Fondamentaux fromagers
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Fondamentaux fromagers
Produits / Process Par Franck NEYERS, enseignant en technologie laitière et fromagère, ENILIA-ENSMIC Surgères Les fondamentaux fromagers : simplifier pour mieux comprendre Cinquième partie : évoluer et se souvenir Mots-clés : fromagerie moderne ; technique fromagère traditionnelle ; rendement ; qualité des fromages ; fromagers des ENIL. Rappels : Cette cinquième partie va traiter des tendances actuelles de la technique fromagère, des évolutions, des conséquences sur les rendements et la qualité des fromages. Elle conclura cette série de 5 parutions qui a tenté d’éclaircir le raisonnement fromager et redonner des bases et des clés de compréhension des process actuels et traditionnels. Partie 1 : savoir simplifier, ne pas oublier les généralités Partie 2 : préparer le caillé pour en faire « tout un fromage » ! Partie 3 : garder des résultats pour anticiper des défauts Partie 4 : approfondir, préciser, mais raisonner « tendances » Partie 5 : évoluer et se souvenir Tradition et évolution… La technologie fromagère est en constante évolution. Les axes actuels de développement sont en relation avec l’amélioration des rendements, des goûts et de la sécurité sanitaire. En parallèle, de nouvelles utilisations du fromage (« fromage ingrédient ») modifient les présentations et les process finaux (passage en découpe industrielle, IQF…). Les fromagers s’adaptent à la demande, proposant de produits différents et économiquement satisfaisants (pour le consommateur et le fabricant). Malgré cette tendance certaine, la tradition, les fromages locaux, fermiers, bio, se développent également. Le consommateur à la recherche de typicité ne peut aujourd’hui se tourner que vers les fromages fermiers ou artisanaux, issus de réseaux de distribution hors GMS. Les fromages modernes ont-ils moins de goût ? Oui et non… L’évolution des process modernes a contribué à ralentir l’affinage des fromages : certes, l’aspect est proche de fromages traditionnels, mais le goût en est éloigné. 18 Rendement et affinage sont-ils compatibles ? Deux principales voies d’accroissement des rendements existent aujourd’hui en fromagerie : • l’accroissement de la richesse initiale du lait, notamment en MP coagulables : permet d’accroitre les capacités de production, de réduire les pertes par moindre production de fines ; • la récupération de protéines de sérum et leur intégration dans le caillé : plus de matière valorisée, associé à une rétention d’eau supérieure dans certains cas. Dans le premier cas, on renforce le caractère « présure » du fromage, on le tamponne : ce pouvoir tampon supérieur ralentit l’évolution enzymatique du fromage, limitant l’implantation des flores acido sensibles (Brevibacterium notamment), mais favorisant un assouplissement de pâte plus précoce. Le fromage s’assouplit plus vite, mais son goût ne se développe pas. Ces fromages sont donc, pour un même temps d’affinage, moins sapides. Pour qu’ils aient du goût, il suffit de les affi- ner plus longtemps, de les garder plus longtemps en cave… Ce qui n’est pas compatible avec une rationalisation des espaces d’affinage et une meilleure Deux camemberts : un industriel et un artisanal, ou le même lot à deux stades d’affinage différents ? Revue des ENIL n° 331 - Mai / Juin 2014 Produits / Process utilisation des salles : il parait difficile de prolonger l’affinage de 4 à 5 jours, lorsque chaque salle d’affinage correspond à un jour de fabrication, et que garder une fabrication plus longtemps conduira à une période de non production pour ne pas engorger les lieux. Seule la présentation de fromages à un concours peut alors justifier un affinage plus long, et permettre ainsi aux fromagers modernes de mettre en avant le goût et la typicité de leurs produits : comme pour toute compétition, le compétiteur vainqueur n’est pas là par hasard ; il a été préparé, entrainé pour cette compétition. les moyens modernes de rentabilisations des fabrications, la mise en place de compromis technico économiques. En fonction de leurs convictions, des opportunités qu’ils saisiront, ils pourront aider tout type de fromagerie dans les évolutions et/ou la sauvegarde du patrimoine fromager français. Dans le cas de la récupération de protéines de sérum, on renforce le caractère lactique. Si on n’y prend pas garde, le fromage va évoluer plus vite, devenir sapide plus tôt, mais pas forcément avec les mêmes palettes aromatiques. De plus, ce caractère lactique accentué, se traduisant surtout par une HFD plus élevée, va limiter la conservation dans le temps et engendrer un raccourcissement de la DLUO. Les fromagers doivent rester ouverts, perméables pour mieux assimiler les process fromagers modernes. Ils doivent aussi constamment revenir aux bases du process pour se souvenir que le fromage n’est qu’un moyen de conserver le lait. Cette conservation passe par : • une acidification : si celle-ci est moins poussée, on favorise les accidents microbiens, les risques sanitaires sont supérieurs ; • un salage : baisser le taux de sel modifie l’implantation et la sélection des flores d’affinage : moins de sel, c’est à nouveau plus d’accidents microbiens, plus de défauts d’aspect, plus de coût de déclassés ; • des fermentations spécifiques : limiter ces fermentations (par délactosage, diafiltration, qui limite la glycolyse par déficit Pour limiter les défauts de ces deux voies technologiques, le mix des deux technologies parait être la solution : accroitre le caractère présure et tamponner le lait initialement, le « dé tamponner » par l’ajout de PS qui limiteront l’impact négatif d’une sur minéralisation et d’un égouttage trop rapide. L’ouverture d’esprit, la veille concurrentielle et technologique permettront à ces fromagers de comprendre les tendances actuelles et à venir de l’artisanat et de l’industrie fromagère. Les bases, toujours les bases ! Ne pas oublier le coût des fabrications… L’évolution de la technique fromagère est indissociable de la rentabilité économique à court terme. C’est ce qui est observé dans les fromageries industrielles modernes. Cela laisse la place aux petites unités, aux petits producteurs pour produire des fromages différents, plus proches des critères initiaux décrivant le fromage : goût, saveur, odeur, texture. Les ENIL ont toujours formés des fromagers. Les fromagers des ENIL sortent de nos écoles, de nos ateliers, en ayant appris à la fois les références techniques de nombreuses fabrications traditionnelles, mais aussi Mettre les mains dans le caillé, être au contact du produit : cela peut faire bondir des « hygiénistes », mais cela fait partie du savoir faire du fromager. Revue des ENIL n° 331 - Mai / Juin 2014 initial en lactose), c’est limiter le goût final, renforcer la neutralisation des saveurs. Si nous sommes riches de plus de 400 fromages (plus de 1000 d’après certaines sources), c’est parce que des techniques différentes existent, qu’elles évoluent en permanence pour s’adapter à la demande du consommateur et/ou aux contraintes du marché. Se souvenir des bases technologiques, avoir en références les grandes voies de fabrication des fromages typiques, est une des clés de la mise en œuvre d’évolutions maitrisées du process fromager. Ne jetons pas nos vieilles fiches de fabrication ! Gardons des traces du passé, du travail du lait, même si nous mettons en œuvre aujourd’hui plus de « mix » que de lait… Il y a quelques années, « Arilait recherche » publiait une étude synthétique sur les rendements fromagers, dont une des conclusions était que l’accroissement des rendements allait de paire avec une baisse de la qualité des fromages. En gardant à l’esprit nos bases fromagères, nous pouvons confirmer cela, l’expliquer pour dédramatiser ces observations : • les fromages ne sont pas plus « mauvais », ils ont juste moins de goût ; • ils ont parfois des DLUO plus courtes, car ils sont plus humides, moins acides ; • et si on ne met pas en œuvre toutes une batterie de bonnes pratiques d’hygiène et de fabrication, ils sont plus sensibles à leur environnement bactérien. Mais globalement, ils répondent mieux aux attentes du client, du consommateur : est-ce donc réellement une baisse de qualité ? Chacun peut en titrer ses propres conclusions et utiliser sa culture fromagère pour argumenter ces tendances. 19