En 1817, François Ier et sa nouvelle femme

Transcription

En 1817, François Ier et sa nouvelle femme
discussions 5 (2010)
Marianna Gyapay
Le voyage comme représentation politique, les territoires comme cadres de l'acquisition de connaissances
Le tour et le récit de François Ier en 1817
Résumé:
En 1817, François Ier, Empereur d'Autriche, part pour un long voyage de cinq mois dans les contrées les plus reculées de l'Empire des Habsbourg. Le but de ce voyage est double. Il s'agit d'une part de prendre conscience des problèmes de ses pays et donc de mieux les connaître, et d'autre part de conquérir symboliquement ses territoires les plus reculés dans un soucis d'unification de son Empire. Cette double dimension est essentielle dans le récit de voyage de François Ier. Ainsi, il y a une logique implicite, inconsciente ou encore raisonnée à cette longue errance. L'Empereur se fait l'observateur méthodique du terrain qui n'est plus seulement un lieu de passage à décrire, mais un espace qui reste à transformer. Il s'agit ici de voir comment l'espace apparaît dans le récit du voyage, et paralèllement, comment la connaissance induite par ce voyage se constitue.
Zusammenfassung:
1817 unternahm Kaiser Franz I. von Österreich eine fünfmonatige Reise durch die Grenzgebiete des Habsburgerreichs. Mit dieser Reise verfolgte er das doppelte Ziel, diese Regionen und ihre Probleme besser kennenzulernen und sie symbolisch zu besetzen, um die Einheit seines Reiches sicherzustellen. Da diese beiden Dimensionen in dem Reisebericht von Franz I. vorrangig sind, steckt hinter dieser langen Irrfahrt eine implizite, bewusste oder unbewusste Logik. Der Kaiser macht sich zum methodischen Beobachter der Gebiete, welche nicht bloß als zu beschreibende Durchgangsorte, sondern auch als gestaltbare Räume begriffen werden. In diesem Beitrag wird untersucht, in welcher Weise Raum im Reisebericht thematisiert wird und wie sich Raumwissen im Kontext dieser Reise konstituiert.
<1>
En 1817, François Ier, l'empereur d'Autriche et sa nouvelle femme, Caroline Auguste, partent pour un long voyage de cinq mois à la périphérie de l'Empire des Habsbourg. Plus précisément, ils quittent Vienne pour parcourir la Galicie, la Bucovine, la Transylvanie, la Slavonie et la Croatie avant de rejoindre la capitale de l'Empire.
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Fig. 1: L'itinéraire du voyage de François Ier de l'année 1817.
<2>
Durant son règne, François Ier a fait plus de 70 voyages, parmi lesquels on trouve des parties de chasse, des visites dans ses propriétés autrichiennes ainsi que 22 voyages officiels. Il a également participé aux diètes de Hongrie (en 1792, 1808, 1825 et 1832) et aux congrès des Cinq Grands (en 1818 à Aix la Chapelle, en 1820 à Troppau, en 1821 à Laibach et en 1822 et 1823 à Vérone). Le tableau suivant1 a pour but de donner une vue d 'ensemble sur tous les voyages de François Ier, afin de pouvoir y bien situer celui de l 'année 1817. Car, il me semble que ce périple en question est exceptionnel dans sa pratique: ce fut l 'unique fois où l'Empereur se déplaça pendant cinq mois sans aucune »raison officielle«.
année
1786
1787
1788
1789
1791
date
21.06­24.08
1804
1805
1807
1807
23.08­14.10
1
Voyage
itinéraire
Hongrie
Boheme
Galicie
Transylvanie
Preßburg
Moravie, Boheme, Salzbourg et Haut­Autriche Fürnbergischen Güter
Salzbourg, Österreich ob der Enns
Hongrie
récit autographe
oui
oui
oui
oui
oui
Le récit
récit/mise au propre
oui
oui
oui
oui
oui
oui
oui
annexe
oui
oui
oui
Familienakten (ensuite FA) Hofreisen. Kt. 13­61, Haus­, Hof­ und Staatsarchiv (ensuite HHSTA), Vienne.
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1808
1809
1810
1811
1811
1812
1812
1813
1814
1815/1816
octobre
27.05.1815­
1815/1816 15.06.1816
1816
01.07­26.07
1816
19.08­24.08
1817
20.06­23­06
1817
23.06­19.11
1818
10.04­3.07
1818
3.07­10.07
1818
10.09­18.09
1818
18.09­03.12
1819
10.02.02.08
1819
14.02­15.02
1819
30.09­06.10
1820
01.07­24.06
1820
24.06­22.07
1820
03.09­11.10
1820
11.10­17.10
1820
17.10­28.12
1821
02.01­24.05
Moravie, Hongrie, Haut­Autriche
Basse­Autriche, Österreich ob der Enns, Styrie, Karinthie
Boheme, Moravie, Croatie, Basse­
Autriche
Österreich unter der Enns, Styrie
Hongrie, Preßburg
Basse­Autriche, Boheme
Schloßhof
Boheme
Autriche, Styrie
France, Italie
Tyrol, Salzbourg
Baden
Holitsch
Holitsch
Galicie, Transylvanie, Banat…
Dalmatie
Baden
Persenberg
Aachen
Italie
Mannersdorf
Schloßhof
Böhmen
propriétés privées
Pest
Holitsch
Troppau
Laibach
propriétés privées, Linz et 1821
30.07­10.09 Salzbourg
1821
24. Sep Baden
1821
01.10­08.10 Holitsch
1822
01.07­07.08 Baden
1822
09.08­06.09 propriétés privées
01.09.1822­
1822/1823 04.01.1823
Verona
1823
22.05­22.06 Laxenburg
1823
03.07­30.07 Baden
1823
01.08­05.09 propriétés privées
1823
18.09­23.10 Bukovine
1823
23.11­29.11 Holitsch
1824
05.05­28.06 Österreich ob der Enns, Boheme
1824
01.07­28.07 Baden
1824
30.07­22.08 propriétés privées
1825
07.04­22.08 Italie
1825
22.08­10.09 Laxenburg
1825
12.09­17.09 Schloßhof
1825
17.09­16.11 Preßburg
1826
13.06­21.06 Laxenburg
oui
oui
oui
oui
oui
oui
oui
oui
oui
oui
oui
oui
oui
oui
oui
oui
oui
oui
oui
oui
oui
oui
oui
oui
oui
oui
oui
oui
oui
oui
oui
oui
oui
oui
oui
oui
oui
oui
oui
oui
oui
oui
oui
oui
oui
oui
oui
oui
oui
oui
oui
oui
oui
oui
oui
oui
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1826
1826
1826
1827
1827
1827
1827
1828
1828
1828
1828
1829
1829
1829
1829
1830
1830
1830
1830
1831
21.06­01.07
01.07­26.07
27.07­20.09
17.05­30.06
30.06­18.08
18.08­19.08
20.08­27.09
22.05­28.06
28.06­04.08
05.08­04.09
04.09­24.09
27.05­11.06
15.06­08.08
11.08­15.09
15.09­30.09
27.05­03.07
07.07­14.08
07.09­13.09
13.09­19.11
05.07­07.09
1832
1832
1832
1832
1833
1833
07.05­23.07
23.07­27.07
29.07­12.09
19.12­22.12
23.05­20.06
20.06­20.07
1833
1834
1834
1834
25.07­29.10
07.06­14.07
16.07­13.08
29.08­10.10
Lambach
Laxenburg
propriétés privées
Laxenburg
Baden
Preßburg
propriétés privées
Laxenburg
Baden
propriétés privées
Baden
Laxenburg
Baden
propriétés privées
Linz
Carinthie, Illyrie, Styrie
Baden
Schloßhof
Preßburg
Baden
Styrie, Istrie, Tyrol, Salzbourg, Österreich ob der Enns, Biederreich
Persenberg
Baden
Preßburg
Laxenburg
Baden
Boheme, Moravie, Österreich ob der Enns
propriétés privées
Baden
Moravie, Österreich ob der Enns
oui
oui
oui
oui
oui
oui
oui
oui
oui
oui
oui
oui
oui
oui
oui
oui
oui
oui
Fig. 2: Tableau des voyages de François Ier.
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Fig. 3: Le graphique représente le nombre des lignes écrites par jour dans le récit de voyage de François Ier de l'année 1817.
<3>
En regardant le tableau, on peut constater que l 'écriture des récits faisait partie des habitudes de François I . Il voyage en tant qu 'archiduc, souvent à côté de son oncle, Joseph II. Par exemple, en er
1787 ils voyagent ensemble en Bohème où François Ier écrit un récit à la demande de son oncle. Il y apparaît donc que le voyage, pour la jeunesse, faisait intégralement partie de l 'éducation. Dans cet aspect là, on voit bien une des visions traditionnelles de la mobilité. En effet, le voyage est un espace autorisé et délimité parce qu'il répond à une finalité pédagogique précise: apprendre à vivre par la lecture du »grand livre du monde«.
<4>
Mais le voyage n 'est pas seulement le produit d 'un art de vivre aristocratique. Qu 'est­ce donc qui fait voyager? Répondre à cette question, c 'est tenter de rendre raison du voyage de François Ier comme d 'une pratique politique: l 'emprise sur un territoire conduit au gouvernement des hommes et il y a une logique à cette longue errance, logique implicite, inconsciente ou raisonnée.
<5>
Cet article reprend un aspect particulier d 'un travail de thèse en cours, consacré à l'analyse du récit de voyage de François Ier de l 'année 1817. Présentement, je souhaite analyser deux éléments du voyage plus particulièrement liés à l'espace. Premièrement, je voudrais montrer comment ce voyage Lizenzhinweis: Dieser Beitrag unterliegt der Creative­Commons­Lizenz Namensnennung­Keine kommerzielle Nutzung­Keine Bearbeitung (CC­BY­NC­ND), darf also unter diesen Bedingungen elektronisch benutzt, übermittelt, ausgedruckt und zum Download bereitgestellt werden. Den Text der Lizenz erreichen Sie hier: http://creativecommons.org/licenses/by­nc­nd/3.0/de
dans ses dimensions spatiales est d 'abord une représentation politique. Deuxièmement il nous faut mesurer le rôle joué par les territoires dans la construction du savoir de l 'Empereur. Pour bien situer le voyage et le récit dans son contexte historique, je souhaite tout d 'abord donner un aperçu des enjeux et de la situation politiques de l 'époque.
<6>
Par sa longueur, le voyage répond aux nécessités politiques particulières du moment. En effet, il semble être une réponse politique à un bouleversement politique. On sait bien que les guerres napoléoniennes se soldent pour l 'Autriche par une série de revers, défaites militaires et pertes de provinces: elle perd beaucoup de ses territoires de l 'Ouest.
<7>
En 1815, l 'Empire d 'Autriche compte parmi les grandes puissances européennes, comme le confirme la tenue à Vienne du congrès qui doit réorganiser l 'Europe. Avec 35 millions d 'habitants, il est, après la Russie, l 'État le plus peuplé du continent. Des guerres de la Révolution et de l 'Empire, l 'Empire d 'Autriche sort ainsi remodelé. S'il a récupéré les territoires cédés en 1805, puis en 1809, il n 'a pas cherché à recouvrer les Pays­Bas et ses anciennes enclaves d 'Allemagne du Sud. Délesté de ces appendices extérieurs, il forme, des Alpes aux Carpates, de la Galicie à l'Adriatique, un ensemble politique uni.
<8>
Bien que la capitale de l 'Empire Autriche ait été choisie comme lieu de consultation des grandes puissances, le Congrès de Vienne ne signifie pas pour autant la rentrée en puissance de l 'Autriche: l'année 1815 marque plutôt pour elle, la perte de son statut de grande puissance. En effet, au sortir des conquêtes napoléoniennes, les territoires anciennement peu convoités à la périphérie de l 'est de l'Empire, gagnent subitement de l 'importance.
<9>
Entre 1815 et 1817, Clément Metternich, chancelier d 'État autrichien, développe une vision de la réforme selon laquelle le soutien du patriotisme des »États« et du nationalisme culturel se transforme en un projet de recomposition intérieure de l 'Empire des Habsbourg. Celui­ci comporte une charte et une véritable redéfinition des relations entre la dynastie et ses Pays. À ses yeux, la survie de l 'Empire comme grande puissance, dépend de sa capacité à réunir ces différents Pays autour du souverain. Mais l'Empire doit composer également avec les particularités de chacun de ces royaumes. En effet, chacun d 'entre eux jouit d 'un degré d 'autonomie différent qui varie en fonction de sa constitution historique propre.
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<10>
En décembre 1817, en commun avec le chancelier Saurau, Metternich soumet au monarque un nouveau plan de reforme qui propose, à la place du système joséphiste trop rigide de centralisation, une réorganisation de l 'empire dans un sens fédératif, qui correspondait beaucoup mieux à sa structure intérieure. Aux ministères existants des Affaires étrangères et des Finances s 'ajouteraient ceux à créer de l 'Intérieur et de la Justice. Le ministère de l 'Intérieur se diviserait en quatre départements correspondant aux divers groupements nationaux et ayant chacun à leur tête un chancelier, un premier pour les provinces de Bohême, Moravie et Galicie, un second pour les provinces autrichiennes (Haute et Basse­Autriche, Styrie, Salzbourg et Tyrol), un département d 'Illyrie pour le royaume lombardo­vénétien. Les chanceliers respectifs seraient vis­à­vis du ministre de l'Intérieur les gardiens et les représentants des unités nationales de leur ressort.
<11>
On voit réellement se constituer un ministère de l 'Intérieur à trois chanceliers, l 'un pour la Bohême et la Galicie, les autres pour l 'Autriche et les Pays italiens respectivement. La décentralisation est cependant vite abandonnée, et finalement la chancellerie aulique est rétablie dans son unité et la centralisation administrative reprend ses droits.
<12>
Discutable du point de vue politique, l 'œuvre de Metternich est cependant hautement bénéfique pour l'Autriche. Battue, humiliée, plongée dans le marasme financier de 1800 à 1814, l 'Empire d'Autriche se retrouve, au lendemain du Congrès de Vienne, dans une bien meilleure situation qu 'avant 1789. Avec ses 28 millions d 'habitants, à la tête de la Confédération germanique, il bénéficie du développement des grands établissements bancaires de Vienne (Baring, Labouchère, Parish, Rothschild) qui lui assurent un renouveau économique et financier2.
<13>
C'est dans ce contexte politique que François Ier part pour son long voyage à la périphérie de son Empire. L'itinéraire est avant tout une démonstration politique: il suggère un ordre de grandeur. Sur le plan extérieur, le circuit impérial se veut affirmation explicite de souveraineté. Les frontières sont désormais des limites clairement reconnues et définies pour la Monarchie. Sur le plan intérieur, le tour royal évoque le vieux rituel de la »montrée«, par lequel seigneur et vassal parcouraient à cheval les limites du fief que ce dernier recevait. Pour schématiser, la déambulation royale est une modalité de l'art de gouverner en temps de crise, de domination imparfaite de l 'espace, et de fort pouvoir personnel – entendez de pouvoir de la personne même de l 'Empereur.
Helmut Rumpler, Eine Chance für Mitteleuropa. Bürgerliche Emanzipation und Staatsverfall in der Habsburgermonarchie. Österreichische Geschichte, 1804–1914, Wien 1997 (Österreichische Geschichte).
2
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<14>
En 1817, François Ier me semble vouloir inscrire, par son déplacement en périphérie, le pouvoir royal dans l 'espace géographique impérial. La difficulté pour la Monarchie tient en effet à la nécessité d 'afficher la centralisation du pouvoir sans toujours disposer des moyens suffisants – matériels et politiques – pour sa mise en œuvre. La volonté centralisatrice, unificatrice et impersonnelle doit se doubler d'une intervention très directe et très effective du souverain. La mobilité est ainsi un moyen de compenser non seulement l 'éloignement du pouvoir central, mais aussi l 'hétérogénéité du royaume. Les motifs principaux du voyage de François I ont pour origines l 'immensité de l 'Empire et l 'emprise er
incertaine du pouvoir central.
<15>
Le voyage est en même temps un état des lieux des institutions provinciales. Au­delà de l 'affirmation des principes centralisateurs, la pratique gouvernementale se caractérise par sa volonté d 'apporter sur place des réponses locales à des demandes spécifiques. En effet, on ne constate jamais de gouvernement direct, de rupture dans le système des médiations. Le voyage n 'est pas pour autant un moyen d 'établir un gouvernement direct; il permet plutôt de vaincre l 'éloignement physique, obstacle majeur à l'exercice du pouvoir. Mais les institutions locales assurent toujours la médiation entre le monarque et ses sujets. Enfin, le voyage permet à l'Empereur de s 'informer, de connaître les vœux et les opinions, de recevoir placets et requêtes, de régler immédiatement des problèmes locaux. En somme, le périple accroît la visibilité de l 'Empereur sans pour autant le rendre réellement accessible. Le voyage apparaît tout autant comme une tentative pour réaliser symboliquement la cohérence de l'Empire que pour connaître les problèmes de ses Pays. Par conséquent, le récit de voyage de François Ier résulte de cet effet d 'unification et de connaissance.
<16>
Le voyage est également un moyen de connaissance propédeutique pour un souverain. Ainsi, il se manifeste comme une véritable nécessité gouvernementale pour collecter les nouvelles informations locales. Plus que jamais, il s 'agit de savoir comment le voyage peut contribuer à l 'essor des connaissances. La pratique du voyage conduit à la production de textes, dont le contenu se veut être le reflet d 'observations. Tandis que l 'acte de voyage constitue l 'appréhension physique du territoire, le récit en est l 'appréhension intellectuelle. Le récit de François Ier peut apporter des suggestions et des idées nouvelles, fructueuses, car son périple témoigne d 'une ouverture sur le monde.
<17>
L 'idée que la connaissance du territoire est absolument essentielle pour l 'État a toujours été présente. Une question s 'impose d 'ores déjà: d 'où viennent les informations sur l 'état des différents Pays pour l'administration centrale de l 'Empire? Ce problème est d'autant plus important qu 'il s 'agit d'un Empire Lizenzhinweis: Dieser Beitrag unterliegt der Creative­Commons­Lizenz Namensnennung­Keine kommerzielle Nutzung­Keine Bearbeitung (CC­BY­NC­ND), darf also unter diesen Bedingungen elektronisch benutzt, übermittelt, ausgedruckt und zum Download bereitgestellt werden. Den Text der Lizenz erreichen Sie hier: http://creativecommons.org/licenses/by­nc­nd/3.0/de
qui est politiquement morcelé et qui ne constitue pas un État­nation – comme c 'est le cas de la France ou de l 'Angleterre. Ce morcellement est également économique, notamment monétaire et douanier.
<18>
Il me semble donc pertinent d 'analyser le récit de François Ier à travers la question suivante: comment s'est constituée la connaissance induite par ce voyage? Car l 'Empereur se fait observateur méthodique d'un territoire qui n 'est plus seulement lieu de passage mais espace à transformer. Un territoire qui devient le cadre intellectuel de l 'observation. Quel rôle joue alors ce territoire dans l'acquisition des connaissances, comment et pourquoi les savoirs collectés au cours du voyage s'articulent­ils autour des différentes provinces? Le récit de voyage est une clef pour comprendre simultanément un art de déplacement et sa pédagogie, une méthode et une lecture du monde. Comment ce discours est­il donc mis en forme, quel type de savoir l 'observation minutieuse produit­
elle?
<19>
Le corpus relatif au voyage impérial de l 'année 1817 se constitue en trois parties principales: le récit autographe, sa mise au propre et une annexe importante comportant une série de documents d 'une diversité remarquable. La mise au propre comporte presque 2.500 pages ainsi que l 'annexe contient plus de 700 feuilles (en allemand, en écriture gothique). La source même se trouve à Vienne (Österreichisches Staatsarchiv, Haus­, Hof­, und Staatsarchiv, Habsburgisch­Lotharingische Familienarchive, Hofreisen 1766–1817)3. La mise au propre existe sous forme de microfilm et constitue mon principal support d 'étude.
<20>
Les récits de François Ier témoignent d 'une véritable curiosité pour les territoires observés. On y lit un désir vif de savoir, le besoin de connaître les pays parcourus dans toutes leurs parties, dans toutes leurs particularités. L 'Empereur répertorie, de façon exhaustive, tout ce qu 'il voit et entend: en effet, il détaille le paysage parcouru, décrit les populations jusqu 'à leurs habitudes vestimentaires, dépeint les bâtiments, structures de villes, etc. La longueur de ses rapports journaliers ne présente pas une égalité constante: ils comportent, d 'une manière générale 12­15 pages, mais parfois ils contiennent 30 pages ou, au contraire, seulement quelques phrases.
<21>
Les documents qui composent l 'annexe du récit, sont extrêmement divers. Catalogués en fonction des Pays, ils comportent mémoires, cartes et plans. L 'annexe a été faite entièrement par les fonctionnaires locaux des différents Pays, à la commande de François Ier. L 'Empereur utilisait 3
FA Hofreisen. Kt. 28­34, HHSTA.
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l'appendice pour répertorier les données et aussi pour s 'informer, non pas à l'avance, car il les a reçus sur place, dans l 'ordre chronologique de l 'itinéraire. Presque toutes les pièces sont signées et également presque toutes sont datées de l 'année 1817, les exceptions sont négligeables. Non seulement les documents mais aussi les informations qu 'ils contiennent, ont été produits dans l 'année en cours. On voit donc très bien, comment le voyage impérial encourage les fonctionnaires locaux à rédiger des rapports sur l 'état de leur pays.
<22>
La comparaison du manuscrit autographe et de la version finale donne à voir une véritable entreprise intellectuelle en dépit de la composition et de la logique singulière de chacun des textes. Tandis que la mise au propre s 'articule jour après jour, le récit autographe s 'organise en fonction de l 'itinéraire (même si des dates ont été ajoutées ultérieurement). Mais en analysant les caractéristiques des deux exemplaires, on doit constater que la version finale n 'est pas qu 'une simple mise au propre. Elle systématise les notes prises au cours du périple et leur donne une forme différente, plus détaillée que celle du manuscrit autographe. Ainsi, on dénombre une quantité de textes plus importante: tandis que les notes comportent 69 cahiers de petit format pas entièrement remplis, la mise au propre se compose de 2.463 pages de grand format. Enfin la volonté de précision apparaît nettement: dans la version finale, des noms de villes et de personnes ont été corrigés et des chiffres ont été ajoutés, par exemple la population des villes ou le nombre des moines dans les abbayes.
<23>
Mais d 'où viennent ces informations supplémentaires? Pour trouver la réponse, il faut regarder les annexes correspondantes. On peut constater que la mise au propre reprend systématiquement certaines informations qui se trouvent dans les documents annexés. Celles­ci sont, avant tout, relatives à la population des villes, à leur composition nationale. Mais elles nous renseignent également sur des données économiques et sur la localisation géographique des villes par rapport aux autres. On peut alors constater que la mise au propre est une synthèse. Autrement dit, un processus intellectuel, par lequel on assemble les éléments vus et entendus sur place aux informations qui viennent des documents annexés en un ensemble cohérent et systématique.
<24>
Par conséquent, la version finale du récit devient un véritable moyen pour cerner et connaître les territoires parcourus. Et ceci d 'autant plus dans une époque où les recensements et les autres entreprises relatives aux enquêtes ont été beaucoup plus rares et limités. Ainsi, le récit de voyage constitue un véritable outil de travail pour l 'Empereur qui souhaite gouverner les différentes provinces de son Empire.
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<25>
De nombreux signes me conduisent à la conviction que François Ier a véritablement utilisé ses récits de voyage pour le gouvernement de son Empire. Certaines des ordonnances administratives sont les fruits de ce voyage. Par exemple, deux ans après son périple en Transylvanie, en 1819, François Ier a ordonné la régularisation de la corvée transylvaine. L 'autre signe qui nous assure de l 'utilisation des récits, se trouve dans la volonté de l 'Empereur d 'établir des archives.
<26>
François Ier a créé ses propres archives personnelles (Handarchiv) en parallèle aux archives de cabinet de Chancellerie (Kabinettskanzlei),. L 'Empereur y a réuni les documents qu 'il voulait tenir sous la main et traiter en toute confiance. Ces archives comportaient 1.112 fonds d 'archives dans 13 armoires qui se trouvaient dans son bureau de travail. Les documents ont été arrangés par thème, dans trois catégories principales. La première contenait les correspondances familiales et celles de l'Empereur, la deuxième renfermait les documents administratifs et la troisième recélait les listes des audiences, ses récits de voyage et aussi ceux de Joseph II. Cette dernière possédait une armoire entière. Dans les dernières années de son règne, François Ier a confié ces archives aux soins de son bibliothécaire privé, Léopold Wilhelm Khloybers. Bien que le testament de l 'Empereur prescrive de jamais séparer ses archives, on les a réarrangées, reclassées et réparties dans les autres archives en 18654. C 'est la raison pour laquelle les récits de voyage de François Ier sont aujourd 'hui catalogués dans les fonds d 'archives de Familienarchiv, Hofreisen.
<27>
Le lien fort entre le voyage impérial et le plan de réforme me semble flagrant. En effet, tandis que Metternich s 'occupe des projets d 'aménagement administratif des territoires, François Ier s 'approprie les différents Pays de la Monarchie et accumule les informations importantes et actuelles. Le récit autographe esquisse une sorte de journal chronologique de voyage laconique: dans son jet à peine dégrossi, le discours rappelle l 'itinéraire accompli en tâchant de dresser succinctement la topographie des lieux parcourus. Ébauché par une suite de notes, le plus souvent sans articulation grammaticale véritable, et dont l 'unique raison d 'être est de fournir au François Ier un aide­mémoire susceptible de permettre la rédaction ultérieure du récit suivi.
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Toutefois, on sait bien, qu 'il n'existe pas d 'œil »neutre«. Nous devons souligner que le paysage décrit par le voyageur l 'est de son point de vue: il s 'agit donc d 'une image différée du terrain. Les motivations du voyageur, sa personnalité, ses croyances et ses préjugés, plus généralement son imprégnation des bases culturelles de son temps constituent bien sûr autant d 'éléments de la 4
Ludwig Bittner (dir.), Gesamtinventar des Wiener Haus­, Hof­ und Staatsarchivs, Wien 1936, p. 31–32.
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subjectivité de son approche du monde extérieur. La théorie et la pratique du voyage paraissent étroitement liées. Les méthodes prédisposent l 'œil, obligent le voyageur à structurer un parcours conçu avant le départ grâce à l'apport livresque. Cet apport livresque apparaît à deux niveaux. Premièrement, les expériences et les connaissances personnelles de l 'Empereur, deuxièmement celles de l 'époque dans un sens plus large.
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En parlant d 'imprégnation des bases culturelles de François Ier, il faut évoquer les sciences camérales qui présentent des théories prépondérantes et proposent des outils à l'aide du gouvernement. Ces disciplines connaissent au milieu du XVIIIe siècle un renouvellement méthodologique, auquel sont respectivement associés les noms de Gottfried Achenwall et d 'Anton Friedrich Büsching.
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Achenwall assigne à la statistique la mission d 'étudier l 'État tel qu 'il est: il s 'agit donc d 'une science descriptive et explicative par opposition à la politique pratique qui décrit les moyens à mettre en œuvre pour atteindre le but de l 'État, le bien­être commun. Il applique son programme dans la Staatsverfassung en étudiant huit États européens selon six rubriques: les changements territoriaux, le pays, les gens, le droit public, l 'organisation concrète de l 'État et l 'intérêt de l 'État. Cette démarche est à la fois synchronique et comparative. Les données chiffrées y jouent un rôle réduit, à la fois parce qu'elles sont peu accessibles, et parce que les singularités étudiées se prêtent peu à la quantification, la notion de bien­être étant de nature essentiellement qualitative. Moyennant certaines modifications, ce schéma est repris par une génération d'universitaires qui constituent l 'école allemande de la statistique universitaire.
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Au même titre qu 'Achenwall pour la statistique, Anton Friedrich Büsching est considéré comme la figure tutélaire de la géographie allemande de la seconde moitié du XVIIIe siècle en raison du succès de sa monumentale Erdbeschreibung. Il propose, pour étudier les différents pays, un plan de vingt et une rubriques parmi lesquelles les facteurs humains et politiques l 'emportent nettement. Comme la statistique, la géographie de Büsching fait de l 'État le point nodal autour duquel la masse croissante de connaissances sur le monde peut être sélectionnée, hiérarchisée et organisée. L 'État est essentiellement perçu à travers ses ressources, y compris des ressources naturelles et celles augmentées par l 'industrie. Les hommes sont envisagés par rapport à l'État et c 'est ainsi que sont étudiés leurs langue, leur nombre, leurs caractéristiques corporelles et leurs affects.
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En lisant le récit de François Ier on dévoile toute une logique similaire de celles des sciences Lizenzhinweis: Dieser Beitrag unterliegt der Creative­Commons­Lizenz Namensnennung­Keine kommerzielle Nutzung­Keine Bearbeitung (CC­BY­NC­ND), darf also unter diesen Bedingungen elektronisch benutzt, übermittelt, ausgedruckt und zum Download bereitgestellt werden. Den Text der Lizenz erreichen Sie hier: http://creativecommons.org/licenses/by­nc­nd/3.0/de
présentées. Il prête une attention particulière à l 'état des routes, des ponts et des fleuves (si ils sont navigables ou pas) ainsi qu 'à l'état de l 'agriculture (les végétaux cultivés), des forêts et des terres. Ensuite, il présente la structure des villes et ses différentes institutions (militaires, hôpitaux ou écoles), dépeint les bâtiments et l 'organisation interne des pays ou des régions. Et finalement décrit aussi les populations jusqu 'à leurs habitudes vestimentaires, leurs coutumes folkloriques, leurs plats typiques, leurs religions ainsi que leurs danses.
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Les descriptions de François Ier montrent bien son intention qui consiste à collecter diverses informations dans le but de réorganiser son Empire face aux nouvelles exigences de la situation politique. La nature de ses présentations reflète bien l 'esprit de l 'époque et dans ce sens on peut considérer le récit de François I comme exemplaire pour sa période.
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Auteure:
Marianna Gyapay
École des Hautes Études en Sciences Sociales Paris
[email protected]
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