Prométhée : Titan, fils de Japet et de Clyméné, frère d`Atlas et d

Transcription

Prométhée : Titan, fils de Japet et de Clyméné, frère d`Atlas et d
Préface
Les articles réunis dans cet ouvrage présentent une sélection des
communications présentées lors du colloque « Créatures et
créateurs de Prométhée : sources et migrations d’un mythe dans les
arts et la littérature » organisé par les équipes d’accueil IDEA,
Nancy-Université et Ecritures, Université Paul Verlaine-Metz, à
Nancy les 14 -15 mars 2008.
Les articles retenus, à la lumière de la problématique du
colloque dont ils sont issus, s’inscrivent dans les recherches du
Groupe Muses, émanation de l’équipe d’accueil IDEA
(InterDisciplinarité dans les Ėtudes Anglophones) de NancyUniversité, qui travaille sur la pluri-, inter-, transdisciplinarité.
L’objet de Muses, qui regroupe des chercheurs tous anglicistes
mais spécialisés dans un domaine artistique bien particulier, qu’il
s’agisse de l’image ou de la musique, est d’étudier les rapports
entre les différents arts, essentiellement entre la littérature, la
peinture et la musique.
Le titre du recueil est bien entendu une allusion au ballet de
Beethoven Die Geschöpfe des Prometheus (Les Créatures de
Prométhée, op. 43). En effet, si Prométhée est la métaphore du
Créateur par excellence, s’il est celui qui a non seulement
« façonné » l’homme mais qui a contribué à lui apporter la
connaissance, peut-être peut-on aussi y voir une image de l’artistecréateur, celui qui crée et façonne à l’aide des matériaux et des
instruments les plus divers. C’est tout au moins ce que pensait en
1907 le musicologue Ernest Walker, lorsqu’il établissait, de façon
pratiquement prophétique, un lien thématique entre le sujet de
l’oratorio de Hubert Parry Prometheus Unbound (1880) et la
possibilité d’une renaissance de la musique anglaise dans les
dernières décennies du XIXe siècle.1
Si Prométhée peut ainsi être vu comme le synonyme ou
l’archétype du « créateur », voire de l’artiste-créateur, il nous a
semblé intéressant, dans la perspective pluridisciplinaire et
comparatiste qui est la nôtre, de creuser ce lien entre les
« créatures » et les « créateurs » de Prométhée, entre celles que le
1. Ernest Walker, A History of Music in England (Oxford: Oxford University
Press, 1907) 300.
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Créatures et créateurs de Prométhée
mythe a créées et celui que les hommes ont créé, le mythe ayant,
comme le montrent les articles de ce recueil, inspiré tant de
« créateurs », dans tous les domaines artistiques possibles et
imaginables. Ces artistes, écrivains ou poètes, ont tous choisi les
uns comme les autres, de se pencher sur ce mythe fondamental.
Avant de nous intéresser aux lectures du mythe dans la littérature
et les arts, rappelons brièvement le mythe de Prométhée, ses enjeux
et ses sources.
Prométhée est un Titan, fils de Japet et de Clyméné, frère
d’Atlas, d’Epiméthée et Ménoetios. Il créa les hommes en les
façonnant avec de la terre glaise. Il fut leur bienfaiteur en leur
enseignant l’ensemble des savoirs qui fondent une civilisation : art
de bâtir des maisons, de dompter les animaux, de travailler les
métaux, de guérir les maladies, d’écrire, de lire dans l’avenir, etc.
Toutes ses connaissances, Prométhée les avait acquises auprès
d’Athéna, fille de Zeus. Ce dernier s’irrita du savoir des hommes
qu’il avait voulu exterminer dans le passé. Un jour, appelé pour
régler un conflit lié à la répartition de la viande de taureau entre les
hommes et les dieux, Prométhée la répartit dans deux sacs et
s’arrangea pour que Zeus choisisse celui contenant la viande de
mauvaise qualité. Pour se venger, Zeus retira le feu aux hommes.
Prométhée le déroba pour leur rapporter en le cachant dans un
bâton creux. Excédé par les actions de Prométhée à son égard,
Zeus décida de l’enchaîner au sommet du Caucase où un aigle lui
rongeait le foie qui repoussait sans cesse. Prométhée fut délivré par
Héraclès qui tua l’aigle.
Ce bref résumé du mythe fait apparaître trois aspects principaux
que nous retrouvons à travers les articles de cet ouvrage.
Prométhée y apparaît comme démiurge et créateur des hommes,
comme symbole de la rébellion contre la tyrannie des dieux, c’està-dire comme libérateur des hommes, mais aussi comme
métaphore de l’apport de la connaissance aux hommes. On suppose
que ces trois aspects du mythe se retrouvent dans la trilogie
d’Eschyle (Prométhée enchaîné, Prométhée délivré, Prométhée
porte-feu), l’une des sources grecques du mythe avec celle
d’Hésiode, dont seul Prométhée enchaîné nous est parvenu.
Ce sont ces sources qui donneront naissance au mythe moderne
de Prométhée et forgeront la majorité de ses lectures dans les arts
et la littérature. En effet, bon nombre de ces lectures littéraires,
plus particulièrement dans la littérature européenne, ont déjà été
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abordées dans l’ouvrage de référence de Raymond Trousson. 2 On
constate également que dans la plupart des cas, les auteurs
s’inspirent plus d’Eschyle que d’Hésiode.
Pendant le Moyen Âge, les références au mythe sont mises en
sommeil, ce qui explique qu’il n’y ait quasiment pas d’œuvres
d’art et de textes l’exploitant ; envisager une quelconque rébellion
contre Dieu ou l’ordre médiéval était sans doute impensable durant
cette période. C’est à la Renaissance que les philosophes (Francis
Bacon, Erasme, etc.) donnent différentes interprétations du mythe
qui sert aussi de culture allégorique commune aux poètes aux
XVIIe et XVIIIe siècles (par exemple Calderon écrit La Estatua de
Prometeo en 1669). Les trois aspects du mythe décrits plus tôt sont
repris en privilégiant tel ou tel aspect plutôt qu’un autre. Aux XIXe
et XXe siècles, on retrouve le mythe en musique, en littérature
(Goethe, Vincenzo Monti, Samuel Taylor Coleridge, Lord Byron,
Percy Bysshe Shelley, Mary Shelley, Robert Browning, Robert
Bridges, Tony Harrison, etc.) ainsi que dans les arts plastiques.
En musique, Thomas Campion, Johann Friedrich Reichardt,
Ludwig van Beethoven, Franz Schubert, Jacques Halévy, Franz
Liszt, Woldemar Bargiel, Károly Goldmark, Camille Saint-Saëns,
Gabriel Fauré, Augusta Holmès, Hubert Parry, Hugo Wolf,
Alexandre Scriabine, Luigi Nono ou, encore, Libby Larsen ont
composé des œuvres s’inspirant du mythe. Comme en littérature,
les compositeurs s’intéressent à Prométhée le rebelle, à Prométhée
le créateur ou à Prométhée le libérateur. Hormis le masque the
Lord’s Masque de Thomas Campion au début du XVIIe siècle, qui
fait partiellement référence au mythe de Prométhée en mettant en
avant son aspect créateur, l’histoire de la musique ne semble guère
avoir retenu d’œuvres « prométhéennes » avant la fin du XVIIIe
siècle, où l’aspect privilégié correspond à l’esprit des Lumières.
Dans Die Geschöpfe des Prometheus, le ballet que Beethoven
composa à l’orée du XIXe siècle, Prométhée apparaît comme un
être civilisateur qui permet à l’homme de s’émanciper et de
s’éveiller à la sensibilité grâce à la connaissance. Pour Liszt, qui
composa le poème symphonique Prometheus, Prométhée incarne le
progrès et la libération de l’Homme grâce à l’art et à son serviteur :
l’artiste. Liszt avait une foi sans borne quant à la fonction de l’art
de son temps en tant qu’outil permettant de libérer l’Homme et de
le conduire sur la voie du progrès. Parallèlement, mais de façon
2. Raymond Trousson, Le Thème de Prométhée dans la littérature européenne
(Genève : Droz, 2001).
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Créatures et créateurs de Prométhée
plus ponctuelle, le recours au mythe de Prométhée cherche parfois
à établir un acte fondateur. Tel est le cas de Prometheus Unbound
de Hubert Parry qui, à tort ou à raison, symboliserait la volonté
d’aboutir à une renaissance de la musique anglaise durant la
seconde moitié du XIXe siècle. Il s’agit sans doute, ici, d’une vaine
tentative ou d’une vision projetée sur le sens et la fonction de
l’œuvre car Prometheus Unbound n’est guère aventureux d’un
point de vue musical. En effet, le compositeur s’inspire
essentiellement du style musical de ses collègues contemporains
allemands, Brahms et Wagner pour les nommer. De manière plus
générale, les musiciens du XIXe siècle s’intéressent à Prométhée
parce qu’il incarne la résistance de l’Homme à toute oppression.
Cet aspect du mythe sera aussi repris au XXe siècle, en particulier
par le compositeur italien Luigi Nono qui voit en Prométhée, dans
son opéra Prometeo, la Tragedia dell’ ascoloto, un révolté en lutte
contre le système établi, bien que l’aspect créateur du mythe, à
travers la découverte de nouvelles expériences esthétiques, soit
fortement au cœur de l’œuvre. La reprise du mythe à travers la
figure de Frankenstein-Oppenheimer dans un opéra plus récent,
Prometheus de l’américaine Libby Larsen, nous conduit à nous
interroger sur le rapport que l’homme entretient avec la science, en
particulier lorsque, devenu « savant-fou », il l’utilise non pour faire
progresser l’humanité mais pour la détruire. Ainsi, quel que soit le
sens donné au mythe par les compositeurs, les diverses
interprétations sont toujours le reflet de la pensée philosophique et
esthétique ou de la situation politique de l’époque où a lieu l’acte
de création. Ces compositeurs montrent ainsi l’actualité du mythe
et la permanence de ces différents aspects dans le temps, mais aussi
la pertinence de la musique comme objet d’étude pour quiconque
s’intéresse à l’histoire des idées.
Dans les arts plastiques, c’est à partir du XVIe siècle que la
figure de Prométhée est essentiellement utilisée, comme en
témoignent les emblèmes d’André Alciat ou le Prométhée
enchaîné de Rubens qui mettent en scène la souffrance et le
châtiment du héros. Le mythe est abondamment exploité aux
XVIIIe et XIXe siècles où sont représentés les deux aspects les
plus récurrents : le rebelle et le créateur. On peut mentionner, par
exemple, les dessins au lavis de Prométhée par l’artiste anglais
George Romney ou ceux de Thomas Banks et de Henry Fuseli qui,
par des traits rigoureux et vifs, montrent un personnage supplicié et
révolté tentant de se délivrer. La figure du héros est également
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perceptible à travers la représentation du corps, l’idéal du corps
masculin tant prôné par Reynolds. Au XIXe siècle, le mythe est
surtout retenu en France, par Gustave Moreau notamment dont le
célèbre tableau Prométhée (1868) donne à voir une figure
sacrificielle, figée et résignée, que les critiques ont souvent
rapprochée de celle du Christ sauveur de l’humanité. Au XXe
siècle, on peut citer le Prométhée enchaîné de John Singer Sargent,
la sculpture de Jacques Lipchitz, Prométhée étranglant le vautour,
ou encore celle de Constantin Brancusi, plus modeste, qui donne
une image partielle du héros : une tête oblongue et lisse aux traits
stylisés posée sur un support. Rappelons aussi l’intérêt de Henry
Moore pour la mythologie et ses illustrations du Prométhée de
Goethe inspiré du Prométhée enchaîné d’Eschyle, traduit par
André Gide et publié en France en 1950. Les formes imbriquées de
même que les croquis de tête aux traits durs et acérés, semblables à
la série des Têtes casquées, traduisent la vision d’un homme
rebelle, tourmenté et vulnérable, enfermé dans une armure. Aux
États-Unis, deux ans plus tard, l’artiste expressionniste abstrait,
Barnett Newman, crée une œuvre de grande sobriété intitulée
Prometheus Bound, une composition imposante par son grand
format, son axe vertical et la présence dominante de la couleur
noire qui occupe la presque totalité de la toile. Seule une bande de
couleur blanche apparaît en bas, comme écrasée par le poids de
cette lourde masse qui la pénètre par endroits. Néanmoins, l’œuvre
est traversée de lumière et animée par les traits de pinceaux qui
confèrent à la toile à la fois du volume et de la transparence.
Si l’on observe les travaux des artistes contemporains, aussi
bien dans le domaine de la peinture, des installations, de la vidéo
ou des performances, on retrouve des œuvres aux accents
prométhéens, tel The Crossing (1996) du vidéaste américain Bill
Viola où l’on voit, simultanément sur deux écrans séparés, un
homme traverser l’épreuve du feu et de l’eau. Dans Prometeo de
Rodrigo Garcia, c’est l’image d’un corps en souffrance qui est mis
en scène. Enfin, dans la sculpture de Jan Fabre L’Homme qui
donne du feu (2002), ce qui reste du mythe de Prométhée, c’est un
geste du quotidien, ordinaire, spontané et chaleureux.
Quant à Randy Bloom, 3 artiste new-yorkaise et invitée
d’honneur de notre colloque – dont quatre reproductions
apparaissent dans l’ouvrage, Yellow Odilisk (1983), Coat of Arms
3. Site de Randy Bloom : www.randybloom.com
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Créatures et créateurs de Prométhée
(2000), Crossing The Tropic Of Capricorn (1993) et Boo (2008) –
le rapprochement avec la figure de Prométhée se lit essentiellement
dans le traitement que fait l’artiste de la lumière. Elle présente des
peintures de facture abstraite dont les motifs récurrents sont des
bandes verticales et horizontales, des formes circulaires ou
méandreuses. Ses toiles sont généralement de grand format et sont
surchargées de matière picturale. Comme Randy Bloom l’explique,
elle travaille par couches successives. Le plus souvent, elle couvre
la toile d’une ou de plusieurs couches, la laisse au repos, la reprend
et la recouvre à nouveau, entièrement ou partiellement. De loin, le
spectateur voit un fond monochromatique opaque mais de près, il
perçoit une surface vibrante avec des vacillements de couleurs,
comme dans Butterfly Friendly (2000). Parfois les couleurs sont
vives, voire agressives, comme dans Tigre Lily (2000), une toile
aux couleurs orangées striées de cinq barres verticales aux bords
échancrés eux-mêmes marqués de traits de couleurs différentes.
Randy Bloom montre une prédilection pour les couleurs saturées et
aime jouer des contrastes entre opacité et transparence. Rien n’est
figé dans ses toiles. Les couleurs glissent et se fondent, se
rencontrent pour créer des surfaces chatoyantes et dynamiques.
Elle parvient ainsi à une sorte d’accord total où les formes et les
couleurs dialoguent entre elles, à l’image de la vision de Panthéa à
la fin de Prometheus Unbound de Shelley :
Purple and azure, white, and green, and golden,
Sphere within sphere; and every space between
Peopled with unimaginable shapes […] 4
***
Le mythe de Prométhée a déjà fait l’objet de nombreuses études
qui toutes l’abordent sous des aspects relativement divers :
mythologique, mythographique, politique, sociologique, etc. Le but
de cet ouvrage est d’analyser un aspect peut-être moins connu et
moins étudié, à savoir les représentations du personnage de
Prométhée et l’évolution du traitement du mythe à travers le temps
et l'espace, plus particulièrement dans les pays anglophones, même
si quelques articles témoignent d’une approche plus générale
(Barbara Aniello et Paulo F. de Castro).
4. Percy Bysshe Shelley, Prometheus Unbound (Act IV).
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Les auteurs de ce recueil s’interrogent sur les fondements et
réécritures des différents aspects du mythe, leurs persistances, leurs
rémanences, leurs reformulations, leurs résurgences et
réappropriations dans des contextes historiques et épistémiques
différents, mais également à travers différents genres littéraires et
artistiques. Nous avons regroupé les articles autour de trois grands
axes principaux qui constituent les trois parties de l’ouvrage : les
fondements du mythe, Prométhée héros romantique ainsi que les
figures contemporaines.
Le premier article, dû à Arnaud Decroix, analyse la dimension
christique de Prométhée en s’interrogeant sur les analogies ou, au
contraire, les divergences qui existent entre la figure du Christ et le
héros d’Eschyle. Il aborde plus particulièrement les thèses de
l’assimilation et de la non-assimilation depuis les Pères de l’Église.
Jean-Jacques Chardin poursuit la réflexion sur la réappropriation
chrétienne du mythe par les humanistes de la Renaissance à travers
l’analyse de deux emblèmes qui mettent essentiellement l’accent
sur les souffrances de Prométhée sur son rocher. Il montre qu’à
travers le supplice du Titan ces humanistes s’intéressent plus
particulièrement aux thèmes chrétiens de la prudence et de la
renaissance. Quant à Julia Griffin, elle étudie de façon détaillée la
nature précise de l’oiseau qui dévore le foie de Prométhée. Qu’il
s’agisse d’un aigle ou d’un vautour, les implications ne sont pas les
mêmes et ils modifient de façon assez substantielle la lecture du
mythe.
Michael Eisenberg s’intéresse à the Lords’ Masque de Thomas
Campion. Selon lui, les références à Prométhée peuvent se lire sous
les aspects créateurs et générateurs du mythe. Il souligne également
l’importance que revêt Prométhée en tant qu’allégorie parfaite de
la monarchie, plus particulièrement à travers le symbole du feu,
tout en nous montrant que la lecture de De sapentia veterum du
philosophe Francis Bacon peut nous être utile pour comprendre la
manière dont Thomas Campion recourt au mythe aussi bien pour
l’élaboration du texte de son masque que pour l’acte de
composition. Sandro Jung, qui étudie un aspect moins connu de la
reprise du mythe au début du XVIIIe siècle lors du conflit opposant
l’opposition patriote à Sir Robert Walpole, fait également référence
aux écrits de Francis Bacon sur Prométhée. À travers l’analyse de
Mustapha et Agamemnon, deux pièces écrites respectivement par
les dramaturges David Malle et James Thomson, il montre en quoi
leurs reprises du mythe, qui visent à défendre le point de vue des
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Créatures et créateurs de Prométhée
patriotes, est redevable aux lectures de Bacon, mais aussi de
Shaftesbury et de Bolingbroke.
Les deux articles suivants traitent de Prometheus Unbound de
Percy Bysshe Shelley. Le premier, écrit par Fabien Desset, analyse
à partir des théories de Gérard Genette sur l’intertextualité, le
processus qui conduit à la transformation de l’hypotexte eschylien
en hypertexte shelleyen. Le second, celui de Jennifer Horan,
complète l’analyse précédente en mettant l’accent sur les
conséquences de la réappropriation du texte d’Eschyle par Shelley
aussi bien pour le traitement des personnages que pour le genre de
son drame lyrique. L’article suivant de Caroline Bertonèche,
cherche à montrer que le processus créatif de Shelley est bien de
nature prométhéenne, en particulier dans ses relations tendues avec
le poète John Keats. Paolo de Castro analyse aussi l’importance
que revêt le mythe de Prométhée en tant que métaphore du
processus créatif et avatar de la modernité artistique. Pour ce faire,
il s’appuie sur les écrits de Shaftesbury, Addison et Young, mais
aussi sur ceux de Franz Liszt. Sandra Hughes, à travers l’analyse
d’une nouvelle de Nathaniel Hawthorne souligne les
correspondances entre le héros du récit et son auteur. Tous deux
cherchent à s’émanciper des contraintes imposées par leur milieu
en désobéissant. C’est en rejetant ces contraintes qu’ils acquièrent
une dimension prométhéenne.
À partir d’une lecture mythocritique de certaines œuvres de
J.R.R. Tolkien, David Eddings, Marion Zimer Bradley et Pierre
Grimbert, Marie Burkhardt montre que le schéma actantiel du
mythe originel peut très bien apparaître dans une œuvre sans que
les personnages ne portent explicitement le nom des personnages
mythologiques. L’essentiel est de retrouver les caractéristiques du
mythe de Prométhée. Le titre de l’article de Monica Latham « I
want to tell the story again », qui est aussi le titre du premier et du
dernier chapitre de Weight de Jeanette Winterson, résume en
quelques mots le travail de réécriture et de réinterprétation du
mythe dans la littérature postmoderne. En choisissant d’intégrer
certains éléments du mythe, notamment la force destructrice des
dieux, dans un genre hybride et dans un espace contemporain,
l’auteur de Weight contribue ainsi à le redynamiser. Thierry
Jandrok propose d’analyser les différentes formes de transgression
à travers diverses œuvres de science-fiction, The Stars my
Destination d’Alfred Bester, la nouvelle « Sandkings » de George
Martin et Blood Music de Greg Bear. Milena Leszman, quant à elle,
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examine l’ambiguïté du personnage féminin de The Robber Bride
écrit par Margaret Atwood, un roman qui emprunte les conventions
du genre gothique. Dans son article intitulé « Could Prometheus Be
a Woman », elle montre comment Atwood s’approprie le mythe de
Prométhée, à la fois créature et créateur, à travers l’héroïne, Zenia,
figure de la révolte et du mal. La même problématique
prométhéenne est mise en exergue par Karin Kukkonen qui
propose une lecture des différents niveaux narratifs et stratégies
mises en œuvre par Alan Moore dans sa bande dessinée Promethea.
Trois articles explorent le mythe du savant fou. Sophie
Mantrant nous le présente à travers le personnage du docteur
Raymond dans The Great God Pan d’Arthur Machen oscillant
entre le monde visible et invisible. Les articles de Jean-François
Chassay et celui de Bernard Andrieu nous plongent directement
dans l’imaginaire scientifique. Jean-François Chassay s’appuie sur
deux romans du XXe siècle, The Man Who Would Be God de
Haakon Chevalier et L’Œuvre au noir de Margueritte Yourcenar,
mettant en scène deux scientifiques. Bernard Andrieu s’intéresse
plus particulièrement à la figure de l’hybride qu’il analyse en
tissant un parallèle entre Prométhée et le monstre de Frankenstein.
Il s’interroge sur les caractéristiques et les ramifications de cette
figure dans le domaine littéraire, scientifique et artistique,
notamment dans le cinéma et l’art contemporain.
L’ouvrage se clôt sur quatre études portant sur divers champs
artistiques et sur le croisement des arts : représentions théâtrales,
danse, peinture, musique et cinéma. Eleni Papalexiou se penche sur
le travail de trois metteurs en scène contemporains, Robert Wilson,
Rodrigo Garcia et Jan Fabre. Elle étudie tout d’abord le spectacle
de Robert Wilson combinant des extraits du Prométhée enchaîné
d’Eschyle sur une musique de Yannis Xenakis et une palette de
couleurs réduite, puis présente le Paysage prométhéen de Jan Fabre
qui montre un héros ne parvenant plus à articler le langage verbal.
Enfin, dans Prometeo de Rodrigo Garcia, le Prométhée des temps
modernes est un corps souffrant. Hélène Marquié propose une
exploration du mythe de Prométhée dans la danse du XVIIe siècle
à nos jours. Elle s’interroge sur les divers aspects du mythe que les
chorégraphes ont retenus à travers l’histoire tout en soulignant les
raisons des incompatibilités des sujets mythologiques avec le
contexte historique. Dans son article intitulé « La couleur du son :
Delville et Scriabine, un défi prométhéen », Barbara Aniello se
consacre aux rapports entre la peinture de Jean Delville et la
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Créatures et créateurs de Prométhée
musique d’Alexandre Scriabine. Elle inscrit la figure de Prométhée
dans une perspective symboliste et décline la palette des couleurs
et des sons pour suggérer une union entre tous les arts, comme en
atteste également le Mysterium de Scriabine. Le dernier article,
celui de Cécile Marshall, nous fait découvrir le travail filmique de
Tony Harrison dont le long métrage Prometheus a été écrit et
réalisé en 1998. Le film qui entrelace divers genres et registres
narratifs et poétiques, explore le mythe de Prométhée à travers les
âges, de l’Antiquité aux années quatre vingt en Angleterre. Par les
différents niveaux de lecture qu’il suscite, il se lit aussi comme une
réflexion sur la création artistique. Comme l’écrit l’auteur de
l’article, « Prometheus est le fruit d’une longue recherche sur la
voix, le langage et la musique ».
Ainsi, l’histoire de Prométhée a fait et continue de faire l’objet
de nombreuses reprises témoignant de la vitalité du mythe dans la
culture occidentale. Si l’on retrouve d’un article à l’autre certain
des mêmes mythèmes, les différentes lectures auxquelles nous
convie ce volume attestent également les multiples variantes, les
innombrables réinterprétations et l’infini foisonnement que
l’histoire de Prométhée à su susciter au cours de ces derniers
siècles.
Créature de Prométhée, l’homme a su à son tour se faire luimême créateur, jusqu’à en oublier son propre statut d’humain et de
simple mortel. C'est dire à quel point les mythes fondamentaux,
ceux que l’on interroge inlassablement selon des prismes à chaque
fois renouvelés, constituent pour l’homme et pour l’artiste une
source d’inspiration inépuisable.
Claudine Armand
Pierre Degott
Jean-Philippe Heberlé

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