Pays tiers sûr
Un autre mécanisme consiste à qualifier la demande d’irrecevable quand le demandeur peut
être éloigné vers un pays tiers sûr. Ici, le problème est le même que pour les pays d’origine
jugés sûrs. L’ILGA-Europe craint que les États membres n’accordent pas l’attention voulue
au sort réservé aux minorités sexuelles quand ils évaluent le degré de sûreté du pays tiers
concerné. Certes, dans sa proposition relative au statut de réfugié, la Commission dit bien que
cette évaluation doit prendre en compte la « situation personnelle » du demandeur,100 mais la
démarche retenue demeure à nos yeux dangereuse et inutile.
iv) Conditions d’accueil
Dans ce domaine, il importe de réfléchir à la fois aux besoins des demandeurs persécutés pour
leur orientation ou leur identité sexuelle et aux demandes déposées par des homosexuels, des
bisexuels ou des transsexuels pour d’autres motifs que leur orientation ou leur identité
96
[1997] JO C254/1.
Au Royaume-Uni, les tribunaux ont plusieurs fois refusé l’éloignement des demandeurs, comme le voudrait la
Convention de Dublin, parce que les lois de l’autre État membre n’auraient pas garanti un niveau équivalent de
protection. Ça a été le cas dans l’affaire R. (sur la requête de Zeqiri) c. Secretary of State for the Home
Department [2001] EWCA Civ 342.
98
Voir aussi la note de position 1/2002 de l’ILGA-Europe sur la proposition de la Commission (bientôt
disponible) : http://www.ilga-europe.org.
99
Article 28.e), COM (2000) 578.
100
Article 22.c), COM (2000) 578.
97
22
sexuelle. On retiendra notamment que les arrangements pris en matière de logement pour eux
ou leur famille ne doivent pas les exposer à la discrimination. Amnesty International signale
le cas d’un Indonésien persécuté pour son homosexualité dans son pays et placé dans un
centre de rétention aux États-Unis pendant l’examen de son dossier. Il y a subi les insultes
homophobes constantes des gardiens du centre.101
Dans sa proposition relative aux conditions d’accueil, la Commission note aussi la nécessité
d’assurer à certains demandeurs des soins médicaux et psychologiques pendant que leur
dossier est traité.102 Il est encourageant de voir que l’exposé des motifs contient une référence
aux transsexuels qui, dit-on, pourront avoir des besoins spécifiques en matière de logement et
d’appui psychologique.103 Toutefois, le risque étant grand que les États oublient la situation
des minorités sexuelles, l’ILGA-Europe estime important que les questions les concernant
soient couvertes explicitement, et non implicitement, dans tous les textes légaux.
v) Droit au regroupement familial
Enfin, il faut avoir conscience du fait que, s’agissant du regroupement familial, bon nombre
des questions qui se posent dans le contexte des lois relatives à l’immigration se posent aussi
dans le contexte du droit d’asile. En effet, les membres de la famille sont mentionnés dans
tous les textes qui suivent et qui ont été adoptés ou sont proposés par l’Union européenne :
•
Convention de Dublin relative à la détermination de l’État responsable de l’examen
d’une demande d’asile présentée dans l’un des États membres des Communautés
européennes ;104
•
Proposition de directive du Conseil relative au droit au regroupement familial
(s’applique aux réfugiés et aux personnes bénéficiant d’une protection subsidiaire) ;105
•
Proposition de directive du Conseil relative à des normes minimales pour l’accueil des
demandeurs d’asile dans les États membres ;106
•
Proposition de directive du Conseil concernant les normes minimales relatives aux
conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers et les apatrides pour
pouvoir prétendre au statut de réfugié ou de personne qui, pour d’autres raisons, a
besoin d’une protection internationale, et relatives au contenu de ces statuts ;107
•
Directive 2001/55/CE du Conseil du 20 juillet 2001 relative à des normes minimales
pour l’octroi d’une protection temporaire en cas d’afflux massif de personnes
déplacées et à des mesures tendant à assurer un équilibre entre les efforts consentis par
les États membres pour accueillir ces personnes et supporter les conséquences de cet
accueil.108
La directive sur la protection temporaire étant la seule mesure récemment adoptée (en juillet
2001), il paraît logique de s’attarder sur la définition qui y est donnée de la famille. Cet acte
concerne la protection des personnes en cas d’afflux massif, circonstance où il est difficile
d’appliquer les procédures d’asile normales, à tout le moins à court terme (on songe ici aux
guerres de Bosnie et du Kosovo). L’article 15 traite des cas où une famille se trouve dispersée
101
Amnesty International, « Torture – Identité sexuelle et persécutions » (ÉFAI, 2001) 46.
COM (2001) 181.
103
Ibid., 22.
104
Article 4, [1997] JO C254/1.
105
Article 5, COM (1999) 638.
106
Article 2, COM (2001) 181.
107
Article 2, COM (2001) 510.
108
Article 15, [2001] JO L212/12. Ceci ne s’applique pas au Danemark et à l’Irlande.
102
23
à la suite d’une évacuation et autorise le regroupement des membres de la famille dans un seul
pays. Au paragraphe 1.a, la famille se trouve définie comme suit :
« le conjoint du regroupant ou son partenaire non marié engagé dans une relation stable,
lorsque la législation ou la pratique en vigueur dans l’État membre concerné traite les
couples non mariés de manière comparable aux couples mariés dans le cadre de sa
législation sur les étrangers ; les enfants mineurs célibataires du regroupant ou de son
conjoint, qu’ils soient légitimes, nés hors mariage ou adoptés ».
Cette définition est inacceptable pour plusieurs raisons. Premièrement, la règle proposée ici
est différente de celle appliquée dans d’autres textes. Plutôt que de comparer le traitement
réservé aux couples mariés et non mariés en droit interne de façon générale, on limite le
champ de cette comparaison à la « législation sur les étrangers ». Deuxièmement, le droit
fondamental au respect de la vie familiale sera réalisé de manière différente selon le pays où
arriveront les intéressés. Si ce texte avait été d’application pendant la crise du Kosovo, un
couple de lesbiennes séparé par l’évacuation aurait sans doute pu invoquer le droit au
regroupement si l’une des deux était arrivée dans un pays comme la Belgique, où les droits en
matière d’immigration s’étendent aux couples homosexuels.109 Mais en Grèce ou en Italie,
cela leur aurait été impossible.110 Enfin, la directive établit une distinction discriminatoire
entre les enfants de couples mariés et ceux des couples non mariés. Les premiers sont
protégés, qu’ils soient nés avant ou après le mariage, tandis que rien n’est prévu pour les
enfants dont les parents ne sont pas encore mariés. Même si l’article 15.4 exige des États
membres qu’ils prennent en compte l’intérêt de l’enfant dans l’application de ces dispositions,
on peut penser que cette discrimination viole les articles 8 et 14 de la Convention européenne
des droits de l’homme. Dans l’affaire Marckx c. Belgique, la Cour des droits de l’homme a
souligné l’obligation qui incombe à tous les États de se garder de toute discrimination envers
les enfants naturels.111
109
Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, « Rapport de la Commission des migrations, des réfugiés et
de la démographie sur la situation des gays et des lesbiennes et de leurs partenaires en matière d’asile et
d’immigration dans les États membres du Conseil de l’Europe » [Vermot-Mangold], doc. 8654, 25 février 2000,
par. 45.
110
L’État membre a cependant ici la faculté de permettre le regroupement en vertu de l’article 15.1.b).
111
Arrêt du 13 juin 1979, série A n°31, par. 34.
24
5.
Conclusions et recommandations
Considérations générales
De l’analyse qui précède, il ressort que les initiatives de l’Union européenne en matière de
justice et d’affaires intérieures ont une grande pertinence pour les homosexuels, les bisexuels,
les transsexuels et leurs familles. La question de l’égalité de traitement se pose dans différents
domaines et de bien des manières mais, manifestement, il est un point crucial qui est la
définition de la famille dans le droit communautaire. Pour l’heure, les textes sont ambigus et
incohérents. Les propositions faites jusqu’ici ne changeront pas grand-chose à la situation et
n’aideront pas la Cour de justice à modifier sa position. Les familles non fondées sur le
mariage continuent d’être désavantagées. À moyen et à long terme, on ne résoudra ces
contradictions qu’en réformant les lois nationales pour éliminer la discrimination dans l’accès
au mariage et reconnaître juridiquement des formes alternatives de vie commune. De fait, dès
1994, le Parlement européen a recommandé que les États membres mettent un terme à
l’interdiction faite aux couples homosexuels de se marier ou d’obtenir une reconnaissance
juridique équivalente et leur garantissent les mêmes droits et avantages qu’aux couples mariés
en les autorisant à enregistrer leur union.112 Il faut de plus que l’égalité de traitement soit
garantie dans le droit communautaire, que la famille soit ou non fondée sur le mariage ou une
autre forme d’union, et pour cela, adopter sans attendre une définition souple et exhaustive au
niveau de l’Union pour éliminer la discrimination dans ce domaine.
Pour pleinement fonctionner, l’intégration du principe d’égalité dans tous les aspects de
l’élaboration des politiques doit devenir un élément institutionnel au niveau de l’Union
européenne. Actuellement, on semble procéder au coup par coup, ce qui donne lieu à des
oublis et des incohérences. De plus, dans cette même idée intégratrice (« mainstreaming »), il
faut que soit mise en place une consultation plus efficace et plus systématique des
organisations représentant ceux qui sont en butte à la discrimination. En 2001, l’ILGA-Europe
a contribué activement à la discussion sur les textes de propositions relatives à l’immigration
et au droit d’asile en produisant une série de notes de position.113 Cependant, il devient
difficile de participer de la même manière une fois que ces propositions sont transmises au
Conseil pour les dernières négociations. Souvent, le Conseil modifie substantiellement le
texte, alors que de nombreux obstacles empêchent de participer, à ce stade, au débat de fond.
Les négociations se déroulent dans le secret, la position des différents États membres manque
de transparence et l’accès aux documents est inutilement restreint. Pour qu’un vrai dialogue
démocratique se noue avec la société civile, il est essentiel que le Conseil fonctionne de façon
plus ouverte et plus transparente.
112
Résolution sur l’égalité des droits des homosexuels et des lesbiennes dans la Communauté européenne,
[1994] OJ C61/40, par. 14.
113
Voir http://www.ilga-europe.org.
25
Recommandations
1. Il faut établir une procédure systématique visant à intégrer le principe d’égalité dans
tous les aspects de l’élaboration, de l’application et de l’évaluation des politiques de
l’Union européenne.
2. Il faut consulter les organisations compétentes à tous les stades de l’élaboration des
politiques et des actes législatifs. Il faut notamment que soit organisée une meilleure
consultation avant la publication des propositions et durant les négociations du
Conseil relatives aux actes législatifs.
3. Il faut que soit adoptée une directive interdisant toute forme de discrimination fondée
sur l’orientation ou l’identité sexuelle en dehors du domaine de l’emploi. Cette
directive devrait couvrir tout le champ d’application du droit communautaire, y
compris notamment l’immigration et le droit d’asile.
4. Des clauses de non-discrimination, incluant explicitement l’orientation et l’identité
sexuelles devraient figurer dans tous les instruments juridiques de l’Union
européenne.
5. Tous les instruments juridiques de l’Union européenne devraient contenir une
définition exhaustive de la famille, qui reflète la diversité des familles dans la société
moderne. Le droit communautaire doit pleinement reconnaître et respecter les formes
d’union juridiquement reconnues en droit interne, dans toute leur diversité, ainsi que
les formes d’union non reconnues juridiquement mais fondée sur une relation affective
durable, indépendamment de la nationalité des membres de la famille.
6. Les États membres devraient éliminer toute discrimination fondée sur l’orientation ou
l’identité sexuelle dans leurs lois nationales régissant le mariage et toute autre forme
d’union juridiquement reconnue.
7. Indépendamment de leur situation au plan du droit interne, les États membres
devraient reconnaître réciproquement la validité et les effets juridiques des unions
contractées conformément au droit interne d’un quelconque autre État membre.
8. Les dispositions du Traité sur l’Union européenne relatives à la coopération judiciaire
et policière devraient être revues pour que soient expressément autorisées des mesures
visant à combattre les actes de violence motivés par l’orientation ou l’identité sexuelle
de la victime.
9. L’Union européenne devrait se doter d’une politique intégrée visant à combattre toutes
les formes d’agression motivée par l’intolérance.
10. La politique de l’Union européenne en matière de visas devrait prendre pleinement en
compte la nécessité pour les personnes persécutées ou torturées à cause de leur
orientation ou de leur identité sexuelle de pouvoir quitter leur pays sans problème.
11. Il faut qu’une crainte fondée d’être persécuté ou torturé du fait de son orientation ou
de son identité sexuelle soit reconnue comme motif d’octroi du statut de réfugié
partout dans l’Union européenne. Cela doit comprendre la persécution et la torture
commises tant par l’État que par d’autres protagonistes.
12. Nul ne doit être transféré vers un État où il risquerait d’être persécuté ou torturé au
motif de son orientation ou de son identité sexuelle.
26
Annex 1:
EU Justice and Home Affairs policy: an overview
It is impossible to provide a complete review of the complex history of the emerging
European Justice and Home affairs policies in this paper, so this is merely a general outline.
Essentially, it has been a twin-track process of ever-closer cooperation. On the inside track, a
core group of five Member States (Germany, France, Belgium, Luxembourg and the
Netherlands) established the Schengen Agreement in 1985 to develop cooperation leading to
the abolition of border controls. One decade later, seven Member States (Spain and Portugal
being the additions) finally took the step of removing internal border checks – the most
obvious symbol of which is the absence of passport controls. In 1998, Italy and Austria also
became part of the Schengen area, however, the most significant expansion of this space took
place on 25 March 2001 when Sweden, Denmark, Finland, Norway and Iceland entered the
Schengen area and abolished border controls. It should be noted that all EU applicant states
are expected to participate fully in the Schengen Agreements from the time they accede to the
European Union, although the removal of all border controls may occur over a transitional
period.
On the outside track, there has been much looser cooperation amongst all Member States.
Cooperation against terrorism can be traced back to the mid-1970s. Significantly, in 1986 the
Ad Hoc Working Group on Immigration was established. This was primarily focused on
asylum policy, but also led to a broader coordination of immigration policy. The group was
though, by definition, ad hoc, and hence outside the normal legal framework of the EC
Treaties. Thus, the measures adopted generally took the form of non-binding resolutions or
recommendations, and it was difficult to monitor their implementation. In 1990, the Member
States did agree the Dublin Convention, which aimed at abolishing the right of an asylumseeker to make an application for asylum in more than one Member State. However, it took
seven years for all the Member States simply to complete ratification of the Convention
([1997] OJ C254/1), demonstrating the inherent weaknesses in purely intergovernmental
mechanisms.
The 1993 Treaty on European Union (or ‘Maastricht Treaty’) transformed the existing policy
cooperation by placing it within an explicit legal framework. The EU Treaty included Title VI
on ‘cooperation in the fields of justice and home affairs’. Article K.1 specified as areas of
‘common interest’ policies on asylum, immigration, drug addiction, fraud, and judicial, police
and customs cooperation. Nonetheless, these provisions remained outside the EC Treaty, and
crucially did not provide jurisdiction for the European Court of Justice (ECJ), or a
consultative role in legislation for the European Parliament. Therefore, whilst measures
adopted under the provisions were in theory legally binding, there were only political
sanctions for non-implementation.
The 1999 Treaty of Amsterdam provided for a complete overhaul of the provisions on
immigration and asylum. It inserted a new chapter in the EC Treaty on ‘visas, asylum,
immigration and other policies related to free movement’. The main goal of this title is the
realisation of ‘an area of freedom, security and justice’ within five years of the entry into
force of the Treaty (Article 61). This is to be marked by the abolition of internal border
controls (Article 62), and the adoption of common rules principally in the field of asylum, but
also on immigration and third country nationals (Article 63). Crucially, these measures are
now in the form of binding Community legislation, under the jurisdiction of the ECJ (Article
68).
27
Despite this progress, the new provisions remain quite different from the rest of the EC
Treaty. For example, the Commission will not enjoy an exclusive right of legislative initiative
for a further five years (Article 67). In the intervening period, both Member States and the
Commission can propose legislation. The role of the Parliament is purely consultative and
decision-making is mostly by unanimous agreement in the Council. Furthermore, the
jurisdiction accorded to the ECJ is more limited than that pertaining to the rest of the EC
Treaty. Therefore, this is a policy area still heavily dominated by the Member States.
Most significantly, three Member States (Ireland, the UK and Denmark) secured opt-outs
from the new Treaty provisions on immigration and asylum (Protocols 4 and 5). Ireland and
the UK are not obliged to participate in legislation in this area, but can choose to ‘opt-in’ for
specific initiatives. Ireland has expressed its desire to do so as much as possible, and the
initial experience since 1999 has confirmed that the UK and Ireland do often participate,
despite the option of remaining outside the legislation. Denmark’s Protocol does not provide
any possibility for participation in the laws adopted under this part of the EC Treaty.
The Treaty of Amsterdam also altered the Schengen Agreements, which previously operated
through its own decision-making bodies. Protocol 2 authorises the thirteen Member States
who are signatories of the Schengen Agreements (UK and Ireland do not participate) to
establish ‘closer cooperation’ amongst them based on the EU institutional and legal
framework. For these thirteen states, the rules of the Schengen Agreements have now become
binding EU law and new measures in the ambit of Schengen are adopted through the normal
EU legislative process, albeit without the participation of the UK and Ireland. In addition,
Denmark also enjoys certain exceptions in this area.
Finally, adding to the complexity is the continuing existence of Title VI of the EU Treaty.
Following the removal of immigration and asylum policies from this framework, it has been
renamed ‘provisions on police and judicial cooperation in criminal matters’. A new range of
legal instruments is available – perhaps the most significant being the possibility to adopt
‘Framework Decisions’, which can be likened to Directives under the EC Treaty. This part of
the EU Treaty is now focused on preventing and combating crime, in particular, racism,
terrorism, corruption, fraud, offences against children and trafficking in persons, drugs, and
illegal arms.
As can be seen, this is an area characterised by extreme complexity and it remains quite
distinct from other EU policies. The sensitivity of border controls, criminal laws, immigration
and asylum policies, make the Member States reluctant to pool their sovereignty in these
fields, whilst at the same time being compelled to do so because of the international nature of
the issues.
The Treaty of Nice, when and if ratified, does not make fundamental changes to the legal
framework established by the Treaty of Amsterdam. However, it will permit the extension of
qualified-majority voting by the Council of Ministers in immigration and asylum policies,
alongside a greater role for the European Parliament in decision-making. Nonetheless, this is
not applicable to all aspects of immigration and asylum policies and it is subject to certain
preconditions, so the picture remains confusing.
28
The Area of Freedom, Security and Justice
The main project since Amsterdam has been the establishment of the ‘Area of Freedom,
Security and Justice’. This idea goes beyond the removal of border controls, extending into
areas such as criminal law cooperation / harmonisation, as well as better institutional relations
between police and judicial authorities in the different Member States. In a meeting at
Tampere in October 1999, Member States determined the substance of this ‘Area’. The
Tampere conclusions established a set of milestones for the implementation of common
policies in the areas of immigration, asylum and justice. Importantly, the ‘freedom’ dimension
to the Area includes ‘freedom from discrimination’;114 indeed, the Article 13 directives
adopted in 2000 were identified as elements of the implementation of the Tampere
programme.
Subsequent to Tampere, the Commission established a ‘Scoreboard’ designed to set out the
policy agenda for the five-year programme to construct the Area. The Scoreboard details all
the proposals the Commission intends to submit, when they will be submitted, and when they
should be completed. The scoreboard is updated every six months to reflect the actual state of
progress, and it is available at:
http://europa.eu.int/comm/dgs/justice_home/index_en.htm
114
COM (1998) 459.

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