Analyse du film
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Analyse du film
Le Silence (Tystnaden) Ingmar Bergman Sven Nykvist Scénario & réalisation : Photographie : Musique : Ivan Renliden 1h 35 — 1962 Ingrid Thulin Gunnel Lindblom Jörgen Lindström Håkan Jahnberg Eduardo Guttierez Lissi Alandh Leif Fostenberg Nils Waldt Johan le serveur l’imprésario la femme dans le cabaret l’homme dans le cabaret le caissier Ester Anna Birger Malmsten “Les Eduardini” Birger Lesander Eskil Kalling K. A. Bergman Olof Widgren le barman les nains le portier le propriétaire du bar le vendeur de journaux le vieil homme “A l’origine, Le Silence s’appelait « Timoka ». Ça s’était fait comme ça, par un pur hasard. J’avais vu ce mot sur un livre estonien sans savoir ce qu’il signifiait. Et je trouvais que c’était un nom qui convenait bien pour une ville étrangère. Le mot, en fait, signifie : « voué au bourreau ».” “Dans Le Silence, Sven [Nykvist] et moi avions décidé d’être parfaitement impudiques et de ne rien refouler. Et il y a dans ce film un volupté cinématographique que je revis encore avec joie. Ce fut tout simplement follement amusant de tourner Le Silence. Les comédiennes étaient d’ailleurs talentueuses, disciplinées et presque toujours de bonne humeur.” Ingmar Bergman Quelques clefs… Le scénario du Silence a été tissé à partir de plusieurs rêves de Bergman. Il ne faudrait donc pas croire que l’histoire soit réelle, ou même qu'elle aurait pu l'être, mais s'y plonger pour ce qu'elle est : un flot de symboles hors de l'espace et du temps. Qu'elle se déroule dans un non-lieu est assez facilement accepté, mais beaucoup considèrent comme une évidence que l'histoire a lieu pendant la Seconde Guerre Mondiale. Pourquoi pas la Troisième ? Je n’ai jamais rien vu dans ce film qui permette de le dater dans le passé plutôt que dans le futur immédiat de La Honte… Scénario de collage réalisé pendant une période de transition dans l’œuvre de Bergman, Le Silence brasse un grand nombre de thèmes : la guerre (dont c'est la première apparition), l'enfance, le cirque/théâtre, le rôle de l'artiste et… le silence. La guerre, question non résolue; mauvaise conscience collective d’une neutralité par trop bienveillante; souvenirs du père en militant national-socialiste, membre fondateur du parti, de l’Austauschkind qui en Thuringe saluait poliment “Heil Hitler !”. Problème insoluble du mouvement collectif pour un maître de l’introspection — La Honte et L’Œuf du Serpent devront se contenter de deux, trois individus face à la guerre. L'enfance (Jeux d'été, 1950; Fanny & Alexandre, 1981-82), le cirque (La nuit des forains, 1953) ou le théâtre (Le visage, 1958; Après la répétition, 1983) traversent toute l'œuvre de Bergman. Ne sont-il pas l’un et l’autre — et l’un est l’autre, pour un metteur en scène de douze ans nourrissant ses marionnettes à l'auberge de Strindberg — l’expression même de la vie ? L’artiste est le lien entre le visible et l’invisible, un interprète. Un traducteur. Il nourrit la vie — Johan lit Lermontov, est-ce sa tante qui l’a traduit ? S’il ne peut plus traduire, il meurt; tant qu’il opère un lien, il vit — tant qu’il découvre le sens de quelques mots, de quelques signes. Je crois que Le Silence est un drame optimiste, comme l’hilarant Toutes ses femmes (1963) qui l’a suivi est une franche comédie qui frôle le sang. Le silence n’est pas le trop célèbre “silence de Dieu”. Cette étape de l’œuvre de Bergman a trouvé avec A travers le miroir (1961) son point d’orgue et son point final. Les Communiants (1961-2), sans le savoir — sans que Bergman le réalise à l’époque —, portent le deuil de Dieu : IL est absent, ne reste que le silence des hommes. Le silence où Elisabeth Vogel (chez Bergman, Vogel est le nom du Bien et Vergerus le nom du Mal) se réfugiera pour fuir le bruit du monde (Persona, 1965 — le meilleur film jamais tourné si vous m’en croyez). Le rêve n’a qu’une personne, le moi. Je est partout. Ingmar Bergman est Ester, artiste, angoisse, agonie. Ingmar Bergman est Johan, enfant émerveillé. Ingmar Bergman est Anna, voracité de l’instant. Ingmar Bergman est un silence hurlant. L’Auteur Ingmar Bergman est né à Uppsal le 14 juillet 1918. Son père est pasteur; aussi autoritaire avec sa famille qu’il pouvait être affable avec ses paroissiens, il aura, en négatif, une très forte influence sur son fils qui mettra environ 60 ans à digérer cette figure paternelle — lisez Les Meilleures Intentions ou voyez l’évêque Vergerus de Fanny & Alexandre, dernier “meurtre du père”, commis à l’époque où la réconciliation commençait. Armé d’un théâtre de marionnettes et d’une lanterne magique, le jeune Ingmar découvre très jeune dans la mise en scène. Il quittera l’Université sitôt après y être rentré pour devenir le plus jeune directeur de troupe de Suède — à l’époque, on aurait peut-être plutôt dit : pour devenir quasi-clochard… S’il émerge petit à petit de la bohème, ses aventures féminines (je n’ai encore pas réussi à reconstituer le fil de ses mariages et autres concubinages d’après Laterna Magica, ni même à compter combien de pensions alimentaires il eût à charge dans ses heures les plus “glorieuses”) l’y ramènent. Sa planche de salut sera la Svensk Filmindustri où il trouve un second salaire comme scénariste, puis comme réalisateur (Crise, 1945). Au rythme d’un film par an, il se forme sur le tas à force d’erreurs — avant La Prison (1948), ce n’est pas toujours joli à voir… Et puis un cinéaste naît. Coup sur coup, Sourires d’une nuit d’été (1955, Prix de la mise en scène — Cannes 1956), Le septième sceau (1956) et Les fraises sauvages (1957) imposent au monde l’image d’un maître — enfin, au monde qui va voir des films suédois quelques années avant la vague de l’érotisme venu du Nord. Menant toujours en parallèle carrières cinématographique et théâtrale — celle pour laquelle il est le plus apprécié en Suède, et sans doute la seule à laquelle il tienne — il devient à Noël 1962 directeur du Théâtre Royal de Stockholm (le “Dramaten”). En janvier 1976 le fisc suédois se penche sur sa société de production (dont il n’assume pas la gestion) : scandale ! Bergman, ulcéré — il est quand même le plus grand metteur en scène du pays et il le sait…—, quitte la Suède pour Los Angeles, dont il ne peut supporter le climat. Il tourne en Allemagne L’Œuf du Serpent pour l’américain Dino de Laurentiis. Puis s’installe au Théâtre de Munich et se recréé une troupe d’acteurs attitrés ainsi qu’une société de production, Personafilm. Il tournera en allemand De la vie des marionnettes (1979). Ayant obtenu des excuses officielles pour la cabale fiscale, Bergman rentre en Suède et y tourne son dernier film — en fait un feuilleton en 35mm pour TV1 : Fanny & Alexandre. Il ne quitte néanmoins pas tout à fait les écran car Après la répétition (1983), tourné en 16mm pour la télévision bavaroise trouvera — contre son gré — le chemin des salles obscures après gonflage. Sans compter à Paris une rétrospective quasi-permanente au St-André-des-Arts… Depuis quelques années il poursuit son autobiofilmographie par procuration, fournissant des scripts à son fils Daniel (Söndagsbarn, inédit en France) et au Danois Bille August (Les Meilleures Intentions). Tentations bergmanophiles… Les éditions Gallimard ont publié en français Laterna Magica (autobiographie), Images (réflexions sur quelques films, incluant une filmographie complète) et des scénarii d’Ingmar Bergman, dont Cris et Chuchotements, Persona, Scènes de la vie conjugale, Fanny & Alexandre, Les Meilleures Intentions. L’Institut Suédois propose des cours de suédois de tous niveaux au Centre Culturel Suédois, 11 rue Payenne, Paris III. Ingmar Bergman met en scène une à deux pièces par an au Dramaten (à 4 h de Paris…).