Prométhée : Titan, fils de Japet et de Clyméné, frère d`Atlas et d
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Prométhée : Titan, fils de Japet et de Clyméné, frère d`Atlas et d
Préface Les articles réunis dans cet ouvrage présentent une sélection des communications présentées lors du colloque « Créatures et créateurs de Prométhée : sources et migrations d’un mythe dans les arts et la littérature » organisé par les équipes d’accueil IDEA, Nancy-Université et Ecritures, Université Paul Verlaine-Metz, à Nancy les 14 -15 mars 2008. Les articles retenus, à la lumière de la problématique du colloque dont ils sont issus, s’inscrivent dans les recherches du Groupe Muses, émanation de l’équipe d’accueil IDEA (InterDisciplinarité dans les Ėtudes Anglophones) de NancyUniversité, qui travaille sur la pluri-, inter-, transdisciplinarité. L’objet de Muses, qui regroupe des chercheurs tous anglicistes mais spécialisés dans un domaine artistique bien particulier, qu’il s’agisse de l’image ou de la musique, est d’étudier les rapports entre les différents arts, essentiellement entre la littérature, la peinture et la musique. Le titre du recueil est bien entendu une allusion au ballet de Beethoven Die Geschöpfe des Prometheus (Les Créatures de Prométhée, op. 43). En effet, si Prométhée est la métaphore du Créateur par excellence, s’il est celui qui a non seulement « façonné » l’homme mais qui a contribué à lui apporter la connaissance, peut-être peut-on aussi y voir une image de l’artistecréateur, celui qui crée et façonne à l’aide des matériaux et des instruments les plus divers. C’est tout au moins ce que pensait en 1907 le musicologue Ernest Walker, lorsqu’il établissait, de façon pratiquement prophétique, un lien thématique entre le sujet de l’oratorio de Hubert Parry Prometheus Unbound (1880) et la possibilité d’une renaissance de la musique anglaise dans les dernières décennies du XIXe siècle.1 Si Prométhée peut ainsi être vu comme le synonyme ou l’archétype du « créateur », voire de l’artiste-créateur, il nous a semblé intéressant, dans la perspective pluridisciplinaire et comparatiste qui est la nôtre, de creuser ce lien entre les « créatures » et les « créateurs » de Prométhée, entre celles que le 1. Ernest Walker, A History of Music in England (Oxford: Oxford University Press, 1907) 300. 6 Créatures et créateurs de Prométhée mythe a créées et celui que les hommes ont créé, le mythe ayant, comme le montrent les articles de ce recueil, inspiré tant de « créateurs », dans tous les domaines artistiques possibles et imaginables. Ces artistes, écrivains ou poètes, ont tous choisi les uns comme les autres, de se pencher sur ce mythe fondamental. Avant de nous intéresser aux lectures du mythe dans la littérature et les arts, rappelons brièvement le mythe de Prométhée, ses enjeux et ses sources. Prométhée est un Titan, fils de Japet et de Clyméné, frère d’Atlas, d’Epiméthée et Ménoetios. Il créa les hommes en les façonnant avec de la terre glaise. Il fut leur bienfaiteur en leur enseignant l’ensemble des savoirs qui fondent une civilisation : art de bâtir des maisons, de dompter les animaux, de travailler les métaux, de guérir les maladies, d’écrire, de lire dans l’avenir, etc. Toutes ses connaissances, Prométhée les avait acquises auprès d’Athéna, fille de Zeus. Ce dernier s’irrita du savoir des hommes qu’il avait voulu exterminer dans le passé. Un jour, appelé pour régler un conflit lié à la répartition de la viande de taureau entre les hommes et les dieux, Prométhée la répartit dans deux sacs et s’arrangea pour que Zeus choisisse celui contenant la viande de mauvaise qualité. Pour se venger, Zeus retira le feu aux hommes. Prométhée le déroba pour leur rapporter en le cachant dans un bâton creux. Excédé par les actions de Prométhée à son égard, Zeus décida de l’enchaîner au sommet du Caucase où un aigle lui rongeait le foie qui repoussait sans cesse. Prométhée fut délivré par Héraclès qui tua l’aigle. Ce bref résumé du mythe fait apparaître trois aspects principaux que nous retrouvons à travers les articles de cet ouvrage. Prométhée y apparaît comme démiurge et créateur des hommes, comme symbole de la rébellion contre la tyrannie des dieux, c’està-dire comme libérateur des hommes, mais aussi comme métaphore de l’apport de la connaissance aux hommes. On suppose que ces trois aspects du mythe se retrouvent dans la trilogie d’Eschyle (Prométhée enchaîné, Prométhée délivré, Prométhée porte-feu), l’une des sources grecques du mythe avec celle d’Hésiode, dont seul Prométhée enchaîné nous est parvenu. Ce sont ces sources qui donneront naissance au mythe moderne de Prométhée et forgeront la majorité de ses lectures dans les arts et la littérature. En effet, bon nombre de ces lectures littéraires, plus particulièrement dans la littérature européenne, ont déjà été Préface 7 abordées dans l’ouvrage de référence de Raymond Trousson. 2 On constate également que dans la plupart des cas, les auteurs s’inspirent plus d’Eschyle que d’Hésiode. Pendant le Moyen Âge, les références au mythe sont mises en sommeil, ce qui explique qu’il n’y ait quasiment pas d’œuvres d’art et de textes l’exploitant ; envisager une quelconque rébellion contre Dieu ou l’ordre médiéval était sans doute impensable durant cette période. C’est à la Renaissance que les philosophes (Francis Bacon, Erasme, etc.) donnent différentes interprétations du mythe qui sert aussi de culture allégorique commune aux poètes aux XVIIe et XVIIIe siècles (par exemple Calderon écrit La Estatua de Prometeo en 1669). Les trois aspects du mythe décrits plus tôt sont repris en privilégiant tel ou tel aspect plutôt qu’un autre. Aux XIXe et XXe siècles, on retrouve le mythe en musique, en littérature (Goethe, Vincenzo Monti, Samuel Taylor Coleridge, Lord Byron, Percy Bysshe Shelley, Mary Shelley, Robert Browning, Robert Bridges, Tony Harrison, etc.) ainsi que dans les arts plastiques. En musique, Thomas Campion, Johann Friedrich Reichardt, Ludwig van Beethoven, Franz Schubert, Jacques Halévy, Franz Liszt, Woldemar Bargiel, Károly Goldmark, Camille Saint-Saëns, Gabriel Fauré, Augusta Holmès, Hubert Parry, Hugo Wolf, Alexandre Scriabine, Luigi Nono ou, encore, Libby Larsen ont composé des œuvres s’inspirant du mythe. Comme en littérature, les compositeurs s’intéressent à Prométhée le rebelle, à Prométhée le créateur ou à Prométhée le libérateur. Hormis le masque the Lord’s Masque de Thomas Campion au début du XVIIe siècle, qui fait partiellement référence au mythe de Prométhée en mettant en avant son aspect créateur, l’histoire de la musique ne semble guère avoir retenu d’œuvres « prométhéennes » avant la fin du XVIIIe siècle, où l’aspect privilégié correspond à l’esprit des Lumières. Dans Die Geschöpfe des Prometheus, le ballet que Beethoven composa à l’orée du XIXe siècle, Prométhée apparaît comme un être civilisateur qui permet à l’homme de s’émanciper et de s’éveiller à la sensibilité grâce à la connaissance. Pour Liszt, qui composa le poème symphonique Prometheus, Prométhée incarne le progrès et la libération de l’Homme grâce à l’art et à son serviteur : l’artiste. Liszt avait une foi sans borne quant à la fonction de l’art de son temps en tant qu’outil permettant de libérer l’Homme et de le conduire sur la voie du progrès. Parallèlement, mais de façon 2. Raymond Trousson, Le Thème de Prométhée dans la littérature européenne (Genève : Droz, 2001). 8 Créatures et créateurs de Prométhée plus ponctuelle, le recours au mythe de Prométhée cherche parfois à établir un acte fondateur. Tel est le cas de Prometheus Unbound de Hubert Parry qui, à tort ou à raison, symboliserait la volonté d’aboutir à une renaissance de la musique anglaise durant la seconde moitié du XIXe siècle. Il s’agit sans doute, ici, d’une vaine tentative ou d’une vision projetée sur le sens et la fonction de l’œuvre car Prometheus Unbound n’est guère aventureux d’un point de vue musical. En effet, le compositeur s’inspire essentiellement du style musical de ses collègues contemporains allemands, Brahms et Wagner pour les nommer. De manière plus générale, les musiciens du XIXe siècle s’intéressent à Prométhée parce qu’il incarne la résistance de l’Homme à toute oppression. Cet aspect du mythe sera aussi repris au XXe siècle, en particulier par le compositeur italien Luigi Nono qui voit en Prométhée, dans son opéra Prometeo, la Tragedia dell’ ascoloto, un révolté en lutte contre le système établi, bien que l’aspect créateur du mythe, à travers la découverte de nouvelles expériences esthétiques, soit fortement au cœur de l’œuvre. La reprise du mythe à travers la figure de Frankenstein-Oppenheimer dans un opéra plus récent, Prometheus de l’américaine Libby Larsen, nous conduit à nous interroger sur le rapport que l’homme entretient avec la science, en particulier lorsque, devenu « savant-fou », il l’utilise non pour faire progresser l’humanité mais pour la détruire. Ainsi, quel que soit le sens donné au mythe par les compositeurs, les diverses interprétations sont toujours le reflet de la pensée philosophique et esthétique ou de la situation politique de l’époque où a lieu l’acte de création. Ces compositeurs montrent ainsi l’actualité du mythe et la permanence de ces différents aspects dans le temps, mais aussi la pertinence de la musique comme objet d’étude pour quiconque s’intéresse à l’histoire des idées. Dans les arts plastiques, c’est à partir du XVIe siècle que la figure de Prométhée est essentiellement utilisée, comme en témoignent les emblèmes d’André Alciat ou le Prométhée enchaîné de Rubens qui mettent en scène la souffrance et le châtiment du héros. Le mythe est abondamment exploité aux XVIIIe et XIXe siècles où sont représentés les deux aspects les plus récurrents : le rebelle et le créateur. On peut mentionner, par exemple, les dessins au lavis de Prométhée par l’artiste anglais George Romney ou ceux de Thomas Banks et de Henry Fuseli qui, par des traits rigoureux et vifs, montrent un personnage supplicié et révolté tentant de se délivrer. La figure du héros est également Préface 9 perceptible à travers la représentation du corps, l’idéal du corps masculin tant prôné par Reynolds. Au XIXe siècle, le mythe est surtout retenu en France, par Gustave Moreau notamment dont le célèbre tableau Prométhée (1868) donne à voir une figure sacrificielle, figée et résignée, que les critiques ont souvent rapprochée de celle du Christ sauveur de l’humanité. Au XXe siècle, on peut citer le Prométhée enchaîné de John Singer Sargent, la sculpture de Jacques Lipchitz, Prométhée étranglant le vautour, ou encore celle de Constantin Brancusi, plus modeste, qui donne une image partielle du héros : une tête oblongue et lisse aux traits stylisés posée sur un support. Rappelons aussi l’intérêt de Henry Moore pour la mythologie et ses illustrations du Prométhée de Goethe inspiré du Prométhée enchaîné d’Eschyle, traduit par André Gide et publié en France en 1950. Les formes imbriquées de même que les croquis de tête aux traits durs et acérés, semblables à la série des Têtes casquées, traduisent la vision d’un homme rebelle, tourmenté et vulnérable, enfermé dans une armure. Aux États-Unis, deux ans plus tard, l’artiste expressionniste abstrait, Barnett Newman, crée une œuvre de grande sobriété intitulée Prometheus Bound, une composition imposante par son grand format, son axe vertical et la présence dominante de la couleur noire qui occupe la presque totalité de la toile. Seule une bande de couleur blanche apparaît en bas, comme écrasée par le poids de cette lourde masse qui la pénètre par endroits. Néanmoins, l’œuvre est traversée de lumière et animée par les traits de pinceaux qui confèrent à la toile à la fois du volume et de la transparence. Si l’on observe les travaux des artistes contemporains, aussi bien dans le domaine de la peinture, des installations, de la vidéo ou des performances, on retrouve des œuvres aux accents prométhéens, tel The Crossing (1996) du vidéaste américain Bill Viola où l’on voit, simultanément sur deux écrans séparés, un homme traverser l’épreuve du feu et de l’eau. Dans Prometeo de Rodrigo Garcia, c’est l’image d’un corps en souffrance qui est mis en scène. Enfin, dans la sculpture de Jan Fabre L’Homme qui donne du feu (2002), ce qui reste du mythe de Prométhée, c’est un geste du quotidien, ordinaire, spontané et chaleureux. Quant à Randy Bloom, 3 artiste new-yorkaise et invitée d’honneur de notre colloque – dont quatre reproductions apparaissent dans l’ouvrage, Yellow Odilisk (1983), Coat of Arms 3. Site de Randy Bloom : www.randybloom.com 10 Créatures et créateurs de Prométhée (2000), Crossing The Tropic Of Capricorn (1993) et Boo (2008) – le rapprochement avec la figure de Prométhée se lit essentiellement dans le traitement que fait l’artiste de la lumière. Elle présente des peintures de facture abstraite dont les motifs récurrents sont des bandes verticales et horizontales, des formes circulaires ou méandreuses. Ses toiles sont généralement de grand format et sont surchargées de matière picturale. Comme Randy Bloom l’explique, elle travaille par couches successives. Le plus souvent, elle couvre la toile d’une ou de plusieurs couches, la laisse au repos, la reprend et la recouvre à nouveau, entièrement ou partiellement. De loin, le spectateur voit un fond monochromatique opaque mais de près, il perçoit une surface vibrante avec des vacillements de couleurs, comme dans Butterfly Friendly (2000). Parfois les couleurs sont vives, voire agressives, comme dans Tigre Lily (2000), une toile aux couleurs orangées striées de cinq barres verticales aux bords échancrés eux-mêmes marqués de traits de couleurs différentes. Randy Bloom montre une prédilection pour les couleurs saturées et aime jouer des contrastes entre opacité et transparence. Rien n’est figé dans ses toiles. Les couleurs glissent et se fondent, se rencontrent pour créer des surfaces chatoyantes et dynamiques. Elle parvient ainsi à une sorte d’accord total où les formes et les couleurs dialoguent entre elles, à l’image de la vision de Panthéa à la fin de Prometheus Unbound de Shelley : Purple and azure, white, and green, and golden, Sphere within sphere; and every space between Peopled with unimaginable shapes […] 4 *** Le mythe de Prométhée a déjà fait l’objet de nombreuses études qui toutes l’abordent sous des aspects relativement divers : mythologique, mythographique, politique, sociologique, etc. Le but de cet ouvrage est d’analyser un aspect peut-être moins connu et moins étudié, à savoir les représentations du personnage de Prométhée et l’évolution du traitement du mythe à travers le temps et l'espace, plus particulièrement dans les pays anglophones, même si quelques articles témoignent d’une approche plus générale (Barbara Aniello et Paulo F. de Castro). 4. Percy Bysshe Shelley, Prometheus Unbound (Act IV). Préface 11 Les auteurs de ce recueil s’interrogent sur les fondements et réécritures des différents aspects du mythe, leurs persistances, leurs rémanences, leurs reformulations, leurs résurgences et réappropriations dans des contextes historiques et épistémiques différents, mais également à travers différents genres littéraires et artistiques. Nous avons regroupé les articles autour de trois grands axes principaux qui constituent les trois parties de l’ouvrage : les fondements du mythe, Prométhée héros romantique ainsi que les figures contemporaines. Le premier article, dû à Arnaud Decroix, analyse la dimension christique de Prométhée en s’interrogeant sur les analogies ou, au contraire, les divergences qui existent entre la figure du Christ et le héros d’Eschyle. Il aborde plus particulièrement les thèses de l’assimilation et de la non-assimilation depuis les Pères de l’Église. Jean-Jacques Chardin poursuit la réflexion sur la réappropriation chrétienne du mythe par les humanistes de la Renaissance à travers l’analyse de deux emblèmes qui mettent essentiellement l’accent sur les souffrances de Prométhée sur son rocher. Il montre qu’à travers le supplice du Titan ces humanistes s’intéressent plus particulièrement aux thèmes chrétiens de la prudence et de la renaissance. Quant à Julia Griffin, elle étudie de façon détaillée la nature précise de l’oiseau qui dévore le foie de Prométhée. Qu’il s’agisse d’un aigle ou d’un vautour, les implications ne sont pas les mêmes et ils modifient de façon assez substantielle la lecture du mythe. Michael Eisenberg s’intéresse à the Lords’ Masque de Thomas Campion. Selon lui, les références à Prométhée peuvent se lire sous les aspects créateurs et générateurs du mythe. Il souligne également l’importance que revêt Prométhée en tant qu’allégorie parfaite de la monarchie, plus particulièrement à travers le symbole du feu, tout en nous montrant que la lecture de De sapentia veterum du philosophe Francis Bacon peut nous être utile pour comprendre la manière dont Thomas Campion recourt au mythe aussi bien pour l’élaboration du texte de son masque que pour l’acte de composition. Sandro Jung, qui étudie un aspect moins connu de la reprise du mythe au début du XVIIIe siècle lors du conflit opposant l’opposition patriote à Sir Robert Walpole, fait également référence aux écrits de Francis Bacon sur Prométhée. À travers l’analyse de Mustapha et Agamemnon, deux pièces écrites respectivement par les dramaturges David Malle et James Thomson, il montre en quoi leurs reprises du mythe, qui visent à défendre le point de vue des 12 Créatures et créateurs de Prométhée patriotes, est redevable aux lectures de Bacon, mais aussi de Shaftesbury et de Bolingbroke. Les deux articles suivants traitent de Prometheus Unbound de Percy Bysshe Shelley. Le premier, écrit par Fabien Desset, analyse à partir des théories de Gérard Genette sur l’intertextualité, le processus qui conduit à la transformation de l’hypotexte eschylien en hypertexte shelleyen. Le second, celui de Jennifer Horan, complète l’analyse précédente en mettant l’accent sur les conséquences de la réappropriation du texte d’Eschyle par Shelley aussi bien pour le traitement des personnages que pour le genre de son drame lyrique. L’article suivant de Caroline Bertonèche, cherche à montrer que le processus créatif de Shelley est bien de nature prométhéenne, en particulier dans ses relations tendues avec le poète John Keats. Paolo de Castro analyse aussi l’importance que revêt le mythe de Prométhée en tant que métaphore du processus créatif et avatar de la modernité artistique. Pour ce faire, il s’appuie sur les écrits de Shaftesbury, Addison et Young, mais aussi sur ceux de Franz Liszt. Sandra Hughes, à travers l’analyse d’une nouvelle de Nathaniel Hawthorne souligne les correspondances entre le héros du récit et son auteur. Tous deux cherchent à s’émanciper des contraintes imposées par leur milieu en désobéissant. C’est en rejetant ces contraintes qu’ils acquièrent une dimension prométhéenne. À partir d’une lecture mythocritique de certaines œuvres de J.R.R. Tolkien, David Eddings, Marion Zimer Bradley et Pierre Grimbert, Marie Burkhardt montre que le schéma actantiel du mythe originel peut très bien apparaître dans une œuvre sans que les personnages ne portent explicitement le nom des personnages mythologiques. L’essentiel est de retrouver les caractéristiques du mythe de Prométhée. Le titre de l’article de Monica Latham « I want to tell the story again », qui est aussi le titre du premier et du dernier chapitre de Weight de Jeanette Winterson, résume en quelques mots le travail de réécriture et de réinterprétation du mythe dans la littérature postmoderne. En choisissant d’intégrer certains éléments du mythe, notamment la force destructrice des dieux, dans un genre hybride et dans un espace contemporain, l’auteur de Weight contribue ainsi à le redynamiser. Thierry Jandrok propose d’analyser les différentes formes de transgression à travers diverses œuvres de science-fiction, The Stars my Destination d’Alfred Bester, la nouvelle « Sandkings » de George Martin et Blood Music de Greg Bear. Milena Leszman, quant à elle, Préface 13 examine l’ambiguïté du personnage féminin de The Robber Bride écrit par Margaret Atwood, un roman qui emprunte les conventions du genre gothique. Dans son article intitulé « Could Prometheus Be a Woman », elle montre comment Atwood s’approprie le mythe de Prométhée, à la fois créature et créateur, à travers l’héroïne, Zenia, figure de la révolte et du mal. La même problématique prométhéenne est mise en exergue par Karin Kukkonen qui propose une lecture des différents niveaux narratifs et stratégies mises en œuvre par Alan Moore dans sa bande dessinée Promethea. Trois articles explorent le mythe du savant fou. Sophie Mantrant nous le présente à travers le personnage du docteur Raymond dans The Great God Pan d’Arthur Machen oscillant entre le monde visible et invisible. Les articles de Jean-François Chassay et celui de Bernard Andrieu nous plongent directement dans l’imaginaire scientifique. Jean-François Chassay s’appuie sur deux romans du XXe siècle, The Man Who Would Be God de Haakon Chevalier et L’Œuvre au noir de Margueritte Yourcenar, mettant en scène deux scientifiques. Bernard Andrieu s’intéresse plus particulièrement à la figure de l’hybride qu’il analyse en tissant un parallèle entre Prométhée et le monstre de Frankenstein. Il s’interroge sur les caractéristiques et les ramifications de cette figure dans le domaine littéraire, scientifique et artistique, notamment dans le cinéma et l’art contemporain. L’ouvrage se clôt sur quatre études portant sur divers champs artistiques et sur le croisement des arts : représentions théâtrales, danse, peinture, musique et cinéma. Eleni Papalexiou se penche sur le travail de trois metteurs en scène contemporains, Robert Wilson, Rodrigo Garcia et Jan Fabre. Elle étudie tout d’abord le spectacle de Robert Wilson combinant des extraits du Prométhée enchaîné d’Eschyle sur une musique de Yannis Xenakis et une palette de couleurs réduite, puis présente le Paysage prométhéen de Jan Fabre qui montre un héros ne parvenant plus à articler le langage verbal. Enfin, dans Prometeo de Rodrigo Garcia, le Prométhée des temps modernes est un corps souffrant. Hélène Marquié propose une exploration du mythe de Prométhée dans la danse du XVIIe siècle à nos jours. Elle s’interroge sur les divers aspects du mythe que les chorégraphes ont retenus à travers l’histoire tout en soulignant les raisons des incompatibilités des sujets mythologiques avec le contexte historique. Dans son article intitulé « La couleur du son : Delville et Scriabine, un défi prométhéen », Barbara Aniello se consacre aux rapports entre la peinture de Jean Delville et la 14 Créatures et créateurs de Prométhée musique d’Alexandre Scriabine. Elle inscrit la figure de Prométhée dans une perspective symboliste et décline la palette des couleurs et des sons pour suggérer une union entre tous les arts, comme en atteste également le Mysterium de Scriabine. Le dernier article, celui de Cécile Marshall, nous fait découvrir le travail filmique de Tony Harrison dont le long métrage Prometheus a été écrit et réalisé en 1998. Le film qui entrelace divers genres et registres narratifs et poétiques, explore le mythe de Prométhée à travers les âges, de l’Antiquité aux années quatre vingt en Angleterre. Par les différents niveaux de lecture qu’il suscite, il se lit aussi comme une réflexion sur la création artistique. Comme l’écrit l’auteur de l’article, « Prometheus est le fruit d’une longue recherche sur la voix, le langage et la musique ». Ainsi, l’histoire de Prométhée a fait et continue de faire l’objet de nombreuses reprises témoignant de la vitalité du mythe dans la culture occidentale. Si l’on retrouve d’un article à l’autre certain des mêmes mythèmes, les différentes lectures auxquelles nous convie ce volume attestent également les multiples variantes, les innombrables réinterprétations et l’infini foisonnement que l’histoire de Prométhée à su susciter au cours de ces derniers siècles. Créature de Prométhée, l’homme a su à son tour se faire luimême créateur, jusqu’à en oublier son propre statut d’humain et de simple mortel. C'est dire à quel point les mythes fondamentaux, ceux que l’on interroge inlassablement selon des prismes à chaque fois renouvelés, constituent pour l’homme et pour l’artiste une source d’inspiration inépuisable. Claudine Armand Pierre Degott Jean-Philippe Heberlé