Courrier international, ITALIE • Cosa Nostra joue son
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Courrier international, ITALIE • Cosa Nostra joue son avenir 1 di 1 file:///C:/Documents%20and%20Settings/cecile/Desktop/imprim... Veuillez cliquer sur le bouton "imprimer" de votre navigateur. Courrier international - 5 déc. 2007 Article ITALIE - Cosa Nostra joue son avenir Encouragés par les récents coups portés à Cosa Nostra, avec notamment l'arrestation du parrain Salvatore Lo Piccolo, de plus en plus de patrons siciliens refusent de se soumettre au racket, privant la Mafia de sa principale source de revenus et de son emprise sur le territoire. Cosa Nostra est en train de perdre la face. La mafia sicilienne rackette toujours davantage mais, pour la première fois, ses victimes se révoltent publiquement, en refusant de payer (ou du moins en essayant) et en se soutenant mutuellement. Si Cosa Nostra perd cette bataille, elle perdra presque tout son pouvoir dans des régions qu'elle contrôle – et parfois dirige – depuis toujours militairement. Depuis quelques mois, la Sicile est le théâtre d'un bouleversement total : les chefs d'entreprise se rebellent et les commerçants s'organisent. Les jeunes de Addiopizzo [Adieu racket] ont monté, au fil des jours et des semaines, un réseau de solidarité et de "consommation critique" qui touche même les banlieues les plus imprenables de Palerme. Cette fois-ci, la révolte contre les boss est quotidienne, authentique, difficile, éprouvante parfois. Le mouvement des industriels de l'île est une lente marche pour la libération. Mais ce n'est que le début, la marche vient juste de commencer. Et pour l'heure, l'issue de cette grande bataille est encore incertaine. Elle dépend dans une large mesure des événements des prochains mois. Mais elle dépend surtout de la situation de ceux qui ne veulent plus subir de racket : seront-ils seuls ou aidés de la police ? Seront-ils seuls ou soutenus par toutes les institutions ? S'ils restent isolés, la Sicile connaîtra un retour en arrière de vingt ou trente ans. Les mafieux sauront que ces chefs d'entreprise peuvent facilement retomber entre leurs mains, et cette fois-ci pour toujours. Les patrons en révolte ne risquent pas seulement d'être isolés par rapport aux autres groupes de la société. L'enjeu est à présent de savoir si cette nouvelle génération de chefs d'entreprise fera tache d'huile, si, en d'autres termes, les industriels de Catane, de Caltanissetta et de Trapani sont prêts à suivre ceux qui se sont rebellés contre "Racket SA". "Si ce n'est pas le cas, cette révolte se transformera en un grand boomerang", prévient Tano Grasso, l'ancien marchand de chaussures de Capo d'Orlando, aujourd'hui président de la Fédération des associations antiracket. Si la Mafia risque de perdre la face, les industriels, eux, risquent de tout perdre. Tout va donc dépendre de la participation. Combien seront-ils encore, dans les semaines à venir, ceux qui voudront bien dénoncer les pressions de Cosa Nostra ? Tano Grasso reprend : "Il faut aller au-delà des accusations lancées pendant les réunions entre patrons. Seules les plaintes permettront de mesurer réellement le changement. Combien seront-ils à collaborer concrètement avec les enquêteurs ? Combien d'entre eux se porteront-ils témoins au tribunal ?" Palerme, Trapani et Agrigente sont déjà mises à l'épreuve. Les chiffres parlent souvent mieux que les mots. Prenons la ville de Gela : zéro dénonciation il y a six ans, 90 aujourd'hui. A Naples, les commerçants et les chefs d'entreprise qui avouaient être rackettés étaient moins de 100 en 2001 ; en 2006, ils étaient 730. "A Palerme, les chiffres apporteront aussi une preuve irréfutable ", insiste Tano Grasso. La Sicile de la Mafia et de l'anti-Mafia se situe aujourd'hui à un tournant. Ivan Lo Bello, le président des entrepreneurs rebelles, est pourtant optimiste : "Je suis sûr que nous allons nous en sortir. Les mœurs ont changé. Le fait de payer le racket est aujourd'hui considéré comme une faute par un très grand nombre de chefs d'entreprise. Et l'Etat est présent de façon plus régulière." La Sicile connaîtra-t-elle un jour le marché libre ? Ou les chefs d'entreprise et les commerçants de l'île devront-ils suivre l'exemple de ce marchand de chaussures du quartier populaire de la Noce, à Palerme, qui, il y a à peine un an, avait reçu l'ordre des mafieux de ne pas agrandir sa boutique. Car, sur la même place, se trouvait un autre magasin de chaussures. Le boss – placé sur écoutes – expliquait calmement à son compère : "Si on accepte qu'il agrandisse sa boutique, l'autre commerçant va faire faillite, et nous, nous allons perdre notre argent. Et ça, tu comprends, ce n'est pas possible à la Noce." Attilio Bolzoni La Repubblica © Courrier international 2008 | ISSN de la publication électronique : 1768-3076 06/03/2008 18.45