Manager les personnels ATTEE des collèges en situation de double

Transcription

Manager les personnels ATTEE des collèges en situation de double
Manager les personnels ATTEE des collèges en situation de
double autorité ou les paradoxes d’un risque également
source d’opportunité
Aurélien RAGAIGNE, CEREGE (Université de Poitiers)
20 Rue Guillaume VII Le Troubadour - BP 639
86022 POITIERS Cedex
[email protected]
Résumé. Notre travail vise à tenter de répondre à la question suivante : comment sont managés les personnels
Adjoints Techniques Territoriaux des Etablissements d’Enseignements affectés dans les collèges ? Ces
personnels sont en effet en situation de double autorité à la fois, hiérarchique provenant du Président du Conseil
Général et fonctionnelle par l’intermédiaire du chef d’établissement et du gestionnaire des collèges. Pour ce
faire, nous centrons notre analyse en présentant les risques et opportunités associés à cette situation. L'objectif
est de travailler sur la question de la coordination de personnels en situation d’autorités multiples et d'en faire
ressortir les capacités d’actions pour les acteurs. Ce sujet trouve un ancrage académique au travers de la théorie
de la double contrainte. Nos données montrent que le management de ces personnels comporte des risques.
Cependant, le volet dysfonctionnel de la double autorité apparait en même temps, source d’opportunités pour les
acteurs.
Mots clés. Autorité ; Collèges ; Bateson ; Théorie de la double contrainte ; Espace de
discussion
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1. Introduction
S’il est un principe de management dont les origines sont anciennement ancrées, il s’agit bien
du principe d’unité d’autorité. En tant que Directeur général de la compagnie CommentryFourchambault-Decazeville, Henri Fayol décrit dès 1916 dans son ouvrage Administration
Industrielle et Générale, l’intérêt de ce principe dans le cadre de la fonction administrative :
« Pour une action quelconque, un agent ne doit recevoir des ordres que d’un seul chef »
(p.55). Pour Fayol, un subordonné ne doit se référer qu’à un seul supérieur et en recevoir
toutes les instructions. Dans cet esprit, il s’agit d’éviter le commandement multiple, source de
difficultés de management et de conflits qui entravent l’action et le contrôle. Le pouvoir
hiérarchique unique est ainsi présenté comme facilitant la clarté de la répartition des tâches.
Dans le cadre du management, différentes situations ne sont pourtant pas en accord avec ce
principe d’unité de commandement. A titre d’exemple, la mise en place de structures de type
matricielles avec des correspondants fonctionnels relevant de l’autorité d’une direction (ex. :
direction des ressources humaines) et également de service opérationnel où est affecté le
correspondant, relève d’une dualité d’autorité.
De même, les structures de type projet mobilisant des compétences issues de différents
services au travers de l’intervention d’un chef de projet en situation d’autorité fonctionnelle
constitue un autre exemple d’exception au principe d’unité de commandement.
Ces cas de figure ont cependant, la particularité d’être choisi par l’organisation. Nous
faisons le choix d’étudier dans cet article, le management des personnels Adjoints Techniques
Territoriaux des Etablissements d’Enseignements affectés dans les collèges. Ces personnels
territoriaux contribuent à la qualité de l’accueil et du cadre de vie de l’établissement en
assurant l’accueil, l’entretien des locaux, la sécurité, le service de restauration, la protection
sanitaire et sociale et, dans les internats, l’hébergement des élèves des collèges. Ces
personnels sont en situation de double autorités à la fois, hiérarchique provenant du Président
du Conseil Général (en charge par exemple des volets recrutement, gestion de la carrière,
rémunération, évaluation) et fonctionnelle par l’intermédiaire du chef d’établissement et du
gestionnaire des collèges (chargés de gérer le fonctionnement du service et d’encadrer et
d’organiser la répartition des tâches). Cette situation duale est la résultante de l’application de
l’Acte 2 de la décentralisation relative aux « libertés et responsabilités locales » du 13 août
2004.
Notre travail vise à tenter de répondre à la question suivante : comment sont managés les
personnels des collèges en situation de double autorité ? Pour tenter de répondre à la question
posée, nous avons interviewé 24 acteurs ayant des fonctions et positions hiérarchiques
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différentes. Nous centrons le propos de cet article sur la présentation des risques et
opportunités associés à cette situation. Notre objectif est de travailler sur la question de la
coordination de personnels en situation de double autorité et d'en faire ressortir les capacités
d’actions pour les acteurs.
Les risques associés à cette situation ont fait l’objet régulièrement d’interventions
médiatisées notamment lors de la mise en place de la loi de décentralisation (au travers de
reportage télévisé, d’articles de journaux, de rapports publics ou de débats parlementaires).
Ainsi, si les risques ont largement fait l’objet de médiatisation, les aspects opportunités
associés à cette situation ont peu fait l’objet d’interrogation. Nous tenterons de développer ce
point en sollicitant les travaux de la double contrainte (double bind développé par Grégory
Bateson) complété par le concept d’ « espaces de discussion » présenté par Mathieu
Detchessahar (2007).
La confrontation des données empiriques collectées et de ce regard académique permet de
mieux identifier les risques bloquants. Cependant, il apparait que le volet dysfonctionnel de la
double autorité est paradoxalement en même temps, source d’opportunités pour les acteurs.
Par la mise en place de temps de discussion et de reconnaissance mutuelle, ces initiatives
permettent de clarifier les positions respectives des acteurs autant que de les rassurer sur les
intentions.
2. Le cadre du management des personnels ATTEE : quelques repères légaux et
règlementaires
En application de la loi n° 2004-809 du 13 août 2004 relative aux « libertés et responsabilités
locales », environ 90 000 agents de l'Education nationale ont été transférés vers les
collectivités locales à partir du 1er janvier 2006. Ce transfert s’est effectué en plusieurs phases,
et depuis le 1er janvier 2009, les Conseils Généraux (devenus récemment Conseils
départementaux) sont les employeurs de ces personnels devant exercer leurs missions dans les
Etablissements Publics Locaux d'Enseignement (EPLE) ; ces agents ayant à l’origine un droit
d’option avec la possibilité de choisir de rester fonctionnaires d'Etat avec détachement ou de
devenir fonctionnaires territoriaux. Les collectivités ont ainsi reçues par cette loi, les missions
d’accueil, de restauration, d’hébergement ainsi que d’entretien et de sécurité des collèges.
Afin de faciliter la coordination des activités entre EPLE et Conseil départemental, les
décrets d’application n°2005-1631 et n° 2007-913 sont venus préciser quelques éléments de
répartition du champ de compétences de chaque autorité. Le Chef d’établissement et Adjointgestionnaire ont ainsi pour rôle d’encadrer et d’organiser le travail des personnels
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(organisation des plannings, répartition des tâches, …). A titre d’exemple, l’article 19 du
Décret n°2005-1631 précise que « le gestionnaire est chargé sous l'autorité du chef
d'établissement, des relations avec les collectivités territoriales pour les questions techniques
et il organise le travail des personnels » (article 19). A contrario, le Conseil départemental
assure le recrutement et la gestion des personnels en tant qu’employeur : « Les Départements
ou les Régions assurent également : le recrutement, la rémunération et la gestion des
personnels exerçant leurs missions dans les établissements. Les personnels restent membres
de la communauté éducative et concourent directement aux missions du service public »
(article 82). Une convention entre l’EPLE et le Conseil départemental est prévue à l’article
82-10 de la loi n°2004-809 du 13 août 2004 afin de préciser le cadre de cette coordination
entre EPLE et Conseil départemental.
Enfin, le Décret n°2007-913 est venu précisé le cadre d’emploi des Adjoints Techniques
Territoriaux des Etablissements d’Enseignements (ATTEE): « Les ATTEE sont chargés des
tâches
nécessaires
au
fonctionnement
des
services
matériels
des
établissements
d'enseignement, principalement dans les domaines de l'accueil, de l'entretien des espaces
verts, de l'hébergement, de l'hygiène, de la maintenance mobilière et immobilière, de la
restauration et des transports » (article 3).
Les Chefs d’établissement et les Adjoints-gestionnaires étant personnels de l’éducation
nationale, il y a principe d’une double autorité sur ces agents, tant fonctionnelle (via
l’intervention du Chef d’établissement et de l’Adjoint-gestionnaire des collèges) que
hiérarchique (Président du Conseil général et par délégation le Directeur Général des
Services). Or, ces deux autorités sont chacun responsable des agents placés sous leurs
responsabilités.
Afin de mieux situé le positionnement de chaque acteur, la figure 1 ci-après situe les
principaux acteurs de ce management.
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Figure 1. Les acteurs en charge de la gestion des personnels ATTEE
Conseil Départemental
(autorité hiérarchique)
EPLE
(autorité fonctionnelle)
Président du Conseil Général
Chef
d’établissement
Directeur Général des Services
Directeur Général Adjoint en charge éducation
Adjointgestionnaire
Directeur des Ressources Humaines
Responsable service
éducation
Gestionnaire chargé
des ATTEE
Agents ATTEE
Cette représentation des acteurs n’est pas limitative. D’autres acteurs interviennent dans la
chaine d’autorité comme par exemple, les responsables académiques ou les représentants
syndicaux qui accompagnent les agents lors de rencontre avec l’autorité fonctionnelle par
exemple.
Il convient également de souligner la diversité d’organisation notamment dans les Conseils
départementaux. Nous reviendrons sur ce point plus loin. Le rôle de chacun n’est lui-même
pas stabilisé. Par exemple, un gestionnaire chargé des ATTEE peut avoir pour rôle de mettre
en place les procédures de gestion et d’assurer le suivi des dossiers de recrutement,
d’évaluation, de notation, d’avancement par exemple. Son rôle peut être plus limité
notamment compte tenu de l’emprise de l’action des services ressources humaines.
3. La démarche méthodologique
En préambule de cette section, il convient de justifier nos choix méthodologique. En effet,
nous avons écarté de cette analyse la relation entre les EPLE et les Conseils Régionaux
concernant les personnels affectés dans les lycées. Il nous apparait en effet, que cette relation
relève d’une organisation différente du fait de la présence d’agents chargés de coordonner
l’action de la collectivité dans chaque établissement (communément appelé « Agent-chef »).
Cet agent de coordination dispose d’un rôle de management des activités. Or, les Conseils
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départementaux étudiées ne disposent pas de ces agents de coordination, d’où l’absence de la
présence d’un représentant de la collectivité sur le terrain de l’EPLE.
Par ailleurs, il nous a semblé important d’effectuer des entretiens semi-directifs auprès
d’acteurs ayant des positions hiérarchiques différentes. Nous avons ainsi réalisé des entretiens
semi-directifs en interaction permettant d’accéder au sens que les acteurs donnent à leurs
pratiques. D’après Gavard-Perret & al. (2008, p.88), « l’entretien se caractérise par une
rencontre interpersonnelle qui donne lieu à une interaction essentiellement verbale : les
données collectées sont donc coproduites ». Vingt-quatre entretiens semi-directifs ont ainsi
été effectués. Le tableau 1 ci-après synthétise les entretiens effectués en quatre catégories de
personnel.
Tableau 1. La liste des entretiens effectués
Types d’acteurs
Nombre
d’entretiens
Conseil
Départe- Responsables de service et Chargés de mission
mental
EPLE
8
Directeur (DGA et DGS)
4
Agents
3
Adjoint-gestionnaires et principaux
9
Ont été effectué des entretiens auprès de Chefs d'établissement, de personnels ATTEE,
d’Adjoints-gestionnaires et de responsables de services de structures départementales
(principalement service ressource humaine et éducation). A cette occasion, des données
secondaires comme par exemple les conventions de partenariat ou les dispositifs d’évaluation
ont été collectées. Ces données constituent des sources complémentaires d’informations.
L’Annexe 1 synthétise les items du guide d’entretien. Les entretiens durent environ 1 à 2
heures et sont articulés autour de trois temps : un premier temps centré sur compréhension des
éléments de contexte (EPLE, Conseils Départementaux) puis une interrogation sur les items
en liens avec la vie des personnels (recrutement, évaluation, mobilité …) ; enfin, un troisième
temps consacré à la présentation des modes d’interaction entre structures (centrés
principalement sur les dispositifs de contractualisation et de dialogue). Cette structure permet
d’identifier les moments de gestion de cette dualité d’autorité où les risques et opportunités
peuvent apparaitre.
Concernant le volet académique, nous faisons le choix d’interpréter ces données
empiriques collectées au travers d’un corpus de littérature touchant le problème de l’autorité,
de la prescription et de la contrainte. De notre point de vue, le sujet du management de
personnels en situation de double autorité trouve un ancrage académique au travers de la
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théorie de la double contrainte, théorie double bind développée par Grégory Bateson (1956 ;
2008). La double contrainte désigne une situation de paradoxe imposé où deux injonctions
contradictoires sont reçues (ex : injonctions données par le Chef d’établissement et les
services des Conseils départementaux). Ces injonctions, s’interdisant mutuellement, induisent
une impossibilité de les exécuter sans contrevenir à l’une des deux. En guise d’illustration,
Bourguignon (2003) souligne la double contrainte imposée sur les personnels, résultant de
l’injonction de conformité et celle de l’autonomie.
Nous procédons ainsi dans la prochaine section à la présentation des risques et
opportunités perçus par les acteurs en interprétant ces données empiriques à partir d’un regard
académique portant sur la théorie de la double contrainte combinée au concept d’ « espace de
discussion » développé par Mathieu Detchessahar (2007).
4. La problématique du management des personnels ATTEE : une relation d’autorité
source de risque et d’opportunité
Les données collectées sont présentées en deux temps : dans une première section, nous
évoquerons les difficultés et risques associés à cette dualité perçue par les acteurs interrogés.
Le second temps sera consacré au développement des éléments d’opportunités.
4.1. De réels risques associés à cette dualité d’autorité …
Le premier constat à poser porte sur la complexité même des organisations mises en place
pour la gestion de ces personnels. La difficulté porte ainsi sur la gestion d’une multitude
d’acteurs. En effet, l’organisation des collectivités en charge de ces personnels apparaît
complexe, notamment dans la répartition des fonctions respectivement assumées par les
services éducation et ressources humaines en charge de ces personnels. Il convient de préciser
qu’il n’y a pas une homogénéité d’organisation entre départements, certains faisant le choix
d’une gestion centralisée à la Direction des Ressources Humaines, d’autres d’une fonction
déléguée ressources humaines déconcentrée au sein de la direction éducation, d’autres encore
partageant ces missions avec des degrés variables de formalisme. Cette diversité apparait
notamment au niveau de la ligne hiérarchique ce lien variant entre une ligne directe du
Responsable éducation ou du Directeur ressources humaines, d’un Directeur Adjoint, voire
d’une combinaison de ces responsables selon les enjeux des items concernés.
De cette complexité, il en ressort tout d’abord, une difficulté dans la compréhension des
rôles de chacun qui se manifeste par exemple dans les discours par la perte de repères des
Adjoints-gestionnaires : « Je sais jamais trop qui appelé » (Mme MG, Adjoint-gestionnaire).
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« On sait plus à quelle porte ou taper car nous ne sommes pas que en charge des ressources
humaines. Il y a une multitudes d’interlocuteurs » (Mme AT, Adjoint-gestionnaire). Ce point
est évoqué à l’occasion notamment de la gestion de remplacements de longue durée assuré par
des contrats temporaires impliquant l’intervention successive des équipes ressources
humaines (qui se décomposent en sous service tel que paye, remplacement et emploi) et du
service éducation. Les agents et les autorités fonctionnelles se retrouvent en effet dans des
situations complexes à la problématique des interlocuteurs multiples dont la coordination
parfois hésitante peut être source de dysfonctionnements et de risques réels. Dans ce cas, le
mode de résolution de ces difficultés porte sur l’action de l’Adjoint-gestionnaire chargé
finalement d’assurer la coordination des services départementaux.
De la multiplication des acteurs, il en ressort également un risque de « court-circuitage ».
Ce point apparait dans le discours au travers du manque d’informations des autorités
fonctionnelles par rapport aux agents départementaux : « Le problème c’est la
communication. Les agents ont des informations (du Conseil départemental) que nous
n’avons pas, nous ne sommes pas destinataires directement, cela pose problème. Certains
agents appellent directement et disent, « on m’a dit que ». On se retrouve en difficulté. (…) Il
faudrait l’information en même temps. Certaines personnes en tirent profit. Il faut téléphoner.
J’appelle la référente du service des collèges » (M GB, Adjoint-gestionnaire).
Ces cas de court-circuitage apparait plus problématique en cas de conflits internes entre
l’agent et le Chef d’entreprise ou l’Adjoint-gestionnaire : « Quand les salariés se plaignent,
ils se plaignent au-dessus, rarement à nous. Si avec des personnels enseignants, en général
on voit venir le délégué syndical qui vient nous voir. Chez les personnels ATTEE, c’est rare
car il y a peu de délégué du personnel. Nous sommes court court-circuité dans le temps, Il
pourrait venir nous voir avant, mais il préfère faire un courrier direct » (M EM, Chef
d’établissement).
La difficulté porte alors sur l’action d’un acteur cherchant à tirer parti de la situation
d’absence d’information : « J’aurais dû être sollicité en direct avec les agents en direct mais
cela n’a pas été le cas. Il y en une qui m’a sollicité et une autre qui est allé voir la référente
territorial » (AM, Adjoint-gestionnaire).
Pour résoudre ces difficultés, le mode de gestion apparait principalement organisé par une
coordination d’action entre service Conseil départemental and EPLE. Cette gestion d’une
double autorité apparait source de risque de gestion du fait d’une multitude d’acteurs
intervenant dans la chaine d’autorité. Si l’autorité hiérarchique du département est bien
unique, ses composantes sont en réalité multiples selon les moments de la vie professionnelle
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de l’agent en poste. Or, selon les degrés de transversalité et de coordination interne à la
collectivité, cette multiplicité d’interlocuteurs peut ainsi devenir un facteur d’instabilité. Les
acteurs sont alors amenés à développer un système chaotique d’ajustement faisant intervenir
des espaces non formalisés de discussion entre acteurs. Nous reviendrons plus loin sur ce
concept.
Au-delà de la multitude des interlocuteurs, c’est également l’absence de hiérarchie entre
les autorités qui caractérise cette relation avec une autonomie des EPLE et leur indépendance
vis-à-vis des départements. Cette organisation génère en effet, des modes de fonctionnement
plus complexes que celui fondé sur la simple transmission hiérarchique de consignes visant à
décliner de manière homogène le cadre fonctionnel devant s’appliquer sur l’ensemble d’un
parc de bâtiments ou sur les services apportés. Ce point est notamment évoqué dans les
pratiques de correspondance de la Direction ressources humaines. « La DRH, ils ont tendance
à faire des notes comme des chefs de service. Or, le Chef d’établissement nous le rappelle
souvent. Vous n’avez pas autorité, nous sommes indépendant autonome » (Mme FM,
Responsable du service éducation). Ce point est également évoqué dans le cadre d’une autre
collectivité : « Une DRH, ce n’est pas fait pour parler à des collèges par ce que sa relation à
son service, c’est quelque part une relation hiérarchique, nous en tant que cadre de la
collectivité, un DRH dit, alors on fait. Un chef d’établissement, il n’accepte même pas qu’on
lui parle de cette manière-là » (M JML, DGA en charge de la politique éducation).
Face à ces difficultés de correspondances, les services éducation ont été amené à ajuster
leurs actions par une activité de proximité (voire de rectification) auprès des EPLE : « On
rattrape encore des coups qui partent de la DRH en oubliant que pour les personnels des
collèges, la règle édictée ne s’applique pas. On s’adapte au quotidien » (Mme MC B,
Responsable éducation)
L’autonomie de l’EPLE et du Conseil départemental est alors perçue comme à risque pour
les acteurs. L’autre exemple pouvant être évoqué porte sur la confrontation de logiques
contradictoires lors du recrutement d’un personnel titulaire par exemple avec une collectivité
souhaitant privilégier des problèmes de reclassement et l’autorité fonctionnelle souhaitant
faire primer le recrutement d’un contractuel donnant satisfaction dans l’établissement :
« L’impact le plus, c’est le recrutement sur poste permanent avec EPLE. On a des difficultés
quand le service RH veut faire primer une problématique de mobilité interne entre
établissement ou d’un enjeu collectif face à des chefs d’établissement qui ont leurs logiques
immédiat établissement avec des contractuels de longue durée qu’ils auraient souhaité
conserver en titulaire. C’est là où cela peut frotter de temps en temps. […] C’est la spécificité
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collège imposant à des EPLE où nous n’avons pas d’autorité hiérarchique du département.
C’est plus facile de dire à un chef de service de lui dire, c’est le patron qui a décidé, c’est
comme ça. On peut moins le dire à un chef d’établissement. Des fois, cela peut frotter » (Mme
MP, Responsable de service éducation).
Dans ce cas, le mode de résolution porte sur la logique de compromis à partir d’une
résolution dans le temps en privilégiant une solution plutôt qu’un autre, moyennant un
compromis pour l’avenir (ex. : définition d’une période d’essai, futur recrutement en
externe) : « A un moment, on trouve un point d’entente » (GM B ; Adjoint gestionnaire). Cette
absence de ligne hiérarchique entre structures porte également difficulté sur les départs en
formation avec la présence de logiques de compromis.
Comme nous le voyons dans les exemples cités, cette dualité hiérarchique pose des
difficultés de dialogue et de coordination amenant à des risques pour les acteurs. Ces risques
de gestion sont d’autant plus important qu’ils s’accompagnent d’une absence d’autorité
hiérarchique entre EPLE et Conseil départemental avec une multitude d’acteurs devant géré
cette dualité d’autorité. La question du degré d’intervention de la collectivité dans la vie de
l’établissement et notamment des frontières à poser avec le volet pédagogique est par ailleurs
un sujet récurrent de cette construction.
Sur ce plan, la présentation de ces difficultés apparait connectée au cadre de la théorie de la
double contrainte. Appliqué au management des personnels ATTEE, cette théorie met en
avant des situations de contradictions trouvant des solutions de compromis ou d’ajustement.
Au-delà du constat de la présence simultanée de deux éléments exclusifs (acceptation), le
mode principal de gestion de ces paradoxes consiste à créer une nouvelle perspective qui
parvienne à englober les deux éléments exclusifs. Watzlawick (1991) explique qu'on ne sort
d'une boucle paradoxale (double contrainte) que par un recadrage, permettant une lecture de la
situation à un niveau différent (par une synthèse). Comme nous le percevons, cette logique de
synthèse apparait dans le propos des acteurs par la présentation de mécanismes d’ajustement
via le développement d’un espace de discussion entre acteurs. Les espaces de discussion (pris
dans un sens large incluant les discussion informelles entre acteurs) apparaissent comme des
lieux d’expression, de confrontation et de dépassement des logiques propres à chaque partie
prenante permettant de lever les éventuelles contradictions entre injonctions (Detchessahar,
2007). Ils sont d’autant plus nécessaires quand les transformations des organisations font
évoluer les rôles et les positions des acteurs et demandent un accord autour de nouvelles
règles du jeu.
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4.2. … paradoxalement, sources d’opportunités pour les acteurs
Loin d’être limité à des éléments de risques, la dualité d’autorité apparait également source
d’opportunités pour les acteurs en étant caractérisé par des apports mutuels liés à la
multiplicité des acteurs. L’action du Conseil départemental apparait en effet importante pour
l’EPLE en tant que tiers-expert via l’action d’interlocuteurs spécialisés sur un champ de
compétence. C’est le cas en cas de conflits internes où l’action des services départementaux
intervient comme organe d’écoute et de recadrage des agents en tant que « premier niveau de
médiation » (Mme CB, DGA) voire de conseil : « Ils savent qu’ils peuvent aussi s’appuyer
sur l’autorité du (Conseil départemental) quand ils sont en difficulté, via médiation et
autorité. On peut venir arrondir les angles » (Mme AS, Directeur adjoint).
Cet apport apparait important notamment parce qu’il y a précisément une autonomie entre
l’EPLE et le Conseil départemental : « Ma gestionnaire, je l’a vois souvent satisfaite après un
coup de fil avec la collectivité. Déjà avec le correspondant, elle n’a pas peur d’appeler » (M
EM, Chef d’établissement).
Au-delà de cas de conflits internes, la collectivité a mis en place des modalités de dialogue
fonctionnant sur le principe d’éviter les barrières entre entités avec les Chefs d’établissement
et les Adjoints-gestionnaire permettant d’inciter à une vision « macro » et pas seulement
centré sur les demandes de leurs établissements. Cela apparait dans les échanges des groupes
de discussion où les réunions plénières sont organisés selon la logique « on ne traite pas des
points particuliers ». Ce modèle de dialogue n’est d’ailleurs pas exclusif d’autres approches
d’initiatives locales aux appellations multiples (groupes de travail, comités de gestion, clubs
métiers notamment pour les cuisines…).
Ces logiques de discussion combinant les compétences des deux autorités permettent de
sensibiliser les autorités fonctionnelles ; par exemple lors de l’organisation de réunions sur les
avancements où les réunions permettent en même temps d’inciter ces acteurs à être plus
attentifs dans le remplissage des fiches d’évaluation : « Pour l’avancement, cela se situe à
deux niveaux. Je réunis tous les gestionnaires et principaux, j’aime voir les deux parfois, on a
une réunion. Je leurs impose de venir et on examine ensemble les avancements. On a défini
un cadre type en fonction des métiers, ouvriers de maintenance, personnel de direction on
l’avait rédigé en 2009 avec la DRH. Un chef de cuisine peut aller à tel grade. On a figé par
métier une certaine hiérarchie possible. On regarde le nombre de postes à pourvoir et on
demande à chaque gestionnaire de s’exprimer et de nous dire quel agent il souhaite voir
promu devant son collège et pourquoi. (…) Les gestionnaires sont attentifs aussi sur les
entretiens d’évaluation. Ils sont aujourd’hui plus précis car cela a un impact sur la
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promotion. Cela se gère car ils se connaissent entre eux, on est beaucoup plus dans le
partenariat » (Mme AS, DGA).
A l’inverse et comme nous l’avons montré dans la précédente section sur les difficultés,
l’action des Chefs d’établissement et des Adjoints-gestionnaires apparait essentiel en
permettant une proximité avec les agents : « Nous sommes sur le terrain » (M GB, Adjointgestionnaire). Par l’ajustement et le dialogue, les Chefs d’établissement et les Adjointsgestionnaires facilitent ces apports et réduit les risques de gestion, l’agent pouvant trouver les
moyens d’action dans cette dualité l’amenant à mettre en avant la contrainte d’une autorité
vis-à-vis d’une autre. C’est le cas par exemple au niveau de la complémentarité des autorités
lors de recrutements avec des Adjoints-gestionnaires.
Quelles qu’en soient les formes, les espaces de discussion traduisent en tous cas la
nécessaire concertation (formelle et informelle) qu’induit cette organisation de double autorité
qui finalement plus qu’un frein à l’action est dépassé pour être une ressource à celle-ci. Après
avoir souligné que l’occultation des paradoxes produit des effets dysfonctionnels, la littérature
sur la théorie Double Bind évoque le fait que les organisations doivent s’efforcer de faire
émerger le « potentiel positif » des paradoxes. Ces espaces impliquant une ingénierie de la
discussion ont pour fonction de clarifier les positions respectives autant que de rassurer les
acteurs sur les intentions (Detchessahar, 2011). La double contrainte étant une situation
insoluble directement, sa résolution passe en effet par le développement de moments
d’ « espaces de discussion » tels que réunions plénières regroupant l’ensemble des personnels
de direction éducation de l’EPLE et le Conseil départemental.
5. Conclusion
Comme nous le percevons à la lecture des données empirique et des éléments académique, le
management des personnels ATTEE en situation de double autorité comporte des risques
bloquants pour les acteurs (difficultés dans l’organisation, « court-circuitage » …). Ce volet
dysfonctionnel apparait en même temps, source d’opportunités pour les acteurs. Ces situations
à la fois d’apports et de difficulté trouvent leurs résolutions au travers du déploiement
d’espaces d’ajustement et de dialogue impliquant une discussion.
Nous percevons ainsi que le management apparait comme un mode de résolution de la
dualité comme l’évoque un Adjoint-gestionnaire : « Ce qui est difficile, c’est que nous
sommes parfois Boite à lettres, mais quand je reçois des documents, j’en profite pour discuter
avec les personnels. C’est notre management qui fait en sorte que les difficultés se
transforment en apport. Je pourrai refuser de donner directement. J’essaye alors de savoir ce
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qu’il se passe au (conseil départemental) et la façon dont ils vivent leurs relations à leur
employeur. C’est une autre façon de gérer » (M MD, Adjoint-gestionnaire).
Plus que la contestation de cette double autorité, cet article permet donc de mieux
comprendre cette relation qui apparait finalement dans l’ère du temps du management
notamment des collectivités territoriales avec de nombreuses configurations de groupe projet
ou de contrats multipartites imposés par les regroupements, mutualisations ou associations qui
oblige à travailler ensemble, à se confronter. Le manager n’est alors pas celui qui sait tout,
mais qui accepte la mise en débat, y compris avec d’autres échelons organisationnels au prix
d’une complexité. Nous nous trouvons alors devant des managers tiraillés dans des
contradictions tout à la fois, source de risques mais également d’opportunités.
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Annexe 1. La structure du guide d’entretien
1. CONTEXTE (EPLE ET CONSEIL DEPARTEMENTAL)
- Présentation des interlocuteurs et services, notamment rôles par rapport aux personnels
ATTEE ; Modes de répartition des activités entre services ;
- Quelques données chiffrées : effectifs ; nombre de sites d’affectation ; budget ;
- Présentation du pôle en charge de la gestion des personnels : personnels dédiés,
organisation de la ligne d’autorité ; modes de fonctionnement du service ;
- Existence de dispositifs spécifiques pour les personnels ATTEE (formations ; accueil)
2. PRATIQUES DE MANAGEMENT
- Gestion des effectifs : procédure de recrutement spécifique ; gestion des horaires, des
absences, des congés, gestion du présentéisme et de l’absentéisme, mode de gestion des
remplacements ;
- Gestion des activités et contrôle : management des équipes et répartition des tâches,
contrôle de la qualité de services, visites sur place pour vérification du respect des
consignes ;
- Dispositif d’évaluation : modalités d’organisation des entretiens d’évaluation, acteurs
chargés de l’entretien, décisions lors de l’entretien ;
- Formation : gestion du temps de formation, choix des types de formation, contrôle du
cumul de nouvelles compétences ;
- Dialogue social : dispositifs de prise en compte des conditions de travail et risques
psycho-sociaux, problématiques d’hygiène et de sécurité.
3. DISPOSITIFS DE GESTION
- Existence de dispositif de dialogue : Réunions plénières, réunions métier, groupes de
travail avec service académique ; Espace d’échanges type intranet, réunion informelle,
espace de codécision ;
- Présentation du dispositif de contractualisation : contrats/conventions de partenariats,
convention cadre.
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Bibliographie
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