Le règlement "Bruxelles I" - Institut national de la consommation

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Le règlement "Bruxelles I" - Institut national de la consommation
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ÉTUDE JURIDIQUE
LE RÈGLEMENT “BRUXELLES I”
RÈGLEMENT COMMUNAUTAIRE NO 44/2001 CONCERNANT LA COMPÉTENCE
JUDICIAIRE, LA RECONNAISSANCE ET L’EXÉCUTION DES DÉCISIONS EN
MATIÈRE CIVILE ET COMMERCIALE 1
En droit international privé, la compétence juridictionnelle dans les États membres de l’Union européenne (UE) est réglée par le règlement Bruxelles I, qui est venu remplacer la convention de Bruxelles
du 27 septembre 1968 2.
L’objectif est de mettre en place dans l’UE un espace de coopération judiciaire et de libre circulation
des jugements dans tous les domaines (articles 61 c et 65 du Traité de l’UE). L’intérêt de transformer
la convention en règlement est de rendre le nouveau texte applicable immédiatement dans les États
membres, sans formalité particulière de transposition en droit interne par ceux-ci. Seuls le RoyaumeUni et le Danemark restent légèrement en marge de ce processus de communautarisation du droit
judiciaire : le Traité instituant l’UE leur permet de décider ponctuellement de ne pas être associés aux
nouveaux règlements. Le règlement Bruxelles I a été accepté par le Royaume-Uni, mais non par le
Danemark. Tous les États de l’UE, y compris les nouveaux membres, sont donc liés par le règlement, à
l’exception du Danemark (article 1.3).
Il convient de préciser que la convention de Bruxelles de 1968 et la convention de Lugano de 1988 3
restent applicables dans les relations entre les États membres et les États non liés par le règlement 4.
Par ailleurs, le règlement reprend en grande partie les dispositions de la convention de Bruxelles.
La jurisprudence de la Cour de justice des communautés européennes (CJCE) interprétant celle-ci reste
donc valable pour les articles inchangés par le règlement.
QUELQUES PRINCIPES DE DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ
On se situe dans la sphère du droit international privé dès
lors qu’un élément d’extranéité se manifeste dans une relation juridique privée. Cet élément rendant le litige international peut être de nature variée : nationalité ou domicile des
parties, lieu de conclusion ou d’exécution d’un contrat, lieu
de survenance d’un dommage… À partir de là, il faut toujours raisonner en trois étapes.
La première étape consiste à déterminer la compétence
—————
1 Règlement no 44/2001 du 20 décembre 2000 ; JOCE L 12, 16 janvier 2001, p. 1.
2 Sauf dans les relations entre le Danemark, non lié par le présent règlement, et les autres États membres.
3 Pendant de la convention de Bruxelles, la convention de Lugano concerne les États membres de l’Union européenne et ceux de l’Association
européenne de libre-échange (AELE) – soit l’Islande, le Liechtenstein, la Norvège et la Suisse.
4 Cela signifie, pour le Danemark, que la convention de Bruxelles s’appliquera, en ce qui concerne les règles de compétence juridictionnelle,
lorsque le défendeur est domicilié au Danemark ; en ce qui concerne les règles d’exequatur, la convention continuera de régir les décisions
rendues ou invoquées au Danemark.
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I
juridictionnelle : il s’agit de savoir dans quel État le litige va
être jugé (c’est le “conflit de juridictions”). On détermine
seulement de manière globale l’État dont les juridictions
peuvent être saisies (par exemple celles de l’État dans lequel
réside le défendeur), sans encore fixer avec précision quel
tribunal sera saisi (par exemple celui de la ville dans laquelle
réside le défendeur). C’est à ce niveau que joue le règlement
Bruxelles I en matière civile et commerciale. Pour connaître
le tribunal particulier effectivement compétent, il faudra
ensuite se référer aux règles procédurales internes de l’État
désigné (en France, le nouveau code de procédure civile).
La seconde étape est celle de recherche de la loi applicable
au litige (c’est le “conflit de lois”). Il s’agit ici de déterminer
quel est l’État dont la législation interne (au sens large : lois,
règlements) doit être appliquée. Par exemple, si les juridictions allemandes sont compétentes, elles n’appliqueront pas
forcément le droit interne allemand, mais peut-être celui
d’un autre État. En matière civile et commerciale, c’est prin-
cipalement la convention de Rome du 19 juin 1980 (prochainement transformée en règlement) qu’il faudra consulter
pour résoudre les conflits de lois entre les États européens.
La dernière étape concerne l’exécution des jugements. Il ne
suffit pas qu’une décision ait été rendue dans le bon pays et
selon la bonne loi ; encore faut-il qu’elle puisse faire l’objet de
mesures d’exécution. Or l’exécution peut intervenir dans un
autre État, notamment parce que le débiteur s’y trouve solvable. Pour éviter qu’une personne condamnée dans un État
donné puisse s’abriter derrière une législation différente, le
règlement Bruxelles I pose des règles simplifiées de reconnaissance et d’exécution des jugements étrangers.
Le règlement Bruxelles I, en vigueur depuis le 1er mars 2002,
doit aujourd’hui être appliqué pour déterminer si les tribunaux français sont compétents pour traiter d’un litige de consommation, ou s’il faut agir devant les tribunaux d’un autre
État membre de l’UE.
LE CHAMP D’APPLICATION DU RÈGLEMENT
• Le champ d’application matériel est bien précisé : le règlement couvre les matières civile et commerciale à l’exclusion
de certains contentieux déterminés (le droit des personnes et
de la famille, les procédures collectives, la sécurité sociale et
l’arbitrage) [article 1]. Le champ d’application matériel ne
pose donc pas de difficulté : tout le contentieux relatif à la
consommation au sens large entre dans le cadre du règlement (y compris le secteur locatif).
• Le champ d’application territorial du règlement est plus
problématique. Le texte ne prévoit aucun critère précis d’applicabilité. On relève seulement dans le préambule (considérant 8) qu’« il doit exister un lien entre les litiges couverts par le
présent règlement et le territoire des États qu’il lie. Les règles
communes en matière de compétence doivent donc s’appliquer en principe lorsque le défendeur est domicilié dans un de
ces États membres ». Lorsque demandeur et défendeur sont
tous deux domiciliés dans l’Union européenne, il ne fait aucun doute que le règlement est applicable, et cela même s’ils
sont tous deux domiciliés dans le même État. Il faut donc
consulter le règlement lorsque les deux parties au litige sont
domiciliées en France ; il n’est pas impossible dans un tel cas
que les juridictions d’un État autre que la France soient compétentes (l’élément d’extranéité pouvant être par exemple
l’exécution d’un contrat ou la survenance d’un accident à
l’étranger). Le problème qui se pose est surtout de savoir si le
règlement est applicable quand une des parties est domiciliée dans un État tiers à l’Union européenne (par exemple
aux États-Unis, en Asie…).
La CJCE semble considérer que la convention (et, par extension, le règlement) s’applique dès lors que le défendeur est
domicilié ou établi dans un État membre, même si le deman-
deur est domicilié dans un État tiers. Elle s’appuie sur le fait
que le texte consacre à l’article 2 le principe fondamental
de la compétence des juridictions de l’État membre sur le
territoire duquel le défendeur est domicilié ou établi (CJCE,
13 juillet 2000, Group Josi, no C-412/98 5).
Mais cette interprétation est critiquée. Il est en effet difficilement concevable que le règlement communautaire ait une
portée contraignante étendue à des États tiers à l’UE n’ayant
pas signé le texte : il semble très probable qu’une telle décision prise dans un État membre à l’encontre d’une personne
établie dans un État tiers ne serait pas reconnue par les juridictions de cet État tiers et ne pourrait donc pas y être exécutée ; elle serait donc dénuée d’effet et d’intérêt. Sur le plan
théorique, le problème est que le règlement pose des règles
de compétence à vocation universelle (pouvant désigner les
juridictions de tout État, contractant ou non). On peut d’ailleurs remarquer que pour cette raison le règlement se concilie mal avec les tentatives actuelles d’adoption d’une convention de La Haye, à vocation universelle, sur la compétence et
les jugements étrangers en matière civile et commerciale
(avant-projet adopté par la conférence de La Haye de droit
international privé du 30 octobre 2000 6).
En attendant plus de précisions, on considérera que le règlement est applicable du moment que le défendeur est domicilié dans un État membre. Précisons que pour les personnes
morales, le domicile est généralement constitué par le siège
social ; mais le règlement prévoit aussi que si le litige est lié à
l’exploitation d’une succursale, d’une agence ou de tout autre
établissement, les tribunaux du pays dans lequel se trouve
cet établissement sont également compétents (article 5.5).
LA COMPÉTENCE GÉNÉRALE EN MATIÈRE
CONTRACTUELLE
Le règlement Bruxelles I pose le principe selon lequel sont
compétents les tribunaux de l’État dans lequel est domicilié
le défendeur (article 2.1), indépendamment de sa nationalité
(article 2.2). Cette règle correspond au droit international
commun de la plupart des États contractants dont la France
(l’article 42 alinéa 1 du nouveau code de procédure civile
—————
5 L’affaire concernait un litige opposant Universal General Insurance Company (UGIC), compagnie d’assurances de droit canadien établie à
Vancouver (Canada), à Group Josi Reinsurance Company SA, société de réassurance de droit belge établie à Bruxelles (Belgique), au sujet d’une
somme d’argent réclamée par UGIC à Group Josi en sa qualité de partie à un traité de réassurance.
6 Voir le site de la conférence : < www.hcch.net >.
II
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donne compétence aux tribunaux de l’État de la résidence du
défendeur).
Cette compétence de principe est atténuée par diverses dérogations : il existe des règles de compétence alternatives à
l’article 2 (une option est alors ouverte au demandeur) et des
règles de compétence exclusives (le demandeur n’a pas le
choix, l’article 2 n’est pas applicable). Ainsi, en matière
contractuelle, l’article 5 constitue une compétence alternative (appelée compétence « spéciale » dans le règlement) et
permet d’attraire un défendeur domicilié dans un État devant
un tribunal d’un autre État.
préjudice, c’est l’obligation principale parmi ces obligations
litigieuses qui devra être prise en compte (CJCE, 15 janvier
1987, Shenavaï, no 266/85 9).
L’article 5.1 dispose qu’en matière contractuelle le défendeur peut être attrait « devant le tribunal du lieu où l’obligation qui sert de base à la demande a été ou doit être exécutée ».
La difficulté est alors de déterminer le lieu d’exécution de
l’obligation litigieuse. Cette localisation pose problème en
raison du caractère immatériel d’une obligation (qui se distingue en cela d’une prestation). La CJCE ne donne pas de
définition uniforme de ce lieu d’exécution. Le lieu est fixé
par le règlement dans deux cas : pour la vente de marchandises il s’agit du « lieu d’un État membre où, en vertu du
contrat, les marchandises ont été ou auraient dû être livrées » ;
et pour la fourniture de services il s’agit du « lieu d’un État
membre où, en vertu du contrat, les services ont été ou auraient dû être fournis ». Les parties peuvent aussi préférer
désigner conventionnellement le lieu d’exécution.
Il faut préciser que la notion de matière contractuelle fait
l’objet d’une interprétation autonome de la CJCE. En effet,
les législations internes des États membres sont assez divergentes sur la distinction contractuel/délictuel et il est important que ces notions soient interprétées de manière uniforme
pour une bonne application du règlement. La matière
contractuelle suppose un « engagement librement assumé
d’une partie envers une autre », ce qui selon la Cour exclut du
champ contractuel l’action en garantie des vices cachés
formée par le sous-acquéreur contre le vendeur d’origine, et
plus généralement tous les groupes de contrats, tels que les
ventes successives d’un même bien (CJCE, 17 juin 1992, Jakob Handte, no C-26/91 7). La CJCE estime en fait que l’article
5.1 étant dérogatoire (par rapport à l’article 2 de principe), il
ne doit pas être appliqué de façon extensive.
Le problème sera de déterminer le lieu d’exécution dans les
autres cas, par exemple si les parties n’ont rien convenu et
que la livraison n’a pas eu lieu. La CJCE prévoit dans ce cas
que c’est au juge saisi « de déterminer, en vertu de ses règles de
conflit, quelle est la loi applicable au rapport juridique en
cause et de définir, conformément à cette loi, le lieu de l’obligation contractuelle litigieuse » (CJCE, 6 octobre 1976, Tessili,
no 12/76 10) ; jurisprudence critiquée mais réaffirmée (CJCE,
28 septembre 1999, Groupe Concorde, no C-440/97 11). Le juge
saisi doit donc d’abord rechercher la loi applicable au contrat. Ainsi, s’il s’agit de la loi allemande, le juge (par exemple
français) doit consulter le droit interne allemand pour savoir
en quel lieu devait être exécutée l’obligation, et ce n’est que
si ce lieu est situé en France qu’il est compétent pour se prononcer sur le litige.
En matière de consommation, la qualification contractuelle a
pu ainsi être retenue dans une affaire de loterie publicitaire
(CJCE, 11 juillet 2002, Gabriel, no C-96/00 8).
Cette solution très complexe est souvent ignorée par les tribunaux des États membres, qui préfèrent le plus souvent
procéder à une localisation factuelle, matérielle et directe,
du lieu d’exécution ; mais cela est contraire au droit communautaire. Ce problème de détermination de l’obligation litigieuse est particulièrement important s’agissant des contrats
conclus par Internet. En effet, on assiste à une dématérialisation des modes de paiement qui ne permet pas une localisation concrète. Ainsi, les prestations en ligne sont réalisées
dans l’espace virtuel et n’ont pas de proximité matérielle avec
le territoire d’un État particulier.
Le règlement vise l’obligation qui sert de base à la demande,
c’est-à-dire l’obligation litigieuse, qui peut se distinguer de
l’obligation principale ou caractéristique du contrat. Il convient de prendre en compte l’obligation particulière dont
l’inexécution suscite le litige. L’objectif du règlement est en
effet de promouvoir la proximité entre le litige et le juge saisi.
Si plusieurs obligations issues du même contrat ont été mal
exécutées en des lieux différents et contribuent à un même
LA COMPÉTENCE EN MATIÈRE DE CONTRATS CONCLUS
PAR LES CONSOMMATEURS
En raison d’un objectif affirmé de protection du consommateur, le règlement communautaire Bruxelles I a prévu un chef
de compétence alternatif à celui de l’article 2, en faveur du
consommateur.
Il est précisé que le contrat de consommation visé est « conclu
par une personne, le consommateur, pour un usage pouvant
être considéré comme étranger à son activité professionnelle ».
La notion de consommateur s’entend ici de façon restrictive
—————
7 Il s’agissait là d’une action en garantie intentée par le sous-acquéreur (une société française) contre le fabriquant (une société allemande).
8 Selon la CJCE, « les dispositions du règlement doivent être interprétées en ce sens que l’action juridictionnelle, par laquelle un consommateur vise
à faire condamner, dans l’État contractant sur le territoire duquel il est domicilié et en application de la législation de cet État, une société de vente
par correspondance, établie dans un autre État contractant, à la remise d’un gain, lorsque celle-ci lui avait adressé personnellement un envoi de
nature à donner l’impression qu’un prix lui sera attribué à la condition qu’il commande des marchandises pour un montant déterminé et que ce
consommateur passe effectivement une telle commande sans cependant obtenir le versement dudit gain, est de nature contractuelle au sens de
l’article 13, premier alinéa, point 3, de ladite convention ».
9 Il s’agissait dans l’affaire Shenavaï du recouvrement d’honoraires d’architecte.
10 Il s’agissait d’un procès introduit en Allemagne par une entreprise allemande (Dunlop) contre une entreprise italienne (Tessili), au sujet de
l’exécution d’un contrat portant sur la livraison par l’entreprise italienne de combinaisons de ski à l’entreprise allemande.
11 L’affaire Groupe Concorde traite d’un litige opposant sept compagnies d’assurances ainsi que le GIE Groupe Concorde, leur apériteur, qui a son
siège à Paris, au capitaine commandant le navire de la société Pro Line Ltd, dont le siège est à Hambourg (Allemagne), et à quatre autres défendeurs, à la suite de la constatation d’avaries lors de la livraison d’un chargement de cartons de bouteilles de vin transporté par la voie maritime.
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III
comme la personne privée qui consomme finalement le bien
vendu (CJCE, 21 juin 1978, Bertrand c/ Ott, no 15/77 12 ; CJCE,
19 janvier 1993, Shearson, no C-89/91 13).
La seconde condition est relative au contrat lui-même : il doit
avoir un objet déterminé par le règlement ou des liens particuliers avec l’État du domicile du consommateur.
Il peut s’agir d’une vente à tempérament de biens meubles
corporels, ou d’un prêt à tempérament (ou autre opération
de crédit) lié au financement d’une telle vente (article 15.1 a
et b). Aucune condition supplémentaire n’est alors requise.
Dans tous les autres cas, le contrat doit présenter un lien
particulier avec le domicile du consommateur, caractérisé
par l’exercice des activités du professionnel dans l’État du
consommateur, ou par le ciblage de ces activités vers l’État
membre dans lequel est domicilié le consommateur.
En ce qui concerne l’exercice par le professionnel de ses activités dans l’État du consommateur, il n’est pas nécessaire que
le professionnel soit lui-même domicilié dans cet État. Il peut
notamment être domicilié dans un État tiers à l’UE mais
y exercer ses activités par le biais d’une succursale, d’une
agence ou de tout autre établissement : article 15.2 (CJCE,
15 septembre 1994, Brenner, no C-318/93).
Par ailleurs, le domaine d’application du règlement est élargi,
par rapport à la convention de Bruxelles, par la création
de cette catégorie résiduelle de contrats pour lesquels seul
compte le ciblage et non la qualification juridique particulière du contrat en cause ; ainsi, les contrats de “timeshare”
entrent désormais dans le domaine de l’article 15 du règlement. En revanche, il est précisé que les contrats de transport
n’entrent pas dans le champ des dispositions spécifiques applicables aux consommateurs, sauf les contrats de voyage à
forfait qui combinent voyage et hébergement pour un prix
forfaitaire (article 15.3).
Le ciblage opéré par le professionnel peut prendre des formes variées. Il s’agira par exemple d’une publicité, d’une proposition spéciale, ou de l’accomplissement des actes du
contrat dans l’État où est domicilié le consommateur. Il n’est
pas nécessaire que la conclusion du contrat ait lieu dans cet
État. Si le contrat a été conclu à l’étranger suite aux sollicitations du consommateur à son domicile par le professionnel,
il s’agit bien d’un contrat de consommation au sens du règlement. Il est possible de considérer que la publicité et les
appels d’offres faits sur Internet, notamment par courrier
électronique, peuvent répondre aux conditions de ciblage
du règlement, par exemple par l’utilisation d’une langue ou
d’une monnaie particulière adaptée au public visé.
Quand le contrat est ainsi qualifié de contrat de consommation et que le consommateur est demandeur à l’instance, il
peut saisir au choix les tribunaux de l’État dans lequel est
domicilié le professionnel défendeur (cela correspond à la
compétence de principe de l’article 2 du règlement), ou les
tribunaux de l’État dans lequel il est lui-même domicilié
(article 16.1). Ainsi, le consommateur n’a pas besoin d’aller
devant les juridictions d’un autre État pour faire valoir ses
droits ; il peut agir chez lui quel que soit le lieu d’établissement de son cocontractant. Cette option est conforme aux
exigences d’accès à la justice exprimées par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) : lorsque l’enjeu du
litige est peu élevé, comme c’est souvent le cas en matière
de consommation, il serait inopportun d’exiger du consommateur qu’il engage des frais considérables pour mener son
action à l’étranger 14.
Cette compétence alternative n’est ouverte qu’au profit du
consommateur. Le professionnel demandeur à l’instance
ne bénéficie quant à lui d’aucune option : il ne peut attraire
le consommateur que devant les tribunaux de l’État dans
lequel est domicilié le consommateur, conformément à
la compétence de principe de l’article 2 du règlement
(article 16.2). Il pourra cependant agir devant les tribunaux
de l’État dans lequel il est lui-même établi s’il s’agit d’un chef
de compétence dérivée (par exemple s’il forme une demande
reconventionnelle suite à l’action du consommateur) [article 16.3].
LA COMPÉTENCE EN MATIÈRE DE CONTRATS D’ASSURANCES
On retrouve cette possibilité de compétence alternative en
matière d’assurances, au profit de l’assuré.
Le preneur d’assurance, l’assuré, le bénéficiaire (article 9),
ou la victime en cas d’action directe (article 11.2), peut lorsqu’il est demandeur agir à son choix devant les tribunaux
de l’État dans lequel est domicilié l’assureur, ou devant les
tribunaux de l’État dans lequel il est lui-même domicilié
(article 9.1 a et b). En cas d’action contre un coassureur, le
demandeur peut aussi agir devant le tribunal saisi de l’action
contre l’apériteur de l’assurance (article 9.1 c). Le règlement
précise ici que si l’assureur est domicilié dans un État tiers à
l’UE, une succursale, une agence ou tout autre établissement
de l’assureur dans un État membre est suffisant pour agir
dans cet État membre (article 9.2).
Une autre option est ouverte s’il s’agit d’une assurance
de responsabilité ou d’une assurance portant sur des immeubles : l’assuré peut alors agir devant le tribunal du lieu
où le fait dommageable s’est produit. Par souci de rassemblement du contentieux, l’assuré peut également agir devant cette juridiction pour les meubles couverts par la même
police et atteints par le même dommage que l’immeuble
considéré (article 10).
De même, lorsqu’une victime agit dans un État contre l’assuré, l’assureur peut être attrait devant les juridictions de ce
même État (article 11.1).
En revanche, l’assureur ne peut agir que devant les tribunaux de l’État dans lequel le défendeur (assuré…) est domicilié, sauf en cas d’action reconventionnelle (article 12).
—————
12 L’affaire Bertrand c/ Ott concernait un problème de vente à tempérament d’objets mobiliers corporels. La Cour en donne une interprétation
autonome pour assurer l’application uniforme du droit communautaire, et précise que le privilège juridictionnel prévu par le règlement doit être
réservé aux acheteurs ayant besoin de protection, leur position économique étant caractérisée par leur faiblesse vis-à-vis des vendeurs du fait
qu’ils sont des consommateurs finals à caractère privé.
13 Dans cette affaire, une action en recouvrement de créances avait été engagée à l’encontre de Hutton Inc. (société new-yorkaise), non pas par
le particulier cocontractant de Hutton Inc. mais par une société allemande, cessionnaire des droits de ce particulier. Selon la Cour, il résulte du
libellé et de la fonction des dispositions particulières au consommateur que celles-ci ne visent que le consommateur final privé, non engagé dans
des activités commerciales ou professionnelles ; elles étaient donc inapplicables en l’espèce.
14 Selon la jurisprudence, ce régime particulier « est inspiré par le souci de protéger le consommateur en tant que partie au contrat réputée économiquement plus faible et juridiquement moins expérimentée que son cocontractant, […] dès lors, cette partie ne doit pas être découragée d’agir
en justice en se voyant obligée de porter l’action devant les juridictions de l’État sur le territoire duquel son cocontractant a son domicile » (CJCE,
19 janvier 1993, Shearson, no C-89/91).
IV
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LA COMPÉTENCE EN MATIÈRE DÉLICTUELLE
L’article 5.3 du règlement Bruxelles I instaure également
une compétence alternative en matière délictuelle ou quasidélictuelle. Il est alors possible d’agir non seulement devant
les tribunaux de l’État dans lequel est domicilié le défendeur,
mais aussi « devant le tribunal du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire ». L’objectif est
ici de donner compétence à un tribunal ayant des liens
étroits avec l’affaire. On peut remarquer d’emblée que le
règlement vise tant les actions en réparation que les actions
préventives. En cas d’action préventive, il faudra au minimum que le dommage que l’on entend éviter soit suffisamment déterminé pour être déjà localisable.
Pour assurer une application uniforme du règlement, la CJCE
donne une interprétation autonome de la matière délictuelle
(comme elle le fait en matière contractuelle). Il s’agit d’une
catégorie résiduelle dans laquelle entre « toute demande qui
vise à mettre en jeu la responsabilité du défendeur, et qui ne se
rattache pas à la matière contractuelle » (CJCE, 27 septembre
1988, Kalfélis, no 189/87 ; réaffirmé par CJCE, 27 octobre 1998,
réunion européenne, no C-51/97).
La définition posée ne permet pas de conclure à une bipolarisation absolue avec matière contractuelle d’un côté et
matière délictuelle de l’autre. Certaines questions semblent
ne relever ni de l’une ni de l’autre, comme par exemple l’action du sous-acquéreur contre le fabriquant dans une chaîne
de contrats (CJCE, 17 juin 1992, Jakob Handte, no C-26/91) ;
dans un tel cas, on retourne au chef de compétence de principe posé par l’article 2 du règlement, les tribunaux de l’État
dans lequel est domicilié ou établi le défendeur.
L’action préventive d’une association de consommateurs
visant à faire supprimer des clauses abusives par un commerçant a par exemple été qualifiée de délictuelle par la CJCE
(CJCE, 1er octobre 2002, Henkel, no C-167/00 15).
(Il convient de remarquer que les solutions dégagées par la
CJCE pour la détermination des juridictions compétentes
n’ont pas d’incidence sur la qualification qui sera ensuite
retenue par le juge compétent pour déterminer la loi applicable au litige. Ainsi, il est possible qu’un juge compétent en
application de l’article 5.3 du règlement qualifie ensuite de
contractuelle la relation des parties, et applique la loi du
contrat.)
Quand on se trouve bien en présence d’une matière délictuelle au sens du règlement, il faut pouvoir déterminer le lieu
où le fait dommageable s’est produit.
L’expression de fait dommageable est ambiguë en cas de
dissociation entre fait générateur et dommage. La jurisprudence relève qu’en pareil cas le lieu du fait générateur et celui
de survenance du dommage sont tous deux significatifs :
l’option pour le lieu de réalisation matérielle du dommage
permet au demandeur de saisir une juridiction autre que
celle du domicile du défendeur (qui correspond en effet
souvent au lieu du fait générateur), et l’option pour le lieu du
fait générateur permet dans certains cas de saisir une juridiction très proche du litige (important pour les questions de
preuve…). Par conséquent la CJCE a décidé que « l’expression
“lieu où le fait dommageable s’est produit” doit être entendue en ce sens qu’elle vise à la fois le lieu où le dommage est
survenu et le lieu de l’événement causal » (CJCE, 30 novembre
1976, Mines de potasse d’Alsace, no 21/76 dans une affaire de
pollution transfrontalière 16). (On retrouve ici la même solution que celle du droit français : l’article 46 du NCPC donne
compétence au tribunal du fait dommageable ou à celui dans
le ressort duquel le dommage a été subi.)
L’option de compétence ainsi ouverte par le règlement n’est
soumise à aucune condition : le demandeur n’a pas besoin
de montrer que la juridiction qu’il saisit est liée de manière
plus étroite avec le litige que celle qu’il aurait pu saisir en
vertu de l’autre branche de l’option (Cass. civ. 1re, 8 janvier
1991 ; Bull. civ. I, no 6).
Un autre problème est de savoir quel lieu retenir comme fondement de la compétence lorsque le dommage se prolonge
dans le temps et se déplace dans l’espace. La jurisprudence
“Mines de potasse d’Alsace” évoquée précédemment ne
s’applique qu’aux cas dans lesquels il y a immédiatement
dissociation entre le lieu du fait générateur et celui de la survenance du dommage, comme en matière de pollution d’un
cours d’eau.
Cette option n’est pas ouverte aux cas dans lesquels la victime subit à son domicile les suites d’un dommage initialement survenu au lieu du fait générateur (par exemple dans
le cas où la victime d’un accident grave survenu le 3 janvier
en Allemagne rentre chez elle en France et continue à y souffrir de ses blessures jusqu’au mois d’avril). Dans ce cas, la victime directe qui souhaite invoquer un préjudice indirect
doit agir au lieu du dommage initial (CJCE, 19 septembre
1995, Marinari, no C-364/93 17). En fait, le règlement ne vise
pas à protéger systématiquement la victime en tant que partie faible, mais simplement à promouvoir la compétence
d’un tribunal apte à appréhender au mieux les faits de l’espèce en raison de sa proximité. (On retrouve là encore la même
solution qu’en droit français : la compétence du tribunal
dans le ressort duquel le dommage « a été subi ».)
Il faut ensuite évoquer le cas de la victime par ricochet, c’està-dire la victime indirecte du dommage. Elle peut bénéficier de l’option offerte par l’article 5.3 entre les juridictions de
l’État du domicile du défendeur et celles du lieu où le fait
dommageable s’est produit (CJCE, 11 janvier 1990, Dumez
France, no C-220/88). Mais si elle opte pour la compétence
tirée de la localisation du fait dommageable, elle ne pourra
saisir que le tribunal du lieu « où le fait causal engageant la
responsabilité délictuelle ou quasidélictuelle a produit directement ses effets dommageables à l’égard de celui qui en est la
victime immédiate », c’est-à-dire qu’elle devra agir devant le
même tribunal que la victime directe, pour éviter une dispersion du contentieux.
Il existe par ailleurs certains délits dits complexes, particulièrement difficiles à localiser. Il s’agit particulièrement des
délits commis par voie de presse, radio ou télévision. Dans
ces hypothèses, la difficulté vient du fait que le dommage
résultant d’un ou plusieurs faits générateurs va se réaliser
simultanément dans plusieurs pays. Ainsi, en cas de diffamation ou d’atteinte à la vie privée, on peut se demander à la
fois quel lieu retenir pour le fait générateur (celui de l’édition
ou ceux de la diffusion ?), et quel lieu retenir pour la survenance du dommage (domicile de la victime ou lieux de diffusion ?).
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15 « Une action juridictionnelle préventive, introduite par une association de protection des consommateurs en vue de faire interdire l’utilisation par
un commerçant de clauses jugées abusives dans des contrats avec des particuliers, est de nature délictuelle ou quasi délictuelle au sens de l’article 5,
point 3, de ladite convention. » Il s’agissait en l’espèce d’un commerçant allemand qui organisait des excursions publicitaires, en Autriche notamment.
16 Il s’agissait d’une affaire de pollution des eaux du Rhin par une exploitation française de mines de potasse : la teneur en sel excessive portait
notamment préjudice à une société horticole néerlandaise utilisant les eaux du fleuve pour l’irrigation de ses cultures.
17 Cette affaire concernait le préjudice patrimonial du client d’une banque, préjudice consécutif à un dommage initial survenu et subi dans un
autre État contractant.
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V
La jurisprudence a posé une solution en matière de diffamation par voie de presse. La CJCE considère que la victime
dispose d’une option : elle peut agir soit dans l’État du lieu
d’édition (qui se confond souvent avec l’État dans lequel est
domicilié le défendeur), soit dans chaque État dans lequel il
y a eu diffusion et où le demandeur s’estime victime d’une
atteinte à sa réputation. Mais alors que le tribunal du lieu de
l’événement causal (lieu d’édition) est compétent pour se
prononcer sur l’intégralité du dommage, les tribunaux des
différents lieux de diffusion ne seront chacun compétent
que pour se prononcer sur le dommage local (CJCE, 7 mars
1995, Fiona Shevill, no C-68/93 18).
On trouve les mêmes difficultés de localisation dans le cadre
de l’économie numérique, celle-ci permettant la multiplication et la dispersion géographique des victimes potentielles.
Le lieu de l’événement causal est ici celui de l’acte de chargement du message dommageable sur Internet (par exemple
le lieu d’expédition d’un courriel). Mais ce lieu, quand on
parvient à le déterminer, peut être fortuit (il peut émaner d’un
ordinateur portable, le lieu de situation de l’ordinateur n’étant
donc pas un élément stable et fiable), multiple (envois simultanés), ou correspondre à un paradis réglementaire choisi par
l’auteur du dommage. En outre, il va souvent correspondre au
domicile du défendeur et donner compétence à une juridiction très éloignée géographiquement et culturellement du demandeur victime, lui ôtant en pratique tout accès à la justice.
Reste alors la possibilité d’agir au lieu de survenance du
dommage ; cette compétence restant selon la jurisprudence
Shevill limitée au préjudice qui s’est matérialisé sur le territoire du juge saisi. Ce fractionnement de la compétence
apparaît inopportun en matière d’économie numérique
dans la mesure où les réseaux ouvrent la voie aux marchés
mondiaux. Le dommage initial survient partout où l’on peut
accéder aux informations circulant sur le Net, c’est-à-dire
partout dans le monde. Si l’on retient donc la faculté pour le
demandeur d’agir devant les tribunaux du lieu de survenance
du fait dommageable, on lui ouvre une très large faculté
d’option juridictionnelle ; mais on peut alors s’interroger sur
le bien-fondé de ce chef de compétence illimité vis-à-vis du
défendeur.
Finalement, les seuls éléments stables que l’on pourrait retenir en la matière sont le domicile de la victime et l’établissement matériel du défendeur (locaux), et il serait sans doute
opportun de mettre en avant ces deux chefs de compétence
alternatifs. Le lieu de situation des ordinateurs a pu aussi être
proposé, mais il ne constitue pas un élément stable puisqu’il
peut s’agir d’ordinateurs portables. Une autre solution serait
de mettre en œuvre une juridiction internationale spécialisée
dans ce type de contentieux 19. Mais pour l’instant la question
n’est réglée ni par le règlement ni par la jurisprudence de
façon claire et satisfaisante.
LE CHOIX DES JURIDICTIONS COMPÉTENTES PAR LES PARTIES
Le règlement communautaire permet aux parties de choisir
elles-mêmes dans quel État membre sera jugé leur litige, en
se mettant d’accord sur une « prorogation de compétence »
(article 23). Une telle clause attributive de juridiction n’est
pas toujours possible : d’une part, certains critères permettent de dire si la prorogation de compétence est admissible
dans son principe ; d’autre part, les conditions de validité de
l’acte juridique de prorogation varient selon la matière considérée (contrat, consommation, assurance).
De manière générale, trois critères sont retenus pour que
la clause soit admissible dans son principe : le domicile des
parties, l’État dont les juridictions sont désignées et le caractère international du litige.
D’abord, il faut qu’au moins une partie ait son domicile dans
un État communautaire. Elles peuvent d’ailleurs être toutes
deux domiciliées dans l’UE, dans le même État ou dans des
États différents. Il est aussi possible qu’aucune partie ne soit
domiciliée dans l’UE ; la clause de choix sera alors valable
mais aura des effets plus limités. Il convient dans tous les
cas de prendre en compte le domicile des parties au jour de
la conclusion de la clause attributive de compétence, et non
au jour où le juge statue sur sa compétence. En effet, la
prorogation volontaire de compétence répond à un souci
de prévisibilité ; son application ne doit pas dépendre des
changements éventuels de domicile des parties.
D’autre part, la clause peut désigner un tribunal précis ou
plus généralement les juridictions d’un État communautaire.
Les parties disposent d’une grande liberté de choix : elles
peuvent ainsi attribuer compétence à des tribunaux qui ne
l’auraient pas en vertu de dispositions générales ou spéciales
du règlement, ou exclure celle de tribunaux qui seraient normalement compétents en vertu de ces règles (CJCE, 24 juin
1986, Anterist, no 22/85). Elles peuvent notamment s’accorder sur une attribution réciproque de compétence, en
prévoyant qu’en cas de litige la partie ‘A’ demandeur saisirait
le tribunal ‘x’, alors que la partie ‘B’ saisirait le tribunal ‘y’ si
elle était en position de demandeur (CJCE, 9 novembre 1978,
Meeth c/ Glacetal, no 23/78). En revanche, une clause donnant toute liberté à une des parties pour désigner le tribunal
compétent n’entre pas dans le cadre du règlement (CA Paris,
5 juillet 1989 20).
Enfin, le litige doit présenter un caractère international. Cette
condition n’est pas exigée par le texte du règlement, et il n’y a
pas de jurisprudence particulière sur ce point. Mais il semble
que la doctrine juridique s’accorde pour dire que la seule
désignation d’un tribunal étranger serait insuffisante pour
justifier l’application du règlement en l’absence de tout autre
élément d’extranéité.
La validité de l’acte juridique prorogeant la compétence sera
ensuite examinée de façon différente selon la matière
—————
18 Il s’agissait d’un litige opposant Mme Fiona Shevill, ressortissante britannique domiciliée en Angleterre, ainsi que les sociétés Chequepoint
SARL, Ixora Trading Inc. et Chequepoint International Limited, d’une part, et Presse Alliance SA, société de droit français établie à Paris, d’autre
part, à propos de la détermination des juridictions compétentes pour connaître d’une action en réparation du préjudice résultant de la publication d’un article de presse diffamatoire publié dans France soir. L’article suggérait que les plaignantes faisaient partie d’un réseau de trafic de
drogue pour lequel elles avaient effectué des opérations de blanchiment d’argent. La Cour décide que « la victime peut intenter contre l’éditeur une
action en réparation soit devant les juridictions de l’État contractant du lieu d’établissement de l’éditeur de la publication diffamatoire, compétentes
pour réparer l’intégralité des dommages résultant de la diffamation, soit devant les juridictions de chaque État contractant dans lequel la publication a été diffusée et où la victime prétend avoir subi une atteinte à sa réputation, compétentes pour connaître des seuls dommages causés dans
l’État de la juridiction saisie ».
19 Voir sur ce point un article de Gérard Chabot : “La cyberjustice : réalité ou fiction”, D. 2003, chron., 2322.
20 JDI 1990, p. 152.
VI
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concernée. Le règlement pose des conditions de forme extrêmement précises afin d’assurer la protection du consentement des parties.
En matière contractuelle, la clause peut prendre quatre
formes différentes. (On peut remarquer qu’en matière délictuelle, les parties pourraient aussi s’accorder sur la compétence, mais en pratique un tel accord ne pourrait intervenir
qu’après la naissance du litige, or il est alors rarissime que les
parties se mettent d’accord, même sur la compétence ; en ce
cas, il faudrait respecter les dispositions évoquées ici.)
Elle peut d’abord consister en un écrit signé par les deux
parties, qu’il soit inséré dans le contrat principal ou qu’il
constitue un acte séparé. Il se peut que le contrat principal
renvoie expressément à des conditions générales mentionnant précisément la prorogation de compétence (CJCE,
14 décembre 1976, Estasis Salotti, no 24/76). Le règlement
prévoit en outre que la clause est considérée comme écrite
quand elle est transmise « par voie électronique qui permet de
consigner durablement la convention », autrement dit dès lors
qu’elle peut être tirée sur papier ou conservée sur un support
informatique durable (article 23.2). Il semble que le tirage
papier ou la conservation effective ne soit pas une condition
de validité mais de preuve. Il peut y avoir prorogation tacite
si les parties continuent à appliquer un contrat expiré contenant une clause expresse (CJCE, 11 novembre 1986, Iveco
Fiat, no 313/85).
La prorogation de compétence peut aussi prendre la forme
d’une convention verbale confirmée par écrit. L’accord doit
porter spécialement sur la prorogation, mais il suffit qu’une
partie la confirme par écrit (CJCE, 19 juin 1984, Tilly Russ,
no 71/83).
La clause peut également revêtir une forme conforme aux
habitudes contractuelles que les parties ont établies entre
elles.
Enfin, dans le commerce international, la clause peut prendre
une forme admise par un usage bien établi dans la branche
considérée ; il y a alors une présomption de consentement
des parties à la prorogation de compétence.
Les règles sont différentes en matière de contrats conclus
par les consommateurs. Le règlement prévoit que les règles
de compétences déterminées par l’article 16 ne peuvent être
contournées que par trois types d’accords (article 17).
Il peut s’agir de conventions postérieures à la naissance du
différend, car dans ce cas le consommateur aura pleinement
conscience de ce à quoi il s’engage.
Il peut aussi s’agir d’une convention avant tout litige, mais
dans ce cas elle ne doit pas limiter les chefs de compétence
ouverts au consommateur par le règlement, ni augmenter les
options du professionnel : la convention n’est valable que si
elle permet au consommateur de saisir d’autres tribunaux
que ceux qui sont normalement prévus.
Enfin, la convention sur la compétence, passée entre un
consommateur et un professionnel ayant leur domicile ou
leur résidence habituelle dans le même État membre au moment de la conclusion du contrat, est valable si elle donne
compétence aux juridictions de cet État et que la loi locale
admet les clauses attributives de compétence en matière de
consommation.
Les clauses attributives de juridiction qui ne correspondent
pas à ces critères peuvent être qualifiées de clauses abusives,
comme l’a relevé la CJCE dans une affaire où le contrat
de consommation examiné était un contrat d’adhésion (non
négocié) contenant une clause très avantageuse pour le
professionnel (CJCE, 27 juin 2000, Océano, no C-240/98 21).
(On peut remarquer qu’il s’agit de la solution adoptée en
droit interne français. L’article 48 du NCPC prévoit en effet
que « toute clause qui, directement ou indirectement, déroge
aux règles de compétence territoriale est réputée non écrite à
moins qu’elle n’ait été convenue entre des personnes ayant
toutes contracté en qualité de commerçant et qu’elle n’ait été
spécifiée de façon très apparente dans l’engagement de la partie à qui elle est opposée ».)
On trouve le même genre de restrictions en matière d’assurances, de façon à protéger le preneur d’assurance
(articles 13 et 14). La convention sur la compétence doit être
postérieure à la naissance du différend, ou ouvrir de nouvelles options au preneur d’assurance, ou attribuer compétence aux tribunaux de l’État d’établissement des deux
parties (article 13.1 à 13.3). Elle peut également être conclue
par un preneur d’assurance domicilié dans un État tiers à
l’UE (article 13.4). Elle peut enfin concerner certains risques
particuliers dont la liste est établie par le règlement (dommages aux navires et aéronefs, à l’exclusion notamment des
dommages corporels aux passagers) [articles 13.5 et 14].
LES COMPÉTENCES EXCLUSIVES
À côté des compétences générales et alternatives, pouvant
faire l’objet de prorogation, il existe quelques compétences
exclusives qui s’appliquent de manière impérative et ne sont
susceptibles d’aucune dérogation (article 22). Le domicile
des parties n’est pas du tout pris en compte ici.
Il s’agit surtout de la matière immobilière. Sont compétents
pour les droits réels immobiliers et pour les baux immobiliers les tribunaux de l’État membre dans lequel est situé
l’immeuble qui en fait l’objet. Ainsi, en matière de location
saisonnière, relèvent de la compétence exclusive des tribunaux de l’État où est situé l’immeuble tous les litiges concernant les obligations respectives du bailleur et du locataire
découlant du contrat de bail, et en particulier ceux qui
portent sur l’existence ou l’interprétation des baux, leur durée, la restitution de la possession de l’immeuble au bailleur,
la réparation de dégâts causés par le locataire, ou le recouvrement du loyer et des autres frais accessoires à payer par
le locataire, tels les frais de consommation d’eau, de gaz et
d’électricité.
En revanche, des litiges qui ne se rapportent qu’indirectement à l’usage de la propriété louée, tels ceux concernant
la perte du bénéfice des vacances et les frais de voyage, ne
relèvent pas de cette compétence exclusive (CJCE, 15 janvier
1985, Rösler, no 241/83 22).
—————
21 Il s’agissait de litiges opposant, d’une part, Océano Grupo Editorial SA à Mme Murciano Quintero et, d’autre part, Salvat Editores SA à des particuliers espagnols, au sujet du paiement de sommes dues en exécution de contrats de vente à tempérament d’encyclopédies conclus entre
lesdites sociétés et les défendeurs, tous domiciliés en Espagne. Ces contrats comportaient une clause attribuant compétence aux juridictions de
Barcelone, ville dans laquelle aucun des consommateurs n’est domicilié mais où se trouve le siège des sociétés demanderesses. La Cour a statué
au regard de la directive 93/13/CEE du 5 avril 1993 concernant les clauses abusives.
22 Il s’agissait de la location d’une maison de vacances située en Italie, le contrat de bail prévoyant que tout litige éventuel serait réglé en Allemagne.
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VII
Il existe seulement une atténuation en matière de location
saisonnière : si le locataire personne physique est domicilié
dans le même État membre que le propriétaire, les juridictions de cet État sont également compétentes pour traiter du
litige (article 22.1).
Cette compétence exclusive en matière immobilière ne
s’étend pas aux contrats de voyage à forfait, proposant pour
un prix global le voyage et l’hébergement, car ceux-ci n’ont
pas pour objet principal un bail ; ils portent sur un ensemble
complexe de prestations de services (CJCE, 26 février 1992,
Hacker, no C-280/90 23).
On peut également évoquer la compétence exclusive des
tribunaux de l’État membre du lieu d’exécution en matière
d’exécution des décisions de justice (article 22.5).
LA RECONNAISSANCE ET L’EXÉCUTION DES JUGEMENTS
DANS L’ESPACE EUROPÉEN
Le règlement établit un régime libéral uniforme de circulation des jugements dans l’UE. Il s’applique à toutes les
décisions rendues par les juridictions des États membres,
dans les matières civiles et commerciales couvertes par le règlement ; non seulement les décisions pour lesquelles la
compétence a été déterminée conformément au règlement,
mais également les décisions rendues en vertu des autres règles
de compétences applicables dans chaque État membre,
même dans le cas d’un litige interne.
Il prévoit un principe de reconnaissance de plein droit des
décisions, c’est-à-dire qu’il n’est pas nécessaire d’accomplir
une procédure particulière pour pouvoir se prévaloir
d’une décision judiciaire rendue dans un État membre (article 33.1). Ce n’est qu’en cas de contestation de la reconnaissance par une des parties que la décision sera examinée.
Les motifs de non-reconnaissance sont limitativement énumérés par le règlement.
Il s’agit d’une part de la contrariété de la décision avec l’ordre
public international de l’État requis (article 34.1) ; l’ordre public est ici limité aux seuls principes fondamentaux, tels que
l’équité procédurale. Pour que ce motif de non-reconnaissance reste exceptionnel, la CJCE en contrôle elle-même les
contours (CJCE, 28 mars 2000, Krombach, no C-7/98 24).
Il s’agit d’autre part du défaut de loyauté dans l’assignation
dans le cas des procédures par défaut, c’est-à-dire que le
principe du contradictoire n’a pas été bien respecté lors du
jugement (article 34.2).
Il s’agit enfin du caractère inconciliable de la décision avec
une décision déjà rendue dans l’État requis ou un autre État
membre et présentant les conditions de la reconnaissance
(article 34.3 et 34.4). Il serait en effet absurde de reconnaître
deux décisions contradictoires dans une même affaire ; l’exécution en deviendrait impossible et les décisions seraient
donc toutes deux inefficaces.
On retrouve le même régime pour l’exécution des décisions :
l’exequatur est accordé par principe (article 41), et ce n’est
qu’en cas de contestation que le juge de l’État requis examinera vraiment la décision selon une procédure contradictoire
(article 43). Les motifs de refus de l’exequatur sont les mêmes
que ceux de non-reconnaissance (article 45).
Dans tous les cas, le juge saisi de la demande relative à la
reconnaissance ou l’exécution ne peut jamais procéder à une
révision au fond de la décision examinée. Il ne peut que
l’accueillir ou la rejeter de façon globale (articles 36 et 45.2).
Anaïs Pétiaud,
auditrice de justice
Sources :
• Gaudemet-Tallon Hélène, “Compétence et exécution des jugements en Europe : règlement no 44/2001”, LGDJ 2002.
• Tous les arrêts de la CJCE cités sont disponibles sur le site < www.curia.eu.int >, à la rubrique Jurisprudence.
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23 Il s’agissait d’un litige opposant Mme Hacker, domiciliée en Allemagne, à Euro-Relais GmbH, organisateur professionnel de voyages faisant de la
publicité par voie de prospectus et ayant son siège en Allemagne. Le litige portait sur un contrat intitulé "contrat de bail" et conclu en Allemagne.
Le contrat visait à procurer à Mme Hacker, pour quelques semaines, l’usage d’un logement de vacances situé aux Pays-Bas, n’appartenant pas à
l’organisateur de voyages, ainsi qu’à assurer la réservation du voyage. Selon la Cour, un tel contrat complexe portant sur un ensemble de prestations de services fournies contre un prix global payé par le client se situe en dehors du domaine dans lequel le principe de la compétence
exclusive trouve sa raison d’être et ne saurait constituer un contrat de bail proprement dit relevant de cette disposition du texte communautaire.
24 Pour la CJCE, le recours à la notion d’ordre public n’est concevable que dans l’hypothèse où la reconnaissance (ou l’exécution) de la décision
rendue dans un autre État contractant heurterait de manière inacceptable l’ordre juridique de l’État requis, en tant qu’elle porterait atteinte à un
principe fondamental. Ainsi, le refus de reconnaissance, fondé sur l’impossibilité pour l’auteur d’une infraction involontaire de se faire défendre
par un avocat sans être personnellement présent au jugement, a été considéré comme une application valable de l’exception d’ordre public international, dans la mesure où la CEDH elle-même protège les droits de la défense comme des droits fondamentaux.
VIII
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