Martin Cüppers, Walther Rauff – in deutschen

Transcription

Martin Cüppers, Walther Rauff – in deutschen
Francia­Recensio 2015/2
19./20. Jahrhundert – Histoire contemporaine
Martin Cüppers, Walther Rauff – in deutschen Diensten. Vom Naziverbrecher zum BND­Spion, Darmstadt (Wissenschaftliche Buchgesellschaft) 2013, 464 S., 13 Abb. (Veröffentlichungen der Forschungsstelle Ludwigsburg der Universität Stuttgart, 24), ISBN 978­3­534­26279­3, EUR 49,90.
rezensiert von/compte rendu rédigé par
Jean­Luc Leleu, Caen
Les travaux liés à la Shoah se sont jusqu’à présent essentiellement intéressés au groupe de ces universitaires diplômés, encore trentenaires, qui avaient assez tôt rallié les rangs du parti nazi ou les organes de répression du Reich, et qui s’étaient retrouvés en fer de lance de l’entreprise d’extermination des juifs en Europe1. La présente biographie s’intéresse au parcours sensiblement différent de Walther Rauff, surtout connu pour avoir supervisé la construction des camions à gaz en 1941–1942. En réalité, cette étude permet de retracer la carrière beaucoup plus complexe d’un individu dont le parcours personnel et professionnel a amené à servir trois régimes allemands différents – donnant tout son sens au sous­titre de l’ouvrage –, et de manière éphémère le gouvernement syrien.
De fait, la biographie de Rauff illustre les ruptures et les continuités de l’Allemagne au XXe siècle. Surtout, elle tente de déterminer comment un individu d’une intelligence correcte, issu d’une famille plutôt aisée et politiquement conservatrice, a basculé dans l’antisémitisme le plus virulent. Hormis le modèle d’une éducation autoritaire et usant parfois de violence, rien ne prédestinait Rauff à devenir un bourreau. Né en 1906, il était certes l’un de ces enfants qui avaient grandi à l’ombre de la Grande Guerre. Son entrée dans l’école d’officiers de la Marine en 1924, puis sa carrière favorisée par son supérieur, Friedrich Ruge, lui avait néanmoins permis d’assurer une existence confortable en même temps qu’un statut social enviable. Une liaison extraconjugale assumée a néanmoins brutalement mis un terme à sa carrière à la fin de 1937. La SS lui offrira une planche de salut en l’intégrant presque immédiatement au SD. Là, ses talents d’organisation, mais aussi la bienveillance de Heydrich (dont le parcours et les ressentiments envers la Marine étaient similaires), ont tôt fait de lui donner une place importante, bien au­dessus de son grade de commandant SS. Utilisé par Heydrich comme homme de confiance pour contrôler ses principaux chefs de service, Rauff s’est trouvé impliqué très tôt dans le suivi des exécutions de masse menées par les détachements SS en Pologne en 1939. C’est à lui qu’est surtout revenu la charge, à partir de l’automne 1941, de construire les camions à gaz destinés à remplacer les pelotons d’exécution, et ainsi épargner aux bourreaux le fardeau psychologique de la mise à mort. Près d’un demi­million de juifs ont ainsi été tués par les gaz d’échappement de la Michael Wildt, Generation des Unbedingten. Das Führungskorps des Reichssicherheitshauptamtes, Hamburg 2002; Christian Ingrao, Croire et détruire. Les intellectuels dans la machine de guerre SS, Paris 2010.
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quarantaine de véhicules engagés en URSS et en Serbie.
Déjà en partie éclairés par de précédents travaux de l’auteur, les engagements ultérieurs de Rauff en Lybie, en Tunisie et en Italie, de 1942 à 1945, sont plus ou moins connus2. Ils permettent néanmoins de mesurer à quel point l’ex­officier de marine »apolitique« avait parfaitement intégré les normes idéologiques et la radicalité destructrice de la SS en l’espace de très peu d’années.
Comme d’autres travaux menés sur les bourreaux nazis, cette biographie apporte un éclairage particulièrement neuf sur le parcours de Rauff après­guerre: son évasion d’une prison italienne, l’organisation d’une filière de fuite d’anciens militaires et chefs SS vers le Proche­Orient, son emploi comme conseiller du gouvernement syrien, enfin son départ vers l’Équateur avant son installation définitive au Chili. L’auteur met en pièces les spéculations colportées par la presse: pas d’organisation très structurée pour aider les nazis en fuite, pas d’exil doré pour Rauff qui sera obligé de travailler jusqu’à 72 ans sans que jamais sa situation financière ne soit totalement assurée, pas de services rendus au régime de Pinochet en dépit de la protection que lui a assuré le régime chilien. Reste néanmoins d’autres réalités, non moins troublantes, à commencer par le recrutement – en toute connaissance de cause – de Rauff par le service de renseignements (BND) de la nouvelle RFA. Sa brève carrière d’espion, de 1959 à 1962, fut tout à la fois une faute morale, et plus encore professionnelle de la part des responsables du BND qui ne pouvaient ignorer à quel point le passé de Rauff le rendait vulnérable. Cet engagement au service du BND a ainsi permis à l’ex­colonel SS de revenir par deux fois en RFA, alors même qu’un mandat d’arrêt était lancé contre lui lors de son second séjour, qui n’a rien eu de clandestin. Cette biographie révèle au demeurant l’ampleur de l’impéritie des administrations judiciaires et politiques allemandes, incapables de constituer et de transmettre un solide dossier d’instruction en vue de l’extradition de Rauff au début des années 1960.
Au final, cette étude démontre tout l’intérêt du genre biographique, dès lors qu’elle est menée avec une telle rigueur. Non seulement les différentes étapes de la vie de Rauff sont replacées dans le contexte de leur époque, mais les liens entre vie professionnelle et vie privée y sont systématiquement mis en évidence, de même que les relations interpersonnelles qui n’ont cessé de jouer un grand rôle dans la vie de Rauff. On découvre au passage un individu qui, placé à plusieurs reprises face à ses responsabilités, n’a pas hésité à recourir aux plus basses manœuvres pour s’en défausser, calomniant son épouse lors de son divorce ou témoignant à charge contre ses anciens subordonnés en vue d’obtenir un passeport fédéral.
Ce travail a par ailleurs l’immense avantage d’être servi par des sources variées. Outre les archives administratives (classiques) des institutions nazies ou du ministère des Affaires étrangères de RFA, et celles plus originales des services de renseignements américains et allemands, cette biographie doit beaucoup aux documents privés laissés par Rauff lui­même: d’une part la correspondance avec ses Klaus­Michael Mallmann, Martin Cüppers, Halbmond und Hakenkreuz. Das Dritte Reich, die Araber und Palästina, Darmstadt 2006.
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proches restés en Allemagne et conservée par son neveu, d’autre part les enregistrements réalisés en 1979 à l’occasion de la visite de l’ex­général SS Karl Wolff à son ancien subordonné. Ces documents ont permis à l’auteur de mieux appréhender la personnalité et l’état d’esprit de Rauff. Faute d’une documentation similaire pour la période charnière qui a vu celui­ci basculer dans la violence la plus radicale entre 1939 et 1941, il a toutefois été impossible pour l’auteur de déterminer précisément le cheminement intellectuel qui a conduit un individu qui n’avait rien d’un nazi convaincu ou d’un antisémite viscéral à devenir un bourreau zélé, dont le rôle dans la Shoah s’est révélé bien plus important que sa fonction et son grade ne le laisseraient supposer. L’analyse qui est proposée de cette évolution n’en demeure pas moins convaincante, à l’image de l’ensemble de l’ouvrage.
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