Le théâtre comique français et la représentation

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Le théâtre comique français et la représentation
discussions 5 (2010)
Goulven Oiry
Le théâtre comique français et la représentation de la ville:
rouages et usages d'un espace­miroir (1550–1630)
Résumé:
A la charnière des XVIe et XVIIe siècles, farceurs et acteurs comiques interviennent au cœur même de la ville: dans la rue, dans des collèges ou dans les premières salles spécifiquement dévolues à l 'art théâtral. En outre, de Cicéron aux humanistes de la Pléiade, le théâtre du rire est pensé comme le plus ›réaliste‹ des genres dramatiques: et c 'est à lui qu'il revient de représenter la vie urbaine.
A partir de textes comiques de la Renaissance et des débuts de l 'âge baroque, nous réfléchirons aux finalités sociales de la représentation, sur scène, de la cité. Le théâtre est le lieu où la ville se donne en spectacle. L '›écran‹ de la comédie nourrit la conscience et la compréhension que le public a de son espace.
Zusammenfassung:
Im späten 16. Jahrhundert traten die Schauspieler und Komödianten der Farce mitten in der Stadt auf, ob auf der Straße, in Kollegs oder in den ersten Theaterhäusern. Außerdem galt das Lustspiel, von Cicero bis zu den Humanisten der Pléiade, als die ›realistischste‹ aller dramatischen Gattungen: Ihm kam es zu, das Stadtleben darzustellen.
Die Textanalyse von Lustspielen aus der Frühen Neuzeit wird ermöglichen, die soziale Tragweite der theatralen Darstellung der Stadt auf der Bühne zu ermessen. Das Theater ist der Ort, an dem die Stadt sich zur Schau stellt. Insofern steigert die Komödie als eine Art Projektionsfläche beim Publikum das Bewusstsein und das Verständnis des eigenen Stadtraums.
Introduction
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»J 'ay tousjours ouy dire que Paris estoit le purgatoire des plaideurs, l 'enfer des mules et le paradis des femmes«1, s 'exclame le vieillard Girard dans la comédie d 'Odet de Turnèbe intitulée Les Contens (1584). Chacun sera libre d 'aller vérifier la pertinence de ces allégations: pour l 'heure, nous nous intéresserons à la dramaturgie comique , et à la façon dont elle représente la ville. Les recherches 2
Odet de Turnèbe, Les Contens, scène 6 de l 'acte IV; Paris 1983 (Société des Textes Français Modernes), p. 115.
1
Textes de référence:
L 'Andrie de Térence, traduite par Charles Estienne (1ère publication: 1542 / édition moderne: Luigia Zilli (éd.), Théâtre français de la Renaissance, La Comédie à l 'époque d 'Henri II et de Charles IX. Première Série, vol. 6 (1541–1554), Florence, Paris 1994);
L 'Eugène d 'Etienne Jodelle (1552 / Michael J. Freeman (dir.), Exeter 1987, Textes Littéraires, LXV)
La Trésorière et Les Esbahis de Jacques Grévin (1558 et 1560 / Elisabeth Lapeyre (éd.), Paris 1980, Société des Textes Français Modernes);
Le Brave de Jean­Antoine de Baïf (1567 / Simone Maser (éd.), Genève 1979, Textes Littéraires Français);
Les Corrivaus de Jean de La Taille (1573 / Denis L. Drysdall (éd.), Paris 1974, Société des Textes Français Modernes);
La Reconnue de Rémy Belleau (1577 / Jean Braybrook (éd.), Genève 1989, Textes Littéraires Français);
Le Laquais et Les Esprits de Pierre de Larivey (1579 / Madeleine Lazard, Luigia Zilli (éd.), 1987, Société des 2
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que nous avons engagées dans le cadre du doctorat nous amènent à poser frontalement la question du rapport entre espace et discours, entre spatialisation et sémantisation, entre la réalité spatiale et ses représentations sociales.
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Le théâtre comique de la Renaissance et de l 'âge baroque nous place en effet au cœur d 'une double préoccupation. Le théâtre est d 'abord un lieu concret: c 'est un espace social, situé au cœur de la ville. A la charnière des XVIe et XVIIe siècles, farceurs et acteurs comiques interviennent au cœur même de la cité: dans la rue, dans des collèges, ou dans les premières salles spécifiquement dévolues à l'art dramatique. Le théâtre comique, de surcroît, ›fabrique‹ de l 'espace. L 'art du théâtre repose sur la mise en scène, qui suppose elle­même une mise en espace. Le genre comique, en particulier, de Cicéron aux humanistes de la Pléiade, est pensé comme le plus ›réaliste‹ des arts dramatiques: et c 'est à lui qu'il revient de représenter la vie urbaine. Les traités de rhétorique et d 'architecture associent à la comédie un décor citadin. La ville est donc à la fois l 'espace où se tient la représentation et l 'espace représenté sur scène. Le théâtre s 'affirme comme »un lieu de parole dans la cité et sur la cité«3.
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Le spectacle comique de la Renaissance et des débuts de l 'âge baroque permet de faire jouer la notion d 'espace dans la pluralité de ses acceptions, et dans la variété de ses ›fonctionnements‹: espace réel, espace fantasmé; espace physique, espace symbolique; espace social, espace littéraire. A partir de textes comiques, nous réfléchirons à la spécificité du lieu théâtral au sein de l 'espace urbain. Il s 'agira en définitive d 'apprécier les finalités sociales de la représentation, sur scène, de la cité.
1. Le théâtre du rire: un spectacle vivant, pleinement inscrit dans
l 'espace urbain
<4>
Les farces, les sotties et les parades sont des spectacles comiques dont l 'origine remonte au Moyen Âge, et qui continuent à être joués tout au long de la Renaissance. Les farces agrémentent les fêtes Textes Français Modernes, et: Michael J. Freeman (éd.), Genève 1987, Textes Littéraires Français);
La Néphélococugie, ou La Nuée des cocus de Pierre Le Loyer (1579 / Miriam Doe, Keith Cameron (éd.), Genève 2004, Textes Littéraires Français);
Les Contens d 'Odet de Turnèbe (1584 / Norman B. Spector (éd.), Paris 1964, Société des Textes Français Modernes);
Le Fidèle et Les Tromperies de Pierre de Larivey (1611 / Paris 1989, Collection du répertoire. L 'Illustre­Théâtre , et: Keith Cameron, P. Wright (éd.), Exeter 1997, Textes Littéraires);
Les Œuvres de Tabarin avec les Adventures du capitaine Rodomont, la Farce des bossus et autres pièces tabariniques (1622 / Georges d'Harmonville (éd.), Paris 1858;
Charles Mazouer (éd.), Farces du Grand Siècle, Paris 1992, Le Livre de Poche classique.
3
Christian Biet, Christophe Triau, Qu 'est­ce que le théâtre?, Paris 2006 (Folio Essais), p. 189.
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carnavalesques religieuses et calendaires, mais aussi les réunions de corporations. Elles sont de mise aussitôt qu 'un groupe est rassemblé pour une occasion qui invite aux réjouissances. Elles interviennent ainsi lors de représentations publiques: lors des cérémonies officielles (mariage princier, entrée d'un haut dignitaire dans une ville), comme lors des événements les plus quotidiens (foires, marchés, noces). Elles sont pratiquées par des joueurs occasionnels, dont les basochiens sont la meilleure illustration: ces jeunes gens tapageurs sont des clercs, avocats ou procureurs, qui aiment à s'adonner à un théâtre turbulent et truculent, qui se produisent dans les Palais de justice de Paris, Toulouse, Bordeaux, Grenoble, Dijon, Poitiers ou encore Rouen.
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C'est du milieu des collèges que naît en France la révolution théâtrale de la seconde moitié du XVIe siècle: la comédie ›à l'antique‹ vient concurrencer la farce médiévale française. Les maîtres de ces collèges, qui sont autant d 'humanistes érudits, se livrent à un patient travail de traduction, de commentaire et d 'édition, jusqu 'à remettre en lumière la comédie ›à l'italienne‹ – que cette Italie soit celle des Latins ou celle de la Renaissance, celle de Térence ou celle de Machiavel. Pourtant, c 'est bien dans la rue qu 'est représentée pour la première fois une comédie sur le sol français: il s 'agit d 'une pièce de Bibbiena, la Calandria, jouée en 1548 à l'occasion de l 'entrée solennelle à Lyon de Catherine de Médicis et d 'Henri II .
4
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L 'art dramatique, dans la période qui retient notre attention, s 'intègre sans peine aux autres manifestations d 'une vie sociale qui est elle­même fortement théâtralisée. L 'écart est souvent faible entre la représentation et la réalité, entre la scène et la rue. Avant même de se constituer en genres littéraires, farces et comédies font pleinement corps avec une ville qui leur sert d 'écrin. Immergé dans la vie de la cité, le ›théâtre comique‹ renvoie à des lieux multiples: à l'espace social vers lequel converge un ›public‹, à l'espace matériel où le spectacle est joué (rue ou bâtiment), enfin au dispositif scénique proprement dit (tréteaux ou salle à l'italienne). Ce dispositif scénique fonctionne comme un système perceptif, sensoriel, cognitif: il impose un point de vue sur l 'action mise en scène. Or, de 1550 à 1630, le rire passe peu à peu de la rue à la salle5. L'espace public est le milieu ›naturel‹ de la farce: le spectacle se joue à l'air libre. L 'avènement de la comédie fait à l'inverse de l 'espace citadin un décor artificiel: le spectacle se donne dans un ›sanctuaire‹ clos. Ce nouvel agencement spatial comprend un caractère normatif et prescriptif plus nettement marqué: il constitue un modèle d 'ordonnancement de l 'espace, il en vient à fonctionner comme un vecteur de bonnes pratiques 4
Voir Charles Mazouer, Le Théâtre français de la Renaissance, Paris 2002 (Champion), p. 175.
Daniel Vaillancourt, Le spectacle du lieu public: éléments d 'esthétique urbaine, dans: Les arts du spectacle dans la ville (1404­1721), Paris 2001 (Colloques, congrès et conférences sur la Renaissance, 24), p. 205­236, ici p. 207.
5
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sociales. En rentrant dans les salles, le spectacle comique met progressivement en sourdine la verve bouffonne qui est l 'apanage de la farce: c 'est une comédie ›honnête‹, policée et érudite que l 'on cherche à imposer. Il complique de surcroît son rapport à la ville: laquelle est à la fois à l'extérieur et à l'intérieur du théâtre, re­présentée.
2. Le théâtre du rire, miroir de la ville
<7>
Les genres comiques revendiquent une fonction de miroir de la vie sociale. La comédie, en particulier, se définit comme imitatio vitae, speculum consuetudinis, imago veritatis: imitation de la vie, miroir des mœurs, image de vérité. Ces définitions, héritées de Cicéron6 et devenues topiques, sont relayées par la préface aux œuvres de Térence attribuée au grammairien Donat. La conception d 'une comédie­
miroir est reprise par les théoriciens humanistes, notamment par Jacques Peletier dans son Art poétique de 1555: »La Comédie a été dite par Live Andronique, le premier Ecriteur de Comédies Latines, le miroir de la vie: parce qu 'en elle s 'introduisent personnes populaires«7. Le dramaturge Jean de La Taille, auteur des Corrivaus (1573), assure en des termes comparables que sa pièce »représentera comme en un miroir le naturel & la façon de faire d 'un chascun du populaire«8. Quand il s'agira de caractériser la comédie, Molière et Boileau resteront fidèles à la métaphore9.
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La comédie nous donnerait ainsi accès à des comportements ›naturels‹. Elle se propose de nous faire entrer dans la vie conjugale, familiale ou professionnelle des protagonistes. Elle se définit par son ambition réaliste. Or la réalité dont le théâtre du rire vient témoigner est avant tout citadine.
<9>
Le spectacle comique reflète d'abord l 'espace urbain dans sa matérialité physique. Il offre une image de la topographie emblématique de la ville. Il dit aussi les perceptions ou les représentations fantasmatiques qui s 'attachent à une cité. La comédie française des années 1550­1630 met Paris à 6
Cicéron, De Republica, IV, 11 (le fragment manque dans le texte qui est parvenu jusqu'à nous).
Jacques Peletier, Art poétique, Second livre, chapitre VII, dans: Traités de poétique et de rhétorique de la Renaissance, Paris 1990 (Le Livre de Poche classique), p. 277.
7
8
Jean de La Taille, Les Corrivaus, (voir n. 2), Le Prologue, p. 57.
»Ce sont miroirs publics«, avance Uranie à la scène 6 de La Critique de l 'Ecole des femmes (Molière, Œuvres complètes, I, Paris 1971 (Bibliothèque de la Pléiade), p. 658). Dorante lui fait écho: Lorsque vous peignez les hommes, il faut peindre d'après nature. On veut que ces portraits ressemblent; et vous n'avez rien fait, si vous n'y faites reconnaître les gens de votre siècle« (ibid., p. 661). Boileau confirme: »Chacun, peint avec art dans ce nouveau miroir, / S 'y vit avec plaisir, ou crut ne s'y point voir: / L 'avare, des premiers, rit du tableau fidèle / D 'un avare souvent tracé sur son modèle; / Et mille fois un fat, finement exprimé, / Méconnut le portrait sur lui­même formé« (Nicolas Boileau, L 'Art poétique, chant III, vers 353–358; in: Satires, Epîtres, Art Poétique, Paris, 1985 (Poésie), p. 249).
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l'honneur: ses quartiers, ses ponts, ses églises, ses cabarets, ses lieux de prostitution (Champ­
Gaillard sur la rive gauche, Champ Huleu sur la rive droite), ses prisons (Conciergerie et Châtelet). Mais certaines des pièces de Pierre de Larivey – comme Les Tromperies – sont troyennes, La Reconnue de Rémy Belleau a pour cadre Orléans, La Néphélococugie de Pierre le Loyer nous fait entrevoir Toulouse. Les villes sont toujours plus qu 'un arrière­plan: elles sont un élément essentiel de la dramaturgie, un enchevêtrement de ruelles et de recoins qui permettent aux personnages de fomenter tromperies et complots. Dans Le Brave de Baïf, les protagonistes escaladent les toits des maisons, pour s 'espionner. Ce type d 'acrobaties citadines peut céder la place à des courses­
poursuites: à l'acte V des Contens d 'Odet de Turnèbe (1584), le domestique Antoine fait le tour des églises parisiennes de l 'actuel quatrième arrondissement (avec quelques détours possibles par les Ier, V et VI ), à la recherche de la fausse dévote Françoise. Les efforts du valet restent vains puisque e
e
l'entremetteuse Françoise, qui se fait passer pour prude, reste hors d 'atteinte. Mais les démarches d 'Antoine font l 'objet d 'un récit haletant:
<10>
»ANTOINE: J 'ay fait comme je pense près de deux lieuës depuis une heure par ceste ville pour trouver Françoise, mais au diable si je l 'ay peu jamais rencontrer. J 'ay esté en son logis, où j'ay trouvé une petite fille qui m 'a dit qu 'elle estoit allée ouïr le salut au Saint­Esprit. Où je suis allé en toute diligence, pensant l 'y trouver, mais elle n 'y estoit pas. De là j'ay esté à Saint­Jean, Saint­Gervays, Saint­Paul, Saint­Antoine, l 'Ave­Maria, pour voir si je la trouverois, d 'autant qu 'elle est plus souvent aux eglises qu 'à sa maison. Après, j 'ay passé par les Blancs­Manteaux, les Billetes, Sainte­Croix, et m 'en suis venu à Saint­Merry, Saint­
Jacques, Saint­Eustache, Saint­Germain, et autres eglises et lieux de devotion. Mais jamais je n 'ay trouvé personne qui m 'en peust dire certaines nouvelles«10.
<11>
Le spectateur de l 'époque déchiffrait instantanément les références: le jeu des repérages sollicitait sa connaissance pratique des lieux. Le lecteur ou l 'historien du XXIe siècle peut adopter un regard plus distancié sur ces allusions spatiales, et reconstituer la configuration du Paris religieux, voire bigot, de la fin du XVIe siècle. Mais la cartographie que dessinent nos pièces comiques est surtout d 'un autre ordre: le théâtre du rire s 'avère être à l'écoute des soubresauts de la ville comprise comme espace social et politique. Le »continent social«11 que fait émerger la comédie est d'essence éminemment urbaine. Les figures mises en scène sont de moyenne ou de basse extraction: membres du clergé, hommes d'armes, médecins, avocats, artisans, marchands, financiers, bourgeois, domestiques. Les titres des farces sont à cet égard évocateurs, ils font souvent référence à des types sociaux­
professionnels: Le Chaudronnier, Le Savetier et le Tavernier, etc. Ces représentants du peuple citadin 10
Odet de Turnèbe, Les Contens (voir n. 1), scène 1 de l 'acte V, p. 117–118.
11
Mazouer, Le Théâtre français de la Renaissance, (voir n. 4), p. 322.
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reflètent leur classe dans ce qu 'ils sont, dans ce qu 'ils font, dans ce qu 'ils disent. A la ville, la comédie emprunte ses mots: de la ville, elle restitue les langages, les argots, les facéties verbales, les jurons et exclamations. Le dramaturge Pierre de Larivey, notamment, met dans la bouche de ses personnages le parler de tous les jours, nous livrant un échantillon de la langue pratiquée à Paris dans les années 1570. Le langage est souvent imagé, et il paraît proprement jaillir de l 'existence urbaine. Dans Les Esprits, le maquereau Ruffin lance par exemple à l'amoureux Urbain: »Mon stile est des requestes du Palais, en baillant baillant«12. L 'expression, qui signifie ›donnant donnant‹, semble immédiatement traduire le comportement des avocats chicaneurs.
<12>
La parole dramatique témoigne donc, fût­ce sur un mode facétieux, des usages de la cité, des pratiques et des préoccupations des citadins. Elle rend compte de la vie des hommes, elle enregistre leurs disputes, elle prétend relayer commérages et histoires sulfureuses. Dans l '»avant­jeu« des Esbahis de Grévin, le bonimenteur éclaire par ces mots les intentions de l 'auteur:
<13>
»Mais il n 'a pas tant seulement / Osé mettre en escript la rue / Où il a ceste affaire veue, / Craignant leur donner quelque ennuy. / Ce nonobstant j 'ay sceu de luy, / Comme une chose bien secrette, / Que ceste Comedie est faicte / Sur le discours de quelque amour, / Qui s 'est conduit au carrefour / De Sainct Sevrin« .
13
<14>
La comédie se présente en quelque sorte comme la ›boîte noire‹ de la cité. L 'intrigue entend se faire l'écho des débats dont bruit la société. A quelles conditions les mariages peuvent­ils se conclure? Jusqu 'où l 'autorité des parents sur les enfants, des hommes sur les femmes, des maîtres sur les valets doit­elle aller? Comment articuler espace public et espace privé dans une ville où l'on vit constamment sous le regard d 'autrui? Faut­il se méfier de la rue, qui propage toutes les rumeurs, ou tirer parti de cette caisse de résonance, qui permet tous les stratagèmes? Comment préserver son honneur des atteintes de la calomnie?
3. Du miroitement: reflet authentique ou jeu de conventions?
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Quel crédit, toutefois, accorder à la prétention mimétique de la farce et la comédie? Le réalisme que met en œuvre la dramaturgie comique n 'est­il pas largement factice, car dépendant d 'un réseau de codifications? De fait, les villes dont nous parlions ne sont souvent qu 'esquissées, évoquées, 12
Pierre de Larivey, Les Esprits (voir n. 2), scène 4 de l 'acte I, p. 64.
13
Jacques Grévin, Les Esbahis (voir n. 2), Avant­jeu, vers 58–67, p. 89.
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stylisées. De la cité, avons­nous davantage que des contours, que la silhouette? La toile de fond qui représente un espace urbain est bien un décor de convention. Fondateurs, ce sont les Dix livres d 'architecture de Vitruve (1er siècle avant J.­C.) qui enseignent l 'art de bâtir les théâtres et d 'élaborer des décors. Trois types de scènes se trouvent distinguées. Chacune dessine un espace spécifique:
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»Il y a trois sortes de scènes, savoir: la tragique, la comique et la satyrique. Leurs décorations sont différentes en ce que la scène tragique a des colonnes, des frontons élevés, des statues et tels autres ornements qui conviennent à un palais royal. La décoration de la scène comique représente des maisons particulières, avec leurs balcons et leurs croisées disposés à la manière des habitations ordinaires. La scène satyrique est ornée de bocages, de cavernes, de montagnes, et de tout ce qu 'on voit représenté dans les paysages des tapisseries« .
14
<17>
La scène comique se confond avec un simulacre de place publique, laquelle vient contraster aussi bien avec le faste des palais de la tragédie (ville des puissants) qu 'avec le décor champêtre des drames satyriques. Grand lecteur de Vitruve, l 'architecte Sebastiano Serlio reprend ce schéma, avec une adjonction notable: le livre II de ses Sette Libri dell 'Architettura (traduits en France à partir de 1542) explicite l 'art et la manière de construire le décor comique suivant les lois de la perspective. La scène est imaginée pour faire évoluer des personnages citadins: avocats, marchands, parasites. Elle comprend nécessairement une série de maisons privées, un temple, une auberge et un lupanar (la casa della ruffiana). Un croquis accompagne le propos théorique. La Pratique pour fabriquer scènes et machines de théâtre (1637) de Nicola Sabbattini parachève ces recherches sur la construction des décors. Avec force indications géométriques, le technicien italien détaille les secrets qui permettent de ›fabriquer‹ une ville en trompe l 'œil. Les titres des chapitres du Livre premier sont éloquents à cet égard: »Comment dessiner des boutiques sur les façades droites et en perspective« (chapitre 21), »Comment figurer une place sur une façade en perspective« (chapitre 25) ou encore »Comment dessiner plusieurs rues en la perspective médiane moyennant un ou plusieurs points« (chapitre 28). Le décor articule un ensemble de rues, se conçoit comme un vaste carrefour autorisant les multiples mouvements des protagonistes. Mais cette illusion perspectiviste ne relève­t­elle pas de la pure modélisation? Livre­t­elle autre chose qu 'un leurre? La ville qui sert d 'arrière­plan à la comédie est­elle davantage qu 'une schématisation abstraite?
<18>
La question se décline en des termes comparables lorsque l 'on considère les personnages mis en Vitruve, Les Dix livres d 'architecture, Livre V, chapitre VI, »De la manière de bâtir le théâtre«; Paris 1979, p. 166–167.
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scène. Peut­on les confondre avec les acteurs réels de la vie urbaine? Chez Jacques Peletier, la vraisemblance attribuée à la comédie est corrélée au souci de peindre chacun selon son habitus social. Si la comédie est »miroir de la vie«…
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» […] c 'est à savoir, qu 'il faut faire voir bien oculairement l 'avarice ou la prudence des vieillards: les amours et ardeurs des jeunes enfants de maison: les astuces et ruses de leurs Amies: la vilenie et deshonnêteté des Maquereaux: la façon des Pères tantôt sévères, tantôt faciles: l 'assentation et vileté des Parasites: la vanterie et braveté d'un Soudard retiré de la guerre: la diligence des Nourrices: l 'indulgence des Mères« .
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<20>
On conviendra, à la lecture de cette liste, que les protagonistes sont tributaires des typologies éprouvées. Maris bernés, barbons décatis, prêtres paillards, amoureux malicieux, entremetteurs fourbes ou écoliers pédants: la comédie ne brosse guère de caractères proprement individualisés, elle emprunte à des stéréotypes littéraires. L'›espace social‹ qui est restitué peut­il dès lors être autre chose qu 'un espace autonome, purement fictionnel? Sommes­nous condamnés à échouer sur les apories, traditionnelles, du réalisme en littérature?
<21>
Cette ambiguïté est en fait l 'apanage du genre comique – pris entre la volonté de refléter la ›nature‹ pour faire ›vrai‹, et la nécessité de forcer le trait pour faire rire. Le genre comique doit faire face à cette double exigence, qu 'énonçait Cicéron à propos des anecdotes facétieuses:
<22>
»Exprimenda enim sunt et ponenda ante oculos ea quae videantur et verisimilia, quod est proprium narrationis, et quae sint, quod ridiculi proprium est, subturpia« 16.
»Il importe de représenter et de projeter sous les yeux des choses tout à la fois pétries de vraisemblance (ce qui est le propre du récit) et marquées de ce ridicule un peu prononcé (ce qui est le propre du comique).«
<23>
Comment imiter la réalité s 'il faut la distordre pour susciter l 'hilarité? Chaque pièce apporte une réponse particulière à cette question mais la tension est souvent dépassée: il n 'y a pas de manière plus efficace de faire rire que de transposer fidèlement une réalité qui est elle­même outrancière, 15
Peletier, Art poétique (voir n. 7), p. 277.
Cicéron, De Oratore. livre I­II, Cambridge Massachusetts, London 1942, réimpression 1996 (Harvard University Press), p. 337.
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excessive, délirante. Le grossissement des apparences sur la scène comique révèle la vérité essentielle: on rit non par les déformations des mœurs mais de leurs difformités observées très exactement. La comédie s 'adosse à une optique d 'ensemble sur la condition humaine: l 'homme et ses comportements sont en eux­mêmes désopilants17.
<24>
La dramaturgie comique, à la Renaissance, est l 'affaire de praticiens chevronnés. Elle demeure un jeu de lettrés. Elle relève d'une savante élaboration: elle projette sous les yeux du spectateur un décor de convention, elle actualise des motifs rhétoriques. Mais c 'est précisément par ces virtualités que le jeu théâtral peut circonscrire un petit pan d 'existence urbaine. La comédie déploie un espace ludique auquel croit le public, alors même qu 'il sait cet espace fictionnel. Miroir de la ville, la scène comique est un espace de divertissement que l 'on ne peut confondre avec le réel, mais que l 'on ne saurait prendre tout à fait pour une pure fantaisie. Quelle est donc la finalité de cet »espace dramatique« qui est »bien autre chose qu 'un lieu, puisqu 'il dépasse le lieu réel et le donne comme représentatif et/ou imaginaire«, pour reprendre les termes de Christian Biet et Christophe Triau 18?
4. Finalités du jeu spéculaire
<25>
Ces deux auteurs nous suggèrent des éléments de réponse: »l 'espace scénique organise les signes d 'un autre monde, les rend significatifs, et constitue ainsi cet autre monde, cet espace dramatique, et se donne la prétention d 'aider à mieux comprendre, ou à comprendre autrement, les signes du monde réel«19. Le spectacle comique concentre et diffracte le monde citadin – envisagé dans ses dimensions indissociablement physique, symbolique, sociale et politique. Mais en reflétant ses lieux, les discours et les usages de ses habitants, c 'est bien à la cité que la comédie tend un miroir. Si le théâtre du rire naît de la ville, il a pour vocation de faire retour vers le »public­population« 20. Le public est convoqué pour voir la ville sous une lumière neuve, pour en voir ressortir les traits saillants et signifiants. Le spectateur souscrit, consciemment ou non, à un pacte fictionnel: il va au théâtre pour voir autrement ce qu 'on voit hors du théâtre.
<26>
Le miroir offert par la comédie peut alors revendiquer ostensiblement son utilité pédagogique, et inviter au jugement critique: c 'est la peinture réaliste et souriante des travers humains qui autorise une 17
Voir Patrick Dandrey, Molière ou l 'esthétique du ridicule, Paris 2002.
18
Biet, Triau, Qu 'est­ce que le théâtre? (voir n. 3), p. 76.
19
Biet, Triau, Qu 'est­ce que le théâtre? (voir n. 3), p. 84.
L 'expression est empruntée à Michel Crespin, metteur en scène impliqué dans les »arts de la rue« contemporains (cité par Philippe Chaudoir, »Arts de la rue« et espace public, Barcelone 1999, p. 6).
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correction par l 'exemple. La corrélation entre la restitution fidèle du réel et les possibilités d 'enseignement moral se trouve soulignée par Pierre de Larivey:
<27>
»Considerant que la comedie, vray mirouër de nos œuvres, n 'est qu'une morale filosofie, donnant lumiere à toute honneste discipline, et par consequent à toute vertu, ainsi que le tesmoigne Andronique, qui premier l 'a faict veoir aux Latins, j 'en ay voulu jetter ces premiers fondemens, où j'ay mis, comme en bloc, divers enseignemens fort profitables, blasmant les vitieuses actions et louant les honnestes, affin de faire cognoistre combien le mal est à eviter, et avec quel courage et affection la vertu doibt estre embrassée pour meriter louange«21.
<28>
La farce ne voit pas aussi loin: la seule ›morale‹ qui triomphe à son terme est souvent celle de la roublardise. C 'est précisément cette désinvolture que lui reprochent les humanistes du XVIe siècle. A contrario, la comédie est définie comme l 'alliance du ›Moral‹ et du ›Ris‹. Ces intentions morales ne se traduisent pourtant que de façon ambiguë dans le fil des textes. Certes, les pièces sont émaillées d 'incises à caractère gnomique ou de ›sentences‹. Mais on reste sceptique quant à la portée didactique des comédies de la Renaissance: dans l 'attente du dénouement, la malice triomphe, le désir fait loi, le plaisir est roi. De façon générale, le dénouement lui­même n'est guère édifiant. S 'il met fin aux remous et à l'agitation, il ne châtie pas les amoureux trompeurs et libertins: il les marie. Il s 'agit donc moins de corriger à proprement parler que de transformer en spectacle comique le cynisme du monde comme il va. La structure (faussement) moralisatrice apparaît souvent comme un paravent commode susceptible de racheter la hardiesse du ton. Dès lors, en quel sens les genres comiques peuvent­ils être qualifiés de ›moraux‹? Nous esquisserons deux types de réponses, en forme d 'hypothèses.
<29>
a) La comédie comme mécanisme de sanction immanent à la vie urbaine
En 1542, dans l 'épître qui précède sa traduction de L'Andrie de Térence, Charles Estienne suggère une première piste de réflexion. L'humaniste révèle les fondements satiriques de la comédie latine – mais la remarque vaut également pour le théâtre du XVIe siècle, chez un traducteur qui s 'efforce de retrouver au cœur de la Renaissance le souffle de l 'art dramatique de l 'Antiquité:
<30>
»Les anciens poètes comiques n 'avaient point de coutume de feindre du tout leurs Pierre de Larivey, Le Laquais (voir n. 2), »A Monsieur d'Amboise, Advocat en Parlement«, p. 56–57. C'est nous qui soulignons.
21
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arguments, mais décrivaient assez apertement les choses qui avaient été faites, en nommant ceux mêmes qui les commettaient. Qui fut une manière de faire pour quelque temps assez profitable pour la cité, car par ce moyen chacun mettait peine à ne faire chose par quoi il pût être joué aux comédies«22.
<31>
En 1674, le théoricien René Rapin complète ce raisonnement:
»La comédie est une image de la vie commune: sa fin est de montrer sur le théâtre les défauts des particuliers, pour guérir les défauts du public, et de corriger le peuple par la crainte d'estre moqué«23.
<32>
Si l'on suit ces affirmations, la comédie­miroir jouerait de la peur d 'être raillé, de la menace d 'une réprobation collective24. C 'est par ce biais que le théâtre serait fondé à promettre »reformation de mœurs corrompues et lascives«25. Elément troublant: dans le fil de l 'intrigue, les personnages témoignent eux­mêmes de leur hantise d 'être brocardés. Dans Le Laquais de Pierre de Larivey, par exemple, Valère déplore les frasques de la jeune Françoise, fille du marchand Syméon:
<33>
»VALERE: Mais comme eussé­je jamais peu croire, si je ne l 'eusse veu, que Françoise eust esté tant forte et courageuse, et eust eu si peu de respect à son honneur? Hélas! que dira­
on par la ville quand on sçaura que la fille d 'un tel marchant s 'en est fuye avec je ne sçay quel Italien et s 'est retirée en la maison d 'un cardinal? On en fera des comedies«26.
<34>
La comédie semble remonter ici à ses origines fantasmatiques. Elle s 'érige en épée de Damoclès capable de restituer les ridicules des comportements, capable de reproduire les tares des contemporains. Il appartiendrait alors aux citadins de prévenir la honte qu 'il y a de se trouver moqué sur scène. Le théâtre comique est plus qu 'un discours sur la ville: il voudrait s 'affirmer comme une Charles Estienne, L 'Andrie (voir n. 2), »Epître du translateur au lecteur, en laquelle est déclarée la manière que les anciens ont observée en leurs comédies«, p. 25.
22
René Rapin, Réflexions sur la Poétique de ce temps et sur les ouvrages des Poètes anciens et modernes; Paris, Genève 1970 (Textes Littéraires Français), p. 114.
23
Molière avancera également dans la préface à l 'édition de 1669 du Tartuffe: »Les plus beaux traits d'une sérieuse morale sont moins puissants, le plus souvent, que ceux de la satire; et rien ne reprend mieux la plupart des hommes que la peinture de leurs défauts. C 'est une grande atteinte aux vices que de les exposer à la risée de tout le monde. On souffre aisément des répréhensions; mais on ne souffre point la raillerie. On veut bien être méchant; mais on ne veut point être ridicule.« (Molière, Œuvres complètes, (voir n. 9), p. 885).
24
25
Estienne, L 'Andrie (voir n. 2), p. 26.
26
De Larivey, Le Laquais (voir n. 2), scène 2 de l 'acte IV, p. 162.
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instance régulatrice ou un mécanisme de sanction immanent à la vie urbaine. Cette velléité se concrétise­t­elle, ou reste­t­elle au stade de la déclaration d'intention? Saurait­on confondre la représentation et la réalité des effets qu 'a pu avoir le spectacle comique sur son public? L 'interprétation de la comédie comme miroir et sanction au sein même de la société urbaine demanderait à être mise à l'épreuve de sources autres que les seuls textes littéraires. Peut­être se donnerait­on alors une chance d 'étayer les réflexions de Bergson, qui caractérisait la comédie comme »une espèce de brimade sociale«, susceptible de faire »planer sur chacun, sinon la menace d 'une correction, du moins la perspective d 'une humiliation qui, pour être légère, n'en est pas moins redoutée«27. Le philosophe précisait: »l 'objet du rire étant cette correction même, il est utile que la correction atteigne du même coup le plus grand nombre possible de personnes. Voilà pourquoi l'observation comique va d 'instinct au général«28.
<35>
b) La comédie: scène psychique renvoyant la société à ses contradictions mais espace cohésif
›Moral‹, le théâtre comique l 'est assurément si l 'on veut bien comprendre le terme de ›morale‹ en un sens large: développer l 'ambition de faire connaître la condition humaine dans sa complexité. Le théâtre fonctionne comme un espace susceptible de mettre la société urbaine face à ses contradictions. La ›catharsis comique‹ aide le corps social à prendre conscience de ses blocages. La comédie est conçue comme une scène psychique: utopie carnavalesque, elle voit les fils se moquer des pères, les domestiques se jouer des maîtres. Mais la comédie n 'autorise que de façon provisoire le triomphe de la folie, de la marginalité ou de la jeunesse: les excentriques sont rappelés à l'ordre et doivent finir par faire allégeance aux lois sociales. Le temps d 'un spectacle, elle aura orchestré ›pour de rire‹ le renversement des valeurs ou des positions, et de ce fait assuré une fonction de défoulement collectif, d 'où l'ordre sort en fin de compte renforcé. Le défi temporaire lancé aux conventions sert de dérivatif aux tensions occasionnées par les contraintes que toute société se donne. Rappelons­nous ces mots de Montaigne:
<36>
»Les bonnes polices prennent soing d 'assembler les citoyens et les r 'allier, comme aux offices sérieux de la dévotion, aussi aux exercices et jeux; la société et amitié s 'en augmente. Et puis on ne leur sçaurait conceder des passetemps plus reglez que ceux qui se font en presence d 'un chacun et à la veuë mesme du magistrat. Et trouverois raisonnable que le magistrat, et le prince, à ses despens, en gratifiast quelquefois la commune [le peuple], d 'une affection et bonté paternelle; et qu 'aux villes populeuses il y eust des lieux destinez et disposez pour ces spectacles: quelque divertissement [ce qui détourne] de pires 27
Henri Bergson, Le Rire, Paris 2004 (Quadrige), p. 103.
28
Bergson, Le Rire (voir n. 27), p. 130.
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actions et occultes«29.
<37>
Les autorités politiques doivent tolérer et contrôler les jeux théâtraux: un ›passetemps‹ correctement encadré permet de canaliser les pulsions délétères et d'éloigner le spectre de ›pires actions‹. Réjouissances rituelles riment avec désobéissance virtuelle. Au Moyen Âge et à l'époque moderne, si les pouvoirs politiques cherchent à organiser le spectacle comique, c 'est que le théâtre du rire semble susceptible d 'exorciser – ou de faire oublier – les conflits. Le lieu théâtral est le lieu de la coprésence et de l 'intégration, c 'est un lieu où l'on se réunit et où l'on vient pour cela même. C 'est un espace de sociabilité festive: le spectacle de comédie semble donner corps à la communauté, autour du partage d 'un rire. Le lieu théâtral s 'affirme comme un nœud de fréquentations sociales, et finalement comme un système stabilisateur. Cette virtualité se trouve renforcée par le fonctionnement même de l 'espace dramatique. Le genre comique déploie un espace rêvé, orchestre la dynamique d 'un rassemblement: c'est l 'harmonie qui triomphe généralement au dénouement. A l 'heure où les guerres de religion font rage, la scène comique est d 'autant plus prisée qu 'elle projette l 'image mythique d 'une cité unie par­
delà ses divisions et ses scandales. En somme, le spectacle comique est à la fois un champ et un miroir de signes: il sait capter et exprimer des valeurs cohésives, et le miroir de la dramaturgie trouve peut­être là sa finalité ultime.
Conclusion
<38>
Farces et comédies naissent de la ville; elles sont représentées par la ville et pour la ville. Le ›théâtre comique‹ est le jeu au cours duquel se trouve représentée la vie urbaine, dans ses vicissitudes facétieuses. Espace de la représentation, espace de pensée ou espace de réflexion, la comédie semble être un ›lieu‹ privilégié de la conscience de la cité. L 'écran de la comédie nourrit la compréhension critique que le public a de son espace: la ville s 'y donne en spectacle, c 'est­à­dire s 'y regarde, s 'y joue, s 'y met en question. De nos jours, dans la multiplicité de ses facettes, le spectacle comique suggère même des usages renouvelés de l 'espace citadin. Les fêtes de villes expérimentent de nouvelles formes d 'urbanité. ›Relire‹ la ville à travers le prisme du théâtre semble souvent permettre de redéfinir de façon critique ce qu 'est son ›identité‹: dans les sociétés contemporaines, l'aura d 'une cité repose largement sur des stratégies de mise en scène, dont les fêtes publiques ne sont que les manifestations les plus visibles.
Auteur:
Goulven Oiry
Université Paris VII
29
Michel de Montaigne, Essais, I, 26; Paris, 1965 1999 (Quadrige), p. 177.
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