Sciences exactes et technique
Transcription
Sciences exactes et technique
SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES 2013 Agata ZIELINSKI HISTOIRE et PHILOSOPHIE des SCIENCES (suite) Limites et critiques de la méthode scientifique Thomas KUHN: les paradigmes, présupposés de la démarche scientifique. scientifiques (1969) Cf. La Structure des révolutions • La démarche scientifique se réfère (implicitement) à des présupposés propres à une communauté scientifique ou à une époque. • Un paradigme est un modèle dominant, en fonction duquel les scientifiques vont orienter leurs recherches. • Le questionnement scientifique n’est donc jamais totalement neutre. • Les connaissances scientifiques ne progressent pas de façon continue, mais par des « révolutions » à l’occasion d’un changement de modèle. Le statut de la médecine Science exacte ou science humaine ? • Connaissances scientifiques, càd générales, nécessaires (biologie, chimie, physique…). • Modèle mathématique transposable à la médecine? • La place du particulier exige d’adapter ces connaissances à chaque cas, c’est-à-dire à chaque personne. • • • La médecine a à faire à des situations à chaque fois uniques. La vertu requise du médecin est l’attention à la singularité de la souffrance, de la personne. La relation de soin n’est pas mathématisable. Le statut de la médecine La médecine, science ou art, connaissance scientifique ou empirique ? • Science • car elle requiert des connaissances exactes, • qui permettent d’établir un diagnostic, • en fonction de cas répertoriés. • Art : savoir-faire et expérience. • Renvoie à la pratique clinique. • Utiliser les moyens adéquats en vue du bien visé: la santé. • Tient compte du contexte, des particularités de la situation. Le statut de la médecine La médecine, une technique ou un art au carrefour de plusieurs sciences ». « Georges CANGUILHEM Le Normal et le pathologique Sciences humaines et sociales Sciences exactes et technique Janvier 2013 Agata ZIELINSKI Médecine, sciences, technique o La médecine a à faire : • aux sciences exactes (biologie, chimie…) Cf. Canguilhem: « La médecine… au carrefour de plusieurs sciences ». • mais aussi à la technique (scalpel, scanner, ventilation artificielle…). o Quelles conséquences pour la médecine? Éléments de définition Sciences exactes Technique Observation du monde. Transformation du monde. Connaissance. Action. Les sciences sont « contemplatives ». La technique est une « pratique ». Expliquent. Produit. Savoir. Savoir faire. Définitions Technique Savoir-faire, habileté qui permet d’obtenir un résultat visé. Moyens de maîtrise et de transformation de la Nature. Utilité. Efficacité. Technologie Ensemble des procédés, savoirs et instruments propre à un métier ou un domaine particulier. La technique est-elle un savoir? Aristote distingue: la connaissance empirique (issue de la sensation) la technè (qui est une pratique, un savoir faire) et la connaissance théorique ou science (qui fait appel à la raison). La technique est l’application de la science aux cas particuliers. La technique est-elle un savoir? Cependant, le savoir de la technique n’est pas un savoir scientifique. C’est un savoir faire: se définit par l’action sur les choses de la Nature. C’est une habileté acquise par apprentissage: par imitation et par exercice. Ce savoir n’est pas scientifique car il ne connaît pas les causes. La technique montre comment faire. Les sciences disent pourquoi les choses sont comme elles sont. Origine de la technique Mythe de Prométhée (PLATON Protagoras, 320d-321d) o Ordre des dieux à Prométhée et à Epiméthée : attribuer aux êtres vivants les qualités dont ils ont besoin pour vivre. o Epiméthée répartit les qualités: • Maintenir un équilibre entre les espèces, • Les protéger et de la destruction réciproque, et des intempéries. o Il oublie l’espèce humaine. Prométhée voit « l'homme nu, sans chaussures, sans couvertures, sans armes » = sans défenses naturelles. o Prométhée va alors voler l'habileté technique d'Héphaestos et d'Athéna, et le feu - pour les offrir à l'homme. • « C'est ainsi que l'homme fut mis en possession des arts utiles à la vie » = de la technique. Finalité de la technique o Ce mythe nous renseigne sur la finalité de la technique : Survie de l’homme dans une nature hostile. Améliorer les conditions d’existence. Viser le « vivre bien », voire le bonheur ? o Il nous enseigne aussi quelque chose sur la nature de l’homme: L’homme est par nature fragile (le plus vulnérable des être vivants). L’homme n’est pas un dieu. Le pouvoir technique lui ouvre la tentation de se prendre pour Dieu (tentation prométhéenne). Nature du lien entre sciences et technique? Au cours de l’histoire, la liaison entre sciences et technique apparaît de plus en plus étroite. Le progrès des sciences dépend des avancées de la technique (microscope). La technique est aussi le résultat de l’application des découvertes scientifiques (tests génétiques). Les sciences sont-elles au service de la technique, ou la technique au service des sciences? Distinguer 2 périodes: (1) « Application de la science » (XVIIème - XVIIIème s.) (2) « Sciences appliquées » (XIXème - XXème s.) (1) Application de la science (XVIIème - XVIIIème s.) On parle d’« application de la science » lorsque les techniques préexistent à la science: Les techniques sont éclairées et perfectionnées par la science. Techniques précieuses pour les sciences: Apportent des instruments (télescope…). Soulèvent des problèmes à résoudre (fontainiers de Florence et Torricelli pression atmosphérique). Confirment ou invalident les hypothèses théoriques. Développement de la science moderne (révolution copernicienne, mathématisation de la nature par Galilée) Lever les difficultés présentes dans l’usage des techniques existantes. Les faire progresser. (1) Application de la science (XVII ème - XVIIIème s.) Ex. La technique de la taille des verres : née au MA, se développe par approximations empiriques, grâce à des artisans sans aucune formation scientifique. Descartes: « A la honte de nos sciences, cette invention, si utile et si admirable, n’a premièrement été trouvée que par l’expérience et la fortune », (Dioptrique, 1). La technique sans la science est incapable de rendre raison de son efficacité. Il faut en faire la théorie pour expliquer son fonctionnement. La science ainsi constituée devrait permettre, par son application à la technique, de porter celle-ci à son « plus haut degré de perfection ». (1) Application de la science (XVII ème - XVIIIème s.) Descartes, Discours de la méthode (1637), 6ème partie. Tirer des effets de la science pour améliorer la vie humaine: « parvenir à des connaissances qui soient fort utiles à la vie » « nous procurer, autant qu’il est en nous, le bien général de tous les hommes ». La science doit permettre à l’homme de se rendre « comme maître et possesseur de la nature ». Surtout en vue de « la conservation de la santé, laquelle est sans doute le premier bien et le fondement de tous les autres biens de cette vie… S’il est possible de trouver quelque moyen qui rende communément les hommes plus sages et plus habiles qu’ils n’ont été jusques ici, je crois que c’est dans la médecine qu’on doit le chercher ». (2) Sciences appliquées (XIXème - XXème s.) On parle de « sciences appliquées » lorsque des techniques nouvelles sont le produit de théories scientifiques sans lesquelles elles n’auraient pas pu exister. A partir du XIXème s. les sciences ne se limitent pas à expliquer les phénomènes naturels existants, elles produisent des phénomènes nouveaux. Ex: corps chimiques artificiels, électronique, informatique… scanner, IRM… sont ainsi des « théories matérialisées » (Bachelard). (2) Sciences appliquées (XIXème - XXème s.) Nouveau pouvoir de l’homme sur le réel. Bachelard (1884-1962) parle d’une « science technique », o qui ne donne plus seulement les lois des phénomènes naturels, o mais produit les phénomènes. o Se mesure à ses conséquences, ie à son efficacité, à son utilité. « La science est moins une science des faits qu’une science d’effets » (1951). (2) Sciences appliquées (XIXème - XXème s.) Auguste COMTE (1798-1857) met en garde: ne pas assujettir la théorie à la pratique ! Nécessité pour la science de se développer « librement », c'est-à-dire abstraction faite de ses applications possibles, de la dimension utilitaire. Absurde de vouloir régler la science sur la technique ; c’est plutôt la technique qui doit suivre la science. « Les domaines rationnels de la science et de l’art [la technique] sont distincts, quoique philosophiquement liés : à l’une il appartient de connaître et par suite de prévoir ; à l’autre, de pouvoir, et par suite, d’agir ». Cours de philosophie positive (1830-1842), 40ème leçon De nouvelles responsabilités Bergson (1859-1941): Le progrès technique démultiplié par les apports de la science peut entraîner des effets négatifs. Créations de besoins nouveaux, de plus en plus artificiels. Inégalité de répartition des bienfaits de la technique. Oubli que la satisfaction des besoins les plus fondamentaux ne concerne pas le plus grand nombre. C’est à l’homme que revient la responsabilité de fixer à la science et à ses développements techniques des buts bénéfiques. Ambivalence du progrès technique La technique est souvent assimilée au progrès, ie à l’amélioration permanente des conditions de vie. Or, les développements techniques ont aussi des effets négatifs. Sur la vie humaine. Sur l’équilibre de la nature. Cf. HEIDEGGER: l’homme n’est-il pas dominé par la technique? La technique nous coupe de la nature. Elle impose une vision du monde. Nous sommes dépendants des « outils ». Annexe Origine de la technique Mythe de Prométhée (PLATON Protagoras, 320d-321d) « Au moment de produire à la lumière les races mortelles, les dieux ordonnèrent à Prométhée et à Epiméthée de répartir entre elles toutes les qualités dont elles devaient être pourvues. Epiméthée demanda à Prométhée de lui laisser le soin de faire lui-même la distribution. (...) Il donne aux uns la force sans la vitesse; aux plus faibles, il attribue le privilège de la rapidité; à certains il accorde des armes. (...) Bref, entre toutes les qualités, il maintient un équilibre. (...) Après qu'il les eut prémunis suffisamment contre les destructions réciproques, il s'occupa de les défendre contre les intempéries qui viennent de Zeus, les revêtant de poils touffus et de peaux épaisses, abris contre le froid, abris aussi contre la chaleur. (...) Or Epiméthée, dont la sagesse était imparfaite, avait déjà dépensé, sans y prendre garde, toutes les facultés en faveur des animaux, et il lui restait encore à pourvoir l'espèce humaine. (...) Dans cet embarras, survient Prométhée pour inspecter le travail. Celui-ci voit toutes les autres races harmonieusement équipées, et l'homme nu, sans chaussures, sans couvertures, sans armes. (...) Prométhée, devant cette difficulté, ne sachant quel moyen de salut trouver l'homme, se décide à dérober l'habileté technique d'Héphaestos et d'Athéna, et en même temps le feu - car, sans le feu, il était impossible que cette habilité rendit aucun service - puis, cela fait, il en fit présent à l'homme. C'est ainsi que l'homme fut mis en possession des arts utiles à la vie [de la technique] ».