Le droit de la concurrence intègre les spécificités de
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Le droit de la concurrence intègre les spécificités de
76 I Concurrence : analyse sectorielle Concurrence : analyse sectorielle I 77 Le droit de la concurrence intègre les spécificités de l'industrie pharmaceutique La protection des réseaux de distribution sélective face à Internet Par Ombline Ancelin, Avocat, Counsel, et Iphigénie Fossati-Kotz, Avocat, Hogan Lovells Paris LLP Par Emmanuel Tricot, Avocat Associé, et Virginie Carvalho, Avocat, Winston Strawn Les grandes entreprises pharmaceutiques évoluent dans un secteur qui déroge pour partie aux fondamentaux économiques traditionnels. En raison notamment de contraintes réglementaires, le médicament fait l'objet d'une concurrence moins sur les prix, en partie réglementés, que sur d'autres paramètres, en particulier l'innovation. La protection des réseaux de distribution sélective est un enjeu majeur de l’industrie du luxe. Confrontés à des atteintes protéiformes, qui suivent notamment les contours en mouvement de la sphère Internet, les industriels du luxe doivent prendre en compte, dans leur diversité, les acteurs concernés par les activités de revente de biens en ligne L P e maintien d'une concurrence saine doit également tenir compte d'autres spécificités, telles que la relation multipartite qui se noue nécessairement entre l'acheteur d'un médicament, le laboratoire pharmaceutique qui le produit, le médecin ou le pharmacien qui oriente le choix du patient et l'assurance maladie qui prend en charge, même partiellement, la dépense de santé. La multiplicité des intervenants caractérise l'asymétrie d'information qui existe entre eux. Ces particularités ne sont cependant pas de nature à exclure l'application des règles de concurrence et invitent au contraire à un élargissement des critères pour l'appréciation de leur respect. Il suffit d'ailleurs de mentionner certains des grands défis auxquels ont été confrontées les entreprises pharmaceutiques ces dernières années pour constater que le droit de la concurrence y trouve souvent matière à intervenir. C'est le constat auquel se livre le Conseil de la concurrence dans son étude thématique de 2008, intitulée "Droit de la concurrence et santé". Le rapport final publié en juillet 2009 par la Commission européenne sur l’enquête sectorielle menée auprès de 70 entreprises pharmaceutiques en est une autre illustration. MdA n°54 Septembre 2010 Les entreprises pharmaceutiques, confrontées à la tentation qu'ont leurs clients de profiter des fortes disparités nationales sur les prix, ont tout d'abord voulu lutter contre les importations parallèles de médicaments. La Cour de justice a reconnu que la limitation contractuelle du commerce parallèle pouvait être qualifiée d’entente illicite (aff. C-501/06) même si certaines mesures de contingentement sont autorisées (aff. C-468/06). Le secteur de la santé est ensuite le terrain privilégié d'affrontements entre le droit de la propriété intellectuelle et le droit de la concurrence. Les entreprises pharmaceutiques consacrent une part importante de leurs investissements au développement de médicaments princeps innovants. Les brevets qui protègent ces médicaments leur confèrent un monopole qui restreint la concurrence des autres entreprises et leur permet sur le long terme de récupérer leurs investissements. Les entreprises pharmaceutiques cherchent donc à prolonger leurs effets. Le droit de la concurrence respecte le droit de propriété intellectuelle chèrement acquis mais n'autorise pas son abus, surtout s'il vise à freiner le développement de médicaments génériques moins chers en prolongeant artificiellement la vie du brevet ou en pratiquant des actes de dénigrement des génériques concurrents. La Commission européenne s'est également penchée sur la validité des accords conclus entre laboratoires de princeps et génériqueurs pour régler à l'amiable des contentieux de brevets visant à retarder la commercialisation de génériques ("pay for delay"). Ces comportements (contentieux sur les brevets, accords transactionnels) ont amené les autorités européennes de concurrence à s'inspirer de la pratique plus ancienne des autorités américaines. Enfin, autre constat intéressant, le secteur pharmaceutique, qui est un secteur peu concentré puisque le premier groupe mondial, Pfizer, détient moins de 10% de part de marché, connaît de plus en plus de rapprochements. La gestion des opérations de concentration, rendues indispensables pour atteindre la taille critique et s’adapter aux coûts croissants de la recherche (certains laboratoires de biotechnologies sont rachetés avant même que les tests-clinique ne soient effectués), est devenue un enjeu clé pour éviter que les entreprises ne soient contraintes par les autorités de concurrence de procéder à des désinvestissements majeurs afin de voir leur projet autorisé. ■ our garantir dans des limites acceptables l’étanchéité menacée des réseaux, la réglementation, comme les juges qui l’appliquent, ont su adapter leurs réponses. A cet égard, les derniers développements jurisprudentiels en matière de protection contre la concurrence déloyale et la contrefaçon traduisent une analyse affinée. Et le règlement communautaire du 20 avril 2010 est venu clarifier certaines des conditions dans lesquelles le fournisseur peut envisager de limiter les ventes Internet de ses distributeurs. Pour autant, cette position de principe de la Commission européenne doit encore être confirmée par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), laquelle se prononcera prochainement sur la vente par Internet dans le contexte de la distribution de produits cosmétiques et d’hygiène corporelle vendus sur conseils pharmaceutiques . Le règlement communautaire confirme ainsi que la distribution par Internet ne peut être interdite directement ou indirectement, mais admet pour autant certains aménagements qui traduisent une forme de contrôle des industriels sur leur réseau de distribution sélective. Le fournisseur peut en particulier exiger de ses distributeurs qu’ils disposent de points de vente physiques pour vendre leurs produits sur Internet, leur imposer certaines conditions de présentation des produits, et certains quotas de répartition entre vente physique et vente dématérialisée. La jurisprudence française contribue également à la protection des réseaux, avec certaines limites. Par un arrêt du 23 mars 2010 , la Cour de cassation a constaté que la commercialisation par un distributeur non agréé de produits de luxe est caractéristique d’un acte de concurrence déloyale et d’un usage illicite de marque, en particulier si le distributeur met en vente les produits dans des conditions formelles de nature à ternir l’image de leur marque. Pour autant, le juge pose une limite à l’indemnisation éventuelle du fournisseur, en considérant que faute d’établir un préjudice distinct lié à une éventuelle concurrence déloyale, les agissements fautifs ne peuvent être sanctionnés que sous l’angle de la contrefaçon. Le fournisseur peut de ce fait limiter indirectement le volume de ventes Internet de ses distributeurs sélectionnés. La protection des réseaux passe enfin par la surveillance de la publicité en ligne, comme en témoigne le contentieux opposant Google à LVMH. Sur question préjudicielle, la CJUE a en particulier posé comme principe que « le titulaire d'une marque est habilité à interdire à un annonceur » de l'utiliser comme mot clef sans son consentement, si cela peut prêter à confusion dans l'esprit des consommateurs . Dans cette affaire, il appartiendra aux juridictions nationales, et en premier lieu à la Cour d’appel de Paris, d’apprécier si Google, du fait de son service de publicité en ligne Google Adwords, doit répondre de l’utilisation illicite d’une marque en tant que mot clé. En l’absence d’une définition achevée du cadre de protection des réseaux en droit français, les industriels du luxe vigilants devront procéder à un audit de leurs accords de distribution existants et déterminer quelle stratégie de réseau ils entendent adopter à l’avenir dans un contexte en mutation. ■ MdA n°54 Septembre 2010