Men • nnurquoi le parrain est tombé - Nouvelobs

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NOTRE ÉPOQUE
De notre envoyée spéciale permanente en kali
Men • •nnurquoi
le parrain
T
est tombé
.,
L'arrestation du caïd Toto Riina, dont tout donne à penser qu'il a négocié
sa reddition, marque la faillite d'une stratégie
et la fin d'une époque. Voici ce que pourrait être la nouvelle Mafia
etour surréaliste, samedi, à Corleone,
de la first lady de Cosa Nostra, Arnonietta Bagarella, épouse RiMa, 50 ans,
après trente ans d'absence, pas moins.
Pas de papiers d'identité, seulement
cinq valises et quatre enfants (de 12 à 19 ans) à ses
flancs, Antonietta est descendue d'un taxi blanc
loué à Palerme, juste devant la porte d'entrée de
sa maison natale, une méchante et étroite bâtisse
de trois étages, 24, via di Scorsone. « Les petits
doivent faire leurs études. Leur avenir est ici »,
a-t-elle déclaré posément.
Puis, vêtue d'un poil de chameau beige, le
visage caché par un châle rose et lilas, elle s'est
rendue chez les carabinieri : « Mon mari est un
bon père et un saint homme L'Etat se laisse
manipuler par les repentis. » Elle a grossi et vieilli,
mais elle a gardé intactes son énergie et sa force
d'âme, la femme du boss, la zia (tante) Antonietta,
comme on dit dans l'Organisation en signe de
respect.
Tellement d'énergie et de force d'âme que les
carabinieri et la police gardent sur elle un oeil
vigilant. Ex-maîtresse d'école, elle est aussi la
soeur d'un boss latitante (en fuite), le célèbre
Leoluca Bagarella, condamné à la perpétuité. Et
elle pourrait continuer à jouer un rôle de liaison
entre les « Corléonais », maintenant que Toto le
Fauve, son mari, est aux mains de la justice. Qui
sait si elle n'a pas son mot à dire dans le choix du
successeur ? Les femmes de mafieux, suivant
l'évolution générale des moeurs, sont progressivement devenues des managers, des killers, des
chefs d'entreprise, et non plus seulement des
mammas complices et passives qui se contentaient de gérer le bien-être découlant des activités
illicites de leur époux.
Elle sait, Antonietta, qui a « donné » son mari.
Elle sait aussi que les « Corléonais » sont en
difficulté, décimés par les confessions des repentis : même le chauffeur de Toto (en poste jusqu'en
avril 1992) est passé avec armes et bagages du côté
de l'Etat ! Elle sait enfin que la dictature de son
homme a fait son temps. Sera-t-elle l'ambassadrice chargée de défendre la candidature de son
frère en fuite, Leoluca Bagarella, « Corléonais » lui
R
74 /LE NOUVEL OBSERVATEUR
Salvatore Riina, 62 ans, numéro un
de la Mafia, a été arrêté à Palerme
le 15 Janvier. Recherché depuis plus
de vingt ans, accusé de nombreux
assassinats, il était le parrain
du tout-puissant clan de Corleone.
keme,-
aussi, et dont on prédit volontiers qu'il sera le
futur parrain des parrains ?
Personne aujourd'hui ne peut dire avec certitude comment sera composée la nouvelle « Coupole » de Cosa Nostra. Si elle était en 1992 formée
de onze membres, comme le pensait Giovanni
Falcone, dont huit sont en prison et trois en fuite
(Bernard° Provenzano, Nitto Santapaola, Pietro
•Aglieri — c'est-à-dire un Corléonais, un Catanais
et un Palermitain) ; si, comme tout le laisse penser,
Toto Riina a négocié sa reddition (le fait que sa
femme ait trouvé en vingt-quatre heures une
retraite ; le fait que Riina ait désigné pour le
défendre deux avocats de Turin inconnus, dont il
avait le nom dans sa poche; le fait qu'il ait été pris
sans armes, sans escorte et sans voiture blindée,
tendent à l'accréditer) ; si tout cela est confirmé,
le Fauve a donc eu le temps de dire son mot sur sa
succession. Laquelle pourrait bien être constituée
d'un collectif interprovincial (un représentant de
Corleone, un de Catane, un de Palerme ; plus un
d'Agrigente et un de Trapani par exemple),
chargé de gérer la défaite.
Car défaite il y a. Pour Cosa Nostra en général.
Pour les « Corléonais » qui y avaient pris le pouvoir
en particulier. Tout indique en effet que la fin de
Toto u Curtu » (Toto le petit) marque aussi la fin
d'une période historique, avec ses mille morts, sa
stratégie sanglante et anti-institutionnelle qui n'a
pas de précédent dans l'Organisation. On peut
supposer que Cosa Nostra va chercher à respirer,
à prendre de la distance par rapport aux « crimes
exquis » qui ont bouleversé la conscience civile et
permis d'organiser la répression. Une Mafia plus
classique, plus traditionnelle, plus digeste, plus
encline à éviter le choc frontal avec PEtat pourrait
donc voir le jour. Une Mafia comparable à la Cosa
Nostra américaine. MARCELLE PADOVAN1

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