Le mythe de Prométhée, récit métaphorique de notre modernité

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Le mythe de Prométhée, récit métaphorique de notre modernité
Le mythe de Prométhée, récit métaphorique de
notre modernité technicienne
14 octobre 2016 par Gérald Majou Débats 36 visites
Cédric Faure, Université Paris Diderot – USPC
En volant le feu à la forge d’Héphaïstos, en l’offrant aux humains, Prométhée va leur apporter une source
d’énergie et d’information. Les humains vont devenir orgueilleux et vouloir égaler les dieux en recréant
artificiellement le monde grâce à la maîtrise de la technique.
Le mythe de Prométhée est, en ce sens, à relire aujourd’hui comme un récit sur l’excès, l’hybris, qui métaphorise
profondément l’imaginaire de nos sociétés actuelles, polytechniciennes, en particulier sur les usages et
mésusages des savoirs scientifiques et techniques, sur la confusion de la technique et de la politique et les
mésalliances entre science et conscience.
De la métaphore énergétique à l’idéologie informationnelle
Avec Prométhée, le feu devient en effet la principale source d’énergie à l’origine de tout ce qui va se produire, se
transformer : les humains commencent à fabriquer des outils, des vêtements, des armes, des maisons, ils font
cuire leur nourriture et se montrent de plus en plus résistants face à la nature. Puis, les machines remplacent les
premiers outils techniques : elles utilisent l’énergie et la convertissent pour réaliser leur tâche. Conversion de
l’énergie solaire, électrique en énergie cinétique, mécanique ou de l’énergie potentielle chimique en énergie
électrique ou encore de l’énergie potentielle gravitationnelle en énergie cinétique, etc.
La physique moderne retient cette définition de l’énergie comme capacité à produire des transformations, à
réaliser du travail. Avec le principe de conservation de l’énergie, c’est-à-dire le premier principe de la
thermodynamique, on découvre que la quantité de l’énergie du monde est constante au cours du temps : elle ne
peut être ni créée ni détruite ; et donc rien ne se gagne ni se perd. On invente le moteur thermique, à vapeur et à
combustion interne. C’est la révolution industrielle. La métaphore énergétique est au cœur des sciences et des
techniques.
Avec le deuxième principe de la thermodynamique, l’indétermination réapparaît. L’entropie dans un système isolé
ne peut que s’accroître au cours d’une transformation. Les changements qui s’y élaborent sont donc plus
fréquents. Plus l’entropie d’un système est importante, plus le système à tendance à changer et la qualité de
l’énergie à se dégrader.
L’entropie est une mesure du désordre. Le lien entre énergie, entropie et information devient manifeste. Il faut
cependant attendre les équations de Claude Shannon et la théorie mathématique de l’information pour établir une
relation formelle entre ces notions. Il y a une équivalence entre information et entropie négative ou néguentropie.
L’entropie croît de manière inverse à l’information. L’une est le négatif de l’autre.
Claude Shannon (à gauche) au Ars Electronica Festival en 1980. Ars Electronica, CC BY-NC-ND
Le monde s’unit à une trame d’informations, de codes et de messages : de l’information génétique à l’information
quantique, en passant par l’informatique, les neurosciences et l’astrophysique, de la description des corps
célestes au questionnement sur les trous noirs primordiaux, ce paradigme informationnel, vient relier différents
domaines de la science, parfois en des rapprochements incongrus.
Ainsi Prométhée, en nous apportant généreusement le feu, cette source d’activation, d’énergie, de chaleur, de
lumière et d’information, va nous apporter indirectement les technologies énergétiques et les technologies de
l’information. Des signaux de fumée aux communications par Internet, la notion d’information va se dégrader en
idéologies informationnelles.
L’information va se représenter dans les langages politiques comme un bien immatériel, inépuisable,
renouvelable. Le développement des technologies numériques apparaît comme l’une des solutions aux crises
énergétiques. Le sens de leurs usages s’associant le plus souvent à un ensemble d’enjeux économiques et
sociaux réduits à des questions de dispositifs d’accès, de transport, de traitement et de transmission de
l’information.
De la passion de l’ignorance aux pathologies du savoir
L’information devient le moyen idéologique de lutter contre le bruit, d’éliminer la redondance. Elle alimente le
mythe politique du progrès, du savoir et de la technologie salvatrice. C’est bientôt la numérisation du monde avec
des ordinateurs, des tablettes et des smartphones, à l’obsolescence programmée (?). Ce sont de nouvelles
sciences de l’information avec l’informatique, les télécommunications, l’automatique, la robotique. Ce sont des
interconnexions croissantes entre les nanotechnologies, les biotechnologies, l’informatique et les sciences
cognitives (!). Le rêve prométhéen devient un cauchemar numérique.
La liberté de l’information vient également s’opposer aux diverses formes de censures et d’inhibitions de la
pensée dues aux religions et à leurs formes dévoyées, obscurantistes. Elle aide à combattre ces passions de
l’ignorance qui font rage dans notre monde contemporain. C’est la particule élémentaire dans la construction des
savoirs dans un monde non uniforme.
Le mythe de Prométhée révèle ainsi comme le soulignait déjà Bachelard :
« Toutes les tendances qui nous poussent à savoir autant que nos pères, autant que nos maîtres,
plus que nos maîtres ».
Prométhée provoque inévitablement la colère des dieux. Zeus le fait enchaîner pour l’éternité à un rocher dans les
montagnes du Caucase où chaque jour un aigle vient lui dévorer le foie. L’histoire des savoirs ressemble-t-elle à
l’histoire d’une punition ? En tous cas le maître de l’Olympe a la bonne idée d’offrir aux hommes une jarre qui
renferme toutes les calamités et de donner la main de Pandore au frère de Prométhée, l’étourdi d’Épiméthée, qui
avait oublié de distribuer des qualités aux hommes. Le temps fera le reste. Le désir de savoir de la belle et
insatiable Pandore l’amènera à commettre l’irréparable.
La symbolique du mythe de Prométhée nous invite finalement à repenser les excès de la technique, au pouvoir
quasi divin dans nos sociétés modernes, afin de réinterpréter notre point de vue sur le monde : lorsque les savoirfaire techniques se développent plus rapidement que notre compréhension de la nature, lorsque la science ne
s’étaye plus sur des valeurs éthiques, et lorsque la technique s’autonomise radicalement de la conscience
politique, alors l’intelligence s’aveugle et trouble la vie des dieux sur l’Olympe.
Cédric Faure, Chargé d’enseignement en Sciences Humaines et Chercheur au Laboratoire de Changement
Social et Politique (LCSP), Université Paris Diderot – USPC
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.
Licence : CC by-sa
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