Égalité de traitement pour les homo, bi et transsexuels : les grandes
Transcription
Égalité de traitement pour les homo, bi et transsexuels : les grandes
Avenue de Tervueren 94 B-1040 Brussels, Belgium Tel.: +32-2 732 54 88 Fax: +32-2 732 51 64 [email protected] www.ilga-europe.org Égalité de traitement pour les homo, bi et transsexuels : les grandes orientations de l’Union européenne en matière de justice et affaires intérieures Un document directif de l’ILGA-Europe (IE doc. 6/2001/FR) Novembre 2001 Écrit pour le Conseil exécutif de l’ILGA-Europe par Mark Bell, de la faculté de droit de l’université de Leicester. Le présent document directif est publié avec l’aide de la Communauté européenne, dans le cadre de son action « l’Union européenne contre la discrimination ». Son contenu ne reflète pas nécessairement les positions ou les vues de la Commission européenne, qui n’est pas responsable de l’utilisation éventuellement faite des informations figurant dans le texte. ILGA-Europe enjoys consultative status with the Council of Europe and is a member of the Platform of European Social NGOs. ILGA-Europe receives financial support from the Stonewall Lobby Group (UK). 2 1. Introduction Ces dernières années, l’Union européenne s’est engagée beaucoup plus loin dans la défense de l’égalité de traitement pour toutes les personnes, quelle que soit leur orientation sexuelle. En 1999, le Traité d’Amsterdam modifiait le Traité instituant la Communauté européenne et donnait au Conseil de nouvelles prérogatives lui permettant de « prendre les mesures nécessaires en vue de combattre toute discrimination fondée sur le sexe, la race ou l’origine ethnique, la religion ou les convictions, un handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle »1. Le Conseil n’a pas tardé à faire valoir ces nouvelles compétences pour adopter, en novembre 2000, la directive cadre en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail.2 Il y est demandé aux États membres d’interdire, en matière d’emploi, toute discrimination fondée sur la religion ou les convictions, un handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle. Ensuite, le principe de l’égalité de traitement, quelle que soit l’orientation sexuelle de chacun, a été une nouvelle fois affirmé dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, adoptée en décembre 2000.3 On peut y lire à l’article 21.1 qu’est interdite « toute discrimination fondée notamment sur … l’orientation sexuelle ». Le droit communautaire considère la discrimination à l’égard des transsexuels comme une forme de discrimination sexuelle. Le principe en a été établi en 1996 dans l’affaire P. c. S. et Cornwall County Council par la Cour de justice, qui a jugé qu’un licenciement motivé par un changement de sexe constituait une discrimination fondée sur le sexe.4 L’ILGA-Europe a plaidé pour l’ajout de « l’identité sexuelle » (gender identity) dans les dispositions de la Charte relatives à la non-discrimination, de manière à protéger les transsexuels plus explicitement et plus complètement. L’expression n’apparaît pas dans le texte final de la Charte, mais l’on peut penser que la discrimination sexuelle visée à l’article 21.1 couvre le cas des transsexuels. Cela étant entendu, nous parlerons dans le présent texte de la discrimination fondée sur l’identité sexuelle chaque fois que nous nous intéresserons de manière spécifique aux transsexuels. Il ressort de l’expérience du droit et de la politique communautaires en matière de discrimination sexuelle que, si les lois antidiscriminatoires sont un élément essentiel de toute stratégie d’égalité des chances, on ne peut s’en remettre à ces seules lois pour garantir un traitement égal dans la pratique.5 Elles doivent être accompagnées de mesures conçues pour intégrer à tous les domaines d’intérêt général ce principe d’égalité, et il faut en tout cas éviter que les autres instruments d’intervention ne sapent ou ne contredisent les objectifs poursuivis avec les lois antidiscriminatoires. Cette approche transversale – qui veut l’intégration de la perspective d’égalité à tous les niveaux législatifs et décisionnels – est souvent appelée « mainstreaming ». Au niveau le plus élémentaire, cela veut dire qu’il faut prendre le principe d’égalité en compte quelle que soit la matière traitée et à tous les stades de l’élaboration, de l’exécution et de l’évaluation des politiques. L’ILGA-Europe croit que le principe de « mainstreaming » doit aussi s’appliquer à la discrimination à l’égard des lesbiennes, des gays, des bi et des trans. Il convient donc de revoir toutes les orientations de l’Union européenne à la lumière de leur impact sur ces 1 Article 13 du Traité instituant la Communauté européenne. Directive 2000/78/CE du 27 novembre 2000 portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail, [2000] JO L303/16. 3 [2000] JO C364/01. 4 Affaire C-13/94, P. c. S. et Cornwall County Council [1996] Rec. I-2143. 5 Commission, « Intégrer l’égalité des chances entre les femmes et les hommes dans l’ensemble des politiques et actions communautaires », COM (1996) 67, 21 février 1996, 2. 2 3 différentes catégories de personnes. On notera – et c’est encourageant – que la Commission a d’ores et déjà pris l’habitude d’évaluer toute nouvelle proposition d’ordre législatif à l’aune de la Charte des droits fondamentaux.6 Du point de vue des homo, bi et transsexuels, cela suppose qu’aucune initiative législative ne soit entachée de discrimination fondée sur l’identité ou l’orientation sexuelle. Et c’est pour voir de quelle manière elles affectent les minorités sexuelles que nous passerons en revue plus loin les grandes orientations de l’Union européenne en matière de justice et d’affaires intérieures. Nous chercherons à identifier les domaines du droit communautaire où cette discrimination existe actuellement et doit disparaître. Nous essaierons aussi de voir comment l’Union européenne peut agir pour apporter une contribution active à la promotion de l’égalité de traitement. Avec la présente note, nous voulons sensibiliser tant les décideurs européens et nationaux que les associations lesbiennes, gay, bisexuelles et transsexuelles et autres organisations de défense des droits de l’homme. Les orientations de l’Union européenne en matière de justice et d’affaires intérieures relèvent d’un cadre juridique très complexe. Pour ceux qui connaissent mal ce dossier, la lecture de l’annexe 1 (en anglais), qui traite en général du pouvoir réglementaire de l’Union européenne dans ce domaine, devrait être utile. Dans les chapitres qui suivent, on détaillera la question pour voir en quoi homosexuels, bisexuels et transsexuels sont concernés. On commencera par un examen général du volet « justice », pour ensuite s’attarder plus longuement sur la problématique de l’immigration et du droit d’asile. 2. Justice Nous sommes à un moment clé de la définition et du développement du rôle que l’Union européenne est appelée à jouer dans le domaine de la justice et des affaires intérieures. Dans les conclusions du Conseil européen de Tampere, on peut lire qu’il faut établir « un véritable espace de justice » en Europe et « agir de concert, dans toute l’Union, en matière de lutte contre la criminalité ».7 Aussi bien « l’amont » que « l’aval » du droit et de la politique pénaux sont examinés sous ces titres. D’une part, il est prévu des mesures visant à dissuader et prévenir la criminalité, telles une coopération renforcée entre les polices européennes et l’harmonisation de certains aspects du droit pénal ; d’autre part, il est question de mesures visant à traiter les conséquences de l’infraction, tant sur le plan d’une coopération plus efficace entre les autorités judiciaires que d’une meilleure protection des droits des victimes. Trop souvent, le droit pénal sert à réprimer les minorités sexuelles.8 En 1993, le code pénal irlandais interdisait encore tout rapport sexuel entre hommes, même adultes et consentants.9 Par ailleurs, les lois pénales de plusieurs États membres de l’Union et États candidats à l’adhésion contiennent à ce jour des éléments discriminatoires. Ainsi, en Autriche, la majorité sexuelle est fixée à 18 ans pour les rapports homosexuels masculins, alors qu’elle n’est que de 6 Ainsi, le quatrième considérant de la proposition de directive relative à des normes minimales pour l’accueil des demandeurs d’asile (COM (2001) 181, 28) ou le septième considérant de la proposition de directive relative au statut de réfugié (COM (2001) 510, version provisoire, 12 septembre 2001, 41). 7 Conclusions du Conseil européen de Tampere, 15-16 octobre 1999, Bulletin – U.E., 10-1999. 8 On en trouvera nombre d’exemples dans ILGA-Europe, « Discrimination against lesbian, gay and bisexual persons in Europe », rapport présenté à la Commission des questions juridiques et des droits de l’homme de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, 16 février 2000. Disponible à l’adresse : http://www.ilgaeurope.org. 9 K. Rose, « Irlande » dans ILGA-Europe (éd.), Égaux en droits – les homosexuel/les dans le dialogue civil et social (Bruxelles : ILGA-Europe, 1998) 68. 4 14 ans pour les rapports hétérosexuels.10 Cette inégalité se retrouve aussi en Bulgarie, en Hongrie, en Roumanie et à Chypre.11 La Commission européenne des droits de l’homme a pourtant estimé en 1997 que pareille distinction était contraire à la Convention européenne des droits de l’homme.12 Sur le plan pénal, la discrimination ne se limite pas à cette question de la majorité sexuelle. C’est ainsi qu’en 2000, concernant le Royaume-Uni, l’interdit pesant sur toute activité sexuelle – même consensuelle et en privé – impliquant plus de deux hommes a été jugé incompatible avec la Convention des droits de l’homme.13 Homosexuels, bisexuels et transsexuels sont encore concernés par le droit pénal dans la mesure où ils sont la cible d’agressions homophobes ou « transphobes ».14 En témoigne l’enquête menée auprès de 600 gays et lesbiennes suédois en 1996, dont il ressort que 23% des personnes interrogées avaient été victimes d’agressions inspirées par l’intolérance (« hate crimes »).15 D’autres recherches conduites en Irlande en 1995 ont fait apparaître que 25% et 79% des personnes interrogées avaient été respectivement physiquement et verbalement agressées à cause de leur orientation sexuelle.16 Cette catégorie d’agressions va de l’insulte et de la brimade au meurtre, comme dans le cas des trois personnes tuées par une bombe dans un pub londonien de Soho, en 1999. Par ailleurs, sachant le traitement discriminatoire que la loi ou l’application de la loi leur réserve souvent, les homosexuels, bisexuels et transsexuels ont des rapports difficiles avec les représentants de l’ordre. Ils sont plus exposés que d’autres à certaines agressions, mais hésitent davantage à porter plainte. Ainsi, un transsexuel ne le fera pas s’il doit pour cela produire une carte d’identité qui indique un sexe non conforme à son identité sexuelle. Le fait que la justice ne soit pas systématiquement saisie fait que beaucoup d’agressions restent impunies et que les agresseurs se sentent autorisés à en commettre de nouvelles. Il faut absolument que l’Union européenne tire les enseignements du traitement réservé aux homosexuels, bisexuels et transsexuels dans les législations pénales nationales au moment de concevoir un nouveau corpus de droit pénal européen. Les premiers signes ne sont guère encourageants. i) Les homosexuels, bisexuels et transsexuels comme sujets de droit pénal L’article 21.1 de la Charte des droits fondamentaux interdisant toute discrimination fondée sur le sexe ou l’orientation sexuelle, il est inadmissible que l’Union européenne se dote de nouveaux instruments juridiques pénaux y donnant lieu. C’est un domaine où la vigilance est de rigueur, car le caractère discriminatoire d’une disposition pénale découle parfois non de sa définition, mais de son application. Une infraction apparemment neutre, qui s’applique de la même manière à tous les comportements sexuels, n’est parfois réprimée que si elle est le fait 10 K. Krickler, « Autriche » dans ILGA-Europe (éd.), Égaux en droits – les homosexuel/les dans le dialogue civil et social (Bruxelles: ILGA-Europe, 1998) 36. 11 Voir ILGA-Europe (éd.), Equality for lesbians and gay men – a relevant issue in the accession process (Bruxelles: ILGA-Europe, 2001), chapitres 1, 2, 5 et 10. La Roumanie et Chypre sont en train de prendre des décisions qui pourraient mener à l’abrogation de ces lois. 12 Sutherland c. Royaume-Uni [1997], rapports de la Commission européenne des droits de l’homme, supplément, CD 22. 13 ADT c. Royaume-Uni [2001] 31 EHRR 33. 14 Voir sur ce point, ILGA-Europe, « Discrimination against lesbian, gay and bisexual persons in Europe », rapport présenté à la Commission des questions juridiques et des droits de l’homme de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, 16 février 2000. 15 B. Skolander, « Suède » dans ILGA-Europe (éd.), Égaux en droits – les homosexuel/les dans le dialogue civil et social (Bruxelles : ILGA-Europe, 1998) 101. 16 GLEN and NEXUS Research Cooperative, Poverty - lesbians and gay men. The economic and social effects of discrimination (Dublin: Combat Poverty Agency, 1995) 78. 5 de deux femmes ou de deux hommes, ou nettement plus lourdement. C’est ainsi qu’au Royaume-Uni, tout contact sexuel en public est passible de sanctions pénales, mais la police ne s’inquiète de faire respecter la loi que quand les partenaires sont de même sexe. Qui plus est, dans les rares cas où des personnes ont été poursuivies pour des attouchements hétérosexuels, ceux-ci ont été considérés comme des atteintes relativement bénignes à l’ordre public et n’ont été punis que légèrement (par exemple, une petite amende), tandis que les attouchements homosexuels ont été jugés comme des faits de délinquance sexuelle et punis en conséquence de sanctions lourdes allant jusqu’à l’emprisonnement.17 Le risque que l’Union européenne adopte sans le vouloir des mesures susceptibles de donner lieu à discrimination dans leur application a été récemment illustré par une proposition de décision-cadre relative à la lutte contre l’exploitation sexuelle des enfants et la pédopornographie.18 L’ILGA-Europe souscrit entièrement à cette cause, mais la proposition contenait des termes larges et vagues qui pouvaient la faire aller bien au-delà de l’exploitation sexuelle des enfants. Plus précisément, dans la version anglaise du texte, on se proposait de punir ceux qui pousseraient une personne âgée de moins de 18 ans à se livrer à un comportement sexuel par « inducement ».19 Nulle part, ce terme n’était défini ou expliqué ; le dictionnaire définit « inducement » comme simplement « a thing that persuades or leads someone to do something » (quelque chose qui persuade quelqu’un de faire quelque chose ou l’amène à le faire).20 En outre, les auteurs de la proposition avaient ignoré le fait que, dans beaucoup d’États membres, l’âge de la majorité sexuelle était bien inférieur à 18 ans et n’avaient pas fait de distinction claire entre une persuasion légitime et une contrainte non légitime. Enfin, leur texte était rédigé de telle manière que des rapports sexuels entre deux jeunes de moins de 18 ans, proposés par l’un et acceptés par l’autre, pouvaient devenir un délit. De prime abord, un garçon ou une fille de 16 ans qui aurait « incité » quelqu’un de 17 ans à avoir avec lui ou elle des rapports sexuels consensuels se serait rendu coupable d’une infraction pénale. C’est ce genre d’instrument législatif qui présente pour l’avenir un réel danger d’effet discriminatoire dans son application. La police et la justice n’appliqueront peut-être pas ces lois quand seront concernés des comportements sexuels adolescents considérés comme « normaux », mais l’histoire montre que les homosexuels peuvent en pâtir quand des policiers ou des juges, par préjugé ou par ignorance, voient dans des rapports intimes entre individus du même sexe un plus grand « risque » pour le développement de la personne. Les homosexuels, bisexuels et transsexuels appartenant à une minorité ethnique sont encore plus vulnérables, puisqu’ils sont exposés à la fois à l’homophobie et au racisme présents dans les institutions policière et judiciaire. Il est encourageant de voir que la décision-cadre a été modifiée à la suite, notamment, d’interventions de l’ILGA-Europe. Le mot « inducement » a disparu du texte et n’est dorénavant interdit que tout ce qui est « coercion, force or threats » (contrainte, force ou menace).21 Néanmoins, cet exemple prouve la nécessité d’une prudence bien plus grande dans l’élaboration du droit pénal communautaire. Il en ressort en particulier qu’une consultation plus en amont de groupes tels que l’ILGA-Europe aurait permis à la Commission de se rendre 17 Voir sur ce point, R. Wintemute, « Sexual orientation discrimination » dans C. McCrudden et G. Chambers (éd.), Individual rights and the law in Britain (Oxford: Clarendon Press, 1994) 500-501. 18 COM (2000) 854 final/2. 19 Article 2.b).i). (NDT : Là où la version anglaise parle de faire usage de « inducement or coercion, violence or threats », la version française ne parle que de faire usage « de la force, de violences ou de menaces ») 20 J Pearsall (éd.), The Concise Oxford Dictionary (10ème édition, Oxford: OUP, 1999) 722. 21 Art 2.c.i, Conseil de l’UE, « Note from the Presidency to the Working Party on Substantive Criminal Law » réf. 11311/01, Bruxelles, 30 juillet 2001. 6 compte plus tôt des effets potentiellement discriminatoires de sa proposition. Un « mainstreaming » efficace suppose des mécanismes bien établis de consultation et de participation des organisations concernées au tout début de l’élaboration des politiques. À cet égard, l’ILGA-Europe se félicite de l’accent mis sur la transparence et la consultation dans le Livre blanc de la Commission sur la gouvernance européenne22 et souligne qu’il faut continuer à renforcer les procédures de consultation si l’on veut une véritable intégration du concept d’égalité partout. ii) Les homosexuels, bisexuels et transsexuels comme victimes C’est une excellente chose que l’Union mette un tel accent sur la protection des victimes dans sa politique en matière de justice. En effet, le Conseil a déjà adopté une décision-cadre relative au statut des victimes dans le cadre de procédures pénales.23 On y trouve une série de dispositions sur les droits des victimes à l’information, à la protection et à l’indemnisation. À l’article 2, il est fait obligation aux États membres de veiller « à ce que les victimes particulièrement vulnérables bénéficient d’un traitement spécifique répondant au mieux à leur situation » ; il y est aussi fait référence au devoir de « garantir aux victimes un traitement dûment respectueux de leur dignité personnelle pendant la procédure ». Au-delà de ces déclarations vagues, rien dans ce texte n’évoque toute la diversité des victimes. Au RoyaumeUni, l’enquête sur l’affaire Stephen Lawrence a révélé l’existence d’un racisme institutionnel dans la police londonienne, qui fait que les agressions racistes sont poursuivies avec moins de vigueur et que les parents des victimes sont parfois traités sans aucuns égards. Il existe un danger similaire de voir les agressions homophobes considérées comme moins prioritaires par les services de police. Les victimes homosexuelles, bisexuelles et transsexuelles (et leurs familles) rencontrent aussi d’autres formes de discrimination. Après l’attentat de Soho, il est apparu que le Criminal Injuries Compensation Fund (fonds d’indemnisation des victimes) ne versait certaines indemnisations qu’aux couples mariés. En l’occurrence, la décision-cadre représente une occasion manquée pour l’Union européenne d’expliciter l’importance qu’il y a à traiter toutes les victimes de la même manière à tous les stades de la procédure pénale. C’est comme cela qu’en Irlande, la Charte des victimes impose expressément à la Garda Síochána (la police) d’accorder la même attention à toute enquête, quels que soient certains éléments tels que le sexe, l’origine ethnique ou l’orientation sexuelle de la victime.24 Il est un autre domaine où l’Union européenne pourrait apporter une contribution utile : la lutte contre les agressions inspirées par l’intolérance (« hate crimes »). En 1996, l’Union européenne a adopté une action commune contre le racisme, qui visait à renforcer la coopération judiciaire pour combattre certains comportements tels l’incitation à la haine raciale, la diffusion de documents à caractère raciste ou la participation à des organisations racistes.25 Même s’il est difficile d’évaluer l’incidence de ce genre d’initiative, la Commission26 et le Conseil27 ont marqué leur souhait de poursuivre l’action en adoptant une décision-cadre relative aux délits racistes, qui porterait plus particulièrement sur les 22 Commission, « Gouvernance européenne – Livre blanc » COM (2001) 428, 10. [2001] JO L82/1. 24 Department of Justice, Equality and Law Reform, « Victims Charter and guide to the criminal justice system » (1999), p. 7. Disponible à l’adresse : http://www.irlgov.ie/justice/publications/projdev/victimscharter.pdf. 25 Action commune concernant l’action contre le racisme et la xénophobie, [1996] JO L185/5. 26 Commission, « Créer une société de l'information plus sûre en renforçant la sécurité des infrastructures de l'information et en luttant contre la cybercriminalité » COM (2000) 890, 15. 27 Communiqué de presse, Conseil Éducation / Jeunesse, 2349ème réunion du Conseil, Bruxelles 28 mai 2001, n° 8536/01 (Presse 179). 23 7 documents à caractère raciste diffusés sur Internet.28 La compétence de l’Union européenne en la matière ne peut faire de doute puisque l’article 29 du Traité sur l’Union européenne dit que cette action est un des objectifs essentiels de l’Union dans le domaine de la justice. S’agissant du racisme, l’article 29 du Traité sur l’Union européenne est à lire en conjonction avec l’article 13 du Traité instituant la Communauté européenne. Malheureusement, les autres motifs de discrimination énumérés à l’article 13 – sexe, religion ou convictions, âge, handicap et orientation sexuelle – ne figurent pas explicitement à l’article 29. De par leur nature, les agressions s’expliquant par l’intolérance visent divers groupes vulnérables de la société, qui ne se limitent pas aux minorités ethniques. À long terme, il semblerait sage de modifier l’article 29 pour y inclure une référence expresse à la lutte contre tous les actes de violence haineux commis pour l’un des motifs énumérés à l’article 13. Il n’en reste pas moins que l’article 29 énonce un principe général, qui est « d’offrir aux citoyens un niveau élevé de protection » et de prévenir « la criminalité, organisée ou autre ». Rien n’empêche que les agressions motivées par l’homophobie, la « transphobie » ou l’étroitesse d’esprit en matière de normes sexuelles ne tombent dans ce cadre. Cela permettrait de mettre en place des mesures encourageant de manière générale les instances policières et judiciaires à coopérer pour combattre l’intolérance et les actes de violence qui en découlent. Un domaine où il semble que les polices européennes pourraient utilement travailler ensemble est celui du recensement des agressions commises contre les minorités sexuelles.29 Il serait plus productif encore de réfléchir à une décision-cadre qui fixe une définition commune de ce type d’agression, ainsi que des sanctions minimales. L’article 31.e) du Traité sur l’Union européenne permet à l’Union d’adopter « des mesures instaurant des règles minimales relatives aux éléments constitutifs des infractions pénales et aux sanctions applicables dans les domaines de la criminalité organisée, du terrorisme et du trafic de drogue ». Parfois, les agressions qui nous intéressent ici sont commises de manière organisée, en particulier par des groupes d’extrême droite, auquel cas l’article 31.e) s’applique. De toute façon, il serait bon, une fois de plus, que les futures modifications du Traité sur l’Union précisent que l’Union a le pouvoir d’adopter des sanctions minimales dans le domaine ici étudié. 3. Immigration Tant au niveau national qu’au niveau européen, les lois relatives à l’immigration reconnaissent aux migrants le droit à être rejoints par certains membres de leur famille. Cependant, pour être considéré comme membre de la famille, la qualité de conjoint marié est souvent une condition nécessaire. Il en résulte de grands obstacles à la circulation des familles formées par des homosexuels, bisexuels ou transsexuels, beaucoup d’États membres continuant de refuser d’ouvrir le mariage aux couples homosexuels ou de se doter de cadres juridiques alternatifs reconnaissant les diverses formes de famille possibles. L’ILGA-Europe a toujours défendu le principe d’égalité juridique totale pour les homo, bi et transsexuels, y compris s’agissant du droit à se marier et à fonder une famille. Dans le même temps, nous ne pensons pas que le droit fondamental à avoir une vie de famille doive être tributaire de la décision de se marier ou de contracter une autre forme d’union légalement sanctionnée. L’existence d’une famille ne découle pas du statut qui lui est conféré par un cadre juridique quelconque, mais bien des liens affectifs et sociaux que des personnes nouent entre elles. Les 28 Le 28 novembre 2001, la Commission a proposé une décision-cadre sur le rapprochement des législations pénales relatives aux infractions racistes : communiqué de presse de la Commission IP/01/1680. 29 Le 26 septembre 2000, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a invité les États membres à prendre des « mesures positives » pour combattre les attitudes d’homophobie dans la police ; Situation des lesbiennes et des gays dans les États membres du Conseil de l’Europe, recommandation 1474 (2000). 8 lois doivent refléter et respecter la diversité des rapports familiaux existant aujourd’hui et le droit au regroupement familial doit donc s’étendre aussi bien aux familles fondées sur le mariage ou une autre forme d’union juridiquement reconnue que celles fondées uniquement sur l’existence d’une relation stable. Jusque récemment, les couples homosexuels n’avaient accès au mariage dans aucun pays. Toutefois, ces dernières années, les pays européens ont été de plus en plus nombreux à organiser pour eux une forme ou une autre de reconnaissance juridique. Ce sont les Pays-Bas qui sont allés le plus loin, puisque les couples homosexuels peuvent y contracter mariage depuis le 1er avril 200130 ; la Belgique envisage actuellement de faire de même. Dans plusieurs autres pays, la loi prévoit un statut qui confère aux couples intéressés presque tous les droits attachés au mariage (« registered partnership ») ; c’est le cas du Danemark (1989), de la Suède (1995), des Pays-Bas (1998) et de la Finlande (2001).31 Ailleurs encore, il existe une loi reconnaissant les couples homosexuels et leur donnant certains droits, qui restent cependant bien en deçà de ceux associés au mariage, comme en France,32 en Belgique,33 en Allemagne,34 au Portugal35 et dans certaines régions d’Espagne.36 On notera enfin que certains pouvoirs locaux ont mis en place une procédure d’enregistrement qui, la plupart du temps, n’entraîne aucun droit nouveau.37 En matière d’immigration, les transsexuels peuvent connaître toutes sortes de problèmes dans l’exercice de leurs droits : • Voyager peut être difficile lorsqu’il est impossible de modifier le sexe assigné à la naissance et inscrit sur des documents tels que passeport, carte d’identité, etc. ; • Si la loi du pays ne reconnaît pas pleinement le changement de sexe, un transsexuel hétérosexuel risque de ne pouvoir se marier, car son union serait considérée en droit comme une union homosexuelle ; • Même là où le mariage est possible et légal dans l’État d’origine, il peut ne pas l’être dans l’État de destination ; • La non-reconnaissance des couples non mariés peut provoquer des difficultés supplémentaires pour le regroupant qui veut faire venir des enfants qu’il élève mais dont il n’est pas parent biologique ; • Les lois nationales peuvent exiger d’un transsexuel qu’il divorce de son conjoint au moment de l’opération. Même si les deux ex-conjoints et leurs enfants se considèrent toujours comme formant une famille, la loi ne les considère plus comme tels. 30 Loi du 21 décembre 2000 (Staatsblad 2001, n° 9) sur l’ouverture du mariage aux couples homosexuels : voir K. Waaldijk, « Latest news about same-sex marriage in the Netherlands (and what it implies for foreigners) », http://ruljis.leidenuniv.nl/user/cwaaldij/www/NHR/news.htm. 31 La nouvelle loi finlandaise devrait entrer en viguer au printemps 2002 : Euroletter, n° 93, novembre 2001, http://www.steff.suite.dk/eurolet.htm. Voir aussi R. Wintemute et M. Andenæs (éd.), Legal recognition of same sex partnerships – a study of national, European and international law (Oxford: Hart, 2001). Et S. Jensen, « La reconnaissance des préférences sexuelles : le modèle scandinave » in D. Borrillo (éd.), Homosexualités et droit (Paris: PUF, 1998). 32 Voir D. Borrillo, « Le Pacte civil de solidarité : une reconnaissance timide des unions de même sexe » (2001) 3 Aktuelle Juristische Praxis 299. 33 Voir O. de Schutter et A. Weyembergh, « Statutory cohabitation under Belgian law: a step towards same-sex marriage? » in R. Wintemute et M. Andenæs (éd.), Legal recognition of same sex partnerships – a study of national, European and international law (Oxford: Hart, 2001). 34 Euroletter n° 84, novembre 2000 : http://www.steff.suite.dk/eurolet.htm. 35 Euroletter n° 88, mai 2001, ibid. 36 F. Salas, « The stable unions law in Catalonia » in R. Wintemute et M. Andenæs (éd.), Legal recognition of same sex partnerships – a study of national, European and international law (Oxford: Hart, 2001). 37 Ce genre de registre existe à Londres depuis 2001. 9 Voici un exemple d’obstacle rencontré par les transsexuels : en 2000, les autorités irlandaises ont refusé un permis de séjour à Nicholas Krivenko, transsexuel russe post-opératoire et conjoint d’une Allemande travaillant en Irlande. Les autorités russes avaient pourtant modifié son acte de naissance et le couple s’était marié en Irlande. On ne connaît pas encore l’issue du recours introduit contre la décision des services d’immigration ; on en retiendra les difficultés que peuvent rencontrer les transsexuels et leur famille en matière d’immigration.38 Comme il est dit plus haut, les problèmes que connaissent les homosexuels, bisexuels et transsexuels en matière d’immigration sont liés à la définition souvent restreinte de la famille donnée dans les textes. Ainsi, l’article 10.1 du règlement 1612/68 relatif à la libre circulation des travailleurs dans l’Union européenne39 confère au migrant le droit de faire venir son « conjoint ». En 1986, il a été demandé à la Cour de justice d’interpréter le sens du mot « conjoint » dans l’affaire État néerlandais c. Reed40. Un ressortissant britannique avait accepté une offre d’emploi aux Pays-Bas. Sa compagne, à laquelle il n’était pas marié, s’était installée avec lui mais, ne trouvant pas de travail, avait demandé aux autorités néerlandaises un permis de séjour en tant que cohabitant. La Cour a rejeté l’argument selon lequel un cohabitant non marié peut être considéré comme relevant de la catégorie des « conjoints » : « Le législateur communautaire aurait utilisé le mot ‘conjoint’ pour désigner un conjoint au sens du droit de la famille. Lorsque, à l’appui d’une interprétation dynamique, il est fait appel à l’évolution intervenue dans les conceptions sociale et juridique, il serait nécessaire qu’une pareille évolution puisse être constatée dans l’ensemble de la Communauté et ne pourrait pas uniquement reposer sur l’évolution sociale et juridique dans un seul État membre ou quelques États membres seulement. [...] Dans la Communauté actuelle, on ne pourrait guère parler d’un consensus sur l’éventuelle assimilation de partenaires non mariés aux époux. »41 Certes, cet arrêt laisse entendre que la Cour pourrait se montrer plus souple à l’avenir, mais le fait est que rien n’a encore changé. En mai 2001, elle a dû interpréter une disposition du règlement du personnel de la Communauté européenne. Un fonctionnaire homosexuel suédois attaché au Conseil des ministres et lié à un autre homme par un contrat d’union civile avait introduit un recours contre le non-versement d’une allocation de foyer normalement due aux « fonctionnaires mariés ». La Cour a conclu que, le contrat d’union civile étant différent en droit du mariage, « de telles circonstances ne permettent pas au juge communautaire d’interpréter le statut de telle sorte que soient assimilées au mariage des situations légales qui en sont distinctes ».42 Cette interprétation restrictive de la Cour influe par ailleurs sur les positions adoptées par les juridictions nationales. C’est ainsi qu’au Royaume-Uni, dans l’affaire McCollum c. Secretary of State for the Home Department, concernant un Irlandais de Londres, qui n’avait pu obtenir de permis de séjour pour son compagnon brésilien43, la Haute Cour de justice a débouté le demandeur, qui avait fondé son argumentation sur le règlement 1612/68, au motif que le règlement ne pouvait être interprété comme signifiant que deux personnes engagées dans une 38 Voir aussi S. Whittle, « European citizenship and Trans families: can they co-exist? », exposé prononcé à une conférence CERSGOSIG intitulée « Sexual orientation, gender identity and fundamental rights », Turin, 9-10 mars 2001. 39 [1968] JO Éd. spéc. (II)475. 40 Affaire 59/85 [1986] Rec. 1283. 41 Ibid. par. 10-11. 42 Affaire C-122/99P et C-125/99P, D et Suède c. Conseil, arrêt du 31 mai 2001, par. 37. 43 [2001] All ER 154. 10 relation homosexuelle devaient être traitées comme des conjoints ou comme constituant une famille.44 Qui plus est, l’absence de reconnaissance des couples non mariés pose des difficultés supplémentaires pour les autres membres de la famille, à savoir les enfants et autres personnes à charge. Si quelqu’un ne peut rejoindre son compagnon ou sa compagne dans un autre pays, la situation des personnes à charge du couple dépendra de la mesure dans laquelle la loi reconnaît le regroupant comme parent. Si le regroupant est le parent biologique ou le tuteur légal des enfants ou s’il est apparenté par le sang aux personnes à charge en question, il pourra les faire venir, mais l’autre parent peut ne pas recevoir de permis de séjour. Dans la situation inverse, les enfants et personnes à charge risquent de ne pas pouvoir suivre le migrant. S’agissant d’enfants, on peut arguer que cela est contraire à la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant, dont l’article 9.1 énonce que « les États parties veillent à ce que l’enfant ne soit pas séparé de ses parents contre leur gré ». Qui plus est, la Convention oblige les États à : « […] respecter les droits qui sont énoncés dans la présente Convention et à les garantir à tout enfant relevant de leur juridiction, sans distinction aucune, indépendamment de toute considération de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique ou autre de l’enfant ou de ses parents ou représentants légaux, de leur origine nationale, ethnique ou sociale, de leur situation de fortune, de leur incapacité, de leur naissance ou de toute autre situation ».45 L’ILGA-Europe appelle aussi l’attention sur la résolution adoptée en 1992 par le Parlement européen sur une Charte européenne des droits de l’enfant, laquelle interdit toute discrimination envers un enfant au motif, notamment, de l’orientation sexuelle de l’un ou des deux de ses parents.46 44 Ibid., par. 19. Article 2, italiques ajoutés. 46 [1992] JO C241/67, par. 8(5). 45 11 i) Droit communautaire et couples formés par des homosexuels, bisexuels et transsexuels Comme on a commencé à l’expliquer plus haut, les couples formés par des homosexuels, bisexuels ou transsexuels jouissent d’une reconnaissance juridique très diverse selon les États membres de l’Union européenne. Lorsqu’il est question d’immigration, il faut encore prendre en compte la nationalité des intéressés pour voir quel est le régime juridique qui s’applique. Le tableau ci-après indique les différentes combinaisons possibles et le régime qui s’applique au niveau de l’Union européenne.47 Dans un souci de clarté, on part du point de vue que le migrant s’installe ailleurs pour des raisons liées au travail. Mariés Ressortissant non UE + Ressortissant non UE Art. 4 du Règlement projet de 1612/6851 directive sur le regroupement familial50 Règlement 1612/68 Projet de directive sur le regroupement familial Règlement 1612/68 Règlement 1612/68 Projet de directive sur le regroupement familial Règlement 1612/68 Règlement 1612/68 Projet de directive sur le regroupement familial Règlement 1612/68 Règlement 1612/68 Projet de directive sur le regroupement familial Ressortissant du pays + Ressortissant non UE Droit à la libre circulation garanti aux citoyens de l’Union, notamment par l’article 18 du TCE Contrat Idem d’union civile Autre forme Idem de cohabitation juridiquement reconnue Cohabitation Idem non reconnue juridiquement 47 Ressortissant UE + Ressortissant non UE Ressortissant du pays48 + Ressortissant UE Art. 4 du projet de directive sur le regroupement familial Art. 4 du projet de directive sur le regroupement familial Art. 4 du projet de directive sur le regroupement familial Ressortissant UE + Ressortissant UE49 L’idée de ce tableau vient d’un exposé présenté par Kees Waaldijk au séminaire Lesbians and Gay Men and the European Union (Vienne, 24 juin 2001). 48 C.à.d. quelqu’un qui réside dans le pays dont il a la nationalité et souhaite faire venir quelqu’un qui est ressortissant d’un autre pays membre de l’UE (ou, dans la colonne suivante, d’un pays non membre de l’UE). 49 Ici, les deux intéressés sont ressortissants d’un pays membre de l’Union européenne et s’installent dans un autre pays membre de l’UE, dont ils ne sont pas ressortissants. 50 COM (1999) 638 ; proposition modifiée COM (2000) 624. 51 [1968] JO Éd. spéc. (II)475. 12 Comme on le voit, le règlement 1612/68 est l’instrument juridique qui s’applique le plus souvent. De plus, bien que le projet de directive sur le regroupement familial vaille pour les citoyens de l’Union résidant dans le pays dont ils ont la nationalité et qui souhaitent faire venir un ressortissant d’un pays tiers, l’article 4 précise que le ressortissant du pays tiers sera considéré comme membre de la famille s’il correspond à la définition qui en est donnée dans le règlement 1612/68.52 Il s’ensuit la coexistence de deux régimes juridiques : l’un pour les couples constitués au moins d’un citoyen de l’Union, indépendamment de la nationalité du partenaire et l’autre pour les ressortissants de pays tiers, dont le partenaire est aussi d’un pays tiers. ii) Droits des citoyens de l’Union Le règlement 1612/68 est inacceptable en l’état car il est construit sur une définition de la famille qui exclut les personnes non mariées. On retrouve cette notion centrale du « conjoint » dans les instruments communautaires régissant la libre circulation des étudiants,53 des retraités54 et des personnes ayant d’autres moyens de subsistance.55 Même si la Cour de justice peut décider un jour d’interpréter différemment le terme « conjoint », elle ne semble pas encline à le faire pour l’instant. Cela va à l’encontre de plusieurs dispositions de la Charte des droits fondamentaux. Tout d’abord, l’article 21.1 interdit la discrimination fondée sur le sexe ou l’orientation sexuelle. S’en tenir à une définition de la famille qui exclut beaucoup de couples constitués d’homosexuels ou de transsexuels revient à bafouer ce principe. Ensuite, il est énoncé à l’article 7 que « toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de ses communications ». Si certaines familles se voient de fait dénier le droit à la libre circulation, un droit pourtant fondamental garanti aux citoyens de l’Union, alors l’article 7 n’est pas respecté. Cette non-reconnaissance constitue aussi un obstacle à la liberté de circulation que l’article 39 du Traité instituant la Communauté européenne rend illégal. Dans Bosman, la Cour a considéré que « des dispositions qui empêchent ou dissuadent un ressortissant d’un État membre de quitter son pays d’origine pour exercer son droit à la libre circulation constituent, dès lors, des entraves à cette liberté même si elles s’appliquent indépendamment de la nationalité des travailleurs concernés ».56 Manifestement, on peut faire la même analyse s’agissant de la situation des homosexuels, bisexuels et transsexuels. Nul ne niera qu’une personne qui ne peut faire venir sa compagne ou son compagnon et ses enfants est ainsi empêchée ou dissuadée d’exercer son droit de circuler librement.57 Dans Bosman, la Cour a jugé que ces entraves étaient justifiées si elles visaient « un objectif légitime compatible avec le traité et se justifiaient par des raisons impérieuses d’intérêt général. Mais encore faudrait-il, en pareil cas, que l’application desdites règles soit propre à garantir la réalisation de l’objectif en cause et n’aille pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif. »58 L’ILGA-Europe ne croit pas que des limitations discriminatoires à la libre circulation des familles formées par les homosexuels, bisexuels et transsexuels servent une quelconque fin légitime. Cela est particulièrement vrai à la lumière des engagements 52 COM (1999) 638 ; proposition modifiée, COM (2000) 624. Article 1, Directive 93/96/CEE, [1993] JO L317/59. 54 Article 1.2, Directive 90/365/CEE, [1990] JO L180/28. 55 Article 1.2, Directive 90/364/CEE, [1990] JO L180/26. 56 Affaire C-415/93, Bosman [1995] Rec. I-4921, 5069. 57 COM (2001) 257, 4. 58 Ibid., 5071. 53 13 inscrits dans la Charte et allant dans le sens du respect de la vie familiale et du principe de non-discrimination. Il va de soi que l’absence de cadre juridique reconnaissant les familles qui nous intéressent ici pose pour certains pays des difficultés dans l’application des instruments juridiques relatifs à l’immigration. Les États peuvent craindre que certains prétendent être dans une relation de couple de façon à contourner les règles normales d’immigration. Même si on peut y voir un souci légitime justifiant une certaine restriction de la liberté de circulation, il est exagéré d’exclure d’office autant de familles. Une méthode plus souple consisterait à accepter les candidats au regroupement moyennant la preuve d’une relation durable. C’est bien ce qui se fait en Belgique et au Royaume-Uni depuis 1997.59 De plus, dans nombre d’États de l’Union, il existe déjà des formules alternatives permettant aux couples non mariés de s’enregistrer (bien qu’avec des effets juridiques très divers) et de faire état de liens familiaux. Il est essentiel à cet égard que le principe de la « reconnaissance mutuelle » – principe bien établi dans les règles communautaires relatives au marché intérieur et à la libre circulation – soit élargi aux diverses formes de cohabitation reconnues dans les États membres. iii) Réviser le règlement 1612/68 Le 23 mai 2001, la Commission a présenté une proposition visant à substituer aux dispositions du règlement 1612/68 relatives au regroupement familial un acte unique relatif à la libre circulation des citoyens de l’Union et des membres de leur famille, qu’ils se déplacent pour des raisons liées au travail ou autres.60 L’article 2.2 définit le « membre de la famille » comme : a) le conjoint ; b) le partenaire non marié, si la législation de l’État membre d’accueil assimile la situation des couples non mariés à celle des couples mariés et dans le respect des conditions prévues par cette législation ; c) les descendants directs et ceux du conjoint ou du partenaire non marié prévu au point b) ; d) les ascendants directs et ceux du conjoint ou du partenaire non marié prévu au point b). Cette proposition est très décevante car elle ne représente qu’une mince amélioration par rapport à la situation actuelle. Certes, les conjoints sont couverts et, surtout, à l’article 4 du projet de directive, il est enjoint aux États membres de « mettre en œuvre » la directive sans faire de discrimination fondée notamment sur l’orientation sexuelle, ce qui suppose que l’on réserve un traitement égal aux couples homosexuels et hétérosexuels et offre un argument solide en faveur de la reconnaissance mutuelle des couples homosexuels mariés dans toute l’Union aux fins de la libre circulation. 59 Belgique: Ministère de l’Intérieur, « Droit de séjour et cohabitation » (circulaire du 30 septembre 1997), Moniteur Belge du 14-11-97, C-97/00771, pp. 30333-30336; UK: Immigration Directorates’ Instructions, « Common-law and same sex relationships (unmarried partners) » chapitre 8, section 7, avril 2001. Voir http://www.ind.homeoffice.gov.uk/default.asp?PageId=1023. 60 COM (2001) 257. 14 En revanche, ce projet de directive n’entraînerait de droits supplémentaires pour les couples non mariés que dans la mesure où l’État où ils s’installent « assimile la situation des couples non mariés à celle des couples mariés », et sous réserve de toute autre condition posée par le droit interne de cet État. La règle est donc bien vague et il est difficile de savoir exactement quels sont les États qui répondent actuellement à ce critère. Sans doute a-t-on voulu ainsi couvrir des pays comme le Danemark, la Suède ou les Pays-Bas, mais qu’en est-il de la France ou de l’Allemagne, où des droits plus limités sont associés au statut de cohabitant légal ? La directive proposée introduirait une nouvelle forme de discrimination fondée sur la nationalité entre les citoyens de l’Union, ce qui est contraire à l’article 12 du Traité instituant la Communauté européenne et à l’article 21.2 de la Charte des droits fondamentaux. Un homosexuel italien pourrait s’installer en Suède avec son compagnon, que celui-ci soit ou non citoyen de l’Union ; en revanche, un homosexuel suédois n’aurait pas cette même possibilité en Italie (indépendamment de la nationalité de son compagnon). Par ailleurs, la formule proposée n’aiderait pas un couple formé pour une part d’un transsexuel, comme dans le cas de M. et Mme Krivenko, évoqués plus haut. Leur mariage n’étant pas reconnu par les autorités irlandaises, ils devraient présenter leur demande en tant que couple non marié, ce qui est vain en Irlande, pays qui n’assimile pas les couples non mariés aux couples mariés. Les familles fondées par les homosexuels, les bisexuels et les transsexuels continuent donc de voir leur dignité bafouée et leur droit fondamental à la protection de la vie familiale violé. Les obstacles actuels à leur libre circulation ne feront que perdurer. Une réforme réelle du règlement 1612/68 doit comporter une redéfinition radicale de la famille pour prendre en compte celles qui ne sont pas fondées sur le mariage. iv) Droits des ressortissants de pays tiers Les couples composés de deux ressortissants de pays tiers se trouvent dans une situation plus précaire encore. Au contraire de beaucoup de citoyens de l’Union, les ressortissants de pays tiers n’ont qu’une possibilité très limitée de faire valoir pour eux-mêmes, et non en tant que membre de la famille, certains droits de circulation dans l’Union. De plus, rares sont les pays européens dont la législation interne en matière d’immigration prévoit le droit de regroupement familial pour les couples non mariés. Dans un rapport rendu public en 2000, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a conclu que : « Les politiques d'immigration de la plupart des États membres sont nettement discriminatoires à l’égard des couples homosexuels, parfois confrontés à la douloureuse expérience de la séparation ou de l’expulsion, quand l’un des deux partenaires n’est pas citoyen du pays. Seuls la Belgique, le Danemark, la Finlande, l’Allemagne, l’Islande, les Pays-Bas, la Norvège, la Suède et le Royaume-Uni ont reconnu les relations homosexuelles dans le cadre de l’immigration. »61 Les couples de non-citoyens de l’Union rencontrent un obstacle supplémentaire du fait que beaucoup de systèmes juridiques non européens sont moins enclins à reconnaître les couples formés par des homosexuels ou des transsexuels et qu’il leur est donc plus malaisé d’obtenir une quelconque reconnaissance légale dans le pays d’origine. 61 Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, « Rapport de la Commission des migrations, des réfugiés et de la démographie sur la situation des gays et des lesbiennes et de leurs partenaires en matière d’asile et d’immigration dans les États membres du Conseil de l’Europe » [Vermot-Mangold], doc. 8654, 25 février 2000, par. 9. 15 Il n’en reste pas moins que le droit au respect de la vie familiale inscrit dans la Charte ne se limite pas aux citoyens de l’Union, mais s’étend à toutes les personnes couvertes par son champ d’application.62 L’Union européenne se doit donc de respecter ce droit s’agissant des ressortissants de pays tiers et de sa politique d’immigration. Qui plus est, la nouvelle politique communautaire en la matière repose notamment sur un élément présenté comme essentiel : le traitement équitable et la meilleure intégration des migrants de pays tiers.63 Dans son exposé des motifs concernant la proposition de directive relative au droit au regroupement familial, la Commission avance que « le regroupement familial est un moyen nécessaire pour réussir l’intégration des ressortissants de pays tiers qui résident légalement dans les États membres ».64 Cet argument est vrai quelle que soit l’orientation ou l’identité sexuelle des membres de la famille. La force des liens familiaux n’est pas tributaire des délimitations juridiques de la notion de famille ; les familles sont plutôt le produit de liens affectifs indépendants de leur (in)visibilité en droit. Au Royaume-Uni, en 1999, la Chambre des lords a fait sien cet argument lorsqu’elle a eu à se prononcer sur la question de savoir si 18 ans de relation de couple entre deux hommes faisaient de ceux-ci une famille aux fins de la loi relative aux successions : « Les traits marquants d’une relation affective sont essentiellement un certain degré de dépendance mutuelle, la vie commune, la tendresse et l’amour, l’attachement et l’appui réciproques. S’agissant de couples juridiquement reconnus, ces traits sont présumés, même s’ils n’existent bien entendu pas toujours, comme les tribunaux de la famille et les tribunaux pénaux ne le savent que trop bien. Dans les relations affectives de facto, ces traits, s’ils sont avérés, sont susceptibles d’être assimilés à des rapports familiaux. »65 v) La directive sur le regroupement familial Si elle est adoptée, le projet de directive relative au regroupement familial régira les droits des ressortissants de pays tiers.66 En 1999, la Commission avait d’abord proposé une définition de la famille similaire à celle adoptée dans la proposition visant à modifier le règlement 1612/68. Les membres de la famille du regroupant étaient définis comme étant : « a) le conjoint du regroupant, ou le partenaire non marié qui a une relation durable avec le regroupant, si la législation de l’État membre concerné assimile la situation des couples non mariés à celle des couples mariés … »67 Un bon nombre des critiques faites à la proposition relative aux citoyens de l’Union valent aussi pour la présente initiative. Les droits ainsi accordés varieraient grandement selon l’État concerné. Par exemple, un homosexuel brésilien dont le compagnon est aussi brésilien n’aura pas le droit de faire venir ce dernier s’il vit en Italie, pays qui n’a pas de loi nationale reconnaissant les couples homosexuels, mais pourra le faire aux Pays-Bas, qui reconnaissent les couples homosexuels non mariés et ont ouvert le mariage aux homosexuels. Il est inacceptable et contraire à la garantie universelle inscrite dans la Charte que le droit à la vie de famille soit différent selon l’État membre concerné. 62 Voir aussi S. Peers, « Immigration, asylum and the European Union Charter of Fundamental Rights » (2001) 3 European Journal of Migration and Law 141, 146. 63 Commission, « Communication relative à la politique communautaire en matière d’immigration », COM (2000) 757, 19. 64 COM (1999) 638, 3. 65 Lord Slynn, Fitzpatrick c. Sterling Housing Association [1999] 4 All ER 705. 66 On notera que ceci ne vaut pas pour le Danemark, l’Irlande et le Royaume-Uni. 67 Article 5.1, COM (1999) 638. 16 En dépit des limites de cette proposition, qui ne va pas bien loin dans la reconnaissance des couples non mariés, la controverse a déjà été vive au sein du Conseil, qui n’avait toujours pas su se mettre d’accord sur la directive au moment de rédiger le présent texte. Dans les dernières versions en date du projet, il est proposé de faire de l’admission des couples mariés une simple option ouverte aux États membres.68 Au moment de statuer sur une demande émanant d’un regroupant non marié, les États devraient considérer les éléments suivants comme prouvant l’existence de rapports familiaux : d’éventuels enfants communs, une cohabitation antérieure, un contrat d’union civile et autres moyens de preuve fiables.69 Cela montre qu’il est bel et bien possible pour les États membres de trouver un mécanisme permettant de juger du bien-fondé de ce genre de demande. On ne voit pas pourquoi il ne pourrait servir pour l’admission de partenaires de citoyens de l’Union, ou pourquoi les États devraient avoir la liberté d’adopter ou de ne pas adopter ce mécanisme. Si l’admission du partenaire non marié d’un regroupant ne demeure qu’une option dans le cas des ressortissants de pays tiers, l’Union européenne fige de fait les familles dans une hiérarchie nettement défavorable aux homosexuels, bisexuels et transsexuels, qui n’ont droit qu’à une priorité moindre et à un statut juridique beaucoup plus faible. Ce maintien de la discrimination va à l’encontre des principes inscrits dans la Charte des droits fondamentaux. vi) Autres instruments juridiques En intégrant la dimension de traitement égal dans tous les instruments existants (le principe du « mainstreaming »), on fait en sorte que même des politiques apparemment sans lien avec cette problématique soient « bétonnées » contre la discrimination. S’agissant d’immigration, la plupart des questions intéressant les homosexuels, bisexuels et transsexuels touchent peutêtre au regroupement familial, mais il en est d’autres encore à ne pas négliger. Ainsi, en 2000, la France a présenté une proposition de directive relative à l’aide à l’entrée irrégulière.70 Cette initiative vise à punir ceux qui facilitent l’immigration clandestine. Toutefois, l’article 4 de ce projet exonère de sanctions pénales notamment ceux qui aident « leur conjoint ou la personne qui vit notoirement en situation maritale » avec eux. Certes, cette formulation prête le flanc à la critique (puisque, par exemple, les partenaires non cohabitants sont oubliés), mais elle témoigne de la nécessité de prendre pleinement en compte le principe d’égalité dans tous les aspects de la réglementation relative à l’immigration. 4. Droit d’asile L’un des principaux objectifs poursuivis par l’Union européenne avec sa politique de droit d’asile est d’éviter les demandes d’asile à répétition dans les États membres.71 Ces demandes à répétition s’expliquent en grande partie par la disparité des lois nationales actuelles en la matière. Cela est particulièrement vrai pour ce qui concerne l’acceptation de la persécution fondée sur l’orientation sexuelle comme motif d’octroi du droit d’asile. En 2000, le Conseil de l’Europe a publié un rapport dont il ressortait que, sur les 15 États membres de l’Union européenne, 10 reconnaissaient en théorie ou en pratique que ce genre de persécution pouvait 68 Conseil de l’Union, « Note from the Presidency to Permanent Representatives Committee », réf. 10842/01, Bruxelles, 12 juillet 2001. 69 Ibid., 2. 70 Initiative de la République française en vue de l’adoption de la directive du Conseil visant à définir l’aide à l’entrée, à la circulation et aux séjours irréguliers, [2000] JO C253/1. 71 Commission, « Vers une procédure d’asile commune et un statut uniforme, valable dans toute l’Union, pour les personnes qui se voient accorder l’asile », COM (2000) 755, 7. 17 constituer un motif d’octroi du statut de réfugié ou d’une forme subsidiaire de protection permettant à l’intéressé de rester dans le pays où il a présenté sa requête.72 Si l’on considère la politique d’asile dans une perspective homo, bi et transsexuelle, il faut examiner tous les aspects du processus d’octroi du droit d’asile. Il faut aussi se souvenir que nous ne nous intéressons pas seulement à ceux qui demandent l’asile à cause de leur orientation ou leur identité sexuelle, mais aussi à ceux qui ont été persécutés pour d’autres raisons, mais peuvent avoir des besoins particuliers parce qu’ils sont homosexuels, bisexuels ou transsexuels. On discernera ici cinq domaines d’analyse particuliers : modalités de délivrance des visas, motifs d’octroi du statut de réfugié, procédures de décision, conditions d’accueil pour les demandeurs et leur famille. i) Modalités de délivrance des visas Stricto sensu, la délivrance des visas relève des lois relatives à l’immigration. Cependant, l’obligation faite aux ressortissants d’un pays d’obtenir un visa est souvent liée à la possibilité qu’ils déposent une demande d’asile. Cela veut dire que les ressortissants de ce pays ne pourront entrer légalement sur le territoire de l’Union qu’en ayant d’abord demandé et obtenu un titre officiel de voyage. (En revanche, les ressortissants d’autres États peuvent se rendre dans l’Union et y voyager pendant trois mois sans autorisation préalable.) Le lien entre visa et droit d’asile réside dans le fait que l’obligation d’avoir un visa permet aux États membres de l’Union de contrôler plus étroitement les mouvements migratoires (non clandestins) en provenance de l’État concerné. Mais, en pratique, cela peut représenter un obstacle majeur pour les demandeurs d’asile potentiels qui voudraient exercer leur droit à demander l’asile dans l’Union européenne.73 L’ILGA-Europe est notamment inquiète de constater que l’obligation de visa a été imposée à des États où les persécutions fondées sur l’orientation ou l’identité sexuelle sont avérées et que, par conséquent, la politique communautaire en la matière risque d’empêcher des homosexuels, bisexuels ou transsexuels ressortissants de ces États de fuir légitimement ces persécutions et de chercher refuge dans l’Union européenne. L’exemple le plus flagrant en est peut-être l’Afghanistan.74 Il est de toute évidence très difficile pour des Afghans de faire une demande de visa ; or, on dispose aussi de preuves abondantes de violations courantes des droits de l’homme, dont des mesures touchant les minorités sexuelles. Les rapports du HCR confirment que l’homosexualité a été réprimée par la loi, qui criminalise les rapports sexuels consensuels entre homme ; en 1998, cinq hommes convaincus d’homosexualité ont été condamnés à mort, le moyen choisi pour l’exécution de la sentence étant l’écrasement par un mur qu’on fait s’écrouler sur le condamné.75 72 Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, « Rapport de la Commission des migrations, des réfugiés et de la démographie sur la situation des gays et des lesbiennes et de leurs partenaires en matière d’asile et d’immigration dans les États membres du Conseil de l’Europe » [Vermot-Mangold], doc. 8654, 25 février 2000, par. 7. Les États concernés sont : l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, le Danemark, la Finlande, la Grèce, l’Irlande, les Pays-Bas, le Royaume-Uni et la Suède. 73 L’article 18 de la Charte des droits fondamentaux réaffirme le droit d’asile. 74 Règlement 574/1999/CE du Conseil du 12 mars 1999 déterminant les pays tiers dont les ressortissants doivent être munis d’un visa lors du franchissement des frontières extérieures des États membres; [1999] JO L72/2, annexe 1; règlement 539/2001/CE du Conseil du 15 mars 2001 fixant la liste des pays tiers dont les ressortissants sont soumis à l’obligation de visa pour franchir les frontières extérieures des États membres et la liste de ceux dont les ressortissants sont exemptés de cette obligation, [2001] JO L81/1, annexe 1. 75 HCR, « Update to the background paper on refugees and asylum seekers from Afghanistan » [Fiche de mise à jour du dossier sur les réfugiés et les demandeurs d’asile en provenance d’Afghanistan], Centre de recherche et de documentation, Genève, janvier 1999, p. 18. Disponible à : http://www.unhcr.ch/cgi-bin/texis/vtx/rsd (chercher sous « Afghanistan »). 18 Par ailleurs, en mai 2001, le Conseil de l’Union européenne s’est déclaré préoccupé par « les menaces et les agressions verbales visant les minorités en Namibie » : « les déclarations officielles contre les minorités, notamment contre les homosexuels, ainsi que les déclarations de nature xénophobe, sont inacceptables et constituent des indices inquiétants d’une montée de l’intolérance ».76 Et pourtant, les États Schengen (dont le Royaume-Uni et l’Irlande ne font pas partie) exigent un visa des Namibiens pour entrer sur leur territoire.77 Très clairement, divers facteurs sont à prendre en considération pour déterminer s’il faut ou non exiger un visa, mais le principe du « mainstreaming » suppose que la problématique de l’égalité de traitement soit un des ces facteurs et que les règles en matière de visas soient revues au regard de leur impact sur les minorités exposées à la persécution. ii) Motifs d’octroi du statut de réfugié La persistance des persécutions infligées aux minorités sexuelles est avérée dans de nombreuses parties du monde. Dans un rapport de 2000, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe notait que dans une quarantaine de pays à travers le monde, les relations homosexuelles, qu’il s’agisse d’hommes ou de femmes, demeuraient illégales, tandis que dans une quarantaine d’autres pays, c’étaient les rapports sexuels entre hommes qui l’étaient encore.78 En l’occurrence, le principal obstacle juridique aux demandes d’asile consiste en l’absence de toute référence explicite à l’orientation ou à l’identité sexuelle dans les grands instruments juridiques internationaux, dont la Convention de Genève. L’article 1.A.2, tel que modifié par le Protocole de 1967, définit le réfugié comme toute personne qui : « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays… » Au vu de cette clause, c’est naturellement l’expression « certain groupe social » qui est devenue le mécanisme le plus approprié pour traiter des persécutions motivées par l’identité ou l’orientation sexuelle des victimes. On peut à cet égard tracer un parallèle avec les demandes d’asile fondées sur les persécutions subies par les femmes et on se référera à l’arrêt rendu au Royaume-Uni par la Chambre des lords dans l’affaire R. c. Immigration Appeal Tribunal et une autre partie pour le compte de Shah.79 L’affaire concernait deux Pakistanaises séparées de leur mari, qui craignaient des voies de fait de leur mari ou de quelqu’un d’autre si elles venaient à être renvoyées au Pakistan. On retiendra que pour la Chambre des lords, étant donné « la discrimination institutionnalisée exercée de manière avérée par la police, les 76 Déclaration de la présidence au nom de l’Union européenne sur les droits de l’homme en Namibie, 7900/01 (Presse 155), Bruxelles, 2 mai 2001. Voir aussi la résolution du Parlement européen sur les droits des personnes homosexuelles en Namibie, 5 avril 2001, B5-0264,0274, 0282 et 0300/2001. 77 Règlement 539/2001/CE du Conseil du 15 mars 2001 fixant la liste des pays tiers dont les ressortissants sont soumis à l’obligation de visa pour franchir les frontières extérieures des États membres et la liste de ceux dont les ressortissants sont exemptés de cette obligation, [2001] JO L81/1, annexe 1. 78 Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, « Rapport de la Commission des migrations, des réfugiés et de la démographie sur la situation des gays et des lesbiennes et de leurs partenaires en matière d’asile et d’immigration dans les États membres du Conseil de l’Europe » [Vermot-Mangold], doc. 8654, 25 février 2000, par. 30. 79 Affaire jointe avec Islam et une autre partie c. Secretary of State for the Home Department [1999] 2 All ER 545 HL. 19 tribunaux et instances juridiques et les organes centraux de l’État à l’égard des femmes », il faut considérer les femmes pakistanaises comme « un groupe social particulier » au sens de la Convention de Genève.80 De plus, trois des juges ont admis que, dans certaines circonstances, les homosexuels constituaient aussi un groupe social.81 L’affaire Pour le compte de Shah met en lumière un problème supplémentaire posé par les demandes d’asile motivées par l’orientation ou l’identité sexuelle. Parfois, la persécution relève clairement d’une action de l’État, mais elle peut aussi être surtout le fait de la société et d’un harcèlement largement répandu des minorités sexuelles, l’État ne pouvant ou ne voulant rien faire. Ainsi, l’affaire R. (sur la requête de Ragman) c. Special Adjudicator,82 concernait un homosexuel roumain qui avait demandé l’asile au Royaume-Uni. Alors que ce jeune homme était en dernière année d’études de gymnastique, il avait vu son homosexualité divulguée à tous les étudiants par le directeur de l’université, qui lui a signifié qu’on ne le laisserait pas devenir professeur de gymnastique à cause de son orientation sexuelle. Après cet incident, il n’a plus pu quitter son domicile sans se faire insulter. Le juge a estimé que « la Roumanie était un pays dans lequel les homosexuels sont encore en butte à l’hostilité générale et aux préjugés de la part des autorités et de l’opinion publique en général »83, mais cela n’a pas empêché le Tribunal administratif de conclure que « l’hostilité et les préjugés auxquels les homosexuels sont généralement exposés en Roumanie, aussi violents et cruels soient-ils, ne sont pas d’une nature ou d’une ampleur telles qu’on puisse les qualifier de persécution ».84 On en retiendra combien il importe pour les homosexuels, bisexuels ou transsexuels demandeurs d’asile que la loi prévoie expressément la possibilité de déposer une requête lorsque l’origine des persécutions est à chercher dans des protagonistes autres que l’État.85 Proposition de la Commission concernant les normes minimales relatives à la procédure d’octroi et de retrait du statut de réfugié À la lumière de ce qui précède, la récente proposition de directive concernant les normes minimales relatives à la procédure d’octroi et de retrait du statut de réfugié est, généralement parlant, la bienvenue.86 La définition donnée des motifs d’octroi s’inspire de la Convention de Genève de 1951,87 mais le texte précise aussi la notion de groupe social. À l’article 12.4, on peut lire que « la notion de groupe social recouvre les groupes pouvant se définir en fonction de certaines caractéristiques essentielles, comme l’orientation sexuelle, l’âge ou le sexe… ». Il est aussi spécifié qu’il « est indifférent que la persécution provienne de l’État, de partis ou organisations contrôlant celui-ci ou d’acteurs non étatiques dans les cas où l’État ne peut pas ou ne veut pas accorder une protection effective ».88 Enfin, la persécution est définie comme 80 Lord Hoffman, p. 566. Lord Steyn (p. 557), Lord Hoffman (p. 563) et Lord Millet (p.574). Dans une affaire postérieure qui concernait une demande d’asile déposée par un homosexuel indien, le gouvernement a reconnu que les homosexuels pouvaient constituer un groupe social particulier si l’on suivait l’arrêt rendu dans Shah: Jain c. Secretary of State for the Home Department [2000] Imm AR 76. 82 [2000] All ER 1634. 83 Ibid., par. 10. 84 Ibid., par. 23. 85 Le même problème s’est posé dans l’affaire Jain c. Secretary of State for the Home Department [2000] Imm AR 76. 86 Commission, « Proposition de directive du Conseil concernant les normes minimales relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers et les apatrides pour pouvoir prétendre au statut de réfugié ou de personne qui, pour d'autres raisons, a besoin d'une protection internationale, et relatives au contenu de ces statuts » COM (2001) 510, 12 septembre 2001. 87 Article 5.1. 88 Article 9.1. 81 20 comprenant les actes discriminatoires, les lois discriminatoires et l’application discriminatoire des lois.89 L’ILGA-Europe fait sienne l’approche large adoptée par la Commission. Nous croyons toutefois que la proposition doit être améliorée sur plusieurs points, en particulier pour ce qui concerne une mention expresse des personnes exposées à la persécution du fait de leur identité sexuelle.90 Nous suivrons de près les travaux relatifs à ce texte au Conseil de manière à en préserver intégralement les aspects positifs. iii) Procédures de décision Même quand la loi admet les persécutions fondées sur l’orientation ou l’identité sexuelle comme motif d’octroi du statut de réfugié, il importe de réfléchir aux procédures d’examen des requêtes individuelles. Amnesty International a mis en lumière certains obstacles bien spécifiques que rencontrent les demandeurs homosexuels, bisexuels ou transsexuels. Premièrement, il peut leur être malaisé de fournir des « preuves attestant ce qu’ils ont subi ».91 Cela est rendu encore plus complexe par le manque d’information sur la situation des minorités sexuelles dans certains pays. L’expérience de la Suède, pays ouvert aux demandes de protection motivées par l’orientation ou l’identité sexuelle, montre que les exigences relatives à la preuve de la persécution font que peu de demandes d’asile aboutissent.92 En témoigne aussi l’expérience du Danemark, où sur 94 demandes soumises entre 1990 et 2001, seules 10 ont abouti.93 On notera aussi que sur les 10 demandeurs dont le dossier a abouti, un seul a reçu le plein statut de « réfugié » au sens de la Convention et que les neuf autres ont bénéficié de formes subsidiaires de protection. Deuxièmement, il importe d’être très attentif au respect de la confidentialité.94 Ce genre de demande d’asile peut amener les requérants à dévoiler des aspects intimes de leur vie privée, qu’il ne faut pas divulguer à d’autres membres de la famille, à des voisins ou aux autorités de l’État d’origine. On se souviendra à cet égard que la proposition de la Commission relative à des normes minimales concernant la procédure d’octroi et de retrait du statut de réfugié dans les États membres ne traitait que de la confidentialité en rapport avec les autorités du pays d’origine.95 En matière de droit d’asile, l’Union européenne s’est aussi dotée de toute une série de procédures visant soit à décourager purement et simplement les demandes, soit à traiter certains dossiers de manière accélérée. a) la Convention de Dublin Comme on l’a dit déjà plus haut, l’un des premiers objectifs poursuivis par l’Union européenne en matière d’asile est d’empêcher qu’une personne ne présente des demandes 89 Article 11.1. Voir aussi la note de position de l’ILGA-Europe 1/2002 relative à la proposition de la Commission (bientôt disponible) : http://www.ilga-europe.org. 91 Amnesty International, « Torture – Identité sexuelle et persécutions » (ÉFAI, 2001) 44. 92 B. Skolander, « Suède » in ILGA-Europe, Égaux en droits – les homosexuel/les dans le dialogue civil et social (Bruxelles : ILGA-Europe, 1998) 101. 93 S. Laursen, « Evidence of human rights violations against sexual minorities from cases at the Danish Refugee Appeals Board », rapport non publié établi à l’intention du Haut Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, 17 juin 2001. 94 Ibid., 50. 95 Article 15, COM (2000) 578. 90 21 d’asile dans plus d’un État membre. C’est à cette fin que la Convention de Dublin de 1997 fixe les règles permettant de déterminer l’État membre qui aura à traiter la demande.96 Ce système est très complexe, mais le principe général est que le premier pays de destination du demandeur est celui qui examinera la requête. Un pays peut donc rejeter une demande comme étant irrecevable si un autre État membre est responsable au vu des dispositions de la Convention. Cela pose toutefois d’immenses problèmes pour les demandes d’asile fondées sur l’orientation ou l’identité sexuelle dans la mesure où leur sort dépendra de la question de savoir si la législation nationale prend en compte ce genre de persécution. La définition d’un groupe social et l’admission des demandes d’asile fondées sur des persécutions par des protagonistes autres que l’État variant d’un pays à l’autre, il demeure essentiel que certains demandeurs puissent présenter leur requête là où la législation nationale leur est la plus favorable.97 Et pourtant, la Convention de Dublin ignore ce problème. L’ILGA-Europe ne critiquerait pas autant la Convention de Dublin si la proposition de la Commission relative à des normes minimales concernant le statut de réfugié était adoptée avec les modifications que nous suggérons,98 mais il faut encore que soit garantie l’uniformité d’interprétation et d’application des motifs d’octroi du statut. b) Demandes manifestement infondées – pays d’origine sûr De plus en plus, l’Union européenne permet que certains dossiers soient traités dans le cadre d’une procédure accélérée lorsque la demande est réputée manifestement non fondée. Ainsi, dans la proposition de la Commission relative à l’octroi et au retrait du statut de réfugié, une demande est considérée infondée si le candidat à l’asile vient « d’un pays d’origine sûr ».99 L’ILGA-Europe croit toutefois qu’il y a un danger à supposer quelque pays que ce soit « sûr ». Les violations des droits fondamentaux des groupes les moins visibles – dont ceux qui nous intéressent ici – risquent d’être méconnues ou sous-estimées. c) Pays tiers sûr Un autre mécanisme consiste à qualifier la demande d’irrecevable quand le demandeur peut être éloigné vers un pays tiers sûr. Ici, le problème est le même que pour les pays d’origine jugés sûrs. L’ILGA-Europe craint que les États membres n’accordent pas l’attention voulue au sort réservé aux minorités sexuelles quand ils évaluent le degré de sûreté du pays tiers concerné. Certes, dans sa proposition relative au statut de réfugié, la Commission dit bien que cette évaluation doit prendre en compte la « situation personnelle » du demandeur,100 mais la démarche retenue demeure à nos yeux dangereuse et inutile. iv) Conditions d’accueil Dans ce domaine, il importe de réfléchir à la fois aux besoins des demandeurs persécutés pour leur orientation ou leur identité sexuelle et aux demandes déposées par des homosexuels, des bisexuels ou des transsexuels pour d’autres motifs que leur orientation ou leur identité 96 [1997] JO C254/1. Au Royaume-Uni, les tribunaux ont plusieurs fois refusé l’éloignement des demandeurs, comme le voudrait la Convention de Dublin, parce que les lois de l’autre État membre n’auraient pas garanti un niveau équivalent de protection. Ça a été le cas dans l’affaire R. (sur la requête de Zeqiri) c. Secretary of State for the Home Department [2001] EWCA Civ 342. 98 Voir aussi la note de position 1/2002 de l’ILGA-Europe sur la proposition de la Commission (bientôt disponible) : http://www.ilga-europe.org. 99 Article 28.e), COM (2000) 578. 100 Article 22.c), COM (2000) 578. 97 22 sexuelle. On retiendra notamment que les arrangements pris en matière de logement pour eux ou leur famille ne doivent pas les exposer à la discrimination. Amnesty International signale le cas d’un Indonésien persécuté pour son homosexualité dans son pays et placé dans un centre de rétention aux États-Unis pendant l’examen de son dossier. Il y a subi les insultes homophobes constantes des gardiens du centre.101 Dans sa proposition relative aux conditions d’accueil, la Commission note aussi la nécessité d’assurer à certains demandeurs des soins médicaux et psychologiques pendant que leur dossier est traité.102 Il est encourageant de voir que l’exposé des motifs contient une référence aux transsexuels qui, dit-on, pourront avoir des besoins spécifiques en matière de logement et d’appui psychologique.103 Toutefois, le risque étant grand que les États oublient la situation des minorités sexuelles, l’ILGA-Europe estime important que les questions les concernant soient couvertes explicitement, et non implicitement, dans tous les textes légaux. v) Droit au regroupement familial Enfin, il faut avoir conscience du fait que, s’agissant du regroupement familial, bon nombre des questions qui se posent dans le contexte des lois relatives à l’immigration se posent aussi dans le contexte du droit d’asile. En effet, les membres de la famille sont mentionnés dans tous les textes qui suivent et qui ont été adoptés ou sont proposés par l’Union européenne : • Convention de Dublin relative à la détermination de l’État responsable de l’examen d’une demande d’asile présentée dans l’un des États membres des Communautés européennes ;104 • Proposition de directive du Conseil relative au droit au regroupement familial (s’applique aux réfugiés et aux personnes bénéficiant d’une protection subsidiaire) ;105 • Proposition de directive du Conseil relative à des normes minimales pour l’accueil des demandeurs d’asile dans les États membres ;106 • Proposition de directive du Conseil concernant les normes minimales relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers et les apatrides pour pouvoir prétendre au statut de réfugié ou de personne qui, pour d’autres raisons, a besoin d’une protection internationale, et relatives au contenu de ces statuts ;107 • Directive 2001/55/CE du Conseil du 20 juillet 2001 relative à des normes minimales pour l’octroi d’une protection temporaire en cas d’afflux massif de personnes déplacées et à des mesures tendant à assurer un équilibre entre les efforts consentis par les États membres pour accueillir ces personnes et supporter les conséquences de cet accueil.108 La directive sur la protection temporaire étant la seule mesure récemment adoptée (en juillet 2001), il paraît logique de s’attarder sur la définition qui y est donnée de la famille. Cet acte concerne la protection des personnes en cas d’afflux massif, circonstance où il est difficile d’appliquer les procédures d’asile normales, à tout le moins à court terme (on songe ici aux guerres de Bosnie et du Kosovo). L’article 15 traite des cas où une famille se trouve dispersée 101 Amnesty International, « Torture – Identité sexuelle et persécutions » (ÉFAI, 2001) 46. COM (2001) 181. 103 Ibid., 22. 104 Article 4, [1997] JO C254/1. 105 Article 5, COM (1999) 638. 106 Article 2, COM (2001) 181. 107 Article 2, COM (2001) 510. 108 Article 15, [2001] JO L212/12. Ceci ne s’applique pas au Danemark et à l’Irlande. 102 23 à la suite d’une évacuation et autorise le regroupement des membres de la famille dans un seul pays. Au paragraphe 1.a, la famille se trouve définie comme suit : « le conjoint du regroupant ou son partenaire non marié engagé dans une relation stable, lorsque la législation ou la pratique en vigueur dans l’État membre concerné traite les couples non mariés de manière comparable aux couples mariés dans le cadre de sa législation sur les étrangers ; les enfants mineurs célibataires du regroupant ou de son conjoint, qu’ils soient légitimes, nés hors mariage ou adoptés ». Cette définition est inacceptable pour plusieurs raisons. Premièrement, la règle proposée ici est différente de celle appliquée dans d’autres textes. Plutôt que de comparer le traitement réservé aux couples mariés et non mariés en droit interne de façon générale, on limite le champ de cette comparaison à la « législation sur les étrangers ». Deuxièmement, le droit fondamental au respect de la vie familiale sera réalisé de manière différente selon le pays où arriveront les intéressés. Si ce texte avait été d’application pendant la crise du Kosovo, un couple de lesbiennes séparé par l’évacuation aurait sans doute pu invoquer le droit au regroupement si l’une des deux était arrivée dans un pays comme la Belgique, où les droits en matière d’immigration s’étendent aux couples homosexuels.109 Mais en Grèce ou en Italie, cela leur aurait été impossible.110 Enfin, la directive établit une distinction discriminatoire entre les enfants de couples mariés et ceux des couples non mariés. Les premiers sont protégés, qu’ils soient nés avant ou après le mariage, tandis que rien n’est prévu pour les enfants dont les parents ne sont pas encore mariés. Même si l’article 15.4 exige des États membres qu’ils prennent en compte l’intérêt de l’enfant dans l’application de ces dispositions, on peut penser que cette discrimination viole les articles 8 et 14 de la Convention européenne des droits de l’homme. Dans l’affaire Marckx c. Belgique, la Cour des droits de l’homme a souligné l’obligation qui incombe à tous les États de se garder de toute discrimination envers les enfants naturels.111 109 Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, « Rapport de la Commission des migrations, des réfugiés et de la démographie sur la situation des gays et des lesbiennes et de leurs partenaires en matière d’asile et d’immigration dans les États membres du Conseil de l’Europe » [Vermot-Mangold], doc. 8654, 25 février 2000, par. 45. 110 L’État membre a cependant ici la faculté de permettre le regroupement en vertu de l’article 15.1.b). 111 Arrêt du 13 juin 1979, série A n°31, par. 34. 24 5. Conclusions et recommandations Considérations générales De l’analyse qui précède, il ressort que les initiatives de l’Union européenne en matière de justice et d’affaires intérieures ont une grande pertinence pour les homosexuels, les bisexuels, les transsexuels et leurs familles. La question de l’égalité de traitement se pose dans différents domaines et de bien des manières mais, manifestement, il est un point crucial qui est la définition de la famille dans le droit communautaire. Pour l’heure, les textes sont ambigus et incohérents. Les propositions faites jusqu’ici ne changeront pas grand-chose à la situation et n’aideront pas la Cour de justice à modifier sa position. Les familles non fondées sur le mariage continuent d’être désavantagées. À moyen et à long terme, on ne résoudra ces contradictions qu’en réformant les lois nationales pour éliminer la discrimination dans l’accès au mariage et reconnaître juridiquement des formes alternatives de vie commune. De fait, dès 1994, le Parlement européen a recommandé que les États membres mettent un terme à l’interdiction faite aux couples homosexuels de se marier ou d’obtenir une reconnaissance juridique équivalente et leur garantissent les mêmes droits et avantages qu’aux couples mariés en les autorisant à enregistrer leur union.112 Il faut de plus que l’égalité de traitement soit garantie dans le droit communautaire, que la famille soit ou non fondée sur le mariage ou une autre forme d’union, et pour cela, adopter sans attendre une définition souple et exhaustive au niveau de l’Union pour éliminer la discrimination dans ce domaine. Pour pleinement fonctionner, l’intégration du principe d’égalité dans tous les aspects de l’élaboration des politiques doit devenir un élément institutionnel au niveau de l’Union européenne. Actuellement, on semble procéder au coup par coup, ce qui donne lieu à des oublis et des incohérences. De plus, dans cette même idée intégratrice (« mainstreaming »), il faut que soit mise en place une consultation plus efficace et plus systématique des organisations représentant ceux qui sont en butte à la discrimination. En 2001, l’ILGA-Europe a contribué activement à la discussion sur les textes de propositions relatives à l’immigration et au droit d’asile en produisant une série de notes de position.113 Cependant, il devient difficile de participer de la même manière une fois que ces propositions sont transmises au Conseil pour les dernières négociations. Souvent, le Conseil modifie substantiellement le texte, alors que de nombreux obstacles empêchent de participer, à ce stade, au débat de fond. Les négociations se déroulent dans le secret, la position des différents États membres manque de transparence et l’accès aux documents est inutilement restreint. Pour qu’un vrai dialogue démocratique se noue avec la société civile, il est essentiel que le Conseil fonctionne de façon plus ouverte et plus transparente. 112 Résolution sur l’égalité des droits des homosexuels et des lesbiennes dans la Communauté européenne, [1994] OJ C61/40, par. 14. 113 Voir http://www.ilga-europe.org. 25 Recommandations 1. Il faut établir une procédure systématique visant à intégrer le principe d’égalité dans tous les aspects de l’élaboration, de l’application et de l’évaluation des politiques de l’Union européenne. 2. Il faut consulter les organisations compétentes à tous les stades de l’élaboration des politiques et des actes législatifs. Il faut notamment que soit organisée une meilleure consultation avant la publication des propositions et durant les négociations du Conseil relatives aux actes législatifs. 3. Il faut que soit adoptée une directive interdisant toute forme de discrimination fondée sur l’orientation ou l’identité sexuelle en dehors du domaine de l’emploi. Cette directive devrait couvrir tout le champ d’application du droit communautaire, y compris notamment l’immigration et le droit d’asile. 4. Des clauses de non-discrimination, incluant explicitement l’orientation et l’identité sexuelles devraient figurer dans tous les instruments juridiques de l’Union européenne. 5. Tous les instruments juridiques de l’Union européenne devraient contenir une définition exhaustive de la famille, qui reflète la diversité des familles dans la société moderne. Le droit communautaire doit pleinement reconnaître et respecter les formes d’union juridiquement reconnues en droit interne, dans toute leur diversité, ainsi que les formes d’union non reconnues juridiquement mais fondée sur une relation affective durable, indépendamment de la nationalité des membres de la famille. 6. Les États membres devraient éliminer toute discrimination fondée sur l’orientation ou l’identité sexuelle dans leurs lois nationales régissant le mariage et toute autre forme d’union juridiquement reconnue. 7. Indépendamment de leur situation au plan du droit interne, les États membres devraient reconnaître réciproquement la validité et les effets juridiques des unions contractées conformément au droit interne d’un quelconque autre État membre. 8. Les dispositions du Traité sur l’Union européenne relatives à la coopération judiciaire et policière devraient être revues pour que soient expressément autorisées des mesures visant à combattre les actes de violence motivés par l’orientation ou l’identité sexuelle de la victime. 9. L’Union européenne devrait se doter d’une politique intégrée visant à combattre toutes les formes d’agression motivée par l’intolérance. 10. La politique de l’Union européenne en matière de visas devrait prendre pleinement en compte la nécessité pour les personnes persécutées ou torturées à cause de leur orientation ou de leur identité sexuelle de pouvoir quitter leur pays sans problème. 11. Il faut qu’une crainte fondée d’être persécuté ou torturé du fait de son orientation ou de son identité sexuelle soit reconnue comme motif d’octroi du statut de réfugié partout dans l’Union européenne. Cela doit comprendre la persécution et la torture commises tant par l’État que par d’autres protagonistes. 12. Nul ne doit être transféré vers un État où il risquerait d’être persécuté ou torturé au motif de son orientation ou de son identité sexuelle. 26 Annex 1: EU Justice and Home Affairs policy: an overview It is impossible to provide a complete review of the complex history of the emerging European Justice and Home affairs policies in this paper, so this is merely a general outline. Essentially, it has been a twin-track process of ever-closer cooperation. On the inside track, a core group of five Member States (Germany, France, Belgium, Luxembourg and the Netherlands) established the Schengen Agreement in 1985 to develop cooperation leading to the abolition of border controls. One decade later, seven Member States (Spain and Portugal being the additions) finally took the step of removing internal border checks – the most obvious symbol of which is the absence of passport controls. In 1998, Italy and Austria also became part of the Schengen area, however, the most significant expansion of this space took place on 25 March 2001 when Sweden, Denmark, Finland, Norway and Iceland entered the Schengen area and abolished border controls. It should be noted that all EU applicant states are expected to participate fully in the Schengen Agreements from the time they accede to the European Union, although the removal of all border controls may occur over a transitional period. On the outside track, there has been much looser cooperation amongst all Member States. Cooperation against terrorism can be traced back to the mid-1970s. Significantly, in 1986 the Ad Hoc Working Group on Immigration was established. This was primarily focused on asylum policy, but also led to a broader coordination of immigration policy. The group was though, by definition, ad hoc, and hence outside the normal legal framework of the EC Treaties. Thus, the measures adopted generally took the form of non-binding resolutions or recommendations, and it was difficult to monitor their implementation. In 1990, the Member States did agree the Dublin Convention, which aimed at abolishing the right of an asylumseeker to make an application for asylum in more than one Member State. However, it took seven years for all the Member States simply to complete ratification of the Convention ([1997] OJ C254/1), demonstrating the inherent weaknesses in purely intergovernmental mechanisms. The 1993 Treaty on European Union (or ‘Maastricht Treaty’) transformed the existing policy cooperation by placing it within an explicit legal framework. The EU Treaty included Title VI on ‘cooperation in the fields of justice and home affairs’. Article K.1 specified as areas of ‘common interest’ policies on asylum, immigration, drug addiction, fraud, and judicial, police and customs cooperation. Nonetheless, these provisions remained outside the EC Treaty, and crucially did not provide jurisdiction for the European Court of Justice (ECJ), or a consultative role in legislation for the European Parliament. Therefore, whilst measures adopted under the provisions were in theory legally binding, there were only political sanctions for non-implementation. The 1999 Treaty of Amsterdam provided for a complete overhaul of the provisions on immigration and asylum. It inserted a new chapter in the EC Treaty on ‘visas, asylum, immigration and other policies related to free movement’. The main goal of this title is the realisation of ‘an area of freedom, security and justice’ within five years of the entry into force of the Treaty (Article 61). This is to be marked by the abolition of internal border controls (Article 62), and the adoption of common rules principally in the field of asylum, but also on immigration and third country nationals (Article 63). Crucially, these measures are now in the form of binding Community legislation, under the jurisdiction of the ECJ (Article 68). 27 Despite this progress, the new provisions remain quite different from the rest of the EC Treaty. For example, the Commission will not enjoy an exclusive right of legislative initiative for a further five years (Article 67). In the intervening period, both Member States and the Commission can propose legislation. The role of the Parliament is purely consultative and decision-making is mostly by unanimous agreement in the Council. Furthermore, the jurisdiction accorded to the ECJ is more limited than that pertaining to the rest of the EC Treaty. Therefore, this is a policy area still heavily dominated by the Member States. Most significantly, three Member States (Ireland, the UK and Denmark) secured opt-outs from the new Treaty provisions on immigration and asylum (Protocols 4 and 5). Ireland and the UK are not obliged to participate in legislation in this area, but can choose to ‘opt-in’ for specific initiatives. Ireland has expressed its desire to do so as much as possible, and the initial experience since 1999 has confirmed that the UK and Ireland do often participate, despite the option of remaining outside the legislation. Denmark’s Protocol does not provide any possibility for participation in the laws adopted under this part of the EC Treaty. The Treaty of Amsterdam also altered the Schengen Agreements, which previously operated through its own decision-making bodies. Protocol 2 authorises the thirteen Member States who are signatories of the Schengen Agreements (UK and Ireland do not participate) to establish ‘closer cooperation’ amongst them based on the EU institutional and legal framework. For these thirteen states, the rules of the Schengen Agreements have now become binding EU law and new measures in the ambit of Schengen are adopted through the normal EU legislative process, albeit without the participation of the UK and Ireland. In addition, Denmark also enjoys certain exceptions in this area. Finally, adding to the complexity is the continuing existence of Title VI of the EU Treaty. Following the removal of immigration and asylum policies from this framework, it has been renamed ‘provisions on police and judicial cooperation in criminal matters’. A new range of legal instruments is available – perhaps the most significant being the possibility to adopt ‘Framework Decisions’, which can be likened to Directives under the EC Treaty. This part of the EU Treaty is now focused on preventing and combating crime, in particular, racism, terrorism, corruption, fraud, offences against children and trafficking in persons, drugs, and illegal arms. As can be seen, this is an area characterised by extreme complexity and it remains quite distinct from other EU policies. The sensitivity of border controls, criminal laws, immigration and asylum policies, make the Member States reluctant to pool their sovereignty in these fields, whilst at the same time being compelled to do so because of the international nature of the issues. The Treaty of Nice, when and if ratified, does not make fundamental changes to the legal framework established by the Treaty of Amsterdam. However, it will permit the extension of qualified-majority voting by the Council of Ministers in immigration and asylum policies, alongside a greater role for the European Parliament in decision-making. Nonetheless, this is not applicable to all aspects of immigration and asylum policies and it is subject to certain preconditions, so the picture remains confusing. 28 The Area of Freedom, Security and Justice The main project since Amsterdam has been the establishment of the ‘Area of Freedom, Security and Justice’. This idea goes beyond the removal of border controls, extending into areas such as criminal law cooperation / harmonisation, as well as better institutional relations between police and judicial authorities in the different Member States. In a meeting at Tampere in October 1999, Member States determined the substance of this ‘Area’. The Tampere conclusions established a set of milestones for the implementation of common policies in the areas of immigration, asylum and justice. Importantly, the ‘freedom’ dimension to the Area includes ‘freedom from discrimination’;114 indeed, the Article 13 directives adopted in 2000 were identified as elements of the implementation of the Tampere programme. Subsequent to Tampere, the Commission established a ‘Scoreboard’ designed to set out the policy agenda for the five-year programme to construct the Area. The Scoreboard details all the proposals the Commission intends to submit, when they will be submitted, and when they should be completed. The scoreboard is updated every six months to reflect the actual state of progress, and it is available at: http://europa.eu.int/comm/dgs/justice_home/index_en.htm 114 COM (1998) 459.