Manager les personnels ATTEE des collèges en situation de double
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Manager les personnels ATTEE des collèges en situation de double
Manager les personnels ATTEE des collèges en situation de double autorité ou les paradoxes d’un risque également source d’opportunité Aurélien RAGAIGNE, CEREGE (Université de Poitiers) 20 Rue Guillaume VII Le Troubadour - BP 639 86022 POITIERS Cedex [email protected] Résumé. Notre travail vise à tenter de répondre à la question suivante : comment sont managés les personnels Adjoints Techniques Territoriaux des Etablissements d’Enseignements affectés dans les collèges ? Ces personnels sont en effet en situation de double autorité à la fois, hiérarchique provenant du Président du Conseil Général et fonctionnelle par l’intermédiaire du chef d’établissement et du gestionnaire des collèges. Pour ce faire, nous centrons notre analyse en présentant les risques et opportunités associés à cette situation. L'objectif est de travailler sur la question de la coordination de personnels en situation d’autorités multiples et d'en faire ressortir les capacités d’actions pour les acteurs. Ce sujet trouve un ancrage académique au travers de la théorie de la double contrainte. Nos données montrent que le management de ces personnels comporte des risques. Cependant, le volet dysfonctionnel de la double autorité apparait en même temps, source d’opportunités pour les acteurs. Mots clés. Autorité ; Collèges ; Bateson ; Théorie de la double contrainte ; Espace de discussion -1- 1. Introduction S’il est un principe de management dont les origines sont anciennement ancrées, il s’agit bien du principe d’unité d’autorité. En tant que Directeur général de la compagnie CommentryFourchambault-Decazeville, Henri Fayol décrit dès 1916 dans son ouvrage Administration Industrielle et Générale, l’intérêt de ce principe dans le cadre de la fonction administrative : « Pour une action quelconque, un agent ne doit recevoir des ordres que d’un seul chef » (p.55). Pour Fayol, un subordonné ne doit se référer qu’à un seul supérieur et en recevoir toutes les instructions. Dans cet esprit, il s’agit d’éviter le commandement multiple, source de difficultés de management et de conflits qui entravent l’action et le contrôle. Le pouvoir hiérarchique unique est ainsi présenté comme facilitant la clarté de la répartition des tâches. Dans le cadre du management, différentes situations ne sont pourtant pas en accord avec ce principe d’unité de commandement. A titre d’exemple, la mise en place de structures de type matricielles avec des correspondants fonctionnels relevant de l’autorité d’une direction (ex. : direction des ressources humaines) et également de service opérationnel où est affecté le correspondant, relève d’une dualité d’autorité. De même, les structures de type projet mobilisant des compétences issues de différents services au travers de l’intervention d’un chef de projet en situation d’autorité fonctionnelle constitue un autre exemple d’exception au principe d’unité de commandement. Ces cas de figure ont cependant, la particularité d’être choisi par l’organisation. Nous faisons le choix d’étudier dans cet article, le management des personnels Adjoints Techniques Territoriaux des Etablissements d’Enseignements affectés dans les collèges. Ces personnels territoriaux contribuent à la qualité de l’accueil et du cadre de vie de l’établissement en assurant l’accueil, l’entretien des locaux, la sécurité, le service de restauration, la protection sanitaire et sociale et, dans les internats, l’hébergement des élèves des collèges. Ces personnels sont en situation de double autorités à la fois, hiérarchique provenant du Président du Conseil Général (en charge par exemple des volets recrutement, gestion de la carrière, rémunération, évaluation) et fonctionnelle par l’intermédiaire du chef d’établissement et du gestionnaire des collèges (chargés de gérer le fonctionnement du service et d’encadrer et d’organiser la répartition des tâches). Cette situation duale est la résultante de l’application de l’Acte 2 de la décentralisation relative aux « libertés et responsabilités locales » du 13 août 2004. Notre travail vise à tenter de répondre à la question suivante : comment sont managés les personnels des collèges en situation de double autorité ? Pour tenter de répondre à la question posée, nous avons interviewé 24 acteurs ayant des fonctions et positions hiérarchiques -2- différentes. Nous centrons le propos de cet article sur la présentation des risques et opportunités associés à cette situation. Notre objectif est de travailler sur la question de la coordination de personnels en situation de double autorité et d'en faire ressortir les capacités d’actions pour les acteurs. Les risques associés à cette situation ont fait l’objet régulièrement d’interventions médiatisées notamment lors de la mise en place de la loi de décentralisation (au travers de reportage télévisé, d’articles de journaux, de rapports publics ou de débats parlementaires). Ainsi, si les risques ont largement fait l’objet de médiatisation, les aspects opportunités associés à cette situation ont peu fait l’objet d’interrogation. Nous tenterons de développer ce point en sollicitant les travaux de la double contrainte (double bind développé par Grégory Bateson) complété par le concept d’ « espaces de discussion » présenté par Mathieu Detchessahar (2007). La confrontation des données empiriques collectées et de ce regard académique permet de mieux identifier les risques bloquants. Cependant, il apparait que le volet dysfonctionnel de la double autorité est paradoxalement en même temps, source d’opportunités pour les acteurs. Par la mise en place de temps de discussion et de reconnaissance mutuelle, ces initiatives permettent de clarifier les positions respectives des acteurs autant que de les rassurer sur les intentions. 2. Le cadre du management des personnels ATTEE : quelques repères légaux et règlementaires En application de la loi n° 2004-809 du 13 août 2004 relative aux « libertés et responsabilités locales », environ 90 000 agents de l'Education nationale ont été transférés vers les collectivités locales à partir du 1er janvier 2006. Ce transfert s’est effectué en plusieurs phases, et depuis le 1er janvier 2009, les Conseils Généraux (devenus récemment Conseils départementaux) sont les employeurs de ces personnels devant exercer leurs missions dans les Etablissements Publics Locaux d'Enseignement (EPLE) ; ces agents ayant à l’origine un droit d’option avec la possibilité de choisir de rester fonctionnaires d'Etat avec détachement ou de devenir fonctionnaires territoriaux. Les collectivités ont ainsi reçues par cette loi, les missions d’accueil, de restauration, d’hébergement ainsi que d’entretien et de sécurité des collèges. Afin de faciliter la coordination des activités entre EPLE et Conseil départemental, les décrets d’application n°2005-1631 et n° 2007-913 sont venus préciser quelques éléments de répartition du champ de compétences de chaque autorité. Le Chef d’établissement et Adjointgestionnaire ont ainsi pour rôle d’encadrer et d’organiser le travail des personnels -3- (organisation des plannings, répartition des tâches, …). A titre d’exemple, l’article 19 du Décret n°2005-1631 précise que « le gestionnaire est chargé sous l'autorité du chef d'établissement, des relations avec les collectivités territoriales pour les questions techniques et il organise le travail des personnels » (article 19). A contrario, le Conseil départemental assure le recrutement et la gestion des personnels en tant qu’employeur : « Les Départements ou les Régions assurent également : le recrutement, la rémunération et la gestion des personnels exerçant leurs missions dans les établissements. Les personnels restent membres de la communauté éducative et concourent directement aux missions du service public » (article 82). Une convention entre l’EPLE et le Conseil départemental est prévue à l’article 82-10 de la loi n°2004-809 du 13 août 2004 afin de préciser le cadre de cette coordination entre EPLE et Conseil départemental. Enfin, le Décret n°2007-913 est venu précisé le cadre d’emploi des Adjoints Techniques Territoriaux des Etablissements d’Enseignements (ATTEE): « Les ATTEE sont chargés des tâches nécessaires au fonctionnement des services matériels des établissements d'enseignement, principalement dans les domaines de l'accueil, de l'entretien des espaces verts, de l'hébergement, de l'hygiène, de la maintenance mobilière et immobilière, de la restauration et des transports » (article 3). Les Chefs d’établissement et les Adjoints-gestionnaires étant personnels de l’éducation nationale, il y a principe d’une double autorité sur ces agents, tant fonctionnelle (via l’intervention du Chef d’établissement et de l’Adjoint-gestionnaire des collèges) que hiérarchique (Président du Conseil général et par délégation le Directeur Général des Services). Or, ces deux autorités sont chacun responsable des agents placés sous leurs responsabilités. Afin de mieux situé le positionnement de chaque acteur, la figure 1 ci-après situe les principaux acteurs de ce management. -4- Figure 1. Les acteurs en charge de la gestion des personnels ATTEE Conseil Départemental (autorité hiérarchique) EPLE (autorité fonctionnelle) Président du Conseil Général Chef d’établissement Directeur Général des Services Directeur Général Adjoint en charge éducation Adjointgestionnaire Directeur des Ressources Humaines Responsable service éducation Gestionnaire chargé des ATTEE Agents ATTEE Cette représentation des acteurs n’est pas limitative. D’autres acteurs interviennent dans la chaine d’autorité comme par exemple, les responsables académiques ou les représentants syndicaux qui accompagnent les agents lors de rencontre avec l’autorité fonctionnelle par exemple. Il convient également de souligner la diversité d’organisation notamment dans les Conseils départementaux. Nous reviendrons sur ce point plus loin. Le rôle de chacun n’est lui-même pas stabilisé. Par exemple, un gestionnaire chargé des ATTEE peut avoir pour rôle de mettre en place les procédures de gestion et d’assurer le suivi des dossiers de recrutement, d’évaluation, de notation, d’avancement par exemple. Son rôle peut être plus limité notamment compte tenu de l’emprise de l’action des services ressources humaines. 3. La démarche méthodologique En préambule de cette section, il convient de justifier nos choix méthodologique. En effet, nous avons écarté de cette analyse la relation entre les EPLE et les Conseils Régionaux concernant les personnels affectés dans les lycées. Il nous apparait en effet, que cette relation relève d’une organisation différente du fait de la présence d’agents chargés de coordonner l’action de la collectivité dans chaque établissement (communément appelé « Agent-chef »). Cet agent de coordination dispose d’un rôle de management des activités. Or, les Conseils -5- départementaux étudiées ne disposent pas de ces agents de coordination, d’où l’absence de la présence d’un représentant de la collectivité sur le terrain de l’EPLE. Par ailleurs, il nous a semblé important d’effectuer des entretiens semi-directifs auprès d’acteurs ayant des positions hiérarchiques différentes. Nous avons ainsi réalisé des entretiens semi-directifs en interaction permettant d’accéder au sens que les acteurs donnent à leurs pratiques. D’après Gavard-Perret & al. (2008, p.88), « l’entretien se caractérise par une rencontre interpersonnelle qui donne lieu à une interaction essentiellement verbale : les données collectées sont donc coproduites ». Vingt-quatre entretiens semi-directifs ont ainsi été effectués. Le tableau 1 ci-après synthétise les entretiens effectués en quatre catégories de personnel. Tableau 1. La liste des entretiens effectués Types d’acteurs Nombre d’entretiens Conseil Départe- Responsables de service et Chargés de mission mental EPLE 8 Directeur (DGA et DGS) 4 Agents 3 Adjoint-gestionnaires et principaux 9 Ont été effectué des entretiens auprès de Chefs d'établissement, de personnels ATTEE, d’Adjoints-gestionnaires et de responsables de services de structures départementales (principalement service ressource humaine et éducation). A cette occasion, des données secondaires comme par exemple les conventions de partenariat ou les dispositifs d’évaluation ont été collectées. Ces données constituent des sources complémentaires d’informations. L’Annexe 1 synthétise les items du guide d’entretien. Les entretiens durent environ 1 à 2 heures et sont articulés autour de trois temps : un premier temps centré sur compréhension des éléments de contexte (EPLE, Conseils Départementaux) puis une interrogation sur les items en liens avec la vie des personnels (recrutement, évaluation, mobilité …) ; enfin, un troisième temps consacré à la présentation des modes d’interaction entre structures (centrés principalement sur les dispositifs de contractualisation et de dialogue). Cette structure permet d’identifier les moments de gestion de cette dualité d’autorité où les risques et opportunités peuvent apparaitre. Concernant le volet académique, nous faisons le choix d’interpréter ces données empiriques collectées au travers d’un corpus de littérature touchant le problème de l’autorité, de la prescription et de la contrainte. De notre point de vue, le sujet du management de personnels en situation de double autorité trouve un ancrage académique au travers de la -6- théorie de la double contrainte, théorie double bind développée par Grégory Bateson (1956 ; 2008). La double contrainte désigne une situation de paradoxe imposé où deux injonctions contradictoires sont reçues (ex : injonctions données par le Chef d’établissement et les services des Conseils départementaux). Ces injonctions, s’interdisant mutuellement, induisent une impossibilité de les exécuter sans contrevenir à l’une des deux. En guise d’illustration, Bourguignon (2003) souligne la double contrainte imposée sur les personnels, résultant de l’injonction de conformité et celle de l’autonomie. Nous procédons ainsi dans la prochaine section à la présentation des risques et opportunités perçus par les acteurs en interprétant ces données empiriques à partir d’un regard académique portant sur la théorie de la double contrainte combinée au concept d’ « espace de discussion » développé par Mathieu Detchessahar (2007). 4. La problématique du management des personnels ATTEE : une relation d’autorité source de risque et d’opportunité Les données collectées sont présentées en deux temps : dans une première section, nous évoquerons les difficultés et risques associés à cette dualité perçue par les acteurs interrogés. Le second temps sera consacré au développement des éléments d’opportunités. 4.1. De réels risques associés à cette dualité d’autorité … Le premier constat à poser porte sur la complexité même des organisations mises en place pour la gestion de ces personnels. La difficulté porte ainsi sur la gestion d’une multitude d’acteurs. En effet, l’organisation des collectivités en charge de ces personnels apparaît complexe, notamment dans la répartition des fonctions respectivement assumées par les services éducation et ressources humaines en charge de ces personnels. Il convient de préciser qu’il n’y a pas une homogénéité d’organisation entre départements, certains faisant le choix d’une gestion centralisée à la Direction des Ressources Humaines, d’autres d’une fonction déléguée ressources humaines déconcentrée au sein de la direction éducation, d’autres encore partageant ces missions avec des degrés variables de formalisme. Cette diversité apparait notamment au niveau de la ligne hiérarchique ce lien variant entre une ligne directe du Responsable éducation ou du Directeur ressources humaines, d’un Directeur Adjoint, voire d’une combinaison de ces responsables selon les enjeux des items concernés. De cette complexité, il en ressort tout d’abord, une difficulté dans la compréhension des rôles de chacun qui se manifeste par exemple dans les discours par la perte de repères des Adjoints-gestionnaires : « Je sais jamais trop qui appelé » (Mme MG, Adjoint-gestionnaire). -7- « On sait plus à quelle porte ou taper car nous ne sommes pas que en charge des ressources humaines. Il y a une multitudes d’interlocuteurs » (Mme AT, Adjoint-gestionnaire). Ce point est évoqué à l’occasion notamment de la gestion de remplacements de longue durée assuré par des contrats temporaires impliquant l’intervention successive des équipes ressources humaines (qui se décomposent en sous service tel que paye, remplacement et emploi) et du service éducation. Les agents et les autorités fonctionnelles se retrouvent en effet dans des situations complexes à la problématique des interlocuteurs multiples dont la coordination parfois hésitante peut être source de dysfonctionnements et de risques réels. Dans ce cas, le mode de résolution de ces difficultés porte sur l’action de l’Adjoint-gestionnaire chargé finalement d’assurer la coordination des services départementaux. De la multiplication des acteurs, il en ressort également un risque de « court-circuitage ». Ce point apparait dans le discours au travers du manque d’informations des autorités fonctionnelles par rapport aux agents départementaux : « Le problème c’est la communication. Les agents ont des informations (du Conseil départemental) que nous n’avons pas, nous ne sommes pas destinataires directement, cela pose problème. Certains agents appellent directement et disent, « on m’a dit que ». On se retrouve en difficulté. (…) Il faudrait l’information en même temps. Certaines personnes en tirent profit. Il faut téléphoner. J’appelle la référente du service des collèges » (M GB, Adjoint-gestionnaire). Ces cas de court-circuitage apparait plus problématique en cas de conflits internes entre l’agent et le Chef d’entreprise ou l’Adjoint-gestionnaire : « Quand les salariés se plaignent, ils se plaignent au-dessus, rarement à nous. Si avec des personnels enseignants, en général on voit venir le délégué syndical qui vient nous voir. Chez les personnels ATTEE, c’est rare car il y a peu de délégué du personnel. Nous sommes court court-circuité dans le temps, Il pourrait venir nous voir avant, mais il préfère faire un courrier direct » (M EM, Chef d’établissement). La difficulté porte alors sur l’action d’un acteur cherchant à tirer parti de la situation d’absence d’information : « J’aurais dû être sollicité en direct avec les agents en direct mais cela n’a pas été le cas. Il y en une qui m’a sollicité et une autre qui est allé voir la référente territorial » (AM, Adjoint-gestionnaire). Pour résoudre ces difficultés, le mode de gestion apparait principalement organisé par une coordination d’action entre service Conseil départemental and EPLE. Cette gestion d’une double autorité apparait source de risque de gestion du fait d’une multitude d’acteurs intervenant dans la chaine d’autorité. Si l’autorité hiérarchique du département est bien unique, ses composantes sont en réalité multiples selon les moments de la vie professionnelle -8- de l’agent en poste. Or, selon les degrés de transversalité et de coordination interne à la collectivité, cette multiplicité d’interlocuteurs peut ainsi devenir un facteur d’instabilité. Les acteurs sont alors amenés à développer un système chaotique d’ajustement faisant intervenir des espaces non formalisés de discussion entre acteurs. Nous reviendrons plus loin sur ce concept. Au-delà de la multitude des interlocuteurs, c’est également l’absence de hiérarchie entre les autorités qui caractérise cette relation avec une autonomie des EPLE et leur indépendance vis-à-vis des départements. Cette organisation génère en effet, des modes de fonctionnement plus complexes que celui fondé sur la simple transmission hiérarchique de consignes visant à décliner de manière homogène le cadre fonctionnel devant s’appliquer sur l’ensemble d’un parc de bâtiments ou sur les services apportés. Ce point est notamment évoqué dans les pratiques de correspondance de la Direction ressources humaines. « La DRH, ils ont tendance à faire des notes comme des chefs de service. Or, le Chef d’établissement nous le rappelle souvent. Vous n’avez pas autorité, nous sommes indépendant autonome » (Mme FM, Responsable du service éducation). Ce point est également évoqué dans le cadre d’une autre collectivité : « Une DRH, ce n’est pas fait pour parler à des collèges par ce que sa relation à son service, c’est quelque part une relation hiérarchique, nous en tant que cadre de la collectivité, un DRH dit, alors on fait. Un chef d’établissement, il n’accepte même pas qu’on lui parle de cette manière-là » (M JML, DGA en charge de la politique éducation). Face à ces difficultés de correspondances, les services éducation ont été amené à ajuster leurs actions par une activité de proximité (voire de rectification) auprès des EPLE : « On rattrape encore des coups qui partent de la DRH en oubliant que pour les personnels des collèges, la règle édictée ne s’applique pas. On s’adapte au quotidien » (Mme MC B, Responsable éducation) L’autonomie de l’EPLE et du Conseil départemental est alors perçue comme à risque pour les acteurs. L’autre exemple pouvant être évoqué porte sur la confrontation de logiques contradictoires lors du recrutement d’un personnel titulaire par exemple avec une collectivité souhaitant privilégier des problèmes de reclassement et l’autorité fonctionnelle souhaitant faire primer le recrutement d’un contractuel donnant satisfaction dans l’établissement : « L’impact le plus, c’est le recrutement sur poste permanent avec EPLE. On a des difficultés quand le service RH veut faire primer une problématique de mobilité interne entre établissement ou d’un enjeu collectif face à des chefs d’établissement qui ont leurs logiques immédiat établissement avec des contractuels de longue durée qu’ils auraient souhaité conserver en titulaire. C’est là où cela peut frotter de temps en temps. […] C’est la spécificité -9- collège imposant à des EPLE où nous n’avons pas d’autorité hiérarchique du département. C’est plus facile de dire à un chef de service de lui dire, c’est le patron qui a décidé, c’est comme ça. On peut moins le dire à un chef d’établissement. Des fois, cela peut frotter » (Mme MP, Responsable de service éducation). Dans ce cas, le mode de résolution porte sur la logique de compromis à partir d’une résolution dans le temps en privilégiant une solution plutôt qu’un autre, moyennant un compromis pour l’avenir (ex. : définition d’une période d’essai, futur recrutement en externe) : « A un moment, on trouve un point d’entente » (GM B ; Adjoint gestionnaire). Cette absence de ligne hiérarchique entre structures porte également difficulté sur les départs en formation avec la présence de logiques de compromis. Comme nous le voyons dans les exemples cités, cette dualité hiérarchique pose des difficultés de dialogue et de coordination amenant à des risques pour les acteurs. Ces risques de gestion sont d’autant plus important qu’ils s’accompagnent d’une absence d’autorité hiérarchique entre EPLE et Conseil départemental avec une multitude d’acteurs devant géré cette dualité d’autorité. La question du degré d’intervention de la collectivité dans la vie de l’établissement et notamment des frontières à poser avec le volet pédagogique est par ailleurs un sujet récurrent de cette construction. Sur ce plan, la présentation de ces difficultés apparait connectée au cadre de la théorie de la double contrainte. Appliqué au management des personnels ATTEE, cette théorie met en avant des situations de contradictions trouvant des solutions de compromis ou d’ajustement. Au-delà du constat de la présence simultanée de deux éléments exclusifs (acceptation), le mode principal de gestion de ces paradoxes consiste à créer une nouvelle perspective qui parvienne à englober les deux éléments exclusifs. Watzlawick (1991) explique qu'on ne sort d'une boucle paradoxale (double contrainte) que par un recadrage, permettant une lecture de la situation à un niveau différent (par une synthèse). Comme nous le percevons, cette logique de synthèse apparait dans le propos des acteurs par la présentation de mécanismes d’ajustement via le développement d’un espace de discussion entre acteurs. Les espaces de discussion (pris dans un sens large incluant les discussion informelles entre acteurs) apparaissent comme des lieux d’expression, de confrontation et de dépassement des logiques propres à chaque partie prenante permettant de lever les éventuelles contradictions entre injonctions (Detchessahar, 2007). Ils sont d’autant plus nécessaires quand les transformations des organisations font évoluer les rôles et les positions des acteurs et demandent un accord autour de nouvelles règles du jeu. - 10 - 4.2. … paradoxalement, sources d’opportunités pour les acteurs Loin d’être limité à des éléments de risques, la dualité d’autorité apparait également source d’opportunités pour les acteurs en étant caractérisé par des apports mutuels liés à la multiplicité des acteurs. L’action du Conseil départemental apparait en effet importante pour l’EPLE en tant que tiers-expert via l’action d’interlocuteurs spécialisés sur un champ de compétence. C’est le cas en cas de conflits internes où l’action des services départementaux intervient comme organe d’écoute et de recadrage des agents en tant que « premier niveau de médiation » (Mme CB, DGA) voire de conseil : « Ils savent qu’ils peuvent aussi s’appuyer sur l’autorité du (Conseil départemental) quand ils sont en difficulté, via médiation et autorité. On peut venir arrondir les angles » (Mme AS, Directeur adjoint). Cet apport apparait important notamment parce qu’il y a précisément une autonomie entre l’EPLE et le Conseil départemental : « Ma gestionnaire, je l’a vois souvent satisfaite après un coup de fil avec la collectivité. Déjà avec le correspondant, elle n’a pas peur d’appeler » (M EM, Chef d’établissement). Au-delà de cas de conflits internes, la collectivité a mis en place des modalités de dialogue fonctionnant sur le principe d’éviter les barrières entre entités avec les Chefs d’établissement et les Adjoints-gestionnaire permettant d’inciter à une vision « macro » et pas seulement centré sur les demandes de leurs établissements. Cela apparait dans les échanges des groupes de discussion où les réunions plénières sont organisés selon la logique « on ne traite pas des points particuliers ». Ce modèle de dialogue n’est d’ailleurs pas exclusif d’autres approches d’initiatives locales aux appellations multiples (groupes de travail, comités de gestion, clubs métiers notamment pour les cuisines…). Ces logiques de discussion combinant les compétences des deux autorités permettent de sensibiliser les autorités fonctionnelles ; par exemple lors de l’organisation de réunions sur les avancements où les réunions permettent en même temps d’inciter ces acteurs à être plus attentifs dans le remplissage des fiches d’évaluation : « Pour l’avancement, cela se situe à deux niveaux. Je réunis tous les gestionnaires et principaux, j’aime voir les deux parfois, on a une réunion. Je leurs impose de venir et on examine ensemble les avancements. On a défini un cadre type en fonction des métiers, ouvriers de maintenance, personnel de direction on l’avait rédigé en 2009 avec la DRH. Un chef de cuisine peut aller à tel grade. On a figé par métier une certaine hiérarchie possible. On regarde le nombre de postes à pourvoir et on demande à chaque gestionnaire de s’exprimer et de nous dire quel agent il souhaite voir promu devant son collège et pourquoi. (…) Les gestionnaires sont attentifs aussi sur les entretiens d’évaluation. Ils sont aujourd’hui plus précis car cela a un impact sur la - 11 - promotion. Cela se gère car ils se connaissent entre eux, on est beaucoup plus dans le partenariat » (Mme AS, DGA). A l’inverse et comme nous l’avons montré dans la précédente section sur les difficultés, l’action des Chefs d’établissement et des Adjoints-gestionnaires apparait essentiel en permettant une proximité avec les agents : « Nous sommes sur le terrain » (M GB, Adjointgestionnaire). Par l’ajustement et le dialogue, les Chefs d’établissement et les Adjointsgestionnaires facilitent ces apports et réduit les risques de gestion, l’agent pouvant trouver les moyens d’action dans cette dualité l’amenant à mettre en avant la contrainte d’une autorité vis-à-vis d’une autre. C’est le cas par exemple au niveau de la complémentarité des autorités lors de recrutements avec des Adjoints-gestionnaires. Quelles qu’en soient les formes, les espaces de discussion traduisent en tous cas la nécessaire concertation (formelle et informelle) qu’induit cette organisation de double autorité qui finalement plus qu’un frein à l’action est dépassé pour être une ressource à celle-ci. Après avoir souligné que l’occultation des paradoxes produit des effets dysfonctionnels, la littérature sur la théorie Double Bind évoque le fait que les organisations doivent s’efforcer de faire émerger le « potentiel positif » des paradoxes. Ces espaces impliquant une ingénierie de la discussion ont pour fonction de clarifier les positions respectives autant que de rassurer les acteurs sur les intentions (Detchessahar, 2011). La double contrainte étant une situation insoluble directement, sa résolution passe en effet par le développement de moments d’ « espaces de discussion » tels que réunions plénières regroupant l’ensemble des personnels de direction éducation de l’EPLE et le Conseil départemental. 5. Conclusion Comme nous le percevons à la lecture des données empirique et des éléments académique, le management des personnels ATTEE en situation de double autorité comporte des risques bloquants pour les acteurs (difficultés dans l’organisation, « court-circuitage » …). Ce volet dysfonctionnel apparait en même temps, source d’opportunités pour les acteurs. Ces situations à la fois d’apports et de difficulté trouvent leurs résolutions au travers du déploiement d’espaces d’ajustement et de dialogue impliquant une discussion. Nous percevons ainsi que le management apparait comme un mode de résolution de la dualité comme l’évoque un Adjoint-gestionnaire : « Ce qui est difficile, c’est que nous sommes parfois Boite à lettres, mais quand je reçois des documents, j’en profite pour discuter avec les personnels. C’est notre management qui fait en sorte que les difficultés se transforment en apport. Je pourrai refuser de donner directement. J’essaye alors de savoir ce - 12 - qu’il se passe au (conseil départemental) et la façon dont ils vivent leurs relations à leur employeur. C’est une autre façon de gérer » (M MD, Adjoint-gestionnaire). Plus que la contestation de cette double autorité, cet article permet donc de mieux comprendre cette relation qui apparait finalement dans l’ère du temps du management notamment des collectivités territoriales avec de nombreuses configurations de groupe projet ou de contrats multipartites imposés par les regroupements, mutualisations ou associations qui oblige à travailler ensemble, à se confronter. Le manager n’est alors pas celui qui sait tout, mais qui accepte la mise en débat, y compris avec d’autres échelons organisationnels au prix d’une complexité. Nous nous trouvons alors devant des managers tiraillés dans des contradictions tout à la fois, source de risques mais également d’opportunités. - 13 - Annexe 1. La structure du guide d’entretien 1. CONTEXTE (EPLE ET CONSEIL DEPARTEMENTAL) - Présentation des interlocuteurs et services, notamment rôles par rapport aux personnels ATTEE ; Modes de répartition des activités entre services ; - Quelques données chiffrées : effectifs ; nombre de sites d’affectation ; budget ; - Présentation du pôle en charge de la gestion des personnels : personnels dédiés, organisation de la ligne d’autorité ; modes de fonctionnement du service ; - Existence de dispositifs spécifiques pour les personnels ATTEE (formations ; accueil) 2. PRATIQUES DE MANAGEMENT - Gestion des effectifs : procédure de recrutement spécifique ; gestion des horaires, des absences, des congés, gestion du présentéisme et de l’absentéisme, mode de gestion des remplacements ; - Gestion des activités et contrôle : management des équipes et répartition des tâches, contrôle de la qualité de services, visites sur place pour vérification du respect des consignes ; - Dispositif d’évaluation : modalités d’organisation des entretiens d’évaluation, acteurs chargés de l’entretien, décisions lors de l’entretien ; - Formation : gestion du temps de formation, choix des types de formation, contrôle du cumul de nouvelles compétences ; - Dialogue social : dispositifs de prise en compte des conditions de travail et risques psycho-sociaux, problématiques d’hygiène et de sécurité. 3. DISPOSITIFS DE GESTION - Existence de dispositif de dialogue : Réunions plénières, réunions métier, groupes de travail avec service académique ; Espace d’échanges type intranet, réunion informelle, espace de codécision ; - Présentation du dispositif de contractualisation : contrats/conventions de partenariats, convention cadre. - 14 - Bibliographie Bateson M, Wittezaele A (2008), La double contrainte : l'influence des paradoxes de Bateson en sciences humaines, Bruxelles : De Boeck, 1 vol. (XI-268 p.) Bourguignon A (2003), « Conformité-autonomie : la double contrainte du « nouveau » contrôle de gestion ? », dans V. Perret et E. Josserand Le Paradoxe : penser et gérer autrement les organisations, Éd. Ellipses, Paris Detchessahar M., Journé B., (2007), « Une approche narrative des outils de gestion », Revue Française de Gestion, 174, pp. 77-92. Detchessahar M (2011), Santé au travail Quand le management n’est pas le problème, mais la solution …, Revue Française de Gestion, 2011/5 n°214, p89-105 Fayol, H. (1966), Administration industrielle et générale: Dunod. Gavard-Perret ML, Gotteland D, Haon C, Jolibert A(2008) , Méthodologie de la recherche : Réussir son mémoire ou sa thèse en Sciences de gestion, Pearson Education Perret., V., et E., Josserand, (2003), Le Paradoxe : penser et gérer autrement les organisations, Éd. Ellipses, Paris Watzlawick P (1991), Changements : paradoxes et psychothérapie, Paris : Éd. du Seuil, 189p - 15 -